LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE LA SÉCURITÉ NATIONALE, DE LA DÉFENSE ET DES ANCIENS COMBATTANTS
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 8 novembre 2023
Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants se réunit aujourd’hui, à 11 h 30 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi C-21, Loi modifiant certaines lois et d’autres textes en conséquence (armes à feu).
Le sénateur Jean-Guy Dagenais (vice-président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le vice-président : Je suis le sénateur Jean-Guy Dagenais, de Montréal, Québec, et je suis le vice-président du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants. Je remplace le sénateur Dean, qui ne pouvait pas être là aujourd’hui.
Avant de commencer, j’inviterais les membres du comité participant à la réunion à se présenter.
Le sénateur Oh : Sénateur Oh, de l’Ontario.
La sénatrice M. Deacon : Bienvenue. Marty Deacon, sénatrice de l’Ontario.
Le sénateur Kutcher : Stan Kutcher, de la Nouvelle-Écosse.
Le sénateur Boehm : Peter Boehm, de l’Ontario.
La sénatrice Gerba : Amina Gerba, du Québec, en remplacement de la sénatrice Anderson.
[Français]
Le vice-président : Merci, chers collègues. Nous avons aussi à la table le sénateur Kutcher, le sénateur Yussuff et la sénatrice Dasko. Pour ceux qui nous suivent en direct partout au Canada, nous poursuivons notre étude du projet de loi C-21, Loi modifiant certaines lois et apportant certaines modifications corrélatives (armes à feu). Aujourd’hui, nous entendrons deux groupes de témoins représentant des gouvernements et des organisations autochtones.
Pour notre premier groupe, nous sommes heureux d’accueillir, par vidéoconférence, M. Paul Irngaut, vice-président de Nunavut Tunngavik Inc.
Bonjour et bienvenue parmi nous. Nous sommes prêts à entendre vos déclarations préliminaires. Une période de questions des sénateurs et des sénatrices suivra. Je vous rappelle que vous disposez de cinq minutes pour vos déclarations préliminaires. Monsieur Irngaut, nous vous écoutons.
[Traduction]
Paul Irngaut, vice-président, Nunavut Tunngavik Inc. : Monsieur le président, distingués membres du comité, bonjour. Je m’appelle Paul Irngaut. Je suis le vice-président de Nunavut Tunngavik Inc., communément appelé NTI.
NTI représente les Inuits du Nunavut aux termes de l’Accord du Nunavut. Notre mandat est de veiller à ce que les droits des Inuits du Nunavut — des droits qui sont protégés par la Constitution — soient respectés et nous assurer que les gouvernements assument les responsabilités qui leur incombent en vertu de l’accord. La mission de NTI est de promouvoir le bien-être économique, social et culturel des Inuits du Nunavut par la mise en œuvre intégrale de l’Accord du Nunavut. L’Accord du Nunavut est le traité le plus vaste du Canada; il couvre un cinquième de la masse terrestre du pays.
Nos préoccupations concernant le projet de loi C-21 sont les suivantes : en mai, le gouvernement a annoncé une série d’amendements révisés au projet de loi C-21 qui, dans une vaste mesure, font en sorte de préserver la définition problématique des armes à feu de type « arme d’assaut », qui comprend toute arme semi-automatique munie d’un chargeur détachable d’une capacité de six cartouches ou plus. La définition est trop large et englobe de nombreux fusils semi-automatiques qui sont utilisés au Nunavut pour la chasse ou comme moyen de défense contre les prédateurs.
Aux termes de l’Accord du Nunavut, les Inuits ont le droit de chasser. Pour nombre d’entre eux, la chasse est un moyen de survie essentiel. Dans les collectivités isolées du Nunavut qui ne sont reliées au sud que par voie aérienne, les aliments achetés en magasin sont extrêmement chers et souvent peu efficaces sur le plan nutritionnel. La chasse permet de mettre des aliments nutritifs sur la table et elle constitue d’être pour nous le moyen essentiel de nourrir nos familles et de maintenir une sécurité alimentaire de base dans les collectivités du Nunavut.
En outre, l’environnement de chasse du Nunavut est unique en son genre et il est isolé des services de recherche et de sauvetage mis à disposition des autres Canadiens. Les fusils semi-automatiques sont un moyen humain efficace et essentiel d’éliminer rapidement les animaux et de se défendre contre les ours polaires, les grizzlis et les loups. Les chasseurs inuits apprennent à prévenir les rencontres dangereuses et à effrayer les prédateurs, mais cela ne suffit pas. Lorsqu’un ou plusieurs ours agressifs entrent dans votre cabane ou votre tente, cela peut devenir une question de vie ou de mort. Vous devez être en mesure de les faire fuir rapidement et vous n’aurez peut-être pas le loisir de recharger. Si ce projet de loi est adopté avec le maintien de l’interdiction des armes à feu semi-automatiques, nous devrons tirer avec l’intention d’abattre, ce qui entraînera une augmentation du nombre de victimes parmi les animaux sauvages.
Nous sommes grandement préoccupés par l’interdiction générale proposée pour de nombreux fusils de chasse, car elle aura des répercussions négatives sur notre capacité à exercer nos droits issus de traités ainsi que sur notre capacité à nourrir et à protéger nos familles.
Le projet de loi n’a pas fait l’objet d’une consultation suffisante. Nous croyons savoir que l’Inuit Tapiriit Kanatami, l’organisation nationale inuite communément appelée ITK, s’est fait expliquer la plus récente version du projet de loi peu avant sa déposition en mai dernier. Cependant, ni ITK ni NTI n’ont été pleinement consultés sur le libellé dudit projet de loi ou sur les répercussions qu’il pourrait avoir.
Nunavut Tunngavik Inc. estime que la définition des armes à feu de type arme d’assaut est trop large et il souhaiterait que cette définition soit supprimée du projet de loi. La suppression de cette définition ne viendrait pas compromettre les objectifs initiaux du gouvernement ni l’intégrité du projet de loi.
Je vous remercie de votre attention.
Le vice-président : Merci, monsieur Irngaut, de votre déclaration liminaire.
[Français]
M. Irngaut est avec nous aujourd’hui pour une durée d’une heure. Afin que chaque membre du comité ait le temps de participer, je limiterai chaque question, y compris la réponse, à quatre minutes. Je vous prie de poser des questions succinctes et, monsieur Irngaut, je vous demande de donner de courtes réponses.
[Traduction]
Le sénateur Oh : Merci beaucoup, monsieur Irngaut, de vous être joint à nous.
Plusieurs témoins nous ont dit que l’un des principaux problèmes de ce projet de loi est son emploi d’une approche uniforme à l’échelle du pays. Il est vrai que le pays est très vaste. Les modes de vie diffèrent d’une région à l’autre. Il y a des gens comme vous pour qui la survie est liée aux armes, des gens qui se servent des armes à feu pour se protéger et se nourrir.
Ma question est la suivante : les gens du Nord ont-ils l’impression qu’on les écoute?
M. Irngaut : Merci de votre question.
Nous pensons qu’il n’y a pas eu de consultation adéquate. Comme vous le savez, le projet de loi a été présenté en mai et a fait l’objet d’une première et d’une deuxième lecture — ou peut-être d’une troisième lecture. Je ne suis pas certain de connaître tous les rouages exacts de cela, mais tout s’est déroulé très rapidement. Il n’y a donc pas eu de temps pour consulter les Inuits. Nous estimons que les Inuits n’ont pas été suffisamment consultés pour ce projet de loi, et ce, même si notre accord est protégé par la Constitution. Les Inuits sont censés être consultés sur tout ce qui les concerne.
Nous estimons que nous n’avons pas été consultés de manière adéquate. Merci.
Le sénateur Oh : Ma deuxième question est la suivante : y a-t-il des amendements que vous pourriez proposer à ce projet de loi pour répondre à certaines des préoccupations que les gens du Nord ont à ce sujet?
M. Irngaut : Comme je l’ai dit, nous devrions examiner la question attentivement. Nous ne sommes pas particulièrement opposés aux armes de poing, et nous n’utilisons pas d’armes de poing lorsque nous chassons. Cette disposition ne nous pose aucun problème. Il faudrait que j’examine la question de plus près. Je pourrais vous fournir une réponse écrite à ce sujet.
Le sénateur Oh : Oui, je vous en saurais gré. Nous aimerions vous entendre sur la question des armes d’épaule semi-automatiques.
M. Irngaut : Oui. Comme vous le savez, nous utilisons des fusils semi-automatiques pour la chasse aux animaux, qu’il s’agisse de baleines ou d’ours polaires. Nous avons besoin de ces armes pour nous procurer de la nourriture, en particulier lorsqu’il s’agit de baleines, de morses ou de phoques. Nous devons agir prestement pour que ces sources de nourriture ne nous échappent pas. Nous avons besoin de fusils semi-automatiques pour chasser sur notre territoire.
