LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE LA SÉCURITÉ NATIONALE, DE LA DÉFENSE ET DES ANCIENS COMBATTANTS
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le lundi 10 juin 2024
Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants se réunit aujourd’hui, à 14 heures (HE), avec vidéoconférence, pour étudier la teneur du projet de loi C-70, Loi concernant la lutte contre l’ingérence étrangère.
Le sénateur Jean-Guy Dagenais (vice-président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le vice-président : Honorables sénateurs, bienvenue.
Avant de commencer, j’aimerais rappeler à tous les sénateurs et à tous les autres participants en personne de consulter les cartes sur la table pour prendre connaissance des lignes directrices visant à prévenir les incidents de rétroaction acoustique. Veuillez prendre note des mesures préventives suivantes pour protéger la santé et la sécurité de tous les participants, y compris nos interprètes. Dans la mesure du possible, assurez-vous d’être assis de manière à augmenter la distance entre les microphones. Veuillez n’utiliser que les oreillettes noires approuvées. Les anciennes oreillettes grises ne doivent plus être utilisées. Veuillez tenir vos oreillettes loin de tous les microphones en tout temps. Lorsque vous n’utilisez pas votre oreillette, posez-la, face vers le bas, sur l’autocollant placé sur la table à cette fin. Je vous remercie tous de votre collaboration.
[Français]
Bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants. Je m’appelle Jean-Guy Dagenais, sénateur du Québec et vice‑président de ce comité.
Notre président, le sénateur Dean, est le parrain du projet de loi C-70, que nous allons examiner cette semaine. Il m’a donc demandé de présider ces délibérations.
[Traduction]
Je suis accompagné aujourd’hui de mes collègues du Comité, que j’invite maintenant à se présenter.
Le sénateur Richards : Bonjour. Je suis le sénateur Richards, du Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Housakos : Sénateur Leo Housakos, du Québec.
[Français]
Le sénateur Carignan : Bonjour. Claude Carignan, du Québec.
[Traduction]
La sénatrice R. Patterson : Sénatrice Rebecca Patterson, de l’Ontario.
La sénatrice M. Deacon : Bienvenue. Marty Deacon, de l’Ontario.
Le sénateur Woo : Yuen Pau Woo, de la Colombie-Britannique.
La sénatrice Anderson : Margaret Dawn Anderson, des Territoires du Nord-Ouest.
Le sénateur Cardozo : Andrew Cardozo, de l’Ontario.
[Français]
Le sénateur Dalphond : Pierre Dalphond, division De Lorimier, au Québec.
[Traduction]
La sénatrice Dasko : Donna Dasko, sénatrice de l’Ontario.
Le sénateur Boehm : Peter Boehm, de l’Ontario.
Le sénateur Dean : Tony Dean, représentant l’Ontario.
Le sénateur Yussuff : Hassan Yussuff, de l’Ontario.
Le sénateur Kutcher : Stan Kutcher, de la Nouvelle-Écosse.
[Français]
Le vice-président : Chers collègues, comme je l’ai déjà mentionné, nous entamons aujourd’hui notre examen de la teneur du projet de loi C-70, Loi concernant la lutte contre l’ingérence étrangère.
Pour commencer ce travail, nous accueillons M. Michael Kempa, professeur au Département de criminologie de l’Université d’Ottawa, et M. Wesley Wark, agrégé supérieur, Centre pour l’innovation dans la gouvernance internationale.
Bienvenue parmi nous, messieurs. Nous sommes prêts à entendre vos déclarations préliminaires et nous commencerons avec M. Kempa. Monsieur Kempa, la parole est à vous.
[Traduction]
Michael Kempa, professeur, département de criminologie, Université d’Ottawa, à titre personnel : Merci beaucoup de m’avoir invité ici aujourd’hui.
J’aimerais commencer par dire que, dans l’ensemble, la nouvelle loi est un bon point de départ pour réformer la constellation de lois qui régissent la sécurité nationale au Canada. Ce sont des ajustements très importants. Je ne dirais pas qu’ils sont révolutionnaires ou complets. L’un des éléments les plus importants du projet de loi est, par exemple, l’obligation d’examiner la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, ou Loi sur le SCRS, tous les cinq ans, ce qui donnera l’occasion de revenir sur certaines des questions plus vastes qui ne sont pas abordées dans ce projet de loi, et qui devraient probablement faire l’objet d’un examen dans cinq ans.
Certains des commentaires que je vais faire — j’ai passé en revue le projet de loi pour voir si les mesures prises sont adéquates pour le moment, et s’il contient quoi que ce soit qui puisse entraver les examens plus approfondis qui pourraient avoir lieu dans cinq ans. En un mot, la réponse est « non », rien dans ce projet de loi ne pose d’obstacle pour ce qui pourrait devoir être fait dans cinq ans.
En ce qui concerne les trois principaux volets — les réformes à la Loi sur le SCRS, les modifications dans d’autres domaines de la législation sur la sécurité nationale et la création d’un commissariat à la transparence en matière d’influence étrangère —, je vais les aborder brièvement dans cet ordre. Les réformes de la Loi sur le SCRS sont très utiles pour permettre à cet organisme, tout d’abord, de recueillir des renseignements étrangers qui sont virtuellement stockés à l’extérieur des frontières du Canada, ce qui est une excellente chose. Il devient plus facile d’obtenir des renseignements de tierces parties, notamment des entreprises de télécommunications, pour simplifier les procédures — ce qui est très utile. Bien sûr, l’élément essentiel, surtout compte tenu des nouvelles concernant l’ingérence étrangère, est l’amélioration de la capacité du Service canadien du renseignement de sécurité, ou SCRS, d’échanger des renseignements de sécurité essentiellement avec des clients à l’extérieur du gouvernement fédéral. C’est absolument essentiel. Par exemple, si nous imaginons un scénario où des nominations politiques susciteraient des craintes d’irrégularités, du moins sur le plan du financement, disons, cela donnerait au SCRS la capacité d’interagir plus facilement avec Élections Canada sur cette question particulière qui relève de la compétence d’Élections Canada. Ce n’est qu’un exemple.
Je tiens à souligner que, bien qu’il soit plus facile de légiférer à l’égard de la capacité d’échanger de l’information, il y aura une courbe d’apprentissage, une fois la loi mise en œuvre, non seulement pour que le SCRS continue d’adapter sa culture afin de communiquer de façon plus générale au-delà du gouvernement, mais aussi avec les partenaires ou les organismes de sécurité qui cherchent à échanger de l’information avec lui ou à obtenir de lui des renseignements.
J’aimerais simplement souligner que, non pas au niveau de la loi, mais éventuellement par voie de règlement, on pourrait peut‑être exiger des universités, des autres entités gouvernementales comme Élections Canada, ou même des entités privées, qu’elles fournissent une forme quelconque de plan de partenariat pour recevoir des renseignements du SCRS afin qu’elles les traitent de façon responsable, du point de vue du SCRS.
Je vous invite à lire le projet de loi C-70 et les réformes qu’il apporte au SCRS. Comme la loi des années 1980 faisait également partie d’une troïka, la Loi sur le SCRS originale, la Loi sur la GRC du milieu des années 1980, et la Loi sur les mesures d’urgence ont été rédigées en faisant référence les unes aux autres. De même, ce que vous ferez avec le projet de loi C-70 maintenant aura des conséquences sur les mesures législatives qui seront présentées à l’avenir pour modifier la Loi sur la GRC et, éventuellement, la Loi sur les mesures d’urgence. Il n’y a rien dans le projet de loi, pour le moment, qui s’oppose à un examen plus vaste dans les années à venir. Il pourrait s’agir de modifications à apporter, par exemple, aux fameuses normes de l’article 2 concernant le moment où le SCRS intervient et le moment où il est justifié d’invoquer la Loi sur les mesures d’urgence. Ces éléments n’ont pas été abordés dans le projet de loi C-70, mais ils pourront faire l’objet d’un examen dans cinq ans, ce qui sera probablement essentiel.
En ce qui concerne la législation plus générale en matière de sécurité nationale, des mesures importantes ont été prises pour créer des infractions précises liées à l’ingérence étrangère, et les mises à jour concernant la protection des infrastructures essentielles sont les bienvenues. Je dirais que certaines préoccupations ont été soulevées au sujet des libertés civiles, à savoir que cette loi protégeant les infrastructures essentielles pourrait freiner ou entraver des manifestations nationales qui pourraient être simplement gênantes. Mais je dirais que toute formulation indiquant que cela doit s’appliquer dans le cas d’une participation ou d’une ingérence étrangères importantes établit la restriction essentielle qui protégerait ce type de protestations nationales.
Enfin, en ce qui concerne la création d’un commissariat à la transparence en matière d’influence étrangère, ce genre de choses est souvent très utile, surtout pour sensibiliser le public aux distinctions à faire entre l’influence appropriée et l’influence inappropriée dans les processus canadiens. J’aimerais simplement souligner — et je suis certain que mon collègue aura des idées plus poussées à ce sujet — qu’une approche générique où un seul organisme, du moins au niveau législatif, consacre la même attention à tous les organismes du monde entier qui sont enregistrés, n’est pas faisable.
Nous pourrions ne pas...
[Difficultés techniques]
Les réformes de la Loi sur le SCRS ont été rédigées à l’origine au milieu des années 1980 en ce qui concerne la Loi sur la GRC et la Loi sur les mesures d’urgence. Il serait bon de lire ce projet de loi en tenant compte des réformes qui seront apportées à la Loi sur la GRC et à la Loi sur les mesures d’urgence. Il n’y a rien dans le projet de loi actuel qui empêcherait ce réexamen après cinq ans.
En ce qui concerne la nouvelle loi sur la sécurité nationale, la création de nouvelles infractions criminelles liées à l’ingérence étrangère est tout à fait urgente et bienvenue, tout comme la suggestion d’une loi pour la protection de l’infrastructure essentielle. Bien que le gouvernement soit tout à fait libre de légiférer sur ces questions, nous n’avons peut-être pas la capacité d’appliquer ces nouvelles lois. La GRC est bien connue pour ne pas avoir la capacité de remplir son mandat de police fédérale. Il n’y a pas d’équivalent du Federal Bureau of Investigation, ou FBI, dans le Nord. Il serait nécessaire de veiller à ce que la GRC ait la capacité de faire ce travail important.
La deuxième question, celle des infrastructures essentielles, concerne les préoccupations soulevées dans les discours sur les libertés civiles au sujet de ce projet de loi qui pourrait empêcher ou étouffer les manifestations nationales susceptibles de perturber l’utilisation des infrastructures essentielles. Un libellé soulignant la nécessité d’une participation étrangère ou d’une ingérence étrangère dans ces activités protégerait les mouvements de protestation nationaux.
Enfin, en ce qui concerne le commissariat à la transparence en matière d’influence étrangère, il est le bienvenu. Il a la capacité de sensibiliser le public. J’ai l’impression — et je suis sûr que mon collègue chevronné est du même avis que moi compte tenu de ce qu’il a écrit — qu’il serait probablement impossible d’adopter une approche générique où l’on s’attendrait à ce qu’un organisme consacre la même attention à tous les pays du monde. Je comprends qu’il y ait une certaine réticence à créer une liste noire permanente de nations auxquelles nous accorderions plus d’attention. Toutefois, le fait de permettre au chef de ce nouvel organisme et à son ministre d’établir des listes de priorités qui resteraient valides pendant un certain temps pourrait probablement être abordé par voie de règlement et pourrait être une bonne idée.
Le vice-président : Merci, monsieur Kempa.
Wesley Wark, agrégé supérieur, Centre pour l’innovation dans la gouvernance internationale, à titre personnel : Merci, honorables sénateurs. C’est un plaisir d’être en cette chambre de second examen objectif, même pour un collègue chevronné.
J’aimerais commencer par trois brèves observations. La première, c’est que le projet de loi C-70, le projet de loi à l’étude, adopte une approche fragmentaire à l’égard des lois sur la sécurité nationale. Ce n’est pas une refonte complète. Comme M. Kempa l’a indiqué, une refonte complète était grandement nécessaire. J’ai moins de patience que mon collègue qui attend que cela vienne dans cinq ans, mais c’est la situation dans laquelle nous nous trouvons. Même avec les modifications les plus importantes proposées dans le projet de loi C-70 à la Loi sur le SCRS, il ne s’agit pas d’une refonte complète de la Loi sur le SCRS en soi.
Deuxièmement, je pense que dans un monde idéal, ce serait une erreur de précipiter l’étude de ce projet de loi, compte tenu de sa complexité et de son importance.
Le troisième point, c’est que le discours public est étroitement axé sur un certain aspect de l’ingérence étrangère depuis l’automne 2022, et cet aspect est posé par l’ingérence politique étrangère dans nos élections et les processus démocratiques connexes. Comme vous le savez sans doute, il existe une constellation beaucoup plus vaste de menaces posées par des acteurs étatiques hostiles. En tête de liste, il y aurait l’espionnage étranger visant à la fois l’État, et les sénateurs personnellement. Le directeur du SCRS, David Vigneault, a déjà décrit l’espionnage étranger et l’ingérence politique étrangère comme une double menace pour la sécurité nationale canadienne.
De façon plus générale, nous devrions également tenir compte des menaces pour la sécurité économique, des cybermenaces, des menaces pour l’infrastructure essentielle et des menaces pour la sécurité de la recherche. Le projet de loi C-70 a un certain rapport avec cette vaste gamme de menaces. Je pense que cela devrait être considéré sous cet angle et non pas strictement comme une mesure législative concernant l’ingérence étrangère au sens politique traditionnel.
Je vais aborder quelques éléments clés du projet de loi, en commençant par la partie 1, qui modifie la Loi sur le SCRS. Les modifications à l’article 19 concernant l’autorisation de communication sont réclamées depuis longtemps par le service. Le défi consistera à déterminer comment opérationnaliser ce nouveau pouvoir afin de permettre un meilleur échange de renseignements avec des entités à l’extérieur du gouvernement fédéral. Les directives ministérielles concernant l’exercice de ce pouvoir devraient être publiées, comme c’était le cas pour les directives ministérielles au SCRS concernant les divulgations aux parlementaires.
Il convient de saluer l’exigence d’un examen parlementaire de la Loi sur le SCRS tous les cinq ans. La mention de « dès que possible » dans cette partie de la loi devrait être renforcée afin d’éviter les retards. Nous avons constaté des retards importants, notamment dans l’examen parlementaire des projets de loi C-20 et C-59. Il vaudrait peut-être la peine d’envisager d’étendre l’examen législatif à tous les aspects des lois sur la sécurité nationale, et pas seulement à la Loi sur le SCRS.
J’aimerais dire quelques mots au sujet de la Loi sur la protection de l’information ou LPI. Elle a été adoptée en 2001 dans le cadre de la première loi antiterroriste. C’est mon deuxième tour de piste sur la LPI, car j’ai déjà témoigné en 2001 au sujet de cette loi. Elle a fait l’objet d’un examen parlementaire ou public limité à l’époque et n’a pas été mise à jour depuis.
Les principaux changements à examiner dans ce projet de loi sont l’infraction d’intimidation, au paragraphe 20(1) et, ce qui est plus important encore, les dispositions relatives aux actes criminels de l’article 20.2, de l’article 20.3 et de l’article 20.4. Ces mesures modernisent considérablement l’approche juridique à l’égard des infractions d’ingérence étrangère, y compris l’ingérence politique et la répression transnationale, et elles devraient rendre plus facilement accessibles les sanctions pénales si — et c’est un gros si... comme M. Kempa l’a laissé entendre, la GRC a la capacité nécessaire pour porter des accusations en vertu de la LPI.
Si j’avais disposé de plus de temps, j’aurais parlé un peu des infractions de sabotage qui sont incluses dans le projet de loi et qui ne sont pas directement liées à l’ingérence étrangère, mais qui doivent être modifiées. Je me ferai un plaisir d’y revenir.
Enfin, venons-en à la partie 4, la Loi sur la transparence et la responsabilité en matière d’influence étrangère, ou LTRIE. La Loi sur la transparence et la responsabilité en matière d’influence étrangère vise à faire en sorte qu’une personne qui fait affaire avec une entité d’un État étranger pour mener une opération d’influence politique qui pourrait consister à cibler des titulaires d’une charge publique doit s’enregistrer. Elle comporte trois éléments de définition interreliés. Le premier est la définition d’un arrangement avec une entité étrangère; le deuxième est la définition des processus politiques ou gouvernementaux en jeu; le troisième est le titulaire d’une charge publique. Les deux derniers éléments de cette troïka permettent le ciblage approprié de l’ingérence politique étrangère.
La définition d’un « arrangement », cependant, est trop large et je crois qu’elle menace les droits garantis par la Charte. En particulier, l’alinéa 2b), qui précise qu’un arrangement peut inclure le fait de :
b) communiquer ou diffuser ou faire communiquer ou diffuser par quelque moyen que ce soit, notamment les médias sociaux, des renseignements relatifs au processus politique ou gouvernemental;
Je pense que c’est d’une portée excessive. Je remarque que le gouvernement n’a pas encore produit, à ma connaissance, l’énoncé de conformité requis en vertu de la Charte pour le projet de loi C-70.
Ma deuxième préoccupation au sujet du projet de loi, c’est qu’il ne tire pas parti des pratiques exemplaires de nos alliés. Il n’évite pas la portée excessive du système australien sur laquelle un comité parlementaire australien se penche actuellement, et n’adopte pas, à mon grand étonnement, la version la plus récente du système britannique contre l’influence étrangère, qui comporte deux niveaux et permet au ministre, par voie de règlement, de préciser quels sont les acteurs étatiques hostiles les plus préoccupants.
Bien que le gouverneur en conseil ait des pouvoirs de réglementation en vertu de la LTRIE, il n’est pas question de réglementer qui ou quoi constitue une entité étrangère. Autrement dit, dès la production des documents de consultation sur la LTRIE, Sécurité publique a souhaité, dès le départ, que cela s’applique à tous les pays sans distinction, ce qui, à mon avis, est une grave erreur.
Dans sa forme actuelle, la LTRIE risque de devenir une machine bureaucratique coûteuse. N’oubliez jamais qu’il ne s’agit pas d’un jeu à somme nulle. Si vous dépensez plus pour la LTRIE, moins vous devez dépenser pour la GRC, le SCRS et d’autres organismes de sécurité, et cela vise surtout, soyons honnêtes, à attraper les bons. Je ne pense pas que cela réponde aux attentes du public ni aux objectifs de la loi tels qu’ils sont définis. Merci.
[Français]
Le vice-président : Merci beaucoup, monsieur Wark.
Nous procéderons maintenant aux questions. Comme toujours, quatre minutes seront allouées pour chaque question, y compris pour la réponse.
Je vous demande de poser des questions succinctes afin qu’il y ait le plus grand nombre d’interventions possibles.
[Traduction]
Le sénateur Kutcher : Merci beaucoup d’être ici, messieurs. Ma question comporte deux volets et s’adresse à vous deux.
Récemment, M. Wark a écrit : « Il s’agit d’une réforme juridique fragmentaire dont la conception globale manque d’ambition. » Avez-vous une ou deux suggestions qui vous viennent à l’esprit quant à la façon dont le Sénat pourrait aborder cette question et éventuellement approuver ce projet de loi?
Pour ce qui est de la deuxième partie de ma question, vous avez tous les deux fait remarquer — tout comme le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement, ou CPSNR — que la GRC manque sérieusement de ressources pour régler ce problème. Croyez-vous que, sans investissement dans les ressources de la GRC, nous serons en mesure de suivre l’orientation que prend ce projet de loi?
M. Wark : Je vous remercie, sénateur, de votre question. Pour ce qui est de la dernière partie de la question, il est très clair, je pense, que la GRC n’a pas les ressources nécessaires pour mener des enquêtes complexes sur l’ingérence étrangère. Au cours des dernières années, elle a réussi à mener des enquêtes sur l’espionnage étranger, mais aucune accusation d’ingérence politique étrangère n’a été portée, comme vous le savez sans doute.
La GRC est confrontée à un grave défi, et je suis sûr que tous les sénateurs ici présents en sont conscients, à savoir qu’il s’agit essentiellement d’une force de police contractuelle qui ne peut consacrer qu’environ 20 % de ses ressources aux questions de police nationale ou de sécurité nationale, ce qui n’est pas suffisant dans le contexte difficile que nous connaissons.
Pour ce qui est de la première question, je me réjouis de votre invitation à proposer une portée plus large. Je ne suis pas certain que cela plairait à qui que ce soit au ministère de la Justice ou au ministère de la Sécurité publique, mais si je devais faire des suggestions, je dirais que vous devriez ouvrir la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité comme il se doit, examiner l’article 2, qui doit être réécrit, et l’article 12, qui n’est plus compatible avec certains des changements, et mettre l’article 16 à la poubelle.
Ce serait un début. Je pense qu’il serait également utile d’ouvrir la Loi sur la protection de l’information, ou LPI, que peu de Canadiens connaissent. C’est une pièce maîtresse de la législation en matière de sécurité nationale, et il y a des éléments de la LPI qui ne sont pas abordés dans la série d’éléments proposés, notamment la définition des préjudices à l’article 3. Je vais m’en tenir à cela.
M. Kempa : Je voudrais simplement ajouter quelque chose au sujet de la GRC. Ce n’est pas seulement une question de ressources, mais aussi de capacités innées, compte tenu de son mandat de longue date. Comme nous le savons tous très bien, le fait d’avoir un seul mode de recrutement et de formation pour former des agents qui finissent par faire carrière dans des domaines très différents des services de police — y compris les questions de police fédérale — n’a pas donné de très bons résultats.
Il y a eu un projet pilote très intéressant pour recruter directement des membres de la GRC dans la police fédérale à Ottawa plutôt que de passer par le dépôt de Regina. Je crois comprendre qu’une erreur assez importante a été commise en ce sens que la fédération ou le syndicat n’a pas été pleinement mis au courant de cette approche particulière et que, par conséquent, elle est actuellement sur la glace. C’est une question fondamentale. L’application de la loi ici ne dépend pas seulement des ressources, mais aussi d’agents ayant la capacité de mener des enquêtes et d’appliquer la loi dans ces domaines très différents.
Encore une fois, en ce qui concerne les grandes questions sur lesquelles le Sénat pourrait revenir sans limite de temps, je soulignerais que les normes de l’article 2 régissant l’intervention du SCRS, qui sous-tendent également la Loi sur les mesures d’urgence et les raisons de son invocation sont terriblement désuètes et ne reflètent pas les menaces temporaires pour la sécurité du Canada.
Le sénateur Boehm : J’aimerais remercier nos témoins de leur expertise et de leur présence ici aujourd’hui. J’ai une question pour chacun d’entre vous, et je vais les poser toutes les deux pour que nous puissions tirer parti au maximum du temps disponible.
Monsieur Kempa, dans un article récent — et vous en avez fait mention dans vos observations aujourd’hui —, vous avez exprimé certaines préoccupations au sujet de la minimisation de la trahison parmi les députés et les sénateurs dans le contexte de l’ingérence étrangère. Reconnaissant que l’on peut se demander si la trahison est une notion binaire — Est-ce une trahison avec un grand « T » ou un petit « t »? Nous ne le savons pas. Comment suggérez-vous que ce projet de loi règle ce problème? S’il ne le fait pas, que pourrait-on y ajouter? Je vais également poser la question à M. Wark pour me vider le cœur.
Monsieur Wark, dans votre récent article paru dans le Toronto Star, vous insistez sur le fait qu’il est essentiel d’intenter des poursuites pour ingérence étrangère afin de dissuader les mauvais acteurs et d’éduquer le public. Dans votre exposé d’aujourd’hui, vous avez parlé de la sensibilisation du public, et vous avez également mentionné d’autres administrations qui partagent notre système de gouvernement de type britannique — notamment l’Australie et le Royaume-Uni. Pourriez-vous nous dire s’il existe une meilleure façon de faire passer le message, ou un moyen que nous pouvons apprendre des autres administrations, au lieu de nos communiqués ou conférences de presse habituels?
M. Kempa : En ce qui concerne l’utilisation du mot trahison lui-même, comme nous le savons très bien, la notion de trahison requiert la transmission de secrets militaires ou de sécurité qui compromettent la sécurité du Canada. Ce n’est pas ce qui est décrit dans la plupart ou la totalité des cas mentionnés dans le rapport du CPSNR intitulé Rapport spécial sur l’ingérence étrangère dans les processus et les institutions démocratiques du Canada, par exemple, où des renseignements auraient été donnés à des tiers étrangers.
Je pense que l’utilisation de ce terme dans le titre était, pour le rédacteur en chef, une façon de dire qu’il n’y a pas d’infractions dans le Code criminel englobant ce qui est décrit, par exemple, dans le rapport du CPSNR.
