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RIDR - Comité permanent

Droits de la personne


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES DROITS DE LA PERSONNE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le lundi 12 juin 2023

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd’hui, à 17 h 3 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier la teneur du projet de loi C-41, Loi modifiant le Code criminel et d’autres lois en conséquence; et à huis clos, pour l’étude d’un projet d’ordre du jour (travaux futurs) et pour examiner les questions qui pourraient survenir concernant les droits de la personne en général.

La sénatrice Salma Ataullahjan (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Je suis Salma Ataullahjan, sénatrice de Toronto et présidente du comité. Aujourd’hui, nous tenons une audience publique du Comité sénatorial permanent des droits de la personne. Je vais laisser les membres du comité qui participent à la séance se présenter, en commençant par la vice-présidente.

La sénatrice Bernard : Wanda Thomas Bernard, Nouvelle-Écosse.

[Français]

Le sénateur Dalphond : Pierre Dalphond, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Omidvar : Ratna Omidvar, Ontario.

[Français]

La sénatrice Gerba : Amina Gerba, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Jaffer : Mobina Jaffer, de la Colombie-Britannique. Bienvenue, monsieur le ministre.

Le sénateur Arnot : David Arnot, de la Saskatchewan.

La présidente : Merci, sénateurs et sénatrices.

Aujourd’hui, notre comité examinera la teneur du projet de loi C-41, Loi modifiant le Code criminel et d’autres lois en conséquence, déposé à la Chambre des communes le 9 mars 2023, afin que ce projet de loi soit soumis au Sénat.

Chers collègues, permettez-moi de vous rappeler que le projet de loi a été présenté moins d’un mois après que le comité a déposé au Sénat son rapport sur les restrictions du Canada à l’aide humanitaire en Afghanistan à la suite de notre étude ponctuelle en décembre 2002. Le rapport a été adopté par le Sénat le 16 février 2023, et était accompagné d’une demande de réponse du gouvernement. La réponse devrait être renvoyée au comité le 16 juillet 2023. Autrement dit, le comité a reconnu l’an dernier l’urgence de la situation.

Permettez-moi de fournir quelques détails concernant notre réunion d’aujourd’hui. Cet après-midi, nous recevrons deux groupes de témoins. Dans chaque groupe, nous entendrons les témoins, puis les sénateurs auront une période de questions et de réponses.

Je vais présenter notre premier groupe de témoins. Je tiens à vous souhaiter la bienvenue en personne à la table aujourd’hui, monsieur Mendicino, ministre de la Sécurité publique. Le ministre Mendicino a été invité à présenter une déclaration liminaire de huit minutes. Nous entendrons le ministre, puis passerons aux questions des sénateurs.

Je souhaite accueillir à la table les fonctionnaires de quatre ministères qui accompagnent le ministre aujourd’hui : Richard Bilodeau, directeur général, de Sécurité publique Canada; Me Robert Brookfield, directeur général et avocat général principal, et Me Glenn Gilmour, avocat, Section de la politique en matière de droit pénal, de Justice Canada; Selena Beattie, directrice générale, Politique et sensibilisation, d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada; et Jennifer Loten, directrice générale, Bureau du crime international et du terrorisme, d’Affaires mondiales Canada.

J’invite maintenant l’honorable Marco Mendicino à présenter son exposé.

L’honorable Marco E.L. Mendicino, C.P., député, ministre de la Sécurité publique : Merci beaucoup, madame la présidente.

Honorables membres du comité et sénateurs et sénatrices, je vous remercie de m’avoir donné la possibilité de m’adresser à vous aujourd’hui. J’aimerais commencer par reconnaître que nous sommes ici sur le territoire traditionnel du peuple algonquin anishinabe.

Je me présente devant vous aujourd’hui pour discuter du projet de loi C-41. Cette législation vise à aborder des aspects importants de la crise qui s’aggrave en Afghanistan et répond aux appels des agences d’aide humanitaire canadiennes qui souhaitent pouvoir apporter une aide à un pays qui, bien honnêtement, est au bord du gouffre.

[Français]

Mesdames et messieurs les sénateurs, je sais que je n’ai pas à vous informer des défis auxquels sont confrontés les citoyens afghans. Le travail que vous avez accompli en étudiant les lois canadiennes sur le financement du terrorisme au milieu du conflit a constitué une contribution inestimable à l’examen de la législation qui vous est présentée.

[Traduction]

Je tiens à remercier chacun d’entre vous de votre diligence et de vos efforts inlassables pour défendre une cause qui, nous le savons, a des répercussions sur des milliers et des milliers de vies, voire plus. Je sais que j’ai eu le privilège de travailler avec certains d’entre vous directement pour aider le peuple afghan et, surtout, ceux qui souffrent d’une crise humanitaire. Nous sommes impatients de poursuivre notre collaboration avec vous tous.

Madame la présidente, c’est vous qui l’avez dit le mieux en décembre, et je vous cite : « La vie de millions de civils afghans — principalement des femmes et des enfants — est en danger. » Vous avez exhorté le gouvernement à agir. Nous vous avons écoutée et nous agissons.

Comme nous le savons tous, le Code criminel contient des dispositions strictes en matière de lutte contre le financement des activités terroristes. Plus précisément, il est interdit de fournir ou de mettre à disposition, directement ou indirectement, des biens en sachant qu’ils pourraient être utilisés par un groupe terroriste ou qui lui bénéficieraient. En d’autres termes, comme l’autorité de facto en Afghanistan — les talibans — est un groupe terroriste, l’acheminement de l’aide leur profiterait inévitablement, par l’intermédiaire de l’impôt et d’autres taxes, ce qui signifie que toute organisation canadienne, y compris un ministère du gouvernement du Canada, qui tente d’apporter une aide en Afghanistan risque d’enfreindre la loi.

Madame la présidente, des Afghans innocents souffrent. Leurs vies sont en danger. Nous devons les aider.

[Français]

Il est donc essentiel que le Canada continue à fournir une aide internationale et des services d’immigration tels que des passages sécurisés, non seulement en Afghanistan, mais dans toute zone géographique susceptible d’être contrôlée par des groupes terroristes.

[Traduction]

Le projet de loi prévoit une exemption pour les activités d’assistance humanitaire visant à sauver des vies, et facilite certains autres types d’assistance internationale dans les zones géographiques contrôlées par un groupe terroriste. Cela créerait également une exemption d’aide humanitaire des infractions de financement des activités terroristes prévues dans le Code criminel, dans le seul but de réaliser des activités d’aide humanitaire menées par des organisations humanitaires impartiales en conformité avec le droit international ou, en d’autres mots, une exception humanitaire.

En plus de cette exemption, le projet de loi C-41 permettrait aux personnes et aux organisations admissibles d’obtenir des autorisations qui les mettraient à l’abri de toute responsabilité criminelle pour certaines autres activités d’aide au développement, à des fins précises, dans une zone géographique contrôlée par un groupe terroriste.

[Français]

Cela comprend la prestation de certains types d’aide, tels que les services de santé et d’éducation, et les programmes relatifs aux droits de la personne, ainsi que les services de soutien liés à l’immigration, y compris les efforts de réinstallation et les activités de passage sécuritaires.

[Traduction]

Je tiens à souligner, madame la présidente, que l’exemption de l’aide humanitaire et le régime d’autorisation ne seraient pas limités à l’Afghanistan. Ils s’appliqueraient à toute zone géographique contrôlée par un groupe terroriste afin de pouvoir répondre à des situations similaires. Le projet de loi vise à répondre à l’urgence des crises humanitaires en Afghanistan et ailleurs.

Si les activités des organisations humanitaires impartiales relèvent uniquement de l’aide humanitaire, cette exclusion leur serait applicable. Nous avons écouté les organisations humanitaires, telles que la coalition Aid for Afghanistan et Médecins sans frontières, ou MSF, afin de renforcer cette législation. Ces amendements ont été inclus afin d’aider les organisations qui souhaitent demander une autorisation pour mener à bien les autres formes d’aide internationale couvertes par le régime d’autorisations.

En outre, le projet de loi C-41 prévoit la mise en œuvre d’un régime qui autoriserait une série d’autres activités permises. Il s’agirait notamment d’activités destinées à soutenir la viabilité à long terme des populations vulnérables, y compris la nécessité de soutenir les femmes et les filles et leur participation sûre et significative à la société. Bien sûr, je m’empresse d’ajouter que nous savons que, en Afghanistan en particulier, les talibans ciblent des femmes et des jeunes filles et d’autres minorités qui ont été victimes d’injustices, de préjudices, de torture et de meurtres.

[Français]

Dans le cadre de ce régime d’autorisation, en tant que ministre de la Sécurité publique, j’examinerais les demandes transmises par la ministre des Affaires étrangères ou le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, qui devront d’abord s’assurer que certaines conditions sont remplies.

[Traduction]

Une fois la demande reçue, la communauté de la sécurité nationale procéderait à un examen de sécurité afin d’évaluer l’impact de l’octroi de l’autorisation sur le financement des activités terroristes. Parmi les facteurs à prendre en considération figure la question de savoir si les demandeurs ou les personnes participant à la mise en œuvre des activités proposées ont des liens avec des groupes terroristes ou ont fait l’objet d’une enquête pour avoir commis un délit de terrorisme ou ont été accusés d’un tel délit. L’autorisation pourrait être accordée une fois que le ministre de la Sécurité publique — la fonction que j’exerce — se sera assuré qu’il n’existe aucun moyen pratique d’entreprendre l’activité proposée sans risque de financement d’activités terroristes et que les avantages de l’activité proposée l’emportent sur le risque de financement d’activités terroristes. L’évaluation des avantages et des risques sera déterminée compte tenu de la saisine de la ministre des Affaires étrangères ou du ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, des conclusions de l’enquête de sécurité, des mesures visant à atténuer les risques et de tout autre facteur jugé approprié.

J’ai entendu des préoccupations concernant le pouvoir discrétionnaire du ministre en matière d’autorisations. J’aimerais insister dès le départ, madame la présidente, pour dire que si une demande est refusée, les demandeurs, bien sûr, pourront exercer un recours au moyen d’un contrôle judiciaire. Le projet de loi C-41 a été modifié pour permettre explicitement à un amicus curiae — autrement dit un ami du tribunal — de participer à des procédures privées et d’examiner des preuves.

Les autorisations seraient accordées pour une période maximale de cinq ans et s’appliqueraient à toute personne ou organisation visée par l’exercice de l’activité autorisée. Les autorisations accordées ou renouvelées peuvent également être modifiées, révoquées, suspendues ou limitées dans leur portée si, par exemple, le demandeur ne respecte pas l’autorisation et ses exigences ou si le ministre de la Sécurité publique n’est plus convaincu que les avantages de l’activité l’emportent sur les risques.

Si une demande est refusée, madame la présidente, les demandeurs pourront présenter une nouvelle demande après 30 jours. Cette mesure a été modifiée par la Chambre afin de raccourcir la période d’attente initiale de 180 jours pour le dépôt d’une nouvelle demande.

Les modifications apportées au projet de loi initial après l’examen par le comité de la justice ont explicitement limité l’utilisation des informations relatives au demandeur aux fins de la demande d’autorisation ou de son renouvellement, ou de l’administration et de l’application du régime.

[Français]

Afin de faire en sorte que le régime d’autorisation soit tenu responsable, en tant que ministre de la Sécurité publique, je fournirais un rapport annuel sur le fonctionnement du régime et effectuerais un examen complet au cours de la première année suivant l’entrée en vigueur du projet de loi.

[Traduction]

Madame la présidente, je suis convaincu que le projet de loi est opportun, sensible et exhaustif. Le projet de loi C-41 est essentiel — en effet, il est essentiel — pour aider les personnes en situation de crise et permettrait de répondre aux besoins immédiats des plus vulnérables en Afghanistan.

Je me réjouis de répondre à vos questions et d’entendre vos commentaires.

La présidente : Merci, monsieur le ministre Mendicino, de votre exposé.

Je tiens à souligner que la sénatrice Kim Pate, qui représente l’Ontario, s’est jointe à nous.

Avant de passer aux questions et aux réponses, j’aimerais demander aux membres du comité et aux témoins dans la salle de bien vouloir s’abstenir, pour la durée de la réunion, de s’approcher trop près du microphone ou d’enlever leur oreillette ce faisant. Cela permettra d’éviter toute rétroaction acoustique qui pourrait nuire au personnel du comité dans la salle.

Nous allons maintenant passer aux questions de chaque sénateur. Conformément à notre pratique précédente, j’aimerais rappeler aux sénateurs que vous aurez chacun cinq minutes pour poser votre question et entendre la réponse. Nous commencerons par la marraine du projet de loi, la sénatrice Omidvar.

La sénatrice Omidvar : D’abord, j’aimerais souligner votre leadership. Il s’agissait d’une étude ponctuelle à laquelle nous avons participé. Elle était opportune, brève et directe. Elle recommandait une exception humanitaire, et félicitations, monsieur le ministre, d’avoir fait précisément cela, même si j’aurais personnellement préféré que ce projet de loi soit présenté beaucoup plus tôt. Malgré tout, tout semble indiquer que nous aurons une bonne discussion aujourd’hui.