Comme vous le savez, la situation est bien différente ici. Tout est si cher, comme je l’ai dit. La nourriture achetée en magasin est si chère que nous devons chasser les animaux par tous les moyens possibles. Nous avons besoin des fusils semi-automatiques. Et je ne parle pas des fusils d’assaut que vous voyez à la télévision, comme le AR-15. Ce n’est pas de ce type-là qu’il s’agit, non. Ce sont plutôt des fusils de chasse dont nous avons besoin.
J’espère avoir répondu à votre question.
Le vice-président : Merci, monsieur Irngaut.
Le sénateur Yussuff : Je tiens à remercier M. Irngaut d’avoir pris le temps d’être avec nous ce matin. Il est très important pour nous d’entendre parler des préoccupations des gens du Nord, qui ont des réalités très différentes des gens des régions urbanisées du pays.
J’essaie de comprendre les préoccupations que vous soulevez. Vous êtes très précis à ce sujet. Vous dites que l’interdiction des armes semi-automatiques est trop large. Dans ce contexte, j’essaie de comprendre le problème que vous voyez ici.
Si le projet de loi est adopté, toute nouvelle arme ayant une capacité supérieure à cinq balles sera interdite. Utilisez-vous actuellement des armes d’une capacité de plus de cinq balles lorsque vous chassez pour votre collectivité?
M. Irngaut : Merci, sénateur.
Pour la chasse au gibier ailé — comme les oies, que nous chassons au printemps —, certains chasseurs utilisent des fusils qui ont plus de cinq cartouches. Dans ce cas, si vous n’avez pas de fusil de chasse, vous devez utiliser un fusil semi-automatique, qu’il s’agisse d’un .22, d’un .22 magnum ou d’un calibre un peu plus élevé, comme le .223.
Pour la chasse à la baleine, au morse ou à l’ours polaire, je n’ai jamais vu d’armes utilisant plus de cinq balles. Pour ce type d’animaux, nous n’utilisons pas plus de cinq cartouches par chargeur.
Pour les oiseaux saisonniers, certains utilisent plus de cinq cartouches, oui.
Le sénateur Yussuff : Si le projet de loi devait être adopté tel quel, vous y verriez un problème. La restriction portera sur tout ce qui est supérieur à cinq cartouches. Pensez-vous que cela sera hautement problématique pour la chasse dans le Nord?
M. Irngaut : Oui, ce le sera.
Comme je l’ai indiqué, lorsqu’il s’agit de chasser du gibier ailé, il vous faut plus de cinq cartouches dans le chargeur pour pouvoir nourrir votre famille. Il faut plus de temps pour venir à bout d’animaux plus gros.
Ce projet de loi serait problématique s’il était adopté, et en particulier pour ce qui est de la chasse au gibier ailé. Même si le calibre est plus petit — il n’est pas comme les gros fusils que nous utilisons parfois —, ce sont des fusils plus petits qui ont plus de cinq cartouches dans un chargeur.
Donc oui, si ce projet de loi devait être adopté, cela poserait un problème pour certains chasseurs.
Le sénateur Yussuff : Comme vous le comprenez, ces dispositions concernent l’avenir. Ceux qui possèdent ou utilisent actuellement des armes semi-automatiques qui dépassent cette capacité n’ont pas à s’inquiéter, cela ne sera pas contesté. Il s’agit de l’avenir, c’est-à-dire du moment où cela deviendra un problème important dans la société.
M. Irngaut : Oui, cela pourrait le devenir.
Il est très difficile d’obtenir un certificat d’enregistrement d’arme à feu, surtout ici dans le Nord. Je crois qu’il n’y a même pas de contrôleur des armes à feu pour le territoire. C’était le cas auparavant. Nous ne pouvons pas accéder à la formation si elle est privée.
Il est donc très difficile pour les gens de se procurer des certificats en bonne et due forme pour acheter des fusils. Je vois d’énormes problèmes dans le projet de loi à cet égard. Je vous remercie.
Le vice-président : Merci beaucoup, monsieur Irngaut.
La sénatrice Dasko : Monsieur Irngaut, merci de votre présence.
Je n’ai qu’une question. Elle découle des témoignages d’autres dirigeants de communautés autochtones. Certains ont exprimé des inquiétudes au sujet des lois drapeau jaune et drapeau rouge. J’aimerais simplement confirmer que vous n’avez aucune inquiétude à ce sujet — pardon, je voulais parler des dispositions drapeau jaune et drapeau rouge du projet de loi C-21, ainsi que de la permission de révoquer les permis lorsque des cas de violence familiale ou de harcèlement criminel sont en cause.
Je ne pense pas que vous ayez dit quoi que ce soit à ce sujet dans votre exposé. J’aimerais simplement confirmer que vous n’avez aucune inquiétude en la matière. Merci.
M. Irngaut : Merci de cette question, sénatrice.
Nous n’avons aucune inquiétude en ce qui concerne la violence domestique. Ces dispositions du projet de loi ne nous posent aucun problème. Nous ne voulons pas que les Inuits soient soumis à des restrictions générales, car bon nombre d’entre eux sont des chasseurs qui observent la loi. Vous avez raison : en ce qui concerne l’usage des armes à feu, nous n’approuvons pas la violence, domestique ou autre.
La sénatrice Dasko : Je vous remercie. C’est vraiment ce que je voulais savoir. Je voulais confirmer que vous n’aviez aucune inquiétude quant au contenu du projet de loi. Merci beaucoup.
Le sénateur Kutcher : Merci beaucoup, monsieur Irngaut, d’être avec nous aujourd’hui. C’est une très bonne chose de pouvoir entendre vos réflexions et vos préoccupations. Ma question sera légèrement différente des précédentes. Nous savons que les taux de suicide sont malheureusement beaucoup plus élevés chez les Inuits, en particulier chez les hommes et les garçons.
M. Irngaut : Oui, c’est le cas.
Le sénateur Kutcher : Savez-vous si la prévention du suicide ou les questions d’identification liées au suicide sont abordées lors des formations sur l’utilisation sécuritaire des armes à feu offertes aux membres de votre collectivité?
M. Irngaut : Non, pour autant que je sache. J’ai moi-même suivi quelques cours sur les armes à feu, et la prévention du suicide n’était pas abordée pendant la formation. Je sais que notre gouvernement a des programmes sur la prévention du suicide, mais leur portée est très large. En ce qui concerne les moyens, vous avez raison, il y a beaucoup de suicides dans nos régions. Pour autant que je sache, la formation sur les armes à feu ne dit rien à ce propos.
Le sénateur Kutcher : Je vous remercie. J’aimerais simplement approfondir un peu la question. Je connais un peu, mais pas aussi bien que je le devrais et je m’en excuse, certains des programmes de prévention du suicide offerts dans votre région et, à ma connaissance, ils ne mettent pas l’accent sur l’utilisation sécuritaire des armes à feu. Pensez-vous qu’il serait utile que ces programmes abordent la question de l’utilisation sécuritaire des armes à feu — parler de choses comme l’entreposage ou d’autres aspects connexes — et que les formations que votre communauté reçoit sur l’utilisation sécuritaire des armes à feu abordent la question de la prévention du suicide?
M. Irngaut : Merci, sénateur, de cette question. Comme je l’ai indiqué plus tôt, nous n’avons pas beaucoup de formation à notre disposition dans le Nord — simplement parce que le territoire n’a pas de contrôleur des armes à feu. La formation est très sporadique ici. Dans les petites collectivités, il n’y en a tout simplement pas. Il est très difficile de mettre en place ces programmes, mais il est certain que la prévention du suicide devrait faire partie de cette formation. Je suis tout à fait d’accord avec vous. Merci.
Le sénateur Kutcher : Très bien. Merci beaucoup.
Le sénateur Plett : Je m’adresse au témoin. Vous avez souligné l’importance des fusils semi-automatiques pour votre mode de vie et le fait qu’il peut s’agir d’une question de vie ou de mort pour les chasseurs du Nord. Le gouvernement a déclaré qu’il utiliserait le processus réglementaire pour mieux définir ce qu’on entend par « fusil d’assaut ». Le choix des armes à proscrire se fera dans le cadre du règlement, comme cela s’est fait en 2020.
Étant donné que vous n’avez pas du tout été consultés en amont du dépôt de ce projet de loi, pouvez-vous me dire dans quelle mesure vous êtes convaincus que vous serez bel et bien consultés lors de la rédaction du règlement? Le fait que vous n’ayez pas été consultés et que vous puissiez ne pas l’être vous préoccupe-t-il de quelque façon que ce soit?
