LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE LA SÉCURITÉ NATIONALE, DE LA DÉFENSE ET DES ANCIENS COMBATTANTS
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 22 novembre 2023
Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants se réunit aujourd’hui, à 11 h 30 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi C-21, Loi modifiant certaines lois et d’autres textes en conséquence (armes à feu).
Le sénateur Jean-Guy Dagenais (vice-président) occupe le fauteuil.
Le vice-président : Honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants. Je m’appelle Jean-Guy Dagenais, et je suis le vice-président de ce comité.
Je suis accompagné des autres membres du comité aujourd’hui, et je les inviterais maintenant à se présenter.
Le sénateur Boisvenu : Pierre-Hugues Boisvenu, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Richards : Je m’appelle Dave Richards, et je viens du Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Boehm : Je m’appelle Peter Boehm, et je viens de l’Ontario.
Le sénateur Cardozo : Je m’appelle Andrew Cardozo, et je viens de l’Ontario.
Le vice-président : Merci. La sénatrice Dasko sera bientôt des nôtres.
Je m’adresserai maintenant à ceux qui écoutent la réunion. Nous poursuivons notre étude sur le projet de loi C-21, Loi modifiant certaines lois et d’autres textes en conséquence (armes à feu).
[Français]
Dans notre premier panel, nous avons le plaisir de recevoir, par vidéoconférence, le Dr Mark Sinyor, professeur associé et psychiatre au Centre des sciences de la santé Sunnybrook, à l’Université de Toronto. Sur place, nous recevons Mme Lucie Léonard, directrice du Centre canadien de la statistique juridique et de la sécurité des collectivités de Statistique Canada. Nous recevons aussi sur place Mme Josée Bégin, statisticienne en chef adjointe, Statistique sociale, de la santé et du travail chez Statistique Canada.
Bienvenue parmi nous. Nous sommes prêts à entendre vos déclarations préliminaires. Une période des questions des sénateurs et des sénatrices suivra. Je vous rappelle que vous disposez de cinq minutes pour vos déclarations préliminaires.
[Traduction]
Nous allons commencer par Mark Sinyor aujourd’hui.
Dr Mark Sinyor, professeur associé et psychiatre, Centre des sciences de la santé Sunnybrook, Université de Toronto, à titre personnel : Bonjour, mesdames et messieurs membres du comité. Je suis honoré d’être parmi vous aujourd’hui.
Je suis chercheur en prévention du suicide et j’ai publié plus de 100 articles scientifiques sur le suicide, principalement axés sur les stratégies de prévention du suicide au niveau de la population, telles que la restriction des méthodes de suicide. J’ai été vice-président du conseil d’administration de l’Association canadienne pour la prévention du suicide. Je suis l’auteur principal des lignes directrices de l’Association des psychiatres du Canada pour une couverture médiatique responsable. Je mène également l’équipe des Amériques de l’initiative Partnerships for Life de l’Association internationale pour la prévention du suicide, qui vise à promouvoir des stratégies nationales de prévention du suicide.
Je suis ici aujourd’hui pour vous dire que les efforts législatifs visant à réduire l’accès aux armes à feu sont une composante nécessaire de la prévention globale du suicide au Canada.
Les comportements suicidaires sont complexes de nature et influencés par une myriade de facteurs. De nombreuses personnes décident de se suicider de façon impulsive. Souvent, elles sont ambivalentes par rapport à la mort ou elles sortent d’une brève crise qui altère de manière transitoire leur sens de la perspective et leur capacité à penser rationnellement compte tenu de leur vulnérabilité.
Le fait d’avoir des moyens létaux à portée de main chez soi accroît le risque de décès dans de telles situations. Il s’agit de l’une des conclusions les plus reproductibles de la recherche sur le suicide. En tant que cliniciens et chercheurs, nous travaillons sans relâche pour éliminer ces moyens afin de gagner un temps précieux pour que la crise passe et pour permettre à une personne de réfléchir, de se raviser et de demander de l’aide.
Certains des premiers travaux de recherche sur le suicide ont montré que la détoxification des gaz domestiques et des émissions automobiles avait pour effet fortuit de réduire les taux de suicide globaux dans de nombreux pays. L’idée que la restriction de l’accès aux méthodes de suicide sauve des vies n’est pas controversée parmi les experts en prévention du suicide, et des pays du monde entier mettent en œuvre des interventions de restriction des méthodes de suicide.
L’examen le plus important — probablement — des études sur la prévention du suicide réalisé au cours de la dernière décennie a conclu qu’il :
... existe aujourd’hui des preuves solides que la restriction de l’accès aux moyens létaux mène à une diminution du nombre de suicides et que la substitution par d’autres méthodes semble être limitée.
Dans son guide pratique « LIVE LIFE » pour la prévention du suicide dans les pays, l’Organisation mondiale de la santé considère que la restriction des méthodes de suicide est la première de quatre interventions clés. Cela comprend l’accès aux armes à feu. Selon l’OMS, il s’agit « [d’une] intervention universelle fondée sur l’expérience en matière de prévention du suicide. »
Certains prétendent que les stratégies de restriction des méthodes « ne fonctionnent pas ». Or, il s’agit du mythe no 6 sur la liste des mythes sur le suicide de la Clinique Mayo.
L’un des problèmes de la recherche axée sur la population est qu’elle implique de vastes expériences non contrôlées. Je connais bien ce problème. La première étude sur le suicide que j’ai publiée montrait qu’une intervention de restriction des méthodes de suicide à Toronto ne fonctionnait apparemment pas parce que les gens remplaçaient un lieu de suicide par un autre. J’ai passé les deux dernières décennies à examiner les données de plus près et à prouver que cette intervention avait en fait fonctionné, mais que les résultats avaient initialement été dissimulés par d’autres facteurs.
Ces observations sont de nature complexe et non contrôlée, et c’est pourquoi nous devons être très prudents lors de l’interprétation des résultats des analyses portant sur la législation canadienne en matière d’armes à feu et de suicide. Certains chercheurs ont conclu que la législation ne fonctionnait pas, puisque la réduction des suicides par arme à feu n’avait pas affecté les taux de suicide globaux, mais cette conclusion ne serait juste que si les taux de suicide étaient restés stables au cours des dernières années, ce qui n’est pas une bonne hypothèse.
L’arbre cache la forêt. Ne l’oublions pas. De 1981 à 2008, le taux de suicide normalisé selon l’âge au Canada a chuté d’environ 33 %, un changement considérable. La situation est demeurée à peu près stable depuis. Cette évolution a coïncidé avec un déclin précipité des suicides par arme à feu. Aux États-Unis, le taux de suicide global a augmenté de 37 % au cours des deux dernières décennies. Comment expliquer cette différence? Il est clair que les différences de législation et de disponibilité des armes à feu entre nos pays y sont pour beaucoup.
Cette conclusion est encore plus renforcée par les résultats d’essais contrôlés. Lors de ces essais, on a entre autres comparé les États américains qui restreignent l’accès aux armes à feu à ceux qui ne le font pas. Sur 49 études, 48, soit 98 %, ont montré que la restriction de l’accès aux armes à feu entraînait une diminution du nombre de suicides en général. Les auteurs de ces études ont conclu que :
la restriction de l’accès aux moyens les plus disponibles et les plus meurtriers pour se suicider, comme les armes à feu, a fait baisser les taux de suicide par méthode restreinte et les taux de suicide globaux lorsque la méthode était suffisamment répandue...
En conclusion, de nombreuses sources montrent que la restriction des méthodes de suicide, y compris de l’accès aux armes à feu, est un élément efficace d’une stratégie de prévention fondée sur des données probantes.
Je vous remercie de votre temps.
Le vice-président : Merci beaucoup, docteur Sinyor.
[Français]
Nous passons maintenant au prochain témoin, de Statistique Canada. Mme Josée Bégin fera sa déclaration préliminaire. Madame, la parole est à vous.
Josée Bégin, statisticienne en chef adjointe, Statistique sociale, de la santé et du travail, Statistique Canada : Honorables membres du comité, je tiens à vous remercier de nous donner l’occasion de présenter nos plus récentes statistiques sur les crimes violents commis à l’aide d’une arme à feu au Canada.
Les renseignements présentés aujourd’hui sont fondés sur les données de deux enquêtes. Le Programme de déclaration uniforme de la criminalité recueille des renseignements détaillés sur les infractions criminelles qui sont portées à l’attention de la police auprès de plus de 600 services de police, partout au Canada. La deuxième source est l’Enquête sur les homicides, qui recueille des renseignements plus détaillés portant exclusivement sur les homicides.
En 2022, les crimes déclarés par la police, y compris les crimes violents, ont augmenté pour une deuxième année consécutive après avoir diminué au cours de la première année de la pandémie. Avant la pandémie, les crimes violents étaient en hausse depuis cinq ans.
L’indice de gravité des crimes violents de 2022 était le plus élevé depuis 2007.
[Traduction]
En 2022, les crimes violents commis à l’aide d’une arme à feu ont représenté moins de 3 % des crimes violents déclarés par la police. Le taux de crimes commis à l’aide d’une arme à feu pour 100 000 habitants a augmenté de 2013 à 2019. Il convient de noter que de 2009 à 2013, le taux national avait diminué. En 2022, selon les données déclarées par la police, les jeunes hommes âgés de 12 à 17 ans étaient le plus souvent les auteurs présumés de crimes violents commis à l’aide d’une arme à feu, et on dénombrait 111 jeunes auteurs présumés pour 100 000 habitants. Ce taux était supérieur de 47 % au taux d’il y a 10 ans. Venaient ensuite les jeunes hommes âgés de 18 à 24 ans, qui affichaient un taux de 101 auteurs présumés pour 100 000 habitants, ce qui représentait une augmentation de 4 % par rapport à 2012.
Nous sommes conscients des préoccupations que suscite l’utilisation d’armes à feu dans les cas de violence conjugale. Selon nos plus récentes données, environ 1,2 % des victimes de crimes violents commis par un partenaire intime ont été impliquées dans une affaire liée aux armes à feu. Lorsqu’on examine les affaires de violence entre partenaires intimes dont les victimes sont de sexe féminin, la proportion de violence liée aux armes à feu est plus élevée par rapport aux victimes de sexe masculin. On parle de 1,3 % par rapport à 0,6 %.
En 2022, il y a eu environ 14 000 affaires de crimes violents commis à l’aide d’une arme à feu, ce qui représente 36,7 affaires pour 100 000 habitants. Ce taux était supérieur de 9 % à celui de 2021. Cette hausse était principalement attribuable aux augmentations observées en Ontario, au Nouveau-Brunswick et en Colombie-Britannique, où les taux avaient augmenté de 24 % dans les deux premières provinces et de 12 % dans la troisième.
