LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE LA SÉCURITÉ NATIONALE ET DE LA DÉFENSE
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 1er juin 2022
Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd’hui, à 12 heures (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi S-7, Loi modifiant la Loi sur les douanes et la Loi sur le précontrôle (2016); et la teneur des éléments des sections 19 et 20 de la partie 5 du projet de loi C-19, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget, déposé au Parlement le 7 avril 2022 et mettant en œuvre d’autres mesures.
Le sénateur Tony Dean (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs et sénatrices, bienvenue à la réunion d’aujourd’hui du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense. Je suis le sénateur Tony Dean, représentant l’Ontario, et je suis le président du comité. Les autres membres du comité présents avec moi aujourd’hui sont le sénateur Jean-Guy Dagenais, du Québec; la sénatrice Dawn Anderson, des Territoires du Nord-Ouest; le sénateur Peter Boehm, de l’Ontario; le sénateur Pierre-Hughes Boisvenu, du Québec; la sénatrice Gwen Boniface, de l’Ontario; le sénateur Pierre Dalphond, du Québec; la sénatrice Mobina Jaffer, de la Colombie-Britannique, le sénateur David Richards, du Nouveau-Brunswick; la sénatrice Paula Simons, de l’Alberta; le sénateur David Wells, de Terre-Neuve-et-Labrador et le sénateur Hassan Yussuff, de l’Ontario.
Nous poursuivons aujourd’hui notre étude du projet de loi S-7, Loi modifiant la Loi sur les douanes et la Loi sur le précontrôle (2016). Nous accueillons aujourd’hui M. Tim McSorley, coordonnateur national de la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles; Me Meghan McDermott, directrice des politiques de l’Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique; et Mme Brenda McPhail, directrice, Programme sur la protection de la vie privée, la technologie et la surveillance de l’Association canadienne des libertés civiles. Merci à vous trois d’être avec nous aujourd’hui par vidéoconférence. Nous vous invitons à présenter vos déclarations préliminaires, puis les membres du comité auront des questions pour vous. Nous allons commencer par la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles. Merci.
Tim McSorley, coordonnateur national, Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles : Merci beaucoup, honorables sénateurs et sénatrices, de m’avoir invité à témoigner devant vous aujourd’hui au nom de la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles au sujet du projet de loi S-7. Tout d’abord, j’aimerais dire clairement que nous sommes profondément préoccupés par les dispositions centrales de ce projet de loi, qui prévoient la création d’un nouveau seuil, celui des préoccupations générales raisonnables, relatif à l’examen des appareils numériques personnels à la frontière, et que nous nous opposons fortement à l’adoption de ce projet de loi. Dans les prochaines minutes, je vais expliquer clairement pourquoi nous nous y opposons et ce que nous proposons à titre subsidiaire. J’aimerais aussi mentionner immédiatement que, à l’instar de mes autres collègues qui prendront la parole aujourd’hui, d’autres parties de ce projet de loi doivent être examinées, et j’espère que nous pourrons aborder le sujet plus tard pendant la discussion d’aujourd’hui.
Chaque jour, des dizaines de milliers — et avant la COVID, c’était des centaines de milliers — de Canadiens et de voyageurs étrangers entrent au pays. La plupart auront avec eux un téléphone cellulaire, un ordinateur portable, une tablette, une montre intelligente ou un autre appareil numérique personnel. Beaucoup vont transporter plus d’un appareil, et tous ces appareils contiennent des tonnes de renseignements personnels sur cette personne, concernant sa santé, ses finances et ses dossiers personnels. Ces appareils contiennent aussi des renseignements personnels sur les gens qui font partie de nos vies : notre famille, nos amis, nos collègues et ainsi de suite. S’il y a bien un type d’appareil pour lequel il existe une attente raisonnable en matière de vie privée, c’est bien celui-là. C’est beaucoup plus que pour une valise, un sac à main ou n’importe quel autre bagage.
C’est un fait reconnu par les tribunaux : dans l’arrêt R v. Canfield de la Cour d’appel de l’Alberta, dans une décision récente de la Cour supérieure de l’Ontario et même dans une décision d’immigration de 2021. Les cours nous disent clairement que ces appareils ne peuvent pas être fouillés sans motif.
La solution du gouvernement est de créer ce nouveau seuil des préoccupations générales raisonnables. Je suis certain que mes collègues vous le diront aussi, mais le seuil proposé est inacceptable pour plusieurs raisons, et nous partageons dans une grande mesure les préoccupations que d’autres ont exposées jusqu’ici dans leurs déclarations publiques et leurs documents écrits, ainsi que dans les mémoires qui seront sans nul doute envoyés au comité. Nous sommes censés croire que la norme des préoccupations générales raisonnables sera fondée sur des critères précis et objectifs, mais le libellé de ce seuil reflète exactement le contraire. En même temps, on nous dit que ce nouveau seuil aidera à codifier les politiques que les agents de l’ASFC suivaient déjà et tout ce que les tribunaux ont rejeté, parce que cela ne correspondait pas à un seuil raisonnable.
Pourquoi devrions-nous nous inquiéter? Lundi, plusieurs sénateurs ont fait état de leurs préoccupations à propos du profilage racial et religieux et ont même parlé avec éloquence de leurs propres expériences à la frontière. Le mandat de notre coalition concerne précisément les répercussions de la lutte au terrorisme et de la sécurité nationale sur les libertés civiles au Canada. Nous retrouvons les mêmes problèmes dans ce que nous documentons depuis 20 ans. Les gens de religion, d’origine, de race ou de pays différents font plus souvent l’objet de profilage à la frontière. Cela est particulièrement vrai pour les musulmans ou les gens qui sont présumés l’être. Nous voyons les efforts qui sont faits pour tenter de justifier ces préjugés. Les personnes qui militent pour la démocratie en Égypte sont déclarées constituer un danger pour la sécurité par les agents des services frontaliers du Canada, parce qu’elles ont des liens avec un parti politique musulman. Un étudiant au doctorat est renvoyé à l’examen secondaire parce qu’il vient de Somalie, un pays majoritairement musulman. Des Canadiens musulmans rapportent qu’ils font continuellement l’objet de fouilles « aléatoires », alors que les autres voyageurs blancs poursuivent leur chemin sans problème, ou qu’on leur pose une foule de questions sur leurs opinions religieuses et politiques. Cela montre qu’il y a clairement un problème. Le seuil des préoccupations générales raisonnables ne protégera pas le droit à la vie privée, pendant la fouille des appareils numériques, des gens qui subissent déjà l’odieux du profilage à la frontière. Ce seuil ne fera que rendre cela plus acceptable.
Quelle est la solution? Elle existe déjà en droit. Même s’il n’est pas parfait, le seuil des soupçons raisonnables est une norme connue, et les exigences nécessaires pour justifier une fouille sont connues. Lundi, vous avez entendu dire que l’examen d’un téléphone cellulaire ne répond pas au même seuil qu’une fouille à nu. Cependant, le seuil des soupçons raisonnables ne se limite pas aux fouilles à nu : c’est aussi le seuil pour la fouille du courrier. Comme beaucoup d’autres personnes, j’imagine, je reçois très peu de lettres par la poste de nos jours. Pratiquement tout ce qui aurait été envoyé par la poste, y compris de l’autre côté de la frontière, est maintenant conservé localement sur mon téléphone et sur mon ordinateur portable. Pourquoi ne pourrait-on pas appliquer la norme que nous connaissons déjà? C’est ce qu’a recommandé le Comité permanent de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique de la Chambre des communes dans l’un de ses rapports, et le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada a aussi fait une déclaration en ce sens.
Pour conclure, on nous a demandé de croire que la réglementation, les examens et les plaintes après le fait contribueront à faire en sorte que ce nouveau seuil ne brime pas nos droits, mais nous ne sommes pas d’accord. Les règlements adoptés sont soumis à un examen moins minutieux que les lois, et ils peuvent être modifiés plus facilement. Quant aux examens et aux plaintes, ils imposent aux personnes touchées le fardeau d’essayer de corriger le système après avoir déjà dû traverser une épreuve stressante, inacceptable et souvent humiliante à la frontière. À la place, il est important que la loi satisfasse à une norme qui protégera les droits des Canadiens et des autres voyageurs et que les examens après le fait soient utilisés pour s’assurer que la loi fonctionne bien.
Merci beaucoup. Je suis prêt à répondre à vos questions.
Le président : Merci beaucoup, monsieur McSorley.
Me Meghan McDermott, directrice des politiques, Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique : Bonjour, honorables sénateurs et sénatrices. Je remercie chaleureusement votre comité de m’avoir invitée à participer à cet examen très important du projet de loi S-7. Les gens au Canada sont de plus en plus préoccupés par la protection de leurs renseignements personnels à la frontière et par la circulation transfrontalière des données. Notre association aide les gens à comprendre leurs droits en matière de protection de la vie privée. À cette fin, nous avons publié entre autres un guide sur la protection des renseignements personnels et la sécurité des appareils électroniques à la frontière, que nous avons corédigé avec la clinique d’intérêt public et de politique d’Internet du Canada. D’ailleurs, ce guide est toujours extrêmement populaire.
Les gens ont besoin d’information fiable et de conseils pratiques dans ce domaine. Ils ont aussi besoin de lois et de politiques qui les protègent adéquatement. Notre association est convaincue que le projet de loi S-7 ne protège pas comme il se doit les renseignements personnels des gens et qu’il expose les personnes et leurs familles, leurs amis, leurs associés et même leurs clients, le cas échéant, à un risque. Il y a une foule de sujets que je pourrais approfondir, mais, puisqu’il s’agit d’un court exposé, je n’en aborderai que quelques-uns, en commençant par le plus évident : pourquoi nous rejetons la nouvelle norme juridique proposée pour la fouille des appareils numériques personnels. Ensuite, je vais vous expliquer pourquoi vous ne devriez pas vous sentir rassurés par ce que dit le ministre sur le modèle de surveillance proposé actuellement pour l’Agence des services frontaliers du Canada, l’ASFC.
Je vais conclure sur une recommandation touchant la destruction des renseignements recueillis qui serait extrêmement utile pour protéger le droit à la vie privée de tous les voyageurs concernés.