Ma question pour vous, monsieur le ministre, est la suivante : Qu’arrivera-t-il le jour où le projet de loi deviendra une loi? Les conteneurs qui sont parqués au Port de Montréal seront-ils en mesure de partir immédiatement? Y a-t-il un processus de réglementation ou d’orientation qui est déclenché? Combien de temps cela prendra-t-il? L’urgence est énorme. Vous avez vous‑même mentionné que les femmes et les enfants meurent tandis que nous nous parlons.

M. Mendicino : Merci, sénatrice Omidvar, et par votre entremise, madame la présidente, je remercie la sénatrice Omidvar.

D’abord, j’aimerais également souligner votre défense des intérêts, sénatrice Omidvar. J’ai eu le privilège de travailler avec vous dans ce domaine, en particulier en Afghanistan. Je sais à quel point les membres du comité et vous ainsi que les sénateurs sont concentrés pour combler l’écart législatif actuel afin que nous puissions fournir une aide humanitaire aux personnes les plus vulnérables en Afghanistan et, effectivement, ailleurs dans le monde si elles répondent aux exigences de cette nouvelle loi.

Votre question est de savoir à quel moment le régime entrera en vigueur et ce qui se passera par la suite. Le projet de loi entrera en vigueur une fois qu’il aura reçu la sanction royale, ce qui signifie, en pratique, qu’il aura force de loi.

Je pense que la partie plus pratique de votre question est de savoir ce que cela signifie sur le terrain. Je m’engage envers vous, sénatrice Omidvar, à ce que nous travaillions de près avec mon ministère, qui commence déjà à mettre en place des processus — y compris des portails en ligne — et qui a déjà des relations bien établies avec un certain nombre de groupes d’aide humanitaire qui chercheraient à se prévaloir de cette nouvelle loi afin que nous puissions obtenir de la nourriture, des vêtements et une aide vitale pour l’envoyer le plus rapidement possible aux personnes sur le terrain. Bien sûr, il s’agit d’un paysage complexe. La réalité, c’est que les talibans sont un groupe terroriste. Ils continuent de commettre des injustices, des préjudices et de la violence systématique contre les personnes les plus vulnérables. Nous allons travailler avec les experts dans le domaine pour nous assurer que, dès que cette loi entrera en vigueur, nous pourrons acheminer le plus rapidement possible l’aide dont ont cruellement besoin les citoyens d’Afghanistan.

La sénatrice Omidvar : Je vous entends et je vous remercie beaucoup de cette réponse, monsieur le ministre, mais je vous entends également dire qu’il y aura des règlements, des protocoles et des processus. Je suis sûre que mes collègues aimeraient également savoir combien de temps cela prendra, mais je vais les laisser poser cette question.

Permettez-moi de changer de sujet un peu. Le projet de loi comporte trois optiques différentes. La première est le point de vue humanitaire, la deuxième, le point de vue du développement, et la troisième, le point de vue de la sécurité, qui sont toutes importantes. Comment le projet de loi établit-il un juste équilibre entre toutes ces préoccupations nationales très importantes?

M. Mendicino : Madame la présidente, par votre entremise, j’aimerais dire à la sénatrice Omidvar que je crois que c’est exactement la bonne question. Ce que je vous dis, à vous et à vos collègues du comité, c’est que le gouvernement a trouvé le juste équilibre entre le fait de s’assurer que nous pouvons acheminer l’aide humanitaire rapidement et efficacement dans les régions où il y a une crise, mais sans compromettre nos intérêts en matière de sécurité nationale, y compris le risque évident de détournement de fonds canadiens au profit d’activités terroristes qui pourraient ensuite être utilisées pour causer du tort, du chagrin et des pertes à ceux que nous essayons d’aider.

Je crois que le projet de loi a trouvé cet équilibre, notamment en créant une exception pour le besoin le plus essentiel et urgent sous la forme d’aide humanitaire. C’est un travail que nous avons fait au sein de notre gouvernement ainsi qu’avec les partis de l’opposition à la Chambre, à l’autre endroit. Nous avons également laissé en place, comme vous le savez, un régime d’autorisation qui permet un examen réfléchi et rigoureux, parce que nous voulions que chaque cent que nous versons dans le système fournisse des aliments, des vêtements, un campement, un refuge et un soutien en matière d’immigration aux personnes qui pourraient vouloir quitter l’Afghanistan.

Je me rappelle avoir travaillé avec vous et avec d’autres dans les moments les plus difficiles, lorsque les talibans se sont emparés de Kaboul, sachant qu’il y avait des défis importants qui subsisteraient même après que la poussière aurait un peu retombé. Malheureusement, nous savons que la situation demeure très précaire, et c’est pourquoi nous espérons adopter le projet de loi le plus rapidement possible, et je pense que nous avons trouvé le juste équilibre.

La sénatrice Bernard : Merci, monsieur le ministre, d’être ici et de votre enthousiasme.

J’aimerais revenir sur l’un des derniers commentaires que vous avez faits concernant l’examen et les mesures d’atténuation. Je me demande si vous pourriez nous fournir quelques exemples des types de choses qui feraient partie des processus d’examen que vous avez mis en place. Vous êtes convaincu d’avoir trouvé le juste équilibre, alors aidez-nous à comprendre ce que cela signifie et ce à quoi cela ressemble.

M. Mendicino : Je tiens à remercier la sénatrice, madame la présidente, de la question. Cela me permet de donner un peu plus de détails sur la façon dont nous parvenons à cet équilibre, y compris en mettant en place des protocoles d’examen de sécurité.

D’abord et peut-être surtout, nous examinerons la nature du gouvernement au pouvoir de facto. Dans le cas de l’Afghanistan, il est bien connu que les talibans sont une entité inscrite dans le Code criminel. Il s’agit d’une entité terroriste reconnue. Il y a une abondance de preuves qui appuient ce fait, et si nous comprenons comment, malgré toute cette dynamique et la réalité — à savoir que des crimes et des violations systématiques des droits de la personne sont commis à l’encontre de gens vulnérables — nous pouvons travailler avec des organismes d’aide humanitaire et des ONG qui ont une expertise dédiée dans ce domaine sur le terrain, en travaillant dans un lieu neutre et impartial pour nous assurer de pouvoir acheminer des fonds canadiens à ces personnes d’une manière sûre et sécuritaire, c’est exactement le type d’examen que nous réaliserons.

Nous voulons également nous assurer que les partenaires qui se présenteront au gouvernement pour se prévaloir de cette loi comprennent également comment la loi fonctionnera et comment elle entrera en vigueur. Encore une fois, sur le terrain, nous voulons nous assurer que nos partenaires n’ont pas d’antécédents et qu’ils agissent de manière impartiale et sans discrimination. C’est un principe important que vous entendrez tout au long de notre conversation aujourd’hui.

Des mesures de protection existent pour un certain nombre d’aspects différents en ce qui concerne la fourniture des fonds canadiens ou de l’aide humanitaire dans les régions touchées.

La sénatrice Bernard : Merci.

La sénatrice Jaffer : Merci, monsieur le ministre, d’être ici.

Lorsque vous étiez ministre de l’Immigration, vous avez rencontré quelques jeunes filles afghanes qui étudiaient ici à l’école secondaire. Elles ont terminé leurs études secondaires et ont obtenu leurs premiers diplômes et leur maîtrise, certaines se rendant jusqu’au doctorat, en espérant retourner à la maison lorsque la situation se calmerait, si jamais elle se calme. Elles voulaient que je vous remercie pour ce projet de loi, parce que leur famille est à la maison et souffre. Je vous transmets ce message parce que vous avez été généreux lorsque vous avez rencontré ces filles. Merci, monsieur le ministre.

Monsieur le ministre, la communauté a des préoccupations. Lorsque vous dites « impartial », comment définissez-vous ce terme? Ce n’est pas l’expérience de la communauté quant à la façon dont les divers ministères définissent l’impartialité. Je ne vais pas tourner autour du pot. Nous pouvons le dire en parlant de MSF ou de la Croix-Rouge ou pour n’importe laquelle de ces organisations, mais qu’en est-il des femmes afghanes? Qu’en est‑il de la diaspora afghane? Je parle simplement d’envoyer une aide humanitaire, et je ne parle pas des autres. Feront-elles l’objet d’un examen plus poussé? Qu’entendez-vous par « impartial »?

M. Mendicino : Madame la présidente, par votre entremise, je remercie la sénatrice Jaffer de ses observations courtoises. Ce sont ces interactions et ces rencontres avec les personnes les plus vulnérables, qu’elles viennent d’Afghanistan ou d’ailleurs, des réfugiés, qui, à mes yeux, ont été personnellement très motivantes et inspirantes. C’est certainement la raison pour laquelle je suis ici aujourd’hui pour travailler avec vous tous afin, je l’espère, de faire adopter le projet de loi le plus rapidement possible. Merci d’avoir fait part de cette réflexion.

Je veux clarifier ce que nous entendons par « impartial ». Ce dont nous parlons, c’est d’une approche qui garantit que nous offrons un soutien canadien par l’intermédiaire de fonds ou d’aide humanitaire en fonction des besoins seulement. Autrement dit, conformément aux principes législatifs coutumiers en matière de droits de la personne internationaux, sans faire de discrimination fondée sur la race, la couleur, la religion, la confession, le sexe, la naissance, la richesse ou toute autre caractéristique immuable, comme vous le savez peut-être, qui a été reconnue dans le droit canadien, y compris dans la Charte. C’est ce que nous voulons dire. Nous pensons qu’il s’agit d’une mesure de protection importante. C’est une valeur qui sert à évaluer la manière dont nous fournissons les fonds, en privilégiant l’aide humanitaire en fonction du besoin sans jamais vouloir faire preuve de discrimination pour l’un des motifs que j’ai déjà mentionnés.

La sénatrice Jaffer : Nous allons laisser cette conversation pour un autre jour, mais vous savez que c’est une question subjective et que la communauté est nerveuse. Je vais passer à autre chose.

L’aide humanitaire sera acheminée, et c’est très important, mais je m’inquiète de l’autre aide, comme l’éducation et les hôpitaux. Je crois savoir que le processus passe par Affaires mondiales ou Immigration. J’aimerais vous entendre très rapidement. À votre avis, combien de temps faudra-t-il pour évaluer cela? Bien sûr, tout dépend de l’application, et je le comprends, mais il y a des problèmes avec certains des ministères et du temps qu’il faut pour faire les choses. Je vais commencer par Immigration. Combien de temps faudra-t-il?

Selena Beattie, directrice générale, Politique et sensibilisation, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada : Merci beaucoup, sénatrice Jaffer.

Il est très difficile, dans le cadre d’une hypothèse, de dire combien de temps cela prendra. Affaires mondiales Canada et Immigration et Réfugiés Canada seront responsables de fournir de l’information à nos ministres et d’évaluer quelques éléments clés : le fait de savoir si la demande satisfait aux exigences, si la région est contrôlée par un groupe terroriste, si l’activité proposée vise une fin prévue dans la loi, si elle répond à un besoin réel et important dans une zone géographique et si le groupe ou les personnes qui font la demande sont en mesure d’administrer leurs fonds de manière transparente et responsable. Peuvent-ils suivre la destination de leur argent? Nous connaissons les intervenants dans le domaine de l’immigration qui devraient présenter une demande, et nous serions préparés à effectuer cette évaluation assez rapidement. Nous sommes en train de nous préparer et faisons de grands progrès à cet égard. Bien que je ne puisse pas vous donner une estimation précise du temps, je peux vous dire que bon nombre de ces facteurs nous sont déjà connus et que des gens les examinent déjà afin que nous puissions être prêts lorsque le projet de loi entrera en vigueur.

M. Mendicino : Puis-je toutefois insister — et je pense que nous sommes tous unis dans cette cause — sur le fait que nous reconnaissons que lorsque le besoin est urgent, et dans la foulée d’une crise humanitaire, nous ne laisserons pas les tracasseries administratives empêcher que l’aide se rende sur le terrain le plus rapidement possible. Cela a été un élément de rétroaction essentiel que nous avons reçu de la part des ONG et des experts dans ce domaine, et c’est exactement le témoignage que j’ai fourni au comité de la Chambre lorsque j’ai comparu devant lui.

La sénatrice Jaffer : Merci beaucoup, monsieur le ministre, de cette intervention. Je vais vous prendre au mot parce que la communauté craint qu’elle ne disparaisse... je ne dirai rien de plus. Je vous remercie.

[Français]

La sénatrice Gerba : Monsieur le ministre, bienvenue au comité. Je vais poursuivre sur la question de la sénatrice Jaffer à propos de l’impartialité, à l’amendement de du paragraphe 83.03 (4) de la Chambre des communes, qui dit que certaines organisations impartiales ne seront pas passibles de poursuites.

Quels sont les critères que vous allez utiliser pour qualifier les organisations d’impartiales? Quelle entité s’occupera de cette classification?

M. Mendicino : Je vous remercie pour cette question et je voudrais vous assurer que le principe d’impartialité est là pour l’intégrité du programme. Des principes internationaux des droits de la personne existent pour protéger les personnes et pour guider le processus d’impartialité. Toute discrimination fondée sur la race, la religion ou l’orientation sexuelle est interdite.

Il existe donc des principes visant à protéger l’intégrité du programme et à maintenir un processus très efficace, afin de pouvoir fournir une assistance aux personnes dans le besoin.

La sénatrice Gerba : Est-ce qu’il y aura une entité en particulier ou est-ce Affaires mondiales Canada qui s’occupera de classifier ces organisations impartiales?

