LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE LA SÉCURITÉ NATIONALE, DE LA DÉFENSE ET DES ANCIENS COMBATTANTS
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le lundi 3 juin 2024
Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants se réunit aujourd’hui, à 15 h 58 (HE), par vidéoconférence, afin d’examiner, pour en faire rapport, les questions concernant la sécurité nationale et la défense en général; puis, à huis clos, pour examiner la teneur des éléments de la section 39 de la partie 4 du projet de loi C-69, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 16 avril 2024.
Le sénateur Jean-Guy Dagenais (vice-président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le vice-président : Avant de commencer, je voudrais demander à tous les sénateurs et autres participants en personne de consulter les cartes sur la table pour connaître les lignes directrices visant à prévenir les incidents liés aux retours de son.
Veuillez prendre note des mesures préventives suivantes, mises en place pour protéger la santé et la sécurité de tous les participants, y compris les interprètes.
Dans la mesure du possible, veillez à vous asseoir de manière à augmenter la distance entre les microphones. N’utilisez qu’une oreillette noire homologuée. Les anciennes oreillettes grises ne doivent plus être utilisées.
Tenez votre oreillette éloignée de tous les microphones à tout moment.
Lorsque vous n’utilisez pas votre oreillette, placez-la, face vers le bas, sur l’autocollant placé sur la table à cet effet.
[Français]
Merci à tous de votre coopération.
Bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants. Je suis Jean-Guy Dagenais, sénateur du Québec et vice-président de ce comité. Malheureusement, notre président, le sénateur Tony Dean, ne peut se joindre à nous aujourd’hui.
Avant de commencer, j’inviterais les membres du comité présents aujourd’hui à se présenter, en commençant par ma gauche.
[Traduction]
Le sénateur Richards : Je suis le sénateur Richards, du Nouveau-Brunswick.
La sénatrice Patterson : Rebecca Patterson de l’Ontario.
Le sénateur Cardozo : Je m’appelle Andrew Cardozo, de l’Ontario.
La sénatrice M. Deacon : Marty Deacon, de l’Ontario.
La sénatrice Anderson : Je suis Margaret Dawn Anderson, des Territoires du Nord-Ouest.
Le sénateur Boehm : Peter Boehm, de l’Ontario.
Le sénateur McNair : Je m’appelle John McNair, du Nouveau-Brunswick.
[Français]
La sénatrice Oudar : Manuelle Oudar, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Yussuff : Je suis Hassan Yussuff, de Toronto, en Ontario.
Le vice-président : Aujourd’hui, nous commençons notre étude sur l’approvisionnement en matière de défense et l’industrie de défense canadienne.
[Français]
Pour donner le coup d’envoi de ce travail, j’ai le plaisir d’accueillir, du Bureau du directeur parlementaire du budget, Yves Giroux, directeur parlementaire du budget.
Du Bureau du vérificateur général du Canada, nous accueillons Andrew Hayes, sous-vérificateur général, et Nicholas Swales, directeur principal; du Bureau de l’ombudsman de l’approvisionnement, nous accueillons Alexander Jeglic, ombud de l’approvisionnement
Bienvenue parmi nous. Nous sommes prêts à entendre vos déclarations préliminaires. Nous commençons avec M. Yves Giroux. La parole est à vous.
[Traduction]
Yves Giroux, directeur parlementaire du budget, Bureau du directeur parlementaire du budget : Honorables sénateurs, je vous remercie de m’avoir invité à comparaître devant vous aujourd’hui. Je suis heureux de discuter des travaux de mon bureau qui se rapportent au sujet de la réunion d’aujourd’hui, à savoir l’approvisionnement en matière de défense et l’industrie de défense canadienne.
Mon bureau a réalisé et publié un certain nombre d’analyses sur l’approvisionnement en matière de défense, notamment sur la construction navale et l’acquisition de la nouvelle génération d’avions de chasse. Je commencerai par détailler brièvement les conclusions des deux rapports les plus récents sur ces sujets.
En novembre 2023, mon bureau a publié un rapport intitulé Le coût du cycle de vie du programme des F-35 du Canada —une analyse financière. Notre rapport a révélé que le coût total de l’achat, de l’exploitation, du maintien en service et du démantèlement de cette nouvelle flotte de 88 avions de combat s’élèverait à environ 74 milliards de dollars. De ce chiffre, 20 milliards correspondent au développement et à l’acquisition, près de 54 milliards à l’exploitation et au maintien en service, et 0,2 milliard au démantèlement de la flotte à la fin de sa durée de vie utile.
Notre rapport le plus récent sur la construction navale, publié en octobre 2022, porte sur le projet du gouvernement d’acquérir 15 navires de combat de surface de la prochaine génération pour la Marine royale canadienne. Ce rapport, intitulé Le coût du cycle de vie des navires de combat de surface canadiens : Analyse financière, fait état d’un coût total estimé à 306 milliards de dollars. Ce chiffre comprend les coûts de développement et d’acquisition de 84,5 milliards, des coûts d’exploitation et de maintien en service de 219,8 milliards, et des coûts de démantèlement de 1,7 milliard.
[Français]
Je vais maintenant poursuivre en français.
En plus d’effectuer des analyses sur des projets individuels d’acquisition de matériel de défense, mon bureau a régulièrement publié des rapports qui examinent les prévisions de dépenses en capital du ministère de la Défense nationale. En février 2024, nous avons publié un rapport intitulé Dépenses en capital prévues au titre de la politique de défense du Canada : Mise à jour de 2024.
Comme ce rapport a été publié avant que le gouvernement ne rende publique sa nouvelle politique de défense, Notre Nord, fort et libre : Une vision renouvelée pour la défense du Canada, il ne reflète pas la totalité des dépenses prévues dans le cadre de cette politique. Cependant, plusieurs conclusions restent pertinentes.
Dans le cadre de la précédente politique de défense du gouvernement, Protection, Sécurité, Engagement, nous avons constaté qu’il y avait un écart déficitaire de près de 12 milliards de dollars entre ce que le ministère de la Défense nationale avait prévu de dépenser en immobilisations au début de sa politique en 2017-2018 et ce qu’il a effectivement dépensé à la fin de l’exercice 2022-2023. Nous avons également constaté que la majorité des dépenses en capital, soit 62 %, étaient prévues pour la deuxième moitié de la période de 20 ans étudiée par mon bureau, ce qui a entraîné une concentration importante de dépenses vers la fin de la période.
En conclusion, je voudrais mentionner que mon bureau prépare actuellement deux nouveaux rapports sur la défense qui devraient être publiés dans les semaines à venir. Premièrement, nous mettons à jour notre analyse de 2021 sur le coût d’acquisition de deux nouveaux brise-glaces polaires; deuxièmement, nous préparons un rapport sur les dépenses militaires du Canada et sur l’objectif de dépenses de 2 % du PIB de l’OTAN.
Je serai heureux de répondre à toute question que vous pourriez avoir concernant nos analyses au sujet de la défense. Merci.
Le vice-président : Merci beaucoup, monsieur Giroux, pour votre présentation. Avant de poursuivre, j’aimerais signaler la présence du sénateur Claude Carignan, qui s’est joint à nous.
[Traduction]
Andrew Hayes, sous-vérificateur général, Bureau du vérificateur général du Canada : Monsieur le président et honorables sénateurs, je vous remercie de me donner l’occasion de comparaître devant votre comité dans le cadre de son étude sur l’approvisionnement en matière de défense dans l’industrie de défense canadienne. J’aimerais souligner que les délibérations se déroulent sur le territoire traditionnel et non cédé du peuple algonquin Anishinabe. Je suis accompagné aujourd’hui de Nicholas Swales, qui est responsable d’un grand nombre de nos audits dans ce domaine.
Un certain nombre de thèmes sont ressortis de nos audits liés à l’approvisionnement en matière de défense, que j’aimerais souligner pour le comité. Tout d’abord, je parlerai des retards et des modifications de la portée, qui ont une incidence sur le renouvellement de la flotte en temps voulu. Lorsque le renouvellement de la flotte est repoussé, les aéronefs et les navires vieillissants restent en service au-delà de leur durée de vie utile prévue ou sont retirés avant que leurs remplaçants ne soient opérationnels. Le maintien en service d’aéronefs et de navires vieillissants se traduit également par une augmentation des coûts d’exploitation et d’entretien.
En 2021, nous avons vérifié la Stratégie nationale de construction navale, lancée en 2010. Elle prévoit la construction d’au moins 50 grands navires scientifiques et de défense de différentes classes sur une trentaine d’années. Dans l’ensemble, nous avons constaté que la livraison de nombreux navires avait été considérablement retardée en raison de problèmes liés à la conception et à la construction. Par exemple, des problèmes de soudage ont été découverts sur les navires hauturiers de science halieutique, ce qui a nécessité du temps pour les inspecter et les réparer. Cela a entraîné des retards dans les calendriers de construction d’autres navires, ce qui a accru le risque de ne pas avoir les navires nécessaires pour accomplir les tâches requises au moment voulu.
Lors de notre audit réalisé en 2022 sur la surveillance des eaux arctiques, nous avons constaté que les retards et leur incidence persistaient. L’audit a également révélé des risques de manquements dans les capacités de surveillance, de patrouille et de présence, car les satellites et les avions de patrouille vieillissants pourraient également atteindre la fin de leur vie utile avant que leurs remplaçants ne soient prêts.
Le remplacement de la force de chasse du Canada est un autre exemple de retards et de leur effet sur l’état de préparation. Le Canada a acheté ses CF-18 au début des années 1980, prévoyant de les remplacer après une vingtaine d’années de service. Mais cela n’a pas été le cas. En 2016, le gouvernement a demandé à la Défense nationale d’avoir suffisamment d’avions de combat disponibles chaque jour pour répondre en même temps au niveau d’alerte le plus élevé du Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord, ou NORAD, et à l’engagement du Canada envers l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord, ou OTAN. Par conséquent, la Défense nationale a dû augmenter de 23 % le nombre d’avions de combat disponibles pour les opérations. Pour répondre à la demande, le gouvernement a acheté à l’Australie des avions de chasse d’occasion qui sont âgés d’une trentaine d’années et qui présentent les mêmes limites opérationnelles que la flotte canadienne de CF-18.
[Français]
Cela m’amène au deuxième thème que je voudrais souligner, soit que si l’on ne dispose pas du personnel nécessaire à l’utilisation et à l’entretien de l’équipement, le problème lié à l’état de préparation demeure.
Dans le cadre des avions de combat du Canada, la Défense nationale prévoyait de dépenser environ 3 milliards de dollars pour acheter et exploiter des aéronefs australiens et pour prolonger la durée de vie de sa flotte.
Cependant, le ministère n’avait pas de plan pour gérer la pénurie de pilotes d’expérience et le déclin de la capacité de combat des CF-18. L’achat d’aéronefs supplémentaires ne suffisait pas à répondre aux besoins du NORAD et de l’OTAN.
En 2022, dans le cadre de notre suivi concernant des audits précédents, nous avons constaté que la Défense nationale avait augmenté le nombre d’aéronefs et de pilotes disponibles pour les opérations, mais pas le nombre de techniciennes et de techniciens. Comme la mise en œuvre des stratégies de recrutement et de maintien en poste de la Défense nationale était en cours, il restait certains postes à pourvoir.
Le dernier thème que je souhaite porter à votre attention aujourd’hui est la gestion des stocks.
Nous soulevons des problèmes à ce sujet dans le cadre de nos travaux d’audit des états financiers depuis une vingtaine d’années. Nous avons examiné de manière approfondie la chaîne d’approvisionnement des Forces armées canadiennes au cours d’un audit de performance en 2020. Nous avons constaté que, dans 50 % des cas, des unités militaires avaient reçu le matériel en retard, notamment des pièces de rechange, des uniformes et des vivres.
Les articles prioritaires qui visaient à satisfaire des besoins opérationnels critiques étaient livrés en retard encore plus souvent, soit dans 60 % des cas. Ces retards, qui étaient souvent attribuables à des pénuries de stock, ont réduit la capacité de la Défense nationale de s’acquitter de ses missions et de gérer ses ressources avec efficience. Ces audits soulignent l’importance d’approvisionner les forces militaires canadiennes et de renouveler les flottes en temps opportun pour prévenir des lacunes sur le plan des capacités qui pourraient empêcher le Canada de respecter ses engagements relatifs à la défense et à la science à l’échelle nationale et internationale.
Monsieur le président, je termine ainsi ma déclaration d’ouverture. Nous serons heureux de répondre aux questions des membres du comité. Merci.
[Traduction]
Le vice-président : Je vous remercie, monsieur Hayes. Enfin, c’est au tour de l’ombud de l’approvisionnement, M. Alexander Jeglic.
Alexander Jeglic, ombud de l’approvisionnement, Bureau de l’ombudsman de l’approvisionnement : Je vous remercie.
Je voudrais commencer par souligner que les terres sur lesquelles nous sommes réunis ici font partie du territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin Anishnaabeg. Je m’appelle Alexander Jeglic et je suis l’ombud de l’approvisionnement, comme on vient de le mentionner.
[Français]
Je remercie le président et les membres du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants de m’avoir invité à comparaître aujourd’hui en tant que témoin en vue de votre étude sur l’approvisionnement en matière de défense.