M. Irngaut : Je suis très perplexe, car, comme vous le savez, les consultations dans notre partie du pays peuvent coûter très cher, et je dis cela malgré le fait qu’en vertu de notre accord, nous devons être consultés pour toute question touchant les Inuits. Je n’ai vraiment pas confiance que cela va se produire si ces mesures législatives sont adoptées très rapidement, comme nous l’avons vu par le passé.
Il y a quelques années, deux habitants d’Arviat sont morts après avoir été attaqués par un ours polaire. L’été dernier, deux adolescents ont heureusement pu abattre un ours qui était entré dans leur tente. C’est notre réalité. Nous devons être consultés au sujet de ce projet de loi sur les armes à feu. Il faut que les gens soient informés et qu’ils puissent exprimer leurs préoccupations. Même si j’exprime mes préoccupations, il y a des gens ailleurs sur le territoire qui ont vraiment besoin d’entendre cela et d’avoir confiance en cette loi.
Le sénateur Plett : Merci beaucoup. J’ai passé une bonne partie de ma vie dans plusieurs de vos collectivités nordiques, et j’ai vu de mes propres yeux les déplacements d’ours polaires. Heureusement, je n’ai pas été dans une situation où j’aurais pu avoir besoin d’une arme pour me défendre, mais je peux assurément comprendre de quoi il retourne. J’espère que le gouvernement adoptera une approche un peu différente.
Lorsque le ministre a comparu devant notre comité, il a déclaré qu’il avait procédé à des consultations. En fait, il a presque dit qu’il ne connaissait personne qui s’opposait à ces mesures législatives, et je présume que vous ne seriez pas considéré comme faisant partie de ces groupes qui ne s’y opposent pas.
M. Irngaut : Non. Merci, sénateur, de cette question. Nous ne sommes pas opposés à certaines dispositions de la loi, mais la définition large de ce qui est considéré comme un « fusil d’assaut » nous préoccupe beaucoup. Je pense que c’est la raison pour laquelle nous avons demandé que la définition soit retirée de la loi. Si elle y reste, cela va avoir des conséquences pour beaucoup d’Inuits ici. Aux termes de notre revendication, nous avons le droit de protéger notre vie et nos biens. Nous devons pouvoir exercer ce droit pour nous protéger.
Le sénateur Plett : Merci beaucoup.
[Français]
La sénatrice Gerba : Merci à notre témoin d’être ici aujourd’hui.
L’article 70.3 du projet de loi prévoit que le contrôleur des armes à feu peut délivrer un permis d’arme conditionnel selon certaines conditions, comme la nécessité d’une arme pour chasser et pour subvenir à ses besoins.
Or, comme vous le savez, le contrôleur des armes à feu des Territoires du Nord-Ouest est basé en Alberta, celui du Nunavut au Manitoba et celui du Yukon en Colombie-Britannique. Étant donné que les territoires autochtones n’ont pas de contrôleurs des armes à feu qui résident sur place, j’aimerais savoir si cela pose problème.
Plus spécifiquement, quelle est la capacité des contrôleurs de déterminer à juste titre la délivrance ou la non-délivrance des permis?
[Traduction]
M. Irngaut : Merci de cette question, sénatrice. Comme vous le savez, et comme je l’ai indiqué, le territoire ne dispose pas de contrôleur des armes à feu. Même l’obtention d’un permis temporaire d’utilisation d’une arme à feu est hors de question ici parce que, dès le départ, vous devez suivre une formation sur l’utilisation sécuritaire des armes à feu pour obtenir un certificat d’armes à feu. Même l’obtention de ce certificat pose problème, alors il n’y a pas de formation qui se donne dans les petites collectivités. Il y a des agents de la GRC dans nos collectivités, mais ils sont très occupés. Peut-être qu’ils prendront sur eux de prodiguer cette formation. Nous avons besoin d’un contrôleur des armes à feu reconnu pour notre territoire, mais pour le moment, nous n’en avons pas.
La sénatrice M. Deacon : Je vous remercie d’être ici avec nous aujourd’hui. Je vous en suis très reconnaissante. Vous vous adressez à un comité dont plusieurs membres ont eu le privilège de visiter certaines parties de l’Arctique au cours de la dernière année. Nous sommes particulièrement reconnaissants d’avoir eu cette chance.
Je voulais vous poser une question sur un témoignage que nous avons entendu la semaine dernière.
Le rapport annuel de l’enquêteur correctionnel du Canada, M. Ivan Zinger, révèle que 32 % de tous les détenus fédéraux au Canada et 50 % des détenues sont autochtones, comparativement à 25 % il y a 10 ans.
Il s’agit manifestement d’un grave problème qui nous préoccupe tous et qui doit être abordé sous différents angles.
En ce qui concerne ce projet de loi, craint-on que les chasseurs autochtones soient davantage visés par les nouvelles restrictions que la population dans son ensemble?
M. Irngaut : Merci, sénatrice, pour cette question.
Le gouvernement doit comprendre que nous sommes des citoyens respectueux des lois qui utilisent des armes à feu depuis longtemps. Nous sommes une petite population. Nous faisons de notre mieux pour nourrir les familles de notre territoire.
Si le projet de loi est adopté tel quel, il visera les chasseurs de notre territoire. Cela nous préoccupe.
Vous avez raison. La majorité des détenus sont des Autochtones. Le projet de loi ne nous pose aucun problème en ce qui concerne la violence familiale. Nous sommes d’accord.
Ce qui nous préoccupe, c’est que la définition de fusils d’assaut risque de viser nos chasseurs. Je conviens avec vous que c’est ce qui risque d’arriver. Pardonnez-moi, mais l’anglais est ma langue seconde. J’essaie de comprendre les définitions. Il est possible que nos chasseurs soient visés. Vous avez raison. Merci.
La sénatrice M. Deacon : Très bien. Merci beaucoup.
Le sénateur Boehm : Merci, monsieur le vice-président Irngaut, de témoigner aujourd’hui.
J’aimerais revenir sur quelques questions qui ont été posées plus tôt concernant le fait que vous vous attendez à ce que votre communauté participe au processus d’élaboration du règlement à la suite de l’adoption du projet de loi. Envisagez-vous de participer très activement au processus, étant donné que certaines des solutions et des règles devront sans doute être adaptées à votre communauté?
Accepteriez-vous des dispositions non officielles, comme celles qui existent actuellement relativement à la renonciation volontaire aux armes à feu dans les cas de violence familiale, mais qui permettent aussi à nouveau l’utilisation d’armes à feu pour la chasse? Merci.
M. Irngaut : Merci, sénateur.
Il est certain que nous pouvons apporter une contribution dans une certaine mesure. Nous devrons examiner le projet de loi en profondeur s’il est adopté. Nous devrons l’étudier soigneusement.
Pour répondre à votre question, je dirais que nous sommes prêts à aider nos chasseurs. Nous sommes prêts à leur expliquer ce que le projet de loi va signifier pour eux. En ce qui a trait à la violence familiale, le projet de loi ne nous pose aucun problème.
Pour ce qui est d’avoir accès à des armes à feu pour la chasse, si une personne a commis un tel crime, nous devrions vraiment nous pencher là-dessus. La violence dans nos collectivités est assez répandue, et ce n’est pas une bonne chose lorsqu’elle est commise avec des armes à feu.
Nous devrions examiner cette disposition du projet de loi. Les Inuits ont le droit de chasser pour se nourrir. Nous devrions certainement étudier cela attentivement. Merci.
Le sénateur Boehm : Merci beaucoup.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Tout d’abord, je veux remercier notre témoin de sa présence ce matin. Le ministre a déclaré ce qui suit lorsqu’il a comparu devant le comité :
[...] les autres chasseurs, sportifs et les personnes utilisant des armes à feu dans les collectivités nordiques et autochtones, ne sont pas visés, touchés ni inclus dans les mesures que nous essayons de faire adopter [...]
Est-ce que vous êtes d’accord pour dire que ce projet de loi n’aura aucun effet sur vos communautés?
[Traduction]
M. Irngaut : Merci, sénateur, pour cette question.
Il aura une incidence sur nous, compte tenu du libellé. La plupart de nos chasseurs utilisent des armes semi-automatiques. La définition de ce terme nous préoccupe. Si le projet de loi est adopté, il aura bien sûr une incidence sur les chasseurs inuits. C’est tout ce que je peux dire pour l’instant. Merci.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Beaucoup de témoins nous ont dit que ce projet de loi n’a pas fait de discernement entre le Sud et le Nord, entre la campagne et le milieu périurbain. Est-ce que, selon vous, ce projet de loi aurait dû être conçu de deux façons, en tenant compte des gens qui habitent les régions éloignées, où la chasse est un moyen de subsistance et une activité traditionnelle, par rapport au Sud? Est-ce que ce projet de loi aurait dû faire une distinction entre les communautés autochtones et les communautés non autochtones?
