LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES DROITS DE LA PERSONNE
TÉMOIGNAGES
Introduction OTTAWA, le lundi 11 décembre 2023
Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd’hui, à 16 h 1 (HE), avec vidéoconférence, pour examiner les questions qui pourraient survenir concernant les droits de la personne en général et, à huis clos, pour étudier un projet d’ordre du jour (travaux futurs).
La sénatrice Salma Ataullahjan (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bonjour, je m’appelle Salma Ataullahjan, sénatrice de Toronto et présidente du comité. Aujourd’hui, nous tenons une audience publique du Comité sénatorial permanent des droits de la personne. J’invite maintenant mes honorables collègues à se présenter.
La sénatrice Omidvar : Ratna Omidvar, de l’Ontario.
La sénatrice Gerba : Amina Gerba, du Québec.
La sénatrice Bernard : Wanda Thomas Bernard, de la Nouvelle-Écosse, et vice-présidente du comité.
La sénatrice Pate : Kim Pate. Je vis ici sur le territoire non cédé et non abandonné des Algonquins Anishinaabeg.
La présidente : Je souhaite la bienvenue aux sénateurs et à toutes les personnes qui suivent nos délibérations. Aujourd’hui, le comité poursuivra son étude sur les déplacements forcés à l’échelle mondiale en vertu de son ordre de renvoi général. Nous avons l’intention d’entendre des experts et des intervenants témoigner sur un large éventail de questions liées aux conséquences sur les droits de la personne dans le monde. Les sujets pourraient comprendre les effets du déplacement sur les enfants, l’efficacité du Pacte mondial sur les réfugiés, les mécanismes de soutien financier nouveaux et émergents, le rôle du parrainage privé, les répercussions des changements climatiques et le rôle international du Canada pour ce qui est de réduire les déplacements forcés tout en soutenant les réfugiés.
Cet après-midi, nous entendrons deux groupes de témoins. Dans chaque groupe, nous entendrons la déclaration des témoins, puis les sénateurs passeront à une période de questions et réponses. Je profite également de l’occasion pour rappeler à nos témoins et aux sénateurs que le Sénat siège ce soir à 18 heures et que le comité devra déroger légèrement à son horaire initial. La période consacrée au premier groupe durera 45 minutes, et celle consacrée au deuxième, qui commencera à 16 h 45, durera une heure.
Je vais maintenant présenter notre premier groupe de témoins. On a demandé à chacun d’eux de faire une déclaration préliminaire de cinq minutes. Je souhaite la bienvenue à nos premiers témoins par vidéoconférence, Janemary Ruhundwa, cofondatrice et directrice exécutive de Dignity Kwanza, et Muzna Dureid, responsable du plaidoyer et des partenariats de la Nobel Women’s Initiative et membre du Refugee Advisory Network of Canada.
J’invite Mme Ruhundwa à faire sa présentation, puis Mme Dureid.
Janemary Ruhundwa, cofondatrice et directrice exécutive, Dignity Kwanza : Merci beaucoup. Bonsoir, honorables sénateurs. Je suis heureuse de comparaître devant vous, et je vous remercie de m’offrir cette possibilité.
Mon organisation, Dignity Kwanza, est une ONG nationale qui travaille à la sauvegarde et à la promotion de la dignité humaine des personnes déplacées et des personnes à risque d’apatridie en Tanzanie grâce à la défense des droits, à l’aide juridique et à l’autonomisation communautaire. Je vais vous parler des déplacements en Afrique et vous raconter des événements vécus dans mon pays et dans le cadre de mon travail.
Les principaux flux migratoires en Afrique sont à l’intérieur des pays de la région des Grands Lacs, de la Corne de l’Afrique, l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique centrale et entre ces pays. Ensemble, ces régions comptent plus de 5,2 millions de réfugiés et plus de 18 millions de personnes déplacées à l’intérieur des pays. Cette situation est attribuable à des conflits au Soudan du Sud, en République démocratique du Congo — ou RDC —, en République centrafricaine, en Somalie et dans d’autres pays, mais aussi à des sécheresses et à des causes liées au climat.
Environ 37 % de ces réfugiés sont des enfants âgées de moins de 11 ans, 53 % ont moins de 18 ans et 82 % sont des femmes, des enfants et des personnes âgées. Il convient également de souligner que 75 % de ces personnes déplacées vivent dans leur pays en tant que personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays et ne reçoivent pratiquement pas de soutien de la communauté internationale.
Je voudrais vous décrire la réalité de la plupart des réfugiés en Afrique.
Premièrement, la plupart des réfugiés en Afrique se trouvent dans des situations prolongées. Par exemple, dans mon pays, la Tanzanie, il y a des gens qui vivent en tant que réfugiés depuis plus de 50 ans — depuis 1972. Ils peuvent accéder à des services sociaux de base comme la santé et l’enseignement primaire et secondaire, mais ils ne peuvent pas être propriétaires de terres ou bénéficier d’autres programmes d’autonomisation socioéconomique conçus pour ne profiter qu’aux citoyens, comme les prêts étudiants universitaires ou les subventions sur les engrais et les semences. En outre, puisqu’ils vivent dans des villages, ils ne bénéficient d’aucune aide humanitaire offerte aux réfugiés dans les camps.
Un autre fait concernant les réfugiés en Afrique, c’est que la plupart d’entre eux vivent dans des camps de réfugiés, ce qui limite considérablement leur capacité d’être autonomes. Dans mon pays, les réfugiés dans les camps ne sont pas autorisés à participer à des activités d’autonomisation, et le gouvernement a déclaré à plusieurs reprises qu’il avait émis des réserves sur le deuxième objectif du Pacte mondial sur les réfugiés relatif à l’autonomie, et ces restrictions sont fondées sur la supposition que les réfugiés retourneront chez eux rapidement. Cependant, la réalité, c’est qu’ils finissent par vivre dans ces conditions pendant des décennies. Certains réfugiés vivent dans des camps depuis 57 ans dans ces conditions, alors que le soutien humanitaire ne cesse de diminuer. À l’heure actuelle, les réfugiés dans les camps en Tanzanie ne reçoivent que 50 % des rations alimentaires qu’ils sont censés recevoir.
Les restrictions imposées aux réfugiés dans les camps les exposent — surtout les hommes et les jeunes — à des risques tels que l’arrestation et la détention, la traite des personnes, l’exploitation et l’extorsion lorsque les circonstances les obligent à quitter les camps sans permission pour tenter de trouver du travail afin de compléter le soutien humanitaire qui diminue. Les enfants finissent parfois par travailler dans des cantons voisins. Les femmes et les filles sont victimes de violence fondée sur le genre et exposées à d’autres risques pour la sécurité lorsqu’elles vont à la recherche de bois de chauffage, car elles doivent aller très loin pour le chercher en raison des pressions sur l’environnement.
Pour les enfants dans les camps, l’accès à une éducation de qualité est également compromis. Par exemple, en Tanzanie, où le programme d’études du pays d’origine est utilisé pour les enfants réfugiés, ils sont restés trois ans sans passer leurs examens finaux en raison de désaccords entre le pays d’accueil et le pays d’origine — dans ce cas-ci, le Burundi — sur les modalités de réalisation de ces examens. Les possibilités d’études supérieures sont aussi très limitées, car les bourses d’études accessibles sont rares.
En raison de restrictions légales et pratiques, le statut de réfugié a tendance à offrir moins de protection, ce qui a amené de nombreux réfugiés à choisir de vivre sous le radar en tant que migrants sans papiers, ce qui crée une autre couche de risques, dont la traite des personnes et l’apatridie.
La pauvreté est un problème transversal dans les déplacements des Africains, et elle est également au cœur de la recherche de solutions. Que les gens fuient des instabilités politiques ou des facteurs climatiques, la plupart des personnes qui fuient en Afrique vivaient dans la pauvreté avant de fuir. Mais ces gens vivent en outre aux côtés de communautés d’accueil qui croupissent, elles aussi, dans la pauvreté, ce qui, dans une large mesure, définit la qualité de la protection à laquelle ils peuvent avoir accès.
Cela dit, il y a des pratiques positives qui méritent d’être racontées. Les pays africains sont à l’avant-garde de la recherche de solutions durables pour les réfugiés qui vivent dans leurs pays depuis de nombreuses années. Je vais encore donner des exemples de mon pays.
À plusieurs occasions, la Tanzanie a accordé la citoyenneté à des groupes de réfugiés. Le groupe le plus important a été celui des réfugiés burundais à qui on a accordé la citoyenneté — plus de 162 000 réfugiés burundais. La citoyenneté a également été accordée aux Rwandais et aux Bantous somaliens au cours des années précédentes.
Les pays s’efforcent de faciliter les retours. Ceux-ci présentent aussi des défis. Des tentatives d’inclusion des réfugiés ont été observées en Éthiopie et en Ouganda, où ils peuvent travailler. Cependant, dans mon pays — et c’est un fait qu’on oublie parfois —, environ 40 000 réfugiés vivent dans des villages, et j’en ai déjà parlé. Malgré les défis auxquels ils font face, ils peuvent tout de même bénéficier de structures et de systèmes qui profitent également aux communautés d’accueil.
Par ailleurs, la Tanzanie offre les permis de travail gratuitement aux réfugiés, mais ces permis présentent des difficultés, surtout pour ce qui est d’y accéder.
Des pays africains continuent de permettre aux personnes qui fuient la persécution d’accéder à leurs territoires. Malgré les nombreux problèmes communs, la Tanzanie continue d’accueillir des réfugiés. Pas plus tard que cette année, plus de 12 000 réfugiés congolais y ont été admis comme demandeurs d’asile.
Enfin, pour trouver des solutions à certains des défis que j’ai mentionnés, il faut régler des problèmes. Je crois que le Canada peut fournir un soutien qui nous aidera à les surmonter. La première solution consiste à accroître l’aide humanitaire destinée aux réfugiés en Afrique. Lorsque le soutien humanitaire diminue, les restrictions imposées à l’autonomie se traduisent par une souffrance accrue pour les hommes, femmes, filles et garçons réfugiés, qui n’ont aucun contrôle sur leur situation. Il est également essentiel d’investir dans la défense des intérêts locaux auprès des gouvernements hôtes en aidant les acteurs locaux — y compris les réfugiés eux-mêmes et les universitaires — à travailler avec les gouvernements et les populations d’accueil afin que l’on comprenne leurs préoccupations profondes et que l’on travaille avec eux pour trouver des solutions pratiques. De plus, il faut promouvoir les droits de la personne et les approches centrées sur les personnes comme moyen gagnant-gagnant de traiter les déplacements forcés, ainsi que remodeler le discours des réfugiés et briser les mythes existants sur les réfugiés et les migrants.
Il s’agit également d’aider les pays d’origine, qui ont réalisé des progrès positifs en matière de paix et de sécurité, comme le Burundi, à rétablir et à reconstruire des structures et des cadres socioéconomiques et démocratiques qui favoriseront le retour durable des migrants et des réfugiés. Il importe également d’accroître les flux d’établissement et d’ajouter des voies complémentaires pour que les personnes déplacées aient la possibilité de recommencer leur vie dans un pays tiers, mais aussi pour soulager les pays d’asile.