[Traduction]
Je souhaite commencer par expliquer le rôle de mon bureau dans l’approvisionnement fédéral, puisque c’est la première fois que je me tiens devant ce comité. Le Bureau de l’ombud de l’approvisionnement a été créé en 2008, et a pour but de fournir principalement des recours quant aux questions d’approvisionnement et de contrats aux petites et moyennes entreprises canadiennes. Mon bureau exerce ses activités sans lien de dépendance avec toutes les autres organisations fédérales, y compris Services publics et Approvisionnement Canada.
Bien que je rende des comptes au ministre des Services publics et de l’Approvisionnement, celui-ci ne prend pas part aux activités quotidiennes de mon bureau et ne s’implique pas dans le contenu de mes rapports. Cela étant, le ministre est tenu de déposer mon rapport annuel devant le Parlement.
[Français]
Nous sommes une organisation fédérale neutre et indépendante qui a un mandat pangouvernemental couvrant les pratiques d’approvisionnement de près de 90 ministères et agences du gouvernement fédéral.
[Traduction]
Plus précisément, mon mandat législatif comprend les éléments suivants.
Premièrement, j’examine les plaintes sur les attributions de certains marchés publics fédéraux des fournisseurs canadiens.
Deuxièmement, j’examine les plaintes relatives à l’administration de certains marchés publics fédéraux.
Troisièmement, j’examine les pratiques d’approvisionnement des ministères fédéraux afin d’évaluer l’équité, l’ouverture et la transparence ainsi que de faire des recommandations en vue d’améliorer ces trois notions.
Quatrièmement, j’offre des services de règlement de différends et de médiation menés par des médiateurs de notre bureau. Nous pouvons fournir des services de médiation, peu importe la valeur monétaire du marché public en règlement.
Cinquièmement, je réalise des études de recherche sur les questions importantes de l’approvisionnement fédéral intitulées « études d’approfondissement et partage des connaissances » afin de fournir de l’information et des conseils aux fournisseurs et aux ministères. Depuis l’année 2018, nous avons publié un total de 9 études d’approfondissement et partage des connaissances, y compris : Approvisionnement d’urgence, Chef du Service des achats, Approvisionnement social, Exception au titre de la sécurité nationale.
Sixièmement, je m’implique fortement dans la diversification de la chaîne d’approvisionnement fédérale. Jusqu’à maintenant, nous avons organisé 5 sommets annuels qui ont attiré plus de 2 000 participants, y compris des entreprises autochtones et des entreprises dont le propriétaire fait partie d’une minorité, au côté d’organisations gouvernementales ou provenant du secteur privé qui offrent des services afin d’aider les entreprises avec les marchés publics.
Lorsque nous examinons les plaintes ou que nous procédons à des examens des pratiques d’approvisionnement, nous remarquons souvent les mêmes problèmes. Les plus communs comprennent des critères d’évaluation injustes ou trop restrictifs, des évaluations incorrectes, des marchés attribués aux mauvais soumissionnaires, des débreffages inadéquats ou manquants aux soumissionnaires non retenus et des problèmes reliés aux paiements.
[Français]
Bien que ces points ne soient pas particuliers à l’approvisionnement en matière de défense, nous avons régulièrement constaté que ces problèmes étaient relevés dans nos examens systémiques des marchés publics de 17 ministères, y compris ceux du ministère de la Défense nationale et de Services publics et Approvisionnement Canada.
[Traduction]
De plus, j’ai comparu précédemment devant le Comité permanent de la Chambre sur la défense nationale à propos du sujet de l’approvisionnement en matière de défense et j’ai partagé quelques suggestions sur les améliorations potentielles. Bien que nous n’avons effectué aucun examen systémique particulier de l’approvisionnement en matière de défense, le travail de mon bureau est axé généralement sur le besoin de changement transformationnel à apporter à l’approvisionnement fédéral. Un des changements possibles sur lequel travaille mon bureau est la création d’un Dirigeant principal des achats fédéral. Nous espérons publier une étude sur ce sujet plus tard cet été.
Mon bureau est maintenant un élément important du contexte des marchés publics fédéraux et encore plus depuis la diffusion des rapports ArriveCAN et McKinsey. Nous espérons continuer à servir nos intervenants de manière à apporter des changements positifs. Notre bureau doit donc être proactif dans certains domaines, mais malheureusement, les réductions budgétaires nous ont empêchés d’effectuer certaines tâches importantes.
Mon bureau fonctionne avec le budget de 2008 depuis les 16 dernières années. Au cours des deux dernières années financières, nous avons essayé de trouver du financement de l’intégrité de programme permanent afin de corriger les lacunes majeures dans l’accomplissement de notre mandat et le respect des engagements gouvernementaux et ministériels. Malheureusement, ces demandes sont restées sans suite jusqu’à présent.
Je me réjouis de voir la croissance du soutien apporté à mon bureau de la part des différents comités sénatoriaux et de la Chambre des communes et je veux vous remercier de m’avoir invité ici aujourd’hui. Mon bureau demeure disponible afin de travailler auprès des membres du comité aussi longtemps qu’il le faudra.
[Français]
Je serai heureux de répondre à vos questions. Merci.
[Traduction]
Le vice-président : Merci beaucoup, monsieur Jeglic. Nous allons maintenant passer aux questions. Comme d’habitude, quatre minutes seront allouées à chaque question, ce qui comprend la réponse. Je vous demande de poser des questions succinctes afin de permettre le plus grand nombre d’interventions possibles.
[Français]
Le sénateur Carignan : Ma question s’adresse aux trois témoins. Elle porte sur l’agence canadienne responsable de la passation de contrats, la Corporation commerciale canadienne (CCC). Ils semblent extrêmement efficaces et peu coûteux et ils ont un budget de 12 ou 3 millions de dollars. Ils se sont autofinancés durant certaines années. Des agences gouvernementales qui s’autofinancent, on ne voit pas cela souvent. Cela fait en sorte que nous avons des compagnies d’équipement militaire qui vendent plus rapidement aux Américains qu’aux Canadiens. Je comprends votre suggestion en ce qui concerne le chef de l’approvisionnement. Est-ce que vous voyez une sorte de structure qui pourrait s’apparenter à la CCC, pour permettre que l’on fasse des acquisitions plus rapidement? À ma connaissance, on n’a pas vu de scandale, on n’a rien vu chez la CCC montrant que les bonnes pratiques d’acquisition ne sont pas respectées.
[Traduction]
M. Jeglic : Pour tout vous dire, j’ai déjà travaillé à la Corporation commerciale canadienne, ou CCC, et j’en connais donc très bien le mandat.
[Français]
Le sénateur Carignan : C’est parfait.
[Traduction]
Je dirais que cette structure organisationnelle en dehors du modèle gouvernemental traditionnel est certainement une option différente à la portée des fournisseurs. Sa plateforme permet d’effectuer des transactions entre gouvernements. La corporation dispose d’une expertise particulière, comme vous l’avez souligné, pour vendre au gouvernement américain.
Comme vous l’avez également mentionné à juste titre, les fournisseurs nous disent souvent qu’il leur est plus facile de vendre à des gouvernements étrangers, en particulier aux États-Unis, qu’au Canada. Une fois de plus, vous avez entendu mon appel à un changement transformationnel. Le dirigeant principal des achats, comme je l’ai mentionné dans mon exposé, ne répondra pas à tous les problèmes dans le cadre systémique. J’ai formulé un certain nombre de suggestions que j’aimerais soumettre au comité, et qui devraient être prises en considération dans le cadre de cette étude. Elles sont au nombre de 17.
Comme je l’ai dit, la seule chose qui me gêne, contrairement à mes collègues, c’est que nous n’avons pas procédé à un examen portant expressément sur l’approvisionnement en matière de défense. Jusqu’à ce que nous le fassions, je ne peux pas faire de recommandations officielles, mais je dirais que nous avons effectué un grand nombre d’examens des marchés publics qui sont de nature systémique. Je pense que les mêmes suggestions s’appliquent directement à l’approvisionnement en matière de défense.
Je serai ravi de soumettre ce document au comité pour vous aider à faire progresser votre étude.
[Français]
M. Giroux : Malheureusement, ce n’est pas une entité que je connais suffisamment bien pour fournir des commentaires éclairés.
Le sénateur Carignan : Ce sont juste 13 millions de dollars; on n’y porte pas attention, mais ils sont efficaces.
M. Hayes : La CCC est une société d’État sur laquelle nous faisons des audits dans notre mandat relatif aux examens spéciaux. Cependant, elle ne faisait pas partie de nos audits.
Pour ajouter des commentaires plus généraux, je pense que le problème ne s’explique pas par la structure, mais par le processus. Quand il y a des changements vis-à-vis des priorités, des objectifs et des résultats pendant un processus d’approvisionnement, cela crée des problèmes, des délais et des défis pour le service public.
Je dirais également ceci : quand on essaie de faire beaucoup de choses au moyen d’un seul processus d’approvisionnement, comme bâtir des fondations dans le but d’avoir de meilleures conditions économiques pour la population de tout le pays, il y a des compromis qui doivent être faits, et ces compromis ajoutent des coûts et des délais.
[Traduction]
Le sénateur Richards : Je vous remercie tous d’être ici aujourd’hui. Monsieur Giroux, je vais vous adresser mes questions, mais tout le monde peut y répondre. De combien les dépenses d’acquisition ont-elles augmenté depuis que je suis arrivé au Sénat et que j’ai siégé au Comité de la défense, il y a six ans et demi? De combien risquent-elles d’augmenter avant que cette acquisition ne soit terminée?
M. Giroux : Sénateur, parlez-vous des navires de combat de surface?
Le sénateur Richards : Je parle de tout équipement militaire dont nous aimerions parler, monsieur.
M. Giroux : En ce qui concerne les F-35, il est difficile de voir les raisons fondamentales pour lesquelles les coûts d’acquisition augmenteraient de façon significative, car il s’agit d’un avion qui a été utilisé aux États-Unis et dans de nombreux autres pays. Les États-Unis fournissent des données fiables sur les coûts d’acquisition et d’exploitation de cet avion. J’ai relativement bon espoir que le coût se situera au moins dans cette fourchette, à moins d’une catastrophe imprévue concernant les moteurs, par exemple.
En ce qui concerne les navires de combat de surface canadiens, il s’agit d’une nouvelle conception. À ma connaissance, aucun navire semblable n’est encore dans l’eau ou n’est entré en service. Techniquement, il y en a un dans l’eau, mais il n’est pas en service. Le coût des navires de guerre pourrait encore augmenter, car il s’agit d’un nouveau concept, et le nombre de navires construits ne fait que commencer. Nous ne savons pas encore s’il y aura d’autres changements dans la conception de ces navires.
Le sénateur Richards : Je sais que vous n’êtes pas un haut gradé de l’armée, mais avez-vous une idée, en tant qu’expert financier, de la date à laquelle l’acquisition des F-35 pourrait se terminer?
M. Giroux : Les F-35 seront livrés à partir de 2026 et devraient rester en service pendant au moins 30 ans. Les premiers avions doivent être achetés en 2026 et les derniers en 2032. Nous aurons donc un effectif complet de huit avions de combat à partir de 2032.
Le sénateur Richards : Je vous remercie.
La sénatrice M. Deacon : Je vous remercie d’être ici aujourd’hui. Je vous en suis reconnaissante. Je vais vous poser une question à la lumière de vos commentaires précédents.
La politique de défense annoncée récemment, qui s’intitule Notre Nord, fort et libre : Une vision renouvelée pour la défense du Canada, devrait presque doubler nos dépenses consacrées à la défense, qui passeront de 30 milliards de dollars actuellement à environ 59 milliards d’ici la fin de la décennie.
J’ai entendu dire que vous étiez en train de revoir et d’examiner des choses. Votre bureau est-il assez grand pour gérer l’afflux de plaintes et de litiges dans les années à venir, au fur et à mesure que les achats augmenteront?
Je poserai la deuxième question en même temps. L’approvisionnement en matière de défense est-il un de vos dossiers les plus occupés par rapport à d’autres acquisitions gouvernementales?
M. Jeglic : Je répondrai d’abord à la deuxième question. Ce n’est pas le cas habituellement, pour la raison principale que, lorsque nous avons été créés en 2008, nous avons été principalement annoncés comme une ressource pour les petites et moyennes entreprises. Par conséquent, nous n’avons pas reçu beaucoup de plaintes portant expressément sur la défense.
Je reviens maintenant à votre première question. Nous avons constaté une augmentation dans tous les domaines. Nous avons enregistré un nombre record d’affaires l’année dernière, et c’est pourquoi vous m’avez entendu parler du financement consacré à l’intégrité du programme, qui est nécessaire pour répondre à la demande. Ces dernières années, nous avons été incroyablement occupés. Nous aimerions beaucoup procéder à des examens sur la défense, mais je crains que nous ne disposions pas actuellement des ressources nécessaires à cette fin.
