LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES DROITS DE LA PERSONNE
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le lundi 15 mai 2023
Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd’hui, à 16 h 2 (HE), avec vidéoconférence, pour examiner les questions qui pourraient survenir concernant les droits de la personne en général; et, à huis clos, pour examiner les questions qui pourraient survenir concernant les droits de la personne en général.
[Note de la rédaction : Veuillez noter que cette transcription peut contenir des termes forts et traiter de questions sensibles qui peuvent être difficiles à lire.]
La sénatrice Salma Ataullahjan (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Honorables sénateurs, je suis Salma Ataullahjan, la présidente du comité. Aujourd’hui, nous tenons une audience publique du Comité sénatorial permanent des droits de la personne. Je vais laisser les membres du comité qui participent à cette réunion se présenter en commençant par la vice-présidente.
La sénatrice Bernard : Wanda Thomas Bernard, Nouvelle-Écosse.
La sénatrice Hartling : Nancy Hartling, Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Arnot : David M. Arnot, Saskatchewan.
[Français]
La sénatrice Gerba : Amina Gerba, du Québec.
[Traduction]
La sénatrice Jaffer : Mobina Jaffer, Colombie-Britannique.
La présidente : Aujourd’hui, notre comité poursuivra son étude du racisme anti-Noirs, du sexisme et de la discrimination systémique à la Commission canadienne des droits de la personne, la CCDP, conformément à son ordre de renvoi général. Au cours des dernières années, des allégations de racisme anti‑Noirs ont soulevé des préoccupations vis-à-vis du traitement que la CCDP réserve à ses propres employés, et au sujet de ses processus décisionnels lorsqu’elle traite des plaintes.
Permettez-moi de vous donner quelques détails sur notre réunion d’aujourd’hui. Cet après-midi, nous accueillons quatre groupes de témoins. Pour chaque groupe, nous entendrons les témoins, puis les sénateurs poseront des questions.
Je vais maintenant présenter notre premier groupe de témoins. Nos témoins ont été invités à faire une déclaration préliminaire de cinq minutes. Nous entendrons les témoins, puis nous passerons aux questions des sénateurs. Je souhaite la bienvenue à nos premiers témoins qui comparaissent à distance aujourd’hui. Nous accueillons Kasari Govender, commissaire aux droits de la personne, Bureau du commissaire aux droits de la personne de la Colombie-Britannique, et Dominique Clément, professeur de sociologie, Faculté des arts, Université de l’Alberta.
J’invite maintenant Mme Govender à faire sa présentation, puis ce sera le tour de M. Clément.
Kasari Govender, commissaire aux droits de la personne, Bureau du commissaire aux droits de la personne de la Colombie-Britannique : Je remercie la présidente, la vice‑présidente et les membres du comité de m’avoir invitée à comparaître aujourd’hui. Je me joins à vous virtuellement à partir des terres ancestrales non cédées des nations Musqueam, Squamish et Tsleil-Waututh, ici, dans ce lieu qu’on appelle maintenant Vancouver. Je me joins à vous dans l’esprit de notre travail continu pour décoloniser le Canada et en exprimant notre gratitude envers ceux qui ont pris soin de ces terres et de ces eaux pendant tant de générations.
Je suis heureuse d’avoir été invitée à vous parler aujourd’hui des avantages et des inconvénients d’un modèle d’accès direct aux commissions des droits de la personne par rapport au modèle d’évaluation par la commission, où la commission joue un rôle dans l’examen préalable. J’ai pensé qu’il serait peut-être utile de commencer par la description de notre modèle ici en Colombie-Britannique, qui est unique au Canada. Je passerai ensuite à quelques leçons que j’ai apprises depuis mon entrée en fonction. J’ai pris connaissance des avantages et des inconvénients de ce modèle et je conclurai ma déclaration préliminaire en présentant mon point de vue général sur les modèles d’accès direct comme le nôtre.
En Colombie-Britannique, nous n’avions pas de commission des droits de la personne entre 2002 et 2019. Il y a quelques points clés à souligner au sujet du développement de notre bureau. En 2017 et 2018, le gouvernement a lancé un processus de consultation qui a abouti à un rapport intitulé A Human Rights Commission for the 21st century : British Columbians talk about Human Rights. C’étaient un rapport et des recommandations destinés au procureur général, mais qui ont été rendus publics. De nombreux organismes communautaires et dirigeants de la Colombie-Britannique ont été consultés et le gouvernement a élaboré le modèle d’après ces recommandations. Toutes les recommandations de ce rapport ont été intégrées à la structure.
L’une des recommandations était que le bureau soit créé avec un commissaire aux droits de la personne qui soit un fonctionnaire indépendant de l’Assemblée législative, un peu comme l’ombudsman ou le vérificateur général. Cela fait de moi la neuvième haute fonctionnaire de l’Assemblée législative de la Colombie-Britannique. J’ai été nommée en septembre 2019, alors c’est encore très récent, et mon point de vue est celui d’une personne qui n’occupe ce poste que depuis trois ans et demi. J’ai aussi été chargée de transcrire dans la réalité le modèle qui existait sur le papier dans le code des droits de la personne pour en faire quelque chose d’utile qui permette de prendre des mesures en matière de droits de la personne.
Le modèle de la Colombie-Britannique comporte trois caractéristiques, et la combinaison de ces caractéristiques le rend unique. Le premier est l’indépendance par rapport au gouvernement avec un fonctionnaire indépendant de l’Assemblée législative. Les Territoires du Nord-Ouest ont aussi ce modèle de fonctionnaire indépendant de l’Assemblée législative, mais comme leur système politique est différent, c’est comme comparer des pommes et des oranges.
Nous avons aussi un modèle entièrement systémique. Nous n’avons pas d’interaction avec le processus de traitement des plaintes du tribunal, si ce n’est que nous pouvons intervenir lors du traitement des plaintes au tribunal. Nous avons des mécanismes de communication avec le tribunal, mais nous ne jouons aucun rôle dans le tri des plaintes ni dans le règlement ou quoi que ce soit de ce genre. Nous ne représentons pas les gens au tribunal. Il n’y a qu’un seul autre modèle semblable au nôtre au Canada et c’est celui de l’Ontario, qui n’a aucune interaction avec le processus de traitement des plaintes.
Le troisième élément qui nous rend singuliers est que nous avons le mandat, en vertu de la loi, de promouvoir le respect du droit international en matière de droits de la personne, ce qui est vraiment unique au Canada. La Commission canadienne des droits de la personne a des interactions ciblées avec le droit international en matière de droits de la personne, mais pas le genre de mandat général que nous avons.
À mon avis, le modèle de la Colombie-Britannique est le plus conforme au document international intitulé Principes concernant le statut des institutions nationales, aussi appelés Principes de Paris, qui mettent vraiment l’accent sur l’indépendance des commissions par rapport au gouvernement.
Comme M. Bhabha vous l’a dit lors d’une audience précédente, supprimer le rôle de filtre de la commission ne règle pas le problème des retards au tribunal, à mon avis, mais cela améliore l’efficacité de la commission elle-même. Étant une commission de deuxième génération — c’est-à-dire une commission qui n’a pas de rôle à jouer dans l’acceptation ou le règlement des plaintes au-delà de celui d’un intervenant occasionnel —, nous sommes en mesure de nous concentrer uniquement sur les problèmes systémiques, comme je l’ai dit. Il n’y a pas de concurrence pour nos ressources entre la résolution immédiate des conflits et le changement systémique à long terme. Il n’y a pas de conflits d’intérêts qui peuvent survenir entre le travail sur un dossier individuel et le travail de réforme des systèmes parce que tous nos efforts sont tournés vers ce dernier.
Les principales plaintes que j’entends au sujet des commissions de première génération sont de deux ordres. Premièrement, les commissions peuvent retarder le processus de traitement des plaintes, et deuxièmement, elles n’ont pas le mandat ou les ressources nécessaires pour régler efficacement les problèmes systémiques liés aux droits de la personne. Elles ont une capacité limitée de s’attaquer aux problèmes de droits de la personne en amont, car si elles participent au processus de traitement des plaintes, une grande partie des ressources y est consacrée.
Ces deux questions sont interreliées sur le plan du financement. Un financement adéquat réglera les problèmes de retard et, dans une certaine mesure, les problèmes systémiques en renforçant les capacités au sein de la commission. Cet élément a très peu à voir avec le changement structurel. Toutefois, les obstacles à la défense des droits systémique résident également dans ces questions structurelles. Lorsque le processus est aussi étroitement lié au contexte de la Commission canadienne des droits de la personne, des conflits d’intérêts peuvent survenir. Si une commission se penche sur une question avec un organisme fédéral dans le cadre d’une plainte contre cet organisme — c’est‑à‑dire une plainte contre un organisme fédéral —, elle pourrait ne pas être en mesure d’aborder cette question sous un autre angle, comme la défense des droits, la mobilisation communautaire ou les communications publiques. À mon avis, ce sont là des limites importantes pour toute commission des droits de la personne, mais en particulier pour la commission fédérale, car elle agit à titre d’institution nationale des droits de la personne au Canada, accréditée par l’Alliance mondiale des institutions nationales des droits de la personne.
Je ne crois pas qu’un changement structurel à lui seul réglera le racisme systémique qui a été identifié à la commission ni ne garantira de meilleurs résultats dans le processus de traitement des plaintes. Un tel changement pourrait par contre permettre de prendre un nouveau départ, de renouveler le mandat et de rebâtir la culture. Il peut aussi, ce qui est très important, faire en sorte que la commission puisse jouer davantage un rôle de chef de file pour ce qui est de modifier les lois, les politiques et les pratiques fédérales là où l’inégalité systémique est enracinée.
Voilà mes observations préliminaires. J’attends avec impatience vos questions et la discussion qui suivra. Merci.
La présidente : Merci. Je vais maintenant céder la parole à M. Clément.
Dominique Clément, professeur de sociologie, Faculté des arts, Université de l’Alberta, à titre personnel : Merci. C’est un honneur de m’adresser à vous aujourd’hui.
Je suis ici en qualité d’universitaire en sciences sociales ayant passé près de 20 ans à étudier les lois sur les droits de la personne au Canada. En plus d’avoir fait un travail de consultation avec plusieurs commissions des droits de la personne partout au pays, y compris la CCDP, et d’avoir collaboré avec elles, j’ai étudié plusieurs institutions des droits de la personne dans le monde. Mon domaine d’expertise porte principalement sur la façon dont les gens vivent le droit, la façon dont le public perçoit le droit et les institutions et la signification sociale plus générale des institutions des droits de la personne. J’aimerais axer mes observations d’aujourd’hui sur trois questions particulières, dont la première complétera les observations précédentes.
Premièrement, prenons cette proposition, qui a été mentionnée à plusieurs reprises au cours de ces audiences comme étant une solution possible, à savoir que le gouvernement fédéral devrait passer à un modèle d’accès direct. Bien que je sois profondément sensible aux frustrations exprimées au sujet du rôle de filtre de la commission, j’exhorte le comité à faire preuve de prudence dans l’examen d’une telle proposition. Nos recherches montrent que le modèle d’accès direct est truffé de retards, que l’augmentation du nombre de cas entendus sera probablement modeste, mais qu’il peut y avoir une augmentation du nombre de cas en attente et que les plaignants sont moins susceptibles d’obtenir satisfaction dans le cadre d’un tel système. Ce n’est pas par hasard que le modèle de commission demeure la norme partout au Canada.
Il est certain que cette situation particulière au sein de la CCDP, dans laquelle il y a des preuves de discrimination systémique, mine profondément son rôle de filtre. Pourtant, les personnes qui utilisent le système d’accès direct sont confrontées à d’importants retards et sont beaucoup plus susceptibles de se présenter à une audience sans être représentées par un avocat et de ne pas avoir les ressources et le soutien nécessaires pour enquêter sur une plainte, entre autres choses. Si le comité devait recommander un modèle de tribunal, il serait essentiel d’avoir une aide juridique financée par l’État comme le préconisait le rapport La Forest en 2000.
Deuxièmement, le comité pourrait se pencher sur l’incidence de la crise actuelle sur la réputation de la CCDP au Canada et à l’étranger. En 20 ans, je n’ai pas encore vu de régime juridique anti-discrimination supérieur à celui du Canada. Nous sommes vraiment un chef de file mondial en matière de droits de la personne. La plupart des institutions des droits de la personne datent des années 1990, alors que le système canadien date des années 1960, voire des années 1940. Mes collègues en Europe, par exemple, sont souvent envieux du fonctionnement du système canadien. Je ne dis pas cela pour nier la nécessité de s’attaquer à la discrimination systémique au sein de la CCDP. Loin de là. Je tiens à souligner l’importance symbolique des institutions des droits de la personne. Leur pouvoir réside dans la perception du public. Les gens sont rassurés par l’existence de ce régime juridique, même s’ils n’y ont pas recours eux-mêmes. La crise actuelle est une crise de confiance dans la perception du public, et la résolution de ce problème doit faire partie de la solution.
Enfin, en plus des solutions suggérées par les intervenants précédents, le comité devrait envisager de recommander un renforcement du mandat de la CCDP en matière d’éducation. L’une des tendances les plus malheureuses au sein des institutions des droits de la personne au Canada depuis les années 1990 a été le déplacement des ressources de l’éducation vers le traitement des plaintes. Pourtant, ces institutions n’ont jamais été conçues pour être axées principalement sur les plaintes. Un aspect fondamental du mandat de chaque institution des droits de la personne au Canada est de créer une culture des droits comme stratégie de prévention. Une douzaine d’enquêtes ont été parrainées par le gouvernement sur les lois provinciales et fédérales sur les droits de la personne depuis 1983 — la plus récente remontant à 2017 — et toutes ont mis l’accent sur l’éducation comme composante essentielle. L’éducation signifie du financement et du personnel pour produire des outils de formation pour les employeurs et les syndicats; fournir des conférenciers publics aux réunions communautaires ou éducatives; faire participer les jeunes dans le cadre des médias sociaux et bien plus encore. Pourtant, les ressources ont été tellement réduites que, à toutes fins pratiques, les institutions de défense des droits de la personne ont en grande partie abandonné leur mandat en matière d’éducation au Canada.
En envisageant des solutions et des stratégies pour aller de l’avant, le Sénat pourrait même envisager de recommander un examen officiel de la loi. Après tout, près d’un quart de siècle s’est écoulé depuis le précédent examen. Néanmoins, mes recommandations se concentrent sur l’éducation parce qu’elle a la capacité de changer la culture au sein des établissements, y compris au sein de la CCDP. Une revitalisation du mandat de la commission en matière d’éducation, entre autres solutions proposées, au cours des audiences, aurait pour effet de favoriser une culture des droits au sein de la CCDP qui pourrait fonctionner comme une stratégie préventive plutôt que comme un processus axé sur la réaction et le traitement de la discrimination a posteriori comme c’est le cas aujourd’hui. Merci beaucoup.
La présidente : Merci beaucoup. Avant de poser des questions et d’y répondre, j’aimerais demander aux membres du comité et aux témoins présents dans la salle pendant la présente réunion de bien vouloir éviter de se pencher trop près du microphone ou de retirer leur oreillette. Cela permettra d’éviter tout effet Larsen qui pourrait avoir une incidence négative sur le personnel du comité dans la salle.
Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs. J’aimerais rappeler à chaque sénateur qu’il dispose de cinq minutes, questions et réponses comprises. Nous allons commencer par la vice-présidente Bernard.
La sénatrice Bernard : Merci, madame la présidente. Permettez-moi de m’inscrire dès maintenant pour le deuxième tour, car je sais que j’aurai besoin de plus de cinq minutes avec ces deux témoins.
Je vous remercie tous les deux de votre témoignage d’aujourd’hui. Nous vous sommes reconnaissants d’avoir pris le temps de venir. Je vais commencer par M. Clément. Vous avez parlé de la place du Canada sur la scène mondiale s’agissant de la perception des droits de la personne dans le monde, et vous étudiez les lois sur ces droits depuis 20 ans. J’aimerais avoir votre opinion à ce sujet. Comment en sommes-nous arrivés là? Comment, au Canada, en sommes-nous arrivés à un point où se pose une question de confiance à l’égard de la Commission canadienne des droits de la personne en raison de la constatation de discrimination et de racisme systémiques? Comment en sommes-nous arrivés là? Que nous montrent vos recherches?
M. Clément : Je vous remercie de cette question. Ce qui se passe à la CCDP, malheureusement, est tout simplement, à certains égards, un reflet de la société canadienne. Les préjugés inconscients, l’inégalité systémique et la discrimination systémique demeurent omniprésents dans notre pays.
Je donne un cours d’introduction à la sociologie sur les problèmes sociaux. Lorsque nous examinons, dans ce cas-ci, la situation des Canadiens noirs, statistiquement, nous constatons qu’ils font face à d’immenses défis et à des obstacles structurels à l’égalité dans notre société. La première partie de ma réponse est que c’est un reflet de la société en général.
La deuxième partie de ma réponse est que l’une des forces du système canadien a toujours été, comme je l’ai mentionné, l’éducation, mais nous nous en sommes éloignés. Ces institutions — et ce n’est pas seulement au niveau fédéral, c’est aussi le cas dans toutes les provinces — sont essentiellement devenues des systèmes de traitement des plaintes. À certains égards, notre système de traitement des plaintes est l’un des meilleurs au monde. Comparé à l’Europe et aux États-Unis, le nôtre est l’un des meilleurs. Cependant, parce que l’accent a été mis sur les plaintes, nous avons perdu de vue le développement d’une culture des droits, ce qui est vraiment la seule façon de s’attaquer à l’inégalité systémique. Nous en sommes arrivés là, même si nous avons un système de calibre mondial, parce que l’accent est mis sur les ressources consacrées aux plaintes plutôt que sur l’éducation. C’est ce qui a permis à ce type de situations de se développer au sein de ces institutions. Merci.
La sénatrice Bernard : Quelle preuves a-t-on que le fait de mettre l’accent sur l’éducation ferait vraiment une différence en matière de culture des droits dans ce contexte plus large de racisme contre les Noirs qui, nous le savons, est très répandu au Canada?
M. Clément : Pour ce qui est des données probantes, elles sont théoriques en ce sens que l’éducation est la seule façon d’espérer. Nous avons besoin d’une stratégie de prévention. Nous avons besoin d’une stratégie qui ne soit pas réactive, mais préventive. Ainsi, l’éducation est notre meilleur atout, avec la mise en place d’une stratégie de prévention plutôt que d’une stratégie réactive.
Pour ce qui est de la preuve, je signale également que nous faisons, par exemple, des entrevues avec des gens qui ont participé à ces processus en Alberta et ailleurs au Canada. Le manque de sensibilisation des gens au fonctionnement du système est remarquable. En raison de ce manque de sensibilisation, ils sont vulnérables aux pressions, aux préjugés et aux abus du personnel des commissions des droits de la personne.
On pourrait espérer, en ce qui concerne les données probantes — vu que les gens ne savent pas comment le système fonctionne —, que l’éducation donnerait aux Canadiens davantage d’outils pour utiliser ces institutions. Merci.
La sénatrice Bernard : Madame Govender, vous avez dit qu’une modification structurelle n’est pas susceptible à elle seule d’apporter des changements et que le fait de mettre l’accent uniquement sur les problèmes systémiques limite la capacité de s’occuper d’un plus grand nombre de problèmes en amont, en l’occurrence le genre de travail de prévention dont a parlé notre autre invité.
Pouvez-vous nous en dire plus sur la façon dont votre bureau s’attaque à ces problèmes particuliers? Quelles recommandations feriez-vous au sujet de la nature systémique du racisme envers les Noirs?
