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SECD - Comité permanent

Sécurité nationale, défense et anciens combattants


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE LA SÉCURITÉ NATIONALE, DE LA DÉFENSE ET DES ANCIENS COMBATTANTS

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le lundi 30 octobre 2023

Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants se réunit aujourd’hui, à 15 heures (HE), avec vidéoconférence, pour poursuivre l’étude du projet de loi C-21, Loi modifiant certaines lois et d’autres textes en conséquence (armes à feu).

Le sénateur Tony Dean (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants. Je m’appelle Tony Dean. Je représente l’Ontario et je suis président du comité. Je suis accompagné aujourd’hui d’autres membres du comité, que je vais inviter à se présenter, en commençant par le vice-président, à ma droite.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Cardozo : Andrew Cardozo, de l’Ontario.

La sénatrice Anderson : Margaret Dawn Anderson, Territoires du Nord-Ouest.

La sénatrice Pate : Kim Pate. J’habite ici, sur le territoire non cédé du peuple algonquin Anishinaabe. Merci de vous joindre à nous.

La sénatrice Dasko : Donna Dasko, sénatrice de l’Ontario.

Le sénateur Yussuff : Hassan Yussuff, sénateur de l’Ontario.

La sénatrice M. Deacon : Marty Deacon, sénatrice de l’Ontario.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Julie Miville-Dechêne, du Québec.

[Traduction]

Le président : Merci, chers collègues. À ma gauche se trouve la greffière du comité, Ericka Dupont.

Je dirai à ceux qui suivent nos délibérations que nous poursuivons l’étude du projet de loi C-21, Loi modifiant certaines lois et d’autres textes en conséquence (armes à feu).

Aujourd’hui, nous entendrons cinq groupes de témoins, soit des universitaires, des chercheurs et des représentants d’organisations de contrôle des armes à feu et de lutte contre la violence.

Au cours de la séance, nous allons discuter de sujets liés à la violence armée. Ce pourrait être troublant, tant pour ceux qui sont dans la salle avec nous que pour ceux qui nous regardent et nous écoutent à la maison. Si quelqu’un a besoin de soutien, des services sont offerts en tout temps, sans frais, par l’intermédiaire d’Espace mieux-être Canada, au 1-866-585-0445, si vous souhaitez parler à quelqu’un. Je répète le numéro : 1-866-585-0445.

Nous rappelons aux sénateurs et aux employés du Parlement que le Programme d’aide aux employés et à la famille du Sénat est à leur disposition et qu’il offre des services de counselling à court terme pour les problèmes personnels liés au travail ainsi que des services de counselling en situation de crise.

Voici le premier groupe de témoins. Nous avons le plaisir d’accueillir Pamela Palmater, professeure et présidente, Gouvernance autochtone, Université métropolitaine de Toronto, et A. J. Somerset, auteur et expert en la matière. Nous accueillons aussi, par vidéoconférence, Emma Cunliffe, ancienne directrice, Politiques et recherche, Commission des pertes massives, et professeure, Allard School of Law, Université de la Colombie-Britannique.

Merci à vous tous de vous joindre à nous.

Nous vous invitons à faire votre déclaration liminaire, après quoi les membres du comité vous poseront des questions. Je vous rappelle que vous avez chacun cinq minutes pour faire votre déclaration.

Nous commençons par Mme Palmater. Madame Palmater, vous pouvez commencer dès que vous serez prête.

Pamela Palmater, présidente, Gouvernance autochtone, Université métropolitaine de Toronto, à titre personnel : Merci beaucoup. Merci de m’avoir invitée. Wela’lin

Il s’agit d’une question très importante pour moi, tant sur le plan personnel, vu mon travail de défense des droits, que sur le plan de mes recherches. Depuis 15 ans, je m’occupe des questions liées à la sécurité nationale et fais des recherches à ce sujet. Je me concentre sur la criminalité et la corruption dans les services de police, mais aussi sur les groupes nationalistes blancs d’extrême droite, ainsi que sur le lien entre les groupes haineux et la violence armée, d’une part, et ceux qu’ils mettent en danger, d’autre part.

Aux États-Unis et au Canada, les menaces de l’intérieur proférées par des groupes nationalistes blancs qui répandent la haine, incitent à la violence, tant en personne dans leurs tout petits groupes qu’en ligne, sont à la hausse au Canada. On considère qu’il s’agit d’une menace intérieure, tant au Canada qu’aux États-Unis. Ce mouvement a pris de l’ampleur si rapidement que nous sommes nombreux à penser que le gouvernement n’est pas très bien préparé à affronter la situation. Le contrôle des armes à feu est l’un des problèmes, car les armes à feu constituent une grave menace pour la sécurité publique, mais aussi pour la sécurité nationale.

Le mouvement nationaliste blanc se dissimule parfois derrière ce qu’on appelle le mouvement populiste, et parfois ses éléments se qualifient de conservateurs d’extrême droite, mais ils s’alignent souvent sur le lobby des armes à feu lui-même.

On se retrouve devant un ensemble de dirigeants nationalistes blancs qui se disent aussi opposés à la vaccination, attachés à la liberté d’expression et favorables à la police. Le mouvement regroupe une foule de gens bien différents.

Nous savons maintenant que cette mouvance s’est malheureusement infiltrée dans les forces de l’ordre et l’armée. Deux types de menaces pèsent ainsi sur la sécurité nationale. Ces gens sont souvent à l’arrière-plan et font de l’agitation en faveur des pipelines, de la liberté de choix, des armes, mais ils sont aussi contre l’immigration, les vaccins, le féminisme et les Autochtones. Selon toutes les données que nous avons recueillies sur ces cellules au Canada, elles attisent la violence contre divers groupes.

Il se peut qu’un groupe soit contre les musulmans et un autre contre les femmes ou encore la communauté noire.

Le dénominateur commun de toutes ces cellules est qu’elles sont opposées aux Autochtones. Les armes à feu, notamment, représentent une menace particulière pour les peuples autochtones, et la question des femmes et des filles autochtones assassinées ou disparues en témoigne.

Des segments de la société, comme ceux qui se livrent à la traite des personnes et, évidemment, les trafiquants de drogue et les gangs ciblent les peuples autochtones, mais aussi les femmes autochtones.

Nous savons tous que les armes à feu sont les armes de prédilection, surtout celles qui sont à munitions multiples, automatiques et semi-automatiques, et qui causent des pertes massives dans les écoles, les universités, les églises et au cours d’autres tueries, un peu à l’image de ce qu’on a vu en Nouvelle-Écosse, malheureusement.

Nous avons aussi le plus haut niveau d’extrémisme en ligne au monde. Sous l’angle des ressources auxquelles cela donne accès, on ne peut sous-estimer le lien entre l’extrémisme en ligne et les groupes haineux blancs et la violence liée aux armes à feu, et leur étroite association au lobby des armes à feu. Ces gens peuvent s’adresser aux tribunaux et contester toutes les mesures, alors que, souvent, les victimes de violence n’ont pas ces moyens.

Il y a une différence par rapport aux groupes terroristes classiques, qui ont tendance à être plus importants, plus identifiables et à être remarqués aux fins de l’application des lois antiterroristes, alors que les petits groupes sont beaucoup plus difficiles à repérer dans le brouhaha de la haine en ligne. C’est pourquoi je suis en faveur de l’imposition de limites importantes à l’achat d’armes et au nombre d’armes. Je préconise également une vérification approfondie, détaillée, suivie et répétée des antécédents de tout le monde, et d’une vérification qui ne se limite pas aux antécédents criminels, mais porte aussi sur des détails comme l’incitation à la violence en ligne, la maltraitance de l’ex-conjoint et d’autres choses.

Je suis également en faveur de la confiscation au moins provisoire des armes lorsque des hommes sont accusés de crimes violents, y compris de violence conjugale, par exemple, et je crois que nous aurions pu faire beaucoup diminuer le nombre de victimes en Nouvelle-Écosse si ces mesures avaient été en place.

Le président : Merci beaucoup, madame Palmater.

Nous allons maintenant entendre Mme Cunliffe. Dès que vous serez prête, madame Cunliffe.

Emma Cunliffe, ancienne directrice, Politiques et recherche, Commission des pertes massives et professeure, Allard School of Law, Université de la Colombie-Britannique, à titre personnel : Je remercie beaucoup les membres du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants de m’avoir invitée à m’adresser à eux aujourd’hui. Je tiens d’abord à souligner que je me trouve sur les territoires ancestraux traditionnels et non cédés des peuples Musqueam, Tsleil-Waututh et Squamish, dans la ville que nous appelons Vancouver.

Comme le président l’a dit, je suis professeure de droit à l’Université de la Colombie-Britannique. J’ai également eu l’honneur d’être directrice des politiques et de la recherche à la Commission des pertes massives. Je ne parle pas aujourd’hui au nom des commissaires, mais je vais attirer l’attention du comité sur certains éléments clés de leur rapport final et vous faire part de ce que j’ai appris en ma qualité de directrice des politiques et de la recherche de la commission.

Les décrets du conseil mettant sur pied la commission chargeaient les commissaires d’examiner divers sujets, notamment l’accès aux armes à feu, la réponse de la police aux signalements de possession d’armes à feu prohibées et la coordination entre les organismes d’application de la loi, y compris les responsables du Programme canadien des armes à feu et l’Agence des services frontaliers du Canada.

On a demandé aux commissaires d’accorder une attention particulière aux groupes et aux personnes qui ont été touchés de façon particulière par les pertes massives ou qui pouvaient être touchés de façon différente par leurs recommandations, l’objectif énoncé étant de cerner les enseignements retenus et de formuler des recommandations qui pourraient aider à prévenir des incidents semblables à l’avenir et à mieux intervenir.

Pour s’acquitter de leur mandat, les commissaires ont étudié de près les recherches empiriques sur la réglementation des armes à feu, y compris l’efficacité des mesures prises dans d’autres pays en réaction aux fusillades de masse. Ils ont étudié attentivement les éléments particuliers de la culture rurale canadienne, comme les armes à feu, la chasse et les droits et titres autochtones.

Les rapports d’experts commandés ont bénéficié des témoignages et des mémoires de participants, notamment l’Association canadienne des armes à feu, la Coalition canadienne pour le droit des armes à feu et la Coalition canadienne pour le contrôle des armes à feu, ainsi que des organisations féminines qui luttent contre la violence. Les commissaires ont convoqué des groupes d’experts et organisé avec des intervenants des discussions sur ces sujets.

Honorables sénateurs, vous pouvez prendre connaissance, au chapitre 13 du volume 4 du rapport final, des éléments clés des conclusions et des recommandations des commissaires. Ceux-ci ont également abordé des aspects précis de la culture rurale des armes à feu au chapitre 2 du volume 4 et parlé des recherches plus générales sur les fusillades de masse au chapitre 7 du volume 3.

Les commissaires ont conclu, comme d’autres l’ont fait, que la réglementation des armes à feu donne lieu à un clivage de plus en plus marqué au Canada. La loi canadienne dispose clairement que le droit de porter des armes n’existe pas au Canada et que la possession d’une arme à feu est un privilège susceptible d’être soigneusement réglementé dans l’intérêt de la sécurité publique et d’être révoqué au besoin.

Les commissaires ont conclu que les preuves les plus solides montrent de façon convaincante que l’interdiction des armes de poing dans la plupart des cas et l’interdiction des armes d’épaule à percussion centrale et semi-automatiques ont entraîné, dans d’autres administrations, une baisse statistiquement significative du taux d’homicides par balle; du taux global de décès par arme à feu, y compris le suicide; de la fréquence des incidents mettant en cause des armes à feu, et de la létalité des incidents causant des pertes massives. Ces données sont statistiquement solides et emportent l’adhésion.

Les commissaires ont également trouvé un ensemble très important, voire renversant, de preuves qui établissent des liens solides entre la violence armée, la violence entre partenaires intimes, la violence fondée sur le sexe et les incidents causant des pertes massives. Dans l’incident qui a fait un grand nombre de victimes en Nouvelle-Écosse aussi bien que, de façon terrible, dans l’incident qui s’est produit la semaine dernière à Sault Ste. Marie, il apparaît que de lourds antécédents de violence entre partenaires intimes et de violence familiale, conjugués à des préoccupations au sujet de l’accès aux armes à feu, ont mené à des pertes massives au Canada. Ce sont deux exemples récents frappants. Ils sont loin d’être les seuls. Il y a encore les féminicides survenus dans le comté de Renfrew. Les commissaires ont relevé une continuité très nette entre la misogynie et la violence entre partenaires intimes, la violence fondée sur le sexe et la violence armée.

Les commissaires ont spécialement étudié l’argumentaire voulant que la réforme des lois sur les armes à feu en réponse à ces incidents soit opportuniste ou exploite les victimes de ces crimes. Ils ont constaté que dans la très grande majorité des cas, les réformes sont rationnelles et qu’elles comblent de façon rationnelle les lacunes et les faiblesses de la réglementation et de l’application de la loi qui ont été relevées lors d’incidents comme les tueries massives en Nouvelle-Écosse ou à Sault Ste. Marie.

Le projet de loi C-21 donne suite à bon nombre des recommandations formulées par les commissaires. Ses dispositions doivent s’accompagner d’autres mesures, dont je me ferai un plaisir de parler pendant la période des questions.

Je vous remercie, honorables sénateurs, de votre attention.

Le président : Merci, madame Cunliffe.

Enfin, voici M. Andrew Somerset. Veuillez commencer dès que vous serez prêt.

A.J. Somerset, auteur et expert en la matière, à titre personnel : Merci. Je m’intéresse surtout à la rhétorique de la politique des armes à feu et aussi aux justifications de la possession d’armes à feu.

Un changement s’est produit dans la culture des armes à feu en Amérique du Nord — au Canada et aux États-Unis — en ce qui concerne les raisons d’avoir des armes à feu. Dans les années 1990, seulement 6 % des Canadiens disaient posséder ces armes pour se défendre. Selon un récent sondage effectué pour Sécurité publique Canada, la proportion se situe maintenant entre 24 à 30 %. Il y a eu un vif regain d’intérêt pour la possession d’armes à feu dans le but, essentiellement, de tirer sur des gens. Cela s’accompagne d’un changement — je rappelle que cela vaut pour l’ensemble de l’Amérique du Nord — vers la possession d’armes d’assaut et d’armes de poing. Voilà les secteurs de croissance de l’industrie des armes à feu.

Je viens d’utiliser l’expression « arme d’assaut ». Je vais prendre un instant pour définir cette notion, car c’est un objet de litige. Les armes d’assaut ou les armes à feu de type arme d’assaut désignaient par le passé une catégorie d’armes à feu conçues pour avoir l’air militaire. Elles ont des caractéristiques militaires, comme des poignées de pistolet, etc., et elles plaisent à ceux qui aiment ce genre de choses. Ils aiment l’aspect militaire.

Ce qui mène certains à déplorer que les efforts déployés pour réglementer les armes d’assaut portent uniquement sur l’apparence, puisqu’il existe des armes qui ont les mêmes caractéristiques fonctionnelles et font les mêmes choses, mais ne sont pas ciblées. Pourquoi ne s’en prendre qu’aux armes d’apparence militaire?

C’est l’approche qui a été retenue en Californie, par exemple, pour essayer de définir les caractéristiques esthétiques. C’est une approche erronée. Nous devrions nous concentrer sur la fonction et non sur l’apparence.

La fonction est facile à décrire. Premièrement, ces armes sont semi-automatiques. Elles permettent à un tireur inexpérimenté de tirer plus rapidement qu’avec une arme manuelle comme une arme à verrou. Elles sont dotées de boîtiers-chargeurs. Ainsi, un tireur inexpérimenté peut changer de chargeur et recharger l’arme en quatre secondes ou moins, ce qui est beaucoup plus difficile à faire s’il faut remplir le chargeur tubulaire d’un fusil une balle à la fois, par exemple. Les boîtiers-chargeurs facilitent également le transport d’une grande quantité de munitions.

Selon moi, ces caractéristiques des armes d’assaut sont inquiétantes sous l’angle de la sécurité publique. Ce sont les armes qui sont le plus utilisées dans les fusillades de masse et aussi dans les incidents de violence extrémiste. La violence extrémiste est souvent associée à ces fusillades de masse. Par exemple, la tuerie à la mosquée de Québec.

Les chargeurs eux-mêmes font aussi partie du problème. Au Canada, la difficulté réside dans le fait que nous avons imposé par voie législative une limite de cinq cartouches pour les chargeurs, mais que les chargeurs des armes d’assaut contiennent le plus souvent 30 cartouches mais ont été modifiés de façon à ne pouvoir en contenir plus de cinq, généralement par l’ajout d’un rivet qui empêche le plateau de bouger. N’importe qui peut modifier le chargeur à l’aide d’outils manuels et retrouver une capacité de 30 cartouches. Il suffit de quelques minutes. C’est également une préoccupation importante. Tous ceux qui participent au débat général sur les armes à feu reconnaissent que c’est là un problème.

Que pouvons-nous y faire? Nous ne pouvons pas empêcher les tueries. Elles sont inévitables, mais, au risque de répéter ce qui a déjà été dit, nous pouvons réduire la fréquence des incidents, le nombre de victimes et la gravité des préjudices causés aux blessés.

Bref, il est inutile de faciliter la tâche de ceux qui commettent des meurtres de masse. Nous pouvons prendre des mesures.

Au Canada, nous n’avons pas beaucoup d’exemples de fusillades de masse que nous pouvons utiliser, mais il est facile d’en trouver aux États-Unis.

Aux États-Unis, la fréquence et la gravité des fusillades de masse sont à la hausse depuis 2004, soit depuis l’expiration de l’interdiction fédérale des armes d’assaut. Au cours de la période d’interdiction de ces armes, soit de 1995 à 2004, il y a eu en moyenne 3,4 incidents par année et un total de 17,8 décès par année en moyenne. Au cours de la dernière période de dix ans, on en est maintenant à 6,1 incidents en moyenne et à 55,6 décès. Le nombre de morts a augmenté beaucoup plus que le nombre d’incidents. Nous constatons un plus grand nombre de morts par incident.

Selon des recherches récentes de 2019 aux États-Unis — je trouve cette information dans l’American Journal of Public Health —, le bilan des morts est de 62 % plus lourd lorsque le tireur a des chargeurs de grande capacité. La taille des chargeurs est effectivement un facteur important.

Le président : Merci, monsieur Somerset. Comme vous le savez, nous aurons le temps d’approfondir la discussion.

Passons maintenant aux questions. Les témoins sont là jusqu’à 15 h 55.

Nous ferons de notre mieux pour donner à chaque membre du comité le temps de poser une question. Les sénateurs ont donc quatre minutes pour chaque question, ce qui comprend la réponse. Je vais montrer cette carte pour signifier qu’il reste 30 secondes. N’est-ce pas impressionnant?

Je vous demande de poser des questions succinctes et de préciser le témoin auquel elles s’adressent.

Comme toujours, la première question revient au vice-président.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Vous venez de nous présenter une vision de la criminalité que vous attribuez globalement à l’homme blanc suprémaciste. Vous avez mentionné les militaires, les policiers. Je vais juste vous faire remarquer que j’ai été policier pendant 40 ans, mais je n’ai pas senti cela.

Cela dit, il y a eu 8 047 crimes par armes à feu au Canada en 2021. Pouvez-vous nous dire quelle proportion est attribuable aux suprémacistes qui sont en possession d’armes? Parce qu’il y a bien eu dans ce nombre des crimes familiaux, des règlements de compte du crime organisé, des accidents de chasse qui n’ont sûrement rien à voir avec les suprémacistes dont vous parlez.

[Traduction]

Mme Palmater : Merci beaucoup de votre question. Le problème, c’est le chevauchement entre ces groupes. Pensez à la discrimination et à l’intersectionnalité. Il ne faut pas s’en tenir uniquement à la race; il faut aussi tenir compte de la coexistence d’autres facteurs comme le genre et parfois le handicap. C’est la même chose pour ces groupes. Un groupe de suprémacistes blancs pourrait être associé à un groupe incel, qui pourrait avoir une alliance avec un groupe de trafiquants de drogue, un gang, un type qui commet des violences conjugales contre sa partenaire, par exemple, ou quelqu’un qui croit en tout cela et qui adhère librement. Ce qui est important, c’est le rayonnement et le recoupement.

Ce que nous avons dit, c’est que les organismes d’application de la loi ne se sont pas assez intéressés à ce recoupement, à ses répercussions et au nombre d’adeptes liés précisément à la violence armée dans ces groupes qui se recoupent.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Monsieur Somerset, le nombre de fusillades de masse qui surviennent chaque année aux États-Unis ne se compare définitivement pas à ce que nous avons connu au Canada au cours des dernières décennies, heureusement d’ailleurs. Quand les politiciens tentent d’introduire de nouveaux contrôles sur les armes à feu, avez-vous l’impression qu’ils regardent davantage ce qui se passe au sud de la frontière plutôt que de faire une évaluation véritable du comportement des Canadiens qui ont des armes à feu?

Croyez-vous qu’il serait possible de transformer le projet de loi C-21 pour en faire une législation qui serait acceptable des chasseurs et des propriétaires d’armes de tir tout en resserrant les contrôles sur la vente et la possession?

[Traduction]

M. Somerset : À propos du projet de loi C-21 et de ses conséquences pour les chasseurs, je dirai pour commencer que cette mesure ne change rien au statut des armes d’épaule au Canada. Les seules armes d’épaule qui seraient touchées par le projet de loi sont celles qui sont conçues et fabriquées après son entrée en vigueur. Les chasseurs ne sont pas aussi touchés qu’on le prétend dans certains des beaux discours que nous entendons.

Les récents sondages menés pour la sécurité publique par Environics et EKOS auprès des propriétaires d’armes à feu nous ont appris que, en fait, même si le lobby des armes à feu aime prétendre qu’il y a un bloc de 2,2 millions d’électeurs qui pensent tous de la même façon, environ 60 % des propriétaires d’armes à feu au Canada appuieraient des mesures visant à interdire les armes d’assaut.

Je reviens sur l’entrée en matière de la question. Je ne crois pas que le projet de loi soit nécessairement inacceptable pour l’ensemble des chasseurs au Canada. Il l’est pour une proportion relativement faible de propriétaires d’armes à feu qui utilisent les chasseurs comme bouclier et comme cri de ralliement.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Cette question s’adresse à Mme Cunliffe, qui est avec nous de façon virtuelle.

[Traduction]

Je vais poser la question en anglais pour que ce soit très clair.

La Commission des pertes massives a recommandé que le gouvernement fédéral modifie le Code criminel afin d’interdire les chargeurs de plus de cinq cartouches. Or, je crois comprendre que les règles visant les chargeurs autorisent la vente de chargeurs modifiables qui sont limités à cinq cartouches, mais qu’on peut facilement convertir pour leur redonner leur pleine capacité illégale. Plusieurs auteurs de fusillade l’ont d’ailleurs fait. Il peut même y avoir des chargeurs à tambour de 110 cartouches, si je comprends bien.

Selon vous, que devrait-on faire? Je sais que vous ne parlez pas au nom de la Commission des pertes massives, mais que pensez-vous de cette limitation à cinq cartouches qui coexiste avec une foule d’exceptions?

Mme Cunliffe : Je vous remercie, sénatrice, de cette importante question. C’est aussi une question que la Nouvelle-Zélande a dû se poser après le massacre survenu à la mosquée de Christchurch. La solution retenue par ce pays a été tout d’abord d’étendre la réglementation beaucoup plus clairement qu’auparavant aux chargeurs détachables et, deuxièmement, de réglementer la vente de chargeurs externes en n’autorisant que ceux qui ne peuvent pas être modifiés de cette façon. Il est toujours possible d’avoir un chargeur commutable, mais seulement un chargeur qui est vraiment limité à cinq cartouches et qui ne peut pas être modifié simplement en enlevant le percuteur, ce qui est, d’après ce que je comprends, la façon dont la réglementation est contournée à l’heure actuelle.

Vous avez tout à fait raison de dire que je ne parle pas au nom des commissaires. À mon avis, ce serait une mesure qui conviendrait au Canada.

La sénatrice Miville-Dechêne : Cela pourrait-il se faire par règlement ou au moyen du projet de loi à l’étude?

Mme Cunliffe : Je crois comprendre que la voie réglementaire est possible. L’intérêt du recours au projet de loi, c’est la clarté. Une chose très importante que nous avons entendue dans les témoignages à la Commission des pertes massives, c’est qu’il y a beaucoup d’incertitude au sujet de ce qui est légal et de ce qui ne l’est pas dans la société en général. Les commissaires ont entendu 35 membres de la collectivité qui savaient que l’auteur du crime possédait un arsenal, mais ignoraient pour la plupart si les armes étaient légales, s’il avait un permis, et ce qu’il fallait faire dans le cas contraire.

L’une de mes recommandations supplémentaires est qu’il faut faire l’impossible pour rendre les règlements clairs et faciles à appliquer. Cela en vaut la peine. De plus, il faut prendre tous les moyens de sensibiliser l’opinion pour que chacun comprenne ce qui est permis et ce qui ne l’est pas et sache reconnaître les irrégularités. Ce serait un effort très utile.

La sénatrice Miville-Dechêne : J’ai une brève question à poser sur la violence faite aux femmes et les armes à feu.

J’ai lu quelque part que s’il y a une arme ou une arme à feu dans la maison, c’est un facteur dont il faut tenir compte dans les cas de la violence. Est-ce vrai? J’essaie d’expliquer en anglais quelque chose de compliqué.

Mme Cunliffe : Je comprends. Deborah Doherty, chercheuse au Nouveau-Brunswick, a fait un travail extrêmement utile sur la violence armée dans les collectivités rurales, sur la violence entre partenaires intimes. Elle a vu un grand nombre de participants sur une période de bien des années. Elle a constaté que la crainte de la létalité chez les femmes et l’expérience de la létalité étaient multipliées par la présence d’armes à feu à la maison. Elle a également réussi à voir clair dans des enquêtes en milieu rural qui donnent à penser que les collectivités rurales s’opposent à une réglementation accrue des armes à feu. Elle a constaté qu’il s’agit d’un phénomène sexospécifique. Les femmes des collectivités rurales sont en faveur d’une réglementation plus stricte des armes à feu, tandis que les hommes s’y opposent en grande partie. Cela traduit une expérience différentielle de la violence personnelle. Rien que cela.

La sénatrice Miville-Dechêne : Intéressant. Merci.

Le sénateur Cardozo : Merci. Ma question s’adresse à Mme Palmater. Je suis étonné de vous entendre dire que l’extrémisme en ligne est très répandu au Canada. C’est profondément troublant. Pouvez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet?

Vous avez parlé de groupes multiples. Je me demande s’il s’agit parfois des mêmes personnes qui adhèrent à des groupes dont le message varie. Diriez-vous que l’hostilité envers les LGBTQ, envers les droits des personnes trans, est au centre de leur dernière bataille en date? Quel est le lien entre tout cela et l’utilisation des armes à feu?

Mme Palmater : Vous avez raison. L’étude internationale réalisée sur l’extrémisme en ligne distingue différents niveaux. C’est en ligne qu’on recrute, désinforme, propage la peur et les théories complotistes, explique comment fabriquer des armes ou les modifier, indique où s’en procurer. Il y a ensuite l’incitation à la violence. Il n’y a pas que des gens, comme des incels, qui disent détester les femmes, par exemple. Il y a aussi des propos comme ceux-ci : « Voilà ce qui devrait leur arriver, si quelqu’un trouvait le courage. Connaissez-vous quelqu’un qui a une arme d’assaut? Pensez au nombre qu’on pourrait descendre. » Ou encore : « La prochaine fois que nous irons à Ottawa et qu’ils essaieront d’imposer des vaccins, apportons des armes. ». Un peu comme cela s’est fait à la frontière de l’Alberta pendant tout le convoi de la liberté. Ce n’est pas une simple opinion. C’est une opinion conjuguée à une incitation à la violence. Et le Canada a le plus fort engagement international en ligne avec l’extrémisme de droite, qui n’est évidemment pas le seul fait des groupes haineux blancs. Dans presque tous les cas, ils sont liés d’une façon ou d’une autre à ce qui relève de cette catégorie. Certains sont des néonazis, d’autres sont des membres du KKK, d’autres sont des groupes d’incels, d’autres sont contre tout ce qui n’est pas homme blanc, par exemple.

Cela pose un problème parce que les jeunes sont recrutés dans ces forums en ligne. Les enfants sont incités à la violence. Ils ne sont pas soumis au même contrôle parce que ce ne sont pas des adultes qui utilisent des armes à feu et qui réclament un fusil de chasse ou une arme d’assaut. Voilà ce qu’ils deviennent.