Cela dit, nous voulons toujours chercher des solutions. Nous voulons être une organisation positive et contribuer au dialogue en cours. Vous avez mentionné la politique de défense du Canada, Notre Nord, fort et libre, que nous considérons comme une avancée positive. L’une des suggestions que vous trouverez dans le document que j’ai déposé est de créer une filière transparente des transactions envisagées. C’est certainement un bon début. Cependant, il faut fournir plus de précisions afin de faciliter les projets dans lesquels les fournisseurs peuvent investir. Je pense qu’il faut un document intermédiaire entre ce qui a été fourni et une véritable filière de projets sur lequel les fournisseurs peuvent s’appuyer en fonction des exercices fiscaux.
Je sais que j’ai répondu trop longuement à votre première question, mais je voulais vous donner plus de contexte.
La sénatrice M. Deacon : Je vous remercie. J’ai un commentaire à faire. Nous examinons attentivement la question de l’approvisionnement au sein de notre comité, mais c’est aussi un sujet qui revient souvent à celui des finances nationales.
Lorsque vous passez en revue des choses et formulez des recommandations, tout ce qui peut aider les Canadiens qui ne sont pas à cette table à comprendre en quoi consiste l’approvisionnement, les achats et la stratégie afférente vous aidera dans votre travail. Je vous remercie.
M. Jeglic : J’éprouve une frustration. J’ai atteint un point de non-retour décisif. J’en suis à mon deuxième mandat, de sorte que je suis en poste depuis six ans. Si l’on remonte à plus d’une décennie et qu’on lit certains des rapports publiés, que ce soit par le Bureau du vérificateur général du Canada, par notre bureau ou par d’autres, on constate que les problèmes se répètent. C’est pourquoi j’essaie de demander des changements transformationnels aussi clairement que possible, car les solutions de fortune ne fonctionnent pas. Il faut s’attaquer aux racines du problème, sinon nous serons encore là dans cinq ans à parler de choses étonnamment similaires.
Je n’aime pas utiliser des mots aussi durs, mais vous verrez dans mon rapport annuel un appel à l’action. Je pense que le travail de ce comité, et d’autres qui se penchent sur la question, est extrêmement important pour favoriser la responsabilité dans tous les domaines de l’approvisionnement.
La sénatrice M. Deacon : Je vous remercie.
La sénatrice Patterson : J’aimerais m’appuyer sur les commentaires de mes collègues sénateurs. Je prendrai l’exemple de la construction navale. Il y a plusieurs difficultés simultanées pour essayer de livrer le produit aux personnes à qui l’on demande de défendre le pays tant ici qu’à l’étranger. Il y a le temps, les coûts astronomiques, qui sont très difficiles à avaler pour les Canadiens, et les processus internes d’acquisition. Comment mettre cet équipement entre les mains des personnes à qui l’on demande de faire l’inconcevable?
Vous avez parlé du rapport que vous aimeriez déposer. Pourriez-vous nous en dire un peu plus là-dessus? Pouvez-vous donner des exemples plus précis? Je m’intéresse particulièrement au temps requis pour faire une acquisition, de sorte qu’il est extrêmement difficile de calculer précisément un coût. Le système actuel fonctionne-t-il? Il s’agit du changement transformationnel dont vous parlez. Je vous serais reconnaissante d’en parler.
M. Jeglic : C’est d’accord. Pour encourager les questions, je vais passer en revue la liste des changements suggérés. Je tiens à préciser qu’il s’agit d’un document que j’ai déposé, et non d’un rapport que nous avons préparé.
Tout d’abord, comme je viens de le mentionner, il faut créer une filière transparente des transactions envisagées pour les projets qui ne relèvent pas du Conseil national de sécurité ou de l’exception relative à la sécurité nationale.
Je pense qu’il faut aussi planifier le cycle de vie complet, de sorte que le contrat doit tenir compte de l’obsolescence et de l’interopérabilité.
Troisièmement, il faut organiser un genre de marathon de programmation avec tous les acteurs clés. L’objectif est de mettre les idées sur la table rapidement, plutôt que de prolonger le processus.
Quatrièmement, il faut intégrer le Conseil du Trésor à l’équipe d’approvisionnement du projet.
En cinquième lieu, il faut adopter une approche fondée sur les risques, en augmentant la délégation et en réduisant la surveillance du Conseil du Trésor sur la plupart des projets.
Sixièmement, il faut développer un cadre de gestion du rendement des fournisseurs à l’échelle du gouvernement. C’est un point extrêmement important. J’en parle depuis plusieurs mois, voire plusieurs années. Si j’en ai l’occasion, j’y reviendrai dans un instant.
Septièmement, il faut créer un poste fédéral de dirigeant principal des acquisitions, que j’ai déjà mentionné.
En huitième lieu, il faut mobiliser l’industrie sans que ce soit spécifique à un projet. Ce ne doit donc pas être pendant un appel d’offres actif où les conversations peuvent être de nature différente.
Neuvièmement, il faut créer une responsabilité claire. Les décisions fondées sur le consensus sans responsabilité claire ne fonctionnent pas. Il ne faut pas trier les problèmes d’approvisionnement trop tôt pour éviter de les porter à l’attention des sous-ministres adjoints et des sous-ministres.
Au numéro 10, il faut revoir les règlements, y compris la réglementation et les politiques de passation de marchés, et éventuellement les modifier pour une meilleure harmonisation.
Onzièmement, nous entrons à présent dans le domaine de la procédure. Il faut payer les coûts relatifs à une soumission qui est conforme. Nous constatons un manque général de concurrence dans tous les domaines. Du côté de la défense, le problème est particulièrement criant. Je suggérerais comme solution potentielle de payer ces frais pour les offres conformes.
En douzième lieu, il faut réduire le nombre de critères obligatoires. Comme vous l’avez mentionné à juste titre, il s’agit d’acquisitions incroyablement complexes. Néanmoins, je dirais qu’il y a un nombre excessif de critères obligatoires, ce qui réduit le nombre de concurrents qui peuvent vraiment y participer.
Treizièmement, il faut invoquer les exceptions à l’obligation de procéder par appel d’offres lorsque l’objectif est atteint. Je pense que l’on craint généralement d’y avoir recours, en particulier dans le contexte actuel. Les gens doivent se tenir debout, prendre des décisions et les étayer par des documents.
Au numéro 14, il ne faut pas vivre dans la crainte d’un litige, et plutôt laisser le processus de résolution des litiges suivre son cours. Je comprends que c’est facile à dire et difficile à mettre en œuvre, mais je pense que c’est un risque réel.
En quinzième lieu, il faut s’inspirer d’autres pays pour trouver les meilleures pratiques. J’ai apprécié la question sur la Corporation commerciale canadienne, ou CCC. Il faut sortir des sentiers battus pour trouver des solutions. Que font les autres pour fournir des ressources en temps voulu à leurs troupes?
Le numéro 16 vise à créer des cours et des programmes au baccalauréat et à la maîtrise sur l’approvisionnement et l’approvisionnement complexe pour la défense. Cela concerne le volet de formation, si bien que lorsque vous recrutez un employé, il a déjà des connaissances en approvisionnement en matière de défense, au lieu de devoir le former dès son entrée en fonction.
Enfin, je dirais qu’il faut s’inspirer de ce qui a fonctionné dans l’approvisionnement d’urgence. Vous cherchez donc à accélérer l’approvisionnement. De toute évidence, il faut éliminer les mauvaises pratiques et s’inspirer de celles qui ont fonctionné avec succès dans un contexte d’approvisionnement d’urgence.
Le sénateur Cardozo : Vous avez abordé un grand nombre des points que je voulais soulever. Certains d’entre eux sont peut-être un peu plus risqués que ce qu’un gouvernement peut faire quant à la reddition de comptes qui est nécessaire, mais je pense qu’il est vraiment créatif de le faire.
Permettez-moi de demander aux deux autres organismes de me faire part de leurs réflexions. L’achat ou la création de mégaprojets est un problème qui déconcerte les gouvernements depuis longtemps. À votre avis, quelles sont les deux choses qu’ils ne font pas correctement ou les deux choses qu’ils devraient faire correctement?
Monsieur Jeglic, vous en avez fait 17. Je demande aux autres une ou deux. Elles peuvent être les mêmes qui ont été abordées.
M. Hayes : D’emblée, si l’on examine l’approvisionnement qui a bien fonctionné et celui qui a mal fonctionné — par « mal » fonctionné, je pense que l’on pourrait dire les marchés qui ont été considérablement retardés ou qui ont coûté beaucoup plus cher que prévu —, l’une des causes profondes est le consensus, l’établissement de ce à quoi devraient ressembler nos Forces armées canadiennes, ce dont elles ont besoin et le fait de se mettre d’accord sur ce point et d’aller jusqu’au bout.
C’est très difficile avec de grands projets d’immobilisations qui prennent beaucoup de temps, mais si vous regardez les fois où cela a fonctionné, c’est parce que le résultat et la réflexion étaient clairs.
Le sénateur Cardozo : Un consensus entre?
M. Hayes : Cela devrait se faire aux deux niveaux, à la fonction publique et au niveau politique. Il faut un consensus à tous les niveaux.
La vérificatrice générale l’a dit, et je n’hésiterai donc pas à le dire : nous nous demandons s’il existe un sentiment d’urgence pour doter nos troupes du matériel, de l’équipement et du soutien dont elles ont besoin pour défendre notre pays.
Très franchement, nous avons formulé des recommandations. Par exemple, nous avons parlé de la nécessité d’améliorer le recrutement et le maintien en poste des pilotes et des techniciens. Nous avons fait cette recommandation en 2018. C’est il y a six ans. Bien franchement, sans un sentiment d’urgence, nous allons voir ces retards s’accumuler.
Si vous parvenez à obtenir un consensus et à aller de l’avant, vous résoudrez bon nombre des problèmes.
M. Giroux : Je pense que mes collègues ont très bien expliqué les problèmes liés à l’approvisionnement. J’ajouterais qu’il y a généralement plus d’un point de reddition de comptes, surtout lorsqu’il est question de l’approvisionnement militaire, ce qui va à l’encontre du consensus que M. Hayes a mentionné. Il y a aussi des décisions politiques qui peuvent parfois entraîner des retards. C’est au niveau des décisions politiques que ces décisions devraient être prises. Cela ne fait aucun doute. Mais parfois, faire changer quelqu’un d’avis — encore une fois, je reviens au consensus — ajoute des retards, ce qui s’accompagne de coûts.
Le sénateur Cardozo : En ce qui concerne les retards politiques, outre la politique de parti, je pense à la politique géographique, qui consiste à attribuer des contrats à différentes régions du pays.
M. Giroux : J’ai juste à l’esprit la décision concernant les F-35. La décision a été prise, annulée puis prise à nouveau. C’est ce que j’avais à l’esprit.
M. Hayes : J’ajouterais le compromis que vous devez faire lorsque vous prenez une décision concernant, par exemple, l’achat d’une grosse machinerie militaire, tout en essayant de bâtir un système économique au Canada et d’obtenir des avantages régionaux.
Je prévois en quelque sorte que nous aurons un audit à l’automne sur les avantages de la technologie industrielle, mais lorsque vous avez des droits compensateurs, parfois politiques, vous verrez qu’il y aura un compromis à faire, un échange à faire. Tant que vous savez exactement ce que cela signifie en termes de délais et de coûts, vous êtes conscient de l’analyse coûts-avantages au moment de prendre la décision.
Le sénateur Cardozo : Je vous remercie.
Le sénateur Yussuff : Je remercie les témoins de leur présence.
L’approvisionnement militaire n’est pas un nouveau défi auquel nous sommes confrontés dans ce pays. Alors que nous sommes sur le point d’entamer nos travaux, la question ultime est la suivante : allons-nous un jour trouver un moyen d’effectuer des acquisitions qui répondent au besoin des contribuables, soit que le coût promis et le coût de ce qui est livré soient les mêmes?
Il y a aussi la rapidité de l’acquisition d’équipement. Je ne crois pas me souvenir d’un seul projet que nous ayons entrepris dans ce pays et que nous ayons mené à bien dans les délais prévus. En fait, si vous demandez aux forces si elles souhaitent avoir un équipement, elles vous diront probablement qu’elles auraient dû l’avoir il y a probablement 10 ans.
Pour revenir aux F-35, nous avons délibéré à ce sujet pendant près d’une décennie ou plus avant d’enfin arriver à une conclusion, et pourtant, nous sommes aux prises avec la question suivante : pouvons-nous obtenir cet équipement à temps, sachant que l’équipement dont nous disposons actuellement ne peut pas répondre aux besoins du pays et à nos obligations envers l’OTAN, mais aussi nos obligations envers le NORAD? Il y a donc tout à apprendre.
Monsieur Jeglic, j’ai entendu très clairement les 17 ou 20 points que vous avez soulignés, mais il ne s’agit pas de nouveaux points avec lesquels nous nous sommes débattus.
Pour revenir à ce que mon collègue vient de dire concernant les conseils, les Canadiens devraient-ils avoir confiance en nos élus lorsqu’ils leur disent qu’ils feront ce qui suit dans un délai donné et qu’ils y parviendront?
