LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE LA SÉCURITÉ NATIONALE, DE LA DÉFENSE ET DES ANCIENS COMBATTANTS
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le lundi 20 novembre 2023
Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants se réunit aujourd’hui, à 15h 5 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi C-21, Loi modifiant certaines lois et d’autres textes en conséquence (armes à feu).
Le sénateur Tony Dean (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs et sénatrices, bienvenue à la réunion d’aujourd’hui du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants. Je suis Tony Dean, président du comité, et je représente l’Ontario. Je suis accompagné aujourd’hui des autres membres du comité, et je vais maintenant les inviter à se présenter, en commençant par le vice-président.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Bonjour. Jean-Guy Dagenais, sénateur du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Richards : David Richards, sénateur du Nouveau-Brunswick.
La sénatrice M. Deacon : Bonjour et bienvenue. Je suis Marty Deacon, de l’Ontario.
Le sénateur Plett : Je suis Don Plett, et je viens de Landmark, au Manitoba, un tout petit village.
Le sénateur Cardozo : Andrew Cardozo, de l’Ontario.
La sénatrice Dasko : Donna Dasko, sénatrice de l’Ontario.
Le sénateur Yussuff : Hassan Yussuff, sénateur de l’Ontario.
Le sénateur Boehm : Peter Boehm, de l’Ontario.
Le président : Merci beaucoup, chers collègues. La personne à ma gauche est la greffière du comité, Mme Ericka Dupont.
Pour ceux et celles qui regardent la réunion, nous poursuivons aujourd’hui notre étude sur le projet de loi C-21, Loi modifiant certaines lois et d’autres textes en conséquence (armes à feu). Aujourd’hui, nous entendrons les témoignages de trois groupes de témoins représentant des organismes d’application de la loi.
Voici le premier groupe. Nous avons le plaisir d’accueillir, par vidéoconférence, le chef adjoint Bill Fordy, coprésident du Comité spécial sur les armes à feu, représentant l’Association canadienne des chefs de police; et M. Edward Lennard Busch, directeur général représentant l’Association des chefs de police des Premières Nations. Merci d’être avec nous aujourd’hui. Nous vous invitons à présenter vos déclarations préliminaires, puis les membres du comité auront des questions à vous poser. Je vous rappelle que vous avez chacun cinq minutes pour présenter votre témoignage.
Nous allons commencer aujourd’hui par le chef adjoint, M. Fordy. Vous pouvez y aller, dès que vous êtes prêt.
Bill Fordy, coprésident, Comité spécial sur les armes à feu, Association canadienne des chefs de police : Merci.
Bonjour et merci de cette occasion de m’adresser au comité au nom de l’Association canadienne des chefs de police, l’ACCP.
L’ACCP soutient le projet de loi C-21 et estime que cette loi introduit des dispositions essentielles au Code criminel et à la Loi sur les armes à feu.
Nous soutenons les nouvelles dispositions visant à lutter contre les armes fabriquées par les particuliers, également appelées armes fantômes. C’est pourquoi l’ACCP est très favorable à : l’élargissement de la définition « d’arme à feu prohibée » pour inclure « toute arme à feu fabriquée illégalement, peu importe le moyen ou la méthode de fabrication »; l’ajout de la définition de « pièce d’arme à feu » au paragraphe 84(1) du Code criminel et l’ajout de cette terminologie à d’autres dispositions du Code concernant les ordonnances d’interdiction, les infractions et les exemptions; la création d’une infraction pour la possession et la distribution de données informatiques qui permettraient la fabrication d’armes fantômes; la création d’une infraction pour la modification d’un chargeur de cartouches d’un modèle non interdit à un modèle interdit; et la nouvelle obligation de détenir un permis de possession d’armes à feu pour acquérir un chargeur.
En ce qui a trait aux répliques d’armes à feu, l’ACCP a approuvé les interdictions — initialement présentées dans le projet de loi — relatives aux répliques d’armes à feu, en particulier celles qui ressemblent à de vraies armes et qui sont impossibles à distinguer de près ou de loin des articles authentiques, ou qui peuvent être modifiées pour être transformées en armes mortelles. Nous accueillons favorablement dans le projet de loi des dispositions supplémentaires relatives à la simulation et à la décharge, y compris la vitesse et l’énergie initiales de l’arme à feu. Toutefois, les répliques d’armes à feu demeurent largement non réglementées, et les utilisateurs peuvent les acquérir facilement sans preuve d’âge, de permis ou de compétence.
Au sujet de la contrebande et du trafic d’armes à feu, l’ACCP continue à affirmer que la restriction de la possession légale d’armes à feu ne résoudra pas de manière significative le problème des armes à feu illégales provenant des États-Unis. C’est pourquoi nous soutenons tous les amendements législatifs visant à répondre aux priorités en matière d’intégrité des frontières, de contrebande et de trafic.
L’absence de données permettant de comprendre le parcours des armes à feu utilisées pour commettre des crimes avant qu’elles ne soient saisies dans le cadre d’une enquête criminelle au Canada est très préoccupante. En 2022, l’ACCP a adopté une résolution demandant le traçage obligatoire de toutes les armes utilisées pour commettre des crimes au Canada.
À l’heure actuelle, même si le service de police national, la Gendarmerie royale du Canada, la GRC, a mis en œuvre une politique exigeant le traçage de toutes les armes à feu utilisées pour commettre des crimes, seul l’Ontario a rendu cette démarche obligatoire.
Le traçage des armes à feu crée une chaîne de possession, du fabricant à l’acquéreur en passant par le distributeur agréé. Il peut améliorer notre capacité à identifier des tendances, à identifier et à bloquer les sources d’armes à feu illégales utilisées pour commettre des crimes au Canada et à réduire la violence armée dans notre pays. En l’absence d’une loi obligeant les services de police du Canada à recueillir des données sur les armes à feu de manière cohérente et régulière, nous continuerons à nous heurter à des difficultés dans ce domaine.
Cinquièmement, l’ACCP appuie également le nouveau régime des ordonnances d’interdiction d’urgence, également connu sous le nom de loi du drapeau rouge, et l’obligation de remettre les armes à feu et les documents pertinents, tels que les permis de possession d’armes à feu, afin de contribuer à réduire la violence fondée sur le sexe, la violence entre partenaires intimes et l’automutilation en limitant l’accès aux armes à feu à des personnes qui présentent un risque de préjudice pour elles-mêmes ou pour autrui. L’ACCP soutient l’ajout dans la Loi sur les armes à feu de l’article 16, qui prévoit qu’un particulier est inadmissible à l’obtention d’un permis d’armes à feu s’il est visé ou a été visé par une ordonnance de protection, et qu’un permis peut être révoqué si le particulier a été déclaré coupable d’une infraction commise avec usage, tentative ou menace de violence contre son partenaire intime ou tout membre de sa famille.
Sixièmement, en ce qui a trait à la réforme de la mise en liberté sous caution, l’ACCP est également préoccupée par la manière dont le système judiciaire canadien gère les récidivistes violents et les personnes accusées d’infractions commises avec des armes à feu. De nombreux individus qui représentent une menace importante pour la sécurité du public et des policiers sont relâchés dans la collectivité sans les soins et les restrictions nécessaires en attendant leur procès.
Nous demandons au comité d’envisager d’ajouter les amendements législatifs suivants au Code criminel.
Premièrement, exiger que les audiences sur la mise en liberté sous caution pour les infractions les plus graves liées aux armes à feu soient entendues par un juge d’une cour supérieure de juridiction criminelle ou un juge tel que défini à l’article 552 du Code criminel, ou un juge d’une cour provinciale, et que les violations présumées d’une ordonnance de mise en liberté soient entendues par un juge du même niveau de juridiction que celui qui a accordé la mise en liberté initiale.
Deuxièmement, conférer aux juges chargés de la détermination de la peine la capacité discrétionnaire de porter l’inadmissibilité à la libération conditionnelle aux deux tiers d’une peine privative de liberté lorsque le tribunal constate qu’un délinquant a déchargé une arme à feu dans un lieu de rassemblement lors de la commission de l’infraction, et que cette capacité discrétionnaire en matière de détermination de la peine soit étendue à ceux qui sont reconnus comme étant parties à de telles infractions.
Troisièmement, créer une voie supplémentaire vers la considération automatique de meurtre au premier degré en vertu du paragraphe 231(4) du Code criminel, en incluant le décès résultant de la décharge d’une arme à feu dans un lieu de rassemblement.
En conclusion, il est important que nos citoyens se rappellent que, au Canada, la possession d’une arme à feu n’est pas un droit, mais un privilège. La loi doit atteindre un équilibre approprié entre les droits de l’accusé et ceux des victimes, des survivants, des communautés et des policiers et la sécurité publique afin de contribuer à atténuer l’impact des pires conséquences des armes à feu. Merci beaucoup.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Fordy.
Chers collègues, notre troisième témoin a été retardé plus tôt, mais il peut maintenant se joindre à nous.
Notre deuxième témoin d’aujourd’hui témoigne au nom de l’Association des directeurs de police du Québec. Nous accueillons M. Didier Deramond, directeur général. Allez-y dès que vous êtes prêt. Vous avez cinq minutes pour présenter votre témoignage.
[Français]
Didier Deramond, directeur général, Association des directeurs de police du Québec : Merci, monsieur le président. Mesdames et messieurs les membres du comité, l’Association des directeurs de police du Québec (ADPQ) tient à vous remercier de lui donner l’occasion de soumettre ses commentaires sur le projet de loi C-21.
Dans un premier temps, permettez-moi de vous rappeler que notre association, qui représente tous les chefs de police du Québec, souhaite, dans le contexte de la montée de la violence armée au Québec et de l’historique de l’utilisation d’armes à feu à des fins de tuerie de masse, souligner quelques préoccupations qu’elle a à l’endroit de cette nouvelle mouture du projet de loi C-21. Toutefois, avant d’aller plus loin, l’ADPQ tient à préciser qu’elle appuie certains des changements apportés au projet de loi, notamment en ce qui concerne les armes fantômes, les règlements pour restreindre les chargeurs de grande capacité et la création d’un comité consultatif d’experts afin d’étudier de manière indépendante la classification des armes à feu qui sont actuellement sur le marché canadien.
Bien que de nombreux ajustements aient été faits depuis notre dernière comparution devant votre comité, l’ADPQ croit que de nouvelles dispositions doivent être intégrées au projet de loi actuel, et ce, afin d’assurer que la nouvelle mouture de ce projet de loi ait les effets escomptés. Je m’explique : actuellement, quiconque détient un permis de possession et d’acquisition peut acheter non seulement le calibre de munitions qu’il désire, mais également la quantité de munitions qu’il souhaite, et ce, même s’il s’agit d’une quantité préoccupante. Autrement dit, un individu peut acheter des munitions d’un calibre particulier pour une arme qu’il ne possède pas et acheter le nombre de munitions qu’il veut. De plus, la seule possession de munitions n’est pas une infraction.
Vous conviendrez avec moi qu’il s’agit d’un problème majeur, lorsqu’on sait qu’il y a une augmentation du nombre d’armes à feu illégales, d’armes à feu de fabrication artisanale en 3D ou d’armes fantômes sur le territoire du Québec en ce moment.
L’ADPQ croit fortement qu’il doit y avoir une corrélation entre le permis d’armes existant et les munitions, et qu’un registre d’achat de munitions, bien qu’il soit complexe à mettre en place, doit être créé.
Dans le contexte où les pièces essentielles pour rendre une arme fonctionnelle ne possèdent pas de numéro de série et où il n’y a pas d’interdiction de posséder celles-ci, n’importe qui peut les entreposer. L’ADPQ croit qu’il est essentiel d’interdire la possession de pièces d’arme si elles n’ont pas été préalablement autorisées par le directeur de l’enregistrement des armes à feu.
C’est pourquoi l’ADPQ croit également que le gouvernement devrait obliger les fabricants à émettre un numéro de série sur les pièces d’arme essentielles, afin de pouvoir assurer leur traçabilité.
Mesdames et messieurs les membres du comité, si le projet de loi C-21 était modifié au moyen de ces quatre nouvelles dispositions — c’est-à-dire assurer une corrélation entre le permis d’armes existant et les munitions, créer un registre d’achat de munitions, interdire la possession de pièces d’armes à feu sans permis et obliger les fabricants de pièces d’arme à émettre un numéro de série —, le projet de loi serait, selon les directeurs de police du Québec, plus adapté aux réalités et aurait un plus grand impact.
Cela étant dit, permettez-moi aussi de vous faire part de certaines préoccupations que nous avons. Notre président vous en a fait part lors de sa dernière comparution devant vous. Il est important de rappeler que certaines dispositions du projet de loi devront être arrimées avec la législation québécoise. Au Québec, nous avons la Loi visant à favoriser la protection des personnes à l’égard d’une activité impliquant des armes à feu. Cette loi, qui exige certains délais d’application, rend presque impossible le délai de 30 jours pour la révocation d’armes que prescrit la loi fédérale.
Il y a donc des armes à feu qui demeurent en circulation, tout simplement parce que la loi fédérale ne s’arrime pas bien avec la loi québécoise. L’Association des directeurs de police du Québec vous recommande d’ajuster à la hausse le délai de 30 jours pour la révocation d’une arme, et ce, afin que les lois fédérale et provinciale soient plus harmonieuses.
Enfin, l’ADPQ est fortement préoccupée par le niveau de connaissances des policiers en ce qui a trait à la Loi sur les armes à feu. En effet, un sondage effectué par le Service du renseignement criminel du Québec (SRCQ) a révélé que 65 % des policiers disent avoir des connaissances limitées sur la Loi sur les armes à feu. Quatre-vingt-cinq pour cent de ces mêmes policiers estiment qu’ils pourraient être mieux formés en ce qui a trait aux armes à feu. Ces pourcentages qui, avouons-le, sont très élevés mettent en évidence le fait que la formation des policiers en ce qui a trait à la Loi sur les armes à feu doit être bonifiée.
C’est pourquoi l’ADPQ recommande qu’une attention particulière soit accordée au financement de la formation des policiers lorsque des lois sont modifiées. Trop souvent, la mise en œuvre des lois par les organismes responsables n’est pas prise en compte. Cela étant dit, l’ADPQ tient à rappeler qu’il est nécessaire de voir à la bonification du financement dans certains domaines, comme les équipes mixtes, les contrôleurs d’arme à feu et le laboratoire scientifique.
En terminant, bien que l’Association des directeurs de police du Québec salue ce projet de loi, elle tient à rappeler que le projet de loi C-5 qui a été adopté a éliminé les peines minimales pour certaines accusations liées aux armes à feu en augmentant la peine maximale. Cela nous semble être un peu en contradiction avec le projet de loi actuel. Le message se doit d’être cohérent avec l’objectif, qui est d’améliorer la sécurité dans nos communautés. Contrairement à d’autres pays, il faut que la possession d’arme demeure un privilège, et non un droit. Inévitablement, ce message de cohérence doit aussi être envoyé aux plus jeunes, surtout lorsqu’on sait que ce sont trop souvent les jeunes adultes qui utilisent et banalisent les armes à feu.
Enfin, l’Association des directeurs de police du Québec reconnaît que le projet de loi actuel part d’une intention noble et réitère son appui, tout en mettant un bémol. Nous tenons à rappeler qu’il est primordial, pour assurer la sécurité, que le gouvernement fédéral procède à des ajustements au projet de loi actuel en y incluant les éléments suivants : la corrélation entre le permis d’armes existant et les munitions, la création d’un registre d’achat de munitions, même s’il s’agit d’un exercice fort complexe, l’interdiction de la possession de pièces d’armes à feu sans permis et l’obligation, pour les fabricants de pièces d’armes à feu, d’émettre un numéro de série pour assurer la traçabilité. Je vous remercie et je suis disponible pour répondre à vos questions.
[Traduction]
Le président : Merci beaucoup, monsieur Deramond.
Chers collègues, le troisième témoin de ce groupe est M. Edward Lennard Busch, directeur général de l’Association des chefs de police des Premières Nations.
Vous pouvez y aller dès que vous êtes prêt, monsieur Busch.
Edward Lennard Busch, directeur général, Association des chefs de police des Premières Nations : Au nom de l’Association des chefs de police des Premières Nations, je veux que vous sachiez que nous vous sommes sincèrement reconnaissants de nous avoir invités à donner notre avis sur le projet de loi C-21. C’est un honneur et un privilège d’avoir l’occasion de vous faire part de nos réflexions et de contribuer à la discussion sur ce projet de loi critique.
L’Association des chefs de police des Premières Nations, l’ACPPN, représente les organismes d’application de la loi autochtones autogérés du Canada. L’organisme a été créé en 1993 dans le but fondamental de défendre et de promouvoir les intérêts, les droits et la sécurité des collectivités autochtones grâce à des stratégies policières efficaces.
Nos membres comprennent des chefs de police et des chefs de diverses communautés des Premières Nations ainsi que des partenaires policiers. L’ACPPN est une plateforme servant à la collaboration, à l’échange de connaissances et à l’élaboration de pratiques adaptées à la culture en matière d’application de la loi. Ces pratiques qui sont adaptées aux traditions et aux besoins uniques des peuples autochtones, tiennent compte de leur patrimoine culturel distinct et encouragent les méthodes policières axées sur la communauté.
Nous travaillons dur pour établir des partenariats entre les communautés autochtones, les organismes gouvernementaux et les organismes d’application de la loi aux paliers locaux, provinciaux et fédéral. Grâce à ces alliances, l’ACPPN vise à s’attaquer aux difficultés complexes auxquelles font face les populations autochtones, y compris en ce qui concerne la prévention des crimes, la sécurité publique et la préservation des valeurs culturelles dans le cadre des pratiques d’application de la loi.
Nous sommes présentement en communication avec Sécurité publique Canada pour fournir des idées et des conseils sur les mesures législatives proposées touchant les services essentiels. Notre voix est reconnue et respectée dans le milieu de l’application de la loi au Canada, et nous jouons ainsi un rôle déterminant pour ce qui est de renforcer les discussions, de favoriser la compréhension et de promouvoir des stratégies efficaces, tout cela en priorisant le bien-être et la sécurité des collectivités autochtones dans tout le Canada.
Il est impossible d’obtenir un consentement absolu sur cet enjeu, parce que les services policiers autochtones du Canada sont aussi diversifiés que les nombreuses collectivités desservies par les services de police autochtones autogérés et vu les différences géographiques, de taille, de capacité, de croyances culturelles et de structures des gouvernements locaux.
Relativement à la capacité, l’ACPPN reconnaît et appuie les communautés autochtones qui peuvent, et qui veulent même à tout prix, avoir la capacité inhérente de s’autogérer et de faire appliquer les lois autochtones en ce qui concerne l’utilisation des armes à feu dans leurs communautés.
Certaines communautés autochtones ont adopté des stratégies exhaustives qui fonctionnent bien, et elles espèrent que leur droit à le faire sera reconnu et reflété dans ce projet de loi. Cela dit, quelques aspects du projet de loi seraient largement soutenus par un grand nombre de nos services policiers, ce qui reflète les graves préoccupations de nos collectivités à propos de la violence liée aux armes à feu.
Nous reconnaissons que le projet de loi C-21 reflète le fait que le gouvernement a reconnu que lutter contre la violence liée aux armes à feu requiert une approche multidimensionnelle comprenant l’éducation, la prévention et l’application de la loi. Nous reconnaissons l’importance de cette stratégie exhaustive pour lutter contre les causes profondes de la violence, et aussi pour neutraliser les éléments criminels qui causent préjudice à nos communautés.
L’ACPPN est généralement d’accord avec l’approche naturelle préconisée dans le projet de loi C-21, qu’elle préfère à une stratégie fragmentée axée sur les municipalités ou les communautés pour gérer les problèmes liés aux armes à feu. Nous recommandons fortement la prise de mesures visant à réduire l’accès des criminels aux armes à feu, mais qui respectent le droit des Autochtones respectueux de la loi de s’adonner à des activités et à des sports traditionnels.
Honorables sénateurs et sénatrices du Comité sénatorial permanent, l’Association des chefs de police des Premières Nations veut insister sur le fait que, même si le projet de loi C-21 est un élément crucial pour accroître la sécurité des communautés autochtones au Canada, son efficacité va dépendre d’autres éléments complémentaires. Nous voulons souligner la nécessité que ce projet de loi soit accompagné de réformes profondes de la mise en liberté sous caution et de l’établissement de la peine, ainsi que de mesures exhaustives ciblant les facettes multidimensionnelles de la violence dans les communautés.