Le sénateur Cardozo : Pourquoi le Canada? D’une certaine façon, nous nous considérons comme une société libérale, ouverte d’esprit. S’agit-il d’un ressac ou y a-t-il un autre facteur qui nous vaut de figurer sur cette liste?

Mme Palmater : Il y a une multitude de facteurs. Premièrement, le nombre d’organismes d’application de la loi au Canada qui font un suivi détaillé de tout cela et de tous les facteurs liés à l’influence du groupe, de tous les chevauchements, de toutes les menaces, qui ne se limitent pas à la sécurité publique, qui a son importance. Nous ne voulons pas de pertes massives, nous ne voulons pas que certains transforment des camions en véhicules béliers et foncent sur des gens dans les rues. Mais nous voulons aussi savoir quelle menace pèse sur la sécurité nationale dans ces groupes lorsque des gens qui ont ces opinions participent à ces tribunes de façon libre et travaillent en même temps dans le domaine de l’application de la loi ou dans l’armée, ou occupent un poste de gestion des urgences en sécurité publique. C’est une menace à la sécurité nationale. On ne s’y intéresse pas assez.

Le Canada tarde à considérer les groupes haineux blancs comme une menace de terrorisme intérieur et une voie vers la violence armée. Des Autochtones ont été tués par des suprémacistes blancs. Leo LaChance a été tué. Prenez le racisme rural — il n’a pas de lien avec les groupes haineux blancs, mais les sentiments sont les mêmes. Que s’est-il passé lorsque Colten Boushie, non armé, a été abattu à bout portant? Quelle a été la réaction des agriculteurs? « Armons-nous davantage. Descendons-les. Tuons-les et mettons-les six pieds sous terre. » C’est ce genre d’incitation à la violence qui en pousse certains à faire des choses qu’ils ne feraient pas s’ils n’avaient pas ce groupe de soutien. Le Canada, où le phénomène est le plus important au monde, devrait nous préoccuper davantage, mais nous nous intéressons aux États-Unis au détriment de notre pays.

Le sénateur Cardozo : Merci.

La sénatrice Dasko : Je remercie les témoins d’être là.

Madame Palmater, votre description des divers groupes qui se recoupent me fait penser à un énorme diagramme de Venn où il y a différents chevauchements. Je voudrais connaître le pourcentage de Canadiens dans chacun des chevauchements d’un diagramme de Venn. Vous avez peut-être ces données quelque part. C’est ce qui m’est venu à l’esprit en vous écoutant, car il ne s’agit pas d’un groupe uniforme. Il y a des mélanges et des chevauchements, par opposition à un seul grand groupe. Il y a des recoupements. Quoi qu’il en soit, c’est un peu un élément accessoire du débat.

Je voudrais approfondir vos observations sur les vérifications des antécédents relativement aux armes à feu. Vous avez dit être en faveur de ces vérifications. Avez-vous une idée des lacunes qu’elles comportent? Je ne sais si vous avez fait des recherches dans ce domaine, mais qu’est-ce qui manque? Qui pourrait être responsable? Que devrions-nous faire? Le projet de loi s’attaque-t-il à ce problème ou nous y attaquons-nous d’une façon ou d’une autre?

Mme Palmater : Ce sont de bonnes questions. Avant de parler des vérifications des antécédents, un mot de l’extrémisme de droite et de son lien avec les groupes haineux blancs. Il est évident que les extrémistes de droite s’adressent à des groupes de jeunes sur les médias sociaux. Ils s’emparent d’un problème qui contrarie les Canadiens, par exemple l’inflation, et ils proposent une solution simpliste qui correspond à leurs visées. C’est ainsi qu’ils attirent une clientèle. C’est ainsi que bien des antivax sont soudain devenus favorables aux armes à feu, alors qu’ils n’en parlaient pas jusque-là, ou antimusulmans, par exemple.

Pour ce qui est de la vérification des antécédents, je déteste l’expression, car j’estime que nous ratons des possibilités de prévention. Dans le milieu social ou à l’occasion d’interventions médicales, nous devrions toujours appliquer le principe de précaution. Combien d’occasions ou d’étapes avons-nous pour déceler un problème? Est-ce seulement au point de vente? Je dirais que c’est un moment isolé dans la vie d’une personne. Qu’arrive-t-il lorsqu’une plainte de violence familiale est déposée? Pourquoi ne pas faire des vérifications dans ce cas-là, et pas seulement au sujet de la criminalité, pas seulement au sujet des accusations criminelles. Il faut voir si les gens sont actifs sur les tribunes en ligne, incitant les gens à foncer sur des passants avec des véhicules ou à les descendre avec des armes à feu? Faites-vous ce genre de chose? Avez-vous commis contre d’autres personnes des actes de violence qui n’ont peut-être pas fait l’objet d’accusations, qui ont pu être réglées? Y a-t-il eu une poursuite civile au sujet de menaces de violence armée, par exemple, l’affaire étant traitée au civil et non au pénal? Nous n’avons pas de vérification des antécédents assez large et nous ne la faisons pas à diverses étapes. Il faudrait refaire la vérification de façon constante. Celui qui a acheté une arme à feu peut être bien différent 10 ans plus tard.

La sénatrice Dasko : Cela signifie qu’il faut refaire périodiquement des vérifications au sujet de personnes qui ont un permis d’arme à feu?

Mme Palmater : Oui.

La sénatrice Dasko : Le projet de loi va-t-il régler ce problème, fût-ce par le biais d’autres dispositions? Faut-il une intervention à part?

Mme Palmater : Le projet de loi, c’est déjà quelque chose. C’est mieux que rien. Comme Mme Cunliffe l’a dit, nous pouvons l’étoffer au moyen de règlements, mais je pense qu’il faut en faire plus.

Le sénateur Yussuff : Je remercie les témoins d’être là. Je vais commencer par Mme Cunliffe.

À propos du rapport sur les pertes massives et, bien sûr, de la recommandation, y a-t-il quelque chose qui manque dans le projet de loi et qui irait dans le sens des conclusions du rapport, un élément essentiel qui ne figure pas dans le projet de loi?

Mme Cunliffe : Merci beaucoup, sénateur, de cette question extrêmement importante. Nous avons entendu des témoignages, en particulier de l’Australie, selon lesquels le succès des réformes en matière d’armes à feu qui ont été faites là-bas sous un gouvernement conservateur en 1996, après le massacre de Port Arthur, reposait en grande partie sur l’idée que l’interdiction de certaines armes à feu, la réglementation de la taille des chargeurs et le renforcement des vérifications des antécédents devaient s’accompagner de diverses autres mesures portant sur le problème de la violence armée. Parmi ces mesures — et c’est important, vu le clivage que nous observons dans la société canadienne —, notons une étroite collaboration avec les associations de tir sportif et les associations de chasseurs pour s’assurer que les règlements fonctionnent bien et permettent, par exemple, aux tireurs sportifs olympiques de continuer à participer aux compétitions et aux propriétaires fonciers ruraux de continuer à lutter contre les ravageurs ou à gérer le bétail comme ils doivent le faire. Tout cela était réalisable tout en interdisant les armes de poing et les armes semi-automatiques, en collaborant avec ces partenaires.

Ce qui me préoccupe, c’est qu’il semble y avoir un discours qui traduit un profond clivage. Je soupçonne, comme l’a dit mon collègue, qu’il y a une majorité silencieuse de propriétaires d’armes à feu respectueux des lois qui ont des égards pour les aptitudes liées à la possession et à l’utilisation correcte des armes à feu, et qui sont préoccupés par la montée de la violence et du discours de la légitime défense qui émerge de certains segments de leur communauté. Je dirai carrément qu’il faut en faire davantage pour mobiliser ce segment de la communauté des propriétaires d’armes à feu.

Il est aussi nécessaire de donner suite à d’autres recommandations de la Commission des pertes massives. Par exemple, il faut veiller à ce que les victimes de violence entre partenaires intimes et de violence familiale aient des moyens sûrs et efficaces de quitter des relations violentes et d’assurer leur sécurité; il faut que soient signalées leurs inquiétudes au sujet de la présence d’armes à feu si elles choisissent de rester, comme elles en ont le droit; il faut renseigner le public au sujet de la réglementation des armes à feu pour que les membres de la collectivité sachent ce qui est permis, quand ils doivent signaler leurs préoccupations et comment ils peuvent le faire en toute sécurité.

Il est important d’offrir une éducation sur les armes à feu culturellement adaptée aux jeunes et aux communautés autochtones, et de travailler avec ces communautés pour assurer des approches locales culturellement adaptées en matière de sécurité des armes à feu qui permettent l’exercice des droits de chasse des Autochtones. Il est également important de veiller à ce que les collectivités rurales et éloignées aient accès à des services de santé mentale et de traitement des toxicomanies afin de réduire les taux d’actes de violence contre soi par arme à feu et de violence armée dans ces communautés.

Les commissaires ont vraiment insisté sur le fait qu’il s’agit d’un ensemble complet de recommandations, et bien que le renforcement de la réglementation et de la coordination, prévus dans le projet de loi C-21, soient deux étapes importantes, elles doivent s’accompagner d’autres mesures.

La sénatrice Pate : Je remercie les témoins de leur présence. Mes questions s’adressent à Mme Palmater et à Mme Cunliffe, mais ce serait un plaisir d’entendre votre point de vue également. Tout d’abord, madame Palmater. Bien des gens soulèvent des questions au sujet des droits des Autochtones, des membres des Premières Nations, de leurs droits de chasse et ainsi de suite. Que pensez-vous de l’incidence du projet de loi sur ces droits?

Madame Cunliffe, vous avez évoqué le massacre de Port Arthur. Je suis frappée du fait que non seulement vous vous exprimez très directe, parlant même de « pertes massives », par exemple, mais que vous soulignez aussi qu’il importe de tenir compte de tous les autres facteurs qui contribuent au problème. Il arrive souvent que des prévenus reconnus coupables de tueries ou de fusillades de masse aient d’abord été reconnus coupables de violence avec des partenaires intimes ou de violence contre les femmes. Nous savons que c’est presque toujours le cas à l’échelle internationale, et pourtant nous ne prenons pas cela au sérieux. L’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées a signalé la même chose, mais nous ne prenons pas cela au sérieux. Quelles autres mesures souhaiteriez-vous, en plus de ce que vous avez déjà dit en réponse au sénateur Yussuff? Je vous pose la question à toutes les deux, mais commençons par Mme Palmater, qui sera suivie de Mme Cunliffe.

Mme Palmater : Merci de la question, qui est très importante parce que le lobby des armes à feu a très rapidement tenté de mobiliser et d’exploiter les peuples autochtones pour les amener à réclamer l’utilisation sans restriction des armes à feu et à refuser les vérifications des antécédents, comme s’il avait quelque sympathie ou compassion pour les droits des Premières Nations. Cela dit, les Premières Nations ont un droit au Canada. En fait, c’est le seul groupe au Canada qui a le droit constitutionnel de porter des armes. La Cour suprême du Canada a déjà dit que personne d’autre ne peut le faire, mais nous oui. Nous pouvons le faire en vertu de nos droits issus de traités, de nos droits ancestraux et de nos droits de protéger nos territoires. Le droit de gouverner nos territoires, ce qui englobe des éléments comme le contrôle des armes à feu, est confirmé non seulement par l’article 35, mais aussi par la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, ou DNUDPA. C’est un droit collectif.

Sur le plan individuel, il est ridicule de penser que les Premières Nations ont besoin de fusils d’assaut et d’armes de poing pour abattre un cerf. Jamais. Cela ne s’est jamais produit. Il faut vraiment distinguer les deux : une arme capable de causer des destructions importantes, comme une arme d’assaut, et une arme d’épaule pour la chasse. Il n’y a aucune similitude entre les deux.

Nous devons tenir compte du fait que même lorsqu’il s’agit des droits des Premières Nations, à l’intérieur d’une communauté des Premières Nations, et d’une loi des Premières Nations, il faut les appliquer en préservant en même temps la sécurité des femmes. Il faut prendre la question au sérieux — tout comme la sécurité des enfants et de tout l’entourage. Aucun droit n’est absolu. La Constitution accorde la priorité aux droits des Premières Nations, mais il faut tenir compte de la sécurité, et je pense que le projet de loi peut aller de l’avant et être adopté. Il est possible de combler les lacunes par voie réglementaire, mais le gouvernement doit aussi s’engager à travailler en partenariat avec les Premières Nations au sujet des modalités des vérifications conjointes des antécédents, des moyens possibles de garantir la sécurité et des autres limites à mettre en place, puisqu’il existe, nous le savons, de nombreuses menaces sociétales pour les Premières Nations, en particulier pour les femmes des Premières Nations.

Mme Cunliffe : Merci, sénatrice Pate. Vous avez tout à fait raison de dire que les commissaires ont établi un rapport très net entre les antécédents de violence entre partenaires intimes ou de violence fondée sur le sexe et la perpétration de massacres, ce qui est très bien avéré dans les recherches. Qu’il s’agisse des pertes massives survenues en Nouvelle-Écosse, de l’incident le plus récent à Sault Ste. Marie ou d’autres exemples canadiens, comme celui du comté de Renfrew, nous constatons que la violence chez un homme, l’accès à des armes à feu et l’attitude envers les femmes ont toujours suscité des préoccupations. Nous apprenons que ces préoccupations ont été signalées à la police, mais qu’elles n’ont souvent pas donné lieu à une enquête adéquate ou n’ont pas été prises suffisamment au sérieux.

Un élément important qui devrait accompagner le projet de loi, c’est une nette insistance sur la responsabilité des forces de l’ordre d’appliquer la loi telle qu’elle est conçue.

Il existe actuellement des mesures permettant de révoquer un permis d’arme à feu lorsqu’il y a des préoccupations en matière de sécurité publique. On y recourt rarement, et elles n’ont pas été utilisées dans les trois exemples de pertes massives que je viens d’énumérer, même si elles auraient pu l’être.

Le président : Désolé de vous interrompre. Je vous présente mes excuses, mais nous devons passer à quelqu’un d’autre.

Le sénateur Boehm : Merci aux témoins d’être là et à Mme Cunliffe de s’être jointe à nous virtuellement. Ma question s’adresse en fait à vous, madame Cunliffe, mais les deux témoins présents voudront peut-être y répondre également. Pouvons-nous apprendre quoi que ce soit en observant ce qui se passe dans d’autres pays? Qu’est-ce que j’entends par-là? Il y a des parallèles à établir entre ce qui est arrivé en Nouvelle-Écosse et ce qui s’est passé la semaine dernière à Lewiston, dans le Maine. Le nombre de victimes est semblable ainsi que la chasse à l’homme qui a été nécessaire pour retrouver l’auteur des faits. Quels peuvent être les enseignements? Que peuvent apprendre ceux qui font de la recherche sur la politique des armes à feu et ceux qui se portent à sa défense?

Je ne m’attends pas à ce que nous connaissions tous les détails de ce qui s’est passé dans le Maine et j’ignore si, comme dans le cas de la Nouvelle-Écosse, il existait un lien avec la violence fondée sur le sexe ou entre partenaires intimes.

Selon vous, madame Cunliffe, que pouvons-nous apprendre, d’un pays à l’autre, étant donné les profondes différences entre les lois sur les armes à feu, le débat sur ces armes et les aspects politico-culturels au Canada et aux États-Unis?

Mme Cunliffe : Merci, sénateur. Je vais essayer d’être brève pour que mes collègues puissent aussi répondre à vos questions.

Les commissaires ont conclu que c’était une bonne stratégie pour les responsables de l’application de la loi et les législateurs que de regarder ce qui se fait ailleurs plutôt que d’attendre que les mêmes faits se produisent chez nous. Un des parallèles importants entre le déplorable incident de la semaine dernière à Lewiston, dans le Maine, — la Nouvelle-Écosse, bien sûr, est la source des armes — et dans le cas des pertes massives en Nouvelle-Écosse, la source était en grande partie le Maine. Nous avons une frontière commune avec les États-Unis, et certains aspects de la culture américaine des armes à feu influencent la nôtre. Les études de ces questions qui sont en cours aux États-Unis sont directement pertinentes et utiles pour les débats que nous avons ici.

Certains en font un prétexte pour ne pas apporter de changements. Ils disent que, puisque nous partageons une frontière commune et qu’elle est largement non défendue, il ne sert à rien de demander une réglementation plus stricte parce que les armes seront passées en contrebande et que les armes à feu pourront être imprimées en 3D. Je rejette ce point de vue, surtout parce que, en sachant clairement ce qui est permis ou non, la collectivité peut jouer un rôle et aider les forces de l’ordre à faire appliquer la réglementation sur les armes à feu, c’est-à-dire déceler les problèmes et les signaler.

M. Somerset : Dans le discours sur la politique des armes à feu, on a tendance à vouloir rejeter les comparaisons internationales, surtout celles qui portent sur ce qui se passe aux États-Unis. Nous pouvons certainement tirer des enseignements des incidents qui se produisent aux États-Unis, où il se fait beaucoup de recherche. Il y a là beaucoup d’incidents à étudier. C’est un excellent laboratoire pour décrire ce qui se passe en l’absence de réglementation. Nous pouvons aussi apprendre en regardant ce qui se passe en Nouvelle-Zélande, en Australie et au Royaume-Uni.

Le sénateur Boehm : L’exemple du Maine me semble intéressant. Le Maine est très près du Canada. Les cultures sont très semblables : petites villes, groupes de chasseurs, ce genre de choses. Il pourrait être intéressant d’étudier ces similitudes.

M. Somerset : J’ajouterais que l’idée que nous avons une culture différente des armes à feu au Canada est à la fois vraie et fausse. C’est vrai à certains égards. L’attitude générale des Canadiens au sujet des armes à feu est certainement très différente de celle des Américains. La culture de la possession d’armes à feu au Canada tend à changer sous l’influence de celle des États-Unis. J’en ai donné une illustration dans ma déclaration liminaire en parlant de la légitime défense et de la croissance du marché des armes de poing et des armes d’assaut.

Le sénateur Oh : Je remercie les témoins de leur présence.

J’ai une question à poser à Mme Palmater. Je reviens sur une question du sénateur Dagenais à laquelle vous n’avez pas répondu. Il vous a demandé quel pourcentage des crimes violents sont commis par des suprémacistes blancs. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur vos études et commenter les faits observés?

Mme Palmater : Bien sûr, et je pourrai présenter un mémoire par la suite.

J’ai dit au sénateur que, malheureusement, les organismes d’application de la loi n’essaient pas de prendre les devants et de faire de la prévention, qu’ils s’intéressent surtout aux groupes structurés. On peut identifier un groupe et une organisation du Ku Klux Klan, le KKK, leur composition, les lieux où ils trouvent, leurs échanges en ligne. Il est beaucoup plus difficile de dresser des statistiques lorsque des liens se font avec un groupe incel, un groupe non structuré ou une multitude de groupes.

Nous avons dit aux forces de l’ordre qu’ils doivent mieux ventiler les données sur toute cette mouvance. Ils doivent en parler dans leur rapport et soumettre les associations à un examen. Oui, c’est peut-être de la violence conjugale et il a tué sa femme, mais de quels groupes faisait-il partie avant cela et à qui est-il affilié? Ces choses-là ne font pas l’objet d’un suivi après le fait, à moins qu’on ne considère que c’est pertinent pour le procès. Souvent, comme le prévenu plaide coupable, on n’obtient pas cette information.

Il nous faut des données ventilées. Nous pouvons signaler des incidents et toutes ces choses qui se produisent aux États-Unis, mais ma question est la suivante : pourquoi attendre? Pourquoi attendre que la situation soit aussi mauvaise qu’aux États-Unis pour dire ensuite que nous devrions commencer à ventiler les données recueillies?

Le sénateur Oh : Merci.

Le président : Merci beaucoup. Voilà qui met fin à l’audition du groupe de témoins. Au nom du comité, je vous remercie, madame Cunliffe, madame Palmater et monsieur Somerset. Nous vous sommes très reconnaissants, tout d’abord, d’avoir pris le temps de comparaître, mais aussi, et c’est le plus important, de nous avoir appris beaucoup de choses dans le cadre de notre étude. Cela nous sera très utile. Nos meilleurs vœux vous accompagnent. Merci encore.

Chers collègues, nous allons maintenant entendre le prochain groupe de témoins. Je rappelle aux auditeurs que nous étudions le projet de loi C-21, Loi modifiant certaines lois et d’autres textes en conséquence (armes à feu).

Au cours des 55 prochaines minutes, nous aurons le plaisir de nous entretenir avec la Dre Natasha Saunders, médecin à l’Hôpital pour enfants et représentante de la Société canadienne de pédiatrie, le Dr Alan Drummond, président émérite, Comité des affaires publiques de l’Association canadienne des médecins d’urgence, qui comparaît par vidéoconférence, et la Dre Najma Ahmed, de Médecins canadiens pour un meilleur contrôle des armes à feu.

Merci à vous tous d’avoir bien voulu vous joindre à nous. Je vous invite à faire vos déclarations liminaires, après quoi les membres du comité vous poseront des questions. Je vous rappelle que vous avez chacun cinq minutes pour faire votre déclaration. Nous allons commencer par la Dre Natasha Saunders.

Dre Natasha Saunders, médecin, Hôpital des enfants et représentante de la Société canadienne de pédiatrie : Je vous remercie de m’accueillir. Comme on l’a dit, je suis pédiatre à l’Hôpital des enfants et je fais de la recherche dans les services de santé. Mes travaux portent sur les armes à feu, la maladie mentale et l’intersection entre les deux. J’ai l’honneur de comparaître comme représentante de la Société canadienne de pédiatrie.

La Société canadienne de pédiatrie appuie le projet de loi C-21, et je vais expliquer pourquoi elle le fait, en faisant valoir que les répercussions possibles sur la vie des enfants et des adolescents sont souvent sous-estimées.

À mon avis, les mesures collectives proposées dans le projet de loi visent à réduire le total des armes à feu en circulation, surtout celles provenant du crime organisé. Les points forts du projet de loi comprennent des peines plus sévères pour les infractions liées aux armes à feu, la création d’infractions relativement à l’impression en 3D et la prise en compte de certaines parties d’armes à feu dans les infractions relatives aux armes à feu.

Les détracteurs du projet de loi C-21 ont rejeté cette puissante mesure législative ou en ont minimisé l’importance, laissant entendre qu’elle entraînera des modifications dans la façon dont ils utilisent leurs armes à des fins récréatives ou dans la façon dont ils exploitent leurs entreprises, ou que le nombre total de décès causés par des armes à feu au Canada, particulièrement pour les armes à feu légales, est relativement faible. Je suis là pour vous dire, en tant que pédiatre, que les répercussions sont beaucoup plus importantes.

En Ontario seulement, de 2003 à 2018, 5 486 enfants et adolescents se sont présentés dans des hôpitaux de l’Ontario avec une blessure causée par une arme à feu. Plus de 500 d’entre eux sont morts. Sur les plus de 5 000 blessés, plus du quart ont été agressés avec une arme à feu. Les autres ont été blessés accidentellement ou il s’agissait de tentatives de suicide.

Il ne s’agissait pas seulement d’éraflures et d’ecchymoses. La moitié ont reçu une balle dans la tête ou le cou et, dans la moitié des cas, il y a eu traumatisme cérébral. Ce ne sont pas des chiffres négligeables.

Je vous invite à réfléchir un instant aux répercussions d’un seul de ces cas. Lorsqu’un garçon de 17 ans est tué par balle dans un complexe de logements communautaires de Toronto, victime des feux croisés de gangs violents, qu’arrive-t-il à son frère cadet de 15 ans qui pleure maintenant la mort de son frère aîné et a soif de vengeance? Qu’en est-il de sa sœur de 12 ans qui ne peut plus dormir la nuit, qui ne peut plus aller à l’école et qui se replie complètement sur elle-même sous l’emprise de la peur? Qu’advient-il de la mère, dont la vie a été détruite par la mort tragique et prématurée de son fils? Puis, bien sûr, il y a tout le milieu de vie de l’adolescent qui est en deuil. Ces personnes aussi sont victimes de blessures par arme à feu, et ces vies devraient toujours être comptées, prises en compte et accompagnées. Il faut aussi tenir compte de l’impact des armes à feu sur leur vie.

Je voudrais maintenant attirer votre attention sur le milieu scolaire. Certains prétendent qu’il y a peu d’armes provenant du Canada qui posent un problème chez nous, mais imaginez un instant qu’une seule de ces armes fabriquées au Canada se retrouve entre les mains d’un tireur dans une école. Imaginez le confinement de 600 élèves. Dans les fusillades en milieu scolaire, chaque fois qu’il y a un confinement, chaque fois qu’un enfant de 10 ans doit se cacher sous son bureau à l’école, loin des fenêtres, c’est traumatisant et angoissant. Chaque fois qu’il y a une arme à feu sur les terrains d’une école et qu’il faut imposer un confinement, 600 victimes d’âge scolaire sont terrifiées par la menace de violence.

Je vous exhorte à voir la forêt et pas uniquement les arbres. Il faut avoir une vue d’ensemble et imaginer tout ce qu’on peut accomplir en prévenant un seul incident, soit en empêchant qu’une arme à feu légale ne soit trafiquée, soit en retirant rapidement une arme à feu à une personne qui menace de commettre des actes de violence envers autrui ou envers elle-même. Tout au long de ce débat, il faut se rappeler que les jeunes ont le droit de se sentir en sécurité à la maison et à l’école.

J’aimerais parler brièvement de l’importance des dispositions « drapeau rouge » et « drapeau jaune » dans le projet de loi. La mort tragique par arme à feu de cinq personnes à Sault Ste. Marie la semaine dernière, dont trois enfants âgés de 6, 7 et 12 ans, est un rappel brutal que la violence familiale ne touche pas seulement les partenaires intimes. Elle touche des familles entières, des enfants et des vies innocentes.

La présence de telles mesures dans le projet de loi C-21 permet de protéger le public et les familles vulnérables contre les blessures subies par agression ou les blessures infligées à soi‑même. Plus précisément, ce projet de loi protège les enfants en facilitant la révocation des permis et la remise des armes dans les cas de violence familiale, en définissant clairement ce qui constitue de la violence familiale, notamment un comportement coercitif et dominant, les mauvais traitements psychologiques, l’exploitation financière et les menaces de causer des lésions corporelles à quiconque.

Pour l’avenir, la Société canadienne de pédiatrie reconnaît que tous les ordres de gouvernement doivent travailler ensemble pour apporter des changements significatifs afin de réduire la violence chez les jeunes Canadiens. Nous avons tous un travail important à faire et, de ce fait, nous appuyons fermement l’adoption du projet de loi C-21.

Le président : Merci, docteure Saunders.

Nous entendrons maintenant Dr Drummond. La parole est à vous dès que vous êtes prêt.

Dr Alan Drummond, président émérite, Comité des affaires publiques, Association canadienne des médecins d’urgence : Merci beaucoup.

Dans le milieu de la médecine d’urgence, nous appuyons fortement ce projet de loi, surtout son régime de lois dites « drapeau rouge ». Nous y voyons l’application d’une mesure de santé publique et de prévention des blessures qui pourrait sauver des vies.

Le contrôle des armes à feu est de plus en plus polarisé au Canada, mais nous convenons tous, je pense, que la prévention de la mort est clairement une motivation suffisante, de part et d’autre du clivage idéologique et dans la meilleure tradition des valeurs canadiennes.

De tous les décès par arme à feu, 35 à 80 % sont des suicides, alors si nous voulons vraiment réduire le nombre de décès par arme à feu, nous devons traiter comme une priorité la prévention du suicide.

Mon exposé recoupe un peu celui de Dre Ahmed, alors je ne vais pas vraiment entrer dans les statistiques, si ce n’est pour dire qu’une dizaine de Canadiens meurent chaque jour par suicide et que, pour chacun d’eux, des dizaines d’autres se présentent à l’urgence pour demander de l’aide. Puisque la présence d’une arme à feu dans une maison est un facteur reconnu de passage à l’acte fatal, lorsque nous renvoyons des gens chez eux, nous craignons de les exposer à un avenir incertain, où il y aurait un fusil de chasse chargé sous le lit ou une arme de poing sous l’oreiller. Nous ne savons tout simplement pas.

L’inévitabilité du suicide est un mythe total. Nous savons que la plupart de ces drames arrivent de façon impulsive, et si des gens survivent à leur première tentative de suicide, nous savons qu’ils n’iront pas jusqu’à l’acte complet, avec peu de risque de recourir à d’autres méthodes.