Le gouvernement pourrait changer. Si c’est le cas dans un proche avenir, certaines des décisions dont nous parlons pourraient être inversées dans une autre direction, ce qui nous obligerait à tout recommencer. Vous n’êtes pas des politiciens; vous êtes ceux qui nous donnent des conseils judicieux sur la manière d’améliorer les choses. D’après votre analyse, quelles sont les trois choses que vous pourriez nous dire, de chacun de vos points de vue, qui seraient utiles et que nous pourrions inclure dans notre recommandation et notre rapport au final?
M. Hayes : Merci de cette question. Le point a déjà été soulevé à propos de la réflexion sur le cycle de vie. Par exemple, si vous regardez notre rapport d’audit sur la surveillance des eaux arctiques, aucune des choses dont nous parlons n’est surprenante. Vous pouvez vous demander quand un navire arrivera à la fin de sa durée de vie utile ou quand un satellite ne sera plus efficace à des fins de surveillance.
Comme nous l’avons souligné, notre rapport contient une pièce qui montre quand un remplacement est prévu. Il se peut qu’au cours d’une période donnée, vous ne puissiez pas utiliser les satellites dans le Nord. Cela devrait être préoccupant et c’était connu. Ce sont des problèmes connus de longue date. Si vous examinez le cycle de vie de votre gestion de ces actifs, vous devriez être prêts à les mobiliser et à les remplacer.
Il est important de tenir compte de la complexité des processus d’approvisionnement et de relever les moyens de s’assurer que l’on trouve la meilleure valeur. Mais cela doit aller de pair avec l’idée du cycle de vie.
Enfin, dans le cadre d’études précédentes, on nous a demandé s’il fallait faire une distinction entre Services publics et Approvisionnement Canada en tant qu’acheteur et les Forces armées canadiennes, ou s’il faut les regrouper. Le fait est que, peu importe ce que vous faites, vous aurez besoin des personnes qui ont l’expertise sur le matériel que vous voulez acheter, et vous aurez besoin des personnes qui ont l’expertise sur la façon de l’acheter. Ce sont deux choses très différentes. Un système de freins et contrepoids est parfois important.
Avant de nous éloigner complètement d’un modèle qui présente des problèmes particuliers que nous connaissons, il serait important de relever les autres problèmes qui pourraient survenir. Par exemple, la chaîne de commandement peut ordonner que quelque chose se produise. Si votre agent d’approvisionnement et votre agent du matériel sont à des endroits différents, l’un des deux sera perdant. Il est important d’avoir un processus de contestation dynamique et rigoureux.
Je pense avoir peut-être parlé trop longtemps.
Le sénateur Boehm : Merci, chers témoins, d’être ici.
Je voulais revenir sur quelques points qui ont été soulevés sur d’autres instances. J’aimerais savoir si d’autres instances ont une entité centrale pour l’approvisionnement en matière de défense, comme l’a suggéré le gouvernement en 2019, mais il n’y a pas eu de progrès à ce sujet.
D’autres instances disposent-elles du même type d’éléments de surveillance que nous, comme vous le représentez?
J’ai également été frappé par l’observation de M. Jeglic sur la désuétude et l’interopérabilité. Nous avons de très vieux appareils qui traînent — des sous-marins de la classe Victoria qui étaient anciens quand nous les avons achetés, les F-18 usagés de l’Australie. Il y a peut-être d’autres choses, mais elles ne nous sont pas utiles.
Je me rends compte qu’il ne s’agit pas d’une question mais d’une observation. Néanmoins, j’aimerais entendre vos commentaires. L’OTAN compte deux nouveaux membres: la Finlande et la Suède. Ils sont tous les deux bien armés, bien approvisionnés et équipés pour l’Arctique. Ce comité a produit une étude sur la défense dans l’Arctique, le NORAD et tout le reste. Que pouvons-nous apprendre d’eux concernant l’efficacité de leurs processus d’approvisionnement? Je vous remercie et je vous prie de m’excuser.
M. Jeglic : Je vais tenter de répondre à quelques-unes de ces questions en même temps.
Pour ce qui est de savoir quelles instances disposent de quels pouvoirs, je ne peux pas répondre de manière définitive à la question parce que nous n’avons pas entrepris cet examen. Je suggère que nous examinions de plus près les autres instances. Ont-elles des entités semblables aux nôtres? Je peux parler des États-Unis. Les États-Unis ont des entités semblables aux nôtres. Je pense qu’il en va de même pour de nombreux alliés de l’OTAN, mais je ne veux pas faire de commentaires trop généraux, car nous n’avons pas encore fait le travail. Il est intéressant de noter que nous partageons le point de vue selon lequel il y a des leçons à tirer d’autres instances. C’est l’une des premières choses que nous devrions faire, car l’interopérabilité est un problème important. Nous ne voulons pas accuser un retard.
En ce qui concerne la désuétude et votre observation sur l’achat d’équipements obsolètes comme s’ils étaient neufs, ce sont des décisions qui dépassent largement notre capacité à les prendre. Toutefois, cela concerne le mécanisme contractuel. Comment faire pour que ces équipements restent modernes? Cela doit être pris en considération dans le contrat. Autrement, comme vous le soulignez à juste titre, la désuétude devient un problème au moment de l’achat. Il faut que ce soit précisément envisagé.
Je vais m’en tenir là. Je pourrais revenir sur les autres questions concernant les nouveaux pays de l’OTAN. Encore une fois, je ne suis pas en mesure de vous fournir une réponse cohérente, mais je serais disposé à examiner la question.
M. Hayes : Évidemment, ce n’est pas quelque chose que nous avons vérifié. Toutefois, si vous regardez la situation géographique de ces pays — et si l’on ajoute la Pologne qui, il y a environ un an, a pu acheter du matériel militaire en six mois —, quelle en était la raison? Elle a un environnement menacé à proximité et sait ce qu’elle va faire. Je vais revenir à ce que j’ai dit tout à l’heure à propos du consensus.
Le sénateur Boehm : Je vous remercie.
[Français]
Le vice-président : Avant de passer au second tour, j’aimerais me prévaloir du privilège de poser une question à M. Giroux. Dans vos observations, vous avez fait état des coûts et des développements pour acquérir des CF-18, un programme de 74 milliards de dollars dont 20 milliards de dollars étaient réservés au développement et à l’acquisition. Si l’on tient compte du temps qu’a mis le gouvernement pour prendre la décision de les acheter et si on se concentre uniquement sur les coûts du développement, êtes-vous en mesure de nous dire si ces dépenses avaient été correctement prévues dans le budget, ou sont-elles discutables?
M. Giroux : En fonction de l’horaire ou de la planification d’acquisition des avions de combat, je crois que l’évaluation de coûts que le gouvernement a publiée est raisonnable. Si on avait tenu compte de tous les coûts encourus par le gouvernement depuis le début du projet, qui date de plusieurs années, on serait arrivé à un coût plus élevé. On aurait tenu compte des coûts de développement antérieurs à 2016 et 2017; cela aurait probablement ajouté quelques centaines de millions de dollars, mais on n’a pas mesuré ce qu’aurait été le coût additionnel d’acquisition si on avait acheté ces avions de combat plusieurs années plus tôt.
On n’a pas fait ce scénario alternatif. On a estimé le coût du programme tel qu’on le connaît maintenant.
Si on avait acheté les avions plus tôt, on aurait pu sortir les vieux F-18 de la circulation plus tôt et éviter un entretien très coûteux, dont l’achat de F-18 usagés de l’Australie.
Le vice-président : Avant de passer au deuxième tour, j’aimerais rappeler aux sénateurs et sénatrices que vous avez deux minutes et demie par question.
Le sénateur Carignan : Donc, si je résume bien, à part la partie traitant des 17 différentes recommandations, l’un des aspects importants, c’est le leadership, tant du côté politique que du côté du ministère. Il s’agit d’être en mesure de faire des choix et d’être plus efficace en se disant qu’on laisse tomber les éléments de politique en haut de l’échelle, qui pourraient retarder les acquisitions; aussi, quand on descend en bas de l’échelle, il faut assurer une définition fixe et précise des besoins dès le début et ne pas essayer de transformer un hélicoptère en jet au moment où l’on avance dans le processus de fabrication ou ne pas faire des demandes tellement spécifiques et spéciales qu’on change complètement la planification de l’équipement, ce qui crée des délais. Est-ce que je résume assez bien?
[Traduction]
M. Jeglic : Je peux répéter qu’il faut du leadership. J’ajouterais à cela « reddition de comptes ». Au final, qui doit rendre des comptes? Si vous ne pouvez pas répondre à cette question, le problème se pose immédiatement, car vous ne savez pas qui doit rendre des comptes et à qui. C’est le premier point que je mentionnerais.
Je dirais que la deuxième partie de votre question renvoie à un vieux sujet relatif à l’approvisionnement, à savoir la simplification. Mes collègues ont mentionné la superposition constante de nouvelles obligations. On ne peut pas continuellement ajouter de nouvelles obligations sans en perdre, et le processus actuel ne fait qu’ajouter de nouvelles obligations. Par conséquent, le message constant de notre bureau est que la simplification doit être le moteur. J’accepte également le fait qu’on ne peut pas changer les pneus d’un véhicule en mouvement, si bien qu’il y a aussi cet aspect. Ces idées sont en train de germer, mais on ne peut pas le faire quand la machine avance. Il y a un processus à deux voies : l’un pour continuer à rendre les processus existants aussi efficaces que possible et l’autre pour envisager les changements profonds qui faciliteront le processus à mesure que nous allons de l’avant.
La sénatrice Patterson : Je vais parler des coûts et des délais. Ce que je dois souligner pour ceux qui nous regardent, c’est que les décisions que nous prenons concernent la vie des contribuables canadiens, ceux qui servent. Il n’est pas question de camions de livraison postale. Il s’agit de sous-marins et d’avions qui peuvent aller dans des régions comme l’Ukraine — pas dans des feux de forêt.
Par ailleurs, vous avez parlé du point de vue de la vérificatrice générale. Je pense que vous avez mentionné les 82 milliards de dollars pour les navires canadiens de combat de surface, ou NCSC, essentiellement pour la conception et l’approvisionnement. Comme il s’agit d’un système sur mesure, on ne le voit nulle part ailleurs. Vous êtes confrontés à l’interopérabilité et au coût de l’interopérabilité d’un système sur mesure. Dans vos études, avez-vous examiné ces coûts?
M. Hayes : Je vais demander à M. Swales s’il a quelque chose à ajouter. Je ne pense pas que nous ayons analysé ce qu’il nous en aurait coûté si nous n’avions pas essayé de concevoir — je suppose que « personnaliser » est un autre terme pour désigner cela — des systèmes typiquement canadiens. Toutefois, il est clair qu’en fonction de ce que nous achetons, si le système doit être utilisé en collaboration avec nos alliés, il faut prendre en considération leurs exigences également.
Monsieur Swales, voulez-vous ajouter quelque chose?
Nicholas Swales, directeur principal, Bureau du vérificateur général du Canada : Comme M. Hayes l’a dit, nous n’avons pas examiné cette question en particulier. Bien entendu, la question de savoir si nous devrions acheter des équipements existants ou de nouveaux équipements est toujours sur la table. Parfois, nous semblons être un peu perplexes à ce sujet, comme dans le cas des NCSC, qui, dans une certaine mesure, étaient censés être une conception éprouvée, mais que nous reconcevons pratiquement nous-mêmes. C’est le genre de situation où nous devons mieux comprendre ce dans quoi nous nous lançons lorsque nous commençons un projet et restructurons nos contrats en conséquence.
La sénatrice Patterson : Je vous remercie.
Le sénateur Yussuff : Monsieur Hayes, je voulais reprendre là où vous vous êtes arrêtés il y a quelques instants lorsque vous répondiez à ma dernière question. Si nous devions simplifier la structure... en reconnaissant que vous avez l’approvisionnement d’un côté, la Défense nationale de l’autre et bien d’autres entités. Compte tenu du défi auquel nous sommes continuellement confrontés, pensez-vous que cela pourrait nous aider à résoudre ces problèmes de façon générale? Il s’agit de problèmes générationnels auxquels nous sommes confrontés en tant que pays. Or, nous n’avons pas encore trouvé le modèle parfait pour atteindre l’objectif, car comme toujours, il y a trois ou quatre ministères qui doivent prendre une décision.
Comment simplifier ce processus de manière à obtenir les résultats escomptés en temps voulu?
M. Hayes : De façon générale, je dirais qu’il n’est pas clair pour nous — et la vérificatrice générale l’a déjà dit — que la structure est le problème. La complexité fait certainement partie du problème. La nature complexe des règles et des processus d’approvisionnement et la façon dont ils sont mis en œuvre font certainement partie du problème.
La question porte essentiellement sur l’idée d’un point de contact unique pour la reddition de comptes — quelqu’un qui rendrait des comptes pour les retards et les augmentations de coûts. À l’heure actuelle, cependant, je dirais que dans notre système, nous avons une reddition de comptes claire de la part de Services publics et Approvisionnement Canada, des Forces armées canadiennes et de la Défense nationale.
Je pense que dans mes remarques précédentes, je voulais signaler qu’il y a clairement des problèmes que nous connaissons. Changer de modèle pourrait avoir des conséquences imprévues. Ce pourrait être mieux. Ce pourrait être pire. Nous n’en savons rien. Il sera important de nous assurer que nous avons bien réfléchi à la manière dont cela va fonctionner avant de nous lancer dans un changement majeur de la sorte.