Vous ne devriez pas être surpris que nous n’appuyions pas le nouveau seuil des préoccupations générales raisonnables proposé dans le projet de loi S-7. Nous nous rangeons du côté des témoins ici présents aujourd’hui ainsi que de nombreux autres, y compris le commissaire à la protection de la vie privée du Canada, pour recommander que la loi reflète le seuil plus élevé et mieux connu des motifs raisonnables de soupçonner.
Vos collègues de la Chambre des communes ont aussi convenu que c’était la norme appropriée que les agents des douanes devraient utiliser quand le Comité permanent de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique a justement étudié cette question en 2017.
Comme il en a été question lundi à votre comité, la norme des motifs raisonnables est celle qui s’applique à l’utilisation des chiens détecteurs de drogue au Canada. C’est aussi la norme qui s’applique présentement à l’ASFC dans le cadre des examens du courrier, sous le régime de la Loi sur les douanes. Comme cela a été souligné de nombreuses fois, lorsqu’on traverse la frontière avec un appareil numérique personnel, c’est comme si on traversait la frontière avec tout le courrier qu’on ait jamais reçu ou envoyé. Il est tout à fait déraisonnable qu’une lettre à elle seule soit mieux protégée par la loi que toute l’information conservée sur un appareil numérique personnel.
Maintenant, j’aimerais parler du fait que les gens n’auront aucun recours s’ils ont l’impression que l’ASFC ou le contrôleur a illégalement fouillé leur appareil numérique, copié les dossiers à partir de cet appareil ou détenu l’appareil à la frontière.
Tout d’abord, parlons des contrôleurs américains. Les gens ne pourront pas se plaindre des actes posés par les contrôleurs; ils pourront seulement déposer une plainte à la Customs and Border Patrol des États-Unis, pour que l’organisation enquête sur elle-même. Les lois américaines en matière de protection des renseignements personnels ne s’appliquent pas aux étrangers, même quand les atteintes à la vie privée ont lieu en sol canadien. La Loi sur le précontrôle prévoit un mécanisme de recours restreint et, pour parler franchement, très étrange, qui permet aux gens d’informer les hauts fonctionnaires canadiens quand survient une situation d’atteinte à la vie privée, comme une fouille à nu, l’évacuation intestinale sous supervision ou l’imagerie par rayons X. Le projet de loi S-7 ne modifie pas cette disposition particulière de la Loi sur le précontrôle pour qu’elle s’applique aux examens des appareils numériques personnels, ce qui veut dire que les gens n’auront pour ainsi dire aucun recours dans le contexte d’un précontrôle.
Pour ce qui est de tenir l’ASFC responsable dans l’éventualité où elle commettrait une erreur dans l’exercice de ce nouveau pouvoir discrétionnaire, le ministre et les représentants de l’ASFC ont parlé en termes très positifs du projet de loi C-20 et de la nouvelle Commission d’examen et de traitement des plaintes du public. Nous n’avons pas terminé notre étude du libellé du projet de loi C-20, mais je peux vous dire, en somme, qu’il ne nous donne pas accès à un mécanisme d’examen et de surveillance efficace, puisque cette loi, si elle est adoptée, continuera de permettre à l’ASFC d’enquêter elle-même sur toutes les plaintes qui sont déposées à son sujet. Si une personne n’est pas satisfaite de la réponse de l’ASFC à ses allégations, cet organe d’examen pourra intervenir, jusqu’à un certain point, mais au bout du compte il n’aura aucun pouvoir contraignant sur l’issue de la plainte.
Nous croyons que seul un organe de surveillance indépendant dirigé par des civils devrait être habilité à enquêter sur toutes les plaintes contre l’ASFC; rien d’autre ne serait approprié. Nous avons publié un rapport à ce sujet, et je me ferai un plaisir de le transmettre aux honorables membres du comité. Nous allons utiliser ce rapport pour critiquer les lacunes du projet de loi devant les députés de l’autre endroit.
Enfin, je vais vous expliquer nos préoccupations relatives aux énormes manquements quant au droit des gens à la vie privée; ces manquements deviennent encore plus évidents lorsqu’on regarde comment la Loi sur les douanes et la Loi sur le précontrôle s’appliquent en parallèle à d’autres lois, comme la Loi sur la protection des renseignements personnels et la Loi sur la communication d’information ayant trait à la sécurité du Canada. En théorie, la Loi sur la protection des renseignements personnels permet aux gens au Canada de savoir quels renseignements personnels les organismes publics fédéraux possèdent à propos d’eux, et elle leur donne le droit de corriger toute information incorrecte dans un dossier du gouvernement. Il s’agit d’un droit important, surtout quand l’information qui nous concerne peut être communiquée à la GRC, à des organismes de sécurité secrets comme le SCRS et même à des partenaires internationaux qui peuvent utiliser l’information pour protéger leurs propres frontières.
Tout cela paraît bien, n’est-ce pas? Eh bien, malheureusement, la réalité ne reflète pas cette vision du droit à la vie privée, et nous sommes convaincus que l’ASFC invoquera des exceptions à la Loi sur la protection des renseignements personnels pour interdire à une personne de savoir si ses données ont été conservées après l’examen de son téléphone, de savoir comment ces données ont été utilisées, si elles ont été communiquées et combien de temps elles seront conservées.
Il arrive régulièrement que les organismes du gouvernement refusent même de dire s’ils détiennent les renseignements personnels d’une personne, en invoquant constamment et sans aucun problème les exceptions prévues à l’application de la loi. C’est pour ces raisons que nous recommandons fortement de modifier le projet de loi afin qu’il soit explicitement exigé que toutes les informations recueillies par l’ASFC ou par les contrôleurs américains dans le cadre de ces examens soient détruites immédiatement si elles n’ont rien à voir avec les infractions reprochées. Merci beaucoup.
Le président : Merci, maître McDermott. Enfin, c’est au tour de Mme McPhail, de l’Association canadienne des libertés civiles.
Dès que vous êtes prête, madame McPhail, vous pouvez y aller.
Brenda McPhail, directrice, Programme sur la protection de la vie privée, la technologie et la surveillance, Association canadienne des libertés civiles : Merci beaucoup au comité d’avoir invité l’Association canadienne des libertés civiles à témoigner devant vous aujourd’hui.
Nous attendions depuis très longtemps qu’un projet de loi soit proposé pour pallier l’absence de seuil juridique relativement aux fouilles des appareils à la frontière, bien avant que l’affaire Canfield en Alberta et les autres affaires en Ontario en fassent un impératif. C’est que nous avons de graves préoccupations à l’égard du caractère envahissant des fouilles de nos appareils qui, comme mes collègues l’ont expliqué, contiennent des comptes rendus granulaires et détaillés de nos vies quotidiennes : tout ce qui permet de voir le déroulement quotidien de nos vies, de nos communications privées et professionnelles, à nos photos et à nos agendas. Il est malheureux de constater que ce projet de loi, maintenant qu’il a été présenté, ne valait absolument pas la peine d’attendre.
Les tribunaux canadiens ont fermement établi que les gens avaient de forts intérêts, des intérêts personnels, à l’égard de leurs appareils personnels. Dans l’arrêt R. v. Morelli, la Cour suprême a déclaré :
Il est difficile d’imaginer une [...] fouille [...] plus envahissante que celle d’un ordinateur personnel.
Même si l’ACLC reconnaît qu’il est établi en jurisprudence que les attentes en matière de protection des renseignements personnels sont moins élevées à la frontière, nous croyons que les modifications proposées dans le projet de loi S-7 ne protègent pas adéquatement les voyageurs contre la violation de leur droit à la vie privée au moyen de leurs appareils numériques dans un contexte frontalier, et cela, pour deux grandes raisons : premièrement, le nouveau seuil des préoccupations générales raisonnables n’a jamais été utilisé, en plus d’être beaucoup trop bas. Deuxièmement, les mesures de protection des renseignements personnels ne devraient pas être contenues dans un règlement, lequel est en cours d’élaboration, d’après ce que nous savons, mais bien inscrites dans la loi.
Il y a bien sûr d’autres problèmes que nous aborderons pendant la discussion, comme l’a dit M. McSorley.
Le problème, avec une norme juridique complètement nouvelle, c’est qu’elle est — bien évidemment — une inconnue. Dans l’exposé qu’il a présenté à votre honorable comité, lundi, le ministre Mendicino a laissé entendre que l’intention du gouvernement est que cette norme soit interprétée comme s’appliquant de façon individuelle et s’appuyant sur les mêmes multiples indicateurs théoriquement objectifs que l’on retrouve actuellement dans les orientations stratégiques internes de l’ASFC. En d’autres mots, ils essaient essentiellement d’élaborer une loi qui permet aux agents de services frontaliers de continuer d’agir comme ils le font, mais en étant davantage protégés par la loi. Cela soulève trois problèmes.
Premièrement, avec respect, il est difficile de comprendre comment l’expression « préoccupations générales raisonnables » reflète une norme individualisée. Une cour qui aurait à interpréter cette norme pour la première fois ne pourrait pas s’appuyer sur la définition de la norme donnée dans le projet de loi, parce qu’il n’y en a pas. Peut-être pourrait-elle s’appuyer sur certains signes de l’intention du gouvernement, comme la déclaration que le ministre a faite devant votre comité, mais elle serait tout de même contrainte de prendre en considération le sens apparent de l’expression et, en langue courante, le mot « générales » ne veut pas dire individualisé. En plus d’être une inconnue sur le plan juridique, le seuil des préoccupations générales raisonnables laisse aux agents une discrétion suffisante pour que leurs préjugés explicites, ou même implicites et inconscients, les amènent à se demander qui doit être fouillé; les sénateurs de votre comité ont déjà soulevé la question, et l’ACLC est d’accord pour dire qu’il s’agit d’un problème urgent, qui ne sera probablement pas réglé par une formation d’une heure sur la diversité, dont il a été question lundi.