Dans l’ensemble, les taux de crimes violents liés aux armes à feu étaient plus élevés dans les régions nordiques des provinces, en particulier dans les régions rurales du Nord et dans les territoires. Les taux étaient également plus élevés dans les provinces des Prairies, et le taux provincial le plus élevé a été observé en Saskatchewan. En 2022, 62 % des crimes violents commis à l’aide d’une arme à feu dans les régions urbaines du Sud mettaient en cause des armes de poing. Dans les régions rurales du Sud, le tiers des crimes violents commis à l’aide d’une arme à feu étaient liés à une carabine ou un fusil de chasse, et 36 % étaient liés à une arme similaire à une arme à feu ou à un type inconnu d’arme à feu. En 2022, les armes de poing étaient les armes à feu les plus courantes à Toronto, à Ottawa et à Hamilton. Elles étaient liées à 83 % des crimes violents commis à l’aide d’une arme à feu à Toronto. Quant à Ottawa et Hamilton, la corrélation s’élevait à 70 %.
Depuis que les crimes violents commis à l’aide d’une arme à feu ont atteint un creux en 2013, le taux de crimes commis à l’aide d’une arme de poing a augmenté de 50 %, tandis que les crimes commis à l’aide d’un fusil de chasse ou d’une carabine ont augmenté de 45 % et que les crimes commis à l’aide d’un fusil à canon scié ou d’une arme à feu entièrement automatique ont progressé de 35 %. Toutefois, la plus forte hausse — 76 % — a été observée dans la catégorie « arme semblable à une arme à feu ou type inconnu d’arme à feu ». Cette catégorie comprend, par exemple, les fusils à plomb, les pistolets lance-fusées, les armes à balles BB, les pistolets de départ et les armes à feu imprimées en 3D. Cela comprend également les incidents pour lesquels la police n’a pas pu déterminer le type d’arme à feu présent.
Le nombre d’homicides à l’échelle nationale a augmenté de 8 % en 2022, marquant ainsi la quatrième hausse annuelle consécutive. En 2022, les forces de police ont déclaré 874 homicides, dont 343 homicides ayant été commis avec une arme à feu, soit 45 de plus qu’en 2021. Le taux d’homicides commis avec une arme à feu a augmenté de manière générale au cours des neuf dernières années. Depuis le milieu des années 1980, la proportion des homicides commis au moyen d’une arme à feu était relativement plus faible que celles des homicides perpétrés avec un couteau ou d’un autre instrument perçant. Toutefois, depuis 2016, les armes à feu sont devenues la méthode la plus souvent utilisée pour commettre un homicide. En 2022, près de la moitié des homicides commis au moyen d’une arme à feu étaient liés aux activités des gangs, contre 7 % des homicides n’impliquant pas d’arme à feu.
Pour conclure, Statistique Canada reconnaît qu’il existe des lacunes en matière d’information, et continue de collaborer avec un large réseau d’intervenants du milieu de la justice et de la sécurité publique afin d’identifier et de traiter les besoins et les priorités en matière de renseignements.
[Français]
Le vice-président : Merci beaucoup, madame Bégin, pour votre présentation.
Avant de passer à la période des questions, je tiens à souligner la présence du sénateur Plett, qui s’est joint à nous.
[Traduction]
Nous accueillons nos témoins d’aujourd’hui jusqu’à 12 h 30. Nous allons faire de notre mieux pour permettre à chaque député de poser une question. Dans cette optique, chaque député disposera de quatre minutes pour poser sa question et obtenir la réponse.
[Français]
Je brandirai cette carte pour vous indiquer qu’il vous reste 30 secondes. Je vous demande de poser des questions succinctes et de préciser le témoin auquel vous voulez vous adresser.
[Traduction]
Le sénateur Boehm : Je remercie nos témoins de leur présence. Ma question s’adresse principalement à Mme Bégin, mais j’invite également les autres témoins à y répondre s’ils le souhaitent.
Le mémoire que Statistique Canada nous a présenté indique que le taux de violence liée aux armes à feu a augmenté de manière générale au cours des dernières années, et vous l’avez également mentionné dans votre déclaration de tout à l’heure.
Bien que les crimes violents commis au moyen d’une arme à feu représentent généralement moins de 3 % des crimes violents déclarés par la police au Canada, vous avez souligné que ce type de crimes s’accompagnent de répercussions physiques et émotionnelles significatives sur les familles des victimes et les communautés.
Dans quelle mesure estimez-vous que la mise en place du projet de loi C-21 puisse contribuer à réduire les répercussions physiques et émotionnelles des crimes liés aux armes à feu au pays? D’ailleurs, est-il même possible d’établir des projections de ce genre sur le plan statistique? Enfin, je suis également curieux de comprendre de quelle manière Statistique Canada définit la notion de « répercussions émotionnelles ».
Lucie Léonard, directrice, Centre canadien de la statistique juridique et de la sécurité des collectivités, Statistique Canada : Merci pour ces questions en deux volets. En ce qui concerne l’augmentation générale des crimes violents liés aux armes à feu, nous avons constaté depuis 2013 une certaine fluctuation d’une année à l’autre, mais il est indéniable que ce genre de crime connaît une forte hausse. L’augmentation la plus importante, de l’ordre de 76 %, concerne les types d’armes à feu inconnues ; il pourrait s’agir d’armes à feu fantômes, mais nous n’en sommes pas certains.
Une partie de l’augmentation des crimes violents pourrait s’expliquer par une augmentation du taux de jeunes accusés de crimes perpétrés avec une arme à feu. En effet, au cours de la dernière décennie, nous avons constaté une augmentation de l’ordre de 40 % pour ce genre de crimes commis par des jeunes de moins de 18 ans.
Il se pourrait également que des armes inconnues qui ressemblent à des armes à feu conventionnelles soient utilisées dans une proportion relativement importante pour commettre ce genre de crimes, ce qui n’était pas le cas dans le passé. Comme je l’ai mentionné, il pourrait s’agir d’armes à feu fantômes.
La collecte de données que mène Statistique Canada par rapport à l’augmentation des crimes liés aux armes à feu est limitée par le fait que le Programme de déclaration uniforme de la criminalité, auquel participe l’ensemble des services de police du Canada, ne permet pas d’établir une distinction entre les différents types d’armes qui s’apparentent à des armes à feu, qu’il s’agisse de fusils à plomb, d’armes fantômes ou d’armes à feu imprimées en 3D. À notre avis, il est toutefois peu probable que l’augmentation de la violence par armes à feu soit majoritairement attribuable à ce type d’armes.
Comme je l’ai mentionné, nous avons constaté une forte augmentation des crimes violents commis au moyen d’une arme à feu depuis 2013, mais nous ne pouvons pas nous prononcer en toute certitude sur les causes de ce phénomène.
Le sénateur Boehm : Je vous remercie. Je suis désolé de devoir vous interrompre parce que le temps passe, mais je voulais savoir si vous avez une définition concernant les répercussions émotionnelles des crimes par armes à feu. Est-il possible selon vous de mesurer ce genre de répercussions?
Mme Léonard : Je ne crois pas qu’il soit possible de quantifier ce genre de répercussions psychologiques. Le projet de loi à l’étude aujourd’hui prévoit de mettre en place des mesures de protection plus efficaces pour les victimes, notamment en termes d’escalade de la violence. Je pense que ces mesures seront inscrites dans les ordonnances de protection.
L’idéal est de prévenir l’apparition d’un traumatisme chez la victime, ou de réduire ses effets. L’un des objectifs du projet de loi est de restreindre l’accès à des armes à feu chez les individus qui manifestent des signes d’instabilité, ou qui risquent de causer un préjudice aux victimes. Chez Statistique Canada, nous menons des enquêtes sur la victimisation et nous travaillons en étroite collaboration avec différents organismes de protection des victimes. Le projet de loi contient plusieurs mesures de protection supplémentaires pour les victimes, ainsi que des mesures visant notamment à réduire l’impact émotionnel chez les victimes de violence conjugale.
[Français]
Le vice-président : Merci beaucoup, madame Léonard.
Le sénateur Boisvenu : Bienvenue aux témoins.
Effectivement, il est relativement inquiétant de voir que de 1980 à 2010, il y a eu une décroissance constante du nombre d’homicides commis avec des armes à feu. Depuis le début des années 2000, on voit une recrudescence assez marquée.
Avez-vous examiné les principaux facteurs liés à l’augmentation des crimes commis avec des armes à feu au cours des 10 dernières années?
Mme Léonard : Vous parlez des principaux facteurs qui seraient liés aux crimes commis avec des armes à feu, n’est-ce pas?
Le sénateur Boisvenu : Vous comprendrez que si le projet de loi prévoit de réduire la criminalité, il faut connaître les facteurs liés à cela.
Mme Léonard : Oui, c’est ce qui a été soulevé à ce comité, à savoir qu’on ne prétend pas de comprendre tout le côté rationnel autour de la causalité de cette violence, mais un des éléments qui a été mentionné, c’est un meilleur contrôle des armes à feu. Dans le cadre de la collecte des données, si on parle d’un régime sévère de contrôle des armes à feu au Canada, l’information n’est pas nécessairement disponible.
Le sénateur Boisvenu : À peine 3 % des crimes sont commis avec des armes à feu et à peine 1,5 % des crimes liés à la violence conjugale sont commis avec des armes à feu. Est-ce qu’on peut dire qu’on a un contrôle des armes à feu?
Mme Léonard : On dit qu’on a un contrôle des armes à feu, mais si on observe la situation des dernières années, les statistiques démontrent que c’est en progression. Des témoins qui ont comparu devant ce comité, dont des représentants de la Gendarmerie royale du Canada et de l’Agence des services frontaliers du Canada, ont dit que la situation est plutôt alarmante, notamment en ce qui concerne la circulation des armes imprimées en 3D.
Le sénateur Boisvenu : Des représentants du Service de police de Toronto sont venus témoigner devant le comité et ils nous ont dit que, depuis l’entrée en vigueur du projet de loi C-75 — et en raison de l’ensemble des politiques de ce gouvernement en matière de légalisation des drogues —, il y a un lien entre la déréglementation des drogues et le projet de loi C-75. Presque 20 % des meurtres, à Toronto, ont été commis par des gens qui ont été remis en liberté à la suite du projet de loi C-75.
