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RIDR - Comité permanent

Droits de la personne

 

LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES DROITS DE LA PERSONNE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le lundi 6 juin 2022

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne s’est réuni par vidéoconférence aujourd’hui, à 17 heures [HE], pour étudier le projet de loi S-224, Loi modifiant le Code criminel (traite de personnes).

La sénatrice Salma Ataullahjan (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Chers collègues, je m’appelle Salma Ataullahjan, je suis sénatrice de Toronto et présidente de ce comité.

Aujourd’hui, nous tenons une réunion du Comité sénatorial permanent des droits de la personne, et j’aimerais prendre le temps de présenter les membres du comité qui participent à cette réunion, soit la sénatrice Audette du Québec, la sénatrice Boyer de l’Ontario, la sénatrice Gerba du Québec, le sénateur Gignac du Québec, la sénatrice Hartling du Nouveau-Brunswick, la sénatrice Martin de la Colombie-Britannique et la sénatrice Omidvar de l’Ontario.

Bienvenue à vous tous et à ceux qui suivent nos délibérations sur senvu.ca.

Avant de commencer la partie officielle de la réunion, je vais demander à la sénatrice Hartling de prendre ma place. Je suis la marraine du projet de loi S-224, que notre comité étudiera aujourd’hui, et je ne présiderai donc pas ces délibérations.

Notre vice-présidente, la sénatrice Bernard, ne peut assister à la réunion d’aujourd’hui. La sénatrice Hartling a donc généreusement accepté d’assumer la présidence de la séance d’aujourd’hui.

La sénatrice Nancy J. Hartling (présidente suppléante) occupe le fauteuil.

La présidente suppléante : Je vous remercie de votre confiance, madame la sénatrice Ataullahjan. C’est un nouveau rôle pour moi, alors je demande votre indulgence.

Le 28 avril 2022, le Sénat a adopté un ordre de renvoi pour que le comité examine le projet de loi S-224, Loi modifiant le Code criminel (traite de personnes). Aujourd’hui, nous commençons l’étude du projet de loi S-224.

Avant de commencer, j’aimerais informer les sénateurs de l’horaire proposé pour chaque partie de notre réunion d’aujourd’hui. Ce sera une réunion en trois parties. Tout d’abord, nous entendrons la marraine du projet de loi pendant 30 minutes, période de questions comprise, ensuite nous consacrerons 45 minutes, questions comprises, à un groupe de témoins constitué de fonctionnaires, enfin nous passerons 45 minutes avec un autre groupe de témoins, questions comprises.

Pour notre premier témoignage aujourd’hui, nous avons le plaisir d’accueillir la marraine du projet de loi S-224, l’honorable sénatrice Salma Ataullahjan. Madame la sénatrice Ataullahjan, vous avez maintenant la parole.

L’honorable sénatrice Salma Ataullahjan, marraine du projet de loi : Bonsoir, chers collègues. J’ai l’honneur de présenter mon projet de loi S-224, Loi modifiant le Code criminel, au Comité sénatorial permanent des droits de la personne.

Le projet de loi S-224 vise à faciliter la condamnation des personnes accusées d’infractions liées à la traite de personnes en modifiant la définition de l’exploitation dans les infractions de traite de personnes du Code criminel.

Cet amendement ferait en sorte que la Couronne ne soit plus tenue de prouver qu’une personne raisonnable, dans la situation de la victime, craint pour sa sécurité ou celle d’une personne qu’elle connaît. Le fardeau de la preuve incombera à l’agresseur plutôt qu’aux survivants.

La définition actuelle du Code criminel laisse entendre qu’une personne n’est exploitée que si la peur est un facteur déterminant de l’exploitation. Le projet de loi S-224 modifierait le Code criminel pour refléter la définition internationale de la traite de personnes énoncée dans le Protocole de Palerme, qui considère que la traite de personnes se compose de trois éléments distincts, soit l’acte, les moyens et le but.

La traite de personnes est définie comme un acte de recrutement, de transport, d’hébergement ou d’accueil d’une personne par la menace, l’abus de pouvoir ou la tromperie en vue de l’exploitation. Cela ne se reflète pas dans notre Code criminel.

Dans sa forme actuelle, le Code criminel oblige les victimes ou les survivants à fournir un témoignage convaincant pour prouver la validité de leur expérience.

La traite de personnes est une forme moderne d’esclavage, qui se développe dans le monde entier et qui fait environ 40 millions de victimes. C’est une pratique qui s’appuie sur la violence et la coercition pour exploiter les victimes à des fins sexuelles ou par le travail.

Les trafiquants abordent les victimes en les convainquant qu’ils sont un ami ou un petit-ami potentiel. Ils communiquent avec les victimes sur les médias sociaux, ils publient des annonces d’emploi ou même menacent ou kidnappent les victimes. Ils promettent à la victime de l’argent, des vêtements, du travail, de l’éducation et de l’aide financière pour sa famille.

Contrairement à la croyance populaire que les victimes de la traite de personnes sont amenées au pays, la plupart des victimes sont de jeunes Canadiennes. Près de la moitié d’entre elles venaient d’une autre ville de la même province, et 60 % de l’ensemble des victimes venaient de l’Ontario.

Les groupes les plus à risque sont les femmes et les filles, les nouveaux immigrants, les enfants dans les systèmes d’aide sociale, les personnes handicapées, les personnes LGBTQ2 et les travailleurs migrants. Le recrutement de jeunes filles autochtones est tellement courant que de nombreuses survivantes ont raconté que des hommes attendaient aux gares d’autobus de Greyhound la nuit et les approchaient en leur promettant un endroit où rester en sécurité. Une survivante autochtone a expliqué qu’à l’âge de 16 ans, elle croyait qu’il était acceptable d’être battue par des hommes.

De nombreux survivants craignent ou se méfient des forces de l’ordre, et il faut parfois jusqu’à 18 tentatives avant de sortir définitivement de la traite de personnes. La plupart des survivants ne s’identifient pas comme des victimes, car ils sont trompés et manipulés. À la barre des témoins, les victimes doivent prouver qu’elles craignent pour leur vie, souvent à quelques mètres de la personne qui les exploite. Les témoignages montrent que le modèle fondé sur la peur est le plus gros problème lorsqu’il s’agit de condamnations, et que cette expérience est plus traumatisante que le fait d’être forcé de travailler dans l’industrie du sexe.

Pendant le contre-interrogatoire, il est courant que l’avocat de la défense déforme les paroles des victimes les accuse de mentir. Un juge de la Cour fédérale de l’Alberta a demandé à une victime — et nous nous en souvenons tous — pendant un procès pour agression sexuelle : « Pourquoi ne pouviez-vous pas serrer les jambes? » Cela peut amener les survivants à se rétracter ou simplement à retirer les accusations.

Par conséquent, les accusations de traite de personnes sont souvent retirées, et les trafiquants sont accusés de crimes connexes comme les infractions liées à la prostitution, l’enlèvement, les voies de fait, l’agression sexuelle et l’exploitation sexuelle. Ce n’est pas conforme à la justice, et ce n’est certainement pas une façon de prévenir, de réprimer et de punir les auteurs de la traite de personnes.

Pour terminer chers collègues, je n’oublierai jamais ma participation à une affaire judiciaire déchirante et j’espère que ce projet de loi aidera les survivants à obtenir justice d’une façon qui tienne compte de leurs traumatismes. Merci.

La présidente suppléante : Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs. J’aimerais informer chacun des sénateurs que vous disposerez de cinq minutes pour votre question et votre réponse, et il n’y aura qu’un tour. C’est tout le temps dont nous disposons, donc vous aurez quatre minutes chacun. La première personne sur la liste est la sénatrice Omidvar.

La sénatrice Omidvar : Merci, madame la présidente et merci, madame la sénatrice Ataullahjan, d’être venue témoigner aujourd’hui. Nous avons l’habitude de vous voir en tant que présidente, et maintenant nous nous habituons à vous voir en qualité de témoin au sujet de ce projet de loi.

Je veux parler du faible taux de condamnation suite à des accusations de traite de personnes. Seulement 7 % des accusations donnent lieu à un verdict de culpabilité. Vous l’avez en partie expliqué — c’est parce qu’il s’agit d’un modèle fondé sur la peur, et le fardeau incombe à la victime —, mais j’aimerais que vous nous aidiez à comprendre comment ce nouveau modèle transférera le fardeau de la preuve à l’auteur de l’infraction.

Croyez-vous que le taux de condamnation va augmenter à cause de cela?

La sénatrice Ataullahjan : Merci, madame la sénatrice Omidvar. Je pense que oui. La question que nous avons entendue au cours des recherches que nous avons menées — et je la pose souvent —, c’est comment prouver la peur? Certaines personnes n’avaient pas peur lorsqu’elles étaient victimes de la traite parce que c’était un être cher qui les exploitait. Je me souviens d’une survivante rencontrée au cours de nos recherches qui, lorsqu’elle a découvert qu’elle témoignait devant la personne qui l’exploitait, a demandé : « Puis-je me maquiller? » Elle voulait tout de même bien paraître parce que c’était une attitude ancrée.

Si nous enlevons aux victimes et aux survivantes le fardeau de prouver qu’elles ont peur, il incombera aux agresseurs de se défendre et cela facilitera les condamnations. À l’heure actuelle, des poursuites ont été intentées dans 7 à 8 % des cas. Trop de responsabilités pèsent sur les épaules des survivants, dont certains ne s’identifient même pas comme des victimes. Nous espérons qu’une fois adopté, ce projet de loi sera utile.