Il est essentiel de remanier le modèle de partage des responsabilités et de le rendre plus prévisible. Pour ce faire, on peut commencer par reconnaître la contribution réelle des gouvernements hôtes en Afrique et leurs luttes réelles, tout en essayant d’offrir une protection et en tentant de l’égaler.
En outre, les pays du Nord devraient mettre fin à la politique de deux poids, deux mesures en ce qui concerne leur réaction à la migration. Le Canada est bien placé pour rappeler à ses homologues du Nord qu’il leur incombe de donner l’exemple.
Enfin, il est important de continuer d’investir dans la promotion des droits de la personne et des libertés fondamentales en général, ainsi que dans la lutte contre la pauvreté dans la région de l’Afrique, car ce sont certaines des raisons pour lesquelles les gens sont déplacés.
Je vous remercie.
La présidente : Madame Dureid, vous avez la parole.
Muzna Dureid, responsable du plaidoyer et des partenariats, Nobel Women’s Initiative, et membre, Refugee Advisory Network of Canada, à titre personnel : Je vous remercie infiniment, distingués sénateurs. Merci de votre invitation d’aujourd’hui.
Je veux mentionner qu’aujourd’hui a lieu la grève mondiale pour Gaza, pour appeler à un cessez-le-feu immédiat. Je me joins à vous de façon exceptionnelle puisque la séance était prévue en novembre.
Je suis une ancienne demandeure d’asile et réfugiée de la Syrie.
Le Refugee Advisory Network of Canada est un groupe consultatif du Canada sur les déplacements forcés. Aujourd’hui, plus du quart de l’humanité vit dans des régions touchées par des conflits. Les déplacements forcés au Moyen-Orient sont un problème complexe qui a été exacerbé par une combinaison de facteurs. La région a connu un nombre important de conflits et de crises, en conséquence desquels de vastes populations ont été déplacées de force de chez elles.
La Syrie a été l’un des principaux pays à contribuer aux déplacements forcés au Moyen-Orient, qui ont commencé après le soulèvement social de 2011. À la suite de la réaction violente du régime syrien, 6,7 millions de Syriens ont été déplacés à l’intérieur du pays, et 5 millions ont fui l’horreur d’Assad vers des pays voisins comme la Turquie, le Liban, la Jordanie et l’Irak.
Pendant que les médias internationaux ont éteint les projecteurs sur la Syrie, la Russie et le régime Assad continuent d’attaquer des civils et des camps de réfugiés, surtout après le tremblement de terre qui a frappé le nord-ouest de la Syrie, où vivent cinq millions de personnes qui ont été déplacées à plusieurs reprises. Ainsi, le programme canadien d’aide aux victimes du tremblement de terre en Syrie représente une lueur d’espoir pour les personnes qui attendent notre aide, mais il doit cibler celles qui en ont le plus besoin. Les victimes du séisme ont perdu leurs documents officiels et leurs passeports. Elles n’ont pas les documents nécessaires pour demander un visa afin de venir au Canada et pour bénéficier du programme que le gouvernement a lancé après le séisme.
Au Soudan, alors que le conflit amorce son neuvième mois, plus de quatre millions de femmes et de filles sont maintenant à risque de violence sexuelle. Plus de 9 000 personnes ont été tuées, ce qui a forcé le déplacement de près de 6 millions de personnes : 4,63 millions à l’intérieur du pays, et 1,17 million à l’extérieur. Les mesures prises par le Canada pour relocaliser les familles de résidents permanents canadiens et soudanais ont contribué à sauver des vies, mais la période de ce programme est courte, malgré le fait que ce conflit n’a pas de date d’échéance. La souffrance persiste. Ainsi, le Canada devrait accorder plus de temps aux familles pour qu’elles puissent présenter une demande et quitter le Soudan afin d’obtenir un visa et bénéficier de la réunification avec leurs membres au Canada.
En ce qui concerne les réfugiés palestiniens, la crise qui les touche est un problème de longue date au Moyen-Orient, qui remonte à l’établissement d’Israël en 1948. Des millions de personnes vivent dans des camps de réfugiés dans les territoires palestiniens occupés, à Gaza et dans les pays voisins. Cependant, au cours des dernières semaines, des camps de réfugiés à Gaza, comme les camps de Jabalia et de Maghazi, exploités par l’Office de secours et de travaux pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient, ont fait l’objet d’attaques systématiques par l’armée israélienne. Malgré ces graves violations des droits de la personne et le génocide qui a lieu à Gaza, le Canada s’est abstenu de voter sur une résolution humanitaire des Nations unies demandant un cessez-le-feu. Si le Canada veut jouer un rôle diplomatique dans l’édification de la paix, telle qu’on la connaissait, et contribuer à sauver des vies, il devrait revoir ses votes et ses mesures et appeler à un cessez-le-feu immédiat.
Les camps sont un refuge pour les personnes vulnérables, et rien ne justifie qu’on les prenne pour cibles.
En Afghanistan, où l’apartheid fondé sur le sexe est imposé aux Afghanes à l’intérieur du pays par les talibans et au Pakistan, où 1,7 million de réfugiés afghans risque l’expulsion, le Canada devrait prendre d’autres engagements visant à soutenir les réfugiés afghans à risque.
Quant aux recommandations et à ce dont nous avons besoin de la part du Canada, tout d’abord, plus que jamais, davantage de défenseurs des droits de la personne, de journalistes et de militants sont à risque et doivent être réinstallés par différentes voies, pas seulement dans le cadre de nos programmes relatifs aux droits de la personne, qui ont un plafond de 500 places, mais nous avons besoin de plus de voies pour soutenir les personnes qui sont à risque. Le Canada devrait traiter tous les réfugiés sur un pied d’égalité, sans discrimination fondée sur l’origine ethnique, la religion ou la couleur. Les réfugiés contribuent à la société canadienne, et il faudrait mettre en place d’autres mesures pour faciliter leur intégration au Canada en accélérant la reconnaissance de leur accréditation et en éliminant l’exigence de l’expérience canadienne.
Compte tenu du manque de financement, il est essentiel d’appuyer les organisations dirigées par des réfugiés au Canada et à l’étranger parce qu’ils sont les experts pour ce qui est de relever les défis auxquels font face les réfugiés. Le soutien des efforts de consolidation de la paix dirigés par des réfugiés réinstallés au Canada est un processus gagnant-gagnant qui vise à maximiser les avantages de leur expertise et à renforcer le rôle et la diplomatie du Canada à l’échelle mondiale. Merci.
La présidente : Je vous remercie tous les deux de vos exposés. Avant de poser des questions et d’entendre les réponses, je voudrais demander aux membres du comité et aux témoins présents dans la salle pendant la séance de bien vouloir éviter de se pencher trop près du microphone ou de retirer leurs écouteurs s’ils le font. Ces mesures éviteront les réactions acoustiques sonores qui pourraient avoir une incidence négative sur les membres du personnel du comité qui se trouvent dans la salle.
Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs. Chers collègues, vous disposez de quatre minutes pour poser votre question, et cela comprend la réponse.
La sénatrice Omidvar : Je remercie nos deux témoins. Vous nous avez aidés à voir une fenêtre sur une région qui est dans une situation de tension.
Ma première question s’adresse à Mme Ruhundwa. Ce n’est pas une étude facile parce qu’elle n’est pas pleine de notes d’optimisme ou de bonnes histoires; c’est une étude difficile. Madame Ruhundwa, j’ai été très heureuse de vous entendre mentionner le rôle exceptionnel que la Tanzanie a joué en 2016, lorsqu’elle a offert la naturalisation à plus de 200 000 réfugiés burundais. J’espère que nous pourrons le souligner dans notre rapport, car c’est probablement la première et la seule fois qu’un pays est allé aussi loin. Je suis curieuse de savoir, madame Ruhundwa, après que la situation au Burundi s’est normalisée en quelque sorte et que les réfugiés ont pu être rapatriés… pouvez-vous me dire approximativement combien de réfugiés burundais en Tanzanie ont choisi d’être rapatriés et combien ont choisi de rester en Tanzanie et d’obtenir la citoyenneté?
Mme Ruhundwa : Merci. Je devrais mentionner qu’en Tanzanie, nous avons différents groupes de réfugiés burundais. Je veux être certaine de bien comprendre si vous posez une question au sujet des réfugiés burundais de 1972, parce que ce sont les seuls qui ont eu la possibilité de choisir l’intégration locale, le retour ou le rapatriement. Les autres, surtout ceux qui sont arrivés en 2015, n’ont pas eu cette possibilité. Dans leur cas, la seule solution durable est le rapatriement. Très peu ont pu être réinstallés, mais il n’y a aucune possibilité d’obtenir la citoyenneté pour ce groupe. Il en va de même pour celui qui est arrivé dans les années 1990. On ne leur a pas donné la possibilité d’être naturalisés. Seul le groupe qui est arrivé en 1972 a eu ces trois choix.
La sénatrice Omidvar : Dans ce cas, mes renseignements ne sont probablement pas exacts. J’ai eu une conversation avec le président Kikwete, qui a été président de la Tanzanie, et il a longuement parlé des possibilités, en 2015, qui ouvraient la voie vers la citoyenneté à plus de 200 000 Burundais. Mais nous pourrons vérifier nous-mêmes, madame Ruhundwa.
C’est la seule occasion que nous aurons de parler de l’Afrique, et l’Afrique est une vaste région sur laquelle nous avons besoin de points de vue. Pourriez-vous nous parler de la situation au Soudan du Sud, d’une part, et de celle en Afrique du Sud, d’autre part? Au Soudan du Sud, des flux de réfugiés sont créés quotidiennement en raison de la violence qui y sévit, ainsi qu’en Afrique du Sud, parce que ce pays est maintenant devenu la plaque tournante pour les demandeurs d’asile et semble avoir décidé de se retirer de la convention des Nations unies et de refuser l’accès aux réfugiés provenant d’autres parties de la région.
Mme Ruhundwa : Merci. Je vais commencer par la situation en Afrique du Sud. Ce que nous observons dans ce pays, c’est l’incidence de l’absence de lois et de politiques communes à l’égard des réfugiés. Chaque pays qui adopte des lois et des politiques progressistes devient plus attrayant pour les réfugiés et finit par recevoir un très grand nombre de ceux-ci. Lorsque cela se produit, on voit des réactions xénophobes de la part de la population, ce qui a une incidence sur les décisions du gouvernement.
À mon avis, c’est un appel lancé à tous les pays d’Afrique, et aussi à la communauté internationale en général, à essayer le plus possible de promouvoir des normes communes en matière de protection des réfugiés afin de ne pas rendre certains pays plus attrayants parce que l’asile est offert à des personnes dans le besoin et que tous les réfugiés méritent d’obtenir de meilleures normes mondiales de protection. Quand on a l’impression que, quand on va dans certains pays et qu’on n’est pas en mesure d’obtenir ce genre de protection, tout le monde veut se rendre dans quelques pays seulement, ce sont les résultats que nous observons.
La sénatrice Omidvar : Madame Ruhundwa, je veux affirmer clairement que nous comprenons cela. Vous recommandez une réponse régionale avec une coordination, des normes communes, un suivi et une évaluation pour que les États africains, peut-être par l’entremise de l’Organisation des États américains, ou l’OEA, puissent assumer un certain leadership dans leur propre région. Vous ai-je bien entendu dire cela?