À cet égard, le projet de loi constitue une amélioration en ce sens qu’il crée des infractions au Code pour les comportements allégués ou décrits dans le rapport du CPSNR, c’est-à-dire l’échange de renseignements pour obtenir en retour un soutien politique, c’est-à-dire le soutien, sur le terrain, des communautés de la diaspora, par exemple, ou des fonds, ce qui n’est pas de la trahison selon la définition de notre code criminel. Ce serait donc extrêmement utile.
Je dirais que l’une des principales fenêtres de la menace d’ingérence étrangère est le processus de mise en candidature, et c’est la principale conclusion à ce jour du rapport provisoire de l’enquête publique sur l’ingérence étrangère, ou EPIE. Étant donné que, sauf en ce qui concerne leur financement, les mises en candidature sont menées selon les règles propres aux partis, le projet de loi ne touche pas à la vulnérabilité du processus, si ce n’est qu’il permet au SCRS de communiquer, par exemple, avec Élections Canada sur des questions de financement. C’est une amélioration. Mais la question des mises en candidatures ne fait pas partie de ce projet de loi.
Le sénateur Boehm : Merci. Monsieur Wark?
M. Wark : Je vous remercie de votre question, sénateur Boehm. Je vais revenir brièvement à votre première question, à savoir que le Code criminel contient deux définitions de la trahison, comme vous le savez probablement. Il y a la définition de la haute trahison, qui a une forte odeur de moisi, et qui fait toujours référence à Sa Majesté et aux tentatives d’assassinat contre Sa Majesté. Plus important encore, le Code criminel contient une définition distincte de la trahison, qui peut inclure la communication de renseignements à un adversaire étranger en temps de paix. Cela serait couvert. C’est pourquoi j’ai utilisé le mot « trahison » dans les commentaires que j’ai faits après les révélations du CPSNR.
Pour ce qui est de votre question sur la façon de faire passer le message, je pense qu’il y a des moyens stratégiques qui sont très importants. Le gouvernement a récemment promis d’élaborer une stratégie de sécurité nationale. Il s’agissait d’une promesse faite dans la mise à jour de la politique de défense. Je ne sais pas à quelle étape en est cette promesse, mais la dernière stratégie de sécurité nationale date d’il y a 20 ans. Nous sommes sans stratégie de sécurité nationale et je pense que cela peut être un instrument important pour mieux informer les Canadiens et obliger les gouvernements à rendre des comptes. C’est ainsi que nous comprenons les menaces, que nous y réagissons et que nous avons l’intention de le faire à l’avenir. C’est un instrument très important qui a été laissé à l’abandon.
En ce qui concerne le rapport du CPSNR, l’une de ses recommandations est de veiller à ce que le Conseil de sécurité nationale — une autre innovation, un comité du Cabinet présidé par le premier ministre qui est censé s’occuper des questions de sécurité nationale — soit plus visible, plus transparent et plus responsable et dise aux Canadiens ce qu’il fait. Les échanges que j’ai eus avec le Bureau du Conseil privé à ce sujet me portent à croire qu’il n’a pas l’intention de le faire, ce qui, à mon avis, est une erreur.
Le sénateur Boehm : Merci beaucoup.
Le sénateur Cardozo : Merci, messieurs, d’être ici.
Monsieur Kempa, je vais vous poser la première question au sujet du registre de l’ingérence étrangère. Je me demande si nous ne lui prêtons pas plus d’efficacité qu’il n’en aura dans la mesure où les mauvais acteurs ne s’enregistreront probablement pas. Je crois savoir qu’en Australie, par exemple, de nombreuses personnes qui s’occupent de commerce s’inscrivent parce qu’elles essaient d’influencer le gouvernement. Cependant, quelqu’un qui veut commettre un assassinat ou intimider les communautés de la diaspora ne s’enregistrera pas et ne dira pas que telles sont ses intentions. Avons-nous trop insisté sur l’idée d’avoir ce registre?
Ma question s’adresse à l’un ou l’autre de vous deux. J’aimerais savoir si ce projet de loi couvre l’ingérence venant de l’extrême droite, qui est de plus en plus perçue aux États-Unis comme une menace importante pour la sécurité nationale. Je ne suis pas sûr que nous en soyons déjà là. Cependant, si vous regardez les groupes d’extrême droite, les milices aux États-Unis et la propagation de leur éthos au Canada, ce projet de loi traite‑t-il de ce genre d’ingérence étrangère? Commençons par le registre, s’il vous plaît, monsieur Kempa.
M. Kempa : De toute évidence, non. Un organisme de surveillance chargé d’enregistrer ceux qui tentent d’influencer ouvertement le processus politique canadien n’attrapera pas ceux qui ont de mauvaises intentions ou qui agissent subrepticement. Une carte des entités légitimes qui sont enregistrées, une carte de ce réseau, peut fournir au SCRS et aux organismes d’application de la loi un point de départ pour interroger les réseaux obscurs sous-jacents d’acteurs qui cherchent à influencer de façon subreptice. Souvent, les différents acteurs peuvent se connaître. Ceux qui sont enregistrés sur la liste peuvent orienter les enquêtes policières dans la bonne direction pour les réseaux plus sombres.
Le sénateur Cardozo : Est-ce que le fait de ne pas s’être enregistré pose un problème pour une personne qui se fait prendre à se livrer à des activités répréhensibles?
M. Kempa : Oui. Elle tomberait sous le coup de la loi sur l’ingérence étrangère. Encore une fois, s’il s’agit d’entités étrangères, il serait difficile d’intenter une forme de poursuite au Canada. Cependant, le fait d’identifier ceux qui exercent une influence à l’extérieur du réseau pourrait mener à des choses comme l’interdiction d’exercer une influence pendant un certain temps, etc.
Le sénateur Cardozo : Monsieur Wark, à votre tour.
M. Wark : Merci, sénateur. Accordons-nous trop d’importance à l’efficacité d’une loi sur la transparence et la responsabilité en matière d’influence étrangère? Je pense que oui, bien sûr. Nous y accordons trop d’importance, je pense, parce que le public a probablement des attentes très exagérées quant à la façon dont cela fonctionnera, et que cela ne lui a pas été bien expliqué jusqu’ici. Cela peut avoir un certain effet dissuasif.
Pour vous donner un exemple de ce qui s’est passé en ce qui concerne les pratiques de nos alliés, si nous examinons le système australien qui est en place depuis 2018, selon le plus récent recensement de la distribution générale des entités qui se sont enregistrées dans le cadre de ce régime, plus de 50 % des inscriptions provenaient d’entités — c’est-à-dire de particuliers, de sociétés ou de gouvernements — qui étaient de proches alliés de l’Australie. La Corée du Sud, le Japon et les États-Unis arrivent en première, deuxième et troisième place en termes d’activités enregistrables. C’est pourquoi je dis que nous n’avons pas tiré parti de l’expérience australienne, car je ne pense pas que c’est ainsi que nous voulons qu’un registre fonctionne. C’est pourquoi le régime ne peut pas être générique, même si c’est ce que souhaite Sécurité publique.
Pour ce qui est de capturer les acteurs de l’extrême droite, encore une fois, il y a un mécanisme à trois volets dans la loi, et cela dépend en partie de ce que vous entendez par « extrême droite ». L’intention est d’essayer de saisir certaines activités de la part des gouvernements autoritaires qui nous préoccupent le plus, je crois, dans cet espace d’ingérence étrangère, c’est-à-dire la Chine, la Russie et l’Iran, et à la limite de l’autoritarisme, l’Inde.
La sénatrice Patterson : Monsieur Wark, ma question s’adresse à vous. J’ai trouvé intéressants vos commentaires sur l’article concernant le sabotage. Vous avez dit que ces infractions doivent être modifiées. Comment le projet de loi aborde-t-il la question à l’heure actuelle, quels sont les domaines sur lesquels on se concentre en ce qui concerne les modifications et quelles sont les recommandations?
M. Wark : C’est une question assez technique. Je vais mettre mon chapeau de juriste amateur, mais si vous regardez les dispositions sur le sabotage de la section 2, partie 2 du projet de loi C-70, ce que je trouve inquiétant, c’est qu’il y a deux définitions différentes de ce qu’on appelle les « dispositions de sauvegarde ». Autrement dit, les personnes qui prennent part à des revendications, à des protestations ou à des manifestations légales d’un désaccord ne peuvent pas être poursuivies en vertu de cette loi. Dans une partie du projet de loi, vous échappez aux poursuites même si vos activités peuvent poser un risque grave pour la santé ou la sécurité du public ou d’une partie quelconque de la population. Il s’agit de l’alinéa 52.1(1)c). Dans une autre partie du projet de loi, l’article 5 proposé, vous n’y échapperez pas si vous causez un risque grave. Je pense que c’est probablement une erreur de rédaction, mais néanmoins importante, qui mériterait d’être examinée.
L’autre chose, c’est que lors des consultations qui ont eu lieu, des fonctionnaires ont expliqué pourquoi ils ont utilisé les mots « infrastructure essentielle ». C’était une explication plutôt alambiquée. Essentiellement, ils ont dit qu’ils ont utilisé ces mots parce qu’ils voulaient prendre un nouveau départ. Ce à quoi ils font réellement référence, c’est que le gouvernement n’a pas encore produit la mise à jour promise d’une stratégie de 2009 sur les infrastructures essentielles. Nous avons une définition de 2009 de « l’infrastructure essentielle », mais nous n’avons pas encore de définition de 2024. Je pense que le projet de loi doit attendre cette définition. Merci.
La sénatrice Patterson : Merci.
La sénatrice M. Deacon : Je vous remercie de votre présence parmi nous et d’être revenus aujourd’hui. Je m’intéresse à ce que vous avez dit au sujet de nos alliés et d’un examen trop rapide. C’est certainement très important.
J’aimerais d’abord poser une question à M. Wark. Vous avez remis en question publiquement l’utilité de la distinction entre le « renseignement de sécurité » et le « renseignement étranger » à l’article 16 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, laissant entendre qu’elle est encore artificielle. Vous avez effleuré le sujet, mais le projet de loi C-70 n’y touche pas. Pourriez-vous nous expliquer rapidement pourquoi cette distinction existe au départ et pourquoi vous aimeriez que ce soit modifié dans ce projet de loi? Vous avez un très large sourire en ce moment.
M. Wark : Oui. J’allais dire : « Bravo! » Je vous remercie de cette question. Elle me tracasse depuis longtemps. Pour savoir pourquoi l’article 6 existe, il faut remonter à 1984 et aux circonstances dans lesquelles le SCRS a été créé, ainsi qu’au point de vue exprimé en 1984 dans le cadre de la Commission McDonald et d’un examen spécial, notamment par un comité sénatorial spécial présidé à l’époque par le sénateur Michael Pitfield, selon lequel le SCRS devrait être un organisme national de renseignement de sécurité. Ni le Parlement ni la commission McDonald — bien qu’elle ait soulevé la question — ne voulaient qu’il s’agisse d’un service mondial du renseignement étranger semblable à la CIA ou au MI6. C’était l’opinion en 1984. Une partie de la question a été réglée en ce sens qu’on a dû bâtir une nouvelle institution à partir d’un cadre dans lequel la GRC s’était livrée à diverses activités scandaleuses et illégales. En 1984, la loi sur le SCRS comportait une disposition concernant le renseignement étranger, mais seulement le renseignement étranger recueilli au Canada. L’idée derrière cela, bien sûr, était que le gouvernement devait avoir la capacité du SCRS de surveiller les ambassades et les consulats étrangers au Canada. Cela n’a jamais été expliqué, mais c’était clairement la raison d’être de l’article 16.
Je dirais qu’en 2024, la distinction entre le « renseignement de sécurité » et le « renseignement étranger » ne veut rien dire. C’est pourquoi l’article 16 devrait être éliminé, mais c’est une mesure ambitieuse que les fonctionnaires du SCRS ne sont pas désireux de prendre. Je pense qu’il faudrait que le Parlement, le gouvernement, exerce des pressions en ce sens. Nous avons besoin d’un SCRS ayant une capacité mondiale de renseignement étranger qu’il n’a pas en ce moment.
La sénatrice M. Deacon : Merci beaucoup. Le projet de loi règle certains problèmes désuets, comme la collecte de renseignements étrangers au Canada tout en évaluant des données qui pourraient être stockées sur un serveur infonuagique ailleurs, par exemple. Là où je suis un peu perdue, c’est en ce qui concerne la distinction entre le SCRS et le Centre de la sécurité des télécommunications, ou CST. J’avais l’impression que le SCRS était sur le terrain, au Canada, et que le CST était axé sur Internet — sur le renseignement devant un écran en quelque sorte. Ces limites ont-elles commencé à s’estomper depuis que tout existe en ligne? L’un ou l’autre d’entre vous peut répondre. Je peux vous laisser plus de temps si vous le souhaitez.
M. Wark : Je serai bref, puis je céderai la parole à M. Kempa. Le SCRS et le CST ont des mandats et des missions distincts. Comme vous le savez, sénatrice, le CST est chargé de surveiller Internet à l’échelle mondiale, de recueillir des données sur ce qu’il appelle une infrastructure mondiale d’information, et de mener des missions de cybersécurité à cet égard.
Le SCRS est ce qu’on appelle un organisme de renseignement humain. De nombreux pays ont une organisation de renseignement électromagnétique comme le Centre de la sécurité des télécommunications, ou CST, qui travaille aux côtés d’une organisation de renseignement humain comme le SCRS. Nous n’avons pas la capacité nécessaire pour que ces organismes travaillent ensemble. Elles appliquent leurs méthodologies en silo.
M. Kempa : J’ajouterais simplement que je ne vois pas cela comme une façon de confondre le rôle du SCRS dans celui du CST. Il s’agit plutôt de permettre au SCRS d’obtenir des données essentiellement équivalentes, mais de les utiliser à ses propres fins.
Le sénateur Housakos : Je remercie nos témoins d’être parmi nous aujourd’hui.
Je vous ai entendus dire tous les deux — surtout M. Wark — que la GRC n’a pas les outils nécessaires pour mener des enquêtes sur l’ingérence étrangère. Cela fait des années qu’elle ne les a pas, et elle n’en aura certainement pas d’autres en vertu de cette loi, à mon humble avis.
Même si nous savons que lorsque le SCRS et même nos alliés du Groupe des cinq échangent des renseignements de sécurité avec la GRC, très souvent, la GRC ne peut même pas utiliser ces renseignements dans le cadre de procédures judiciaires. Pourtant, le gouvernement actuel ne cesse de dire à la Chambre et au Sénat qu’il ne peut pas divulguer le nom des députés et des sénateurs qui font l’objet d’allégations d’ingérence étrangère parce qu’il ne veut pas s’ingérer dans les enquêtes de la GRC. Cette réponse est-elle erronée?
M. Kempa : Il y a de nombreuses raisons pour lesquelles les gens ou les gouvernements ne veulent pas divulguer des noms. Toutefois, l’excuse selon laquelle cela empiéterait sur les responsabilités de la GRC n’est pas bonne, car la gouvernance totale du comportement éthique des députés n’est pas uniquement une question de police. Une violation du droit pénal l’est certainement. À l’heure actuelle, il n’y a pas vraiment d’infractions au Code criminel pour la plupart des catégories d’ingérence étrangère que nous voyons dans le rapport du CPSNR.
Je dirais simplement que la GRC ou la police invoquent depuis longtemps les enquêtes policières comme excuse pour ne pas divulguer des renseignements au public et que ce n’est généralement pas une excuse valide.
M. Wark : Sénateur, ma réponse sera légèrement différente. Je ne préconise pas de révéler le nom de personnes à l’intérieur ou à l’extérieur du Parlement. Je pense que ce serait un précédent très préjudiciable pour des démocraties comme le Canada. C’est dans le cadre d’une enquête et devant un tribunal qu’il convient de révéler le nom d’une personne qui pourrait avoir commis un crime quelconque et qui aurait alors la possibilité de se défendre.
Pour ce qui est de savoir s’il est possible d’aller de l’avant sans citer de noms et sans simplement se fier aux inconnues d’une enquête de la GRC, je dirais que oui. Je suggérerais deux façons d’y arriver. Premièrement, pour être honnête, à la suite du rapport du CPSNR, il incombe au gouvernement de fournir plus de renseignements contextuels sur les cas en question. Je ne parle pas de donner des noms ni de donner des détails qui pourraient trahir des sources et des méthodes de renseignement. Je parle de donner davantage de contexte : quand les faits ont-ils eu lieu? Les personnes impliquées poursuivent-elles des activités politiques? Dans quelle mesure les renseignements sont-ils fiables ou s’agit-il d’un processus de collecte continu?
Cela permettrait de mieux encadrer l’information.
Je pense que cela devrait être la responsabilité du gouvernement, et non pas celle du Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement, même si vous l’avez convoqué ce soir. Vous pourrez d’ailleurs lui demander ce qu’il en pense.
L’autre possibilité, c’est que la GRC a l’habitude de divulguer très peu de renseignements sur ses enquêtes, même lorsque des accusations sont portées. Cela contraste énormément avec la pratique du FBI, par exemple, ou même celle du MI5. Je pense que la GRC pourrait — encore une fois, sans nuire à ses enquêtes — fournir davantage de renseignements contextuels sur les enquêtes criminelles en cours dans le domaine de l’ingérence étrangère. Là encore, je ne parle pas de détails ni de quoi que ce soit qui pourrait compromettre une enquête. Il pourrait simplement s’agir de plus d’information dans l’espace public.
Cela fait partie d’une réticence plus large à la transparence au sein du gouvernement, dont la GRC est infectée, comme beaucoup d’autres ministères et organismes gouvernementaux.
Le sénateur Yussuff : Je remercie les témoins de leur présence. J’ai trois questions, et j’espère que les deux participants pourront y répondre dans leur propre contexte.
À votre avis, le projet de loi C-70 répond-il suffisamment au rapport du CPSNR? Selon vous, y a-t-il des lacunes que le projet de loi a laissées de côté?
M. Wark : J’ai manqué la première partie.
Le sénateur Yussuff : Désolé. À votre avis, le projet de loi tient-il suffisamment compte des recommandations du CPSNR?
La deuxième question est la suivante : vous avez critiqué le projet de loi C-70 en disant qu’il s’appliquait à tous les pays sans distinction, et vous avez insisté sur ce point. Compte tenu de ce que nous savons de certains pays, pensez-vous que c’est un point très important, étant donné que ce projet de loi fournit maintenant un certain contexte pour établir un registre de l’ingérence étrangère? Devrions-nous essayer de réduire l’écart pour que cette mesure ne soit pas aussi générique?
Ma dernière question concerne le commissaire qui sera nommé pour faire son travail. Croyez-vous que ce commissariat sera suffisamment indépendant pour assumer cette responsabilité ou agir au nom du Parlement?
M. Wark : Ce sont des questions intéressantes.
Je vais répondre très brièvement à la dernière question concernant le commissaire. Je n’ai aucun doute que le commissaire aura toute l’indépendance dont il aura besoin. Je pense que le plus difficile sera de trouver la personne appropriée pour s’acquitter de cette tâche complexe — de trouver un commissaire et de mettre en place tous les mécanismes nécessaires pour que le commissariat fonctionne. C’est un peu comme trouver un juge de la Cour supérieure pour mener une enquête publique sur les questions de sécurité nationale et de renseignement. C’est l’une des raisons pour lesquelles, à mon avis, ce projet de loi visant à établir la Loi sur la transparence et la responsabilité en matière d’influence étrangère ou LTRIE, ne doit pas être examiné à la hâte. Vous pouvez le faire, mais la LTRIE ne sera pas en place avant les prochaines élections. On vous dira peut-être le contraire, mais les choses ne se passeront pas ainsi. Par conséquent, si vous le pouvez, prenez votre temps.
Pour ce qui est de réduire l’écart, d’identifier les acteurs hostiles et les acteurs étatiques préoccupants, il y a diverses façons de le faire. Il n’est pas nécessaire que cela se fasse par voie législative, mais je pense que cela devrait se faire par voie réglementaire en ce qui concerne la LTRIE. Pour être juste envers le SCRS et le CST, par exemple, ils ont été très explicites dans certains de leurs documents publics sur les menaces d’ingérence étrangère en nommant les principaux auteurs de menaces, et je pense que cela doit continuer.
Pour ce qui est de votre première question, bien sûr, le projet de loi C-70 n’a pas été conçu pour répondre au rapport du CPSNR. Les deux ont suivi des voies parallèles. Le processus du CPSNR a commencé il y a un an, et le comité a produit son rapport à une vitesse qu’il faut qualifier de record. Je pense que le CPSNR mérite des félicitations pour avoir agi aussi rapidement et de façon aussi exhaustive. Le projet de loi C-70 est un fourre-tout de modifications législatives, dont bon nombre sont en préparation depuis de nombreuses années. Elles ont été regroupées et présentées comme un ensemble de mesures législatives visant à lutter contre l’ingérence étrangère. Certaines le font, d’autres pas.
M. Kempa : J’ajouterais brièvement que bon nombre des questions que le CPSNR a soulevées au sujet de l’ingérence étrangère ne relèvent pas du droit pénal. Le projet de loi traite de celles qui sont de nature criminelle en créant de nouvelles infractions. Cependant, les éléments qui auront le plus d’impact pour les prochaines élections ne sont pas principalement ceux qui sont abordés dans ce projet de loi. Encore une fois — je le répète —, il est peut-être moins nécessaire de précipiter les choses que le public ne le croit actuellement. Par exemple, l’une des principales recommandations du CPSNR est que les partis politiques s’entendent sur des règles raisonnables pour leurs processus de mise en candidature. Ce n’est pas une exigence législative, par exemple.
Par conséquent — encore une fois —, cela ne répond pas à toutes les questions que le CPSNR a soulevées et, en fait, bon nombre des questions les plus pressantes n’exigent pas cette réponse législative au cours de la prochaine année civile.
Le sénateur Dean : Merci à vous deux de vous être joints à nous aujourd’hui.
J’aimerais revenir aux principaux acteurs en ce qui concerne l’établissement des priorités. Il me semble que si vous identifiez plusieurs États dès le départ — et à l’heure actuelle, nous avons une bonne idée de qui sont ces États —, nous savons également qu’au cours des dernières années, leur liste a changé un peu, n’est-ce pas?
Par conséquent, j’ai du mal à voir le défi que pose le caractère plutôt générique de cette mesure, qui n’exclut pas ce qui pourrait être communiqué, étant donné les activités actuellement ciblées. C’est mon premier point.
Deuxièmement, monsieur Wark, vous avez soulevé une question au sujet de l’utilisation du terme « arrangement » et du critère à trois volets de la LTRIE. C’est un critère à trois volets, et la partie dans laquelle on utilise le mot « arrangement » est assez précise en ce qui concerne la nature des activités associées à cet arrangement. Vous pourriez peut-être me dire pourquoi le concept d’« arrangement » dans cette rubrique vous pose un problème?
M. Wark : Merci, sénateur Dean. Très rapidement, si l’on voulait une meilleure focalisation de la LTRIE, afin que le registre cible les principaux États étrangers préoccupants qui participent à des opérations d’ingérence étrangère au Canada, la façon de le faire, je pense, est celle que le système du Royaume-Uni a choisie. Il a adopté cette loi en 2023, et il commence à la mettre en œuvre en 2024 — c’est le système à deux niveaux dont j’ai parlé. Un ministre établit une liste en vertu d’un règlement pour aider à cibler les activités d’ingérence, et ce registre est tenu à jour.
Je pense que c’est la meilleure façon de procéder, et je ne comprends vraiment pas pourquoi nous n’avons pas suivi cette piste, étant donné que nous en suivons. Tous les autres membres du Groupe des cinq, à l’exception de la Nouvelle-Zélande, ont un registre de l’influence étrangère. Nous sommes en retard. Le Canada a souvent avantage à tirer des leçons de ce que font ses alliés, mais nous ne l’avons pas fait dans ce cas-ci.
Toute liste devrait être tenue à jour, mais je n’ai jamais compris la résistance de Sécurité publique à cet égard. Sa résistance vient de ce qu’il ne veut pas créer une liste noire. Eh bien, je crois qu’il devrait se poser des questions à ce sujet. Au bout du compte, c’est ce qu’un registre de transparence en matière d’influence étrangère est censé être. C’est censé être une liste noire. Il ne s’agit pas d’une liste blanche. Ce n’est pas pour attraper les bons, mais je crains que cela finisse par être le cas, car c’est ce qu’il est advenu du registre australien.