M. Mendicino : Selon moi, il y a deux protections : premièrement, il y a le gouvernement et il y a les fonctionnaires qui sont impartiaux. Ils appliquent les politiques en partenariat avec les organisations internationales.

Deuxièmement, il y a les tribunaux. Comme je l’ai mentionné, si une demande est rejetée, elle peut faire l’objet d’un examen judiciaire devant un tribunal d’appel. Ce sont deux protections qui garantissent que l’intégrité du programme est respectée, y compris les principes qui guident les décisions, et c’est ainsi que l’on peut garantir qu’il n’y a pas de discrimination.

La sénatrice Gerba : J’aimerais revenir sur les exemptions dont vous avez parlé plus tôt. Pourquoi avoir écarté l’éducation et l’aide au développement de ces exemptions?

M. Mendicino : La réponse brève est qu’il y a des situations très urgentes. C’est la raison pour laquelle nous avons modifié le projet de loi et créé une dérogation pour des situations de crise; par exemple, un tremblement de terre.

Il y a aussi une autre catégorie; par exemple, des services d’éducation, des services pour soutenir les processus d’immigration et de réinstallation qui sont plus à long terme. Nous pensons avoir trouvé un équilibre grâce auquel nous pouvons prioriser et catégoriser des situations vraiment urgentes. C’est la dérogation.

En plus de cela, si ce n’est pas une situation vraiment urgente, à plus long terme, on peut adopter une approche dans le cadre du régime d’autorisation. Encore une fois, je tiens à souligner qu’il s’agit d’un processus très efficace que nous envisageons.

[Traduction]

Le sénateur Arnot : Monsieur le ministre, le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes a modifié la disposition 1 du projet de loi C-41 afin d’ajouter un nouveau paragraphe 83.03(4), qui ajoute le mot « seul » — dans le seul but —, « organisations humanitaires impartiales » — et vous en avez parlé —, mais aussi « tout en déployant des efforts raisonnables ».

Soulignant que l’utilisation de « seul but » et « efforts raisonnables » puisse amener certaines organisations humanitaires à s’inquiéter ou à se préoccuper, M. Kent Roach a également dit que le Code criminel contient déjà des dispositions qui offrent une protection contre les poursuites pour tout acte accessoire qui contribue indirectement aux terroristes en raison de leurs activités. Certains témoins ont comparu devant ce comité et demandé au gouvernement d’émettre un avis juridique officiel public afin de dissiper ces préoccupations. Allez-vous émettre un tel avis? Est-ce votre intention, ou pensez-vous que le projet de loi C-41 clarifie adéquatement en droit ces préoccupations?

M. Mendicino : Madame la présidente, par votre entremise, je réponds au sénateur Arnot que je crois que l’amendement cristallise davantage l’intention du gouvernement, mais je dirais également que l’observation de M. Roach, à qui vous avez fait allusion, était juste. Certaines protections sont connues dans le droit pénal, également, y compris le fait qu’une personne ne peut être accusée sans que ne soit prouvée la mens rea requise, l’intention coupable.

Pour être franc, nous avons toujours pensé qu’il s’agissait d’une protection secondaire en cas d’excès involontaire dans l’application de nos dispositions de lutte contre le terrorisme, qui, soyons clairs, sont extrêmement importantes dans la lutte contre le terrorisme et tout aussi importantes pour servir de rempart contre tout détournement potentiel de fonds canadiens destinés à aider les personnes vulnérables, qui sont l’objet même de ce projet de loi. Nous pensons que cet amendement est logique. Nous pensons avoir trouvé le juste équilibre et, au fur et à mesure de la mise en œuvre du projet de loi, nous continuerons de travailler avec les parlementaires, les ONG actives dans ce domaine et les populations concernées pour nous assurer que la mise en œuvre du projet de loi est conforme à l’intention du Parlement.

[Français]

Le sénateur Dalphond : Merci, monsieur le ministre, d’être ici aujourd’hui.

Je suis très intéressé par le contrôle judiciaire. Je comprends que nous avons essentiellement copié le système en place pour les certificats de sécurité, avec quelques adaptations. Par conséquent, le processus pourrait se faire en l’absence de l’organisation, mais en présence d’un avocat qui représente les intérêts de façon générale de l’organisation, sans que l’organisation soit le client de l’avocat, lequel sera l’ami de la cour. Je comprends aussi que le gouvernement paierait les coûts de cet ami de la cour; est-ce bien cela?

M. Mendicino : C’est une question très importante, car cette inclusion de l’ami de la cour est liée à un amendement, et il y a une distinction entre le rôle de l’ami de la cour et celui de l’avocat qui intervient pour l’intérêt exclusif d’un client. Toutefois, l’idée, la raison d’être de l’ami de la cour est d’aider le tribunal, parce qu’il s’agit d’une partie neutre et impartiale qui est là pour informer le tribunal qui rend une décision sur les préceptes en vigueur, la question, les enjeux.

Dans cet espace, en particulier parce qu’il s’agit d’un nouveau projet de loi, avec un nouveau régime, je pense que le rôle de l’ami de la cour est une suggestion vraiment constructive.

[Traduction]

La présidente : Avant de passer au deuxième tour, monsieur le ministre, j’ai quelques questions.

Tout d’abord, je tiens à vous remercier de votre engagement envers la population afghane, les femmes et les enfants. En tant que Pachtoune de souche — nous sommes divisés par la frontière — j’ai entendu des histoires, même lorsque j’étais au Pakistan plus tôt cette année pour m’adresser à des réfugiés, à propos de l’horreur de la situation. Je ne pense pas que quiconque ici ait une idée du nombre de milliers de vies perdues durant l’hiver à Kaboul. Ceux d’entre nous qui connaissent Kaboul savent que l’hiver a été brutal. J’ai été un peu triste que cela prenne autant de temps, mais je suis heureuse que nous ayons parcouru un bon bout de chemin et ravie de voir les engagements de la part de tout le monde pour que le projet de loi aille de l’avant. Vous savez que notre caucus appuie le projet de loi.

Ce qui m’inquiète à ce stade, lorsque je regarde le processus bureaucratique d’approbation d’une organisation qui demande à fournir de l’aide, c’est qu’il puisse y avoir d’autres retards. Avez-vous une idée du délai qui s’écoulerait entre la demande initiale par l’organisation d’aide humanitaire et son approbation finale, une fois tout achevé, y compris l’examen de sécurité? Si oui, pourriez-vous nous en faire part? Si vous ne l’avez pas fait, pourquoi pas?

M. Mendicino : Madame la présidente, je ne saurais assez vous féliciter pour l’ensemble de votre travail et, franchement, pour nous avoir fait part de vos expériences vécues au Parlement. C’est un honneur de travailler avec vous. Je sais que c’est un problème qui vous touche personnellement et profondément.

Comme je l’ai dit plus tôt dans mon témoignage aujourd’hui, le moment le plus émotif pour moi dans le cadre de cette priorité particulière a probablement été celui où le gouvernement a accueilli les premières familles sur la piste à l’été 2021, à l’aéroport Pearson de Toronto, et ma rencontre avec certains des enfants les plus jeunes et les plus vulnérables, quand j’ai pris conscience que nous avions commencé l’important travail de réinstallation de 40 000 réfugiés afghans. Je sais que certains diront que ce n’est pas suffisant. Je crois que nous devons continuer de faire plus de travail dans ce domaine, et c’est pourquoi, pour tout le monde qui est resté en Afghanistan, ce projet de loi les aidera. Il permettra de sauver des vies. Je voulais commencer par dire cela.

Le deuxième point sur lequel je veux insister, c’est que nous n’avons pas cessé de trouver des moyens de fournir une aide humanitaire malgré les défis et les lacunes dans la loi. Je laisserai à mes représentants le soin de préciser la nature exacte de ces chiffres, en particulier ceux d’Affaires mondiales Canada, d’IRCC et cetera, mais soyez assurés que nous avons fait preuve de créativité dans les limites de la loi.

La dernière chose que je dirais, c’est que je vous comprends tout à fait, et pas seulement vous, mais d’autres sénateurs et ONG qui craignent vraiment que ce processus soit ardu. Je vous assure que nous ferons tout notre possible pour mettre sur pied un processus efficace. Nous pensons que, en créant une exception pour ces situations vraiment graves et urgentes, comme un tremblement de terre et d’autres événements catastrophiques extrêmes, nous pourrons accélérer encore plus l’acheminement de l’aide. Pour les services qui relèvent du régime d’autorisation, encore une fois, nous ferons tout notre possible pour travailler avec les ONG dans ce domaine, afin de nous concentrer sur l’obtention de décisions qui soient rendues de manière à ce que nous puissions apporter l’aide nécessaire à la région touchée.

La présidente : Merci, monsieur le ministre.

Le NPD a fortement critiqué le projet de loi C-41, disant qu’il était défectueux dès le départ et qu’il aurait dû être géré par Affaires mondiales Canada plutôt que par Sécurité publique Canada. Le NPD a également dit vendredi dernier qu’il ne peut soutenir un projet de loi qui oblige une organisation humanitaire à demander l’autorisation du gouvernement canadien pour faire son travail à l’étranger. Je suis heureuse que la modification du NPD visant à créer une exception d’assistance humanitaire ait été adoptée, mais pensez-vous que le projet de loi initial a imposé un fardeau trop important aux organismes d’aide humanitaire?

M. Mendicino : Je pense qu’il ne fait aucun doute, madame la présidente, qu’un fardeau énorme pèse sur les ONG dans ce domaine. Le travail qu’elles font est précaire, complexe et compliqué davantage par la dure réalité que certaines des parties du monde où nous essayons d’apporter une aide sont contrôlées par des groupes terroristes comme les talibans. Je ne souhaite aucunement atténuer le fait que c’est un travail difficile pour elles. Nous sommes extrêmement reconnaissants de la rétroaction que nous avons reçue. Nous pensons avoir été en mesure de renforcer le projet de loi grâce à leurs commentaires.

Je tiens également à dire, en ce qui concerne nos collègues de l’opposition, que nous avons profité de la rétroaction du NPD ainsi que de celle des autres partis. Encore une fois, nous faisons ce que les Canadiens attendent de nous, je crois, soit de nous assurer que le Parlement travaille malgré le fait qu’il s’agit d’un Parlement minoritaire. Ce qui nous est présenté est un projet de loi important qui nous rapprochera de la prestation de l’aide dont l’Afghanistan et d’autres régions touchées dans le monde ont grand besoin.

La présidente : Monsieur le ministre, ma dernière question est la suivante : avez-vous envisagé des raccourcis susceptibles d’accélérer le processus bureaucratique d’approbation? Je pense aux organismes d’aide, disons, à faible risque, une liste préapprouvée. Il y a des groupes comme la Société canadienne de la Croix-Rouge ou l’UNICEF. Est-ce quelque chose que vous avez examiné ou que vous pourriez examiner?

M. Mendicino : Je pensais que vous alliez me demander s’il y avait un moyen plus rapide de faire adopter le projet de loi, et j’allais suggérer que vous le regardiez, et qui sait. C’est important, et vos commentaires à son sujet sont extrêmement importants, madame la présidente.

En ce qui concerne votre question, comme je l’ai dit, nous sommes très ouverts quant à la façon de créer des processus efficaces, efficients et sans lourdeur administrative. Ce sont des commentaires auxquels je sais que le ministère est sensible.

J’ajouterais simplement un autre élément, c’est-à-dire que l’opposition a émis des critiques sur l’endroit où ce programme devrait être administré et sur la personne qui en serait le meilleur gardien. Oui, il est vrai que le ministre de la Sécurité publique sera au bout du compte celui qui rendra des décisions concernant les régimes d’autorisation. Toutefois, il y aura une approche très collaborative avec Affaires mondiales et IRCC. Ce sont les ministères responsables des renvois. L’élaboration d’une approche communautaire et pangouvernementale est la manière qui nous permet de trouver un équilibre, comme je l’ai dit plus tôt dans mon témoignage devant le comité.

La présidente : Merci, monsieur le ministre. Comme vous pouvez l’imaginer, je suis pressée. Quand j’entends que 67 bébés meurent chaque jour... C’est mon peuple. Bien sûr, cela me touche.

La sénatrice Pate : Merci aux témoins, et je m’excuse d’être en retard.

Vous avez peut-être fourni une partie de ce témoignage ailleurs, mais lors d’une audience précédente, je me souviens d’avoir entendu dire que d’autres pays avaient une loi qui précédait les efforts du Canada en ce qui concerne le projet de loi C-41. Je suis curieuse de savoir si vous avez examiné cette législation. Je présume que vous l’avez fait. Avez-vous un tableau ou un certain type d’analyse comparative que nous pourrions examiner et qui nous montrerait comment le projet de loi a été guidé par ces exemples? Pourriez-vous nous fournir cela? En quoi le projet de loi en particulier diffère-t-il de certains de ces autres exemples à l’échelle internationale?

M. Mendicino : Par votre entremise, madame la présidente, je tiens d’abord à remercier la sénatrice Pate. J’ai évidemment très hâte de travailler avec vous sur ce projet de loi. Je vous remercie également de votre leadership dans ce domaine.

Nous avons effectué une analyse qui compare l’approche que nous proposons dans le projet de loi C-41 à celle d’autres administrations. Je pense que nous pourrions vous la fournir dans le cadre de vos délibérations. Nous serons heureux de travailler avec votre bureau à ce sujet.