La sénatrice Omidvar : Madame la sénatrice Ataullahjan, vous avez également indiqué dans votre exposé que la plupart des trafiquants ne sont pas reconnus coupables de traite de personnes. Ils sont condamnés pour une infraction connexe, ce qui entraîne probablement des peines moins sévères et des périodes d’incarcération moins longues, et ainsi de suite.

Croyez-vous que les accusations de traite de personnes ont plus de chances de se concrétiser, ce qui accroît les chances que ces personnes soient punies comme il se doit?

La sénatrice Ataullahjan : Oui. Comme je l’ai mentionné dans mes notes d’allocution, les avocats de la défense s’en prennent souvent aux survivants, aux victimes, les traitant de menteurs. Il y a des jeunes femmes, et parfois des hommes, qui sont vulnérables et qui ne peuvent pas résister à ce type d’interrogatoire. Souvent, ils se rétractent, deviennent confus ou retirent leurs accusations.

La nouveauté, c’est qu’ils n’ont plus à prouver qu’ils ont peur. Ils n’ont pas à se soucier de convaincre les juges qu’ils avaient peur. Ils peuvent dire : « Voici ce qui nous est arrivé. » Il incombe à l’agresseur de prouver ce qu’il a fait. La victime, le survivant, n’aura rien à prouver. Ce sera certainement utile.

Je ne suis pas avocate. Je ne suis qu’une sénatrice qui, lorsque j’ai entendu cela, s’est dit que c’était inacceptable. Nous sommes un peu en retard. Ailleurs dans le monde, la victime n’a pas à apporter la preuve de sa peur. Cela renforcera la loi et le système judiciaire. Je pense que les témoins qui suivront seront probablement mieux placés que moi pour répondre aux questions d’ordre juridique.

Je parle du fond du cœur et j’essaie de faire ce qu’il faut pour les survivants et les victimes.

La sénatrice Omidvar : Merci beaucoup, madame la sénatrice Ataullahjan.

La sénatrice Boyer : Merci, madame la sénatrice Ataullahjan, de nous avoir présenté ce projet de loi. Cela aurait dû être fait il y a longtemps, et j’espère que ces changements auront des effets positifs sur une situation particulièrement horrible que nous constatons partout au Canada.

J’ai plusieurs questions, mais ma principale question concerne les femmes du Nord, c’est-à-dire les femmes qui sont victimes de la traite de personnes dans les corridors qui, nous le savons, existent partout au Canada et les femmes qui sont expédiées par bateau.

De quelle manière pensez-vous que ce projet de loi touchera les femmes inuites qui sont amenées dans les corridors, disons d’Iqaluit à Ottawa et à Halifax? Aura-t-il des conséquences pour ces femmes autochtones vulnérables?

La sénatrice Ataullahjan : J’espère que oui, madame la sénatrice. J’espère qu’il leur fournira un filet de sécurité. J’espère qu’elles pourront s’adresser aux tribunaux sans crainte et qu’elles sauront qu’elles sont protégées, que le système judiciaire les appuiera et que les organismes d’application de la loi les appuieront maintenant qu’il ne leur incombe pas de prouver qu’elles ont peur. Elles n’auront qu’à raconter leur histoire. Elles n’auront rien à prouver.

La sénatrice Boyer : Merci. Qu’arrivera-t-il lorsque des personnes exploitent leurs enfants ou des membres de leur famille? Ce sera vraiment compliqué.

La sénatrice Ataullahjan : Oui, mais nous ne devrions pas avoir peur que les choses se compliquent. En fin de compte, pour moi, comme pour tous mes collègues, il s’agit de protéger les personnes vulnérables et d’offrir du soutien aux survivants pour leur faire savoir qu’ils ne sont pas seuls et qu’ils peuvent obtenir de l’aide.

Si un membre de la famille peut s’abaisser à exploiter un de ses proches, la même loi devrait s’appliquer à lui.

La sénatrice Boyer : On le voit souvent avec les survivants des pensionnats. C’est pourquoi j’en parle. Merci.

La sénatrice Ataullahjan : Oui. Merci, madame la sénatrice.

[Français]

La sénatrice Gerba : Merci beaucoup. Je voulais tout d’abord vous féliciter pour ce projet de loi. Je voulais surtout souligner le fait que les victimes n’auront plus à porter l’odieux de la preuve.

Ma préoccupation concerne les jeunes filles en provenance de pays d’Afrique ou d’Amérique latine, par exemple, qui sont transportées au Canada à la suite de propositions de mariage. Les hommes qui vont dans ces pays les épousent et les ramènent au Canada en tant qu’épouse. Ces femmes sont cloîtrées dans les résidences. Elles n’ont aucun contact et n’ont aucune information sur tout ce dont nous sommes en train de discuter.

Comment ce projet de loi pourra-t-il aider ces femmes à sortir de leur prison — parce qu’elles sont en prison, en fait? Comment pourrons-nous les aider?

[Traduction]

La sénatrice Ataullahjan : Parlez-vous de ces femmes qui sont amenées ici et qui sont ensuite victimes de la traite?

La sénatrice Gerba : Oui. On les amène ici. Elles n’ont pas de contacts ni d’informations sur ce qui se passe.

[Français]

Qu’est-ce qu’elles auront comme recours? Comment pourrons-nous les aider à se servir de ce projet de loi?

[Traduction]

La sénatrice Ataullahjan : Madame la sénatrice, nous parlons plus précisément des femmes victimes de la traite de personnes. Si elles sont victimes de la traite, la même aide leur sera offerte.

Maintenant, comment leur faire savoir que cette aide est disponible? En soi, c’est une question différente, parce que, encore une fois, lorsqu’une personne arrive au Canada, qu’elle y immigre, elle devrait être informée de l’ensemble des services disponibles. Il arrive que des membres de la communauté viennent apporter leur aide et je sais, étant immigrante, que parfois les gens et les femmes en particulier ne sont pas au courant de toute l’aide qui leur est offerte.

Il y a du travail à faire à cet égard, et ce pourrait être une bonne question à poser aux témoins qui suivront. Il serait peut-être bon d’obtenir leur avis.

[Français]

La sénatrice Gerba : En ce qui a trait au projet de loi en soi, l’article 279.04 propose de modifier réellement la situation et de permettre de mettre fin à cette traite. Quelles peuvent être la portée et les répercussions de ce projet de loi sur ce plan?

[Traduction]

La sénatrice Ataullahjan : Ce projet de loi fera en sorte qu’un survivant, une personne qui a été victime de la traite de personnes, n’aura pas à prouver — parce qu’avant, elle devait prouver qu’elle avait peur, et que c’est pour cela qu’elle a pu être victime de la traite de personnes. Les victimes n’auront plus à apporter la preuve de cette peur. Nous retirons le fardeau de la preuve aux survivants; nous leur retirons cette charge. Avant, ils devaient prouver qu’ils avaient peur.

Comme je l’ai dit au début, comment peut-on prouver qu’on a peur? Il y a de nombreuses formes de peur. Parfois, on n’a même pas peur, parce que c’est un membre de votre famille qui vous exploite, ou un être cher, ou un petit ami — nous avons vu dans bien des cas que le petit ami faisait la traite — et ces personnes convainquent ces femmes, ces jeunes filles — rappelez-vous, nous avons affaire à beaucoup de personnes jeunes qui sont convaincues qu’on leur fait subir cela par amour.

La victime devra donc raconter son histoire et n’aura rien à prouver d’autre. Ce fardeau est enlevé aux victimes et aux survivants.

La sénatrice Gerba : Merci.

La présidente suppléante : Merci beaucoup.

Quelqu’un d’autre a-t-il des questions?

[Français]

La sénatrice Audette : Merci beaucoup pour l’initiative, sachant qu’il y a beaucoup de femmes des Premières Nations, en Ontario, dans la région des Grands Lacs, aux prises avec ces enjeux et des tragédies comme celles-ci. On sait que le pourcentage de cas ou d’accusations en matière de traite au Canada est très faible, soit en ce qui a trait à ceux qui ont été judiciarisés et là où il y a un verdict de culpabilité. En prononçant votre discours, lorsque vous nous avez fait part avec passion de votre projet de loi, vous avez dit qu’il allait aussi permettre de condamner des personnes de façon efficace. Pour le bien de tous ceux et celles qui nous écoutent, pouvez-vous nous rappeler ou nous dire pourquoi cette fois-ci ce sera efficace? Peut-être que le pourcentage de condamnations augmentera, sachant que cela existe au Canada.

[Traduction]

La sénatrice Ataullahjan : Merci, madame la sénatrice. Comme je l’ai dit dans mes notes d’allocution, il est assez courant que les trafiquants attendent aux gares d’autobus de Greyhound, et lorsqu’ils voient des jeunes filles autochtones descendre de l’autobus, ils leur proposent de l’aide.

Si vous venez des régions du Nord ou des petites collectivités, il peut être très intimidant de se trouver dans de grandes villes. Si quelqu’un se présente et dit « Je suis prêt à vous aider », parfois les jeunes filles sont très, très — on ne sait pas; on pense que quelqu’un est prêt à vous aider. Ensuite, elles tombent dans ce piège, et il est très difficile de s’en sortir parce que, premièrement, elles sont dans une nouvelle ville; elles ne connaissent personne. Même si elles connaissent des gens, il est difficile d’admettre que vous êtes victime de la traite de personnes parce qu’il y a cette personne qui vous aime, qui s’occupe de vous, qui a offert de vous aider; comment peut-elle vous exploiter?

Ensuite, lorsque l’agresseur est arrêté, au lieu qu’il lui incombe de prouver son innocence, il incombe aux survivants et aux victimes de prouver qu’ils avaient peur, et nous devons supprimer cela. Nous devons supprimer cet élément.