L’autre grande question est celle de la violence entre partenaires intimes. De toutes les personnes qui se présentent à notre service d’urgence, il y en a entre 30 et 40 % qui sont des victimes de violence conjugale. Là encore, le risque de décès est beaucoup plus élevé — cinq fois plus élevé — lorsqu’il y a une arme à feu à la maison. Chaque jour, le service des urgences voit arriver des personnes qui risquent d’être tuées par arme à feu, mais même sachant qu’il y a des armes à feu dans les maisons, nous ne pouvons pas vraiment intervenir. Ce n’est qu’en cas de danger évident et imminent que nous pouvons manquer à l’obligation de confidentialité.

L’autre question est celle des fusillades de masse. L’Université du Michigan s’est penchée sur quelque 6 000 impositions de lois « drapeau rouge », et environ 10 % d’entre elles visaient des menaces de tirer sur le plus grand nombre de personnes possible.

Depuis 1995, dans notre mémoire initial sur le projet de loi C-68, nous sommes très ouverts à l’idée d’un système de signalement. Nous avons donc été très heureux, en 2020, lorsque le ministre Blair a annoncé la possibilité d’une loi « drapeau rouge ». Elle repose strictement sur le modèle américain, qui compte 22 lois de ce genre, donc c’est un peu hybride, et de ces 22 lois, il y en a 3 seulement qui relèvent le médecin de son devoir de confidentialité.

Il convient de souligner que les sept États où le taux de décès par arme à feu était le plus bas en 2020 avaient tous des lois « drapeau rouge », et qu’en Indiana et au Connecticut, une sur 10 ordonnances de protection contre des risques extrêmes a permis d’épargner un suicide.

Le modèle canadien exige une requête au tribunal, une audience judiciaire et, tout à coup, un délai inattendu pour le retrait initial des armes à feu. Nous faisons seulement des observations et non des recommandations, mais nous sommes préoccupés par cette nécessité absolue d’une requête au tribunal et d’une audience judiciaire avant le retrait des armes à feu, uniquement parce que cela peut prendre du temps, et que le temps perdu peut accroître le risque de féminicide. De plus, d’après un modèle de prévention du suicide, compte tenu de l’état lamentable de l’accès aux soins psychiatriques, nous craignons que renvoyer des gens chez eux revienne à les pousser au suicide.

De même, les provinces canadiennes ont toutes adopté un mécanisme de signalement médical, qui permet de prévenir la police lorsqu’une victime d’agression par arme à feu se présente à l’urgence. Nous considérons qu’un signalement direct du médecin est une bonne solution à appliquer en amont de ce problème croissant, avant que quelqu’un n’appuie sur la détente.

Enfin, et c’est fondamental, la décision d’autoriser le signalement médical et le bris de confidentialité qui en découle est cependant de ressort provincial, et non fédéral, et elle relève des ordres provinciaux qui réglementent les professions. Après l’adoption de ce projet de loi, la prochaine étape logique pour le gouvernement fédéral serait de collaborer avec toutes les provinces et les collèges des médecins pour concevoir un tel système de signalement et de le doter des ressources financières nécessaires à une mise en œuvre efficace.

Merci beaucoup.

Le président : Merci beaucoup, docteur Drummond.

Nous passons maintenant à notre dernier témoin, Dre Ahmed. La parole est à vous dès que vous êtes prête.

Dre Najma Ahmed, professeure de chirurgie, Traumatologie et chirurgie d’urgence, Université de Toronto, Les Médecins canadiens pour un meilleur contrôle des armes à feu : Merci beaucoup, honorables sénateurs et chers collègues. Je suis ravie d’être ici pour parler de ce sujet.

Il y a près de cinq ans, des médecins de partout au Canada se sont réunis pour réclamer des mesures législatives plus rigoureuses et d’autres interventions pour prévenir la violence armée parce que nous, les médecins, ne pouvions plus accepter les nombreux torts causés à nos patients, à leur famille et à des collectivités entières; des torts comme ceux découlant de la fusillade de masse dont nous avons tous été témoins la semaine dernière à Sault Ste. Marie et qui a tué une femme et trois jeunes enfants.

En 2021, l’Association médicale canadienne a déclaré que les blessures et les décès causés par arme à feu comptent pour beaucoup dans les décès prématurés et évitables au Canada. Une étude menée en Ontario en 2020 a révélé que, sur une période de 15 ans, il y a eu près de 6 500 blessures par arme à feu, dont 42 % ont été fatales. Une autre étude canadienne a montré que jusqu’à 20 % des patients qui ont survécu à des blessures par arme à feu souffrent d’une incapacité permanente.

Je peux vous dire que beaucoup de mes patients ne retournent jamais au travail ou à l’école. Une étude réalisée plus tôt cette année en Colombie-Britannique a révélé que les crimes violents commis avec une arme à feu coûtaient à cette province près de 300 millions de dollars par année.

Le Canada a besoin du projet de loi C-21. Il sauvera des vies. Il y a beaucoup d’opinions divergentes sur cette question, ainsi que de la désinformation. J’aimerais donc vous parler d’un événement qui s’est déroulé le mois dernier et qui visait à éclairer le discours public sur ce sujet.

J’ai eu le privilège de participer à titre de coprésidente scientifique à une conférence sur le thème de la violence liée aux armes à feu, un enjeu de santé publique. Elle était coparrainée par l’Académie canadienne des sciences de la santé. En plus d’un échantillon international d’éminents experts en la matière, dont des chercheurs qui publient dans certaines des revues scientifiques les plus réputées au monde, les participants ont pu entendre les témoignages directs de survivants de fusillades de masse, ainsi que des médecins, des éducateurs spécialisés dans la lutte contre le racisme, des représentants d’organismes communautaires et des propriétaires d’armes à feu, dont un chasseur et chef de file en santé autochtone.

Plusieurs thèmes clairs et cohérents sont ressortis de cette conférence, qui ont un rapport avec le débat en cours. Premièrement, le Canada affiche un des taux les plus élevés de propriétaires d’armes à feu par habitant, et de décès par arme à feu parmi les pays économiquement développés.

Deuxièmement, il est prouvé que plus il y a d’armes à feu dans une société, plus il y a de décès causés par celles-ci, et que des lois plus strictes en la matière réduisent le nombre de décès par arme à feu.

Troisièmement, le projet de loi C-21 nous rapprocherait de nos alliés du Royaume-Uni, de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande, du Japon et de la Norvège, entre autres. Tous ces pays ont interdit la plupart des types d’armes d’assaut semi-automatiques qui peuvent tuer et mutiler de nombreuses personnes en quelques minutes. Tous ces pays, comme le Canada, ont aussi des traditions de chasse bien ancrées.

Quatrièmement, dans les milieux urbains où on trouve surtout des armes de poing, les communautés racisées et les jeunes Noirs en particulier sont touchés de façon disproportionnée. Les répercussions de cette violence sont dévastatrices pour la santé mentale dans les communautés noires. C’est pourquoi nous vous exhortons à investir davantage dans les déterminants sociaux de la santé.

Cinquièmement, comme on l’a entendu aujourd’hui, il existe un lien étroit entre la violence familiale et la présence d’armes à feu, utilisées aussi pour intimider et dominer. Dans un conflit entre partenaires intimes, le risque d’être tué est cinq fois plus élevé s’il y a une arme à feu sur place. Les personnes les plus menacées sont les femmes autochtones et les femmes en milieu rural.

Sixièmement, comme Dr Drummond vient de le dire, environ 75 % des décès par arme à feu au Canada sont des suicides, commis surtout par des hommes en milieu rural. Comme les armes à feu sont le moyen le plus sûr de s’enlever la vie, mettre du temps et de la distance entre une personne à risque et ce moyen peut lui sauver la vie. Plus de 90 % des gens qui survivent à une tentative de suicide ne récidivent pas. Un intervenant à notre conférence faisait remarquer que dans 48 de 49 études, les restrictions imposées en matière d’armes à feu étaient associées à une réduction globale des taux de suicide.

Septièmement, en ce qui concerne les dispositions « drapeau rouge » du projet de loi C-21, des études américaines laissent entendre qu’elles peuvent réduire les taux de suicide, les fusillades de masse et la violence entre partenaires intimes. Les experts soulignent l’importance d’un recours permanent, c’est‑à‑dire que les tribunaux puissent être saisis d’une demande en tout temps, jour et nuit, et que la réussite dépend d’un financement et d’une éducation suffisants.

Huitièmement, les armes à feu ont un lien particulier et dangereux avec les groupes haineux d’extrême droite, ce qui renforce les arguments en faveur de ce projet de loi et la nécessité de l’adopter. Depuis la conférence, notre organisation est encore plus déterminée à faire en sorte que deviennent loi les mesures fondées sur des données probantes et sur le bon sens qu’on trouve dans le projet de loi C-21.

Il reste encore beaucoup à faire, et il faudrait au Canada un centre national de recherches sur les différentes facettes de la violence liée aux armes à feu. Nos membres sont heureux des efforts considérables déployés pour rendre nos collectivités plus sûres. Ces 20 dernières années, j’ai vu les ravages que peuvent causer les armes à feu et j’ai réconforté des patients atteints et des familles affligées par un deuil incommensurable. Mon seul intérêt aujourd’hui est de protéger les Canadiens et de prévenir d’autres ravages. Je vous remercie de votre attention et je suis désolée d’avoir dépassé le temps alloué.

Le président : Merci, docteure Ahmed. Nous allons maintenant passer aux questions. Le temps alloué à ce groupe de témoins se termine à 16 h 50. Je limiterai chaque question, y compris la réponse, à quatre minutes. Je vais lever ce carton pour indiquer qu’il vous reste 30 secondes. Veuillez poser des questions succinctes et identifier la personne à laquelle vous vous adressez.

La première question appartient au vice-président du comité, le sénateur Dagenais.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma question s’adresse à Dre Ahmed. En 2021, les crimes commis par arme à feu représentaient moins de 3 % des crimes violents au pays. Les armes utilisées provenaient majoritairement du commerce illégal des armes et non des armes légalement possédées par des Canadiens.

Quel impact immédiat et direct aura le projet de loi C-21? Comment pourrait-on le modifier pour aider le gouvernement à trouver l’origine véritable des armes à feu qui servent à commettre des crimes et à assassiner des personnes?

[Traduction]

Dre Ahmed : Je vous remercie de la question. En fait, il convient de souligner que de nombreuses armes à feu légales servent aussi à commettre des crimes et, d’ailleurs, elles sont présentes dans la majorité des suicides et des incidents de violence familiale.

Je crois que lors de ces audiences mêmes, Mark Flynn, commissaire par intérim de la Gendarmerie royale du Canada, a déclaré, et je cite :

[...] si vous regardez le nombre d’armes à feu que nous avons retracées grâce à divers efforts de recherche, 69 % de ces armes à feu ont été considérées comme ayant été importées ou fabriquées illégalement au Canada.

Les armes à feu légales qui se trouvent au Canada contribuent probablement au bassin d’armes à feu utilisées dans les homicides liés aux gangs et au crime organisé. Cela ne veut pas dire que nous ne devrions pas nous attaquer au trafic des armes à feu dans notre pays, mais je pense qu’il n’est pas exact de dire que celles possédées légalement ne contribuent pas à la criminalité dans notre pays ni à la mortalité par arme à feu en général. Par exemple, l’arme utilisée lors de la fusillade de masse sur l’avenue Danforth a été volée dans une armurerie de la Saskatchewan.

[Français]

Le sénateur Dagenais : On constate une hausse importante du nombre de crimes violents commis par des personnes aux prises avec des problèmes de comportement qui nécessitent des soins psychiatriques.

Les armes blanches, comme les couteaux et les sabres, remplacent souvent l’utilisation d’armes à feu et on sait qu’il n’y a aucun contrôle sur les couteaux. Existe-t-il une réflexion médicale quant à l’usage des armes à feu comparativement aux armes blanches que vous pourriez partager avec nous? Dans quelle mesure les armes blanches vous inquiètent-elles aujourd’hui?

[Traduction]

Dre Ahmed : Chose certaine, il faut s’attaquer aux problèmes de santé mentale, offrir des services de soutien.

Mais c’est un mythe que les personnes atteintes d’une maladie mentale sont nécessairement violentes. En fait, ce sont souvent elles qui sont les victimes de crimes violents plutôt que les auteurs.

En tant que traumatologue, je peux vous dire que le taux de mortalité est bien moins élevé chez les blessés par arme blanche que chez les blessés par balle. Les armes à feu sont en fait destinées à tuer et à mutiler des gens. C’est la raison pour laquelle nous en équipons nos armées. Les couteaux sont beaucoup moins dangereux.

Le sénateur Kutcher : Merci. J’ai deux questions, une pour Dre Ahmed et l’autre pour Dr Drummond. Docteure Ahmed, peu après la fusillade de l’avenue Danforth, vous et un groupe de collègues avez fait des déclarations sur la nécessité d’intervenir pour réduire la violence liée aux armes à feu et d’en faire un enjeu de santé publique. À cause de ces déclarations, vous avez été la cible d’une campagne enjoignant aux médecins de se mêler de leurs affaires, un peu comme la National Rifle Association s’en est prise à l’American College of Physicians après qu’il eut présenté la violence armée comme un problème de santé publique.

Pensez-vous que le projet de loi C-21 devrait traiter la violence armée comme un problème de santé publique? Pourriez-vous nous dire un peu d’où venaient ces menaces portées contre vous et quelles répercussions elles ont eues sur vous et vos collègues?

Dre Ahmed : Je vous remercie de la question, sénateur.

En effet, dans la plupart des milieux scientifiques, ceux de la médecine et de la recherche en santé publique, on considère que la violence armée est un problème de santé publique. L’arme est le vecteur. La balle est le vecteur. Pensez-y d’un point de vue bactérien ou viral. Dans n’importe quelle maladie et dans n’importe quel état pathologique que nous examinons du point de vue de la santé publique, la diminution de l’exposition au vecteur — c’est-à-dire l’arme à feu ou la balle dans le cas présent — réduit le tort ou la maladie transmise par ce vecteur. Les administrations qui ont adopté cette façon de voir ont très bien réussi à réduire les torts, les blessures et les décès causés par les armes à feu.

Vous avez raison de souligner que, en fait, lorsque nous avons entrepris notre travail — je n’étais pas seule; de nombreux médecins et professionnels de la santé d’un bout à l’autre du pays trouvaient qu’il était temps que le Canada s’attaque sérieusement au problème —, la Coalition canadienne pour le droit aux armes à feu a orchestré une campagne avec l’Ordre des médecins et chirurgiens de l’Ontario, l’organisme qui accorde les permis de pratique aux médecins, pour que mon permis soit révoqué au motif que ma campagne de sensibilisation visant à réduire les préjudices et les blessures causés aux patients et aux collectivités était en quelque sorte non professionnelle.

En fait, la sensibilisation est une compétence de base pour les médecins. C’est un domaine dans lequel nous sommes formés et testés. Pensez aux campagnes anti-tabac, aux lois sur les ceintures de sécurité et aux lois sur l’amiante; toutes ces campagnes ont été menées par des médecins qui ont vu de leurs yeux les torts causés par toutes ces choses dans les salles d’urgence et les hôpitaux.

Cela n’a pas été facile, je l’avoue. Tout le corps médical s’est levé pour nous appuyer. J’ai reçu beaucoup d’appuis, de la part de nombreux citoyens canadiens aussi. Toutes ces plaintes contre l’Ordre des médecins — dont 17 déposées par des personnes que je n’avais jamais rencontrées ou traitées — ont été rejetées parce que jugées sans objet et frivoles.

Le sénateur Kutcher : Merci.

Docteur Drummond, vous êtes coauteur d’un essai sur l’exposé de principe de l’Association canadienne des médecins d’urgence, à propos de l’incidence du registre des armes à feu et de la diminution des suicides par arme à feu.

Pensez-vous que la diminution de l’accès aux armes à feu, comme mesure de santé publique, contribue à réduire les suicides commis avec de telles armes? De plus, étant donné qu’environ 75 % de tous les décès par arme à feu au Canada sont des suicides, croyez-vous que le projet de loi C-21 est susceptible de réduire le nombre de suicides commis avec de telles armes au Canada?

Dr Drummond : Je vous remercie de la question. Je pense que c’est assez simple. À l’échelle internationale, la littérature des 30 dernières années est catégorique quant à l’incidence de l’accès aux armes à feu sur les taux de suicide. Lors d’études effectuées dans différents contextes militaires — en Suisse, en Israël —, on a réduit le nombre d’armes à feu que les soldats ramenaient à la maison la fin de semaine, ce qui a entraîné une réduction des décès par suicide. L’accès aux armes à feu est donc effectivement un facteur assez important et significatif par rapport aux risques accrus de suicide mortel. De toute évidence, c’est une mesure de santé publique qui aide à prévenir des suicides.

Je pense que ce projet de loi, dans sa forme actuelle, sera utile. On pourrait l’améliorer en élargissant le spectre des personnes autorisées à signaler une personne à risque, pour y inclure toutes sortes de travailleurs de la santé, de travailleurs sociaux et d’éducateurs. Les lois « drapeau rouge » ne sont pas sans précédent au Canada. Le Québec, après la fusillade du Collège Dawson, a institué la loi d’Anastasia, qui permet essentiellement aux médecins et aux autres professionnels de la santé de signaler une personne à risque. La leçon à tirer de la loi d’Anastasia, c’est de veiller à ce que le public et les corps policiers soient pleinement au courant des éléments de ces projets de loi et qu’ils sachent comment accéder aux services. Le problème tient en partie...

Le président : Je suis désolé de vous interrompre. Nous devons passer au prochain intervenant.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Ma première question s’adresse à Dre Ahmed. Je ne sais pas si j’ai bien compris. Avez-vous affirmé que les armes à feu sont faites pour assassiner des personnes?

[Traduction]

Dre Ahmed : Certaines armes à feu sont effectivement destinées à causer des lésions, à mutiler et blesser. Les armes de poing avec chargeurs rechargeables en sont un exemple. Les fusils semi-automatiques causent généralement beaucoup de blessures et de lésions et peuvent tuer sans peine.

Il y a certainement d’autres types d’armes qui...

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Si on regarde les statistiques au Québec, notamment en 2023, beaucoup de gens qui souffraient de troubles de santé mentale ont tué d’autres personnes au moyen d’une automobile, d’un camion. Est-ce que je peux affirmer que les camions, les automobiles sont faits pour tuer des gens?

[Traduction]

Dre Ahmed : Je doute un peu de la pertinence de cette comparaison. Je ne suis pas certaine que l’affirmation...

[Français]

Le sénateur Boisvenu : À ce moment-là, pour les armes à feu qui sont majoritairement utilisées pour la chasse sportive et les tireurs à cible, pourquoi faites-vous cette extension alors que moi, je ne peux pas la faire au Québec où il y a des gens, l’an dernier, en Gaspésie et à Montréal, qui ont tué des gens en fonçant sur eux avec leur véhicule? Pourquoi ne puis-je faire la même extension que vous? Y a-t-il une preuve à faire sur le plan scientifique?

[Traduction]

Dre Ahmed : Il y a des preuves scientifiques irréfutables de ce dont je vous ai entretenus aujourd’hui. D’après les données scientifiques et le consensus qui se dégage parmi les chercheurs en santé publique et les médecins qui travaillent dans ce domaine, freiner la prolifération des armes à feu rend nos collectivités plus sûres. J’ai deux objectifs ici aujourd’hui : sauver des vies et empêcher que des Canadiens soient blessés par des armes à feu.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Comment ferez-vous pour contrôler les armes à feu qui entrent illégalement au Canada, celles que les gens se procurent très facilement dans la rue auprès des gangs de rue? À Montréal, par exemple, des exercices ont été faits; il ne faut que 20 minutes pour se procurer une arme illégale dans la rue auprès des gangs de rue.

Le ministre l’a dit, le projet de loi aura peu d’effet sur le crime organisé. Comment peut-on affirmer aujourd’hui que ce projet de loi va réduire la criminalité et va réduire le crime organisé?

[Traduction]

Dre Ahmed : Encore une fois, même s’il y a des armes à feu de contrebande qui entrent au Canada — et nous devons absolument régler ce problème —, il y en a aussi qui proviennent du Canada et qui servent à commettre des crimes, sans compter que la majorité des armes à feu en cause dans les suicides et les féminicides sont des armes légales.

Je crois que c’est au cours de ces audiences que Mark Flynn, le commissaire par intérim de la GRC — je me répète —, a déclaré la semaine dernière que 69 % des armes à feu retracées grâce aux efforts de recherche avaient été importées ou fabriquées illégalement au Canada, et que les armes à feu légales qui se trouvent au Canada contribuent probablement au bassin d’armes à feu utilisées dans les homicides liés aux gangs et au crime organisé.

L’arme du crime ne vient pas d’une seule source, mais de toutes les sources, bien évidemment. Ce serait une grave erreur que d’écarter les armes légales au Canada qui servent à commettre des crimes, comme celle qui a servi lors de la fusillade de masse de l’avenue Danforth.

La sénatrice M. Deacon : Merci à tous de votre présence ici cet après-midi. Vos témoignages sont très importants pour le débat qui nous occupe.

Ma question s’adresse à tous, et j’aimerais beaucoup vous entendre aussi, docteure Saunders — je ne veux pas que vous restiez sur la touche. Je reviens sur un point qui a été abordé plus tôt, à savoir qu’on entend toujours dire au Canada que le suicide compte pour environ 75 % des décès causés par arme à feu. La présence d’une arme à feu dans une maison, peu importe d’où elle vient, multiplie par trois le taux de suicide chez les adolescents. Ce projet de loi ne bannit pas entièrement les armes à feu. Il y en a encore dans de nombreux foyers canadiens. J’aimerais bien savoir comment, d’après vous, ce projet de loi pourra contribuer à réduire le nombre de ces tragiques incidents.

Par exemple, est-ce que la présence d’une arme de poing augmente le risque par rapport à celle d’un fusil de chasse traditionnel?

Vous voyez les choses de près, alors j’aimerais vous entendre.

Dre Saunders : Une arme de poing ou une arme d’épaule — un fusil — à la maison augmente le risque de suicide, en particulier chez les adolescents atteints de maladie mentale. La Société canadienne de pédiatrie recommande fortement que les médecins ou les professionnels de la santé conseillent de retirer tout type d’arme à feu d’une maison où vivent des adolescents à risque de maladie mentale. Il importe peu qu’il s’agisse d’une arme de poing ou d’une carabine.

Pour ce qui est de réduire le nombre de suicides au fil du temps, est-ce que ce projet de loi pourra améliorer la situation? Lorsqu’il y a un patient à l’hôpital qui a voulu se suicider et qui a raté son coup, nous avons la chance de nous battre pour sauver cet enfant ou cet adolescent, pour qu’il survive. S’il meurt avant d’arriver à l’hôpital à cause d’une seule arme à feu — peu importe comment il l’a eue —, nous n’avons pas cette chance. En retirant les armes à feu de la maison, ne serait-ce que pour un seul enfant, on lui sauve la vie.

La sénatrice M. Deacon : Je vous ramène à quelque chose que vous avez dit dans votre déclaration d’ouverture. Dans mon milieu, on voit beaucoup de mesures de confinement, de simulations d’intrusion, d’armes réelles, d’armes factices, de traumatismes. Nous nous sommes toujours demandé, avec le temps, dans le travail que vous faites, lorsque ces jeunes, pas ceux qui entrent avec une arme ou qui ont tenté de s’enlever la vie... le traumatisme de ces événements sur les autres. Est-ce qu’on a des données sur les conséquences les plus importantes pour les gens qui sont témoins de ces événements, qui en sont perturbés, qui sont déjà vulnérables, qui s’en vont à des exercices d’intrusion ou de confinement?

Dre Saunders : De façon générale, nous savons que la maladie mentale est déjà à la hausse chez les enfants. Les troubles anxieux affichent une des croissances les plus importantes que nous ayons vues dans nos hôpitaux. Il y a de multiples facteurs qui contribuent à cela.

Il est très difficile de mesurer l’effet de chacun. Est-ce que l’événement lui-même a pu contribuer à l’anxiété de l’enfant? Chose certaine, il n’est pas normal qu’un enfant en vienne à trouver naturel de se cacher sous un bureau pour se protéger contre la menace d’une arme. Ce n’est pas un élément normal du développement sain de l’enfant, mais on le voit de plus en plus. Lorsque mon enfant de cinq ans rentre à la maison après une simulation de tireur actif dans l’école, c’est absurde.

La sénatrice M. Deacon : Merci.

Le sénateur Oh : J’ai une question pour Dre Ahmed. Le gouvernement dispose d’une somme d’argent limité et ce sera encore plus serré dans les années qui viennent. Ne craignez-vous pas qu’un gaspillage de 750 millions de dollars ou plus pour un projet de loi qui ne fonctionnera pas ne rende encore pire notre système de soins de santé?

Dre Ahmed : Je vous remercie de la question. En fait, nous apprenons constamment dans les soins de santé qu’il vaut mieux prévenir que guérir. Les patients que je vois à mon hôpital, ils arrivent en s’accrochant à la vie, ils ont besoin souvent de nombreuses opérations, ils oscillent entre la vie et la mort aux soins intensifs, branchés à des respirateurs et des appareils de maintien en vie. Ils peuvent faire 10 ou 12 allers-retours aux soins intensifs pendant leur hospitalisation. Une fois sortis de l’hôpital, ils doivent aller en réadaptation. Certains ne retournent jamais au travail ou à l’école.

Ce sont des jeunes dans la force de l’âge, alors, en fait, il sera très rentable de leur épargner cela. Nous dépensons des millions et des milliards de dollars. J’ai cité une étude de la Colombie-Britannique qui montre que cette seule province dépense 300 millions de dollars pour traiter les blessures par arme à feu. Les États-Unis consacrent 0,5 % de leur énorme PIB au traitement de ce problème parce qu’ils ne se sont pas attaqués de façon responsable au contrôle des armes à feu et aux blessures qu’elles infligent.

Le sénateur Oh : Docteure Ahmed, selon votre expérience à l’urgence, quel est le pourcentage moyen de blessures par balle par rapport à une urgence normale?

Dre Ahmed : Je travaille dans un centre de traumatologie à Toronto. Nous recevons beaucoup de ces patients, nous en recevons deux ou trois...

Le sénateur Oh : Avez-vous des chiffres?

Dre Ahmed : Je peux vous parler de mon expérience. Nous traitons deux, trois ou quatre de ces patients par semaine, ce qui est deux, trois ou quatre de trop. La majorité des patients qui tentent de se suicider avec une arme à feu, 90 % d’entre eux meurent, alors nous ne les voyons pas. Ils vont à la morgue.

Le sénateur Oh : Quand vous parlez de trois ou quatre, est-ce la moyenne hebdomadaire? S’agit-il de statistiques gouvernementales?

Dre Ahmed : Non. Je ne sais pas. Je vous parle de mon expérience. Vous m’avez posé une question sur mon expérience. Je vous parle de mon expérience.

Le sénateur Oh : Mais vous ne travaillez qu’à un seul endroit.

Dre Ahmed : Je travaille à l’hôpital St. Michael’s, c’est exact. Nous sommes l’un des deux centres de traumatologie de la ville. Je peux vous dire que l’expérience est la même dans tous les centres de traumatologie urbains du pays.

Le sénateur Oh : En êtes-vous sûre?

Dre Ahmed : Pas mal sûre. Nous sommes une communauté très soudée. Nous nous parlons régulièrement, que nous soyons à Montréal ou à Vancouver.

Le sénateur Oh : Pouvez-vous obtenir ces chiffres du gouvernement?

Dre Ahmed : Je ne sais pas si le gouvernement recueille ces données, monsieur. Vous m’avez posé une question sur mon expérience. Je vous parle de mon expérience.

Le sénateur Oh : Qui recueille les données?

Dre Ahmed : Je crois, sénateur, que vous m’avez posé une question sur mon expérience, alors j’ai répondu en fonction de mon expérience.

Le sénateur Oh : Je voudrais des chiffres scientifiques. Vous nous avez dit qu’à l’urgence, une blessure par balle était l’une des plus graves. J’aimerais poursuivre dans la même veine.

Dre Ahmed : Je peux vous dire que les taux augmentent. Les blessures sont de plus en plus graves. Il y a de plus en plus de victimes par incident. Je peux vous dire que nous traitons deux à quatre blessures par arme à feu...

Le sénateur Oh : Mais pourrait-il s’agir davantage de la violence des gangs?