De façon générale, nous avons adopté une approche qui est adaptée à notre pays, en fonction de nos relations avec les ONG. Nous pensons avoir mis en place les bons intérêts et les bonnes valeurs afin de guider un régime, en mettant l’accent sur l’urgence d’acheminer les fonds là où un événement catastrophique se produit, puis en examinant d’autres arrangements très souples dans le cadre du régime d’autorisation afin de pouvoir effectuer l’examen nécessaire, mais d’acheminer l’aide le plus rapidement possible également.

La sénatrice Pate : Très bien. J’ai hâte de recevoir cette information.

La sénatrice Jaffer : Monsieur le ministre, merci de toutes vos réponses. Je tiens simplement à clarifier une chose que j’ai entendue de la part d’un certain nombre de personnes, qui est la suivante : L’exemption et le régime d’autorisation dans le projet de loi s’appliqueront-ils à des organisations tierces, comme les banques et les fournisseurs qui sont utilisés pour la mise en œuvre des activités? Nous voulons simplement nous assurer que les organismes de développement humanitaire peuvent réellement fonctionner, car ils ont de toute évidence besoin de l’aide des banques et des fournisseurs. Les fournisseurs et les banques, en particulier, sont... Je suis nerveuse. Pouvez-vous nous donner cette assurance?

M. Mendicino : Par l’entremise de madame la présidente, je vous remercie de la question, sénatrice Jaffer.

La réponse courte est oui, elle s’appliquera à des tiers. Cela me permet également de revenir sur un point important concernant le fait de nous assurer que les instances avec lesquelles nous collaborons disposeront des mécanismes et des contrôles financiers appropriés pour protéger l’intégrité de l’acheminement de l’aide et de l’assistance canadiennes par l’intermédiaire du programme, non pas pour l’embourber, mais simplement pour que nous puissions nous assurer que l’aide se rend là où elle est censée se rendre. La réponse courte est donc oui.

La sénatrice Jaffer : Monsieur le ministre, comme vous le savez, j’étais l’envoyée au Soudan, et même lorsque le Canada apportait une aide humanitaire, nous devions souvent nous rendre dans des régions dont nous devions faire sortir des femmes parce qu’elles étaient sous protection, pour chercher de l’aide — pas nécessairement les faire sortir, mais leur apporter de l’aide —, de l’aide humanitaire. En Afghanistan, c’est encore pire. Comment l’aide humanitaire leur sera-t-elle acheminée? La protection fera-t-elle partie de l’aide humanitaire, ou y aura-t-il une autre exemption accordée? Je pense que la protection fait partie de l’aide humanitaire.

M. Mendicino : Madame la présidente, encore une fois, je pense qu’il s’agit d’une question très importante.

La meilleure façon de répondre, c’est de dire que nous avons élaboré un cadre législatif qui examine, en fonction de l’urgence du besoin et de l’événement qui l’a créé, un régime en deux parties afin que nous puissions agir d’une manière adaptée à l’objectif et qui trouve un équilibre entre l’acheminement urgent, l’acheminement opportun et la protection de nos intérêts en matière de sécurité nationale à l’étranger ainsi que de l’intégrité du programme. Selon le type de besoin dont nous parlons et des raisons à l’origine du besoin, y compris la région et le fait de savoir si un groupe terroriste contrôle ou non le territoire en particulier, ces facteurs détermineront la voie que nos partenaires suivront.

La sénatrice Jaffer : Peut-être qu’Affaires mondiales peut répondre à cette question. Je cherche simplement une réponse simple. Considérez-vous la protection comme faisant partie de l’aide humanitaire? Lorsque j’étais l’envoyée, le gouvernement estimait que c’est le cas, mais je voulais juste m’assurer que l’aide humanitaire comprenait la protection des femmes et des enfants.

Jennifer Loten, directrice générale, Bureau du crime international et du terrorisme, Affaires mondiales Canada : Merci beaucoup de poser la question, madame la présidente.

Je tiens à dire que la protection contre la responsabilité dans le cadre du projet de loi est accordée en fonction de l’activité. Toutes les activités liées à la capacité de fournir cette aide sont couvertes par la protection contre la responsabilité, donc oui, la protection serait considérée comme faisant partie de l’acheminement de l’aide humanitaire.

La sénatrice Omidvar : Monsieur le ministre, j’aimerais passer à la responsabilisation. Le projet de loi modifié qui nous a été présenté nous oblige à déposer, dans les 90 jours suivant le 1er janvier, un rapport annuel devant le Parlement. Votre premier rapport sera-t-il publié le 1er avril 2024? Il ne dit pas « un an après », donc je suis un peu confuse. À quel moment votre premier rapport annuel sera-t-il déposé devant le Parlement?

M. Mendicino : Je vais demander à mes collègues du ministère de répondre à cette question, parce que je veux m’assurer d’obtenir la réponse la plus précise possible. Toutefois, permettez-moi de dire que, en acceptant de le modifier, nous avons raccourci le délai à l’intérieur duquel le bureau doit rendre des comptes sur la mise en œuvre du projet de loi. Comme vous le savez, il était plus long auparavant. Nous avons raccourci cette période à cette première année, puis à tous les cinq ans par la suite.

Je vais demander à M. Bilodeau d’ajouter une précision sur le délai.

Richard Bilodeau, directeur général, Sécurité publique Canada : Selon notre interprétation de la modification et de la façon dont nous avons rédigé le projet de loi, le rapport devrait être déposé 90 jours après, donc le 1er avril 2024.

La sénatrice Jaffer : Compte tenu des questions qui ont été posées par mes collègues concernant les préoccupations au sujet de la partialité et de la discrimination dans le système — et je pense que nous savons tous qu’elles existent; en fait, elles sont très présentes et saines — seriez-vous en mesure de nous donner le nombre de demandes d’exemption et d’autorisation faites, approuvées ou refusées, et quelques données désagrégées sur le type d’organisation? Par exemple, est-ce une grande organisation d’aide internationale comme la Croix-Rouge ou une communauté locale d’Afghans au Canada qui veut participer? Je veux juste bien comprendre la forme de ce que nous obtenons.

M. Mendicino : Madame la présidente, c’est une question tout à fait légitime. Notre but ici est d’être aussi transparent que possible, le plus rapidement possible, en ce qui concerne la mise en œuvre du projet. Grâce à cet amendement, nous accélérons les délais dans lesquels nous pouvons rendre des comptes au Parlement et, par conséquent, à la population canadienne, sur nos résultats initiaux, par exemple en ce qui a trait à nos produits livrables, au nombre de demandes que nous avons traitées, à la destination des fonds et aux leçons retenues, entre autres pour l’administration neutre du programme.

Vous avez soulevé une autre question importante sur la collecte, l’utilisation et la désagrégation des données. Ce sera bien sûr important de conserver des statistiques et de conserver des données, pour toutes sortes de raisons, par exemple pour s’assurer qu’il n’y a pas de discrimination — systémique ou autre — dans le système. Nous devons aussi nous assurer que nous protégeons les renseignements personnels des personnes concernées par le programme, et il s’agit d’un autre domaine où nous croyons que nous pouvons et que nous allons trouver un bon équilibre.

La présidente : Monsieur le ministre, je m’intéresse aux critères et au processus d’approbation, dans le cadre duquel le ministre devra décider si les avantages d’autoriser l’activité l’emportent sur les risques de financer le terrorisme. Voulez‑vous nous expliquer plus en détail ce que cela veut dire? Est-ce tout ou rien, ou pourriez-vous conclure que les avantages, qui comprendraient de sauver des milliers de vies maintenant, en valent la peine, malgré le risque que les talibans siphonnent une partie de cet argent pour leurs fins?

M. Mendicino : Madame la présidente, je vous remercie de votre question. Je veux être franc avec vous, et vous dire que le pouvoir discrétionnaire exercé par moi — par le ministre — est quelque chose que nous allons devoir élaborer au fil des débats sur ce projet de loi. Nous voulons éviter les décisions arbitraires. Ce que nous voulons éviter, je le redis, ce sont les conséquences inattendues qui pourraient créer des résultats discriminatoires ou, pour parler franchement, tout genre de résultats qui pourraient miner l’intégrité et les objectifs du programme. Ce sera urgent d’établir des principes objectifs, à mesure que nous mettons en œuvre ce projet de loi. Le but de ces principes et de la politique — cela peut prendre plusieurs formes — sera de nous permettre, je le redis, de veiller à ce que le ministre utilise son meilleur jugement pour prendre des décisions qui sont équilibrées.

La présidente : Merci, monsieur le ministre.

Normalement, quand nous réalisons une étude préliminaire ou que nous étudions un projet de loi, nous prenons deux ou trois semaines. Cependant, nous prenons seulement une journée cette fois-ci, parce que — et je pense que je parle pour tout le monde — nous voulons vraiment accélérer le processus. Je profite de l’occasion pour vous remercier, vous et les représentants du gouvernement, d’être des nôtres et de nous aider dans notre travail. Nous vous sommes très reconnaissants du temps que vous avez pris pour être ici. Merci beaucoup.

Je veux maintenant présenter notre deuxième groupe de témoins. Nous leur avons demandé de présenter une déclaration préliminaire de cinq minutes. Nous allons écouter les témoins, puis nous passerons à la période de questions des sénateurs.

Je vais souhaiter la bienvenue aux témoins qui sont présents en personne avec nous autour de la table : Me Erica See, conseillère juridique principale pour la Croix-Rouge canadienne; M. Martin Fischer, responsable des politiques de Vision mondiale Canada; M. Joseph Belliveau, directeur général et Dr Jason Nickerson, représentant humanitaire au Canada de Médecins sans frontières; et Me Asma Faizi, présidente, et Adeena Niazi, directrice générale de Afghan Women’s Organization Refugee and Immigrant Services.

Je veux maintenant inviter Me See et M. Fisher à nous présenter leurs exposés, puis ce sera au tour de M. Belliveau puis de Me Faizi.

Martin Fischer, responsable des politiques, Vision mondiale Canada : Honorables sénatrices et sénateurs, merci de nous avoir invités à témoigner à nouveau devant votre comité, dans le cadre de vos délibérations sur le projet de loi C-41. L’étude ponctuelle que votre comité a réalisée en décembre 2022 s’est avérée un moment charnière pour la cause que nous défendons, et c’est un plaisir de vous revoir tous et toutes.

Je m’appelle Martin Fischer. Je suis responsable des politiques pour Vision mondiale Canada. Je suis ici accompagné aujourd’hui de ma collègue, Me Erica See, qui est conseillère juridique principale pour la Croix-Rouge canadienne. Nous sommes avec vous depuis Ottawa, le territoire non cédé du peuple algonquin anishinabe. Même si nous aurions aimé être avec vous plus tôt, nous sommes heureux de vous revoir tous et toutes. Vos efforts pour promouvoir cette cause et votre engagement envers celle-ci comptent parmi les facteurs clés qui sous-tendent ce projet de loi.

Nos organismes sont tous deux membres de la coalition Aide à l’Afghanistan, un regroupement de diverses organisations canadiennes vouées à l’aide humanitaire, aux droits de la personne et aux droits des femmes qui travaillent depuis des décennies en Afghanistan. Au cours des derniers mois, nous avons travaillé en étroite collaboration avec les parlementaires des deux Chambres — et directement avec de nombreuses personnes qui sont présentes autour de la table, d’ailleurs — et aussi avec les fonctionnaires de nombreux ministères. Nous vous remercions des discussions constructives que nous avons eues.

Me See va vous parler de certaines considérations juridiques liées au projet de loi, mais avant, je pense qu’il est important de souligner de nouveau et de mettre légèrement à jour les trois messages clés qui ont été présentés au Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes il y a tout juste quelques semaines.

Premièrement, nous croyons que le projet de loi C-41, tel qu’il a été modifié, représente un pas de plus vers l’atteinte d’un objectif à plus long terme qui est de s’assurer que les organismes humanitaires canadiens peuvent exercer leurs activités de façon neutre, impartiale et indépendante, dans les circonstances les plus difficiles et les plus exceptionnelles. À présent, nous ne croyons pas qu’il est nécessaire d’apporter d’autres amendements, mais des clarifications importantes devront être ajoutées dans le cadre réglementaire qui sera élaboré après l’adoption du projet de loi.

Deuxièmement, le projet de loi C-41 s’applique à un ensemble de contextes très restreints et exceptionnels, où il est absolument impossible d’éviter tout contact avec un groupe terroriste qui contrôle un territoire donné.

Troisièmement, même si le projet de loi C-41 ne s’applique pas uniquement à l’Afghanistan, il nous permettra de reprendre notre travail dans ce contexte particulièrement difficile. Nous ne devons pas perdre de vue l’ampleur de la crise humanitaire là‑bas ni les obligations du Canada. Les Canadiens doivent offrir leur aide.

Je veux maintenant céder la parole à Me See, qui a quelques clarifications juridiques à apporter.

Me Erica See, conseillère juridique principale, Croix-Rouge canadienne : Merci beaucoup de m’avoir invitée à discuter avec vous ce soir.

Dans mes commentaires, je vais surtout insister sur les raisons pour lesquelles ce projet de loi, le projet de loi C-41, est essentiel pour que les organisations d’aide canadiennes puissent veiller à ce que les gens qui ont besoin d’aide humanitaire la reçoivent, peu importe où ils vivent ou dans quel contexte.