J’espère que lorsque nous le ferons, il sera plus facile pour les jeunes femmes et les jeunes hommes de dénoncer la traite de personnes et de faire face à ceux qui les ont exploités devant les tribunaux. Ils n’ont pas à prouver quoi que ce soit. J’espère que cela renforcera, comme je l’ai dit, les forces de l’ordre et la magistrature et qu’il sera plus facile pour eux de condamner des gens.

La présidente suppléante : Merci beaucoup.

Cela met fin à notre premier groupe de témoins, et nous allons prendre quelques instants pour nous préparer à accueillir le prochain groupe de témoins.

La présidente suppléante : Pour notre deuxième groupe de témoins, nous accueillons Me Nathalie Levman, avocate principale, du ministère de la Justice du Canada, et Mme Kristin Solvason, directrice générale par intérim, Application de la loi, de Sécurité publique Canada.

J’invite maintenant Me Levman à faire sa déclaration préliminaire. Merci.

Me Nathalie Levman, avocate principale, ministère de la Justice Canada : Merci, mesdames et messieurs les sénateurs. J’aimerais commencer par souligner que je m’adresse à vous aujourd’hui à partir du territoire traditionnel non cédé de la nation algonquine anishinabe. Je vous remercie de me donner l’occasion de parler du projet de loi S-224 modifiant les dispositions du Code criminel sur la traite de personnes. J’aimerais vous entretenir brièvement du cadre juridique international, des dispositions actuelles en droit pénal et des réformes proposées dans le projet de loi.

En 2002, le Canada a ratifié le Protocole des Nations Unies visant à prévenir, réprimer et punir la traite de personnes, en particulier des femmes et des enfants. Comme l’a expliqué la marraine du projet de loi, selon la définition donnée à l’article 3, il y a traite de personnes lorsque les trois éléments suivants sont présents : premièrement un acte, comme le recrutement, le transport ou l’hébergement d’une personne, deuxièmement cet acte doit être posé en recourant à des moyens comme la contrainte, l’enlèvement, la tromperie ou l’abus d’une situation de vulnérabilité, et troisièmement cet acte doit être posé dans le but précis d’exploiter une victime. En effet, plutôt que de définir l’exploitation, l’article 3 expose des exemples de comportements abusifs, comme l’exploitation sexuelle et le travail forcé entre autres, qui exigent des preuves de pratiques coercitives.

En 2005, des infractions relatives à la traite de personnes ont été ajoutées au Code criminel. Sous la principale infraction de traite de personnes, à l’article 279.01, il suffit de démontrer l’acte et l’intention. Il n’est pas nécessaire de prouver que l’accusé a eu recours à des moyens illicites pour exploiter la victime. En somme, il faut démontrer qu’il y a eu recrutement, transport ou hébergement d’une personne dans le but de l’exploiter. Des précisions sur les dispositions pénales sont fournies au paragraphe 279.04(1), plus précisément, une personne en exploite une autre si cette dernière a des motifs raisonnables de croire que sa sécurité physique ou psychologique pourrait être compromise si elle refusait de fournir son travail ou ses services. En 2012, une disposition interprétative a été adoptée de manière à préciser que les tribunaux pouvaient prendre en considération un ensemble de facteurs pour déterminer si un accusé avait eu recours à la contrainte ou à la tromperie, ou s’il avait abusé de son pouvoir ou de la confiance de la victime.

Selon la jurisprudence pertinente de la Cour d’appel de l’Ontario, il n’est pas nécessaire de démontrer que la victime avait peur. La cour ajoute que l’exploitation doit être interprétée au sens large et qu’elle englobe l’exploitation physique et psychologique. Dans une décision subséquente, la cour a confirmé la culpabilité de l’accusé dans une affaire d’abus de pouvoir où il n’y avait eu ni violence ni menace. Elle a conclu que de nombreux facteurs devaient être pris en considération pour déterminer si la conduite d’une personne constitue de l’exploitation au sens du paragraphe 279.04(1), notamment la contrainte physique ou psychologique, la tromperie, l’abus de confiance, de pouvoir ou d’autorité, la vulnérabilité de la victime compte tenu de son âge ou de sa situation personnelle, l’isolement de la victime, la nature de la relation entre l’accusé et la victime, un comportement directif, l’influence exercée sur les déplacements de la victime ou ses finances et la surveillance de ses communications avec les autres. D’autres tribunaux se sont appuyés sur la jurisprudence établie par la Cour d’appel de l’Ontario dont, tout récemment, la Cour d’appel du Québec dans l’arrêt Chahinian (2022).

Le projet de loi S-224 viendrait abroger et remplacer le paragraphe 279.04(1) de manière à introduire une nouvelle définition d’exploitation selon laquelle une personne en exploite une autre si sa conduite amène sa victime à fournir son travail ou ses services et s’il y a contrainte, tromperie, fraude, abus de confiance, de pouvoir ou d’autorité ou tout autre acte semblable. Le paragraphe 279.04(2), soit l’outil d’interprétation qui vise à aider les tribunaux à déterminer s’il y a exploitation, serait aussi abrogé.

Comme dans toute réforme du droit, l’abrogation de dispositions pour les remplacer par d’autres aurait des répercussions sur les acteurs du système de justice, notamment les policiers et les procureurs, qui devront apprendre les nouvelles dispositions, et sur les tribunaux, qui auront à les interpréter.

Voilà qui conclut mon intervention. Je vais maintenant répondre à vos questions. Merci.

La présidente suppléante : Merci beaucoup de votre exposé. Nous allons passer aux questions des sénateurs. Chaque sénateur disposera de quatre minutes pour la question et la réponse.

La sénatrice Boyer : Merci beaucoup pour cet exposé. Je l’ai beaucoup apprécié. Je constate qu’il y a eu un certain nombre de modifications au Code criminel au fil des ans, et qu’il y a eu une certaine jurisprudence dans ce domaine pour aider à orienter la façon dont cela est fait.

Quels obstacles voyez-vous actuellement au niveau du ministère de la Justice? À quoi le ministère de la Justice est-il confronté lorsqu’il tente d’intenter des poursuites dans ce domaine? Nous savons que c’est difficile, mais de quoi s’agit-il exactement? En quoi ce projet de loi sera-t-il utile?

Me Levman : Merci beaucoup de cette question. Avant de répondre, je tiens à préciser que nous n’intentons pas de poursuites. Nous sommes responsables du Code criminel, alors si vous voulez entendre les procureurs qui s’occupent des poursuites, il y a des procureurs spécialisés dans la traite de personnes en Ontario et en Nouvelle-Écosse, alors vous pourriez peut-être les contacter.

Je peux me reporter à la jurisprudence. Je tiens à souligner que, comme les pratiques coercitives sont un élément essentiel de toute infraction liée à la traite de personnes, ainsi que l’énonce l’article 3 du protocole, le témoignage de la victime au sujet de ces pratiques est souvent un élément important de la preuve présentée par la poursuite, comme le confirme la jurisprudence. Donc, la jurisprudence actuelle nous indique certains des problèmes auxquels les procureurs ont fait face. Par exemple, les victimes peuvent continuer d’être sous l’emprise de leurs trafiquants et elles peuvent revenir sur des déclarations qu’elles ont faites à la police ou à d’autres. De plus, les preuves corroborantes, qui aident à étayer le témoignage de la victime, comme les messages textes — les accusés ont contesté l’admissibilité de ce genre de preuve en disant qu’il s’agit d’une violation de l’article 8 de la Charte. De plus, la crédibilité des victimes a également posé problème parce qu’on sait que le traumatisme cause un souvenir incohérent des événements.

La jurisprudence récente indique toutefois que les tribunaux admettent des déclarations antérieures contradictoires quant à la véracité de leur contenu en cas de rétractation, que les messages textes ont été admis comme preuve et qu’ils fournissent une preuve convaincante du contrôle exercé par les trafiquants sur l’autonomie des victimes.

Certains tribunaux ont reconnu que les incohérences dans les témoignages sont liées à ce que les victimes de la traite de personnes ont enduré, alors ils appliquent une approche qui tient compte des traumatismes.

Encore une fois, c’est tiré de la jurisprudence, mais toute question opérationnelle devrait être renvoyée aux procureurs qui s’occupent de ces affaires. Merci.

La sénatrice Boyer : Merci beaucoup. Cependant, votre bureau conserve-t-il des données sur les taux de poursuites? Certainement.

Me Levman : Nous surveillons la jurisprudence publiée. Nous surveillons toutes les recherches, tant nationales qu’internationales. Nous communiquons avec nos collègues des provinces qui mènent ce genre de poursuites.

La sénatrice Boyer : Croyez-vous que ce projet de loi contribuera à accroître le nombre de poursuites?

Me Levman : Eh bien, comme je l’ai dit, les pratiques coercitives doivent encore être prouvées au-delà de tout doute raisonnable devant un tribunal afin d’établir une condamnation. Dans toute affaire criminelle, c’est la charge. Il sera toujours difficile de prouver l’existence des pratiques coercitives, quelque soit leur définition, même les formes plus subtiles dont nous savons que la définition actuelle tient compte.

La sénatrice Boyer : Donc, nous ne savons pas.

La sénatrice Ataullahjan : Merci de votre témoignage. J’aimerais vous demander quel type de conduite non visé par la disposition actuelle, le serait par la version modifiée de l’article 279.04.

Me Levman : Je vous remercie de cette question. Le projet de loi remplacerait la définition actuelle par une nouvelle définition qui exigerait une preuve de conduite comportant l’usage ou la menace d’usage de la force ou une autre forme de coercition, de tromperie, de fraude, d’abus de confiance, de pouvoir ou d’autorité. Je tiens à souligner que ces moyens — j’utiliserai le terme moyens — d’obtenir du travail ou des services d’autrui sont très semblables aux facteurs dont la Cour d’appel de l’Ontario a clairement établi qu’ils sont pertinents pour déterminer si cela correspond à la définition actuelle de l’exploitation.