[Français]
Le vice-président : Nous avons été vraiment disciplinés et il reste du temps. Monsieur Hayes, vous avez notamment attribué certains retards dans la réception des stocks à une pénurie, mais je crois que les délais pour passer les commandes sont tout aussi importants.
Seriez-vous en mesure de nous dire si le politique est trop présent dans la prise de décisions sur les approvisionnements?
M. Hayes : Je vais demander à M. Swales de répondre à la question.
M. Swales : L’une des observations que nous avons faites dans notre rapport sur les approvisionnements de stock, c’est qu’il n’y avait pas un bon calcul, une bonne politique, une bonne idée de ce qui devrait être à tel endroit précis pour que le processus d’approvisionnement se fasse assez rapidement et de façon la moins coûteuse possible. Il y avait des améliorations à faire pour déterminer nos besoins. De ce point de vue, il y avait un grand besoin d’améliorations sur le plan de la politique.
Le vice-président : Merci beaucoup.
[Traduction]
Le vice-président : Voilà qui nous amène à la fin de notre temps avec ce groupe de témoins. Merci, messieurs Giroux, Hayes, Swales et Jeglic, d’avoir pris le temps de nous rencontrer aujourd’hui.
[Français]
Bienvenue à tous. Pour ceux qui se joignent à nous en direct, nous nous réunissons aujourd’hui pour examiner les approvisionnements en matière de défense et l’industrie de la défense canadienne. Nous poursuivons maintenant avec notre deuxième groupe de témoins. Je voudrais souhaiter la bienvenue à Philip Ducharme, vice-président, Entrepreneuriat et approvisionnement, Conseil canadien pour l’entreprise autochtone, qui participe à la réunion par vidéoconférence, et à Youri Cormier, directeur général, Conférence des associations de la défense.
Je vous souhaite à tous la bienvenue et vous invite maintenant à faire vos déclarations préliminaires. Nous commençons par M. Philip Ducharme. La parole est à vous.
[Traduction]
Philip Ducharme, vice-président, Entrepreneuriat et Approvisionnement, Conseil canadien pour l’entreprise autochtone : Bonjour. Comme on l’a mentionné, je suis Philip Ducharme et je suis membre de la Fédération des Métis du Manitoba. En tant que vice-président de l’entrepreneuriat et de l’approvisionnement au Conseil canadien pour l’entreprise autochtone, ou CCEA, je tiens à vous remercier, monsieur le président, ainsi que tous les distingués membres du comité, de me donner l’occasion de formuler des observations sur la participation des entreprises autochtones à l’approvisionnement en matière de défense et à l’industrie canadienne de la défense.
En m’adressant à vous depuis mon bureau, je reconnais que cette terre est le territoire traditionnel de nombreuses nations, notamment les Mississaugas de Credit, les Anishinabe, les Chippewa, les Haudenosaunee et les Wendat, et qu’elle abrite de nombreuses autres Premières Nations, des Inuits et des Métis.
Depuis 40 ans, le CCEA bâtit des ponts entre les entreprises autochtones et non autochtones afin de favoriser une croissance mutuelle, des occasions et une réconciliation économique.
En janvier 2018, le CCEA a officiellement lancé Supply Change, notre programme d’approvisionnement autochtone de marque déposée, qui comprend le marché d’approvisionnement auprès des entreprises autochtones, afin d’offrir aux fournisseurs autochtones et aux acheteurs commerciaux des occasions de s’engager et de nouer des relations tout en échangeant des occasions pertinentes.
Le vice-président : Monsieur Ducharme, pour les interprètes, pouvez-vous parler lentement, s’il vous plaît?
M. Ducharme : D’accord.
Le vice-président : Je vous remercie.
M. Ducharme : Il y a actuellement plus de 1 300 entreprises autochtones certifiées et 155 champions de l’approvisionnement autochtones qui participent au programme et au marché. Au nombre des champions autochtones de l’approvisionnement au sein de Supply Change qui sont actifs dans le secteur de la défense, citons notamment Babcock, Calian, General Dynamics, GE, Rheinmetall et Seaspan.
Plusieurs entreprises du secteur de la défense participent également au programme d’accréditation des partenariats en matière de relations avec les Autochtones du CCEA, dans le cadre duquel elles apprennent des stratégies pour s’engager efficacement dans des relations autochtones et rendent compte de leurs progrès. CAE et Defense Construction Canada sont des exemples d’entreprises qui participent à ce programme.
Le Conseil canadien pour l’entreprise autochtone a fait un effort concerté pour explorer les occasions dans le secteur de la défense au cours des dernières années, et en 2023, nous avons accueilli un pavillon autochtone à CANSEC, où nous avons parrainé la participation de 10 entreprises autochtones. Nous avons également fait participer sept de nos entreprises autochtones certifiées à des tables rondes avec des fonctionnaires de la défense à l’événement.
C’était également à CANSEC en 2023 que la CCEA a lancé son programme Accélérateur d’entreprises autochtones dans le secteur de la défense, en partenariat avec General Dynamics, afin de renforcer la capacité des entreprises autochtones à s’engager dans le secteur. Cette initiative jumelle des entreprises autochtones à des commanditaires organisationnels dans le cadre du programme afin qu’elles se familiarisent avec les exigences réglementaires, acquièrent des connaissances et des compétences pour travailler dans l’industrie et tirent parti des possibilités qu’offre la chaîne d’approvisionnement mondiale de commanditaires.
La semaine dernière, à CANSEC, nous avons célébré la réussite du programme par notre première cohorte. Parmi nos premiers participants, mentionnons Services Conseils Acosys, COTA, MBS Techservices, LaFlesche et XTENDED Hydraulics & Machine, qui ont grandement tiré parti de leur participation au programme. Nous avons également annoncé notre deuxième itération du programme. Nous commencerons à accepter les demandes des entreprises autochtones souhaitant participer à compter du 14 juin.
Le Conseil canadien pour l’entreprise autochtone a également collaboré avec des partenaires des secteurs public et privé pour tenir des webinaires à l’intention des entreprises autochtones concernant l’obtention d’une habilitation de sécurité et la participation dans le secteur en général. Nos interactions avec les entreprises autochtones nous permettent de prendre connaissance des difficultés et des obstacles liés à l’approvisionnement et, avec nos partenaires, nous organisons des séances d’apprentissage et cherchons des solutions pour surmonter ces obstacles.
Nous sommes aussi membres du Groupe de travail sur l’approvisionnement autochtone au sein du Groupe consultatif de l’industrie de la défense, et nous donnons des conseils sur les façons d’accroître la participation des Autochtones à l’approvisionnement de la défense.
Selon un récent rapport de Services aux Autochtones Canada sur l’atteinte de l’objectif d’approvisionnement autochtone de 5 % à l’échelle du gouvernement, le MDN a dépensé 273,8 millions de dollars auprès d’entreprises autochtones au cours de l’exercice 2022-2023, soit 5,18 % du total de 5,3 milliards de dollars de contrats attribués à l’ensemble des entreprises, ce qui exclut la valeur totale des exceptions approuvées par l’administrateur général, qui s’élève à 6,4 milliards de dollars. Toutefois, si l’on inclut les exceptions, ces dépenses ne représentent que 2,33 % du total des dépenses d’approvisionnement du MDN.
J’aimerais profiter de l’occasion pour souligner certains des récents succès de nos entreprises autochtones dans le secteur de la défense.
RaceRocks, une entreprise autochtone détenue et dirigée par des femmes et établie à Victoria, en Colombie-Britannique, se spécialise dans la modernisation de la formation. Elle compte parmi ses partenaires Boeing, Thales et la Garde côtière canadienne, pour n’en nommer que quelques-uns, et a récemment obtenu un cycle de financement de 3 millions de dollars sous la coupe de Raven Indigenous Capital Partners, qui contribuera à l’expansion des activités de l’entreprise à Halifax, et à des investissements stratégiques dans le développement de produits et de technologies de pointe.
Pro Metal Industries, une entreprise appartenant à la Première Nation de Pasqua qui a produit des composantes fabriquées et usinées qui ont été utilisées dans le cadre du projet de véhicules blindés légers de General Dynamics Land Systems Canada, organisera la semaine prochaine, le 11 juin, l’ouverture officielle de son installation de pointe et avant-gardiste à vocation particulière, d’une superficie de 50 000 pieds carrés, qui vise à transformer les activités et à améliorer considérablement les capacités de l’entreprise.
Lors de la journée Canadian Navy Outlook de 2024, ou de la conférence Canadian Armed Forces Outlooks, la société COTA a été reconnue comme étant la première entreprise canadienne appartenant à des Autochtones à devenir l’entreprise principale pour la remise en état d’un sous-marin de la Marine canadienne. COTA sera chargée de la conception et de la livraison d’installations de cuisine modernes pour les quatre sous-marins de la classe Victoria du Canada.
Je tiens à remercier le comité de l’occasion de contribuer à ce travail extrêmement important. C’est avec plaisir que je répondrai à vos questions.
[Français]
Le vice-président : Merci beaucoup, monsieur Ducharme.
[Traduction]
Youri Cormier, directeur général, Conférence des associations de la défense : Merci, monsieur le vice-président. Bonjour à tous. Je remercie le comité d’avoir invité la Conférence des associations de défense, ou CAD, à témoigner dans le cadre de son étude sur l’approvisionnement en matière de défense et l’industrie de défense canadienne.
[Français]
La Conférence des associations de la défense a été fondée en 1932 et regroupe aujourd’hui 40 associations membres, qui représentent plus de 400 000 membres actifs et retraités des Forces armées canadiennes. Notre objectif est de favoriser une approche rationnelle et fondée sur les faits de la politique de défense et de sécurité du Canada par l’intermédiaire de programmes d’éducation et de recherche.
[Traduction]
L’environnement géopolitique s’est rapidement détérioré en quelques années seulement. Je pense que tout le monde est d’accord là-dessus, et ceux qui ne le sont pas n’ont probablement pas prêté une attention particulière à la Chine, à la Russie et au Moyen-Orient. Dans ce contexte, une gestion judicieuse de l’approvisionnement n’est pas seulement importante, mais extrêmement urgente.
Étant donné que le Canada ne peut agir seul, nous devons mieux tirer parti de notre appartenance au NORAD, à l’OTAN et au Groupe des cinq. Nos alliés nous surveillent — certains diront avec impatience — pour s’assurer que les Forces armées canadiennes ont ce qu’il faut pour contribuer de manière importante, non seulement aux missions, mais aussi à l’objectif général de ces alliances, qui est d’avoir un effet dissuasif en démontrant l’unité des démocraties aux vues similaires.
Il est aussi important de garder à l’esprit que la transparence, l’équité et la reddition de comptes sont essentielles dans l’approvisionnement public, en particulier lorsqu’il s’agit de systèmes d’armement. La population canadienne a le droit de savoir, et le Parlement doit respecter les normes de surveillance les plus élevées.
L’exercice de cette surveillance n’a pas à être teinté de partisanerie. En fait, cette partisanerie irait à l’encontre des intérêts supérieurs du pays, qui est d’assurer la sécurité du Canada et d’adopter une perspective à long terme. Nous devons plutôt nous améliorer pour ce qui est de la formation de coalitions et de la recherche de consensus entre les partis. Nous devrions peut-être prendre pour modèles le Danemark et la Norvège, qui ont de bonnes pratiques à cet égard.
Tournons-nous maintenant vers le sud et parlons des États-Unis. Il existe un éventail de possibilités sous-exploitées d’améliorer l’intégration de la base industrielle de défense avec nos partenaires américains. Nous devrions officialiser l’intégration accrue de la chaîne d’approvisionnement et procéder à des acquisitions conjointes afin de limiter les cycles d’expansion et de ralentissement des approvisionnements canadiens qui nuisent tant au secteur et à sa capacité d’approvisionner la FAC en temps opportun et de façon plus économique.
J’ai vu des entreprises quitter le Canada et s’installer dans des marchés plus accueillants en raison de processus contraignants. Le départ d’entreprises a une incidence sur la concurrence. Comment pouvons-nous obtenir les meilleurs prix et le meilleur équipement sans la participation de ces entreprises aux processus de soumissions pour des contrats d’approvisionnement?
Concernant les exigences opérationnelles à court et à moyen terme, il faut accorder la priorité aux options commerciales. Le principal facteur à considérer, lors de l’acquisition d’un équipement de construction étrangère, lorsque nous n’avons pas la capacité ici, ou d’un équipement de conception étrangère partiellement ou entièrement construit au Canada, c’est l’avantage d’acheter un équipement tel quel au lieu de le « canadianiser » à outrance et de le construire en fonction de spécifications précises. Les délais font alors exploser les coûts, dans un marché durement touché par l’inflation chaque année, et les coûts associés à ces délais et à l’entretien d’équipement qui se détériore sont énormes.
Cette « ultra-canadianisation » des systèmes a un prix considérable. On parle d’une majoration de l’ordre de 300 % ou 500 %, ce qui peut réduire à néant les économies recherchées pour commencer. Il faut opter pour des équipements qui satisfont aux besoins, qui sont adaptables et dotés de la plupart des capacités voulues, au lieu de chercher des équipements optimaux ou ayant toutes les capacités.