[Traduction]
M. Irngaut : Je vous remercie, sénateur, pour cette question.
Oui, il aurait fallu faire cette distinction dans le projet de loi. Comme vous le savez, la façon dont nous chassons est très différente chez nous, même par rapport au Canada rural, au Sud du Canada. C’est notre mode de vie au quotidien. Nous chassons tous les jours. Des Inuits sont en train de chasser à l’instant même en vue de nourrir leur famille.
Il est très facile pour une personne non autochtone qui vit dans le Sud de dire « Je vais aller manger un hamburger. » Elle peut aller dans un restaurant. Dans les petites collectivités, il n’y a pas de restaurants. Il est très difficile pour les chasseurs inuits d’offrir des aliments nutritifs à leur famille.
Certains chasseurs ont même beaucoup de mal à obtenir les bons fusils de chasse, car il est difficile d’obtenir la formation nécessaire ainsi que l’autorisation d’acquisition d’armes à feu.
Je tiens à souligner que la situation est très différente ici, et je suis certain que vous comprenez cela. Merci.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Est-ce que les Autochtones dans le Nord, notamment, auraient dû être exclus de ce projet de loi?
[Traduction]
M. Irngaut : Merci, sénateur, pour cette question. Nous sommes des Canadiens. Nous sommes des Canadiens respectueux des lois. Nous essayons de respecter les lois. Nous ne nous opposons pas à certaines des dispositions de la loi. J’ignore si le projet de loi ne devrait pas viser les Inuits. Il faudrait que je me penche là-dessus et que je vous fournisse une réponse par écrit. Merci.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Merci.
Le vice-président : Nous arrivons à la conclusion du premier tour de questions.
Avant de passer au prochain tour, j’ai deux questions qui s’adressent à M. Irngaut.
J’ai une question complémentaire qui est liée à votre réponse à la question de la sénatrice Dasko. L’un des objectifs du projet de loi C-21 est de mieux protéger les femmes contre la violence conjugale qui pourrait être commise notamment par l’usage d’une arme à feu. Je serais curieux de savoir si des femmes de votre communauté se sont exprimées à ce sujet.
[Traduction]
M. Irngaut : Merci pour cette question, sénateur.
Certaines femmes ont parlé des expériences qu’elles ont vécues.
Nous ne voulons pas voir de violence familiale dans nos communautés. Nous ne voulons pas que les femmes soient agressées de quelque façon que ce soit. En ce qui a trait à la violence familiale, nous sommes entièrement d’accord. Je ne saurais trop insister sur le fait que les femmes ne doivent pas être victimes de violence commise de quelque façon que ce soit sur notre territoire.
[Français]
Le vice-président : J’aurais une dernière question, puisqu’il reste encore du temps.
Monsieur Irngaut, vous avez parlé du manque de consultations et du manque de temps pour bien évaluer les conséquences du projet de loi.
Pensez-vous que nous pourrions apporter des amendements qui donneraient satisfaction à votre communauté? Si oui, quels seraient les amendements à proposer? Je vous invite à nous faire parvenir votre réponse par écrit.
Cela dit, nous allons passer au second tour.
[Traduction]
Le sénateur Yussuff : Je tiens à remercier encore une fois le témoin pour ses explications. Il nous a rappelé que le Nord est très différent du Sud et que les communautés nordiques font face à des défis qui leur sont propres. Plus précisément, il nous a rappelé que la chasse fait partie intégrante de la vie dans le Nord. Ce n’est pas uniquement un aspect culturel, car c’est relié aux besoins fondamentaux et à la nécessité d’obtenir de la nourriture pour nourrir sa famille.
J’aimerais revenir à la question des dispositions concernant les fusils d’assaut. Il faut bien comprendre ces dispositions.
En ce qui concerne les carabines à percussion annulaire de calibre .22, utilisées pour la chasse, certaines peuvent contenir plus de 5 cartouches de munitions, et d’autres peuvent en contenir 10. Je crois comprendre que ces fusils ne sont pas visés par les dispositions du projet de loi qui interdiront les armes à feu. Les cartouches de munitions utilisées dans ce type de fusil sont différentes.
Je comprends le point que vous avez soulevé au sujet de la chasse aux oiseaux et à d’autres animaux, mais je tiens à préciser que ce type de fusil ne sera pas visé si le projet de loi est adopté.
Je ne sais pas si c’est ce que vous aviez compris, mais je voulais le préciser pour m’assurer que nous soyons sur la même longueur d’onde en ce qui concerne ce que vous avez déclaré.
M. Irngaut : Merci, sénateur.
Je suis d’accord. Je comprends maintenant que ces dispositions visent les petites armes à feu. Je tiens à souligner qu’il y a des chasseurs de loups sur notre territoire. Comme vous le savez, la chasse au loup peut se dérouler très rapidement. Lorsqu’on utilise des fusils de gros calibre, il faut parfois plus de cinq cartouches. J’ai très bien compris ce que vous avez dit. Merci.
Le sénateur Yussuff : Merci. Encore une fois, je vous remercie beaucoup de nous avoir rappelé tout cela. J’ai eu l’occasion de visiter le Nord, dans le cadre de l’étude que nous avons menée sur la sécurité dans l’Arctique. Nous avons été très bien accueillis dans votre communauté, qui a fait preuve d’une grande hospitalité et générosité. Merci beaucoup encore une fois de comparaître devant notre comité.
La sénatrice M. Deacon : Merci. Il est fantastique d’avoir l’occasion aujourd’hui de vous écouter et d’obtenir une perspective plus large.
J’ai entendu parler de l’absence de consultation, de collaboration et d’écoute. Nous entendons parler de cela d’emblée. Nous aimerions beaucoup être dans la même salle que vous aujourd’hui, mais nous sommes heureux de pouvoir vous voir.
De nombreux témoins se sont adressés au comité. Nous avons le Nord à cœur. Nous devons le démontrer. Avons-nous passé à côté de certains témoins? Y a-t-il quelqu’un dans votre cercle professionnel que nous devrions entendre à votre avis?
M. Irngaut : Merci, sénatrice, pour cette question.
Comme vous le savez, dans chaque communauté, conformément à notre entente, il existe des organisations. Il y a des organisations de chasseurs et de trappeurs. Elles appliquent des règlements et elles peuvent en élaborer pour leurs membres, au titre de l’entente du Nunavut. Elles gèrent aussi les activités de chasse quotidiennes sur notre territoire. Elles devraient être consultées.
Il existe des associations régionales de la faune, précisément celles de Qikiqtaaluk, de Kivalliq ou de Kitikmeot. Elles tiennent des assemblées annuelles. Il serait possible de les informer à cette occasion de tous les projets de loi qui pourraient avoir une incidence sur les Inuits.
En outre, au sein de notre organisme, NTI, nous avons un comité consultatif sur l’environnement et la faune du Nunavut, que je préside. Nous conseillons notre conseil d’administration sur certains éléments qui ont une incidence sur les activités de chasse des Inuits. Il y a donc des occasions d’informer les Inuits.
La sénatrice M. Deacon : Merci.
Le sénateur Richards : Merci, monsieur, d’être parmi nous aujourd’hui. Je suis désolé pour mon retard. J’assistais à une autre réunion.
Monsieur Irngaut, il y a quelques minutes, nous avons parlé des fusils à percussion annulaire. Vous ne voudriez certainement pas chasser de gros animaux avec un fusil à percussion annulaire, n’est-ce pas? Vous ne seriez pas en mesure de chasser un ours polaire ou de vous défendre contre un ours polaire à l’aide d’un fusil à percussion annulaire de calibre .22.
Vous auriez besoin par exemple d’un .306 ou d’un .308 ou bien d’une arme qui a la force de frappe dont vous avez besoin. N’est-ce pas, monsieur?
M. Irngaut : C’est exact. Aussi, la Loi sur les espèces sauvages au Canada stipule clairement, je crois, qu’il est interdit de tirer sur un ours avec un fusil d’un calibre en dessous de .243, si je ne m’abuse.
Le sénateur Richards : Oui, en effet, monsieur.
Je détiens une carte d’acquisition d’armes à feu qui me permet d’acheter un fusil dans un magasin d’équipement de chasse. Les Inuits ont-ils besoin d’une telle carte pour acheter un fusil? Sont-ils exemptés de cette exigence? Si c’est le cas, en seront-ils exemptés dans le cadre du projet de loi? Je n’en suis pas certain. Peut-être que vous le savez. Si vous ne le savez pas, nous pourrions vérifier. Qu’en pensez-vous, monsieur?