Personne ne veut qu’un deuxième anniversaire passe en Afghanistan, alors que les organisations d’aide canadiennes continuent d’attendre de pouvoir déployer leurs ressources, leur expertise et leur soutien pour les gens qui en ont désespérément besoin. Nous croyons que le projet de loi C-41, tel qu’il a été modifié, représente un pas de plus vers l’atteinte de notre objectif à plus long terme qui est de protéger l’aide humanitaire que nous apportons de façon neutre, impartiale et indépendante. Une fois mise en œuvre, cette modification législative permettra aux organisations d’aide canadienne d’exercer leurs activités en Afghanistan et d’offrir l’expertise, les fonds et les efforts canadiens.

Il est important de garder à l’esprit que la modification au Code criminel constitue l’un des trois cadres juridiques orientant les organisations comme la nôtre, quand nous offrons des services dans des contextes uniques et complexes comme en Afghanistan. Les deux autres cadres qu’il faut garder à l’esprit, et avec lesquels les modifications au Code criminel doivent être en harmonie, sont la réglementation relative aux sanctions et la réglementation sur les dons financiers et caritatifs.

J’aimerais maintenant parler plus en détail de quatre aspects du projet de loi C-41 modifié.

Premièrement, l’exemption d’ordre humanitaire. Comme votre comité l’a recommandé dans son rapport, à la recommandation no 4, le projet de loi comprend maintenant une exemption d’ordre humanitaire qui permet aux organisations humanitaires canadiennes de faire leur travail, en sachant que les lois canadiennes soutiennent l’interprétation juridique internationale selon laquelle le fait de fournir une aide humanitaire neutre et impartiale n’appuie pas le terrorisme. Cela permet aux gens et aux communautés qui sont les plus souvent touchés d’avoir accès à de l’aide dont ils ont cruellement besoin, sans que les organisations canadiennes doivent demander la permission de faire leur travail. L’exemption d’ordre humanitaire s’applique à un vaste éventail d’œuvres humanitaires qui sont autorisées en vertu du droit international, et pas seulement l’aide vitale. Ces activités sont essentielles pour améliorer l’accès aux soins de santé et garantir l’accès à la nourriture, à l’eau et aux installations sanitaires, pour protéger les détenus et pour protéger la dignité humaine.

Deuxièmement, le gouvernement a l’obligation positive de confirmer si une demande est nécessaire. L’amendement crée une obligation pour le ministre d’informer la partie concernée si une autorisation est nécessaire, compte tenu du contexte géographique particulier, afin qu’il soit plus clair pour la communauté des organismes humanitaires quand il serait nécessaire d’obtenir une autorisation. Nous sommes impatients que cette partie du processus soit mise en œuvre, d’une façon qui soit sensible aux activités, cohérente ainsi que transparente. Nous sommes d’avis que le projet de loi et les cadres réglementaires à venir doivent refléter les circonstances actuelles et exceptionnelles dans lesquelles il est carrément impossible d’éviter toute interaction avec un groupe terroriste, lorsque ce groupe détient de facto le pouvoir ou a les pouvoirs quasi gouvernementaux, dans la zone géographique touchée comme l’Afghanistan. Voilà les motifs restreints dans lesquels le régime d’autorisation pourrait s’appliquer.

Troisièmement, l’inclusion d’amendements adaptés aux objectifs. En bref, pour qu’il soit efficace, le régime d’autorisation doit être adapté aux objectifs de la réalité sur le terrain. Cela veut dire qu’il doit être clair, cohérent, concret, rapide et raisonnable, en plus de disposer de ressources suffisantes. Nous sommes heureux que le comité de la justice de la Chambre des communes ait adopté ces amendements au projet de loi.

Quatrièmement, il y a l’engagement envers un objectif à plus long terme visant à systématiser la protection de l’aide humanitaire. Nous considérons que le projet de loi C-41 est un pas de plus vers la systématisation de l’apport d’aide humanitaire neutre, impartiale et indépendante ainsi que des autres activités qui soutiennent les besoins humains de base. À plus long terme, nous allons vouloir délaisser les régimes d’approbation.

Nous espérons que nous continuerons de collaborer avec les représentants du gouvernement et nos partenaires du secteur, afin que le cadre réglementaire soit encore plus clair. Nous sommes impatients de travailler avec le gouvernement lors de l’examen dans un an, pour garantir que la mise en œuvre se déroule bien et que le projet de loi respecte les principes qui y sont énoncés.

Pour conclure, même si le projet de loi n’est pas parfait, il donne ce qui est nécessaire pour que le secteur humanitaire puisse avancer. Il nous ouvre la porte, pour ainsi dire, afin que nous puissions fournir de l’aide humanitaire dans des contextes comme celui de l’Afghanistan. Si le projet de loi n’est pas adopté maintenant, un autre anniversaire passera en Afghanistan, et les gens n’auront toujours pas l’aide humanitaire dont ils ont cruellement besoin.

Je vous remercie de nous avoir invités à témoigner aujourd’hui. Nous serons heureux de répondre à vos questions.

La présidente : Merci. Monsieur Belliveau, vous pouvez y aller.

Joseph Belliveau, directeur général, Médecins sans frontières : Bonsoir, honorables sénatrices et sénateurs. Merci beaucoup de nous avoir invités à discuter avec vous ce soir.

Depuis 52 ans, et maintenant dans plus de 70 pays, Médecins sans frontières — MSF — ou Doctors Without Borders soulage les souffrances en offrant de l’aide humanitaire médicale de façon impartiale, neutre et indépendante, dans le respect du droit international humanitaire et de l’éthique médicale.

Ici, au Canada, plus 180 000 Canadiens et Canadiennes soutiennent Médecins sans frontières, parce qu’ils ont foi dans notre mission. C’est ainsi que nous avons envoyé 267 Canadiens et plus de 84 millions de dollars pour nos programmes internationaux en 2022.

L’aide humanitaire fondée sur des principes, telle qu’inscrite en droit international humanitaire, protège les organisations humanitaires comme Médecins sans frontières qui fournissent des services essentiels, de façon impartiale et sans autre objectif commercial, politique ou concurrent. En vertu du droit international humanitaire, l’aide humanitaire ne peut pas être présumée soutenir l’une ou l’autre des parties à un conflit armé, même une partie qui est présumée se livrer à des activités terroristes. En d’autres termes, fournir de l’aide humanitaire ne peut pas être considéré comme un crime.

Le droit international humanitaire fait partie intégrante du droit canadien. En tant que partie à la Convention de Genève, le Canada a l’obligation de respecter le droit international humanitaire et doit aussi, en conformité avec les récentes résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies, veiller à ce que ces lois nationales en matière de lutte contre le terrorisme soient compatibles avec le droit international humanitaire. La Cour suprême du Canada a, de façon similaire, confirmé que le Code criminel doit être interprété de façon à ne pas criminaliser une personne qui prend part à une « activité inoffensive, socialement utile » et sans dessein criminel.

L’exemption d’ordre humanitaire dans la version modifiée du projet de loi C-41 est en harmonie avec le droit international humanitaire et permet d’éviter le processus d’autorisation potentiellement paralysant auquel les organisations humanitaires auraient autrement dû se soumettre. Médecins sans frontières appuie cette exemption d’ordre humanitaire automatique dans le projet de loi C-41, qui reconnaît que les organisations humanitaires peuvent fournir des soins vitaux sans avoir à demander la permission pour remplir notre mission et faire ce que nous avons déjà le droit de faire en vertu de la loi.

Médecins sans frontières reconnaît que le but du projet de loi a toujours été de faciliter et non de limiter les activités humanitaires, et il contient maintenant une exemption précise à cette fin. Nous appuyons cela, et nous comprenons que cette exemption élimine le risque de criminaliser l’aide humanitaire, risque qui existait dans le Code criminel par l’application de la Loi antiterroriste depuis 2001.

Dans sa première version, avant que cette exemption ne soit ajoutée, le projet de loi C-41 aurait davantage nui à l’aide humanitaire, au lieu de la faciliter. Le régime d’autorisation aurait soumis les organisations humanitaires à une surveillance et à un contrôle gouvernementaux sans précédent, ce qui aurait porté atteinte à notre indépendance ainsi qu’à notre neutralité, dont nous avons besoin pour négocier les accès et obtenir des garanties de sécurité auprès des groupes armés. Un mécanisme d’autorisation aurait profondément miné notre capacité d’agir immédiatement et de façon décisive en réaction aux crises, et la possibilité que le gouvernement rejette une demande aurait gravement entaché notre humanité et notre impartialité, alors qu’il s’agit des principes humanitaires généralement reconnus qui guident nos interventions, en fonction des besoins des gens uniquement.

Nous croyons donc que l’ajout de cette exemption d’ordre humanitaire est la seule façon pour le projet de loi C-41 d’être appliqué en harmonie avec le droit international humanitaire et les engagements du Canada en matière d’aide humanitaire. Nous sommes favorables à l’élargissement de la portée de cette exemption afin de faciliter l’acheminement de l’aide dans des endroits qui ne sont pas strictement visés par le droit international humanitaire.

Enfin, nous continuons de recommander que le Canada veille à ce que toute loi ou pratique futures en matière de lutte contre le terrorisme prévoient une exemption spécifique et sans ambiguïté pour l’aide humanitaire.

Honorables sénatrices et sénateurs, Médecins sans frontières travaillait en Afghanistan avant que les talibans s’emparent du pouvoir, et nous avons continué d’y travailler sans interruption par la suite, en suivant les mêmes principes que nous appliquons partout dans le monde dans notre travail : le droit international humanitaire, l’éthique médicale et l’impératif humanitaire qui est de répondre aux besoins essentiels des gens. La mission de Médecins sans frontières est purement humanitaire. Pour cela, nous devrions ni criminaliser les organisations ni leur imposer le fardeau de devoir toujours demander une autorisation pour faire exactement ce pourquoi elles existent.

Nous vous encourageons à appuyer la version actuelle du projet de loi C-41, qui crée une exemption d’ordre humanitaire automatique et permanente aux lois antiterroristes du Canada.

Merci. Nous sommes impatients de pouvoir répondre à vos questions.

La présidente : Je vous remercie de nous avoir présenté votre exposé. La parole va maintenant à mes amies, Me Asma Faizi et Mme Adeena Niazi.

Adeena Niazi, directrice générale, Afghan Women’s Organization Refugee and Immigrant Services : Merci madame la présidente et merci au comité d’avoir invité Me Faizi et moi-même à témoigner devant vous aujourd’hui. Merci aussi de votre soutien vital. J’offre aussi mes sincères remerciements à nos collègues, pour leurs vaillants efforts relativement au projet de loi C-41.

Depuis plus de 30 ans, Afghan Women’s Organization Refugee and Immigrant Services, un organisme fondé et dirigé par des femmes réfugiées, a eu un effet positif sur la vie de dizaines de milliers d’Afghans, d’immigrants et de réfugiés qui ont souffert de la guerre et de la violence. Notre organisme a aussi offert une protection vitale à plus de 5 000 réfugiés vulnérables venant de partout dans le monde, en les parrainant au Canada et en les aidant à réussir leur réinstallation.

En plus de notre travail au Canada, notre organisation a mené plusieurs projets d’éducation et de génération de revenus pour les réfugiés en Afghanistan ainsi que pour les camps de réfugiés au Pakistan. Entre autres, nous avons établi une école à domicile pour les filles afghanes en Afghanistan la dernière fois que les talibans étaient au pouvoir. Présentement, nous avons un orphelinat exclusivement féminin en Afghanistan.

Nous ne saurions jamais trop insister sur l’urgence et sur la gravité de la situation humanitaire en Afghanistan, comme il en a été question plus tôt, et aussi sur la nécessité d’adopter le projet de loi C-41 sans plus attendre. De nombreuses organisations, la nôtre y compris, attendent depuis presque trois ans maintenant qu’une telle loi soit adoptée.

Notre organisation a depuis longtemps un engagement envers la communauté afghane, ainsi qu’un lien profond avec elle, autant au Canada qu’en Afghanistan. Nous avons été témoins des choses terribles que le peuple afghan a vécues depuis 40 ans et avons partagé avec lui sa souffrance depuis l’invasion des Soviétiques, puis les chefs de guerre et les gouvernements corrompus.

Le retour des talibans n’a fait qu’aggraver les souffrances, en particulier celles des femmes et des enfants. Les choses ont empiré. Comme la présidente l’a mentionné, il y a chaque jour environ 32 enfants qui perdent la vie. Environ 28 millions de personnes ont un besoin urgent d’aide humanitaire, et on estime que 2,3 millions d’enfants souffriront de malnutrition d’ici la fin de l’année.

Les lois antiterroristes du Canada ont miné notre capacité de fournir de l’aide et de sauver des vies. Nous n’avons pas été capables de mettre en œuvre nos programmes pour aider à soulager la souffrance des gens. Bon nombre de Canadiennes et Canadiens compatissants ont communiqué avec notre organisation et ont généreusement offert des dons à envoyer en Afghanistan. Malheureusement, nous avons dû refuser ces dons, en raison des contraintes juridiques. C’est très difficile de voir le peuple afghan être puni à cause de ces lois.

Je vais maintenant céder la parole à Me Faizi, qui vous parlera plus en détail du projet de loi C-41.