Avez-vous des données à ce sujet pour établir une corrélation entre les politiques du gouvernement et l’augmentation du nombre de crimes?
Mme Léonard : Ce sont les enjeux que nous soulevons dans le cadre de notre travail. Nous parlons de la traçabilité, de l’origine des armes à feu. Vous avez mentionné des facteurs, mais tout cela demande de meilleures données pour établir des liens, ce que nous n’avons pas nécessairement actuellement.
C’est le travail qu’on veut faire avec l’Association canadienne des chefs de police. Nous voulons être en mesure de mieux cerner les données relatives aux incidents policiers ainsi que les données personnelles. À Statistique Canada, nous avons d’autres données socioéconomiques pour intégrer ces données et faire un suivi des gens qui acquièrent des armes à feu et qui les utilisent pour blesser des gens ou...
Le sénateur Boisvenu : Avez-vous des données relatives à l’utilisation d’armes à feu non enregistrées ou illégales par rapport à la criminalité?
Mme Léonard : Nous savons que dans 88 % des cas de violence conjugale, les gens n’avaient pas de permis. L’arme était légale. Ces données sont dans les notes de breffage, mais la personne...
Le vice-président : Madame Léonard, je suis désolé de vous interrompre. Le temps de parole est écoulé.
Le sénateur Boisvenu : Merci, madame Léonard.
Le vice-président : Si vous avez des données supplémentaires, on aimerait les recevoir par écrit.
Mme Léonard : Absolument.
Le vice-président : Si c’est possible de nous les faire parvenir d’ici vendredi, ce serait apprécié.
[Traduction]
Le sénateur Cardozo : Ma première question s’adresse au Dr Sinyor. Pourriez-vous nous donner plus d’informations concernant certains de ces détails?
Je m’intéresse aux statistiques par rapport aux suicides. Par exemple, pourriez-vous nous dire quel est le pourcentage de suicides commis au moyen d’une arme à feu?
Disposez-vous de renseignements sur les personnes qui utilisent une arme de poing ou une arme d’épaule, et savez-vous s’il s’agit d’armes légales ou illégales?
Dr Sinyor : Je vous remercie, sénateur. En ce qui concerne la proportion de suicides commis au moyen d’une arme à feu, je peux vous dire qu’elle a considérablement diminué. En 1980, environ un tiers de tous les suicides répertoriés au Canada avait été commis au moyen d’une arme à feu. Selon les dernières statistiques que j’ai consultées, cette proportion serait passée à 16 %, soit environ la moitié du taux répertorié en 1980.
Pour ce qui est des types d’armes utilisés, je ne dispose pas de cette information, veuillez m’en excuser.
Le sénateur Cardozo : D’accord, il n’y a pas de problème. Je vous remercie.
Je vais poser une question à nos deux autres témoins, Mme Bégin et Mme Léonard. Avez-vous des renseignements concernant les cas de violence conjugale? Nous avons entendu des témoignages convaincants de la part de représentants de groupes de femmes et d’organismes de protection des victimes de violence conjugale. Tous se sont montrés tout à fait favorables à ce projet de loi. Ils nous ont rappelé que la violence conjugale se produit autant dans les zones rurales que dans les zones urbaines.
Avez-vous des statistiques par rapport à la fréquence d’utilisation d’une arme à feu dans les cas de violence conjugale, selon qu’il s’agisse de personnes vivant dans les centres urbains ou dans les régions rurales?
Mme Léonard : Pour ce qui est de la répartition exacte, nous allons vous revenir avec les données pertinentes. Les statistiques sur la violence conjugale que nous avons recueillies dans le cadre du Programme de déclaration uniforme de la criminalité indiquent qu’il ne s’agit en général pas d’incidents isolés, mais d’une progression dans la violence, d’une escalade. Voilà ce que les données ont montré.
Le projet de loi contient plusieurs suggestions, notamment la mise en place d’une ordonnance de protection d’urgence ou d’une ordonnance civile de protection en cas de violence conjugale. Les données relatives aux appels de service reçus par les forces policières pourraient être colligées et analysées afin de mieux comprendre la violence conjugale, et de désamorcer l’escalade.
Dans les cas d’homicides, que ce soit à Sault Ste. Marie ou dans d’autres cas récents, nous constatons que les délinquants avaient souvent des antécédents de violence conjugale, mais que les renseignements pertinents n’avaient pas été recueillis en temps utile. C’est pourquoi la mise en place d’une ordonnance de protection d’urgence ou d’une ordonnance civile de protection en cas de violence conjugale pourrait permettre d’éviter une escalade de violence. De nombreux témoins ont rappelé qu’il est essentiel d’améliorer le partage de renseignements liés aux armes à feu afin d’éviter l’escalade de violence et les préjudices qui en découlent.
Le sénateur Cardozo : Dans un tel contexte d’escalade de violence, la présence même d’une arme à feu au sein du domicile représente une menace, même si elle n’est pas utilisée.
Mme Léonard : Tout à fait. Comme on l’a déjà mentionné ici, des statistiques colligées aux États-Unis indiquent que la seule présence d’une arme à feu dans le domicile fait en sorte que les femmes sont cinq fois plus susceptibles d’être victimes d’un homicide. Au Canada, on entend souvent dire que la présence d’une arme à feu dans le domicile augmente les risques d’homicide et de suicide, mais nos statistiques ne permettent pas pour l’instant d’évaluer l’augmentation exacte des taux de risque.
Le vice-président : Je vous remercie.
Le sénateur Yussuff : Je tiens tout d’abord à remercier nos témoins de leur présence. Ma première question s’adresse au Dr Sinyor, et porte sur la prévention du suicide, et sur la problématique du suicide de manière plus générale. Au Canada, bien des efforts ont été menés en termes d’éducation et de sensibilisation de la population par rapport aux armes à feu. Selon vos connaissances et l’état actuel de vos recherches, comment pourrions-nous améliorer la prévention du suicide?
Dr Sinyor : Je vous remercie pour votre question, sénateur. Je dirais d’abord qu’il n’existe aucune réponse simple à cette question. En effet, nous avons développé deux principales stratégies de prévention du suicide à l’échelle de la population, que je vais présenter très brièvement. La première stratégie consiste à restreindre l’accès aux moyens d’effectuer une tentative de suicide, notamment les armes à feu. L’autre stratégie consiste à réduire la disponibilité cognitive chez les personnes vulnérables, c’est-à-dire éviter de leur décrire les différentes manières de mettre fin à leur vie. Nous devons plutôt chercher à sensibiliser les gens aux moyens d’aller chercher de l’aide lorsqu’ils se trouvent en situation de crise.
Par conséquent, il est dangereux et contre-productif de parler aux gens vulnérables de méthodes de suicide. Le proche aidant ou le professionnel est animé de bonnes intentions lorsqu’il tente de dissuader une personne d’utiliser telle ou telle méthode de suicide courante. Bien que cette stratégie d’intervention puisse présenter certains avantages, il est pernicieux de présenter des méthodes de suicide à une personne qui n’y aurait peut-être pas pensé d’elle-même. Les risques sont bien réels, et il convient donc de se montrer très prudent.
Le meilleur conseil que je puisse vous donner est de mettre l’accent sur la réduction du nombre d’armes à feu dans un domicile. En ce qui concerne les personnes qui possèdent déjà des armes à feu, il faut prendre toutes les mesures nécessaires pour en réduire l’accès. Mettre une arme à feu hors de la portée d’un enfant permet également de réduire les chances qu’une personne aux idées suicidaires puisse s’en servir. Que Dieu nous préserve qu’une telle chose arrive.
Le sénateur Yussuff : Je vous remercie. Madame Léonard, madame Bégin, la collecte de données est très importante, car elle nous permet d’approfondir nos connaissances, et d’élaborer les meilleures politiques publiques possible. À cet égard, et sur la base de vos présentations respectives, de quelle manière pouvons-nous mieux vous aider à élaborer une politique publique plus efficace? Je pose la question parce que je remarque qu’il semble y avoir un grand écart entre les données que vous nous avez présentées, et les détails plus précis susceptibles de nous aider de manière concrète. Il faut aller directement à la source de la problématique; si les forces policières ne recueillent pas ce genre de données fondamentales, alors les chefs de police ne disposeront pas de moyens cohérents pour les aider à aborder ce genre d’enjeux.
Nous devons élaborer des politiques publiques en tenant compte de toutes les données que des organismes comme Statistique Canada ont recueillies et traitées. Il faut également faire parvenir toutes les données pertinentes aux intervenants qui travaillent sur le terrain. Peut-être avez-vous d’autres observations susceptibles d’alimenter notre réflexion par rapport à ce projet de loi.
Mme Léonard : C’est une très bonne question. Vous avez raison de noter qu’il est fondamental d’améliorer nos efforts de collaboration, et qu’il est difficile de colliger des statistiques sur les armes à feu, que ce soit au Canada ou dans d’autres pays.
En ce qui concerne le travail que nous avons effectué aujourd’hui, je rappelle l’importance de la coordination horizontale entre nos différents partenaires, notamment la Sécurité publique et la GRC. Grâce aux fonds octroyés par la Sécurité publique, nous avons pu mener une étude de faisabilité sur les meilleures méthodes de collecte de données par rapport aux crimes violents commis avec une arme à feu. Ce travail a débouché sur des recommandations, et il nous reste à normaliser certaines définitions.
[Français]
Le vice-président : Madame Léonard, je suis désolé. Nous allons poursuivre la période de questions.
[Traduction]
Le sénateur Richards : Je remercie les témoins de leur présence. Ma question s’adresse au Dr Sinyor, mais permettez-moi d’abord de vous mettre en contexte. Quatre de mes proches ont mis fin à leurs jours — deux l’ont fait par asphyxie, et deux ont eu recours à l’aide médicale à mourir, car je rappelle que le suicide assisté est maintenant légal dans notre pays.
La majorité des personnes que je connais qui pratiquent la chasse se soucie énormément de la sécurité, et est parfaitement consciente des dangers potentiels d’une arme à feu. Bien franchement, tous les propriétaires d’armes à feu que je connais possèdent une armoire de rangement hautement sécurisée. Je me demande en quoi ce projet de loi pourrait contribuer concrètement à la prévention du suicide.
Nous ne sommes pas toujours capables de déchiffrer l’état d’esprit d’une personne, et les symptômes liés à la dépression et aux idées suicidaires sont loin d’être toujours évidents. Par conséquent, comment prévenir le moment où un proche décide d’en finir avec sa propre vie? Nous ne pouvons pas deviner quand cela se produira. Je me demande si le fait de réglementer toujours plus les armes à feu pourra réellement améliorer la situation. En fait, je me demande même si l’interdiction pure et simple de toutes les armes à feu serait vraiment bénéfique.