Donc, l’ACPPN reconnaît l’importance du projet de loi C-21. Il souligne l’importance d’adopter une approche multidimensionnelle comprenant de multiples stratégies pour cibler efficacement les causes profondes de la violence et pour garantir un avenir plus sûr aux communautés autochtones de tout le pays. Il est essentiel d’insister sur le fait que la restriction de la possession légitime d’armes à feu ne permettrait pas à elle seule de lutter efficacement contre le cœur du problème, c’est-à-dire l’afflux d’armes à feu illégales provenant des États-Unis, lesquelles contribuent à une hausse troublante de la violence liée aux armes à feu dans nos communautés et dans tout le pays. Cette hausse est principalement liée aux gangs, aux gangs de rue et aux groupes criminels très organisés.
Dans bien des cas, en particulier dans les régions rurales, les services de police autochtones tombent sur des armes d’épaule légales modifiées, ce qui en fait des armes interdites. L’entreposage sécuritaire est également un problème dans bien des communautés autochtones, où les agents de police trouvent souvent des armes à feu dans des véhicules ou dans des résidences, où rien n’a été prévu au chapitre des verrous d’armes ou des armoires à fusil sécurisées. Par conséquent, nous soutenons également les nouvelles infractions liées aux armes à feu, les patrouilles frontalières armées et l’augmentation des peines, car elles vont dissuader les gens de s’engager dans des activités criminelles, combattre la contrebande et le trafic d’armes à feu et empêcher l’introduction d’armes à feu illégales dans nos communautés.
L’ACPPN préconise aussi fortement les initiatives visant l’usage criminel et la revente des armes à feu sur le marché noir.
De plus, nous approuvons la loi « drapeau rouge » qui vise à réduire la violence fondée sur le genre et la violence conjugale, ainsi que l’automutilation, en limitant l’accès aux armes à feu des personnes qui présentent un risque. Ces initiatives cadrent avec notre engagement à assurer la sécurité et le bien-être des collectivités.
Il est malheureux que, dans certaines régions du Canada, les outils mis à la disposition de la police au titre de la Loi sur les foyers familiaux situés dans les réserves et les droits ou intérêts matrimoniaux, comme les ordonnances de protection d’urgence, n’aient pas encore été mis en place. On ne cesse de nous répéter que cela est dû au fait que les juges et les procureurs de la Couronne n’ont pas encore été formés à appliquer les dispositions de cette loi et qu’ils n’intenteront aucune poursuite en vertu de cette loi.
De plus, nous approuvons les changements qui donnent aux organismes d’application de la loi un meilleur accès à l’information sur les détenteurs de permis impliqués dans de présumées activités criminelles.
En conclusion, l’ACPPN est favorable à l’amélioration de la sécurité du public et des agents qui travaillent sur le terrain. Nous adhérons aux principes du projet de loi C-21 en insistant sur la nécessité d’avoir des directives claires qui décrivent les rôles et responsabilités des services policiers dans le cadre de l’application de ces règlements. Il est essentiel d’établir un équilibre entre les besoins des propriétaires d’armes à feu responsables et les mesures de protection si l’on veut atténuer les effets néfastes des armes à feu sur nos communautés.
En tant que championne des droits et des traditions autochtones, l’ACPPN maintient son engagement à collaborer avec les entités gouvernementales pour s’assurer que les mesures visant l’application des règlements sur les armes à feu tiennent compte de l’ensemble des besoins et des valeurs des communautés autochtones du Canada.
Nous remercions le Comité sénatorial de nous avoir permis de lui faire part de nos points de vue sur le projet de loi C-21. Nous sommes reconnaissants de l’attention que vous avez portée à nos réflexions sur les droits et la sécurité des communautés autochtones et sur la manière dont cette loi touche nos différents groupes.
Merci de l’importance que vous avez accordée à nos points de vue.
Le président : Merci, monsieur Busch. Nous allons passer aux questions. La première question revient à notre vice-président, le sénateur Dagenais.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Ma question s’adresse à M. Deramond.
Monsieur Deramond, croyez-vous que le projet de loi C-21 répond assez largement aux préoccupations des services de police, qui doivent lutter contre des criminels qui sont de plus en plus jeunes et qui utilisent des armes à feu pour établir leur territoire? Croyez-vous que le problème des jeunes qui sont armés est bien plus une responsabilité législative qu’une responsabilité judiciaire où les peines ne sont pas suffisamment dissuasives?
M. Deramond : Merci de votre question, sénateur Dagenais. Vous avez tout à fait raison. C’est un peu ce dont j’ai parlé dans mon allocution sur la cohérence des messages.
Avec le projet de loi C-21, on veut être plus sévère pour certains aspects de la loi, et c’est tant mieux pour certains secteurs de la criminalité. Toutefois, pour d’autres secteurs de la criminalité, est-ce que cela répond essentiellement aux problèmes auxquels le Québec est confronté? Non, mais c’est un bon début. On ne peut pas être contre l’amélioration de la sécurité des communautés. Ce n’était nullement notre intention de dire le contraire, mais il faudrait que le message soit aussi clair pour les jeunes, qui sont instrumentalisés par le crime organisé pour décharger des armes à feu, mettre un peu de dichotomie ou commettre des crimes dans les différentes communautés. Il y a donc une banalisation des armes à feu de la part de nos jeunes adultes. Il faut envoyer un message sur l’importance que l’on accorde à un projet de loi, aux armes à feu et à tous les moyens que l’on peut mettre en place pour améliorer cette sécurité.
Le sénateur Dagenais : Les amendements que vous venez de proposer dans votre présentation ont-ils été présentés lors de l’étude menée par les députés? Si oui, pourquoi votre message n’aurait-il pas été entendu, selon ce que vous dites?
M. Deramond : Une partie de ces amendements a été proposée, effectivement. On avait proposé plus que cela. J’ai mentionné le projet de loi C-5, qui a été adopté. Plusieurs d’entre nous avaient fait des propositions en ce qui concerne le projet de loi C-5, mais elles n’ont pas été retenues.
Cela dit, je ne peux pas vous dire pourquoi ces propositions n’ont pas été prises en compte. À la suite des derniers ajustements de la loi relatifs aux pièces d’armes à feu, en ce qui concerne la « mesure drapeau rouge », tout cela, bien sûr, ne se trouvait pas dans la première version. C’est pour cette raison que l’on présente de nouveau certaines propositions.
Le sénateur Dagenais : Ma prochaine question s’adresse à M. Busch.
Le projet de loi C-21 est un texte de loi qui comporte un volet visant à assurer la protection des femmes contre la violence conjugale, y compris chez les Autochtones. Le projet de loi C-21 garantit les droits ancestraux des Premières Nations par rapport aux armes à feu. Or, les représentants des communautés que vous avez entendues disent que les services de police autochtones sont en mesure de faire face à la violence en milieu familial lorsqu’il y a présence d’armes à feu. Quel est votre point de vue sur les risques que cela comporte et comment pouvez-vous agir?
[Traduction]
M. Busch : Je suis heureux que ça soit dans le projet de loi. Je sais que des dispositions législatives semblables à celles qui sont prévues dans la Loi sur les foyers familiaux situés dans les réserves et les droits ou intérêts matrimoniaux, en ce qui concerne les ordonnances de protection policière, ont été utilisées principalement au Québec et en Ontario, alors que d’autres provinces ont tardé à accorder ces pouvoirs à la police. Donc, le renforcement de ces pouvoirs, dans le cadre de ce projet de loi, serait positif et utile.
Le sénateur Plett : Monsieur Fordy, l’une des tâches du comité dont vous faites partie est d’examiner la situation actuelle au chapitre des armes à feu d’un point de vue législatif afin d’évaluer l’efficacité des lois actuelles et de cerner les points à améliorer ou à changer. Le projet de loi C-21 n’a aucune incidence sur les problèmes de la contrebande d’armes à feu ou de leur utilisation à des fins criminelles. En fait, d’autres lois adoptées par le gouvernement, notamment le projet de loi C-5, réduisent les peines prévues pour certains crimes liés aux armes à feu.
La visée principale du projet de loi est d’empêcher à l’avenir l’achat et la vente d’armes de poing légales, ce qui ne retirera pas ces armes à feu de la circulation, du moins, pas rapidement. Ce projet de loi parvient cependant à mécontenter les propriétaires d’armes à feu légales et à accentuer les divergences d’opinions sur la question au Canada.
Monsieur Fordy, si vous regardez le projet de loi C-21 dans son ensemble, sous l’angle de votre mandat d’évaluer l’efficacité de ce projet de loi, quelle note lui donneriez-vous, sur une échelle de 1 à 10, pour l’efficacité?
M. Fordy : Merci d’avoir posé la question. Il est difficile de savoir quel effet aura le projet de loi à long terme. Je reconnaîtrais que le projet de loi ne vise pas les causes profondes de la criminalité ni les raisons pour lesquelles les gens adoptent un mode de vie criminel et, en fin de compte, possèdent des armes à feu. Il ne vise pas les causes profondes de la violence familiale. J’espère cependant que, au fil du temps, nous verrons les possibilités d’avoir une arme à feu diminuer et qu’elles deviendront de moins en moins lucratives et rentables pour les gens qui cherchent à faire de l’argent en menant des activités criminelles.
Le sénateur Plett : Bien entendu, personne ne conteste que les organisations criminelles ne devraient pas posséder d’armes à feu. Nous parlons des propriétaires légitimes d’armes à feu. Croyez-vous que ce projet de loi est efficace? J’aimerais que vous me disiez un peu plus précisément comment ce projet de loi parviendra efficacement à faire ce que vous voulez faire. Personne ne dit qu’il ne faut pas sévir contre la contrebande d’armes à feu. Toutes les organisations policières nous disent que c’est l’un des plus grands problèmes, mais le projet de loi ne l’aborde pas.
Ma prochaine question s’adresse à tous les témoins. Le ministre a comparu devant notre comité, ici, et nous a dit que le gouvernement a mené de vastes consultations, laissant entendre que presque toutes les associations et organisations ont été consultées.
Très brièvement, monsieur Fordy et les autres témoins, vos organisations et associations policières ont-elles été consultées avant le dépôt de cette version-ci du projet de loi — je ne parle pas d’une autre version, mais de cette version-ci? Avez-vous été consultés à ce sujet?
M. Fordy : Ma dernière consultation, c’était avec le ministre Mendicino, et non avec le ministre actuel, mais avec le ministre précédent, pour répondre à votre question précisément.
Le sénateur Plett : Non, c’est parfait; je vous remercie. Mais il vous a consulté au sujet de ce projet de loi.
M. Fordy : Je ne me souviens pas de la date exacte à laquelle j’ai rencontré le ministre. Je croyais que vous m’aviez demandé si j’avais eu une consultation avec le ministre actuel, et non avec le précédent. Je n’ai pas eu de consultation avec le ministre actuel.
Le sénateur Plett : Je suis désolé si je n’ai pas été clair. Je voulais savoir si vous aviez eu une consultation avec le gouvernement, que ce soit avec ce ministre-ci, un autre ministre ou un comité.
Mais je pose la question aux deux autres témoins aussi; vos associations policières ont-elles été consultées? Monsieur Busch, répondez en premier.
M. Busch : Nous avons eu nous aussi une conversation avec le ministre précédent, le ministre Mendicino. Je ne dirais pas que c’était une consultation approfondie. Nous avons plus ou moins été informés que c’était un enjeu imminent et que le gouvernement souhaitait avoir l’appui de l’Association de chefs de police des Premières Nations, mais nous n’avons pas été beaucoup informés à ce moment-là.
Je ne sais pas si, depuis, notre association a été consultée. Je ne pourrais pas dire si les chefs de police particuliers ont eu d’autres échanges avec le gouvernement à ce sujet.
Le sénateur Plett : Merci; et qu’en est-il de l’Association des directeurs de police du Québec, monsieur? Avez-vous été consultés?
[Français]
M. Deramond : C’est la même chose de notre côté. On a eu une discussion avec le cabinet du ministre et le ministre, mais c’était plus une présentation qu’une consultation.
[Traduction]
Le sénateur Plett : C’est une chose que ce gouvernement-ci sait faire. Il dit quelque chose, puis il vous dit qu’il y a eu des consultations.
La sénatrice M. Deacon : Je remercie les témoins de s’être joints à nous aujourd’hui. Nous avons attendu très longtemps avant d’avoir la possibilité de vous écouter aujourd’hui, et j’en suis donc reconnaissante.
Ma première question concerne les armes à feu fantômes, et plus particulièrement celles qu’on peut télécharger et imprimer. Nous avons eu tout récemment l’occasion de voir comment cela se fait, et c’est plutôt incroyable. L’article 1.4 du projet ajoute au Code l’article 102.1, qui criminalise la possession ou la consultation de données informatiques qui permettraient la fabrication illégale d’armes fantômes avec une imprimante 3D, par exemple, ou la distribution ou la publication de données servant à la fabrication d’armes fantômes ou permettant leur fabrication. Comment, selon vous, cette disposition sera-t-elle appliquée? Avez-vous la capacité de mener des enquêtes sur ce nouveau type de cybercriminalité?
Je vais commencer par M. Bill Fordy. Merci.
M. Fordy : Merci d’avoir posé la question, par l’intermédiaire du président. Je peux vous confirmer que les armes à feu fabriquées par des particuliers ou les armes fantômes sont probablement le principal sujet de nos discussions avec nos collègues du Canada et aussi des États-Unis, puisque nous constatons que c’est de plus en plus répandu aux États-Unis.
Pour ce qui est de notre capacité à enquêter, comme c’est le cas pour toute tendance émergente ou tout nouveau problème, nous allons mettre au point une échelle. Nous ne connaissons pas encore tout à fait les défis auxquels nous faisons face. Nous entretenons un dialogue à ce sujet. La Police provinciale de l’Ontario, nos collègues du Québec et nos collègues de l’Alberta mènent des enquêtes. Je suis un ancien agent de la police montée. J’ai passé 28 ans en Colombie-Britannique. J’ai parlé avec mes collègues responsables de l’Unité d’exécution spéciale des forces combinées et de ce qui est communément appelé la Section des crimes graves de la Division E, et il s’agit là aussi d’un enjeu émergent.
À mesure que cet enjeu prend de l’importance, nous nous y adapterons le mieux possible, mais nous n’en sommes pas encore au point d’avoir un groupe de travail chargé de ce problème précis. Mais nos collègues des États-Unis y sont maintenant rendus à San Diego, à San Francisco et à Los Angeles. J’ai assisté à des exposés et rencontré quelques enquêteurs.
La sénatrice M. Deacon : Merci.
J’ai entendu des gens parler, mais surtout vous, monsieur Busch, brièvement des lois « drapeau rouge », et j’ai entendu votre témoigne à ce sujet. Nous avons entendu des témoins précédents dire que la loi « drapeau rouge » proposée suscite l’inquiétude; on craint que les agents de police ne disent aux victimes de violence conjugale de demander elles-mêmes des ordonnances d’interdiction d’urgence d’armes à feu, et cela soulève les préoccupations habituelles concernant l’accès inéquitable à la justice.
J’aimerais connaître vos opinions sur la question et vous donner l’occasion de réagir. Je commencerai par M. Busch, parce que vous en avez parlé en premier, vous avez abordé le sujet, et je veux m’assurer de vous avoir bien compris.
M. Busch : Merci beaucoup. Les dispositions du projet de loi C-21 visant à contrer la violence conjugale, ou ce que l’on appelle les lois « drapeau rouge », ressemblent à différentes lois adoptées dans quelques États américains. Je crois qu’elles nous seraient utiles dans notre lutte contre toutes les formes de violence dans nos communautés. Comme vous le savez, la violence conjugale est un problème considérable dans bon nombre de nos communautés. Il y a une telle diversité d’opinions parmi les services policiers du Canada, selon les diverses causes, qu’il est difficile de donner une réponse définitive que tout le monde approuverait. Si je me fie simplement aux conversations que j’ai eues avec certains de nos chefs, je crois être arrivé à un consensus un peu vague à ce sujet.
La sénatrice M. Deacon : Merci.
Le sénateur Richards : Je remercie les témoins de leur présence. Avant de poser ma question, j’aimerais simplement dire qu’il y a six agents de police dans ma famille, des agents de la GRC et des policiers municipaux; je veux donc qu’ils soient aussi bien protégés que tout le monde, dans le pays.
Mais je crois que cette loi va un peu à la dérive et que c’est un tour de passe-passe. J’aimerais connaître le point de vue de M. Fordy à ce sujet.
Le problème, c’est que nous associons en quelque sorte les armes fantômes et les armes de poing illégales aux armes détenues légalement et aux fusils de chasse et que nous les avons tous mis dans le même panier, même si nous prétendons le contraire. Cette loi ne fait pas aussi bien cette distinction qu’elle le devrait.
Donc, une fois de plus, ce même projet de loi vise autant les armes à feu légales et les propriétaires légitimes que les armes à feu fantômes et les armes de poing liées aux gangs. C’est, à mon sens, plutôt irresponsable. Des milliers de personnes responsables pourraient devenir suspectes. Je me demandais si M. Fordy pouvait faire un commentaire à ce sujet, s’il vous plaît.
M. Fordy : Merci de la question, sénateur. Pour être honnête, je n’ai pas envisagé les choses sous cet angle. J’ai plutôt considéré le rôle que jouent les propriétaires légitimes d’armes et je crois que ce qui les touche le plus c’est, comme l’ont mentionné d’autres témoins, le fait que la plupart des armes utilisées par des membres de gang pour commettre un crime proviennent des États-Unis, principalement du Texas; mais cela n’enlève rien au fait que, au Canada, des gens qui sont des propriétaires légitimes d’armes se font voler leurs armes, comme vous l’avez dit, et que ces armes se retrouvent donc entre les mains de criminels.
Donc, l’adoption d’une loi qui diminue aussi cette possibilité augmente également ou améliore, je crois, la sécurité publique partout au pays, surtout dans les régions urbaines, où les armes de poing semblent être plus courantes que les armes d’épaule; mais c’est mon opinion.
Le sénateur Richards : Donc, cela brime vraiment les gens qui respectent la loi, les bons citoyens canadiens qui possèdent légalement une arme de poing, voire un fusil de chasse, parce que quelqu’un pourrait, à un moment ou un autre, entrer chez eux par effraction, fouiller dans leurs choses et voler cette arme. Pourriez-vous répondre à cela, monsieur?
M. Fordy : Donc, vous me demandez si je crois que c’est possible ou si je crois que c’est juste?
Le sénateur Richards : Les deux. Notre propriété nous appartient. Si quelqu’un entre chez nous, saccage tout et trouve une arme, qu’il s’agisse d’un fusil, d’une arme de calibre .303 ou d’une arme de poing de calibre .22, nous ne pouvons pas être responsables du monde entier quand nous tentons de vivre de notre mieux dans le respect des lois. Nous ne pouvons pas prendre de décisions sur ce qui pourrait arriver dans l’avenir.
Le président : J’ai bien peur que le temps ne soit écoulé. Je propose de considérer cela comme une déclaration, plutôt que comme une question.
Le sénateur Richards : D’accord, aucun problème. J’ai dit ce que j’avais à dire. Merci.
Le sénateur Cardozo : J’aimerais m’adresser aux trois témoins; nous avons entendu différents témoignages, comme vous le savez. D’une part, il y a des gens, comme les représentants de la Fédération des pêcheurs et des chasseurs de l’Ontario, qui craignent que cette loi ne mine grandement la culture des armes de poing. D’autre part, un certain nombre d’organisations qui œuvrent entre autres auprès des refuges pour femmes nous ont dit que cette loi est très importante. Ces organisations sont préoccupées parce que la violence familiale et la violence entre partenaires intimes ont atteint les proportions d’une crise — voire d’une épidémie —, et elles croient que ce genre de projet de loi est très important.
Pourriez-vous, chacun à votre tour, nous donner votre avis sur ces deux points de vue opposés?
Je vais commencer par M. Fordy.
M. Fordy : Merci de votre question. Si vous me le permettez, je vais commencer par parler de la violence conjugale.
Je suis d’accord avec ce que certains groupes de défense ont dit, à savoir que ce projet de loi aiderait peut-être à diminuer ou à atténuer la violence entre partenaires intimes et la violence familiale.
En ce qui concerne la loi du drapeau rouge, et plus précisément la crainte que la police n’applique pas la loi parce qu’elle suppose que les victimes, les conseillers, les avocats ou des professionnels de la médecine présentent cette demande, je ne vois pas cela lorsqu’il est question de faire respecter la loi. Je crois que les agents de police savent qu’ils ont la responsabilité — une responsabilité stratégique ou fiduciaire — de composer avec ces problèmes, et des lois ont été adoptées partout au Canada, dans chaque province, afin de rendre ce signalement obligatoire. Donc, je ne suis pas certain de cela, que cela les déresponsabilise ou leur ôte cette responsabilité.