Mme Govender : Si vous me permettez d’apporter une précision, j’ai dit qu’à mon avis, le fait de mettre l’accent sur l’élimination de la fonction de traitement des plaintes — en passant à ce modèle de deuxième génération, ou à un modèle d’accès direct, peu importe comment vous l’appelez — augmenterait la capacité d’une commission; en fait, cela va nécessairement changer la capacité de la commission de faire le travail systémique, et notamment le travail d’éducation.
Le mandat de notre bureau est entièrement consacré à la protection et à la promotion des droits de la personne, j’insiste, indépendamment de la structure de traitement des plaintes pour l’essentiel, sauf pour intervenir dans des cas qui comportent un élément systémique.
Notre travail consiste à intervenir dans des affaires — je vais commencer par là, puisque je l’ai déjà mentionné — à titre de tierce partie dans des litiges en cours, que ce soit devant les cours de justice ou au tribunal.
Nous avons la capacité de lancer des enquêtes publiques. Nous avons conclu une vaste enquête publique sur la montée de la haine pendant la COVID-19 et avons recommandé des changements au gouvernement.
Nous avons un mandat en matière d’éducation. Nous menons de grandes campagnes de sensibilisation auprès du public et organisons des ateliers plus ciblés, par exemple, pour aider les gens à comprendre le rôle de l’éducation individuelle dont vous a parlé mon collègue ici présent, pour aider les gens à comprendre ce qu’est la loi sur les droits de la personne. Quelles sont mes obligations et mes droits?
Nous menons de grands projets de recherche et travaillons à la réforme du droit et des politiques. Nous faisons beaucoup de communications et de mobilisation pour faire participer les gens à notre travail. C’est l’éventail du travail systémique que nous faisons. Il pourrait être établi différemment. La fourchette pourrait être différente. C’est ainsi que nous avons construit le code des droits de la personne de la commission.
Le sénateur Arnot : Merci aux témoins.
Monsieur Clément, j’appuie vos propos. Je crois au pouvoir de l’éducation. Je crois que nous devons bâtir au Canada une culture qui respecte les droits de la personne. Pour changer la culture de la communauté il faut changer la culture du système d’éducation.
Pensez-vous que ce serait une bonne idée que les éducateurs du Canada, de la maternelle à la 12e année, se concentrent sur les droits et les responsabilités de la citoyenneté au Canada; qu’ils se concentrent sur le respect de chaque citoyen, sans exception; sur l’utilisation des cinq compétences essentielles de la citoyenneté canadienne — les cinq E — selon lesquelles les étudiants doivent être éthiques, éclairés, engagés, en contrôle et empathiques; que nous devrions étudier les six grands enjeux sociaux que l’on constate aujourd’hui, soit le racisme, la discrimination fondée sur le sexe; la discrimination fondée sur la santé mentale et la toxicomanie et la discrimination fondée sur les handicaps?
Ma question s’appuie sur l’exemple de la Commission des droits de la personne de la Saskatchewan qui a créé un ensemble de ressources dont c’est précisément l’objet. Ces ressources appartiennent maintenant à la Concentus Citizenship Education Foundation qui enseigne aux Canadiens de façon délibérée et explicite les valeurs de la citoyenneté canadienne, en particulier la démocratie. Ce serait une façon de bâtir une culture des droits dans ce pays.
Avez-vous des commentaires à ce sujet, monsieur? Avez-vous connaissance de ces ressources? Si ce n’est pas le cas, je vous les recommande. Si vous écriviez quelque chose à ce sujet dans le cadre d’un suivi au comité, ce serait très utile.
M. Clément : Absolument. Je connais l’existence de ces ressources. À bien des égards, la Saskatchewan a été un chef de file dans la production de matériel didactique.
Nous menons actuellement une enquête sur le contenu éducatif des commissions des droits de la personne partout au Canada. Nous constatons que les ressources de nombreuses commissions remontent à 2012-2017. Cela devient problématique, surtout en ce qui concerne l’identité de genre, qui est maintenant un motif de discrimination courant au Canada. La terminologie à cet égard a changé radicalement au cours des cinq à dix dernières années. Il faut mettre à jour ces ressources. De nombreuses commissions ne l’ont pas fait.
Le rapport La Forest de 2000 recommandait vivement que les commissions travaillent ensemble pour éviter les dédoublements, mais aussi de tirer parti de ce que fait la Saskatchewan. Cela ne s’est pas vraiment produit. La Commission canadienne des droits de la personne pourrait jouer un rôle de leadership pour mobiliser des ressources partout au Canada et éviter les dédoublements.
Ce que vous dites au sujet de l’éducation de la maternelle à la 12e année est essentiel. C’est là que la commission devrait jouer un rôle. Les ONG canadiennes font de l’excellent travail. Je travaille au John Humphrey Centre for Peace and Human Rights qui envoie des intervenants dans les écoles. Cet organisme fait un travail fantastique avec les enfants et les enseignants malgré des budgets dérisoires. Il essaie de travailler avec les commissions. Les commissions ont très peu de ressources pour l’éducation. Je suis tout à fait d’accord sur ce que vous venez de dire. Je pense qu’on peut faire davantage pour placer la CCDP dans un rôle de leadership.
N’oubliez pas que la loi en matière de droits de la personne au Canada fait abstraction de tout intérêt partisan. Tous les partis politiques ont appuyé et défendu les droits de la personne. Ce devrait être une question d’éducation, et c’est une question qui dépasse les intérêts partisans à laquelle nous pouvons tous souscrire. Merci.
Le sénateur Arnot : Ma question s’adresse à Mme Govender, la commissaire aux droits de la personne de la Colombie-Britannique.
Je conviens que c’est une erreur d’adopter un système entièrement ouvert, parce que cela repose sur un certain nombre d’hypothèses. D’après ce que je peux voir, l’Ontario a actuellement un arriéré de 9 000 cas. En 2022, la Colombie-Britannique avait un arriéré important; elle n’a pas été en mesure de respecter les normes de service attendues. Je parle du tribunal, pas de votre commission. En moyenne, il y avait entre quatre ans et demi et sept ans d’attente avant la tenue d’une audience au tribunal.
En Alberta, voici environ trois ans, il fallait attendre six ans avant d’obtenir une audience de médiation.
Au Manitoba, il y a un arriéré de 400 cas. Il faut deux ans avant qu’un enquêteur soit affecté.
Avant que les gens adoptent un modèle de tribunal, on obtient, à mon avis, l’accès aux retards et non l’accès à la justice. Les preuves sont accablantes. Êtes-vous d’accord?
J’aimerais poser une question générale aux deux témoins. Pensez-vous que le comité devrait envisager la création d’une étude sur le régime des droits de la personne au Canada, ses forces et ses faiblesses? Par exemple, nous n’avons pas de code universel des droits de la personne au Canada. Dans les provinces et les territoires, les protections ne sont pas les mêmes. Nous avons besoin d’un examen rigoureux.
Le dénominateur commun des problèmes auxquels sont confrontées toutes les commissions des droits de la personne au Canada, y compris celle du Canada, c’est le sous-financement chronique. Nos commissions sont complètement sous-financées. Elles ne peuvent pas faire leur travail. Les preuves sont accablantes.
Êtes-vous d’accord pour dire que le comité devrait envisager d’étudier en profondeur le régime des droits de la personne au Canada?
Mme Govender : Eh bien, si je peux commencer par le début, j’aimerais préciser que je ne suis pas contre la création d’un modèle d’accès direct. En fait, je pense que notre modèle en Colombie-Britannique fonctionne bien du point de vue de la commission.
Les retards sont toujours là. Encore une fois, je pense que c’est dû à un manque de financement, ce qui est distinct de la question de savoir si c’est un modèle d’accès direct. La question est la suivante : les commissions et les institutions des droits de la personne dans ce pays sont-elles suffisamment appuyées? Je pense que la réponse est non. À mon avis, c’est la cause des retards massifs. Je suis entièrement d’accord au sujet de ces retards énormes. Je conviens que c’est un énorme problème d’accès à la justice, mais c’est une autre question de savoir si nous devrions instaurer un modèle d’accès direct. On a souvent confondu les deux questions, et je pense que l’expérience nous a appris que le fait qu’une commission soit en cause ou non n’a aucune importance. Il s’agit de financer adéquatement le système pour pouvoir répondre à ces plaintes.
La Colombie-Britannique a annoncé un apport important de fonds pour le tribunal. Nous verrons ce qui se passera pour ce qui est de régler le problème des retards. Cet apport est encore très récent; je crois qu’il ne remonte qu’au mois de mars dernier.
Le sénateur Arnot : Madame Govender, y a-t-il des preuves que les plaintes des Canadiens noirs au sujet du racisme et de la discrimination ont été traitées de façon plus juste et équitable pour mener à un résultat juste et équitable en Colombie-Britannique au moyen du modèle d’accès direct du tribunal?
Mme Govender : Je n’ai pas ces informations sous la main, et de toute façon, je ne pense pas qu’elles seraient utiles. Pendant 17 ans, nous n’avons eu qu’un tribunal. Nous étions la seule administration au pays à ne pas avoir de commission. Nous n’avions personne pour faire ce triage, pour s’occuper du modèle d’accès à la justice, sauf un organisme sans but lucratif qui aidait les gens. Mais aucun organisme public n’a été chargé de fournir le soutien qu’une commission apporte à ce modèle plus traditionnel de première génération, et nous n’avons pas non plus d’organisme public chargé de se pencher sur le changement systémique. Comme nous n’avons eu que les trois dernières années et demie pour constater les changements, nous n’avons pas encore eu assez de temps pour voir comment ils se concrétiseront.
À mon avis, encore une fois, l’expérience de la création et de la gestion de cette organisation nous a appris qu’il y a un très grand nombre de problèmes sur lesquels nous devons nous pencher, et que de grands gains d’efficience peuvent être réalisés en séparant ces problèmes du processus de traitement des plaintes, parce que nous sommes en mesure d’avoir les ressources nécessaires pour régler les problèmes et aussi pour nous assurer que nous ne sommes pas en conflit avec les problèmes systémiques, ce qui est le message que je reçois souvent de mes collègues partout au pays.
Le sénateur Arnot : Aucun des deux témoins n’a répondu à ma deuxième question.
La présidente : Cela peut-il attendre au deuxième tour?
Le sénateur Arnot : J’aimerais obtenir une réponse avant la fin de la séance. Merci.
La présidente : Avant de céder la parole à la sénatrice Jaffer, je tiens à souligner que la sénatrice Kim Pate s’est jointe à nous. Bienvenue, madame Pate.
La sénatrice Pate : Merci beaucoup.
La présidente : Vous représentez la province de l’Ontario, pour ceux qui nous regardent et qui se posent la question.
La sénatrice Jaffer : Merci beaucoup à vous deux d’être ici. Nous sommes très heureux d’accueillir Mme Govender, la commissaire de la Colombie-Britannique. Sa mère et moi avons travaillé ensemble pendant de nombreuses années. J’ai beaucoup entendu parler de votre travail en Colombie-Britannique, et c’est donc un grand plaisir de vous accueillir ici.
Je suis heureuse que vous soyez ici, parce que je me pose de sérieuses questions. Jusqu’à maintenant, je crois que nous avons contourné la véritable question. La véritable raison pour laquelle cette étude est effectuée, c’est à cause du racisme, surtout à la Commission canadienne des droits de la personne, et des employés en ont parlé. Des gens qui travaillent à la commission parlent de la façon dont ils sont traités, sans parler de ce qui arrive aux gens qui comparaissent devant la commission.
Madame Govender, est-ce que la Commission canadienne des droits de la personne doit repartir sur de nouvelles bases? Doit‑elle être revue en profondeur? Si quelqu’un qui travaille à la commission dit qu’il est traité injustement, comment une personne noire qui a une plainte à déposer peut-elle s’adresser avec confiance à la commission?
Mme Govender : Cette question comporte deux volets distincts. Premièrement, avons-nous besoin d’une refonte en profondeur pour créer un changement au sein de la commission? Deuxièmement, avons-nous besoin d’un changement complet pour que les Canadiens puissent voir qu’il y a une nouvelle commission à laquelle ils peuvent faire confiance? Cela rejoint le commentaire de M. Clément au sujet de la crédibilité de la commission.
Je ne pense pas pouvoir répondre à la première question de façon satisfaisante; aucun d’entre nous ne le peut, à moins d’avoir une boule de cristal. Une nouvelle structure pourrait être mise en place pour toutes sortes d’autres bonnes raisons également. Il y a d’autres bonnes raisons de travailler à l’élaboration d’un modèle indépendant avec un accent plus systémique, qui permet d’être audacieux dans nos actions et qui donne le mandat de s’attaquer à un problème systémique — pas seulement de faire du rafistolage, mais d’aller au cœur des problèmes. Une commission de ce genre, d’après notre expérience, est assujettie à des normes très élevées de la part de notre personnel, des collectivités et du public, et ce, pour de très bonnes raisons. Les gens nous considèrent comme ceux qui doivent montrer la voie, et ils nous obligent à respecter cette norme élevée. Nous recevons beaucoup de commentaires, bons et mauvais, pour nous aider à nous améliorer.
C’est ce que je sais de cette question. La crédibilité est essentielle. Il est important de montrer aux Canadiens que des mesures concrètes sont prises et que les Noirs et les autres personnes racisées au Canada puissent voir cela comme une véritable avenue de changement.
Ce genre de changement serait également utile.
La sénatrice Jaffer : Mon collègue, le sénateur Arnot, et M. Clément, ont parlé de retards, mais il y en a dans tout, y compris dans le système judiciaire. Il n’y en a pas seulement à la Commission des droits de la personne ni dans les modèles d’accès direct. Il y a des retards partout à cause du manque de ressources. Je ne veux pas parler de la commission en particulier, mais plutôt répondre à ce que mon collègue disait. Loin de moi l’idée de répondre à cette question, mais je crois que les retards sont propres à tous nos processus.
Vous avez commencé par la décolonisation. Depuis quelques semaines, on entend dire que cela existe dans la société. Je crois que M. Clément en a également parlé. Cela existe dans la société, mais ne doit pas servir d’excuse. Je pensais que l’on s’adressait à la Commission des droits de la personne pour obtenir réparation. Je suis confuse. Je ne peux pas accepter que la commission se réfugie derrière cette excuse. Pouvez-vous répondre à cela?
Mme Govender : L’indépendance que nous avons en tant que commission nous a aidés à nommer clairement que l’une des cinq priorités stratégiques pendant mon mandat est le travail de décolonisation, et cela nous a permis d’être audacieux dans ce que nous considérons comme faisant partie de cette mission. Je ne prétends pas que nous ayons atteint une norme parfaite, car je pense que ce serait une erreur. Notre pays est fondé sur des lois coloniales et il est dirigé par une personne non autochtone. Je suis non autochtone. Je pense que nous devons être humbles quant à la place que nous devons occuper dans la décolonisation pour cette raison. Je pense aussi que l’indépendance nous permet de nous détacher entièrement de la façon dont le gouvernement peut définir la « décolonisation » et de ne pas être obligés de suivre nécessairement cette voie avec le gouvernement, d’être plus audacieux et de choisir la voie que nous empruntons.
De plus, je peux parler au nom d’une nouvelle commission. Nous avons dû imaginer ce que nous pouvions représenter dans le monde. Pour mettre sur pied une nouvelle organisation, il faut créer cette vision. Nous avons pu réfléchir à la façon dont nous faisons les choses — pas seulement à ce que nous faisons, mais à comment nous faisons les choses un peu différemment. Comment mettre les relations au centre de tout cela? La réconciliation, les relations, le respect, la réciprocité — en gardant ces objectifs de décolonisation à l’esprit, comment bâtir notre organisation à partir de la base, et non pas comment réformer l’organisation, ce qui est une question différente à poser.
La sénatrice Jaffer : Merci.
[Français]
La sénatrice Gerba : Bienvenue aux témoins.
Les deux témoins nous disent que c’est difficile, qu’il faut faire attention avec le système direct.
Je comprends que beaucoup de témoins qui ont comparu devant ce comité sont partagés sur cette question de passage direct ou non. Je me demande quand même si le système qui est mis en place — par exemple, madame Govender, en Colombie-Britannique, pouvez-vous nous expliquer comment vous traitez les plaintes pour éviter que le fardeau de la preuve revienne aux plaignants? L’un des problèmes qui semble être à l’origine des retards, c’est que non seulement les plaintes sont rejetées, mais quand elles doivent être traitées, elles ne sont pas traitées de façon équitable.
Selon votre expérience en Colombie-Britannique, le traitement se fait-il toujours en tenant compte du fait que c’est la personne plaignante, donc dans ce cas-ci, les Noirs, qui doivent faire la preuve? Parce que la discrimination est très pernicieuse. C’est difficile de prouver que la personne qui pose l’acte de discrimination est vraiment raciste. S’il faut le prouver, cela peut justifier les délais.
Comment procédez-vous en Colombie-Britannique? Serait-ce une voie à suivre pour alléger ou enlever le poids de la preuve?
[Traduction]
Mme Govender : Je vous remercie de la question. Je voulais aussi commencer par une précision, à savoir que je vous exhorte à faire preuve de prudence à l’égard du nouveau modèle et de ne pas le considérer comme une solution complète au problème. J’appuie le modèle que nous avons adopté ici en Colombie-Britannique, c’est-à-dire que notre action est complètement distincte du processus de traitement des plaintes. Nous ne faisons pas le tri des plaintes. Nous ne nous occupons pas de savoir si les plaintes franchissent les divers obstacles à leur résolution. Notre action est totalement distincte de cela, et notre mandat porte entièrement sur l’aspect systémique, le droit, les réformes des politiques, l’éducation et ainsi de suite.
Je pense que ce modèle fonctionne très bien, mais à la place du comité, je ferais attention de ne pas le considérer comme une réponse complète aux problèmes de racisme systémique. Je ne pense pas que ces deux choses aillent nécessairement de pair, et le fait de changer la structure ne réglera pas nécessairement les problèmes de racisme qui ont été cernés.
En ce qui concerne la question du fardeau de la preuve, la norme juridique de la preuve est enchâssée dans la loi, de sorte qu’il n’appartient pas aux tribunaux ou aux commissions de modifier ce fardeau de la preuve pour qu’un plaignant puisse démontrer qu’il a été victime de discrimination prima facie. À première vue, a-t-il été désavantagé en raison de l’un des motifs de discrimination décrits dans les divers codes des droits de la personne, qui sont en grande partie semblables, avec certaines différences importantes? Ensuite, à l’audience, le fardeau de la preuve reviendra à l’employeur dans ce contexte, ou au porteur de la responsabilité de dire si cette discrimination était justifiée.
Il faudrait donc que la Cour suprême du Canada ou que l’assemblée législative intervienne pour modifier la structure du critère.
Je dirais toutefois que les obstacles au traitement des plaintes sont quelque peu atténués par ce modèle très distinct, à savoir une commission qui est séparée du processus de plainte, et c’est parce que nous n’avons pas à composer avec la structure de la loi telle qu’elle est écrite dans le code des droits de la personne. Notre mandat est beaucoup plus vaste que cela. Nous pouvons nous attaquer aux problèmes de discrimination, qui sont nos préoccupations de tous les jours, indépendamment du critère juridique officiel que je viens de décrire.