J’ai fait référence à la décision Sinclair de 2020 de la Cour d’appel de l’Ontario, qui a précisé que les tribunaux devraient se pencher sur un éventail de facteurs dans le cadre de cette enquête, dont certains portaient sur la conduite de l’accusé, comme les abus de pouvoir, le comportement directif ou d’autres formes de contrôle que l’accusé peut avoir sur la victime. De plus, les vulnérabilités de la victime sont pertinentes, y compris la nature de la relation entre l’accusé et la victime.

Bref, tout le contexte de l’infraction est pertinent. C’est ainsi, d’après mon interprétation de la jurisprudence, que les tribunaux en sont venus à des conclusions sur la pertinence de formes subtiles de coercition qui ne comportent pas de violence ou de menaces de violence. Récemment des jugements ont été rendus en appel qui ont fait des déclarations fermes à cet égard, tant au Québec qu’en Ontario.

La sénatrice Ataullahjan : Dans quelle mesure le témoignage de la victime serait-il moins critique dans le cadre proposé? À l’heure actuelle, il incombe à la victime de prouver qu’elle a peur.

Me Levman : Comme je l’ai dit, les dispositions actuelles n’obligent pas les procureurs à prouver que la victime avait réellement peur. La disposition actuelle oblige les procureurs à prouver qu’une personne raisonnable, dans ces circonstances particulières, serait amenée à croire que sa sécurité physique ou psychologique serait menacée si elle ne faisait pas ce qu’on attend d’elle.

Comme je l’ai déjà dit, en réponse à une question précédente, les pratiques coercitives devront toujours être prouvées au-delà de tout doute raisonnable devant un tribunal pénal pour établir l’infraction de traite de personnes, peu importe comment elle est caractérisée, si elle est conforme à l’article 3, qui exige en fait deux éléments de pratiques coercitives, à savoir que l’acte soit commis par des moyens coercitifs et que le but soit l’exploitation, ce qui, comme je l’ai expliqué, exige la preuve d’un élément de coercition.

C’est pourquoi, je crois, le Juristat sur la traite de personnes de 2021 de Statistique Canada a souligné ce qui suit :

Les recherches menées à ce jour indiquent qu’il est difficile, à bien des égards, de poursuivre des contrevenants pour des infractions de traite de personnes. Par exemple, étant donné que les victimes sont souvent réticentes à prendre des mesures contre l’auteur de la traite de personnes ou craignent de le faire, il peut se révéler impossible d’utiliser leur témoignage, d’où la difficulté à prouver la culpabilité du trafiquant [...]

C’est une citation de ce Juristat. Je crois que cela continuera d’être un problème, et il est très important de former ceux qui enquêtent et qui intentent des poursuites dans ces affaires, comme c’est le cas actuellement, afin que la portée des dispositions, peu importe la façon dont elles peuvent être encadrées ou comprises — et il est entendu que l’intention du législateur est d’englober un large éventail de pratiques coercitives ou de comportements d’exploitation, y compris des formes plus subtiles — soit claire pour ceux qui appliquent la loi.

La sénatrice Omidvar : Merci, madame Levman, de nous aider dans notre étude de ce projet de loi.

Ma question porte sur votre comité consultatif formé de victimes et de survivants de la traite de personnes. Pouvez-vous me dire s’il a répondu à ce projet de loi, si vous lui avez demandé ce qu’il pensait de ces changements. De façon générale, quelles sont les principales recommandations formulées par ce comité au sujet du Code criminel en ce qui concerne la traite de personnes?

Me Levman : Je crois que votre question s’adresse à ma collègue de la Sécurité publique.

La sénatrice Omidvar : Oh, désolée.

Me Levman : Oui.

Kristin Solvason, directrice générale par intérim, Application de la loi, Sécurité publique Canada : Ce n’est pas grave. Je peux parler un peu de ce que nous avons entendu dans le cadre de l’engagement de 2018 et de la Stratégie nationale de lutte contre la traite de personnes.

En 2018, il y a eu une mobilisation et des consultations assez poussées auprès de divers intervenants et partenaires, soit les organismes d’application de la loi, les survivants, les victimes et d’autres ordres de gouvernement, le milieu universitaire. L’un des éléments de la stratégie nationale comprend la création d’un comité consultatif des survivants qui n’a pas encore été mis en place. Mais nous formulons des recommandations et élaborons des propositions à cet égard.

Pour mettre les choses en contexte, la stratégie a été lancée en 2019. Il s’agit d’une stratégie quinquennale, alors certains éléments ont été mis en œuvre au fil des ans. Mais le comité consultatif des survivants sera mis sur pied cette année.

La sénatrice Omidvar : Je vois. Merci. C’est tout.

[Français]

La sénatrice Audette : Merci de votre présentation. Justement, il s’agit d’un changement de culture. Il est évident, surtout à la lumière de toutes les commissions d’enquête auprès des femmes et filles autochtones vivantes ou celles qui ont perdu un être cher, que la confiance à l’égard du système de justice et de la sécurité publique est absente ou perdue. Nous avons maintenant l’occasion de démontrer qu’il peut se faire de belles et bonnes choses.

Avez-vous réfléchi à une stratégie pour placer les femmes et les jeunes filles dans un lieu sécuritaire afin que leur silence ou leurs paroles puissent faire partie de la preuve? Un des obstacles qui les empêchent de communiquer avec la police est qu’on ne les croit pas. Changer une loi, c’est une chose, mais quelles sont vos stratégies ou vos approches pour changer la culture quant à la façon d’appliquer une loi?

[Traduction]

Mme Solvason : Je pourrais peut-être commencer dans le contexte de la Ltratégie nationale de lutte contre la traite de personnes. Je vous remercie de la question, madame la sénatrice. En particulier, puisque nous connaissons les liens profonds avec le rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, et que de nombreux appels à la justice y sont intégrés — comme vous le savez tous — des appels à la justice destinés au gouvernement fédéral, aux autres ordres de gouvernement, au secteur des services et aux Canadiens en général.

Je pourrais peut-être vous parler aujourd’hui de certains des fonds qui ont été fournis depuis la création de la stratégie nationale, par l’entremise de Sécurité publique Canada. Je peux vous parler plus précisément de certains des programmes ciblés que nous avons fournis.

Dans cette optique, en 2020, Sécurité publique Canada a lancé un appel de propositions à l’intention des organismes qui travaillent à prévenir et à contrer la traite de personnes et à soutenir les populations à risque et les survivants. Dans le cadre de cet appel, une somme de 8,4 millions de dollars est accordée à 20 projets qui visent à prévenir et à contrer la traite de personnes et à soutenir les survivants.

J’ajouterais, s’agissant de votre remarque sur l’éducation, la sensibilisation et la confiance, qu’une partie du financement de ce programme est allouée aux collectivités afin qu’elles puissent offrir un soutien adapté aux collectivités qu’elles desservent. Je signale que sur les 20 projets qui ont été appuyés depuis 2020, 15 d’entre eux sont à la disposition des communautés autochtones. Deux d’entre eux sont dirigés par des Autochtones. C’est une mesure que nous continuerons d’appuyer. Nous avons entendu cette nécessité non seulement dans le cadre de la mobilisation liée à la stratégie globale de lutte contre la traite de personnes, mais aussi, en particulier, dans le contexte du rapport final sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées.

Le financement de programme que nous fournissons par l’entremise de Sécurité publique Canada et d’autres ministères, y compris Femmes et Égalité des genres Canada, par exemple, dans le cadre de leur stratégie de lutte contre la violence fondée sur le sexe, tente de s’attaquer à certains des problèmes fondamentaux liés à la confiance et d’offrir un espace sécuritaire qui tient compte des particularités culturelles des collectivités qu’il sert.

La présidente suppléante : Merci. Il nous reste un peu de temps. Nous allons commencer un deuxième tour.

[Français]

Le sénateur Gignac : J’aimerais féliciter ma collègue pour son projet de loi, je crois que c’est une avancée importante.

Ma question s’adresse au ministère de la Justice. Étant donné que le Canada est signataire, depuis 2002, de la Convention de Palerme, sommes-nous en retard sur les pratiques d’autres pays pour renverser le fardeau de la preuve ou innovons-nous à cet égard? Y a-t-il eu des comparaisons internationales qui ont été faites à ce sujet?

[Traduction]

Me Levman : Je vous remercie de la question. Les systèmes pénaux et juridiques du monde entier exigent tous la preuve hors de tout doute raisonnable des éléments essentiels des infractions pour obtenir des condamnations. Bien que nous fassions, bien sûr, une analyse comparative des approches adoptées par d’autres pays à l’égard des infractions criminelles, y compris la traite de personnes, je ne connais aucun pays qui renverse la charge habituelle qui s’applique dans les affaires criminelles. Je ne crois pas que ce soit ce que le protocole de l’ONU exige. Il exige la criminalisation de la conduite énoncée à l’article 3. Il s’agit d’une lecture des articles 3 et 5 ensemble. Je ne sais pas si cela vous aide ou si cela répond à vos questions.

[Français]

Le sénateur Gignac : Lorsqu’on innove — et si je comprends bien, on est le premier pays à le faire —, il faut toujours faire attention aux conséquences inattendues.