Pourriez-vous répondre à cette question, s’il vous plaît?
Dr Sinyor : Je vois. Merci pour cette excellente question, sénateur. Je tiens également à vous présenter mes plus sincères condoléances.
D’une certaine manière, vous avez fini par répondre à votre propre question, à savoir qu’il n’est malheureusement pas toujours possible de détecter l’état d’esprit suicidaire d’un proche. En ce qui concerne la réglementation des armes à feu, la situation entre le Canada et les États-Unis est très différente. Mes collègues psychiatres aux États-Unis m’expliquent que comme ils ne peuvent pas empêcher ni restreindre l’accès de leurs patients à des armes à feu, ils ne peuvent que s’efforcer de détecter les cas de dépressions et les situations à risque. Cette stratégie connaît un certain succès, mais elle s’avère beaucoup moins efficace que l’absence d’armes à feu. Une excellente méthode de prévention du suicide est de limiter au maximum le nombre d’armes à feu accessibles.
La meilleure réponse que je puisse vous donner est que, dans les limites de l’acceptabilité sociale, nous devrions tout mettre en œuvre pour limiter au maximum le nombre d’armes à feu accessibles. Comme vous l’avez souligné avec justesse, nous ne pouvons pas prévenir la dépression, et encore moins deviner qu’une personne est en proie à des pensées suicidaires. Toutefois, nous avons bel et bien le pouvoir de limiter la présence d’objets pouvant être utilisés par une personne vulnérable pour passer à l’acte. Nous avons le pouvoir, et le devoir, de gagner du temps précieux pour permettre à cette personne d’aller obtenir de l’aide.
Par ailleurs, la plupart des crises suicidaires sont très passagères. Le moment de réel danger ne dure parfois que quelques minutes, voire une demi-heure. J’ai vu bien des cas où si la personne avait eu un moment pour réfléchir à la situation, pour reconsidérer son geste, cela aurait été tout ce dont elle avait besoin. La présence d’une arme à feu vient interrompre ce processus et est fatale dans de nombreux cas.
Le sénateur Richards : On pourrait en dire autant d’une voiture lorsqu’une personne veut se suicider par asphyxie, et de nombreux autres moyens. Ce que je dis, c’est que la réduction de la capacité des chargeurs n’empêcherait pas une personne de prendre une .303 pour se suicider. Il suffit d’une seule balle. Ce que je dis, c’est qu’un grand nombre des propositions dans ce projet de loi n’aideraient pas à prévenir des suicides. C’est ce qui me préoccupe au sujet de votre observation, monsieur.
J’en resterai là. Je vous remercie.
Le sénateur Plett : Ma question s’adresse également au Dr Sinyor. Je vais rebondir sur ce qu’a dit le sénateur Richards. Si nous retirions toutes les voitures de la circulation, il n’y aurait pas d’accidents routiers. Pour en revenir à l’étude, que vous avez cosignée avec plusieurs collègues en 2019, et à votre commentaire, vous avez comparé les suicides par arme à feu à Toronto avec ceux dans les cinq plus grandes régions métropolitaines des États-Unis, et vous avez constaté que les taux de suicide par arme à feu étaient les plus élevés dans les centres où il y avait une forte prévalence d’armes à feu. Toronto avait le taux le plus élevé de suicides par d’autres moyens que les armes à feu, mais je pense que vous diriez que la présence d’armes à feu rend le suicide plus probable, ce que vous avez déjà fait.
C’est intéressant, mais vous devez considérer cela dans le contexte du projet de loi. C’est ce dont nous parlons ici : le projet de loi C-21. Ce projet de loi ne réduit pas réellement le nombre d’armes à feu légales en circulation au Canada. Il interdira assurément l’achat et la vente d’armes de poing légales, mais il ne retirera aucune arme de poing de la circulation, du moins jusqu’à ce qu’une personne décède et que sa succession la perde. Rien n’empêche les propriétaires d’armes de poing ou toute autre personne de posséder ou d’acheter une autre arme à feu. Le projet de loi confirme également l’interdiction de ce que l’on qualifie de fusil d’assaut, mais il ne réduit pas le nombre d’autres armes en circulation, y compris les armes à feu semi-automatiques. En fait, le gouvernement paiera les propriétaires d’armes à feu pour qu’ils lui remettent les armes à feu interdites, et leur permettra ensuite d’utiliser cet argent pour acheter d’autres armes s’ils le souhaitent.
Ainsi, monsieur, si la présence d’armes à feu augmente le risque qu’une personne passe à l’acte, quelle incidence aura le projet de loi C-21 s’il ne réduit pas le nombre d’armes à feu légales actuellement en circulation?
Dr Sinyor : Je vous remercie, sénateur.
Le sénateur Plett : Je pose la question précisément au sujet du projet de loi C-21.
Dr Sinyor : Oui, je vous remercie. Il y a plusieurs façons de répondre à la question. Tout d’abord, je pourrais contester un petit peu ce que vous avez dit au début en comparant les voitures et les armes à feu. En fait, l’une des principales constatations est qu’en rendant les voitures moins polluantes dans les années 1990, cela a eu une incidence considérable. Il est beaucoup plus difficile aujourd’hui de mettre fin à ses jours dans une voiture que par le passé. Les taux sont très faibles. Il n’y a qu’une poignée de personnes qui le font par année à Toronto, alors qu’il est beaucoup plus facile de le faire avec une arme à feu...
Le sénateur Plett : Permettez-moi de préciser quelque chose. Je ne parlais pas des suicides dans les voitures. J’ai simplement dit que s’il n’y avait pas de voitures sur les routes, il n’y aurait pas d’accidents routiers, un point c’est tout.
Dr Sinyor : Oui, c’est vrai. C’est juste. La question est : avons-nous besoin de voitures? Avons-nous besoin d’armes à feu? Les réponses à ces questions peuvent être différentes.
Je suis d’accord avec vous pour dire que, pour l’essentiel, tout effort visant à réduire l’accès aux armes à feu, ou leur disponibilité, constituera la stratégie la plus efficace pour réduire le nombre de suicides. Par exemple, pour répondre à la dernière remarque du sénateur précédent concernant les chargeurs, cela pourrait être utile pour la prévention des homicides ou des homicides de masse, mais je ne pense pas que cette constatation aura une incidence dans le cas des suicides. Il faut décider quels éléments du projet de loi peuvent fonctionner pour les différents types d’effets néfastes causés par les armes à feu.
Le sénateur Plett : Toutefois, le projet de loi ne retire aucune arme de la circulation.
Dr Sinyor : Ce serait mieux. Du point de vue de la prévention du suicide, il serait bon d’en faire plus à ce sujet.
Le sénateur Plett : D’accord, mais nous avons besoin d’autre chose que le projet de loi C-21. Nous sommes en train d’étudier le projet de loi C-21. Il ne fait pas ce que vous suggérez et aimeriez qu’il fasse. C’est mon point. J’appuie sans réserve l’idée de faire tout en notre pouvoir pour prévenir les suicides. Il n’y a aucun doute. Mon argument est que le projet de loi C-21 ne fait pas cela, alors pourquoi ne pas trouver un autre mécanisme, parce que ce n’est pas la réponse à ce que vous suggérez.
La sénatrice Dasko : Je remercie nos témoins d’être avec nous. Ma question s’adresse également au Dr Sinyor. Je vous remercie beaucoup pour votre travail et, en tant que Torontoise, je suis vraiment ravie d’avoir le Sunnybrook Health Sciences Centre dans ma collectivité. C’est une grande institution. Je suis heureuse que vous y soyez associé. Vous êtes un spécialiste des questions de suicide et de sa prévention. Votre théorie, basée sur des données, est qu’en réduisant les moyens de se suicider — les armes à feu étant l’un d’eux — nous pouvons nous attendre à une baisse des taux de suicide. Permettez-moi de vous poser quelques questions. Tout d’abord, un peu en rapport avec ce que le sénateur Plett vient de vous demander, en ce qui concerne le projet de loi et l’interprétation que vous en avez, devrait-il y avoir plus de restrictions sur les armes à feu que ce qui y est prévu actuellement? Est-ce que cela réduirait les taux de suicide?
Deuxièmement, aidez-moi à comprendre une question qui a été soulevée à plusieurs reprises au sein de notre comité au sujet de la disponibilité. Certaines personnes ont dit qu’on trouve des couteaux dans toutes les maisons. Comment se fait-il alors que les gens ne s’en servent pas pour tenter de se suicider? Il se peut qu’ils le fassent, mais je voudrais juste que vous nous parliez un peu de ce sujet pour mieux comprendre cela.
Troisièmement, en ce qui concerne vos commentaires sur le fait que le suicide est impulsif, qu’il existe des facteurs temporaires chez de nombreuses personnes, diriez-vous que la plupart des personnes qui font une tentative de suicide n’en font pas d’autre par la suite? Avez-vous des données à ce sujet? Je vous pose beaucoup de questions et je vous remercie d’y répondre.
Dr Sinyor : Je vous remercie, sénatrice. C’est vraiment un honneur de travailler à Sunnybrook. Pour ce qui est du projet de loi, les armes à feu peuvent causer des blessures de trois manières différentes, d’une manière non intentionnelle et de deux manières intentionnelles, à savoir l’homicide et le suicide. Tout projet de loi sur les armes à feu devrait comporter des éléments permettant de traiter les trois à la fois. Pour répondre à votre question, une mesure qui réduirait le nombre d’armes à feu serait assurément utile. Si nous pouvions ajouter une telle mesure au projet de loi, cela contribuerait à réduire le nombre de suicides au Canada.
Cela rejoint la deuxième question que vous avez posée au sujet des couteaux. Les gens essaient effectivement de mettre fin à leurs jours en utilisant des couteaux; nous les voyons parfois à l’hôpital. C’est un moyen beaucoup plus difficile de mettre fin à ses jours et, le plus souvent, l’acte n’est pas mortel. Quand la personne se présente aux urgences, cela nous donne l’occasion d’intervenir, mais c’est très rare. Je peux penser à des dizaines de cas de personnes qui ont utilisé un couteau pour tenter de mettre fin à leur vie que j’ai vues à l’hôpital, mais je ne peux penser à aucun ayant utilisé des armes à feu parce qu’elles sont si mortelles.