Pourriez-vous me rappeler la deuxième partie de votre question?
Le sénateur Cardozo : Les membres de la Fédération des pêcheurs et des chasseurs qui trouvent que ce projet de loi a une incidence sur leur mode de vie.
M. Fordy : Je crois que, peu importe le projet de loi, personne ne s’entendra jamais sur ce qui est bien ou ce qui est mal. Je comprends que le projet de loi ne propose pas de retirer aux Autochtones les armes à feu qu’ils utilisent pour la chasse, la trappe ou quelque chose dans ce genre, donc je ne sais pas si je peux en dire davantage à ce sujet.
Le sénateur Cardozo : Merci.
Si vous me le permettez, je demanderais seulement à M. Busch de me donner son avis, surtout en ce qui concerne les Autochtones et les gens du Nord qui utilisent des armes pour la trappe et pour subvenir à leurs besoins.
M. Busch : Oui. Un des enjeux qui revient le plus souvent lorsque nous débattons de ce projet de loi concerne le fait que nombre de nos communautés craignent beaucoup que ce projet enfreigne leurs droits inhérents de chasser et de capturer des animaux pour les manger; elles soutiennent que cela ne devrait pas être le cas.
En même temps, je crois que certains aspects de ce projet de loi et d’autres lois pourraient rendre nos communautés plus sécuritaires, même si les armes à feu — surtout les armes d’épaule — y sont courantes. Il faut un entreposage sécuritaire; il faut s’assurer que les gens suivent la formation nécessaire sur la sécurité à la chasse, que l’accès aux armes soit difficile et que les armes soient entreposées de façon sécuritaire. Il faut que la police ait les pouvoirs nécessaires pour enquêter sur les personnes qui ne devraient pas avoir accès à des armes et prendre les mesures nécessaires pour les empêcher d’y accéder facilement.
Le président : Merci. Il nous faut passer à autre chose, je le crains.
[Français]
Le sénateur Boehm : Ma question s’adresse à M. Deramond. Dans un communiqué publié par l’Association des directeurs de police du Québec le 19 février 2021, vous avez indiqué que vous préconisiez une approche globale afin de lutter contre les violences liées aux armes à feu. La prévention, l’éducation et l’application des lois doivent être, selon vous, les pierres angulaires de la stratégie globale pour mieux prévenir la victimisation.
Toutefois, vous avez soulevé certaines inquiétudes par rapport à la capacité d’application uniforme des corps policiers, notamment la capacité de donner aux municipalités certains pouvoirs de réglementation. Vous avez indiqué la même chose dans votre déclaration aujourd’hui. Ces inquiétudes sont-elles toujours d’actualité? Est-ce que le projet de loi, dans sa forme actuelle, y répond de façon suffisante?
M. Deramond : Je vous remercie de la question, sénateur. Le projet de loi répond à une certaine partie du problème; tout à fait. C’est ce qu’on dit. On est favorable aux changements, mais, selon moi, ce n’est qu’un bon début. Il y a d’autres choses dont il faut tenir compte. On parle beaucoup d’une approche équilibrée et on comprend qu’il y a deux volets : il y a un volet beaucoup plus urbain et un volet beaucoup plus rural. On comprend tout cela chez les directeurs de police du Québec. Cependant, dans les cas de violence familiale ou intrafamiliale, il est vrai que très peu d’actes de violence sont commis avec des armes à feu, si on regarde partout au pays. Par contre, lorsque des armes à feu sont impliquées, c’est toujours une tragédie avec une fin horrible. Il faut inévitablement s’y attaquer lorsque des armes à feu sont impliquées.
Pour ce qui est des armes à feu illégales, qui semblent aussi être un problème, je vois mal comment le projet de loi peut s’attaquer à l’illégalité des armes à feu en rendant les armes à feu illégales encore plus illégales. Il y a une difficulté sur le plan de l’application — j’ai parlé aussi de la formation des policiers qui doivent appliquer les lois. Plus on complexifie les lois, plus il faut des formations accrues et des experts pour les appliquer, y compris — je ne sais pas si un de mes collègues en a parlé à M. Busch — pour les procureurs de la Couronne, qui ont de la difficulté à appliquer et à interpréter cette loi.
Ce n’est vraiment pas évident de travailler avec les lois existantes, qui plus est lorsqu’elles sont modifiées; il faut de la communication. Quand on parle d’approche globale, il faut assurer une cohérence avec l’ensemble des lois qui sont étudiées au Parlement et au Sénat.
Le sénateur Boehm : Merci beaucoup.
[Traduction]
Le sénateur Yussuff : Je tiens à remercier tous les témoins de s’être joints à nous et de nous faire part de leurs réflexions.
J’ai une question concernant vos responsabilités, puisque vous représentez les chefs de police de votre territoire et de votre région. Selon vous, est-ce que le projet de loi C-21 est un outil important dans les efforts globaux que vous déployez pour contrer la violence liée aux armes à feu?
Je sais que vous avez été nombreux à parler de différents aspects de ce sujet, mais j’aimerais que vous me donniez chacun un exemple précis de la façon dont ce projet de loi vous aidera à accomplir votre travail au nom des chefs de police de partout au pays.
Je commencerais par M. Fordy.
M. Fordy : Merci, sénateur, de votre question.
Par l’entremise du président, je crois que ce projet de loi est plus utile que nuisible. Je crois que le libellé plus ferme concernant les armes à feu prohibées est utile. Je crois que les efforts visant à diminuer la violence familiale et, comme l’a dit le témoin avant moi, le nombre de victimes de ces incidents, sont utiles.
En termes généraux, brièvement, je crois que c’est utile, oui.
Le président : Monsieur Deramond, voudriez-vous répondre, rapidement?
[Français]
M. Deramond : Au Québec également, nous sommes favorables à la loi. C’est un bon début. Il ne faut pas prendre mes paroles de façon péjorative. On s’attaque à différents volets, mais il faut continuer à faire évoluer le Code criminel. Il faut aussi faire évoluer les outils qui sont donnés aux policiers pour que l’on puisse contrer certaines réalités auxquelles on doit faire face, notamment sur le plan des armes fantômes et de tous les amendements qui ont été apportés. Pour ce qui est de la violence familiale, il y a aussi de bonnes choses qui ont été faites, mais il faut arrimer tout cela avec des législations provinciales et des lois comme la loi Anastasia, que le Québec a adoptée après la mort de cette jeune femme dans la tragédie qui est survenue à Dawson.
Bref, il y a beaucoup de choses belles et cohérentes, mais il y en a d’autres qui le sont un peu moins. Il faudrait donc s’attarder à travailler là-dessus.
[Traduction]
M. Busch : Merci. Comme mes collègues vous l’ont dit, les enjeux diffèrent, étant donné la diversité des services policiers. Certains enjeux concernent essentiellement les régions urbaines ou les grands centres, tandis que d’autres concernent vraiment les régions rurales, donc, ce qui change est différent.
Je sais que, dans la plupart de nos régions, il faut contrôler l’accès facile aux armes. Notre taux de suicide est très élevé; en revanche, si les armes étaient entreposées convenablement, nous pourrions sans doute empêcher un grand nombre de ces suicides. Il en est de même pour la violence entre partenaires intimes. Il doit y avoir des mesures de contrôle.
Pour ce qui est de la police, notre priorité, c’est de nous assurer que les gens sont en sécurité. Certaines des mesures que nous prenons pour y arriver ne font peut-être pas l’unanimité dans la communauté, surtout lorsque les gens sont préoccupés par leurs droits inhérents et des choses du genre. Nous voulons seulement que tous soient en sécurité, et tout outil qu’une loi nous procure peut nous aider à atteindre cet objectif, si la loi est appliquée correctement et qu’elle est aussi appuyée par notre système de justice.
Le président : Merci beaucoup. Nous allons bientôt manquer de temps. Sénateur Carignan, sénatrice Dasko, il vous reste trois minutes chacun.
[Français]
Le sénateur Carignan : Ma question s’adresse au représentant de l’Association des directeurs de police du Québec, mais les autres témoins peuvent aussi intervenir.
Vous avez dit que c’était un peu plus complexe que cela et qu’on devait aborder différents éléments, dont le contrôle et la gestion du trafic d’armes, qui sont des éléments fondamentaux et qui représentent une grosse partie du problème.
On m’a avisé qu’il y avait eu une diminution importante du nombre de policiers de la GRC responsables de contrôler le trafic d’armes, notamment au Québec et en Ontario, étant donné que la PPO et la Sûreté du Québec sont là. La GRC, dans sa gestion de corps de police, diminue le nombre, ce qui fait qu’il y a moins de policiers de la GRC pour contrôler les frontières et le trafic d’armes. Vous héritez donc du problème, et le projet de loi C-21 ne vous viendra aucunement en aide pour le résoudre.
Pouvez-vous en parler davantage?
M. Deramond : Je peux vous répondre que la GRC fait partie de la stratégie CENTAURE, que le Québec a mise en place avec la Sûreté du Québec et les corps de police municipaux.
Je ne répondrai pas pour la GRC, mais je sais très bien qu’ils ont optimisé leurs ressources et qu’ils ont envoyé des gens à des postes frontaliers après avoir fait des analyses et obtenu des renseignements à cet effet sur des endroits clés et stratégiques; c’est un fait.
Maintenant, je laisserai les gens de la GRC...
Le sénateur Carignan : On parle d’une réduction du nombre de policiers au Québec.
M. Deramond : Il y a eu une réduction il y a quelque temps, oui, mais il y a un redéploiement qui est en train de se faire au Québec pour faire suite aux différentes réalités auxquelles on fait face actuellement.
Le sénateur Carignan : En ce qui a trait à la violence conjugale, est-ce qu’il y a d’autres outils en place qui sont plus efficaces ou aussi efficaces, pour éviter de mettre de l’huile sur le feu et d’augmenter les risques de violence? Par exemple, peut‑on se servir d’un engagement à garder la paix ou de différents outils prévus au Code criminel, plutôt que de risquer d’envenimer la situation des personnes, le litige potentiel ou de mettre la victime plus à risque, car celle-ci a peur d’être identifiée comme la personne qui a porté plainte ou déposé une plainte pour faire enlever une arme à un individu?
M. Deramond : Au Québec, il y a des cours spécialisées qui viennent d’être implantées dans toute la province; cela vient donc pallier certains problèmes. Il y a aussi des bracelets antirapprochement. Je sais qu’il y a des propositions en vue d’inclure le facteur coercitif dans la loi. Il y a beaucoup de choses qui sont faites actuellement, pour en arriver justement à trouver des solutions et à donner des outils.
Cependant, une chose est certaine : il ne faut pas mettre toujours le fardeau sur le dos des victimes. La police doit agir dans tous ces dossiers. On doit vérifier, valider et enquêter pour s’assurer que les accusations déposées conformément au modèle du Québec par le procureur de la Couronne sont fondées hors de tout doute raisonnable.
Le sénateur Carignan : Merci.
[Traduction]
Le président : Merci. Ce sera la sénatrice Dasko qui posera la dernière question à ce groupe de témoins.
La sénatrice Dasko : Merci aux témoins de s’être joints à nous aujourd’hui. Ma question s’adresse à M. Fordy. Elle concerne la contrebande.
Nous avons entendu assez souvent durant les témoignages que la contrebande est un problème. Nous avons des armes illégales dans le pays et parfois, l’une des critiques que l’on fait à l’endroit du projet de loi C-21, c’est que celui-ci n’aborde pas du tout la question de la contrebande d’armes, mais, évidemment, il s’agit déjà d’un acte illégal. Cela contrevient déjà à la loi. On en vient à se demander ce que devrait faire ce projet de loi au sujet de la contrebande d’armes, s’il peut réellement faire quelque chose.
Maintenant, si je comprends bien ce que vous avez dit au début de votre témoignage, vous aviez des amendements possibles à proposer pour le projet de loi concernant l’enjeu de la contrebande d’armes. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet? Merci.
M. Fordy : Merci de la question. Quand j’ai fait mes commentaires... je n’ai pas de recommandations précises, mais elles concerneraient, entre autres, un meilleur partage d’information, la mise en place de financement, des dispositions relatives à l’établissement des peines pour les gens qui entrent dans notre pays.
En ce qui concerne l’interopérabilité et la contrebande transfrontalière, je peux vous dire que, en Ontario, la présence de la GRC est accentuée. Nous avons créé des unités d’exécution spéciale des forces combinées, dont l’une est située dans la région que je sers. Ce travail est mené par la GRC en collaboration avec les administrations municipales et la Police provinciale de l’Ontario. L’interopérabilité et le partage d’information et de renseignement sont au rendez-vous, ce qu’il n’y a peut-être pas ailleurs — du moins si j’ai compris les commentaires de mon ami du Québec. Mais, en Ontario, la GRC continue d’accroître sa présence et de jouer un rôle plus important.
À long terme, sur la question de la sécurité frontalière, l’Agence des services frontaliers du Canada, l’ASFC, doit et devrait jouer un plus grand rôle. Une augmentation de son financement et de ses pouvoirs serait appréciée. Lui permettre de nous communiquer davantage d’information nous aiderait.
La sénatrice Dasko : Si je comprends bien, en fait, vous ne suggérez pas d’amendements au projet de loi C-21; vous proposez des changements et des améliorations qui ne concernent pas le processus législatif, mais plutôt l’application de la loi et des programmes, c’est bien cela?
M. Fordy : Oui, c’est exact.
La sénatrice Dasko : Bien. C’était la précision dont j’avais besoin. Merci.
Le président : Merci beaucoup.
Chers collègues, c’est tout pour notre premier groupe. J’aimerais sincèrement remercier M. Fordy, M. Deramond et M. Busch. Nous vous remercions grandement pour votre temps et votre expertise du sujet. Nous avons beaucoup appris. Au nom de mes collègues ici présents, un gros merci.
Nous allons poursuivre avec le prochain groupe de témoins. Pour ceux qui viennent de se joindre à la séance aujourd’hui, nous étudions le projet de loi C-21, Loi modifiant certaines lois et d’autres textes en conséquence (armes à feu), qui concerne la réglementation des armes à feu au Canada.
Dans ce groupe de témoins, nous avons le plaisir d’accueillir Mme Fiona Wilson, cheffe de police adjointe, Service de police de Vancouver. Nous accueillons aussi, par vidéoconférence, M. Mandip Mann, sous-commissaire, Unité d’exécution spéciale des forces combinées — Colombie-Britannique, et Joel Hussey, inspecteur, Unité d’exécution spéciale des forces combinées — Colombie-Britannique, tous deux de la Gendarmerie royale du Canada. Merci de vous être joints à nous aujourd’hui. Je vous invite à faire vos déclarations liminaires, après quoi les membres poseront leurs questions. Chaque organisation a cinq minutes pour cela. Nous commencerons par Mme Fiona Wilson, cheffe de police adjointe. Quand vous êtes prête, allez-y.
Fiona Wilson, cheffe de police adjointe, Service de police de Vancouver : Bon après-midi, monsieur le président et membres du comité. Merci beaucoup de m’avoir invitée ici aujourd’hui.
J’ai été agente de police au Service de police de Vancouver, le VPD, pendant 25 ans, et j’ai passé la majeure partie de ma carrière à enquêter sur les crimes violents, la violence des gangs, le crime organisé et les infractions liées aux armes à feu. Actuellement, je supervise la division des enquêtes, qui s’occupe entre autres des homicides, du crime organisé, des enquêtes spéciales, de la cybercriminalité, avec des unités de soutien connexes, y compris la surveillance, les activités d’infiltration, les services médico-légaux et de notre laboratoire d’armes à feu. J’ai vu de mes propres yeux les conséquences de la violence liée aux armes à feu sur les communautés de partout au Canada et j’ai noté la prolifération des armes à feu illégales, des répliques d’armes à feu et des dispositifs illégaux comme les chargeurs à grande capacité et les silencieux.
À ce jour, en 2023, nous avons eu à Vancouver 22 incidents avec coups de feu qui ont fait trois morts et 16 blessés. Quinze de ces 21 incidents sont liés à des gangs ou sont soupçonnés de l’être.
Compte tenu de mon expérience, je crois que les amendements prévus au projet de loi C-21 reflètent la nécessité d’avoir une approche nationale visant la réduction de la violence liée aux armes à feu, et je crois que ces amendements donneront à la police des outils très utiles dans la lutte contre les crimes impliquant des armes à feu au Canada. Il est facile de simplement retirer un rivet d’un chargeur pour augmenter sa capacité, et les dangers des chargeurs à grande capacité pour les communautés, la police et les délinquants eux-mêmes sont importants.
La nouvelle infraction liée à la modification d’un chargeur donnera aux agents de police les occasions dont ils ont besoin pour faire respecter la loi et enquêter. Ces nouvelles infractions donnent aux agents de police la capacité de porter des accusations contre des délinquants et de demander des autorisations judiciaires qui ciblent des infractions précises.
Moderniser la définition juridique d’une réplique d’arme à feu et imposer des contrôles sur l’importation, l’exportation et la vente de répliques d’aspect réaliste aideront la police à lutter contre l’utilisation bien réelle de répliques d’armes à feu dans le cadre d’infractions criminelles.
De plus, cet amendement aidera la police à faire face à la tendance croissante consistant à modifier des armes de type « airsoft », ou à air comprimé, réalistes pour tirer des munitions réelles. Les mesures « drapeau rouge » permettront aux citoyens d’accéder à des procédures autorisées par les tribunaux pour restreindre l’accès d’une personne aux armes à feu, donneront à la police le pouvoir de rechercher et de saisir des armes à feu et protégeront les victimes de violence familiale et les personnes qui risquent de s’automutiler.
Une tendance continue est l’émergence d’armes à feu de fabrication privée, communément appelées armes fantômes. Nous voyons de plus en plus d’armes fantômes dans le conflit entre gangs du Lower Mainland, en particulier entre les mains de personnes impliquées dans des complots actifs en vue de commettre un meurtre et de personnes soupçonnées de travailler comme tueurs à gages. Il y a de nombreuses années, les armes à feu imprimées en 3D pouvaient tirer un à deux coups avant de faire défaut. Maintenant, les armes imprimées en 3D fabriquées dans notre laboratoire du Service de police de Vancouver, ou VPD, peuvent tirer plus de 10 000 coups sans problème. L’impression 3D à projection de métal liquide augmentera encore cette capacité au point où il sera impossible de distinguer une arme à feu imprimée en 3D d’une arme à feu fabriquée commercialement. L’ajout d’une nouvelle catégorie d’armes à feu prohibées pour inclure les armes à feu fabriquées illégalement permettra aux procureurs de définir plus facilement ces armes à feu dangereuses devant les tribunaux.
L’ajout de la nouvelle définition d’une pièce d’arme à feu qui inclut le canon et les glissières contribuera à endiguer la menace urgente et réelle que représentent les armes à feu de fabrication privée. Pour l’heure, les canons et les glissières ne sont pas réglementés et sont commandés en gros par ceux qui impriment en 3D la partie actuellement réglementée de l’arme, c’est-à-dire la culasse.
À l’heure actuelle, il est légal de posséder des données informatiques relatives à l’impression d’armes à feu de fabrication privée en 3D. Comme vous le savez tous, le projet de loi C-21 créera les infractions requises que la police pourra utiliser à tous les niveaux d’enquête, ce qui rendra illégales la possession et la vente de ces données. Avec la menace future de l’impression 3D métallique, l’impression de glissières et de canons à la maison sera possible d’ici trois à cinq ans à peine. Cette section du projet de loi fournira à la police des outils pour lutter contre la capacité des criminels à imprimer entièrement toutes les pièces d’arme à feu à la maison.
Je serais également en faveur d’un financement accru pour les équipes spécialisées de lutte contre les armes à feu afin de cibler de manière proactive les délinquants qui importent, fabriquent et font le trafic d’armes à feu dont la possession est illégale. L’Association canadienne des chefs de police, ou ACCP, a créé un groupe de travail sur les armes à feu de fabrication privée, en complément du Comité sur le crime organisé de l’ACCP et du Comité spécial sur les armes à feu de l’ACCP afin d’élaborer une stratégie nationale d’éducation.
Je serais également favorable à une augmentation du financement pour l’analyse génétique. La Couronne préfère souvent la preuve génétique comme élément de preuve de possession d’une arme à feu.
Enfin, j’aimerais remercier le comité de son travail continu face aux menaces réelles que la possession illégale d’armes à feu fait peser sur les collectivités partout au Canada. Merci.