Me Asma Faizi, présidente, Afghan Women’s Organization Refugee and Immigrant Services : Merci, madame la présidente, et merci au comité.

Je veux à mon tour souligner l’urgence de la situation et notre désir que le projet de loi C-41 soit adopté sans plus attendre. Même si nous reconnaissons qu’il n’est pas parfait, nous sommes satisfaites des amendements qui lui ont été apportés, à la suite des discussions avec le Comité de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes et nous croyons que cela permettra aux organisations humanitaires de fournir l’aide cruciale et dont les gens ont désespérément besoin, comme l’a souligné Mme Niazi. Nous voulons remercier et féliciter le gouvernement d’avoir attentivement pris en considération les préoccupations que les organisations d’aide ont exprimées durant tous les travaux du comité et d’avoir amélioré la version originale du projet de loi.

De notre point de vue, il y a deux amendements clés qui se démarquent des autres. Premièrement, l’ajout de l’exemption pour les organisations qui participent à des activités d’aide humanitaire. Cet amendement permettra aux organisations qui offrent de l’aide humanitaire d’avoir la flexibilité nécessaire dont elles ont besoin pour fournir de l’aide urgente à la population qui souffre en Afghanistan. Deuxièmement, l’ajout d’un examen obligatoire après un an. Cela permettra au gouvernement d’évaluer toutes les lacunes potentielles dans la loi et de mettre en place un plan pour les corriger. Ces deux amendements nous rassurent quant à l’adoption rapide et immédiate du projet de loi.

Malgré tout, nous devons reconnaître qu’un travail important devra être fait après l’adoption du projet de loi. En plus de la grave crise humanitaire que cela a causée, la prise du pouvoir par les talibans en Afghanistan a entraîné une dégradation importante des droits de la personne, en particulier pour les femmes et les filles. Les talibans ont limité les déplacements des femmes, ont imposé des limites sévères à leur accès aux emplois, aux soins de santé et aux études supérieures. Ils ont aussi pris pour cible des femmes en vue ainsi que des défenseurs des droits de la personne. Les activités de développement, visées par le régime d’autorisation du projet de loi C-41, sont tout aussi importantes pour le bien-être des femmes et des filles afghanes.

Une fois le projet de loi C-41 adopté, nous espérons que le gouvernement va rédiger rapidement un règlement qui permettra aux organisations d’obtenir les autorisations nécessaires pour fournir des services essentiels, par exemple en matière d’éducation, de protection des droits de la personne, de soutien aux moyens de subsistance, de services d’immigration et de services de santé, même si cela dépasse la portée de l’exemption d’ordre humanitaire. Il est impératif que le gouvernement veille à ce que les ministères concernés par le processus de demande d’autorisation aient accès à des ressources adéquates, y compris pour rédiger des instructions claires afin d’aider les organisations à comprendre le processus. Ainsi, nous aurons un processus de demande rationalisé, rapide et efficace, tout en étant réactif aux besoins des femmes et des filles afghanes en matière de développement.

Je vous remercie de nous avoir invitées à discuter avec vous. Nous serons heureuses de répondre à toutes vos questions.

La présidente : Merci beaucoup.

Je veux remercier tous les témoins de leur présence. Je veux aussi profiter de l’occasion pour vous remercier de tout le travail que vous faites, aux quatre coins du monde. Je veux dire à l’Afghan Women’s Organization Refugee and Immigrant Services que je suis au Canada depuis 40 ans et que je sais que vous avez poursuivi de façon indéfectible vos efforts dans ce domaine, surtout Mme Niazi. Nous nous connaissons depuis longtemps, et j’ai vu le travail que vous accomplissez.

Nous allons maintenant passer à la période de questions des sénatrices et des sénateurs, en commençant par la marraine du projet de loi, la sénatrice Omidvar.

La sénatrice Omidvar : Merci à tous nos témoins. Tout le monde ici présent sait que le projet de loi à l’étude aujourd’hui est très différent de celui qui a été présenté en deuxième lecture à la Chambre. C’est grâce à vous tous qu’il a été amélioré ainsi. Cela a été long et difficile, mais je veux vous féliciter tous et toutes de l’excellent travail que vous avez accompli.

Je vais vous poser la même question que j’ai posée au ministre. Je veux voir si je pourrai obtenir une réponse plus précise de la part des parties prenantes. C’était au sujet du moment où l’aide pourra être apportée. Me Faizi a dit « rapidement ». D’après mon expérience avec le gouvernement, avec la réglementation et les processus gouvernementaux, vous ne pouvez pas utiliser le mot « rapidement » pour les décrire, parce que c’est pour ainsi dire un oxymore. Malgré tout, le ministre a promis de régler la bureaucratie; il a promis que cela ne causerait pas de problème. Pouvez-vous nous rassurer? Va‑t‑on pouvoir apporter de l’aide en Afghanistan, peut-être dès septembre, ou est-ce que même septembre serait trop tard? Qui aimerait répondre?

M. Belliveau : Nous avons mentionné, dans notre déclaration, que Médecins sans frontières a travaillé durant tout ce temps et que nous n’avons jamais arrêté. Je pense que, pour un certain nombre d’organisations dans le domaine humanitaire, une fois que ce projet de loi sera adopté et entrera en vigueur, elles auront la certitude qu’elles ne contreviendront pas aux dispositions criminelles dans la loi antiterroriste, et elles seront donc plus à l’aise d’agir immédiatement. Je pense avoir répondu en partie.

M. Fischer : Quand nous étions ici, en décembre, nous avons discuté de la tolérance au risque et des calculs de risque que toutes les organisations font. J’aimerais y revenir. Toutes les organisations vont entreprendre un processus pour évaluer le risque résiduel, après la sanction royale.

Il y a deux choses que le ministre Mendicino a dites qui me rassurent. Premièrement, le projet de loi entrera en vigueur immédiatement au moment de son adoption; il n’y a pas une autre date prévue plus tard, comme c’est souvent le cas avec les projets de loi. Deuxièmement, il nous a rassurés quant au caractère automatique de l’exemption, ce qui veut dire que vous n’avez effectivement pas besoin de présenter une demande quelle qu’elle soit, si votre évaluation du risque vous mène à la conclusion que vous êtes protégé en vertu de l’exemption.

Du point de vue de Vision mondiale Canada, nous croyons qu’il est important de prendre en considération les paramètres et les restrictions qui existent toujours en Afghanistan pour les diverses organisations, qui sont soumises à une série de décrets. On dirait qu’il y a chaque mois un nouveau décret dont le but est de restreindre les activités des organisations impartiales et indépendantes. Malgré cela, Vision mondiale Canada a commencé à envisager des solutions, pour savoir à quelle vitesse, dans ces délais, nous allons pouvoir déverrouiller ce qui pourrait être envoyé là-bas. Je sais qu’il y a eu une référence aux envois. Cela ne représente pas l’ensemble de nos activités, mais cela en fait partie. Je pense que notre directeur général a été cité au sujet des conteneurs remplis d’aliments thérapeutiques prêts à utiliser, qui ont été bloqués quand ce problème a été porté à notre attention. Nous essayons de voir si ces fournitures sont toujours en place et si nous pouvons tirer parti d’autres ressources qui sont peut-être entreposées ailleurs et qui pourraient être envoyées relativement rapidement, compte tenu de ce que le ministre Mendicino a dit plus tôt, ce qui faisait d’ailleurs partie des clarifications dont nous avions besoin, alors je remercie les membres du comité de l’avoir questionné à ce sujet.

Me Faizi : Si vous me permettez de faire un commentaire sur un autre aspect, sur l’exemption d’ordre humanitaire, je pense que la nature automatique de l’exemption permettra au moins aux organisations qui attendent l’entrée en vigueur de procéder et de commencer à fournir de l’aide à nouveau.

Je pense que les activités de développement ont aussi de l’importance. Le régime d’autorisation et le processus connexe doivent être réglés plus rapidement. Pendant que j’écoutais le ministre, j’ai eu des préoccupations parce qu’il n’arrêtait pas de mentionner ces autres activités, qui sont des activités à plus long terme et qui prennent plus de temps que ce que nous pouvons attendre. Pour l’Afghanistan, il s’agit d’une situation vraiment sans précédent : il n’y a pas que des besoins humanitaires graves, les gens meurent de faim. C’est le problème le plus grave actuellement, et c’est pourquoi il est si important que ce projet de loi soit adopté. Il y a aussi toutes ces autres activités qui sont aussi tout à fait alignées avec les principes d’humanité et de dignité, en particulier pour les femmes et les filles en matière d’éducation, et aussi parce qu’on leur interdit d’aller travailler, ce qui veut dire que l’enjeu est leur accès à des moyens de subsistance et aux programmes d’éducation. Au Canada, beaucoup d’entre nous qui ont des enfants savent que, durant la COVID, nos enfants ont perdu un an ou deux parce qu’ils n’ont pas eu accès au genre d’éducation qu’ils auraient normalement eue. Vous pouvez imaginer que, plus nous attendons, plus il sera difficile pour ces femmes et ces filles de tirer parti même des autres types de programmes d’éducation à distance que des organisations comme la nôtre voudront peut-être mettre en œuvre. C’est très important, pour cela également, d’agir rapidement.

Mme Niazi : Je suis d’accord avec ce que Me Faizi vient de dire. Par rapport au côté humanitaire, j’ai été rassurée quand le ministre a mentionné qu’il comprend que chaque jour qui est perdu, des vies sont perdues, et les gens perdent la vie. Il s’agit de la vie des gens, et puisqu’il faut accorder la plus haute priorité à la vie des gens et aux bienfaits de sauver des vies, j’espère que le processus ira vite et que les choses vont bouger bientôt.

La présidente : Merci.

La sénatrice Bernard : Je vais poser ce qui est probablement une question peu populaire, mais je crois que je dois la poser. Premièrement, je veux remercier tous les témoins de leur présence et aussi du travail qu’ils accomplissent dans ce domaine. Vous avez tous et toutes insisté sur l’urgence d’adopter ce projet de loi sans amendements — et nous avons aussi entendu que les amendements qui ont été adoptés à la Chambre sont tous des amendements qui, selon vous, renforcent ce projet de loi —, mais je voulais tout de même demander si, dans un monde idéal et nonobstant l’urgence de la situation — que je comprends entièrement — il n’y aurait pas d’autres amendements qui pourraient peut-être renforcer davantage ce projet de loi?

Me See : Je commencerai et je donnerai ensuite la parole aux autres témoins.

Je pense que l’exemption est un pas dans la bonne direction et qu’elle est importante. Idéalement, si toute l’activité avait été exemptée, cela aurait été magnifique, mais les lois et les projets de loi ne sont pas parfaits, et nous en sommes conscients. Il s’agit d’un équilibre entre différentes considérations.

Nous attendons avec impatience un engagement rapide dans le processus réglementaire pour fournir les précisions que nous demandons toujours, et c’est un forum approprié pour comprendre les choses, encore une fois, à un niveau pratique, en vue d’avoir un processus clair, transparent et accéléré pour composer avec un contexte complexe comme celui de l’Afghanistan.

M. Belliveau : Il n’y a pas grand-chose à ajouter de notre côté. Le cadre de référence de MSF est le droit international humanitaire, appuyé par l’éthique médicale. Nous sommes très à l’aise avec le libellé de l’exemption qui figure actuellement dans la version modifiée du projet de loi C-41 qui couvre très clairement les activités de MSF et d’autres organisations humanitaires à proprement parler. En ce qui concerne les commentaires de Me See sur l’élargissement des activités, les autres types d’activités d’aide qui peuvent ou non être inclus, je pense que c’est vraiment une question qui dépend de la façon dont nous fonctionnons, mais je n’ai rien à ajouter à ce que Me See a dit.

M. Fischer : Si je peux me permettre, j’aimerais ajouter une petite chose, et je pense que cela a été mentionné tout à l’heure. Il y avait un amendement qui prévoyait de changer la période d’examen de la loi. Dans la version originale, c’était cinq ans, ce qui est, sans doute, trop long pour un projet de loi, mais compte tenu de l’urgence et du facteur temps, nous apprécions que l’amendement présenté par les conservateurs ait ramené cette période à un an, en définissant des paramètres très clairs sur ce en quoi l’examen doit consister, y compris l’option d’ajouter des amendements à ce moment-là.

Compte tenu de la nécessité de trouver le juste équilibre entre répondre à l’urgence en Afghanistan, comprendre les paramètres liés au Code criminel que le gouvernement semble avoir adoptés et les suggestions que nous avons proposées, je pense qu’il y a un juste équilibre. Tout ce que nous apprendrons — et nous apprendrons pendant cette première année où des demandes seront présentées —, nous espérons que nous pouvons, dans le cadre du processus réglementaire et en passant par vous, si nous trouvons des choses avec lesquelles nous ne sommes pas d’accord, tenir le gouvernement responsable et améliorer le projet de loi à ce moment-là.

La sénatrice Jaffer : Merci à vous tous. C’est vraiment un honneur de vous avoir tous ici. J’ai eu l’honneur de voir votre travail sur le terrain, et je vous exprime toute ma gratitude pour ce que vous faites. Quand MSF était au Darfour, je n’arrivais pas à croire tout ce que vous faisiez — comme les autres —, surtout pour protéger les jeunes filles. Une fille avait été violée, et vous vous occupiez d’elle, et j’ai apprécié que vous vous soyez adaptés à la culture. Je respecte vraiment cela. Madame Niazi, je me suis assise ici pour travailler avec vous en 2001, et vous êtes toujours là, et j’admire vraiment votre courage.