M. Irngaut : Merci pour votre question, sénateur.
Comme vous le savez, il n’y a pas de contrôleurs des armes à feu sur notre territoire. Oui, nous devons détenir une autorisation d’acquisition d’armes à feu pour pouvoir acheter des armes à feu sur notre territoire. Cette autorisation n’est valide que pour un certain nombre d’années; je crois que c’est 5 ou 10 ans. Au terme de cette période, il faut la renouveler. Il faut aussi suivre à nouveau une formation, pour des raisons de sécurité, je crois.
Le sénateur Richards : Est-ce que la formation est donnée par les Rangers ou la GRC, par exemple, ou bien par des aînés de la communauté? Je me demande si c’est la même chose que dans les régions rurales du Nouveau-Brunswick.
M. Irngaut : Elle est donnée par une personne formée à cette fin. Je vais devoir vous fournir une réponse écrite, mais je pense que certains membres de la GRC donnent cette formation, mais de façon très sporadique. Elle n’est pas offerte en tout temps. Il est très difficile d’obtenir cette autorisation d’acquisition d’armes à feu, particulièrement dans les petites collectivités et les collectivités rurales. Merci.
Le sénateur Richards : Cette situation doit être très difficile, car vous devez utiliser des armes à feu pour chasser et assurer votre protection. Merci, monsieur.
[Français]
Le vice-président : Avant de conclure, j’aurais une dernière question pour M. Irngaut. À quel âge les membres de votre communauté commencent-ils à manipuler des armes à feu? Ont-ils accès dès le départ à ce qui est appelé ici des armes d’assaut?
[Traduction]
M. Irngaut : Merci, sénateur, pour cette question.
En ce qui me concerne, on m’a enseigné à chasser à un très jeune âge. J’ai commencé par utiliser un .22 lorsque j’avais 10, 11 et 12 ans, sous la supervision de mon père. Il était très strict. Un fusil n’est pas un jouet. Il faut être très attentif à ce qui se passe autour de nous. Dès un très jeune âge, on nous enseigne les règles de sécurité. Même si l’arme n’est pas chargée, il ne faut jamais la pointer vers une autre personne. Un point c’est tout. Pardonnez-moi, mais c’est ainsi sur notre territoire. La sécurité est primordiale dans notre culture en ce qui a trait aux armes à feu.
Les jeunes d’aujourd’hui voient dans les médias des vidéos de personnes qui se font tirer dessus. Il est très difficile pour les jeunes, et pour les plus âgés, de comprendre pourquoi de telles choses se produisent. Dès un très jeune âge, on nous enseigne à être très prudents avec nos propres armes à feu. Merci.
Le sénateur Plett : J’ai une petite question complémentaire à la vôtre, monsieur le vice-président.
Le vice-président a utilisé le terme « arme à feu de style arme d’assaut ». Pouvez-vous me dire ce qu’est une arme à feu de style arme d’assaut, selon vous, si vous avez une opinion à ce sujet?
M. Irngaut : D’après ce que j’ai compris en écoutant les nouvelles, une arme à feu de style arme d’assaut est, par exemple, un AK-15 ou une arme de la sorte, qui peut contenir plus de cinq cartouches, sans aucun doute.
Le sénateur Plett : Dans votre communauté, vous avez besoin de certains fusils qui peuvent contenir plus de cinq cartouches. Je pense que c’est ce que vous avez dit. Vous ne considérez pas ce type d’armes comme étant des armes d’assaut? Vous les considérez comme étant des fusils de chasse? Est-ce exact?
M. Irngaut : C’est exact. Nous considérons que ce sont des fusils de chasse.
Le sénateur Plett : Merci beaucoup.
[Français]
Le vice-président : Cela nous amène à la fin de notre premier groupe de témoins. J’aimerais remercier M. Irngaut. Nous apprécions grandement votre contribution et le temps que vous avez pris pour partager votre expérience avec nous.
Nous passons maintenant à notre deuxième groupe de témoins. Pour ceux qui se joignent à nous en direct, cette réunion porte sur le projet de loi C-21, Loi modifiant certaines lois et d’autres textes en conséquence (armes à feu). Pour ce deuxième groupe, nous avons le plaisir d’accueillir les représentantes du Conseil des Mohawks de Kahnawà:ke. La cheffe, Jessica Lazare, est accompagnée de Me Katie Spillane, avocate, Services juridiques.
Bonjour et bienvenue parmi nous. Nous sommes prêts à entendre votre déclaration préliminaire, qui sera suivie d’une période de questions des sénateurs et sénatrices. Je vous rappelle que vous disposez de cinq minutes pour vos déclarations liminaires. Cheffe Lazare, la parole est à vous.
[Traduction]
Jessica Lazare, cheffe, Conseil des Mohawks de Kahnawàke : Bonjour, honorables président et membres du comité.
La chasse et la cueillette font partie intégrante de l’identité culturelle et de la vision du monde des Onkwehon:we, comme nous appelons les premiers habitants. Nous sommes des chasseurs-cueilleurs depuis des temps immémoriaux, et ces pratiques sont profondément ancrées dans notre façon d’être. En tant que chasseurs-cueilleurs, nous sommes heureux de certains des amendements qui ont été apportés au projet de loi C-21 depuis ma dernière comparution devant le comité permanent, mais aucun de ces amendements ne répond précisément aux préoccupations des Onkwehon:we.
Aujourd’hui, mes propos vont porter sur la disposition de non-dérogation figurant dans le tout dernier article du projet de loi. Elle n’offre aucune protection substantielle de nos droits et elle pourrait en fait être préjudiciable. Le paragraphe 72.1(1) se lit comme suit :
Les dispositions édictées par la présente loi maintiennent les droits des peuples autochtones reconnus et confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982; elles n’y portent pas atteinte.
Soyons clairs : l’article 35 s’applique de lui-même, un point c’est tout. Par conséquent, bien que la soit-disant disposition de non-dérogation puisse servir de rappel aux personnes sur le terrain, elle n’offre aucune protection juridique supplémentaire à nos chasseurs. Au mieux, une telle disposition est comme une annotation qui renvoie à la Constitution.
Malheureusement, le paragraphe 72.1(1) est peu susceptible de même servir à cela.
Premièrement, la disposition ne figure dans aucune des dispositions de coordination et ne se retrouvera pas dans les lois pertinentes. Elle sera plutôt reléguée aux oubliettes. Le Parlement a ajouté une annotation dans le projet de loi, mais il a oublié de l’ajouter aussi aux lois que consultent les gens ordinaires.
Deuxièmement, le libellé risque fort de causer de la confusion. Tel qu’il est rédigé, le paragraphe 72.1(1) ne s’applique qu’aux nouvelles dispositions figurant dans le projet de loi C-21. Un gardien, un contrôleur des armes à feu ou un chasseur qui prend le temps de lire le projet de loi et qui tombe sur cette annotation n’aurait donc pas tort de se demander si ce paragraphe signifie que les protections conférées par l’article 35 ne s’appliquent pas au reste de la Loi sur les armes à feu, qui contient déjà une disposition de non-dérogation, ou au Code criminel.
Bien sûr qu’elles s’appliquent, car l’article 35 s’applique de lui-même. Cependant, si cette annotation vise à renvoyer à la Constitution, cette disposition pourrait avoir l’effet inverse, en détournant le regard. Enfin, si le projet de loi S-13 est adopté, et soit dit en passant, ma collègue pourra expliquer, durant la période des questions, pourquoi nous nous opposons à cette mesure législative, le paragraphe 72.1(1) sera immédiatement abrogé.
À quoi devrait ressembler une disposition d’exclusion? Il existe de meilleurs moyens de reconnaître les droits des Autochtones et de les protéger. Prenons par exemple les exceptions concernant la subsistance dans le cas des ordonnances d’interdiction de possession d’armes. Aux yeux des chasseurs autochtones, leur pertinence est claire, mais la jurisprudence fait état de peu de cas où elles ont été appliquées. Si le Parlement tenait sérieusement à protéger nos droits, il déposerait des amendements ordonnant précisément aux décideurs de ne pas établir des ordonnances d’interdiction qui ont une incidence sur les droits de chasse et de cueillette et les droits culturels garantis par l’article 35, ou, mieux encore, reconnaissant que les décisions à cet égard appartiennent aux peuples autochtones.
En terminant, je dirais que, même s’il est clair que, dans le cadre du projet de loi C-21, des concessions ont été faites et qu’elles bénéficieront aux chasseurs autochtones, c’est en raison du fait qu’elles profiteront à tous les chasseurs, et non aux chasseurs autochtones précisément.
Au bout du compte, il appartiendra aux Kanien’kehá:ka de Kahnawà:ke, et non au Canada de déterminer comment assurer la sécurité de nos collectivités, y compris de décider quelles armes à feu nous autoriserons sur nos territoires.