Le président : Merci beaucoup, madame Wilson.
Mandip Mann, sous-commissaire, Unité d’exécution spéciale des forces combinées, Colombie-Britannique, Gendarmerie royale du Canada : Bonjour, monsieur le président et membres du comité. Merci de m’avoir invité à être avec vous aujourd’hui. Je m’appelle Mandip Mann, commissaire adjoint, Unité mixte d’enquête sur le crime organisé de la Colombie-Britannique, ou UMECO-CB, et directeur de l’Agence de lutte contre le crime organisé de la Colombie-Britannique.
Le mandat de l’UMECO-CB, en tant qu’unité antigang intégrée de la Colombie-Britannique, est de cibler, d’enquêter, de poursuivre, de perturber et de démanteler les groupes criminels organisés et les individus qui représentent le risque le plus élevé pour la sécurité publique en raison de leur implication dans la violence des gangs.
Avec le soutien de la province de la Colombie-Britannique et le leadership de l’Agence de lutte contre le crime organisé de la Colombie-Britannique, un service de police provincial qui travaille au sein de l’UMECO-CB, le Crime Gun Intelligence and Investigations Group, appelé CGIIG, a été créé en 2019. L’inspecteur Hussey de la GRC, officier responsable du CGIIG, est ici avec moi aujourd’hui et répondra à bon nombre de vos questions.
Le CGIIG a pour mandat d’enquêter sur les personnes et les groupes impliqués dans le trafic, la contrebande et la fabrication d’armes à feu illégales. Le CGIIG est composé d’une unité de renseignement, d’une équipe d’enquête et d’un laboratoire d’analyse judiciaire des armes à feu. Le modèle de CGIIG a permis de faire progresser les enquêtes sur les armes à feu, de cultiver et d’échanger des renseignements, ainsi que de procéder à des examens judiciaires d’armes à feu en temps opportun.
Il reste des domaines à améliorer, mais le concept d’opérations consistant à combiner les trois domaines sous un seul commandement a permis une plus grande interopérabilité opérationnelle et s’est avéré être une meilleure pratique.
La lutte contre les armes à feu illégales est un élément extrêmement important de la lutte contre les gangs et le crime organisé. En Colombie-Britannique, nous avons constaté une augmentation d’année en année de l’utilisation d’armes à feu de fabrication privée par les groupes criminels organisés, qui sont probablement aussi attirés par les armes à feu de fabrication privée parce qu’elles sont intraçables.
Fait plus préoccupant encore, les fusillades impliquant des armes à feu illégales se produisent dans des lieux publics, tels que des restaurants, des stationnements de magasins et des parcs, ce qui met en danger la vie et la sécurité de passants innocents et érode le sentiment de sécurité de la population. Bien que le nombre total d’armes à feu de fabrication privée saisies ne soit pas important, il est clair que la tendance à utiliser des armes à feu de fabrication privée augmente à mesure que les armes de poing deviennent moins accessibles. L’utilisation d’armes de type « airsoft » transformées et d’armes à feu imprimées en 3D devient également fréquente dans nombre de nos enquêtes, tant dans les grandes villes que dans les petites localités de la Colombie-Britannique.
Cela peut également être très lucratif, car une arme à feu peut être imprimée en 3D pour moins de 1 000 $ et vendue pour plusieurs milliers de dollars sur le marché noir. Au fur et à mesure que la complexité des cas et l’utilisation de nouveaux modèles 3D augmentent, nous nous attendons à une pression accrue sur nos services d’assistance en matière d’armes à feu. Ces affaires complexes nécessitent beaucoup de temps, de compétences et d’expertise au moment d’effectuer l’analyse de l’arme à feu et de prouver que l’arme à feu est opérationnelle pour les besoins du tribunal.
De fait, la réduction de la disponibilité, de l’utilisation et de l’impact des armes à feu illégales est l’une des priorités du CGIIG et de l’UMECO-CB. La possession et la distribution de données informatiques utilisées pour produire des armes à feu en 3D à l’aide de divers outils est une tendance que nous observons dans nos enquêtes sur les armes à feu illégales.
Nos capacités de renseignement sont présentement modernisées en prévision du fait que les groupes criminels organisés tenteront de contourner toute nouvelle restriction, notamment en ce qui concerne les pièces d’armes à feu, en se tournant vers le « Web clandestin ». Pour ce faire, nous travaillons en étroite collaboration avec nos partenaires nationaux et internationaux, ainsi qu’avec le monde universitaire, afin de mieux comprendre le paysage du « Web clandestin » et ses risques futurs, ainsi que d’identifier les possibilités d’application de la loi pour réduire la contrebande illégale d’armes à feu et de pièces détachées.
Enfin, le traçage des armes à feu reste une priorité absolue pour nos organisations et est essentiel pour comprendre comment les groupes criminels organisés obtiennent des armes à feu illégales. Depuis sa création, l’équipe de renseignement du CGIIG a réalisé des progrès significatifs dans la mise en œuvre d’un nouveau processus visant à recenser de manière appropriée les saisies d’armes à feu et à retracer toutes les armes à feu utilisées à des fins criminelles en Colombie-Britannique.
Au cours des derniers mois, le Centre national de dépistage des armes à feu a mis en place des capacités de traçage en Colombie-Britannique, ce qui a permis de mieux comprendre le paysage des armes à feu utilisées à des fins criminelles. Grâce au traçage, nous pouvons identifier les fournisseurs d’armes à feu illégales et prendre les mesures qui s’imposent. Les efforts du CGIIG pour tracer les armes à feu sont conformes à l’intention du projet de loi C-21 de réduire la violence armée.
Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de me présenter devant vous aujourd’hui et de vous faire part de notre expérience en Colombie-Britannique.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Mann. Nous allons maintenant passer aux questions. La comparution du groupe de témoins prendra fin à 17 h 10. Je limiterai les questions et réponses à quatre minutes. Je vais lever cette carte pour indiquer qu’il vous reste 30 secondes. Veuillez donc poser des questions succinctes et identifier la personne à qui vous adressez la question. Cela étant dit, la première question revient au sénateur Dagenais, notre vice-président.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Ma première question s’adresse à M. Mann.
Monsieur Mann, on sait qu’une grande partie du problème lié au trafic d’armes illégales — et on fait des saisies — vient du fait que la frontière entre le Canada et les États-Unis est poreuse. Les politiciens nous promettent des résultats en annonçant des investissements à coup de millions.
Au-delà du côté financier, il y a une question de mobilisation et de vision. Mettons de côté le discours rassurant et politique. J’aimerais obtenir des données sur l’augmentation de vos effectifs, notamment au cours des deux dernières années. Quelle a été l’augmentation de vos effectifs pour lutter contre le trafic d’armes à feu? Autrement dit, combien de policiers de plus ont été déployés sur le terrain au pays, et où travaillent surtout ces agents?
[Traduction]
M. Mann : Merci de votre question, sénateur Dagenais. Je n’ai pas avec moi les chiffres exacts concernant l’augmentation des ressources et des effectifs au cours des dernières années. Ce sont des chiffres que nous pouvons certainement obtenir et vous fournir.
En ce qui concerne la contrebande, nous travaillons avec nos homologues américains et partageons du renseignement et de l’information pour faire avancer toute enquête menée à la frontière.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Ma seconde question s’adresse à Mme Wilson.
Madame Wilson, à Montréal, Toronto et Vancouver, entre autres, nous savons que le crime organisé est bien en place. Croyez-vous que le gouvernement aurait pu aller plus loin pour aider vos policiers à combattre les gangs de rue, qui, eux, n’utilisent pas des armes enregistrées? Que pourrait-on changer dans cette loi pour faciliter votre lutte contre les gangs et le crime organisé qui, soit dit en passant, utilisent des armes illégales?
[Traduction]
Mme Wilson : Des parties du projet de loi C-21 abordent certainement cette question en ce qui concerne la détermination de la peine, mais pour nous, toute mesure adoptée qui nous donne des outils supplémentaires pour enquêter sur les personnes qui sont illégalement en possession d’armes à feu est très utile.
Nous reconnaissons que de nombreuses personnes sont des propriétaires légitimes d’armes à feu. Ce ne sont évidemment pas ces personnes qui nous préoccupent du point de vue des gangs du crime organisé. Les dispositions du projet de loi C-21 nous donnent des outils supplémentaires pour lancer nos enquêtes, dont bon nombre découlent de la simple possession d’armes à feu illégales.
Le sénateur Plett : Ma première question s’adresse à la cheffe de police adjointe, Mme Wilson. Dans les deux témoignages que j’ai entendus ici cet après-midi, l’accent était mis sur les armes illégales. Bien entendu, nous sommes tous favorables à la répression des armes illégales et des armes de contrebande. Toutefois, le projet de loi porte sur les armes légales et non sur les armes illégales. Nous avons déjà des lois.
D’après ce que je comprends, chaque arme qu’une personne possède actuellement doit être enregistrée. Je ne pense pas que la plupart des armes à feu soient enregistrées. Par exemple, les armes en 3D ne sont pas enregistrées. Je ne sais pas, madame Wilson, où elles sont utilisées. Je suis en faveur d’une répression à ce sujet, mais en quoi cela concerne-t-il le projet de loi C-21? Ces armes n’ont rien à voir avec le projet de loi C-21.
Désolé, c’était un commentaire et c’est censé être une question. J’aimerais savoir ce que vous en pensez, s’il vous plaît.
Mme Wilson : Il ne fait aucun doute que la plupart des propriétaires légitimes d’armes à feu respectent les règles. Je suis d’accord avec vous : ce ne sont absolument pas ces personnes qui nous préoccupent pour ce qui est de la violence armée dans notre ville. Cependant, toute mesure législative qui nous donne des outils supplémentaires pour lutter contre les personnes en possession illégale d’armes à feu est une chose que nous accueillons favorablement. Il y a assurément des dispositions dans le projet de loi qui font exactement cela.
Nous avons vu des cas à Vancouver où des introductions par effraction dans des résidences et des introductions par effraction contre des vendeurs d’armes à feu ont entraîné dans nos rues la présence d’un plus grand nombre d’armes à feu qui sont tombées entre les mains de personnes qui ne les utilisaient pas de manière légale. Je pense que c’est également une considération en ce qui concerne le projet de loi C-21, à savoir que toute disposition pouvant réduire ou restreindre la probabilité que cela se produise est la bienvenue.
L’une de nos principales préoccupations à Vancouver concerne les armes à feu de fabrication privée.
Le sénateur Plett : Encore une fois, c’est déjà illégal.
Mme Wilson : Cependant, de nombreux éléments du projet de loi C-21 comblent actuellement certaines des lacunes à cet égard dans le projet de loi, notamment au sujet des pièces, par exemple, et le partage des données requises pour fabriquer ces armes fantômes. C’est aussi très bien.
Le sénateur Plett : Selon vous, pour arrêter un seul criminel, nous devrions pénaliser 100 000 propriétaires légitimes d’armes à feu. Je sais que c’est une observation et non une question. Vous n’avez pas besoin de commenter cela.
Mon autre question concerne la mesure « drapeau rouge ». Que fait une telle disposition que vous ne pouvez pas déjà faire sans elle? Vous avez toutes les capacités nécessaires pour faire ce que la mesure « drapeau rouge » autorise. Je peux vous appeler dès maintenant si je vis à côté de quelqu’un qui possède illégalement une arme à feu. Nous n’avons pas besoin de la mesure « drapeau rouge » pour cela, n’est-ce pas?
Mme Wilson : Encore une fois, je pense que tout ce qui fournit à la police et aux victimes d’actes criminels des ressources supplémentaires pour tenter de lutter contre certains des actes de violence associés aux situations de violence familiale impliquant des personnes qui possèdent légalement des armes à feu est bien accueilli par la police.
Le sénateur Plett : Je suis sûr qu’il n’y aura pas de deuxième tour, mais si c’est le cas, inscrivez-moi.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Ma question s’adresse à Mme Wilson et va dans le même sens que celle de mon collègue le sénateur Plett, avec une autre perspective.
J’aimerais vous parler de violence conjugale et domestique. On entend beaucoup dire que ce projet de loi ne fera rien en ce qui concerne les armes illégales. Pourtant, quand on pense à la violence conjugale et à la violence contre les femmes, n’est-il pas vrai que ce sont des armes légales qui sont utilisées, probablement dans la majorité des cas — éclairez-moi là‑dessus —, pour attaquer ou blesser une conjointe?
[Traduction]
Mme Wilson : Oui, nous le constatons certainement. Il est intéressant de noter que les deux cas où la possession légale d’armes à feu est utilisée dans des circonstances illégales concernent non seulement les situations de violence familiale, mais également les tirs contre des policiers.
Vous vous souvenez peut-être de la fusillade contre le gendarme John Davidson à Abbotsford, en 2017, avec une arme à feu acquise légalement. En 2022, six policiers de Saanich, en Colombie-Britannique, ont également été abattus, et deux ont été blessés avec une arme à feu légale dans cette situation. Il s’agissait de deux situations — la violence familiale et les tirs sur des policiers qui ont été des victimes. Ce sont deux scénarios dans lesquels nous parlons de possession légale d’armes à feu.
À propos des situations de violence familiale, je suis d’accord avec la personne qui est intervenue avant moi selon laquelle il ne s’agira pas toujours d’une situation dans laquelle il appartiendra à la victime de faire valoir l’interdiction. En tant que policiers, nous avons un devoir de diligence. Nous investissons énormément dans les enquêtes sur la violence familiale lorsque les gens ont la force et le courage de se manifester. Tous les outils supplémentaires dont nous pouvons disposer pour assurer la sécurité de ces personnes ou de ces familles sont les bienvenus.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Y a-t-il des articles précis de ce projet de loi qui, à votre avis, permettront de s’attaquer directement à la violence domestique et à la violence conjugale et peut-être même de réduire ce fléau?
[Traduction]
Mme Wilson : Je ne connais pas la cause profonde de la violence familiale, mais je sais que, en tant que service de police, nous sommes très préoccupés par le fait qu’une personne soit vulnérable à la violence familiale. Nous l’avons vu dans un certain nombre de cas partout au pays, à savoir l’utilisation d’armes à feu détenues légalement contre leurs victimes.
Comme je l’ai dit, nous sommes reconnaissants de tout ce qui nous donne des outils dans la lutte contre ce fléau.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Il y a eu beaucoup de critiques selon lesquelles ce qu’on appelle la « restriction d’urgence », ou red flag law, pourrait mettre le fardeau sur la victime. Pensez-vous que c’est une bonne chose? Est-ce qu’on peut dénoncer tout en protégeant la victime et son identité?
[Traduction]
Mme Wilson : Tout à fait. Ces victimes se trouvent déjà dans une position de vulnérabilité extrême. Nous tenons déjà compte de leurs plans de sécurité et de leurs préoccupations en matière de sécurité. Je ne vois pas comment qui que ce soit pourrait prétendre que l’interdiction augmenterait la probabilité de violence lorsqu’il s’agit d’une personne qui se trouve déjà dans une situation où elle a été soumise, dans certains cas, à des niveaux de violence extrêmement préoccupants.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Merci.
[Traduction]
La sénatrice M. Deacon : Merci à tous nos témoins d’être ici. Je veux revenir sur les observations préliminaires que vous avez faites sur les armes fantômes.
Je ne veux pas que vous répétiez tout, mais pensez-vous qu’il pourrait nous manquer un élément dans cet article du projet de loi qui pourrait le rendre plus fort? Cet article est-il suffisant?
Mme Wilson : Nous sommes ravis de voir les dispositions dans le projet de loi C-21 concernant les armes fantômes. Nos préoccupations concernent les pièces qui peuvent être achetées en grande quantité par n’importe qui sans permis. Nous l’avons certainement vu à Vancouver, où une enquête a révélé qu’une personne fabriquait dans son domicile un grand nombre d’armes à feu de fabrication privée et avait commandé — dans une seule commande — 50 composants pour faciliter l’assemblage de ces armes à feu.
Nous sommes très heureux de cela et ravis de voir que l’on a intégré les données informatiques. C’est un moyen créatif de régler ce problème, car nous ne sommes pas en mesure d’interdire l’utilisation d’une imprimante 3D. Nous les avons créés dans notre propre laboratoire de Vancouver et savons que des plans sont nécessaires pour fabriquer l’arme à feu, et il est très utile d’en interdire la possession.
Nous sommes donc très heureux de ce que nous voyons dans le projet de loi C-21 concernant les armes fantômes.
La sénatrice M. Deacon : D’accord. Merci.
Pour reprendre la question de ma collègue, bien que le projet de loi n’interdise pas les armes à feu semi-automatiques, il interdira les armes à feu créées selon la nouvelle conception après l’entrée en vigueur de la définition modifiée. Je pense qu’il est juste de dire qu’un certain nombre de tireurs récréatifs, comme il a été mentionné plus tôt, se sentent lésés par cette future interdiction. Nombre d’entre eux pensent qu’ils auront besoin de ces armes à feu dans l’avenir.
Dans votre région et dans le cadre de l’examen de ces aspects, avez-vous eu la conversation en dehors des villes, mais aussi concernant des chasseurs ou avec l’expertise des chasseurs? Sinon, s’il me reste du temps, je changerai d’approche. Je me posais seulement cette question pour ce qui est de vos administrations.
Ma collègue a également parlé de la violence commise avec des armes à feu et de la cause profonde ultime de la violence armée. Vous êtes tous sur le terrain tous les jours et vous avez affaire à des auteurs de violence. Si ce n’est pas de ce projet de loi, que peut-on faire pour réduire la violence liée aux armes à feu afin de garder les gens en vie et en bonne santé au lieu d’appuyer sur la gâchette?
Le président : À qui s’adresse la question?
La sénatrice M. Deacon : J’aimerais entendre le point de vue des gens qui participent virtuellement.
M. Mann : Merci. Je vais demander à M. Hussey de répondre à cette question, s’il vous plaît.
Joel Hussey, inspecteur, Unité d’exécution spéciale des forces combinées -Colombie-Britannique, Gendarmerie royale du Canada : Bon après-midi, monsieur le président et mesdames et messieurs. Je vous remercie d’avoir posé cette question.
Comme M. Mann l’a mentionné dans sa déclaration liminaire, nous avons notre équipe de la CGIIG, qui est une équipe d’exécution combinée, l’équipe du renseignement, ainsi que notre laboratoire; nous sommes donc très actifs dans l’application stratégique et ciblée de la loi à l’endroit des membres et des associés du crime organisé qui utilisent des armes à feu illégales et qui présentent un risque pour la sécurité publique. Nous nous occupons de la fabrication, du trafic et de la contrebande d’armes à feu.
Nous travaillons avec beaucoup de nos partenaires à l’échelle provinciale. Nous avons parmi notre équipe de la CGIIG des membres qui se trouvent au sud de la frontière, du Bureau of Alcohol, Tobacco, Firearms and Explosives, également appelé ATF, et du département de la Sécurité intérieure.
Nous utilisons de nombreuses techniques conventionnelles et non conventionnelles pour faire avancer nos enquêtes, et nous avons très bien réussi à le faire.
Pour ce qui est de ce que nous pouvons faire de plus pour en gérer davantage, nous cherchons toujours de nouvelles techniques et essayons de suivre le rythme de la technologie. Nous utilisons autant de techniques que possible pour tenter de mettre fin à ce type de violence qui se produit et est commise par des criminels de haut niveau.
Que pouvons-nous faire de plus pour gérer la situation? Je pense que nous faisons tout notre possible grâce à notre collaboration, à la collecte de renseignements et à des enquêtes efficaces.
Le président : Merci beaucoup.
Nous avons un peu de difficultés avec la connexion. Nous essayerons de régler le problème en temps opportun.
Le sénateur Richards : Merci d’être ici et de votre service.
Madame Wilson, les armes fantômes sont illégales, et elles devraient l’être, mais il n’y a aucun moyen de les éliminer, n’est‑ce pas? Même avec le projet de loi, il n’y a vraiment aucun moyen de le faire. Je me demande si le projet de loi permettra d’améliorer la capacité d’en atténuer les effets.
Mme Wilson : Absolument.
Vous pourriez dire cela par rapport à tout type d’acte criminel. Au bout du compte, il est très difficile de mettre totalement fin aux crimes au moyen de lois, de la jurisprudence ou de quoi que ce soit, mais nous estimons qu’il y a beaucoup de place à l’amélioration en ce qui concerne les armes fantômes, et nous voyons cette amélioration dans le projet de loi.