En ce qui concerne votre question sur le nombre de tentatives, il est variable. Il est vrai que la majorité des personnes qui meurent par suicide y arrivent lors de leur première tentative. C’est une proportion d’environ 50-50, mais un peu plus lors de la première tentative. Ce que l’on veut vraiment, toutefois, c’est que cette première tentative ne soit pas mortelle, de sorte qu’on puisse procurer des soins à la personne et intervenir.
[Français]
Le vice-président : Ma question s’adresse à Mme Léonard. Les criminologues ont l’habitude de dire qu’il faut toujours analyser les statistiques sur les meurtres sur une période de huit à dix ans pour tirer des conclusions qui sont valables. Souvent, les courbes sont épisodiques, comme les guerres de gangs, entre autres, dans le crime organisé.
Seriez-vous d’accord pour dire qu’il faudrait éviter, peut-être, les conclusions hâtives ou les inquiétudes qui peuvent être alimentées par des émotions, surtout lorsque vient le temps de modifier les lois?
Mme Léonard : C’est une bonne question. Absolument; c’est pour cela qu’on voudrait savoir comment ce projet de loi peut nous aider à mieux mesurer ce qui est analysé, dans ce cas-ci, les armes à feu qui sont en circulation au Canada. Certains diront qu’en ce qui a trait aux armes légales, on ne semble pas avoir de données systématiques à l’échelle du pays. Certains diront qu’il y a quand même un mélange avec le marché illégal. C’est le cas, entre autres, de la Gendarmerie royale du Canada, qui grâce à son centre de traçage des armes à feu, a démontré qu’il y a une partie des armes légales qui ne sont jamais retrouvées. Des témoins l’ont aussi mentionné ici.
Dans ce contexte, nous sommes là pour soutenir les partenaires de sécurité publique, de justice, et en tant qu’agence statistique nationale, nous avons le mandat légal d’obtenir des statistiques juridiques et sur la sécurité des collectivités qui sont adéquates.
Dans ce sens, ce projet de loi peut nous aider, par exemple, à élaborer de meilleurs standards et une collecte plus systématique pour qu’on puisse avoir, encore là, un meilleur portrait des armes légales et illégales au Canada. Je pense que c’est de cette façon qu’on peut appuyer ou éclairer des projets de loi.
Le vice-président : Merci, madame Léonard.
Le sénateur Boisvenu : Ma question s’adresse aux gens de Statistique Canada.
Est-ce que vous avez des études comparées concernant la clientèle de 16 à 24 ans relativement à l’usage d’une arme à feu lorsqu’un crime est commis? Est-ce que vous avez des données comparatives entre l’usage d’une arme de poing et l’usage d’une arme de chasse?
Mme Léonard : Non. Merci, sénateur Boisvenu, c’est une très bonne question. On est en train de se pencher, justement, sur une demande plus détaillée sur les armes à feu et le profil des détenteurs de ces armes. Alors, on pourrait essayer de vous fournir plus de détails selon les groupes d’âge, parce qu’entendons-nous, ce n’est pas le même système adulte et juvénile. Cependant, une des sources...
Le sénateur Boisvenu : Les statistiques que vous avez fournies plus tôt sont très inquiétantes concernant les jeunes de 16 à 18 ans, où le pourcentage d’augmentation de la criminalité avec l’usage d’une arme à feu dépasse presque toutes les autres catégories d’âge.
On sait que lorsqu’un crime est commis par un mineur — c’est le cas notamment au Québec —, lorsque celui-ci devient majeur et qu’il commet un autre crime, les données le concernant lorsqu’il était mineur s’effacent du système; elles n’y apparaissent plus.
Tout le projet de loi qu’on a devant nous, le projet de loi C-21, s’appuie sur l’augmentation de la criminalité. Toutefois, si l’augmentation de la criminalité touche les jeunes de 16 à 18 ans, ce n’est pas un projet de loi comme celui-ci qui va régler le problème de la criminalité. Ce sont des programmes sociaux, des programmes d’accompagnement, la prévention, ne le croyez-vous pas?
Mme Léonard : Oui, absolument. Même le ministre LeBlanc a ouvert ainsi les discussions ici...
Le sénateur Boisvenu : Le ministre LeBlanc, une semaine après être venu ici, a déclaré dans les médias que le projet de loi C-21 aura peu d’impact sur le crime organisé. Donc, il y aura peu d’impact sur les jeunes mineurs qui se procurent des armes à feu, de poing surtout, et qui commettent des crimes dans la rue.
Quel impact ce projet de loi aura-t-il sur les mineurs?
Mme Léonard : Je ne pense pas qu’on est dans une situation où on peut...
Le sénateur Boisvenu : D’accord, c’était ma question. Merci.
[Traduction]
Le sénateur Yussuff : Madame Léonard et madame Bégin, je veux revenir à votre réponse au sujet de votre projet pilote. Je n’ai pas compris la conclusion.
J’aimerais beaucoup en savoir plus sur la façon donc ce projet pilote pourrait nous permettre de recueillir de meilleures données pour nous aider à mieux comprendre les crimes commis par arme à feu au pays.
Mme Léonard : Oui, ce projet pilote a été lancé en 2018 et en est au stade de la collecte des données. Le travail s’est fait sur recommandation et avec l’approbation de l’Association canadienne des chefs de police et consiste essentiellement à ajouter de nouvelles variables au Programme de déclaration uniforme de la criminalité, ou DUC, afin de mieux cerner les caractéristiques des armes à feu qui n’existaient pas auparavant.
Il a débuté en 2019, mais c’est la raison pour laquelle ce projet pilote a reçu des fonds de Sécurité publique Canada pour les cinq prochaines années afin de recueillir des données sur les caractéristiques des armes à feu, le nombre qui est saisi, récupéré ou volé dans le cadre d’une affaire criminelle, et leur origine. Ce travail avec Sécurité publique Canada, qui consiste à ajouter ces nouvelles variables au Programme de déclaration uniforme de la criminalité existant de tous les services de police sur les affaires criminelles déclarées par la police, permettra d’assurer ou, du moins, de favoriser des définitions plus cohérentes des armes à feu dans les services de police du Canada.
Le sénateur Yussuff : En ce qui concerne Statistique Canada, quand pourrons-nous commencer à recevoir ces nouvelles données qui nous donneront des renseignements détaillés sur les types d’armes à feu — légales —, et surtout sur ce qui nous aiderait à comprendre les crimes et l’utilisation qu’on fait de ces armes à feu?
Mme Léonard : Nous travaillons avec le Comité spécial sur les armes à feu et le Comité sur l’information et les statistiques policières de l’Association canadienne des chefs de police, et des membres du Comité spécial sont aussi venus témoigner.
Nous prévoyons recueillir les données l’année prochaine, et ce sera donc très probablement en 2025. Encore une fois, compte tenu de la situation, nous pouvons toujours voir s’il existe des résultats préliminaires, des données, concernant la collecte de données, en particulier sur l’origine des armes à feu au Canada, afin d’avoir une meilleure idée de ces affaires également.
En ce qui concerne la formation et certains des défis qui ont été soulevés au sein du comité, à savoir que même la police et les procureurs ne comprennent pas toujours les lois, il s’agit également d’un défi pour que les informations soient saisies de la bonne façon dans tous ces dossiers par les policiers et même les procureurs.
La formation est importante pour assurer la qualité des données et la validité de ces informations. C’est nouveau pour tout le monde.
Le sénateur Richards : Je vous remercie beaucoup. Je reviens au Dr Sinyor, s’il vous plaît. Je n’essaie pas de vous malmener ou quoi que ce soit du genre.
Mes enfants sont allés à l’hôpital Sunnybrook. Nous les y avons emmenés lorsque nous habitions à Toronto. Il y avait un pont sur la rue Bloor près de la promenade Don Valley d’où un certain nombre de personnes se sont suicidées lorsque j’y étais, et il y avait un pont sur la Miramichi d’où un certain nombre de personnes se sont suicidées également.
Mon seul point est qu’on ne peut pas prévoir les actions ou les réactions des gens en légiférant. J’ai vraiment des réserves au sujet de l’attitude positive face à ce projet de loi, qui aura tôt ou tard des conséquences négatives pour les personnes ordinaires qui possèdent des fusils pour le tir d’entraînement ou la chasse. Je pense qu’on cible ces personnes sans pour autant résoudre le problème.
J’aimerais que vous nous fassiez part de vos commentaires à ce sujet, monsieur.
Dr Sinyor : Je vous remercie beaucoup, sénateur. Ne vous inquiétez pas, je ne me sens pas malmené.
Je pense que la réponse à votre question pourrait être celle que vous avez soulevée au sujet du viaduc de la rue Bloor. C’est en fait l’objet de ma recherche. C’est l’étude que j’ai mentionnée dans mes remarques préliminaires.
À l’origine, il semblait que la barrière n’avait pas modifié les taux de suicide en raison des augmentations observées à d’autres endroits. Plus tard, j’ai effectué des recherches qui ont révélé que les médias canadiens — comme le Globe and Mail — avaient publié un article deux mois après la mise en place de la barrière, dans lequel ils mentionnaient d’autres ponts d’où les gens pouvaient se jeter. Il s’agissait d’une violation flagrante des lignes directrices concernant les médias, même si, à l’époque, il n’y en avait pas au Canada. C’est la raison pour laquelle je consacre aujourd’hui la majeure partie de ma carrière à la diffusion de messages publics, même si je m’occupe également de la limitation des moyens et d’autres types de prévention du suicide.
Les médias ont cessé d’en parler, et la littérature scientifique plus récente montre vraiment que, de manière durable au cours des décennies, la barrière semble avoir réduit les taux de suicide aux 10 personnes environ qui étaient décédées à cet endroit. Il y a eu une conclusion temporaire selon laquelle elle n’a pas eu d’effet initial, probablement en raison de l’effet des médias. Même si on faisait valoir que restreindre les moyens ne fonctionne pas, à long terme, cela a fonctionné.
Le sénateur Richards : J’ai une dernière question pour vous, monsieur. Possédez-vous une arme à feu ou connaissez-vous des gens qui en possèdent une? Avez-vous parlé à des gens qui les utilisent comme loisir ou pour la chasse et qui les utilisent de façon sécuritaire?
Comme je l’ai dit, 95 % des gens que je connais utilisent très consciencieusement leurs armes à feu. C’est ce qu’on leur a appris dès l’enfance.
Dr Sinyor : C’est tout à fait possible. Toutefois, même si vous êtes consciencieux, si vous êtes dans une crise suicidaire, cela peut l’emporter sur votre conscience.