Dre Ahmed : Je ne fais pas partie du système de justice pénale. Je suis une chirurgienne qui soigne des patients.

Le sénateur Oh : Merci.

Dre Ahmed : Je vous en prie.

[Français]

Le sénateur Carignan : Ma question s’adresse au Dr Drummond.

Vous avez parlé du lien entre la possession d’armes et le suicide. Vous semblez dire que le taux de suicide est plus élevé dans ce cas-là. Sur le site de Justice Canada, il y a une section intitulée « Lien entre disponibilité globale des armes et suicide ». On y cite différents auteurs et différentes études de pays qui n’arrivent pas à cette conclusion. On dit ceci:

La grande question est de savoir si une plus grande disponibilité des armes à feu est susceptible de faciliter la réussite des suicides. [...] jusqu’à maintenant, les faits susceptibles d’étayer cette hypothèse sont contradictoires [...] et, pour l’essentiel, peu concluants.

On ne semble pas dire que là où les armes à feu sont disponibles, le taux de suicide serait plus élevé. Cette information se trouve sur le site Web de Justice Canada.

Y a-t-il des statistiques sur le suicide dans la population qui ne possède pas d’armes? Est-ce que le taux de suicide est moins élevé parmi la population qui ne possède pas une arme que parmi celle qui possède une arme?

Vous avez parlé des soldats d’Israël, mais actuellement, on parle d’un sous-groupe et on parle de méthodes pour commettre un suicide dans la population en général, celle qui possède une arme et celle qui n’en possède pas. Le taux de suicide est-il semblable pour ces deux groupes?

[Traduction]

Dr Drummond : C’est une longue question. Je vais essayer de vous donner une réponse brève.

Le ministère de la Justice du Canada n’est pas la meilleure ressource pour essayer de déterminer ce qui se passe réellement au Canada. Beaucoup de renseignements sont périmés. Vous verrez des gens citer des études des années 1990 et 2000. ce qu’il faut regarder, c’est la littérature internationale. Les études qui sont publiées dans des revues internationales disposant d’importantes ressources devraient vous fournir ces informations.

Je peux vous dire en toute confiance, sénateur, que la réalité, c’est que l’accès à une arme à feu dans un foyer augmente le taux de suicide. C’est vrai à l’échelle internationale, peu importe ce que vous pouvez glaner auprès de Justice Canada.

[Français]

Le sénateur Carignan : Pouvez-vous nous faire parvenir cette information? On pourrait alors aider Justice Canada à mettre à jour son site Web.

[Traduction]

Dr Drummond : Ce qui est beaucoup plus important, pour être honnête avec vous — je pense que nous avons été clairs —, c’est qu’il est difficile de trouver une solution canadienne lorsque nous utilisons exclusivement des études internationales.

L’une des choses que nous demandons depuis un certain nombre d’années, c’est une base de recherche entièrement financée au Canada sur les blessures causées par des armes à feu, de sorte que nous aurions des recherches faites au Canada, des recherches faites au Québec. Cela aiderait à orienter la politique publique de façon plus rationnelle.

[Français]

Le sénateur Carignan : Je suis d’accord.

J’ai une autre question pour Dre Saunders. Vous avez parlé de la population, des enfants qui arrivent blessés par des armes à feu. Évidemment, cela nous touche toujours beaucoup.

Lorsque vous recevez des blessés, êtes-vous en mesure de déterminer le pourcentage des gens qui ont été blessés par des armes légales et des armes illégales? Avez-vous simplement la statistique générale de personnes blessées ou tuées par balles?

[Traduction]

Dre Saunders : Les données dont nous disposons en Ontario sont sur le mécanisme de la blessure. Nous savons donc que c’est une balle. Nous avons des rapports selon lesquels il pourrait s’agir d’une arme de poing, d’une carabine, d’un pistolet à air comprimé — nous ne le savons pas. C’est ce qui nous est rapporté et ce qui figure dans le dossier médical. À l’hôpital, nous ne recueillons pas l’arme. Nous ne savons pas s’il s’agit d’une arme obtenue légalement ou non. En fait, dans la plupart des cas, nous ne savons même pas quelle était l’arme. Nous n’avons pas les données qui nous permettraient de dire qu’un certain pourcentage d’armes est obtenu légalement ou illégalement. C’est une véritable lacune en matière de données, et nous devons faire mieux en tant que Canadiens.

Le président : Il reste quatre sénateurs qui ont des questions à poser. Je crains que nous n’ayons que trois minutes pour les questions, alors nous devons nous en tenir à cela.

Le sénateur Cardozo : Je pensais que cela se produirait, mais je vous remercie quand même, monsieur le président.

Je tiens à remercier nos témoins de leurs exposés, en particulier la Dre Ahmed et la Dre Saunders. Merci de nous avoir fait part du professionnalisme dont vous faites preuve chaque jour dans le cadre de votre travail pour sauver des vies, sauver la vie d’enfants, et de la passion avec laquelle vous le faites. Nous vous sommes reconnaissants d’avoir pris ce temps sur l’horaire chargé de vos professions qui, j’en suis sûr, sont souvent traumatisantes, jour après jour. Merci.

J’aimerais vous poser une question à tous les trois à ce sujet, s’il reste du temps, mais je vais commencer par la Dre Ahmed et la Dre Saunders. La semaine dernière, quelques témoins ont dit que les lois sur les drapeaux rouges n’étaient pas bonnes parce qu’elles pouvaient cibler les personnes racialisées et les Autochtones qui feraient l’objet de plaintes anonymes.

Pourriez-vous nous parler de cette suggestion? La Dre Ahmed d’abord, puis la Dre Saunders?

Dre Ahmed : Je serai brève. Les données recueillies dans diverses administrations, y compris aux États-Unis, indiquent qu’il est possible, au niveau de la population, de réduire les taux de suicide, les fusillades de masse et la violence par un partenaire intime. Nous devons certainement nous prémunir contre cela. Ce qu’il faut, c’est un système qui donne aux gens un accès confidentiel et rapide. L’État de New York, par exemple, a un système qui permet à un agent de la cour d’aller en ligne et, dans les 24 heures, d’émettre une ordonnance à la police pour faire retirer des armes à feu. Dans l’ensemble, on considère que cela protège la collectivité et les femmes, les enfants et la collectivité en général.

Dre Saunders : Lorsque vous avez quelqu’un devant vous et que vous craignez la possibilité d’une plainte vexatoire, je pense qu’une plainte vexatoire n’a pas le même poids que la menace réelle de blessure ou de mort qui pourrait arriver à une femme ou à un enfant indépendamment de sa race. Avec le temps, avec ce projet de loi — s’il est adopté et mis en œuvre —, nous devons surveiller qui l’utilise et quand il y a des plaintes vexatoires. Cependant, au bout du compte, si vous protégez un enfant ou une femme sous la menace de la violence, cela l’emporte sur tout le reste.

Le sénateur Cardozo : Docteur Drummond?

Dr Drummond : Si vous me le permettez, si je regarde l’expérience du Colorado, qui est relativement nouvelle, sur les 109 premières OIU émises, il n’y a eu que 4 % de plaintes vexatoires. Si vous parlez à des chercheurs américains de partout aux États-Unis — et je l’ai fait —, c’est une idée fausse souvent utilisée par le lobby pro-armes pour essayer de dissuader les gens d’inscrire les OIU dans la loi.

Le président : Merci d’avoir respecté le temps imparti.

Le sénateur Yussuff : Je remercie les témoins de tout ce qu’ils font en première ligne pour aider les Canadiens au quotidien. Je ne saurais trop louer votre travail. Merci d’avoir pris le temps de vous joindre à nous aujourd’hui.

Docteure Ahmed, en ce qui concerne le fait d’être en première ligne et le genre de blessures que vous traitez dans un centre de traumatologie — surtout à Toronto; je vais vous demander de parler de Toronto —, la violence liée aux armes à feu est-elle plus répandue au quotidien? Est-ce plus fréquent ces derniers temps d’après ce que vous observez dans la ville?

Dre Ahmed : Malheureusement, je crains que la réponse soit oui. Nous voyons cela de plus en plus. Lorsque je faisais mon stage, nous devions aller aux États-Unis pour acquérir de l’expérience dans le traitement des blessures par balle. Nos stagiaires canadiens n’ont plus à s’y rendre, qu’ils se spécialisent en médecine d’urgence, en chirurgie traumatologique, en neurochirurgie ou en soins intensifs. Malheureusement, nos centres universitaires urbains offrent suffisamment d’expérience en matière de blessures par arme à feu pour que nos stagiaires deviennent des experts. Au fil du temps, nous constatons une augmentation du nombre de patients par incident, un changement dans le calibre des balles et, de plus en plus, ces incidents se produisent le jour, en plein jour. Malheureusement, c’est la raison pour laquelle nous sommes ici. Si ce n’était pas un problème que nous avons constaté dans notre travail clinique, je vous assure que nous ne serions pas ici.

Le sénateur Yussuff : Docteure Saunders, en tant que parent, je suis, bien sûr, constamment troublé et préoccupé par les défis que pose la violence chez les adolescents au Canada, en particulier la violence liée aux armes à feu qui touche les adolescents. D’après vos connaissances et votre expertise, et le travail que vous faites en ce qui concerne la violence chez les adolescents, est-ce que les armes à feu sont la cause de certains des traumatismes liés à cette violence que vous voyez dans nos hôpitaux?

Dre Saunders : En ce qui concerne la violence en général, les armes à feu ne sont pas la principale cause. Il y a la menace de violence — qui ne se manifeste pas nécessairement à l’urgence — ainsi que d’autres formes de violence, comme les coups de couteau et les agressions. Les armes à feu ne sont pas la cause principale, mais c’est certainement une cause importante.

Pour ce qui est des mesures à prendre, elles sont multifactorielles. Nous devons nous attaquer à la racine du problème, mais si nous pouvons réduire le nombre d’armes à feu en circulation et leur accessibilité, cela peut avoir un effet positif. Si nous pouvons soutenir les personnes qui ont été blessées par la violence des armes à feu, afin que nous ne voyions pas des effets en chaîne, nous pourrons alors améliorer la situation.

Le sénateur Boehm : Docteure Saunders, je vous remercie de votre présence. Je remercie également les autres témoins.

Dans votre déclaration préliminaire, vous avez parlé de façon très convaincante de ce que vous avez vu en tant que pédiatre aux prises avec des blessures par balle et des blessures horribles. Vous avez parlé ensuite des exercices de confinement et des exercices en cas de fusillade dans les écoles. Mes enfants ont vécu la même chose, surtout lorsque nous vivions aux États-Unis et que je travaillais là-bas.

Il y a beaucoup de désinformation. Nous avons reçu beaucoup de courrier de gens de partout au pays qui craignent de perdre leurs droits en tant que tireurs sportifs et ainsi de suite.

Ma question est très simple : comment peut-on changer les cœurs et les esprits? Vous êtes en première ligne. Vous voyez cela. Avez-vous des suggestions?

Dre Saunders : Comment pouvons-nous changer les cœurs et les esprits?

Le sénateur Boehm : Les deux, si possible.

Dre Saunders : En tant que pédiatre, nous devons penser à nos propres enfants, à nos collectivités et à ce que signifie un développement sain de l’enfant. La chasse et le tir dans un champ de tir sont des activités amusantes, mais la sécurité personnelle et la sécurité communautaire sont à la base de la pyramide du développement et du bien-être de l’enfant. Je ne sais pas comment nous pouvons changer les cœurs et les esprits, mais si ce n’est pas suffisant, je ne sais pas ce qui le sera.

Le sénateur Boehm : Le bien-être des enfants qui vivent cela constamment est évidemment préoccupant. Quand j’étais enfant, nous devions nous cacher sous le pupitre pour faire des exercices en cas d’attaque nucléaire. Cela montre mon âge. Nous n’avions pas à faire des exercices pour les fusillades, mais nos enfants en font et leurs enfants en feront aussi.

Dre Saunders : Oui, c’est en augmentation. Je n’aurais jamais pensé que nous aurions à nous en préoccuper, mais cela arrive tout le temps. Qu’il s’agisse d’une fusillade ou d’un exercice en cas de fusillade, malheureusement, cela arrive tout le temps.

Le président : Merci.

La sénatrice Dasko : Merci beaucoup à nos témoins. Deux d’entre vous — la Dre Saunders et la Dre Ahmed — travaillent dans ma ville. Je vous suis très reconnaissante du travail que vous faites dans les deux hôpitaux, non loin d’où je vis.

Tout à l’heure, la Dre Ahmed nous rappelait que vous êtes des médecins et non des législateurs, mais je veux vous poser une question au sujet du projet de loi C-21.

Il y a une lacune dans la loi concernant les armes d’assaut. Environ 1 500 armes ont été interdites. À l’avenir, il faudra en interdire de nouvelles, mais il y a une lacune. Il y a un certain nombre d’armes de type assaut qui ne sont pas traitées directement dans ce projet de loi.

Je ne sais pas si vous avez pris position à ce sujet, mais je voulais vous demander si vous aviez quelque chose à dire au sujet de cet aspect du projet de loi, ou diriez-vous que c’est un bon projet de loi, et qu’il faut l’adopter tel quel?

Dre Saunders : Je n’ai aucune expertise technique. Il y a certains principes qui s’appliquent aux armes à feu, qu’elles soient prohibées ou à utilisation restreinte, à savoir si elles peuvent tuer beaucoup de gens, rapidement, et si elles sont facilement accessibles. Je m’en remets aux experts pour ce qui est des détails techniques, mais je pense que nous devons tenir compte de ces principes.

Dre Ahmed : Je crois que le projet de loi C-21 comprend une définition, ce qui est très important, et un mécanisme de perpétuation des brevets pour veiller à ce que les nouveaux modèles qui sont légèrement modifiés ne soient pas mis sur le marché. Je pense que vous faites allusion aux quelque 350 fusils à canon rayé, qui, à mon avis, devraient être soigneusement examinés et évalués en fonction d’une définition de ce à quoi la Dre Saunders fait référence, à savoir les armes à feu qui peuvent tuer beaucoup de gens très rapidement.

J’exhorte les sénateurs à veiller à ce que la définition d’« arme de type assaut » soit soigneusement examinée dans ce projet de loi.

Dr Drummond : Pour ce qui est de la médecine d’urgence, nous avons toujours considéré qu’il s’agit d’un enjeu de société et non pas tant d’un enjeu médical. En tant que société canadienne, serons-nous plus permissifs dans notre approche à l’égard des armes à feu ou serons-nous plus restrictifs? Il incombe aux législateurs canadiens de décider quel genre de Canada ils veulent pour leurs enfants.

La sénatrice Dasko : Merci. C’est exactement l’objet du projet de loi C-21.

Le président : Honorables sénateurs, cela nous amène à la fin de notre panel. Docteure Saunders, docteur Drummond et docteure Ahmed, merci beaucoup de nous avoir fait profiter de votre vaste expérience aujourd’hui. Nous vous en sommes reconnaissants. Je peux vous dire que vous avez apporté beaucoup de gravité dans cette salle. Je suis sûr que la Dre Saunders le ressent, et je suis sûr que vous aussi.

Je me joins à mes autres collègues pour vous remercier du travail que vous faites chaque jour — et sans doute aussi certains soirs et certaines fins de semaine — pour sauver des vies et aider à protéger les enfants et les adultes touchés par ces questions. Nous vous en sommes très reconnaissants. Je le dis au nom du comité, au nom du Sénat du Canada et au nom des Canadiens de partout au pays. Merci beaucoup.

Nous allons maintenant passer à notre troisième groupe de témoins. Pour ceux qui nous écoutent aujourd’hui, nous étudions le projet de loi C-21, Loi modifiant certaines lois et d’autres textes en conséquence (armes à feu).

Nous avons le plaisir d’accueillir par vidéoconférence, au nom du mouvement One By One, Marcell Wilson, fondateur et président, ainsi que Francis Langlois, chercheur, Observatoire des États-Unis, chaire Raoul-Dandurand, Université du Québec à Montréal.

Merci de vous joindre à nous aujourd’hui. Je vous invite à faire votre déclaration préliminaire, après quoi les membres du comité vous poseront des questions. Je vous rappelle que vous disposez chacun de cinq minutes pour votre témoignage.

Nous commençons aujourd’hui par M. Marcell Wilson. Veuillez prendre la parole lorsque vous serez prêt.

Marcell Wilson, fondateur et président, mouvement One By One : Bonjour. Je m’appelle Marcell Wilson et je suis le fondateur du mouvement One by One, ou OBOM. Je suis un spécialiste de la théorie de la culture des gangs. De plus, j’ai récemment été jugé expert en matière de genre, de diversité et d’inclusion par le Centre de la statistique sur le genre, la diversité et l’inclusion, de Statistique Canada, ou CGDIS.

Comme beaucoup d’entre vous le savent, je suis un ancien membre de gang et un ancien membre du crime organisé. La majeure partie de mon expertise est fondée sur l’expérience vécue.

Je tiens à remercier le Sénat du Canada de son invitation et de nous donner l’occasion de venir ici pour représenter une majorité démographique affectée par la violence liée aux armes à feu à Toronto. Nous travaillons directement sur le terrain dans certaines des communautés les plus touchées. Nous travaillons en permanence avec des personnes et des familles qui ont été victimes de cette violence et avec certains de ses auteurs.

Les données d’OBOM proviennent directement de ce bassin, sur lequel il a toujours été difficile de faire des recherches et d’obtenir des données exactes. Cela est dû à plusieurs raisons. Par exemple, la plupart des gens que nous desservons ne font pas confiance au gouvernement et craignent de s’exprimer en raison des conséquences et des répercussions possibles de la part du gouvernement ou de la rue. Il est donc particulièrement difficile pour le milieu universitaire et les organismes gouvernementaux de recueillir des données exactes et solides auprès d’un groupe démographique sur ce sujet, des données qui pourraient éventuellement réorienter les efforts du plan actuel de notre gouvernement pour lutter contre ce problème.

Nous savons tous que la violence liée aux armes à feu est une menace courante pour de nombreux Canadiens, mais surtout pour les membres des communautés marginalisées à l’échelle du pays. Vous savez maintenant que la plupart des armes à feu utilisées pour commettre des crimes violents, comme des homicides, dans les communautés que nous représentons sont des armes à feu obtenues illégalement. J’ai dit à maintes reprises, et je continuerai de dire, que même une seule perte de vie ou blessure due à la violence insensée des armes à feu est absolument inacceptable. Pour lutter efficacement contre ce problème, nous devons concentrer la majorité de nos efforts et de nos ressources sur la prévention et les causes profondes. Il est important de se pencher sur les méthodes et les résultats de la violence, mais il faut s’attaquer d’abord aux causes profondes et aux facteurs de risque.

La prévention ne consiste pas seulement à s’attaquer aux causes profondes. Il s’agit aussi d’empêcher l’entrée d’armes à feu illégales dans le pays, d’associer des sanctions judiciaires à de solides efforts de réforme, et d’investir dans un système de soins de santé mentale qui est sous-financé, entre autres choses. Je comprends que certaines de ces préoccupations ont été réglées grâce à des amendements au projet de loi C-21, des choses comme le Fonds pour bâtir des communautés plus sécuritaires, une promesse de renforcer nos efforts à la frontière et d’autres mesures. Mais si l’objectif de ce projet de loi est de prévenir la violence liée aux armes à feu, alors ces amendements ou ajouts, si vous voulez, devraient être les points centraux d’un projet de loi sur la prévention de la violence liée aux armes à feu.

Malheureusement, des gens sont tués par des armes à feu légales au Canada. Cela arrive, mais je pense que tout expert ou toute personne rationnelle peut convenir que lorsqu’on parle de violence liée aux armes à feu au Canada, cela représente une minorité. Comment se fait-il que sur une question aussi importante, la minorité ait la voix la plus forte? Comment se fait-il que la majorité, ses représentants et les experts qui la défendent se sentent si peu écoutés?

En faisant des recherches sur le site Web du gouvernement du Canada au sujet du projet de loi C-21, j’ai lu quelque chose qui m’a préoccupé :

Le projet de loi C-21 propose de renforcer les règles visant à prévenir la violence liée aux armes à feu dans nos communautés en imposant des restrictions responsables à certaines armes à feu utilisées au Canada.

J’aimerais que cela vise vraiment « à prévenir la violence liée aux armes à feu dans nos communautés », car si c’était le cas, je l’appuierais sans réserve. Mais cette affirmation donne de faux espoirs aux Canadiens qui n’en savent pas plus, et devrait décevoir énormément ceux qui en savent plus.

Ce que je demande au gouvernement, au nom des Canadiens et des communautés que nous représentons, c’est simplement de dire les choses telles qu’elles sont. Ce projet de loi vise à retirer des armes à feu légales aux propriétaires légitimes d’armes à feu, et non à prévenir la violence ou à rendre notre pays beaucoup plus sûr. S’il vous plaît, arrêtez d’exploiter à des fins politique des gens qui ont déjà suffisamment souffert. Nous savons mieux, nous voulons mieux et nous méritons mieux. Merci de votre attention.

Le président : Merci beaucoup.

[Français]

Francis Langlois, chercheur, Observatoire sur les États-Unis, Chaire Raoul-Dandurand, Université du Québec à Montréal : Je remercie le comité de m’avoir invité et de m’offrir du temps de parole. J’étudie les enjeux liés aux armes à feu depuis au moins 10 ans. Je me suis penché sur leur évolution technique, leur fabrication, leur mise en marché et leur réglementation.

J’étudie également les différentes formes de culture qui entourent les armes à feu, ainsi que les causes et les solutions à la violence armée, sujets dont j’ai énormément parlé dans les dernières années dans les médias et devant des instances gouvernementales. Enfin, j’ai également écrit sur l’extrémisme de droite aux États-Unis.

À leur plus simple expression, les armes à feu sont des outils conçus pour tuer. Elles ne rendent pas les gens violents. Ces outils sont toutefois des facilitateurs de violence et rendent celle‑ci plus efficace. Comme M. Wilson le soulignait tout à l’heure, c’est un problème qui affecte toutes les villes canadiennes et particulièrement les communautés les plus démunies. Pour cette raison, leur utilisation, leur fabrication et leur entreposage doivent être encadrés par la loi.

Malgré tous ses défauts, le projet de loi C-21 s’inscrit en principe dans un effort de réglementation des armes à feu qui sont effectivement des armes à feu légales, quoique le projet de loi s’attaque également aux armes fantômes et renforce les peines liées aux crimes commis avec des armes à feu.

Comme M. Wilson le disait, on cherche ici à retirer de la circulation, au Canada, des armes légalement détenues par des Canadiens et nommément des armes de poing à long terme et des fusils d’assaut de style militaire pour reprendre la nomenclature du gouvernement.

Malgré le fait que je reste très conscient que ces deux mesures aient très peu d’effet, ou en tout cas un peu d’effet sur la violence qui affecte les grandes villes canadiennes, j’appuie le projet de loi dans la mesure où il s’inscrit dans une volonté de réduire les potentielles tueries de masse qui risquent d’affecter le futur. On en a vu une la semaine dernière aux États-Unis et il n’est pas garanti qu’il n’y en aura pas d’autres ici, au Canada. Les fusils d’assaut et autres armes semi-automatiques sont particulièrement prisés par les tueurs de masse.

Cela étant dit, le projet de loi a plusieurs défauts. La définition de ce qu’est une arme d’assaut de style militaire peut poser problème. Le coût réel du projet de loi, et en particulier du rachat des armes dites d’assaut, me semble peu élaboré dans la mesure où une fois le rachat effectué, il faudra assurer la manutention sécuritaire de ces armes, les entreposer et éventuellement les détruire. Je n’ai pas vu de chiffres qui parlent de ces enjeux.

Nous ne savons pas non plus combien de ces armes circulent au Canada en ce moment. C’est donc très difficile d’évaluer le coût avec précision

. Enfin, je veux conclure qu’un projet de loi comme celui-ci ne peut pas tout régler en matière de violence liée aux armes à feu. Il faut aussi mettre des moyens en place. La prévention, M. Wilson le disait, est la clé. Il faut aussi réinvestir dans les communautés qui sont affectées par la violence liée aux armes à feu, détruire les causes fondamentales dont parlait M. Wilson.

L’Australie, la Nouvelle-Zélande et l’Angleterre ont pratiquement réussi à faire disparaître les tueries de masse sur leurs territoires en éliminant ou en faisant sortir les fusils d’assaut de leur territoire. Effectivement, cela a fonctionné. Cela dit, ces trois pays ne sont pas les voisins des États-Unis, qui sont un immense marché d’armes illégales qui vont au Mexique, effectivement, mais aussi ici, au Canada.

Enfin, les tueries de masse sont des événements à haute intensité, mais à basse fréquence. La diminution des risques que celles-ci se reproduisent n’aura pas vraiment d’incidence sur les taux d’homicide actuels par armes à feu au Canada. Il faut donc rester réaliste quant au projet de loi et je joins ma voix à celle de M. Wilson. Je reste convaincu que la prévention est la clé dans la lutte à la violence armée, mais je conserve quand même bon espoir qu’on réussira à diminuer le potentiel de violence de futures tueries de masse.

Merci.

[Traduction]

Le président : Merci, monsieur Langlois. Nous allons maintenant passer aux questions. Ce panel se terminera à 18 heures. Comme pour le groupe précédent, je vais limiter chaque question, y compris la réponse, à quatre minutes. Je lèverai cette carte pour signaler qu’il vous restera 30 secondes. Veuillez rester concis et préciser à qui vous adressez la question. J’invite le vice-président, le sénateur Dagenais, à poser la première question.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma question s’adresse à M. Langlois. J’aimerais vous entendre sur les armes fantômes et celles qui peuvent être fabriquées avec des imprimantes 3D. Il y a eu bien des amendements au projet de loi C-21 pour mieux contrôler le marché de ces armes à feu, qui semblent faciles à fabriquer de toute pièce ou avec des composantes qu’on trouve sur le marché. Est-ce suffisant? Que peut-on contrôler? Qu’est-ce qui continuera de nous échapper? Est-ce qu’on doit s’inquiéter davantage de ces armes à feu ou cela demeure-t-il marginal pour le moment?

M. Langlois : Merci pour la question, sénateur.

Oui, c’est un problème qui est grandissant partout dans le monde, mais particulièrement ici, en Amérique du Nord. On en trouve de plus en plus, un peu partout, et de différents modèles, notamment et évidemment des armes automatiques qui tirent beaucoup de projectiles en très peu de temps. Elles sont prisées par les criminels parce qu’elles sont fantômes ou presque; on peut décomposer les polymères utilisés pour les imprimer et ainsi trouver quelle imprimante les a faites et éventuellement, si on met la main sur l’imprimante, ça va, mais sinon, c’est pratiquement impossible.

Cela dit, j’avais essentiellement suggéré, lors d’une présentation précédente, d’étendre la définition d’une arme à feu non seulement à la crosse qui est imprimable, mais aussi à toutes les composantes principales comme la culasse, le canon, etc., de façon à pouvoir voir qui importe ce genre de morceaux ou de pièces de façon intensive. Car pour l’instant, aux yeux de la loi — particulièrement aux États-Unis, mais ici aussi —, ce n’est pas tout à fait considéré comme étant une arme. Il serait donc bon de contrôler l’ensemble des pièces importantes qui composent une arme à feu, à l’instar de plusieurs pays européens, notamment l’Allemagne, où il est beaucoup plus difficile d’obtenir des armes imprimées.

Maintenant, il est relativement difficile de contrôler les logiciels et surtout les fichiers qui permettent d’imprimer ces armes, qu’elles le soient avec des composantes en plastique ou encore avec une partie en plastique et une autre partie en métal. C’est ce qui est le plus prisé par les criminels. Les policiers à qui j’ai parlé m’ont dit que ces armes en métal et plastique sont à peu près aussi efficaces que les modèles originaux, en particulier les modèles Glock, qui sont très simples à utiliser et à copier.

Cela restera relativement accessible, à moins que le gouvernement fédéral réussisse à imposer un contrôle sur Internet comparable à celui de « Big Brother ». Je doute qu’on puisse complètement enrayer le problème, mais en utilisant les moyens dont j’ai parlé, ce qui est censé être inséré dans le projet de loi C-21, cela pourra faciliter la lutte contre ce genre de phénomène.

Le sénateur Dagenais : Dans quelle mesure le gouvernement actuel identifie-t-il correctement ce qu’il appelle des armes de guerre ou des armes semi-automatiques? Êtes-vous capables de nous brosser le profil des acheteurs de ce type d’armes dont je ne vois pas l’utilité, sauf pour les militaires ou des équipes tactiques de grands services de police?