Ce critère juridique décrit ce que tous les tribunaux doivent faire dans le cadre d’un contrôle judiciaire de ces décisions. Nous ne sommes pas liés par les mêmes contraintes, parce que nous ne traitons pas les plaintes individuelles. Nous pouvons déterminer, par exemple, que le racisme est un problème dans nos collectivités, et nous avons mené une campagne publique à l’échelle de la province sur les abribus, les sites Internet et les bibliothèques partout dans la province pour parler de racisme, pour amener les gens à commencer à se poser des questions. Notre campagne posait la question : « Suis-je raciste? » De gros panneaux d’affichage posant la question : « Suis-je raciste? » Nous avons ensuite posé des questions supplémentaires pour aider les gens à commencer à réfléchir. Ce n’est qu’un exemple du travail de lutte contre le racisme que nous avons accompli. Nous avons également mené une vaste étude sur le racisme systémique dans les services de police, par exemple.
Nous avons été en mesure de le faire tout à fait indépendamment du fardeau qui incombe à une personne qui doit prouver quelque chose. C’est pourquoi je dis que le modèle que nous avons ici est si utile pour traiter des droits de la personne dans la province parce que nous avons le pouvoir de faire ce travail.
La présidente : Je vais poser une brève question à M. Clément. Vous parlez de sensibilisation par l’entremise de la culture de l’établissement; vous vous éloignez du volet éducatif. On espère que l’initiative proviendra des gens qui se trouvent dans une certaine situation, parce qu’ils sont en mesure de comprendre pourquoi il est mal d’être raciste et pourquoi les gens s’adressent à eux pour porter plainte. Quel genre de programme de sensibilisation entrevoyez-vous pour eux, parce qu’on pourrait supposer qu’ils l’ont déjà suivi? Je veux dire, n’importe qui, même un élève de niveau primaire, saurait que le racisme est condamnable. Nous parlons ici de gens qui sont censés protéger les communautés marginalisées.
M. Clément : Merci, madame. Le problème, c’est que nous parlons souvent de préjugés inconscients, des attitudes ou des croyances qui suivent les gens toute leur vie.
Vous dites que les jeunes enfants sont au courant de ces problèmes; comment des gens ayant suivi une formation professionnelle peuvent-ils ne pas l’être? Rappelons-nous que les lois sur les droits de la personne remontent à peine à deux générations, et qu’il n’y a pas si longtemps que nous nous sommes efforcés de sensibiliser les gens et de parler de ces problèmes en particulier. Cela fait aussi partie du défi.
Au risque de me répéter, j’en reviens à la raison pour laquelle je pense que ce problème se développe et évolue au sein de ces institutions parce qu’elles se concentrent tellement sur le processus de traitement des plaintes qu’elles perdent parfois de vue les problèmes de nature plus générale. Je me souviens, par exemple, de m’être entretenu avec le personnel de la CCDP il y a des années lorsque j’ai consulté des représentants de l’institution. J’ai été choqué par le niveau de démoralisation qui existait chez eux parce qu’ils étaient tellement épuisés par le processus de traitement des plaintes individuelles. Ils aimeraient se concentrer sur des problèmes plus systémiques.
Vous avez donc entièrement raison. Il est surprenant que, dans toutes les institutions où le racisme systémique contre les Noirs devrait être combattu, la situation observée reflète en partie, à mon avis, la façon dont l’institution fonctionne. Je pense aussi que cela montre que nous avons tout simplement beaucoup de chemin à faire pour continuer de nous attaquer à ces problèmes.
La présidente : Merci, monsieur.
La sénatrice Bernard : J’ai quelques questions à poser. J’aimerais d’abord poser une question à M. Clément. Vous venez de répondre à notre présidente que vous avez consulté la Commission canadienne des droits de la personne il y a quelques années. Les avez-vous consultés plus récemment? Les avez-vous consultés à ce sujet?
M. Clément : Merci, madame. Non, la dernière fois que j’ai consulté des représentants de la commission, c’est lorsque l’ancienne commissaire a été nommée et qu’elle a réuni un groupe d’experts pour mener une consultation sur les conseils à donner à la commission pendant son mandat. Mais ce n’est pas arrivé récemment.
En fait, je peux dire qu’au cours de cette discussion, où de nombreux experts ont parlé à la commissaire de la possibilité d’aller de l’avant, je ne me souviens pas du tout que cette question ait été soulevée. C’était il y a cinq ou six ans.
La sénatrice Bernard : Vous avez anticipé ma question, parce que j’allais vous demander si la question du racisme envers les Noirs avait été soulevée au cours de cette consultation, et si certains des experts autour de cette table étaient des gens qui avaient une expertise dans la lutte contre le racisme envers les Noirs.
M. Clément : Merci, madame. En vérité, je ne me souviens pas de toutes les personnes qui ont participé à cette discussion. S’il y en avait une qui avait une expertise, elle était la seule. Mais je ne m’en souviens pas. Ce que je retiens de mes notes, après les avoir examinées en prévision de la réunion d’aujourd’hui, c’est que j’ai été surpris que la question ne soit pas soulevée. Elle n’a pas été soulevée par les experts du groupe ni par les personnes qui animaient la discussion.
La sénatrice Bernard : Intéressant. Très intéressant.
J’aimerais parler un peu des retards et des arriérés, et certains des témoins qui ont essayé de suivre les processus relatifs aux droits de la personne ont dit que les plaignants font face à un double retard s’ils doivent passer par deux systèmes. Si vous passez par la commission et ensuite par un tribunal, vous doublez en fait les processus. S’agit-il en quelque sorte d’un dédoublement des services?
De plus, si un plaignant doit suivre un double processus, dans quelle mesure cela représente-t-il un fardeau pour la personne? Je parle surtout ici de ceux qui ne sont pas en mesure de se payer un avocat-conseil et qui doivent se débrouiller seuls dans ce dédale.
M. Clément : Merci, madame. L’une des choses qui est si troublante au sujet des statistiques mentionnées par le sénateur Arnot, c’est que le Canada a recours aux tribunaux administratifs, à la différence des États-Unis, par exemple, où les tribunaux sont plus courants. L’objectif consistait à rendre le processus plus accessible et à réduire les retards. Il est paradoxal de constater qu’un système conçu pour être plus accessible et plus rapide occasionne des retards que nous associons au système de justice pénale, ce qui ne devrait pas être le cas avec des tribunaux administratifs.
Rapidement, les plaignants font face à un double fardeau. Lorsqu’on parle du système des tribunaux, je pense qu’il vaut la peine de se rappeler que la grande majorité des cas sont réglés par la médiation et le règlement, et non par des audiences. Dans la plupart des administrations, moins de 10 % des cas font l’objet d’une audience. Nous avons interrogé de nombreuses personnes qui se sentent intimidées et forcées à l’étape de la médiation.
Dans certaines provinces comme la Colombie-Britannique, on passe par un double processus. On fait de la médiation avec une commission et peut-être aussi avec un tribunal. C’est donc un dédoublement de processus. À cette étape informelle, nous observons des tendances inquiétantes qui peuvent dissuader les gens de poursuivre une plainte ou d’accepter un règlement — un règlement dont ils ne veulent pas.
La présidente : Sénateur Arnot, je crois que vous avez déjà posé votre question. Voulez-vous la répéter rapidement?
Le sénateur Arnot : Pensez-vous que l’étude que nous menons a mis au jour un problème important et que nous devons procéder à un examen rigoureux des mécanismes de protection des droits de la personne au Canada en fonction d’un sous‑financement chronique, de droits protégés non universels au Canada et de retards incroyablement exceptionnels et scandaleux, en fait? Devrions-nous envisager cela comme une étude distincte fondée sur ce que nous avons entendu ici et ne pas alléger notre travail? C’est ma question. Il faut revoir tout le système.
La présidente : La question s’adresse aux deux témoins, mais si vous pouviez répondre brièvement, nous vous en serions reconnaissants.
Mme Govender : Je peux commencer. Tout d’abord, je tiens à préciser quelque chose. Je crois que M. Clément a dit que dans certaines provinces comme la Colombie-Britannique, les gens passent par un double processus. Je tenais à préciser que la Colombie-Britannique n’a pas de système imposant un double processus. Nous appliquons un modèle d’accès direct ici en Colombie-Britannique.
Pour ce qui est de la question du sénateur, je pense que vous vous inquiétez surtout des problèmes de compétence. Il y a certes des processus très différents d’un bout à l’autre du pays. Cependant, étant donné que les provinces ont la compétence de légiférer sur les violations des droits de la personne commises par des citoyens qui relèvent de leur compétence, elles ont la capacité de créer le système des droits de la personne qu’elles veulent. Je pense que vous vous heurteriez à des obstacles si vous faisiez une étude à l’initiative du gouvernement fédéral, alors qu’il s’agit d’une compétence provinciale. Ce sont des administrations différentes qui en assument la responsabilité.
Voilà ce que j’avais à dire à ce sujet. Toutefois, si cela devait se produire, je réunirais les commissions et les tribunaux pour en discuter, et cela pourrait être très utile.
M. Clément : Merci. Je ne voulais pas dire la Colombie-Britannique. Je ne voulais pas parler de la Colombie-Britannique, mais des autres provinces. Il y a un besoin criant de recherche dans ce domaine, certainement du point de vue universitaire. Il n’y a qu’environ quatre ou six personnes au pays qui ont passé la plus grande partie de leur carrière à étudier les lois sur les droits de la personne. On compte étonnamment peu d’experts en la matière. Il y en a pas mal dans le domaine juridique, mais il n’y en a pas beaucoup en dehors de ce secteur.
On m’a demandé plus tôt de fournir des preuves précises. Lors d’audiences précédentes, j’ai entendu des sénateurs demander des témoignages, mais le problème, c’est qu’il n’y en a tout simplement pas. Il y a un manque criant de recherche dans ce domaine. Il y a certes plus de travail à faire.
La présidente : Merci.
Le sénateur Arnot : Je n’ai pas eu de réponse à ma question.
La présidente : Vous pourriez peut-être présenter une réponse écrite à la question du sénateur Arnot? Il a l’impression qu’il n’a pas obtenu de réponse, mais nous sommes malheureusement pressés par le temps. Voyons s’il nous reste quelques minutes vers la fin. La sénatrice Bernard et le sénateur Arnot souhaitent peut-être participer au troisième tour.
Le sénateur Arnot : Exact.
La sénatrice Jaffer : Je tiens à vous remercier tous les deux d’être venus. Monsieur Clément, de la façon dont vous avez parlé de la Commission canadienne des droits de la personne, de son excellence dans le monde, et ainsi de suite, je dois admettre que c’est ce que je ressentais moi aussi jusqu’à cette étude. J’ai toutefois l’impression que vous avez contourné le problème dont vous êtes venus nous parler, soit le racisme à la Commission canadienne des droits de la personne. Pardonnez-moi de le dire aussi franchement — je ne veux pas être impolie. Vous avez parlé d’autres problèmes, mais vous n’avez pas parlé de ce qui se passe à la Commission canadienne des droits de la personne. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi, s’il vous plaît?
M. Clément : Merci, madame. En mettant l’accent sur la sensibilisation, j’avais espéré formuler des recommandations sur la façon d’avancer pour régler les problèmes précis du racisme systémique contre les Noirs qui sévit actuellement au sein de la commission. C’est en partie parce que j’ai entendu des recommandations selon lesquelles une transformation complète de la commission est la voie à suivre.
Je pense que nous perdrions les bienfaits de l’évolution du système — c’est l’une des grandes forces du système canadien — si nous devions remettre le compteur à zéro, pour ainsi dire. En ce qui concerne le racisme systémique contre les Noirs, je recommande que nous essayions de nous concentrer sur un changement de culture au sein de la commission, plutôt que sur sa structure.
Je ne recommanderais pas un remaniement complet de la commission, mais je suis d’accord avec vous pour dire qu’une réinitialisation est nécessaire. Une transformation s’impose à ce stade.
La sénatrice Jaffer : Merci de cette précision. Je vous ai bien entendu et j’étais frustrée parce que vous ne parliez pas de ce dont nous étions saisis. Merci à vous deux d’être ici.
[Français]
La sénatrice Gerba : En fait, je voulais revenir aux recommandations du professeur Clément, selon lesquelles il vaut mieux prévenir que guérir.
En gros, c’est ce que j’ai compris dans votre recommandation sur l’éducation, parce que vous dites qu’on traite la discrimination après les faits. Comment faire pour que le système fédéral retrouve son rôle de prévention et d’éducation? Cela doit-il passer par une réforme de la loi?
[Traduction]
M. Clément : Merci, madame. Il pourrait s’agir d’une refonte de la loi, mais je vous dis cela en abordant la question non pas du point de vue d’un juriste, mais plutôt en tant que sociologue qui étudie le fonctionnement de la loi dans la pratique, où le véritable changement doit être dans la façon dont les ressources sont allouées et dont les priorités sont déterminées par la commission. Je vais vous donner un exemple.
Il y a 30 ou 40 ans, si vous aviez examiné les budgets des commissions des droits de la personne, vous y auriez vu une ligne consacrée aux programmes de sensibilisation. C’est le montant que nous consacrons à la sensibilisation. C’est le point sur lequel l’accent doit être mis. Aujourd’hui, aucune des commissions n’inscrit cette dépense dans son budget. Il n’y a pas une seule commission au Canada, pas même la commission fédérale, qui consacre un poste budgétaire à la sensibilisation. Pour la plupart d’entre elles, le financement est presque entièrement consacré au personnel.
Ma collègue qui parlait du système de la Colombie-Britannique a donné un excellent exemple. L’une des choses que la Colombie-Britannique fait extrêmement bien, c’est de prévoir un budget et une organisation vouée à la sensibilisation. C’est de cette façon qu’on développe la stratégie de sensibilisation, c’est‑à-dire en y consacrant des ressources exclusives. Merci.
La sénatrice Gerba : Merci.
La présidente : Sénatrice Bernard, vous pouvez poser votre question. Le sénateur Arnot a déjà posé la sienne. Nous avons trois minutes, je crois?
La sénatrice Bernard : Monsieur Clément, en trois minutes, puis-je revenir sur un commentaire que vous avez fait en réponse à une autre question d’une de mes collègues? Vous avez parlé de certaines de vos recherches et des récits de vos participants au sujet de leurs expériences devant les commissions des droits de la personne. Avez-vous mené une étude précise auprès de participants qui ont comparu devant la Commission canadienne des droits de la personne ou le tribunal? Dans l’affirmative, pourriez-vous nous faire part des points saillants de ce que certains de ces participants vous ont dit?
M. Clément : Merci, sénatrice. Il y a très peu de recherches au Canada, mais une partie du meilleur travail se fait actuellement en Alberta, au John Humphrey Centre for Peace and Human Rights qui, avec nous et d’autres, a mené des entrevues auprès du personnel des commissions des droits de la personne, d’experts et de gens qui ont passé à travers le processus.
On nous dit que le processus de médiation comporte de graves lacunes. Les gens se sentent intimidés et sous pression. Nous entendons des rumeurs selon lesquelles des membres du personnel disent à des gens qui déposent des plaintes des choses qui ne sont pas conformes au droit ou à la loi. Cela semble écarter la fonction d’enquête. Par exemple, plusieurs personnes qui ont été interrogées nous ont dit que pendant le processus informel, les enquêteurs sur les droits de la personne leur disaient : « Votre cause est perdue. Vous n’avez pas la possibilité d’aller de l’avant. Vous devriez tout simplement y renoncer maintenant. » C’est tout à fait incompatible avec leur cause.
On entend des choses de ce genre. On entend parler de gens qui, après quatre ou cinq ans, ne croient tout simplement plus au système et ne veulent plus l’utiliser. C’est en partie ce que disent les gens qui travaillent dans les commissions; c’est en partie à cause du système lui-même et du manque de sensibilisation à son égard.
Je terminerai en disant que, de façon générale, les gens nous disent que le système des droits de la personne devrait être une source d’inspiration. Il devrait encourager les Canadiens à sentir que leurs préoccupations ont été prises en charge. Ce n’est pas ce que nous disent les gens qui utilisent le système. Merci.
La sénatrice Bernard : S’agit-il d’études qualitatives ou quantitatives?
M. Clément : Ce sont des études qualitatives. Les études quantitatives que nous avons faites portaient sur les taux de résolution, les délais d’achèvement, les budgets et ce genre de choses. Il y a beaucoup de choses à dire à partir de ces études quantitatives, mais il s’agit d’entrevues qualitatives avec des groupes et des personnes individuellement.
La sénatrice Bernard : Dans ces études qualitatives, est-ce que des personnes d’ascendance africaine ont parlé de racisme anti-Noirs dans leurs expériences avec les commissions?
M. Clément : Oui, sénatrice. L’une des choses curieuses au sujet de leurs travaux récents — et je n’en déduirais pas grand‑chose, c’est simplement la façon dont les choses se sont déroulées statistiquement —, c’est que la grande majorité des personnes que nous avons interrogées et qui ont accepté de nous parler avaient déposé des plaintes de racisme. Même si la majorité des plaintes concernaient des déficiences mentales ou physiques, il y a un nombre disproportionnellement élevé de personnes qui veulent parler de plaintes fondées sur la race. Je ne veux pas en déduire grand-chose, mais cela peut en dire long sur la façon dont les gens parlent avec passion de la façon dont les cas sont traités.
La sénatrice Bernard : Parler avec passion ou ne pas...
La présidente : Merci, sénatrice Bernard. Le temps est écoulé.
La sénatrice Bernard : Je me demande si M. Clément pourrait nous envoyer de l’information à ce sujet.
La présidente : Pourriez-vous nous faire parvenir de l’information à ce sujet? Je crois que le sénateur Arnot attend toujours une réponse à sa question, si vous pouviez nous faire parvenir un mémoire écrit.
Je profite de l’occasion pour remercier les deux témoins de leurs exposés. Nous vous sommes très reconnaissants de votre aide dans le cadre de notre étude.
Honorables sénateurs, je vais maintenant présenter notre deuxième groupe de témoins. Les témoins ont été invités à faire une déclaration préliminaire de sept minutes. Nous entendrons les témoins, puis les sénateurs poseront des questions.
Nous accueillons en personne, de l’Alliance de la fonction publique du Canada, Chris Aylward, président national, Tasia Brown, adjointe politique du président national, et Seema Lamba, agente des programmes, droits de la personne. De l’Association des juristes de justice, nous accueillons David McNairn, président.
J’invite maintenant M. Aylward à faire son exposé. Il sera suivi de Me McNairn.
Chris Aylward, président national, Alliance de la fonction publique du Canada : Je vous remercie de m’avoir invité à comparaître aujourd’hui. Je m’appelle Chris Aylward et je suis le président national de l’Alliance de la fonction publique du Canada, l’AFPC. L’AFPC est le plus important syndicat du secteur public au pays et représente plus de 230 000 travailleurs, y compris ceux et celles qui travaillent à la Commission canadienne des droits de la personne.
Ce n’est un secret pour personne que les Noirs et les autres groupes en quête d’équité du secteur public fédéral font face au racisme et à la discrimination dans leurs milieux de travail et leurs collectivités. Nos membres nous ont dit directement que la discrimination systémique existe dans la fonction publique du Canada depuis des décennies et qu’ils résistent.
Nos membres noirs ont intenté un recours collectif contre la fonction publique fédérale, ont déposé plusieurs griefs et ont courageusement dénoncé publiquement leurs histoires de microagressions, d’exclusion des employés et de discrimination dans leurs milieux de travail. Cela a fait en sorte que les travailleurs noirs du secteur public ont subi des pertes financières, ont subi des traumatismes raciaux et ont été absents de façon disproportionnée des postes de direction.
Malgré cela, il était alarmant d’entendre que nos membres qui travaillent à la Commission canadienne des droits de la personne faisaient également face à un racisme anti-Noirs, d’autant plus que le mandat de la commission est de promouvoir et de protéger les droits de la personne par un processus de plainte juste et efficace. C’est très révélateur.
La discrimination systémique est tellement profonde dans la fonction publique du Canada qu’on la retrouve dans le service même du gouvernement qui est chargé de la combattre.