Le système américain est différent. Il remonte à très loin. La loi n’est pas très bonne. Elle date de 1938, mais le FBI a un organisme d’application de la loi très fort. L’application de la loi se fait vraiment aux États-Unis. Quant à savoir si nous pourrons le faire ici avec un registre, c’est une autre question, mais je pense que l’approche n’est pas la bonne.
Le sénateur Dean : C’est l’approche par opposition à l’utilisation du terme « arrangement »? C’est intéressant, merci.
[Français]
Le sénateur Carignan : La question est un peu plus technique et porte sur les infractions qui sont ajoutées au Code criminel, particulièrement celle d’influencer un processus politique sur le plan gouvernemental. En lisant l’infraction, je me demandais si on ne ratissait pas un peu trop large. Je vous donne un exemple : on vise notamment l’ingérence étrangère dans la gouvernance scolaire. Lorsque je regarde la définition de gouvernance scolaire, cela inclut même les écoles primaires ou secondaires; on prévoit un emprisonnement à perpétuité pour s’être ingéré dans un processus politique d’une école primaire.
Il me semble qu’on pousse le bouchon un peu loin. Ne trouvez-vous pas que pour maintenir la validité constitutionnelle de ces infractions, on devrait réduire quelque peu le cadre et éliminer la gouvernance scolaire? À la limite, on pourrait garder les universités, car il peut y avoir des chaires de recherche et des secrets un peu plus poussés, mais l’école primaire, je ne suis pas certain. Je voudrais avoir votre avis là-dessus.
[Traduction]
M. Wark : Merci, sénateur. C’est une question que je me pose. La façon dont je formulerais cela — et c’est une simple hypothèse de ma part —, s’agit-il d’un marteau conçu pour casser une noix? La noix qui nous préoccupe — et, encore une fois, elle est peut-être venue à l’esprit des fonctionnaires canadiens en raison de certaines expériences australiennes —, ce sont des choses comme les Instituts Confucius. Cependant, au lieu de les nommer dans ce projet de loi, on a choisi un éventail plus large d’établissements d’enseignement à tous les niveaux, alors je pense que c’est franchement un peu ridicule.
Pour revenir à la question du sénateur Dean, encore une fois, je tiens à souligner que la définition de « communiquer » à l’alinéa 2b) est beaucoup trop large et qu’elle reflète, pour ceux d’entre vous qui l’ont vu, le document de consultation que le ministère de la Sécurité publique a publié pendant les consultations. L’un des cas proposés était celui d’un universitaire qui rédigeait une lettre d’opinion sous l’influence d’un gouvernement étranger. Si c’est le genre de choses que la Loi sur la transparence et la responsabilité en matière d’influence étrangère est censée viser, je pense que cela devrait nous inquiéter tous.
La sénatrice Dasko : Merci d’être ici aujourd’hui. Ma question s’adresse à M. Wark. Vous avez dit qu’il s’agissait d’une approche fragmentaire, et vous avez également utilisé le mot « fourre-tout » il y a quelques minutes. On peut aussi utiliser des mots différents pour décrire le même phénomène. Par exemple, nous pourrions parler d’une approche progressive, ce qui nous donnerait une impression un peu plus positive.
Au lieu d’avoir cette approche progressive, ce fourre-tout, à la pièce, quelle serait la meilleure façon de procéder? Faudrait-il prendre plus de temps pour examiner le fond du projet de loi et ajouter d’autres articles? Ne serait-il pas préférable de séparer des parties importantes du projet de loi pour en traiter à une date ultérieure, peut-être en faisant un second examen objectif et d’autres interventions utiles? Comment aborderiez-vous le phénomène de l’approche fragmentaire que vous avez décrit?
M. Wark : Sénatrice, je vais commencer, si vous me le permettez. La raison pour laquelle j’estime qu’une approche fragmentaire est la mauvaise en ce qui concerne ce projet de loi est double. Premièrement, je pense qu’il faut comprendre que les lois sur la sécurité nationale au Canada sont très distributives. Il y a des bribes de mesures législatives dans toutes sortes de parties différentes de la loi qui renvoient à différents mandats et pouvoirs de différents ministères et organismes, et je pourrais continuer ainsi longtemps. C’est vraiment fragmentaire.
La sénatrice Dasko : Comme la loi électorale.
M. Wark : Oui, et cela a été élaboré de cette façon, des mesures législatives sur la sécurité nationale ont été présentées à des époques différentes pour différentes raisons. Nous n’avons jamais abordé cette loi de façon exhaustive dans notre histoire moderne.
On peut soutenir que le gouvernement a eu l’occasion d’aborder la question de façon non partisane. Je comprends l’argument en faveur du gradualisme. C’est un argument que les fonctionnaires aimeraient faire valoir, et lorsque j’ai dit aux représentants du SCRS, par exemple, lors des consultations, que ce n’était pas très ambitieux, ils ont dit : « Un instant. Attendez cinq ans, et nous ferons quelque chose de plus ambitieux. » Peut‑être, mais c’est une longue attente alors que le contexte de la menace pour la sécurité nationale évolue rapidement.
Je ne sais pas quel est l’art du possible pour des organismes parlementaires comme le vôtre et à la Chambre des communes. Il ne s’agit probablement pas de prolonger très longtemps l’étude de ce projet de loi, mais je vous encourage à tout le moins à suggérer qu’il y a peut-être des parties du cadre législatif en matière de sécurité nationale qui doivent être examinées de plus près à l’avenir, et j’inclurais la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité et la Loi sur la protection de l’information. J’inclurais aussi la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, en particulier l’article 8, qui pose toujours un problème, et il y a peut-être d’autres parties qui viennent à l’esprit des gens.
Si vous aviez le désir de couper une partie quelconque de ce projet de loi, je pense qu’il serait très utile de séparer la LTRIE du reste et de l’examiner en profondeur. Parce que, comme je l’ai dit, même si les gens pensent que ce sera important, même si vous adoptez le projet de loi demain, la loi ne sera pas en place pour changer les choses aux prochaines élections fédérales.
Le sénateur Richards : Merci beaucoup d’être ici. Vous avez un peu tourné autour de ma question. Je pense qu’on y a répondu, mais il ne s’agit pas seulement d’un problème de recrutement pour les services de formation et de recrutement de la GRC. Il est manifeste que le gouvernement ne réagit pas et néglige de prendre conscience de la gravité de la situation, et je me demande si ce projet de loi contribuera à uniformiser suffisamment les règles du jeu pour que nous puissions le prendre au sérieux et l’adopter.
M. Kempa : Merci. La réponse serait non, il n’égaliserait pas les règles du jeu en ce qui a trait aux préoccupations de la GRC.
Pour faire suite au point précédent, j’ajouterais à la constellation des mesures législatives à réformer la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada et la Loi sur les mesures d’urgence.
S’il n’y avait qu’une partie à mettre au rebut, je conviens que ce serait la Loi concernant la lutte contre l’ingérence étrangère, car ses bienfaits sont trop limités pour justifier le risque d’épuiser d’autres ressources que la GRC pourrait autrement dédier à l’application de la loi. Il y a de réels dangers de miner encore davantage la capacité de la GRC de s’acquitter de ses responsabilités fédérales.
M. Wark : Le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement, avant cet examen plus médiatisé, a produit un excellent rapport sur la GRC et ses obligations fédérales. Ce rapport a attiré très fortement l’attention sur les problèmes que connaît la GRC du fait de sa division entre les services de police contractuels et les services de police fédéraux, et de la saignée de ressources que l’on fait au détriment des services fédéraux où ces ressources font pénurie au départ. C’est un problème énorme et il faut un gouvernement fermement résolu à s’y attaquer.
[Français]
Le sénateur Dalphond : Ma question concerne les pouvoirs d’enquête du nouveau commissaire, qui comprennent le pouvoir de contraindre quelqu’un à répondre à des questions et à produire des documents, et à lui imposer une pénalité financière. La loi prévoit aussi que la personne peut être accusée d’infraction en vertu de la loi et même possiblement en vertu du Code criminel. On dit que la preuve qui sera recueillie par le commissaire ne pourra pas être utilisée dans des procédures criminelles ou des procédures en infraction.
N’y a-t-il pas un danger que la GRC se fasse couper l’herbe sous le pied par le commissaire qui mène une enquête administrative et impose une pénalité, ce qui ferait en sorte que ce qu’on a découvert deviendrait inaccessible?
[Traduction]
M. Kempa : À bien des égards, le problème est semblable pour l’échange de renseignements entre le SCRS et la GRC. Ce que vous dites essentiellement, c’est qu’il pourrait y avoir des difficultés parallèles avec la Loi concernant la lutte contre l’ingérence étrangère. Je conviens que c’est problématique.
M. Wark : Le commissaire a les pouvoirs qui lui sont conférés dans le contexte de la Loi concernant la lutte contre l’ingérence étrangère. Ce sont des pouvoirs relativement restreints, et ils s’inspirent de l’expérience de l’Australie et des États-Unis qui exigent la production de certains types de renseignements.
Franchement, il est bon de s’appuyer sur cette expérience, car si on ne peut pas obliger la production de certains types de renseignements, on ne peut pas vraiment appliquer une loi sur la transparence en matière d’influence étrangère. Évidemment, il faudrait faire attention à la façon de s’y prendre. Le principe voulant que le commissaire fasse rapport publiquement et annuellement est important. Je ne pense pas que les activités du commissaire empêcheraient la GRC de mener ses enquêtes de son côté, au besoin.
[Français]
Le vice-président : Merci, monsieur Wark. Monsieur Kempa, je vais vous poser une question et j’aimerais que vous y répondiez rapidement. Vous avez parlé d’intervention possible des services de renseignement auprès d’Élections Canada. J’aimerais savoir où se trouve dans ce projet de loi la possibilité d’empêcher la mise en candidature d’une personne qui, selon les services de renseignement sur l’ingérence étrangère, présente des risques pour la sécurité du pays. Pourrons-nous agir de façon proactive, ou serons-nous toujours tributaires d’interminables enquêtes menées après les faits? Je vous invite à me répondre rapidement.
[Traduction]
M. Kempa : Je pense que le problème, c’est que — le projet de loi C-70 n’énonce pas d’infractions précises liées à l’ingérence au niveau des nominations, comme c’est le cas au Royaume-Uni et en Australie. D’après ce que je comprends, à moins que ce ne soit une question de finances, le projet de loi C-70 ne changerait pas grand-chose à la situation actuelle.
Le vice-président : Merci beaucoup.
Cela nous amène à la fin de notre séance avec ce groupe de témoins. Merci, messieurs Kempa et Wark, d’avoir pris le temps de nous rencontrer aujourd’hui.
[Français]
Nous poursuivons maintenant avec notre deuxième groupe de témoins. Je voudrais souhaiter la bienvenue à Richard Fadden, ancien conseiller à la sécurité nationale et au renseignement auprès du premier ministre du Canada et ancien directeur, Service canadien du renseignement de sécurité, Daniel Stanton, ancien officier des renseignements, Service canadien du renseignement de sécurité, Michelle Tessier, professionnelle en résidence, École supérieure d’affaires publiques et internationales, Université d’Ottawa, et Duff Conacher, cofondateur, Démocratie en surveillance.
Je souhaite la bienvenue à chacun d’entre vous. Je vous invite maintenant à faire vos déclarations préliminaires.
Nous commençons par M. Fadden. Monsieur Fadden, la parole est à vous dès que vous êtes prêt.
[Traduction]
Richard Fadden, ancien conseiller à la sécurité nationale et au renseignement auprès du premier ministre du Canada, et ancien directeur, Service canadien du renseignement de sécurité, à titre personnel : Merci, monsieur le vice-président.
Permettez-moi d’abord de m’excuser pour les lunettes de soleil que je porte. Ce n’est pas pour effrayer les gens. Je me suis simplement trompé de paire en quittant la voiture. Je les enlèverai dès que j’aurais fini de lire.
Je vous remercie de me donner l’occasion de vous parler du projet de loi C-70. C’est une mesure législative relativement complexe et technique. Je dois avouer d’emblée que je ne suis pas la personne la mieux placée pour répondre aux questions sur la troisième partie du quatrième paragraphe. Je m’y connais moins, mais je ferai de mon mieux.
Cela dit, le projet de loi crée et modifie toute une série de lois. Son objectif global est de faire face à la menace d’ingérence étrangère, une menace qui existe depuis longtemps. Il porte sur d’autres questions, le traitement des ensembles de données par le SCRS, et la création d’un mécanisme pour traiter certains renseignements devant les tribunaux fédéraux.
Je me propose de concentrer mes observations sur la création d’infractions relatives à l’ingérence étrangère, sur la création d’un registre de l’ingérence étrangère et sur l’élargissement des pouvoirs conférés au SCRS en matière d’échange de renseignements. Ces trois dernières séries de propositions combleront de graves lacunes dans la boîte à outils de ceux qui luttent contre l’ingérence étrangère.
Cela dit, pour revenir à un point qui a été soulevé par le groupe de témoins précédent, elles ne représentent pas une solution miracle en matière d’ingérence étrangère. Il y a deux raisons à cela, c’est-à-dire que les menaces d’ingérence étrangère évolueront toujours, et que ce n’est là que la première étape pour faire face à ce qui sera un défi permanent pour nous et nos alliés.
Je crois comprendre que deux grandes préoccupations ont été soulevées concernant le contenu du projet de loi C-70, la possibilité de problèmes liés à la conformité à la Charte et à la protection de la vie privée, et la rapidité avec laquelle beaucoup espèrent que le projet de loi obtiendra la sanction royale.
Pour ce qui est du traitement accéléré prévu dans le projet de loi, je crains de ne pas être d’accord avec mes amis du groupe précédent. Je pense que l’intérêt national l’exige. M. Johnston, l’OSSNR, le CPSNR, et la Commission Hogue ont tous dit clairement que l’ingérence étrangère constitue un danger évident et très vivant pour l’intérêt national et la sécurité nationale, un danger auquel nous avons tardé à nous attaquer.
Retarder l’adoption du projet de loi C-70 au point où il ne sera pas en vigueur avant les prochaines élections serait faire un cadeau à nos adversaires. Je ne suis pas du tout d’accord avec M. Wark quand il dit qu’il serait impossible de mettre les choses en place avant les prochaines élections.
Si la fonction publique et le ministère font leur travail, ils devraient déjà avoir une liste des personnes qui pourraient être nommées au poste de commissaire et procéder à cette nomination dans la semaine suivant la sanction royale.
S’il y a une volonté de mettre tout cela en place avant les prochaines élections, si vous et vos collègues de l’autre Chambre agissez rapidement, je dirais que c’est faisable et que nous devrions nous efforcer d’y arriver.
Compte tenu de la rapidité avec laquelle le projet de loi C-70 peut être adopté, il importe de rappeler que son adoption ne règle pas la question. Il faudra du temps pour la mise en œuvre, la nomination du commissaire, comme je viens de le mentionner, l’élaboration de protocoles permettant au SCRS d’échanger des renseignements et la mise au point de programmes détaillés par la police et les procureurs en réponse aux nouvelles infractions. Tout cela prend du temps, d’où mon affirmation qu’une adoption rapide serait logique.
Je ne dis pas que l’adoption du projet de loi C-70 devrait être accélérée contre vents et marées. Si des problèmes graves sont décelés, il faudrait peut-être s’en occuper indépendamment du contenu plus général.
Je ne suis pas un avocat spécialisé dans la Charte. En fait, je n’exerce plus comme avocat. Je ne vois aucun danger pour les droits garantis par la Charte ou la vie privée dans le libellé du projet de loi. S’il y a des risques, ce sera au niveau de la mise en œuvre. À mon avis, il en est ainsi pour pratiquement toutes les lois créées par le Parlement qui traitent d’infractions.
Le libellé de l’infraction peut être très clair, sans ambiguïté et conforme à la Charte. En définitive, ce sont les gens qui s’occupent de la mise en œuvre qui créent des difficultés pour les Canadiens.
À cette fin, j’attire votre attention sur l’examen du projet de loi C-70 par le ministre de la Justice, qui a conclu que le projet de loi est conforme à la Charte.
J’aimerais attirer votre attention sur la mise en œuvre de bonne foi par les ministres et les fonctionnaires, ce à quoi le Parlement a droit, sur le recours aux tribunaux qui, au Canada, ne s’abstiennent de traiter pratiquement aucune question de nos jours et, enfin, sur les amendements, au besoin.
Tout ce qui précède me porte à dire, du moins à mon avis, que le projet de loi C-70 mérite votre examen, avec des amendements au besoin, et une approbation rapide.
Je vous remercie de votre attention.
Daniel Stanton, ancien officier des renseignements, Service canadien du renseignement de sécurité, à titre personnel : Merci, monsieur le vice-président, et bonjour aux membres du comité.
Tout d’abord, je tiens à dire que c’est un honneur d’avoir l’occasion d’être invité à prendre la parole devant les membres du comité au sujet du projet de loi C-70, qui, selon moi, renforcera non seulement la sécurité nationale du Canada, mais aussi la confiance accrue des Canadiens dans la résilience de nos institutions démocratiques. Je vais parler brièvement de la divulgation de renseignements dans le nouveau régime et de la criminalisation de l’ingérence étrangère.
L’article 19 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité doit être modifié par adjonction, après le paragraphe 2, de la divulgation autorisée de renseignements visant à renforcer la résilience face aux menaces. Cette loi remonte à 1984, et lorsque j’ai commencé à travailler dans le domaine du contre-espionnage en 1986, le gouvernement fédéral était la cible des services de renseignement hostiles. C’était la guerre froide, et les renseignements, les biens et le personnel classifiés du gouvernement étaient les prix convoités, et les moyens utilisés étaient l’espionnage. Le gouvernement fédéral, qui était le seul destinataire des renseignements du SCRS, n’est plus une cible exclusive. Des événements historiques ont fait que l’exclusivité et les auteurs de menaces étrangers ciblent d’autres ordres de gouvernement — des groupes de réflexion, des universités, des journalistes, le secteur des affaires et, comme on l’a souligné la semaine dernière, des politiciens.
Les mesures de la loi comprennent une nouvelle capacité pour le SCRS d’échanger des renseignements sur les menaces avec d’autres ordres de gouvernement, y compris les organismes de gouvernance autochtones, le secteur privé et les universités, ce que j’appellerai les clients non traditionnels des rapports de renseignement. Il s’agira d’une refonte importante du mandat du service et de la sécurité nationale du Canada. Ces renseignements fournis aux provinces et aux territoires auront une incidence importante sur le renforcement de la résilience. Si une délégation étrangère ayant des intentions cachées se rendait dans notre Nord, les autorités pourraient recevoir une séance d’information utile.
À quoi ressemblera ce nouveau régime de divulgation? Certains Canadiens ont ce qui me semble être une vision irréaliste de la question, à savoir qu’il y aura une sorte de buffet de rapports de renseignement où tout le monde peut manger, que le gouvernement va ouvrir le robinet. Ce n’est pas tout à fait le cas. Conformément aux dispositions du projet de loi, le but ultime est d’insister sur la résilience pour renforcer la sécurité nationale, ce qui signifie que le SCRS continuera d’amasser des secrets et de protéger la sécurité de ces renseignements.
Le principe du besoin de savoir, que j’ai respecté pendant 32 ans, demeurera sacré. Le nouveau public non traditionnel des rapports de renseignement exigera des autorisations de sécurité. Le destinataire désigné du renseignement devra démontrer que la sécurité matérielle et technique de cette information est adéquate. Qu’il s’agisse d’une université, du chef d’un parti politique ou d’un service de police municipal, il faudra qu’il y ait une confiance mutuelle pour que l’échange en vaille la peine. Les fuites de rapports de nature délicate seront un obstacle.
Au cours de ma carrière au SCRS, j’ai travaillé dans trois bureaux régionaux et je me suis fait souvent dire par des partenaires non gouvernementaux que le service ne faisait que prendre et ne donnait jamais. Je pense que c’est une critique juste. Ce nouveau régime de divulgation améliorera la capacité du service de garantir la sécurité des Canadiens, de renforcer la sécurité nationale et de permettre une évaluation plus globale du climat des menaces.
J’aimerais parler brièvement de la partie 2 du projet de loi, qui porte sur la criminalisation de l’ingérence étrangère. Sans ces modifications importantes à la Loi sur la protection de l’information, l’ingérence étrangère et la répression transnationale n’auront pas de conséquences graves. Ces modifications, ainsi que le registre des agents étrangers, atténueront considérablement la menace importante à la sécurité nationale de notre pays.
Enfin, sur une note personnelle, j’ai participé comme intervenant à l’enquête de la Commission Hogue et, comme de nombreux Canadiens, j’ai suivi une discussion en groupe à laquelle participaient des Canadiens représentant les communautés sikhe, russe, ouïghour, iranienne et chinoise. Nous avons entendu des histoires déchirantes de répression par ces États étrangers avec des ingrédients comme la surveillance, le harcèlement, le chantage, l’intimidation et le meurtre. Ce sont ces Canadiens auxquels je songe lorsque je pense au projet de loi C-70, les Canadiens sans agence, les Canadiens qui ont été négligés par les gouvernements successifs. Notre pays les a laissés tomber. Le projet de loi C-70 est, à mon avis, un début pour bien faire les choses. Merci.
[Français]
Le vice-président : Merci, monsieur Stanton. Nous allons maintenant céder la parole à Mme Tessier.
[Traduction]
Michelle Tessier, professionnelle en résidence, École supérieure d’affaires publiques et internationales, Université d’Ottawa, à titre personnel : Monsieur le vice-président, mesdames et messieurs les membres du comité, je vous remercie de m’avoir invitée à discuter de l’objet du projet de loi C-70, Loi concernant la lutte contre l’ingérence étrangère. Je me présente brièvement : je m’appelle Michelle Tessier. J’ai travaillé au Service canadien du renseignement de sécurité pendant 35 ans à titre d’agente du renseignement et de gestionnaire principale. Mon poste le plus récent était celui de directrice adjointe des opérations, poste que j’ai occupé de décembre 2018 jusqu’à mon départ à la retraite en mars 2023. Considéré comme le commandant en second du service, le titulaire de ce poste est responsable de la gestion et de la gouvernance globales des opérations du service. Peu après ma retraite, j’ai été reçue comme professionnelle en résidence à l’École supérieure d’affaires publiques et internationales de l’Université d’Ottawa.
Compte tenu de mon expérience au sein du service, je suis tout à fait consciente des limites de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, qui est en vigueur depuis 40 ans, surtout en ce qui concerne l’ingérence étrangère et les autres menaces à la sécurité nationale auxquelles fait face le Canada. Le monde est un environnement très complexe, et les menaces évoluent en conséquence. Les auteurs de menaces utiliseront tous les outils à leur disposition, y compris la technologie de pointe, l’espace numérique et toutes les vulnérabilités qu’ils peuvent percevoir dans nos processus démocratiques ou dans nos lois. Et ils ne manquent pas de constater qu’ils s’en tirent parfois impunément.
Malheureusement, notre législation et notre trousse d’outils n’ont pas suivi l’évolution de ce contexte de menace et de sa complexité. Pour contrer l’ingérence étrangère et les autres menaces, il faut donner les outils nécessaires à nos organismes gouvernementaux. En ce qui concerne le projet de loi C-70, certaines modifications proposées à la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité en particulier seraient un grand pas en avant pour mieux équiper l’organisme contre les menaces.
Les modifications proposées dans le projet de loi C-70 répondent à des lacunes urgentes dans les pouvoirs du SCRS. Je vais souligner ce que je considère des aspects clés du projet de loi proposé en ce qui concerne le SCRS.
Comme on l’a mentionné, des pouvoirs de divulgation accrus permettraient au SCRS de communiquer des renseignements à un plus grand nombre d’intervenants en marge du gouvernement du Canada. Nous savons que l’ingérence étrangère, par exemple, touche tous les ordres de gouvernement et se produit toute l’année, pas seulement pendant les périodes électorales. Le SCRS doit avoir le pouvoir de communiquer ses renseignements à des entités comme les gouvernements municipaux et provinciaux, les associations de circonscription, tous les parlementaires, les victimes d’ingérence étrangère et d’autres qui doivent prendre des mesures pour contrer la menace.
Simplification des demandes de mandat. Le SCRS est l’un des services de renseignement les plus surveillés au monde. Le ministre, la Cour fédérale, le commissaire au renseignement, l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement et le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement jouent tous un rôle clé dans l’examen des activités du service afin d’assurer une diligence raisonnable à l’égard des obligations prévues par la loi et la Charte. Ces garanties sont importantes dans une démocratie et devraient être maintenues.
Cela dit, les exigences du service pour les demandes de mandat n’ont pas changé depuis 1984. Il s’agit d’un long processus qui ne fait pas de distinction entre les exigences relatives aux pouvoirs très intrusifs, comme les interceptions de communications, et les pouvoirs moins intrusifs, comme les renseignements sur les abonnés. Cela peut nuire aux enquêtes, les retarder ou même les interrompre et faire rater des occasions.