Mme Ruhundwa : Oui, c’est ce que je propose parce que c’est ce que nous voyons dans notre travail. De nombreux demandeurs d’asile viennent en Tanzanie, mais, après y avoir passé un certain nombre d’années avec l’impression de vivre dans l’oubli, ils progressent vers d’autres pays, parfois dans la région de l’Afrique de l’Est, et parfois vers le sud du continent. C’est parce qu’ils essaient de trouver un endroit où ils auront plus de possibilités de reconstruire leur vie qu’en Tanzanie, où ils ne peuvent pas être autonomes.
La sénatrice Omidvar : Je vous remercie. Je vais poursuivre au deuxième tour, et j’aurai une question pour l’autre témoin.
[Français]
La sénatrice Gerba : L’année dernière, le Haut-Commissaire des Nations unies pour les réfugiés a effectué une visite en Tanzanie. À cette occasion, il a notamment salué la longue tradition tanzanienne d’accueil et de protection des réfugiés. Le haut-commissaire a également salué une mesure, en particulier celle de la délivrance des actes de naissance aux enfants réfugiés, expliquant que cela leur accordait d’importantes protections juridiques tout en réduisant le risque d’apatride.
Pourriez-vous nous en dire davantage sur cette mesure qui est propre au gouvernement tanzanien? Pensez-vous qu’elle devrait être reproduite dans d’autres contextes en Afrique ou dans le monde?
[Traduction]
Mme Ruhundwa : Je vous remercie, honorable sénatrice, de poser cette question. Oui, je suis d’accord pour que cette mesure soit reproduite, parce que les enfants réfugiés, comme n’importe quel autre enfant, ont droit de faire enregistrer leur naissance et d’obtenir un acte de naissance de leur lieu de naissance. Pendant longtemps, ce n’était pas le cas en Tanzanie. Dernièrement, le gouvernement, en partenariat avec d’autres acteurs nationaux et internationaux, a réussi à offrir leurs certificats à de nombreux enfants réfugiés. C’est très important parce que, compte tenu de la nature du déplacement, si les enfants de réfugiés et d’autres personnes déplacées ne peuvent pas obtenir d’actes de naissance, il pourrait être difficile pour eux de prouver leur lieu de naissance et leur nationalité. L’absence d’actes de naissance pourrait se solder par l’apatridie dans l’avenir. Alors, je crois que les autres pays qui n’ont pas commencé à délivrer ces certificats aux enfants réfugiés devraient reproduire cette mesure. Merci. Je ne sais pas si c’était votre question.
[Français]
La sénatrice Gerba : Oui. Pensez-vous que d’autres mesures pourraient être prises pour renforcer la protection juridique des réfugiés et surtout des enfants? Y a-t-il d’autres mesures que vous pourriez nous recommander pour protéger les enfants d’un point de vue juridique?
[Traduction]
Mme Ruhundwa : Oui. Les actes de naissance, dont nous avons déjà parlé, en sont une. Mais j’aimerais parler du fait que de nombreuses personnes déplacées qui viennent en Tanzanie… nous avons des réfugiés qui sont enregistrés, mais nous avons aussi des réfugiés et des immigrants sans papiers, dont les enfants sont à risque élevé d’apatridie dans l’avenir; comme leurs parents ne sont pas documentés, ces enfants ne peuvent pas obtenir de certificat de naissance. Mais aussi, leurs parents les inscrivent dans des écoles en utilisant de faux noms, soit celui de leurs amis tanzaniens, soit simplement des noms inventés qui sonnent tanzaniens. C’est un problème auquel ces enfants sont exposés, et ils n’ont aucun recours parce que leurs parents ont peur de révéler leur propre identité. Ces enfants étudient en utilisant des noms qui ne leur appartiennent pas et continuent de vivre en tant que Tanzaniens, même s’ils n’en sont pas. Parfois, lorsqu’ils grandissent, ils obtiennent des pièces d’identité nationales, et, lorsqu’on découvre qu’ils ne sont pas des ressortissants… à ce moment-là, ils ont probablement perdu leurs documents de leur pays d’origine. Il y a un risque énorme d’apatridie dans l’avenir.
Alors, pour déterminer comment protéger ces enfants, il s’agit toujours de faciliter leur accès aux documents civils. L’acte de naissance en est un.
Il est important que le gouvernement tienne compte des intérêts des enfants dans cette situation. En outre, si possible, il faut appliquer une politique de non-intervention du côté des parents lorsqu’ils veulent enregistrer la naissance de leurs enfants. Je ne sais pas si c’est possible, mais il faut trouver une façon de s’assurer que le statut des parents ne les dissuade pas de procéder à l’enregistrement de leurs enfants, de trouver des documents pour eux ou de les inscrire à l’école. Si on ne le fait pas, ces enfants sont exposés à tous ces risques d’apatridie dans l’avenir.
La sénatrice Bernard : Mes questions s’adressent également à Mme Ruhundwa. Tout d’abord, je voudrais obtenir des précisions sur quelques observations que vous avez faites dans votre déclaration préliminaire. Vous ai-je bien entendu dire qu’il y a dans votre pays des gens qui vivent dans des camps de réfugiés depuis 50 ans? Si c’est le cas, pour quelles raisons ces gens ne peuvent-ils pas sortir de ces camps?
Mme Ruhundwa : Merci, honorable sénatrice. En guise de précision, il y a des réfugiés qui vivent en Tanzanie depuis 50 ans. Ils vivaient dans des peuplements et dans des villages. La majorité de ceux des peuplements ont été naturalisés et sont maintenant citoyens. Il n’en reste que quelques-uns. Mais les 40 000 personnes dont j’ai parlé vivent dans des villages, pas dans des camps de réfugiés.
Certaines de celles qui sont dans des camps de réfugiés s’y trouvent depuis environ 27 ans, parce que le plus vieux camp du pays se trouve actuellement près de celui de Nyarugusu, ouvert en 1996, et il y a des réfugiés qui sont arrivés cette année-là, qui y sont restés et qui y sont toujours. Pour que ce soit clair, 50 ans, c’est non pas dans les camps, mais dans les villages et dans quelques peuplements. La différence entre les peuplements, les villages et les camps, c’est que les personnes qui vivent dans un camp ne peuvent pas le quitter sans permission, ni participer à des activités d’autonomisation. Les habitants des villages et des peuplements ne peuvent accéder aux terres qu’à des fins d’utilisation; ils ne peuvent pas en être propriétaires, mais ils peuvent y accéder à des fins d’utilisation. Ils jouissent d’une plus grande liberté de mouvement; ils vivent aux côtés de la communauté d’accueil et partagent les installations avec elle. Voilà la principale différence entre les trois.
La sénatrice Bernard : Merci. L’autre précision concernait les activités d’autonomisation. Vous venez d’en reparler. De quels genres d’activités s’agirait-il?
Mme Ruhundwa : Nous entendons par ce terme les activités de subsistance qui vont au-delà du simple fait d’aider les réfugiés à acquérir les produits de base comme la nourriture qui leur permettraient de vivre sans avoir nécessairement besoin d’aide humanitaire.
Dans les camps, les réfugiés sont actuellement autorisés à cultiver un potager pour bonifier et diversifier la nourriture qui leur est donnée, et rien d’autre. Il y avait auparavant des marchés locaux qui rassemblaient les réfugiés et les membres des communautés d’accueil, mais ils sont maintenant fermés. D’autres activités commerciales qui avaient lieu dans des camps ont été interdites. C’est pourquoi nous parlons si souvent de la question de l’autonomie. Surtout en ce moment, car même l’aide alimentaire qu’ils reçoivent n’est pas suffisante; elle représente moins de 50 %.
La sénatrice Pate : J’ai une question pour Mme Dureid. J’étais dans le Nord-Est de la Syrie l’été dernier, et j’ai été choquée de constater l’ampleur des déplacements de gens de la région, de ressortissants étrangers et de bien d’autres personnes. Le gouvernement canadien et de nombreux autres gouvernements étrangers sont intervenus dans un contexte où la priorité était de vaincre le groupe État islamique et Daech, mais il me semble qu’on a pratiquement abandonné la région depuis, particulièrement le Nord-Est de la Syrie. Les besoins en matière d’infrastructure, d’aliments de base, d’eau, de logement et de structure juridique sont énormes. J’aimerais savoir si vous avez des renseignements supplémentaires à fournir au comité au sujet de l’ampleur de l’engagement de la communauté internationale quant à la lutte contre le groupe État islamique, et de l’abandon subséquent de ces mêmes forces, en particulier certaines des forces kurdes qui combattaient et qui se retrouvent maintenant avec des millions de personnes déplacées, tant des gens de la région que des ressortissants étrangers.
Mme Dureid : Sénatrice, je vous remercie de cette question. C’est un point très important, car le Canada et tous les pays occidentaux devraient rapatrier leurs citoyens du camp de Roj, non seulement pour aider la Syrie à se stabiliser, mais aussi parce que leurs citoyens ont le droit d’être rapatriés et d’être traduits devant les tribunaux de leur pays au sujet de ce qu’ils ont fait par le passé.
Il y a aussi quelques Canadiens qui se trouvent encore dans le camp de Roj. Des femmes et des enfants ont déjà été rapatriés de là, mais il faudrait rapatrier également les hommes, pas seulement les femmes et les enfants, et rapatrier aussi ceux qui restent. Je pense qu’une femme et six enfants sont toujours dans le camp.
En ce qui concerne le soutien dans ce dossier en cours, presque quatre années se sont écoulées sans solution ni engagement de la part des pays occidentaux, y compris le Canada. Quant à la situation dans le Nord-Est de la Syrie, c’est déjà un secteur oublié de la région, il l’était même avant le soulèvement social et la révolution en Syrie. C’est un secteur faible, sans infrastructure. Il est maintenant exposé aux bombardements de la Turquie et à tous ceux de la coalition internationale contre le groupe État islamique. C’est déjà un secteur faible, et il a besoin que les gouvernements du Canada et d’autres pays soutiennent davantage d’initiatives et de projets d’infrastructure en vue de son rétablissement et pour soutenir les civils. De plus, la région a été exposée à des tremblements de terre, mais moins que le Nord-Ouest de la Syrie.
La sénatrice Pate : Merci beaucoup.
La présidente : J’ai une brève question pour vous, madame Dureid. Dans le mémoire que vous nous avez présenté, vous dites que le Canada doit traiter tous les réfugiés sur un pied d’égalité, sans discrimination fondée sur l’origine ethnique, la religion ou la couleur de la peau. Avez-vous l’impression qu’il ne les traite pas sur un pied d’égalité?
Mme Dureid : Merci de soulever cette question. Honnêtement, non. Il s’agit de la réponse du Canada à tous les conflits, à commencer par le déplacement des réfugiés syriens. La réinstallation des réfugiés syriens est maintenant un enjeu électoral au Canada, divers partis ayant promis de réinstaller les réfugiés syriens. Cependant, le Canada est moins engagé en ce qui concerne la crise au Soudan et les déplacements. Lorsqu’il s’agit de réfugiés ukrainiens déplacés, le Canada les accueille en nombre illimité. Aucun plafond n’a été annoncé à cet égard. Quant aux réfugiés afghans, nous n’en avons que 40 000. Il n’y a pas égalité de traitement.