M. Langlois : Pour les amateurs et beaucoup de collectionneurs qui aiment faire du tir de précision ou de la compétition, et pour les amateurs de belles technologies, cela reste des armes de précision qui sont très intéressantes à étudier et à posséder. Cela dit, le problème c’est qu’une partie de ces armes, en ce moment, sont à autorisation restreinte, donc identifiée, mais une forte partie, jusqu’à tout récemment, était des armes à autorisation non restreinte.

Nous n’avons donc pas de traces d’une grande proportion de ces armes qui sont en circulation en ce moment au Canada. Cela pose un problème. On sait qu’elles ont été vendues un moment donné, mais à qui et combien les gens en ont, cela reste difficile à savoir.

Cela reste un immense problème, un casse-tête pour les autorités policières, judiciaires et gouvernementales en ce moment.

[Traduction]

Le sénateur Kutcher : Merci à vous deux d’avoir pris le temps de venir nous rencontrer. Ma question s’adresse à M. Langlois. Dans votre témoignage à la Chambre des communes, vous avez dit qu’au Canada, on entend :

... un discours très proche de celui que l’on retrouve aux États-Unis. Parfois, certaines personnes qui défendent le droit de posséder et d’utiliser des armes à feu ont recours à des arguments qui sont tirés directement des propos que tiennent des organismes comme la National Rifle Association.

Vous n’êtes pas sans savoir qu’en 1993, la Cour suprême du Canada a statué que les Canadiens n’ont pas le droit constitutionnel de posséder des armes à feu, et que la possession d’armes à feu est un privilège; pourtant, une bonne partie de la correspondance que j’ai reçue au sujet du projet de loi C-21 semble mal informée, penser que la possession d’une arme à feu est un droit au Canada. Pouvez-vous nous parler de la désinformation à l’américaine au sujet des armes à feu et de la violence liée aux armes à feu dont on fait la promotion ici au Canada et dont vous avez parlé dans votre témoignage à la Chambre des communes? Ajouteriez-vous quelque chose au projet de loi pour atténuer les répercussions de cette importante rhétorique?

M. Langlois : Je vous remercie de la question, sénateur. Oui, je me souviens d’avoir dit cela. La semaine dernière, je lisais, sur des groupes Facebook et sur X, ce genre de discours venant directement des États-Unis où les gens disaient, essentiellement, que si nous n’avons pas d’armes à feu chez nous, que pouvons-nous faire pour nous défendre? Ce n’est pas un droit garanti par la Constitution que d’avoir une arme à feu chez soi pour défendre sa maison. De plus, comment les armes à feu sont-elles liées à la liberté et à un mode de vie où il y a des armes à feu? Tout cela vient des États-Unis. Beaucoup de gens disent que c’est un droit garanti par la Déclaration des droits des États-Unis, qui a été signée en 1689, si je ne me trompe pas, parce que c’était dans la Déclaration des droits à un moment donné. Mais il était bien connu, même à ce moment-là, que le roi ne pouvait pas désarmer ses sujets protestants — pas toute la population. Quoi qu’il en soit, ce droit a été retiré, ici au Canada, de la Déclaration canadienne des droits et même au Royaume-Uni. Je pense qu’il sera très difficile d’empêcher ce discours de traverser la frontière.

J’ai quelques revues — je reçois tous les mois Guns and Ammo, un magazine d’armes à feu grand public des États-Unis, et beaucoup de Canadiens s’abonnent à ce genre de publication. Ils lisent les arguments des gens qui écrivent pour ces magazines. Vous pouvez le constater partout en ligne. Je ne pense pas que ce soit une bonne idée d’essayer d’interdire ce genre de publication au Canada, mais je pense que le gouvernement devrait être clair et expliquer comment la loi fonctionne, ce que la Cour suprême a décidé, la jurisprudence, la façon dont cela fonctionne dans notre pays, et à quel point c’est différent des États-Unis. Je pense que ce serait essentiel pour mieux comprendre le débat sur le contrôle des armes à feu au Canada.

Le sénateur Kutcher : Merci. En ce qui concerne vos propres recherches, y a-t-il des organisations au Canada qui font la promotion de ce genre de discours américain fondé sur le point de vue américain, plutôt que de dire clairement ce que dit la loi canadienne?

Le président : Une réponse en 10 secondes, s’il vous plaît.

M. Langlois : Je pense que certains membres de la National Firearms Association, Tous contre un Registre Québécois des armes à feu et d’autres groupes de ce genre, répètent ce qui se dit aux États-Unis. Je ne pense pas qu’ils le publient officiellement, mais je dirais que c’est ainsi que je le vois et que je le lis en ligne.

Le président : Merci beaucoup.

[Français]

Le sénateur Cardozo : Mes questions s’adressent aux deux témoins. Vous avez tous deux parlé des mesures de ce projet de loi qui s’attaquent aux causes profondes du problème. Je voudrais connaître votre avis sur les choses les plus importantes à faire, en commençant avec M. Langlois.

M. Langlois : Merci pour la question.

La lutte à la pauvreté est une des premières solutions pour régler les causes profondes de la violence urbaine, tout comme offrir des solutions de rechange aux jeunes, des options différentes que la violence ou la criminalité, et revitaliser les communautés locales en créant des programmes qui intègrent les élites locales, les groupes sociaux et les travailleurs de rue. Évidemment, il faut aussi une certaine petite proportion de forces policières; on peut toujours avoir besoin de répression lorsque cela est nécessaire.

Sinon, il faut s’inspirer de l’expérience réussie — mais mise à mal par la COVID-19 — de New York, Philadelphie et Boston, des endroits où on a investi dans les communautés, rencontré les élites et reconstruit les quartiers en faisant du verdissement, par exemple, simplement pour offrir des solutions de rechange aux jeunes qui sont attirés par le crime.

On a vu ce qui arrive lorsque les ressources de premier plan sont retirées, parce qu’on l’a vu pendant la pandémie de COVID-19 : la violence augmente, car les facteurs de protection qui encadrent les gens à risque de se tourner vers la violence sont soit mis à mal ou totalement retirés. C’est là qu’il faut mettre de l’argent, beaucoup d’argent, plus que dans la répression.

Le sénateur Cardozo : Merci.

[Traduction]

Le sénateur Cardozo : Monsieur Wilson, que pensez-vous des nouveaux cas, qui vont au-delà de ce projet de loi?

M. Wilson : Oui, ma réponse rejoint celle du professeur. Je crois que nous devrions commencer par nous attaquer à des problèmes comme la pauvreté et les problèmes de santé mentale dans nos collectivités. Les ressources sont nettement insuffisantes. La chaîne est souvent brisée. On entend souvent parler d’une approche multidirectionnelle ou multifocale, qui pourrait fonctionner et qui, dans la plupart des cas, devrait fonctionner. Mais ce que nous constatons sur le terrain, c’est un manque de communication entre les organismes, les bureaucraties et les organismes gouvernementaux. Un de mes anciens mentors disait que nous ne sommes pas mal desservis, mais mal servis. Nous devons combler ces lacunes. Deuxièmement, d’après mon expérience en tant qu’ancien criminel, nous devons certainement combler les lacunes à la frontière, y investir davantage et arrêter le flux vers les communautés. Mais surtout, nous devons nous attaquer à la culture de violence que nous observons.

M. Langlois : Il faut le faire à long terme, pas pendant un an ou deux.

M. Wilson : De façon durable.

M. Langlois : De façon durable. C’est ça. Cinq ans, dix ans — je ne sais pas, mais beaucoup plus longtemps que maintenant.

Le sénateur Cardozo : Monsieur Langlois, brièvement, que pensez-vous des dispositions de drapeau rouge? Certains ont laissé entendre qu’elles toucheraient les minorités et les Autochtones plus que d’autres. Avez-vous des commentaires au sujet de cette question?

M. Langlois : Je dois admettre que je ne suis pas un expert en la matière, mais une chose est sûre. Cela devrait se faire de façon à ce que les droits de personne ne soient attaqués.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : J’aurais deux questions, une pour chacun des témoins, que je remercie, au départ.

La première s’adresse à M. Wilson. J’ai rencontré récemment un groupe de jeunes de Montréal dont plusieurs sont souvent en rapport indirect avec des jeunes qui appartiennent aux gangs de rue. Le commentaire que d’autres groupes m’ont fait est le sous-financement des travailleurs de rue, des gens qui travaillent avec les jeunes de 14 à 18 ans, la manne première pour les gangs de rue.

*On va investir près d’un milliard de dollars pour le rachat d’armes à feu. N’y a-t-il pas une contradiction entre le fait de racheter des armes à feu dont les conséquences sur la criminalité risquent d’être relativement mineures et d’avoir des groupes qui interviennent auprès des jeunes dans les villes, surtout les grandes villes qui sont sous-financées, sachant qu’on va perdre ces jeunes au profit des gangs rue? N’y a-t-il pas une espèce de contradiction quant aux priorités du gouvernement?

[Traduction]

M. Wilson : Je vous remercie de votre question, sénateur. Oui, je suis entièrement d’accord. Nous travaillons actuellement auprès d’un grand nombre de jeunes. C’est là où je voulais en venir dans ma déclaration préliminaire. J’ai l’impression que bon nombre de nos jeunes, et de ceux qui peuvent jouer un rôle important dans la lutte contre ce problème, ne sont pas entendus ou pris en compte. Si les données étaient recueillies correctement, auprès des jeunes, des personnes vivant dans des communautés marginalisées et des personnes les plus touchées par la violence liée aux armes à feu, cela pourrait aider à convaincre le gouvernement de ne pas dépenser autant d’argent dans un dossier qui n’aura aucune incidence sur les personnes touchées dans les collectivités où nous travaillons. Ces jeunes ont tout à fait raison.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Ma prochaine question s’adresse à M. Langlois.

Le chef de police de Toronto a affirmé que 86 % des armes saisies provenant du monde de la criminalité et d’autres sources provenaient des États-Unis. Dans ce projet de loi, il n’y a aucune stratégie. D’ailleurs, quand le ministre de la Sécurité publique est venu témoigner, on lui a demandé quelle serait sa stratégie pour empêcher les armes à feu d’entrer librement au Canada.

J’essaie de comprendre comment on va dépenser un milliard de dollars pour racheter des armes à feu dites « légales » pour les retirer du marché au Canada. De plus, 86 % des armes qui entrent au Canada proviennent des États-Unis, et on n’a pas de stratégie pour stopper cette entrée illégale.

N’y a-t-il pas des contradictions dans le projet de loi? Parce qu’on va investir massivement pour acheter des armes illégales et on en fait très peu pour empêcher l’entrée des armes à feu illégales provenant des États-Unis.

M. Langlois : Merci pour la question, sénateur.

Effectivement, cela me semble être une faiblesse majeure dans le projet de loi, à moins qu’un autre projet de loi ou un autre programme soient en train d’être mis en place, dont je n’ai pas entendu parler à la frontière.

Les chiffres que vous citez à propos de Toronto concernent les armes de poing retrouvées sur les scènes de crime dans la grande région de Toronto, soit autour de 86 % des armes de poing. Certains autres corps policiers m’ont dit que 90 % des armes de poing qui sont saisies dans les grandes villes proviendraient de l’étranger, notamment des États-Unis.

En effet, il y a un problème de trafic d’armes à la frontière. La frontière est très poreuse. Les armes entrent parfois de façon massive, comme cela a été le cas en mars 2021 au sud de Dundee où un jeune homme a été arrêté avec 249 pistolets de type Glock. À d’autres endroits, dans la ville de Stanstead, en 2011, un groupe de trafiquants amateurs se sont fait coincer avec six ou sept pistolets. Ils avaient échangé un sac à dos dans la salle de bains de la bibliothèque qui chevauche la frontière entre Derby et Stanstead. Il y a une multitude de points d’entrée et de méthodes pour faire entrer ces armes. Effectivement, on n’entend pas beaucoup parler de stratégie...

[Traduction]

Le président : Monsieur Langlois, je suis désolé de vous interrompre. Nous avons un peu dépassé le temps alloué.

La sénatrice M. Deacon : Je remercie nos témoins de nous consacrer leur temps pour leurs témoignages très importants aujourd’hui.

Ma première question s’adresse à M. Wilson. J’ai été intriguée par votre témoignage à la Chambre. Je l’ai lu à quelques reprises. Sans vouloir trop nous immiscer dans votre vie en tant que groupe de sénateurs, vous avez un parcours assez authentique et vous avez été dans la rue. Si c’est approprié, je vais poser cette question en deux parties.

Dans notre perspective d’apprentissage, qu’est-ce qui vous a conduit à vous joindre à des gangs et à mener cette vie, et qu’est-ce qui vous a poussé à en sortir?

La deuxième partie vient compléter ce qu’a dit mon collègue. Vous avez mentionné dans votre témoignage que ce projet de loi et la conversation sur l’argent pourraient nous faire oublier l’essentiel du travail qui vous préoccupe le plus, et dont vous avez parlé aujourd’hui.

Sur ce dernier point, le gouvernement envisage d’augmenter la peine maximale de 10 à 14 ans d’emprisonnement pour les infractions liées aux armes à feu, y compris la contrebande et le trafic d’armes à feu.

Pendant que nous examinons la question et que nous pensons à vous et à votre parcours — dont j’espère que vous nous parlerez davantage —, je me demande ce que le gouvernement peut faire de plus, à votre avis, pour améliorer ce projet de loi. Pensez-vous que nous avons peut-être oublié certains éléments?

M. Wilson : Merci beaucoup de la question.

Pour ce qui est de mon entrée dans les gangs, ce que nous faisons dans le mouvement One by One, c’est que nous essayons de suivre l’histoire d’une personne. Nos programmes sont adaptés spécifiquement à chaque personne en fonction de ses facteurs de risque. Mes facteurs de risque étaient certainement le quartier où j’ai grandi. J’ai grandi dans un logement communautaire de Toronto, juste en face d’une abondance de richesses que je pouvais voir tous les jours. J’avais l’impression qu’il n’y avait pas d’issue en voyant ma mère se débattre, de même que les gens de mon entourage.

Malheureusement, les gars que j’admirais étaient impliqués dans des activités criminelles. Cette culture de la violence devient un mécanisme de survie. Elle ne rend pas une personne bonne ou mauvaise en soi. C’est ce qui m’amènera plus tard à répondre sur la question de la justice et de l’incarcération. Cela ne rend pas les gens mauvais. Je voulais absolument survivre. En fait, j’avais de bonnes notes. J’avais de bons résultats à l’école et je voulais m’en sortir.

Les gens dans cette situation deviennent doués pour sentir le besoin de protection et de survie. C’est ce qui s’est passé dans mon cas. Je ressentais le besoin de me sentir protégé, de gagner ma vie et d’améliorer mon sort, et je me suis impliqué avec les gens qui m’entouraient. Malheureusement, je suis entré des deux pieds dans ce monde, et il m’est arrivé beaucoup de mal — beaucoup de traumatismes et beaucoup de choses dont je souffre maintenant.

Pour m’en sortir, il suffisait de m’éloigner lentement des choses qui m’entouraient. Je suis tombé amoureux. J’ai commencé à embrasser les composantes de la santé mentale. J’ai commencé à comprendre qu’il était normal d’aimer et de faire preuve de compassion, et que cela faisait de vous un être humain. J’ai profité de ces occasions pour prendre du recul.

Ce qui rend mon parcours unique, c’est que j’ai demandé la permission. J’ai parlé aux gens de mon entourage et je leur ai dit : « Je ne suis pas une menace. Est-ce que je peux me retirer? » On m’a donné la permission et j’en ai profité pour changer ma vie.

Pour ce qui est du projet de loi, qui est plutôt une perte de temps pour nous et pour le travail que nous faisons, il s’agit d’une distraction, car nous voulons toujours nous pencher sur les raisons de ce problème. Pourquoi ce jeune veut-il prendre une arme à feu pour faire du mal à une autre personne? Que pouvons-nous faire pour changer les facteurs qui mènent à ce genre de comportement? Si le gouvernement pouvait concentrer ses efforts et investir davantage dans ce domaine — nous voyons des fonds circuler, mais ce n’est jamais durable, comme on l’a souligné plus tôt.

Souvent, les gens ont la bonne volonté et les bons sentiments, mais ne sont pas les bonnes personnes pour administrer les programmes. Nous avons besoin de plus de gens qui nous ressemblent, qui viennent des endroits d’où nous venons. L’une des plus grandes lacunes que nous constatons, c’est l’absence d’une surveillance adéquate et d’une évaluation pour déterminer quelles méthodes sont efficaces et lesquelles ne le sont pas. J’espère que cela répond à votre question.

La sénatrice M. Deacon : Merci.

Le président : Merci. C’est très intéressant.

Sénateur Plett, vous êtes le suivant.

Le sénateur Plett : Merci. J’ai quelques questions à poser à M. Wilson, puis, s’il me reste du temps, à M. Langlois. Sinon, je le ferais au second tour de questions.

Tout d’abord, monsieur Wilson, merci d’être ici. C’est bon d’entendre votre histoire et ce que vous avez fait et accompli.

Ce projet de loi, comme bien d’autres projets de loi du gouvernement — et peut-être du gouvernement actuel plus que d’autres —, peint beaucoup de choses avec le même pinceau. Le projet de loi C-21 a une incidence sur la vente et l’achat légaux de toutes les armes de poing, y compris les reproductions d’antiquités. Le projet de loi les met toutes dans le même panier.

D’après votre expérience, est-il juste de dire que les gangs s’intéressent probablement peu aux armes à feu anciennes? Est-il juste de dire également qu’il est peu probable que quelqu’un utilise un pistolet à chargement par la bouche pour commettre un crime?

M. Wilson : Oui, monsieur. Je vous remercie de votre question. Je peux témoigner de mon expérience. J’ai opéré à de hauts échelons, ici et à l’étranger. Je n’ai jamais porté d’arme à feu provenant d’une source légale, ni moi ni personne de ma connaissance. C’est pour plusieurs raisons. Vous ne voulez pas que votre nom soit associé à quelque chose qui pourrait être tracé jusqu’à quelqu’un qui, par six degrés de séparation, peut être tracé jusqu’à vous. Il n’est pas logique qu’un criminel utilise une arme qui a été obtenue légalement, et encore moins une arme qui pourrait avoir des ratés ou être aussi vieille qu’une arme chargée par la bouche. Donc, non, monsieur, ce n’est pas l’une des façons dont nous nous approvisionnions en armes ou dont nous les utilisions. Je peux dire sans crainte de me tromper que cela reste vrai aujourd’hui.

Le sénateur Plett : Merci. Monsieur Wilson, vous avez aussi dit que les jeunes qui vivent en milieu minoritaire ne sont pas entendus.

Le gouvernement prétend avoir mené de vastes consultations avant de rédiger ce projet de loi. En fait, le ministre a comparu devant le comité la semaine dernière et il l’a répété.

Connaissez-vous quelqu’un dans votre communauté que le gouvernement a consulté avant de présenter ce projet de loi?

M. Wilson : Merci de votre question, monsieur. Je dois dire que non, absolument personne.

À l’heure actuelle, nous desservons plus de 300 familles dans les communautés susmentionnées. Comme je l’ai dit dans ma déclaration préliminaire, la plupart des groupes démographiques que nous desservons ne parleraient jamais à un agent de police. Ils ne parleraient jamais à une infirmière. Ils ne parleraient jamais ouvertement à un médecin. Ils ne parleraient jamais ouvertement à une personne dont le titre fait autorité.

Ce qui nous rend efficaces dans notre travail, c’est que nous sommes issus de ces communautés. Nous sommes nés dans ces communautés. Nous sommes des membres de confiance de ces communautés. Bien souvent, des organisations et des organismes de l’extérieur arrivent avec des idées qu’ils veulent imposer aux membres de la communauté, ce qui les éloigne encore plus. C’est ce que je voulais dire lorsque j’ai parlé de ce genre de données biaisées. Je suis convaincu que le gouvernement ne reçoit pas les données solides qu’il pourrait obtenir.

Le sénateur Yussuff : Je remercie les témoins de leur présence. Ma première question s’adresse à M. Wilson.

Nous convenons tous les deux qu’il faudra une multitude d’approches pour lutter contre la violence et, plus particulièrement, contre la violence liée aux armes à feu dans la collectivité. Nous devons faire beaucoup de choses. De toute évidence, la prévention est un élément important pour dissuader les jeunes de s’adonner à la culture de la violence armée et de la criminalité.

De même, nous avons besoin de lois efficaces que les gens devraient connaître. Elles devraient avoir un effet dissuasif. Autrement dit, vous ne voulez pas vous attirer des ennuis parce que vous auriez un casier judiciaire et que cela pourrait vous causer du tort pendant longtemps. Dans ce contexte, nous devrions également chercher des moyens d’adopter des lois pour que les conséquences de la violence liée aux armes à feu soient mieux comprises dans l’ensemble de notre société. Au bout du compte, c’est quelque chose que nous devons nous efforcer de prévenir.

Je vous félicite pour le travail que vous faites dans la collectivité et je reconnais qu’il s’agit d’un travail important. Si nous voulons dissuader les jeunes d’adopter une culture de violence, nous devons travailler fort pour pouvoir les influencer.

Comme vous, je suis une personne de couleur. Je connais très bien les répercussions du racisme et les défis systémiques que les gens doivent surmonter à cet égard, tout en reconnaissant que, parfois, certaines personnes ne comprennent pas le dysfonctionnement et comment cela peut blesser et défier les gens.

En ce qui concerne le travail que vous faites, et ce projet de loi en particulier, il est évident que cette mesure n’aborde pas tous les aspects de la façon dont nous pouvons dissuader les jeunes de commettre des actes de violence avec des armes à feu. Toutefois, il s’agit d’une partie de l’effort plus vaste que nous devons déployer pour nous attaquer au problème. C’est-à-dire investir dans la collectivité à long terme — pas seulement quand c’est nécessaire, mais à long terme — pour que nous puissions aider beaucoup de nos jeunes qui voient peut-être la violence armée comme faisant partie de leur avenir et de leur vie.

Êtes-vous d’accord pour dire que nous devons adopter de nombreuses approches différentes, et non pas une seule, en ce qui concerne le travail que nous devons faire, c’est-à-dire empêcher les jeunes de sombrer dans la violence armée au Canada?

M. Wilson : Oui, monsieur. Je vous remercie de votre question.

Je suis tout à fait d’accord pour dire que nous devons adopter une approche multifacettes pour nous attaquer à ce problème, et encore plus pour surveiller les différents piliers qui tentent de le régler.

Des efforts sont déployés dans différents pays et villes au niveau local. Bien souvent, même ce que nous voyons chez nous, c’est encore une fois un manque de communication, un manque de partage de données et du badinage politique. Pendant ce temps, nous enterrons des enfants de 12 ans et des gens se font tirer dessus au centre commercial alors que nous faisons du surplace au stade de l’analyse.

Je conviens qu’une approche à plusieurs volets est la seule façon de procéder, mais, encore une fois, il faut mettre l’accent sur la prévention. Comme un autre intervenant l’a dit, et comme bien des gens l’ont dit à maintes reprises, la prévention coûte beaucoup moins cher que l’intervention.

Le sénateur Yussuff : Merci.

Le président : Nous allons maintenant passer au deuxième tour.

Le sénateur Plett : Monsieur Langlois, je sais que vous y avez déjà fait allusion, mais j’aimerais approfondir la question.

Vous avez mentionné que l’un des problèmes, c’est que la violence armée au Canada est liée à notre proximité des États-Unis. Des témoins nous ont dit que plus de 90 % des armes à feu, par exemple, sont des armes de contrebande. Pourtant, il n’y a presque rien dans le projet de loi qui traite de quelque façon que ce soit des armes de contrebande. Monsieur Wilson, vous pourriez peut-être aussi répondre à cette question à la fin.

Ne diriez-vous pas qu’il y a une lacune importante dans le projet de loi, à savoir que nous ne nous attaquons pas à ce qui semble être le plus gros problème?

M. Langlois : Je vous remercie de votre question, sénateur.

Je pense que vous avez raison. C’est une lacune intéressante du projet de loi. Le gouvernement a déjà consacré plus de 90 millions de dollars à la frontière il y a environ deux ans, quelque chose du genre.

De plus, le gouvernement a communiqué avec ses homologues américains et a décidé de mettre sur pied un nouveau comité pour s’attaquer à tous les types de contrebande, mais surtout la contrebande d’armes à feu. Le gouvernement a aussi donné de l’argent aux provinces. Le Québec, par exemple, a reçu quelque chose comme 250 millions de dollars, ce qui a permis au gouvernement du Québec de mettre sur pied un programme de lutte contre la contrebande dans ce domaine. Les responsables ont décidé de travailler en étroite collaboration avec leurs homologues américains, notamment le Bureau of Alcohol, Tobacco, Firearms and Explosives, communément appelé ATF, même si l’ATF est très faible. Il semble que cela fonctionne, et il y a donc plus de saisies d’armes à feu. Je ne sais pas si j’utilise le bon terme, mais les policiers saisissent plus d’armes à la frontière.

Même à ce moment-là, vous avez raison, plus d’argent — ou plus de ressources devraient être consacrées à la frontière, et il semble que nos amis américains ne se préoccupent pas autant de ce qui va vers le nord que de ce qui vient du sud.

Je suis d’accord avec vous. Il y a un problème avec le projet de loi à ce niveau, mais peut-être que le gouvernement va mettre de l’argent ailleurs.

Merci.

Le sénateur Plett : Je pense qu’il est normal que les Américains se préoccupent davantage de ce qui entre aux États-Unis que de ce qui en sort, et je pense que nous ferions probablement la même chose si les rôles étaient inversés.

Vous avez parlé de tout l’argent qui a été dépensé. Vous vous êtes corrigé, du moins en partie, à la fin et vous avez dit « plus de ressources », et je suis d’accord, parce qu’il semble que nous soyons assez bons pour injecter de l’argent dans des dossiers qui ne donnent pas vraiment de résultats.

Monsieur Wilson, ne convenez-vous pas également qu’il s’agit d’une lacune énorme et que nous devrions consacrer plus de ressources et de temps à la combler?

M. Wilson : Oui, monsieur. Je vous remercie de la question.

Je suis tout à fait d’accord, et je le dis par expérience. Il suffit de travailler sur le terrain avec les jeunes.

Nous avons mené une expérience il y a quelques années pour voir à quel point nous pouvions accéder rapidement à une arme à feu illégale. Il s’agissait d’un organisme médiatique qui voulait publier un article. Par l’entremise d’un groupe d’adolescents, nous avons pu nous procurer une arme en moins de deux heures.

Si nous voulons réduire la violence liée aux armes à feu au Canada, la première étape consiste à s’attaquer aux armes illégales et à la façon dont elles entrent au pays, sans conteste.

Le sénateur Plett : Merci beaucoup.

Le sénateur Kutcher : Tout comme mon collègue d’en face, je suis tout à fait d’accord pour dire que nous devons vraiment nous attaquer au problème des armes à feu illégales qui entrent au Canada en provenance des États-Unis. Nous devons faire beaucoup mieux.

J’aimerais formuler la question d’une façon légèrement différente. Dans un article récent paru dans Bloomberg intitulé « NRA-Style Politics Transformed Canada’s Gun Culture — and Shootings Rose 869 % », on peut lire que le tiers des armes à feu utilisées dans des crimes au Canada et retracées par les autorités ont été légalement importées des États-Unis.

Comparativement à d’autres pays, le Canada est le pays qui importe le plus d’armes à feu semi-automatiques américaines, et le marché, comme vous le savez, est en croissance.

Pensez-vous que la désinformation américaine dont vous avez parlé tout à l’heure fait partie d’une stratégie visant à développer le marché canadien des armes à feu, et que le projet de loi pourrait avoir une incidence sur la réduction de la quantité d’armes à feu légalement importées au Canada?

M. Langlois : Oui. Je pense que la National Rifle Association, ou NRA, et le lobby des armes à feu aux États-Unis ciblent — sans faire de jeu de mots — le marché canadien et tous les marchés. Ces gens ont modifié la mise en marché de leurs armes d’abord dans les années 1980, puis au début de l’an 2000, lorsqu’ils ont décidé, très volontiers, de mettre sur le marché et de promouvoir toutes ces versions civiles d’armes d’assaut ou d’armes d’assaut de type militaire — peu importe comment vous les appelez — et ce n’est pas une coïncidence si ces armes sont très populaires et très demandées ici même au Canada et partout dans le monde occidental. La commercialisation est très efficace, et les arguments sont très efficaces pour la protection, le plaisir et une sorte de virilité.