J’ai la question suivante pour vous tous : vous a-t-on consultés au sujet de ce projet de loi? J’ai de nombreuses questions. Vous a-t-on consultés au sujet de ce projet de loi avant qu’il ne soit présenté au Parlement?

M. Fischer : Merci, sénatrice, de la question.

Je dirais que nous n’avons pas été suffisamment consultés avant qu’il ne soit présenté. Par la suite, je dirais que l’engagement a été vraiment constructif. La secrétaire parlementaire, Mme Damoff, pendant la troisième lecture, a mentionné le... le contexte minoritaire n’est jamais facile, et ce projet de loi particulier n’a pas été aussi facile qu’il aurait pu l’être. Il y a eu une grande collaboration à la fois avec les fonctionnaires — et ils sont tous venus plusieurs fois — ainsi qu’avec tous les partis. Si l’on revient sur le processus, il est toujours facile de dire que nous aurions souhaité que certaines de ces questions soient abordées à l’époque, mais puisque nous avons soulevé publiquement les préoccupations... je sais que nous les avons soulevées publiquement au cours de plusieurs étapes, mais également en privé, et elles ont été bien accueillies.

Me See : Je n’ai rien à ajouter.

M. Belliveau : Merci, sénatrice Jaffer, des remarques concernant le travail de MSF. Nous les apprécions vraiment.

La sénatrice Jaffer : Cela vient du cœur. J’en ai été témoin. Le Darfour a été la pire chose que j’aie jamais vue, donc, merci.

M. Belliveau : Merci à vous aussi.

Je voudrais simplement ajouter aux commentaires de M. Fischer que c’est probablement un euphémisme de dire que nous n’avons pas été suffisamment consultés lors de la première série de consultations. Je pense que, d’après notre expérience, de manière très générale, il faudrait faire quelque chose pour fournir de l’aide à l’Afghanistan, mais c’est à peu près tout ce qu’il y a eu. Je suis tout à fait d’accord avec les commentaires selon lesquels, depuis que la première version du projet de loi a été présentée, un dialogue très ouvert et collaboratif a mené à cette version.

Me Faizi : Merci de votre soutien et du travail que vous faites avec notre organisation depuis 2001.

Nous n’avons pas été consultés au sujet de ce projet de loi. C’est principalement grâce à ce comité et aux sénatrices et sénateurs qui ont travaillé avec nous et qui ont soutenu notre organisation pendant longtemps que nous sommes en mesure de parler des problèmes. Non, nous n’avons pas été consultés.

La sénatrice Jaffer : J’ai une question pour vous, monsieur Belliveau. Vous avez dit que vous avez continué de travailler, même avant cela. Avez-vous travaillé dans un autre pays ou avez-vous seulement continué de travailler au Canada à Médecins sans frontières, où travaillaient vos autres collègues? C’est parce que vous avez dit que vous allez continuer de travailler en Afghanistan. Je voudrais simplement que vous précisiez ce point.

M. Belliveau : Ce que je voulais dire, c’est que, depuis la prise de contrôle par les talibans en 2021, lorsque cette discussion est passée à la vitesse supérieure et que de nombreuses organisations humanitaires s’inquiétaient de savoir si, en poursuivant leurs activités en Afghanistan, elles ne commençaient pas à enfreindre le Code criminel, nous étions convaincus que le droit humanitaire international continuerait de protéger nos activités en Afghanistan. Nous avons beaucoup entendu parler de l’équilibre dans la discussion — l’avantage par rapport au risque —, et nous avons toujours estimé que la nécessité de continuer en Afghanistan était si forte que nous n’avons pas du tout envisagé de réduire ou de suspendre nos programmes. Il n’a pas été facile d’intervenir en Afghanistan, mais c’était notre position.

La présidente : J’aimerais faire suite à la question de la sénatrice Jaffer sur le fait que vous continuez de travailler en Afghanistan. Savez-vous dans quelles parties de l’Afghanistan? Travaillez-vous essentiellement dans les villes, ou y a-t-il du travail en cours dans les zones rurales de l’Afghanistan également? Si vous n’avez pas cette information, je serais ravie si vous pouviez me la fournir plus tard.

M. Belliveau : Nous pouvons assurément vous fournir des détails plus tard. Nous gérons des établissements de soins de santé secondaires dans la province de Helmand, à Kandahar et à Kunduz. Nous fournissons également certains services ruraux, mais je n’ai pas de détails sur ce point.

La présidente : Merci d’être ici et de faire le travail fort nécessaire. Ils ont absolument besoin de toute l’aide qu’ils peuvent obtenir.

[Français]

La sénatrice Gerba : Merci à tous les témoins. J’aimerais joindre ma voix à celle de mes collègues pour vous féliciter pour le travail que vous faites sur le terrain. Je l’ai constaté à plusieurs endroits : au Darfour, en Guinée, en République démocratique du Congo. C’est vraiment appréciable ce que vous faites comme travail.

Ma question s’adresse à M. Belliveau. Au mois de mars, Médecins sans frontières s’inquiétait du manque de réforme de la présente loi. Vous estimiez que le projet de loi sous sa forme précédente pouvait être de nature à criminaliser les travailleurs humanitaires et même ceux qui étaient considérés comme étant impartiaux.

Aujourd’hui, je comprends que vous appuyez le projet de loi tel qu’il a été amendé, avec les exemptions qui y sont introduites. Selon vous, est-ce que la version actuelle du projet de loi protège suffisamment les travailleurs humanitaires ou s’agit-il d’une source de préoccupation qui est toujours présente, notamment pour votre organisation, Médecins sans frontières?

[Traduction]

M. Belliveau : Merci de la question, sénatrice Gerba.

La première version du projet de loi ne prévoyait pas l’exemption d’ordre humanitaire. Nous avons fait des commentaires concernant l’idée que l’aide humanitaire ne saurait constituer un crime, car il y avait une présomption d’activité criminelle potentielle dans le régime d’autorisation. Obliger les organisations humanitaires à demander l’autorisation de fournir une aide humanitaire supposait que nous pourrions commettre un crime à moins que nous ne prouvions le contraire. C’était notre position en premier lieu. Maintenant, avec l’inclusion de l’exemption d’ordre humanitaire, la situation est inversée, et la partie automatique est également cruciale. Comme M. Fischer l’expliquait, nous évaluons nos risques et, grâce au libellé qui est maintenant inclus concernant l’exemption de l’action humanitaire, nous nous sentons à l’aise maintenant que la tendance initiale consistant à présumer que l’aide constitue un crime a été supprimée, et nous nous sentons donc à l’aise avec cela.

[Français]

La sénatrice Gerba : Merci, monsieur Belliveau.

[Traduction]

La sénatrice Pate : Vous avez peut-être entendu la question que j’ai posée au ministre tout à l’heure. J’aimerais savoir, du point de vue de vos différentes organisations, où se trouvent de meilleures protections ou les meilleures protections sur le plan législatif et en pratique? Quels sont les pays qui fournissent les meilleures protections, sur le plan législatif, pour votre travail?

Dr Jason Nickerson, représentant humanitaire au Canada, Médecins sans frontières : Merci de la question.

Dans les observations écrites que nous avons présentées au Comité spécial sur l’Afghanistan et au Comité permanent de la justice et des droits de la personne, nous avons mentionné plusieurs autres pays où le libellé de l’exemption d’ordre humanitaire figurait dans des parties similaires et légèrement différentes de leur code criminel. Des exemptions d’ordre humanitaire sont prévues dans les lois nationales de l’Australie, de l’Union européenne, de la Nouvelle-Zélande, de la Suisse, du Royaume-Uni et des États-Unis. Tous ces pays disposent d’une variante de l’exemption d’ordre humanitaire. Certaines s’appliquent à la question qui nous occupe, à savoir le financement, et d’autres traitent d’autres aspects de la loi antiterroriste. Nous nous ferions un plaisir de donner au comité ces exemples. Comme j’ai dit, ils figurent dans les mémoires écrits que nous avons précédemment présentés.

Me See : Merci, sénatrice, de la question.

Je dois ajouter, pour établir le contexte, comme vous le savez probablement, que le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté une exemption humanitaire permanente 2664. Cela concernait les actifs, mais il s’agit d’une résolution du Conseil de sécurité qui est régulièrement adoptée.

À la fin de mes commentaires, j’ai parlé de ce long parcours où, au bout du compte, les régimes fondés sur l’autorisation ne seront pas ce à quoi nous ferons face, car c’est la tendance que suivent la plupart des autres pays du G7... aller vers des exemptions humanitaires permanentes.

Merci.

M. Fischer : J’aimerais ajouter quelque chose. Comme nous l’avons dit dans notre témoignage, c’est ce que nous avons défendu, et nous envisageons le projet de loi C-41 dans le contexte d’un long parcours pour le gouvernement du Canada. Encore une fois, je parle en connaissance de cause, ayant assimilé des commentaires juridiques ces derniers temps. D’autres pays ont amorcé ce processus législatif il y a de nombreuses années. Le Canada a du retard à rattraper, et nous considérons le projet de loi C-41, dans sa forme actuelle, comme un pas dans ce long périple. Comme vous le savez tous, les progrès législatifs sont progressifs et parfois terriblement lents, alors nous considérons vraiment cela comme un pas important dans ce périple. Comme Me See et M. Belliveau l’ont dit, il peut y avoir davantage de mesures, et il y en aura, mais il s’agit d’un pas dans ce parcours à long terme.

Me Faizi : Je pense que nous sommes d’accord avec ce qui a déjà été dit. La chose la plus importante, c’est que nous comprenons des autres projets de loi qu’ils englobent tout ou qu’ils sont beaucoup plus larges que ce que nous avons au Canada, des dispositions très limitées en ce qui concerne les types d’activités qui sont couvertes.

La sénatrice Pate : Merci beaucoup.

[Français]

Le sénateur Dalphond : D’abord, je voudrais tous vous féliciter pour le travail remarquable que vous faites, c’est très impressionnant. La deuxième chose, c’est que j’ai oublié de poser la question aux représentants du ministère de la Justice. Le projet de loi que j’ai lu attentivement ne contient aucune disposition quant à la date d’entrée en vigueur, ce qui me semble signifier que la loi d’interprétation s’applique. La loi d’interprétation prévoit que la loi entrera en vigueur le jour où elle recevra la sanction royale.

À partir de ce jour, ma compréhension c’est qu’un nouveau crime aura remplacé l’ancien crime, et ce nouveau crime comprend une exemption pour les situations humanitaires qui ne constituent pas un crime. Je pense que les organisations humanitaires pourront commencer dès que Rideau Hall aura signifié son consentement.

Est-ce que c’est aussi votre compréhension? Avez-vous consulté des avocats? J’aurais dû poser la question au ministre qui était accompagné de représentants du ministère de la Justice.

[Traduction]

Me See : Merci de la question, sénatrice.

J’ai été heureuse d’entendre le ministre préciser que, dès l’obtention de la sanction royale, ce serait mis en œuvre. J’en déduis que l’exemption, en étant automatique, serait également activée à ce moment-là.

En ce qui concerne le régime d’autorisation, comme nous l’avons dit dans notre témoignage, cela dépendrait du parachèvement rapide du règlement.

La présidente : J’ai juste deux questions.

Vous m’avez entendue poser une question au ministre sur les délais prévus, et je ne pense pas avoir vraiment eu de réponse claire. Dans un scénario idéal, que voudriez-vous que ce soit, une fois que ce projet de loi est adopté et que la sanction royale est obtenue? Je ne sais pas si quelqu’un veut répondre à cette question. Je n’ai pas vraiment eu de réponse du ministre.

M. Fischer : Je peux essayer.

En reprenant ce que Me See a dit, mais également en plaçant cette question dans un contexte organisationnel, encore une fois, chaque organisation a pris la décision d’interrompre ses activités selon ses propres évaluations individuelles, estimant qu’il y avait un risque d’enfreindre la version précédente du Code criminel. Chaque organisation va — ou est déjà en train de le faire, dans le cas de Vision mondiale Canada — le faire et voir ce qui nous convient en ce qui concerne l’exemption.

D’après cette évaluation, dans quels cas pensons-nous avoir besoin d’une autorisation? Cela nous amènera à déterminer ce à quoi nous pouvons avoir accès. Y a-t-il des choses, comme des fonds — et je pense qu’il y a eu des discussions au sujet des institutions bancaires et financières — qui sont couvertes en tant que tierces parties? Je pense que le ministre nous a assuré qu’il n’y avait pas de problème à ce sujet, ce qui est une partie importante.

Tout cela pour dire que, en ce qui concerne le régime d’autorisation lui-même, d’après les discussions que nous avons eues, je pense que le gouvernement ressent une certaine pression politique qui l’incite à agir rapidement. Encore une fois, je n’essaie pas de faire la promotion du gouvernement, mais des fonds ont été alloués, dans le budget de 2023, à la mise en œuvre du projet de loi C-41, sachant que les ministères sont déjà à la limite de leur capacité, dans l’espoir que cela pourrait être fait.