Deuxièmement, les facteurs déjà intégrés dans l’orientation stratégique interne de l’ASFC, que les agents vont continuer d’utiliser, d’après ce que nous savons, puisqu’ils seront intégrés à la réglementation, et les pratiques de protection qui se retrouvent aussi dans ce document stratégique, par exemple l’exigence de s’assurer que l’appareil est déconnecté d’Internet afin que seuls les documents effectivement conservés dans l’appareil puissent faire l’objet d’un examen, ne feront pas partie de la loi, car on estime qu’il est préférable de les laisser dans le règlement. Les règlements peuvent être modifiés beaucoup plus facilement, de façon moins publique et avec moins de consultations que les lois.
Troisièmement, les gens au Canada ne devraient pas être obligés de se contenter d’une loi qui n’est qu’une version d’un statu quo déjà inadéquat et qui relègue au règlement les détails des examens des appareils numériques. Très honnêtement, les Canadiens méritent mieux. Le commissaire à la protection de la vie privée l’a lui-même dit, notamment dans le contexte d’une enquête à l’issue de laquelle il a été conclu que, dans six affaires, l’Agence des services frontaliers du Canada avait dérogé à ses propres normes en matière de politique. Il a réclamé que le seuil soit celui des motifs raisonnables de soupçonner. Le Comité permanent de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique, après une étude exhaustive, a explicitement rejeté le seuil relatif à une multiplicité de facteurs que le projet de loi S-7 tente maladroitement de reproduire. Ce comité a lui aussi réclamé que le seuil soit celui des motifs raisonnables de soupçonner.
L’Association canadienne des libertés civiles appuie ces recommandations. Conformément à la norme des motifs raisonnables de soupçonner, l’agent des services frontaliers doit tenir compte d’une constellation de faits objectivement perceptibles pour avoir un motif raisonnable de soupçonner qu’une personne a commis une infraction prévue aux lois. Souvenez-vous que c’est aussi une infraction de mentir à un agent des services frontaliers, ce qui veut dire que l’agent ou l’agente a les outils qu’il faut pour établir les faits respectant une norme plus élevée. Cela permettrait non seulement de mieux protéger les renseignements personnels, en décourageant les fouilles lorsqu’il n’y a aucun soupçon, mais cela protégerait aussi davantage les gens contre le profilage religieux ou racial. D’ailleurs, il a été dit au comité, lundi, que les fouilles ont diminué en Alberta et en Ontario depuis que cette norme plus élevée est appliquée.
Du point de vue des libertés civiles, je crois qu’on peut supposer que les seuils plus élevés forcent les agents à faire preuve de plus de discernement. Dans la société canadienne, nous essayons toujours de trouver un équilibre entre les pouvoirs que nous accordons aux organismes d’application de la loi et les valeurs qui nous sont chères en tant que société. Il est raisonnable d’appliquer le même principe à la frontière, tout comme il est raisonnable de le faire dans nos collectivités, parce que la frontière n’est pas un endroit où la Charte ne s’applique pas. Je suis prête à répondre à vos questions.
Le président : Merci, madame McPhail. Merci à vous trois de vos déclarations.
Nous allons passer à la période de questions. Je souligne que nous devons avoir terminé d’ici 13 h 30. Pour que nous puissions poser autant de questions que possible, je demanderais à mes collègues d’être aussi succincts que possible, et, si vous le pouvez, de nommer le témoin auquel vous posez la question.
La bonne nouvelle, c’est qu’aujourd’hui, vous aurez environ cinq minutes chacun et chacune pour poser votre question et écouter la réponse.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Ma première question s’adresse à Mme McPhail. Lundi dernier, le représentant de l’Agence des services frontaliers du Canada nous a dit que ce projet de loi n’allait pas occasionner plus de travail pour les agents frontaliers, puisqu’il vise plutôt à régulariser ce que font déjà les douaniers.
Je vous avoue que j’ai été très étonné de cette réponse. Je me demande si les agents ont commis des irrégularités depuis 2015 et si nous sommes en train de normaliser ou de régulariser ce que leurs patrons leur faisaient faire illégalement. Qu’en pensez-vous?
[Traduction]
Mme McPhail : Merci de la question. Nous savons effectivement cela, grâce à une enquête du commissaire à la protection de la vie privée du Canada, publiée en 2019. Le commissariat a examiné six plaintes déposées par des gens qui avaient des préoccupations au sujet des fouilles de leurs appareils à la frontière, et dans les six cas, il a été conclu que les plaintes étaient fondées. Dans plusieurs de ces cas, les agents n’avaient pas désactivé la connectivité des appareils avant l’examen. Dans d’autres, ils n’avaient pas pris de notes pour documenter les raisons pour lesquelles ils avaient même effectué l’examen en premier lieu. Nous savons en effet que, actuellement, on ne respecte déjà pas les normes en vigueur, lesquelles sont déjà faibles et insuffisantes, selon l’ACLC.
La façon dont les agents traitent l’information doit être énoncée dans la loi. C’est pourquoi nous disons que ce n’est pas suffisant d’énoncer ces facteurs dans la réglementation. Il faut en fait inscrire dans la loi, de façon immuable et directe, quels sont les devoirs des agents en matière d’examen, en particulier dans le contexte de ce qui est déjà une norme relativement basse — même après l’avoir haussée à celle des « soupçons raisonnables » —, pour ce genre d’examens envahissants.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Ma prochaine question s’adresse aux trois témoins. En ce qui a trait aux nouvelles règles qui visent principalement le dédouanement des voyageurs qui traversent la frontière entre le Canada et les États-Unis, avez-vous des préoccupations sur l’interprétation que les douaniers américains en feront lors du stade de précontrôle?
M. McSorley : Je vous remercie de poser cette question, sénateur.
[Traduction]
Nous avons certainement des préoccupations quant à la façon dont les contrôleurs vont s’acquitter de leurs devoirs si cette loi était adoptée. Comme ma collègue, Me McDermott, l’a souligné, des préoccupations ont été soulevées quant à la capacité de déposer des plaintes contre les actes des contrôleurs, alors cela voudrait dire qu’ils pourraient agir comme ils l’entendent, selon leur interprétation de la loi, plutôt que d’être tenus responsables s’ils brisent la règle.
Nous avons aussi des préoccupations quant à la formation fournie par l’ASFC aux contrôleurs depuis l’adoption de la Loi sur le précontrôle en 2016 parce que nous n’avons pas vu de données sur son efficacité. Nous aurions besoin de plus d’information pour comprendre dans quelle mesure les agents font adéquatement leur travail. J’ajouterais aussi qu’on n’accorde pas suffisamment d’importance aux statistiques qui permettraient de voir s’il y a eu des plaintes au sujet des activités des contrôleurs. Cela soulève évidemment des préoccupations.
La sénatrice Jaffer : Merci à tous les trois de nous donner des explications claires. Cela ne va pas vous surprendre si je vous dis que j’ai des préoccupations quant à ce critère des « préoccupations générales raisonnables ». Vous êtes tous les trois des experts. J’ai écouté vos commentaires et travaillé avec vous de nombreuses fois.
J’aimerais savoir quelle forme, selon vous — en commençant par vous, monsieur McSorley — devraient prendre les modifications? Devrions-nous revenir aux « motifs raisonnables de soupçonner », parce qu’il y a un précédent et que les agents connaissent déjà cette norme? Parce que, même pour une lettre, vous devez avoir des motifs raisonnables de soupçonner, mais vos appareils, qui contiennent parfois toute votre vie, ne sont pas soumis au même critère. Quelle devrait être la nouvelle définition, ou comment pouvons-nous la modifier?
M. McSorley : Merci de la question. Oui, nous serions d’accord pour dire, par rapport à une modification potentielle, que le seuil des « motifs raisonnables de soupçonner » devrait s’appliquer à l’examen des appareils. Comme mes collègues l’ont dit plus tôt, c’est une norme que l’on connaît. C’est une norme claire. C’est une norme qui est déjà appliquée au courrier, et cela devrait, comme nous l’avons souligné, être clairement considéré comme la même chose que les appareils numériques que les gens transportent avec eux lorsqu’ils traversent la frontière.
Au-delà d’une modification qui y substituerait les motifs raisonnables de soupçonner, je répéterai ce que ma collègue, Mme McPhail, a dit, à savoir que le règlement est insuffisant. Il faut que les règles et les procédures soient énoncées dans la loi. Enfin, ce projet de loi devrait aussi comprendre des règles pour la reddition de comptes, en cas d’infraction à la norme.
La sénatrice Jaffer : Est-ce que l’une ou l’autre de vous deux aimerait ajouter quoi que ce soit pour m’aider, s’il vous plaît?
Me McDermott : Je suis du même avis que M. McSorley. Nous recommanderions également de substituer la norme des « motifs raisonnables de soupçonner » et de fournir des mécanismes de recours clairs aux gens, dans l’éventualité où les agents de l’ASFC ou du précontrôle n’utiliseraient pas correctement leur pouvoir discrétionnaire. Nous recommanderions d’établir des options de recours utiles et des règles claires quant à l’information qui est recueillie, même en appliquant la norme plus élevée, pour veiller à ce que l’information ne puisse pas être utilisée pour porter préjudice à la personne dans l’avenir et pour qu’elle soit uniquement utilisée en lien avec l’une des infractions au règlement qui ont été découvertes.
Nous avons plusieurs autres recommandations aussi, mais elles sont davantage de nature technique. Pour les contrôleurs, ce projet de loi prévoit que le ministre fournira des directives régissant et orientant les attentes des contrôleurs. Cependant, l’expression « directives » veut dire qu’il ne s’agit pas vraiment d’exigences législatives. En fait, il est explicitement mentionné qu’il ne s’agit pas de réglementation et que ces règles devront être publiées dans la Gazette du Canada, mais seulement dans les six mois suivant la date où elles sont données. Cela pose manifestement un problème du point de vue de la primauté du droit, relativement à ce à quoi les gens peuvent s’attendre quand ils entrent dans une zone de précontrôle. C’est aussi un facteur important, si on considère la façon dont la Loi sur le précontrôle a évolué et la façon dont elle fonctionne, parce qu’une fois que vous êtes entré dans la zone, il vous est carrément interdit d’en sortir. Simplement demander d’en sortir peut éveiller des soupçons et mener à votre détention.