En tant que réfugiés, nous estimons qu’une discrimination est exercée en fonction des antécédents des réfugiés, de l’endroit d’où ils viennent, du fait qu’ils sont blancs passifs ou qu’ils viennent d’un pays allié du Canada ou non. Au bout du compte, il y a plus de 100 millions de réfugiés dans le monde. Comme je l’ai mentionné, le quart de la population mondiale vit dans des pays en conflit, et nous devons être traités sur un pied d’égalité. En ce qui concerne les réfugiés de Gaza et d’ailleurs, le Canada ne réagit pas de la même façon qu’il le fait dans le cas des réfugiés ukrainiens.
La présidente : Honorables sénateurs et sénatrices, il ne nous reste plus de temps pour une deuxième série de questions. Je vais vous demander de poser vos questions, et les témoins pourront peut-être nous transmettre des réponses écrites.
La sénatrice Omidvar : Je vous remercie de me donner cette occasion. Ce groupe a été utile, mais nous avons besoin d’éclaircissements supplémentaires. Madame Ruhundwa, pouvez-vous confirmer que mes renseignements sur la situation en Tanzanie sont exacts? C’est important pour nos dossiers.
Madame Dureid, pensez-vous que la motivation du Canada quant à l’établissement de certains types de réfugiés plutôt que d’autres est principalement politique? Selon vous, que devrions-nous faire à ce sujet? Le gouvernement du Canada vous a-t-il consultés, vous et votre réseau consultatif sur les réfugiés, de façon proactive, dans le cadre de l’élaboration de ses politiques? Merci.
[Français]
La sénatrice Gerba : Madame Dureid, vous êtes fondatrice et coordonnatrice de la campagne Women Refugees, Not Captives. Quelles recommandations pouvez-vous donner au gouvernement du Canada concernant les mariages forcés dans les camps de réfugiés? Quel rôle pourrait jouer le Canada pour mettre fin à ces pratiques?
[Traduction]
Mme Dureid : Merci pour ces questions importantes.
La présidente : Madame Dureid, vous allez devoir nous répondre par écrit, car le temps est écoulé, et il nous reste encore une question. Nous avons décidé que les sénateurs poseraient leurs questions et que vous y répondriez par écrit. Ce sont des questions importantes, mais nous devons passer à autre chose. Le Sénat siège à 18 heures et nous ne pouvons pas être en retard. Nous avons encore un autre groupe de témoins. Merci de votre compréhension.
La sénatrice Bernard : Ma question porte sur les changements climatiques. L’une ou l’autre des témoins peut nous fournir une réponse. J’aimerais connaître l’incidence des récentes catastrophes liées aux changements climatiques, notamment la sécheresse et les inondations, sur les populations déplacées auprès desquelles vous avez travaillé. Merci.
La présidente : Ma question est la suivante : croyez-vous qu’il y a de l’espoir pour les femmes afghanes? Car elles sont totalement oubliées. Merci.
Je profite de l’occasion pour remercier nos deux témoins d’avoir accepté de participer à cette importante étude. Nous vous sommes grandement reconnaissants de votre aide à cet égard.
Nous allons maintenant passer à notre deuxième groupe de témoins.
Chacun des témoins a été invité à faire une déclaration préliminaire de cinq minutes. Nous allons entendre les témoins, puis nous passerons aux questions des sénateurs et sénatrices. Nous accueillons Kathy Sherrell, directrice des services d’établissement, Société des services aux immigrants de la Colombie-Britannique; Dana Wagner, cofondatrice et directrice générale de TalentLift; et Abdulla Daoud, directeur général du Centre de réfugiés.
Kathy Sherrell, directrice, Services d’établissement, Société des services aux immigrants de la Colombie-Britannique : Honorables sénateurs et sénatrices, je suis heureuse d’avoir l’occasion de comparaître devant le comité permanent. La Société des services aux immigrants de la Colombie-Britannique, aussi connue sous l’abréviation ISSofBC, est l’un des plus importants organismes d’aide aux immigrants et aux réfugiés au Canada. Depuis plus de 50 ans, elle offre un éventail de services de soutien en matière d’établissement, d’emploi, de langue et de réinstallation. Pour vous situer, elle est le plus important fournisseur de services du Programme d’aide à la réinstallation destiné aux réfugiés pris en charge par le gouvernement en Colombie-Britannique, elle est signataire d’une entente de parrainage visant les réfugiés parrainés par le secteur privé en plus d’être le plus important fournisseur de services ciblés financés par la Colombie-Britannique à l’intention des demandeurs d’asile. Mes commentaires sont fondés sur notre travail à l’appui des objectifs du Canada en matière d’immigration humanitaire, de même que sur deux rapports clés.
Le premier, qui s’intitule en anglais Sustaining Welcome, s’inspire des conclusions de SyRIA.lth, une étude longitudinale de quatre ans menée en Colombie-Britannique et portant sur les résultats à long terme en matière de santé de réfugiés syriens établis en Colombie-Britannique, en Ontario et au Québec. Le deuxième, intitulé Journeys to Integration, traite des résultats sociaux et économiques des réfugiés pris en charge par le gouvernement en Colombie-Britannique sur une période de 10 ans.
Mes commentaires d’aujourd’hui portent sur la phase suivant l’arrivée au Canada, plus précisément sur l’accès à des mesures de soutien appropriées, opportunes et cohérentes facilitant l’établissement et l’intégration dans le cadre des volets humanitaires. Contrairement aux autres catégories d’immigrants, les réfugiés ne peuvent pas être interdits d’entrée au Canada pour des raisons médicales.
Il ne s’agit pas de pathologiser les réfugiés, mais il faut reconnaître que les réfugiés qui arrivent au Canada peuvent avoir des besoins en matière de santé physique et mentale qui diffèrent de ceux des autres Canadiens. Il y a notamment des personnes qui n’ont pas eu accès pendant longtemps à des soins médicaux pour des problèmes de santé apparemment normaux et qui souffrent maintenant de problèmes de santé complexes, graves et durables; des personnes dont l’accès à des médicaments et à des thérapies à long terme a été interrompu; des personnes atteintes de maladies chroniques en phase terminale; et des personnes ayant besoin de soutien clinique en santé mentale.
Au Canada, les réfugiés ont accès au Programme fédéral de santé intérimaire, ou PFSI, qui leur offre une protection en matière de soins de santé limitée et temporaire jusqu’à ce qu’ils deviennent admissibles à un régime provincial, ainsi qu’une couverture complémentaire et une couverture relative aux médicaments d’ordonnance pendant un an. Il s’agit d’un programme national, mais l’accès à des traitements ou à des médicaments particuliers peut varier considérablement d’une province à l’autre et à l’intérieur d’une même province. Un réfugié qui a accès à des médicaments vitaux dans une province peut se les voir refuser dans une autre province. La promotion de la protection est souvent confiée à des organismes d’aide aux immigrants et aux réfugiés ou à des répondants du secteur privé qui n’ont peut-être pas les connaissances médicales et les contacts nécessaires pour bien assumer cette tâche.
Les modèles d’intégration culturelle nous ont appris que la première année suivant l’arrivée s’apparente à une lune de miel, et que la réalité et les défis liés à l’établissement et à l’intégration se présentent au cours des années suivantes. La recherche Syria.lth le démontre clairement : les taux de dépression sont plus élevés la deuxième année que la première. Or, l’accès au soutien clinique prend fin à l’issue de la première année.
Nous devons veiller à ce que les réfugiés aient accès à des soins de santé appropriés, peu importe où ils se trouvent au Canada, ce qui passe par une uniformité à l’échelle nationale quant à ce qui est admissible au titre du PFSI et un réexamen des périodes d’admissibilité quant à certaines activités supplémentaires.
À l’heure actuelle, un second groupe de demandeurs d’asile ne sont pas admissibles aux programmes d’établissement financés à l’échelle nationale, et pourtant, la prestation des services financés par les provinces ou les territoires varie considérablement d’un endroit à l’autre. Or, plus de 75 % des personnes qui présentent une demande d’asile dans un bureau intérieur finiront par pouvoir rester au Canada. Compte tenu des séquelles économiques et sociales à long terme qui peuvent découler d’un accès retardé à ces services essentiels, les normes nationales en matière de services de soutien et l’admissibilité devraient être élargies de façon à englober ce groupe.
Le Canada est fier d’avoir un modèle défini d’intégration bidirectionnelle dans le cadre duquel la société canadienne et les nouveaux arrivants partagent la responsabilité de l’intégration. Notre engagement soutenu à l’égard de l’immigration humanitaire par l’entremise de la réinstallation à l’étranger et de la protection au Canada exige un programme national et des mesures de soutien adéquates. Il est de notre responsabilité collective de veiller à ce que les personnes qui viennent au Canada dans le cadre du volet de l’immigration humanitaire du Canada aient la possibilité d’utiliser leurs compétences et leurs atouts pour apporter leur pleine contribution au pays et y réussir en tant que futurs Canadiens. Merci.
La présidente : Merci, madame Sherrell. Je cède la parole à Mme Wagner.
Dana Wagner, cofondatrice et directrice générale, TalentLift : Honorables sénateurs, je vous remercie de m’accueillir ici aujourd’hui. Je m’appelle Dana Wagner, et je suis cofondatrice et directrice générale de TalentLift.
Nous aidons les employeurs à recruter à l’étranger parmi les populations de réfugiés au moyen de visas de travailleurs qualifiés afin de remédier aux pénuries de compétences au Canada et aux déplacements à l’échelle mondiale. Le Projet pilote sur la voie d’accès à la mobilité économique, ou PVAME, est le cadre stratégique qui rend ce travail possible. Mes observations portent sur la façon de l’améliorer.
Cela dit, je vais commencer par me faire l’écho des propos de ma collègue, Muzna Dureid, du premier groupe de témoins, en signalant la contradiction entre la volonté du Canada de jouer un rôle de premier plan pour trouver des solutions aux déplacements à l’échelle mondiale et son refus de demander un cessez-le-feu à Gaza. Nous avons maintenant perdu plus de 7 000 enfants palestiniens et plus [difficultés techniques]. Une proportion de 80 % de la population de la bande de Gaza a été déplacée, et nous avons besoin d’un cessez-le-feu immédiat.
Quant au PVAME, il ouvre des possibilités vraiment remarquables. Une usine de fabrication de Guelph s’est récemment fixé comme objectif d’embaucher 100 travailleurs qualifiés. En octobre, les services de santé de Terre-Neuve-et-Labrador ont embauché 49 infirmières vivant en Éthiopie comme réfugiées. Là où elles vivent en ce moment, ces infirmières ne jouissent pas de tous les droits, notamment en matière de travail, ou n’ont pas accès à une voie vers la résidence permanente.
Les innovations récentes, y compris la nouvelle voie d’accès fédérale au PVAME lancée en juin, sont très prometteuses pour ce qui est d’atténuer ces répercussions. Mais, comme toujours, au Canada, nous pouvons faire mieux.