Les efforts visant à permettre au service d’obtenir certains pouvoirs plus rapidement, tout en demandant l’approbation de la Cour fédérale, permettraient au SCRS d’agir rapidement et assureraient une plus grande efficacité dans la protection des Canadiens contre les menaces.
Les progrès de la technologie numérique donnent l’avantage aux auteurs de menaces. Sans les pouvoirs nécessaires pour recueillir, analyser et exploiter des ensembles de données, le SCRS sera à la traîne de ses adversaires, ce qui mettra en péril les Canadiens et leurs intérêts. Compte tenu de l’ère numérique, la capacité d’analyser des ensembles de données clés peut mener à une plus grande découverte et identification des auteurs de menaces.
D’autres lacunes, comme la modernisation du rôle du service dans la collecte de renseignements étrangers et l’exigence d’un examen législatif de la Loi sur le SCRS tous les cinq ans, feront en sorte que notre organisme de renseignement demeure équipé pour moderniser ses pouvoirs parallèlement à l’environnement de la menace.
Enfin, la question du passage du renseignement à la preuve demeure un défi complexe pour ce qui est de permettre aux précieux renseignements recueillis par le SCRS d’aider à l’application de la loi. Bien que le SCRS et la GRC aient établi un excellent partenariat, le manque de capacité de protéger les renseignements dans un système de tribunal ouvert limite sérieusement un usage optimal des renseignements du SCRS. Merci de votre temps. Je vais maintenant répondre à vos questions.
[Français]
Le vice-président : Merci beaucoup, madame Tessier. Nous allons maintenant donner la parole à M. Conacher. La parole est à vous, monsieur.
[Traduction]
Duff Conacher, cofondateur, Démocratie en surveillance : Je remercie le président et le comité de me donner l’occasion de parler de cet important projet de loi, le projet de loi C-70. Mes observations porteront sur les parties 2 et 4 du projet de loi, les modifications à la Loi sur la protection de l’information et la nouvelle Loi sur la transparence et la responsabilité en matière d’influence étrangère. Vous devriez avoir reçu au moins un résumé des modifications au projet de loi que Démocratie en surveillance demande. Sinon, vous aurez un mémoire complet qui explique en détail les nombreuses lacunes du projet de loi et les problèmes du système d’application de la loi qui lui font manquer d’indépendance, d’efficacité, de transparence et de reddition de comptes.
Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions après vous avoir remis le résumé, mais vous aurez également en main le mémoire complet, qui contient beaucoup de détails.
Tout d’abord, les échappatoires de la partie 2 et de la partie 4 se trouvent dans la section des définitions « titulaire d’une charge publique » et « processus politiques ou gouvernementaux », qui sont visées par l’interdiction prévue dans la Loi sur la protection de l’information, et la création d’un nouveau registre des agents étrangers dans le cadre des exigences de divulgation.
Ces échappatoires permettront la poursuite d’activités d’ingérence étrangère secrètes et contraires à l’éthique sans qu’il soit nécessaire de les inscrire ou de les divulguer dans le registre proposé sur l’influence étrangère. Par conséquent, elles ne seront pas interdites non plus.
Quelles sont les échappatoires? Les éléments suivants ne seront pas visés par une interdiction ou une obligation de divulgation.
Les activités d’entreprises ou d’organisations qui ont conclu une entente avec un gouvernement étranger ou autre entité étrangère.
Les activités visant à s’ingérer dans les courses à la direction des partis politiques ne sont pas couvertes.
Les communications avec les candidats à l’investiture et les candidats à la direction d’un parti qui ne sont pas des députés ou des ministres, parce qu’ils ne sont pas des titulaires d’une charge publique et n’entrent donc pas dans la définition de « titulaire d’une charge publique ».
Les communications avec les candidats aux élections qui ne sont pas ministres ne sont pas couvertes non plus parce qu’il ne s’agit pas de titulaires d’une charge publique. Lorsque le bref électoral est émis, chaque député devient candidat et les candidats ne sont pas couverts.
Les communications avec des gens qui ont été élus députés ou nommés sénateurs, mais qui ne sont pas encore arrivés au pouvoir. C’est une échappatoire générale dans nos lois. Dans le cas d’une personne élue ou nommée sénateur, on ne précise pas à quel moment elle devient un fonctionnaire public, de sorte qu’elle peut être soudoyée en vertu du Code criminel pendant cette période. La personne ne serait pas non plus titulaire d’une charge publique en vertu de cette loi, de sorte que les communications n’auraient pas à être enregistrées ou divulguées et ne seraient pas interdites, même s’il s’agit d’ingérence étrangère.
Les politiciens et les fonctionnaires territoriaux ne sont pas inclus dans la définition, de sorte que les communications avec eux et avec les personnes nommées par les gouvernements provinciaux et municipaux ne sont pas visées.
Les communications avec les juges et les lieutenants-gouverneurs ne sont pas couvertes non plus.
Un agent étranger pourrait se servir d’un lobbyiste comme mandataire pour ses activités d’influence, pour le faire en secret, parce que la Loi sur le lobbying comporte des échappatoires qui permettent le lobbying secret et contraire à l’éthique. Cela pourrait se faire en secret dans le cadre d’une entente avec un lobbyiste. Un agent étranger pourrait aussi avoir recours à du personnel ou à des bénévoles de partis politiques ou d’associations de circonscription, qui ne sont pas couverts.
Les amis, les membres de la famille et les proches collaborateurs des candidats, les candidats, des partis et des membres de la direction des associations de circonscription pourraient tous servir de mandataires pour des activités d’influence secrètes.
Pour ce qui est des problèmes d’application de la loi, le commissaire à la transparence en matière d’influence étrangère proposé manquera d’indépendance et sera inefficace. Il aura le droit d’enterrer des cas avec des décisions secrètes. Il n’aura pas de comptes à rendre parce qu’il sera partisan et politique, car il sera choisi à huis clos par le Cabinet du parti au pouvoir, avec peu de participation de la part des partis de l’opposition. Il n’aura pas nécessairement un mandat complet de sept ans parce que le Cabinet pourrait arbitrairement le raccourcir. Il sera encouragé à faire plaisir au parti au pouvoir vers la fin de son mandat parce que le Cabinet du parti de révision a le pouvoir exclusif de le reconduire dans ses fonctions. Il sera inefficace parce qu’il ne sera pas obligé de faire des vérifications régulières non annoncées. Il agira de manière secrète parce qu’il ne sera pas tenu de rendre des décisions publiques expliquant les motifs de chaque situation examinée. Il ne sera pas tenu de rendre des comptes parce qu’il n’est pas clair dans le projet de loi C-70 si ses décisions et ses actions, y compris le fait de pénaliser les contrevenants, pourraient être contestées devant les tribunaux. S’il ne fait pas son travail correctement en ignorant les faits ou la loi, il pourrait, par conséquent, ne pas être tenu responsable devant les tribunaux parce qu’il n’est pas clairement établi qu’il a le droit de contester les décisions des tribunaux.
Il y a aussi des problèmes avec le pouvoir discrétionnaire du Cabinet. Le Cabinet dispose d’un pouvoir discrétionnaire dangereusement vaste pour exclure des ententes avec des entités étrangères, exclure des fonctionnaires de la liste des titulaires d’une charge publique, limiter la quantité de renseignements à divulguer dans le registre proposé et ne pas exiger de mises à jour régulières. Tous ces détails devraient figurer dans la loi, avec une date limite pour la mise en œuvre. À l’heure actuelle, le projet de loi ne prévoit aucune date limite pour la mise en œuvre du registre ou du poste de commissaire.
Dans l’ensemble, à l’extérieur du cadre du projet de loi C-70, mais comme d’autres l’ont mentionné, il y a une douzaine d’autres échappatoires dans les règles politiques, financières, électorales, de lobbying et d’éthique du Canada qui permettent l’ingérence secrète, contraire à l’éthique et antidémocratique d’étrangers, d’entités étrangères et de gouvernements étrangers dans la politique canadienne. Ces échappatoires existent partout au pays, à tous les paliers de gouvernement. Tant qu’elle ne sera pas fermée, secrète, contraire à l’éthique et antidémocratique, l’ingérence étrangère sera à la fois légale et indétectable, car personne n’a même le mandat de surveiller et de trouver des moyens de faire respecter les lois sur le lobbying, la politique, les finances, l’éthique et les élections.
Je serai heureux de répondre à vos questions. Merci.
Le vice-président : Merci, monsieur Conacher. Nous allons passer aux questions. Je vous rappelle que quatre minutes seront allouées pour chaque question, réponse comprise. Je vous demande de poser des questions brèves afin de permettre le plus d’interventions possible.
Le sénateur Kutcher : Je vous remercie tous d’être parmi nous aujourd’hui.
Ce projet de loi vise à élargir l’auditoire non traditionnel des renseignements. Des discussions récentes au sujet d’un rapport du Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement ont mis en lumière la question du public non traditionnel, c’est-à-dire les dirigeants d’un parti politique qui fournissent de l’information aux services de renseignement.
Il y a trois parties qui ne me semblent pas claires. Si le monsieur aux lunettes effrayantes ou quelqu’un d’autre pouvait répondre à cette question, je l’apprécierais.
En quoi consiste ce genre d’autorisation de sécurité non traditionnelle? Comment procède-t-on?
Deuxièmement, quel genre d’accès cette autorisation de sécurité non traditionnelle permet-elle à la personne? À l’ensemble du SCRS, ou seulement à un dossier donné?
Troisièmement, qu’est-ce que ce genre d’habilitation de sécurité empêche les auditoires non traditionnels de divulguer?
M. Fadden : Je vais essayer de répondre, si vous me le permettez. Je pense que bon nombre des réponses à vos questions, sénateur, seront résolues à l’étape de la mise en œuvre, parce que la loi elle-même est assez générale.
Je ne peux vous donner que des exemples de ce que j’ai vécu quand je travaillais, en parlant à des professeurs d’université ou à des hommes d’affaires chevronnés. Ils ne tiennent pas à connaître jusqu’au dernier détail. Ce qu’ils veulent, c’est avoir une idée de ce qui inquiète les services de sécurité, ce dont ils ne peuvent pas discuter en ce moment.
Je ne sais pas s’ils vont avoir une autorisation de sécurité spéciale ou non. J’espère qu’ils l’auront, parce que si nous ajoutons simplement les autorisations de sécurité non traditionnelles aux listes qui existent déjà, il nous faudra 15 ans pour les examiner toutes. Il y a des retards importants dans l’octroi des habilitations de sécurité.
Je dirais qu’il y a peut-être un principe selon lequel ils n’obtiendront jamais de renseignements ultrasecrets, mais ils auront des renseignements secrets. Je ne fais que deviner. Mais je pense que tout cela devrait être pris en compte par les responsables de la mise en œuvre.
Mme Tessier : Je pourrais peut-être ajouter quelque chose. Je pense que l’idée est de permettre au SCRS d’échanger des renseignements classifiés avec un plus grand nombre de gens. À l’heure actuelle, selon le libellé de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, le service ne peut le faire qu’avec des personnes du gouvernement fédéral ou à des fins d’application de la loi. Il y a des exigences très précises.
À l’heure actuelle, pour partager des renseignements classifiés avec, disons, un parlementaire qui ne fait pas partie du gouvernement et qui fait face à des menaces, le SCRS doit se servir de ce qu’il appelle son mandat de réduction de la menace — ce qui n’était pas son objectif au départ et ne facilite pas l’échange de renseignements classifiés. Quiconque est assujetti à la Loi sur la protection de l’information y est assujetti à vie, peu importe de qui il s’agit.
Le sénateur Kutcher : Quels renseignements précis cela empêche-t-il la personne de divulguer?
Mme Tessier : Si le SCRS communiquait des renseignements classifiés à quelqu’un, il lui demanderait de s’abstenir de les divulguer.
M. Fadden : Puis-je ajouter quelque chose, sénateur? Je pense que ce que Mme Tessier a dit est tout à fait vrai. Cependant, il est souvent possible de tenir une séance d’information sur la sécurité sur un sujet particulier, de retirer certains détails, de parler de façon plus générale et de transmettre tout de même l’essence des préoccupations du SCRS.
L’un des problèmes que nous avons aujourd’hui, c’est qu’on suppose que les gens ont besoin de beaucoup de détails pour comprendre le contexte de la menace, ce qui n’est pas souvent le cas. Je pense que le SCRS doit prendre une décision chaque fois qu’il s’agit de dévoiler un renseignement. Voilà l’essentiel. Il donnera de plus en plus d’information à mesure que la confiance se développera.
Par exemple, si on donne de l’information au Conseil canadien des affaires, il faudra que ce soit à deux ou trois personnes pour qu’elles comprennent de quoi parle le gouvernement. Il s’agira de présenter cette information à un niveau plus général et d’en parler aux dirigeants d’entreprises qui sont membres du Conseil canadien des affaires. C’est ce que je voulais dire quand je parlais de tout le travail qu’il faut faire pour élaborer les protocoles qui répondront à bon nombre des questions que vous posez.
Le sénateur Boehm : Je poursuis dans la même veine que le sénateur Kutcher. Ma question s’adresse donc à M. Fadden et à toute personne qui voudrait faire des commentaires.
Nous allons voir une nouvelle classe de députés après des élections, dont beaucoup seront de nouveaux venus au Parlement. Les sénateurs, nous changeons plus lentement. Mais quels sont les obstacles aux séances d’information que vous suggérez? Dans le passé, nous appelions cela une séance d’information non classifiée, ou peut-être même une séance d’information restreinte qui pourrait inclure des sujets de préoccupation. À cela, j’ajouterais que les gens qui travaillent à Ottawa ou qui vont à l’étranger en voyage parlementaire savent ce qu’est la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques et la Convention de Vienne sur les relations consulaires, soit ce que les diplomates peuvent et ne peuvent pas faire, et le seuil à ne pas franchir pour éviter d’être déclaré persona non grata. Par exemple, il s’agit de connaissances de base, mais comme les gens d’ici sont constamment approchés par des diplomates accrédités chez nous, et lorsqu’ils voyagent à l’étranger, cela devrait être une préoccupation. Peut-être que dans le cadre du processus d’intégration, et plus particulièrement pour les chefs de parti, il pourrait y avoir une séance d’information de ce genre.
M. Fadden : Sénateur, je suis tout à fait, entièrement et sans réserve d’accord avec vous, et ce n’est pas une question qui relève exclusivement du SCRS, mais aussi d’Affaires mondiales Canada et du Bureau du Conseil privé. Au fil des ans, nous avons échoué lamentablement à nous renseigner sur les sujets dont vous parlez. Il n’y a rien d’exceptionnellement confidentiel dans les deux conventions que vous avez mentionnées. Il n’y a rien d’exceptionnellement confidentiel à discuter d’exemples pratiques de la façon d’aborder différentes situations. J’espère sincèrement que ce genre de chose pourra se produire. Tout ce qu’il faut, c’est un feu vert du ministre pour que cela se fasse, ce que nous n’avons pas eu dans le passé.
Je tiens toutefois à souligner, si je comprends bien le projet de loi, que l’accès à des renseignements classifiés ne s’étendrait pas à vous et à vos collègues de la Chambre pour des raisons constitutionnelles. J’ai souvent pensé qu’il vous serait nettement plus facile de vous acquitter de vos responsabilités si vous pouviez avoir accès à des renseignements classifiés également, sans pour autant aller jusqu’à nous convertir au système américain. À un moment donné, j’espère que vos collègues et vous aurez l’occasion de faire une petite étude.
Le sénateur Boehm : J’aurais bien aimé pouvoir conserver le mien.
M. Fadden : En effet.
Le sénateur Boehm : Merci.
Le sénateur Housakos : Une bonne partie de ce qui s’est passé montre vraiment l’échec monumental de notre système parlementaire en matière d’ingérence étrangère. La vérité, c’est que n’était-ce du courage des fonctionnaires du SCRS qui ont divulgué ces renseignements au cours des dernières années en raison de la frustration et de l’inertie et du fait que certains journalistes se sont emparés de cette cause, nous ne serions pas là à discuter du projet de loi C-70 ou de quoi que ce soit d’autre d’ailleurs. En ce qui concerne la sécurité nationale, la question qui demeure est celle des chemins qui mènent au premier ministre et à son Cabinet. À défaut des mesures qui ont été prises, je soupçonne que ces rapports continueraient à accumuler de la poussière au Cabinet du premier ministre.
Que pouvons-nous faire? Que font les autres alliés du Groupe des cinq pour dépolitiser cette menace existentielle particulière, tout en donnant au Parlement la souplesse nécessaire pour faire son travail de façon sécuritaire et efficace?
M. Fadden : Je peux essayer de répondre, sénateur. L’une des distinctions entre nous et le Royaume-Uni et le Parlement australien, c’est qu’ils ont trouvé le moyen d’offrir beaucoup plus de séances d’information sur la sécurité à leurs comités et à leurs membres que nous n’en avons, et ils ont développé la tradition d’afficher moins de partisanerie sur les questions de sécurité nationale. Vous êtes mieux placé que moi pour décider s’il est possible de diminuer la partisanerie, mais, vu de l’extérieur, cela semble peu probable. Si le Royaume-Uni et l’Australie peuvent le faire, il nous devrait être possible d’élaborer un ensemble de règles.
Nous avons maintenant la difficulté soulignée par M. Poilievre, c’est-à-dire que dès qu’on est mis au courant, on ne peut plus parler de certaines choses, alors on souffre du même désavantage que tout le monde. Mais vos collègues du Royaume-Uni et de l’Australie y sont parvenus. Cela ne veut pas dire qu’ils fournissent entièrement des renseignements classifiés aux deux Chambres, mais ils le font aux bureaux désignés et à des comités particuliers.
À un certain niveau, cela change l’arrangement constitutionnel entre la Couronne et le Parlement, et ça ne va pas être un cadeau — si je puis m’exprimer ainsi —, mais je dirais que cela en vaut la peine. L’un de mes maîtres politiques qui me faisait des reproches dans le temps chaque fois que je voulais faire quelque chose, me disait qu’il fallait s’occuper de la sécurité nationale et non pas en parler. Cette optique imprègne encore tout le système. Bien qu’il y ait du vrai là-dedans, je dirais, sénateur, que nous devons trouver un moyen de changer la culture.
Le sénateur Housakos : J’ai une autre question. Ce projet de loi permet de régler certains problèmes, mais le problème qui subsiste, c’est que lorsque des députés et des sénateurs sont accusés d’ingérence étrangère, on ne peut pas se fier à la GRC. Parfois, on ne peut même pas se fier à un tribunal. Il faut qu’il y ait une responsabilité politique. Le Parlement est un outil puissant. Nous parlons du privilège parlementaire, mais nous l’exerçons aussi.
Comment pouvons-nous nous assurer d’utiliser notre privilège parlementaire pour obliger les parlementaires à rendre des comptes en matière d’ingérence étrangère?
M. Fadden : Je pense que c’est reconnaître qu’il s’agit d’un problème très grave, et cela se manifeste aujourd’hui par le fait que le Parlement a de la difficulté à trouver une façon d’avoir accès aux noms des personnes dont il est question dans le rapport du CPSNR. Je pense qu’il faudrait constituer des comités semblables à celui que la Chambre a constitué — même s’il s’agissait peut-être d’un comité mixte — en ce qui concerne les laboratoires de Winnipeg. Des dispositions spéciales ont été prises. Ils ont été autorisés à recevoir toutes sortes de renseignements. Il y avait un conteneur autour duquel ils faisaient leur travail, et cela a contribué dans une certaine mesure à rehausser la confiance et la crédibilité des enjeux. Ce n’est qu’une façon de voir les choses. Le huis clos ne suffit pas. Il faudrait quelque chose de ce genre.
De plus, il devrait être possible — et ce projet de loi ne le fait pas — de trouver un moyen de réglementer au sens large le processus de nomination et les activités des partis politiques. Le Canadien que je suis ne veut pas que le SCRS, la GRC ou qui que ce soit d’autre se mêle du processus de nomination; ce n’est pas une bonne idée. Cela ne devrait pas empêcher le Parlement d’élaborer un cadre et d’exiger ensuite que les partis politiques l’appliquent au nom de la Couronne. Il y a toutes sortes d’exemples de ce genre. Nous déléguons constamment des pouvoirs à des tierces parties, mais cela permettrait d’établir des règles, mais sans que les agents du gouvernement ne les appliquent.
La sénatrice M. Deacon : [Difficultés techniques] J’aurais une question à poser au sénateur Woo, à ma droite, avec l’appui du comité.
Le sénateur Woo : Elle aimerait que je réponde à une question si le comité le veut bien. Je ne suis pas un membre régulier de ce comité.
Le sénateur Housakos : Je vous signale, chers collègues, qu’il n’est pas nécessaire d’être un membre régulier pour poser une question.
La sénatrice M. Deacon : Son temps est écoulé.
Le sénateur Woo : Elle m’a généreusement offert du temps. Si vous me le permettez, je vais poursuivre. Ma question fait suite à celle de M. Fadden...
[Français]
Le sénateur Carignan : Excusez-moi, je voudrais faire un rappel au Règlement.
Le vice-président : Vous faites un rappel au Règlement, mais je ne connais pas tout —
Le sénateur Carignan : Est-ce qu’on donne notre nom? Est-ce que vous suivez l’ordre des noms que l’on vous donne?
Le vice-président : Tout à fait. J’avais le nom de la sénatrice Deacon.
Le sénateur Carignan : Donc, la sénatrice Deacon; si ce n’est pas elle, c’est un autre.
Le vice-président : Voilà. Normalement, ce serait le sénateur Dean.
Je regrette, sénateur Woo. Effectivement, le rappel au Règlement soulevé par le sénateur Carignan... Je ne connais pas tous les articles du Règlement, mais évidemment, c’est la première fois que l’on verrait un sénateur donner la parole à quelqu’un d’autre. Je n’ai jamais vu cela en 12 ans ici. Je regrette, mais soit la sénatrice Deacon pose une question, soit on passe au sénateur Dean.
[Traduction]
La sénatrice M. Deacon : Je vais poser une question. J’essayais de vous aider à respecter le temps qui nous est alloué aujourd’hui.
[Français]
Le vice-président : Vous pouvez poser la question du sénateur Woo.
[Traduction]
La sénatrice M. Deacon : D’accord. Ma question concerne la Loi sur la transparence et la responsabilité en matière d’influence étrangère, la LTRIE. Notre approche en vertu du projet de loi C-70 ne tiendrait pas compte des spécificités des divers pays et ne ciblerait personne en particulier. Je me demande si le processus est trop lourd, trop bureaucratique, avec l’effet non voulu d’attraper les bons? Ce genre d’approche agnostique a‑t‑elle de la force, ou serait-il préférable de la rendre plus ciblée ou même plus progressive en plaçant les menaces connues au sommet?
M. Stanton : J’aimerais répondre à cette question. Pour ma part, j’ai pris la parole publiquement, dans les deux témoignages de l’an dernier et dans les articles d’opinion, non pas contre le registre, mais simplement pour souligner que ce n’est pas une baguette magique. Il aura un effet limité. Il ne militera en aucune façon contre les acteurs clandestins des États étrangers qui font le plus de dommages. Cela dit, il a du mérite. Il renforcera la Loi sur le lobbying et diminuera certainement une partie de cette activité.
Je n’aime pas le fait de ne pas tenir compte des spécificités des divers pays. Beaucoup de Canadiens, surtout dans les communautés de la diaspora, s’attendent à ce que nous montrions du doigt la République populaire de Chine, l’Inde, la Russie — et tous les autres. Si j’ai oublié quelqu’un, je m’en excuse. Comme le Canada est un pays agnostique, nous aurons la Suisse, le Vatican. Je ne veux pas être facétieux, mais il y a des gens qui ne font pas la distinction entre les activités clandestines d’ingérence étrangère et le lobbying régulier. On pourrait donc avoir un monstre administratif. Je pense que c’est une bonne chose, mais vous avez tout à fait raison, sénatrice. Nous devrions préciser un nombre raisonnable d’États qui préoccupent le gouvernement canadien et les inscrire dans le registre.
La sénatrice M. Deacon : Nous avons parlé plus tôt, vous et M. Fadden, de l’idée de tirer des leçons du Groupe des cinq. Nous avons parlé du Royaume-Uni et de l’Australie aujourd’hui lors d’autres échanges. Que dire de cette approche par rapport à celle de ces pays? Que pouvons-nous apprendre d’eux?