Nous avons vraiment besoin de paramètres clairs, comme Mme McPhail l’a dit, dans la loi elle-même. En plus d’une norme très claire et très élevée, il y a un certain nombre d’autres recommandations techniques que nous pourrions vous transmettre par écrit.
Le sénateur Richards : Merci aux témoins. Monsieur McSorley, c’est bon de vous revoir.
Je me demandais si l’un ou l’autre d’entre vous n’ont jamais été consultés par le gouvernement, lorsqu’on décidait du contenu du projet de loi. Non? C’est bien ce que je pensais.
Je pense que c’est un très mauvais projet de loi. Je ne sais pas ce que nous pouvons faire pour y remédier. Même l’idée des « motifs raisonnables » donne énormément de latitude aux agents frontaliers. Je ne dis pas que les agents frontaliers ne sont pas sincères dans leurs efforts et qu’ils ne sont pas consciencieux, mais ce projet de loi leur donne énormément de pouvoir sur les voyageurs qui entrent au pays. Cela ne me plaît pas du tout. À mon avis, ce projet de loi n’est pas encore prêt.
Je me souviens d’un séjour que j’ai fait en Norvège. C’était tard la nuit. Comme je ne me souvenais plus du nom de mon hôtel, un jeune agent frontalier m’a arrêté, et j’ai subi une fouille à nu. Je ne dis pas que ce genre de choses arriverait au Canada, mais c’est le genre de choses qui arrivent parfois. Pourrait-il y avoir des motifs pour intenter une poursuite, si ces mesures sont excessives? Si une personne croit que les mesures sont excessives, peut-elle intenter une poursuite?
Le président : Monsieur McSorley, voulez-vous essayer de répondre?
M. McSorley : En ce qui concerne les motifs qui permettraient ou non à quelqu’un d’intenter une poursuite, de nombreux avocats et experts juridiques qui ont examiné le projet de loi S-7 nous ont avertis que l’une des préoccupations par rapport à ce nouveau seuil — par opposition à celui des « motifs raisonnables de soupçonner » — est que cela va entraîner des affaires juridiques qui s’étireront sur de nombreuses années pour essayer d’établir le sens de cette nouvelle norme juridique. Ce serait beaucoup plus approprié d’utiliser comme approche une norme qu’on connaît déjà.
Oui, les gens auront des recours devant les tribunaux s’ils croient que leurs droits ont été violés, et c’est ce que nous attendons à voir si cette nouvelle norme est adoptée.
Le sénateur Richards : Je m’y attends aussi, et c’est pourquoi je l’ai mentionné. Je crois que la plupart des agents frontaliers sont probablement consciencieux et sincères et travaillent avec toute la diligence nécessaire, mais il y a toujours des exceptions. Voilà pourquoi je voulais le mentionner. Merci beaucoup.
Le sénateur Wells : Merci aux témoins. Vos témoignages sont importants pour nous, et je vous remercie des connaissances que vous apportez à la discussion; ce sont des connaissances qui nous manquent et dont nous avons besoin.
Présentement, il y aura une obligation dans la loi et le règlement selon laquelle les appareils numériques personnels devront être examinés en mode sans connectivité. Rien n’oblige les agents de l’ASFC à confirmer avec le voyageur que l’examen de son appareil se fera dans ce mode. À vrai dire, ils nous ont dit que cela faisait partie de leurs politiques, notamment le fait qu’ils mettraient l’appareil en mode sans connectivité, ou peu importe quel est le bon terme.
D’après mon expérience personnelle, je sais qu’ils n’ont pas suivi leurs politiques avec moi, et ils ont fouillé mon téléphone, mes relevés bancaires et d’autres choses sans m’en donner l’occasion. Évidemment, je ne savais pas que cela faisait partie de leurs politiques. Je ne suis pas obligé de connaître leurs politiques. Mais maintenant, cela va faire partie de la loi.
Ma question s’adresse à Me McDermott. Croyez-vous qu’il y a un avantage à inscrire dans la loi cette obligation pour les agents de l’ASFC d’informer les voyageurs de leurs droits à cet égard? Le cas échéant, est-ce que la connectivité de l’appareil devrait être désactivée par l’agent de l’ASFC, par le voyageur ou par les deux, dans une certaine mesure? Qu’en pensez-vous?
Me McDermott : Merci de votre question, sénateur. Nous sommes certainement d’accord, et je l’ai mentionné quelques fois, pour qu’il y ait des normes très claires définissant pour tout où s’arrêtent vos droits et où s’arrêtent aussi les droits des agents frontaliers, afin que tout le monde puisse savoir clairement à quoi s’attendre.
Nous sommes toujours en faveur d’exigences, peu importe lesquelles, sur la divulgation proactive des droits. C’est-à-dire qu’il faut dire au voyageur que son appareil doit être déconnecté et qu’il le sera. Je ne sais pas qui devrait avoir la responsabilité de le faire. C’est une bonne chose de savoir que le voyageur peut lui-même désactiver l’appareil, mais je crois qu’il devrait y avoir une certaine certitude pour les voyageurs pour qu’ils sachent que, s’ils remettent leur appareil sans le déconnecter, ils seront assurés d’une façon ou d’une autre durant le processus que l’appareil n’a pas été reconnecté. Bien sûr, il est difficile d’imaginer comment cela ce passerait ou comment on pourrait régir cela dans la loi, surtout si l’appareil sort du champ de vision du voyageur, ce qui arrive très souvent, si je ne me trompe.
En résumé, nous serions effectivement d’accord pour ajouter le besoin d’aviser et d’informer les voyageurs de tous leurs droits, et en particulier en ce qui concerne la connectivité. C’est une considération importante, puisque, comme on dit, c’est ce qui nous connecte au reste du monde, et cela pourrait donner lieu à une atteinte beaucoup plus grave à la vie privée.
Le sénateur Wells : Merci.
Monsieur McSorley, j’imagine qu’il est un peu plus difficile pour un passager de savoir ce que veut dire désactiver la connectivité. Je me mets à la place d’un utilisateur ordinaire... Je veux dire, quelqu’un qui utilise à temps plein un appareil numérique personnel, mais qui utilise le mode avion seulement de temps en temps, parce que c’est dans ce mode qu’on nous dit de mettre l’appareil. Bien sûr, le mode avion déconnecte l’appareil seulement du réseau cellulaire et pas du réseau WiFi. Donc, je ne m’attendrais pas à ce qu’un utilisateur ordinaire, ou quelqu’un qui n’a qu’une connaissance générale, de le savoir. Moi-même, je l’ignorais avant-hier.
L’agent de l’ASFC devrait-il avoir l’obligation de mettre l’appareil en mode sans connectivité? J’essaie de savoir quand cela devrait être fait pour respecter le droit du passager à la vie privée, qui lui revient et qui est prévu dans la loi.
M. McSorley : C’est une excellente question. Comme Me McDermott, je crois que la loi devrait obliger les agents de l’ASFC à aviser les voyageurs de leurs droits et du fait que leurs téléphones doivent être déconnectés des données mobiles ou cellulaires. Évidemment, c’est aussi important pour les ordinateurs portables, les montres intelligentes et les autres appareils. Les agents de l’ASFC devraient aussi suivre une certaine formation technique, afin de savoir comment désactiver la connectivité.
Comme vous, je peux imaginer qu’il y a des voyageurs qui ne sauront pas, au bout du compte, comment s’assurer que la connectivité de leur appareil est complètement désactivée, qu’il n’y a pas de problèmes avec le mode avion ou d’autres problèmes. Même s’il peut sembler logique de demander aux passagers de désactiver eux-mêmes la connectivité de leur téléphone, en bout de ligne, la responsabilité devrait revenir à l’agent de l’ASFC de s’assurer que le téléphone est bien déconnecté.
Encore une fois, comme Me McDermott l’a dit, on peut difficilement savoir si un agent de l’ASFC pourrait enfreindre ce droit en réactivant la connectivité ou en faisant autre chose. Dans ce cas, il y a bien sûr les recours dont nous avons discuté, lorsque ce genre d’atteinte est découverte. Je crois malgré tout que les voyageurs doivent être avisés clairement de leurs droits et qu’il doit y avoir des règles claires énoncées dans la loi quant à ce que les agents de l’ASFC doivent faire pour s’assurer que les appareils sont déconnectés.
Le sénateur Wells : Merci beaucoup.
La sénatrice Boniface : Merci aux témoins d’être avec nous.
J’aimerais parler de l’arrêt Canfield, en particulier de l’orientation qu’il contient :
[...] à notre avis, le seuil pour l’examen d’un appareil électronique est peut-être moins élevé que celui des motifs raisonnables de soupçonner, requis pour une fouille à nu sous le régime de la Loi sur les douanes.
Plus loin, on dit :
La question de savoir si le seuil approprié est celui des soupçons raisonnables ou s’il doit être moins élevé, compte tenu du contexte frontalier unique, devrait être tranchée par le Parlement et étoffée dans d’autres affaires.
Je comprends que votre position est que la norme devrait être plus élevée, et j’ai écouté vos motifs. Mais pouvez-vous m’aider à comprendre comment vous soupesez cela par rapport à la sécurité nationale et aux enjeux de sécurité publique pour les Canadiens? J’ai l’impression que la cour a, de fait, ouvert la porte à ce nouveau seuil, mais je n’ai rien entendu quant au fait que la cour semble avoir mis son doigt dans la balance quand elle a remis cette décision au gouvernement.
Monsieur McSorley, peut-être pourriez-vous répondre en premier. J’ai une autre question, si et je vous prierais de répondre rapidement, mais je serais heureuse d’entendre les commentaires de tout le monde.
M. McSorley : Les tribunaux ont certainement ouvert la porte à un seuil plus faible. Cependant, à notre avis, cela ne veut pas dire que ce seuil plus faible serait approprié. Les tribunaux ne cherchaient pas à trancher cette question-là. Nous croyons, sachant ce qu’ont dit le Commissaire à la protection de la vie privée du Canada et le Comité permanent de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique, que le seuil des motifs raisonnables de soupçonner est approprié. Bien sûr, c’est aussi important d’équilibrer cela avec les préoccupations en matière de sécurité nationale. Nous croyons cependant qu’il faut reconnaître que ce seuil a été utilisé pour d’autres aspects de la Loi sur les douanes, par exemple pour l’examen du courrier.