Je veux qu’on me comprenne bien, je suis pour l’objectif et il est très louable. Cependant, pourrait-il y avoir des situations où un couple d’immigrants, dans lequel l’homme a marié une femme mineure — les pratiques et la culture étant différentes dans d’autres pays—, serait considéré comme un mariage forcé? Le couple arrive ici et par la suite, les choses changent, ici, au Canada et à ce moment-là, il pourrait y avoir des situations où, évidemment, cela pourrait avoir des conséquences.

En fait, ce sont les statistiques qui m’intéressent. Vous avez eu plusieurs cas, je pense qu’on parlait de 500 cas sur quelques années, dont seulement 7 % ont abouti à un verdict de culpabilité — en fait, la police aurait signalé 511 incidents. Combien de ces incidents impliquaient des couples qui étaient déjà mariés lorsqu’ils sont arrivés au Canada?

Certaines personnes peuvent avoir des perceptions ou des opinions à ce sujet, mais cela peut être bien différent dans d’autres cultures et d’autres pays. Ces personnes sont installées ici. Est-ce que ce renversement de preuve peut entraîner une situation où on pourrait accuser quelqu’un de traite de personnes, donc faire un signalement en vertu de cette loi?

En fait, ma question porte sur les conséquences inattendues de ce renversement et de ce changement à la loi.

[Traduction]

Me Levman : Si je comprends bien la question, vous parlez de cas où il pourrait y avoir des mariages forcés ou des éléments culturels différents, et vous voulez savoir si nous avons des preuves à ce sujet en particulier.

Nous n’avons pas de jurisprudence qui traite de ce genre de scénario. Cependant, j’aimerais souligner que la disposition sur la traite de personnes ne se limite pas à certains types de services ou de main-d’œuvre. Elle englobe tout service ou tout travail obtenu par des pratiques coercitives. Rien dans la disposition n’empêche son utilisation dans ce contexte.

La sénatrice Ataullahjan : Nous entendons sans cesse parler du faible taux de condamnation, qui est de 7 %. Pouvez-vous m’aider à comprendre quels facteurs contribuent à la faiblesse du taux de condamnation pour des infractions de traite de personnes?

Ce projet de loi définit la personne qui en exploite une autre ainsi :

... elle utilise ou menace d’utiliser la force ou toute autre forme de contrainte, elle recourt à la tromperie ou à la fraude, elle abuse de son pouvoir ou de la confiance de la personne ou elle commet tout autre acte semblable.

Pouvez-vous me dire quelles autres lois semblables pourraient être visées par cette disposition?

Me Levman : Je vous renvoie au Juristat sur la traite de personnes, qui donne un aperçu de certains des défis auxquels font face les procureurs et des raisons pour lesquelles ils existent. On parle aussi de bourses d’études à cet égard. Je crois qu’une professeure qui comparaîtra devant vous sous peu pourra peut-être vous en parler.

Je ne suis pas certaine à 100 % de l’intention qui a présidé à l’utilisation d’une formule comme « tout autre acte semblable ». Je ne peux que vous donner une idée de la façon dont je pourrais la lire. Je pense que l’intention, même si vous êtes probablement mieux placée que moi pour en parler, était d’englober toutes les formes les plus subtiles de coercition qui peuvent être employées par les trafiquants dans les affaires de traite.

Bien entendu, les tribunaux peuvent également en tenir compte dans la définition actuelle, conformément à la jurisprudence de la Cour d’appel de l’Ontario dont j’ai parlé et à celle de la Cour d’appel du Québec.

La sénatrice Ataullahjan : Merci.

La sénatrice Omidvar : Merci. J’ai une question pour Sécurité publique Canada. Il s’agit de votre rapport au sujet de la consultation sur la traite de personnes qui a été menée en 2018 et dans lequel les participants craignaient que la définition de l’exploitation aux termes de l’article 279.04 soit trop étroite.

Pouvez-vous nous en dire un peu plus? Pourquoi ont-ils considéré que la définition était trop étroite? Quelles suggestions ont-ils faites? Ces suggestions sont-elles, dans une certaine mesure, prises en compte par le projet de loi?

Mme Solvason : Je vous remercie de la question. En effet, vous avez raison; lors des consultations de 2018, cela a été noté.

Parmi les nombreuses constatations qui ont été faites et les considérations qui ont été soulevées en ce qui concerne les survivants en particulier, il s’agit de l’un des commentaires qui ont été faits au sujet des considérations législatives.

Je dirais que le message est qu’il faut absolument renforcer la loi dans le but d’obtenir plus de succès dans les poursuites. C’est dans cette optique que s’inscrit une grande partie de la conversation de 2018.

Malheureusement, je ne peux pas vous donner plus de détails que ce qui est disponible dans notre rapport public. Ce sont les informations dont je dispose.

Ce qui a été saisi, comme vous l’avez souligné, c’est la nécessité de supprimer la clause de sécurité de l’article 279.04 du Code criminel, qui exige la preuve de la crainte pour sa sécurité à l’appui de la jurisprudence, ce qui a été souligné tout au long des consultations de 2018.

Je peux vous dire que dans ce contexte, les participants ont indiqué que le seuil limitait trop la définition de la traite de personnes, ce qui a une incidence sur les taux de condamnation et de poursuite.

C’est ainsi que les choses nous ont été décrites tout au long des séances de consultation. J’espère que cela répond à votre question.

La sénatrice Omidvar : Nous avons beaucoup parlé de poursuites et de condamnations. Cette question ne relève pas du projet de loi, mais je m’interroge sur les sanctions. Je crois comprendre que les peines pour de tels crimes sont très faibles.

Pouvez-vous nous aider à comprendre — si cela relève de votre compétence, car bon nombre de ces questions pourraient bien relever des tribunaux provinciaux — quelle est la peine moyenne pour un crime de traite de personnes à l’heure actuelle?

Me Levman : Je ne peux pas répondre à cette question en vous donnant des moyennes, des statistiques. Cependant, je peux dire que la jurisprudence récente en matière de détermination de la peine pour traite de personnes montre que les peines sont plus sévères qu’auparavant.

La sénatrice Omidvar : Merci.

La présidente suppléante : J’aimerais remercier les témoins de leur participation aujourd’hui. Nous vous sommes très reconnaissants de votre aide dans le cadre de notre étude.

J’aimerais maintenant vous présenter notre dernier groupe de témoins de la journée, Janine Benedet, professeure de droit à l’Université de la Colombie-Britannique, et Julia Drydyk, directrice générale, The Canadian Centre to End Human Trafficking. Bienvenue à nos témoins et merci d’être parmi nous aujourd’hui.

Julia Drydyk, directrice générale, The Canadian Centre to End Human Trafficking : J’aimerais remercier les membres du comité de m’accueillir aujourd’hui.

Le Canadian Centre to End Human Trafficking est un organisme de bienfaisance national voué à mettre fin à tous les types de traite de personnes au Canada. Nous travaillons à provoquer des changements systémiques en collaborant et en travaillant avec divers intervenants pour faire progresser les pratiques exemplaires, partager les résultats de la recherche et éliminer les efforts en double à l’échelle du Canada.

En mai 2019, nous avons lancé la Ligne d’urgence canadienne contre la traite de personnes, un service confidentiel multilingue qui fonctionne 24 heures sur 24, sept jours sur sept, pour mettre les victimes et les survivants en contact avec les services sociaux ou les organismes d’application de la loi, s’ils le souhaitent.

Le Canadian Centre to End Human Trafficking appuie le projet de loi S-224 et la suppression de l’exigence selon laquelle l’élément de peur est nécessaire pour démontrer aux tribunaux que la traite de personnes a lieu. Il s’agit en fait d’un changement très attendu à la définition actuelle de la traite de personnes dans le Code criminel du Canada.

Des accusations de traite ont été rejetées pas plus tard qu’en 2022 parce que les tribunaux n’ont pas été en mesure de prouver que la victime craignait pour sa sécurité ou celle d’une personne qu’elle connaît, mais il s’agissait pourtant de cas où des formes évidentes et systématiques d’exploitation avaient lieu au profit direct du trafiquant. Le retrait de la nécessité de prouver l’élément de la peur de la définition de la traite de personnes dans le Code criminel est beaucoup plus conforme à la réalité de la façon dont la traite de personnes se déroule au Canada. Ce serait une mesure modeste, mais importante, pour améliorer l’accès à la justice pour les victimes de la traite de personnes à des fins sexuelles et de la traite des travailleurs au Canada. Je dis que c’est un petit pas parce que sans formation obligatoire et fondée sur des données probantes dans l’ensemble de la magistrature, il est peu probable que nous obtiendrons les résultats que nous aimerions tous voir.

Malheureusement, il y a encore des préjugés au sein de la magistrature. La stigmatisation qui touche les personnes qui travaillent dans l’industrie du sexe commerciale, par choix ou par coercition, continue de donner une vision biaisée, ce qui contribue à ce taux incroyablement bas de poursuites pour les trafiquants.

Comme beaucoup d’entre vous le savent, certains groupes sont intentionnellement ciblés par les trafiquants parce que leurs besoins sociaux, physiques, économiques et leurs besoins de base ne sont pas satisfaits. Par conséquent, ces groupes sont surreprésentés parmi les victimes de la traite de personnes. Ces groupes comprennent les communautés autochtones, noires, racialisées et LGTBQI+, ainsi que les personnes vivant dans la pauvreté et celles qui sont mal logées ou logées de façon précaire.

Depuis toujours, ces groupes sont victimes de discrimination et de mauvais traitements de la part des institutions mêmes qui sont censées les protéger. Nous savons que nous avons du travail à faire pour veiller à ce que le racisme, le colonialisme et l’oppression systémiques soient exclus de nos institutions policières et judiciaires.