M. Stanton : Je crois comprendre que le Canada a beaucoup examiné le projet de loi australien en raison des lacunes qu’il comportait. Le nôtre est probablement un peu meilleur, avec peut-être une portée plus large. Je ne veux pas avoir l’air négatif, et je ne voudrais certainement pas que la question du registre mette un frein à l’évolution de ce merveilleux projet de loi. Il faut simplement que les gens ne s’attendent pas à ce que cela représente une solution à tout.
La sénatrice M. Deacon : Merci. Je ne sais pas si M. Fadden a quelque chose à ajouter?
M. Fadden : En fait, j’ai un point de vue différent. J’ai commencé ma carrière aux Affaires étrangères. L’une des choses que l’on essayait de nous inculquer à nous les jeunes de l’époque, c’est que le gouvernement ne devait jamais faire quoi que ce soit de négatif à l’égard d’un autre pays, à moins d’y être absolument obligé. Nos relations actuelles avec la Chine sont en dents de scie. Ce ne sera peut-être plus le cas dans quatre ans. Des modifications législatives sont nécessaires pour qu’ils figurent dans la loi, et nous savons tous combien de temps cela prend au Canada. S’il faut dresser une liste, je le ferais dans le règlement ou je demanderais au commissaire de rendre une ordonnance, mais une certaine souplesse est une bonne chose.
Le fait que l’on affirme au Parlement que l’on n’aime pas l’Inde, que l’on n’aime pas l’Iran, que l’on n’aime pas la Chine, que l’on n’aime pas la Russie équivaut essentiellement à dire à la ministre des Affaires étrangères : « Nous vous créons un problème dont vous pourriez bien vous passer. » Je m’excuse auprès de mon collègue qui a un point de vue différent, mais c’est simplement ce que je pense.
La sénatrice M. Deacon : Merci de nous avoir fait part de votre point de vue.
La sénatrice Patterson : Madame Tessier, ma question s’adresse à vous. Vous avez dit que les règlements qui s’appliquent à des entités comme le Service canadien du renseignement de sécurité ont été indûment restrictifs par rapport à ceux d’autres pays. Nous savons qu’il ne s’agit pas seulement de sécurité nationale. Il est aussi question de la confiance de la population canadienne à l’égard de nos institutions démocratiques et de l’appui de nos alliés étrangers qui sont prêts à partager des renseignements avec nous, et ainsi de suite.
En ce qui concerne le projet de loi dont nous sommes saisis, croyez-vous qu’il contribuera à accroître la confiance des Canadiens, mais aussi de nos principaux partenaires du Groupe des cinq, notamment?
Mme Tessier : Je vous remercie de votre question. Absolument. Comme je l’ai souligné, beaucoup de mesures de protection existent déjà et continueront d’exister, même avec les changements proposés. Ce que vous dites au sujet de nos alliés est extrêmement important. Pour être franche, ils considèrent que le Canada n’est actuellement pas capable de faire face à cette menace autant qu’il le devrait. Ce projet de loi nous mettrait de toute évidence sur la bonne voie. Cela ne règle certainement pas tout, mais il s’agit d’une façon de fournir des indications aux organismes et de les outiller pour faire face à cette menace de façon plus efficace.
La sénatrice Patterson : Monsieur Conacher, dans le contexte des libertés civiles, j’aimerais connaître votre point de vue à ce sujet également, car cela signifie un plus grand échange d’information à l’intérieur et à l’extérieur du Canada, surtout compte tenu de toutes les échappatoires dont vous avez parlé.
M. Conacher : Je vous remercie de votre question. Il s’agit simplement de divulgation. Je ne vois pas de problème à ce qu’on exige la divulgation de ces renseignements de la même façon qu’on exige celle de certaines activités de lobbyistes. Comme je l’ai mentionné, la Loi sur le lobbying et les dispositions législatives fédérales, provinciales, territoriales et municipales dans ce domaine comportent de nombreuses échappatoires qui permettent le lobbying contraire à l’éthique. Il ne devrait pas y avoir d’échappatoires.
Pour ce qui est d’interdire quoi que ce soit, je peux comprendre certaines préoccupations des gens au sujet de certaines modalités, mais je ne pense pas que cela s’applique. Par exemple, les universités ont soulevé la question des arrangements internationaux en matière de recherche. Ils ne seront pas visés tant qu’ils seront conclus avec des chercheurs qui ne travaillent pas pour le compte de gouvernements étrangers ou d’entreprises d’État.
On verra. Je dois dire que je serai heureux de revenir devant le comité lorsque celui-ci examinera le projet de loi après son adoption par la Chambre. Le comité de la Chambre étudie en ce moment et jusqu’à ce soir des amendements. J’espère que toutes les échappatoires seront éliminées grâce à ces modifications et que le système d’application de la loi sera renforcé pour assurer son indépendance, son efficacité, sa transparence et sa responsabilité. Mais je me ferai un plaisir de revenir devant le comité et de vous présenter un autre mémoire sur les échappatoires et les problèmes qui ne seront pas corrigés par des amendements du comité de la Chambre ou de la Chambre proprement dite, dans le cadre de son examen du projet de loi.
La sénatrice Patterson : Merci beaucoup.
Le sénateur Cardozo : Mon seul commentaire concerne l’approche qui consiste à ne pas tenir compte des spécificités des pays. Il me semble que nous devrions laisser au commissaire le soin de décider où mettre l’accent. À l’échelle nationale, l’accent serait mis sur les domaines où il y a des problèmes, mais l’inclusion des principaux pays visés dans la loi poserait un problème. En ce qui concerne la Chine et l’Inde, nous étions les « meilleurs amis du monde » avec eux il n’y a pas si longtemps, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. Comment pouvons-nous modifier de façon continue cette liste dans la loi?
J’ai une question pour M. Stanton et M. Conacher. Je veux me concentrer sur la question de l’inscription au registre. Si les mauvais acteurs ne s’enregistrent pas, y a-t-il moyen de renforcer le registre ou la loi à cet égard?
M. Stanton : Oui, sénateur, c’est une bonne question. Nous pouvons prévoir n’importe quel scénario. Il est fort probable que les bons Canadiens s’enregistreront, comme ils produisent leurs déclarations de revenus, parce qu’ils font preuve de diligence raisonnable. Certains de ceux qui pourraient envisager de s’enregistrer pourraient, par ailleurs, être plus discrets et cacher leurs activités.
Je ne connais pas suffisamment le registre proposé pour savoir comment il serait appliqué sur le plan administratif. La commission va-t-elle poursuivre les gens qui ne s’enregistrent pas? Le registre sera-t-il alimenté par le renseignement? Le SCRS fournira-t-il des pistes? J’en doute.
Il est difficile d’imaginer comment le gouvernement va identifier les gens qui n’agissent pas dans la clandestinité, qui exercent une influence étrangère et qui ne s’enregistrent pas. Je n’ai peut-être pas le contexte nécessaire pour répondre à cette question. Je me demande ce qui pourrait inciter les gens à faire la démarche. Il est fort probable que ceux qui le feront sont les bons citoyens qui veulent être dans les règles.
Le sénateur Cardozo : Monsieur Conacher, qu’en pensez‑vous? J’ai bien aimé la liste d’échappatoires que vous nous avez donnée, mais j’aimerais avoir votre point de vue à ce sujet.
Le vice-président : Malheureusement, votre temps est écoulé et la réponse devra attendre au deuxième tour.
Le sénateur Yussuff : Je remercie les témoins de leur présence.
Monsieur Fadden, ma question s’adresse directement à vous. Avec mon collègue, le sénateur Housakos, vous avez parlé de la façon de dégager un plus grand consensus dans l’intérêt du pays. Vous avez dit très clairement que c’était dans l’intérêt national. J’imagine que nous devrions tous nous préoccuper de la sécurité du pays, quelle que soit notre affiliation politique, y compris au Sénat et à la Chambre. Pourtant, il semble y avoir une certaine acrimonie en matière de gouvernance et de politique lorsque nous abordons ces questions. Compte tenu de votre expérience et du travail que vous avez fait auparavant, pouvez-vous nous donner des conseils qui pourraient nous être utiles à l’avenir? Cela ne s’appliquerait peut-être pas à ce projet de loi maintenant, mais pourrait certainement nous guider à l’avenir.
M. Fadden : Je ne crois pas qu’il y ait de solution miracle, sénateur. Il faudrait que le premier ministre en place fasse preuve de leadership, car ce qu’il dit et fait influence tout le système et tous les ministres. Cela est particulièrement présent à l’autre endroit, à l’échelle de la Chambre des communes, où beaucoup d’acrimonie s’est développée. Idéalement, un nouveau premier ministre devrait adopter une approche différente sur la question de la partisanerie.
Il serait utile que les gens soient également bien informés et que les règles du jeu soient les mêmes pour tous. Des habilitations de sécurité au Sénat et à la Chambre des communes seraient utiles. Il faudrait permettre aux fonctionnaires d’informer le Sénat et la Chambre des communes, sans avoir à obtenir d’abord l’approbation du roi, du pape et du dalaï-lama, ce qui se produit actuellement. Je suis sarcastique. Je m’excuse.
Ce n’est pas facile pour un fonctionnaire d’informer les députés et les sénateurs. Il faudrait faciliter les échanges. Les ministres finiraient par accepter cette façon de procéder, avec un rappel constant aux gens que d’autres parlements ont trouvé une façon d’y arriver.
Je n’ai pas vraiment de réponse, sauf pour dire qu’il vaut la peine d’essayer. À l’heure actuelle, à l’extérieur du système, il est impossible pour les parlementaires en général d’avoir une conversation calme, ce qui nuit à la crédibilité de toute l’institution. Vous y êtes parvenus ici, mais cela semble très difficile à la Chambre des communes ou dans certains comités de la Chambre. Je ne sais pas ce qu’il en est des autres comités. Le vôtre est peut-être plus calme que les autres, mais je pense que c’est quelque chose qui se construit avec le temps.
Je pense qu’il est trop tard pour cette législature. Peut-être que les choses seront plus faciles pour la prochaine, avec de nouvelles personnes.
Le sénateur Yussuff : Il y a aussi un aspect très important qui est lié à la sécurité nationale. Je ne veux pas commenter le rôle de la presse libre, qui assume sa responsabilité d’obliger le Parlement et les politiciens à rendre des comptes, mais nous avons été témoins de violations scandaleuses de la part du SCRS en ce qui concerne la divulgation de renseignements qui, à mon avis, nous donnent un niveau élevé de crédibilité. Comment pouvons-nous avoir un organisme qui manque à sa responsabilité fondamentale et qui divulgue de l’information qui, selon moi, mine sa crédibilité auprès des Canadiens en général? Comment aborder cette question dans le contexte de l’amélioration de la sécurité que ce projet de loi tente d’apporter?
M. Fadden : Si j’ai bien compris, sénateur, on n’a pas encore déterminé publiquement qui est à l’origine des fuites. Tout le monde suppose que ce sont des membres du SCRS, mais je ne pense pas que ce soit évident. Cette information a été diffusée à grande échelle dans les cabinets ministériels, les organismes centraux et les ministères. Je crois savoir qu’une enquête administrative de la GRC est en cours. La meilleure chose que nous puissions faire, c’est déterminer qui a fait cela et nous assurer que des mesures disciplinaires sont prises à l’endroit de ces personnes.
Un de vos collègues a mentionné que si ce n’avait été d’eux, nous n’aurions pas cette conversation. La conversation est une bonne chose, mais pas les fuites. Nous devons déterminer qui a fait cela et voir à ce que des mesures disciplinaires soient prises.
[Français]
Le sénateur Carignan : Ma question concerne la définition d’« entité étrangère ».
La définition fait toujours un lien avec l’État, avec un État ou une partie d’un État. Est-ce qu’on ne devrait pas élargir la définition pour couvrir certains groupes économiques ou des groupes qui, à la limite, ont une idéologie « renversive », qui n’ont pas nécessairement de lien avec un État, mais qui seraient basés à l’étranger et pourraient avoir un avantage à attaquer les intérêts supérieurs du Canada, et qui pourraient dons être couverts par ces interdictions?
Autrement dit, la définition qui fait toujours un lien avec l’État n’est-elle pas trop restrictive?
Mme Tessier : Je vais me permettre de répondre.
Effectivement, dans la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, sur l’ingérence ou l’influence étrangère, on ne mentionne pas le mot « État ». Le service de renseignement, lorsqu’il regarde sa propre définition d’ingérence étrangère, indique que cela doit être lié à un État.
Évidemment, tout évolue avec la menace, donc c’est une bonne question. D’ailleurs, j’ai participé récemment à une rencontre avec d’autres universitaires où l’on parlait justement de cette question. La Loi sur le SCRS ne le limite pas à lier l’influence ou l’ingérence étrangère à un État, mais c’est la définition qu’on lui donne.
Si la menace évolue, il y a d’autres aspects de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité qu’on peut utiliser également pour examiner ce type d’activité. Effectivement, c’est quelque chose à considérer.
Le sénateur Carignan : Pouvez-vous nous donner des exemples de situations que vous aviez en tête lorsque vous discutiez de groupes? À la limite, cela pourrait être une entreprise, car il y a des entreprises qui sont plus puissantes que certains États actuellement.
Mme Tessier : Actuellement, pour ce qui est des éléments liés aux États étrangers, quand le SCRS examine l’ingérence étrangère, il faut que ce soit des activités trompeuses ou clandestines, des menaces contre un individu ou des menaces contre les intérêts du Canada; c’est de cette façon que le service décrit l’ingérence étrangère.
S’il y a un État derrière une entreprise, le SCRS va continuer de l’examiner. Cependant, le SCRS a aussi un mandat qui l’autorise à examiner l’espionnage et le terrorisme. Il y a d’autres façons de le capter s’il n’est pas question d’un État, mais d’une entité qui représente une menace envers le Canada, et le SCRS va s’y intéresser.
Le sénateur Carignan : Mon point, c’est qu’on ne couvre pas cet élément dans le Code criminel quand on crée l’infraction, et on ne le couvre pas dans le registre non plus.
Mme Tessier : Je crois que c’est peut-être quelque chose à considérer, effectivement.
Je crois aussi qu’il est nécessaire d’examiner les modifications au Code criminel, parce que ce n’est peut-être pas facile — ou même possible à l’heure actuelle — d’intenter des actions en matière criminelle, étant donné les lacunes dans la définition.
M. Fadden : Je suis d’accord avec vos préoccupations.
Cependant, si on prend un pays comme la Chine, toutes les entités économiques sont des agents de l’État, comme c’est le cas pour plusieurs États. Ce n’est pas une réponse parfaite, mais c’est une réponse partielle à vos préoccupations.
Le sénateur Carignan : Oui, j’étais bien conscient de cela. Merci.
[Traduction]
La sénatrice Dasko : Ma question s’adresse à M. Conacher.
Merci, monsieur Conacher. Je sais que vous travaillez depuis de nombreuses années pour renforcer nos institutions démocratiques, et je suis heureuse de vous voir participer à ce dossier également.
Vous avez dressé une longue liste d’échappatoires. Je m’intéresse particulièrement à ce que vous avez dit au sujet des chefs politiques et des candidats aux élections. Vous faites valoir que, bien sûr, les élus deviennent tous des candidats lorsque les brefs sont émis. C’est ainsi que cela se passe.
Je me demande si vous pouvez nous expliquer comment résoudre cela. Faudrait-il modifier la Loi électorale ou la Loi sur le SCRS? Expliquez-nous, si vous le voulez bien, comment cette question devrait être abordée selon vous.
M. Conacher : Si vous parlez des échappatoires, pour répondre rapidement à la question précédente, la position de Démocratie en surveillance est que les activités des entreprises et des organisations devraient être visées, même si elles ne sont pas contrôlées par l’État.
Pour ce qui est des échappatoires, il y a quelque chose d’étrange dans le projet de loi C-70. La partie 2 contient une longue définition des titulaires de charge publique. La partie 4, qui crée le registre, adopte la définition de titulaire de charge publique de la Loi sur le lobbying, ce qui signifie que si cette dernière était modifiée, il faudrait également modifier la définition dans ce projet de loi.
Cela n’a aucun sens. Il devrait simplement y avoir une liste dans la nouvelle loi pour créer le registre, comme il y en a une dans la partie 2 pour les changements à la Loi sur la protection de l’information, et une liste de tous les titulaires de charge publique.
La liste devrait être élargie. Évidemment, les députés qui se présentent aux élections deviennent de simples candidats après l’émission des brefs. Ils ne sont plus titulaires de charge publique. Il devrait s’agir des titulaires de charge publique et des autres acteurs politiques, et il faudrait simplement inclure dans la définition d’« acteur politique » toutes les personnes qui ne sont pas des titulaires de charge publique, y compris les personnes qui pourraient être utilisées comme intermédiaires par un agent étranger.
La sénatrice Dasko : D’accord. Cela comprend les candidats à la direction?
M. Conacher : Les candidats à l’investiture, les candidats à la direction d’un parti qui ne sont pas des députés ou des ministres du Cabinet, les candidats aux élections, ainsi que le personnel et les bénévoles des candidats à l’investiture, de même que tous les candidats et les partis dans les associations de circonscription, qui pourraient tous être utilisés comme intermédiaires si l’occasion se présentait. Il n’en faut qu’un seul qui communique son influence au titulaire de charge publique.
Le personnel des députés et des sénateurs est inclus, mais pas celui des candidats à l’investiture, des candidats, des partis, des associations de circonscription, ni les principaux bénévoles.
La sénatrice Dasko : Il faudrait donc simplement les ajouter à la liste?
M. Conacher : Il suffit d’ajouter « acteur politique » ou peu importe comment vous voulez les appeler et d’inclure une nouvelle définition dans les modifications à la Loi sur la protection de l’information et dans la nouvelle Loi sur la transparence et la responsabilité en matière d’influence étrangère qui est proposée.
La sénatrice Dasko : Merci.
Le sénateur Richards : Je remercie tout le monde d’être venu. La sénatrice Dasko vient de poser la question que j’allais poser à M. Conacher. Je vais la poser différemment à l’ensemble des témoins. Je vais essayer de formuler les choses un peu différemment.
Puisque M. Conacher a dit que ce projet de loi comporte plein de lacunes, comme autant de trous dans un filet de hockey qui pourraient laisser passer n’importe quelle rondelle, je me demande alors ce que les autres témoins pensent des préoccupations qu’il a à ce sujet, et comment cela pourrait être corrigé, selon eux, s’ils sont d’accord avec lui?
M. Fadden : Le fait d’avoir passé 40 ans dans la fonction publique à travailler avec des ministres m’a appris des choses sur l’art du possible. Je suis d’accord avec la liste d’échappatoires de M. Conacher. Je ne pense pas qu’il soit possible de les éliminer toutes dans le cadre de ce processus. Je pense que vos collègues à la Chambre auraient de sérieuses réserves à l’égard de la longue liste de M. Conacher.
Ce sont des échappatoires réelles. Si je devais vous donner un conseil, je choisirais celle ou les deux plus importantes qui vous préoccupent le plus, mais si vous essayez de les éliminer toutes, je n’ai pas l’impression que vous réussirez. Il y en a tout simplement trop. C’est trop demander, trop tôt. Comme je l’ai dit dans ma déclaration préliminaire, ce devrait être la première étape d’une série d’activités visant l’ingérence étrangère qui devraient être entreprises en temps et lieu.
Le sénateur Richards : Y a-t-il d’autres commentaires à ce sujet?
Mme Tessier : Si vous me le permettez, le seul enjeu qui est abordé dans une certaine mesure dans le projet de loi, c’est ce que nous appelons la question du passage du renseignement à la preuve, dont j’ai parlé brièvement dans ma déclaration préliminaire. Je comprends que c’est une question complexe dans notre système judiciaire, mais essentiellement, il s’agit de la capacité de protéger les renseignements tout en étant en mesure de les utiliser dans le cadre de procédures criminelles.
Le projet de loi ne prévoit pas vraiment de poursuites criminelles. Il y est question de tribunaux administratifs qui peuvent utiliser le renseignement tout en le protégeant. C’est une première étape, mais je pense que le problème du passage du renseignement à la preuve, qui n’est pas facile — je le comprends — en est un qui mérite vraiment d’être priorisé pour ce qui est de la façon dont cela peut être mis en œuvre dans un système comme le nôtre.
Le sénateur Richards : Merci.
[Français]
Le vice-président : En conclusion, j’aimerais poser une question complémentaire à Mme Tessier. Monsieur Stanton, vous pourrez me répondre aussi. Madame Tessier, vous avez fait mention de nombreux organismes et comités de politiciens qui ont le mandat de surveiller les activités du SCRS. Est-ce qu’il est vraiment nécessaire de créer un nouveau poste de commissaire pour encadrer la lutte contre l’ingérence étrangère? N’avons-nous pas déjà toute la surveillance nécessaire pour garantir que le travail se fera dans les règles?
Mme Tessier : Merci pour la question. Il est évident en tant qu’ancienne agente de renseignement et cadre au SCRS, j’ai toujours trouvé qu’il y avait beaucoup d’organismes qui surveillaient les activités. On veut trouver un équilibre entre la capacité de donner des pouvoirs — et donc d’avoir un service de renseignement dans une démocratie — et le besoin de s’assurer que les Canadiens se sentent vraiment à l’aise et qu’ils sont bien encadrés. Si on décide de créer un autre poste, cela peut être avantageux si on veut vraiment souligner l’importance d’encadrer toutes les activités qui seront énumérées dans la nouvelle loi.
Le vice-président : Merci. Monsieur Stanton, êtes-vous d’accord avec les propos de Mme Tessier?
[Traduction]
M. Stanton : Non, je n’ai vraiment rien à ajouter à ce que Mme Tessier a dit.
[Français]
Le vice-président : Cela met fin au temps que nous avions avec ce groupe de témoins. Je remercie nos invités, M. Conacher, Mme Tessier, M. Stanton et M. Fadden, pour le temps qu’ils ont pris pour nous rencontrer aujourd’hui.
Pour ceux qui nous rejoignent en direct, nous nous réunissons aujourd’hui pour poursuivre notre examen de la teneur du projet de loi C-70, Loi concernant la lutte contre l’ingérence étrangère.
Nous poursuivons maintenant avec notre troisième groupe de témoins. Je voudrais souhaiter la bienvenue à Me Balpreet Singh Boparai, conseiller juridique, Organisation mondiale des Sikhs du Canada, ainsi qu’à Mme Anaïs Bussières McNicoll, directrice du Programme des libertés fondamentales et directrice intérimaire du Programme de protection de la vie privée et à Me Shakir Rahim, directeur du Programme de justice pénale, Association canadienne des libertés civiles. Je souhaite la bienvenue à chacun d’entre vous.
[Traduction]
Je vous invite maintenant à faire vos déclarations préliminaires. Nous allons commencer par Me Rahim. La parole est à vous dès que vous serez prêt.
Me Shakir Rahim, directeur, Programme de justice pénale, Association canadienne des libertés civiles : Bonjour et merci de nous accueillir aujourd’hui.
Je vais concentrer mes observations préliminaires sur l’infraction de sabotage d’infrastructures essentielles qui est proposée dans la partie 2 du projet de loi C-70 et qui vise à créer le paragraphe 52.1(1) dans le Code criminel. Cette nouvelle infraction aurait un effet paralysant sur les activités de défense d’une cause, de protestation et de manifestation d’un désaccord. Pour mettre les choses en contexte, elle ne comporte pas d’élément d’ingérence étrangère et peut s’appliquer à des questions entièrement nationales. En vertu de la nouvelle infraction, les protestations pourraient être criminalisées si elles gênaient l’accès à une infrastructure essentielle et si elles visaient à porter atteinte à la sécurité, à la sûreté ou la défense du Canada ou compromettaient gravement la santé ou la sécurité de la population.
Si on y regarde de plus près, ce libellé est trop général. Le Code criminel ne définit pas ce qui constitue « la sécurité, la sûreté ou la défense du Canada ». Le terme est défini de façon large dans d’autres lois. En vertu de la Loi sur la protection de l’information, par exemple, un « dessein nuisible à la sécurité ou aux intérêts de l’État » comprend le fait de nuire à la stabilité de l’économie canadienne sans justification valable d’ordre économique ou financier. Si une norme semblable était appliquée dans ce cas, on pourrait soutenir, par exemple, que les manifestations pacifiques qui gênent l’accès à toute infrastructure importante sur le plan économique posent un risque pour la sécurité du Canada et constituent des infractions criminelles.
Pour contrer ce risque, nous suggérons que le paragraphe 52.1(5) proposé, qui vise à donner l’immunité à certaines formes de protestations comprises dans la nouvelle infraction, soit modifié pour supprimer le libellé selon lequel l’immunité ne s’applique pas si l’intention était de causer les préjudices décrits aux alinéas 52.1(1)a) à c) proposés.