Comme je l’ai mentionné plus tôt, la capacité de la Couronne de définir de manière plus efficace devant le tribunal ce qu’est une arme fantôme est très importante. La nouvelle définition d’une « pièce d’arme à feu », qui inclut le canon et les glissières, contribuera à endiguer la menace urgente et réelle que représentent les armes à feu de fabrication privée. Il s’agit d’un élément très important, comme je viens de l’expliquer dans l’exemple concret de Vancouver qui s’est produit il y a quelques mois à peine.
Mais nous sommes convaincus que nous verrons apparaître l’impression 3D à projection de métal liquide au cours des prochaines années. Le projet de loi permettra également d’y réagir en ce qui concerne les pièces.
Il existe une bonne occasion d’aborder la question de la restriction des pièces d’armes à feu par l’intermédiaire du processus existant du permis de possession et d’acquisition, s’appuyant sur les dispositions existantes en matière de possession légale d’armes à feu, de sorte que les propriétaires légitimes d’armes à feu qui ont besoin de changer et de mettre à jour des pièces de temps en temps peuvent toujours le faire, tout en ne permettant pas à quelqu’un qui n’est pas un propriétaire légitime d’armes à feu de commander des quantités massives de pièces de ce type pour faciliter l’utilisation d’armes fantômes.
Comme je l’ai mentionné, beaucoup d’éléments du projet de loi sont importants pour ce qui est des armes fantômes. Bien sûr, nous ne serons jamais complètement en mesure d’éliminer la capacité des gens de créer des armes à feu de fabrication privée, mais je pense que les dispositions du projet de loi vont beaucoup aider la police en lui fournissant des moyens d’enquête et des outils qu’elle peut utiliser pour enquêter sur ces types de situations, et tenir les délinquants responsables lorsque nous les rencontrons, qu’ils soient en train de fabriquer des armes fantômes ou soient en possession de celles-ci.
Le sénateur Richards : J’ai une deuxième question rapide. Ce sont deux questions dont vous avez traité, donc je vais de nouveau vous questionner à ce sujet.
Est-ce que vous ou la police êtes préoccupés — parce que ça me préoccupe, et je pense que beaucoup de gens sont préoccupés — par le fait que la mesure « drapeau rouge » puisse être mal utilisée et fasse l’objet d’abus afin de cibler des gens innocents?
Mme Wilson : Non.
Le sénateur Richards : Vous ne pensez pas que cela pourrait se produire?
Mme Wilson : Je ne dis pas que cela ne se produirait pas, mais l’avantage d’avoir cela en place et la protection des victimes dans des situations de violence familiale, en particulier, l’emportent sur la possibilité improbable que la disposition puisse faire l’objet d’un abus.
Le sénateur Richards : Ne pensez-vous pas que cela est déjà en place?
Mme Wilson : Comme je l’ai dit plus tôt, nous sommes favorables à tout outil auquel nous et les victimes de crime pouvons avoir accès qui peut contribuer à leur sécurité
Le sénateur Richards : D’accord, merci.
Le sénateur Boehm : Merci à nos témoins. Ma question s’adresse à la cheffe de police adjointe Wilson. Merci d’être ici avec nous.
Selon le site Web de la Ville de Vancouver, plus de 21 000 personnes ont perdu la vie en raison de surdoses dans l’ensemble de la Colombie-Britannique depuis 2016, lorsque la crise des surdoses a été déclarée une urgence de santé publique. C’était il y a sept ans. Vancouver en est l’épicentre.
La crise des opioïdes n’est pas unique à Vancouver et à la Colombie-Britannique, bien sûr, mais compte tenu du niveau de crise particulier en vigueur depuis un si grand nombre d’années — tellement plus d’années que ce qui a été documenté dans le reste du pays — où les armes à feu s’inscrivent-elles dans les activités quotidiennes de votre service? Je pense que les forces policières auraient beaucoup de mal à réagir efficacement à la crise des drogues et des armes à feu, ainsi qu’à tout le reste.
Pourriez-vous nous parler de la pression exercée sur les ressources et nous dire si les dispositions « drapeau rouge » proposées du projet de loi réduiront cette pression et aideront la police de Vancouver à faire son travail de manière plus efficace?
Mme Wilson : Certes, à Vancouver, nous avons assisté à la prolifération d’un certain nombre de ce que j’appellerais — peut-être pas tant de crises, même si les opioïdes représentent assurément une crise —... mais lorsque nous regardons les manifestations dans notre ville, la crise des opioïdes et la prolifération des gangs et de la violence qui y est associée...
Sans aucun doute, il existe toujours des difficultés concurrentes sur le plan des ressources.
En ce qui concerne les situations de violence familiale, nous avons une unité de gestion des cas de violence familiale, et les ressources qui y seraient dirigées sont certainement distinctes des ressources que nous acheminons à notre section du crime organisé et à nos membres de première ligne en ce qui a trait à la crise des opioïdes. De manière générale, du point de vue des ressources, nous essayons constamment d’équilibrer nos ressources malgré le poids d’une charge de travail croissante. Cela va sans dire.
Cependant, pour ce qui est de la disposition concernant les situations de violence familiale et le fait de pouvoir interdire à des propriétaires d’armes à feu légitimes la possession de ces armes dans les cas où il est connu qu’ils se sont livrés à des actes de violence, je ne vois pas en quoi cela ajoutera nécessairement une autre couche de travail importante pour nos membres. Je comprends que c’est quelque chose qu’une victime pourrait faire valoir en l’absence de la police, et je pense que c’est utile. Je pense que nous voyons souvent que les victimes ne sont pas prêtes à se présenter à la police, et c’est un outil qu’elles peuvent encore utiliser en l’absence de celle-ci.
En ce qui concerne l’ajout de cette tâche pour nos policiers, je pense que c’est quelque chose que nous accueillerions avec plaisir, parce que nous finissons par être très investis dans ces enquêtes. Tout ce que nous pouvons utiliser pour protéger davantage les victimes et les familles dans ces situations, comme je l’ai dit, est bienvenu.
Certes, les ressources sont un problème énorme. Je ne pense pas que cette disposition va nécessairement alléger notre charge de travail, mais malgré l’ajout de tout travail, ce serait bienvenu, quoi qu’il en soit.
Le sénateur Boehm : Merci beaucoup.
Le sénateur Cardozo : Ma question s’adresse à la cheffe de police adjointe, Mme Wilson, et à M. Mann. Je me demande si vous pourriez nous renseigner un peu plus au sujet des armes à feu de fabrication personnelle. Nous en entendons beaucoup parler. J’ai eu la possibilité de visiter le centre d’armes à feu à la GRC ce matin même, et certaines des choses que vous avez mentionnées étaient là, dans la mesure où vous voyez les premières armes et qu’elles sont en plastique blanc et grossières, alors que les nouvelles sont noires et ressemblent à de vraies armes à feu.
À quoi devrions-nous nous attendre et de quoi devrions-nous nous préoccuper au cours des prochaines années? Il n’y a pas de chiffre associé à ces choses, mais vous pourriez y inscrire un faux chiffre ou inventer un chiffre. Je me pose des questions sur tout cela.
Mme Wilson : Nous constatons certainement une augmentation de ce type d’armes à feu. Comme vous l’avez vu ce matin, la qualité des armes à feu est vraiment extraordinaire. Nous en avons fabriqué un certain nombre, et nous les avons mises à l’essai dans notre propre laboratoire du Service de police de Vancouver. Il se trouve qu’un des employés de notre laboratoire est machiniste et qu’il a réussi à fabriquer les pièces nécessaires pour créer une arme à feu entièrement fonctionnelle.
Le sénateur Cardozo : Il a réussi à fabriquer les parties en métal?
Mme Wilson : C’est exact. Je pense que nous en verrons probablement plus à mesure que la technologie et la capacité des imprimantes 3D s’améliorent. Aux États-Unis, nous avons été témoins de cette entreprise d’impression 3D à projection de métal liquide. Je pense que nous le verrons également d’ici quelques années. Il s’agit donc d’éliminer le besoin de commander des pièces d’où que ce soit, et l’arme à feu en entier peut être imprimée sur une imprimante 3D à projection de métal liquide.
Je pense que nous en verrons de plus en plus. Nous avons certainement constaté une augmentation de ces armes à feu de fabrication privée à Vancouver au fil des ans, année après année. Comme je l’ai dit, il y avait un laboratoire actif dans notre ville que nous venons de démanteler il y a quelques mois; il était très évolué et produisait un grand nombre d’armes à feu de haute qualité, toutes des armes de poing, vendues dans notre ville. Je pense que c’est quelque chose que nous verrons de plus en plus, et les forces de l’ordre sont vraiment reconnaissantes de toute réglementation que nous pouvons mettre en place.
Le sénateur Cardozo : Merci. Monsieur Mann, il nous reste probablement une minute environ.
M. Mann : Je vous remercie d’avoir posé la question. Oui, pour ce qui est des armes à feu de fabrication privée, depuis les dernières années, surtout ici dans la dernière année ou même dans les six derniers mois, nous avons constaté un nombre de plus en plus élevé de saisies par nos équipes de l’ensemble de la province, y compris dans les petites collectivités partout dans la province. M. Hussey supervise notre Crime Gun Intelligence and Investigations Group. Je lui cède la parole pour plus de détails. Malheureusement, nous remarquons qu’elles se sont multipliées dans toute la province.
Le sénateur Cardozo : Savez-vous à quoi nous pouvons nous attendre au cours des prochaines années à ce sujet?
M. Hussey : Je peux peut-être fournir quelques statistiques concernant les saisies d’armes à feu de fabrication privée. Pour la Colombie-Britannique en 2018, il y en a eu deux. En 2019, il y en a eu neuf. [Difficultés techniques] en 2021, il y en a eu 39. En 2022, jusqu’au 30 septembre, il y en avait eu 34. Donc il n’y a pas encore eu en Colombie-Britannique un grand nombre d’armes à feu de fabrication privée. Cependant, les organismes d’application de la loi constatent une hausse année après année du nombre de saisies et de l’utilisation criminelle de ce type d’armes à feu. Il s’agit d’une tendance émergente, et le nombre continue d’augmenter année après année. C’est un défi pour les agents d’application de la loi. C’est un phénomène à croissance rapide. Il y a peu d’obstacles, c’est peu coûteux, il faut peu de compétences, et le rendement du capital investi est élevé. C’est en train de mettre le public...
Le président : Je m’excuse auprès du témoin. Nous devons poursuivre.
Le sénateur Yussuff : Merci aux témoins d’être ici. Le projet de loi C-21 offre toute une panoplie d’outils pour que les agents de première ligne puissent faire leur travail. Compte tenu de la complexité du problème et du défi que nous devons relever, je ne peux pas commencer à imaginer toutes les difficultés. Et surtout, diriez-vous que les nouveaux outils prévus dans le projet de loi C-21 amélioreront de façon importante le rôle des policiers dans l’exécution de leur travail un peu plus efficacement qu’à l’heure actuelle?
Mme Wilson : Oui, je crois que le projet de loi C-21 augmentera notre capacité de faire notre travail relativement aux personnes qui possèdent illégalement des armes à feu. Nous avons besoin d’infractions pour lancer les enquêtes, et le projet de loi C-21 nous fournit plus d’outils pour enquêter sur les personnes qui possèdent illégalement des armes à feu, et c’est utile.
Le sénateur Yussuff : Peut-être que les deux témoins pourraient répondre à la prochaine question. La contrebande d’armes à feu illégales outre-frontières est un problème. Je ne pense pas que cela soit contesté, et l’interception en fait partie intégrante. Mais avec la prolifération de la technologie pour la fabrication d’armes illégales que l’on observe au pays, vous n’avez pas besoin de le faire de l’autre côté de la frontière. Selon vous deux, en ce qui concerne la disposition dans le projet de loi C-21, les outils prévus pour interdire la fabrication domestique d’armes à feu illégales au pays favorise-t-elle grandement l’interception?
Mme Wilson : Oui.
Le sénateur Yussuff : Monsieur Mann?
M. Mann : Assurément, tout outil législatif qui peut être adopté permettra assurément de rehausser nos enquêtes policières et nous permettra d’élargir davantage les enquêtes sur toutes les nouvelles infractions qui sont introduites.
Le sénateur Yussuff : Le Crime Gun Intelligence and Investigations Group, ou CGIIG, comme vous l’avez appelé, est le nouvel établissement qui permet cette nouvelle collaboration améliorée de part et d’autre de la frontière et entre les forces. Pouvez-vous parler de la création du CGIIG et, bien sûr, de sa fonction, dans la mesure où il permet d’intercepter et essaie d’établir la collaboration entre les frontières pour lutter contre les armes illégales et les gangs dans l’ensemble de notre pays, mais aussi par rapport à nos amis américains?
M. Mann : Certainement. L’équipe du CGIIG est issue du Groupe de travail sur les armes à feu illégales, formé en 2017. La création du CGIIG remonte à 2019. Comme nous l’avons dit plus tôt, il est composé d’un laboratoire d’armes à feu, d’une section du renseignement et d’une équipe d’enquête. Ils arrivent à travailler ensemble sans entraves. Nous pensons qu’il s’agit d’une pratique exemplaire. L’échange de renseignements se fait à un degré élevé non seulement au sein de l’équipe, mais avec nos partenaires d’application de la loi de la province, du pays et du monde.
Nous observons une coopération et une collaboration continues entre les services de police, ce qui nous permet d’échanger des renseignements et de faire avancer nos enquêtes de manière plus efficace.
Monsieur Hussey, avez-vous quelque chose à ajouter?
M. Hussey : Oui, à propos de la composition du CGIIG. Notre équipe du contrôle des armes à feu comprend 12 membres qui se consacrent aux enquêtes concernant la fabrication, le trafic et la contrebande : cinq font partie de notre équipe de renseignement provinciale, puis 11 sont affectés au laboratoire médico-légal provincial.
La sénatrice Dasko : Merci à nos témoins.
Tout d’abord, madame Wilson, je suis très heureuse de vous entendre appuyer la disposition « drapeau rouge » prévue dans le projet de loi. C’est très bien. Les Canadiens l’appuient fermement. Je suis très heureuse de vous entendre appuyer pleinement cette disposition très importante.
Cependant, j’aimerais vous poser une question sur le gel lié aux armes de poing dans le projet de loi. Comme vous le savez, le projet de loi C-21 mettrait en œuvre un gel de la vente, de l’achat, de la cession et de l’importation d’armes de poing.
J’aimerais avoir le point de vue des deux témoins, si vous voulez bien me dire ce que seront, selon vous, les répercussions de cette disposition sur la prévalence des armes au pays? Sur le plan de la sécurité publique, cela aura-t-il une incidence importante sur votre travail, la criminalité et les dommages que les armes causent de manière générale?
Je vous demanderai ensuite ceci : pensez-vous que le projet de loi aurait dû aller plus loin que cette disposition afin d’imposer encore plus de restrictions sur les armes de poing dans la société canadienne?
Ces questions s’adressent aux deux témoins.
Mme Wilson : Aimeriez-vous répondre d’abord à cette question?
M. Hussey : Oui. Pour notre équipe, nos mesures d’application de la loi stratégiques ciblées portent sur les membres du crime organisé de haut niveau, leurs associés et leur utilisation illégale des armes à feu. Nous poursuivons les personnes qui utilisent des armes à feu exposant le public à un risque.
Le gel concernant les armes de poing n’a d’importance que dans la mesure où il influe sur notre engagement et notre ciblage de la criminalité organisée de haut niveau; c’est là notre priorité.
Le projet de loi C-21 est un outil qui nous permet d’enquêter sur les armes à feu utilisées pour commettre des crimes. Nous sommes toujours favorables à l’utilisation de moyens nouveaux et novateurs pour lutter contre la violence commise par les gangs et les armes. Si le projet de loi est adopté, je chercherais à l’intégrer dans certaines de nos stratégies d’enquête.
La sénatrice Dasko : Merci.
Mme Wilson : Je suis d’accord avec vous. Nous nous concentrons certainement sur le crime organisé et les gens qui commettent de la violence dans nos collectivités et qui ne sont pas du tout des propriétaires d’armes à feu légitimes.
Le projet de loi aurait-il dû aller plus loin? Je pense qu’il établit un bon équilibre entre le respect des droits des propriétaires d’armes à feu légitimes et le fait de fournir à la police plus d’outils pour lutter contre la violence associée aux armes dans le pays.
Nous continuerons de cibler nos efforts concernant les personnes qui ne sont pas des propriétaires d’armes à feu légitimes. À l’exception de la violence familiale et des fusillades policières, lorsque des policiers sont les victimes, les propriétaires d’armes à feu légitimes ne sont généralement pas les responsables des fusillades dans la ville de Vancouver. Sans exception, ces armes à feu n’appartiennent pas à des propriétaires légitimes en premier lieu. Nous continuerons de nous concentrer là-dessus. De toute évidence, le projet de loi C-21 nous donne quelques outils de plus pour le faire.
La sénatrice Dasko : Merci.
Le président : La dernière question pour le groupe de témoins revient au sénateur Carignan.
[Français]
Le sénateur Carignan : Ma question s’adresse à Mme Wilson.
Plusieurs témoins ont dit que plus on a d’outils pour combattre la criminalité, mieux ce sera pour nous.
Est-ce qu’on ne devrait pas plutôt avoir les meilleurs outils pour atteindre les objectifs? Je vous donne un exemple. Je vous appelle pour déposer une plainte contre Google, parce que, dans le paragraphe 102(1), on dit ceci : « Commet une infraction quiconque possède ou accède à des données informatiques relatives à des armes à feu ». De plus, dans le paragraphe 102(2), on dit ceci : « Commet une infraction quiconque distribue, publie ou rend accessibles des données informatiques relatives à des armes à feu ». J’ai fait une recherche sur Google et, en deux minutes, j’ai trouvé un site pour fabriquer des armes et importer les données pour imprimer des pièces d’armes en 3D. Allez-vous poursuivre Google?
[Traduction]
Mme Wilson : Il faudrait que je relise le libellé exact, mais selon ce que je comprends, c’est la possession des plans. Il faudrait que je le relise et le parcoure.
Je pense qu’une personne du service des poursuites serait probablement mieux en mesure de répondre à cette question.
Si le projet de loi est adopté, nous aurions la possibilité de l’examiner entièrement, de l’étudier et de comprendre...
Le sénateur Carignan : C’est notre travail de le faire maintenant.
Mme Wilson : Mais de pleinement comprendre ce qui a été mis en place.
[Français]
Le sénateur Carignan : Il ne faut pas attendre la sanction royale; il faut le faire maintenant. Le paragraphe 102(2) dit ceci : « [...] quiconque distribue, publie ou rend accessibles des données informatiques relatives à des armes à feu ». Google me donne accès à des données informatiques actuellement. Est-ce que je dois adopter cela et dire que Google commet une infraction criminelle, conformément au paragraphe 102(2) du projet de loi?
[Traduction]
Mme Wilson : Il faudrait que j’examine plus attentivement le projet de loi et la façon dont cela s’applique. Au bout du compte, si Google met ces plans à la disposition des personnes intéressées, il s’agit alors certainement de quelque chose que nous devrions examiner, du point de vue de l’application de la loi.
Si l’objectif est de s’assurer que les personnes n’ont pas accès à ces plans parce qu’ils sont utilisés pour fabriquer des armes à feu, il s’agit alors certainement de quelque chose que nous devrions examiner, du point de vue de l’application de la loi.
[Français]
Le sénateur Carignan : Ma deuxième question est la suivante. Vous avez parlé de l’ADN. Le projet de loi vous aide à utiliser l’ADN. J’essaie de comprendre cet aspect. Pouvez-vous me donner plus d’explications?
[Traduction]
Mme Wilson : Oui. Ce que je disais, c’est que je serais favorable à l’augmentation du financement pour les analyses d’ADN. Les preuves par ADN sont souvent privilégiées par la Couronne pour prouver la possession d’une arme à feu. Sans une infraction désignée avec violence, comme une fusillade ou un homicide, il est difficile pour nous d’accéder aux analyses d’ADN de manière opportune, parce que le laboratoire fédéral a des critères que nous devons respecter avant qu’il accepte une demande d’analyse d’ADN.
Je serais certainement en faveur d’un financement accru pour les armes à feu liées aux tests d’ADN. C’est ce à quoi je faisais allusion en ce qui concerne l’ADN.
[Français]
Le sénateur Carignan : Ça, c’est un autre outil.
[Traduction]
Mme Wilson : C’est juste.
Le président : Merci beaucoup.
Chers collègues, cela nous amène à la fin de ce qui a été un groupe de témoins très instructifs, je pense que vous êtes d’accord.