En 2020, nous avons déposé un grief de principe au nom de ces membres, avec deux autres agents négociateurs : l’Association des juristes de justice, qui est également ici aujourd’hui, et l’Association canadienne des employés professionnels, ou ACEP. Je crois savoir qu’elle présente également un mémoire écrit à la commission.
En 2021, les trois syndicats ont envoyé une lettre à la vérificatrice générale du Canada, dans laquelle nous avons souligné nos préoccupations voulant que la commission ne traitait pas adéquatement les plaintes fondées sur la race, procédait à la segmentation en unités des travailleurs en quête d’équité et ne consultait pas le personnel racisé sur la façon d’aborder concrètement les problèmes systémiques au sein de leur organisation.
Bien que le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada ait déclaré que la commission avait enfreint la clause de non‑discrimination de nos conventions collectives, il n’a pas prévu de mesures proactives pour résoudre véritablement le problème.
Il ne suffit pas de reconnaître le racisme. Nous devons travailler activement pour éviter que cela se reproduise. Il doit y avoir un processus transparent et de reddition de comptes dans la façon dont la commission traite les allégations internes de racisme ou les plaintes fondées sur la race. Sans cela, nos membres — et le public — ont perdu confiance dans le leadership de la commission et toute l’institution en est affaiblie.
Nous sommes ici aujourd’hui parce que nous sommes déçus et frustrés par la façon dont la commission traite nos membres. Nous n’ignorons pas le fait que des syndicats ont historiquement laissé tomber les travailleurs noirs, autochtones et racisés.
L’AFPC reconnaît que, comme organisation, nous ne sommes pas à l’abri de racisme systémique et de pratiques coloniales. Nous n’avons pas répondu aux attentes de nos membres et nous n’avons pas fait assez pour changer le statu quo.
Un changement significatif, c’est de l’action, pas seulement des paroles en l’air. À l’Alliance de la fonction publique du Canada, nous avons récemment élaboré un plan d’action contre le racisme qui vise à remédier aux séquelles permanentes du colonialisme, de l’esclavage et du racisme systémique. Notre objectif est de faire en sorte que tous les membres se sentent représentés à tous les niveaux de notre syndicat. Nous savons qu’il doit y avoir moins de dirigeants comme moi — un homme blanc hétérosexuel — et plus de dirigeants qui représentent la diversité de nos membres.
Notre plan d’action a été élaboré à partir des commentaires de nos membres autochtones, noirs, asiatiques et racisés. L’AFPC a passé un an à mener des consultations au moyen de sondages, de tables rondes et de groupes de discussion partout au pays sur les répercussions du racisme, tant au sein de notre syndicat qu’en milieu de travail.
Nous avons également mené des recherches pour examiner l’impact de la traite transatlantique des esclaves sur les femmes noires dans la fonction publique fédérale dans la région de l’Atlantique. Nos membres noirs nous ont parlé des traumatismes, d’épuisement dans la lutte et des effets démoralisants du racisme en milieu de travail. Nous savons que cela a une incidence sur leur santé, leur famille, leur bien-être et leur travail.
Nous avons également entendu les préoccupations de nos membres au sujet de l’incapacité de l’AFPC de représenter adéquatement ses membres racisés. Afin d’outiller les représentants syndicaux sur la meilleure façon de défendre les intérêts des membres victimes de racisme et de discrimination, nous sommes en train d’organiser un atelier complet et tenant compte des traumatismes subis sur la représentation et la défense des droits.
L’AFPC appuie également le recours collectif des Noirs. Notre syndicat représente la plus grande partie des plaignants. Plus de 1 100 des quelque 1 500 plaignants prévus sont membres de l’AFPC. Plus de 70 % s’identifient comme des femmes noires. Nous remercions ces membres de s’exprimer. Nous continuerons de fournir un soutien financier, du personnel et des ressources pour veiller à ce que nos membres soient indemnisés par le biais de cette action en justice.
Je vous fais part du travail que nous faisons non pas pour nous féliciter, mais pour vous donner des exemples du travail que toutes les organisations au Canada devraient faire pour redresser des torts historiques. En notre qualité de syndicat, nous comprenons que nous ne pouvons pas demander au gouvernement, à la commission ou à tout autre employeur de faire le travail que nous ne faisons pas ou que nous ne sommes pas prêts à faire nous-mêmes.
En écoutant les expériences vécues par nos membres noirs de la fonction publique, nous avons entendu les mêmes enjeux qui ont été soulevés à maintes reprises au cours de nos consultations, soit, premièrement, un manque chronique de possibilités d’avancement professionnel, y compris des possibilités de formation et de perfectionnement dans leur milieu de travail; deuxièmement, la méfiance à l’égard de la capacité de l’employeur de reconnaître et de contrer le racisme systémique en milieu de travail; troisièmement, la crainte de représailles lorsqu’on soulève des questions de racisme contre les Noirs, comme le fait d’être étiquetée femme noire en colère et d’être soumise à des comportements dégradants et humiliants; quatrièmement, la discrimination et le traumatisme racial ont des effets dévastateurs sur la santé physique et mentale des travailleurs noirs.
D’après ce que nous ont dit nos membres, ce sont les mesures concrètes qui, selon nous, doivent être prises pour régler les problèmes systémiques de discrimination et de racisme anti‑Noirs à la commission.
Les dirigeants et la haute direction de la commission doivent rendre compte de leurs actions ou de leur inaction. Sans un nouveau leadership, la crédibilité de la commission et la confiance en cette dernière continueront de diminuer. La commission doit faire l’objet d’une vérification pour s’assurer qu’elle est représentative des employés noirs à tous les niveaux, depuis la réception des plaintes jusqu’aux enquêteurs, en passant par la haute direction et les commissaires. Ils doivent avoir un accès équitable aux possibilités de carrière et de perfectionnement et aux processus de dotation.
Il faut mettre en place des mesures de soutien à la santé mentale des Noirs qui soient spécifiques et adaptées à la culture pour les fonctionnaires noirs qui ont été victimes de racisme anti‑Noirs.
Le processus de traitement des plaintes relatives aux droits de la personne doit être remanié pour devenir accessible, opportun et efficace. Les plaintes doivent être examinées sous l’angle de la théorie critique de la race par un personnel spécialisé dans le racisme anti-Noirs.
La Loi canadienne sur les droits de la personne et d’autres lois liées à l’emploi doivent être modifiées pour éliminer les obstacles au dépôt de plaintes fondées sur la race et sur l’équité en matière d’emploi.
La commission doit faire l’objet d’une enquête indépendante sur le racisme anti-Noirs assortie de recommandations exécutoires. La commission ne peut pas enquêter sur elle-même.
Enfin, il doit y avoir une surveillance publique et externe de la commission, comme un commissaire indépendant contre le racisme anti-Noirs.
En conclusion, nous savons que le racisme systémique et les structures coloniales ne peuvent pas disparaître du jour au lendemain. Bien que cela soit vrai, on ne doit pas et on ne peut pas demander aux membres noirs d’attendre plus longtemps. Ils méritent que des mesures soient prises maintenant.
Je vous remercie de votre attention et de vos commentaires. Je répondrai à vos questions. Merci.
La présidente : Merci. Je vais céder la parole à David McNairn.
Me David McNairn, président, Association des juristes de justice : Je vous remercie de me donner l’occasion de témoigner aujourd’hui. Je tiens à souligner que nous nous trouvons sur le territoire non cédé et volé du peuple algonquin anishinabe.
Je m’appelle David McNairn. Je suis président de l’Association des juristes de justice, aussi appelée l’AJJ. L’AJJ a reçu son accréditation syndicale en 2006 et représente 3 100 avocats du secteur public, y compris ceux qui travaillent à la commission.
En octobre 2020, nous étions l’un des trois agents négociateurs qui ont déposé des griefs de principe sur le racisme systémique anti-Noirs à la commission, pour lesquels le Conseil du Trésor a conclu à une violation de la clause de non-discrimination de notre convention collective.
Au cours de séances précédentes, nous avons entendu des témoignages convaincants au sujet de l’échec des syndicats et du cadre fédéral actuel des relations de travail pour résoudre les problèmes systémiques de racisme anti-Noirs dans la fonction publique.
Avant d’aborder ces questions systémiques et nos recommandations d’amélioration, je tiens d’abord à reconnaître nos échecs passés et à présenter des excuses au nom de l’AJJ à nos membres noirs et racisés. Nous devons faire mieux.
Dans le but d’établir un lien de confiance avec nos membres noirs et racisés au cours des trois dernières années, l’AJJ a consacré d’importantes ressources à la lutte contre le racisme et la discrimination en milieu de travail et a pris des mesures concrètes pour regagner la confiance de nos membres. Les détails se trouvent dans notre mémoire.
Avec l’avancement de notre grief de principe et mon témoignage d’aujourd’hui, nous espérons envoyer un message clair à nos membres que l’AJJ vous voit, vous est reconnaissante et vous appuie.
Nous formulons trois recommandations clés, dont vous trouverez plus de détails dans notre mémoire.
J’ai également l’intention de revenir sur certains des témoignages précédents de représentants de la commission, lorsque je le peux, sur des questions qui, à mon avis, intéressent particulièrement le comité.
Notre première recommandation, c’est que la haute direction de la commission doit être remaniée rapidement et complètement. Nos membres noirs et la population canadienne ont perdu confiance dans la commission. Leur confiance ne peut être regagnée alors que les hauts dirigeants qui ont contribué au racisme anti-Noirs, qui l’ont rendu possible et qui ont cherché à le cacher à la commission demeurent à la barre. La réaction des dirigeants de la commission a nui activement à nos membres noirs.
Plus précisément, tout en prétendant publiquement accepter la décision du Conseil du Trésor rendue sur les griefs, la haute direction de la commission a activement minimisé et diminué l’importance de cette décision pour ses employés. Par exemple, la présidente intérimaire a qualifié les faits présentés dans le grief d’« allégations non prouvées ». La directrice générale et avocate générale principale a insisté sur le fait « qu’aucune conclusion de fait n’avait été tirée ».
Ce double message a été profondément préjudiciable et traumatisant pour nos membres noirs. Les dirigeants actuels sont incapables de mener les réformes fondamentales nécessaires.
J’ai écouté attentivement les témoins de la commission, et voici pourquoi leurs témoignages et les faits, tel que nous les comprenons, appuient nos demandes de changement des dirigeants.
D’abord et avant tout, la direction est responsable des processus et des systèmes qui ont permis à nos membres noirs de revivre leur expérience au cours d’un processus d’enquête mal avisé, d’un examen du milieu de travail qui n’a pas inclus à dessein de rapport écrit et du processus d’élaboration du Plan d’action contre le racisme de la CCDP.
Commençons par le processus d’enquête. Les fonctionnaires de la commission ont été interrogés au sujet du processus d’enquête mené par Mme Fernandez et de ses résultats. Ce que la commission a omis de mentionner dans sa réponse, c’est le processus d’enquête lui-même et la façon dont les trois agents négociateurs ont soulevé de graves préoccupations auprès de la haute direction, y compris M. Ian Fine, au sujet de l’intégrité du processus, de la nécessité d’avoir une expertise en matière de lutte contre le racisme anti-Noirs, du manque de confiance et du risque d’une nouvelle traumatisation des témoins, notamment les membres touchés. À cause de l’incapacité de la commission de répondre adéquatement à ces préoccupations, de nombreuses personnes ont délibérément choisi de ne pas participer à l’enquête.
Cette approche a finalement mené à des appels de la part des syndicats en 2020 pour une évaluation officielle et indépendante du milieu de travail. La commission a rejeté ces appels. Au lieu de cela, la commission a procédé unilatéralement à un examen du milieu de travail. Bien que le choix de Mme Arlene Huggins pour mener l’examen ait été fortement appuyé, la portée du travail qui excluait intentionnellement tout rapport écrit ne l’a pas été. Seuls des rapports oraux ont été offerts à la haute direction sans trace écrite comme mesure évidente contre les demandes d’accès à l’information. Cette approche a freiné davantage la voix de nos membres, a nié leur vérité et a été un autre signe d’une approche systémique appuyée par la direction qui manquait de transparence et de reddition de comptes.
Cela nous amène aux problèmes liés à l’élaboration du Plan d’action contre le racisme et au manque de sensibilisation des membres noirs. Les dirigeants de la commission n’ont pas communiqué avec nos membres noirs pour obtenir ou solliciter leur participation directe à l’élaboration du Plan d’action contre le racisme de la commission. Lorsqu’un membre noir a demandé à la direction s’il pouvait appuyer l’élaboration du plan, sa demande a été rejetée. Le plan provisoire a été distribué aux 200 employés, presque en même temps que son affichage sur le site Web de la commission. Un membre noir a déclaré avoir formulé des commentaires seulement pour constater qu’aucune de ses préoccupations de fond n’a été abordée. Nos membres noirs méritent de participer, d’être consultés et d’être écoutés de façon significative, mais cela ne s’est pas produit.
J’aimerais aussi parler de la réponse troublante de M. Fine à la question de la sénatrice Bernard, qui a laissé entendre que l’un des auteurs présumés était en fait chargé de l’élaboration du plan d’action.
Il devrait être impensable que la commission, le chien de garde des droits de la personne du Canada, puisse laisser tomber de façon aussi profonde les employés noirs et les Canadiens noirs. Il est impensable qu’un cadre supérieur puisse nier catégoriquement la possibilité qu’une conduite répréhensible ait pu se produire sans qu’une enquête approfondie et appropriée sur les allégations ait été menée. Cette tendance à sauter à la défense des gestionnaires de la commission aux dépens de nos membres noirs et de leur vérité est blessante, traumatisante et une preuve supplémentaire de la nécessité du changement. La commission continue d’ignorer la voix de nos membres noirs et de ceux qui ont témoigné devant votre comité permanent.
Pour ne pas perdre de temps, je vais résumer rapidement nos deux dernières recommandations clés et vous renvoyer à notre mémoire écrit pour plus de détails. Je serai heureux de répondre à vos questions pendant la période des questions.
Notre deuxième recommandation est que la commission soit assujettie à une surveillance indépendante et externe qui comprendrait le Bureau du vérificateur général du Canada, la Commission de la fonction publique du Canada et un commissaire à l’équité pour les Noirs dotée des ressources nécessaires.
Notre troisième recommandation est que des réformes fondamentales du régime fédéral des relations de travail sont nécessaires pour briser le cycle du racisme systémique dans la fonction publique.
En terminant, j’aimerais profiter de l’occasion pour reconnaître officiellement la force, le courage et le leadership des neuf employés de la commission et d’autres témoins qui ont pris beaucoup de risques en se présentant, ainsi que le travail exceptionnel de Patricia Harewood, anciennement de l’AFPC, qui a aidé les trois agents négociateurs à obtenir l’importante décision de grief qui nous a amenés ici aujourd’hui. Merci.
La présidente : Je vous remercie tous les deux de vos exposés. Nous allons maintenant passer aux questions et réponses. Honorables sénateurs, je tiens à vous rappeler que nous avons cinq minutes pour les questions et les réponses, et que je peux toujours vous inscrire au deuxième tour. Nous allons commencer par la vice-présidente, la sénatrice Bernard, qui sera suivie de la sénatrice Jaffer.
La sénatrice Bernard : Pour être tout à fait honnête, je suis encore en train de digérer votre témoignage. C’est un peu renversant de vous entendre dire une vérité aussi profonde au nom de tant de Canadiens noirs qui ont mis leur confiance dans ces systèmes. Je vous en remercie donc. Merci.
Je pense que vous avez tous les deux parlé de la nécessité de mettre en place des mesures précises pour rétablir la confiance, et je pense que certains de nos témoins nous ont dit à maintes reprises qu’il sera très difficile de rétablir la confiance. Selon le travail que vous avez fait avec les membres de vos syndicats respectifs, y a-t-il des suggestions précises pour le rétablissement de la confiance? Pas seulement le rétablissement de la confiance envers la Commission canadienne des droits de la personne, mais aussi tous les syndicats, parce que nous avons aussi entendu des gens dire que le racisme anti-Noirs dont nous parlons n’est pas seulement un problème de la Commission des droits de la personne, mais que cela s’applique à tous les ministères fédéraux.
Compte tenu de cette réalité, quelle est la voie à suivre pour rétablir la confiance?
M. Aylward : Je vous remercie de votre question, sénatrice. Bien sûr, il faut commencer par le haut. C’est là qu’il faut commencer à notre avis. Il faut certainement revoir la haute direction de la commission. Mais il faut aussi que chaque partie de la commission fasse l’objet d’un examen, car nous ne croyons pas que la commission reflète la diversité du Canada. Même au niveau des commissaires, ce n’est tout simplement pas représentatif des Noirs au Canada. Et je pense que c’est l’essence du changement et de l’établissement ou du début du rétablissement de cette confiance.
Seema Lamba, agente des programmes des droits de la personne, Alliance de la fonction publique du Canada : Je pense que c’est parce que nous l’avons entendu — on a parlé de notre propre Plan d’action contre le racisme, et c’est l’une des choses qui permettent de rétablir la confiance, lorsqu’il s’agit de questions de représentation, parce que c’est ce dont nous parlons vraiment lorsque des membres font des allégations de racisme anti-Noirs. Nous avons donc mis sur pied une formation à l’intention des représentants syndicaux sur la façon de lutter contre le racisme en milieu de travail. C’est l’une des choses que nous avons entendues, à savoir que nos représentants syndicaux n’avaient pas les outils nécessaires pour régler ces problèmes. C’est donc une étape importante. C’est l’un des éléments clés. Autrement dit, lorsque cela a une incidence sur les membres dans leur milieu de travail qui sont victimes de racisme en milieu de travail, ils peuvent s’adresser à leur syndicat et obtenir de l’aide, que ce soit dans le cadre du processus de règlement des griefs ou d’un processus différent, pour lutter contre le racisme anti-Noirs. Je tenais à le souligner.
La sénatrice Bernard : Les témoins précédents nous ont dit que le changement devrait venir de la commission et que nous ne devrions pas partir de zéro. Il y a une attente ou un espoir, si vous voulez, que le changement pourrait se faire de l’intérieur grâce à l’éducation. Nous aimerions savoir ce que vous en pensez.
Me McNairn : Je vais répondre à cette question. Je vais parler des deux éléments de la question que vous avez soulevée plus tôt, sénatrice.
Pour ce qui est de la commission, nous sommes d’avis qu’il s’agit d’un milieu de travail toxique. Notre point de vue — et je ne me plais pas à le dire — est que si vous voulez changer la culture, vous devez changer les gens au sommet. Cela semble banal, mais il y a un fond de vérité dans cette affirmation. Si vous voulez changer la culture, vous devez changer les gens.
Nous avons formulé un certain nombre de recommandations. J’ai mentionné deux ou trois éléments clés de notre point de vue. Premièrement, une surveillance externe indépendante. La commission ne peut pas être son propre chien de garde. Elle ne permettrait pas cela à qui que ce soit d’autre. On ne peut pas lui permettre de le faire elle-même. Elle ne peut pas être son propre chien de garde. Il doit y avoir un examen externe indépendant pour qu’elle rende compte des changements.
Il faut aussi modifier le système fédéral de relations de travail. Nous avons décrit en détail une bonne partie de cela dans notre mémoire, à savoir les changements qui peuvent être apportés pour permettre aux syndicats d’avoir des outils pour que la fonction publique fédérale rende compte du racisme et de la discrimination systémique. Il faut aussi apporter des changements à cet égard.