Pour répondre à votre question, je ne possède pas d’arme à feu. En fait, je connais beaucoup de gens qui en possèdent, mais la plupart sont des collègues américains.
Le sénateur Richards : Je vous remercie.
[Français]
Le vice-président : Avant de conclure notre premier panel, je vais me permettre un commentaire.
J’ai été policier durant 40 ans et pendant 25 ans, j’ai travaillé sur la route où j’ai eu à couvrir plusieurs appels de suicide. Aux endroits où les gens n’avaient pas d’arme à feu, c’était des suicides par pendaison — je peux vous dire que j’en ai malheureusement décroché quelques-uns. Quand il y avait des armes à feu, les gens s’étaient tirés avec leurs armes à feu — et je vous éviterai les détails.
C’est moi qui ai trouvé mon meilleur ami, qui était policier, avec son arme à feu dans la bouche. Il s’était suicidé. Malheureusement, il y a trop de suicides chez les policiers, ils utilisent leur arme à feu. Je n’ai pas de statistiques, je ne suis pas un professionnel, mais pendant ma carrière, la plupart des suicides que j’ai couverts où il y avait des armes à feu — je suis un peu d’accord avec le Dr Sinyor, c’est une forme de suicide qui se fait rapidement.
Malheureusement, les gens qui le font ne nous en parlent pas. Mon meilleur ami, qui s’est suicidé, j’avais dîné avec lui la veille et le lendemain, je l’ai trouvé mort avec son arme de service. Les policiers utilisent malheureusement leur arme de service. Je ne suis pas un professionnel; je vous dis simplement ce que j’ai constaté.
Merci docteur Sinyor, madame Bégin et madame Léonard. Nous vous sommes reconnaissants pour vos contributions. Merci pour le temps que vous avez consacré au partage de votre expérience avec nous. Nous allons suspendre la séance et nous allons préparer notre deuxième panel.
[Traduction]
Nous allons maintenant passer à notre prochain témoin.
[Français]
Pour les personnes qui nous écoutent en direct, cette réunion porte sur le projet de loi C-21, Loi modifiant certaines lois et d’autres textes en conséquence (armes à feu). Pour ce deuxième panel, nous avons le plaisir d’accueillir Doug Chiasson, directeur général, Institut de fourrure du Canada.
Bienvenue parmi nous. Nous sommes prêts à entendre votre déclaration préliminaire. Une période des questions des sénateurs et sénatrices suivra.
[Traduction]
Monsieur Chiasson, allez-y quand vous serez prêt.
Doug Chiasson, directeur général, Institut de fourrure du Canada : Bonjour, mesdames et messieurs les sénateurs. Je m’appelle Doug Chiasson, et je suis directeur général de l’Institut de fourrure du Canada.
Cet institut, qui a été créé par les ministres de la Faune du Canada en 1983, est le porte-parole national du secteur de la fourrure au pays. Il est responsable du programme canadien de mise à l’essai et de certification des pièges conformément à l’Accord sur les normes internationales de piégeage sans cruauté, et il plaide en faveur d’un secteur de la fourrure durable et bien géré et de la conservation des animaux à fourrure au nom des 50 000 trappeurs du Canada. Le travail de l’institut soutient non seulement le commerce de la fourrure, mais aussi la recherche sur la faune, la gestion des prédateurs, la résolution des conflits entre les humains et la faune et la protection du bétail.
Je vous remercie beaucoup de me donner l’occasion de prendre la parole devant vous aujourd’hui sur cet important projet de loi. Le projet de loi C-21, quelles que soient les bonnes intentions qui le sous-tendent, aura des conséquences désastreuses pour les trappeurs canadiens s’il est adopté dans sa forme actuelle.
Le rôle important des armes de poing dans le piégeage a été reconnu explicitement par le gouvernement de l’époque dans les autorisations de port d’armes à feu à autorisation restreinte et dans certains règlements sur les armes de poing. Le trappeur est explicitement mentionné à l’article 3c) du règlement comme un particulier qui a besoin « d’une arme à feu à autorisation restreinte ou d’une arme de poing prohibée dans le cadre de son activité professionnelle légale... ».
Malheureusement, de nombreux trappeurs n’ont pas été en mesure d’accéder aux autorisations de port en raison de la bureaucratie et des règles byzantines. Sans l’équipement de sécurité nécessaire à leur travail, les trappeurs s’exposent à des risques accrus.
Les trappeurs utilisent des armes de poing et d’autres armes à feu à autorisation restreinte à deux fins principales : l’élimination sans cruauté des animaux pris au piège et l’autodéfense contre les grands prédateurs.
Pour de nombreux trappeurs qui utilisent des pièges de capture, une arme de poing chambrée pour un petit calibre à percussion annulaire comme une carabine de calibre .22 est l’outil idéal pour assurer une mort rapide et sans cruauté tout en minimisant les dommages causés à la fourrure de l’animal piégé.
En outre, les ours, les cougars et les loups sont tous de grands prédateurs qui sont régulièrement attirés par les trappeurs qui installent ou vérifient leurs pièges. Comme les trappeurs ont souvent dans les mains des animaux morts, des appâts ou d’autres substances attractives lorsqu’ils manipulent les pièges, des outils et d’autres articles, une arme de poing portée sur soi peut être beaucoup plus facilement transportée et rapidement utilisée pour se défendre qu’une arme d’épaule.
Un trappeur chassant dans une région où les prédateurs sont nombreux peut être enclin à porter à la fois une arme de calibre .22 pour la chasse et une arme de poing de plus gros calibre pour l’autodéfense. Le port de deux armes d’épaule, en plus des autres outils du métier, n’est pas une solution viable pour les trappeurs dans la forêt.
Par conséquent, le projet de loi C-21 mettra certains trappeurs dans une position où ils devront choisir entre leur propre sécurité et le maintien de la valeur de la fourrure qu’ils ont récoltée.
La centralisation de la délivrance des autorisations de port dans le giron du commissaire aux armes à feu prévue dans le projet de loi C-21 est susceptible de ralentir jusqu’à l’arrêt presque complet un processus qui est déjà lent. Le décalage entre les délais de délivrance des permis de piégeage provinciaux et les délais de délivrance d’autorisations de port fait déjà en sorte que des trappeurs sont incapables d’obtenir des autorisations de port pour le début de la saison de piégeage. La centralisation accrue de ce processus aura pour effet d’empêcher des trappeurs d’obtenir des autorisations de port en temps opportun.
Le comité a entendu des témoignages de propriétaires d’armes à feu qui disent qu’il est extrêmement difficile de transiger avec le Programme canadien des armes à feu, notamment en raison de pannes répétées du système téléphonique. L’ajout d’une autre tâche dans le cadre de ce programme empirera encore le service.
Nous recommandons que l’article 28 du projet de loi soit supprimé pour laisser les autorisations de port entre les mains des contrôleurs des armes à feu. Si le comité a l’intention de centraliser le pouvoir de délivrance des autorisations de port, nous demandons que le projet de loi soit amendé pour établir des normes de service harmonisées avec celles des licences provinciales. Ces normes doivent également être suffisamment coercitives pour assurer la responsabilisation.
Comme de nombreux autres témoins vous l’ont indiqué, le projet de loi C-21 dans sa forme actuelle réduirait considérablement le nombre de personnes pouvant acheter des armes de poing, ce qui entraînera une diminution du nombre de détaillants vendant des armes à feu et des augmentations de prix correspondantes. Nous observons déjà le phénomène avec la fermeture de nombreux détaillants d’armes à feu et de produits de plein air. Cela alourdira le fardeau financier des trappeurs qui subissent déjà les répercussions du fléchissement du marché international de la fourrure, de l’inflation et de l’augmentation du coût de la vie.
Un nouveau trappeur doit déjà payer un cours et un permis de piégeage, ainsi qu’un cours et un permis pour les armes à feu à autorisation restreinte, avant de demander une autorisation de port, qui peut arriver à temps — ou non — pour le début de la saison de piégeage.
Vu que les trappeurs vivent principalement dans des communautés rurales et éloignées, une diminution de la présence de commerces de détail pourrait les obliger à parcourir des centaines de kilomètres de plus pour se procurer une arme à feu ou suivre un cours sur les armes à feu à autorisation restreinte. L’augmentation des coûts de l’un ou l’autre de ces éléments rendra le piégeage encore plus inabordable, en particulier pour les personnes à faible revenu et les Autochtones vivant dans les communautés où cette pratique peut constituer l’une des rares sources de revenu fiables.
Ces lacunes fondamentales doivent être corrigées avant l’adoption du projet de loi C-21. Des amendements sont nécessaires. Les trappeurs, autochtones et non autochtones, méritent d’être en sécurité lorsqu’ils gagnent leur vie.
Enfin — et je tiens à le préciser —, l’adoption du projet de loi C-21 dans sa forme actuelle fera en sorte que les trappeurs canadiens seront moins en sécurité quand ils s’adonnent à leurs pratiques patrimoniales, à leur culture et de leurs moyens de subsistance extérieurs. Je vous remercie.
Le vice-président : Merci, monsieur Chiasson.
Nous allons maintenant passer aux questions. Comme pour le dernier groupe de témoins, je limiterai chaque intervention à quatre minutes, réponse incluse. Je brandirai cette carte pour indiquer qu’il vous reste 30 secondes. Veuillez poser de brèves questions.
Le sénateur Plett : Je vous remercie d’être ici pour témoigner.
Quand le ministre a comparu devant notre comité, il a indiqué ce qui suit :
Nous avons noué le dialogue [...] avec la communauté des armes à feu, des sportifs [...] dans tout le Canada pour connaître leur point de vue et nous assurer que nous respectons leurs traditions et leur mode de vie. Ces consultations ont permis de définir la voie à suivre.
Votre organisation, votre association a-t-elle été consultée avant le dépôt de ce projet de loi?
M. Chiasson : Non, nous n’avons pas été consultés.
Le sénateur Plett : Merci. Combien de trappeurs sont touchés par ce projet de loi au Canada? Combien de vos membres sont autochtones, selon vous?
M. Chiasson : En chiffres réels, pour ce qui est du nombre d’autorisations de port qui sont délivrées et actives à l’heure actuelle, il y a 200 autorisations de port délivrées en vertu de l’alinéa 3c) du règlement pour les trappeurs et 252 autorisations de port actives délivrées en vertu de l’alinéa 3a), qui concerne les particuliers vivant dans les régions où la faune peut présenter un risque pour la sécurité. Il est difficile de dire combien d’autorisations ont été délivrées à des trappeurs en vertu de l’alinéa 3a).