Je tiens à remercier la cheffe adjointe Wilson, le sous-commissaire Mann et l’inspecteur Hussey de s’être joints à nous aujourd’hui et de nous avoir fait profiter de leur expertise considérable, et de nous avoir fourni des conseils réfléchis. Tandis que nous y sommes, nous vous remercions du travail que vous et vos collègues effectuez chaque jour pour garder en sécurité nos collègues et nous dans tout le pays. Merci beaucoup. Nous sommes très reconnaissants du travail que vous faites.
Nous allons poursuivre avec notre troisième et dernier groupe de témoins de la séance d’aujourd’hui : Stéphane Wall, superviseur, à la retraite; André Gélinas, sergent-détective à la retraite de la Division des renseignements, tous deux du Service de police de la Ville de Montréal; et Mark Weber, président national du Syndicat des Douanes et de l’Immigration.
Merci de votre présence avec nous aujourd’hui. Je vous invite à faire vos déclarations liminaires, qui seront suivies par des questions de la part de nos membres. Je vous rappelle que vous disposez chacun de cinq minutes pour votre témoignage.
Mark Weber, président national, Syndicat des Douanes et de l’Immigration : Monsieur le président, membres du comité, je vous remercie de m’avoir donné l’occasion d’être ici aujourd’hui. Je m’appelle Mark Weber et je suis le président national du Syndicat des Douanes et de l’Immigration, qui représente le personnel travaillant pour l’Agence des services frontaliers du Canada, ou l’ASFC.
Le 1er février 2022, j’ai comparu devant le Comité permanent de la sécurité publique et nationale de la Chambre des communes dans le cadre de son étude sur le contrôle des armes à feu, le trafic illégal des armes et l’augmentation des crimes commis par armes à feu. Dans le cadre de mon témoignage, j’ai souligné une série de problèmes affectant les activités frontalières en général et compromettant la capacité de l’ASFC à contrôler le flux d’armes à feu illégales. Cela comprend aussi un manque de personnel généralisé de longue date, des lacunes opérationnelles majeures affectant les modes routier, maritime et ferroviaire, et la nécessité de s’appuyer davantage sur l’expertise des agents de l’ASFC, y compris entre les points d’entrée.
C’était il y a presque deux ans. Je ne me réjouis pas à l’idée de vous dire qu’à ce jour, rien n’a changé et que la capacité de l’agence à endiguer le flux d’armes à feu illégales ne s’est pas améliorée d’un iota. Au lieu de voir un mouvement significatif vers une agence qui serait mieux dotée en personnel et mieux équipée pour traiter les questions émergentes de sécurité publique transfrontalière, ce que les deux dernières années ont mis en évidence, l’ASFC continue de préférer la recherche d’outils automatisés mal conçus, coûteux et mal gérés tels qu’ArriveCAN, au lieu de se concentrer sur le renforcement de ses ressources existantes et sur l’élaboration d’outils et de stratégies efficaces pour protéger les collectivités canadiennes.
Rien n’a changé. Le personnel de première ligne de l’agence est toujours surchargé de travail, et nombre de travailleurs risquent l’épuisement en raison d’un manque de personnel permanent. Les agents frontaliers n’ont toujours pas la capacité d’agir entre les points d’entrée, ce qui rend plus difficile le traitement efficace de situations problématiques. Les outils tels que les scanners mobiles qui pourraient aider à intercepter la contrebande illégale, y compris les armes à feu dangereuses, tombent fréquemment en panne. Il n’y a toujours pratiquement aucune chance que soit trouvée une arme illégale entrant au pays par voie ferroviaire. Encore une fois, rien n’a changé ici.
Si je vous dis tout cela, c’est non pas pour être alarmiste, mais pour souligner tout ce qu’il reste à faire pour renforcer nos services frontaliers et l’occasion que le gouvernement a eue, avec le projet de loi C-21, d’améliorer réellement la capacité du Canada à faire quelque chose au sujet des armes à feu illégales.
Lorsque Marco Mendicino, alors ministre de la Sécurité publique, s’est prononcé en faveur du projet de loi, il a clairement déclaré que l’un des objectifs était de s’attaquer concrètement à la contrebande d’armes à feu. Le syndicat estime que le projet de loi proposé est insuffisant à cet égard dans sa forme actuelle et qu’il doit être accompagné d’autres mesures si le gouvernement souhaite s’attaquer au problème et non simplement faire du théâtre en matière de sécurité.
Je tiens à souligner le travail du Comité permanent de la sécurité publique et nationale de la Chambre des communes, dont les membres ont manifestement travaillé avec ardeur pour améliorer le projet de loi compte tenu de ses limites. Par exemple, dans sa forme actuelle, le projet de loi introduit une formulation qui accorde une nouvelle autorité aux agents frontaliers pour ce qui est de saisir les munitions spécialisées et les chargeurs, ce qui aurait dû être fait depuis longtemps. Au bout du compte, cependant, il faut faire davantage pour lutter contre la contrebande illégale d’armes à feu, et le projet de loi C-21 n’est manifestement pas l’outil législatif nécessaire à cette fin. Il faut faire bien davantage.
Sur le front de l’ASFC, l’agence et nos membres bénéficieraient certainement d’un niveau de dotation adéquat, d’équipement approprié, d’installations de formation améliorées et même de prestations de retraite équitables pour aider au renouvellement de la main-d’œuvre. Sur le plan législatif, nous avons vraiment besoin que le gouvernement cherche à combler des lacunes de longue date dans la législation existante, à savoir la Loi sur l’Agence des services frontaliers du Canada et l’Accord-cadre sur les opérations intégrées transfrontalières maritimes d’application de la loi entre le Canada et les États-Unis, connu sous le nom d’accord « Shiprider ». Des modifications de ces documents permettraient aux agents frontaliers d’exercer leurs activités entre les points d’entrée, ce qui contribuerait à intercepter les armes à feu illégales.
Je ne suis pas un expert de la législation et je vous laisse le soin de décider si ces changements peuvent être intégrés dans le projet de loi C-21. Si ce n’est pas le cas, j’encourage instamment le gouvernement à envisager un projet de loi additionnel pour que cette question soit réglée rapidement.
Pour conclure, j’espère que la contribution du syndicat aidera le comité dans son important travail. Merci. Je répondrai avec plaisir à vos questions.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Weber.
Nous allons maintenant entendre M. Wall. Quand vous êtes prêt, allez-y.
[Français]
Stéphane Wall, superviseur (à la retraite), Service de police de la Ville de Montréal, à titre personnel : Monsieur le président, je suis un superviseur retraité du SPVM. Depuis juin 2020, je collabore avec les médias et les élus pour expliquer le métier de policier et la réalité du terrain.
Le 26 janvier 2022, au moyen de lettres aux médias, nous avons proposé, avec mon collègue André Gélinas, qui est à ma droite, une série d’actions concrètes en matière de prévention et de répression aux différents ordres de gouvernement pour combattre la violence armée. Nous sommes apolitiques et nous parlons avec tous les représentants des partis politiques.
Nous croyons qu’un législateur, devant la banalisation de la violence au Canada, doit adopter des lois visant les bonnes cibles, soit les criminels violents, dont les membres de gangs de rue et du crime organisé qui utilisent, dans la très grande majorité du temps, des armes à feu illégales pour commettre leurs crimes.
Le projet de loi C-75, adopté en 2019, a permis de remettre en liberté des criminels violents et armés plus facilement et sans réelle surveillance des conditions de remise en liberté.
Le projet de loi C-5, adopté en 2022, a permis d’abolir des peines minimales obligatoires, même pour des crimes graves, y compris la possession d’armes, la décharge et le braquage au moyen d’une arme à feu.
La Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, qui permet de remettre en liberté des criminels violents dont les conditions de libération ne sont pas réellement surveillées par un système débordé, où des commissaires ne rendent pas compte de leurs décisions, a mené à des pertes de vies dans les communautés. Pensons au cas d’Eustachio Gallese, qui a tué Marylène Levesque, et à plusieurs autres.
Le projet de loi C-21 ne vise pas la bonne cible. Il s’agit d’une mesure cosmétique et idéologique qui n’exercera aucune influence pour baisser le nombre de fusillades commises par les criminels violents, qui utilisent à 90 % des armes à feu illégales qui passent par la frontière et les réserves autochtones.
Osons une analogie : actuellement, au Canada, il y a une situation problématique par rapport aux capacités affaiblies au volant, qui sont la cause de beaucoup de décès et de blessures commis par des criminels de la route. Est-ce que la solution du législateur serait d’interdire les automobiles — qui peuvent être une arme mortelle — à tout le monde, même aux automobilistes respectueux des règlements et qui ont un permis de conduire légitime? La réponse est non, sans aucun doute.
En quoi le projet de loi C-21, qui s’attaque aux propriétaires légitimes qui ont des permis et qui possèdent des armes à feu pour la chasse ou le tir sportif, serait-il une solution concrète et pragmatique à la violence armée commise par des criminels violents au Canada?
Les lois que j’ai nommées n’ont eu aucun impact pour faire diminuer la criminalité. Au contraire; nous avons vu une augmentation du sentiment d’impunité des criminels violents, dont les membres de gangs de rue se vantent déjà sur leurs réseaux sociaux et dans leurs vidéos, propageant ainsi une culture gangster rap.
Nous avons vu une banalisation de la violence armée et des violences sexuelles et conjugales faites aux femmes et même aux enfants par l’imposition de peines Netflix à domicile, même pour des crimes graves contre la personne, sans réelle surveillance des conditions de remise en liberté et sans accès concret à des programmes de réhabilitation, ce qui cause une double ou une triple victimisation des victimes.
Nous avons vu une augmentation du taux de criminalité qui a été validée par Statistique Canada, qui a conclu que, en 2022, les crimes déclarés par la police au Canada ont augmenté pour une deuxième année consécutive, avec une hausse de 4 %. Nous avons vu une augmentation fulgurante des victimes d’homicides et de féminicides, déjà surreprésentées dans les communautés autochtones, noires et marginalisées, selon Statistique Canada, en 2021 et 2022. On peut également constater cette surreprésentation chez les criminels violents dans les pénitenciers du Canada. Ils ont dûment été condamnés par la justice, rappelons-le.
Entre 2021 et 2022, le taux d’homicides au sein de la population racisée était plus élevé qu’un an plus tôt, avec une hausse de 2 %. Les peuples autochtones avaient un taux d’homicides six fois plus élevé en 2021 que les personnes non autochtones. En 2022, il était près de sept fois plus élevé. En 2021, les personnes à la peau noire représentaient 49 % des victimes dites racisées d’homicides et de féminicides. En 2022, elles représentaient encore 43 % des victimes d’homicides.
Voici maintenant les solutions. Comment le législateur pourrait-il s’attaquer aux armes illégales?
En exigeant un permis pour acheter toute pièce maîtresse permettant de construire une arme à feu ou de la faire fonctionner.
En exerçant une meilleure surveillance à la frontière et en périphérie des réserves autochtones, par exemple Akwesasne et Kanesatake.
En ajoutant des caméras, des drones, de la surveillance électronique et des bateaux haute vitesse.
En ajoutant des patrouilles et des postes de contrôle de l’Agence des services frontaliers du Canada, de la GRC, de la SQ et de la Police provinciale de l’Ontario.
En augmentant le nombre d’inspections de véhicules sur les routes près de la frontière.
En augmentant le nombre d’inspections de tout véhicule à moteur sortant d’une réserve autochtone par voie terrestre, maritime ou aérienne.
En ayant une procédure obligeant l’ASFC à déposer des accusations criminelles à chacune des saisies.
En augmentant la collaboration entre la GRC et les autorités américaines pour les enquêtes.
En finançant mieux le développement d’informateurs et de sources criminelles habitant près des frontières et sur les réserves autochtones.
En formant mieux les policiers sur les armes à feu et les lois qui y sont liées, mais aussi sur les caractéristiques d’une personne armée.
En conclusion, avec le projet de loi C-21, le législateur devrait viser la bonne cible, et non les tireurs sportifs ou les chasseurs détenant les permis nécessaires. En plus des chasseurs, le législateur devrait, au minimum, exempter les tireurs sportifs qui s’entraînent régulièrement, qui sont inscrits dans un club de tir reconnu et qui font au moins une compétition par année pour garder leurs acquis.
Nous croyons qu’au Canada, les droits et libertés des victimes, de leurs proches et des policiers et policières, leur droit à la vie, à la santé et à la sécurité devraient être prioritaires par rapport aux droits et libertés des criminels violents.
Honorables sénateurs, merci de m’avoir écouté.
[Traduction]
Le président : Merci beaucoup, monsieur Wall.
Nous allons maintenant entendre notre dernier témoin, M. Gélinas. La parole est à vous.
[Français]
André Gélinas, sergent-détective (à la retraite), Division des renseignements, Service de police de la Ville de Montréal, à titre personnel : Bonjour, monsieur le président, mesdames et messieurs les sénatrices et sénateurs. Je suis André Gélinas, sergent-détective à la retraite de la Division des renseignements du Service de police de la Ville de Montréal. Au long de ma carrière, j’ai notamment œuvré au sein de différentes unités, notamment aux enquêtes et aux renseignements sur les gangs de rue et la mafia italienne. J’ai également été prêté à Service correctionnel Canada (SCC), ainsi qu’à une unité de renseignement en matière de sécurité nationale et de terrorisme au sein de la GRC. J’ai aussi servi en Afghanistan durant la guerre avec la Mission de police de l’Union européenne et auprès des forces armées américaines comme formateur et conseiller en renseignement. Depuis près de trois ans, je suis analyste d’actualité policière pour différents médias, à la télé, à la radio et dans la presse écrite.
On m’a invité à comparaître devant vous aujourd’hui afin de partager mes connaissances et mon expertise sur différents aspects du projet de loi C-21. Avant d’aller plus loin, je tiens à préciser que ma présence ici est apolitique et non partisane. Je ne suis membre d’aucun lobby ou groupe de pression. Durant la dernière année, j’ai rencontré et appuyé dans leurs démarches des députés du Parti libéral, du Parti conservateur et du Bloc québécois.
Le projet de loi C-21 intervient dans un domaine crucial et essentiel pour la sécurité collective de nos citoyens. Il est primordial d’avoir un système de contrôle des armes à feu efficace, mais également basé sur une analyse pragmatique, rationnelle et judicieuse de la situation qui existe dans nos collectivités.
Le projet de loi C-21, tel qu’il se présente, n’atteint pas l’objectif auquel nous sommes en droit de nous attendre. Il n’améliorera pas significativement la sécurité publique, car il ne s’attaque pas à la véritable source des problèmes qui affligent notre société en matière d’armes à feu.
Le projet de loi C-21 impose un gel sur la vente et l’importation d’armes de poing légales utilisées par des détenteurs de permis qui les utilisent légitimement pour des activités de tir à la cible. Il tend aussi à cibler les chasseurs et certaines armes de chasse.
Or, nous savons pertinemment que la véritable source de la violence armée vient très majoritairement de deux facteurs : premièrement, les activités criminelles des groupes comme les gangs de rue, les motards criminels et les différentes mafias, dont la mafia italienne; deuxièmement, par l’utilisation d’armes illégalement acquises, illégalement utilisées et illégalement importées par des personnes criminalisées non titulaires de permis.
Cette affirmation est soutenue par le fait que plus de 90 % des armes de poing saisies grâce à des perquisitions ou à la suite d’infractions criminelles proviennent d’une importation illégale des États-Unis. Fait intéressant : en 2021, selon Statistique Canada, une arme à feu était présente dans seulement 2,6 % de tous les crimes violents. Le problème de la violence armée est donc concentré dans certaines activités criminelles et dans les activités des groupes criminalisés.
Le projet de loi C-21 sous-entend qu’il existe un lien causal entre la violence dans les villes et les armes de poing légales. Or, cette affirmation est fausse et est le résultat d’un lobbyisme basé sur une analyse émotionnelle et idéologique, certainement pas sur des faits observables par des policiers sur le terrain, comme le montrent les statistiques dont je vous ai fait part précédemment.
Il est important pour vous, sénatrices et sénateurs, de comprendre que l’essentiel du problème des armes est un problème d’armes illégales, de criminels et de contrebande d’armes qui viennent de notre voisin du Sud, avec qui nous possédons une frontière limitrophe d’environ 8 900 kilomètres.
Même si nous parvenions à éliminer l’ensemble des armes légales au Canada, nous ne verrions pratiquement aucune amélioration à cette situation problématique, à cause du régime trop permissif qui existe chez nos voisins.
Le projet de loi C-21 n’aborde pas concrètement la situation à la frontière. Nous savons tous dans le milieu policier que notre frontière est poreuse et qu’il existe des territoires autochtones où la règle de droit ne s’applique pas comme partout ailleurs au Canada. Ces territoires, stratégiquement situés le long des frontières et de la Voie maritime du Saint-Laurent, doivent être efficacement et impérativement contrôlés si nous voulons diminuer la quantité d’armes illégales en circulation et juguler le nombre de fusillades dans nos villes. Il s’agit d’un risque incalculable à notre sécurité nationale; des armes, des stupéfiants et des personnes transitent subrepticement par ces territoires.
Le projet de loi C-21 doit être modifié et intégrer des dispositions afin de répondre à la réalité. Aucune pièce d’armes à feu ne doit pouvoir être acquise si vous n’êtes pas titulaire d’un permis. Il faut que les policiers soient automatiquement impliqués dans le processus de dénonciation qu’un particulier pourrait entreprendre devant un juge, afin de lui faire part de ses préoccupations envers un détenteur de permis. Le fardeau ne doit absolument pas reposer sur le dos des victimes. Il doit aussi rendre le système de signalement plus efficace pour les professionnels de la santé.
Il doit également rendre le permis obligatoire pour posséder des munitions.
Le gouvernement doit réviser le projet de loi C-5 afin de rétablir des peines minimales obligatoires pour les infractions en matière d’armes à feu. Il doit rendre les peines infligées aux mineurs cohérentes avec celles des adultes, et aussi tenir compte de la gravité objective et du tort causé aux victimes.
Nous devons aussi améliorer la formation des policiers sur la Loi sur les armes à feu et sur la détection des individus armés.
En conclusion, je me dois aussi de souligner que l’amélioration de la situation à Montréal, Laval et Longueuil cet été est le fruit du travail acharné de policiers qui ont stratégiquement ciblé des organisations criminelles et des individus criminalisés représentant un risque élevé, ainsi que des initiatives des différents corps policiers du Québec et du gouvernement provincial, qui ont créé diverses unités consacrées à la lutte aux armes illégales. Il n’est certainement pas attribuable au décret de 2020, qui a vu son amnistie prolongée pour encore deux ans, pour un total de cinq ans.
Je vous remercie. Je suis prêt à répondre à vos questions avec plaisir.
[Traduction]
Le président : Je vous remercie, monsieur Gélinas, ainsi que monsieur Weber et monsieur Wall.
Nous allons maintenant passer aux questions. Vous disposez de quatre minutes pour chaque question et réponse. Rappelez-vous d’identifier la personne à qui vous adressez votre question et d’être le plus concis possible. Il y a un drapeau d’avertissement de 30 secondes que nous avons utilisé avec succès. Le sénateur Dagenais, notre vice-président, commencera.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Ma première question sera pour MM. Wall et Gélinas. À mon avis, le projet de loi C-21 n’a pas beaucoup de mordant pour décourager les jeunes criminels et les gangs de rue qui se procurent des armes à feu sur le marché clandestin. J’aimerais profiter de votre expérience sur le territoire de Montréal. On le sait : les criminels qui sont bien établis dans la hiérarchie utilisent souvent des jeunes, parfois même des mineurs, pour tirer à leur place.
Que peut-on faire aujourd’hui pour avoir un impact important et direct sur ces jeunes? Ma question est la suivante : les armes dans les mains des gangs, est-ce un problème législatif ou un problème judiciaire? Souvent, les sentences des juges ne sont pas assez sévères. J’aimerais vous entendre tous les deux là-dessus.
M. Gélinas : Vous avez raison, monsieur le sénateur, à propos de la cohérence des sentences. Effectivement, on entend souvent le terme « sentence bonbon », et je crois que c’est un peu la réalité. Je ne peux pas passer sous silence le projet de loi C-5, qui a aboli les peines minimales obligatoires pour un grand nombre d’infractions qui sont cruciales et surtout perpétrées par des gars de gangs de rue et d’autres types de crime organisé. Effectivement, les jeunes sont une matière première intéressante pour les gangs de rue, et les gangs de rue ne s’en cachent même pas. Ils vont eux-mêmes recruter ces jeunes en leur disant : « Tu n’as pas 18 ans; le pire qui va t’arriver, c’est d’aller dans un centre jeunesse et ton dossier ne te nuira pas. » Malheureusement, ces jeunes ne se retirent pas des gangs de rue, car dès qu’ils ont goûté à la criminalité, à l’argent que cela leur procure et à la notion de respect que leur amène le prestige criminel, ces jeunes deviennent des criminels adultes. La prévention n’a alors plus d’impact sur ces jeunes.