Si l’on ne tient pas compte de la façon dont l’iniquité se reproduit dans nos institutions publiques, le changement proposé à la loi ne fera qu’effleurer la surface sans s’attaquer aux causes profondes de cette forme grossière et extrême d’exploitation au Canada.

Le Canadian Centre to End Human Trafficking lance actuellement une série de projets de recherche et de défense des droits afin de mieux comprendre les causes profondes de la traite de personnes. J’aimerais pouvoir dire qu’il y a une solution simple, mais si nous voulons vraiment mettre fin à la traite de personnes au Canada, nous devons adopter une approche à plusieurs volets. Nous devons examiner les lacunes dans l’accès aux perspectives d’avenir qui rendent possible ce type de manipulation sociale et psychologique ciblée. Nous devons examiner de nouvelles façons audacieuses d’uniformiser les règles du jeu et d’offrir une justice sociale, économique et juridique à tous les Canadiens, ce qui pourrait comprendre un revenu de base et une refonte complète de nos systèmes de protection de l’enfance. Et nous devons commencer à agir avec détermination pour une véritable réconciliation et nous attaquer aux systèmes coloniaux qui continuent d’opprimer les collectivités autochtones partout au Canada.

Je sais que cela peut sembler accablant, mais je crois fermement que des changements sociaux audacieux sont nécessaires pour réaliser des progrès significatifs afin de s’attaquer aux causes profondes de la traite de personnes au Canada. Nous espérons qu’il y aura un véritable leadership pour favoriser les systèmes à long terme et le changement social, de sorte que la prochaine génération, espérons-le, n’aura pas à se renseigner sur les signes d’exploitation sexuelle et d’exploitation au travail ou à chercher des ressources alors qu’il est déjà trop tard.

En conclusion, je tiens à souligner que les survivants de la traite de personnes à des fins sexuelles sont souvent pris dans un continuum d’exploitation sexuelle et fondée sur le genre. J’exhorte également le comité à examiner les répercussions possibles pour les personnes qui sont victimes de la traite de personnes à des fins sexuelles et de la traite de personnes à des fins de travail. Il y a aussi les aspects sexospécifiques de la traite de personnes, surtout dans les secteurs des soins à domicile, des vêtements et de la fabrication, qui nécessitent des recherches supplémentaires.

Je tiens à dire que nous travaillons actuellement à mieux mobiliser ces communautés, car elles peuvent être difficiles à atteindre, mais les données empiriques que nous constatons sur le terrain laissent entendre que nous n’avons qu’une compréhension superficielle de l’ampleur et de la profondeur du trafic de main-d’œuvre au Canada.

Je vous remercie encore une fois de m’avoir invitée à comparaître. Je serai heureuse de répondre aux questions des membres du comité.

La présidente suppléante : Merci beaucoup. Nous allons maintenant entendre Me Benedet.

Me Janine Benedet, professeure de droit, Université de la Colombie-Britannique, à titre personnel : Merci beaucoup de m’avoir invitée à comparaître pour participer à l’étude du projet de loi S-224. Vous n’ignorez pas que je suis professeure de droit à l’Université de la Colombie-Britannique, où mes recherches portent sur les réponses législatives à la violence sexuelle faite aux femmes, y compris les agressions sexuelles, la prostitution, la pornographie et le harcèlement sexuel. Je travaille dans ce domaine depuis plus de 25 ans, et j’offre aussi, bénévolement, des services de représentation juridique à des organismes sans but lucratif dans des affaires qui portent sur les mêmes questions. Pendant bien des années, j’ai entretenu une très étroite collaboration avec des groupes de femmes et d’autres groupes qui luttent contre l’exploitation sexuelle dans le commerce du sexe.

Au cours de mon exposé, j’attirerai votre attention sur deux points. Premièrement, ce serait un progrès important pour la lutte contre la traite des personnes au Canada si la définition du Code criminel était modifiée de façon à se conformer aux engagements que le Canada a contractés en adhérant au Protocole de Palerme. Les infractions liées à la traite de personnes font l’objet de peu de poursuites au Canada, car il semble extrêmement difficile d’établir la preuve, étant donné la vulnérabilité des victimes, leur dépendance à l’égard des trafiquants et la peur qu’ils leur inspirent, et, lorsqu’il s’agit d’infractions pénales, la barre est nécessairement très haute.

Par conséquent, il serait utile de supprimer l’obligation de prouver une appréhension raisonnable de crainte, comme le fait le projet de loi, à la fois parce que cela réglerait des problèmes liés à la difficulté de faire témoigner les victimes et que le recours à la norme du caractère raisonnable tend à ramener les stéréotypes et les mythes sur la traite des personnes. Cette même formulation, « appréhension raisonnable de crainte », est employée au sujet du harcèlement criminel, et elle pose le même problème là aussi, ce que les recherches empiriques ont largement confirmé.

Je dirais cependant qu’un changement encore plus important serait l’ajout de l’expression « abus d’une situation de vulnérabilité » à la liste des facteurs qui figurent dans la définition de l’exploitation. Cette expression se trouve dans le Protocole de Palerme. C’est en quelque sorte le seul élément de la définition qui ne figure pas dans la définition du code pénal du Canada. Elle traduit le fait que les trafiquants sexuels ciblent les personnes vulnérables et que, dans bien des cas, la vulnérabilité préexistante suffit. Il n’est pas nécessaire de recourir à la menace, à la contrainte, à la tromperie, étant donné l’ampleur des inégalités ou peut-être les abus passés aux mains d’autres personnes.

Pour présenter le deuxième point que je veux faire valoir, je dirai qu’on ne doit ni ne peut, dans l’examen des dispositions pénales qui visent la traite des personnes, séparer ces dispositions de celles qui portent sur la prostitution. Le Comité de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes vient d’achever un examen des dispositions pénales adoptées en 2014 selon le modèle égalitaire pour cibler la demande de prostitution et ceux qui tirent profit de la prostitution d’autrui. Au cours de ces audiences, il y a eu une très nette tendance à appuyer la légalisation de l’achat par les hommes de services sexuels et du proxénétisme, sous le prétexte trompeur de décriminaliser le travail du sexe auquel peuvent se livrer des adultes.

Évidemment, il est vrai que la traite des personnes n’est pas toujours liée à la prostitution. Il y a la traite pour travail forcé, comme vous l’avez déjà entendu, et ce ne sont pas toutes les activités de prostitution qui sont liées à la traite de personnes. La traite nécessite la participation d’un tiers. On ne peut pas se livrer à la traite de soi-même. Il y a néanmoins un chevauchement, et la normalisation et la légalisation de la demande de prostitution fait augmenter la traite. Cela a été documenté de façon empirique, et il est important de reconnaître ce lien.

Si les infractions actuelles de proxénétisme, d’obtention d’un avantage matériel provenant de la prostitution d’autrui et d’obtention de services sexuels moyennant rétribution sont abrogées, il deviendra légal d’acheter une femme victime de la traite pour obtenir des services sexuels au Canada et il sera beaucoup plus difficile de poursuivre en justice les trafiquants qui manipulent des femmes et des filles pour les entraîner dans le commerce du sexe et les y garder, une pratique qui touche de façon disproportionnée les femmes et les filles autochtones et asiatiques au Canada, en particulier.

Ce qui me préoccupe, c’est que, trop souvent, des initiatives qui sont censées s’attaquer sérieusement au problème de la traite de personnes ont pour effet, que ce soit intentionnel ou non, de justifier la légalisation de la prostitution en s’appuyant sur la fausse idée que les deux types d’activité sont complètement séparés et sans lien aucun.

Je terminerai en disant que si vous voulez lutter contre la traite des personnes, les modifications proposées dans le projet de loi sont un bon point de départ, mais il est encore plus important de s’opposer à l’abrogation des infractions du modèle égalitaire relatives à la prostitution qui figurent actuellement dans le Code criminel, car nous risquons vraiment de les perdre. Merci.

La présidente suppléante : Merci beaucoup à vous deux.

La sénatrice Omidvar : Merci aux deux témoins de leur contribution à l’étude du projet de loi.

Ma première question s’adresse à Mme Drydyk. J’ai remarqué que vous avez une ligne téléphonique contre la traite des personnes. Pourriez-vous nous faire part des données que vous possédez peut-être sur l’ampleur du phénomène, puisque des cas vous sont signalés directement? Ces données concordent-elles avec celles du gouvernement?

Mme Drydyk : Merci beaucoup de la question. Je vous communique ces données avec plaisir. L’an dernier, nous avons publié un rapport sur les tendances observées dans la traite des personnes au Canada. On y trouve les données de la première année complète d’exploitation de la Ligne d’urgence canadienne contre la traite des personnes. Au cours de cette première année complète — et, encore une fois, il s’agissait de notre toute première année d’activité —, nous avons recensé 415 cas de traite de personnes touchant 593 victimes et survivants.

Si ces correspondants ont communiqué avec nous, c’est surtout parce qu’ils étaient à la recherche de services. Seulement 7 % de ceux qui ont eu recours à cette ligne d’urgence voulaient entrer en contact avec les forces de l’ordre. Bien que nous puissions les aider à contacter les forces policières, les obstacles restent importants. Je le répète, ces obstacles sont liés à des expériences antérieures de violence et de mauvais traitements. Je ne saurais surestimer l’ampleur de la stigmatisation des survivants de la traite des personnes à des fins sexuelles et aussi des personnes qui sont ou ont été volontairement dans l’industrie du sexe. Ceux qui font appel à notre soutien le font parce que c’est l’un de leurs derniers recours.

La sénatrice Omidvar : Il est donc juste de conclure, d’après ce que vous nous dites, que les chiffres que vous avez sont probablement un minimum plutôt qu’un maximum, n’est-ce pas? Pour bien des raisons, le nombre de signalements est bien inférieur à celui des cas réels.