Le sénateur Plett : Quel est le délai d’attente pour un trappeur voulant obtenir une autorisation de port?
M. Chiasson : Vous comprendrez, sénateur, qu’il est difficile d’obtenir des chiffres fiables à cet égard, en particulier pour les trappeurs.
Ce que je peux dire, c’est que dans certaines provinces, les contrôleurs des armes à feu se prévalent de la grande latitude dont ils disposent et choisissent de ne pas délivrer d’autorisations de port aux trappeurs.
Le sénateur Plett : Que considéreriez-vous comme une norme de service raisonnable à cet égard?
M. Chiasson : Je pense qu’au chapitre de la norme de service, l’idéal serait de veiller à ce que les autorisations de port soient délivrées avant l’ouverture des saisons de piégeage provinciales.
Si les responsables du Programme canadien des armes à feu disaient qu’ils peuvent procéder en cinq mois, ce serait formidable. Nous pourrions informer les membres qu’il faut cinq mois pour obtenir des autorisations de port et qu’ils doivent donc présenter leur demande cinq mois à l’avance. Chose certaine, plus la norme de service est courte, mieux c’est.
Le sénateur Plett : Le projet de loi entraînera la fermeture graduelle des champs de tir au Canada. De façon générale, cela établira un environnement où il deviendra plus difficile d’obtenir des armes de poing en toute sécurité.
Quelle incidence la fermeture des champs de tir au Canada aura-t-elle sur les trappeurs? On ne veut pas vraiment qu’une personne puisse toucher un renard qu’elle a piégé à la patte arrière plutôt qu’à la tête avec son arme de poing.
M. Chiasson : Ces fermetures auront indéniablement une incidence sur les trappeurs, qui doivent pouvoir abattre rapidement et sans cruauté un animal pris dans un piège de rétention et aussi se défendre efficacement.
Si les trappeurs n’utilisent pas leur arme avec aisance ou ne possèdent pas d’expérience quant à l’utilisation d’une arme à feu, c’est loin d’être idéal.
Dans certaines provinces où il est nécessaire de suivre une formation annuelle ou régulière sur les armes à feu avec une arme de poing pour obtenir la permission provinciale d’utiliser cette arme aux fins de piégeage, la fermeture des champs de tir rendra cette permission beaucoup plus difficile à obtenir.
Le sénateur Plett : Je vous remercie. Mon temps doit être presque écoulé.
Le vice-président : Oui. Il vous reste deux secondes.
Le sénateur Plett : Je les utiliserai pour vous remercier.
Le sénateur Boehm : Merci, monsieur Chiasson, de témoigner aujourd’hui. Votre mémoire et votre déclaration étaient très clairs. Je vais poursuivre dans la même veine que le sénateur Plett.
En ce qui concerne le fait de tuer sans cruauté des animaux piégés, vous avez mentionné que cela se fait habituellement avec une arme de poing et parfois avec une carabine courte de calibre .22. J’en ai déjà eu une, et c’est encore une arme un peu gênante si on la sort alors qu’on tente de sortir un animal d’un piège ou de l’abattre d’une manière ou d’une autre.
Ma question est fort simple. Pour les trappeurs, existe-t-il une autre solution que l’arme de poing ou une carabine de calibre .22 pour abattre un animal?
M. Chiasson : Merci, sénateur, de cette question.
Certains trappeurs utilisent des carabines longues, en particulier ceux qui ne sont pas nécessairement dans une végétation très dense quand qu’ils font leur piégeage. Les trappeurs qui travaillent en terrain découvert dans les Prairies et qui piègent à la lisière des champs utilisent des carabines longues.
Le sénateur Boehm : Il n’existe aucune autre solution ou méthode facile?
M. Chiasson : Il existe certainement d’autres manières potentielles d’abattage sécuritaire et sans cruauté. La manière de procéder la plus sécuritaire pour un trappeur consiste à rester à une distance raisonnable et à utiliser une arme à feu.
Le sénateur Boehm : Je vous remercie.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Monsieur Chiasson, bienvenue au Sénat. J’ai pratiqué la trappe pendant près de 20 ans. C’est mon beau-père qui m’y a initié lorsque je demeurais en Abitibi. J’aimerais que vous me parliez de la sécurité des trappeurs. C’est une activité qui se pratique habituellement seul, en forêt, sans moyen de communication, souvent l’hiver, donc dans des conditions difficiles. En motoneige, les trappeurs peuvent s’égarer facilement.
Il y a beaucoup de trappeurs professionnels, mais il y a des trappeurs de week-end, parce qu’il y a des permis de loisir qui sont accordés pour le trappage. C’est une activité très prisée, entre autres au Québec.
En quoi ce projet de loi va-t-il affecter la sécurité des trappeurs, et en quoi va-t-il aussi affecter la relève, que ce soit sur le plan de la chasse ou de la trappe? Ce sont des problèmes particuliers au Canada.
M. Chiasson : Merci, sénateur. C’est un point très important et je vous remercie de l’occasion que vous me donnez d’en parler un peu plus.
Comme vous le dites, les trappeurs pratiquent une activité qui présente un risque pour la sécurité. Les trappeurs sont généralement seuls dans les bois, dans des milieux assez éloignés des autres personnes. Ils interagissent avec des animaux sauvages, qui ont des griffes et des dents. Les animaux — les ours en particulier —, qu’ils soient dans des trappes ou pas, présentent un risque énorme pour la sécurité d’un trappeur.
On sait déjà qu’il y a seulement 200 trappeurs qui possèdent un permis; c’est un pourcentage, parmi les 250, qui choisissent leur protection et leur sécurité. Deux cents trappeurs qui ont un permis, c’est quelque chose qu’on sait.
Cependant, je parle beaucoup avec des trappeurs qui disent qu’ils avaient auparavant un permis pour une arme de poing, mais que le gouvernement leur demandait de remplir plusieurs formulaires et d’offrir de la formation.
Il y a la réglementation qui change et des licences et des permis qui n’arrivent jamais ou qui arrivent quand le trappeur est déjà en forêt. Pour ces raisons, beaucoup de trappeurs ont fait un choix entre leur sécurité et la possibilité d’enrichir leur patrimoine ou d’assurer leur relève. Le piégeage est pour eux quelque chose de tellement important.
Le sénateur Boisvenu : On sait que les trappeurs sont des gestionnaires. Ils ont des quotas et ils gèrent des kilomètres carrés de territoire. Ils font des prélèvements dans le cadre de programmes gouvernementaux. Ce sont aussi des gens qui travaillent sur le plan de la sécurité routière.
Pensons aux castors : s’il n’y avait pas de trappe au Québec ou au Canada, plusieurs routes d’accès pour les chalets ou pour la villégiature ne seraient pas accessibles, parce que les castors font beaucoup de dommages. Est-ce que ce projet de loi aura un impact sur la révèle? C’est surtout l’absence de relève dans le domaine de la trappe qui me préoccupe.
Le vice-président : Merci sénateur Boisvenu, je m’excuse. Monsieur Chiasson, vous pourrez répondre par écrit ou à la deuxième ronde de questions.
[Traduction]
La sénatrice M. Deacon : Je vous remercie, monsieur Chiasson, de comparaître ici aujourd’hui. Vous occupez un créneau assez précis dans ce domaine lorsque nous examinons le projet de loi C-21. Un témoin précédent nous a brièvement parlé du piégeage, mais pas beaucoup. Dans un effort pour nous préparer, faire notre devoir et rencontrer les gens là où ils se trouvent, nous devons aller dans les bois. Je pense à cela aujourd’hui du point de vue des armes de poing. Je vais vous donner un exemple particulier de quelque chose que nous avons lu récemment.
Je cherche à établir la véritable efficacité d’une arme de poing contre un grizzli qui vous attaquerait, par exemple. Vous êtes en train de piéger et voilà que surgit un grizzli alors que vous avez une arme de poing.
J’ai vu une publication sur le blogue d’une compagnie d’équipement de plein air qui disait que cette arme de poing vous aidera seulement si vous êtes chanceux. Puisque votre balle doit arrêter l’animal sur le coup, vous devez toucher la colonne vertébrale pour l’immobiliser — ce que j’ignorais —, et si vous êtes extrêmement chanceux et touchez l’animal entre les yeux ou dans le cerveau, vous pourriez réussir, mais pour le reste, que vous le touchiez au cœur ou à la poitrine, il aura toujours une montée d’adrénaline et vous pourriez être dans le pétrin.
Je soulève cette question parce que je vois votre demande au sujet de l’article 23, et quand nous examinons les amendements, nous devons le faire de façon très exhaustive. Je m’inquiète du fait que des gens portent des armes pour se défendre alors que, selon les statistiques, ils sont beaucoup plus susceptibles de se blesser ou de blesser d’autres personnes ou des êtres chers que d’avoir un accident avec une arme à feu.
Ainsi, si nous envisageons de voter pour modifier ce projet de loi, nous voulons connaître les exceptions concernant les armes de poing. Si vous pouviez fournir au comité des statistiques concernant les trappeurs qui utilisent une arme de poing expressément pour repousser un animal qui attaque — certains ne sont peut-être pas ici pour le raconter, mais vous devez avoir des données — plutôt que sur les genres d’armes à feu qui seraient autorisées. J’aimerais connaître ces chiffres.
M. Chiasson : Sénatrice, ce sont en fait des informations que j’ai cherché à obtenir avant cette réunion, la réalité étant qu’il n’y a pas beaucoup de données centralisées sur les conflits évités.
La sénatrice M. Deacon : D’accord.
M. Chiasson : Il est certain que les ministères des Ressources naturelles ou des Forêts provinciaux auraient des données sur les décès, mais pas nécessairement sur les situations où un trappeur, un chasseur ou une personne arpentant le fond des bois a utilisé une arme à feu pour se défendre si rien d’autre les obligeait à déclarer l’incident. C’est certainement moins pertinent pour les trappeurs, mais l’abattage d’un ours blanc au Nunavut pour se défendre exige un signalement très particulier au ministère de l’Environnement du Nunavut.
L’abattage d’un grizzli en particulier nécessiterait une déclaration importante, mais je ne connais aucune province où il faut signaler qu’on a utilisé une arme à feu pour se défendre contre une meute de coyotes, un lynx particulièrement furieux ou un ours noir qui a fait demi-tour face à arme à feu.