Deuxièmement, en vertu de l’alinéa 52.1(2)i) proposé, ce qui constitue une infrastructure essentielle peut être désigné par de futurs règlements. Des pouvoirs semblables ont été invoqués pour réprimer des manifestations. Lors du sommet du G7 de 2010 à Toronto, par exemple, toute la zone du sommet a été classée comme une zone de travaux publics, afin d’interdire l’accès aux manifestants en vertu de la Loi sur la protection des ouvrages publics de l’Ontario. Par conséquent, nous proposons que l’alinéa 52.1(2)i) soit supprimé.
Je vais maintenant céder la parole à ma collègue.
Anaïs Bussières McNicoll, directrice du Programme des libertés fondamentales et directrice intérimaire du Programme de protection de la vie privée, Association canadienne des libertés civiles : Merci et bon après-midi.
Mes observations d’aujourd’hui porteront sur la partie 4 du projet de loi C-70, qui crée le registre des cas d’ingérence étrangère. En vertu de cette partie du projet de loi, toute personne qui conclut avec un « commettant étranger » un arrangement au titre duquel elle s’engage à exercer certaines activités liées à des processus politiques ou gouvernementaux au Canada est tenue, dans les 14 jours, de fournir au commissaire les renseignements précisés par règlement. Le terme « commettant étranger » comprend une entité économique étrangère, dans sa définition large. Il comprend également un État étranger, un groupe d’États étrangers et toute entité qui est contrôlée, en droit ou dans les faits, par un État étranger ou un groupe d’États étrangers, ou qui appartient en grande partie à un État étranger ou un groupe d’États étrangers.
Étant donné que le projet de loi prévoit que soient déterminées par règlement les catégories de personnes qui échapperont à la portée du registre, la définition large de « commettant étranger » pourrait très bien englober une organisation internationale composée d’États membres, comme les Nations unies. On ne peut pas exclure que cette définition englobe également des médias d’État étrangers ou financés par l’État, des organismes de bienfaisance et des établissements d’enseignement, comme des universités.
La définition d’« arrangement » dans le projet de loi C-70 est également large et comprend notamment un arrangement en vertu duquel une personne s’engage, en association avec un commettant étranger, à communiquer par quelque moyen que ce soit des renseignements relatifs au processus politique ou gouvernemental au Canada. Ce libellé vague, qui n’exige pas de lien de subordination entre le commettant étranger et la personne, pourrait englober des personnes qui ont simplement été en contact avec des entités qui correspondent à la définition générale de commettant étranger.
Enfin, le projet de loi C-70 s’appuie également sur de futurs règlements pour déterminer les renseignements qui devraient être enregistrés dans le registre. Il est donc actuellement impossible d’évaluer comment cet outil pourrait être utilisé par l’État et quel impact il pourrait avoir sur la démocratie, la liberté de la presse, la liberté universitaire et le droit à la vie privée. Compte tenu des définitions générales dont j’ai parlé précédemment, il est possible que toute personne qui a été en contact avec un média d’État ou un établissement d’enseignement étranger relativement à un processus politique canadien, et qui communique ensuite avec le public au sujet du même processus politique, serait tenue de fournir au registre des renseignements détaillés sur ses activités.
L’Association canadienne des libertés civiles, ou ACLC, craint donc que le registre soit utilisé pour surveiller et éventuellement paralyser l’engagement international de divers acteurs, au lieu de remplir son objectif déclaré qui est de servir d’outil pour réduire l’ingérence étrangère dans les affaires du Canada et accroître la transparence.
Nous sommes heureux d’avoir l’occasion de vous rencontrer aujourd’hui. Cela dit, nous tenons à souligner que l’ACLC s’oppose à la façon précipitée dont se déroule actuellement l’étude législative de cet important projet de loi. Nous réitérons notre demande de prolonger le temps alloué à cette étape cruciale, afin que des consultations plus sérieuses puissent avoir lieu. Merci.
Le vice-président : Merci. Nous allons maintenant entendre M. Singh. Monsieur Singh, vous avez la parole. Je vous en prie.
Me Balpreet Singh Boparai, conseiller juridique, Organisation mondiale des Sikhs du Canada, à titre personnel : Merci.
Bonjour. Je m’appelle Balpreet Singh. Je suis le conseiller juridique de l’Organisation mondiale des Sikhs du Canada. Depuis 40 ans, l’Inde cherche constamment à intimider les sikhs au Canada et à étouffer la défense par les sikhs des droits du Khalistan, un État souverain gouverné conformément aux principes et aux valeurs sikhs. Cette ingérence a pris la forme de campagnes de désinformation, de refus de visas, d’intimidation de membres de la famille et, comme nous le savons maintenant, est allée jusqu’à des assassinats.
La défense du Khalistan est protégée par le droit à la liberté d’expression garanti par la Charte. Les tentatives d’attirer l’attention sur l’ingérence constante de l’Inde au cours des quatre dernières décennies sont restées sans écho dans une large mesure, alors que l’Inde ne cessait de qualifier l’activisme sikh d’extrémisme ou pire encore. Il s’agit d’un mouvement central pour les sikhs au Canada. En juin 2023, Hardeep Singh Nijjar a été assassiné alors qu’il quittait le temple Guru Nanak Sikh Gurdwara Sahib à Surrey, en Colombie-Britannique, dont il était le président. La communauté, y compris notre organisation, a immédiatement cru qu’il avait trouvé la mort aux mains du gouvernement de l’Inde. Comme nous le savons maintenant, ces soupçons ont plus tard été corroborés lorsque des informations ont émergé sur des complots indiens visant à tuer des militants sikhs au Canada et dans le monde entier.
La semaine dernière, le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement a publié un rapport selon lequel des députés canadiens et d’autres politiciens ont collaboré avec l’Inde et d’autres gouvernements étrangers, notamment en divulguant des renseignements confidentiels et en étant payés pour soulever des questions relatives à l’Inde au Parlement. La WSO a demandé publiquement que les noms de ces députés soient divulgués, afin de rétablir la confiance dans notre démocratie. L’ingérence étrangère est une crise nationale, et pour les sikhs, elle a eu des conséquences mortelles. En ce qui concerne le projet de loi C-70, nous croyons que c’est un pas dans la bonne direction, mais nous avons des préoccupations.
Premièrement, le projet de loi donne au SCRS le pouvoir de communiquer des renseignements à toute personne ou entité s’il juge cela pertinent. Ce serait un pas dans la bonne direction, car les membres de la communauté sikhe ont reçu des obligations d’avertir, sans détails sur le genre de menaces auxquelles ils font face et sans ressources pour se protéger. Nous craignons toutefois que des représentants ou des agents d’États étrangers au Canada puissent être considérés comme une entité. Une façon de régler ce problème serait de définir l’entité dans la loi comme une entité nationale.
Nous savons que le cadre de coopération en matière de lutte contre le terrorisme et l’extrémisme violent entre le Canada et l’Inde est toujours actif, et nous sommes très préoccupés par l’échange de renseignements entre le Canada et l’Inde. Il faut faire preuve de vigilance pour s’assurer que les nouveaux pouvoirs créés par cette loi servent à contrer l’ingérence étrangère et non à renverser des communautés comme la nôtre. La création de nouveaux canaux pour l’échange de renseignements pourrait, potentiellement, mener à cela.
L’inclusion de la disposition sur le sabotage au Code criminel érige en infraction le fait de gêner l’accès à une infrastructure essentielle, d’en causer la perte ou de la rendre inutilisable, dangereuse ou impropre à l’utilisation, dans l’intention — c’est ce que prévoit la loi — de porter atteinte à la sécurité ou à la sûreté des forces navales, des forces de l’armée ou des forces aériennes de tout État étranger qui sont légitimement présentes au Canada. Des sikhs ont souvent manifesté devant les consulats indiens et devant l’ambassade ici, à Ottawa. Le personnel de l’ambassade de l’Inde comprend des attachés de l’armée, de la marine et de l’aviation.
L’an dernier, les médias indiens ont faussement rapporté qu’un manifestant sikh avait lancé deux grenades sur l’ambassade de l’Inde à Ottawa. Cet article a été relayé par le Journal de Montréal la semaine dernière. Cette disposition pourrait-elle être utilisée pour porter de futures accusations contre des manifestants sikhs et pour réprimer des manifestations sikhes? C’est une question que nous nous posons. Nous sommes également préoccupés par l’inclusion dans le Code criminel de dispositions relatives à l’intimidation, notamment par l’imposition de peines d’emprisonnement à perpétuité pour intimidation, sans définir clairement ce qu’on entend par intimidation.
Nous constatons également que diverses considérations liées aux relations internationales ont été ajoutées dans la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, ce qui confère au ministre le pouvoir d’intervenir s’il estime que certaines affaires pourraient nuire aux relations internationales. Nous sommes d’avis que ce libellé et cette disposition pourraient aller à l’encontre de l’ensemble des dispositions du projet de loi.
Certaines considérations liées aux relations internationales ont déjà causé du tort à la communauté sikhe. La raison pour laquelle l’ingérence étrangère à l’encontre des sikhs n’a pas été réprimée au cours des quatre dernières décennies, c’est parce que les gouvernements canadiens successifs souhaitaient renforcer leurs relations commerciales avec l’Inde. Tout cela aux dépens de la communauté sikhe. Un article du journaliste d’enquête Sam Cooper publié en ligne dans le Bureau a révélé que le Service canadien du renseignement de sécurité avait planifié, en 2017, une intervention majeure visant le démantèlement des réseaux de renseignement indiens de Vancouver qui surveillaient et ciblaient la communauté sikhe. Le gouvernement aurait apparemment fait obstacle à cette opération à cause des répercussions qu’elle aurait pu avoir sur les relations entre le Canada et l’Inde, malgré les souffrances endurées par la communauté sikhe.
L’Organisation mondiale des Sikhs et la communauté sikhe craignent que les relations internationales ne soient qu’un prétexte pour fermer les yeux sur l’ingérence constante de l’Inde, et pire encore, qu’elles servent à créer des outils qui pourraient être utilisés contre les militants sikhs canadiens.
En conclusion, il ne fait aucun doute que le Canada doit se doter de nouveaux outils pour lutter contre l’ingérence étrangère, mais en tant que communauté, notre organisation craint que le projet de loi ne soit adopté à toute vapeur sans un examen exhaustif des conséquences non voulues qu’il pourrait avoir pour les communautés minoritaires du Canada. Voilà ce que j’avais à dire. Je répondrai volontiers à vos questions.
Le vice-président : Je vous remercie, maître Boparai. Je rappelle que le temps alloué aux questions et aux réponses est de quatre minutes. Veuillez poser des questions succinctes afin de permettre le plus grand nombre d’interventions possible.
La sénatrice M. Deacon : Je remercie notre témoin de son intervention. J’espère avoir le temps de poser deux questions. La première concerne ces nouvelles dispositions relatives à l’ingérence étrangère. L’une des infractions consisterait à influencer des processus politiques ou gouvernementaux, notamment la gouvernance scolaire. J’aimerais appliquer cela à ce qui se passe actuellement autour de nous. Je veux parler des manifestations qui ont lieu sur les campus de l’Université de Toronto et d’autres établissements d’enseignement pour faire pression sur les conseils des universités pour les amener à désinvestir. Selon vous, les dispositions dont nous parlons aujourd’hui pourraient-elles s’appliquer à ces manifestations? Je pose cette question d’abord à l’Association canadienne des libertés civiles.
Mme Bussières McNicoll : Je pense qu’il est possible que ces dispositions s’appliquent à ce genre de manifestations. Me Rahim veut peut-être ajouter quelque chose. Mon examen portait sur la partie 4 du projet de loi.
Me Rahim : Oui, je suis d’accord avec ma collègue. Il y a un risque réel. Le fait que ces dispositions ont une portée très large, et que nous n’avons pas eu l’occasion d’en faire un examen détaillé pour savoir dans quelles situations elles pourraient s’appliquer donne une idée du genre de risques qui pourraient se poser. Le libellé des dispositions dont nous avons parlé ici et dont nous parlons dans notre mémoire doit être plus précis et plus ciblé afin de prévenir la criminalisation du genre d’activité que vous venez d’évoquer.
La sénatrice M. Deacon : Merci, maître Rahim. Je vais poursuivre avec vous si vous le voulez bien. Vous avez exprimé votre crainte que la peine d’emprisonnement à perpétuité prévue au projet de loi C-70 pour certaines infractions ne soit disproportionnée et excessive. Pouvez-vous nous donner des exemples de scénarios où un juge pourrait imposer cette lourde peine? À votre avis, quelle peine maximale conviendrait-il d’imposer, en vertu de ces changements, à une personne qui commet des infractions plus graves pouvant aller de dommages matériels au recours à la violence?
Me Rahim : Merci pour cette question.
Le problème, c’est que cela comprend des infractions, peu importe, la situation factuelle hypothétique qui est présentée, que le Parlement a clairement définie comme ayant un certain degré de gravité. Par exemple, certains méfaits sont passibles d’une peine d’emprisonnement maximale de deux ans. Ce qui nous préoccupe, c’est que ce projet de loi englobera toute une gamme d’infractions — en fait, toute infraction pouvant donner lieu à une mise en accusation en vertu du Code criminel — et ajoutera le risque d’un emprisonnement à perpétuité. Compte tenu de la sévérité de cette peine, nous pensons que cela dépasse de beaucoup la portée des dispositions du Code criminel en matière de peines.
Dans le mémoire que nous avons présenté au comité, nous proposons que la peine maximale pouvant être imposée soit équivalente à l’infraction sous-jacente. La peine prévue pour toute infraction comportant les deux éléments requis dans cette nouvelle disposition — soit l’ingérence étrangère et la perpétration d’un acte criminel au profit de l’État étranger — ne devrait pas être plus importante que l’infraction sous-jacente. S’il s’agit d’une peine maximale de deux ans imposée à un contrevenant accusé et reconnu coupable, l’élément d’ingérence étrangère ajoute alors également deux ans d’emprisonnement. Nous préconisons donc l’ajout d’un élément de proportionnalité au projet de loi.
La sénatrice M. Deacon : Merci beaucoup.
Le sénateur Boehm : Je pense que la réponse à ma question sera assez brève. Ma question s’adresse à Me Rahim de l’Association canadienne des libertés civiles. Elle concerne vos commentaires au sujet des infrastructures essentielles. Vos propos sont tout à fait conformes à votre communiqué de presse, comme il fallait s’y attendre.
Voici toutefois ce qu’a dit Sécurité publique Canada au sujet des modifications proposées au Code criminel en vertu du projet C-70 :
... précise expressément que les infractions de sabotage ne s’appliquent pas aux activités légitimes de défense d’une cause, de protestation ou de manifestation d’un désaccord dans des situations où il n’y a aucune intention de causer les préjudices graves précisés dans la loi.
À la lumière de ce commentaire, pourriez-vous nous expliquer les préoccupations de votre association relativement à la liberté d’expression? Le problème concerne-t-il la façon dont l’intention et la légitimité sont déterminées et par qui?
Me Rahim : Je vous remercie pour cette question. Cela fait partie de nos préoccupations. Le problème, c’est que nous devons savoir quels préjudices pourraient être causés en vertu de cette disposition. Comme je l’ai dit dans ma déclaration préliminaire, si nous parlons, par exemple, d’une atteinte à la sûreté ou à la sécurité du Canada et que ce libellé est interprété ou défini au sens large, comme c’est arrivé avec d’autres lois, et qu’il inclut certains types de préjudices économiques, il se pourrait alors que des manifestations aient des répercussions économiques négatives pour le Canada. Prenons l’exemple d’un groupe de défense de l’environnement qui proteste contre un important projet d’exploitation des ressources naturelles ou d’un groupe de défense des droits civils qui bloque des intersections importantes dans une ville. Ces groupes pourraient être perçus comme présentant ce genre de risque.
Nous proposons que vous supprimiez le critère qui soustrait l’application de cette disposition s’il existe une intention de causer certains préjudices et que vous formuliez plutôt une disposition générale qui protège les personnes participant à une manifestation de revendication ou de désaccord. D’autres dispositions du Code criminel s’appliquent déjà à des situations posant un risque réel pour la sécurité publique. Nous pensons que cela donnerait l’assurance que les protections en place lors de manifestations de protestation et de désaccord sont solides.
L’intention et la motivation sont deux concepts différents. Si quelqu’un est certain ou pratiquement certain que quelque chose va se produire, en vertu du droit pénal, cette personne est présumée avoir agi intentionnellement. Une personne pourrait prétendre que son but était de protester, de défendre une cause ou d’exprimer son désaccord, mais si nous élargissons la portée de la disposition pour englober la notion de préjudice, et si cette personne savait que ses actes risquaient d’entraîner un préjudice économique, elle pourrait quand même être tenue criminellement responsable en vertu de cette nouvelle infraction.
Le sénateur Boehm : Je vous remercie.
Le sénateur Dalphond : Ma question fait suite à celle du sénateur Boehm, car j’ai les mêmes préoccupations. Elle s’adresse également à Me Rahim.
Je comprends les préoccupations des associations. Concernent-elles les deux dispositions, celle sur le sabotage et celle sur les infrastructures essentielles? Dans les deux cas, il doit y avoir une intention. Dans le cas de la première, c’est l’intention de mettre en danger. Est-ce cela qui vous préoccupe? C’est l’article 52 proposé où il est précisé qu’il ne s’applique pas aux personnes qui participent à des protestations ou à des manifestations d’un désaccord.
Me Rahim : C’est exact. Cet article s’appliquerait aux deux aspects de la nouvelle infraction proposée : le fait de gêner l’accès à une infrastructure essentielle, qui, selon nous, englobe différents types de protestations auxquels nous faisons référence, et le fait de mettre en danger, qui est l’élément de préjudice. Il s’agit de savoir comment cette disposition pourrait être interprétée. Elle pourrait s’appliquer, par exemple, à une manifestation pacifique considérée comme étant à l’origine de certains types de risques à la sûreté ou à la sécurité, car dès que ces risques se posent, la protection censée sécuriser la protestation, la manifestation de désaccord ou la revendication disparaît.
Le sénateur Dalphond : Je suppose que si une manifestation pacifique devient dangereuse ou violente, la police commence par ordonner aux manifestants de se disperser. Si des manifestants refusent d’obtempérer, je suppose que cela peut changer leur intention initiale, mais cette disposition peut difficilement s’appliquer à la participation à un rassemblement pacifique. Êtes-vous d’accord ou non?
Me Rahim : Le problème, c’est que le risque qui constitue une menace à la sécurité peut être interprété de façon très générale dans le cas, par exemple, d’une manifestation qui devient violente et qui risque de causer des dommages physiques à d’autres personnes ou des dommages matériels graves. Si la disposition proposée comportait une définition claire, stricte et compréhensible de ce qui pose ce genre de risques, je pense que cela dissiperait une partie de nos préoccupations. Le projet de loi est toutefois muet à cet égard et c’est ce qui crée l’un des risques liés aux manifestations que nous voyons.
Le sénateur Dalphond : Je vous remercie.
Le sénateur Kutcher : Merci beaucoup. Je vais poursuivre dans la même veine que le sénateur Boehm et le sénateur Dalphond.
Je vais revenir à certains points que vous avez abordés. Vos préoccupations concernent-elles des situations où des acteurs étrangers malveillants sont connus pour envoyer des agents dans les manifestations dans le but de perturber des infrastructures essentielles? Comment vos propositions règlent-elles ce problème?
Me Rahim : Si la disposition contenait le libellé que nous proposons, c’est-à-dire les situations où un acteur étranger a l’intention malveillante d’entraver l’accès à des infrastructures durant une manifestation, il s’agirait alors d’une disposition de nature différente. Il serait peut-être indiqué d’en restreindre la portée, mais ce libellé n’existe pas dans cette disposition. Elle s’applique à un contexte entièrement national, exempt d’ingérence étrangère et d’intention malveillante de la part d’un acteur étranger. C’est en partie ce qui nous préoccupe au sujet de cette infraction.
Le sénateur Kutcher : Y a-t-il des situations où des acteurs étrangers font appel à des agents pour causer des perturbations importantes aux infrastructures essentielles?
Me Rahim : C’est possible, oui.
Le sénateur Kutcher : Comment faire la différence entre ces situations?
Me Rahim : Même si les gens ont recours à des intermédiaires ou s’il y a un élément étranger quelconque, il devrait y avoir un niveau minimal de preuves qui peuvent établir cela. Si la disposition contenait un tel élément — un élément qui ajoutait la composante étrangère —, un tribunal pourrait tout de même prendre note de certains éléments de preuve en inférant ce que certaines actions auraient pu signifier et en analysant les communications. S’il n’y avait aucune preuve que cela s’est produit, alors, à notre avis, il serait problématique d’établir qu’il s’agit d’une responsabilité criminelle. Même si on a recours à des intermédiaires, nous pensons qu’il devrait y avoir suffisamment de preuves pour justifier une infraction qui comportait cet élément.
Le sénateur Kutcher : D’accord.
Le sénateur Housakos : J’aimerais poursuivre dans la même veine que le sénateur Kutcher, qui a posé des questions très importantes. De toute évidence, nous voulons tous que notre gouvernement prenne des mesures fondées sur des données probantes en matière d’ingérence étrangère, mais nous avons maintenant dépassé ce stade. Nous reconnaissons tous qu’il y a des entités au Canada qui s’emploient depuis très longtemps à perturber nos institutions démocratiques, à faire sortir la propriété intellectuelle de notre pays au profit de pays étrangers, etc.
Compte tenu du fait que si vous examinez ce que le Canada a fait ces dernières années, en ce qui concerne la liberté d’association et la liberté d’expression, je pense que de toute évidence il est passé à l’autre extrême. Maître Rahim, je ne pense pas que vous puissiez nommer un seul cas où le gouvernement fédéral a réagi de façon excessive en mettant fin à des manifestations dans notre pays — à l’exception peut-être d’un cas que je pourrais citer, parce que je considérais qu’il s’agissait d’une manifestation pacifique dans les rues de Wellington. Cependant, nous avons eu des organisations qui ont bloqué des infrastructures essentielles comme les chemins de fer pendant des semaines et des semaines, et le gouvernement fédéral n’a rien fait. À l’heure actuelle, des squatteurs se sont installés sur les terrains d’établissements universitaires partout au pays et réclament la mort de certaines personnes en raison de leur foi.
Pouvez-vous me donner des exemples de situations où, selon vous, le gouvernement est allé trop loin, a mis un frein à la liberté d’association et à la liberté d’expression et a empêché des Canadiens de manifester en faveur de A, B ou C?
Me Rahim : L’une des raisons pour lesquelles nous pouvons parler d’une forte tradition de protection des manifestants au Canada, c’est que nous sommes vigilants en ce qui concerne le genre de lois ou de mesures gouvernementales qui pourraient étouffer ces manifestations. Il est certain que dans les cas où il y a un risque de violence physique ou quand une partie prétend que ses droits de propriété sont violés au point où il devrait y avoir une injonction du tribunal, ces procédures et ces infractions criminelles sont à la disposition des autorités ou des acteurs privés.
Si, effectivement, le comité ou vous-même, sénateur, êtes d’avis que cette disposition est nécessaire pour combler un déficit perçu, nous estimons qu’au minimum, l’adoption des amendements que nous proposons assurerait le maintien de la tradition voulant que les manifestations aient leur place dans notre société libre et démocratique. Nous comprenons qu’il pourrait y avoir différents points de vue politiques à ce sujet, et nous essayons simplement de proposer ce que nous croyons être la meilleure façon de continuer à défendre la liberté d’expression au Canada.
Le sénateur Dean : Merci de vous joindre à nous et de nous donner vos conseils.
En ce qui concerne la Loi sur la transparence et la responsabilité en matière d’influence étrangère — qui est au cœur de vos préoccupations —, j’envisage le critère à trois volets pour l’enregistrement. Je vois la nécessité d’un commettant étranger, et ils sont énumérés. Je vois certaines activités d’influence, qui ont trait à la communication avec certaines personnes et au décaissement d’argent. Je vois la nécessité d’orienter les activités vers l’élaboration de propositions de politiques, les délibérations d’un organe législatif et la prise d’une décision par un titulaire de charge publique. Il faudrait que ces trois critères soient respectés pour qu’il y ait enregistrement. De plus, il y a un libellé dans le projet de loi qui dit que cela ne s’applique d’aucune façon aux manifestations et à la dissidence organisées comme nous la comprenons habituellement.
J’ai de la difficulté à comprendre pourquoi vous n’êtes pas déjà protégés ici, mais il y a peut-être quelque chose qui m’échappe. Je comprends votre préoccupation. Je ne vois tout simplement pas où se situent les préoccupations dans le contexte des propositions.