Le premier problème dont j’aimerais vous parler est celui de la portée trop étroite du PVAME. Comment déterminer si sa portée est trop étroite, idéale ou trop large? Le meilleur point de référence, c’est l’ensemble du volet économique des voies d’accès à la résidence permanente ou temporaire. Tant que le PVAME n’aura pas un cadre et une souplesse englobant l’ensemble du volet économique accessible à tous les autres, il n’y aura pas d’accès complet ou équitable pour les personnes déplacées compétentes.
Plus de 604 000 personnes sont arrivées grâce à un permis de travail l’an dernier, en 2022, mais le PVAME n’a pas la souplesse requise pour s’appliquer à ces programmes. De plus, il ne s’applique pas à Entrée express ni à d’autres programmes comme le Programme d’immigration des travailleurs autonomes.
Pour combler cette lacune, nous recommandons une généralisation de l’accès dans l’ensemble du volet économique, y compris en ce qui concerne toutes les voies d’accès à la résidence permanente ou temporaire. À cette fin, une analyse assimilable à une analyse comparative entre les sexes — désignée par notre équipe sous le nom d’analyse fondée sur le déplacement — constitue un point de départ.
Le deuxième problème, c’est le caractère trop rigide des niveaux de compétence linguistique et des tests de langue. La nouvelle voie d’accès fédérale au PVAME, qui a eu beaucoup d’effets positifs, comporte des niveaux linguistiques qui se révèlent prohibitifs pour de nombreux candidats autrement qualifiés. Nous le savons parce que, bien souvent, le niveau de compétence linguistique exigé par les employeurs pour effectuer le travail en toute sécurité est moins élevé que celui exigé dans le cadre d’une demande de visa.
Pour ce qui est des tests de langue, à ce moment-ci, si vous présentez une demande de visa de travailleur qualifié depuis l’étranger et que la maîtrise de l’anglais est exigée, vous devez passer le test de l’International English Language Testing System — ou IELTS — auprès du British Council, et vous devez le faire en personne. Cela veut dire qu’à l’heure actuelle, des candidats de l’Afghanistan qui vivent au Pakistan risquent l’expulsion en quittant leur domicile pour aller passer le test.
Parmi les autres obstacles rencontrés par nos candidats, il y a l’accessibilité des sites d’évaluation. En effet, certains pays sont dépourvus de sites d’évaluation, ou alors ces sites peuvent se trouver à l’extérieur des grandes villes. Il y a aussi l’accès inégal pour les candidats munis de documents non conventionnels, comme un passeport expiré; les coûts élevés; les méthodes de paiement restrictives; et dernier obstacle, mais certainement pas le moindre, il y a la difficulté du test, qui ne reflète pas fidèlement une connaissance pratique de l’anglais.
Pour régler le problème du niveau de compétence linguistique trop élevé, nous recommandons la suppression du niveau minimal d’anglais ou de français dans le cas d’emplois hautement spécialisés, c’est-à-dire ceux de la catégorie de formation, d’études, d’expérience et de responsabilités — la FEER 3-0. Il y a des précédents à cet égard dans certains programmes de candidats des provinces, notamment en Ontario et à Terre-Neuve-et-Labrador, et une solution de remplacement en ce qui concerne les exigences minimales pourrait être un affidavit de l’employeur selon lequel le candidat possède les compétences linguistiques requises pour effectuer le travail en toute sécurité.
Pour ce qui est de l’évaluation trop restrictive des compétences en anglais, nous recommandons d’accepter une version en ligne du test de l’IELTS du British Council, et d’accepter un test subi auprès d’un deuxième fournisseur, comme Duolingo.
Le troisième problème est le risque d’un accès inégal dans toutes les dimensions de la diversité. J’ai remarqué que les services de santé de Terre-Neuve-et-Labrador ont embauché 49 infirmières qui vivent comme réfugiées en Éthiopie. Certaines d’entre elles vivent dans la capitale, à Addis-Abeba, et d’autres vivent dans des camps un peu partout au pays.
À l’heure actuelle, un examen médical est requis avant l’approbation d’une demande de visa dans le cadre du PVAME. Les personnes qui se trouvent à Addis-Abeba peuvent en subir un près de chez elles, mais celles qui vivent dans la plupart des camps en Éthiopie doivent prendre l’avion pour se rendre au centre d’examen médical le plus proche.
À cause des frictions de ce genre, l’accès aux mêmes possibilités d’emploi au Canada sera plus long et plus coûteux pour les candidates des camps et, au bout du compte, cela pourrait se révéler un désavantage concurrentiel.
Nous recommandons d’investir dans l’accès équitable au sein des bassins de talents en mettant l’accent sur l’amélioration de l’accès pour les femmes, les personnes vivant dans des camps de réfugiés ou d’autres régions éloignées et pour les personnes LGBTQ.
Cet investissement peut comprendre du financement et des solutions stratégiques ciblées.
En conclusion, ces recommandations reposent sur l’idée que les personnes qui ont du talent et du potentiel et qui vivent dans des conditions de réfugiés devraient bénéficier du même accès aux possibilités que les personnes talentueuses de tout autre milieu. Si nous construisons ce monde, une proportion beaucoup plus grande des 35 millions de personnes ou plus qui vivent comme des réfugiés pourront utiliser leurs compétences pour se sortir de situations d’incertitude où leurs droits sont restreints, et emprunter les voies régulières pour se rendre à un nouveau domicile sûr.
Merci.
[Français]
Abdulla Daoud, directeur exécutif, Le Centre de réfugiés : Bonjour à tous et à toutes. Mon nom est Abdulla Daoud, je suis directeur exécutif du Centre de réfugiés, à Montréal.
[Traduction]
Notre organisation est enracinée dans la communauté des réfugiés et fournit divers services, exploitant notamment l’unique clinique d’aide juridique offrant une gamme complète de services gratuits aux réfugiés à Montréal.
Depuis le début de l’année, nous avons aidé plus de 9 000 réfugiés et demandeurs d’asile. Nous tenons à remercier le comité de nous donner l’occasion de traiter de la question à l’étude. J’espère vous aider à mieux comprendre les facteurs complexes qui sont à l’origine de la migration forcée mondiale vers le Canada, dans un contexte canadien.
Aujourd’hui, nous assistons à une augmentation sans précédent du nombre de personnes qui traversent les frontières, une situation causée par une combinaison de facteurs comme la tourmente mondiale, les conflits armés, les changements climatiques et la violence fondée sur le sexe, pour n’en nommer que quelques-uns.
Cette situation complexe transforme les sociétés et crée de nouveaux défis stratégiques. Fait plus important encore, elle a une incidence sur la vie des personnes qui tentent de trouver refuge ici, au Canada, aujourd’hui. J’aimerais aborder cette question d’un point de vue tant national qu’international.
Le Canada met en jeu sa réputation de pays accueillant pour ceux qui fuient la persécution, et il aborde de front ces tendances mondiales. Malgré des mesures dissuasives inhabituelles comme la renégociation de l’Entente sur les tiers pays sûrs et la fermeture du chemin Roxham, l’année a été marquée par l’afflux le plus important de demandeurs d’asile jamais enregistré. Cette vague nous rappelle brutalement que les politiques visant à décourager la migration échouent souvent à vaincre le désir inhérent à l’être humain d’être en sécurité.
De plus, il est important de reconnaître les effets à long terme de politiques strictes en matière de migration interne. La situation en Europe en est un bon exemple. Selon l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime, ou l’ONUDC, il y a eu une hausse des cas de traite de personnes qui peut être directement liée à des politiques de migration strictes. Ces politiques visent à contrôler la migration, mais elles ont involontairement favorisé les activités d’acteurs de mauvaise foi, ce qui a entraîné une hausse du passage de clandestins et de la traite des personnes.
Par exemple, la route méditerranéenne, tristement désignée comme la voie migratoire la plus meurtrière, illustre les conséquences désastreuses de ces politiques. Selon les données de l’Organisation internationale pour les migrations, des milliers de personnes ont perdu tragiquement la vie, bien souvent par suite de l’exploitation et des mauvais traitements qu’elles ont subis dans leur quête d’un refuge. Cette triste réalité démontre qu’au lieu de décourager la migration, les politiques restrictives obligent souvent les individus à entreprendre des parcours encore plus dangereux qui les exposent à des situations de plus grande vulnérabilité.
Les politiques internationales du Canada en matière de migration doivent faire l’objet d’un examen approfondi et proactif. Les répercussions sur les populations civiles de nos décisions en matière de politique étrangère, y compris en ce qui concerne les sanctions et le commerce des armes, exigent un examen attentif.
Par exemple, la situation au Yémen a été aggravée par les ventes d’armes à l’échelle mondiale, y compris celles du Canada, ce qui montre clairement en quoi ces politiques contribuent à la hausse des déplacements de personnes.
Cela fait ressortir la nécessité impérative d’adopter une approche nuancée et prévoyante dans notre politique étrangère. Il est essentiel que nos stratégies internationales visent à prévenir les déplacements à la source par le truchement d’efforts diplomatiques axés sur la paix et la stabilité, tout en veillant à ce que les sanctions économiques ne causent pas de préjudice inutile aux populations vulnérables et en réglementant la vente d’armes afin d’éviter des crises humanitaires croissantes.
De telles mesures sont essentielles non seulement d’un point de vue moral, mais aussi d’un point de vue stratégique, car elles s’attaquent à l’une des causes les plus profondes de la migration forcée et contribuent à la stabilité mondiale.
Au pays, cependant, nous constatons une augmentation du nombre de demandeurs d’asile, ce qui exige une intervention globale et empreinte de compassion.
Cet afflux soumet nos politiques et nos systèmes actuels à des pressions considérables. Avant 2017, le Canada recevait entre 10 000 et 24 000 demandeurs d’asile par année. Aujourd’hui, il en accueille plus de 16 000 par mois.
Le financement restreint dont dispose le Centre de réfugiés limite grandement sa capacité de fournir une aide efficace à ces personnes. Cela nous pousse à chercher du financement principalement auprès du secteur privé, compte tenu d’une politique gouvernementale interdisant que les fonds de réinstallation versés directement aux organismes de réinstallation et d’établissement soient utilisés pour les demandeurs d’asile.
En outre, les demandeurs d’asile sont exposés à de nombreuses longues périodes de pauvreté, car ils doivent souvent attendre jusqu’à deux ans pour que leur demande d’asile soit traitée et plusieurs mois pour obtenir un permis de travail, et ce, tout en ayant des droits très limités au Canada. En plus de compromettre leur dignité, cela risque de politiser ce qui est fondamentalement une cause humanitaire.
Par conséquent, l’urgence d’une réforme des politiques concorde avec l’évolution du paysage migratoire mondial. Nous devons réévaluer notre infrastructure interne pour nous assurer que les demandeurs d’asile reçoivent un soutien adéquat. Ce faisant, nous réaffirmerons nos valeurs nationales et contribuerons à un mouvement mondial vers une société où la sécurité, la dignité et les droits universels ne sont pas de simples privilèges.