Mme Drydyk : Oui. Notre organisation a pris de la maturité, et je peux affirmer sans craindre d’exagérer que nous avons observé une augmentation d’au moins 25 % du nombre d’appels depuis que nous avons publié les données citées à l’instant. Nous cherchons toujours à mettre à jour nos données et à les communiquer aux décideurs publics.

La sénatrice Omidvar : Merci, madame Drydyk.

Maître Benedet, j’ai noté avec intérêt ce que vous avez dit au sujet du Protocole de Palerme : nous ne sommes pas à la hauteur de ce qu’il prévoit et nous ne sommes pas aussi avancés que nous ne devrions l’être. D’autres signataires de ce protocole, d’autres pays appliquent-ils mieux la définition? Sommes-nous les chefs de file ou les retardataires?

Me Benedet : C’est une bonne question. J’ai l’impression, en un sens, qu’il me faudrait mettre à jour mes recherches pour être certaine de mon fait. Nous nous situons probablement dans la moitié inférieure, mais nous ne sommes pas complètement à la traîne.

Cela tient en partie à la fois à la suppression de la mention de situation de vulnérabilité et au fait que la barre est élevée quand il s’agit de prouver qu’il y a appréhension raisonnable de crainte. De plus, nous ne ciblons pas directement les acheteurs de services. Nous ne ciblons que les trafiquants.

Ces trois éléments mis ensemble, ces trois faiblesses, ne sont pas compatibles, à mon avis, avec les objectifs qui devraient être les nôtres aux termes du Protocole de Palerme.

La sénatrice Omidvar : Quel pays tient la tête? Si nous sommes dans le dernier tiers — ce qui a de quoi choquer, étant donné nos politiques féministes et tout le reste —, qui est à la tête du peloton? Quel pays devrait nous servir de modèle?

Me Benedet : Je dirais que les pays scandinaves — la Suède, la Norvège, l’Islande — ont tous reconnu le lien entre la demande de prostitution et la croissance de cette industrie, du moins en ce qui concerne le trafic sexuel en particulier. Ils se sont faits très inhospitaliers pour les trafiquants en essayant d’établir un lien entre ces réalités, de tenir de bonnes données et d’appliquer la loi. Il est certainement vrai que le premier réflexe des victimes elles-mêmes n’est peut-être pas de faire appel aux forces de l’ordre. Cela ne veut pas dire que nous n’avons pas l’obligation — c’est une obligation de l’État — de punir les trafiquants. Si nous ne le faisons pas, ils vont simplement continuer à faire la traite des personnes.

Il faut que les forces de l’ordre interviennent. Les services sont excellents, mais, au bout du compte, ils ne perturbent pas les trafiquants autant qu’il le faudrait. Voilà ce que je dirais à ce propos-là.

De toute évidence, des pays comme les Pays-Bas, l’Allemagne et la Nouvelle-Zélande sont tout au bas de l’échelle en ce sens qu’ils sont très réfractaires à l’idée que la traite de personnes est pratiquée chez eux et qu’ils pensent que tout cela n’est qu’une migration motivée par le travail du sexe, ce qui ne tient pas debout, à mon avis.

La sénatrice Omidvar : Merci.

La présidente suppléante : Merci beaucoup.

La sénatrice Ataullahjan : Je tiens à vous remercier toutes les deux de vos exposés. Ma première question s’adresse à vous, maître Benedet. Dans un mémoire présenté en 2018 au Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes, vous avez proposé de modifier l’article 279.04 du Code criminel afin de définir l’exploitation comme incluant les cas d’abus de la situation de vulnérabilité d’une autre personne.

Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur les avantages et les inconvénients de cet élargissement de la définition de l’exploitation? Dans quelle mesure le projet de loi S-224 répond-il à vos préoccupations au sujet de l’article 279.04?

Me Benedet : Comme nous l’avons dit, le projet de loi y répond en ce qui concerne l’appréhension raisonnable de crainte.

Quant à l’ajout de la notion de situation de vulnérabilité, le libellé actuel du projet de loi dit : « elle abuse de son pouvoir ou de la confiance de la personne ou elle commet tout autre acte semblable ». Comme on l’a demandé à d’autres témoins, que signifie l’expression « tout autre acte semblable »? À mon avis, ce serait une amélioration si on disait : « elle abuse de son pouvoir ou de la confiance de la personne ou d’une situation de vulnérabilité ». Essentiellement, on se trouve ainsi à s’intéresser moins aux actes du trafiquant, au degré de contrainte, au fait qu’il a orchestré la traite de personnes, pour se préoccuper davantage de la situation concrète des victimes et des raisons pour lesquelles on s’est intéressé à elles. Le trafiquant a profité du fait que telle personne est issue du système de protection de l’enfance ou a été encadrée par lui. Il a profité du fait que telle personne souffre de troubles causés par l’alcoolisation fœtale et qu’elle est en situation de vulnérabilité.

Il ne s’agit pas tant de savoir si le trafiquant avait un pouvoir sur la personne ou entretenait une relation de confiance avec elle. Ce n’est pas toujours facile à prouver. Nous utilisons cette formulation pour d’autres infractions sexuelles. La notion de situation de vulnérabilité nous permettrait de tenir compte des inégalités que vivent les victimes et de la façon dont cela en fait une cible pour les trafiquants.

La sénatrice Ataullahjan : Ma prochaine question s’adresse à vous, Julia Drydyk. Croyez-vous que le projet de loi soit un bon début? De notre côté, il nous faut beaucoup de temps pour faire bouger les choses. Nous amorçons le processus, puis il faut continuer d’aller un peu plus loin. Pensez-vous que ce soit un bon début?

Vous avez aussi dit que le nombre d’appels reçus par la Ligne d’urgence canadienne contre la traite des personnes avait augmenté de 25 %. Quelle est la composition de ces appels? À quoi attribuez-vous cette augmentation?

Mme Drydyk : Je suis certainement convaincue que le projet de loi est un bon début. Il n’a que trop tardé. Ce n’est pas la première fois qu’un projet de loi comme celui-là est présenté, mais les textes précédents sont restés en plan au Feuilleton. Ne laissons pas le mieux être l’ennemi du bien.

Malgré tout, j’exhorte tous les membres du comité et tous les Canadiens à faire preuve d’une plus grande audace. Ce serait se mentir que d’affirmer que nous tenons là la solution au problème de la traite des personnes, mais c’est un progrès.

Quant à l’augmentation du nombre d’appels à la Ligne d’urgence canadienne contre la traite des personnes, elle s’explique en partie par le fait que notre organisation, qui n’existait pas du tout, est maintenant connue du grand public et fait connaître ses services. Il y a là une progression naturelle comme il s’en produit quand un programme se développe sur quelques années.

Comme il y a eu beaucoup de questions sur l’impact de la COVID-19 et de la croissance des taux de traite de personnes, je tiens à dire clairement que nous ne pouvons pas attribuer la hausse du nombre d’appels à une augmentation du phénomène de la traite de personnes. Je peux affirmer avec certitude que le phénomène n’a pas reculé au Canada au cours des dernières années. Il reste constant.

Dans la grande majorité des cas de traite de personnes et des autres cas où on communique avec nous, il s’agit de victimes et de survivants. Parmi ces cas de traite de personnes, environ le tiers sont des victimes et des survivants. C’est le plus grand groupe, suivi des amis et des membres de la famille, puis des fournisseurs de services sociaux.

Donc, bien que nous recevions des appels du grand public pour obtenir plus d’information, une grande partie de ces appels concernent des gens qui en sont aux premières étapes de la prise de conscience que quelque chose ne va pas et qui cherchent un espace de sécurité où ils ne seront pas jugés afin de comprendre les options offertes dans leur milieu et d’accéder à des soutiens locaux.

La sénatrice Ataullahjan : Merci.

[Français]

La sénatrice Gerba : Ma question s’adresse à Mme Janine Benedet. Dans vos recherches, avez-vous obtenu des données sur le nombre de personnes qui sont consentantes à ce phénomène? On parle de consentement et de gens qui ont choisi cette vie facile. Y a-t-il des données qui démontrent que dans le secteur de la prostitution, notamment, il y a des personnes qui ont fait ce choix de vie facile, de gagner de l’argent facilement?

Existe-t-il des données qui indiquent cette tendance chez les jeunes filles et les jeunes femmes, aujourd’hui? C’est une question embarrassante, mais cela existe, aujourd’hui, des jeunes filles qui choisissent la vie facile.

[Traduction]

Me Benedet : Je dirais que les données sont très contestées, en partie parce qu’on est loin de s’entendre sur la définition du « choix ». À l’heure actuelle, au Canada, évidemment, nous ne reconnaissons pas que les personnes de moins de 18 ans peuvent donner leur consentement ou exercer un choix, mais les inégalités qui existent pour ces personnes ne disparaissent pas le jour de leur anniversaire. Une personne qui a connu l’itinérance, la pauvreté, le racisme et le colonialisme dans sa jeunesse ne voit pas soudainement tous ces problèmes à son 18e anniversaire.

Il est important de reconnaître que, aux termes de la définition de traite de personnes qui figure dans le Code criminel — et ce n’est guère différent dans le Protocole de Palerme —, le consentement n’est pas un moyen de défense contre les accusations de traite de personnes. Nous mettons l’accent sur la situation dans laquelle la personne a été contrainte et sur le comportement coercitif du trafiquant — l’exploitation par le trafiquant. Le fait que la personne ait pu accepter de participer ou comprendre qu’elle faisait de la prostitution — même si, franchement, elle ne comprend pas toujours exactement ce que cela implique — n’est pas une défense. Nous mettons l’accent sur ces mesures coercitives.