Aussi, il y a actuellement deux provinces qui doivent utiliser le seuil des motifs raisonnables de soupçonner, et on a demandé si ce ne serait pas une occasion de réaliser une étude de cas pour voir quelles seraient les répercussions; ce serait peut-être quelque chose à envisager, si le projet de loi va de l’avant.
De façon générale, le seuil des motifs raisonnables de soupçonner est déjà plus faible que ce qui est employé dans d’autres domaines de la loi, en particulier parce qu’on reconnaît que le contexte frontalier est spécial. Je vais céder la parole à mes autres collègues.
La sénatrice Boniface : Je crois que M. McSorley a tout dit, à moins que Mme McPhail ou Me McDermott veuillent ajouter quelque chose.
Peut-être que je pourrais poser ma question, parce qu’elle s’adresse à Mme McPhail, au cas où elle veut ajouter quoi que ce soit. Vous avez cité l’arrêt Morelli, alors j’ai pu rapidement m’informer. Cet arrêt n’était pas dans un contexte frontalier. Ai-je raison?
Mme McPhail : Oui, vous avez raison. Cela montre essentiellement, de façon générale, à quel point la cour était préoccupée par les examens envahissants des appareils en général. Dans une affaire comme l’arrêt Morelli, où il y a une poursuite au criminel, la norme la plus appropriée serait celle des « motifs raisonnables de croire », accompagnée d’un mandat. Nous ne recommandons pas d’appliquer cette norme plus élevée qui s’applique aux affaires criminelles, pas plus que nous ne recommandons d’exiger un mandat, quoique ces deux choses constitueraient une bonne mesure de protection pour protéger les droits.
Nous sommes conscients qu’il doit y avoir un équilibre qui tient compte des intérêts très légitimes du contexte frontalier, du devoir du gouvernement de protéger notre frontière. Pour revenir à la question précédente, nous croyons qu’il était tout à fait approprié pour la cour de laisser nos représentants démocratiquement élus et le Sénat décider du genre de mesures de protection dont les gens auraient besoin selon eux pour protéger leurs renseignements personnels, compte tenu de la sécurité nationale. Toutefois, je crois qu’il y a un consensus parmi les témoins d’aujourd’hui quant au fait que la norme des motifs raisonnables de soupçonner, la norme la moins élevée possible reconnue, est celle dont nous avons besoin pour donner aux gens d’un bout à l’autre du Canada la certitude que leurs droits seront pris en considération et qu’un tribunal qui devra trancher une affaire impliquant cette norme saura quoi faire.
La sénatrice Boniface : Merci beaucoup. Aussi, de ce point de vue, les tribunaux ne disent pas toujours les choses aussi explicitement. À mon avis, c’est la partie la plus intéressante de l’arrêt Canfield. C’est tout pour moi.
Le sénateur Dalphond : Pour donner suite à la question de la sénatrice Boniface en ce qui concerne l’interprétation de l’arrêt Canfield, corrigez-moi si je me trompe, mais j’ai cru comprendre, d’après l’arrêt Canfield, que les pratiques appliquées jusqu’à tout récemment par les agents des services frontaliers n’étaient pas à la hauteur des exigences constitutionnelles. La réaction du gouvernement jusqu’ici a été de codifier les pratiques actuelles ou de les inscrire dans une loi. Lundi, les témoins ont clairement dit, et le sénateur Dagenais a posé des questions à propos de la formation et a demandé s’il va falloir plus d’agents, et ils ont répondu : « Non, c’est déjà ce qu’ils font depuis 2015. » C’était avant l’arrêt Canfield.
Croyez-vous que le message de la cour était : si c’est inscrit dans la loi, ce que vous faites maintenant va répondre aux critères? Je crois que Mme McPhail serait la mieux placée pour répondre.
Mme McPhail : Dans l’arrêt Canfield, la cour a déclaré que la façon dont les appareils sont examinés présentement à la frontière est inconstitutionnelle, parce qu’il n’y a pas de seuil juridique. La cour a déclaré que le seul fait d’avoir des politiques qui n’ont pas force de loi était inadéquat, et qu’il devait y avoir un seuil juridique pour l’examen des appareils, pour reconnaître le caractère envahissant de ce genre d’examen et pour mettre à jour la loi qui a été créée à l’époque où on fouillait des boîtes et des sacs, et où la chose la plus dangereuse ou embarrassante qu’on pouvait trouver était des sous-vêtements sales.
La cour a demandé au gouvernement d’établir un seuil juridique pour ce genre d’examen, et ce que le gouvernement a essayé de faire — et je suis tout à fait d’accord avec la façon dont vous l’avez décrit —, c’est de créer un nouveau seuil juridique et d’essayer de le vendre en disant : « Voici comment on peut continuer de faire exactement ce qu’on a toujours fait, et maintenant ce sera constitutionnel parce que nous avons ajouté quelques nouveaux mots dans un texte législatif à propos d’un seuil. » À notre avis, cela n’est tout simplement pas suffisant. Le statu quo n’a jamais été suffisant. Maintenant que nous étudions la question, nous pouvons améliorer les choses.
Le sénateur Dalphond : Merci beaucoup de votre analyse. J’aurais tendance à être d’accord avec votre analyse sur le seuil. Cependant, j’ai quelques réserves à propos de vos commentaires sur la surveillance ou sur le fait de donner aux passagers certains droits, dans le cas où les protections nécessaires ne sont pas respectées. Je peux comprendre dans les cas où, au bout du compte, des accusations criminelles sont déposées contre le voyageur en raison de ce qui a été découvert sur son téléphone ou sur son appareil personnel. Cela touche à l’admissibilité, au respect des protections adéquates, et les accusations pourraient être abandonnées. Mais c’est un scénario extrême. La plupart des voyageurs ne seront accusés de rien, mais peut-être qu’ils vont avoir l’impression que leur droit à la vie privée a été violé, et gravement dans certains cas.
Que proposez-vous? D’après votre expérience, monsieur McSorley, y a-t-il un endroit dans le monde où il existe, disons, un ombudsman ou un surveillant pour que les gens puissent déposer une plainte administrative, quelque chose de facile à faire, au lieu de devoir s’adresser à la Cour fédérale pour poursuivre le gouvernement?
M. McSorley : Merci beaucoup de la question, monsieur le sénateur. Merci de la précision. C’est très vrai qu’il existe un recours judiciaire seulement pour ceux qui ont été accusés en vertu d’une loi, et pas pour les gens dont l’appareil électronique a été examiné, mais qui n’ont été accusés de rien par la suite. C’est pourquoi il est si important, comme ma collègue, Me McDermott, l’a dit, que nous ayons des mécanismes de recours robustes pour les gens qui veulent effectivement déposer une plainte parce que leurs droits ont été violés par un organisme de sécurité national, y compris l’ASFC.
Voilà donc pourquoi il sera si important de modifier le projet de loi C-20 durant tout ce processus, pour s’assurer que même les gens qui ne sont accusés d’aucun crime vont pouvoir déposer une plainte et sauront qu’il y a des comptes à rendre et des conséquences dans les cas où les règles n’ont pas été suivies. Ce n’est pas ce qui se passe actuellement au Canada.
Le sénateur Dalphond : D’après votre expérience, existe-t-il un pays où il y a un tel mécanisme?
M. McSorley : C’est une bonne question. Je vais céder la parole à mes collègues, qui ont fait quelques recherches de ce côté-là. Je dirais qu’il existe effectivement quelques ombudsmans aux États-Unis qui ont plus de pouvoir que ce que nous avons au Canada et qui ont, je crois, le pouvoir de rendre des ordonnances. C’est ce que nous aimerions voir : un pouvoir d’ordonnance et des pouvoirs plus robustes pour les organes d’examen.
Mais voyons si mes collègues ont d’autres exemples à donner.
Le président : Nous allons attendre, s’il vous plaît. Nous allons avoir un peu plus de temps plus tard, alors nous pourrons y revenir.
La sénatrice Simons : Merci beaucoup à tous les témoins.
Lundi, mes collègues ici présents ont posé des questions très pointues et appropriées à propos du profilage racial sous le régime de cette loi. Puisque c’est le premier jour du mois de la Fierté, je voulais poser une question différente.
Dans l’arrêt Canfield, il y avait un autre accusé, M. Townsend. Celui-ci a été fouillé parce que les agents des services frontaliers ont trouvé suspect qu’il ait du lubrifiant, des condoms et des anneaux pour pénis dans ses bagages. D’une certaine façon, cela donne à penser qu’il a été sélectionné pour un examen plus poussé, parce qu’on soupçonnait qu’il était homosexuel. Avez-vous des préoccupations quant au libellé et à ses conséquences éventuelles pour les passagers LGBTQ2+, qui ne subissent pas habituellement de profilage, mais qui pourraient bien en être victimes dans le cadre de cette loi? Peut-être que M. McSorley pourrait répondre.
M. McSorley : Merci, madame la sénatrice. Je dois dire que notre domaine d’expertise, c’est la lutte contre le terrorisme dans le contexte de la sécurité nationale, alors peut-être que mes autres collègues auront plus d’information. Il est clair, puisque nous en parlons, que ces préoccupations ne se limitent pas à certaines personnes, c’est-à-dire à la lutte contre le terrorisme ou à la religion ou la race; c’est quelque chose qui pourrait aussi englober l’identité de genre et l’orientation sexuelle. Nous pensons qu’il est important d’avoir des règles plus robustes, une reddition de comptes et des règles claires, dans la loi, avec une norme suffisante, pour protéger les gens qui pourraient être victimes de discrimination ou être questionnés à cause de leur identité de genre ou de leur orientation sexuelle particulière.
C’est une question très importante, et cela montre bien qu’il ne s’agit pas seulement de protéger un groupe ou un autre, mais plutôt que n’importe quel voyageur pourrait être soupçonné sur le caprice d’un agent des services frontaliers, selon la nouvelle décision. En somme, le plus important est que nous protégeons les gens qui sont déjà marginalisés et trop surveillés par les organismes d’application de la loi.