Nous vous exhortons à vous attaquer aux problèmes sociaux sous-jacents qui sont à l’origine de la violence par arme à feu et à chercher de véritables façons d’éliminer les obstacles qui empêchent les peuples autochtones de mener leurs vies d’une manière durable et conforme aux cérémonials et aux pratiques générationnelles.
[La témoin s’exprime dans une langue autochtone.]
Voilà ce que j’avais à dire.
[Français]
Le vice-président : Merci beaucoup, cheffe Lazare, pour votre présentation. Nous allons maintenant passer aux questions. Je rappelle aux membres du comité que nous avons jusqu’à 13 h 30 pour ce groupe de témoins. Chaque question, y compris la réponse, sera donc limitée à quatre minutes. Je vous demande d’être brefs et d’identifier la personne à qui vous adressez votre question. Je vais demander à la cheffe Lazare d’avoir des réponses succinctes.
[Traduction]
Le sénateur Plett : Je remercie les témoins de comparaître. Je vous en suis très reconnaissant.
J’ai posé la question suivante à de nombreux témoins sous une forme ou une autre. Lorsque le ministre a comparu devant notre comité le 23 octobre, je lui ai posé une question au sujet de l’affirmation que vous avez faite dans votre lettre à l’ancien ministre :
Le projet de loi C-21 ne prévoit aucune exception pour l’exercice de nos droits inhérents, et aucune consultation n’a été tenue pour nous demander notre avis.
Le ministre a déclaré que le projet de loi respecte en fait les droits des Autochtones, et son sous-ministre a indiqué ce qui suit :
Il y a eu de nombreuses consultations avec les collectivités autochtones d’un bout à l’autre du pays lorsque le projet de loi a été présenté la première fois.
C’est le genre de manœuvres auxquelles ils s’adonnent en faisant référence à un projet de loi antérieur plutôt qu’à celui-ci. Ma question est la suivante : juste pour être sûr, le gouvernement vous a-t-il consultés avant le dépôt du projet de loi?
Mme Lazare : Non.
Le sénateur Plett : Je vous remercie. À votre connaissance, de nombreuses consultations ont-elles été effectuées auprès des communautés autochtones du pays avant le dépôt du projet de loi C-21?
Mme Lazare : Non. Nous n’avons eu qu’une seule réunion et ce n’était pas nécessairement une consultation adéquate. Je ne considérerais donc pas cela comme de la consultation.
Le sénateur Plett : Merci. Cela me semble très cohérent avec ce que d’autres témoins ont dit. Je vous remercie d’être explicite et de témoigner.
Le sénateur Oh : Je remercie les témoins de comparaître. Ma question porte sur les droits des peuples autochtones. Au cours de l’étude du projet de loi C-21, le Comité permanent de la sécurité publique et nationale de la Chambre des communes a modifié le projet de loi C-21 pour préciser que la disposition du projet de loi n’abrogerait pas les droits des peuples autochtones énoncés dans la Loi constitutionnelle de 1982 ou n’en dérogerait pas. Quelles sont les répercussions potentielles du projet de loi C-21 sur les peuples autochtones? Ces répercussions potentielles feraient-elles sentir leur effet sur les Premières Nations, les Inuits et les Métis? Comme les Autochtones vivent dans des communautés présentant des signes et des caractéristiques différents, l’impact potentiel varierait-il entre les communautés urbaines et rurales?
Mme Lazare : De nombreux peuples autochtones au Canada utilisent des armes à feu pour la chasse et la récolte de subsistance. L’approche universelle n’est pas la meilleure approche. La façon dont le projet de loi sera mis en œuvre ne fera pas complément aux dispositions de non-dérogation, car il en existe en réalité. Nos communautés, nos peuples subissent des répercussions, en dépit de ces dispositions.
Le sénateur Oh : Les Premières Nations, les Inuits et les Métis font-ils front commun pour exprimer leurs préoccupations au sujet du projet de loi C-21, qui prévoit, comme vous le soulignez, une approche universelle?
Mme Lazare : Eh bien, cette mesure législative ressemble à beaucoup d’autres projets de loi déposés au Canada, alors je peux dire avec confiance, sans que nous fassions front commun pour le dire explicitement, que ce projet de loi en particulier ne nous convient pas à cause de la disposition de non-dérogation. Nous devons bien faire comprendre que nous ne sommes pas tous pareils. Bien que nous ayons des préoccupations semblables qui pourraient être les mêmes, nous ne sommes pas tous les mêmes.
Je suis désolée. Est-ce que je m’exprime assez clairement pour vous?
Le sénateur Oh : C’est correct.
Mme Lazare : Nous ne pouvons pas être considérés comme tous les mêmes, parce que nous avons des besoins, des capacités, des croyances, des cultures et des façons d’être différents. Donc, les approches panautochtones ne fonctionnent pas du tout en matière de législation.
Le sénateur Oh : Quel serait l’amendement à ce projet de loi qui vous préoccupe le plus?
Mme Lazare : À l’heure actuelle, les amendements nous conviennent. C’est plus la mise en œuvre qui nous préoccupe.
Le sénateur Oh : Je vous remercie.
La sénatrice M. Deacon : Je vous remercie tous les deux de témoigner aujourd’hui. Nous vous en sommes très reconnaissants.
Pour commencer, nous avons entendu mardi des témoins qui ont dit craindre que le projet de loi C-21 ne porte atteinte aux droits issus de traités, et j’aimerais approfondir la question aujourd’hui, si vous me le permettez.
Dans sa forme actuelle, le projet de loi n’interdit pas les carabines de chasse. Il vise les armes de poing, et cette nouvelle définition des « armes à feu prohibées » ne s’appliquera qu’aux armes à feu conçues avec un nouveau design après l’entrée en vigueur de la définition modifiée. Je me rends compte que c’est alambiqué. Les armes à feu possédées actuellement ne seront pas touchées.
À première vue, le concept de menace envers les droits de chasse me laisse perplexe, mais j’aimerais vraiment essayer de comprendre la situation de votre point de vue, et j’espère que vous pourrez m’y aider aujourd’hui.
Je laisserai l’un ou l’autre d’entre vous m’expliquer ce qu’il en est.
Mme Lazare : La chasse évolue au fil du temps. Vous ne pouvez pas limiter les droits de chasse de nos générations futures. Les armes à feu évoluent, la chasse évolue, les modes migratoires évoluent et nos besoins en matière de chasse évoluent. La manière dont nous chassions il y a 10, 15 ou 20 ans n’est pas la même que celle d’aujourd’hui et que celle qui aura cours dans 10, 15 ou 20 ans.
La sénatrice M. Deacon : Je vous remercie. Permettez-moi de changer légèrement de sujet pour faire suite aux questions de mon collègue, le sénateur Oh. Vous avez défini les choses et fourni des explications, disant que vous pouviez accepter ce projet de loi et les amendements, mais que la mise en œuvre était ce qui vous préoccupait le plus.
Pourriez-vous prendre un instant pour nous en dire un peu plus à ce sujet, je vous prie? Qu’est-ce qui vous préoccupe le plus au chapitre de la mise en œuvre?
Mme Lazare : À l’heure actuelle, nous croyons comprendre que l’intervention excessive de la police constitue un problème pour les communautés autochtones et les communautés des Premières Nations. Nous nous inquiétons également de la tenue de véritables consultations sur la réglementation, car cette dernière aura une incidence considérable sur la façon dont nos gens peuvent se comporter et transporter leurs armes à feu. Nous souhaiterions donc voir de plus près de quoi il en retourne.
Laissez-moi essayer de trouver le mot juste. J’essaie d’être aussi concise que possible, mais j’ai perdu le fil de ma pensée. Désolée. Pouvez-vous répéter?
La sénatrice M. Deacon : J’essaie simplement de m’assurer de comprendre vos préoccupations quant à ce qui constitue la priorité absolue sur le plan de la mise en œuvre.
Mme Lazare : Oui. Nous voudrions vraiment souligner que nous aimerions être consultés à propos de la mise en œuvre. Comme je l’ai déjà indiqué, il y a la question de l’intervention excessive de la police et, comme on l’a déjà souligné, de la surreprésentation des Autochtones dans les tribunaux et le système de justice. C’est très malheureux et injuste, et il y a évidemment une certaine discrimination raciale. Tous ces éléments de mise en œuvre ne tiennent pas compte de cette situation.
Comme je l’ai indiqué dans mon allocution d’ouverture, le projet de loi contient une disposition de non-dérogation en annotation qui ne porte pas atteinte aux droits, mais quand il y a une annotation, on peut aisément faire fi de la situation sur le terrain.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Merci beaucoup à notre témoin. Bienvenue à notre comité.