À cet égard, les jeunes qui veulent les nouvelles armes provenant des États-Unis — légalement ou illégalement — sont influencés par ce qu’ils voient sur Internet ainsi que dans la publicité ou dans la culture. Donc, oui, peut-être que le projet de loi aura une incidence sur la disponibilité de ces armes ici au Canada — c’est certain — s’il y a une interdiction des fusils d’assaut.

La sénatrice Dasko : Je remercie les deux témoins d’être ici aujourd’hui.

Désolée, monsieur le président, je n’ai pas levé la main assez rapidement au premier tour.

Ma question s’adresse surtout à M. Wilson. J’ai pris note de votre jeunesse à Toronto, et je suis très heureuse de voir que vous avez changé votre vie, pour vous et pour les autres.

Votre expérience et vos données portent principalement sur Toronto, ce qui, bien sûr, est bon à savoir pour un grand nombre d’entre nous, mais j’aimerais vous poser une question au sujet de la Saskatchewan. En 2020 et en 2021, la Saskatchewan a enregistré le taux le plus élevé d’homicides commis avec une arme à feu au pays. Depuis des années, la ville de Regina affiche le taux le plus élevé de crimes commis avec une arme à feu.

Le contrôleur des armes à feu qui a témoigné ici la semaine dernière a dit que le problème n’était pas les armes de poing, que ce n’était pas du tout des armes de poing importées, mais qu’il s’agissait de fusils volés à des propriétaires d’armes à feu locaux en Saskatchewan. Le canon de ces fusils a ensuite été scié. Il nous a dit que c’était la source des crimes commis avec une arme à feu en Saskatchewan. Il essayait de régler le problème à sa façon.

J’aimerais interroger les deux témoins à ce sujet, mais commençons par M. Wilson. Est-il possible que votre point de vue soit fondé sur un type d’observation? Que feriez-vous à ce sujet en Saskatchewan?

M. Wilson : Merci beaucoup de votre question, sénatrice.

D’après mon expérience, l’une des façons dont mon organisation et d’autres se procuraient des armes, c’était en les volant, ce qui en fait des armes illégales et criminelles.

Comme à Toronto, la culture est encore très semblable. Le fonctionnement d’un gang en Alberta n’est pas très différent de celui d’un gang en Ontario. Quoi qu’il en soit, le fait que vous puissiez vous procurer illégalement ces armes serait acceptable pour n’importe quelle organisation qui est en guerre ou qui essaie de faire de l’argent.

La solution serait très semblable à ce qui se fait à Toronto, c’est-à-dire de s’attaquer à la racine du problème. Pourquoi ces jeunes volent-ils des armes à feu? Pourquoi scient-ils les canons? Pourquoi essaient-ils de s’entretuer, et que pouvons-nous faire pour nous attaquer à ce problème à partir de ce niveau?

Nous mettrions moins l’accent sur l’outil de destruction et davantage sur la raison pour laquelle ils le font.

La sénatrice Dasko : Je suis tout à fait d’accord pour dire qu’il y a des causes profondes à cela, mais je voulais simplement insister sur le fait qu’il nous a dit qu’il ne s’agissait pas d’armes de contrebande en provenance des États-Unis. Il ne s’agissait pas d’armes de poing de contrebande en provenance des États-Unis.

Conviendriez-vous qu’il y a d’autres problèmes que la contrebande d’armes à feu en provenance des États-Unis qui sont à l’origine des crimes commis avec des armes à feu au Canada?

M. Wilson : Oui. Comme je l’ai dit, je suis d’accord pour dire que même dans mon cas, si nous ne pouvions pas avoir accès à ces armes — parce qu’il y a ce que nous appelons des « périodes creuses » où nous ne pouvions pas avoir accès à des armes illégales en provenance des États-Unis, alors nous devions en voler chez des commerçants ou des propriétaires légitimes d’armes à feu. De ce fait, encore une fois, on transforme l’arme en une arme illégale. Il ne s’agit pas d’achats fictifs. Ce ne sont pas des propriétaires légitimes qui nous vendaient des armes.

Ma réponse est toujours la même. Si nous nous attaquions carrément au problème, nous nous inquiéterions moins des outils qui sont utilisés.

La sénatrice Dasko : Nous devons aussi nous concentrer sur les armes à feu canadiennes. C’est ce que je dirais.

Merci.

Le président : Chers collègues, nous sommes arrivés à la fin de la comparution de ce groupe. Au nom du comité et du Sénat du Canada, je tiens à remercier très sincèrement M. Wilson et M. Langlois. Vous nous avez fait profiter de vos expériences et de votre expertise, et je pense que vous pouvez constater que nous vous en sommes très reconnaissants. Nous vous remercions du temps et des efforts que vous avez consacrés à notre étude et de l’expertise que vous y avez apportée. Merci à vous deux.

Notre quatrième groupe de témoins se joint à nous dans le cadre de notre examen du projet de loi C-21, Loi modifiant certaines lois et d’autres textes en conséquence (armes à feu). Nous avons le plaisir d’accueillir Ken Price, porte-parole de Danforth Families for Safe Communities, et Samantha Price, survivante et porte-parole. De la Coalition pour le contrôle des armes à feu, nous accueillons Wendy Cukier, présidente et professeure, Université métropolitaine de Toronto.

Merci d’être ici aujourd’hui. Je vous invite à faire vos déclarations préliminaires, après quoi les membres du comité vous poseront des questions. Je vous rappelle que chaque organisme dispose de cinq minutes pour sa déclaration liminaire. Nous allons commencer par l’organisme Danforth Families for Safe Communities. Je crois comprendre que Ken Price et Samantha Price partageront leur temps de parole. Nous avons une carte pour vous avertir qu’il vous reste 30 secondes. Vous l’avez probablement déjà vue. Monsieur Price, veuillez commencer lorsque vous serez prêt.

Ken Price, porte-parole, Danforth Families for Safe Communities : Je vais demander à Samantha Price de commencer.

Samantha Price, survivante et porte-parole, Danforth Families for Safe Communities : Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, le 22 juillet 2018, mes amies et moi avons vécu une tragédie et une terreur qui ont changé notre vie et qui ont été mortelles.

Nous ne faisions que manger de la crème glacée un soir d’été. Nous sommes alors devenues la cible d’un individu rempli de haine que nous ne connaissions pas et qui s’est servi d’une arme de poing volée pour se livrer à son carnage. Ce qui aurait dû être une soirée de célébration paisible et amusante s’est terminé dans l’horreur et la souffrance. Cette situation perdure aujourd’hui pour moi et mes amies, ma famille et des centaines d’autres personnes dans la collectivité. Mon expérience me permet de confirmer que la violence armée a un effet d’entraînement terrible. Cela fait plus de cinq ans, et lorsque les gens me posent la question : « Comment allez-vous? Êtes-vous rétablie? », je réponds habituellement « ça va », comme nous le faisons tous souvent.

Je serai toujours reconnaissante envers le médecin qui n’était pas en service et qui m’a prodigué les premiers soins dans le restaurant, et envers les policiers, les ambulanciers, les médecins et les infirmières de St. Mike’s qui m’ont aidée. Mais dans mon esprit, je me dis : « Eh bien, une balle m’a transpercé la hanche. J’ai vu mes amies se faire tirer à bout portant et une de mes bonnes amies, Reese Fallon, a été assassinée. »

Les choses ont changé et ce ne sera probablement plus jamais comme avant. Essentiellement, j’ai l’impression d’avoir perdu confiance dans ma collectivité et je suis maintenant très prudente quant à l’endroit où je vais et à ma façon d’y aller.

Je sais que vivre avec cela est encore plus difficile pour les Fallon, qui ont perdu Reese, une jeune fille de 18 ans, et toute l’existence dont elle a été privée. Il en va de même pour la famille Kozis, qui a perdu Julianna, 10 ans. Je ne connaissais pas Julianna personnellement, mais sa famille m’en a parlé. Ils l’ont honorée en organisant un événement appelé Just Do Kindness pour célébrer son altruisme.

Aussi pénible que cela puisse être d’en parler, je suis ici pour rappeler au comité la nature mortelle des armes à feu; pour faire valoir les arguments en faveur du changement.

À ceux qui ont essayé de minimiser notre peine ou d’expliquer les faits de notre expérience pour défendre leur position, sachez simplement que la violence liée aux armes à feu est ressentie par beaucoup, profondément, et qu’elle ne disparaît pas.

Je pense que perdre sa vie ou voir sa vie changée n’est pas la même chose que de voir son passe-temps limité. Nous devons changer les règles pour être justes envers nous tous. Nous devons faire mieux.

Honorables sénateurs, j’apprécie les témoignages de sympathie, mais j’ai besoin de votre aide. Aidez à faire adopter le projet de loi. Personne ne mérite de vivre ce que nous avons vécu ce soir-là. Merci.

M. Price : Honorables sénateurs, je suis ici pour appuyer ma fille. Je suis ici à titre de porte-parole du groupe Danforth Families. Nous sommes ici pour vous exhorter à placer la sécurité du public au centre de vos décisions et de votre processus.

Nous reconnaissons d’autres intervenants dans ce débat. Mais « raisonnablement utilisé » est l’expression clé dans la loi qui guide la disponibilité et la classification des armes à feu pour les propriétaires privés. Nous ne devrions pas laisser les fabricants qui nous fournissent des armes à feu faire la promotion de leurs armes les plus récentes. Permettez les armes à feu avec prudence, parce que l’innovation dans cette industrie donne lieu à un produit plus dangereux et plus mortel. Nous considérons le projet de loi C-21, en partie, comme une mise à jour de l’application de notre cadre actuel sur les armes à feu — et une mise à jour nécessaire — pour équilibrer les considérations de sécurité publique face à notre problème de violence armée.

Pour ce qui est de notre expérience, l’incident de Danforth a été un signal d’alarme pour notre famille et pour bien d’autres, et je fais les observations suivantes.

L’arme de poing utilisée était un Smith and Wesson M&P40. Le sigle M&P signifie « Military and Police » — comme nous l’avons appris — parce que c’était le marché cible initial de cette arme à feu. Alors, pourquoi une arme de poing d’un policier peut-elle être vendue au grand public? Ces armes de poing sont très différentes de ce que les tireurs olympiques utilisent, alors pourquoi sont-elles nécessaires pour le tir sportif?

Deuxièmement, l’arme a été importée légalement. Elle se trouvait dans un magasin de détail. Elle a été ensuite volée dans une région du pays et utilisée plus tard dans une autre. Comme nous l’avons appris, chaque année, environ 1 500 armes à feu par année sont perdues ou volées et ne sont pas récupérées. C’était pour la période de 2016 à 2020, selon les propres renseignements de la GRC.

Compte tenu de ce qui nous est arrivé, nous nous demandons ce qu’il est advenu de toutes ces autres armes perdues et volées. Compte tenu du très grand nombre de personnes qui en possèdent, il est évident que des erreurs se produiront. C’est prévisible. Faisons en sorte que les armes les plus dangereuses soient retirées de la circulation, de la façon la plus équitable possible.

Enfin, le tireur a pu acheter des chargeurs pour recharger rapidement son arme volée, sans avoir besoin d’un permis. Le projet de loi C-21 s’attaque à cette échappatoire.

Nous avons d’autres points. Nous avons présenté un mémoire dans lequel nous exprimons notre appui au projet de loi C-21.

En résumé, après notre tragédie, il a fallu plusieurs mois à nos familles pour décider si nous pouvions parler et quoi dire. Nous venons de milieux différents et nous avons des opinions politiques différentes, mais nous appuyons le projet de loi C-21 parce qu’il a une vaste portée et qu’il ne porte pas seulement sur l’interdiction des armes à feu. Il contribuera à l’adoption d’une approche de santé publique qui, à notre avis, est la solution ultime pour lutter contre la violence liée aux armes à feu.

Ce qu’il nous faut maintenant, de la part du comité et du Sénat en général, c’est un appui au projet de loi C-21. Je vous remercie de votre attention et de votre service public. Nous serons heureux de répondre à vos questions plus tard.

Le président : Merci beaucoup à vous deux. Nous passons maintenant à Mme Cukier. Veuillez présenter votre déclaration liminaire dès que vous serez prête.

Wendy Cukier, présidente et professeure, Université métropolitaine de Toronto, Coalition pour le contrôle des armes à feu : Je vous remercie, honorables sénateurs, de me donner l’occasion de m’adresser de nouveau à vous. Je représente la Coalition pour le contrôle des armes à feu, une alliance de plus de 200 organismes communautaires, féminins, de santé publique, de prévention de la violence, de sécurité publique et de défense des victimes. Après notre témoignage, nous vous remettrons un mémoire qui est traduit, comme il est demandé.

Nous vous demandons d’adopter le projet de loi dans sa forme actuelle. Nous voulons fournir une analyse des raisons pour lesquelles nous pensons que c’est important. Je dois dire que je suis professeure. J’ai écrit un livre avec l’ancien président de l’American Public Health Association, ou APHA, de sorte que notre approche est fondée sur la santé publique, la prévention primaire, l’application de la loi et la mise en œuvre. Cependant, nous savons, d’après les preuves, que le fait de contrôler la disponibilité des armes à feu réduit le risque qu’on en fasse un mauvais usage. The Global Gun Epidemic: From Saturday Night Specials to AK-47s

Je tiens également à dire que je suis aussi un parent. Lorsque les gens prennent des décisions au sujet du projet de loi, il est vraiment important de tenir compte des répercussions de la violence liée aux armes à feu sur les victimes, leurs familles et leurs collectivités, comme on vient de le décrire de façon si poignante.

En ce qui concerne le projet de loi C-21, nous sommes d’avis qu’il comporte des mesures qui réduiront les risques que des personnes qui constituent une menace pour elles-mêmes ou pour d’autres aient accès à des armes à feu. Il améliore le contrôle des armes à feu quand, à notre avis, le risque est plus grand que l’utilité. Je fais allusion ici au fait que les agriculteurs n’ont pas besoin d’armes de poing et d’armes à feu semi-automatiques de type militaire qui ne servent pas à la chasse et qu’elles n’ont pas plus leur raison d’être dans les collectivités rurales que dans les centres urbains.

Nous croyons que le projet de loi renforcera également les contrôles sur les fabricants et les importations et leur compliquera la tâche veulent contourner la loi, car l’industrie des armes à feu est très novatrice. Ce qui est particulièrement important pour nous, c’est que le projet de loi comprend explicitement une disposition de non-dérogation protégeant les droits de chasse des Autochtones.

Vous avez entendu beaucoup de témoins. Vous avez reçu un large éventail d’études et de résumés de recherche. À notre avis — que la plupart des spécialistes de la prévention des blessures au pays partagent —, dans l’ensemble, les données probantes confirment le fait qu’un contrôle rigoureux des armes à feu, de la disponibilité des armes à feu ainsi que des armes à feu quand le risque est plus grand que l’utilité, ont une incidence sur la sécurité publique.

Nous tenons également à rappeler aux sénateurs — je crois que vous avez vu l’importance qu’on y accorde — que même si l’on met beaucoup l’accent sur les armes de contrebande, ce qui est important, pas moins de 50 % des armes à feu que le Canada a retracées et qui ont été utilisées pour commettre des crimes provenaient de sources nationales. Ces armes ont été importées légalement au Canada et ont été mal utilisées par leurs propriétaires ou détournées vers des marchés illégaux. Il est important de noter que la plupart des fusillades de masse, la plupart des actes de violence familiale, la plupart des suicides et la plupart des meurtres de policiers au Canada ne sont pas commis avec des armes de contrebande, mais avec des armes à feu provenant du Canada. Je serai heureuse de vous fournir de plus amples renseignements à ce sujet.

Deuxièmement, la violence armée prend de nombreuses formes. Si nous pensons à la violence armée comme nous le faisons pour le cancer, il est vrai que le projet de loi n’est pas une panacée. Il ne réglera pas toutes les dimensions de la violence liée aux armes à feu. Cependant, dans le cas du cancer, nous savons qu’il y a des différences entre le cancer de la peau, le cancer du sein et le cancer de l’estomac. Nous ne disons pas : « Parce que cette mesure particulière ne réglera pas le problème, elle n’est pas bonne. » Je tiens à souligner que, même si la contrebande d’armes à feu est un problème, même si nous avons besoin de meilleurs contrôles aux frontières et même si nous avons besoin de services de police axés sur le renseignement, nous avons aussi besoin de contrôles stricts sur les armes à feu canadiennes.

Vous avez entendu Emma Cunliffe. Nous avions qualité pour intervenir à la Commission des pertes massives. Je pense que le projet de loi répond à cette étude approfondie et à la recherche qui y a été présentée. Il répond aussi aux sondages d’opinion publique. Depuis les 30 ans que je travaille sur ce dossier, la plupart des Canadiens veulent une interdiction des armes de poing et des armes semi-automatiques de type militaire.

Aucune loi n’est parfaite, mais nous croyons que la mesure législative contribue grandement à régler un problème qui s’est aggravé. Depuis que je travaille sur ce dossier, le nombre d’armes de poing légales au Canada est passé d’environ 250 000 à plus d’un million, et nous avons constaté une escalade des taux de violence qui en témoignent.

Enfin, il vaut la peine de souligner — et d’autres vous en parleront — qu’il s’agit d’une question de genre. Les femmes sont beaucoup plus susceptibles de représenter un pourcentage plus élevé de victimes que les utilisateurs d’armes à feu. Les attitudes des femmes sont très différentes. Donc, quand on dit qu’il y a une opposition au contrôle des armes à feu dans les collectivités rurales, souvent, on ne tient pas compte des différences entre les sexes. Nous le savons, et vous l’entendrez de nombreux témoins qui parlent du rôle des armes à feu, non seulement dans le féminicide, mais aussi dans d’autres formes de harcèlement et de menaces.

Je serai heureuse de répondre à vos questions, mais je vous exhorte à appuyer le projet de loi. Merci.

Le président : Merci, madame Cukier. Nous allons maintenant passer aux questions.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma première question s’adresse à M. Price.

Monsieur Price, vous avez exprimé votre accord sur les dispositions de ce projet de loi, qui vise à interdire totalement la possession d’armes de poing, punissant ainsi tous les Canadiens qui en possèdent légalement et qui les ont dûment enregistrées.

En tenant pour acquis que 80 % des armes saisies étaient illégales, donc non enregistrées, pouvez-vous nous dire ce qu’on trouve dans ce projet de loi qui a vraiment un effet dissuasif pour les criminels? Est-ce que vous trouvez que les sentences pour la possession d’arme et les crimes commis par les armes à feu sont assez sévères pour faire peur au crime organisé?

[Traduction]

M. Price : Eh bien, j’ai du mal à comprendre la prémisse de certains de vos propos, monsieur. Je ne suis pas d’accord pour dire que 80 % des armes à feu proviennent de la contrebande. C’est une statistique qui a été citée dans le cas du Service de police de Toronto, bien que ce chiffre soit élevé par rapport au moment où nous avons commencé. Auparavant, c’était 50-50, et maintenant, c’est 80 %. Il est clair qu’il y a un problème avec les armes de contrebande et, en fait, nous avons dit que c’est tout à fait vrai. Nous sommes rassurés lorsque la police intercepte ces armes à la frontière. Nous pensons qu’il faudrait fournir plus d’outils, comme ceux qui figurent dans le projet de loi, par l’entremise de certains recours juridiques qui, à mon avis, peuvent être utilisés. On a décidé d’allonger les peines d’incarcération criminelles, comme moyen de dissuasion. Il faut s’attaquer à ce problème. Mais ce n’est pas ce qui s’est produit dans notre cas ni ce qui s’est produit dans environ la moitié des cas. Nous avons deux problèmes à régler, pas seulement un. S’il y a un point que nous pouvons faire valoir du côté de l’approvisionnement, c’est que nous avons deux problèmes. Nous devons examiner attentivement le risque lié à l’utilité de l’approvisionnement en armes à feu au Canada, qui est d’environ 10 millions d’armes à feu, d’après ce que je comprends. J’arrondis, je comprends. Nous n’avons pas de chiffres précis, mais nous savons qu’environ un million de ces armes sont des armes de poing, et nous savons que les homicides et l’utilisation d’armes à feu ont augmenté, et qu’au moins la moitié du problème concerne les armes de poing.

Nous pensons que ce projet de loi est approprié parce qu’il ne tient pas compte de toutes les armes à feu qui existent. En fait, au bout du compte, il y aura encore 8 ou 10 millions de fusils et de carabines dans les placards et les installations d’entreposage d’armes à feu des propriétaires d’armes à feu respectueux des lois. Mais ce que nous faisons, c’est retirer de la circulation les armes à feu qui sont le plus souvent utilisées pour commettre des crimes. Je pense que ce projet de loi est bien ciblé et juste.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma prochaine question s’adresse à Mme Cukier.

Madame Cukier, les lois sur le contrôle des armes à feu ont eu un certain effet positif en Suisse, en Australie et en Nouvelle-Zélande. Le Canada aura beau légiférer et faire des lois, selon moi, le problème des armes illégales reste loin d’être résolu au moyen d’un projet de loi comme C-21.

Estimez-vous que la proximité du Canada avec les États-Unis constitue un facteur qui rend plus difficile le contrôle des armes à feu dans notre pays? Est-ce une question de culture nord-américaine ou un phénomène profond de criminalité?

[Traduction]

Mme Cukier : Merci beaucoup de la question. Je suis heureuse de vous fournir des données qui comparent l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Royaume-Uni, les États-Unis et le Canada. Je pense qu’il vaut la peine de les examiner, parce qu’elles montrent que lorsque l’on retire les armes à feu de l’équation, et lorsque l’on examine seulement les meurtres par agressions, coups de couteau et d’autres moyens, les taux d’homicides sont comparables dans ces pays. Ce n’est que lorsqu’on ajoute les armes à feu — par exemple, le Royaume-Uni, qui compte environ le double de la population du Canada, a enregistré une trentaine de meurtres par arme à feu l’an dernier en raison de la disponibilité des armes à feu.

Il est vrai que notre situation au Canada est rendue plus complexe par le fait que nous vivons à côté d’un pays où il y a autant d’armes à feu que de personnes, mais les preuves sont assez solides. Nous étions exactement sur la même trajectoire que l’Australie. Si l’on regarde le nombre de décès et de blessures causés par des armes à feu au Canada, il diminuait jusqu’en 2013, année où la tendance s’est modifiée. Nous pourrions essayer d’expliquer ce phénomène, mais il ne fait aucun doute que le contrôle des armes à feu détenues légalement a une incidence sur certains types de violence liée aux armes à feu. Le problème de contrebande d’armes à feu qui existe chez nous ne doit pas nous empêcher d’agir sur ce que nous pouvons contrôler.

La plupart des armes de contrebande ne sont pas utilisées pour tuer des policiers ou des femmes. Les armes de contrebande ne sont pas utilisées dans les fusillades de masse, les suicides ou les blessures involontaires.

Il est important, comme je l’ai dit au début, de reconnaître que la violence liée aux armes à feu prend différentes formes, comme vous le savez bien, sénateur Dagenais, et que nous pouvons donc appliquer différentes stratégies pour lutter contre ces différents types de violence.

Le président : Merci beaucoup. Comme on pouvait s’y attendre, presque tous les sénateurs dans la salle veulent poser une question.

Le sénateur Plett : J’ai une question pour chacun des groupes, pour Samantha ou Ken Price. Tout d’abord, je tiens à vous remercier d’être ici. Je sais que c’est une période très difficile pour vous, et vous avez vécu une tragédie indescriptible. Je comprends tout à fait ce que vous pensez des armes de poing, mais le fait est que le projet de loi C-21 ne retire aucune arme de poing de la circulation. Il ne réglera pas le problème des armes à feu de contrebande, et je sais, monsieur Price, que vous ne pensez pas que c’est un problème aussi important que le chef de police de Toronto, ou que beaucoup d’autres témoins — la plupart d’entre eux, en fait — le pensent. Or, le fait est que le groupe de témoins précédent a dit que les armes de contrebande sont les armes de choix des gangs criminels.

Dans quelle mesure êtes-vous préoccupé par le fait que ce projet de loi ne se concentre pas sur le vrai problème parce qu’il ne retirera pas les armes de poing de la circulation?

M. Price : Je crois qu’il s’agit d’un compromis équitable, car la réalité, c’est que beaucoup de gens ont acheté ces armes à feu dans des circonstances qui leur ont permis de le faire. Maintenant, si l’on veut en arriver à abaisser le nombre d’armes de poing, il faudra du temps. Je pense que cela fait partie de la stratégie, et c’est en fait ce que nous avons demandé, parce que nous avons connu une augmentation d’environ 50 000 armes à feu par année depuis 2015 et nous avons constaté une croissance correspondante des homicides au pays.

Je suis d’accord avec Mme Cukier, qui a dit qu’il y a différents types de scénarios d’approvisionnement pour différents types de crimes commis avec des armes à feu. Dans notre cas particulier, c’est l’arme à feu d’un policier qui était à vendre dans une autre région du pays, mais qui avait été volée, 1 500 armes à feu sont volées chaque année, et qui s’est retrouvée dans les rues de Toronto. Il est très prévisible que ce genre d’erreurs et de vols se produisent tant que nous laisserons de plus en plus d’armes à feu entrer au pays.

Le sénateur Plett :  — [Difficultés techniques] disponibles même si le projet de loi-C-21 avait été adopté.

M. Price : J’espère qu’avec le temps, ce ne sera plus le cas. Nous estimons qu’il faut commencer à un moment donné.

Le sénateur Plett : Madame Cukier, nous avons posé cette question à de nombreux témoins, et nous vous la poserons également. Le ministre nous a dit qu’ils n’avaient fait que mener de vastes consultations sur ce projet de loi. Avez-vous été personnellement consultée avant le dépôt de ce projet de loi?

Mme Cukier : Pas avant la présentation initiale du projet de loi C-21. Nous avons été consultés au sujet de certains des amendements qui ont été présentés, et nous avons participé à des consultations de groupe avec d’autres organisations.

Le sénateur Plett : Merci.

Le sénateur Kutcher : Merci à tous d’être ici et de nous faire part de vos expériences. Je suis sûr que ce n’est pas facile. Mes enfants ont grandi en jouant sur Danforth, alors je connais le secteur.

Ce projet de loi vise à établir un équilibre entre le privilège de posséder une arme à feu et la nécessité de protéger tous les Canadiens contre la violence liée aux armes à feu.

L’un des aspects préoccupants du discours public entourant ce projet de loi est l’application d’un illogisme appelé l’erreur d’équivalence morale, lorsque des conséquences moins dommageables sont assimilées à des répercussions négatives majeures, ce qui laisse entendre que les deux sont égales — par exemple, le privilège de posséder une arme de poing à des fins de costumade, comme l’a décrit un témoin précédent, par opposition au droit de ne pas se faire abattre avec une arme de poing.

On s’inquiète également de la grande quantité de désinformation au sujet du projet de loi qui est diffusée sur les médias sociaux et dans la correspondance avec les parlementaires.

Quel genre d’erreurs d’équivalence entendez-vous de votre côté? Quel genre de désinformation avez-vous remarqué au sujet de ce projet de loi? Pensez-vous que le projet de loi C-21 est un pas dans la bonne direction pour trouver le juste équilibre entre le privilège de posséder une arme à feu et la protection du public contre la violence liée aux armes à feu?

Mme Cukier : Je vous remercie de la question. À mon avis, il y a une différence entre les divergences d’opinions et la désinformation. Nous sommes nombreux autour de cette table à avoir des divergences d’opinions, mais il y a des faits. Comme M. Price l’a fait remarquer, il est vrai que des armes à feu qui sont détenues légalement au Canada sont utilisées à mauvais escient par leurs propriétaires et sont détournées de leur utilisation légale à des fins illégales. C’est tout simplement un fait, et les preuves sont très claires à cet égard.

C’est aussi un fait que la violence des gangs n’est qu’un type de problème. Même si les gens nous rappellent constamment pour nous dire que ce projet de loi ne réglera pas ce problème, vous avez entendu des spécialistes de la violence familiale et de la prévention du suicide. Je suis sûre que vous avez entendu parler des fusillades de masse et du rôle des armes à feu légales dans ces contextes. Encore une fois, c’est un fait que la violence armée prend différentes formes. C’est l’un des aspects à considérer.

Ce que nous avons vu dans la période qui a précédé cette version du projet de loi — et j’observe ce phénomène constamment dans la grande quantité de courrier haineux que je reçois —, c’est l’idée que cela aura une incidence négative sur les chasseurs, les agriculteurs ou les peuples autochtones dans la poursuite de leur gagne-pain et ainsi de suite.