La sénatrice Simons : J’ai été choquée par l’affaire Townsend. Il semble que la principale raison pour laquelle il a été sélectionné, c’est parce qu’il avait des accessoires homosexuels.
Mme McPhail : Il y a d’autres cas documentés également de personnes LBGTQ2+ qui ont été sélectionnées à cause de la littérature qu’elles transportaient ou à cause de leur comportement à la frontière.
L’un des problèmes profonds avec le seuil des « préoccupations générales raisonnables », lequel dépend en quelque sorte d’une intuition et donne un pouvoir discrétionnaire extrême aux agents, c’est qu’ils vont peut-être choisir, consciemment ou inconsciemment, de contrôler les gens qu’ils jugent différents d’eux, que cette différence tienne à l’orientation, à l’apparence, à l’ethnicité ou à la religion. C’est difficile de prévoir les façons nombreuses et variées dont la discrimination peut jouer dans le processus, lorsqu’il y a un écart de pouvoir si grand entre les participants. Bien sûr, quand vous êtes à la frontière, l’agent frontalier a vraiment tous les pouvoirs; nous leur donnons un pouvoir discrétionnaire énorme pour effectuer des contrôles et des fouilles. C’est donc pourquoi, comme on l’a beaucoup répété, on doit choisir un seuil qui offre un niveau essentiel de protection, puis il faut songer sérieusement aux options de recours dont les gens vont avoir besoin s’ils croient avoir été traités de façon discriminatoire à la frontière.
La sénatrice Simons : J’ai une petite question. Lundi, on a dit au comité que ce seuil serait plus élevé que celui appliqué aux États-Unis ou au Royaume-Uni. Je crois que le sénateur Dalphond a posé quelques questions pour savoir si c’était bien le cas. Y a-t-il d’autres pays qui ont des seuils similaires à celui-ci, ou des seuils plus élevés?
Me McDermott : Je n’ai pas pu me renseigner à ce sujet, alors je vais devoir demander à Mme McPhail si elle a une réponse.
Mme McPhail : Nous avons commencé à étudier la question après la discussion qui a eu lieu lundi, et nous vous répondrons dans nos observations écrites. Au Royaume-Uni, la situation est compliquée, parce qu’on examine les biens et les articles que les gens ont avec eux. Nous voulons voir s’il y a des différences juridiques, parce qu’il y a des seuils différents pour ces deux choses. Nous allons vous fournir plus de détails dans nos mémoires écrits.
La sénatrice Simons : Merci.
Le sénateur Yussuff : Merci aux témoins d’être avec nous aujourd’hui. J’ai deux ou trois choses à dire. L’une découle des questions que mes collègues ont posées. J’essaie de voir comment traiter tout cela.
En ce qui concerne la connectivité, serait-il possible que le règlement exige très clairement qu’on peut dire clairement à une personne qui doit remettre son appareil à un agent des services frontaliers — si c’est dans le règlement — qu’elle doit désactiver son appareil avant de le remettre à l’agent? Est-ce qu’on pourrait régler cette question dans le règlement? Je pose la question à tous les témoins, puisque la réponse dépend de leur expertise à ce sujet.
Mme McPhail : Ce serait tout à fait possible d’énoncer clairement dans le règlement quel processus exactement doit être suivi. Nous pensons cependant qu’il est tout aussi important que ce soit énoncé dans la loi elle-même qu’il doit y avoir un processus pour déconnecter le téléphone. Le règlement, c’est où on fournit des détails sur la façon dont cela va se faire, parce que peut-être que les choses vont changer au fil du temps et que c’est donc logique de faire cela dans le règlement, puisqu’il est plus facile à modifier. Il devrait y avoir malgré tout une exigence légale dans la loi elle-même — pas seulement dans le règlement — pour qu’il y ait des protections fondamentales et essentielles en matière de renseignements personnels, quand les gens font l’objet d’une fouille à la frontière.
Le sénateur Yussuff : Mon deuxième point concerne la réglementation. Ce n’est pas inhabituel qu’un règlement accompagne la loi pour fournir des directives ou une orientation. Dans ce projet de loi-ci, il n’y a rien d’inhabituel à ce que le gouvernement propose d’avoir un règlement pour accompagner la loi. Encore une fois, tous les témoins peuvent répondre.
Me McDermott : Ce n’est évidemment pas inhabituel de fournir les détails dans un règlement subordonné qui ressemble à la loi. Mais il est bien sûr préférable, quand cela touche aux droits, que les règles soient dans le texte législatif principal, la loi. On pourrait avoir une discussion technique sur ce qui devrait être dans le texte législatif principal ou dans le texte législatif secondaire. Dans la plupart des cas, il est préférable que ce soit dans la loi principale, autant que possible, parce que de cette façon, on a des débats et des études comme aujourd’hui.
Il y a aussi une exigence selon laquelle le public doit y avoir accès dans les médias. Vous pouvez faire un examen rigoureux avant d’approuver et de mettre en œuvre une loi, mais nous savons que ce n’est pas le cas pour les règlements. Les gouvernements pourraient choisir de communiquer de façon proactive le texte d’un règlement, mais ils décident habituellement de ne pas le faire, et au bout du compte, on ne peut pas voir le texte jusqu’à ce qu’il soit approuvé.
Il y a une chose que j’aimerais souligner à nouveau : cela concerne les exigences législatives qui seront imposées aux agents de la Customs and Border Patrol des États-Unis qui vont appliquer la norme, parce que le projet de loi dont on parle, le projet de loi S-7, est muet quant à la réglementation qui va encadrer ces examens. Encore une fois, on compte sur des directives ministérielles, qui n’ont pas à passer par le Cabinet et qui ne seront pas rendues publiques avant six mois. Il y a une énorme lacune dans ce projet de loi, quant à la façon dont les examens seront encadrés par la Customs and Border Patrol des États-Unis.
Je veux aussi souligner que les gens n’auront pas accès aux mêmes recours. Il y a eu quelques questions sur la responsabilité et sur le fait de pouvoir demander aux agents de rendre des comptes. Si vous lisez la Loi sur le précontrôle, vous verrez qu’elle donne aux agents de la Customs and Border Patrol des États-Unis une immunité en matière civile. Même s’ils sont ici, en sol canadien, qu’ils utilisent et appliquent la Charte canadienne des droits et libertés dans le cadre de leurs examens, s’ils violent nos droits et nos libertés d’une façon ou d’une autre, nous ne pouvons pas déposer une plainte devant la Commission canadienne des droits de la personne ni les poursuivre en justice, à moins que leurs actions n’entraînent un préjudice corporel grave ou même la mort. À part cela, ils ont une immunité juridique complète s’ils commettent n’importe quelle erreur en lien avec la protection des renseignements personnels, à moins bien sûr que vous ne soyez un citoyen américain. Dans ce cas-là, peut-être que vous aurez des recours sous le régime de la Privacy Act des États-Unis, mais pour le reste du monde, il n’y a rien qu’on puisse faire.
Le président : Merci. Nous allons commencer le deuxième tour. Nous avons énormément de gens qui veulent poser des questions, alors vous aurez quatre minutes cette fois pour poser votre question et écouter la réponse.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Ma question s’adresse à Mme McPhail. Elle sera très brève. Ce projet de loi, qui découle d’une décision judiciaire, risque-t-il de se retrouver encore une fois devant les tribunaux parce que le gouvernement n’a pas suivi les recommandations?
[Traduction]
Mme McPhail : Je vais répondre rapidement. Je crois que, si le libellé du projet de loi est adopté tel quel, avec la nouvelle norme des « préoccupations générales raisonnables », il ne fait aucun doute qu’il y aura des contestations devant les tribunaux. Des groupes comme le mien seront à l’affût, et nous sommes impatients de pouvoir contester cette nouvelle norme devant la justice.
[Français]
Le sénateur Dagenais : À mon avis, ce projet de loi est inquiétant.
[Traduction]
La sénatrice Jaffer : Ma question s’adresse à Mme McPhail. Madame McPhail, j’ai demandé aux deux autres témoins comment nous devrions modifier ou comment je devrais modifier ce critère des « préoccupations générales raisonnables ». Quel est votre avis là-dessus? Que devrais-je faire?
Mme McPhail : Je suis d’accord avec mes collègues pour dire que la norme appropriée est celle des « motifs raisonnables de soupçonner ». Pour parler franchement, il s’agit de la norme la moins contraignante qui soit reconnue actuellement, et elle est tout à fait appropriée au contexte frontalier, où les attentes en matière de respect de la vie privée sont moins élevées. En même temps, cette norme fournit une protection plus raisonnable aux gens.
La sénatrice Jaffer : Merci.
Le sénateur Wells : Ma question est pour Me McDermott. On nous a dit que l’une des assurances que les agents de l’ASFC allaient maintenant devoir fournir dans ce nouveau paradigme, s’il est adopté — même s’il s’agit évidemment de leur vieux paradigme, parce que c’était leur politique —, c’est qu’ils allaient devoir prendre des notes, et cela est censé nous rassurer. Je ne vois pas vraiment comment cela est censé nous rassurer. J’ai l’impression que le but de la prise de notes serait davantage de protéger l’agent de l’ASFC, pour qu’il indique quelle était sa préoccupation générale, que le suspect lui paraissait louche ou avait une tenue débraillée ou paraissait nerveux ou quoi que ce soit d’autre.
Dans quelle mesure la prise de notes serait-elle utile dans le cas où un passager voudrait contester ce qui lui est arrivé à la frontière, parce qu’il a peut-être fait l’objet d’un examen déraisonnable?
Me McDermott : Merci de la question. La prise de notes détaillées en temps réel peut être vraiment utile pour aider à décider, après le fait, bien sûr, si l’agent a, à ce moment-là, respecté le seuil ou la norme applicable à l’examen qu’il voulait faire. Dans le domaine policier et du droit criminel, c’est une pratique très courante.
Je crois savoir aussi que l’ASFC — dans ses politiques jusqu’ici et jusqu’à l’adoption de ce projet de loi — est tenue de prendre ce genre de notes. Je pense que tout cela ne sert qu’à codifier une pratique que les agents appliquaient déjà, supposément.