En conclusion, nous formulons deux recommandations. Premièrement, modifier les politiques de financement d’Emploi et Développement social Canada — ou EDSC —, d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada — ou IRCC — et d’Infrastructure Canada pour permettre aux organismes ayant de l’expérience dans le traitement des demandeurs d’asile de présenter directement des demandes de financement. Ce changement les aidera à développer l’infrastructure interne du Canada en vue d’une meilleure gestion du nombre croissant de demandeurs d’asile au Canada.
Deuxièmement, nous devons tirer parti de notre influence dans le monde afin d’encourager le partage des responsabilités en matière de migration forcée mondiale, en veillant à ce que tous les pays mettent l’accent sur l’accueil de réfugiés et de demandeurs d’asile.
Je vous remercie du temps que vous m’avez accordé.
La présidente : Je remercie les témoins de leurs exposés.
[Français]
La sénatrice Gerba : Merci à nos témoins pour vos présentations très, très intéressantes et pour votre présence ici.
Le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés évoque le Programme de parrainage privé des réfugiés (PPPR) comme un exemple à suivre, notamment en raison de l’amélioration des perspectives d’intégration des réfugiés.
Cependant, d’autres experts critiquent ce programme en estimant, par exemple, qu’il décharge le gouvernement de ses responsabilités et qu’il existe un grand déséquilibre entre le pouvoir d’un parrain et une famille de réfugiés.
Quel est votre point de vue sur ce PPPR? Y a-t-il des améliorations à apporter à ce programme?
Ma question s’adresse à vous trois.
[Traduction]
M. Daoud : Oui. C’est une arme à double tranchant. Le programme privé comporte assurément un certain nombre d’avantages. Bien souvent, on s’en sert pour dire que, comme il reçoit tel ou tel montant ou prend en charge tel ou tel nombre de personnes, nous allons réduire nos engagements au sein du programme public, dans le cadre duquel fonctionne le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés.
Si les deux existent dans deux univers parallèles et qu’ils n’ont pas d’incidence l’un sur l’autre, ils sont tous deux bénéfiques. Le programme privé a démontré que, pour ce qui est de la réunification des familles et de l’intégration, pour toutes ces raisons qualitatives, il fonctionne bien.
Cependant, le Canada doit continuer de démontrer son engagement international envers les réfugiés, parce qu’il doit montrer qu’un partage des responsabilités s’effectue et encourager les autres à faire de même. Tant et aussi longtemps qu’on ne s’en sert pas pour réduire le nombre de participants au programme public dans le cadre d’une décision stratégique ou comme une façade politique, je pense que les deux programmes peuvent coexister et fonctionner très bien.
Mme Sherrell : Dans le cadre du Programme de parrainage privé de réfugiés, environ 90 % des demandes concernent la réunification des familles. Dans l’optique de l’édification de la nation, la réunification familiale… Nous connaissons les répercussions de la séparation sur la santé mentale lorsque les familles sont encore à risque. Il y a beaucoup d’avantages.
L’une des mesures de soutien qui contribuent le plus manifestement au Programme de parrainage privé de réfugiés est l’accès précoce aux réseaux sociaux et économiques. Nous savons, là encore, l’importance que cela revêt pendant la réinstallation, mais cela ne peut pas se faire aux dépens des réfugiés parrainés par le gouvernement ni de la protection intérieure. Nous devons savoir que nous continuons, en tant que pays, à sélectionner les personnes non pas en fonction de leur famille ou des attaches au Canada, mais en fonction du besoin de protection.
Beaucoup de personnes peuvent participer au parrainage privé pour toutes sortes de bonnes raisons, mais sans connaître les réalités à long terme du parrainage privé. Pour combler ce fossé entre les éventuels besoins des gens qui viennent au Canada et leurs véritables désirs personnels, il faut offrir du soutien aux répondants privés pour veiller à ce qu’ils puissent continuer à parrainer d’autres personnes et à perpétuer le programme.
Mme Wagner : Merci beaucoup de votre question. C’est en dehors du domaine sur lequel je me concentre, mais je vois un lien. Le fait que le Canada procède à une sélection en fonction de critères fondés sur la vulnérabilité et du Programme de réfugiés pris en charge par le gouvernement, entre autres, est tout simplement essentiel à l’intégrité de nombreux autres types de programmes, y compris celui que nous soutenons, le Projet pilote sur la voie d’accès à la mobilité économique, qui repose principalement sur la sélection axée sur les compétences.
C’est logique, car cela permet de veiller à ce que les possibilités offertes à d’autres talents internationaux soient aussi offertes de façon équitable à ce bassin de talents, sans pour autant empiéter sur l’espace réservé aux personnes qui ne possèdent pas cet ensemble de compétences, qui ne sont pas prêtes à occuper un emploi et qui ont besoin d’une protection fondée sur leur vulnérabilité. Ce lien est important, et il a une incidence sur l’intégrité de nombreuses autres innovations auxquelles le Canada se consacre.
[Français]
La sénatrice Gerba : Merci.
[Traduction]
La sénatrice Omidvar : Il s’agit d’un excellent groupe de témoins, qui nous donne un aperçu des nombreuses facettes, de Mme Sherrell, qui a parlé de la réinstallation, à M. Daoud, qui a parlé des demandeurs d’asile — nous n’en avions pas beaucoup entendu parler —, en passant par Mme Wagner, qui a parlé du meilleur des mondes, celui d’un modèle de parrainage par l’employeur fondé sur les compétences. Félicitations.
C’est le meilleur des mondes qui s’ouvre à nous, et le langage est un outil puissant. En ce qui concerne le PPVAME, y a-t-il des changements dans la terminologie que vous recommanderiez, au fur et à mesure que nous approfondissons la question? Je ne vais pas dire que c’est une pratique prometteuse parce qu’il s’agit d’une infime partie d’un tout petit programme avec des chiffres minuscules. Aidez-nous à comprendre.
Mme Wagner : Merci beaucoup de votre question.
Je suis tout à fait d’accord, le langage est très puissant. Il éclaire vraiment les choix en matière de politique. En fait, nous entendons beaucoup de choses de la part de nos candidats. L’un des points communs, c’est qu’ils apprécient le fait que, lorsque les membres de notre équipe les rencontrent ou interagissent avec eux et leur posent des questions sur leurs compétences, on les interroge sur ces questions, on les aide à rédiger leur curriculum vitæ en leur posant des questions détaillées sur leur expérience de travail et leurs aspirations.
J’ai été surprise, au départ, du nombre de personnes qui ont dit que c’était la première fois qu’on leur posait des questions sur leurs compétences, alors que certaines d’entre elles sont déplacées depuis des années. Nous n’avons pas beaucoup de programmes qui permettent aux gens de briller, de vouloir parler de ces choses et de penser que cela leur offrira une possibilité.
Comment cela se traduit-il dans le langage que nous utilisons ici au Canada? Je pense vraiment que, lorsque nous parlons, sur le plan de la politique, de ce programme en particulier, en mettant l’accent sur les talents, certains des changements de terminologie que nous avons essayé de faire concernent nos candidats ou nos chercheurs d’emploi. Nous parlons de talents déplacés.
Nous nous efforçons également de faire de notre mieux, dans la mesure du possible, si nous parlons de quelqu’un, par exemple Fatima, une infirmière qui vivait aussi en Éthiopie en tant que réfugiée. Nous ne nous appuyons pas sur la vulnérabilité d’une personne, mais sur son talent.
La sénatrice Omidvar : Un certain nombre de questions soulevées dans votre exposé m’intriguent. C’était excellent. Vous avez dit que nous avons eu le plus grand nombre de demandeurs d’asile au cours des cinq dernières années, et ce, après avoir éliminé l’échappatoire de l’Entente sur les tiers pays sûrs. J’ai visité le chemin Roxham, et j’ai été surprise par le nombre de personnes qui arrivaient par ce chemin. Aujourd’hui, il n’est plus accessible. Si nous avons fermé ce chemin et qu’aucun bateau n’arrive sur nos côtes, comment font-ils pour venir?
M. Daoud : C’est une bonne question. Nous constatons une augmentation du nombre de personnes qui arrivent par l’aéroport, donc par avion. Malheureusement, le gouvernement ne consigne pas encore ces données de manière adéquate, mais d’après les données de nos propres centres, nous constatons une augmentation du nombre de personnes qui franchissent la frontière et attendent 14 jours. Il y a une autre exception à l’Entente sur les tiers pays sûrs qui stipule que, si vous traversez la frontière de façon irrégulière et que vous demeurez au pays pendant 14 jours, l’Entente sur les tiers pays sûrs ne s’applique plus à vous.
Malheureusement, cela place les gens dans des situations plus vulnérables. Ces chiffres sont très loin de ceux que nous voyons à l’aéroport. La majorité des chiffres proviennent de l’aéroport. Si vous voulez, je peux ventiler ces chiffres.
La sénatrice Omidvar : J’ai besoin de comprendre. S’ils viennent à l’aéroport, ils ont des billets, ce qui veut dire que quelqu’un a vérifié leur visa; donc ils viennent en tant que touristes et demandent…
M. Daoud : Certains pays, par exemple, accordent des visas pour venir au Canada, de sorte que les Mexicains peuvent se présenter sans faire de demande préalable. Certains pays sont admissibles au programme d’autorisation de voyage électronique, ou AVE, un programme de visa permettant de transiter par le Canada. Différents pays sont admissibles à différentes choses, et, venant de certains pays, des personnes qui font l’objet d’un grand nombre de poursuites ont recours au programme pour présenter une demande d’asile ici.
La sénatrice Omidvar : Il serait utile que vous nous fournissiez une ventilation de ces pays.
M. Daoud : On peut également trouver cela sur le site Web d’IRCC.
La sénatrice Omidvar : Vous avez dit dans vos commentaires que vous recommanderiez que le Canada modifie les pratiques de financement afin que des organismes comme le vôtre puissent présenter des demandes directement. Qu’est-ce que cela signifie? Vous ne pouvez pas présenter de demande directement?
M. Daoud : Non. Si on regarde le programme d’aide aux réfugiés, le Programme d’aide à la réinstallation ou même le Programme d’aide au logement provisoire, tous précisent qu’on ne peut pas utiliser l’argent qu’on a demandé en tant qu’organisation à des fins de réinstallation des demandeurs d’asile. Ils n’ont pas encore obtenu le statut de résident permanent, ou ils ne sont pas encore devenus des personnes pragmatiques.
En règle générale, si j’obtenais une subvention gouvernementale d’IRCC ou d’EDSC, mon accord de subventions et de contributions stipulerait que je ne suis pas autorisé à utiliser les fonds pour les programmes destinés aux demandeurs d’asile.
La sénatrice Omidvar : Parlez-nous de la situation du logement à Montréal.
M. Daoud : Ce n’est pas rose.
La sénatrice Omidvar : Par rapport aux demandeurs d’asile?
La présidente : Sénatrice Omidvar, je peux vous inscrire au deuxième tour, mais monsieur Daoud, veuillez répondre à la question.
M. Daoud : À l’heure actuelle, il existe un organisme provincial appelé PRAIDA qui aide les demandeurs d’asile. Il dispose d’entre 500 et 600 lits, et il n’y plus de place. Il faut compter environ quatre semaines de placement.