Le problème, c’est que les coûts exorbitants inhérents à notre système nous poussent parfois dans la direction opposée. Nous achetons de l’équipement d’occasion dont nos alliés ne veulent plus pour combler les lacunes entre les plateformes. On se retrouve donc avec des jets australiens rouillés, des chars néerlandais, des sous-marins britanniques de la classe Victoria dont l’entretien coûte une fortune et qui ne vont pratiquement jamais en mer. En essayant d’économiser de l’argent, nous nous trouvons à gaspiller, en fait, au lieu de prendre une longueur d’avance.
La supervision des acquisitions militaires par quatre ministères et organismes différents — en plus de la surveillance du Bureau du premier ministre, ou BPM, et du Bureau du Conseil privé, ou BCP — n’aide vraisemblablement pas. Les goulots d’étranglement peuvent sembler insurmontables, ce qui sera d’autant plus vrai si nous voulons accroître l’approvisionnement. La mise à jour de la Politique de défense, ou MJPD, est un bon exemple. Nous cherchons à augmenter les acquisitions, mais nous n’avons pas le personnel, la capacité et le système nécessaires pour nous en occuper. Par conséquent, nous finirons probablement par repousser d’autres dépenses, jusqu’à ce que nous ayons trouvé des solutions.
[Français]
Nous devons également développer une plus grande tolérance au risque. Un moyen d’atténuer ce risque est de tirer parti du contrôle parlementaire pour donner une plus grande couverture politique aux questions relatives aux marchés publics, lorsque les procédures bureaucratiques minimisant les risques créent d’importants ralentissements.
[Traduction]
Enfin, la Politique des retombées industrielles et technologiques, ou RIT, doit être revue complètement. Dans sa version actuelle, elle pourrait fort bien être contre-productive et contraire aux intérêts canadiens, laissant ainsi les Forces armées canadiennes, ou FAC, mal équipées, en deçà d’un état de préparation adéquat, ce qui mène à la création de propositions de valeur à la fois spéculatives, trop coûteuses et beaucoup trop lentes à mettre en œuvre.
L’octroi de contrats de nouvelles technologies, où la valeur est calculée avec des multiplicateurs subjectifs et importants, se fait davantage en fonction de la promesse d’une création de richesse future qu’en fonction d’une évaluation de l’urgence ou des besoins. En outre, ces promesses ne se concrétisent pas nécessairement si, lorsque la technologie est enfin opérationnelle, les permis d’exportation sont refusés, même entre proches alliés. La tolérance zéro en matière de risque existe de la conception à l’objectif final. Cela étouffe à la fois l’économie et la capacité du Canada d’intervenir dans le monde pour appuyer ses idéaux de paix, de prospérité, de la primauté du droit à l’échelle internationale et de protection des droits de la personne.
Je vous remercie de votre temps.
Le vice-président : Merci beaucoup, monsieur Cormier.
Nous passons maintenant aux questions. Je vous rappelle que vous avez quatre minutes pour chaque intervention, réponse comprise. Veuillez poser des questions succinctes pour que nous puissions avoir le plus d’interventions possible. Nous commencerons par le sénateur Cardozo.
Le sénateur Cardozo : J’ai deux questions rapides.
Monsieur Ducharme, concernant les entreprises autochtones qui présentent des soumissions, quelles garanties souhaitez-vous pour veiller à ce qu’il s’agisse bien d’entreprises autochtones et qu’elles fournissent des emplois et de la formation aux Autochtones? Récemment, des préoccupations ont été soulevées dans les médias au sujet d’une entreprise en particulier. Je vous demanderais, si possible, de parler des garanties que vous souhaiteriez voir à cet égard.
Monsieur Cormier, concernant une tolérance accrue au risque, aucun gouvernement ne souhaite cela. C’est le contraire de ce qu’on attend d’un gouvernement. Que répondez-vous à cela?
M. Ducharme : Le Conseil canadien pour l’entreprise autochtone, ou CCEA, a un processus de certification, car nous voulons nous assurer — je suis moi-même un Autochtone — que les marchés publics sont attribués à de véritables entreprises autochtones. Nous suivons les lignes directrices du gouvernement fédéral du Canada. Nous avons besoin de la preuve d’appartenance autochtone. Nous avons besoin du titre de propriété pour prouver que l’entreprise est détenue et contrôlée par un Autochtone. Après l’attribution du contrat, une vérification est effectuée pour s’assurer de la véracité de la valeur totale déclarée allant aux entreprises autochtones. Actuellement, dans certaines coentreprises en particulier — par exemple une coentreprise de 100 millions de dollars avec un partenaire non autochtone —, ces 100 millions de dollars sont comptabilisés comme des dépenses allant à des Autochtones, mais il est impossible que la totalité de ce montant aille réellement à des Autochtones. Je pense qu’il faut s’assurer de faire des vérifications après l’attribution des contrats pour montrer la valeur réelle que représente ce contrat de 100 millions de dollars pour l’entreprise autochtone.
Le sénateur Cardozo : Merci. Monsieur Cormier, vous avez environ deux minutes.
M. Cormier : Je pense qu’il convient de définir ce qu’on entend par « risque ». Il existe plusieurs domaines de risque. Il y a des risques que nous contrôlons mieux que d’autres, et certains que nous essayons d’éviter complètement. Le risque pour les membres des Forces armées canadiennes devrait être la principale priorité. Par contre, le risque politique lié aux partis — la rhétorique qu’ils emploieront durant la prochaine campagne électorale — est le genre de risque que nous devons chercher à atténuer afin d’éviter la politisation de l’approvisionnement comme on l’a vu dans le passé. Il y a eu un vote de confiance par rapport au dossier des F-35 il y a quelques années. Ce sont des domaines où il est possible d’améliorer le contrôle et la gestion du risque politique.
Quant au risque de problème d’approvisionnement lié à la fonction publique, il existe des façons de gérer et de percevoir le risque. Il ne faut pas nécessairement analyser chaque projet 25 fois afin de garantir que tout est parfait. Nous pouvons simplifier le processus pour obtenir une évaluation adéquate du risque, plutôt que tendre vers le risque zéro. Il y a 1 % de risque, 0,5 % de risque et 0 % de risque. Il faut choisir.
Enfin, je dirais que l’intolérance au risque politique pousse les hauts fonctionnaires à rechercher le risque zéro, car ils n’ont pas l’assurance que les partis politiques seront d’accord pour défendre, sur le plan politique, les décisions qui pourraient avoir été prises.
La sénatrice M. Deacon : Je remercie les témoins de leur présence aujourd’hui. Je leur en suis reconnaissante. Ma question s’adresse à M. Cormier et porte sur un sujet dont vous m’avez peut-être entendu parler au cours de la dernière heure.
Un certain nombre de nos navires de patrouille extracôtiers et de l’Arctique ont été livrés. Nous avons entendu parler des problèmes, notamment la présence de plomb dans l’eau potable, des ancres inefficaces, un système de ravitaillement trop difficile à utiliser et des navires susceptibles de prendre l’eau. Nous avons posé des questions à ce sujet lors de séances précédentes. Essentiellement, le ministère de la Défense nationale, ou MDN, et les Chantiers maritimes Irving ont répondu que cela faisait partie des difficultés initiales, du rodage de l’équipement, et que cela se produit dans le cas de nouveaux navires. Mais pour moi, ces navires n’en sont qu’à leur première année de garantie, et les contribuables pourraient se retrouver avec une facture plus salée, comme vous avez commencé à l’expliquer plus tôt.
Je me demande si c’est monnaie courante pour des acquisitions de cette ampleur. Je pose la question. Quand elles obtiennent un contrat comme celui-ci, les entreprises ont-elles tendance à réinventer la roue? N’y a-t-il pas des pratiques exemplaires communes sur les mesures à prendre durant la phase de rodage? Je vais prendre 20 secondes de plus pour dire que nous sommes en train de nous équiper; on prévoit une décennie d’approvisionnement dans le secteur de la défense, ce qui représente des montants importants. À l’avenir, devrons-nous désormais tenir compte de ces problèmes initiaux dans l’analyse des produits livrables et des coûts prévus et, pour ainsi dire, réduire nos exigences?
M. Cormier : Je dirai d’abord que j’ai grandi à Québec. Le chantier maritime Davie a connu des hauts et des bas au cours des années 1980 et 1990. Il a fermé complètement et on ne savait jamais ce qui allait se passer par la suite. C’était difficile pour ma communauté.
Maintenant, nous avons trois chantiers navals et des contrats pour de nombreuses années à venir. Cela représente une possibilité d’acquérir des connaissances, des compétences et de l’expertise qui ne disparaîtront pas soudainement. Je pense que nous tirerons parti de la situation. Maintenant que nous avons testé ce modèle avec les navires, il conviendrait peut-être de l’envisager dans d’autres domaines d’approvisionnement.
Dans ma déclaration, j’ai parlé de l’intégration du marché avec les États-Unis. Nous avons l’occasion d’utiliser les chantiers navals pour l’entretien des navires américains, comme le font les Japonais et les Indiens lorsque les navires américains sont dans leur région.
Nous devons étudier la possibilité de réorganiser nos relations avec les États-Unis pour nous assurer que cette occasion se concrétise. Cela pourrait être une façon d’assurer le maintien de cet ensemble de compétences lorsque les chantiers n’ont pas de contrats avec le gouvernement canadien.
Dans l’ensemble, le modèle peut fonctionner et cela a été démontré. J’ai confiance. Je pense que nous sommes sur la bonne voie.
La sénatrice M. Deacon : C’est un bon début. Merci.
La sénatrice Patterson : Monsieur Cormier, vous avez parlé de la protection et de l’effet dissuasif associé à ce type d’acquisition, puis vous avez parlé de l’exigence de transparence dans tout ce que nous faisons afin que le public sache ce qui se passe. Je vous demanderais de me dire quel en sera le résultat.
Nous savons que les flottes de la Garde côtière et de la Marine sont en train de se dégrader, qu’il s’agisse d’aéronefs ou de véhicules terrestres. Concentrons-nous sur notre politique de défense Notre Nord, fort et libre en particulier. Quelles sont les conséquences, pour le Canada, de laisser des choses comme les sous-marins et les satellites se dégrader sans rien pour combler le vide entretemps?
M. Cormier : Cela comporte de multiples niveaux, évidemment. La première question à se poser est la suivante : quel est le meilleur moment pour recapitaliser les FAC? Est-ce aujourd’hui? L’an prochain? Aurions-nous dû plutôt le faire il y a 20 ans? Je pense que nous accusons du retard pour de nombreux besoins, et voilà pourquoi le prix est si élevé aujourd’hui. Pour revenir à la question précédente, cela permet l’instauration d’un mécanisme pour éviter les cycles d’expansion et de ralentissement tout en créant une stabilité dont on peut tirer parti pour assurer l’état de préparation constant des Forces canadiennes, avec les bons équipements au moment opportun et, sans doute, à un coût beaucoup moins élevé pour le portefeuille des Canadiens.
Cela sous-tend aussi un processus d’éducation. Historiquement, les Canadiens se sont sentis en sécurité en raison de nos trois océans et de nos amicaux voisins du sud. Or, la réalité, c’est que nous ne sommes plus dans une maison ignifugée, loin de toute matière inflammable. Au nord, les Russes sont pratiquement dans nos eaux. Il y a une multitude de raisons d’être inquiets de la tangente que prend le monde. En outre, les problèmes auxquels nous sommes confrontés sont devenus tellement transnationaux qu’on ne peut tenir pour acquis que tout est sûr. Je pense que les changements climatiques sont devenus le principal facteur qui influence l’utilisation des ressources des Forces armées canadiennes. La gestion d’événements comme les dômes de chaleur, les incendies de forêt ou les inondations exerce une pression accrue sur les Forces armées canadiennes, son équipement et son personnel. Cela dit, composer avec la situation mondiale ne devient pas plus facile; il faut donc trouver un équilibre.
Tant que nous tiendrons la population canadienne informée des demandes, elle comprendra. C’est d’ailleurs ce qui ressort des derniers sondages. Si je ne me trompe pas, 76 % des Canadiens se disent maintenant d’accord avec l’idée que le Canada investisse davantage dans la défense et la sécurité, un pourcentage beaucoup plus élevé qu’il y a trois, quatre, cinq ou dix ans. À mon avis, il y a une sorte de prise de conscience, qui est en grande partie attribuable à nos alliés, qui nous ont clairement fait comprendre que nous n’en faisons pas assez pour partager le fardeau.
Dans le cadre de mes fonctions, je travaille en étroite collaboration avec la communauté des attachés militaires, ici à Ottawa. Ce que nous voyons aux nouvelles en provenance de diverses capitales, nous le ressentons viscéralement ici, au centre-ville d’Ottawa, de façon régulière. Ils se plaignent sans détour de l’état des choses et espèrent que le Canada s’améliorera à cet égard.
Le sénateur Richards : Je vous remercie tous les deux de votre présence. Ma question s’adresse à M. Cormier.
Il y a longtemps, nous avions la troisième marine et la quatrième armée en importance au monde. Je pense au 6 juin 1944.