Bien sûr, la prise de notes en temps réel n’est pas parfaite. C’est quelque chose que nous savons dans le domaine du droit criminel. Mais pour en venir à mon point, habituellement, les notes ne deviennent utiles que lorsqu’il y a une poursuite au criminel ou au civil. Sauf dans ces contextes, je doute fortement que monsieur et madame Tout-le-monde pourront avoir accès à ces notes ou de les examiner minutieusement, s’ils déposaient une plainte.
Disons que les accusations n’ont mené à absolument rien. Aucune infraction n’a été constatée. On remet son appareil à la personne, et on lui permet de continuer son chemin, mais la personne a l’impression qu’on a envahi de façon odieuse sa vie privée; cela l’a mis en retard et l’a humiliée, et elle doute que les notes établiraient même une préoccupation générale raisonnable. Comme je l’ai dit, vous auriez beau essayer d’obtenir de l’information à votre sujet ou de l’information qui a été recueillie à propos de vous, je pense que ce serait virtuellement impossible pour monsieur et madame Tout-le-monde ou même pour des groupes de la société civile comme le nôtre d’avoir accès à ces notes, à l’extérieur d’une poursuite au criminel.
Le sénateur Wells : Merci. Il ne me reste que 40 secondes et j’ai une autre petite question. Qu’est-ce que l’on trouve habituellement dans ces notes? Est-ce que les agents motivent leurs soupçons? Est-ce que c’est habituel de faire cela? Le cas échéant, ne trouvez-vous pas ironique qu’on n’ait pas choisi la norme des motifs raisonnables de soupçonner, mais une norme un peu moins contraignante?
Me McDermott : Oui. Je crois que vous avez visé juste, monsieur le sénateur. Les agents pourraient utiliser ces notes pour établir ce seuil moins élevé, celui que nous recommandons pour le projet de loi S-7.
C’est une pratique constate pour les agents de police, et ils peuvent respecter des normes juridiques encore plus élevées, alors ce n’est vraiment pas justifié, de toute évidence. Il a été question de la multiplicité des indicateurs, et l’agent dit j’ai vu l’indicateur, j’ai eu des soupçons, mais combien d’indicateurs devrait-il voir, ou quelle constellation d’indicateurs? Encore une fois, on revient à l’essentiel de la question : combien de soupçons les agents devraient-ils avoir avant d’être vraiment autorisés à envahir votre vie privée?
Le sénateur Wells : Merci beaucoup à tous les témoins.
Le président : Merci de votre réponse, maître McDermott.
Le sénateur Richards : Merci. Je ferai vite. J’ai posé une question sur la connectivité. Le sénateur Yussuff aussi. J’ai des préoccupations quant aux idées préconçues qui pourraient entraîner des préjudices, lorsqu’un agent des services frontaliers contrôle une personne. Lorsqu’il y a des « motifs raisonnables de soupçonner », cela veut-il automatiquement dire qu’on va examiner l’appareil numérique personnel de la personne, ou est-ce que d’autres facteurs entrent en ligne de compte? Monsieur McSorley, ou est-ce qu’un autre témoin veut répondre?
M. McSorley : Je vais peut-être renvoyer la balle à mes autres collègues, si elles ont quoi que ce soit à ajouter. Dans le cas contraire, je pourrais essayer de répondre.
Mme McPhail : Je vais me lancer. Avec le seuil des « motifs raisonnables de soupçonner », il devrait y avoir moins d’examens, parce que cela exige un plus grand nombre de facteurs objectifs définis.
Le sénateur Richards : Mais ce que je veux savoir, c’est si, une fois qu’on détermine qu’il y a des motifs raisonnables de soupçonner, est-ce que cela veut immédiatement dire que l’agent va examiner votre appareil numérique personnel, ou fouiller vos bagages? Va-t-on immédiatement prendre et examiner l’appareil numérique, ou va-t-on attendre l’examen primaire?
Mme McPhail : C’est difficile de faire des suppositions quant à ce que les agents feraient dans une situation donnée, parce que les agents ont le pouvoir discrétionnaire d’effectuer leurs examens comme ils le souhaitent.
Le sénateur Richards : Bien sûr.
Selon vous, quelles modifications aideraient ce projet de loi? Si vous avez des modifications à proposer, quelles seraient-elles? Je pose la question à tous les témoins, s’il vous plaît.
M. McSorley : Je répéterais ce que mes collègues ont dit, soit qu’une modification pour inclure le seuil des « motifs raisonnables de soupçonner » aiderait à améliorer le projet de loi.
Nous n’avons pas eu le temps d’aborder les autres enjeux, la création de nouvelles infractions punissables par voie de mise en accusation ou la modification des statuts de prescription ainsi que d’autres améliorations qui pourraient être apportées. Je vais céder la parole à mes collègues, si elles veulent intervenir avec d’autres recommandations.
Le président : Y a-t-il d’autres commentaires? Je ne vois rien.
Le sénateur Richards : D’accord. Merci.
Le sénateur Dalphond : Je sais que c’est maintenant incongru de donner des devoirs, mais je vais demander aux témoins s’ils ont accès, mieux que nous, à des organisations plus importantes, ailleurs dans le monde, qui pourraient fournir de l’information sur les approches à l’égard des appareils personnels, par exemple en Europe. Je ne sais pas s’il existe une directive européenne à ce sujet.
Il doit y avoir une certaine uniformité. Il y a beaucoup d’autres pays démocratiques dans le monde qui font ce genre d’activité et qui ont le même genre de problèmes que nous relativement à la sécurité des frontières, et qui, parallèlement, doivent trouver un équilibre pour protéger les droits de la personne.
Il y a autre chose pour laquelle je vous demanderais de faire un suivi : pourriez-vous trouver des exemples de mécanismes efficaces pour que les voyageurs aient un endroit approprié pour déposer une plainte à propos de la façon dont ils ont été traités, ou maltraités, à la frontière, même lorsqu’aucune accusation n’est déposée? Je suis pratiquement convaincu que la plupart des voyageurs n’intenteront pas de poursuites pour réclamer des dommages-intérêts au gouvernement fédéral devant la Cour fédérale parce qu’ils n’ont pas été traités correctement. Cela représente beaucoup trop d’efforts, alors nous avons besoin d’un mécanisme facile pour qu’ils puissent déposer une plainte et avoir accès à un recours efficace. Peut-être que cela pourrait ressembler au commissaire aux langues officielles, qui peut infliger une amende lorsque les gens déposent une plainte.
Je suis désolé, ce n’est pas vraiment une question; ce sont plutôt des devoirs. Merci de votre aide.
Le président : Le sénateur a formulé ses demandes; si vous pouviez nous fournir de l’information, cela nous serait utile.
La sénatrice Simons : Nous avons parlé des renseignements personnels sur nos appareils, mais je voulais qu’on discute des renseignements professionnels, que tant de personnes transportent avec elles de nos jours. Des groupes de juristes nous ont posé des questions, parce qu’ils s’inquiétaient du secret professionnel de l’avocat, et ils nous ont demandé de modifier le projet de loi afin d’ajouter une exemption spécifique aux documents protégés par le secret professionnel de l’avocat. Mais il y a toutes sortes d’autres professionnels qui pourraient avoir sur eux des documents professionnels, par exemple des médecins, des conseillers, des psychologues ou des travailleurs sociaux, et à toutes les autres personnes dont la vie privée pourrait être violée, même lorsque ce n’est pas elles qui voyagent.
Pourriez-vous formuler des commentaires pour nous dire si, selon vous, c’est quelque chose qui devrait être ajouté en modifiant le libellé du projet de loi, ou plutôt quelque chose qui devrait faire partie du règlement?
Me McDermott : Je pourrais tout d’abord dire que vos préoccupations sont légitimes. Je suis membre du Barreau de la Colombie-Britannique, et notre organe directeur nous conseille toujours, quand nous devons traverser la frontière et revenir au Canada, d’avoir avec nous une lettre du ministre de la Sécurité publique à remettre à l’agent des services frontaliers qui indique qu’il doit respecter le secret professionnel de l’avocat, parce que nous savons qu’il y a beaucoup, beaucoup de cas où le secret professionnel de l’avocat n’est pas respecté.
C’est donc extrêmement préoccupant, en ce qui concerne les renseignements personnels sur la santé, parce qu’ils ne suscitent pas le même niveau de privilège juridique, et même cela, nous savons que ce n’est pas appliqué et respecté correctement à la frontière
Vous aviez demandé s’il serait possible de créer une loi ou de prescrire des règles pour renforcer tout cela d’une façon ou d’une autre, pour veiller à ce que les agents de l’ASFC et les contrôleurs respectent ces exigences. Je suis convaincue que c’est une bonne idée. Quand quelque chose fait partie de la loi, elle a une force juridique plus contraignante. C’est plus visible pour les gens; ils savent quels sont leurs droits, et les choses sont toujours plus claires.
Cependant, une autre chose qui pourrait être faite, c’est de mettre en œuvre des mesures de contrôle très strictes relativement à l’information à laquelle on accède, quand aucune infraction réglementaire n’est constatée. On nous a dit de nombreuses fois qu’on allait seulement envahir la vie privée dans la mesure où cela permet de savoir si la personne a des marchandises non déclarées ou des images d’agressions sexuelles envers des enfants. Dans le cas contraire, quelle justification y a-t-il pour conserver l’information?
Oui, c’est inacceptable que des agents puissent avoir accès à des renseignements personnels sur la santé ou fassent fi du secret professionnel de l’avocat, mais si nous reconnaissons qu’il y a parfois des erreurs et qu’on ne peut pas prévoir des règles ou des mesures de protection techniques pour absolument tous les types d’information qu’un agent pourrait voir à la frontière, alors nous recommanderions d’ajouter à la loi une mesure de protection selon laquelle il est clair que les agents doivent détruire tous ces renseignements. Même si c’est dans leurs notes, ils doivent détruire leurs notes si elles contiennent des renseignements personnels sur la santé, de l’information visée par le secret professionnel de l’avocat ou tout autre type d’information personnelle dont nous avons parlé.
Le président : D’accord. Merci beaucoup.
La sénatrice Boniface : Merci encore aux témoins.