De plus, de 10 à 12 hôtels desservent IRCC afin de loger des demandeurs d’asile qui arrivent directement de l’aéroport. S’ils arrivent par un autre moyen, ils ne peuvent pas avoir accès aux hôtels d’IRCC. On assiste à une augmentation subite. Quand on dit qu’environ 5 500 demandeurs d’asile par mois viennent au Québec, c’est 5 500 par mois qui viennent à Montréal. Ils n’explorent pas le reste du Québec. Ils ne vont pas à Val-d’Or ou à Trois-Rivières.
En réalité, le logement est mis à rude épreuve. C’est surtout à cause des restrictions liées au financement. Les organismes voués au logement ont les mains liées. Ils ne peuvent aider qu’un sous-ensemble particulier de personnes, et cela s’étend à tous les volets de financement dont nous sommes témoins.
Le sénateur Arnot : Ma première question s’adresse à M. Daoud. Monsieur, pour faire suite à ce que vous avez dit, vous avez formulé deux recommandations fermes visant à modifier les politiques de financement en tirant parti de l’influence canadienne afin d’obtenir de meilleurs résultats. Comment voyez-vous une façon efficace de mettre en œuvre ces deux idées?
L’autre chose que j’aimerais savoir, c’est si des mesures supplémentaires peuvent être mises en place en vue d’améliorer le soutien aux personnes déplacées une fois qu’elles sont au Canada.
M. Daoud : Certainement. Pour répondre à la première partie de votre question, si je me réfère à ma première recommandation de changement de politique, c’est très facile. Vous pouvez déposer un projet de loi demain, et la politique peut être modifiée. C’est une politique qu’on retrouve dans tous les organismes de financement fédéraux. Elle existe, que ce soit à Infrastructure Canada ou à EDSC, elle est là. La seule chose qui empêche cela de changer est la volonté politique.
À part cela, pour ce qui est de la deuxième recommandation, le Canada dispose d’un grand pouvoir de persuasion dans le monde, mais il en tire rarement parti. Il semble que nous nous fassions entendre à propos de ce que nous faisons lorsqu’il s’agit des réfugiés, et cela n’enlève rien au Canada. Le Canada fait beaucoup. Toutefois, nous devrions être en mesure de promouvoir l’idée du partage des responsabilités à l’échelle mondiale en ce qui concerne les réfugiés. Par exemple, avec la crise syrienne, nous avons vu des pays comme la Jordanie, le Liban et la Turquie accueillir des millions de réfugiés, et nous en avons accueilli beaucoup aussi. Cependant, il ne s’agit pas d’un éventail de responsabilités particulièrement équitable lorsque seuls les pays voisins doivent accueillir un nombre si élevé de réfugiés.
Quant à ce que nous pouvons faire en matière de soutien au Canada, je pense qu’il serait formidable d’élargir nos deux programmes. Il est même très important de promouvoir des programmes plus novateurs, comme le fait ma collègue. Nous devons faire preuve de créativité et sortir des sentiers battus lorsque nous nous attaquons à ces questions difficiles, car les chiffres relatifs à la migration mondiale à laquelle nous faisons face aujourd’hui sont historiques. C’est pourquoi je suggère aussi que l’on prenne des mesures proactives.
Nous devons voir comment nos politiques étrangères influencent ces pays et ce que nous faisons en Amérique latine et au Moyen-Orient qui influence les déplacements; nous devons donc nous assurer de ne pas participer au déplacement des personnes qui se présentent à nos frontières.
Le sénateur Arnot : Madame Sherrell, comment évaluez-vous l’impact des déplacements forcés à l’échelle mondiale sur le processus d’intégration des réfugiés et des migrants en Colombie-Britannique? Pouvez-vous nous donner des exemples? Constatez-vous des tendances qui influencent la façon dont vous voulez faire votre travail?
Mme Sherrell : Merci de poser ces questions. L’une des choses, tant du point de vue de la recherche que du point de vue des services, pour ce qui est des résultats au Canada, est le cloisonnement et son incidence ainsi que la nécessité d’adopter une approche des services fondée sur les actifs. Les gens sont des réfugiés jusqu’à ce qu’ils arrivent au Canada. Les réfugiés réinstallés ont le droit d’obtenir la résidence permanente lorsqu’ils arrivent en sol canadien, et pourtant, on suppose toujours que le besoin repose sur un déficit.
Lorsque nous examinons certains des besoins des gens, il y a des zones grises. Au Canada, nous savons que l’immigration relève du fédéral et que la santé relève des provinces. Pourtant, comme je l’ai dit à propos du Programme fédéral de santé intérimaire, l’un des plus grands défis auxquels nous faisons face, c’est que l’approche intersectionnelle ne se limite pas aux programmes et ne tient pas compte de la myriade de besoins d’une personne, mais qu’il s’agit en fait d’avoir des espaces de dialogue entre les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux afin de régler certains des problèmes.
Lorsqu’on choisit des gens en fonction de leur vulnérabilité, il faut veiller à ce que des mesures de soutien soient en place pour ceux qui en ont besoin, et la santé est un domaine où on constate d’importantes répercussions à l’heure actuelle, alors que les provinces peuvent ou non avoir une incidence sur la capacité de veiller à ce que des mesures de soutien soient en place dans le cadre d’un programme national.
Le sénateur Arnot : J’ai une question à poser à Mme Wagner au deuxième tour.
La sénatrice Pate : Merci beaucoup à chacun d’entre vous et à vos organisations pour tout le travail que vous faites.
Récemment, j’ai discuté avec des gens d’un certain nombre de questions concernant les mesures de soutien mises en place à l’intention des réfugiés. Ce qui me frappe, c’est qu’il y a énormément de ce que je qualifierais de rhétorique xénophobe et raciste, et je pense que votre témoignage a mis en évidence le fait que les tentatives visant supposément à fermer la boucle ont fait en sorte qu’un plus grand nombre de personnes sont entrées au pays.
Pouvez-vous nous en dire plus sur les sources de financement qui sont actuellement disponibles pour aider les gens qui viennent au Canada en tant que réfugiés? Quelles sont les mesures de soutien au revenu, de soutien au logement, et qui les fournit, comment sont-elles fournies; et, si ce sont des organisations comme la vôtre qui le font malgré les révisions du financement, y a-t-il quelque chose que vous êtes à l’aise de dire — il s’agit évidemment d’une tribune publique — sur la façon de combler ce qui semble être des lacunes assez évidentes en ce qui concerne le financement de l’aide disponible?
Mme Sherrell : Merci de votre question. Cela dépend en partie de la façon dont vous arrivez au Canada. Dans le cas des réfugiés réinstallés, les personnes qui arrivent dans le cadre d’un parrainage privé reçoivent un soutien financier équivalant à l’aide au revenu provinciale pendant 12 mois de la part de leurs répondants à titre de soutien social. Lorsqu’ils sont logés, soit chez des membres de leur famille, soit dans un logement fourni par le répondant pour une période d’un an, dans le cadre du Programme mixte des réfugiés désignés par un bureau des visas ou désignés par le HCR, un répondant privé fournit un soutien social pendant 12 mois et un soutien financier pendant 6 mois, et le gouvernement du Canada, par l’intermédiaire du Programme d’aide à la réinstallation, fournit un soutien financier pendant 6 mois.
Le Programme d’aide à la réinstallation s’adresse aux réfugiés pris en charge par le gouvernement et sélectionnés en fonction de critères de vulnérabilité. Ils reçoivent un soutien financier pendant 12 mois par l’intermédiaire d’IRCC, à savoir une aide à la réinstallation sous forme de soutien au revenu de la part du gouvernement fédéral. Dépendamment du nombre d’arrivées, ils bénéficient d’un hébergement temporaire de trois à six semaines quand le nombre d’arrivées est élevé, plus longtemps dans les cas complexes, par l’entremise d’organisations comme la nôtre. Ils sont accueillis à l’aéroport. Ils vont dans des logements temporaires, et, pendant ce temps, on leur fournit du soutien pour répondre à leurs besoins fondamentaux; il s’agit donc de déterminer quels sont leurs besoins et de les aider à faire des demandes pour tout, du numéro d’assurance sociale aux soins de santé dans la province, en passant par les prestations fiscales pour enfants. On les oriente et on les aide à trouver un logement, encore une fois en fonction du soutien au revenu, qui est à peu près équivalent à l’aide sociale provinciale.
Il y a ensuite les demandeurs d’asile. Bien que l’attention se porte souvent sur le Québec et le chemin Roxham, le nombre de personnes qui se rendent en Ontario et en Colombie-Britannique continue d’augmenter. Elles ne sont pas admissibles à tous les programmes financés par le gouvernement fédéral, de sorte que, lorsqu’elles arrivent, elles doivent se débrouiller seules pour trouver un logement, qu’il soit temporaire ou permanent. Au palier le plus élevé, elles ne sont pas admissibles aux programmes fédéraux de langues, d’emploi ou d’établissement, et c’est aux provinces qu’il revient de les financer. Donc, en Colombie-Britannique, nous avons eu la chance que, depuis le rapatriement des services en 2014, la province ait continué d’offrir des services et de les financer pour les demandeurs d’asile. Ils sont offerts à une échelle beaucoup plus petite, mais ils comprennent des services de soutien en santé mentale.
Dans plusieurs autres provinces, il n’y a peut-être pas ou presque pas d’aide ou de soutien ciblés pour les demandeurs d’asile. Pourtant, c’est l’un des volets essentiels des programmes humanitaires déclarés du Canada.
M. Daoud : Je dirais que la principale différence réside dans le fait que les réfugiés ont été reconnus soit par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, soit au moyen d’un parrainage privé, et les demandeurs d’asile bénéficient d’une aide financière. Les demandeurs d’asile n’entrent dans aucune catégorie. Les organisations ne peuvent présenter de demande à aucun groupe gouvernemental qui cible spécifiquement les demandeurs d’asile. Les provinces pourraient peut-être obtenir du financement fédéral à cette fin, mais elles sont les seules à pouvoir utiliser cet argent. Par exemple, au ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration, ou MIFI, notre version d’IRCC au Québec, il y a aussi une règle similaire voulant qu’on ne puisse pas utiliser cet argent afin de fournir des services aux demandeurs d’asile. Sensiblement, pour les demandeurs d’asile, c’est inexistant. Il faut dépendre principalement du financement privé.
La sénatrice Bernard : Je vous remercie tous de votre présence et de votre témoignage d’aujourd’hui. J’aimerais commencer par vous poser une question, monsieur Daoud, et mon collègue ici présent a posé une question à ce sujet également — le partage des responsabilités. Vous l’avez mentionné dans votre témoignage, et il a également été évoqué dans une réponse récente à une question.
Je me demande si vous avez des exemples précis de ce que les pays peuvent faire avec ce modèle d’aide. Pourriez-vous nous parler un peu plus en détail du partage des responsabilités?
M. Daoud : Je pense que le partage des responsabilités a beaucoup à voir avec notre participation aux programmes internationaux et nos décisions en matière de politique étrangère. Je le réduis à deux éléments. Tout d’abord, je pense que nous pouvons immédiatement adapter nos décisions en matière de politique étrangère afin de faire en sorte d’éviter les déplacements. C’est une forme de partage des responsabilités. C’est une façon de garantir et de faire savoir à la communauté internationale que nous ne pouvons pas continuer à prendre des décisions qui forcent des gens à se déplacer.