Alors oui, il y a beaucoup de données et beaucoup de débats virulents sur le nombre de personnes qui choisissent vraiment la prostitution.

Je vous encourage à examiner les données démographiques sur la prostitution au Canada. Pensons-nous vraiment que les femmes asiatiques et autochtones la choisissent davantage, qu’elle leur plaît davantage? Ce n’est pas une coïncidence. C’est la résultante d’inégalités qui se conjuguent.

[Français]

La sénatrice Gerba : Y a-t-il une raison pour laquelle ces cas sont concentrés surtout en Ontario, parce que les deux tiers des cas sont en Ontario?

[Traduction]

Me Benedet : Excusez-moi, cette question s’adresse-t-elle à moi ou voulez-vous entendre Mme Drydyk?

La sénatrice Gerba : Peut-être plutôt Mme Drydyk.

Mme Drydyk : Merci beaucoup. S’il y a davantage d’incidents signalés à la police en Ontario, c’est notamment parce que la densité démographique est plus élevée. Il reste que, même compte tenu de la proportionnalité, l’Ontario revendique 30 % de la population canadienne, alors qu’on y dénombre 60 % des inculpations pour traite de personnes.

J’ai justement assisté aujourd’hui à la conférence de l’Association canadienne des chefs de police, et nous y en avons discuté. Il y a aussi un autre facteur. L’Ontario injecte, par habitant, plus d’argent dans les services policiers qui permettent de déceler ces crimes. Les taux sont plus élevés parce qu’elle consacre plus d’argent à la détection de la traite de personnes.

Je dois ajouter que ce choix est aussi très controversé. Tous ne sont pas convaincus qu’il soit bénéfique à long terme de miser toutes les ressources sur l’application de la loi. De la même façon, on observe en Nouvelle-Écosse des taux incroyablement élevés par habitant d’inculpations pour traite de personnes. Cela a semblé coïncider avec la création d’un groupe de travail provincial sur la traite de personnes. Au fond, la densité démographique et des investissements réels convergent pour donner ces résultats.

À propos de l’application de la loi, je dirais également qu’en Ontario, le gouvernement provincial a fait des investissements historiques dans l’éducation, la sensibilisation, mais aussi dans les services. Donc, tous ces facteurs combinés peuvent pousser les taux à la hausse. Cela ne veut pas nécessairement dire que l’Ontario soit en tête. C’est simplement que des investissements plus lourds font ressortir certaines réalités dans la province.

[Français]

La sénatrice Gerba : Croyez-vous que ce projet de loi aura des répercussions importantes?

[Traduction]

Mme Drydyk : Oui, il y aura selon moi une différence marquée pour les personnes qui s’adressent aux forces de l’ordre et portent des accusations. Mais, en réalité, c’est une infime proportion des personnes qui sont victimes de cette forme d’exploitation sexuelle ou pour travail forcé au Canada. C’est vraiment la pointe de l’iceberg.

La sénatrice Gerba : Merci.

[Français]

La sénatrice Audette : Je remercie les deux témoins de leur présentation. Merci aussi de nous éduquer et de nous rassurer quant au fait que de petites initiatives peuvent parfois sauver des vies. Je vous dis tshinashkumitin.

Je cherche dans les documents : est-ce que vous nous aviez remis des mémoires ou de la documentation relatifs à votre présentation? Sinon, est-il possible de nous faire part des recommandations que vous avez mentionnées dans vos témoignages? Si on peut améliorer le projet de loi ou lui donner un peu plus de mordant, je vous en serais reconnaissante. Je vous remercie.

[Traduction]

Mme Drydyk : Avec plaisir.

La présidente suppléante : Nous avons le temps de faire un deuxième tour s’il y a des questions.

La sénatrice Ataullahjan : Une simple précision. Le travail du sexe et la traite des personnes à des fins sexuelles sont deux choses différentes. Le travail du sexe et la traite des personnes ne sont pas la même réalité. Je me trompe? Maître Benedet, pouvez-vous m’éclairer?

Me Benedet : La position que je défendrais devant le comité, c’est qu’on s’évertue à essayer de tracer une ligne de démarcation nette entre ces deux réalités. On voudrait nous faire croire qu’il existe une certaine population formée de personnes autonomes, préservées de toute atteinte, absolument égales, sans distinction de genres, qui gagnent leur vie en vendant des services sexuels — et il faudrait absolument qu’elles puissent poursuivre cette activité —, et une population entièrement différente formée de victimes de la traite et de personnes contraintes à se prostituer. Or, cela ne tient compte ni de la définition ni de la réalité.

Il est vrai que toute prostitution n’est pas forcément liée à la traite de personnes. Comme l’expression « travail du sexe » ne figure nulle part dans le Code criminel ni dans aucune loi que je connaisse, je vais utiliser le terme qui a une réalité légale au Canada, « prostitution ». La réalité, c’est que beaucoup de gens qui se retrouvent dans le commerce du sexe sont là parce qu’ils sont dans une situation de vulnérabilité.

Il est donc vrai que tout cela ne correspond pas à la définition de traite de personnes. Comme je l’ai dit, la traite nécessite la présence d’un tiers. Certaines personnes qui se livrent à la prostitution ne sont pas des victimes de la traite, mais on ne pourrait pas dire d’elles, dans quelque définition que ce soit, qu’elles sont des travailleurs du sexe consentants. Ce sont des gens qui ont réagi à une situation de pauvreté extrême et de privation dans leur propre vie et qui essaient de joindre les deux bouts. À mon avis, prétendre qu’il s’agit d’une industrie tout à fait distincte relève du mythe.

Donc, la prostitution n’est pas toujours de la traite de personnes. Il faut la participation d’un tiers. Et je dirais qu’il faut cet élément de coercition ou d’exploitation, y compris l’exploitation de la situation de vulnérabilité. Mais une grande partie du commerce du sexe correspond à cette définition une fois que des tiers sont impliqués.

La sénatrice Ataullahjan : Merci, madame. Aidez-moi à comprendre. Tous les cas de traite de personnes ne sont pas signalés aux forces de l’ordre. Quel est l’écart entre la réalité et le nombre de cas signalés? On a avancé certaines raisons pour l’expliquer, comme la crainte que les forces de l’ordre inspirent ou certaines attitudes qui ont eu cours par le passé. Y a-t-il d’autres raisons?

Me Benedet : Il est facile d’imaginer que des personnes qui sont sous l’emprise de leur trafiquant peuvent avoir toutes sortes de raisons de ne pas vouloir dénoncer la situation. Parfois, il y a de la manipulation psychologique ou la personne peut avoir l’impression d’avoir un lien avec le trafiquant. Certaines personnes peuvent se laisser manipuler à fond dans ces circonstances. Cela se produit dans certains cas que nous avons vus.

Il y a aussi des gens qui — à tort ou à raison — craignent l’expulsion ou d’autres types de conséquences en matière d’immigration s’ils vont à la police sans avoir de statut légal au Canada. C’est peut-être une des raisons du refus de signaler des cas.

Ensuite, bien sûr, il n’est pas facile de passer par le système de justice pénale. La modification proposée va faciliter les choses. Il peut y avoir des cas où il sera possible de poursuivre les trafiquants sans appeler les victimes à témoigner si la preuve est solide. Mais cela ne veut pas dire qu’il ne faut aucunement tenir compte des difficultés inhérentes aux contacts avec le système de justice pénale et qu’il n’est pas facile de raconter tout cela en audience publique devant un jury formé de parfaits inconnus. Certains de ces obstacles sont donc indissociables de notre système de justice pénale. Mais certains d’entre eux peuvent tout à fait être levés pour peu qu’on y mette l’effort.

La sénatrice Ataullahjan : Voici ma dernière question, madame. Voyez-vous des conséquences imprévues à ce projet de loi? Si oui, quelles sont-elles?

Me Benedet : La conséquence non voulue est vraiment ce à quoi je faisais allusion lorsque j’ai dit que la mesure proposée est en fait intimement liée à la volonté d’éliminer les modifications de 2014 qui criminalisent la demande. Chaque fois que je comparais au sujet d’un projet de loi, que ce soit à la Chambre ou au Sénat, qui vise à alourdir les peines pour la traite des personnes, à faciliter les poursuites, à élargir la définition, je crains toujours que cela ne serve de prétexte, étant donné cette ligne de démarcation, fausse à mon avis, entre la prostitution et la traite des personnes. La demande de prostitution aggrave le problème de la traite des personnes. Plus la demande sera forte, plus la traite de personnes va prospérer.

La conséquence non voulue est donc celle-là. La mesure peut servir de prétexte à ceux qui veulent légaliser la prostitution : « Comme nous réprimons vigoureusement la traite des personnes, nous pouvons maintenant légaliser le travail du sexe. » Mais ces deux éléments sont inextricablement liés. À mon avis, l’industrie de la prostitution et la demande de prostitution sont étroitement liées à la traite des personnes.

La sénatrice Ataullahjan : Merci.

La présidente suppléante : Voilà qui met fin aux questions pour ce soir. Merci à vous deux d’avoir comparu. Nous vous sommes très reconnaissants de votre contribution à notre étude. Comme la séance se termine, je tiens à remercier tout le monde.

Honorables sénateurs, notre prochaine séance aura lieu le lundi 13 juin 2022. Nous entamerons alors notre étude de l’islamophobie. Nous procéderons probablement à l’étude article par article du projet de loi S-224 et nous examinerons une ébauche de rapport sur la stérilisation forcée. Comme il n’y a pas d’autres travaux à l’ordre du jour, la séance est levée.

(La séance est levée.)

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