La sénatrice M. Deacon : Je vous remercie. Pour ce qui est du commentaire précédent, les données sont rares et éparpillées. Il y a probablement des histoires ou des incidents, mais vous avez dit sans ambages que le projet de loi dans sa forme actuelle, s’il n’est pas modifié, met nos trappeurs en danger.
M. Chiasson : Oui.
La sénatrice M. Deacon : Et vous avez des données à l’appui?
M. Chiasson : Notre organisation et les organisations provinciales affiliées comptent certainement de nombreux trappeurs qui peuvent relater leurs expériences personnelles lorsqu’ils ont dû utiliser des armes de poing pour se défendre.
La sénatrice M. Deacon : Je vous remercie.
Le sénateur Richards : Merci beaucoup de témoigner. J’ai des réserves à cet égard, car je considère qu’il s’agit d’un projet de loi arrogant et paternaliste à l’égard de personnes qui sont tout aussi morales et consciencieuses que celles qui l’adoptent, et je ne pense pas que ce projet de loi réduira la criminalité.
Mais la plupart des trappeurs que je connais ne piègent plus. De fait, beaucoup d’entre eux ont mon âge, mais même les plus jeunes n’ont pas pris la relève, car ce n’est pas une vie facile, n’est-ce pas?
M. Chiasson : Non.
Le sénateur Richards : Ce que je veux dire, c’est que même avant cette mesure draconienne, vous aviez votre territoire de piégeage, vos pièges et un marché de plus en plus restreint en raison de la mauvaise publicité dont les trappeurs et l’idée de piéger les animaux font l’objet. Ce projet de loi pourrait-il sonner le glas pour un certain nombre de trappeurs que vous connaissez?
M. Chiasson : Je pense qu’il y aura certainement des trappeurs qui n’iront pas trapper s’ils ne peuvent plus se sentir en sécurité dans les bois. Ils accrocheront leurs pièges et diront que c’est la fin pour eux.
Et c’est vraiment le cœur du problème ici. C’est une question de sécurité pour les trappeurs, et il est certain qu’il existe des règlements depuis plus de 20 ans sur les autorisations de port. Les trappeurs ne possèdent pas des dizaines de milliers d’armes à feu au pays. Ils utilisent les armes à des fins très particulières et de manière extrêmement contrôlée, et ils se retrouveront malheureusement pris dans une affaire bien plus vaste sur laquelle ils n’ont aucun contrôle.
Le sénateur Richards : Oui. Comment le marché se porte-t-il? À quel point le marché de la fourrure s’est-il contracté?
M. Chiasson : Il y a des lueurs d’espoir à l’horizon sur le marché de la fourrure. Le marché du castor a connu des augmentations assez substantielles au cours des dernières années, mais comparativement au marché de la fourrure d’il y a 35 ans, l’industrie est certainement en déclin. Mais au-delà du simple aspect financier de la traite des fourrures, le piégeage est une activité culturelle et patrimoniale très importante pour les personnes vivant dans des communautés éloignées et rurales, autochtones et non autochtones.
Le sénateur Richards : Je vous remercie.
Le sénateur Yussuff : Je vous remercie, monsieur Chiasson, de témoigner.
L’une des choses qui me frappent et dont vous avez parlé — et qui nécessite peut-être une réflexion —, c’est le temps qu’il faut pour obtenir une autorisation de port. De façon générale, la situation varie-t-elle d’une région à l’autre du pays en raison de la manière dont les autorisations sont délivrées, de sorte que le délai est légèrement meilleur dans une région, mais terrible ailleurs en raison de problème de manque de personnel?
M. Chiasson : La situation varie certainement d’une région à l’autre du pays, là où les autorisations de port sont actuellement délivrées par les contrôleurs des armes à feu. Il y a une variabilité entre les provinces et les territoires, et comme je l’ai souligné plus tôt, les trappeurs n’obtiennent tout simplement pas d’autorisations dans certaines provinces, les contrôleurs des armes à feu refusant de délivrer des autorisations de port aux fins de piégeage.
Le sénateur Yussuff : Savons-nous pourquoi?
M. Chiasson : Je pense que ce serait une bonne question à poser aux contrôleurs des armes à feu. Je ne m’avancerai pas sur leurs motivations.
Le sénateur Yussuff : Rien ne les empêche de délivrer ces autorisations. Du point de la loi, si les trappeurs ont une autorisation, ils devraient pouvoir la renouveler sans problème.
M. Chiasson : Oui.
Le sénateur Yussuff : Il y a des partis pris dans le système à cet égard.
M. Chiasson : En effet.
Le sénateur Yussuff : Vous avez fait une remarque sur laquelle je veux revenir. Vous dites qu’un délai de cinq mois est raisonnable?
M. Chiasson : J’ai utilisé cinq mois uniquement parce que j’avais besoin d’un chiffre dans mon exemple. Je vous remercie de me donner l’occasion d’éclaircir les choses.
Ce qui préoccupe surtout les trappeurs qui se prévalent actuellement de la capacité d’obtenir une autorisation de port, c’est le fait que, quel que soit le délai, dans certaines provinces, ils attendent d’aller sur leur territoire de piégeage et n’ont toujours pas leur autorisation de port en main. Dans certains cas, il s’agit de personnes ayant obtenu une autorisation de port chaque année et qui se retrouvent très malheureusement à se demander si elles doivent se rendre au camp de piégeage en emportant une arme de poing, sachant que le temps qu’elles reviennent, l’autorisation sera arrivée.
Il serait utile de fixer les délais. J’ose certainement espérer que ce délai ne sera pas d’un an pour les gens qui obtiennent ou renouvellent des permis de piégeage. J’espère qu’il y aura plus de collaboration et de coopération entre les contrôleurs des armes à feu et les organismes provinciaux qui délivrent des permis de piégeage. Qu’ils se réunissent pour dire : « Il nous faut tant de mois pour délivrer un permis de piégeage. Pouvez-vous délivrer une autorisation de port dans le même délai? » Ou, parce que les gens ont besoin de permis de piégeage pour obtenir une autorisation de port, ils devraient dire : « Si vous n’êtes pas en mesure de délivrer des permis de piégeage avant telle date, nous n’aurons pas le temps de délivrer des autorisations de port avant le début de la saison de piégeage. »
Le sénateur Yussuff : D’après votre expérience, ces acteurs se parlent-ils seulement?
M. Chiasson : Je ne pense pas qu’ils le fassent autant que nous le voudrions.
Le sénateur Yussuff : C’est le genre d’attitude qui fait dire :« Le chèque est à la poste. »
M. Chiasson : Oui.
Le sénateur Yussuff : Je comprends vos arguments. Je vous remercie de nous en faire part.
[Français]
Le vice-président : Avant de passer au second tour, je vais me permettre une question, car nous avons un peu de temps. J’aimerais revenir sur les trappeurs en tant que personnes. Quelle est la proportion des trappeurs qui sont issus des Premières Nations? Estimez-vous que les trappeurs autochtones seront favorisés par les dispositions du projet de loi C-21 sur le plan de la sécurité et de la possibilité de transporter leur arme?
M. Chiasson : Aujourd’hui, ce qu’on dit à l’institut, c’est qu’il y a à peu près 50 000 trappeurs au Canada. Je dirais qu’environ la moitié de nos trappeurs sont des trappeurs autochtones. C’est un peu difficile de donner un nombre précis parce que dans certaines régions, les trappeurs autochtones n’ont pas de permis. Donc, on n’a pas de tableau montrant un nombre exact. On estime qu’à peu près 25 000 trappeurs, au Canada, sont autochtones.
Je ne pense pas que les trappeurs autochtones seront favorisés par le projet de loi C-21. Je dirais que beaucoup des problèmes qu’on voit sont des problèmes de trappeurs. Ce ne sont pas des problèmes propres aux personnes autochtones, mais ce sont des problèmes propres aux trappeurs.
Le vice-président : Merci beaucoup.
Le sénateur Boisvenu : Je vais continuer sur le même sujet.
Comme je le disais plus tôt, les trappeurs sont au cœur de la gestion de la faune au Canada. Ce trappage se fait majoritairement sur les terres de la Couronne, donc qui appartiennent à l’État. Ce sont des terres qui servent à la coupe forestière et qui servent à la villégiature, la chasse et la pêche. Les trappeurs ont une espèce de responsabilité de sécuriser ces territoires, ils les entretiennent.
Quel est l’impact de ce projet de loi sur la relève, qui est déjà menacée? Est-ce qu’il va accentuer la baisse du nombre de trappeurs au Canada, ce qui va fera en sorte que le gouvernement se retrouvera avec des problèmes sur ces territoires?
M. Chiasson : C’est certainement un problème qu’on prévoit, s’il y a des changements relatifs au projet de loi C-21, et en combinaison avec les enjeux que le sénateur Richards a mentionnés plus tôt. Maintenant, on voit que le nombre de trappeurs est assez stable. Cependant, on constate un changement générationnel en ce qui concerne la trappe.
Le sénateur Boisvenu : Si on devait accepter un des amendements que vous proposez à ce projet de loi, quel serait-il?
M. Chiasson : Je dirais que le plus important, c’est la modification no 28 pour que l’autorisation de port et de transport ne soit pas centralisée sous le Programme canadien des armes à feu et que cette responsabilité reste celle des contrôleurs des armes à feu provinciales. Si ce pouvoir est centralisé, on aimerait voir des normes de service très précises, directement dans le projet de loi.
Le sénateur Boisvenu : Merci. On va tenter de l’amender pour vous.
[Traduction]
Le vice-président : Cela nous amène à la fin de la séance d’aujourd’hui. Je voudrais présenter nos sincères remerciements à M. Chiasson. Nous apprécions grandement vos contributions et le temps que vous avez pris pour nous faire part de vos conseils.
[Français]
Notre prochaine réunion aura lieu le lundi 27 novembre à 15 h, heure de l’Est, dans la salle C-128. Je rappelle aux membres que nous avons l’intention de commencer l’étude article par article de ce projet de loi à ce moment-là.
[Traduction]
Les membres du comité sont invités à communiquer avec le Bureau du légiste et conseiller parlementaire s’ils souhaitent proposer des amendements, et à les communiquer à la greffière le plus tôt possible.
[Français]
Si vous souhaitez que vos amendements soient regroupés et distribués avant la réunion, veuillez les communiquer à la greffière au plus tard vendredi matin. Sinon veuillez apporter suffisamment de copies de vos amendements à la réunion du 30 novembre. Sur ce, je vous souhaite à tous et à toutes une bonne journée.
[Traduction]
Je vous verrai à la chambre du Sénat.
(La séance est levée.)