En ce qui concerne l’exemption, j’espère que nous pourrons faire cela très rapidement. Pour différentes organisations, « très rapidement » signifie quelques semaines ou quelques mois. Bon nombre d’entre nous ont suivi les choses de près pendant très longtemps et ont cherché à savoir quand elle entrerait en vigueur. Certains d’entre nous faisaient leurs devoirs, et d’autres cherchaient ce que l’on pouvait mettre en place très rapidement.

Cependant, je n’ai pas de réponse. Je pense que c’était un bon suivi. J’essaie de regrouper tout ce que les différents cabinets de ministres et différents fonctionnaires ont dit. Si je pouvais formuler une recommandation à vous tous sans qu’on me le demande, je dirais qu’il faut continuer de faire pression sur eux. La situation en Afghanistan, comme nous avons entendu Me Faizi et Mme Niazi le dire, est sans précédent, et elle exige des gouvernements qu’ils envisagent des solutions et des approches qu’ils n’adopteraient pas dans des circonstances normales. S’il y a une bonne raison d’accélérer les formalités administratives à Ottawa, c’est bien celle-là.

Me Faizi : L’idéal, du moins en ce qui concerne le régime d’autorisation, c’est que le règlement soit mis en place, que les gens présentent leur demande et que le processus soit en cours avant l’examen d’un an pour que nous puissions formuler des recommandations sur ce qui pourrait être nécessaire au processus, afin de nous assurer qu’il est simplifié et efficace. Les organisations pourront rencontrer de nombreuses difficultés en raison du règlement, de l’application du processus lui-même et de toutes les questions qui ont été soulevées, y compris les questions que divers sénateurs et sénatrices ont posées ici au sujet du processus lui-même. Il serait donc idéal de mettre en place le processus et le règlement, et de mettre en œuvre le processus pour que nous ayons suffisamment de temps pour évaluer, pendant la période de un an, ce qui doit être corrigé. Autrement, nous devrons attendre l’examen quinquennal, ce qui pourrait être une mauvaise chose pour de nombreuses personnes.

M. Fischer : J’aimerais ajouter une précision importante concernant le délai — et cela a été évoqué tout à l’heure —, la deuxième version comprend cette obligation positive de la part du gouvernement pour indiquer aux organisations si elles doivent présenter une demande de permis. Cela signifie que vous effectuez une évaluation pour savoir si vous êtes couverts dans le cadre de l’exemption. Si vous estimez que vous ne l’êtes pas, vous allez au gouvernement et demandez si vous avez besoin d’un permis. Le gouvernement a l’obligation positive de vous dire si vous en avez besoin. Cela pourrait — et j’insiste sur le mot « pourrait » — accélérer le processus dans les cas où vous pourriez ne pas être sûr si vous êtes couverts par l’exemption, parce que le gouvernement doit vous dire, comme dans le cas des demandes de sanctions, s’il existe des protections et si vous êtes visé. Heureusement, il pourrait y avoir moins de demandes présentées sans qu’elles n’aient à être présentées. Encore une fois, pour revenir sur le point de Me Faizi, il s’agit d’un processus d’apprentissage. Avec un peu de chance, nous apprendrons tous très vite.

La présidente : Ma seule suggestion au ministre — je ne sais pas si c’est la deuxième ou la troisième —, c’était d’avoir des raccourcis pour certaines organisations, comme la Croix-Rouge, Vision mondiale et MSF. Que pensez-vous de la possibilité d’avoir une carte, comme une carte Nexus? Vous êtes connus pour y avoir travaillé. Cela vous permettrait d’obtenir plus facilement et plus rapidement l’autorisation nécessaire. Je réfléchis à voix haute.

M. Fischer : J’ai deux réponses à cette question.

Premièrement, tout au long du processus, nous avons défendu une approche équitable et juste qui permet aux organisations de notre taille et qui ont notre expérience de se retrouver dans le processus tout autant qu’une petite organisation qui n’a pas l’expérience nécessaire. Il est important de continuer d’insister là-dessus. Il ne peut s’agir d’un processus qui impose des fardeaux indus aux organisations qui ont de la difficulté à se retrouver dans les dédales de la bureaucratie d’Ottawa.

Deuxièmement — et ce n’est pas officiel, mais on nous l’a dit, et ce n’est pas une garantie qui couvre tout —, si vous êtes en train de négocier avec le gouvernement du Canada, que ce soit pour obtenir une subvention ou un accord de contribution pour l’Afghanistan, par exemple, il serait chargé d’obtenir l’autorisation en votre nom. Encore une fois, cela pourrait accélérer certains de ces cas, mais il s’agit d’un petit nombre par rapport au volume réel des demandes.

C’est une excellente question. Nous commençons par certaines des choses que nous avons entendues, mais la preuve tiendra vraiment au règlement et au processus.

La présidente : Merci.

Ma dernière question est la suivante : une fois que le flux aura commencé, de quelle façon acheminera-t-on l’aide humanitaire en Afghanistan? Quelqu’un y a-t-il pensé? Passerez-vous par le Pakistan, par avion? Quelle est la manière la plus simple?

Dr Nickerson : Nous le répétons, nous avons continué de travailler en Afghanistan, nous continuons donc d’avoir du personnel international. Nos chaînes d’approvisionnement et tout le reste fonctionnent. Ce que vous voulez dire, c’est qu’il s’agit d’une tâche et d’un problème complexes et difficiles. Je ne peux pas parler pour les autres organisations, mais nous avons tous certainement suivi l’évolution du paysage international au cours des derniers mois et sommes conscients de la complexité de la tâche. De notre point de vue, comme je le dis, nous continuerons de travailler avec l’ambiguïté qui a cours, laquelle sera supprimée, espérons-le, avec l’exemption d’ordre humanitaire. Je ne sais pas si l’un de vous veut en parler.

M. Fischer : J’aimerais faire valoir un point similaire à celui du Dr Nickerson. En ce qui concerne les grandes organisations qui sont constituées dans le cadre de ces partenariats et fédérations, comme Vision mondiale, Vision mondiale Royaume-Uni, par exemple, a pu continuer de fournir son soutien, comme l’ont fait d’autres bureaux. Cela signifie que ces chaînes d’approvisionnement existent, si difficiles et fragiles qu’elles soient, et qu’elles doivent être très fréquemment renégociées. Vision mondiale Canada pourra tirer parti de ces accords, que ce soit avec les fournisseurs ou avec des entreprises de logistique, pour pouvoir le faire rapidement. Je ne peux pas — et dans ce contexte, je ne devrais pas — entrer dans les détails de ce fonctionnement, parce qu’il est précaire.

Mme Niazi : En ce qui concerne Afghan Women’s Organisation, nous n’avons pas vraiment de grands programmes. Tous nos programmes sont financés par des dons et par les dons de nos propres partenaires. Jusqu’à présent, pour transférer l’argent en Afghanistan, nous avons utilisé le système « hawala ». En ce qui concerne les travailleurs en Afghanistan, nous n’avons pas pu nous arrêter, car nous nous occupons de l’orphelinat, même si nous n’avons pas pu fournir le soutien adéquat comme par le passé. Par exemple, nous n’avons pas pu payer le loyer pendant presque un an. Mais nous l’envoyons généralement par l’intermédiaire d’amis qui vont en Afghanistan ou au moyen du système « hawala », mais cet argent provient, bien sûr, de nos poches et des poches de nos amis. Cet argent ne va pas sur le compte de notre organisation parce que, si nous le prenons du compte de notre organisation, nous devrions alors rendre des comptes à l’Agence du revenu du Canada. Cela nous a rendu la tâche très difficile, mais nous fournissons toujours... nos amis des États-Unis et d’autres pays qui nous soutiennent envoient également de l’argent directement en Afghanistan par l’intermédiaire de leurs propres contacts. Nous avons notre propre personnel en Afghanistan. Nous avons le coordonnateur de notre programme en Afghanistan pour l’orphelinat, nous avons également de petits projets à domicile pour les familles. Par exemple, ils leur donnent de petits projets. C’est également financé dans ce cadre. Nous n’avons pas accepté de financement du gouvernement. Il s’agit uniquement de dons.

Me See : Du point de vue de la Croix-Rouge canadienne, nous sommes, bien sûr, membre du mouvement de la Croix‑Rouge et du Croissant-Rouge, le mouvement international, donc, tout en étant conscients du fait qu’il s’agit d’un contexte opérationnel complexe qui évolue au fur et à mesure que les besoins humanitaires changent, je pense que nous continuerons de travailler en collaboration avec nos partenaires du mouvement pour fournir des fonds, des ressources ou de l’expertise en fonction des besoins du moment.

La présidente : J’ai posé la question, car ma ville natale est Peshawar, et je voyais le camion parce que nos alliés ont décidé il y a longtemps d’envoyer de l’aide en Afghanistan.

Il nous reste environ 10 minutes.

La sénatrice Jaffer : J’ai une petite question pour vous, monsieur Fischer. Vision mondiale Canada, la Croix-Rouge et MSF sont de très grandes organisations. Je suppose que vous aideriez les petites organisations ou que vous auriez une sorte de réseau pour les aider à régler les formalités administratives, n’est-ce pas?

M. Fischer : C’est une excellente question. Dans le secteur de la coopération internationale, l’un des principes clés qui nous animent réellement est la solidarité. Je pense que la solidarité s’étend non seulement à nos partenaires sur le terrain, mais aux partenaires au Canada. Je reconnais que Vision mondiale Canada et la Croix-Rouge sont les deux plus grandes organisations du secteur, et cela s’accompagne d’un sentiment d’obligation et de solidarité, pour aider les organisations qui n’ont peut-être pas l’expertise, l’expérience ou même la sensibilisation nécessaires. C’était un processus. Aide à l’Afghanistan est une coalition de 18 organisations, petites, moyennes et grandes; il y a donc quelque chose à faire. Je pense que ce processus a permis à un groupe d’avocats de devenir très proches et très efficaces pour échanger les leçons apprises.

Enfin, je sais que Mme Kate Higgins de Coopération Canada a comparu devant vous également. En tant qu’organisation-cadre du secteur, il s’agit d’un mandat clé que le réseau prend très au sérieux. Notre porte a certes été ouverte à tous ceux qui ont participé au processus législatif ou qui l’ont observé pour partager ces leçons.

La sénatrice Jaffer : J’ai une question rapide pour vous, madame Niazi. En 2001, quand les gens que vous connaissiez en Afghanistan y travaillaient, M. Chrétien vous avait assuré une protection, car nos soldats étaient en Afghanistan parce que c’était dangereux. Aujourd’hui, je vois que vous parlez de construire des écoles. Dans mon esprit, je ne vois pas comment vous pouvez le faire alors qu’il est presque impossible d’envoyer des filles à l’école. Je sais que cela a lieu en privé, mais comment prévoyez-vous de le faire? Évidemment, pour y parvenir, vous avez besoin d’une autorisation; je n’en suis pas sûre. Mais je ne veux pas aborder cette question. Comment prévoyez-vous de le faire?

Mme Niazi : Merci, sénatrice Jaffer. Je suis ravie de vous entendre. Merci de reconnaître notre travail, et merci du soutien que vous nous avez fourni pendant de nombreuses années.

Nous avons actuellement un orphelinat, et cet orphelinat pour filles est ouvert 24 heures sur 24, jour et nuit. Nous offrons une éducation à l’intérieur de cet orphelinat. Jusqu’à présent, nous n’avons pas rencontré de problème majeur dans la mise en œuvre du programme. En raison de la pauvreté, les talibans ne s’opposeront pas à ce que l’on nourrisse les enfants. Mais en ce qui concerne l’offre d’une éducation, nous avons subi des pressions. Ils sont venus plusieurs fois dans notre orphelinat. Ils ont vérifié les salles et demandé des livres pour voir quels livres on leur enseignait.

En ce moment, notre principale préoccupation est de fournir une aide d’urgence à ceux qui sont affamés et aux personnes qui nous appellent. Nous recevons sans cesse des appels de l’Afghanistan. Certains demandent une aide humanitaire et, bien sûr, la sécurité et l’immigration, qui sont également importantes pour eux.

La dernière fois, il était aussi rare qu’aujourd’hui d’offrir des cours aux enfants. La dernière fois, nous avons offert une éducation à domicile. Nous avons travaillé avec des enseignants qui avaient été licenciés des écoles, de leur travail. Ils donnaient leurs propres cours chez eux, et cela s’est très bien passé. Quand les écoles ont officiellement ouvert leurs portes à Kaboul, les élèves qui ont fréquenté nos écoles ont passé les examens, et ont été mis dans des classes de niveau plus élevé, parce qu’ils avaient eu de très bons résultats.

Nous pouvons tirer parti de l’expérience que nous avons eue précédemment et qui a bien fonctionné cette fois-là. Je n’y vois pas de problème majeur, mais le problème sera lié à la taille réduite de l’initiative. Nous pouvons avoir 100 filles réparties sur quatre ou cinq endroits. De plus, il est difficile de les financer, car les coûts ont considérablement augmenté. La dernière fois, nous avons financé l’ensemble grâce aux dons que nous recevions. Mais je ne vois pas de problème majeur avec cela pour le moment. Avec l’orphelinat, cela fonctionne bien. Nous n’avons pas de problème majeur à le garder ouvert.

La présidente : J’aimerais profiter de l’occasion pour remercier tous les témoins d’avoir comparu devant nous. Je vous remercie de votre engagement et du travail que vous faites tous.

Mesdames et messieurs les sénateurs, cela met fin à la partie publique des audiences du comité.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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