Mme Bussières McNicoll : Je vous remercie de cette question. Je vais répondre, avec tout le respect que je vous dois, à la partie 4 du projet de loi, qui porte sur le registre sur l’influence étrangère et la transparence, dans lequel il y a une exigence — comme vous l’avez dit — selon laquelle une personne doit avoir des relations avec un commettant étranger. Cependant, la définition de « commettant étranger » est extrêmement large et comprend une entité économique étrangère, c’est-à-dire toute entité qui est contrôlée en droit ou en fait ou qui appartient substantiellement à un État étranger ou à un groupe d’États étrangers. Cela pourrait englober beaucoup plus qu’un État étranger ou une puissance étrangère, mais aussi des organisations internationales composées d’États membres, de médias d’État étrangers ou financés par un État, d’organismes caritatifs et d’établissements d’enseignement comme les universités.
En ce qui concerne l’obligation d’agir dans le cadre d’un arrangement, l’arrangement peut être très vaste et comprend un engagement de communiquer ou diffuser par quelque moyen que ce soit, notamment les médias sociaux, des renseignements. Encore une fois, c’est extrêmement large. Il ne s’agit pas seulement de communiquer avec le titulaire d’une charge publique ou de distribuer de l’argent.
Enfin, il y a les critères pour agir sous la direction d’un commettant étranger, mais aussi en association avec un commettant étranger. « En association avec » n’exige aucun lien ou rapport de subordination entre la personne et l’entité étrangère.
Par conséquent, avec toutes ces définitions très larges réunies — et aussi le fait qu’en vertu de la loi, nous ne savons pas quel type de renseignements il faudrait fournir en vertu du registre —, on craint certainement que ce registre puisse être utilisé pour supprimer ou, à tout le moins, refroidir et surveiller l’engagement international au lieu de son objectif déclaré, qui consiste à s’opposer à l’influence et à l’ingérence étrangères et à les atténuer.
Le sénateur Dean : D’accord. Merci.
Le sénateur Cardozo : Ma question s’adresse à Me Boparai de l’Organisation mondiale des Sikhs du Canada. Si je comprends bien, plusieurs communautés de la diaspora réclament depuis un certain temps un registre de l’ingérence étrangère. Je comprends les points que vous avez soulevés. Vous n’avez pas beaucoup parlé du registre. Je me demande ce que vous en pensez. Ma question porte précisément sur la question de savoir si les acteurs malveillants s’inscriraient ou non, étant donné que si des gens viennent ici à des fins malveillantes, ils ne voudront peut-être même pas s’inscrire. En quoi le registre est-il utile à cet égard?
Me Boparai : Je vous remercie de la question.
Je pense que le registre de l’ingérence étrangère est un pas en avant. C’est plus que ce que nous avons actuellement. Va-t-il tout englober? Je ne pense pas que ce soit réaliste.
Cependant, nous appuyons les recommandations de Démocratie en surveillance. Nous croyons que le commissaire doit être indépendant et que des changements doivent être apportés pour veiller à ce qu’il ne soit pas nommé et congédié selon le bon vouloir du Cabinet. Nous croyons que le mandat de sept ans devrait être un mandat unique de sept ans qui ne devrait pas être écourté. Comme je l’ai dit, nous appuyons les autres recommandations de Démocratie en surveillance.
Le sénateur Cardozo : Pour ce qui est de la nomination du commissaire, à l’heure actuelle, c’est le gouverneur en conseil, et il y a aussi les sous-commissaires qui seraient des nominations dans la fonction publique qui, je suppose, seraient faites par le commissaire. Au lieu du gouverneur en conseil, quelle serait votre préférence?
Me Boparai : Ce serait par le Parlement. En toute honnêteté, ce qui nous inquiète, ce sont les situations qui se sont déjà produites, c’est-à-dire — encore une fois — l’utilisation des relations internationales pour ignorer ou camoufler des situations d’ingérence étrangère. Je veux dire, le rôle de l’Inde est ce que nous avons vécu au cours des quatre dernières décennies, mais même quand la Commission sur l’ingérence étrangère a été appelée, l’Inde n’a pas été nommée parmi les pays. C’était la Chine, la Russie et l’Iran. Cependant, au cours des délibérations, on a appris que tout le monde savait que l’Inde était le deuxième intervenant étranger en importance au Canada. Encore une fois, on ne le sait pas pour des raisons de relations internationales. Par conséquent, nous ne voulons pas que des considérations politiques et des considérations liées aux relations internationales occultent la réalité de l’ingérence étrangère ici, au Canada.
Le sénateur Cardozo : D’accord. Merci.
[Français]
Le vice-président : Je vois qu’il n’y a pas d’autres questions. Cela met fin au temps que nous avions avec ce groupe de témoins. Nous remercions M. Rahim, Mme Bussières McNicoll et Me Boparai du temps qu’ils ont pris pour nous rencontrer aujourd’hui.
Nous allons suspendre brièvement la séance, le temps d’accueillir nos prochains témoins. Nous reviendrons à 17 h 30.
Nous poursuivons notre examen de la teneur du projet de loi C-70, Loi concernant la lutte contre l’ingérence étrangère.
Nous accueillons maintenant notre quatrième groupe de témoins. Je souhaite la bienvenue à M. Sherap Therchin, directeur général, Comité Canada Tibet, M. Mehmet Tohti, directeur général, Projet de défense des droits des Ouïghours, et Mme Katherine Leung, conseillère politique, Hong Kong Watch.
Je souhaite la bienvenue à chacun d’entre vous et vous invite à faire vos déclarations préliminaires. Nous commençons par M. Tohti.
Dès que vous êtes prêt, la parole est à vous.
[Traduction]
Mehmet Tohti, directeur général, Projet de défense des droits des Ouïghours, à titre personnel : Merci, monsieur le président, et merci, honorables sénateurs. Je vous remercie de me donner l’occasion de témoigner aujourd’hui sur cette question cruciale et urgente de la lutte contre l’ingérence étrangère.
En ma qualité de fervent défenseur du peuple ouïghour et contre le génocide perpétré par le Parti communiste chinois contre mon peuple dans ma patrie, l’ingérence étrangère de l’État chinois a eu une incidence considérable sur ma propre vie ici au Canada. La répression chinoise et les nouveaux efforts visant à faire taire la dissidence ont tenté d’entraver mon militantisme et de m’intimider pour que je renonce à parler de la destruction de ma famille, de mes amis et de ma communauté.
Bien que nous soyons un groupe ethnique principalement musulman résidant au Turkistan oriental, que la Chine appelle la région autonome ouïghoure du Xinjiang, les Ouïghours ont été soumis à l’internement massif, au travail forcé, à la surveillance, à la stérilisation, à la torture, à la répression de la pratique religieuse et à l’endoctrinement politique en Chine par le Parti communiste chinois, ou PCC.
La répression par la Chine contre la communauté ouïghoure s’étend au-delà de ses frontières. Les deux communautés en Chine et la diaspora ont été férocement ciblées. Le Canada n’a pas été un refuge sûr contre la répression transnationale exercée par le gouvernement chinois.
De nombreux Ouïghours, y compris moi-même, ont été surveillés, harcelés et intimidés intensément. J’aimerais vous rappeler Huseyin Celil, un étudiant canadien d’origine ouïghoure qui a été enlevé en Ouzbékistan il y a 17 ans et introduit clandestinement en Chine par le gouvernement chinois et condamné à l’emprisonnement à perpétuité. Sa famille, quatre enfants, à Burlington, et le plus jeune — ou tous les enfants, ils ne savent pas si leur père est vivant ou mort.
J’ai reçu des appels et des messages menaçants à de nombreuses reprises, juste avant la tenue d’un événement important. J’ai été suivi et piraté. Même si je suis Canadien, le gouvernement chinois a tenté de restreindre mes droits à la liberté d’expression et de réunion.
Le récent rapport du Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement définit ainsi la « répression transnationale » :
[…] l’exercice d’un contrôle sur une communauté ethnoculturelle par un État étranger au moyen de la surveillance, de la coercition, du harcèlement, de l’intimidation ou de la violence. Les États emploient un éventail diversifié de techniques du métier pour exercer une répression, notamment par la collecte de renseignements humains, la surveillance en ligne, les cyberattaques, la coercition par intermédiaire interposé, le contrôle de la circulation par la prestation sélective des services consulaires [...] le harcèlement et les menaces de violence, les menaces proférées contre les membres de la famille et les blessures qui leur sont infligées, le rapatriement forcé et, dans certains cas, la violence physique.
Depuis des décennies, les Ouïghours canadiens sont témoins de tous ces exemples de répression transnationale. À cet égard, le projet de loi C-70 est une réponse [difficultés techniques] du gouvernement du Canada à l’expérience de répression transnationale de ma communauté. C’est la première étape dans la lutte contre l’ingérence étrangère et la protection des citoyens canadiens contre la répression transnationale.
En ma qualité de défenseur des droits de la personne, je suis convaincu que l’application plus large et la couverture de certains actes de répression transnationale contre les militants des droits de la personne prévues par les modifications proposées dans le projet de loi C-70 permettront de mieux protéger le plein exercice, sans entrave, de mes droits démocratiques au Canada.
La modification proposée dans le projet de loi C-70 favorisera la collaboration entre les Canadiens afin de contrer efficacement les menaces à la sécurité du Canada et de protéger de façon plus générale les communautés de la diaspora au Canada.
L’élargissement de la communication de renseignements à toute personne, et pas seulement à un titulaire de charge publique, si elle est jugée essentielle dans l’intérêt public, permettra une plus grande transparence bureaucratique. En renforçant la capacité du SCRS de remplir ses fonctions importantes, on renforce aussi la confiance des Canadiens dans l’organisme et dans sa capacité de détecter des menaces d’agents étrangers, y compris chinois, ainsi que de les prévenir et de les contrer.
Nécessairement, l’accent mis par le projet de loi C-70 sur la coopération internationale dans le cadre de [difficultés techniques] est une tactique cruciale et puissante pour contrer la portée mondiale de régimes autoritaires comme la Chine. Je me réjouis de la création proposée d’un registre de transparence en matière d’influence étrangère, qui améliorera l’efficacité de la protection des communautés vulnérables de la diaspora, et de la nomination proposée d’un commissaire à la transparence en matière d’influence étrangère.
Je serai heureux de répondre à vos questions. Merci.
[Français]
Le vice-président : Merci, monsieur Tohti. Nous allons maintenant entendre M. Therchin. La parole est à vous, monsieur Therchin.
[Traduction]
Sherap Therchin, directeur général, Comité Canada Tibet : Bonjour et merci, monsieur le président, bonjour et merci, mesdames et messieurs les membres du comité. Je suis très heureux d’avoir l’occasion de vous parler aujourd’hui de l’importante question de la lutte contre l’ingérence étrangère. Je tiens à remercier toutes les personnes concernées d’avoir pris cette question au sérieux et d’avoir établi un processus détaillé pour élaborer des contre-mesures.
Mon exposé d’aujourd’hui portera sur la partie 1 du projet de loi C-70, en rapport avec l’examen du projet de loi par Sarah Teich et Hannah Taylor. Bien que l’examen conclue que bon nombre des modifications sont encourageantes, il met en évidence une limite. Le projet de loi C-70 ne propose pas l’ajout d’une définition de « répression transnationale » à toute loi qu’il vise à modifier ou à promulguer.
Une brève note sur l’ingérence étrangère et l’oppression transnationale. Bien qu’elles soient liées, la différence semble être qu’elles ciblent des groupes différents. La documentation disponible sur le sujet laisse entendre que l’ingérence étrangère cible généralement les structures étatiques, cherchant à influer sur les processus gouvernementaux et politiques, tandis que la répression transnationale cible les groupes de la diaspora comme les Tibétains et les Ouïghours, visant à réduire la dissidence au silence et à contrôler l’opposition au sein de ces communautés.
Pour définir la « répression transnationale », il est essentiel de reconnaître et de contrer les tactiques particulières utilisées par les États étrangers pour faire taire la dissidence parmi les communautés de la diaspora. Cette répression peut prendre diverses formes, notamment le harcèlement, la surveillance, les menaces, la coercition et la violence physique. Les États autoritaires, comme la République populaire de Chine, ou RPC, utilisent couramment ces tactiques pour contrôler la dissidence et l’opposition au-delà de leurs frontières. La répression transnationale par la RPC est un phénomène bien documenté qui touche plusieurs groupes, dont la diaspora tibétaine.
Le Parti communiste chinois utilise diverses méthodes pour exercer un contrôle et réprimer l’activisme et l’identité tibétains dans le monde entier. Voici quelques tactiques clés :
Surveillance et intimidation. La République populaire de Chine s’est livrée à une vaste répression transnationale contre les quelque 150 000 Tibétains vivant à l’extérieur du Tibet, dont un grand nombre sont des fugitifs en Asie du Sud. Cette répression comprend le harcèlement, la surveillance et la coercition visant à réduire au silence et à contrôler la diaspora tibétaine. Selon le département d’État des États-Unis, la communauté tibétaine à l’étranger a souvent fait face à des cyberattaques, à des tentatives d’hameçonnage et à de l’intimidation en ligne, actions qui auraient été orchestrées par le gouvernement de la RPC. Freedom House a fait état d’attaques incessantes d’hameçonnage et de piratage contre des Tibétains en exil, tandis que Safeguard Defenders a souligné que les autorités de la République populaire de Chine ont proféré des menaces de mort pour forcer les Tibétains à garder le silence ou à retourner au Tibet.
En 2019, le leader étudiant canado-tibétain, Chemi Lhamo, a reçu une menace de mort qui provenait probablement de diplomates chinois au Canada.
Deuxièmement, la coercition par intermédiaire. Les autorités chinoises menacent ou blessent fréquemment au Tibet des parents de Tibétains en exil afin d’exercer un contrôle sur la diaspora. Cette méthode garantit que les militants exilés sont réduits au silence ou forcés de se conformer aux exigences du PCC, par crainte pour leurs proches.
La Fondation Jamestown a fait remarquer que les consulats chinois ont rassemblé les données sur les membres de la famille qui demandent un visa, et ce, afin d’identifier et de cibler les Tibétains dans les régions de la RPC, y compris au Tibet, et que le gouvernement a obligé les Tibétains au Tibet à exercer des pressions sur les membres de la famille qui demandent l’asile à l’étranger pour qu’ils retournent chez eux. C’est quelque chose que nous avons observé au Canada également, mais ils ne veulent pas parler parce qu’ils ont encore de la famille au Tibet.
Troisièmement, l’infiltration et la désinformation. Le PCC infiltre les communautés et les organisations de la diaspora tibétaine en utilisant des espions et des personnes cooptées pour semer la méfiance, répandre de fausses informations et saper les réseaux de solidarité.
Un incident notable concerne la distribution d’une fausse lettre, avec une fausse signature de l’honorable premier ministre Justin Trudeau, faisant la promotion du discours de la RPC sur le Tibet en 2019. Cela a consterné la coalition des groupes tibétains au Canada. Ces actions visent à créer de la confusion, à miner la confiance au sein de la communauté et à perturber les efforts de défense des droits des Tibétains. Ces activités nuisent à la capacité de la communauté de s’organiser et de s’unir pour défendre ses intérêts.
En 2018, la RPC a nommé des délégués de la Région autonome du Tibet pour témoigner devant le Comité des affaires étrangères. Un membre du comité a posé une question sur des enjeux clés liés aux droits de la personne, comme les allées et venues du chef religieux du Tibet, le panchen-lama, qui a été enlevé à l’âge de six ans. Le témoin, qui représentait le gouvernement chinois et qui a témoigné devant le comité, a dit qu’il ne voulait pas être dérangé.
J’aimerais formuler quelques recommandations. L’intégration d’une définition claire de la répression transnationale dans le projet de loi C-70 améliorerait la capacité du Canada de lutter efficacement contre l’ingérence étrangère. Elle fournirait une base juridique pour recenser les activités de répression transnationale et intenter des poursuites en conséquence, protégeant ainsi les communautés de la diaspora contre le harcèlement et la coercition auxquels se livrent des États étrangers.
Premièrement, incluez une définition exhaustive de la répression transnationale qui englobe toutes les formes de coercition et de contrôle extraterritoriaux utilisées par des États étrangers contre les communautés de la diaspora.
Deuxièmement, renforcez les mécanismes de surveillance et de poursuite. Renforcer les dispositions de la Loi sur le SCRS et du Code criminel afin de permettre une surveillance rigoureuse des activités de répression transnationale et des poursuites contre ces dernières, en veillant à ce que leurs auteurs répondent de leurs actes.
Troisièmement, il faut soutenir les victimes et les communautés. Mettez en place des mécanismes, y compris des fonds spécialisés, pour soutenir et protéger les communautés de la diaspora, en fournissant des ressources et de l’aide aux personnes touchées par la répression transnationale.
Enfin, favorisez la collaboration internationale pour lutter contre la répression transnationale, en collaborant avec des alliés pour élaborer des réponses coordonnées et faire part de pratiques exemplaires.
[Français]
Le vice-président : Merci beaucoup, monsieur Therchin. Nous allons poursuivre avec Mme Leung.
Madame Leung, la parole est à vous.
[Traduction]
Katherine Leung, conseillère en politique, Hong Kong Watch : Aujourd’hui, je réitère le message clé que j’ai transmis à vos homologues de la Chambre des communes. Hong Kong Watch appuie l’adoption rapide de la Loi concernant la lutte contre l’ingérence étrangère afin qu’elle soit en vigueur avant les prochaines élections.
Bien que nous appuyions le projet de loi dans son ensemble, j’aimerais souligner deux amendements clés qui renforceraient la capacité du projet de loi de s’attaquer de façon exhaustive à la nature multidimensionnelle de l’ingérence étrangère.
Le projet de loi C-70 vise à contrer l’ingérence étrangère au Canada et répond aux préoccupations soulevées par les communautés de la diaspora au sujet de l’ingérence étrangère et de l’intimidation. Le projet de loi fournit de nouveaux outils aux gouvernements, y compris un registre des agents étrangers, de nouvelles infractions liées à l’ingérence étrangère et de meilleures capacités d’échange d’information pour le SCRS. Alors que ces mesures commencent à s’attaquer à la répression transnationale, la portée du registre des agents étrangers devrait être élargie pour couvrir les activités au-delà des processus politiques et gouvernementaux.
La partie 2 du projet de loi présente les mesures nécessaires pour lutter contre l’ingérence étrangère, y compris la création de nouvelles infractions pour les actes trompeurs qui minent les processus démocratiques et nuisent aux intérêts canadiens. Ces modifications reconnaissent que l’ingérence étrangère cible souvent des personnes à la base, influant indirectement sur nos processus et nos intérêts démocratiques. Le projet de loi indique à juste titre que l’intimidation, les menaces et la violence sont des tactiques utilisées par des entités étrangères pour réduire au silence la dissidence au sein des communautés de la diaspora, mais nous appuierions un amendement visant à ajouter à cette liste la tactique de la discrimination.
La discrimination est une autre méthode utilisée pour réprimer la dissidence des communautés de la diaspora. Il y a eu des cas où des personnes au Canada ont perdu leur emploi ou ont été expulsées en raison de leurs opinions politiques. L’ajout de la discrimination à la liste des activités interdites en vertu de l’article 20 de la Loi sur la protection de l’information permettrait au projet de loi de mieux s’attaquer à tous les types d’ingérence étrangère.
Dans le cadre de mon travail à Hong Kong Watch, j’examine les problèmes auxquels fait face la diaspora de Hong Kong au Canada. J’ai publié deux documents d’information qui comprennent des études de cas de Hongkongais qui ont fait l’objet de menaces et d’intimidation en sol canadien pour avoir exercé leurs droits garantis par la Charte de défendre la liberté et la démocratie à Hong Kong.
Un de ces cas est celui d’un Hongkongais qui, après avoir participé à un rassemblement prodémocratie, a été expulsé par son propriétaire, qui était lié au Parti communiste chinois. Selon le libellé actuel du projet de loi, de telles activités ne déclencheraient pas l’inscription d’un agent étranger.
L’ingérence étrangère prend de nombreuses formes, pas seulement l’ingérence directe dans les élections ou les dons aux campagnes politiques. L’ingérence étrangère au niveau de la communauté a pour effet de décourager les Canadiens de s’exprimer sur des questions qui leur tiennent à cœur, ce qui fait que les élus n’entendent pas parler de ces questions. C’est pourquoi il est important d’étendre les exigences d’inscription au registre de transparence en matière d’influence étrangère non seulement aux processus politiques et gouvernementaux, mais aussi aux activités visant à supprimer le discours public, influant ainsi indirectement sur les processus démocratiques.
Pour que les élus puissent représenter pleinement leurs électeurs, il est essentiel que les Canadiens puissent exprimer librement leurs points de vue sans crainte de représailles. L’élargissement de la portée du registre des agents étrangers est essentiel pour contrer les menaces et protéger la participation démocratique.
En conclusion, bien que j’aie formulé plusieurs recommandations d’amendements visant à renforcer le projet de loi C-70, j’exhorte le Sénat à adopter rapidement le projet de loi. Il donnerait au Canada un cadre beaucoup plus solide pour lutter contre l’ingérence étrangère que celui que nous avons actuellement, et il faudrait qu’il soit en place avant les prochaines élections.
Je vais m’arrêter ici. Merci.
Le vice-président : Merci, madame Leung. Nous passons maintenant aux questions.
Le sénateur Housakos : Merci à nos témoins. Vous êtes les intervenants qui m’inspirent à faire le travail que je fais au Sénat. Je vous remercie de tout ce que vous faites.
Nous venons tous au Canada, que nous soyons immigrants ou enfants d’immigrants, pour la liberté, les droits de la personne et la primauté du droit. Nous nous attendons à ce que notre gouvernement nous protège contre des forces malveillantes partout dans le monde.
Je m’excuse au nom du Sénat et de mes collègues, monsieur Tohti, parce que, comme vous le savez, ma motion visant à reconnaître ce qui est arrivé au peuple ouïghour a été rejetée au Sénat, la seule Chambre de la démocratie occidentale à avoir rejeté une telle motion. C’est honteux et je m’en excuse.
L’un de mes projets de loi, le projet de loi S-204, qui vise à interdire tous les produits fabriqués au Xinjiang par des travailleurs esclaves ouïghours, a été ajourné dans la chambre. Comme vous le savez, la majorité des sénateurs nommés par le gouvernement continuent de mettre ce projet de loi sur la glace.
Nous avons enfin un projet de loi sur un registre des agents étrangers, qui est en retard de trois ans parce que, comme vous le savez, le projet de loi S-237 a également été ajourné par une majorité de sénateurs ministériels.
Malgré tout cela, j’aimerais que nos témoins donnent à mes collègues des exemples concrets de la façon dont des intermédiaires, au nom d’organisations totalitaires malveillantes, utilisent ces intermédiaires pour intimider des Canadiens, en utilisant leur famille à Hong Kong, en Chine continentale et au Xinjiang, et la façon dont cette opération est menée par le Département du Travail du Front uni.
M. Therchin : Merci, sénateur. C’est un moment inoubliable dans la mémoire des Canadiens ouïghours lorsque le Sénat a voté contre le génocide ouïghour. C’est la mémoire de nombreux Canadiens ouïghours qui ont perdu leurs parents, des membres de leur famille, dont moi-même et 37 membres de ma famille, simplement à cause du génocide ouïghour, y compris ma mère ainsi que mes frères et sœurs.
Selon une nouvelle étude, plus de 800 000 enfants ouïghours ont été enlevés à leurs parents et placés dans des orphelinats parrainés par le gouvernement pour un endoctrinement forcé et une transformation — ce que le gouvernement de la Chine a appelé une transformation —, passant d’Ouïghour à Chinois Han.
Cela devrait être un signal d’alarme pour chaque sénateur et, malheureusement, certains sénateurs votent contre.
Encore une fois, vous avez raison en ce qui concerne le registre des agents étrangers, c’est la campagne sur laquelle les Ouïghours, les Tibétains et les Hongkongais ont travaillé pendant une décennie, parce que comme victimes de l’oppression transnationale et de l’influence étrangère, nous pensions que le Canada serait mieux servi s’il avait un tel système, comme ce fut le cas pour les États-Unis, le Royaume-Uni et d’autres alliés. Maintenant, c’est la conversation nationale et nous recommençons.
J’espère que de nombreux sénateurs et représentants élus ouvriront les yeux pour se rendre compte de l’ampleur de l’ingérence étrangère dans nos trois ordres de gouvernement, y compris la Chambre et le Sénat. L’étude en cours de la Commission sur l’ingérence étrangère et les discussions publiques sur cette question devraient être un bon rappel pour tous les sénateurs d’ouvrir les yeux. Il faut faire quelque chose au sujet de l’ingérence du Parti communiste chinois, non seulement dans le processus démocratique du Canada, mais aussi dans ma sécurité et celle de nombreux Canadiens.