Il existe, par exemple, comme je l’ai mentionné dans mon témoignage, des preuves directes de notre contribution à la crise au Yémen. C’est indéniable à ce moment-ci. Le Yémen a généré un grand nombre de personnes déplacées au cours des trois dernières années. C’est la première étape.
La deuxième étape consiste à essayer de promouvoir nos modèles efficaces par d’autres pays à l’occasion d’un forum international pour que d’autres pays les adoptent. Il y a beaucoup de pays riches qui sont en croissance et ont besoin de gens. Notre programme de parrainage privé est un modèle, quelque chose de bien qui doit être promu dans d’autres parties du monde également. C’est une très bonne façon de démontrer le partage des responsabilités.
Même la façon dont nous choisissons nos chiffres d’immigration ou dont nous espérons faire venir des gens ici doit changer. Si vous le voulez, je peux m’asseoir avec vous pendant une demi-heure et passer en revue un grand nombre d’idées, mais je pense qu’il s’agit là d’exemples concrets de la façon dont nous pouvons apporter des changements rapidement. J’espère que cela répond à vos préoccupations.
La sénatrice Bernard : C’est très utile. Merci. Ma deuxième question s’adresse à vous, madame Sherrell.
Vous avez parlé de santé mentale et souligné les lacunes dans les services. Je comprends qu’il y a un coût lorsque nous ne fournissons pas de services de santé mentale. Pouvez-vous nous parler un peu de ce sujet? Pouvez-vous aussi nous dire s’il existe des services de santé mentale et, dans l’affirmative, s’ils sont adaptés à la culture? Sont-ils vraiment ciblés?
Mme Sherrell : Merci. C’est certainement un sujet qui me passionne. Y a-t-il un coût à ne pas fournir de services? Absolument.
En tant que chercheuse — et je suis entrée dans le secteur grâce à la recherche —, je n’oublierai jamais l’entrevue que j’ai eue avec une personne chez elle, une mère seule avec trois jeunes enfants qui avait un appartement muni de deux chambres à coucher situé au sous-sol. Selon les normes canadiennes, ce logement serait surpeuplé. Mais, en réalité, elle n’utilisait pas une des chambres à coucher parce qu’il y avait une légère odeur de moisissure et que pour éclairage, il y avait une ampoule nue, et cela lui rappelait avoir été séquestrée dans une pièce et torturée. Elle ne pouvait pas aller dans cette pièce, donc c’était en fait une famille de quatre personnes dans une seule chambre.
Lorsqu’on a été torturé, on se dissocie. Imaginez que vous vous dissociez lorsque quelque chose vous rappelle un traumatisme. Cela peut être aussi simple qu’un léger scintillement lorsque vous marchez le long de la route. Imaginez que vous vous dissociez en classe, lors d’une entrevue d’emploi ou au travail. Lorsque nous ne nous occupons pas de la santé mentale… et il ne s’agit pas de pathologiser ou de dire que tous les réfugiés ont besoin d’un soutien clinique, mais lorsqu’il est nécessaire, nous devons nous assurer qu’il est fourni.
En ce qui concerne le fait d’être adapté à la culture, c’est un domaine où nous constatons un besoin intersectionnel lorsqu’il s’agit des ordres de gouvernement. D’un point de vue provincial, les réfugiés sont admissibles aux services de santé au même titre, par exemple, que n’importe quel autre Britanno-Colombien. Pourtant, nous savons que les listes d’attente sont longues. Nous savons à quel point il est difficile d’avoir accès à des services de soutien en santé mentale, même si vous parlez anglais ou français depuis votre enfance. Nous avons eu la chance, grâce au soutien de la province de la Colombie-Britannique, de défendre un modèle qui compte des conseillers cliniques tenant compte de la culture et de la langue maternelle, ou encore des conseillers faisant appel à des interprètes formés pour pouvoir offrir des thérapies axées sur les traumatismes, allant des thérapies de groupe, qui reposent sur la psychosociologie, au counseling clinique.
Je vous recommande respectueusement d’examiner le travail de la Vancouver Association for Survivors of Torture. Elle a un excellent bilan quant à l’aide qu’elle a pu apporter aux survivants de la torture et aux réfugiés arrivant en Colombie-Britannique.
La présidente : Honorables sénateurs, nous disposons d’un peu de temps pour le deuxième tour. Cependant, ce ne sera que deux minutes; les questions et les réponses seront limitées à deux minutes. Nous sommes un peu pressés par le temps.
[Français]
La sénatrice Gerba : Merci encore une fois pour vos témoignages.
On n’a pas beaucoup parlé des enfants non accompagnés qui arrivent au Canada. Vous savez que, depuis nombreuses années, des experts et organismes humanitaires s’inquiètent de l’état de la prise en charge de ces enfants quand ils arrivent ici non accompagnés.
Pourriez-vous nous en parler davantage? Êtes-vous au courant de la situation des enfants non accompagnés arrivant au Canada? Y a-t-il des recommandations particulières que vous pourriez nous faire à cet égard?
[Traduction]
Mme Sherrell : Merci. Notre organisation entretient des relations très étroites avec le ministère du Développement des enfants et de la Famille. Même si le nombre de mineurs non accompagnés n’est pas aussi élevé en Colombie-Britannique que dans d’autres provinces, il y a ce lien et cette collaboration étroite avec la province qui permet de veiller à ce qu’il y ait un adulte responsable, parce que c’est une responsabilité que les organisations ne peuvent assumer, sachant que nous avons besoin de ce soutien pour ces enfants, non seulement à court terme, mais également à plus long terme.
En Colombie-Britannique, on soutient les mineurs jusqu’à l’âge adulte, mais je pense que l’une des recommandations qui méritent d’être étudiées, c’est que lorsqu’on a des enfants traumatisés ou des enfants qui ont été forcés de fuir et qui sont venus seuls, il se peut que le soutien dont ils ont besoin se prolonge au-delà de l’enfance selon les normes au pays. Il est essentiel de s’assurer que les mesures de soutien appropriées et adaptées à la culture sont accessibles.
La sénatrice Omidvar : Je vais poser mes questions et demander aux témoins de bien vouloir nous répondre par écrit. Je ne suis pas sûr de pouvoir les poser en deux minutes, et ce sont des questions importantes.
Ma première question s’adresse à M. Daoud. Je suis vraiment impressionnée par votre recommandation sur l’intersection entre la politique étrangère et les déplacements forcés à l’échelle mondiale. Nous n’avons jamais entendu cela auparavant. Je vais vous demander d’aller un peu plus loin et de réfléchir à une recommandation que vous nous feriez concernant le partage des responsabilités régionales, disons au Moyen-Orient, dans les États africains, en Colombie et en Équateur, où il se passe des choses intéressantes en ce qui concerne la réaction face à l’afflux de réfugiés provenant du Venezuela.
Madame Wagner, j’ai une brève question pour vous à laquelle vous pouvez répondre par oui ou par non. Ai-je raison de dire que l’examen de l’IELTS comporte des frais? Quel est le montant de ces frais?
Mme Wagner : Oui. Il varie selon le pays. En général, c’est autour de 200 dollars américains, mais nous avons vu jusqu’à 500 dollars américains.
La sénatrice Omidvar : C’est pour les réfugiés? J’aimerais que vous rédigiez une recommandation à ce sujet.
Madame Wagner, le programme sur lequel vous travaillez… et je vous en félicite. C’est vraiment novateur. C’est un tout petit programme. Nous ne pouvons pas vraiment en parler, mais j’espère que nous le ferons dans cinq ans.
Quelle est votre vision du programme pour les cinq prochaines années? Nous aimerions beaucoup voir quelque chose à ce sujet. Merci à vous deux.
Le sénateur Arnot : La question s’adresse à Mme Wagner. Comme il a été souligné, TalentLift Canada est un modèle très novateur et très fructueux. Vous intégrez les gens directement dans l’économie. Vous avez, si j’ai bien compris, une liste de personnes possédant certaines compétences, et vous les jumelez à des partenaires, qu’il s’agisse d’entreprises ou d’un gouvernement.
Quels sont les obstacles au succès durable de votre programme? Que faut-il faire pour assurer sa pérennité?
Mme Wagner : C’est une excellente question. Merci.
Vous avez parfaitement saisi la situation. Nous disposons d’une base de données où les gens peuvent enregistrer directement leurs compétences, et nous travaillons avec des partenaires afin de pouvoir puiser dans un plus grand bassin de talents.
Je dirais que l’un des obstacles ou l’un des aspects qui, à mon avis, sont très importants, c’est l’intégration du cadre et de la souplesse du PPVAME. À l’heure actuelle, ce programme est mis à notre disposition dans le cadre d’une politique publique. Je pense qu’il devrait être intégré dans nos lois et nos règlements, et je crois que le risque qu’un futur gouvernement, quel qu’il soit, supprime un programme est plus grand s’il s’agit d’un programme autonome. S’il est intégré à l’ensemble du volet économique, je pense que c’est un gage de résilience. Cela le rend beaucoup plus difficile à couper et à changer. Il s’agit là d’une des recommandations que je ferais.
Je dirais également… pour faire un lien avec ce que le premier groupe de témoins a approfondi un peu plus, et que j’ai vraiment apprécié; il a parlé de la création d’un bassin de talents dans les pays d’origine. Certains cadres stratégiques concernant les droits relatifs au travail, les droits relatifs à la formation et tout cela, ont une incidence importante sur la compétitivité d’une personne à l’égard d’un emploi au Canada et de la possibilité d’obtenir un visa pour travailleurs qualifiés. Plus les systèmes de permis de travail sont ouverts, surtout là où les gens vivent actuellement, plus cela aura une incidence sur l’ampleur de nos efforts.
La présidente : Merci beaucoup.
Je m’adresse aux témoins. Si vous pensez que nous avons oublié quelque chose… ou si vous souhaitez nous présenter un mémoire écrit, vous pouvez le faire. Nous disposions d’une heure, mais même une heure ne suffisait pas. Merci beaucoup de votre présence.
Sénatrice Gerba, aviez-vous une question?
La sénatrice Gerba : Oui.
La présidente : Veuillez poser votre question très rapidement, et ils pourront nous donner une réponse écrite.
La sénatrice Gerba : Merci. Oui, j’ai une question pour M. Daoud.
[Français]
Vous avez dit que vous accompagnez les réfugiés pour les questions juridiques. La vérificatrice générale a récemment dit que les délais de traitement des documents juridiques pour les réfugiés étaient très préoccupants.
Avez-vous des recommandations pour réduire ces délais qui sont aujourd’hui d’environ 26 mois?
[Traduction]
La présidente : Le temps est écoulé. Je tiens à remercier tous nos témoins d’avoir accepté de participer à cette importante étude. Votre aide dans le cadre de notre étude est grandement appréciée.
Chers collègues et invités, la partie publique de notre réunion est maintenant terminée. Nous allons suspendre la séance pendant quelques secondes, puis nous poursuivrons à huis clos pour discuter d’un projet d’ordre du jour.
(La séance se poursuit à huis clos.)