Dans le contexte de la récente décision de la Grande-Bretagne, des États-Unis et de l’Australie de ne pas inclure le Canada dans le programme de construction de sous-marins nucléaires pour renforcer la flotte du Pacifique — je veux dire, nous n’avons même pas reçu un appel téléphonique —, nos alliés occidentaux ont-ils la moindre confiance que le Canada est prêt à les appuyer de quelque façon que ce soit en temps de crise?
M. Cormier : Ce qui est frustrant, pour ne pas dire désolant, c’est que le Canada se voit comme étant beaucoup plus petit qu’il ne l’est en réalité. Nous sommes la neuvième économie la plus importante au monde. Pourtant, nous avons tendance à croire que nous n’avons pas les moyens d’être le neuvième joueur en importance au chapitre de la sécurité mondiale.
L’AUKUS est un bon exemple. L’Australie en fait partie. Elle est prête à faire l’acquisition de sous-marins nucléaires. L’Australie a commencé à acheter des F-35 il y a plus de 10 ans, et ils ont tous été livrés. Elle en a commandé entre 70 et 100; nous en avons commandé 88. Ce que les gens semblent oublier, c’est que l’Australie n’est pas comparable au Canada. Son économie est de 30 % plus petite que celle du Canada. Pour revenir à votre question, quand nous nous disons que nous ne pouvons pas jouer dans la cour des grands, nous minimisons la place que le Canada peut et devrait occuper; nous oublions aussi et surtout la place qu’il a occupé dans le passé.
Le récit que la population canadienne se raconte sur le rôle joué par le Canada dans le monde est empreint de nostalgie. Sa perception est loin de la réalité. La population croit toujours que le Canada joue un grand rôle dans les opérations de maintien de la paix, alors qu’en réalité, sur les 120 000 soldats du maintien de la paix déployés partout dans le monde, seulement environ 35 sont canadiens. Nous ne sommes pas vraiment présents. Nous voulons peut-être participer aux discussions, mais si nous ne sommes pas prêts à joindre le geste à la parole, ce n’est pas étonnant que nous ne soyons pas invités à participer aux discussions. Ce n’est pas étonnant non plus que lorsque vient notre tour, pour ainsi dire, de siéger au Conseil de sécurité des Nations unies, nous ne recevons pas le soutien voulu. Le Canada ne déploie pas les efforts nécessaires pour restaurer la crédibilité qu’il a déjà eue et qu’il espère rétablir.
Le sénateur Richards : Merci beaucoup.
[Français]
Le sénateur Carignan : Je vous écoute et vous avez déjà répondu à certaines de mes questions, notamment celle sur les communications. Donc, les politiciens agissent lorsqu’ils sentent que ce sera populaire qu’ils le fassent. Si 75 ou 76 % des gens pensent qu’on doit en faire plus, on va peut-être finir par en faire plus.
C’est un sondage; ce n’est pas encore profond à tous les niveaux de décision. On est un gouvernement fédéral. Il y a des compétences municipales et provinciales. Le gouvernement fédéral n’a-t-il pas exercé ou n’exerce-t-il pas un leadership par rapport aux autres autorités pour que cela devienne vraiment un enjeu au pays?
Je vous donne l’exemple de l’usine de General Dynamics pour la construction d’obus de 155 millimètres à Valleyfield ou dans ce coin-là. Deux ans sont prévus. Il s’agit d’obus de 155 millimètres. On en a besoin; l’Ukraine en réclame et se met à genoux pour obtenir des obus de 155 millimètres. On s’empêtre dans des questions de zonage municipal, de compétences provinciales et de Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE). Donc, on parle de plus de deux ans avant de terminer la construction de l’usine — j’espère que l’Ukraine n’aura pas perdu.
N’est-ce pas vraiment une question d’autorité de classe à tous les niveaux? Est-ce qu’on doit changer notre mentalité par rapport aux forces armées au Canada? J’aime donner l’exemple des services de pompiers. Il n’y a pas un citoyen dans une ville qui s’oppose aux services de pompiers; aucun élu ne refuse d’investir dans les services de pompiers en disant qu’il n’y a pas eu de feu ce mois-ci, donc ce n’est pas nécessaire d’acheter des camions de plus ou d’engager des pompiers 24 heures sur 24, car la plupart des feux ont lieu le jour ou le soir et il n’y en aura pas pendant la nuit. Personne ne questionne cela; c’est un automatisme. Cela ne devrait-il pas être la même chose pour la défense?
M. Cormier : D’une part, je crois qu’il y a un élément culturel. Je crois qu’au Canada, il y a un sentiment de sécurité, en effet. Je me rappelle que l’ambassadeur de France avait fait une sortie publique en disant que le Canada est confortable, voire trop confortable, et c’est peut-être la raison pour laquelle on ne peut jouer parmi les grandes nations du monde. Je reviens au rôle des politiciens, des sénateurs, des députés; ils doivent être des éducateurs.
À la base, dans mon parcours académique, je suis un professeur de philosophie politique, et non un professeur d’approvisionnement. Je me sens dans une ligne un peu différente de ce à quoi je m’attendais.
Cela dit, l’État-nation chez les Grecs a toujours été à la base un outil de défense collective. C’est le but premier de l’État. Après cela, on a construit des institutions sur lesquelles on a bâti la démocratie et les droits de la personne.
À la base, l’État doit être là pour garantir une certaine sécurité. D’une part, le gouvernement fédéral devrait jouer un plus grand rôle en communiquant l’urgence d’agir et de travailler avec les provinces et les territoires. Ainsi, lorsqu’il se produira une situation pour laquelle il y aura une d’urgence d’agir, on aura les moyens de le faire sur les terres des provinces et des territoires. Tout se passe là, car le Canada n’est pas un État unitaire.
Il faut faire des liens. La récente politique de défense a réussi dans cet objectif de lier certains enjeux qui sont au cœur des préoccupations des citoyens, comme les coûts relatifs à l’inflation. C’est quand même assez lié, le prix de la nourriture, l’inflation mondiale et les chaînes d’approvisionnement. On peut croire que si ce n’était pas de la guerre en Ukraine, on serait dans une situation différente. Il y a moyen d’en faire plus.
Dans le domaine des achats militaires, créer un budget, c’est très facile. Décider sur quoi le dépenser c’est un peu plus difficile. On a créé les budgets futurs avec notre politique de défense. Il y a des enjeux immédiats, comme les munitions pour l’Ukraine. Les Forces armées canadiennes ont environ trois jours de munition alors que, dans nos ententes avec l’OTAN, on serait censé en avoir pour 30 jours. On est vraiment loin du but.
Le vice-président : Je suis désolé de vous interrompre, mais dans un souci de respecter le temps, je vais céder la parole au sénateur Yussuff, et vous pourrez continuer ensuite.
[Traduction]
Le sénateur Yussuff : Ma première question s’adresse à M. Cormier. Je veux revenir à l’argument que vous avez présenté tout à l’heure. Le Canada n’est pas unique. Quand on le veut, on peut trouver un consensus politique. Le problème, c’est qu’au Canada, chaque décision qui est prise à propos de l’approvisionnement est critiquée, débattue et parfois même modifiée, même lorsque la décision est prise par consensus.
Comment peut-on bâtir un consensus politique, sachant qu’il en va de la sécurité du pays et qu’il est essentiel de faire en sorte que les hommes et les femmes à qui nous demandons d’accomplir des tâches au nom du pays disposent de l’équipement nécessaire pour bien faire leur travail? Pouvez-vous nous parler d’endroits où les débats sont moins acrimonieux, où l’approche est plus conciliante et où l’on arrive à trouver des terrains d’entente?
M. Cormier : D’abord, le Canada a traversé une crise de croissance politique : pendant plusieurs dizaines d’années, il a été un pays à deux partis où les gouvernements majoritaires se succédaient; puis, il y a environ 20 ans, les gouvernements minoritaires sont devenus la norme, à quelques exceptions près. Nous n’avons pas mis en place les mécanismes nécessaires pour aider les partis à travailler ensemble et à prendre des décisions dans les coulisses ou par consensus.
Il y a un modèle que je trouve intéressant. En Norvège, par exemple, le comité parlementaire de la défense nationale convoque les chefs de tous les partis politiques, en plus des membres du comité, à des rencontres informelles où les discussions sont plus ou moins consignées. Ainsi, quand ils parviennent à un consensus, il est beaucoup plus facile pour les partis de participer à l’élaboration des politiques.
En lisant la dernière mise à jour de la politique de défense, on peut se demander quelle est la probabilité qu’elle survive aux élections. Est-elle fondée en trop grande partie sur une vision particulière de ce que le Canada doit faire dans le monde? Les autres partis y adhèrent-ils suffisamment pour que nous puissions dire à nos alliés que cette politique résistera à l’épreuve du temps? Je pense qu’il y a beaucoup de gens qui n’ont pas l’impression que la vision présentée dans la nouvelle politique va au-delà des lignes de parti. Il serait peut-être encore possible d’apporter des améliorations sur ce plan.
Le sénateur Yussuff : Mon autre question est pour M. Ducharme. De toute évidence, la politique d’approvisionnement du gouvernement est très importante pour vos membres. Pouvez-vous nous dire quelle part des dépenses globales d’approvisionnement en matière de défense est faite auprès de vos membres aujourd’hui afin que nous ayons un point de référence pour l’avenir?
M. Ducharme : Je vous remercie pour la question. Comme je l’ai dit, à l’heure actuelle, si l’on ne compte pas les exceptions, les dépenses faites auprès d’entreprises autochtones représentent 5,18 % de l’approvisionnement en matière de défense. Si l’on inclut les exceptions, le pourcentage est de 2,33 %. Je le répète, il faut procéder à des vérifications pour confirmer la valeur des dépenses qui ont été faites auprès d’entreprises autochtones.
Nous avons été surpris de voir le nombre d’entreprises que nous avons. Beaucoup d’entre elles sont des sous-traitantes. Elles peinent à devenir des fournisseurs principaux auprès du gouvernement fédéral. Certaines envisagent la possibilité d’exporter leurs produits. Une de nos entreprises travaille avec les Émirats arabes unis. La pièce est fabriquée ici, puis expédiée aux Émirats arabes unis; l’assemblage est ensuite fait là-bas.
Toutefois, je crois qu’un changement important s’opère chez les entreprises autochtones. Nous sommes là depuis longtemps. Les possibilités sont nombreuses. Je suis convaincu que nous pouvons dépasser la proportion actuelle de 2,33 % et atteindre l’objectif de 5 % de l’approvisionnement global en matière de défense du gouvernement fédéral. D’après moi, nous pouvons nous rendre jusqu’à 8 ou 10 %.
Le sénateur Boehm : J’ai une question pour M. Cormier. Je suis toujours ravi d’entendre un témoin citer un ancien sénateur, comme vous l’avez fait, bien que vous ne l’ayez pas nommé. C’est M. Raoul Dandurand qui a déclaré, en 1924, devant l’Assemblée de la Société des Nations, que le Canada voulait vivre dans une maison à l’épreuve du feu, loin des matières inflammables. Je pense que c’est notre credo depuis 1924, voire depuis plus longtemps encore. Cela explique pourquoi le projet de l’Arrow d’Avro ne s’est pas concrétisé. Cela explique aussi la décision prise dans les années 1960 à propos des missiles Bomarc et celle que le gouvernement Martin a prise il n’y a pas si longtemps au sujet du système de défense antimissile.
J’ai posé une question au groupe de témoins précédent sur le niveau de menace. Je leur ai demandé si, à long terme, il y avait un niveau de menace à l’échelle internationale qui pousserait nos gouvernements à prendre la question de l’approvisionnement et de la participation un peu plus au sérieux. Vous avez aussi mentionné plusieurs pays nordiques.
Nous sommes en situation de polycrise. Notre comité a réalisé une très bonne étude sur la sécurité de l’Arctique. L’autre chambre s’est aussi penchée sur la question. Le gouvernement a réagi au dossier de la modernisation du NORAD, et j’en passe, mais à votre avis, est-ce suffisant pour nous pousser à aller plus loin?
M. Cormier : Le premier problème, c’est que quand le coût de projets d’envergure comme l’acquisition de navires et d’avions est politisé, il peut être sorti de son contexte. Un très gros chiffre comme 100 milliards de dollars peut paraître exorbitant, mais quand on le contextualise en expliquant ce que ces 100 milliards de dollars accomplissent sur un certain nombre d’années, le nombre d’emplois qu’ils permettent de créer et la portion qui se finance à travers le cycle économique...
Le sénateur Boehm : Sans impôts.
M. Cormier : ... c’est faisable. Il y a moyen de présenter la dépense comme une solution plutôt que d’en faire tout un plat et de faire tellement peur aux gens pour qu’ils choisissent de ne pas suivre cette voie. Il y a cela qu’on peut faire.
Je pense aussi que notre approche à l’égard des retombées industrielles et technologiques augmente tellement les coûts pour le gouvernement qu’elle amplifie le problème.
Il ne faut pas oublier que ces retombées ne sont pas le but ultime de l’approvisionnement militaire. Ce sont des retombées secondaires qui nous donnent les moyens d’acquérir les biens dont les Forces armées canadiennes ont besoin. Cette perspective transforme la façon de voir les choses.