C’est un fait que la plupart des armes à feu qui sont actuellement prohibées sont à autorisation restreinte, ce qui signifie qu’elles ne peuvent pas être utilisées pour la chasse et qu’elles ne sont pas censées être utilisées par les agriculteurs. Je dirais que l’idée selon laquelle l’interdiction de l’AR-15 a des répercussions sur les chasseurs autochtones est une autre forme de désinformation.

Pour moi, la mise en opposition rurale-urbaine est une autre question importante. Nous entendons constamment dire qu’il s’agit d’une conspiration de gens des centres urbains qui sont imposés aux Canadiens — alors qu’en fait, comme vous le savez, les taux de décès et de décès par arme à feu, et même de criminalité, sont plus élevés dans les régions rurales.

Le sénateur Boehm : Je remercie nos témoins de leur présence. Nous savons tous à quel point il est difficile pour vous de parler de ce sujet.

J’aimerais parler de l’interdiction des armes de poing qui touche les tireurs sportifs. J’ai reçu beaucoup de correspondance de la part de tireurs sportifs. Bien sûr, c’est l’une des préoccupations soulevées par des groupes de contrôle des armes à feu comme PolySeSouvient, et c’est la possibilité que l’exception dite olympique soit utilisée comme échappatoire par des personnes mal intentionnées. À l’inverse, des défenseurs de l’autre côté de la médaille, comme le groupe qui s’est baptisé les Magnificent 7, dont nous avons entendu le témoignage de deux des représentants la semaine dernière, ont parlé dans une lettre adressée au Comité de l’élimination de toute la communauté du tir sportif au Canada. Nous savons que le tir sportif est populaire au Canada et qu’il s’agit d’une activité communautaire à bien des endroits au pays.

Comment évaluez-vous les craintes légitimes des victimes et des groupes de femmes par rapport aux préoccupations légitimes des tireurs sportifs? Comment pouvons-nous trouver cet équilibre, s’il est possible?

M. Price : La voie que nous avons empruntée m’a certainement sensibilisé à ce que nous appelons le tir sportif au Canada. J’ai examiné l’histoire du Canada aux Jeux olympiques. Par exemple, j’ai appris qu’il y a beaucoup plus d’athlètes olympiques et panaméricains dans les catégories des armes d’épaule que dans celles des armes de poing et des pistolets à air comprimé. En fait, je crois que nous venons de décrocher une médaille d’or en pistolet à air comprimé aux Jeux panaméricains avec un fusil dont il n’est nulle part question dans ce projet de loi. Je me demande comment l’athlète a développé de telles habiletés. Était-ce avec un M&P40? J’en doute.

Nous demandons ce qui est raisonnablement nécessaire pour réussir en tant que tireur à la cible. Quels sports les Canadiens peuvent-ils pratiquer? Nous nous sommes efforcés de ne pas porter de jugement.

Nous avons examiné ce que cela signifie du côté de l’offre? La Confédération internationale de tir pratique, ou IPSC, est l’organisme qui autorise le plus large éventail de fusils. Des témoignages à l’autre endroit ont révélé qu’il y aurait certainement un risque à contourner la loi et son intention parce qu’elle n’applique pas les mêmes normes que la Fédération internationale de tir sportif, ou ISSF, et les Jeux olympiques.

Nous devons faire attention à ce que nous appelons le tir sportif et nous devons déterminer ce qui est raisonnablement nécessaire pour en tenir compte. Si nous le faisons, nous constaterons qu’un grand nombre des armes de poing semi-automatiques qui existent ne sont pas nécessaires et devraient être retirées avec le temps dans notre société. C’est notre point de vue.

Le sénateur Boehm : Madame Cukier, s’il reste du temps.

Mme Cukier : Je suis professeure.

Oui, je pense qu’il faut faire la distinction entre le tir de style olympique et le tir pratique, c’est-à-dire les scénarios d’autodéfense.

Il y a eu une entrée par effraction dans le condo d’un tireur de l’IPSC au centre-ville de Toronto. Les voleurs sont repartis avec 40 fusils, dont un UZI. La police en a confisqué 140 autres. Un tireur de l’International Practical Shooting Confederation, ou l’IPSC, 200 fusils.

Encore une fois, c’est une question d’équilibre entre le risque et la récompense. Nous parlons d’un passe-temps en opposition à la vie des gens. En tant que parent et chercheure, je sais sur quoi je mettrais l’accent.

Le sénateur Yussuff : Je remercie les témoins de leur présence.

Madame Price, je sais que le fait de venir témoigner est très important pour vous, compte tenu de ce que vous avez vécu en tant que jeune femme et, plus important encore, compte tenu des efforts que vous, votre père et votre famille avez déployés pour obtenir un vaste appui à l’égard des travaux que nous menons dans ce dossier.

Dans le projet de loi, il est déjà question d’un aspect de votre expérience directe et du criminel qui a volé cette arme à feu, c’est-à-dire comment il est possible d’acheter des munitions sans permis.

Si vous examinez le projet de loi dans son ensemble, en vous fondant sur le travail de défense des droits que vous avez accompli, quels seraient, selon vous, certains des aspects positifs du travail que vous avez accompli, dont le résultat se trouve dans ce projet de loi?

Mme Price : J’aimerais que mon père réponde à cette question, si vous n’y voyez pas d’inconvénient.

M. Price : Je pense que les sujets soulevés vont au-delà des interdictions d’armes à feu et que l’approvisionnement ne se limite pas à l’approvisionnement national. Certaines des mesures se trouvent dans le projet de loi et d’autres concernent des mesures prises par le gouvernement, comme des investissements dans la collectivité — par exemple, le Fonds pour bâtir des communautés plus sécuritaires.

Nous devons nous pencher sur les collectivités marginalisées et créer des programmes qui encourageront les jeunes, en particulier, à ne pas se lancer dans la criminalité. Nous avons réussi à favoriser un dialogue plus sain.

Au bout du compte, je pense que tout cela s’additionne. Il y a d’autres rôles pour d’autres institutions et d’autres ordres de gouvernement. Il est important de contrôler les armes à feu et de faire le point à savoir quelles armes à feu sont, selon nous, nécessaires dans notre société par rapport au risque qu’elles nous font courir, et le projet de loi C-21 nous permet de faire tout cela.

Le sénateur Yussuff : La violence familiale est un problème dont on parle souvent au Canada autour du 6 décembre. Cependant, chaque semaine, au Canada, des femmes meurent à cause de la violence armée. Pourquoi est-ce si difficile pour la société d’accepter cette réalité? Est-ce que la vie des femmes compte moins ou est-ce parce que nous ne croyons pas qu’il vaille la peine de réduire le nombre d’homicides contre les femmes au pays?

Mme Cukier : Je ne pense pas avoir assez d’une minute pour répondre à cela. Malgré les modifications apportées à la loi et la sensibilisation accrue, les gens considèrent la violence familiale comme une affaire entre deux personnes qui ne les met pas en danger et qui ne les touchera jamais, ni eux ni leurs proches.

Je pense que les gens considèrent la violence familiale comme quelque chose qui touche d’autres personnes et ne savent pas à quel point elle est répandue. Nous avons vu de nombreux cas où des personnes soi-disant respectueuses des lois cachent un côté plus sombre de leur personnalité. Nous en apprendrons davantage sur certains des cas les plus horribles qui se sont produits récemment, mais il y a des gens dans la salle qui ont participé à une enquête après l’autre et qui ont tiré les mêmes conclusions. L’enquête d’Arlene May, qui a eu lieu il y a près de 25 ans, a abouti aux mêmes conclusions que la plus récente enquête sur les fusillades à l’extérieur d’Ottawa, à savoir que nous devons mieux protéger les femmes et enlever leurs armes à feu aux personnes qui représentent un risque pour elles-mêmes ou pour autrui.

À mon avis, nous n’accordons tout simplement pas la même priorité à la vie des femmes qu’aux autres formes de violence qui inspirent une plus grande crainte. De plus, les voix des femmes — et vous pouvez regarder qui parle de ces questions — sont souvent réduites au silence.

La sénatrice M. Deacon : Je vous remercie tous d’être ici aujourd’hui.

À la famille Price, quel bel endroit au monde où vous vivez et quelle expérience familiale tragique vous avez vécue. Vous vous trouvez aujourd’hui dans un environnement assez intimidant, une salle d’audience, et nous vous sommes vraiment reconnaissants d’être venus témoigner.

Madame Price, je me demande une chose à laquelle vous aimeriez peut-être répondre. Vous entendez beaucoup d’information aujourd’hui. Vous avez entendu les témoignages. Vous avez vécu cette expérience. Y a-t-il quelque chose que nous n’entendons pas, ou auquel nous n’avons pas encore pensé, ou qui n’a pas été mentionné dans les témoignages, mais qui est vraiment important pour les Canadiens? Y a-t-il autre chose que vous aimeriez nous dire?

Mme Price : C’est une question difficile pour moi, compte tenu de mon expérience. Je ne pense pas qu’il y ait une chose en particulier. Je pense qu’il est important d’entendre non seulement mon expérience, mais aussi celle de tous ceux qui ont pris la parole aujourd’hui. Je pense que chaque expérience est extrêmement importante à écouter.

Évidemment, ce que j’ai vécu est une tragédie extrême et je devrai apprendre à vivre avec cette expérience pour le reste de mes jours. La perte de mon amie était une autre expérience en soi. J’ai de la difficulté à faire ressortir un aspect en particulier, mais je suis très heureuse d’être assise à côté de mon père et de Wendy Cukier, qui m’ont beaucoup appuyée tout au long de cette expérience. Je vous remercie d’avoir reconnu que ce fut une expérience très difficile et que c’est un peu angoissant pour moi d’être ici aujourd’hui.

La sénatrice M. Deacon : Merci et merci à votre famille d’avoir pris cette décision aujourd’hui. Nous sommes ici aujourd’hui, mais si vous pensez à autre chose, vous pouvez nous le soumettre avant que nous terminions notre étude. Merci.

Madame Cukier, j’aimerais ajouter quelque chose à ce que disait mon collègue, le sénateur Boehm, au sujet de la fusillade. Dans votre témoignage devant le comité à la Chambre, vous avez dit que s’il y a des exceptions au gel des armes de poing fédérales, elles devraient être précises et étroitement définies.

Comme le sénateur Boehm l’a dit, il y a des carabines, des pistolets, des fusils de chasse, des pièges et le tir au pigeon d’argile, toutes sortes de disciplines différentes qui, comme vous l’avez dit aujourd’hui, n’utilisent peut-être pas les types d’armes dont nous parlons. Selon vous, comment pouvons-nous faire en sorte que ces personnes puissent continuer à faire des compétitions sportives tout en veillant à ce que cela ne devienne pas une échappatoire? Devons-nous envisager des exceptions ou y a-t-il des questions que vous vous posez sur la nécessité de tenir compte de toutes les situations sans nuire à ce groupe?

Mme Cukier : Eh bien, nous pouvons examiner les lois d’autres pays et les exceptions qui y sont inscrites.

Des pays qui ont un contrôle très strict des armes à feu envoient également des participants aux épreuves de tir sportif aux Jeux olympiques. Tout cela a à voir avec la mise en œuvre et la réglementation, qui sont très importantes, mais qui vont probablement au-delà de ce que le comité peut faire, à part formuler des recommandations. Les échappatoires sont potentiellement énormes si nous ne sommes pas très prudents, et alors à quoi tout cela aura-t-il servi?

L’autre chose que nous devons continuer de dire, c’est que cette loi est en fait très généreuse en ce sens qu’elle interdit l’importation, la vente et le transfert d’armes à feu. Elle ne vise qu’à endiguer la prolifération. Elle n’enlève pas d’armes aux tireurs à la cible légaux actuels.

Encore une fois, les médias confondent et déforment beaucoup de choses. Il est important de le préciser. Cette loi freinera la prolifération et, avec le temps, nous assisterons à une diminution du nombre d’armes de poing légales. Les gens ont des passe-temps, mais il est très important de tenir compte des coûts qui y sont associés. Je pense que cet argument a été bien présenté.

La sénatrice M. Deacon : Merci.

La sénatrice Dasko : Merci à tous d’être ici aujourd’hui. À la famille Price, j’aimerais dire que la collectivité de Danforth est un endroit formidable. J’y étais l’autre soir, et les décorations d’Halloween étaient partout. C’est une collectivité formidable et dynamique, encore aujourd’hui, du moins, selon ce que j’ai pu observer.

Madame Cukier, nous entendons des gens qui critiquent le projet de loi C-21. Il y a des problèmes de données au sujet des armes à feu qui viennent des États-Unis, des statistiques sur la criminalité, et ainsi de suite. C’est ce que nous disent les gens qui s’opposent au projet de loi. Cependant, un thème récurrent du projet de loi C-21, c’est qu’il punit les propriétaires d’armes à feu respectueux des lois. J’aimerais vous entendre à ce sujet.

Mme Cukier : Je pense que la vraie punition, c’est de perdre un enfant. Je pense que le fait de ne pas pouvoir acquérir plus d’armes de poing pour un passe-temps ou une collection n’est pas une punition.

Je vais essayer d’être brève, mais je trouve cela ironique. J’étais en train de redécorer ma maison. J’ai envoyé mon entrepreneur me chercher d’autres stores. Il est revenu en disant qu’il était désolé, mais que ces stores n’étaient plus vendus, en raison des cordons, qui posaient un trop grand risque. Le Canada a interdit la vente de ces stores à cordons en raison des risques potentiels pour la sécurité publique. Mais combien de personnes sont tuées par des cordons de stores chaque année au Canada, comparativement au millier de personnes, ou à peu près, qui sont tuées par des armes à feu? Pour moi, c’est une question de proportionnalité.

Il est insultant pour les victimes de violence armée et ridicule, à mon avis, en tout respect, de dire que le fait de devoir changer de passe-temps constitue une punition.

La sénatrice Dasko : Vous êtes une excellente analyste des données dans votre travail et dans votre carrière. À l’avenir, si ce projet de loi est mis en œuvre, dans sa forme actuelle ou à peu près, quelle différence pensez-vous qu’il fera? Avez-vous réfléchi à cela? Est-ce que ce sera une grosse affaire? Que pensez-vous de l’ampleur des répercussions de ce projet de loi?

Mme Cukier : Tout ce que nous pouvons examiner, ce sont les répercussions historiques. Par exemple, nous pouvons dire que les lois plus sévères sur les armes à feu présentées par le gouvernement conservateur en 1991, puis, par le gouvernement libéral en 1995, ont eu une incidence sur, par exemple, la violence faite aux femmes. Le nombre de femmes tuées au moyen d’armes à feu a rapidement diminué au cours des 15 années suivantes, avant de recommencer à augmenter.

La législation est un élément clé, mais la mise en œuvre l’est tout autant. L’incidence de cette loi, par exemple, sur la violence familiale dépendra en grande partie de la mesure dans laquelle ces règlements sont réellement appliqués, parce que nous entendons sans cesse parler de gens qui sont considérés comme un risque pour eux-mêmes ou pour les autres ou d’un tueur de masse qui a tenu des propos haineux et qui a proféré des menaces contre une mosquée, et ainsi de suite, et nous voyons malgré tout ce genre de cas se répéter encore et encore.

Il est essentiel que les mesures soient prévues dans la loi, qu’elles soient mises en œuvre et qu’on dispose des ressources nécessaires pour les appuyer. La violence familiale, les crimes haineux et ainsi de suite sont d’une importance cruciale.

En ce qui concerne les armes de poing, endiguer la prolifération des armes de poing réduira, à mon avis, les crimes et les homicides commis avec ces armes. Si vous examinez les données au fil du temps, et si vous regardez comment l’explosion de la possession d’armes de poing au Canada a été liée à l’augmentation de leur utilisation dans la criminalité, je pense que les données sont là pour le prouver.

Si vous faites des comparaisons internationales, plus nos lois ressemblent à celles des pays industrialisés d’Europe, d’Australie et ainsi de suite, plus nous pouvons nous attendre à ce que les chiffres en matière de violence armée suivent ces tendances.

Comme vous le savez, les sciences sociales sont imparfaites. Ce n’est pas comme tester des vaccins. Nous ne pouvons examiner que les probabilités, et je pense que la probabilité est que cette combinaison de mesures fera une différence.

Le président : Merci beaucoup.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Monsieur et madame Price, je sympathise beaucoup avec vous pour ce qui est arrivé. Je connais un peu votre combat, car ma propre fille a été assassinée par un prédateur sexuel qui aurait dû être en prison. Malheureusement, le gouvernement l’a libéré trop rapidement. Le gouvernement libère tous les mois des prédateurs sexuels sans contrôle, malgré qu’il ait un discours très ferme sur la sécurité publique. Je crois que sur ce plan, il est tout à fait en contradiction avec son discours.

Le projet de loi est en contradiction avec le gouvernement. On veut serrer la vis aux contrebandiers d’armes illégales et en même temps, le gouvernement adopte le projet de loi C-5 qui fait en sorte qu’on retourne chez eux des gens pour qu’ils puissent purger leur peine dans leur salon, comme on l’a vu dernièrement au Québec; des gens qui s’adonnent au trafic d’armes, au trafic de drogues et dont la peine est de deux ans à domicile.

On a parlé tout à l’heure du jeune homme qui a importé 200 armes des États-Unis et qui purge sa peine de deux ans moins un jour à la maison. Comment peut-on composer avec un gouvernement qui se dit sérieux en ce qui a trait au problème de trafic d’armes et adopter des projets de loi qui sont contradictoires?

[Traduction]

Mme Cukier : Je peux certainement essayer.

Je pense que les décisions des tribunaux, comme vous le savez, ne dépendent pas uniquement de ce que fait le gouvernement.

Le sénateur Boisvenu : Non. Le gouvernement a adopté un projet de loi qui permet maintenant à des délinquants, au lieu de purger des peines sévères en prison, de rentrer chez eux pour purger leur peine. Ce ne sont pas les tribunaux qui l’ont décidé. C’est la décision du gouvernement.

Mme Cukier : La décision d’un gouvernement de permettre aux gens de purger leur peine à la maison...

Le sénateur Plett : Le projet de loi C-5.

Mme Cukier : Mais les dispositions relatives à la détermination de la peine sont décidées par le tribunal.

Vous vous souviendrez des peines obligatoires qui accompagnaient les cas de violence armée. Vous en souvenez-vous? Les tribunaux les ont déclarées inconstitutionnelles et contraires à la Charte.

Il est peut-être vrai que le fait de purger sa peine à la maison plutôt qu’en prison vaut la peine d’être discuté, mais je ne pense pas que ce soit le cas en l’espèce, avec tout le respect...

Le sénateur Boisvenu : Le trafic des armes à feu est-il un problème grave, oui ou non?

Mme Cukier : Le trafic des armes à feu est un problème grave, oui.

Le sénateur Boisvenu : Alors, si c’est le cas, pourquoi le gouvernement adopterait-il un projet de loi qui impose une peine si clémente qu’elle n’envoie pas un message clair à propos d’un problème aussi grave?

Mme Cukier : Mais vous pensez que le gouvernement a décidé que cette personne allait purger sa peine à domicile, ou est-ce un juge qui a pris cette décision?

Le sénateur Boisvenu : Non, le gouvernement a permis au juge de le faire. Cela veut dire que si le gouvernement ne déposait pas ce projet de loi, le juge n’aurait pas cette autorité.

Mme Cukier : Ce que vous dites, c’est que les peines peuvent être purgées à la maison, plutôt que dans ce cas précis. Désolée. Merci.

Le sénateur Cardozo : En terminant, je tiens à remercier la famille Price. Samantha Price, votre présence ici et vos propos sont une contribution majeure à une bonne politique gouvernementale dans ce pays, et je vous en remercie sincèrement. Malgré la douleur que vous éprouvez, vous avez rendu un grand service à notre pays aujourd’hui. Merci.

Mon frère a vécu non loin de l’avenue Danforth pendant un certain nombre d’années, et la région dont vous parlez est un endroit où nous avons vécu de nombreux moments heureux ensemble. Nous aimons les terrasses, les magasins de crème glacée et tout le reste dans cette région, que je connais bien. Cette tragédie s’est produite tout près de l’endroit où vit notre famille.

Il est vraiment intéressant que vous nous rappeliez, monsieur Price, que ce n’est pas une arme de contrebande qui a été utilisée dans ce cas.

Je terminerai en disant qu’il n’y a pas de « mais » à ce que j’ai dit. Je tiens à vous dire, avec insistance, merci d’être ici; vous avez raison.

Madame Cukier, j’aimerais vous poser une question au sujet des articles « drapeau rouge ». La semaine dernière, quelques témoins ont laissé entendre qu’ils pourraient être utilisés de façon négative contre les personnes racisées et les Autochtones, je suppose, parce qu’on pourrait déposer des plaintes anonymes.

J’entends dire le contraire, et le gouvernement est certainement d’avis qu’il y a suffisamment de mesures de protection contre les plaintes vexatoires.

Que pensez-vous des articles « drapeau rouge » et pensez-vous qu’il s’agit d’un outil utile?

Mme Cukier : Je dirais que les articles « drapeau rouge » n’étaient pas une priorité pour nous. Notre priorité était vraiment d’élargir les conditions dans lesquelles les armes à feu pouvaient être retirées et d’introduire des mesures de mise en œuvre comme des lignes d’assistance téléphonique pour que les armes à feu soient retirées immédiatement lorsque des plaintes sont déposées.

À notre avis, le recours aux tribunaux est un processus secondaire. Vous devriez pouvoir appeler pour signaler votre inquiétude, et ces armes devraient être retirées immédiatement.

Pour nous, c’est un moyen de replis. Nous savons que l’organisme Physicians for the Prevention of Gun Violence y tient beaucoup, d’après les recherches qu’il a effectuées. Je pense qu’il y a des circonstances où cela pourrait s’avérer utile, mais ce sont les autres mesures de la loi qui, de notre point de vue, sont les plus importantes.

Le sénateur Cardozo : Nous avons beaucoup parlé de l’utilisation d’armes à feu à des fins récréatives. Qu’en est-il des agriculteurs qui ont besoin d’armes à feu à quelque fin que ce soit?

Mme Cukier : Les chasseurs et les agriculteurs peuvent utiliser des armes à feu. Le projet de loi n’a aucune incidence sur eux. Ils n’utilisent pas d’armes de poing ni d’armes semi-automatiques de type militaire.

Le seul cas où les chasseurs ou les agriculteurs seraient touchés, c’est s’ils représentent un risque pour eux-mêmes ou pour toute autre personne, et ce sont des préoccupations dont nous devons tenir compte, qu’il s’agisse de collectivités urbaines ou rurales.

Le sénateur Cardozo : Merci beaucoup.

Le président : Chers collègues, c’est tout le temps que nous avions avec ce groupe de témoins.

Au nom du comité et du Sénat du Canada, je tiens à remercier nos témoins pour le travail crucial qu’ils font et pour nous avoir fait part de leur expérience et de leur expertise ce soir. Cela a été très utile.

Dans ce cas-ci, cette expérience a été traumatisante et douloureuse. Nous vous remercions tout particulièrement, Samantha Price, et votre père, Ken, d’avoir eu le courage de venir ici ce soir et de nous faire part de votre expérience et des conseils qui en découlent. C’est généreux de votre part. C’est important. Le travail que vous faites est important. Il est très utile. Au nom de tous ceux qui sont ici ce soir, je vous remercie tous les trois pour cela, et pour les différentes façons dont vous agissez. Nous vous souhaitons beaucoup de succès dans la poursuite de cet important travail. Merci beaucoup.

Chers collègues, nous poursuivons avec notre dernier groupe de témoins de ce soir pour examiner le projet de loi C-21, Loi modifiant certaines lois et d’autres textes en conséquence (armes à feu).

Nous souhaitons la bienvenue au comité à Mme Flora Dommanget, porte-parole de PAS ICI, et à Mme Meaghan Hennegan, porte-parole de Families of Dawson, par vidéoconférence.

Merci de vous joindre à nous aujourd’hui. Nous vous invitons à faire votre déclaration préliminaire, après quoi les membres du comité vous poseront des questions. Je vous rappelle que vous disposez chacune de cinq minutes pour votre témoignage. Nous allons commencer cette séance avec Mme Flora Dommanget.

[Français]

Flora Dommanget, porte-parole, PAS ICI : Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants, chers témoins et cher public, je vous remercie en premier lieu de nous donner l’occasion de témoigner aujourd’hui au nom du mouvement PAS ICI. Je m’appelle Flora Dommanget et je suis coordonnatrice aux affaires externes de l’Association étudiante de Polytechnique ainsi que représentante du mouvement PAS ICI.

Notre mouvement étudiant pancanadien, qui regroupe plus de 285 000 personnes étudiantes, est profondément préoccupé par la question du contrôle des armes au Canada, en particulier en ce qui concerne la disponibilité des armes et accessoires qui maximisent le nombre de victimes. La sécurité de la communauté étudiante est au cœur de nos préoccupations, étant donné plusieurs tragédies qui se sont déroulées au sein de nos différentes universités et écoles. Notre principal objectif est de prévenir les tueries de masse et de garantir un environnement sûr pour toute la communauté étudiante au Canada.

Nous appelons principalement à l’interdiction des armes d’assaut, des armes de poing et des chargeurs de grande capacité en reconnaissant que ces armes et accessoires ont été impliqués dans de nombreuses tragédies de violence armée au Canada. Nous appuyons le projet de loi C-21 qui inclut notamment un gel sur les armes de poing et plusieurs autres mesures, en particulier celles qui touchent la violence conjugale.

Nous constatons cependant des lacunes importantes dans cette loi. Elle ne traite en rien le contrôle des armes d’assaut, c’est-à-dire qu’elle ne change en rien le fait que des centaines de modèles légaux circulent actuellement au Canada ni la capacité de se procurer légalement une arme de ce style. Rappelons que ce genre d’arme est conçu pour infliger un maximum de destruction en un minimum de temps, soit de pouvoir tuer un maximum de personnes en peu de temps.

En tant qu’étudiante en génie, je vois l’ampleur des dégâts qu’elles génèrent. La science appuie notre position. La mortalité des blessures augmente avec le calibre. Le nombre de victimes se multiplie avec la fonction semi-automatique. Les tirs en rafale sont d’autant plus faciles avec des chargeurs de haute capacité. Ces armes peuvent, en plus, se munir de toutes sortes de caractéristiques militaires.

Les tragédies comme le féminicide de l’École polytechnique, en 1989, la tuerie à l’Université Concordia, en 1992, la fusillade à l’École secondaire Walter Ray Myers, en 1999, la fusillade de l’École secondaire Bramalea, en 2004, la fusillade du Collège Dawson, en 2006, et la fusillade de l’École communautaire de La Loche, en 2016, sont toutes des tueries de masse qui ont eu lieu au Canada.

Nous pensons aussi à celle de l’école primaire de Sandy Hook, à Newtown, en 2012, et à celle de l’école secondaire Marjory Stoneman Douglas, à Parkland, en 2018, en plus de milliers d’autres tragédies dans les écoles chez nos voisins du Sud.

Enfin, ce genre de drame ne se limite pas aux écoles; ces tragédies se déroulent également dans les rues et dans nos communautés, comme la tuerie de Portapique, en Nouvelle-Écosse, en 2020, ou dans le contexte de la violence conjugale, comme les meurtres multiples à Sault-Sainte-Marie, tout récemment, qui incluent trois enfants assassinés.

Tout cela nous montre à quel point il y a un énorme manque de contrôle en matière d’armes à feu.

Ainsi, nous demandons que le projet de loi C-21 soit adopté sans amendement et rapidement. Ensuite, nous demandons aux sénateurs et aux sénatrices de prendre position en faveur de l’intention du gouvernement, annoncée ici même lundi dernier par le ministre de la Sécurité publique, de compléter les décrets de 2020 afin de classer correctement les armes d’assaut existantes comme « armes à feu prohibées ». Ce deuxième décret constitue une étape primordiale vers la réalisation du bannissement de ces armes meurtrières.

Le Sénat peut aussi se prononcer sur la nécessité d’éliminer les échappatoires et exemptions sur les chargeurs de grande capacité.

Nous croyons fermement qu’assurer la sécurité du public et ainsi de notre communauté étudiante doit être la priorité du gouvernement. En adoptant le projet de loi C-21 et en interdisant les armes d’assaut, les armes de poing et les chargeurs de grande capacité, nous pouvons contribuer à réduire de manière significative le risque de violence armée et donc le risque que des tragédies telles que les tueries de masse aient lieu. Ces événements n’ont pas leur place au sein de notre pays.