Pour ce qui est de ce que les syndicats peuvent faire, je ne peux parler que du mien. J’ai fait de la promotion de l’équité, de la diversité et de l’inclusion une priorité lorsque je suis devenu président il y a trois ans. Nous avons créé un groupe consultatif sur l’équité, la diversité et l’inclusion pour nous fournir les conseils dont nous avions besoin pour apporter des changements. Nous avons également créé un poste de conseiller spécial à temps plein du président, qui a un mandat bien défini en matière d’équité, de diversité et d’inclusion.
À mon avis, nous en sommes au début du processus et, de toute évidence, pas à la fin. Nous avons encore du chemin à parcourir. Nous n’avons pas le niveau d’équité et de diversité que nous souhaiterions dans notre syndicat. Il faut travailler là‑dessus pour qu’avec le temps, nous puissions être représentatifs de nos membres. C’est la tâche qui nous attend.
La présidente : Merci.
La sénatrice Jaffer : Merci beaucoup de votre présence. C’était rafraîchissant d’entendre ce que vous aviez à dire. Comme j’interviens après la sénatrice Bernard, j’ai eu un peu plus de temps pour digérer ce que vous avez dit. C’était inspirant de vous entendre. Je me dois également de souligner que Mme Lamba a comparu devant nous à de nombreuses reprises, et que c’est un plaisir de l’accueillir de nouveau.
Vous aviez prévu de faire cela, et vous le faites. Vous reconnaissez le problème et vous en avez parlé, ce que j’ai beaucoup apprécié. Combien de personnes racisées, combien de personnes noires participent à vos processus, à votre étude, ou s’agit-il d’une approche descendante? Je pose la question à M. Aylward et à Me McNairn.
M. Aylward : En ce qui concerne nos propres organisations?
La sénatrice Jaffer : Oui.
M. Aylward : Je pense que nous avons tous les deux reconnu qu’un plus grand nombre de changements sont nécessaires, même au sein de nos propres organisations, pour mieux représenter nos membres respectifs. Beaucoup de syndicats sont aux prises avec ce problème. C’est certainement quelque chose que l’Alliance de la fonction publique du Canada reconnaît. Nous avons besoin d’un leadership plus diversifié au sein de notre syndicat.
La sénatrice Jaffer : Qu’est-ce qui vous empêche d’y arriver?
M. Aylward : Rien. Il suffit de le faire.
La sénatrice Jaffer : J’apprécie votre honnêteté, vous savez. Quand j’étais jeune avocate — il y a 100 ans, maintenant —, j’avais l’habitude de me faire dire : « Eh bien, il n’y en a tout simplement pas assez. Leur nombre n’est simplement pas suffisant pour que nous puissions en recruter. » Selon les statistiques, au moins 30 % des Canadiens sont racisés, noirs ou autochtones. Pourtant, on ne semble toujours pas prêt à agir, ou on doit le faire en se fondant sur le mérite. Avec tout le respect que je vous dois, il vient un moment où il faut aller plus loin.
Que faites-vous en tant qu’organisation pour protéger vos membres? Nous étudions ici la question des Canadiens noirs qui sont membres depuis peu et qui subissent cette discrimination. Leur donnez-vous l’aide nécessaire pour bien les équiper? Je suis sûre que vous entendez ce qu’ils ont à dire, alors je n’ai pas besoin de vous le répéter. Comme syndicat, que faites-vous d’autre pour assurer leur pleine participation? Je vous pose la question à vous, monsieur Aylward.
M. Aylward : Je vous remercie de la question, sénatrice. Pour ce qui est de veiller à ce que notre syndicat puisse, premièrement, reconnaître le racisme en milieu de travail, ainsi que le racisme et la discrimination, et deuxièmement, déterminer comment s’y prendre efficacement, nous venons de lancer un programme de défense des droits pour nous assurer que nos représentants en milieu de travail disposent des outils et des ressources nécessaires pour déceler le racisme et la discrimination qui se produisent, ainsi que pour le faire correctement, afin de représenter adéquatement et efficacement les membres. C’est quelque chose que notre syndicat n’a tout simplement pas fait.
La sénatrice Jaffer : Quelle est l’échéance pour y arriver?
M. Aylward : Essentiellement, il faudrait que la mise en œuvre se fasse le plus tôt possible. Comme je l’ai dit, nous reconnaissons qu’il s’agit d’un échec au sein de notre syndicat.
La sénatrice Jaffer : Ce que vous avez dit, tous les deux, m’a fait chaud au cœur. Mais vous dites quand même : « Nous le savons. Nous faisons certaines... » Tout le monde sait ce qu’est le racisme. Lorsque vous avez un collègue qui est mal traité, tout le monde est au courant. On peut choisir d’ignorer cela ou de dire qu’il y a quelque chose qui ne va pas ou qu’ils se plaignent trop, mais si vous devez encore former les gens, je crains que cela soit la preuve que votre syndicat est encore à l’étape de reconnaître le problème. Vous le reconnaissez, mais vous dites quand même que vous continuez de former les gens. Cela m’inquiète. Je n’attends pas de réponse de vous. Je veux simplement préciser cela.
Maître McNairn, je suis impressionnée par vos deux présentations, mais il y a quelques années, il s’était produit la même chose pour la section de la justice. Beaucoup de gens qui travaillent là me disent maintenant : « Nous en sommes toujours au même point. » C’est presque comme si nous avions besoin que le Comité des droits de la personne se penche sur la question. Puis-je vous demander de parler à vos membres, surtout aux membres racisés et noirs, pour voir ce qui se passe pour les gens avec qui vous travaillez?
La sénatrice Pate : Merci à tous les témoins d’être ici. L’une des choses qui m’a frappée pendant votre présentation, c’est que l’environnement démoralisant dont nous avons entendu parler concernant la Commission canadienne des droits de la personne semble exister dans l’ensemble du secteur public, à mon humble avis. Dans un domaine où j’ai beaucoup travaillé, j’ai vu l’échec des avocats du ministère de la Justice. Par exemple, leur difficulté à élaborer une analyse en vertu de l’article 15 ou une analyse des droits de la personne était partiellement attribuable à une approche plus répandue.
J’aimerais avoir un commentaire général. C’est une chose de dire que vous allez changer la façon dont vous traitez les gens, mais la façon dont vous voyez le monde, au bout du compte, modifie cette orientation, à mon avis.
L’un des témoignages qui m’ont frappée — et je tiens à préciser que je remplace la sénatrice Omidvar —, c’est celui de Hugh Scher, constitutionnaliste et spécialiste des droits de la personne, qui a parlé du fait que l’un des défis et l’une des craintes, c’est que l’accent mis sur ce processus et sur le fait que le Conseil du Trésor se penche sur la discrimination à la Commission canadienne des droits de la personne pourrait être une stratégie pour détourner l’attention de la poursuite des fonctionnaires noirs. Ma question s’adresse probablement davantage à Me McNairn. Que répondez-vous à cela? Comment le gouvernement réagirait-il à cela? Il ne m’est certainement pas étranger, si je peux m’exprimer ainsi, qu’au moment de traiter une plainte relative aux droits de la personne dans d’autres secteurs, cela est devenu une raison de ne pas intenter de poursuite, selon l’hypothèse qu’il faut choisir une voie ou une autre. J’aimerais savoir ce que vous en pensez. Si vous avez des commentaires, monsieur Aylward, je serai heureuse de les entendre.
Me McNairn : Soyons clairs. Je ne parle pas au nom du gouvernement du Canada. Je ne parle qu’au nom de l’Association des juristes de justice. En ce qui concerne le processus, rien ne me porte à croire que la personne qui a entendu le grief ne respectait pas la loi et ne menait pas le processus de la bonne façon. Cependant, d’après notre expérience, il y a eu des moments au cours du processus où il semblait y avoir beaucoup de pression pour passer à la médiation et essayer de régler cela sans qu’une décision soit rendue. Les trois agents négociateurs ont résisté aux pressions, une décision a été rendue, et c’est ce qui nous amène ici aujourd’hui.
La sénatrice Pate : Mes commentaires sur la question en ce qui concerne la Charte et les points de vue des droits de la personne en général pendant... Je sais que vous ne parlez pas au nom du ministère de la Justice, mais j’ai assisté à des séances avec des avocats de ce ministère, et ce genre de stratégie semble certainement faire partie de l’environnement, si je peux m’exprimer ainsi, au sein du ministère.
Me McNairn : Les avocats pensent comme des avocats et ils examinent la loi. Ils examinent la jurisprudence, et c’est ainsi qu’ils formulent et analysent les choses. Je ne suis pas sûr de pouvoir vous éclairer beaucoup sur la question que vous posez.
La sénatrice Pate : D’accord.
La présidente : Merci.
Le sénateur Arnot : Merci aux témoins. Monsieur Aylward, vous avez noté que la question du racisme envers les Noirs est profondément ancrée dans la société canadienne. Vous reconnaissez qu’il s’agit d’un problème systémique qui nécessite une solution systémique.
Croyez-vous que ce problème, bien qu’il soit très aigu à la Commission canadienne des droits de la personne, en soit un qui touche l’ensemble du gouvernement? Je me pose la question, monsieur, étant donné qu’à titre de président de l’Alliance de la fonction publique du Canada, vous avez une influence importante dans la société canadienne, et certainement auprès des décideurs. Je me demande comment vous voyez votre rôle ou le rôle des futurs présidents quant à la façon d’aborder cette question dans l’ensemble du gouvernement ou dans l’ensemble de la société canadienne.
M. Aylward : Merci, sénateur. Je suis tout à fait d’accord pour dire que ce problème est profondément enraciné dans l’ensemble de la fonction publique fédérale. Lorsque l’organisme fédéral qui est responsable de faire des représentations, de la promotion et de l’éducation au sujet des droits de la personne échoue à la tâche, c’est évidemment toute la fonction publique qui en souffre. Cela a été clairement démontré, année après année, par les sondages menés auprès des employés de la fonction publique. Chaque année, c’est le principal problème — le racisme et la discrimination en milieu de travail. C’est toujours considéré comme l’un des principaux problèmes. Oui, je suis tout à fait d’accord pour dire que, malheureusement, le racisme et la discrimination sont enracinés dans l’ensemble de la fonction publique fédérale.
Pour ce qui est de ce que nous pouvons faire à l’avenir pour nous assurer que le problème est bien réglé, nous avons mené, à différentes reprises, des processus de consultation avec la commission, et nous lui avons présenté des mémoires. Nous continuerons de le faire pour améliorer le système pour tout le monde, mais surtout en ce qui concerne le racisme et la discrimination.
Mme Lamba : Il y a aussi des tribunes comme les comités mixtes sur l’équité en matière d’emploi. Nous en faisons la promotion constamment là où nous pouvons, en tant qu’agents négociateurs, exercer une influence à cet égard, dans différents ministères ou à l’échelle nationale. Nous diffusons constamment ce message, dans la mesure du possible, en tant qu’agents négociateurs. Nous le faisons depuis très longtemps dans ce dossier. Je voulais simplement souligner qu’il y a des endroits où nous pouvons jouer un rôle.
Le sénateur Arnot : Maître McNairn, vous avez mentionné qu’on avait eu recours à un rapport oral pour éviter les demandes d’accès à l’information. Est-ce quelque chose que vous constatez de plus en plus? S’agit-il d’un cas unique? Quelles conclusions en avez-vous tirées? Quelles conclusions devrions-nous en tirer au sujet des comportements au sein de la Commission canadienne des droits de la personne?
Me McNairn : Il m’a semblé très étrange et inhabituel que des ressources publiques soient utilisées pour recruter quelqu’un pour fournir ce service et qu’aucun rapport écrit n’ait été fourni, seulement un rapport oral. Cela soulève de sérieuses questions quant à l’intention derrière le fait de ne pas demander de rapport écrit.
Un rapport écrit ferait l’objet de demandes d’accès à l’information. Ce serait formel. La direction de la commission n’a pas pu prendre le rapport oral et le modifier. Il s’agit du rapport direct de l’enquêteur.
Pour revenir à ce que vous disiez, j’ai trouvé cela vraiment inhabituel. Je n’avais jamais entendu parler d’une telle chose auparavant, c’est-à-dire recruter quelqu’un pour fournir un service et ne pas exiger de produit livrable, comme un rapport écrit.
La présidente : Merci.
La sénatrice Hartling : Je remercie les témoins de leur présence. Je dois dire que leurs témoignages ont été captivants. Je m’inquiète de constater qu’il s’agit d’un problème plus profond que nous ne l’avions peut-être pensé au début de notre étude. Mais c’est une bonne chose que ce soit révélé. Une fois que vous avez les connaissances, vous devez les utiliser.
Maître McNairn, dans votre mémoire au comité, vous avez indiqué qu’en août 2020, les agents négociateurs, y compris l’Association des juristes de justice, l’Alliance de la fonction publique du Canada et l’Association canadienne des employés professionnels, ont demandé, au nom des membres touchés, une évaluation externe complète du milieu de travail. Le commissaire a plutôt décidé d’entreprendre et de faciliter des discussions avec les employés, en faisant appel à des tiers au sujet desquels les employés n’avaient pas leur mot à dire ou en qui ils n’avaient pas confiance. Selon vous, qu’est-ce qu’une évaluation externe complète du milieu de travail aurait révélé au sujet de la culture de la Commission canadienne des droits de la personne et des expériences des employés touchés?
Me McNairn : Nous n’avons pas de certitude à ce sujet, mais je soupçonne que cela n’aurait pas été très positif. Une évaluation officielle et indépendante du milieu de travail aurait permis d’approfondir les problèmes à la commission, d’utiliser des pratiques exemplaires pour effectuer un tel examen et, je crois, aurait donné lieu à un rapport écrit que tout le monde aurait pu examiner et qui aurait probablement fourni un plan clair pour résoudre les problèmes en milieu de travail.
La sénatrice Hartling : Nous n’avons rien de cela. Y a-t-il moyen de revenir en arrière? Pouvons-nous faire quelque chose à ce sujet?
Me McNairn : Ce genre d’enquête pourrait être reprise aujourd’hui. Curieusement, il y a deux ans, c’est ce que nous avions suggéré à la commission, mais elle avait rejeté notre suggestion à ce moment-là. Ce n’est que récemment qu’elle s’est rendu compte que ce n’était peut-être pas une si mauvaise idée après tout. Cela nous amène à nous demander pourquoi cette demande a été rejetée par eux il y a deux ans, alors qu’aujourd’hui, lorsqu’ils comparaissent devant le comité pour rendre des comptes, ils voient soudainement la lumière et demandent une évaluation officielle indépendante du milieu de travail.
La sénatrice Hartling : Merci.
[Français]
La sénatrice Gerba : Ma question s’adresse à M. Aylward.
Vous avez reconnu avec humilité que votre syndicat, l’Alliance de la fonction publique du Canada, a failli à représenter ses membres. C’est une réalité et c’est d’ailleurs l’avis de plusieurs témoins venus comparaître devant notre comité.
Toutefois, vous avez mentionné avoir mis en place une série d’actions pour veiller à mieux défendre les membres noirs. Pouvez-vous décrire un peu quelles sont ces actions concrètes qui permettront de mieux représenter et défendre les Noirs, eu égard au racisme systémique dans la fonction publique?
[Traduction]
M. Aylward : Je vous remercie de la question, sénatrice. Comme nous l’avons indiqué dans notre présentation, nous avons lancé un plan d’action contre le racisme envers les Noirs à l’intention de nos membres. De plus, nous avons pris un certain nombre de mesures à l’interne, parce que nous comptons beaucoup sur notre personnel pour fournir des conseils, ainsi que pour assurer une orientation et une représentation. Nous venons de créer, au sein de l’AFPC, un bureau de la prévention de l’oppression et des droits de la personne, qui sera doté en personnel et en ressources adéquates, afin que nos employés puissent également avoir les ressources et les outils nécessaires pour eux-mêmes, évidemment, mais aussi pour donner des conseils et des directives aux représentants en milieu de travail.
[Français]
La sénatrice Gerba : D’accord, merci beaucoup.
Également, vous avez mentionné que de nombreux agents, au sein de la commission, ont subi d’importants traumatismes. De quelle manière est-ce que vous soutenez ceux qui ont subi ces traumatismes?
[Traduction]
M. Aylward : Je vais demander à Mme Lamba de répondre parce qu’elle comprend mieux que moi ce que les membres de la Commission canadienne des droits de la personne ont vécu et ont souffert.
La sénatrice Gerba : Comment les appuyez-vous?
Mme Lamba : Comment appuyons-nous les membres de la commission?
La sénatrice Gerba : Qui ont subi un traumatisme.
Mme Lamba : Je vais demander à Mme Brown de répondre à cette question.
Tasia Brown, adjointe politique du président national, Alliance de la fonction publique du Canada : Ce que nous avons fait — non seulement avec nos membres à la Commission canadienne des droits de la personne, mais avec tous nos membres — est inclus dans ce dont la sénatrice Jaffer a parlé, c’est-à-dire la façon de nous assurer que nos membres participent à part entière. Dans le cadre de ce processus, il suffit d’abord de les écouter, alors nous avons mené des entrevues approfondies avec un certain nombre d’entre eux. Nous l’avons fait pour mieux les représenter. Comment pouvons-nous prétendre que nous pouvons mieux représenter nos membres si nous n’avons pas entendu parler des problèmes précis et des obstacles auxquels ils font face lorsqu’ils tentent de soulever des questions de racisme en milieu de travail?
Nous avons commencé par ce processus. Cela fait partie de notre plan d’action contre le racisme. C’est à ce moment-là que nous avons pris conscience de l’importance d’avoir un atelier de sensibilisation pour un plus grand nombre de nos délégués syndicaux et de membres de nos sections locales qui sont en mesure de rejoindre ces membres.
En même temps, nous essayons de montrer à nos membres qui sont passés par ce processus que nous sommes là pour les appuyer. Nous avons lancé un programme de sensibilisation. Nous avons fait quelque chose d’aussi simple que de sensibiliser les gens de la base, en appelant chacun de nos membres noirs et en leur parlant de ce qu’ils ont vécu et des mesures de soutien dont ils ont besoin. Y a-t-il un grief en suspens qui n’a pas été réglé? Pouvons-nous donc intensifier nos efforts pour répondre à ces besoins? C’est par là que nous commençons.
Ensuite, bien sûr, en tant que syndicat, la négociation est l’un des outils les plus solides dont nous disposons. Comme vous l’avez vu récemment, nous avons mené des négociations au niveau du secteur public fédéral pour les membres qui relèvent du Conseil du Trésor et de l’ARC. Nous négocions davantage de choses que ce que nous inscrivons dans les conventions collectives pour nos membres, afin qu’ils aient ces outils et accès à des choses qui n’existaient peut-être pas auparavant, pour se sentir mieux appuyés dans leur milieu de travail.
Par exemple, nous avons négocié un congé pour nos membres autochtones, afin qu’ils puissent participer à des pratiques culturelles. Nous demandons un examen des programmes de lutte contre le racisme et le harcèlement et de la formation pour nos membres, afin de nous assurer d’une plus grande accessibilité et participation. C’est une chose d’offrir de la formation, mais c’en est une autre si les gens n’y ont pas accès dans les faits.
Ce sont quelques-unes des façons dont nous avons essayé d’entendre nos membres, de leur faire sentir qu’ils sont appuyés, de communiquer avec eux et de déterminer exactement ce dont ils ont besoin de la part de leur syndicat.
La sénatrice Gerba : Merci.
La présidente : Merci. Notre témoin précédent a parlé de la nécessité pour la CCDP de renforcer son mandat en matière de formation, afin de changer la culture de l’institution. Vous avez tous les deux été très honnêtes, et nous vous en sommes reconnaissants. Nous avons littéralement bu vos paroles.