L’un des points que je voulais soulever concerne les références au seuil. On présume que ce sera plus difficile, parce qu’il n’a jamais été éprouvé. Je peux faire un lien avec la conduite avec facultés affaiblies, parce que nous avons étudié cela il y a quelques années ici. Le même argument avait été présenté, soit qu’on avait un seuil qui n’avait jamais été éprouvé. Mais la loi avait été mise à l’essai, et on a conclu qu’elle était valide, compte tenu du seuil établi.
Ai-je raison de dire que c’est un facteur, mais pas le seul facteur, qui devrait être pris en considération, et que ce n’est pas simplement parce qu’un seuil n’a jamais été éprouvé qu’on ne doit pas l’utiliser? Parce qu’à mon avis, les gouvernements ont le droit de mettre un seuil en place, et l’arrêt Canfield a ouvert la porte à cela.
Je comprends pourquoi vous dites que c’est important, dans une optique de contestation, mais ce n’est pas une raison de ne pas le faire. Ai-je raison? Madame McPhail, peut-être pourriez-vous répondre, parce que j’ai une autre question pour vous ensuite.
Mme McPhail : Oui. Le gouvernement a absolument le droit de prendre des décisions à propos des seuils, et aussi de créer de nouveaux seuils. Mais nous espérons que, s’il le fait, il prendra en considération le droit à la vie privée des gens dans tout le Canada et cherchera à atteindre le bon équilibre. Notre position est que, même si le gouvernement a le droit de créer ce nouveau seuil, dans ce cas précis, le résultat est déséquilibré.
La sénatrice Boniface : Merci. Je suis contente que nous ayons pu éclaircir cela.
Il est ressorti, de votre discussion avec le sénateur Yussuff, qu’il était difficile d’élaborer des lois, des règlements et des politiques. Nous le voyons dans toutes les interventions gouvernementales, qu’il s’agisse d’agents de police, d’agents des douanes ou d’autres personnes. La loi, c’est le cadre, puis, pour la mise en œuvre, souvent c’est « l’orientation fournie dans le règlement, c’est la loi », et ensuite, il y a des politiques qui donnent une orientation plus générale sur la façon dont tout cela est exécuté.
Donc, il faut aussi atteindre un certain équilibre, quand on crée un nouveau régime, comme c’est le cas ici. Est-ce que mon interprétation est bonne?
Mme McPhail : Oui. Ce que nous conseillons, ou notre position, c’est que les principes fondamentaux que vous voulez protéger doivent figurer dans la loi elle-même, et dans ce cas-ci, cela devrait comprendre certains principes fondamentaux de la protection des renseignements personnels, mais en tenant compte des préoccupations légitimes en matière de sécurité nationale. Ensuite, comme vous l’avez très bien dit, on énonce les détails de la mise en œuvre dans la réglementation, et c’est approprié.
La sénatrice Boniface : Merci de cet éclaircissement. Merci à tous les témoins d’être ici.
Le sénateur Yussuff : De façon générale, on accepte qu’il y ait moins de mesures pour protéger les renseignements personnels à la frontière. Dans ce contexte, est-ce que cela complique beaucoup la tâche d’essayer de déterminer quel est le niveau dont nous avons besoin, pour que tout le monde se sente à l’aise? J’inviterais n’importe lequel des témoins à répondre.
Mme McPhail : C’est parce qu’il y a des attentes moins élevées en matière de protection des renseignements personnels à la frontière que nous sommes unanimement d’accord avec la norme des motifs raisonnables de soupçonner, une norme beaucoup plus faible que ce qui serait acceptable, je crois, pour n’importe lequel de nos groupes dans des affaires criminelles, à l’extérieur du contexte frontalier. Nous croyons que, par compromis, c’est le plus bas niveau qui offre aussi une protection raisonnable à tous les gens au Canada, tout en offrant un certain niveau de flexibilité à la frontière.
Le sénateur Yussuff : Lundi, nous avons posé beaucoup de questions sur le problème du profilage racial. Le ministre, et aussi ses collègues, a dit qu’ils étaient en train de mettre sur pied un nouvel organisme qui sera désormais chargé de surveiller la GRC et l’ASFC. Cet organisme, bien sûr, va recueillir des données. Est-ce que ces données devraient être publiées annuellement afin que nous puissions comprendre ce qu’elles révèlent, et plus important encore, si le problème du profilage racial a reculé ou s’il est toujours au même niveau? Nous avons vu, dans le passé, que les plaintes déposées contre l’ASFC l’ont obligée à modifier un grand nombre de ses pratiques, y compris ses pratiques d’embauche, qui déterminent qui travaille effectivement pour les services frontaliers au Canada.
Je ne m’adresse pas à un témoin en particulier. Vous êtes des experts, alors je vous la pose à tous les trois.
M. McSorley : Rapidement, ce serait très important que de nouvelles dispositions soient ajoutées, particulièrement en ce qui concerne la publication d’informations ventilées selon la race. L’un des problèmes que nous avons déjà cernés dans le projet de loi C-20 est que, même s’il semble exiger que cette information soit communiquée, cela concerne seulement l’information liée aux plaintes soumises à la commission, ce qui veut dire que, dans les faits, il n’y a pas d’exigence pour que l’information sur les activités d’application de la loi et les actions des agents de l’ASFC soient publiées.
C’est seulement si une personne fait l’effort de déposer une plainte que l’information nécessaire sera recueillie et que l’on pourra communiquer les données, mais cela ne montrera pas comment l’ASFC applique concrètement ces politiques. Ce serait très important de changer cela.
Déjà en 2011, la Commission canadienne des droits de la personne réclamait que les organismes de sécurité nationale publient leurs données ventilées selon la race, et nous attendons encore.
Le président : Est-ce que les deux autres témoins aimeraient faire des commentaires en réponse à cette question?
Me McDermott : Je dirais moi aussi que c’est extrêmement important. Le gouvernement provincial, ici en Colombie-Britannique, vient tout juste de présenter toute une loi sur la collecte et la publication des statistiques à partir de données ventilées selon la race. C’est un facteur important dont il faut discuter, et je sais que c’est quelque chose de nouveau.
Je partage la préoccupation de M. McSorley. Je sais qu’au bout du compte, on va devoir composer avec ce qu’il y a dans le projet de loi C-20, mais cela ne devrait pas empêcher votre comité ou même le Sénat au complet d’appuyer les modifications à cette loi, pour clarifier ou renforcer ce genre d’obligation en ce qui concerne la collecte et la communication de données, pour déceler et régler les problèmes de discrimination que cette loi pourrait entraîner ou qui existent déjà.
Mme McPhail : Très rapidement, si on discute de collecte de données sur la race, il faudrait consulter les groupes autochtones pour veiller à ce qu’on respecte la souveraineté des données autochtones, dans toutes les lois ou toutes les exigences.
Le président : Merci beaucoup.
Le sénateur Wells : Je pose ma question à tous les témoins, alors répondez si vous le voulez. Le gouvernement a laissé entendre que la Cour d’appel de l’Alberta a refusé d’imposer la norme des motifs raisonnables de soupçonner à la frontière, donc que la cour a sous-entendu que la norme des motifs raisonnables de soupçonner est peut-être un seuil trop élevé à la frontière. J’aimerais savoir si les témoins croient que cette interprétation du gouvernement est juste, ou s’il s’agit bien du point de vue juridique de la cour?
Mme McPhail : Il y a toujours toutes sortes de façons d’interpréter les décisions juridiques. Notre interprétation est que la cour a agi de façon appropriée, pour ne pas paraître trop militante, en laissant la décision au gouvernement. C’est le devoir du gouvernement de décider du seuil approprié, et — je sais que nous nous répétons — nous croyons que cela devrait être la norme des motifs raisonnables de soupçonner.
Le sénateur Wells : Une question complémentaire, rapidement : si j’ai bien compris les recommandations des témoins, la norme des « motifs raisonnables de soupçonner » serait la plus raisonnable. Lundi, le ministre a déclaré catégoriquement que cela compromettrait l’intégrité de la frontière. Pourquoi n’êtes-vous pas d’accord avec cette position? Oui, maître McDermott?
Me McDermott : Eh bien, l’une des raisons pour laquelle je la rejette, c’est à la lumière de la situation actuelle en Alberta et en Ontario, où nous pouvons voir les effets de cette décision. Ces provinces ont souligné que le nombre d’examens a beaucoup diminué, de moitié, je crois, et pourtant, rien ne montre que cela a compromis l’intégrité de la frontière, la sécurité publique ou les efforts pour protéger la sécurité du Canada. On avait aussi évoqué des motifs économiques, en disant que les gens n’allaient pas déclarer leurs marchandises et que cela allait causer un préjudice économique, mais encore une fois, rien ne montre que cela a nui à nos intérêts et à nos considérations.
Le fardeau incombe au gouvernement de montrer que cette mesure est proportionnelle à la menace, et pour l’instant, il y a une espèce de vide dans deux très grandes provinces. Je sais que la COVID a réduit les déplacements, mais ils remontent en flèche. J’aurais pensé qu’en donnant des tendances ou des données claires, ils auraient pu montrer que cela a eu des répercussions défavorables sur la capacité de protéger la frontière et de veiller à ce que les marchandises soient déclarées correctement.
Le fardeau incombe au gouvernement. Quand le gouvernement veut empiéter sur nos droits, il doit présenter ce type de données probantes devant un tribunal, et j’espère qu’il aura à présenter ce genre d’information au public et aux parlementaires pour imposer des normes comme celles-ci.
Le sénateur Wells : Merci.
Le président : Merci, maître McDermott. Voilà qui met fin à notre temps avec ces témoins. Je tiens à vous remercier tous les trois — Me McDermott, M. McSorley et Mme McPhail — de nous avoir fait profiter de votre expertise, de vos connaissances et de votre expérience. Vous nous avez aidés considérablement. Je veux aussi remercier mes collègues d’avoir posé des questions qui ont fait ressortir toute leur compétence. Merci tout le monde, et bonne journée. Nous allons passer à la prochaine partie de notre réunion.
M. McSorley : Merci.
Mme McPhail : Merci beaucoup.
(La séance se poursuit à huis clos.)