Le mouvement PAS ICI, qui réunit la communauté étudiante au Canada, appelle ainsi le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants à soutenir le projet de loi C-21 tout en interpellant le gouvernement sur l’importance de renforcer cette loi avec un nouveau décret et d’éliminer les exemptions et échappatoires en matière de chargeurs de grande capacité, afin d’assurer une véritable interdiction des armes d’assaut qui soit claire et précise.

La sécurité de la communauté étudiante et de toute la population au Canada est en jeu. Il est de notre devoir de prendre des mesures significatives pour la protéger.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants, chers témoins et cher public, je vous remercie de votre attention.

[Traduction]

Le président : Merci, madame Dommanget.

Madame Hennegan, veuillez commencer quand vous serez prête.

Meaghan Hennegan, porte-parole, Families of Dawson : Bonjour. Je remercie tout le monde de m’accueillir aujourd’hui.

Pour ceux qui ne me connaissent pas, je m’appelle Meaghan Hennegan. En 2006, j’ai été blessée par balle à l’extérieur du Collège Dawson. Depuis 17 ans, je travaille aux côtés de PolySeSouvient comme représentante du groupe Families of Dawson. Beaucoup d’entre vous ont aussi vu la mère d’Anastasia de Sousa à nos côtés. C’est quelque chose qui nous touche de très près; c’est très important pour nous. Nous appuyons le projet de loi C-21 parce qu’il prévoit des mesures rigoureuses qui sont importantes pour la sécurité publique et pour des actes de violence plus intimes commis avec des armes à feu. Cependant, je veux vous parler aujourd’hui des lacunes concernant les chargeurs à grande capacité.

Malgré la limite théorique de 5 ou 10 cartouches pour les armes d’épaule et les armes de poing, une série d’exemptions et de lacunes permettent aux chargeurs dont la capacité dépasse ces limites de rester légaux sur le marché canadien. Le gouvernement a promis d’éliminer l’une de ces lacunes, celle qui permet les chargeurs modifiables, mais pour être vraiment efficace, l’interdiction des chargeurs de grande capacité doit être complète.

Il y a d’autres exemples, notamment les règles actuelles quant aux chargeurs qui limitent le nombre de cartouches à 5 ou à 10. Les chargeurs modifiables sont des chargeurs fixés à cinq cartouches; ils sont légaux. De nombreux tireurs de masse ont acheté de tels chargeurs et les ont modifiés illégalement pour atteindre la pleine capacité illégale en retirant simplement un rivet.

Le Comité permanent de la sécurité publique et nationale de la Chambre des communes a recommandé leur interdiction. Si un chargeur n’est pas délibérément conçu pour une arme particulière dans laquelle il s’insère, il échappe aux limites de 5 et de 10 cartouches. Selon la GRC, des chargeurs d’une capacité maximale de 110 cartouches sont disponibles puisque les carabines sont exemptées.

Les chargeurs pour les armes de poing semi-automatiques peuvent contenir 10 cartouches. Je vis à Montréal. Le tireur de la mosquée de Québec a utilisé cinq de ces chargeurs. On m’a aussi tiré dessus avec une arme qui a été modifiée pour contenir un chargeur à plus grande capacité. Le Beretta Storm utilisé par le tireur de Dawson ne pouvait contenir que cinq cartouches. Il l’a modifié pour en contenir 10. S’il n’avait pas été en mesure de le faire, si ces seuls produits avaient été interdits, le nombre de blessés aurait été beaucoup plus bas, et il n’aurait probablement pas pu se rendre à la cafétéria.

Cela n’aborde même pas la nouvelle définition des armes prohibées. Les définitions des fusils d’assaut ne couvrent pas les armes existantes sur le marché. Elles ne couvrent que les nouvelles armes qui sortent, ce qui fait qu’il est très facile pour les gens d’obtenir des armes qui peuvent causer beaucoup de dégâts en très peu de temps et qui sont exemptées des règles. Si nous voulons empêcher que ce qui m’est arrivé ne se reproduise, nous devons interdire complètement les armes d’assaut et les chargeurs à grande capacité. Merci.

Le président : Merci, madame Hennegan. Merci de votre courage ce soir. Vous avez très bien entamé la discussion, et nous voulons en savoir davantage de votre part. Merci beaucoup.

Nous allons maintenant passer aux questions. Les témoins seront parmi nous jusqu’à 20 heures. Comme pour les groupes précédents, je limiterai chaque question et réponse à quatre minutes. Je vais brandir cette carte pour indiquer qu’il vous reste 30 secondes.

Je demande aux sénateurs de poser des questions aussi brèves que possible. Qu’ils aillent droit au but, afin que nous puissions tirer le meilleur parti de nos témoins. Veuillez indiquer le nom de la personne à qui vous adressez votre question. Notre vice-président, le sénateur Dagenais, posera la première question.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Madame Hennegan, je me souviens très bien de la fusillade du Collège Dawson. À l’époque, j’étais policier à la Sûreté du Québec et j’ai même accompagné le ministre de la Sécurité publique du Québec de l’époque, M. Jacques Dupuis, lorsqu’il a déposé le projet de loi Anastasia.

Cela dit, le tireur du Collège Dawson qui vous a blessée avait deux armes en sa possession; les deux étaient légalement enregistrées et l’une d’elles est maintenant interdite depuis 2020.

Je vais évidemment appuyer le projet de loi C-21, mais il n’en demeure pas moins que certains aspects de la lutte aux armes chez les criminels organisés ne sont pas assez sérieusement traités pour être significatifs.

Avec le recul et l’expérience, pouvez-vous partager avec nous les idées et les émotions que vous ressentez lorsque vous voyez des tueries de masse comme celle de la semaine dernière dans le Maine? Est-ce que les lois des gouvernements peuvent être suffisantes pour arrêter des comportements comme ceux-là?

Mme Hennegan : Bien sûr, chaque fois que je vois un événement se produire dans une école, dans une communauté, dans une épicerie, cela me marque beaucoup. J’ai encore beaucoup de peine à voir cela. Cela me frustre, parce que les lois en vigueur à l’heure actuelle ne sont pas assez contraignantes pour éviter que cela ne se produise.

Il ne s’agit pas seulement de penser à qui l’a fait; il s’agit de l’accessibilité à des armes à feu, que ce soit des armes de poing ou des armes d’assaut. C’est la chose que l’on peut contrôler; il faut donc exercer le plus de contrôle possible afin de s’assurer que tout le monde a fait de son mieux pour garder la population en sécurité.

Le sénateur Dagenais : Vous n’ignorez pas la hausse de la criminalité par armes à feu à Montréal, entre autres. Il n’y a pas une soirée sans coups de feu, et il faut voir aussi les difficultés de la police à combattre ce phénomène.

Estimez-vous que le projet de loi C-21 a suffisamment de mordant pour les juges, pour qu’ils puissent donner des sentences dissuasives à ceux qui commettent des crimes avec des armes à feu, qu’elles soient enregistrées ou non?

Mme Hennegan : Honnêtement, sénateur, je ne suis pas avocate, mais seulement une victime qui a vécu une expérience très, très traumatisante, alors je ne vais pas parler de ce qui est de la criminalité, ce n’est pas mon point d’intérêt.

Bien sûr, le projet de loi C-21 fait les premiers pas dans la bonne direction pour les arrêter, mais en tant que tel, c’est un côté complètement différent de ce dont je parle. Cependant, tout ce que le gouvernement veut adopter, plus ou moins, maintenant, c’est mieux que de ne rien faire.

Le sénateur Dagenais : Merci beaucoup, madame.

[Traduction]

Le président : Merci, madame Hennegan.

Le sénateur Plett : Madame Hennegan, j’ai deux questions à vous poser. J’aurai ensuite une question pour les deux témoins. Je vais essayer d’être bref. Vous avez vécu une tragédie indescriptible. Nous en sommes conscients. En toute franchise, je ne peux pas comprendre ce que vous vivez.

Nous sommes tous d’accord pour dire que nous voulons des lois efficaces au Canada. Nous avons déjà entendu de nombreux témoignages selon lesquels le projet de loi C-21 ne sera pas efficace. À cet égard, le professeur Christian Leuprecht, du Collège militaire royal du Canada, a dit ceci à notre comité :

Les données sont sans équivoque. Plus de 90 % des armes à feu saisies lors de la commission d’un crime ou détenues illégalement au Canada ont été introduites en contrebande par le crime organisé depuis les États-Unis... Montrez-moi les données qui appuient ce projet de loi. Il n’y en a pas.

Si le professeur a raison, dans quelle mesure craignez-vous que le projet de loi C-21 soit inefficace?

Mme Hennegan : Je ne crains pas du tout qu’il soit inefficace, sénateur.

Permettez-moi de vous rappeler qu’il n’y a pas si longtemps, le tireur de masse dans le Maine était un réserviste de l’armée qui avait accès à des armes légales. L’homme qui a tiré sur moi était un ancien soldat et il avait accès à des armes légales.

De nombreux tireurs de masse n’utilisent pas d’armes illégales ou d’armes obtenues illégalement pour commettre leurs crimes. Ils les achètent comme tout le monde. Ils achètent des permis comme tout le monde. Il n’y a pas de freins et de contrepoids pour s’assurer que la plupart de ces hommes sont tenus responsables d’avoir en leur possession des outils aussi dangereux.

Ne mâchons pas nos mots. Une arme à feu est un outil fait pour tuer. C’est la seule chose à laquelle elle peut servir. Je ne crois pas qu’il soit légitime de rejeter du revers de la main le projet de loi tel quel, en disant qu’aucune de ses dispositions ne fonctionnera.

Le sénateur Plett : Personne ne suggère que nous rejetions le projet de loi du revers de la main. Nous essayons d’obtenir un projet de loi qui sera efficace et qui aidera tous les Canadiens.

Un contrôle efficace des armes à feu exige le soutien, que cela nous plaise ou non, des propriétaires légitimes d’armes à feu, puisque le contrôle des armes à feu, par définition, est axé sur les armes à feu légales.

Je vais poser la question. J’ai l’impression que vous allez dire que ce n’est pas le cas, mais je vais vous poser la question suivante : craignez-vous que l’appui des propriétaires d’armes à feu à l’égard du contrôle des armes à feu diminue si les projets de loi sont perçus comme ciblant des citoyens respectueux des lois pour un effet limité?

Mme Hennegan : Non, monsieur. La plupart des propriétaires d’armes à feu respectueux des lois qui reconnaissent l’importance du contrôle des armes à feu n’auront aucun problème à avoir ces freins et contrepoids et à interdire des choses très dangereuses qui sont plutôt inutiles.

Si vous voyez une arme comme un jouet, c’est à ce moment-là que vous vous éloignez des propriétaires d’armes à feu responsables.

Le sénateur Plett : En fait, la majorité des propriétaires légitimes d’armes à feu s’opposent à ce projet de loi.

Permettez-moi de poser la question suivante aux deux témoins, s’il vous plaît, et je l’ai posée à un certain nombre de témoins : le ministre a comparu devant notre comité et il a dit que le gouvernement avait mené de vastes consultations sur ce projet de loi. Il a précisé que les groupes de victimes avaient été consultés à cet égard.

Le gouvernement a-t-il consulté l’une ou l’autre d’entre vous avant de déposer ce projet de loi?

Mme Hennegan : Nous avons rencontré plusieurs personnes de différents paliers de gouvernement. Je ne suis pas la porte-parole de mon organisme, alors je ne peux pas répondre de façon définitive à cette question.

Je suis convaincue que mes collègues, Heidi et Natalie, ont été plus impliquées que moi. Comme je l’ai dit, je suis seulement une des représentantes d’une branche de l’organisme centrale PolySeSouvient qui travaille à rendre ce projet de loi aussi efficace que possible.

Le sénateur Plett : Merci. Vous n’êtes donc pas sûre.

[Français]

Mme Dommanget : Je viens de rentrer pour reprendre la représentation du moment PAS ICI. Nous avons été beaucoup en contact avec les autres personnes engagées dans le mouvement. On ne nous a pas demandé personnellement à nous, mais je sais qu’on a communiqué, par exemple, avec PolySeSouvient énormément, énormément au sujet des revendications que posait la loi.

[Traduction]

Le sénateur Kutcher : Je remercie nos témoins de leur présence. Je peux comprendre qu’il soit extrêmement difficile de parler de ce genre d’expériences personnelles. Je vous remercie de votre patience.

J’ai reçu une avalanche de lettres me demandant de ne pas appuyer le projet de loi C-21. Bon nombre des arguments avancés sont qu’il n’appuie pas le droit des Canadiens aux armes à feu, ce qui est un élément de désinformation qui confond les constitutions américaines et canadiennes.

La correspondance est également remplie d’autres types de désinformation. Il me semble qu’une bonne partie de ce que j’ai pu voir sur divers sites Web correspond à ce que préconise l’industrie des armes à feu. Le libellé est presque identique.

Cependant, je n’ai pas reçu de correspondance me demandant de protéger les femmes, les étudiants, les enfants et tous les Canadiens contre les décès et les blessures causés par des armes à feu. Je ne crois pas que cette correspondance représente la majorité des propriétaires d’armes à feu au Canada. Je pense que ce sont des propriétaires d’armes à feu qui utilisent la voix du lobby des armes à feu pour étouffer la voix des femmes, des étudiants et des enfants.

Si chacune d’entre vous avait une suggestion à nous faire pour renforcer la sécurité publique grâce au projet de loi C-21, quelle serait-elle?

Mme Hennegan : Je serais tout à fait d’avis qu’il faut renforcer et rendre la définition d’un fusil d’assaut moins vague et interdire tout ce qui pourrait être visé par cette définition. Les chasseurs et les agriculteurs n’ont pas besoin de ce genre d’armes. Ce sont des jouets de guerre pour les hommes adultes. Elles ne sont pas plus utiles pour ce genre de choses.

Il existe déjà des armes sur le marché qui peuvent suffisamment bien servir pour la chasse ou la protection d’une ferme. Nous n’avons pas besoin d’armes d’assaut dans nos rues.

[Français]

Mme Dommanget : Comme vient de le mentionner Mme Hennegan, le plus gros problème est la définition qui est employée dans le projet de loi C-21 pour les armes d’assaut. De notre point de vue, il faut vraiment adopter cette loi, parce qu’elle renforce le contrôle et ensuite, il faut vraiment compléter les décrets de 2020 pour renforcer cette loi. Cela va faire en sorte que grâce à cela, on aura un contrôle non pas suffisant, mais meilleur que ce qu’on peut avoir maintenant.

[Traduction]

La sénatrice M. Deacon : Merci à vous deux de vous être adressées à nous aujourd’hui. C’est un projet de loi technique. Vous avez toutes les deux fait preuve d’un grand courage. Nous vous en remercions.

Madame Dommanget, je vais vous poser une question, mais j’espère que cela ne vous fera pas répéter ce que vous avez dit au début de votre intervention. Vous avez parlé rapidement au début de votre témoignage et vous avez dit que vous appuyez le projet de loi, mais qu’il ne va pas assez loin.

J’ai entendu ce que mon collègue, le sénateur Kutcher, vous a demandé il y a un instant, à savoir ce que nous pourrions faire pour l’améliorer. Je veux m’assurer d’avoir bien compris. Lorsque vous dites que le projet de loi ne va pas assez loin, pouvez-vous ralentir et me dire quels éléments doivent être en place, selon vous, pour qu’il ait la substance nécessaire?

Madame Hennegan, je vous serai reconnaissante de répondre aussi par la suite. Je commencerai par cela.

[Français]

Mme Dommanget : À notre sens, ce qu’on comprend, c’est que la définition employée dans le projet de loi n’est pas suffisante pour encadrer toutes les armes qui existent. Beaucoup de failles font en sorte que les nouvelles armes qui seront créées vont passer au-delà.

En ce moment, on parle du projet de loi C-21; c’est quand même un bon projet de loi, un bon point et de bonnes mesures, mais il n’est pas complet. On veut compléter les décrets de 2020 qui ont été adoptés pour pouvoir renforcer la définition, pour prendre en compte plus d’armes qui existent actuellement. Des amendements ont été apportés. On parle de 482 armes qui ont été oubliées. On se rend compte qu’elles étaient dangereuses puisqu’elles faisaient partie de la loi et on se demande pourquoi elles ont été retirées. Un nouveau décret permettrait de combler toutes les failles qui sont présentement sur le marché.

[Traduction]

La sénatrice M. Deacon : Madame Hennegan, avez-vous quelque chose à ajouter?

Mme Hennegan : Non, je n’ai rien à rajouter à ce que Mme Dommanget a dit.

Le sénateur Yussuff : Je vous remercie toutes les deux de votre présence et de votre courage.

Madame Dommanget, quand j’étais jeune et que j’allais à l’école, la violence armée n’était pas une réalité. Ma plus grande préoccupation était de me rendre à l’école à l’heure afin que le directeur n’ait pas à me conduire à son bureau et à me demander pourquoi j’étais en retard. Pourtant, dans la réalité d’aujourd’hui, nous constatons de plus en plus que la violence armée existe, non seulement dans les universités et les collèges, mais aussi dans les écoles publiques où les enfants doivent maintenant en tenir compte. Qu’est-ce que cela dit de notre société et, plus important encore, des défis que doivent relever les jeunes lorsqu’ils vont à l’école, sans parler de l’obtention de bonnes notes?

[Français]

Mme Dommanget : On est des étudiants. On poursuit nos études et en fait, on se rend compte qu’une source de stress supplémentaire vient nous déranger dans nos études. On a une sorte de contradiction en ce moment, puisqu’on nous demande d’apprendre à réagir quand on se fait attaquer. On a des scénarios de tueurs actifs dans nos écoles. Ce n’est pas offert dans toutes les écoles, mais cela existe. On nous demande de réagir à cela alors que les armes qui seront utilisées sont légales. Cela ajoute un stress à nos études — un stress dont on n’a pas besoin.

Les défis auxquels on fait face comprennent l’anxiété qui est créée. On voit ce qui se passe en ce moment. La semaine dernière, en raison d’un acte de violence conjugale, on voit vraiment que la violence est à notre porte. Les jeunes d’aujourd’hui sont ceux qui vont mener le monde de demain et c’est vraiment difficile pour nous de se rendre compte qu’il y a encore un débat actuellement. Ce débat est ouvert depuis 33 ans, depuis le féminicide de Polytechnique. On ne comprend pas pourquoi il y a encore un débat alors que de nombreuses actions dans les écoles ont été entreprises. On veut que cette interdiction puisse être adoptée.

[Traduction]

Le sénateur Yussuff : Madame Hennegan, vous parlez d’autres éléments qui ne sont pas dans le projet de loi, mais que le gouvernement doit examiner quant aux règlements. Vous êtes très précise à ce sujet. En réalité, plus vite nous adopterons ce projet de loi, plus le gouvernement pourra, je l’espère, s’atteler aux efforts réglementaires nécessaires, mais aussi obtenir les conseils requis pour examiner les autres mesures dont il a parlé et qui viendraient compléter le projet de loi à une date ultérieure. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet?

Mme Hennegan : Comme je l’ai dit, il est décevant que nous devions attendre et faire cela à une date ultérieure, car cela aurait dû faire partie du projet de loi dès le départ. C’est important. La capacité des chargeurs est un élément important de ces discussions. Sans ces chargeurs, sans les balles, l’arme est inutile, n’est-ce pas? On ne peut pas vraiment séparer les parties de l’outil de cette façon. Ce n’est pas ainsi que cela fonctionne. On ne peut pas réglementer l’un et pas l’autre. Cela devient un peu bizarre.

De toute évidence, nous espérons vraiment qu’une fois le projet de loi C-21 adopté, nous pourrons nous attaquer à ce problème et commencer à combler les lacunes concernant les chargeurs de grande capacité. Je crois qu’il y avait aussi quelque chose sur l’obligation d’obtenir un permis pour acheter des munitions. Ce serait une idée fantastique. Tout le monde aime parler des crimes illégaux commis avec des armes à feu. Cela fera augmenter le prix parce que même si vous avez une arme à feu illégale, vous ne pourrez plus acheter des balles de façon légale. Cela rappelle le numéro de Chris Rock sur le contrôle des balles, n’est-ce pas? Si vous ne contrôlez pas les balles, vous ne contrôlez pas les armes à feu. Il faut se pencher de toute urgence sur cette question, car elle a vraiment une incidence sur les dégâts que ces armes peuvent causer, même si elles ne sont pas interdites.

Le sénateur Cardozo : Je remercie nos deux témoins d’être ici. Vous êtes très courageuses avec tout le travail que vous faites.

Meaghan Hennegan, je tiens à vous remercier d’avoir pris le temps de nous faire part de votre expérience et de votre courage. Ayant vécu cet événement au Collège Dawson, je suis sûr qu’il y a une sorte de traumatisme qui se produit lorsque vous participez à une séance comme celle-ci. Nous savons que vous le faites pour aider à élaborer de bonnes politiques gouvernementales et nous vous en remercions tous.

Pouvez-vous nous parler du travail que vous faites, du fonctionnement de Families of Dawson et de vos interactions avec PolySeSouvient, par exemple? Vous avez posé une question plus tôt au sujet de la consultation, mais travaillez-vous tous ensemble pour régler certains de ces problèmes? Vous concentrez-vous sur la législation et sur toutes les autres choses qui suivront?

Mme Hennegan : Oui. C’est vraiment un effort de collaboration. Évidemment, PolySeSouvient et son équipe de victimes, de témoins et de gens ont travaillé très fort pendant plus de trois décennies — trois décennies au cours desquelles ils ont travaillé sur ce dossier.

Ils ont engagé la participation du Collège Dawson après notre événement. C’était vraiment révélateur et habilitant de pouvoir sentir que l’on peut transformer un tel événement en bien public, au lieu de le percevoir exclusivement comme traumatisme public.

Des membres de la mosquée de Québec sont également de la partie. Ils ont fait un travail remarquable en se concentrant sur les mesures législatives concernant l’islamophobie et le contrôle des armes à feu. Le travail qu’ils font est important.

Nous collaborons avec Danforth Families. Nous sommes vraiment axés sur la promotion de changements aux lois sur les armes à feu au Canada, pour les rendre plus strictes, pour renseigner les gens. Beaucoup de gens regarderont ce qui se passe aux États-Unis et se diront : « Oh, mais nous avons le contrôle des armes à feu au Canada. Nous sommes à l’abri de cela. Tout va bien. » Ce n’est vraiment pas le cas. La situation s’aggrave d’année en année. Si nous ne développons pas un sentiment d’urgence en tant que pays, nous ne serons pas loin de la situation actuelle des États-Unis.

Nous nous concentrons sur la sensibilisation nécessaire pour vraiment mobiliser le peuple canadien afin qu’il exige que le gouvernement adopte des lois plus strictes en matière d’armes à feu.

Le sénateur Cardozo : J’imagine que suite à l’expérience que vous avez vécue, certaines personnes vous conseilleraient de mettre tout cela derrière vous, de passer à autre chose et d’essayer de vous rétablir vous-même. Mais je vous félicite de ne pas l’avoir fait et de poursuivre la lutte pour une meilleure politique gouvernementale. Je suis certain que la plupart des Canadiens vous en remercient.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Évidemment, Madame Hennegan, je ne veux pas remuer de mauvais souvenirs. Je me souviens que lors de la fusillade de Dawson, on avait déposé le projet de loi Anastasia, qui porte le nom de la victime, Anastasia Da Sousa, qui avait été tuée lors de cette fusillade. Il y a eu une loi interdisant les armes à feu dans les institutions d’enseignement qui a été adoptée. C’était un petit pas dans la bonne direction. Est-ce que vous considérez que C-21, même si c’est un projet de loi qui n’est pas parfait, est un pas dans la bonne direction?

Mme Hennegan : Absolument.

Le sénateur Dagenais : Merci beaucoup, madame.

[Traduction]

Le sénateur Yussuff : Ma question sera évidente. Dans très peu de temps, après trois décennies, nous commémorerons de nouveau le 6 décembre. Comme nous observerons cette date alors que cette mesure sera probablement encore devant le Sénat à une certaine étape du processus, et à mesure que nous approchons des derniers moments, quel message nous demanderiez-vous de garder à l’esprit alors que nous tenons ces délibérations juste avant le 6 décembre?

[Français]

Mme Dommanget : Nous, ce qu’on veut, c’est que la loi soit adoptée le plus rapidement possible. On trouve cela triste de passer encore une commémoration dans le deuil et de voir qu’il y a des avancées, mais que ce n’est pas assez rapide. Le délai joue contre nous parce que si la loi n’est pas adoptée rapidement, il y a encore des risques qu’il y ait d’autres tueries et d’autres massacres. C’est vraiment ce qu’on veut éviter.

On vous presse — en fait, on veut vraiment — que ça soit adopté très vite. Il y a encore des massacres qui ont lieu, qu’on recule juste à la semaine dernière avec ce qui s’est passé au Maine. On veut que le projet de loi soit adopté le plus rapidement possible pour qu’il y ait une interdiction totale des armes d’assaut.

[Traduction]

Mme Hennegan : Oui, c’est aussi ce que j’affirme. Nous devons adopter cette mesure rapidement, car les gens de Polytechnique qui sont encore ici ont attendu 33 ans. J’ai attendu 17 ans. Je ne peux pas imaginer attendre 33 ans.

Plus nous attendons pour adopter ce projet de loi, plus il est probable qu’une telle situation se reproduise. Peut-être pas à Montréal. Peut-être pas en Nouvelle-Écosse. La prochaine fois sera peut-être en Colombie-Britannique ou en Alberta, mais cela se produira. Ce n’est pas une question de « si », mais de « quand ». Nous devons vraiment sonner l’alarme et lancer le processus.

Le sénateur Cardozo : Ma question s’adresse à Mme Dommanget. En ce qui concerne la violence dans notre société, si vous regardez les films et les jeux vidéo, ils deviennent de plus en plus violents au moment où nous essayons de réduire la violence dans notre société. Êtes-vous préoccupée par l’influence qu’exercent sur les jeunes les jeux vidéo qui normalisent la violence armée?

[Français]

Mme Dommanget : Oui, c’est sûr que c’est très préoccupant. Il faut dissocier les jeux vidéo et la réalité. Là, on parle vraiment de la réalité. Pour passer à l’action, c’est une autre perspective que simplement jouer à des jeux vidéo. Il faut avoir des intentions qui sont totalement différentes. Les jeux vidéo, de notre point de vue, c’est un exutoire. Je ne pourrais pas me prononcer sur ce qu’engendrent les jeux vidéo sur la réalité. Je parle de faits réels.

On voit que les massacres continuent dans le temps, ça fait 33 ans. J’en ai énuméré beaucoup et j’en ai sûrement oublié. Comme je l’ai dit dans mon allocution, il y en a tous les jours. On disait que la hausse de la criminalité augmentait au Québec et au Canada. C’est vraiment un point très dur à supporter en tant qu’étudiante : se dire qu’en plus de devoir gérer nos études, on doit également gérer tout le stress amené par le fait de se demander s’il va se passer quelque chose.

Sachant que le gouvernement légalise des armes qui créent ces massacres, on a vraiment du mal, on se sent de plus en plus anxieux. Tout ce que je vous demanderais c’est d’y aller le plus rapidement possible pour éviter d’autres catastrophes.

[Traduction]

Le président : Merci.

Chers collègues, cela met fin à notre réunion de ce matin. Au nom du comité et du Sénat du Canada, je vous remercie sincèrement, madame Dommanget et madame Hennegan, comme je le fais pour nos témoins précédents aujourd’hui. Vos témoignages sont d’une importance vitale, car ils proviennent de jeunes femmes dont le travail et les efforts sont sensibles aux événements tragiques survenus au Canada. Malheureusement, bon nombre de ces événements concernent la violence faite aux femmes.

Madame Hennegan, nous vous remercions particulièrement d’avoir eu le courage d’être avec nous ce soir. Nous vous souhaitons une bonne continuation dans ce qui a déjà été un long processus de guérison. Nos meilleurs vœux vous accompagnent.

Je remercie également les membres du comité de leur participation ce soir. La séance a été longue, vos questions ont fait ressortir le meilleur de nos témoins, et votre attention n’a pas faibli au cours d’une très longue réunion. Nous poursuivrons l’étude du projet de loi C-21 le mercredi 1er novembre à 11 h 30, heure de l’Est. Sur ce, je vous souhaite une bonne soirée.

(La séance est levée.)

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