Cheffe Lazare, ma première question fait référence à une lettre que vous ou votre conseil de bande avez envoyée à l’ancien ministre de la Sécurité publique, des Institutions démocratiques et des Affaires intergouvernementales pour souligner les impacts potentiels du projet de loi C-21 sur les forces policières des réserves autochtones.
On sait que, à Kahnawà:ke, il y a ce qu’on appelle des Peacekeepers. Je cite un passage de votre lettre, qui dit que le projet de loi C-21 imposera un fardeau injuste aux Peacekeepers qui protègent votre territoire et accroîtra les risques de discrimination et d’interventions policières excessives à l’égard de vos concitoyens. Est-ce que vous pouvez nous donner une explication à ce commentaire que contient votre lettre?
[Traduction]
Mme Lazare : Pour Kahnawà:ke, les circonstances particulières dans lesquelles nous nous trouvons sont très difficiles à expliquer. Notre communauté des Premières Nations ne peut pas être qualifiée de rurale ou d’urbaine. Nous sommes juste à côté de Montréal, à environ 15 ou 20 minutes de là. Nous chassons sur ce que nous appelons le Mur Nord et avons également un territoire dans les Laurentides qui s’appelle Tioweró:ton, que nous utilisons principalement pour la chasse et la récolte. Certains membres de notre communauté chassent ailleurs, dans d’autres communautés autochtones et communautés des Premières Nations.
En ce qui concerne la sécurité des armes à feu, les Peacekeepers de Kahnawà:ke exercent leur compétence à Kahnawà:ke, bien entendu, mais cette compétence prend malheureusement fin au bout de chaque accès à notre communauté et ne s’étend pas aux autres communautés autochtones. Les Peacekeepers ne peuvent rien faire si quelqu’un est sur la route avec ses armes à feu et ne peuvent pas interdire la discrimination et le racisme systémique de la part des forces policières externes.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Ma deuxième question vise à bien comprendre ce que j’ai peut-être mal compris par rapport à une affirmation que vous avez faite au début de votre présentation. Avez-vous bien dit que ce sera à Kahnawà:ke de déterminer quelles armes seront utilisées ou non au Canada?
[Traduction]
Mme Lazare : Oui, il est très important que le gouvernement canadien comprenne que nous pouvons nous gouverner nous-mêmes. C’est notre droit inhérent.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : J’essaie de comprendre la portée de cette déclaration. La portée de cette déclaration signifie-t-elle que l’application du projet de loi C-21 sur votre territoire se fera exclusivement par les Peacekeepers, et non par d’autres forces policières?
Mme Lazare : Oui.
Le sénateur Boisvenu : S’il y a des parties du projet de loi C-21 qui ne convient pas à vos coutumes et à vos habitudes, cela veut-il dire que les Peacekeepers n’appliqueraient pas intégralement le projet de loi C-21?
[Traduction]
Mme Lazare : C’est l’un des problèmes que nous avons avec la mise en œuvre : le respect de la compétence des Peacekeepers de Kahnawà:ke et l’application de la loi dans notre communauté, et c’est un point que nous aimerions régler.
Le sénateur Kutcher : Je vous remercie de témoigner devant nous aujourd’hui.
Ma question sera quelque peu différente de celles auxquelles vous avez déjà répondu et semblable à celle que j’ai posée à notre témoin précédent au sujet du suicide et des armes à feu.
Nous savons que les taux de suicide sont plus élevés dans les populations autochtones, particulièrement chez les hommes et les garçons. Bon nombre de suicides sont commis avec des armes à feu. Savez-vous si certains des programmes de formation sur la sécurité des armes à feu qui sont offerts dans votre communauté abordent la question du risque de suicide par armes à feu?
Mme Lazare : J’ai suivi le cours dans ma communauté. Nous y avons abordé la question dans une certaine mesure. Il s’agissait principalement d’un cours de base sur la sécurité des armes à feu, dans le cadre duquel on nous indiquait de ne pas ranger son arme à feu avec les balles dans le même rangement et prodiguait d’autres conseils.
Il existe à Kahnawà:ke ce que nous appelons les services communautaires Kahnawà:ke Shakotiia’takehnhas, ou KSCS, qui offrent des programmes de prévention du suicide. Nous avons des programmes qui s’attaquent aux causes profondes du suicide. Des programmes sont offerts dans la communauté pour s’attaquer à ces problèmes.
Pour ce qui est de mon expérience personnelle, j’ai été ambassadrice de l’espoir dans le cadre de la campagne We Matter, qui s’attaque au suicide chez les jeunes Autochtones partout au Canada de manière plus positive — bien que le suicide ne soit pas positif — en encourageant le recours à la culture, à la famille et à l’espoir. Nous utilisons ce genre de mécanismes pour encourager les jeunes à reconsidérer leur but dans la vie et ce qui les incite à tenter de se suicider.
Nous prodiguons ces enseignements pour favoriser la compréhension, mais mon expérience personnelle m’a appris que si quelqu’un cherche à se suicider, il trouvera malheureusement un moyen, même s’il a des armes à feu ou a accès à des armes à feu.
Le sénateur Kutcher : Merci de votre intérêt et de votre travail dans ce domaine. Il y a des interventions précises qui se font dans le cadre des programmes relatifs aux armes à feu et à la prévention du suicide, mais la plupart des programmes ne contiennent pas ces composantes.
Je vous remercie de tout le travail que vous avez réalisé. Cela semble formidable. Savez-vous si certains programmes de prévention du suicide actuellement offerts dans votre communauté visent précisément à lutter contre le suicide par arme à feu, en restreignant les moyens ou en faisant d’autres genres d’interventions?
Mme Lazare : Pas en combinaison, non. Je sais qu’on dit que l’entreposage sécuritaire des armes à feu dans les résidences permet de prévenir le suicide par armes à feu. On en parle, mais il n’y a pas de formation explicite. Merci de cette idée. Je la soumettrai à notre organisation KSCS.
Le sénateur Kutcher : Seriez-vous d’accord pour inclure quelque chose comme cela à titre d’observation dans le projet de loi? Serait-ce utile pour votre communauté?
Mme Lazare : Je pense que ce serait utile pour toutes les communautés, pas seulement pour les communautés autochtones.
Le sénateur Kutcher : Je vous remercie beaucoup.
Le sénateur Yussuff : Je vous remercie, cheffe Lazare, de témoigner. J’ai beaucoup aimé votre témoignage et vos explications sur les points de détail.
Comme pour toute mesure législative, la mise en œuvre est un élément essentiel au succès. Il faut évidemment tenir compte du mode de gestion particulier de votre territoire et de l’accord d’autonomie gouvernementale intervenu avec les gouvernements fédéral et provinciaux quant à la manière dont vous faites bien des choses.
Je peux comprendre certaines des préoccupations que vous soulevez, comme le fait que l’approche ne devrait pas entraver l’évolution de votre communauté et la façon dont vous appliquez la loi. Nous reconnaissons que c’est important pour relever les défis auxquels nous sommes confrontés.
En ce qui concerne la mise en œuvre, nous ne savons pas encore en quoi le règlement pourrait consister. Je vous entends dire haut et fort que vous voulez participer activement à ce processus parce que, comme vous l’avez indiqué, il est important que vous compreniez bien ce qu’il en est. Les contrôleurs des armes à feu appliquent la loi différemment dans les diverses régions du pays, ce qui pourrait avoir un effet préjudiciable que vous cherchez à éviter.
Au chapitre de la mise en œuvre et de la réglementation, le gouvernement fédéral devrait mener de vastes consultations auprès de vous pour comprendre certaines des préoccupations dont vous voudriez qu’il s’occupe, surtout en ce qui concerne la disposition de dérogation et la manière dont elle devrait s’appliquer sur votre territoire. Ai-je raison de supposer que ce sont là les points que vous soulevez de façon claire et définie?
Mme Lazare : Oui.
Le sénateur Yussuff : Il y a un autre problème qui a été souligné dans le projet de loi et dont il n’a pas encore été question, et j’aimerais connaître votre point de vue à ce sujet.
Comme vous le savez, la violence familiale est un problème grave, non seulement dans votre communauté, mais dans l’ensemble du pays. Dans le projet de loi, il est fait référence aux dispositions « drapeau rouge » et « drapeau jaune ». À l’heure actuelle, les dispositions « drapeau rouge » existent pour que les agents d’application de la loi fassent leur devoir en cas de violence familiale. Bien entendu, nous voulons nous attaquer à la violence envers les femmes.
Avez-vous des préoccupations quant à la façon dont la violence familiale est traitée dans votre communauté, surtout en ce qui concerne les lois « drapeau rouge » et « drapeau jaune »?