Monsieur Aylward, vous vous êtes défini comme « un homme blanc hétérosexuel ». Qu’avez-vous fait en tant qu’homme blanc pour vous débarrasser de vos préjugés inconscients et pour représenter le changement que vous voulez voir?
J’espère que quelqu’un à la Commission canadienne des droits de la personne surveille le leadership dont vous faites preuve et la formation que vous offrez et qu’elle pourra peut-être apprendre de vous.
M. Aylward : Je parlerai d’abord de la formation, car je crois aussi qu’il est essentiel que la commission fasse ce qu’il faut dans ce domaine. Cela dit, la commission est gravement sous‑financée et manque de ressources. Tant qu’elle ne sera pas financée et dotée des ressources nécessaires, je suis désolé, mais nous continuerons de voir ces problèmes. Comme un témoin précédent l’a dit, la commission avait prévu un budget pour la formation. Il n’y a plus de ressources pour la formation et, comme je l’ai dit, je pense que c’est essentiel pour l’avenir de la commission. Mais vous ne pouvez pas avoir la formation appropriée si vous n’avez pas le financement et les ressources nécessaires.
Pour ma part, c’est une question de formation également. Je suis des cours et je prends conscience de tous les préjugés que j’ai. Tant que vous ne faites pas cela, vous continuez essentiellement d’agir de la même façon en pensant que tout va bien. Vous ne reconnaissez pas vos propres préjugés tant que vous n’avez pas suivi une formation. Encore une fois, c’est d’une importance vitale.
Nous essayons toujours d’offrir notre soutien et de faire tout ce que nous pouvons, surtout en ce qui concerne le recours collectif des Noirs. Comme je l’ai dit, notre soutien au recours collectif des Noirs se fait à la fois au niveau financier et des ressources.
Ce ne sont là que quelques-unes des choses que nous essayons de faire au sein de notre propre organisation pour éradiquer le racisme et la discrimination. Nous faisons tout ce que nous pouvons pour identifier, déraciner et éradiquer les comportements fautifs le plus rapidement et le plus efficacement possible.
Me McNairn : Je pense également que la formation est essentielle. Je suis d’accord avec M. Aylward à ce sujet.
Cela dit, on pourrait penser que la commission, en tant que spécialiste des droits de la personne, aurait besoin de beaucoup moins de formation que tout le monde. La formation est une bonne chose, de concert avec d’autres mesures qui vont entraîner un changement de culture à la commission.
Pour ma part, encore une fois, j’ai suivi des cours de formation dans des domaines comme la lutte contre le racisme, l’oppression, les préjugés inconscients et tout autre sujet qui est offert.
Je peux vous dire qu’en tant qu’homme blanc en fin de carrière, il y a de nombreux jours où je me sens complètement incapable de m’attaquer à ces problèmes. Notre syndicat a un comité consultatif sur l’équité, la diversité et l’inclusion composé de membres racisés qui nous donnent des conseils. C’est un élément de formation pour nous.
Ma priorité personnelle en tant que président était de promouvoir l’équité, la diversité et l’inclusion. Nous nous sommes assurés de créer un nouveau poste de conseiller spécial auprès du président, qui a un mandat très fort dans ce domaine.
Les syndicats cherchent toujours de nouvelles façons de représenter leurs membres et de promouvoir leurs intérêts. Ce grief était une nouvelle façon d’appuyer nos membres : trois syndicats se sont réunis, ont collaboré et ont tous déposé des griefs au chapitre de la politique, qui comportaient des arguments semblables. Comme vous pouvez le constater, cela a donné lieu à cette décision. J’ai l’impression que cela a joué un grand rôle pour motiver le comité à entreprendre l’étude que vous menez aujourd’hui.
La présidente : Même en tant que profane, si une personne me dit qu’elle va travailler à la Commission canadienne des droits de la personne, je sais immédiatement de quoi elle parle. Pourtant, on mentionne un changement de culture.
Les hauts dirigeants ont constamment entendu parler de problèmes qu’ils n’étaient pas disposés à régler. Je ne sais pas si vous avez vu les témoignages de ceux qui ont comparu devant nous. La sénatrice Bernard a demandé à M. Fine s’il allait démissionner et la réponse a été non.
De toute évidence, lorsqu’il y a des plaintes, il est certain que quelque chose ne tourne pas rond. L’éducation et la formation sont une chose, et on peut toujours réunir des gens dans une salle un après-midi et dire : « Nous allons observer la situation. » Je sais que lorsque j’ai des problèmes au bureau, nous disons : « Voyons comment nous allons régler cela. » Lorsque la situation se détériore depuis des années et que vous refusez d’admettre qu’il y a un problème, de toute évidence, vous n’êtes plus utile.
Excusez-moi, ai-je été trop directe? D’accord.
Me McNairn : Je ne vous contredirai pas à ce sujet, sénatrice.
Nous utilisons le terme « performative », la réponse étant « performative ». Avouons-le, c’est une façon polie de qualifier une réponse qui n’est pas sincère. Des motions sont étudiées. Tout ce que tout le monde veut, c’est faire ce qu’il faut pour que le problème disparaisse.
La présidente : Au deuxième tour, nous avons 10 minutes. Soyez brefs dans vos questions et vos réponses.
La sénatrice Bernard : Il y a tellement de Canadiens noirs qui travaillent dans le secteur public et qui viennent au travail tous les jours avec des menottes dorées, parce qu’ils sont très reconnaissants d’avoir un emploi.
Dans de nombreuses collectivités où le taux de chômage est élevé, un emploi dans la fonction publique fédérale est considéré comme un « bon emploi ». Les gens restent et font face au racisme, le racisme envers les personnes noires. Ils acceptent cette alliance performative. Ils endurent beaucoup de microagressions en milieu de travail, parce qu’ils refusent d’envisager l’autre solution qui s’offre à eux. Nombre de ces gens gardent ces menottes dorées jusqu’à ce qu’ils ne soient plus capables d’endurer cela.
On a entendu beaucoup de gens parler des plafonds de béton auxquels ils se heurtent. Nous avions l’habitude de parler du plafond de verre. Nous reconnaissons que pour les Noirs, il n’y a pas de plafond de verre. Nous avons brisé le verre et devinez quoi? Il y a du béton en dessous.
Compte tenu de ces réalités, je me demande quel est le lien avec la Loi sur l’équité en matière d’emploi, qui était censée éliminer les obstacles et créer les conditions nécessaires pour que tous ces groupes méritants en matière d’équité puissent non seulement survivre, mais aussi réussir en milieu de travail.
Il y a des gens qui meurent à petit feu à cause du racisme dont ils sont victimes. Quel est le lien avec les dispositions législatives sur l’équité en matière d’emploi?
Me McNairn : Pour lutter contre le racisme et la discrimination dans les pratiques d’emploi, il faut disposer des outils juridiques nécessaires.
Je vais vous donner un exemple : les plaintes en matière de dotation. La loi n’autorise que celles qui relèvent de certaines catégories très limitées. Il y a eu des changements récemment. En règle générale, les plaintes sont déposées et rejetées.
Je peux affirmer sans trop me tromper que la plupart des fonctionnaires considèrent que le processus de traitement des plaintes en matière de dotation est complètement inefficace et qu’il ne vaut vraiment pas la peine d’y consacrer du temps puisqu’il n’aboutira à aucun résultat positif ou changement.
Il y avait d’autres exemples dans le système des relations de travail. La Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral ne permet pas la négociation collective de certaines questions, de sorte qu’elles ne peuvent pas être abordées dans le cadre de la négociation collective. Elles sont traitées dans la loi. Elles ne peuvent pas être réglées par la négociation collective.
Il s’agit en grande partie de créer les outils et les processus qui nous permettront de lutter contre le racisme et la discrimination, qu’ils soient de nature systémique ou autre.
M. Aylward : Mme Lamba a participé directement à l’élaboration de la Loi sur l’équité en matière d’emploi. Je lui demanderais donc de répondre.
Mme Lamba : Nous avons des détails sur ce qui doit être modifié dans la Loi sur l’équité en matière d’emploi, car cela correspond à ce que nous avons fourni au Groupe de travail sur l’examen de la Loi sur l’équité en matière d’emploi, et nous serons heureux de vous les faire parvenir si vous le souhaitez.
En un mot, parce que je sais que le temps presse, il n’y a pas nécessairement une surveillance comme telle. Le Conseil du Trésor du Canada est un employeur, tout comme la Commission de la fonction publique. Ils sont limités. Les ministères ne sont plus surveillés depuis que c’est chacun pour soi.
De plus, la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, la LEFP, qui concerne le processus de dotation, a préséance sur la Loi sur l’équité en matière d’emploi, et les initiatives en vertu de celle-ci sont parfois examinées à la lumière de la LEFP, alors nous ne pouvons pas faire de progrès. Comme je l’ai dit, tout cela est décrit ici.
De plus, la Commission canadienne des droits de la personne est elle-même le vérificateur. Elle est censée s’occuper de la fonction de vérification de l’équité en matière d’emploi dans le secteur public. Il y a du travail à faire là aussi. Nous parlions de la commission. Elle est censée vérifier le rendement des ministères à ce sujet.
Il y a beaucoup d’obstacles systémiques. Même si nous avons une loi sur l’équité en matière d’emploi, il y a des obstacles systémiques à la réalisation des objectifs et des buts à ce chapitre.
La dernière chose que je veux dire, c’est qu’à titre d’agents négociateurs, nous avons un rôle à jouer selon la Loi sur l’équité en matière d’emploi, mais un rôle limité. Cela dépend parfois de la bonne volonté de l’employeur, qu’il ait oui ou non un comité d’équité en matière d’emploi ou des renseignements qu’il veuille bien échanger avec nous.
Il y a de nombreuses limites, mais comme je disais, je serais heureuse de vous faire part des observations du groupe de travail à ce sujet.
La sénatrice Bernard : Ce serait apprécié.
J’aimerais revenir sur votre dernière réponse concernant la formation. Des groupes précédents ont aussi eu énormément de discussions sur l’éducation et la formation.
Je ne sais pas si c’est le cas à la Commission canadienne des droits de la personne ou à la Commission de la fonction publique, mais dans beaucoup d’organisations, s’il y a un membre du personnel racisé — j’ai vu cela; en fait, cela m’est arrivé —, on demande à la personne noire de l’équipe de se porter volontaire pour offrir cette formation. Nous offrons la formation en y mettant toute notre âme et gratuitement, soit dit en passant. C’est exploiter la main-d’œuvre et son savoir-faire sans reconnaissance.
Cela s’est-il produit au sein de la commission? Est-ce l’un des problèmes que nous avons avec la Commission canadienne des droits de la personne? Est-ce que cela s’est produit avec vos syndicats? Est-ce qu’on s’attend à ce que les membres — ceux qui portent les menottes dorées — suivent cette formation parce qu’on pense ou qu’on espère que cela finira par changer la donne?
Mme Brown : Ce que nous avons au sein de notre organisation, bien sûr, ce sont des spécialistes des droits de la personne, de la formation, etc. Ce que nous gardons toujours à l’esprit, c’est de nous assurer que ce n’est pas parce que la personne est noire qu’elle doit toujours porter le fardeau d’enseigner les autres.
En même temps, notre organisation a veillé à ce qu’il y ait des spécialistes du racisme contre les Noirs. Il y en a qui ont vécu des expériences.
Notre organisation a travaillé fort pour que certaines personnes soient en place pour faire ce travail. Nos membres nous ont également dit qu’ils estiment qu’ils doivent souvent être ceux qui parlent de ces questions ou qui les soulèvent, et que c’est un fardeau pour eux. Ils se sentent déjà traumatisés et souffrent, et c’est à eux qu’il revient d’en parler. C’est un défi, et c’est quelque chose dont nous sommes conscients et que nous cherchons à changer comme le syndicat que nous sommes.
La sénatrice Bernard : Est-ce qu’on leur demande aussi de suivre la formation volontairement?
Mme Brown : Non, pas dans notre syndicat.
La sénatrice Bernard : Pas chez vous, mais chez d’autres.
Mme Brown : D’autres, oui, absolument. Nos membres nous ont dit directement qu’ils ont souvent l’impression d’être placés dans une position délicate où ils doivent enseigner à leur propre oppresseur. Les membres nous l’ont dit directement. Nous faisons ce que nous pouvons pour les appuyer et leur faire sentir qu’ils ont un syndicat vers qui se tourner lorsqu’il leur faut remplir ces fonctions et qu’ils ont des recours lorsqu’on leur demande de faire des choses qui ne font que les traumatiser.
[Français]
La sénatrice Gerba : Ma question s’adresse à tous les témoins. Certains témoins qui ont comparu devant notre comité nous ont mentionné que des employés de la commission avaient droit à des traitements différents de leurs homologues non racisés; ils ont notamment soulevé des cas d’agents noirs qui n’étaient pas promus comme ils devraient l’être ou qui occupaient des fonctions inférieures à leur niveau de compétence. Plus encore, des témoins ont rapporté que des agents noirs étaient dessaisis des plaintes liées au racisme. Êtes‑vous au courant de cela?
Monsieur Aylward, on sait que les personnes noires ne sont pas promues à des postes supérieurs. Comment procédera-t-on afin de s’assurer qu’il y a une certaine transparence et qu’on peut nommer des personnes noires dans des postes décisionnels?
[Traduction]
M. Aylward : Je vous remercie de la question. Je pense que la première chose à faire est de veiller à ce que ces employés soient entendus. Lorsque je parle de la refonte de la commission, il est certain que les dirigeants doivent rendre des comptes. Les employés noirs qui sont là, qui voient la situation et en souffrent, ne savent pas comment s’y prendre pour avancer.
Je crois que c’est la sénatrice Bernard qui a dit que la plupart des travailleurs du secteur public fédéral sont très fiers du travail qu’ils font. Lorsqu’on a un employé noir à la commission qui est essentiellement responsable d’extirper le racisme et la discrimination afin de fournir et de protéger un milieu de travail qui en est exempt, nos membres ou les employés qui y travaillent se demandent comment avancer. Comment pouvons-nous aller de l’avant comme organisation?
Je ne sais pas si cela répond à votre question, mais c’est ainsi que je vois les choses. En ce qui concerne les employés de la commission, ils doivent participer à toute forme de changement ou de restructuration interne. Ils doivent participer et être écoutés quant à la meilleure façon d’aller de l’avant.
[Français]
La sénatrice Gerba : Y a-t-il un processus de recrutement qui serait suffisamment transparent et qui ferait en sorte que la confiance envers la commission pourrait être rétablie?
[Traduction]
M. Aylward : Non. Nous l’avons entendu de la bouche de nos propres membres à la commission. Il y a toujours des obstacles à l’emploi. Ils n’ont pas le même accès aux promotions que les autres employés, et c’est devenu très courant non seulement à la commission, mais dans l’ensemble de la fonction publique fédérale. Nos membres noirs, autochtones et racisés nous disent qu’ils font face à de graves obstacles à l’emploi.
Dans le cadre du recours collectif des Noirs, l’un des plaignants a passé 28 ans à la Gendarmerie royale. Après 28 ans, elle a pris sa retraite du même poste où elle avait fait ses débuts. Cela ne devrait jamais arriver dans la fonction publique fédérale, mais c’est parce qu’il y a des problèmes systémiques avec les programmes et les politiques de dotation, surtout en ce qui concerne les progrès et les promotions. Pour les employés noirs, racisés et autochtones, c’est un véritable obstacle. Nous avons entendu des gens leur dire qu’ils n’avaient qu’à surmonter la situation. C’est un véritable obstacle à l’avancement dans la fonction publique fédérale pour les employés autochtones, racisés et noirs.
Au sein de la fonction publique fédérale, combien de Noirs, de personnes racisées ou d’Autochtones occupent des postes de direction au sommet du gouvernement? Tout comme j’ai comparé mon propre syndicat, je constate qu’il y a de graves lacunes. La raison de cette absence aux échelons les plus élevés, c’est qu’il y a des obstacles systémiques ici, au bas de l’échelle du processus de dotation. Lorsqu’un employé commence à occuper un poste au premier échelon et qu’il quitte ce même poste 28 ans plus tard, il y a quelque chose qui cloche dans nos politiques de dotation.
La présidente : Merci.
La sénatrice Jaffer : J’aurais tellement de choses à dire sur ce que vous avez dit en dernier, mais il ne me reste que quelques secondes. La sénatrice Bernard parle toujours d’éducation, et je suis tout à fait d’accord. Oui, il y a eu beaucoup d’éducation, mais vous avez dit plus tôt qu’il n’y avait pas de ressources pour l’éducation. C’est un cercle vicieux. Nous avons beau recommander qu’il y ait plus d’éducation, mais il n’y a pas de ressources, alors nous restons toujours dans la même impasse, n’est-ce pas?
M. Aylward : Absolument.
La sénatrice Jaffer : Oui.
M. Aylward : Oui. Et jusqu’à ce qu’un financement et des ressources appropriés soient consacrés à la commission, nous pourrions revenir ici dans six ans pour rediscuter de la même question.
La sénatrice Jaffer : Est-ce que le fait de ne pas voir les gens fait partie du problème — je vais parler du barreau, mais auparavant, l’Agence du revenu du Canada a de graves problèmes avec la promotion de ses employés. Vous voudrez peut-être vous pencher là-dessus. Depuis que nous avons commencé cette étude, de nombreux employés de l’agence m’ont appris qu’il n’y a pas pire que chez eux. Je vous recommande d’examiner cela.
Les gens disent : « Ils sont introuvables », mais quand j’ai fait mes débuts comme jeune avocate, si j’en étais restée là, je ne me serais jamais relevée en raison du manque de perspectives d’emploi. Il doit s’agir d’un processus continu dans le cadre duquel le patron doit vous donner l’occasion de faire des erreurs et d’apprendre. Mais si vous êtes coincé, il n’y a pas moyen d’opter pour un poste supérieur. C’est encore un cercle vicieux, n’est-ce pas?
M. Aylward : Absolument.
La sénatrice Jaffer : Merci, madame la présidente.
La présidente : Merci à tous nos témoins. Nous vous sommes très reconnaissants d’avoir accepté de comparaître devant nous, et votre témoignage nous aidera à rédiger le rapport.
Chers collègues, je vais maintenant présenter notre troisième groupe de témoins de la journée. On a demandé au témoin de faire une déclaration préliminaire de cinq minutes. Nous entendrons le témoin, puis nous passerons aux questions des sénateurs.
Je souhaite la bienvenue à notre collègue, l’honorable sénateur Ian Shugart, c.p., ancien greffier du Conseil privé, qui nous vient en personne. J’invite maintenant le sénateur Shugart à faire sa déclaration.
[Français]
L’honorable sénateur Ian Shugart, c.p., à titre personnel : J’ai le plaisir et l’honneur d’être parmi vous ce soir, dans le cadre de votre étude, pour vous offrir une certaine rétrospection relativement à certains éléments de votre étude.
[Traduction]
On me dit que l’appel à l’action du greffier sur la lutte contre le racisme, l’équité et l’inclusion dans la fonction publique fédérale a été soulevé devant le comité. C’est ce sujet que j’ai pensé aborder ce soir. C’est ainsi que les choses se sont passées, ce que cela signifie et ce que ce genre d’initiative peut accomplir, mais je laisse à mes collègues le soin de donner suite à la question comme ils l’entendront.
L’appel a été publié en janvier 2021. C’était une affaire très personnelle pour moi. Beaucoup de gens y ont participé. Bien sûr, il a été distribué à l’ensemble de la fonction publique. Pour moi, c’était une initiative très personnelle. C’est en partie à cause de l’horreur que nous avons vécue l’été précédent avec l’épisode de George Floyd et des récits que cela a déclenché sur le traitement des Canadiens noirs, autochtones et racisés dans notre propre société. Ce n’est pas quelque chose de fortuit qui s’est produit loin de chez nous, car nous avons nous aussi nos propres problèmes de racisme à régler. Dans l’institution de la fonction publique, il fallait nous attaquer à la nature systémique de ce racisme.