La prévention a de l’impact pour des gens qui n’ont pas encore franchi le Rubicon, si je puis m’exprimer ainsi. Nous sommes pris avec cette situation et c’est un bassin très facile, influençable et attiré par l’argent, car ces personnes viennent souvent de milieux défavorisés et de familles éclatées. Elles cherchent un certain sens d’appartenance, et il faut que les sentences soient appliquées en conséquence, tout comme la surveillance des individus.
Le sénateur Dagenais : Monsieur Wall?
M. Wall : Si je peux me permettre, j’aimerais compléter la réponse et aller dans la même veine. Dans ma présentation liminaire, j’ai parlé de la culture gangster rap propagée sur les réseaux sociaux et dans les vidéos. Cette culture de banalisation de la violence est un fait. Plusieurs médias l’ont fouillée, recherchée et répertoriée. Malheureusement, cette haine et l’exploitation du corps de la femme dans les vidéos, cette culture de la richesse facile, cette culture qui montre qu’on peut avoir tout ce qu’on veut par la violence attirent certains jeunes.
Toutefois, je fais attention de ne pas faire d’amalgames. Souvent, lorsqu’on étudie la situation problématique liée aux gangs dans des quartiers plus chauds, comme à Montréal-Nord, on ne parle que d’une minorité d’individus. La très grande majorité des jeunes qui évoluent à Montréal-Nord ne deviendront pas des criminels violents, mais plutôt des citoyens productifs. Il y a tout de même des jeunes qui sont attirés par cette culture de violence. Le législateur, je crois, devrait donc s’assurer que les vidéos qui font la promotion de la haine ou de la violence sont interdits. On ne peut pas accepter que les jeunes propagent de tels vidéos décadents ou dégradants à l’égard des femmes. Il y a sûrement matière à travailler de ce côté-là aussi.
[Traduction]
Le sénateur Plett : Monsieur Gélinas, vous avez répondu à ma première question, qui portait sur le projet de loi C-5. Je vous en remercie. J’allais me pencher là-dessus, mais vous avez déjà fourni les précisions voulues. J’ai une autre question pour vous.
Lorsque vous avez témoigné devant le comité de la Chambre des communes au sujet de ce projet de loi, vous avez fait remarquer que le gouvernement a choisi d’annoncer ce projet de loi à Montréal-Nord, un secteur de la ville qui est particulièrement touché par les gangs de rue. Vous avez déclaré devant le comité qu’il n’y a, en fait, aucun lien entre la violence des gangs à Montréal-Nord et les armes à feu détenues légalement par les tireurs sportifs. Comme de nombreux autres témoins nous l’ont dit, les armes à feu servant à des crimes saisies à Montréal proviennent principalement des États-Unis et sont importées clandestinement de l’autre côté de la frontière. Selon vous, quel impact aurait le projet de loi C-21 sur les problèmes de gangs et d’armes à feu à Montréal?
[Français]
M. Gélinas : Merci pour la question, monsieur le sénateur. Le projet de loi C-21 n’aura pas d’impact majeur sur la situation des gangs de rue. Comme vous l’avez mentionné, le projet de loi a été annoncé en grande pompe à Montréal-Nord, alors qu’on sait pertinemment que les armes ciblées par cette mesure législative sont détenues et utilisées légalement par des citoyens qui les ont achetées légalement et qui ont des permis.
Effectivement, on se rend compte qu’au Québec, environ 90 % des armes de poing saisies, soit à la suite d’infractions criminelles ou dans le cadre de perquisitions, proviennent des États-Unis. Malheureusement, on ne peut pas ventiler l’autre 10 %. L’hypothèse la plus probante, c’est que ce sont des armes qui, bien souvent, ont été volées. Il s’agit d’armes qui avaient été entreposées légalement, en tout respect des règles. Toutefois, rien n’est à l’épreuve des voleurs. La personne qui est en possession légale d’une arme de poing et qui l’a utilisée de façon criminelle représente une proportion infinitésimale.
[Traduction]
Le sénateur Plett : Ce doit être très frustrant pour les agents comme vous lorsqu’un projet de loi tel que le projet de loi C-21 constitue un obstacle. Cela doit être très frustrant pour les agents qui ont tenté de lutter contre le problème des gangs et des armes à feu à Montréal. Je vous remercie de votre service et de votre volonté à continuer cette lutte.
Monsieur Weber, j’ai une très brève question. Dans vos déclarations, vous avez mentionné « faire du théâtre en matière de sécurité », je crois que c’était vos mots. Pouvez-vous m’expliquer cela, s’il vous plaît?
M. Weber : Oui, je le peux, merci. Je crois que le point que nous tentons de faire valoir au Syndicat des Douanes et de l’Immigration est que, étant donné nos effectifs et les outils dont nous disposons à la frontière, nous pouvons adopter n’importe quelle loi que nous voulons concernant les armes à feu, mais notre capacité à les intercepter demeure extrêmement limitée. Nous savons d’où elles proviennent. Nous avons entendu un témoignage précédent selon lequel approximativement 90 % des armes utilisées dans le cadre de crimes proviennent des États-Unis. Notre travail est de les garder en dehors du Canada, sachant qu’elles viennent des États-Unis. Nous n’avons aucune possibilité de patrouiller entre les frontières. Nous n’inspectons pas vraiment les chemins de fer. Nous inspectons moins de 1 % des expéditions maritimes qui arrivent. Nos effectifs aux frontières terrestres et aux aéroports sont sous le seuil critique. Nous n’avons pas grand-chose, en pratique, pour arrêter l’entrée de ces armes à feu au Canada au départ.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Ma question s’adresse à MM. Wall et Gélinas.
L’un des objectifs du projet de loi C-21 est de réduire le nombre d’armes — même légales — en circulation. On veut moins d’armes, parce que, mathématiquement, avoir moins d’armes peut aussi vouloir dire avoir moins de crimes. Je vous donne un exemple. Vous insistez surtout sur les armes illégales, mais les armes légales peuvent aussi tuer ou causer des blessures.
Entre 2011 et 2021, 1 125 homicides de femmes et de filles ont été commis au Canada. Selon Statistique Canada, la plus grande proportion des tentatives de meurtre de femmes et de filles commises dans des lieux résidentiels comportait la présence d’une arme qui a entraîné des blessures corporelles. Vous semblez minimiser ce fait par opposition aux activités des gangs. Je ne prétends pas que cette proportion représente le nombre maximum de personnes blessées ou tuées et de cas de violence liée aux armes. Cependant, ne serait-il pas judicieux de tenter aussi de réduire le nombre d’armes légales au Canada, pour éviter ce genre de situations où les femmes sont souvent les victimes quand une arme se trouve dans une résidence?
M. Gélinas : Madame la sénatrice, je ne remets pas en doute vos statistiques. Je vous dis simplement que, selon les dernières statistiques disponibles, cette proportion ne représente que 2,6 % de tous les cas de violence où des armes à feu étaient présentes. En tant que patrouilleur et enquêteur, j’ai traité des milliers de cas de violence conjugale. Je vous dirais que je n’ai vu que très, très peu de cas où des armes à feu étaient impliquées.
La loi existante est très efficace actuellement. Il s’agit simplement de l’appliquer correctement, c’est-à-dire qu’il faut sensibiliser les personnes qui sont dans l’entourage de ces gens à la possibilité de faire un signalement. On tente d’inclure des mots au sujet du signalement dans le projet de loi C-21, mais ce sont des procédures que l’on utilise depuis longtemps. Je me souviens d’être intervenu comme patrouilleur au début de ma carrière, à la fin des années 1990, et d’avoir saisi des armes de façon préventive. Il ne s’agit pas de minimiser ce fait, mais plutôt de dire que le projet de loi C-21 n’aura un impact que sur environ 2 ou 3 % des armes légales impliquées dans des crimes. C’est là où le bât blesse. Il faut absolument voir de l’autre côté et se demander ceci : qu’est-ce qui tue les gens dans nos rues et qu’est-ce qui fait des victimes innocentes?
En même temps, il ne s’agit pas de nier ce que vous dites. Il faut seulement regarder la situation et l’analyser. On a vu beaucoup de féminicides au Québec récemment. De mémoire, je crois qu’on n’a utilisé des armes à feu que dans un seul cas. Je me souviens même d’un cas où un individu était impliqué dans une association de chasseurs. La Sûreté du Québec a saisi ses armes à feu deux semaines avant, le contrôleur avait fait son travail, et l’individu a tué sa victime à l’aide d’une arme blanche par la suite.
Les cas de violence conjugale sont un peu comme les suicides, et les policiers sont bien placés pour le savoir. Si une personne veut parvenir à ses fins, il n’y a malheureusement pas grand-chose qui pourra l’en empêcher. Je l’ai vu et je l’ai vécu trop souvent, effectivement.
La sénatrice Miville-Dechêne : Vous vous basez sur votre expérience. Toutefois, des statistiques montrent également que quand une arme à feu légale est présente, les chances qu’une femme soit blessée sont plus grandes.
M. Gélinas : Le risque zéro n’existe pas, effectivement, vous avez raison.
La sénatrice Miville-Dechêne : Monsieur Wall, avez-vous quelque chose à ajouter sur cette question?
M. Wall : Je m’aligne dans la même direction. En effet, on ne peut pas nier la situation que vous décrivez; le risque zéro n’existe pas. Donc, c’est sûr qu’un individu en crise ou dans une situation de dépression, quand ça ne va pas bien, quand sa femme veut le laisser, s’il n’a pas accès à une arme à feu légale ou illégale, il prendra un autre moyen pour arriver à ses fins.
La sénatrice Miville-Dechêne : Mais ce n’est pas une raison pour ne pas essayer de réduire le nombre d’armes.
M. Wall : Non, ce n’est pas une raison. Nous en sommes conscients et nous sommes d’accord avec cela.
La sénatrice Miville-Dechêne : Sauf que vous semblez dire que le seul problème, ce sont les armes à feu illégales. C’est le principal problème.
M. Wall : Ce n’est pas le seul problème.
[Traduction]
Le président : Nous avons peut-être un bon débat, mais nous avons certainement épuisé le temps imparti, j’en ai bien peur.
Le sénateur Cardozo : Je suis quelque peu décontenancé par certains de vos commentaires. Peut-être que je ne comprends pas la question ici, mais il semble que vous laissez entendre, monsieur Wall et monsieur Gélinas, que la majorité des problèmes viennent de Montréal-Nord, et qu’ils tiennent à des gens qui écoutent du gangster rap. À mon avis, il existe un problème bien plus vaste dans le pays avec les armes à feu — comme ma collègue, la sénatrice Miville-Dechêne, vient d’en parler — et qu’il existe un problème important pour les femmes qui sont victimes de violence conjugale dans les milieux tant urbains que ruraux.
Nous avons entendu divers groupes plus tôt, comme des groupes de femmes, qui sont préoccupés par le fait que, dans les milieux ruraux, il y a autant de violence que dans les milieux urbains, mais qu’il y a beaucoup moins de soutien offert aux femmes pour qu’elles soient en mesure de fuir un foyer violent.
Je pense à l’extrême droite. Je pense aux incels. Je me demande si vous avez une préoccupation concernant la violence conjugale, les incels et l’extrême droite? Pouvez-vous commenter cet aspect, monsieur Weber?
Quant à l’Agence des services frontaliers du Canada, pourriez-vous nous dire ce qui existe présentement pour permettre aux agents de l’ASFC d’empêcher l’entrée des armes au Canada? Que pouvez-vous faire actuellement, et la lacune se situe-t-elle principalement entre les points d’entrée légaux? Votre personnel n’a-t-il pas le temps d’examiner chaque voiture? J’ai déjà traversé la frontière et j’ai attendu un long moment, alors est-ce parce qu’ils sont pressés par le temps?
Peut-être que vous pouvez commencer à ce sujet, et ensuite je demanderais aux deux autres monsieurs de commenter également.
M. Weber : Merci.
Les problèmes sont partout, compte tenu de nos effectifs et de la difficulté à intercepter quoi que ce soit aux frontières terrestres, aériennes, ferroviaires ou maritimes. Sur le plan législatif, nous n’avons pas la capacité d’intercepter quoi que ce soit entre les points d’entrée.
Le sénateur Cardozo : « Entre » veut-il dire les milles de territoire entre un point d’entrée et un autre?
M. Weber : Exactement, oui. C’est du ressort de la GRC. Quand les gens traversent le point d’entrée sans arrêter, nous n’avons aucune capacité de les poursuivre. Nous devons appeler à l’aide un service de police, qui nous aide s’il est disponible, et il est souvent trop tard. Nous avons des modes — j’ai mentionné le mode ferroviaire — qui ne sont pas vraiment inspectés du tout, et à nos points d’entrée, nous manquons à ce point de personnel qu’il est désormais question principalement de facilitation. Nous ne disposons pas de l’effectif nécessaire pour réellement effectuer les fouilles et les inspections secondaires que nous devrions faire pour empêcher les armes à feu d’entrer.
[Français]
M. Wall : Avec respect, monsieur le sénateur Cardozo, tout d’abord, je dois dire que je répondais à la question préliminaire du sénateur Dagenais sur la culture gangster rap. Ce n’est qu’une partie du problème. C’est important de le mentionner : lorsque les jeunes sont influencés, pourquoi sont-ils attirés par la violence? Cela fait partie de la problématique. Il y a d’autres éléments qu’il faudrait mentionner, bien entendu.
Ce qu’il faut comprendre, c’est que oui, la problématique est large. Le projet de loi C-21 permettra de donner certains outils aux policiers. On ne nie pas que le projet de loi peut proposer certaines solutions, mais il faut constater que, dans l’ensemble, les mesures législatives qui ont été adoptées depuis quelques années n’ont pas donné les résultats escomptés et n’ont pas fait diminuer la criminalité et la violence au Canada. J’ai énuméré quelques lois. Le projet de loi C-21 ne réussira pas non plus à faire diminuer cette criminalité et cette violence, parce qu’elle ne s’attaque pas à la bonne cible. Est-ce que nous sommes pour la vertu? Oui, mais est-ce que cela va fonctionner concrètement? Malheureusement, cela ne fonctionnera pas, tout comme les autres mesures législatives.
[Traduction]
La sénatrice M. Deacon : Je vous remercie de votre présence. Il s’agit d’un témoignage très important. Je voudrais d’abord revenir en arrière pour clarifier deux choses.
La première chose que je voudrais vous demander, monsieur Weber, concerne ce que vous avez dit à propos du manque continu de personnel, des coupes budgétaires ou de toute autre chose. Est-ce parce que le budget est réduit et que l’on vous demande de faire plus avec moins? Comme nous le savons tous, il existe un programme d’études collégiales pour les services frontaliers. Est-ce parce qu’il n’y a pas assez de diplômés pour occuper ces postes? Où est le problème?
M. Weber : Les deux. Le budget est ce qu’il est. En ce qui concerne le collège, nous n’avons actuellement qu’un seul collège qui peut décerner un diplôme à un maximum de 600 agents par année, ce qui ne couvre pas l’attrition. Nous avons désespérément besoin d’un deuxième collège et ramener nos effectifs aux 2 000 ou 3 000 personnes supplémentaires dont nous avons besoin pour patrouiller correctement.
La sénatrice M. Deacon : S’agit-il de deux collèges et de deux programmes, de 1 200 personnes ou plus?
M. Weber : Pour l’heure, nous en avons un. Nous serions ravis d’en avoir un deuxième. Un troisième serait un miracle.
La sénatrice M. Deacon : C’est très utile. Je vous remercie.
Une question complémentaire pour l’Agence des services frontaliers du Canada. Nous avons parlé à des tireurs olympiques professionnels et nous les avons écoutés. Nous les connaissons, et savons quels sont les défis qu’ils doivent relever pour transporter leur équipement sportif.
Ma question est la suivante : du point de vue des frontières, avez-vous une idée des obstacles que ces athlètes doivent franchir pour transporter leurs armes à l’international?
M. Weber : Je sais que le site Web de l’ASFC est très complet et qu’il contient exactement les informations dont vous avez besoin pour les transporter. À ma connaissance, il n’y a pas eu de problème important à ce sujet.
La sénatrice M. Deacon : Merci beaucoup. Je continuerai jusqu’à ce qu’on me coupe la parole.
Je me suis également demandé, lorsque nous examinons ces armes qui traversent la frontière — vous avez parlé de 90 % — si, d’après votre expérience, nous savons de quels points frontaliers ces armes proviennent principalement? Est-ce plus ou moins répandu à tous les points d’entrée de nos frontières, ou y a-t-il des endroits spécifiques où la majorité des armes illicites sont saisies lors de leur passage ou, peut-être, sont négligées en raison de la dotation en personnel? Je ne suis pas sûre.
M. Weber : Il y en a un peu partout. C’est incroyable ce qui nous échappe quand on ne cherche pas. Nous ne faisons pas les inspections que nous pourrions faire, parce que nous n’avons tout simplement pas le personnel nécessaire.
Il est très difficile de dire où les armes arrivent. Nous ne cherchons pas vraiment. C’est là toute la difficulté.
La sénatrice M. Deacon : Si j’exporte des armes vers le Canada et que vous me dites que 1 % des inspections... nous n’effectuons que 1 % des inspections dans le cas du transport maritime, ne vais-je pas prendre des milliers et des milliers d’armes illégales et essayer de les expédier, non pas par les frontières terrestres, mais par nos voies maritimes?
M. Weber : Je pense qu’il est possible d’emprunter cette voie, oui. Je pense que le transport ferroviaire serait une autre bonne possibilité. Il en existe quelques-unes.
Nous n’inspectons même pas les trains au premier point d’entrée au Canada. Nous les inspectons au premier point d’inspection, ce qui signifie que les wagons parcourent parfois 400 kilomètres au Canada avant d’être examinés, et la plupart du temps, ils ne le sont même pas.
La sénatrice M. Deacon : Merci.
[Français]
Le sénateur Carignan : Tout cela doit être frustrant pour un policier. Vous êtes retraités, messieurs Wall et Gélinas. À l’interne, les policiers doivent être démotivés. Comment nos policiers se sentent-ils actuellement? Ce que vous dites, ce n’est pas que le projet de loi C-21 n’a aucun effet, mais que l’effet est mitigé. Je dois planter un clou, j’ai besoin d’un marteau, on me donne un tournevis. En frappant dessus, je vais peut-être le faire rentrer un peu avec le tournevis, mais ce n’est pas l’outil dont j’ai besoin; j’ai besoin d’un marteau et d’un ouvrier pour cogner avec le marteau. Les policiers voient le gouvernement annoncer un projet de loi qui va notamment régler tous les problèmes de trafic d’armes à Montréal-Nord, alors qu’il n’y a aucun lien avec la problématique qui existe.
Comment se sentent les policiers?
M. Gélinas : Vous avez raison, les policiers se sentent un peu désarçonnés. Cela a commencé avec le projet de loi C-5, parce qu’on s’est rendu compte qu’il y avait une dichotomie entre le sérieux de la problématique et le remède que l’on proposait. On ne faisait pas d’interventions en amont pour régler la surreprésentation. On donnait un coup de baguette magique pour faire disparaître le problème.
C’est un peu la même chose avec le projet de loi C-21. Ce qui se dit souvent entre nous — et je parle souvent avec des spécialistes faisant partie d’unités spécialisées avec qui j’ai collaboré —, c’est que si demain matin on éliminait la possession légale de toutes les armes, si on allait dans ce sens — plus de chasseurs, plus de tireurs, plus personne —, il n’y aurait pas moins d’événements violents dans les journaux. Comme je vous le disais, le projet de loi C-21 aura peut-être 1, 2 ou 3 % d’effet sur les propriétaires légitimes qui, malheureusement, utilisent leurs armes à mauvais escient. Dans le cas des 90 % à 95 % des armes qui proviennent des frontières à partir d’endroits décrits par mon collègue et par des territoires où les règles de droit ne s’appliquent pas tout à fait, effectivement, on est un peu découragé. On a l’impression qu’on ne nous écoute pas.