Mme Lazare : Cette question comporte deux volets. Ce sont les Peacekeepers de Kahnawà:ke qui s’occupent de la violence familiale. Ce sont eux qui appliquent la loi à Kahnawà:ke et dans les environs. Ils possèdent une formation sur la violence familiale. Ils ont un groupe de travail spécialisé qui s’occupe des affaires de violence familiale. Je considère que leur formation et leur capacité de faire face à ces situations sont adéquates.
En ce qui concerne les dispositions « drapeau rouge » et « drapeau jaune », l’approche de dénonciation anonyme nous préoccupe, en raison du potentiel de discrimination raciale.
Le sénateur Yussuff : Je vous remercie beaucoup.
Le sénateur Cardozo : Cheffe Lazare, je vous remercie beaucoup de témoigner et d’avoir exposé les préoccupations que ce projet de loi suscite en vous. Ce sont certainement des questions complexes qui méritent que nous leur accordions beaucoup d’attention.
Je voulais voir ce que nous allons faire à partir de maintenant. Vous avez fait remarquer que l’article 72 du projet de loi fait référence à l’article 35 de la Constitution. Vous avancez que ce n’était peut-être pas nécessaire, puisque cet article s’applique de toute façon. Vous dites que la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones devrait s’appliquer à ce projet de loi, comme elle s’applique maintenant à tous les projets de loi adoptés par le Parlement.
Y a-t-il moyen de tenir compte de ces deux aspects et d’être plus précis dans une mesure d’exclusion figurant dans le règlement, qui sera la prochaine étape de tout ce processus?
Mme Lazare : Il y a certainement un moyen de prévoir une exclusion, mais il faudrait mener d’autres consultations pour savoir en quoi elle tiendrait.
Le sénateur Cardozo : Dites-moi ce que vous aimeriez voir au chapitre des consultations. Comment devrait-on procéder et qui devrait-on consulter?
Mme Lazare : Nous avons un comité consultatif qui discute des divers projets qui se déroulent dans la communauté. Il s’agit majoritairement de projets de développement, mais nous avons les moyens de mener des consultations sur différentes questions qui concernent les terres et les droits.
Nous organiserions d’abord une réunion entre notre comité consultatif et notre équipe pour discuter de la façon dont nous pourrions aborder cette question. Je ne suis qu’une membre du Conseil des Mohawks de Kahnawà:ke et je n’agis pas unilatéralement. Je fais des choses avec une équipe et avec mon conseil, en m’assurant qu’ils m’appuient. Nous devrions tenir cette conversation initiale.
Le sénateur Cardozo : Cette réponse est très utile. Je n’en suis pas certain, mais d’après ce que je comprends, si le projet de loi est adopté, le ministère responsable — que ce soit la Sécurité publique ou SPAC — sera alors chargé d’élaborer le règlement. Nous pourrions envisager d’être assez précis dans ce que nous lui suggérons sur la façon de mener ces consultations, en admettant qu’elles n’ont pas eu lieu plus tôt quand le gouvernement a élaboré le projet de loi.
Est-ce ainsi que nous devrions procéder?
Mme Lazare : Oui. Il faudrait organiser une réunion initiale qui devrait permettre d’établir un plan. Pour mener des consultations valables, il faut avoir un plan pour s’assurer de couvrir tous les secteurs et tous les besoins des deux parties. Pour ce faire, nous devons tenir cette réunion initiale.
Le sénateur Cardozo : Comment proposez-vous de mener les consultations auprès d’autres Premières Nations ou de l’Assemblée des Premières Nations, ou l’APN?
Mme Lazare : Je proposerais d’organiser une réunion avec les dirigeants de l’APN et de tenir des consultations de cette façon également.
Le sénateur Cardozo : Cela se ferait de manière distincte des négociations avec la nation Kahnawà:ke?
Mme Lazare : Oui.
Le sénateur Cardozo : Pouvez-vous m’en dire plus sur le rôle des Peacekeepers de Kahnawà:ke? S’apparentent-ils à une force policière en milieu urbain?
Mme Lazare : Oui.
Le sénateur Cardozo : Je vous remercie.
La sénatrice Dasko : Merci à nos témoins d’être ici aujourd’hui.
Ma question est très semblable à celle que le sénateur Yussuff a posée au sujet des dispositions « drapeau rouge » et « drapeau jaune » du projet de loi C-21. Je ne couvrirai pas exactement le même territoire, mais j’aimerais examiner un peu plus en profondeur la façon dont votre communauté se charge de l’application de la loi en cas de violence familiale, notamment en ce qui concerne les armes à feu dans votre communauté.
Vos agents d’application de la loi confisquent-ils des armes à feu dans des affaires de violence familiale ou en cas des menaces avec des armes à feu? Y a-t-il quelque chose dans vos procédures et votre application de la loi qui porte précisément sur l’utilisation d’armes à feu et de la menace d’utiliser des armes à feu dans les situations de violence familiale?
Mme Lazare : En termes simples, oui. Il y a des procédures et des façons de saisir les armes à feu et de désamorcer la situation. Cela fait partie de nos moyens d’intervention. Les Peacekeepers ont une procédure complète élaborée par le groupe de travail et ils la mettent en œuvre de leur mieux.
La sénatrice Dasko : Cela fait partie du programme de votre communauté.
Mme Lazare : Oui.
La sénatrice Dasko : Les pratiques et les politiques prévoient la confiscation.
Prévoient-elles également des sanctions pour les auteurs? Cela fait-il partie de ce que fait la communauté au sujet des armes à feu dans ces situations?
Mme Lazare : Oui.
La sénatrice Dasko : Si vous le voulez bien, j’aimerais revenir encore à ce que le sénateur Yussuff vous a demandé. Qu’est-ce qui vous préoccupe au sujet des dispositions « drapeau rouge » du projet de loi C-21? Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet, s’il vous plaît?
Mme Lazare : Oui. J’ai indiqué que c’est la discrimination raciale qui me préoccupe. Dans ma lettre, je me dis également d’accord avec l’Association du Barreau canadien au sujet de la possibilité évidente d’application frauduleuse et discriminatoire.
La sénatrice Dasko : Pouvez-vous nous en dire un peu plus? Si la plainte provient d’un membre de la famille, est-ce préoccupant?
Mme Lazare : Je n’entrerai pas dans les détails, mais en général, les plaintes, peu importe d’où elles viennent, continuent de me préoccuper, car elles pourraient être de nature frauduleuse et discriminatoire. Les membres de la famille ont des différends, comme vous le savez probablement. Je me demanderais donc si les accusations sont fondées sur des faits ou si elles sont frauduleuses.
La sénatrice Dasko : Même si les accusations venaient d’un membre de la famille, cela vous préoccuperait?
Mme Lazare : Oui.
La sénatrice Dasko : Je vous remercie.
[Français]
Le vice-président : Avant de conclure avec notre deuxième groupe de témoins, j’aimerais poser deux questions à Mme Lazare.
Ma question a un lien avec la question que vous avez posée au sénateur Boisvenu. Vous me corrigerez si je me trompe, mais vous venez de dire clairement que ce n’est pas au gouvernement du Canada de décider du type d’armes que les membres de votre communauté peuvent posséder.
Si j’ai bien compris, les membres de votre communauté revendiquent le droit de se déplacer n’importe où au Canada avec des armes et les policiers municipaux, provinciaux ou ceux de la GRC n’auraient pas le droit de les arrêter pour possession illégale d’une arme à feu?
[Traduction]
Mme Lazare : Non.
[Français]
Le vice-président : Votre réponse est assez courte. Vous maintenez donc que les membres de votre communauté peuvent se promener partout au Canada avec des armes illégales. C’est votre réponse, et j’apprécie votre franchise et votre honnêteté.
Pouvez-vous nous dire quel pourcentage des membres de votre communauté possède des armes à feu? Est-ce que tous les ménages de Kahnawà:ke possèdent des armes?
[Traduction]
Mme Lazare : Non. Je ne peux pas dire qu’il y a des armes à feu dans chaque maison. Moi-même, je n’en ai pas chez moi. Il n’y en a certainement pas dans tous les foyers. Pour ce qui est du pourcentage, je sais que de nombreux Kahnawa’kehró:non utilisent des armes à feu à des fins de récolte, pour subvenir aux besoins de leur famille à mesure que nous cessons d’acheter de la viande à l’épicerie pour adopter une façon plus culturellement appropriée de nous nourrir.
[Français]
Le vice-président : Merci.
Cela nous amène à la fin de notre réunion.
Merci, mesdames Lazare et Spillane.
J’aimerais remercier nos témoins d’aujourd’hui d’avoir pris le temps de venir témoigner devant notre comité. Vos idées et vos connaissances sont très appréciées.
Notre prochaine réunion aura lieu le lundi 20 novembre, à 15 heures (heure de l’Est), dans la pièce C128.
Sur ce, je vous souhaite à tous une très bonne journée.
(La séance est levée.)