Pour moi, il s’agissait d’un engagement très personnel. Il a fallu écouter beaucoup de gens raconter leurs propres histoires — des employés noirs, des employés autochtones, d’autres Canadiens racisés, des concitoyens, qui travaillaient pour le contribuable et qui avaient des histoires douloureuses à raconter. Il a fallu beaucoup de temps pour les écouter et comprendre ce que cela signifiait pour mes collègues fonctionnaires, non seulement en théorie, mais aussi dans la pratique, comme j’avais été formé à le faire en ma qualité de greffier du Conseil privé.
Nous avons ensuite examiné les données. J’étais assis dans la salle, et j’ai entendu vos témoins précédents parler de l’exemple d’une personne qui occupe le même poste dans la fonction publique, non pas seulement année après année, mais pendant des décennies, sans que rien ne bouge. Quand on regarde les données et qu’on voit les taux de promotion, d’avancement, etc., à un moment donné, on se rend compte à quel point c’est systémique. C’est un problème profondément enraciné.
Le racisme est une chose subtile. Il y a comme une haine qui n’est pas nécessairement flagrante ou viscérale, mais qui subsiste malgré tout. Les gens ont du mal à reconnaître que leur organisation est systématiquement raciste, et il a fallu arriver à un point où l’appel à l’action devait être tout aussi systémique. Lorsqu’on examine les données, on ne peut que conclure que c’est le système qui empêche les gens de progresser en ciblant injustement certains de nos concitoyens.
Nous avons dû nous entendre sur le sens du mot « systémique » et demander que des mesures soient prises pour remédier à cette réalité. Il a fallu prendre des mesures particulièrement énergiques, car les choses ne s’arrangent pas toutes seules. Avec tout le respect que je vous dois, je ne suis pas tout à fait d’accord avec l’affirmation selon laquelle plus d’éducation suffira, pas plus qu’avec celle qui dit que tant que nous n’aurons pas plus de ressources, nous n’aurons pas d’éducation et nous ne pourrons pas résoudre le problème.
Je n’ai pas attendu de voir quelles seraient les ressources. Je n’ai pas demandé plus de ressources pour accompagner l’appel à l’action. Je me suis contenté de lancer l’appel. Je savais qu’un nombre suffisant de mes collègues sous-ministres étaient avec moi, qu’ils étaient d’accord et qu’ils étaient prêts à agir. L’appel a été distribué à tous les fonctionnaires à tous les niveaux, peu importe le degré de responsabilité qu’ils avaient.
Je pense qu’il a été bien reçu et qu’il a eu de l’effet. Le personnel du comité peut consulter les mémoires des sous-ministres pour obtenir des rapports sur ces mesures.
Il était essentiel de mesurer le suivi, car il ne peut y avoir de reddition de comptes sans cela. Il est manifeste que le fait de devoir rendre des comptes motive les dirigeants des organisations. Cela ne fait aucun doute.
Même si ce n’est pas tout à fait ce que nous aurions souhaité, tant qu’il y a des progrès, il y a de quoi se sentir encouragé. Je crois que c’est ce que nous avons vu.
La greffière actuelle a poursuivi le travail et a prononcé un discours à la conférence du gouvernement sur la diversité, l’équité et l’inclusion, plus récemment en octobre 2022. C’est un discours percutant qui décrit le genre de mesures que nous devons poursuivre. Elle a donné une véritable lancée à ce dossier.
Je pense donc que nous pouvons être encouragés par ce qui se passe, mais il ne s’agit pas de nous reposer sur nos lauriers. Demeurer à l’écoute et recenser le plus de cas possible, rester résolu et faire preuve de leadership tout en comprenant qu’obtenir des résultats concrets en fait partie, étaient autant d’éléments essentiels à l’appel à l’action et à tout ce qui s’est passé depuis.
Je vais m’arrêter ici et je ferai de mon mieux pour répondre à vos questions.
La présidente : Merci, cher collègue. Je pense que je suis d’accord avec vous lorsque vous dites que l’éducation et les ressources supplémentaires ne vont pas changer la donne, car quand on occupe un poste de direction, on doit savoir distinguer le bien du mal, et savoir quel comportement est acceptable et lequel ne l’est pas.
Je vais commencer par la vice-présidente, la sénatrice Bernard. Chers collègues, nous avons littéralement trois minutes pour les questions et les réponses, alors je vous demanderais d’être brefs. Je m’en voudrais de devoir interrompre mes collègues ou les témoins, mais cette fois-ci, je devrai le faire au besoin. Merci.
La sénatrice Bernard : Merci, sénateur, d’être parmi nous ce soir. Merci de votre leadership. Merci de votre appel à l’action, mais aussi de votre engagement et de votre profond dévouement à cet égard.
J’aimerais vous inviter à nous préciser les réserves que vous avez à l’endroit des recommandations que nous avons entendues au sujet de l’éducation et du manque de ressources. Parfois, les gens pensent qu’il suffira d’obtenir plus d’argent et de mettre en place plus de formation pour que les choses s’améliorent. Vous n’êtes pas d’accord. Je vous demande de nous dire pourquoi et si vous avez d’autres suggestions.
Le sénateur Shugart : Je n’affirme nullement qu’il ne serait pas utile d’avoir des ressources pour nous aider à comprendre, à mettre en place de meilleurs systèmes et à obtenir des données désagrégées — ce qui se fait également, soit dit en passant. L’éducation est un élément absolument fondamental de ce que nous devons faire. Ce que je n’accepte pas, c’est qu’on l’évoque comme excuse en cas d’inaction.
Je vais vous donner un exemple. À mon avis, nous n’avions pas assez de cadres supérieurs noirs, de personnes de couleur ou d’Autochtones. La situation a changé depuis et elle ne pourra que s’améliorer au fil du temps. Mais pour y arriver, ce n’était pas juste une question d’éducation. Il a fallu prendre des décisions.
Je me souviens d’avoir rencontré quelqu’un — je ne nommerai personne. Je ne vous donnerai aucune piste de qui il s’agit. Mais l’information que j’avais au sujet de ce ou cette collègue c’était qu’il ou elle n’était « pas tout à fait prêt ou prête ». Je me suis entretenu avec cette personne pendant plus d’une heure dans mon bureau. Je lui ai posé des questions comme : « Aimeriez‑vous être sous-ministre? Pensez-vous que vous pourriez être sous-ministre? Que signifie le leadership pour vous? Parlez-moi de votre famille. » Toutes sortes de choses. Nous avons causé pendant plus d’une heure. À la fin de notre entretien, je ne voyais aucune raison pour que cette personne ne puisse pas être sous‑ministre ou sous-ministre déléguée, ce qui est en quelque sorte la façon de former les sous-ministres.
Nous avons nommé cette personne et elle a fait un excellent travail. Mais trop souvent, « pas prêt » est une excuse inconsciente ou une autre façon de dire « pas comme nous ». Ça ne fait pas l’affaire. L’éducation ne réglera pas ce problème. L’antidote se compose de détermination et peut-être d’un peu de pression venant d’en haut, ainsi que du temps consacré à l’écoute.
La sénatrice Jaffer : Je suis du même avis que la sénatrice Bernard, alors je vais simplement poser ma question. En plus de « ne pas être prêt », l’autre expression c’est « ils sont introuvables ». « Nous sommes enthousiastes, mais nous ne pouvons pas les trouver. » Comment peut-on répondre à des affirmations comme « Vous savez, il n’y a tout simplement personne ». « Nous aimerions leur donner une promotion, mais ils sont introuvables. »
Le sénateur Shugart : Ils sont là.
La sénatrice Jaffer : Comment encourager...
Le sénateur Shugart : Ils sont devant nous. Les données montrent qu’ils sont là. Il n’y en a peut-être pas assez, alors nous devons aussi les recruter à l’externe. Nous aurons peut-être besoin d’aide à cet égard. Tout cela ne se fera pas du jour au lendemain. Il faudra parfois plus de temps que nous le voudrions. Mais nous pouvons faire des progrès.
Nous savons que si nous mettons en place des mesures de soutien pour aider les gens à accroître leur leadership et à s’adapter aux systèmes et à ce qui les attend, au mentorat, aux cours et à ce genre de choses, ils sont là.
La sénatrice Jaffer : Je ne sais pas — je préside le Comité des droits de la personne depuis assez longtemps, et tous les rapports que nous avons examinés sur la fonction publique fédérale disaient que les sous-ministres devaient être plus... des propos que je ne me donnerai pas la peine de répéter ici. Et il n’y a eu aucun résultat. Nous avons même dit que les sous-ministres devraient être rémunérés en fonction de l’équité dont ils font preuve au chapitre des promotions.
Qu’avez-vous fait pour y arriver cette fois-ci?
Le sénateur Shugart : Eh bien, nous avons exigé des rapports et nous avons publié les résultats de ce qui a été fait. Je pense qu’il y avait aussi un facteur temps, puisque suffisamment d’entre nous savaient que le moment était venu et que la chose ne se ferait pas toute seule. Aussi, nous en avons fait une véritable priorité que les gens ont su reconnaître, et je pense que cela a fait une différence. Nous en avons beaucoup parlé et les gens se sont convaincus.
Or, ce n’était pas à tous les niveaux, et il faudra aussi du temps et beaucoup d’efforts de la part des plus hauts dirigeants. Mais il fallait un effet en cascade. Ces choses ne sont pas toujours quantifiables. Il y a toujours un élément quelconque qui nous échappe, difficile à définir, mais je pense que le moment était venu.
La sénatrice Jaffer : Merci.
Le sénateur Arnot : Merci, sénateur Shugart, et merci de votre leadership dans ce dossier.
Je pense que le comité a vu une vérité de chez nous selon laquelle le racisme est profondément ancré dans la culture canadienne, qu’on ne peut pas l’ignorer et qu’il faut changer cette culture. Votre appel à l’action cherchait à changer la culture dans la fonction publique fédérale, mais vous avez affaire à une cohorte de personnes, des adultes, qui ont leurs propres préjugés, qu’ils les reconnaissent ou non.
Je pense qu’il faut accélérer le changement nécessaire dans la culture canadienne en commençant à un âge beaucoup plus jeune, de la maternelle à la 12e année. Je crois au pouvoir de l’éducation. Je pense que nous devons investir dans le système scolaire sciemment, de façon séquentielle et délibérée pour inculquer à nos jeunes élèves au Canada les droits, les responsabilités, le respect et les compétences essentielles de la citoyenneté canadienne afin d’avoir une population adulte bien informée, ce qui facilitera d’autant plus le genre de changement qui s’impose.
Je me demandais simplement, monsieur, si vous pouviez commenter cela. Il existe des ressources au Canada pour faire exactement ce dont j’ai parlé. Et je crois que Patrimoine canadien a un rôle fondamental à jouer pour promouvoir ce dossier, car il y va de la fierté de se sentir canadien. Il est pourtant évident que de nombreux Canadiens ne comprennent pas vraiment ces questions.
Le sénateur Shugart : Sénateur, je suis tout à fait d’accord au sujet de l’éducation. L’éducation peut prendre de nombreuses formes. Elle peut se faire par l’exemple. Elle peut se faire à l’aide de ressources officielles. Il peut s’agir d’une formation requise avant qu’une personne n’assume ses responsabilités de leadership, etc.
Je pense que les jeunes sont la clé. Je tiens à préciser que mon rôle dans ce dossier ne devrait pas être surestimé. Ce sont les employés eux-mêmes qui m’ont appris ce à quoi ils faisaient face et qui m’ont présenté leurs arguments. J’étais prêt à les écouter, et cela a fait une grande différence. Mais ce sont eux qui m’ont décrit la réalité vécue dans les tranchées. À ma grande déception à l’époque, pour des motifs au-delà de mon contrôle, on a transféré mes responsabilités à quelqu’un d’autre. Je n’y étais pour rien.
Nous ne contrôlons pas notre propre situation. Je le sais mieux que personne. Cela signifie que nous devons élargir la base et multiplier les champions de la cause. Les jeunes ne sont pas invulnérables au racisme, aux préjugés et à l’hostilité, mais ils sont notre meilleur espoir.
Me voici donc — à l’époque j’étais un homme plus âgé, blanc et hétéro — lançant un appel à l’action à la fonction publique. J’ai été surpris de me lier d’amitié avec des employés noirs ou autochtones qui me considéraient comme l’un des leurs parce que je lançais cet appel. Ce fut l’un des plus grands honneurs de ma carrière.
La présidente : Merci, sénateur.
La sénatrice Pate : Merci beaucoup, sénateur Shugart. Je me fais l’écho des propos de mes collègues et je vous remercie de votre leadership. À mon humble avis, votre humilité démontre que vous prêchez par l’exemple.
À votre avis, quelles seraient les mesures à prendre pour aller de l’avant? De plus, à la lumière du racisme systémique qui a été mis au jour à la Commission canadienne des droits de la personne, ou CCDP, et de façon plus générale, quelles sont les mesures que vous verriez — en plus de ce que vous avez déjà dit — qui pourraient régler les problèmes à la CCDP, mais aussi les régler plus en profondeur dans l’ensemble de la fonction publique?
Le sénateur Shugart : Il ne fait aucun doute, sénatrice, qu’il y a des cas où un diagnostic très précis est nécessaire — faire une analyse approfondie de ce qui se passe et prendre parfois des mesures très normatives et correctives. Je ne me prononcerai pas sur la question de savoir si cela s’applique dans ce cas-ci. Mais le comité le saura. En voilà une.
L’autre, c’est de continuer dans la voie de l’éducation et des actions qui conviennent aux organisations. L’une des choses que nous avons faites en rendant les ministères responsables des politiques et des décisions en matière de ressources humaines, c’est que nous leur laissons le soin de déterminer ce qui est approprié. C’est un défi, alors nous devons les obliger à rendre compte de ce qu’ils en font. Par conséquent, je pense que le mécanisme de rapport, qui figure dans l’appel à l’action du greffier et que le greffier actuel a poursuivi, est approprié.
Je pense que l’éducation et le changement de culture par le recrutement sont également appropriés. Nous ne pouvons tout simplement pas oublier que nous sommes chargés de cette tâche dans la fonction publique. Nous l’avons partout au Canada, mais dans la fonction publique, qui est financée par les Canadiens et qui sert les Canadiens, nous devrions en être un exemple.
[Français]
La sénatrice Gerba : Merci, cher collègue, sénateur Shugart, d’être ici. C’est vraiment très touchant. Je comprends grâce à votre témoignage que cela prend un appel à l’action qui vient de chacun de nous en tant que leader, et votre leadership est vraiment très louable.
Comment faire en sorte qu’il y ait plus d’Ian Shugart dans la fonction publique, afin qu’on puisse comprendre ce que vivent les Noirs et amener cet appel à l’action à se multiplier au sein de la fonction publique?
Le sénateur Shugart : Je dirais premièrement que le clonage est illégal au Canada! Deuxièmement, il y a plusieurs Ian Shugart. Troisièmement, il existe des initiatives, probablement pas au sein de chacun des ministères, mais au sein de plusieurs d’entre eux. Il y a de petites cellules qui offrent l’occasion de partager les différentes expériences, et j’applaudis ce genre d’initiatives parce que cela encourage le partage d’informations concrètes concernant les employés affectés par le racisme avec d’autres employés.
C’est très important d’avoir de tels mécanismes en place.
Finalement, il y a la responsabilité d’agir sur la base des connaissances. Nous savons qu’il y a des problèmes. Nous savons, par le truchement des données, où se trouvent les problèmes et quelquefois il faut simplement dire —
[Traduction]
... nous allons avoir ce nombre ou ce pourcentage de personnes racisées à ce niveau...
[Français]
— afin d’atteindre des cibles et un niveau de représentation ou de diversité dans l’organisation. Il s’agit donc d’une combinaison de mécanismes souples et fermes pour atteindre l’objectif souhaité.
La sénatrice Gerba : D’accord.
En ce qui a trait aux promotions au sein de la fonction publique, par exemple, croyez-vous qu’il faudrait revoir les formulaires d’évaluation? Le système parle du mécanisme de recrutement et de promotion. Selon vous, faut-il revoir tout ce système de recrutement pour qu’il soit plus transparent et si oui, comment procéder pour y arriver?
Le sénateur Shugart : C’est possible; il faut inclure l’objectif d’équité dans le système. Cela doit être une réalité et il faut mettre en œuvre cette pratique et l’utiliser. C’est bien possible. On fait des progrès qui démontrent que c’est possible.
La sénatrice Gerba : Merci.
[Traduction]
La présidente : Sénatrice Bernard, je n’aime pas être porteuse de mauvaises nouvelles, mais il vous reste deux minutes.
La sénatrice Bernard : Je serai très brève. Sénateur, ma question fait suite à celle de la sénatrice Gerba. Vous avez notamment parlé de cibles, mais n’est-ce pas ce que l’équité en matière d’emploi est censée fixer? Cela est en place depuis 1986, alors pourquoi n’avons-nous pas vu de progrès pour les groupes ciblés qui sont protégés par la loi et par l’équité en matière d’emploi?
Le sénateur Shugart : Je l’ignore. Je suppose que c’est parce que la loi elle-même est rédigée de manière à ce que la prédominance d’autres facteurs l’emporte sur celle des objectifs d’équité. En d’autres termes, une loi permissive ou ambitieuse n’aura pas nécessairement le même effet qu’une loi plus sévère ou plus contraignante.
Je ne veux pas commenter sans avoir analysé pourquoi cela ne s’est pas produit.
La sénatrice Bernard : Oui.
Pourriez-vous nous dire très brièvement pourquoi vous avez jugé nécessaire de parler précisément des Canadiens noirs dans l’appel à l’action?
Le sénateur Shugart : Ce sont nos employés noirs qui se sont définis comme groupe distinct. Les données ont montré que des conséquences ou des limitations spécifiques touchaient les employés noirs, et ils ont formulé une vision de leur propre expérience qui a fait ressortir qu’il s’agissait d’un groupe de collègues dont nous devions être conscients et dont nous devions nous occuper, et c’est ce que nous avons fait.
La sénatrice Bernard : Merci.
Bien sûr, en vertu de la Loi sur l’équité en matière d’emploi, ils sont classés dans la catégorie des minorités visibles, alors vous les avez séparés.
Le sénateur Shugart : Oui, et je pense que cela avait déjà été le cas de facto. Bien sûr, un recours collectif a été organisé sur cette base. Nous avons simplement reconnu la réalité.
La sénatrice Bernard : Nous avons « reconnu la réalité ». Merci.
La présidente : Merci, sénateur Shugart, de votre témoignage et de tout le travail que vous avez accompli. J’ai hâte d’en apprendre davantage de votre part.
Honorables sénateurs, nous passons à notre quatrième et dernier groupe de témoins de la journée. La témoin a été invitée à faire une déclaration liminaire de cinq minutes, après quoi nous passerons aux questions des sénateurs. Je souhaite la bienvenue à Harini Sivalingam, directrice du Programme d’égalité à l’Association canadienne des libertés civiles, qui se joint à nous par vidéoconférence. J’invite maintenant Mme Sivalingam à nous faire son exposé.
Harini Sivalingam, directrice, Programme pour l’égalité, Association canadienne des libertés civiles : Merci, madame la présidente, de m’avoir invitée à comparaître devant le comité au sujet de cette importante question nationale. Je me joins à vous virtuellement aujourd’hui depuis le territoire traditionnel de la Confédération Haudenosaunee, des Hurons-Wendat et des Petun, ainsi que des signataires de traités actuels, la Première Nation des Mississaugas de Credit.