Je suis toujours heureux de citer Raoul Dandurand quand l’occasion se présente. Au Québec, les gens semblent croire que c’est juste le nom d’une chaire — la Chaire Raoul-Dandurand, à Montréal —, mais M. Dandurand était beaucoup plus que cela.
Le sénateur Boehm : Il a mené une carrière très active, et bien entendu, il a été sénateur. C’est pourquoi je devais le nommer. Merci.
[Français]
Le vice-président : Avant de passer à la deuxième ronde de questions, je vais me permettre de poser une question à M. Ducharme. Par le passé, est-ce que certaines entreprises autochtones qui avaient des services à offrir au gouvernement ont été invitées à jumeler leurs efforts ou à créer des partenariats avec d’autres entreprises, afin d’être mieux considérées dans le processus d’examen des fournisseurs pour certains appels d’offres?
[Traduction]
M. Ducharme : Oui, certaines entreprises autochtones sont obligées de créer des partenariats. Un des obstacles qui barrent parfois la route aux entreprises autochtones, ce sont les exigences relatives au cautionnement de soumission ou à l’assurance. La seule façon pour nous de répondre à ces exigences, c’est en nous associant à des entreprises non autochtones qui peuvent nous couvrir.
En ce qui concerne les coentreprises, pour qu’elles soient vraiment avantageuses, elles doivent avoir une durée de vie limitée. Les vraies coentreprises aident les entreprises autochtones à renforcer leurs capacités afin qu’elles n’aient plus besoin de partenaires pour répondre aux exigences et pour saisir les occasions offertes par le gouvernement fédéral. Certaines coentreprises ont été formées il y a 20 ans. Ce ne sont pas de vraies coentreprises; elles ne représentent qu’un moyen d’atteindre l’objectif de 5 % d’approvisionnement autochtone.
[Français]
Merci beaucoup, monsieur Ducharme.
[Traduction]
La sénatrice Dasko : Merci aux témoins. J’ai une question pour M. Cormier. Vous avez fait plusieurs remarques sur l’augmentation des dépenses de défense et vous avez aussi parlé de l’opinion publique. J’ai cumulé 30 années d’expérience dans le domaine de l’opinion publique. Je peux vous dire que chaque année, quand je sondais l’opinion de la population canadienne, la défense était généralement au bas de la liste des secteurs dans lesquels les Canadiens voulaient voir une augmentation des dépenses. Toutefois, vous avez raison lorsque vous dites que l’opinion a changé. Aujourd’hui, trois quarts des Canadiens pensent peut-être que le Canada devrait augmenter ses dépenses. La vraie question, c’est de savoir dans quelle mesure. D’ailleurs, le Canada a augmenté ses dépenses. La nouvelle politique de défense et les politiques précédentes recommandaient d’augmenter les dépenses; ainsi, des fonds supplémentaires sont prévus. La vraie question, c’est de savoir dans quelle mesure les dépenses seront augmentées. On voit ce qui se trouve dans le document sur la défense.
D’après vous, dans quelle mesure le Canada devrait-il augmenter ses dépenses? Devrait-il chercher à respecter l’engagement de 2 % exigé par l’OTAN? Devrait-il les augmenter encore plus? Qu’en pensez-vous? J’aurai une autre question après.
M. Cormier : D’abord, le 2 % est très aléatoire. Cela ne signifie pas nécessairement que les fonds affectés à la défense représentent 2 %. J’hésiterais à en faire un objectif en soi.
En ce qui concerne les dépenses actuelles, ce que nous avons vu au cours de la dernière année, c’est que la mise à jour de la politique de défense a entraîné une augmentation du budget de la défense de 1 milliard de dollars pour la première année. Cependant, en même temps, les fonds alloués aux Forces armées canadiennes pour l’entretien et le fonctionnement ont été réduits de 1 milliard de dollars. Ainsi, au bout du compte, on finit virtuellement avec le même montant. Par ailleurs, la somme supplémentaire de 1 milliard de dollars qui a été promise sera consacrée à l’approvisionnement et à des biens qui seront livrés dans cinq ou dix ans. De son côté, la réduction des fonds affectés au fonctionnement et à l’entretien a une incidence immédiate sur le niveau de préparation.
Le gouvernement joue avec les chiffres. En fin de compte, nous sommes moins préparés que nous l’étions avant que les nouveaux fonds soient promis.
Ce qui ressort aussi clairement des politiques récentes, c’est la tendance d’annoncer des dépenses majeures de nombreuses années à l’avance. Ainsi, on promet des sommes importantes, mais on ne verse rien en temps réel.
En outre, la politique de défense Protection, Sécurité, Engagement permet de reporter les fonds inutilisés à l’année suivante. Or à moins de pouvoir accélérer le processus d’approvisionnement, on crée ainsi une situation où, d’une année à l’autre, les objectifs d’approvisionnement deviennent de plus en plus inatteignables parce qu’on ne dispose pas des capacités requises pour réaliser les projets.
J’ai parlé à l’attaché militaire de l’Allemagne récemment. Il m’a dit : « Pourquoi ne suivez-vous pas notre exemple? Nous travaillons sur cette question depuis plusieurs années et nous avons réussi à accélérer notre processus d’approvisionnement. Nous serions ravis de vous faire part des leçons que nous avons apprises. » Nous devrions peut-être faire appel à eux.
La sénatrice Dasko : Autrement dit, on jette de la poudre aux yeux : on promet d’augmenter les dépenses en même temps qu’on les sabre. Il n’y a pas d’engagement clair d’augmenter les dépenses. En gros, c’est ce que vous dites.
M. Cormier : C’est l’impression que j’aie.
La sénatrice Dasko : Durant votre déclaration, vous avez mentionné plusieurs problèmes liés à l’approvisionnement : les quatre ministères, les coûts supplémentaires pour rendre les produits canadiens, etc. Quel enjeu est le plus important et le plus pressant? À quel problème devrions-nous nous attaquer en priorité?
M. Cormier : Selon moi, les RIT et la réduction du coût par unité sont les enjeux les plus pressants.
Les quatre ministères posent peut-être problème. On pourrait penser que la solution consiste à les regrouper, mais à moins que le ministère ainsi créé dispose de ressources adéquates, d’un mandat précis et d’outils d’aide à la décision, le problème ne sera pas nécessairement réglé.
Il faut explorer les options. À court terme, le mieux serait probablement de résoudre les problèmes liés au coût et aux RIT.
La sénatrice Patterson : Monsieur Ducharme, j’aimerais revenir à ce que vous avez dit au sujet de la participation des entreprises autochtones à l’approvisionnement en matière de défense, qui se chiffre dans les faits à 2,33 %. Vous avez parlé d’un des défis principaux, soit la longue durée des partenariats. Y a-t-il d’autres facteurs qui vous empêchent de participer à la hauteur de vos capacités? Que peut faire le comité pour contribuer à améliorer cette situation?
M. Ducharme : Je vous remercie pour la question. Je tiens à préciser que la Défense nationale fait partie du troisième palier, ce qui veut dire que le ministère a jusqu’au 31 mars 2025 pour atteindre l’objectif de 5 %. Jusqu’à maintenant, il s’en tire plutôt bien. Les données que nous obtenons montrent qu’il faut continuer à surveiller et à évaluer la situation.
L’un des problèmes, c’est que, quand le facteur principal est le prix, c’est difficile pour les entreprises autochtones de soutenir la concurrence, car comme la plupart des entreprises canadiennes, elles sont de petite ou de moyenne taille. Le pouvoir d’achat des petites entreprises est limité. C’est un autre problème qui complique les choses pour nous.
Si l’on tient compte de la valeur totale de l’approvisionnement, on constate qu’il faut parfois dépenser plus d’argent. Une de nos plus grandes entreprises autochtones appartient à des intérêts privés. Elle s’approvisionne auprès d’entreprises autochtones à hauteur de 19 %, et 40 % de son personnel est autochtone. Ainsi, en s’approvisionnant auprès d’entreprises autochtones, le Canada paye peut-être plus cher pour les biens et les services, mais en même temps, il réalise des économies sociales parce que ces entreprises engagent du personnel, elles achètent des biens et des services à d’autres entreprises, elles contribuent davantage à l’économie et elles soutiennent le réseau social. Je le répète, le coût est aussi un défi.
Par ailleurs, il faut du personnel à temps plein pour répondre aux demandes de propositions et aux exigences en matière d’approvisionnement. Il faut plusieurs employés. C’est donc difficile pour les entreprises qui n’ont pas accès à de telles ressources.
Je trouve pertinent de mentionner que les entreprises autochtones considèrent toujours la situation dans son ensemble. Nous fixons le prix en disant : « Voici ce qu’il faudra pour répondre à cette exigence. » Souvent, notre prix est plus élevé. De leur côté, les soumissionnaires professionnels proposent le prix le plus bas possible. Ils disent : « Ce que vous demandez de faire coûtera 10 $ », en sachant très bien qu’il y aura des coûts supplémentaires. Avec les coûts supplémentaires, leur prix finit par être plus élevé que celui proposé par l’entreprise autochtone dans sa première soumission, qui comprenait tout.
Nous devons mieux informer les entreprises autochtones sur la manière de répondre aux demandes de propositions; nous devons leur apprendre à jouer au même jeu que les autres.
La sénatrice Patterson : Avez-vous une recommandation concrète à nous présenter? Des mesures ont été prises à l’égard des entreprises autochtones, mais elles doivent pouvoir accéder au système. Quelles modifications peuvent être apportées au système?
M. Ducharme : Oui. M. Cormier a parlé des RIT. À mon avis, les entreprises autochtones devraient avoir droit à un pourcentage donné des RIT. Sauf erreur, à l’heure actuelle, des fonds d’une valeur de 6 milliards de dollars pour les RIT n’ont pas encore été alloués. Si les entreprises autochtones recevaient aussi 5 % de ces fonds, ce serait considérable.
D’après moi, des modifications pourraient être apportées à la Politique des RIT pour favoriser l’intégration des entreprises autochtones à la chaîne d’approvisionnement. Je le répète, cela ne fait pas partie de l’objectif de 5 % de l’approvisionnement.
La sénatrice Patterson : Merci beaucoup.
[Français]
Le vice-président : Avant de nous conclure, j’aurais une dernière question pour vous, monsieur Cormier.
Le premier ministre Lester B. Pearson était un historien et il a d’ailleurs gagné le prix Nobel de la paix pour avoir contribué à l’établissement de la force de maintien de la paix de l’Organisation des Nations unies, après la crise de Suez. On n’est peut-être pas près de revoir cela.
À la lumière de vos observations, on dirait que le Canada a perdu son aura ou sa réputation à l’échelle internationale. Seriez-vous en mesure de nous indiquer à quel moment le Canada a basculé ou abdiqué dans son engagement militaire?
M. Cormier : C’est toute une question. Je pense que c’était un 3 septembre, si je me souviens bien...
C’est une tendance. Ce sont des tranches qui ont été enlevées petit à petit. Au fur et à mesure qu’on profitait de la paix de la fin de la guerre froide, on a commencé à aimer les dividendes de la paix et à perdre un peu de vue que ce pourrait être temporaire, que le monde pourrait devenir de moins en moins beau dans un parcours qui n’irait pas nécessairement dans la direction que l’on espérait.
Je pense qu’il ne faut pas désespérer; le Canada est quand même très bon pour se retourner rapidement.
Lorsqu’on est allé en Afghanistan, il n’y avait pas de problème pour avoir l’équipement dont on avait besoin au moment où on en avait besoin. On avait cette capacité multipartisane de combler rapidement les besoins de nos militaires sur place.
Je pense que même avant la Seconde Guerre mondiale, le Canada est devenu la troisième ou quatrième puissance mondiale, parce qu’il a pu se retourner rapidement.
Ce qui nous manque, c’est l’idée que le Canada est un joueur important. Il faut inculquer cela à la population et lui rappeler que le succès du Canada se mesure avant tout par son rôle dans le monde.
Ultimement, la prospérité canadienne est complètement intégrée au succès des marchés et à l’égalité des chances parmi les pays; cela permet de ne pas tomber dans une espèce de jeu géopolitique entre les grandes puissances dans lequel le Canada se ferait écraser. On a tout à gagner en ayant un ordre multilatéral juste et conforme au droit international. Je pense que si on peut en faire plus, ce sera très payant pour le Canada à long terme. On a beaucoup plus à perdre qu’à gagner si on ne s’implique pas dans le monde.
Le vice-président : Merci beaucoup.
[Traduction]
Voilà qui met fin à la deuxième partie de la réunion. Je tiens à remercier MM. Ducharme et Cormier pour cette discussion fructueuse. Nous vous sommes reconnaissants d’avoir pris le temps de vous joindre à nous aujourd’hui.
Chers collègues, avec votre accord, nous allons poursuivre la séance à huis clos pour examiner le rapport du comité sur la teneur des éléments de la section 39 de la partie 4 du projet de loi C-69. Sommes-nous d’accord pour poursuivre la séance à huis clos?
Des voix : D’accord.
Le vice-président : Merci.
(La séance se poursuit à huis clos.)