M. Wall : Je vous donne un exemple patent du découragement des policiers. À l’été 2022 à Montréal, des policiers m’écrivent lors d’une interception de véhicule, quand une arme de poing est retrouvée sur le plancher à l’arrière du véhicule. Donc, trois jeunes sont arrêtés pour possession d’arme et lorsque les policiers patrouilleurs contactent la division des enquêtes, on ne sait pas si c’est une vraie arme ou non. Donc, on décide de ne faire que l’expertise et, étant donné qu’ils sont jeunes, uniquement de bien les identifier et de les remettre aux parents. Les jeunes ont été relâchés sur-le-champ en riant au visage des policiers.
Quand mon collègue parlait plus tôt de trouver une façon d’avoir une désapprobation ou une réprobation de l’utilisation des armes à feu qui serait conséquente entre les adolescents et les adultes, cela ne donne pas le bon exemple. Il y a des adolescents qui ont une arme non expertisée, mais qui sont libérés sur place grâce au projet de loi C-75. Imaginez le découragement des policiers face à cette situation et à la banalisation de la violence que cela amène chez les jeunes, qui vont dire à leurs amis qu’il n’y a aucun problème à se promener avec une arme à feu. Cela fait partie de la problématique.
[Traduction]
Le président : Sénateur Carignan, votre temps est écoulé, je le crains.
Le sénateur Richards : Je vous remercie tous d’être présents. Quelle capacité avez-vous ou quelle influence le Canada peut-il exercer sur ces réserves sur leurs propres polices, qui ont un pied de chaque côté de la frontière et qui croient, à bien des égards, qu’elles sont leur propre nation? Quelle influence pouvons-nous avoir pour limiter la contrebande d’armes? Ou encore, en avons-nous?
[Français]
M. Gélinas : Merci de votre question, sénateur. C’est effectivement très difficile. Le travail des policiers autochtones est extrêmement complexe. Vous savez, être un policier avec ses beaux-frères, ses cousins et les membres de sa famille, parce qu’on travaille sur des territoires qui sont très circonscrits et petits, ce n’est pas facile. Cela amène un problème de fiabilité, parce qu’il y a une proximité avec la population qu’on ne retrouve nulle part ailleurs.
L’influence qu’on peut avoir... Bien évidemment, il y a des collaborations qui se font, mais je vais vous parler d’un scénario qui s’est déroulé il y a environ deux semaines. Deux personnes ont été accusées de trafic de tabac; elles ont été acquittées pour des raisons propres au juge. Même l’avocat de la défense est allé dire que la police de Montréal, la Sûreté du Québec et la GRC n’intervenaient pas sur les réserves autochtones. Lorsqu’elles le faisaient, si cela ciblait des citoyens autochtones, une permission devait être demandée, et ce, conformément à leurs règles. Des migrants sont morts l’hiver dernier. Le passeur était un Autochtone. Il a été retrouvé récemment dans les eaux. Si je suis membre d’une organisation criminelle, je peux passer un peu partout, comme mon collègue l’a mentionné plus tôt, mais si je connais les chances de me faire prendre, moyennant des montants versés sur les lieux aux groupes criminalisés, bien évidemment, je vais choisir cet endroit, parce que les risques de me faire prendre sont très faibles.
M. Wall : Si je peux bonifier la réponse, j’en ai parlé dans mon texte d’introduction. Il faut améliorer le financement des sources qui tirent des informations des réserves. Il y a de bons citoyens; la majorité des gens sur les territoires autochtones sont de bonnes personnes, de bons citoyens qui ne sont pas d’accord avec les criminels autochtones, qui représentent une minorité. Il y a beaucoup de conflits. Il faut améliorer le financement des sources pour informer les policiers autochtones, mais aussi les policiers en périphérie, en collaboration, avec des équipes mixtes. Il faut plus d’équipes mixtes formées de policiers de la PPO, de la SQ et des communautés autochtones pour aller au bout de ces informations. Si on ne veut pas entrer sur les territoires et créer de crise diplomatique — parce que c’est toujours un peu périlleux depuis la crise d’Oka —, il faut travailler en périphérie des territoires autochtones. Il faut plus de fouilles, plus d’enquêtes, plus de véhicules, que ce soit par l’eau, la route ou les airs. Il faut un plus grand échantillonnage, parce que les armes sortent par les frontières. Ce sont des mesures qui pourraient permettre de sécuriser les territoires autochtones.
[Traduction]
Le sénateur Richards : Merci beaucoup.
Le président : Merci, sénateur Richards. Nous aurons peut-être un peu de temps après les sénateurs Yussuff et Dasko, sénateur Carignan, pour que vous puissiez poser votre question supplémentaire.
Le sénateur Yussuff : Je remercie les témoins de leur présence. Ma première question s’adresse à la fois à M. Gélinas et à M. Wall.
Je comprends votre point de vue, mais un certain nombre de chefs de police sont également venus ici aujourd’hui pour témoigner au sujet du projet de loi. Ils ont constaté que de nombreux aspects de ce projet de loi leur seraient très utiles pour faire leur travail. Ce n’est pas un projet de loi parfait. La législation ne nous donne jamais la solution utopique que nous recherchons, mais pourquoi êtes-vous si catégorique? Pensez-vous qu’il y ait des aspects de ce projet de loi qui soient utiles à divers égards? Le projet de loi prévoit de nouvelles dispositions pour traquer les armes fantômes à l’aide de la technologie et des nouvelles ressources. Compte tenu de la prolifération des technologies d’assistance, il n’est même plus nécessaire de faire passer une arme en contrebande. On peut les fabriquer ici même, parce que les gens peuvent le faire légalement.
Il y a beaucoup d’autres aspects importants en ce qui concerne l’interception et la collaboration avec nos amis américains dans l’unité de contre-espionnage et de soutien. N’y a-t-il pas un aspect de ce projet de loi qui brille par son absence et qui aiderait les policiers de première ligne à mieux faire leur travail?
[Français]
M. Gélinas : Monsieur le sénateur, tout ce qui concerne les armes fantômes a été abordé par la cheffe de police adjointe Wilson. Il y a certainement des choses à faire pour empêcher la prolifération des connaissances et des fichiers informatiques qui pourraient être utilisés pour fabriquer des armes fantômes. Si on n’en importe plus qui sont déjà fabriquées et qu’on peut les fabriquer ici, c’est problématique.
Vous parliez des Américains. Le problème, c’est qu’aux États-Unis, avoir une arme à feu est un droit constitutionnel; ici, heureusement, c’est un privilège. Au Canada, on sait bien à quel point il est complexe de modifier la Constitution; ce n’est pas nécessaire de refaire l’histoire. Ce qui se passe au Canada n’est pas un problème pour eux. Ils ne se sentent pas concernés. Pour eux, si un individu vend ses armes à feu et si elles aboutissent au Canada, ils vont collaborer en nous donnant de l’information sur l’arme qui a été fabriquée aux États-Unis. Pour eux, ce n’est pas un crime.
Il y a beaucoup d’agences aux États-Unis qui sont impliquées lorsqu’un colis part de la Floride, d’où proviennent le plus d’armes à feu illégales, avec l’Ohio. Cela demande énormément de ressources pour que les Américains soient en mesure de suivre une arme et des individus et pour faire en sorte qu’ultimement, ils réussissent à monter un dossier pour les accuser. Pour eux, le bénéfice n’existe pas. C’est malheureux, mais cela ne les empêche pas de dormir si certaines armes à feu se retrouvent au Canada. Le projet de loi C-21 apporte des bons points. Il ne fait que codifier ce qu’on faisait déjà avec les mesures « drapeau rouge ». Ce sont des façons de faire qui existaient déjà, mais cela les officialise, et on ne peut pas être contre la vertu.
Le fait de créer une infraction pour modifier un chargeur à haute capacité est certainement une bonne chose. Par contre, c’est tellement simple à faire au Canada qu’il n’y a personne qui se spécialise là-dedans. Ils vont vous vendre le chargeur et vous dire qu’il y a un rivet là et que vous devez l’enlever, et voici comment faire. La personne ne gardera pas cette chaleur sur elle; elle fera en sorte que l’autre personne le fasse.
Donc, ce n’est pas tout noir ou tout blanc. Il y a de bonnes dispositions, mais malheureusement, les principales dispositions ne régleront rien, parce que plus de 90 % des armes de poing sont illégales. Donc, le problème est à gauche et on intervient à droite.
[Traduction]
La sénatrice Dasko : Merci à nos témoins. Messieurs Gélinas et Wall, vous avez évidemment souligné que la présence d’armes illégales au Canada est une source de criminalité. Je me demande ce que vous pensez du fait qu’il y a eu tant de fusillades de masse au Canada, comme à la Polytechnique, à Dawson, à Moncton, à la mosquée de Québec et à Fredericton. Il s’agissait dans tous les cas d’armes à feu légales. Il y a également eu des homicides familiaux de masse impliquant des armes à feu légales, comme celui qui vient de se produire à Sault Ste. Marie, où une ex-conjointe et trois enfants ont été abattus, une autre victime a été blessée, et le tueur s’est suicidé.
Les considérez-vous comme des crimes? Font-ils partie de vos statistiques?
[Français]
M. Gélinas : Évidemment. Ils font partie des statistiques. Je suis d’accord avec vous pour dire que les crimes que vous avez décrits pour ce qui est des tueries de masse... Évidemment, il ne faut pas nous comparer avec nos voisins américains, parce qu’ils en ont des centaines, voire des milliers.
Si on regarde l’histoire du Canada, heureusement, il n’y en a pas eu beaucoup depuis plus de 150 ans. Je suis tout à fait d’accord avec vous pour dire qu’une tuerie en est une de trop, mais le risque zéro n’existe pas. La preuve, c’est que conduire est un privilège; pourtant, il y a eu environ 1 000 morts sur les routes du Québec au cours des trois dernières années. Donc, il faut regarder tout cela en proportion.
Si on regarde la totalité des meurtres qui ont été commis, que ce soit avec une arme à feu ou avec d’autres moyens, et les événements malheureux que vous avez décrits, il est sûr et certain qu’en toute proportion, c’est quand même un pourcentage assez faible. Cela n’excuse pas ces gens, mais il y a quand même très certainement des moyens d’intervenir. Portapique a été la plus grosse tuerie de masse au Canada, et les crimes ont été perpétrés avec des armes illégales. L’AR-15 que l’individu a utilisé était arrivé au pays par la frontière.
Tant le décret que le projet de loi C-21 n’auront pas d’impact là-dessus, parce que les criminels ne se soucient pas des lois. Avec tout ce que l’on a décrit, qui est notre expérience et celle de nos collègues... La frontière, je pense que ce n’est plus une hypothèse, c’est un fait : elle est très poreuse, notamment en raison de sa longueur. Donc, on se sent très concerné par ce que vous dites, mais il faut aussi regarder la loi existante. Il y a des vérifications qui devraient probablement être plus exhaustives, plus sérieuses, parce que les permis sont délivrés pour une durée de cinq ans, mais si aucun événement n’est rapporté entre les renouvellements de permis, il n’y a pas de vérifications ponctuelles qui sont faites en général. On pourrait peut-être faire en sorte que, justement, on fasse des appels aux conjoints ou à d’autres plus régulièrement.
Encore une fois, pour avoir traité des milliers de cas de violence conjugale, je peux vous dire une chose : malheureusement, lorsqu’un individu est déterminé à tuer sa conjointe ou ses enfants... On en a vu de toutes les sortes, et les armes à feu ne sont certainement pas les outils les plus utilisés pour commettre ces crimes horribles.
Ce sont des meurtres, pas des drames familiaux; ce sont des meurtres.
[Traduction]
La sénatrice Dasko : Il y a tant de cas où des armes légales ont été utilisées pour commettre des crimes. Vous n’êtes certainement pas en train de dire que ce n’est pas un problème.
[Français]
M. Gélinas : Vous dites qu’il y en a beaucoup; moi, je vous dis que Statistique Canada a dit en 2021 que, parmi tous les crimes violents, une arme à feu était impliquée dans seulement 2,6 % des cas; en 2020, si je ne me trompe pas, on parlait de 3 %. Donc, 97 % des crimes avec violence ne sont pas commis avec une arme à feu.
[Traduction]
Le président : Je vous remercie. Je crains que nous devions passer à autre chose. Nous avons le sénateur Plett et le sénateur Dagenais.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Ma question s’adresse à M. Weber.
J’avais hâte de vous parler de l’état de la situation dans les postes frontaliers, parce que chaque fois que j’ai eu l’occasion de questionner les patrons et les sous-ministres de l’Agence des services frontaliers du Canada, on m’a répondu que tout allait très bien et que des mesures étaient en train d’être mises en place. Je vous dirais que votre discours est un peu différent.
Seulement au chapitre de la lutte contre le trafic d’armes, qu’est-ce qu’on aurait pu faire, mais qui n’a pas été fait avec les importantes sommes d’argent que les politiciens disent investir pour lutter contre ces phénomènes? Est-ce que vous savez où va l’argent exactement?
[Traduction]
M. Weber : L’argent investi ne va certainement pas à la dotation en personnel. Je peux donner des exemples. Notre frontière terrestre la plus fréquentée, à Windsor, n’a pas d’appareil de radiographie fonctionnel depuis l’époque précédant la COVID. Nous avons des unités maritimes sans bateau. Nous les appelons les « dockers ». La situation est absolument désastreuse.
La difficulté que j’éprouve avec mes homologues, à l’ASFC, qui est très différente des services de police, c’est que la plupart d’entre eux n’ont jamais fait ce travail. Je dois l’expliquer à de nouvelles personnes, année après année. Je participe à ce travail syndical depuis plus de dix ans, et de nouveaux groupes de personnes se succèdent tous les dix-huit mois, tous les deux ans. Ils ne viennent pas du domaine, et ils font fi de notre avis sur la manière de sécuriser nos frontières.
L’autre problème, comme je l’ai souligné à plusieurs reprises, c’est que nous n’avons pas la possibilité de travailler entre nos points d’entrée. La frontière s’étend sur près de 9 000 kilomètres, et ce sont là des angles morts pour nous.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Merci, monsieur Weber, et merci, monsieur le président.
[Traduction]
Le sénateur Plett : Merci d’avoir répondu à ma deuxième question, monsieur Weber. Cela allait être ma deuxième question si nous avions le temps, mais j’en ai une autre.
Le 23 octobre, nous avons entendu Aaron McCrorie, vice-président de la Direction générale du renseignement et de l’exécution de la loi de l’ASFC. Il a dit qu’environ 400 des 1 100 armes à feu saisies à la frontière en 2022 l’ont été au point d’entrée — en d’autres termes, là où l’ASFC avait la priorité. Cependant, seule une petite partie de ces armes à feu était passée en contrebande par des organisations criminelles et était donc destinée spécifiquement à un usage illégal. La plupart des armes saisies par l’ASFC étaient simplement confisquées à des voyageurs américains qui ne connaissaient peut-être pas la législation canadienne et pensaient pouvoir légalement faire passer leur arme dans leur camion.
Cela correspond-il à votre expérience? Est-il juste de dire que la majeure partie de la contrebande illégale d’armes à feu au Canada par des groupes criminels ne se fait pas aux points d’entrée?
M. Weber : Je pense que ces statistiques sont exactes. Il est très fréquent que les Américains ne connaissent pas nos lois et ne sachent pas qu’ils n’ont pas le droit d’apporter ces armes de poing au Canada.
Dire que la majorité ne passe pas par nos points d’entrée, et, là encore, c’est très peu... et il est donc difficile de fournir des statistiques précises lorsqu’on ne cherche pas ce que l’on veut trouver. Une fois de plus, j’ai souligné les lacunes en matière de transport ferroviaire et maritime et notre incapacité à patrouiller entre les points d’entrée. Il est évident qu’il s’agit là de lacunes importantes pour nous. Cependant, aux frontières terrestres, encore une fois, nous effectuons très peu de recherches en raison de nos faibles effectifs. Tout est devenu une question de facilitation, et l’argent investi l’est dans les technologies qui suppriment l’interaction avec les voyageurs. Il s’agit de dédouanement préalable, d’intelligence artificielle, de moyens permettant aux gens de passer sans jamais avoir à interagir avec un agent ou à subir une fouille, ce qui est très préoccupant. Nous parlons aussi d’empêcher les armes à feu illégales d’entrer au Canada. Personne ne déclarera qu’il introduit une arme à feu en contrebande. Cela n’arrivera jamais.
Le sénateur Plett : Serait-il juste de supposer, messieurs, qu’à votre avis, le projet de loi C-21 n’est pas la réponse à nos problèmes?
M. Weber : Je pense que le projet de loi C-21 comporte de réels aspects positifs. Nous avons soumis des propositions concernant des éléments dont nous ne savons pas s’ils pourraient être ajoutés au projet de loi C-21, mais pour empêcher ces armes à feu illégales d’entrer au Canada, nous devons en faire davantage à nos frontières.
Le sénateur Plett : Nous serions intéressés à entendre vos propositions et nous serions heureux que vous nous les fassiez parvenir par l’intermédiaire de la greffière.
M. Weber : Je le ferai. Je vous remercie, monsieur.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : D’abord, monsieur le président, j’aimerais m’excuser. J’étais à l’autre endroit pour défendre mon projet de loi, qui va très bien d’ailleurs, donc je m’excuse auprès de vous.
En fait, vous dites que la majorité, sinon la totalité des tueries au Canada depuis 20 ans ont été commises avec des armes illégales?
M. Gélinas : Non. En fait, la quasi-totalité des tueries qui ont eu lieu a été commise par des titulaires de permis avec des armes légales. Ce n’était pas le cas de la tuerie de Portapique, qui est la plus importante. Effectivement, c’est un risque qui existe, malheureusement.
Le sénateur Boisvenu : On sait que, depuis 1979 notamment, il y a une régression constante des meurtres ou des homicides commis avec une arme à feu. Il y a eu six lois adoptées durant cette période qui n’ont aucunement accéléré ou ralenti cette régression; elle est constante. On parle de 1 % à 2 % par année. Cela se traduit par une réduction de 70 % des meurtres depuis 1979, indépendamment des lois qui ont été adoptées. Dans le cas d’une loi adoptée en 1995, on a investi de 2 à 3 milliards de dollars. Cela n’a pas eu plus d’effet sur le taux de criminalité.
On va peut-être investir 1 milliard de dollars dans ce projet de loi pour racheter des armes. Est-ce que ce milliard de dollars aura un rapport direct avec la décroissance de la criminalité?
M. Gélinas : Non, absolument pas. Vous faites référence au décret et au programme de rachat, si je comprends bien?
Le sénateur Boisvenu : Exactement.
M. Gélinas : Non. Depuis trois ans, les supposées armes d’assaut sont encore entre les mains des propriétaires. Le gouvernement avait décidé à l’origine de les laisser à ces gens pour qu’ils ne puissent pas les utiliser. À la suite des pressions exercées par des groupes qui ne sont pas en faveur du contrôle des armes à feu, mais pour leur abolition, le gouvernement a changé son fusil d’épaule.
Cela fait trois ans. Est-ce qu’un AR-15 a été utilisé dans une tuerie de masse au Canada? Absolument pas. Un seul a été utilisé à Portapique. C’était une arme illégale qui provenait du Maine. On repousse encore une fois l’amnistie pour deux autres années. Je ne veux pas être cynique, mais on nous annonce l’apocalypse en tentant de faire des amalgames avec la situation aux États-Unis, qui est à des années-lumière de ce que l’on vit ici. Depuis trois ans, pour ces gens qui ont acheté ces armes légalement, avec des permis, l’apocalypse n’est pas arrivée.
[Traduction]
Le président : Chers collègues, cela nous amène à la fin de nos travaux avec ce groupe de témoins. Je tiens sincèrement à remercier M. Weber, M. Wall et M. Gélinas. Vous nous avez fait dépasser la limite de temps, ce qui signifie toujours que vous avez bien fait votre travail. Nous apprécions grandement votre expérience, votre expertise et les conseils que vous nous apportez aujourd’hui.
J’aimerais remercier mes collègues autour de la table de leur participation ce soir. Comme toujours, ils ont fait ressortir le meilleur de nos témoins. Nous poursuivrons l’examen de ce projet de loi le mercredi 22 novembre, à 11 h 30, à la salle B45.
Chers collègues, nous approchons de la fin de notre liste de témoins et nous prévoyons procéder à l’étude article par article la semaine prochaine, le lundi 27 novembre. Je rappelle aux membres qui souhaitent proposer des amendements qu’ils sont encouragés à consulter le Bureau du légiste du Sénat pour s’assurer que les amendements sont rédigés en bonne et due forme ainsi que dans les deux langues officielles.
Je vous souhaite à tous une bonne soirée. Merci.
(La séance est levée.)