L’Association canadienne des libertés civiles, aussi appelée l’ACLC, est un organisme indépendant, non partisan et sans but lucratif qui fait la promotion des droits et libertés de tous les peuples du Canada. Nous nous joignons à la communauté noire pour condamner le racisme, le sexisme et la discrimination systémique contre les Noirs à la Commission canadienne des droits de la personne.
La conclusion du Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada sur le racisme contre les Noirs à la commission amplifie ce qui a été une réalité connue et vécue par de nombreux membres des communautés noires, à savoir que le racisme, le sexisme et la discrimination systémique contre les Noirs sont omniprésents dans nos institutions publiques. Nous avons appris que la commission avait rejeté de manière disproportionnée les plaintes fondées sur la race, en particulier des plaintes de racisme contre les Noirs. Selon les rapports annuels de la commission, en 2021, 31 % des plaignants se sont déclarés noirs, alors qu’en 2022, seulement 8 % des plaignants se sont déclarés Noirs.
Les plaintes de racisme sont souvent les plus difficiles à traiter. C’est précisément le genre de plaintes qui nécessitent plus de soutien et de ressources de la part du système des droits de la personne. Par conséquent, nous exhortons fortement la commission à rendre des comptes et à mettre en œuvre des mesures rigoureuses pour lutter contre le racisme, le sexisme et la discrimination systémique à l’interne, dans ses propres pratiques et à l’externe, dans la façon dont elle traite les allégations de discrimination fondée sur la race.
Nous exhortons également les membres du comité à profiter de cette occasion pour apporter des changements significatifs et efficaces au système fédéral des droits de la personne afin de répondre aux besoins des communautés noires, autochtones et racisées au Canada.
L’ACLC a joué un rôle clé au sein des organisations de la société civile qui ont préconisé la création de la commission ainsi que de la Commission ontarienne des droits de la personne dans les années 1970. Les institutions nationales des droits de la personne jouent un rôle important dans la défense des droits et libertés au Canada. Elles ont été décrites comme les pierres angulaires de la protection des droits de la personne. Ces organismes jouent un rôle unique en étant des enquêteurs qui agissent indépendamment du gouvernement quant aux plaintes relatives aux droits de la personne. Et ils offrent un mécanisme moins intimidant que les tribunaux pour ceux dont les droits et libertés ont été violés.
Pourtant, comme nous l’avons vu et entendu, ces institutions ne sont pas à l’abri du racisme dirigé contre les Noirs, du sexisme et de la discrimination systémique.
L’état actuel de la Commission canadienne des droits de la personne ne peut être négligé. Cependant, il est essentiel de veiller à ce que la protection des droits et libertés au Canada soit mieux financée, plus accessible et plus représentative pour les communautés marginalisées et vulnérables.
Nos recommandations pour promouvoir les droits de la personne au Canada reposent sur un certain nombre de principes clés. Premièrement, il faut veiller à ce que le système fédéral des droits de la personne soit suffisamment financé et doté des ressources nécessaires. Sans ressources et financement adéquats, même les systèmes les plus théoriquement idéaux sont voués à l’échec. Le niveau de financement actuel ne permet pas au système fédéral de soutenir la protection et la promotion des droits de la personne.
De plus, il faut prendre des mesures concrètes pour doter de façon représentative le système fédéral des droits de la personne avec des candidats qui ont une expérience des pratiques antiracistes. La composition des décideurs, des dirigeants et des autres membres du personnel des institutions fédérales des droits de la personne devrait refléter et représenter les réalités, les expériences et les points de vue des peuples autochtones, noirs et racisés au Canada. Pour assurer une représentation significative, il faut mettre en œuvre des pratiques de lutte contre le racisme en milieu de travail quant aux personnes qui sont admises, celles qui sont renvoyées et celles qui sont promues, en particulier, dans les fonctions de prise de décisions et de contrôle.
Le système fédéral des droits de la personne doit être accessible aux membres les plus marginalisés et les plus vulnérables de nos collectivités. Pour de nombreuses communautés marginalisées et vulnérables, le système des droits de la personne demeure inaccessible. Faire avancer les plaintes par l’entremise du système fédéral des droits de la personne est un combat difficile; les plaignants se retrouvent souvent dans une situation de David contre Goliath. Tous les répondants sont de grands acteurs institutionnels, comme le gouvernement fédéral ou l’industrie sous réglementation fédérale, qui disposent de ressources suffisantes pour lutter contre de telles allégations. Par exemple, 57 % des plaignants au tribunal en 2022 n’étaient pas représentés par un avocat, tandis qu’une majorité écrasante des répondants, soit 94 %, était représentée par un avocat.
Il faut effectuer un examen exhaustif de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Cette loi a grand besoin d’une refonte. Aucune réforme importante n’a été apportée à la loi au cours des 25 dernières années. Par exemple, un élément de la Loi qui a désespérément besoin d’être mis à jour comprend le plafond législatif des indemnités spéciales de 20 000 $, ce qui est beaucoup trop bas par rapport aux normes actuelles.
Des améliorations sont également recommandées pour assurer un système fédéral des droits de la personne adéquatement financé, bien doté en ressources et en personnel représentatif.
Tout en conservant le mandat d’une structure de commission améliorée, dotée d’un solide pouvoir d’enquête pour poursuivre des causes types, des interventions et des causes systémiques, il devrait également y avoir une certaine marge de manœuvre pour un accès direct au tribunal qui élimine les obstacles à l’arbitrage, des ressources juridiques financées, des mesures de soutien et des représentations pour les communautés marginalisées afin de s’assurer que leur plainte peut progresser dans le système.
Nous attendons avec impatience la...
La présidente : Je suis désolée de vous interrompre. Je vous ai laissé parler pendant six minutes et nous avons une liste de sénateurs qui ont des questions à poser. Je vous remercie donc de votre témoignage.
Mme Sivalingam : Merci. Je serai heureuse de répondre à vos questions.
La sénatrice Bernard : Merci. Je pense que je vais simplement demander à notre témoin de conclure ses recommandations.
Mme Sivalingam : C’était en fait ma dernière recommandation, ce qui revient à dire qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter. J’allais conclure en disant que nous attendons avec impatience les recommandations de l’étude du Sénat visant à renforcer le cadre des droits de la personne. Je pense que les principes clés ou les éléments clés que je voulais souligner sont qu’un système de droits de la personne représentatif doté de ressources suffisantes et bien financé est absolument essentiel pour s’attaquer à ces problèmes et veiller à ce que les communautés marginalisées puissent faire progresser leurs droits de la personne et protéger leurs libertés.
La sénatrice Bernard : Merci. Je vais donc poser ma question très rapidement. À votre avis, est-ce que d’autres éléments de la loi devraient être examinés et modifiés?
Mme Sivalingam : Oui. À mon avis, quelques éléments de la loi pourraient nécessiter des changements. Il y a d’abord le système de coûts, simplement pour s’assurer que le système des droits de la personne est plus accessible, surtout pour les personnes marginalisées et vulnérables, et pour veiller à ce que les coûts juridiques des plaignants soient couverts dans un système à sens unique, un régime de coûts à sens unique.
L’autre aspect de la loi qui pourrait être amélioré serait de permettre une meilleure compétence concurrente pour que les plaignants aient plus d’autonomie dans le choix de l’instance qu’ils jugent la plus appropriée pour faire valoir leur plainte, que ce soit par le biais du tribunal ou de la procédure syndicale pour régler les griefs, s’ils ont une procédure solide qu’ils aimeraient utiliser. Il s’agit essentiellement de permettre aux plaignants de disposer d’une plus grande marge de manœuvre pour faire valoir leurs plaintes en matière de droits de la personne.
La sénatrice Bernard : Merci.
La sénatrice Jaffer : Merci beaucoup de votre exposé très complet. J’ai une question pour vous. Vous avez dit que l’Association canadienne des libertés civiles porte sur l’égalité. Sans vouloir être impoli, où étiez-vous? Pourquoi a-t-il fallu tant de temps pour en arriver là?
Mme Sivalingam : Je pense que c’est une question très importante. Nous faisons la promotion de l’égalité de bien des façons, notamment par le biais des litiges, de l’organisation communautaire et de la défense des droits. Cette question a été portée à notre attention par suite des conclusions du Secrétariat du Conseil du Trésor.
La question du racisme à l’égard des Noirs dans toutes nos institutions publiques est certainement un problème de longue date, et nous prenons beaucoup de mesures pour défendre les communautés marginalisées, la communauté noire et les personnes et les organisations qui s’adressent à nous, y compris avec du soutien juridique.
Quant au mandat de notre organisation, il consiste à intervenir dans des causes, à présenter des causes types et à préconiser des politiques et des réformes. Je pense que notre présence ici est l’une de ces occasions où nous exprimons notre solidarité et faisons entendre notre voix pour soulever cette question et, espérons-le, proposer une recommandation importante au comité; et que vous agissiez en fonction de ce que vous avez entendu non seulement de notre témoignage, mais aussi de la part de membres de la communauté noire qui ont témoigné au cours des semaines précédentes.
La sénatrice Jaffer : Merci.
Le sénateur Arnot : Merci. J’ai trois questions, et je pense que vous êtes bien placé pour y répondre compte tenu de votre travail à l’ACLC.
Pourriez-vous décrire l’efficacité des outils en matière de diversité, d’équité et d’inclusion, peut-être en ce qui a trait à la sensibilisation aux préjugés et à la microagression dans la lutte contre le racisme systémique, en particulier le racisme contre les Noirs? Les outils de diversité, d’équité et d’inclusion, ou de DEI, sont-ils suffisants pour répondre au racisme systémique contre les Noirs?
Troisièmement, en ce qui concerne la réforme de la CCDP, cet organisme est paralysé par un manque de ressources. Ce n’est pas du tout une excuse, mais c’est une explication de certains des problèmes dont nous entendons parler. Je pense qu’elle est sous‑évaluée et, en fait, sous-financée depuis des décennies. Que diriez-vous de formuler des recommandations au sujet des ressources appropriées?
Mme Sivalingam : Je vais répondre à chacune de vos questions le plus brièvement possible.
Pour ce qui est des préjugés inconscients et de l’équité en matière d’emploi, de la diversité et de l’inclusion, ou l’EDI, nous croyons certainement que la formation et l’éducation jouent un rôle, mais ce n’est pas suffisant. On doit changer la culture en milieu de travail. Il faut une volonté politique pour le faire. Un financement est nécessaire. Les ressources ne suffisent pas. Il faut une volonté politique d’apporter ces changements. Je parlais à un consultant en EDI, Kike Ojo, alors que je me préparais à prendre la parole devant vous aujourd’hui, et j’ai vraiment appris beaucoup de choses au sujet de ce genre de pratiques et de ce qu’il faut vraiment faire pour changer la culture en milieu de travail.
Je retiendrai qu’il faut examiner ce qui est encouragé, ce qui est récompensé et ce qui a des conséquences pour changer les comportements. Il faut voir qui est promu et qui est licencié. Quelles pratiques de cette culture d’entreprise sont récompensées et lesquelles ont des conséquences? Par exemple, les gens qui se plaignent de racisme systémique sont-ils entendus? Sont-ils congédiés? Sont-ils punis pour avoir porté plainte? Ou est-ce qu’on promeut les personnes qui font ces gestes qui contribuent au racisme systémique?
Ce qui est encouragé, ce qui est récompensé et ce qui a des conséquences. Cela fait partie de la culture en milieu de travail.
Je pense que cela répond à la deuxième question concernant l’EDI et la lutte contre le racisme, la discrimination et les pratiques systémiques. Il faudra plus que l’EDI pour y parvenir. Il faut vraiment changer la culture et la représentation, ce qui est aussi l’une de mes principales recommandations. Ceux qui occupent ces postes doivent avoir fait leurs preuves dans la lutte contre le racisme. Il y a plusieurs façons d’obtenir ces résultats.
Rapidement, quant à la troisième question sur la refonte de la Commission canadienne des droits de la personne et de la représentation...
Le sénateur Arnot : Veiller à ce qu’elle obtienne le financement nécessaire pour accomplir la tâche requise pour réussir.
Mme Sivalingam : Absolument. C’est l’un de mes trois messages clés. Il faut avoir un système bien financé, mais même les systèmes les mieux financés ont besoin d’une volonté politique. À l’heure actuelle, cet organisme n’a pas la capacité ou les ressources nécessaires, alors nous devons nous assurer que cela ne sert pas d’excuse pour ne pas faire le travail qui s’impose.
Le sénateur Arnot : Merci.
La sénatrice Hartling : Merci, madame la présidente, et merci à la témoin. Vous nous fournissez beaucoup de renseignements très utiles. J’ai beaucoup apprécié le mémoire que vous nous avez envoyé.
Dans votre mémoire, vous dites que l’ACLC a joué un rôle clé en préconisant la création de la Commission canadienne des droits de la personne et que la commission peut être une tribune plus accessible et moins intimidante qu’un tribunal pour ceux dont les droits sont violés.
Croyez-vous que la commission a joué son rôle pour les Canadiens noirs et, sinon, qu’est-ce qui doit changer? Merci.
Mme Sivalingam : Le système, dans sa forme actuelle, n’a pas été à la hauteur de ses propres idéaux de promotion et de protection des droits de la personne. Elle n’a certainement pas tenu la promesse qu’elle a faite à la communauté noire. Nous l’avons vu et nous l’avons entendu dans les témoignages et dans le rapport du Secrétariat du Conseil du Trésor. Nous avons également vu et entendu cela, non seulement dans ses propres pratiques d’emploi, mais aussi dans la façon dont elle traite les plaintes qui lui sont présentées, les plaintes de racisme contre les Noirs. Oui, elle a échoué à cet égard.
Le racisme dans ces institutions peut être éliminé. On peut changer la culture et les pratiques en milieu de travail pour que ces institutions soient non seulement non racistes, mais aussi antiracistes.
Nous devons accepter le fait que notre pays dans son ensemble a fait preuve de racisme contre les Noirs pendant des siècles. Il est profondément ancré dans toutes ces institutions publiques, mais il peut aussi être éliminé. On peut également éliminer le racisme qui a été à la base de ces institutions pendant des siècles.
La sénatrice Hartling : Merci.
La sénatrice Pate : Je remercie la témoin. Je vous remercie de votre travail particulier dans ce domaine.
Ma question fait suite à celle de certains de mes collègues, plus spécifiquement pour l’Association canadienne des libertés civiles, mais aussi pour d’autres organisations de libertés civiles.
L’un des défis liés au racisme, à d’autres formes de discrimination, est la réponse qui est souvent donnée, à savoir qu’il ne s’agit pas de racisme, mais de liberté d’expression. Parfois, votre organisation, et d’autres ont dû défendre ce genre de position. J’aimerais savoir comment vous voyez cela dans le contexte général.
Bien sûr, lorsque vous défendez la liberté d’expression, vous défendez parfois celle de quelqu’un qui fait ouvertement de la discrimination, y compris le racisme contre les Noirs. Je suis curieuse de savoir comment vous vous y prenez au sein de l’organisation et ce que nous pourrions apprendre à titre de comité pour éclairer une partie de notre discussion.
Mme Sivalingam : Merci. Il s’agit d’une tension importante qui survient dans de nombreuses organisations. Nous valorisons les libertés fondamentales. Nous faisons la promotion de l’égalité. En fait, j’ai dit plus tôt, lors d’une réunion du personnel, que ces deux concepts ne s’excluent pas mutuellement.
Pour atteindre et réaliser la pleine égalité, les groupes vulnérables et marginalisés, les groupes en quête d’équité, doivent pouvoir exercer pleinement leurs libertés et leurs droits fondamentaux.
Cependant, les libertés fondamentales — comme la liberté de parole, la liberté d’expression et la liberté de religion — n’ont pas de sens si elles ne sont pas respectées de manière égale pour tous les groupes.
Je ne veux pas dire qu’opposer l’égalité et les libertés fondamentales est une fausse dichotomie. Au contraire, elles peuvent coexister et elles le font parce que les groupes en quête d’équité ont aussi besoin d’avoir ce droit à la liberté d’expression, le droit de manifester et toutes ces libertés fondamentales afin d’exercer pleinement leurs droits à l’égalité.
La sénatrice Pate : Merci.
[Français]
La sénatrice Gerba : Merci beaucoup pour votre témoignage et pour les informations que vous nous avez fournies. Vous avez indiqué dans vos propos liminaires que notre système devrait être accessible à tous.
Or, vous avez relevé qu’il tenait plus de David contre Goliath, c’est-à-dire que 50 % des plaignants n’avaient pas de défendeur. Certains nous ont confirmé ici qu’il était très difficile d’obtenir gain que cause, parce qu’il fallait faire la preuve qu’il s’agissait d’un problème de racisme.
J’ai deux questions à vous poser. D’abord, comment faire pour que le fardeau de la preuve ne repose pas toujours sur les épaules du plaignant? Deuxièmement, croyez-vous que le passage à un système plus direct serait susceptible de le rendre plus accessible aux minorités noires?
[Traduction]
Mme Sivalingam : Merci. Je vais d’abord répondre à la dernière question. Les commissions de l’Ontario, de la Colombie-Britannique et du Nunavut, qui ont un modèle d’accès direct, nous ont montré qu’elles peuvent fonctionner si elles sont bien financées et dotées des ressources nécessaires.
Nous ne préconisons pas un système plutôt qu’un autre. Nous sommes d’avis qu’une structure semblable à celle d’une commission a un rôle important à jouer pour faire avancer des cas systémiques importants, des cas types. Ils ont de solides pouvoirs d’enquête qui sont nécessaires pour, encore une fois, constituer la base de preuve dont je parlerai lorsque je répondrai à votre première question.
Nous croyons également que les plaignants devraient avoir le droit de choisir, d’avoir la possibilité de s’adresser directement au tribunal. Par exemple, un plaignant devrait avoir la possibilité de poursuivre sa démarche si la commission ne donne pas suite à sa plainte.
Il devrait alors pouvoir porter sa plainte directement devant le tribunal. Un accès direct au tribunal devrait exister en parallèle avec une commission solide, parce que nous pensons que la commission a un rôle à jouer pour faire avancer les grands enjeux systémiques des droits de la personne.
Pour revenir à votre première question sur le fardeau de la preuve, comme je l’ai mentionné, j’ai parlé à de nombreux avocats qui avaient vraiment beaucoup à dire au sujet des difficultés qu’il y a à présenter des revendications de la commission au tribunal des droits de la personne.
Ils ont dit qu’il y avait beaucoup d’obstacles. Le fardeau de la preuve qui consiste à essayer de prouver, comment prouver la discrimination? Les gens qui ont fait de la discrimination ne laissent pas une trace écrite. Comment peut-on prouver cela et en faire la démonstration? Il s’agit d’une bataille difficile. Je ne sais pas si j’ai des réponses à ces questions. Cela pourrait se faire par le biais d’une commission qui participe activement et qui dispose de plus de ressources pour retracer les faits en utilisant des ressources comme la capacité d’assigner des témoins à comparaître, avec un fort pouvoir d’enquête, et la possibilité d’entendre des experts qui peuvent témoigner au sujet du racisme systémique dans certaines industries. Cela contribuerait certainement à alléger le fardeau de la preuve pour les plaignants.
La présidente : Je tiens à remercier la témoin d’avoir accepté de participer à cette étude.
Chers collègues et invités, la partie publique de notre réunion est maintenant terminée. Nous allons poursuivre à huis clos pour discuter d’un projet d’ordre du jour.
(La séance se poursuit à huis clos.)