Le sénateur Kutcher : Je remercie les témoins de leur présence. Il est clair que vos expériences communes concernent les activités extraterritoriales pernicieuses de la RPC et le Département du Travail du Front uni. Vous nous avez dit que le projet de loi ne traite pas adéquatement de l’oppression transnationale et vous avez fait des suggestions très utiles. Je vous en remercie.
J’ai deux questions, et je vais commencer par Mme Leung. Premièrement, le projet de loi s’attaque-t-il adéquatement à la désinformation fournie aux communautés de la diaspora par le Département du Travail du Front uni? Deuxièmement, craignez‑vous que la GRC n’ait pas la capacité de protéger les communautés de la diaspora contre ces acteurs étatiques malveillants?
Mme Leung : Je vous remercie de la question. Pour ce qui est de la désinformation, je ne crois pas que le projet de loi traite directement de cette question. Si on voulait contrer la désinformation du Département du Travail du Front uni, il faudrait regarder les réseaux d’ondes de propagande chinoise qui sont sur les ondes canadiennes, comme CGTN. De la même façon que le Canada a interdit RT sur les ondes canadiennes, je pense que nous avons toutes les raisons de le faire avec CGTN également.
Une autre façon dont le Département du Travail du Front uni dissipe cette information au Canada est en utilisant WeChat. Maintenant, WeChat est notoirement difficile à réglementer parce qu’il ne fonctionne pas de la même façon que les plateformes de médias sociaux de l’Ouest, comme Facebook, Instagram, etc. Nous, les Canadiens, devons réfléchir à la façon de nous attaquer à ce problème.
Le sénateur Kutcher : Pensez-vous que la GRC a la capacité de protéger vos communautés de la diaspora?
Mme Leung : D’après mes conversations avec la GRC, je sais qu’elle fait ce qu’elle peut, compte tenu des limites. Je vais bientôt avoir une rencontre avec la GRC où nous allons la mettre en contact avec la communauté de Hong Kong et nous allons demander à cette dernière de lui dire comment faire face à la répression transnationale.
Ce que j’ai entendu, c’est qu’à l’heure actuelle, il est très difficile de poursuivre ceux qui ont essentiellement exercé une répression transnationale contre les Hongkongais. Par exemple, dans le cas dont j’ai parlé plus tôt, où le propriétaire a expulsé une personne prodémocratie au Canada et où le propriétaire est membre du Front uni, je ne crois pas que la GRC puisse intenter des poursuites. C’est la lacune que je constate actuellement dans mon travail.
Le sénateur Kutcher : Merci. Pourrions-nous entendre les autres témoins sur cet autre point?
M. Therchin : Merci. J’aimerais parler de la désinformation dans le contexte de la répression transnationale parce qu’elle a un effet sur la répression de la diaspora, y compris au Canada. Par exemple, en mars, nous avons organisé une conférence à l’Université d’Ottawa en collaboration avec l’ambassade des États-Unis ici, avec la participation de la sous-secrétaire américaine Uzra Zeya. Le sujet était l’assimilation forcée des enfants tibétains dans les pensionnats.
Quelques jours à peine après cet événement, l’ambassade de Chine a envoyé un courriel contenant des renseignements sur le fait que les sujets qui ont été abordés lors de l’événement à l’Université d’Ottawa ne sont pas vrais, faisant essentiellement la promotion de la désinformation sur la question que nous soulevons depuis un an et demi.
Pour des activistes comme moi, cela crée un sentiment de peur, plus que simplement un seul événement. L’idée d’être constamment surveillé, la crainte que crée la RPC — ce n’est pas facile pour moi de témoigner, même si je le fais parce que je suis très près d’une question qui touche tous les Tibétains. Quand bien même j’aimerais parler sur n’importe quelle plateforme de telles questions, je sais que cela aura une incidence sur mon avenir également parce que, compte tenu de l’impact et de l’influence de la Chine, le fait de parler sur n’importe quelle plateforme comme celle-ci rend les choses très difficiles pour mon propre avenir. Mais je le fais tout de même parce qu’il faut dénoncer l’ingérence étrangère et l’oppression transnationale...
[Français]
Le vice-président : Merci, monsieur Therchin.
Le sénateur Carignan : Je voudrais que vous poursuiviez votre réponse à la question du sénateur Housakos et que vous donniez des exemples précis de ce que vous avez vécu avec votre mère, notamment. Pouvez-vous nous donner des exemples précis?
[Traduction]
M. Tohti : Le 16 janvier, tôt le matin — mon bureau se trouve au coin des rues Albert et Metcalfe, à deux coins de rue au sud de Wellington —, au moment où j’arrivais au bureau à 8 h 30, j’ai reçu un appel. C’était un numéro WhatsApp de Hong Kong. J’ai pris le téléphone et, à l’autre bout du fil, ce n’était pas quelqu’un de Hong Kong. C’était la police d’État chinoise.
Le frère de ma mère, mon oncle, était à leurs côtés. C’était la première fois que j’avais l’occasion de parler à quelqu’un de mon cercle familial parce que ma communication avec ma mère et tous les membres de ma famille a été interrompue depuis le 23 octobre 2016. J’ai saisi ce moment et j’ai posé des questions à la police : où est ma mère? Pourquoi ne puis-je pas lui parler? Où sont mes frères, mes sœurs? Pourquoi ne puis-je pas communiquer avec eux?
À ce moment-là, on m’a dit que ma mère était morte, que mes deux sœurs étaient mortes et que mes trois frères — ils ont dit qu’ils ne le savaient pas. J’ai dit comment ne pouvaient-ils pas le savoir; c’est la police d’État.
Qu’en est-il de leurs conjoints, de leurs enfants et de mes frères, sœurs, parents? C’était une dure réalité, une cruelle réalité. J’ai appris que ma mère et bon nombre de membres de ma parenté n’étaient déjà plus. C’était deux semaines avant que la motion 62, ou M-62, ne soit mise aux voix au Parlement. Le gouvernement chinois voulait me donner un message clair : si vous continuez, les autres membres de votre parenté connaîtront le même sort.
De même, le 20 juillet 2020, à peine trois heures avant mon témoignage à la Chambre des communes, j’ai reçu un message. « Ta mère est morte. » Seulement trois heures avant mon témoignage. Et j’ai souvent reçu ce genre de message.
L’an dernier, le 3 juillet, nous étions dans un restaurant de Montréal et nous prévoyions tenir le sommet ouïghour au Québec. Nous avons terminé notre souper et nous nous sommes éloignés du restaurant en voiture. J’ai reçu un appel d’un de nos amis proches d’Affaires mondiales. Il a dit : « Mehmet, votre voiture est suivie. Soyez prudents. » Nous avons fait des virages brusques et sommes revenus à l’hôtel. J’ai rappelé ce fonctionnaire. Il a dit : « deux voitures nous suivaient. J’ai essayé d’intervenir, mais leur plaque d’immatriculation était couverte. » Au Canada, à Montréal.
Ce n’est pas une blague. L’ingérence étrangère n’est pas une blague. Je rappelle à tous les sénateurs et à tous les parlementaires qu’il s’agit de notre vie. Il s’agit de nos familles. Il s’agit des membres de notre parenté. Nous ne devrions pas dormir. Il y a des acteurs hostiles actifs au Canada qui créent une menace, un risque de mort tous les jours, qui s’ingèrent dans nos vies et prennent en otage les membres de notre famille, qui nous forcent à vivre une vie que nous ne voulons pas.
C’est une question sérieuse. J’exhorte donc tous les sénateurs à mettre la main sur le cœur, à se mettre à notre place et à agir en conséquence. Merci.
Le vice-président : Merci, monsieur Tohti.
Le sénateur Cardozo : Merci, monsieur Tohti, de votre réponse passionnée et de l’information que vous nous avez communiquée.
J’aimerais demander à M. Tohti et à M. Therchin s’ils sont préoccupés par leur présence ici aujourd’hui. Pensez-vous qu’il y aura des répercussions?
Vous avez tous les deux parlé de rapatriement forcé. Pourriez‑vous nous donner plus de renseignements ou des exemples sur la façon dont cela se fait?
M. Therchin : Plus tôt, je parlais davantage dans un contexte qui ne se limite pas à une seule comparution et un seul témoignage, comme aujourd’hui, mais en général, quand vous parlez publiquement de questions importantes comme celle-ci. Nous savons — et je pense que tout le monde dans cette salle sera d’accord — qu’il y a suffisamment de preuves de l’ingérence étrangère de la Chine au Canada.
Pour quelqu’un comme nous qui parle de cette question, que la Chine considère comme une menace pour elle, cela crée un sentiment de menace pour nous aussi, sachant qu’il y a des postes de police chinois au Canada, sachant qu’ils infiltrent tous les ordres de gouvernement, pas seulement le gouvernement, comme je l’ai mentionné plus tôt, qu’ils ne ciblent pas seulement la structure étatique, mais aussi la communauté de la diaspora par l’oppression transnationale.
La Chine a créé un climat de peur pour tout le monde, pas seulement pour les militants. Pour ce qui est des militants, j’ai certainement peur, même si ma famille est ici. Je n’ai pas de membres de ma famille immédiate au Tibet, mais je peux dire que, même si ma famille vit dans des pays indépendants et libres comme le Canada, j’ai toujours cette crainte.
Beaucoup de Tibétains à Toronto et ailleurs au Canada ont des membres de leur famille au Tibet. Ils ne vous parleront pas de ces questions parce qu’ils craignent que, s’ils vous parlent, leur famille au Tibet subira des répercussions.
Le sénateur Cardozo : Pouvez-vous nous donner un exemple de la façon dont le rapatriement forcé est effectué?
M. Tohti : Permettez-moi de poursuivre dans la même veine. Je vais vous donner un autre exemple. J’ai quitté ma ville natale en 1991. Dans toute ma vie, j’ai fait deux choses : j’ai écrit des choses et j’ai parlé de choses. Ce sont deux fonctions fondamentales de l’humanité.
Pour cette raison, je suis totalement isolé de ma mère, de ma parenté et de tous mes frères et sœurs depuis 34 ans. Aucun membre de ma famille ne peut venir me voir au Canada, et je ne peux pas retourner là-bas. C’est le prix que nous avons payé et que nous payons encore.
Il y a beaucoup de Canadiens ouïghours, pas seulement moi, qui font partie de la diaspora ouïghoure. Je vous ai donné l’exemple de Hussein Jalil. Il est allé en Ouzbékistan, pas en Chine, avec son passeport canadien. Il a été enlevé là-bas et conduit clandestinement en Chine, où il a été condamné à perpétuité. Le gouvernement chinois n’a pas reconnu le passeport canadien.
Vous parlez de rapatriement? Nous parlons d’un pays qui ne reconnaît pas votre passeport canadien. Du moment que vous êtes né en Chine, c’est la base du rapatriement. Il y a beaucoup de partenaires du Parti communiste chinois dans le monde, de groupes mafieux et de groupes clandestins. Un libraire de Hong Kong, détenteur d’un passeport suédois, a été ramené clandestinement en Chine. Il est apparu à la télévision et a avoué ses crimes.
Le rapatriement ne se fait pas selon les procédures légales normales. C’est ainsi que fonctionne le gouvernement chinois.
Le sénateur Cardozo : J’imagine que certaines personnes font face à des menaces pour retourner; autrement, les membres de leur famille subiraient un préjudice? Est-ce une pratique courante?
M. Therchin : Oui, c’est une pratique courante. Si vous vous exprimez ici ou dans un contexte public ou autre, et critiquez le gouvernement chinois, vous faites face à cette menace et vous devez prendre ce risque.
Si nous ne nous exprimons pas, c’est exactement ce que veut le gouvernement chinois. Vous êtes libres ici. Beaucoup d’entre vous vivent dans ce beau pays parce que quelqu’un d’autre avant vous a payé ce prix pour votre liberté. Si vous ne vous exprimez pas...
Le vice-président : Merci, monsieur Therchin.
La sénatrice M. Deacon : Je vous remercie tous les trois d’être ici. Merci de vos histoires. Nous sommes à l’écoute, et c’est très percutant, alors je respecte le temps que vous prenez pour nous en faire part.
J’aimerais revenir sur les préoccupations concernant la LTRIE, plus précisément l’approche ne tenant pas compte des spécificités des pays qu’elle adoptera. Ce que j’entends, c’est que le genre d’ingérence dont vous êtes victime signifie que même si elle était ciblée, les gens n’auraient pas à vous intimider et à vous influencer pour vous inscrire de toute façon. Est-ce exact?
M. Tohti : Je n’ai pas compris votre question.
La sénatrice M. Deacon : Je vais essayer de nouveau. Compte tenu de l’approche ne tenant pas compte des spécificités des pays qu’elle adoptera, ce que j’entends, c’est que le genre d’ingérence dont vous faites l’objet signifie que même si elle était ciblée, les gens qui essaient de vous intimider et de vous influencer ne seraient pas tenus de s’inscrire de toute façon.
M. Tohti : Mme Leung est probablement bien placée pour répondre. Je serai bref.
Pour un régime autoritaire comme la Chine, ce pays trouve un moyen, de toute façon, même si vous adoptez le registre. Mais l’adoption du registre enverra un signal, et c’est un facteur de dissuasion. Ce n’est pas la panacée qui réglera tous les problèmes. C’est au moins un outil, et nous devrions l’avoir. Nous devons l’avoir.
La sénatrice M. Deacon : Avant de donner la parole à Mme Leung, pour terminer cette réflexion, alors, avec ce que vous dites, si nous examinons les pouvoirs de communication de renseignements accordés au SCRS en vertu du projet de loi, pensez-vous que la loi va assez loin pour la communauté de la diaspora au Canada? Quel genre de renseignements pensez-vous recevoir qui pourraient être importants pour vous, étant donné qu’il est très clair que vous êtes directement visé par une entité étrangère?
M. Tohti : Tout renseignement est utile. Par exemple, à quel moment la délégation du gouvernement chinois vient et le nombre de fois que les fonctionnaires d’Affaires mondiales m’ont dit qu’il y avait des discussions au sujet de nos activités ici. Les Chinois ont soulevé cette question. De plus, il y a des acteurs non étatiques, des intermédiaires, et leur travail consiste à surveiller nos activités et nos calendriers. Sinon, il est impossible pour le gouvernement chinois de savoir, avec le décalage de 12 heures et la distance de 5 000, 6 000, 10 000 kilomètres, quel sera mon horaire ce matin.
Oui, il y a beaucoup d’intermédiaires. En même temps, il est bien connecté, et le gouvernement chinois a suffisamment de ressources pour gérer tous les intermédiaires et cibler les personnes et les dissidents.
Avec le registre des agents étrangers, le registre à lui seul ne règle pas tout le problème, mais au moins il envoie un signal. Cela a un effet dissuasif. Pour cette raison, en adoptant cette mesure législative, le SCRS nous alerte en même temps s’il y a une menace ou une menace possible. Je devrais savoir si quelqu’un suit ma voiture.
La sénatrice M. Deacon : Merci.
Le sénateur Yussuff : Merci aux témoins d’être là. Il est très important de relater l’expérience vécue, car elle permet de comprendre le contexte du projet de loi et l’aide qu’il peut apporter.
Je pourrais peut-être commencer par Katherine Leung. Reconnaissant que la répression à Hong Kong n’a pas cessé — en fait, j’ai des amis qui sont actuellement en prison à Hong Kong par suite de leurs activités et, plus important encore, leur dénonciation du régime. Ils ont été élus à l’Assemblée législative et ils sont maintenant en prison. Voilà qui en dit long sur la façon dont le gouvernement chinois exige que ces personnes répondent de leurs actes.
La plupart d’entre vous souhaitez que le projet de loi soit adopté le plus rapidement possible, mais, à la lumière de votre expérience, vous avez recommandé des moyens de l’améliorer. Cela lui apporterait-il le mordant que vous voulez, étant donné que l’État chinois est énergique et a le bras long pour faire exécuter ses œuvres par des émissaires? Croyez-vous que même les changements que vous proposez contribueront à atténuer partiellement l’ingérence que vous avez constatée dans la collectivité partout au Canada?
Mme Leung : Je vous remercie de la question. Ce que je retiens surtout du projet de loi, c’est qu’il s’agit d’un premier pas important, mais il ne réglera pas le problème de l’ingérence étrangère. Je ne pense pas qu’un projet de loi, quel qu’il soit, puisse le faire à ce stade-ci parce que l’ingérence étrangère est en constante évolution. Elle s’exerce clandestinement, secrètement et nous n’avons tout simplement aucun moyen de savoir exactement ce qui se fait en territoire canadien. Nous devrons toujours réagir à de nouvelles menaces au fur et à mesure qu’elles surgissent.
Cela dit, je suis d’avis que le projet de loi doit être adopté le plus tôt possible. Le simple fait de savoir que le Canada prend la question au sérieux atténuerait les inquiétudes dans la collectivité, et la création d’un cadre la rassurerait et, espérons‑le, allégerait l’autocensure que nous constatons surtout dans les collectivités hongkongaises.
Il y a toujours place à l’amélioration, mais il est très important que le projet de loi soit en place avant les prochaines élections, parce que les Canadiens méritent de pouvoir élire un gouvernement à l’abri de l’ingérence d’un autre État.
M. Tohti : Comme je l’ai dit dans mon exposé liminaire, le projet de loi est un premier pas dans la bonne direction. Les États-Unis, par exemple, ont un registre des agents étrangers et se sont donné la Uyghur Human Rights Policy Act. Par ailleurs, le Sénat a déjà déposé la Transnational Repression Policy Act.
Une fois le projet de loi adopté, nous ne devrions pas nous arrêter là. Nous ne devrions pas nous contenter de cette étape. Nous devrions passer à la suivante, qui est une loi sur la répression transnationale, à l’exemple de nos alliés.
Ainsi, nous pouvons combler une lacune. Nous pouvons apporter des modifications et mieux colmater les échappatoires qui existaient dans les projets de loi précédents afin d’améliorer les dispositions législatives.
M. Therchin : J’abonde dans le même sens que Mme Leung et M. Tohti. Le choix du moment est essentiel. Comme Mme Leung l’a dit, il serait bien d’adopter le projet de loi avant les prochaines élections. Même si nous avons fait quelques propositions, dont une définition de l’oppression transnationale, le projet de loi contient beaucoup de bonnes modifications, et je suis favorable à son adoption dans les meilleurs délais.
Le sénateur Richards : Merci à tous d’être là. Je vais adresser mes questions à Mme Leung, mais les autres témoins peuvent y répondre.
Lorsque j’étais à Taïwan en octobre, — j’ai eu la chance d’y aller avec un groupe de sénateurs — nous nous sommes rendus dans un bâtiment où un groupe de jeunes, de jeunes adultes, s’employaient à repousser des milliers de cyberattaques en provenance de la Chine.
Y en a-t-il parmi vous qui ont été victimes de cyberattaques personnelles ou intimidantes tout en étant au Canada? Dans l’affirmative, le gouvernement du Canada est-il au courant? L’avez-vous informé?
Madame Leung, vous pouvez répondre, mais les autres témoins peuvent le faire aussi.
Mme Leung : Je vous remercie de la question. J’ai une chance exceptionnelle par rapport à mes collègues, car je n’ai rien vécu de tel ou n’en ai pas pris note. J’ignore ce qui chez moi fait en sorte que je ne sois pas ciblée, mais je n’ai pas été visée par ces attaques.
Je reçois parfois des courriels d’hameçonnage. Je reçois parfois des observations menaçantes, de mauvais goût sur les médias sociaux, mais rien ne me fait vraiment peur. Je n’ai pas d’expérience personnelle comparable à celle de mes collègues qui sont là aujourd’hui.
Mes collègues de Hong Kong Watch ont également reçu des courriels d’hameçonnage et des menaces par courriel, mais cela n’a rien à voir avec ce dont M. Tohti et M. Therchin ont parlé.
Le sénateur Richards : Pourriez-vous répondre à la question, monsieur?
M. Tohti : Nous recevons constamment des cyberattaques, des attaques en ligne et des attaques par des appels téléphoniques provenant directement de Chine et d’ailleurs. Je peux vous donner un exemple digne de mention. Nous avons intenté une poursuite contre l’ASFC, c’est-à-dire l’Agence des services frontaliers du Canada, parce qu’elle n’a pas su exercer sa compétence pour refouler les produits fabriqués par une main-d’œuvre réduite au travail forcé. Avant l’audience officielle du tribunal, mon téléphone cellulaire et mon ordinateur ainsi que le téléphone cellulaire et l’ordinateur de notre conseiller juridique ont été piratés. L’audience a donc été reportée.
Voici un autre exemple. Les Services canadiens d’assistance aux immigrants juifs, groupe torontois, voulaient organiser une collecte de fonds pour parrainer un certain nombre de réfugiés ouïghours. Ils menaient une campagne de financement. Ce webinaire, cette activité en ligne, a été piraté et on lui a substitué de la pornographie répugnante. Tout cela pour une campagne de financement.
C’est beaucoup. Comme je l’ai dit, je reçois constamment ce genre de messages sur Twitter et par appel téléphonique direct. C’est sans arrêt.
Le sénateur Richards : Le gouvernement du Canada est-il au courant?
M. Tohti : Oui, la GRC et le SCRS sont au courant. Ils n’ont aucun moyen de régler le problème.
Le sénateur Richards : Merci.
La sénatrice Patterson : Le projet de loi prévoit également une capacité accrue pour le SCRS de communiquer de l’information aux collectivités de la diaspora. Pensez-vous que ce sera utile? Le projet de loi va-t-il assez loin?
Mme Leung : Je vous remercie de la question.
Toute forme de communication d’information sera utile à la collectivité. Bien souvent, nous ne savons pas à quoi nous faisons face, en quoi au juste consiste la menace ni comment nous pouvons la contrer ou nous protéger.
La transparence est une première étape très importante, car l’ingérence étrangère s’exerce dans la clandestinité et le secret. Les acteurs étrangers peuvent réussir parce que nous ignorons ce qu’ils font. La lumière du soleil étant le meilleur désinfectant, il s’agit certainement d’une première étape efficace.
La sénatrice Patterson : Merci. Si quelqu’un d’autre veut ajouter quelque chose, il ne faut pas hésiter.
M. Therchin : Un mot de l’échange d’information. Certains renseignements ne sont pas nécessairement discrets et confidentiels. Ce sont parfois même des renseignements du domaine public. Par exemple, en 2018, des délégués d’origine tibétaine représentant le gouvernement de la RPC, de la région administrative du Tibet, sont venus témoigner devant le Comité des affaires étrangères. Ce genre de témoignage de représentants de la région tibétaine nommés par le gouvernement chinois, à ma connaissance, ne s’est jamais vu ailleurs qu’au Canada. Nous n’avons appris que deux ou trois jours à l’avance que ce témoignage aurait lieu. Je l’ai vu sur Google. Nous n’avons reçu aucune information au sujet de ces gens qui venaient témoigner devant le Comité permanent des affaires étrangères et du développement international de la Chambre des communes.
C’était important, car leurs propos allaient contredire carrément ce que nous disons au Canada depuis longtemps. Essentiellement, ils étaient là pour relayer la propagande de la République populaire de Chine au sujet du Tibet.
Le sénateur Dalphond : Ma question s’adresse à tous les témoins et je vais peut-être commencer par Mme Leung. L’article 53 du projet de loi modifie l’article 20, qui porte sur l’ingérence étrangère, l’intimidation et les menaces de violence. On ajoute le terme « intimidation ». Est-ce une amélioration qui pourrait être utile? Le problème n’est peut-être pas nécessairement juridique; c’est peut-être une question d’application. Comment voyez-vous les choses?
Avez-vous participé aux consultations sur ces modifications, comme cette partie de l’article 53 et d’autres éléments du projet de loi?
Mme Leung : Je vous remercie de votre question.
Je vais d’abord vous dire que je n’ai pas participé aux consultations. Deuxièmement, nous croyons qu’il serait utile d’ajouter le terme « intimidation » à l’article 20. Plus nous pouvons être précis au sujet des menaces, mieux c’est, mais comme je l’ai dit dans mon exposé liminaire, il serait nécessaire d’ajouter le terme « discrimination » parce que la série « intimidation, menaces ou violence » n’englobe pas toute l’oppression transnationale qui se produit. Et tout ne serait certainement pas englobé, même si le terme « discrimination » était ajouté.
C’est une tactique importante que nous avons vue à Hong Kong, en particulier. Certains perdent leur emploi ou sont expulsés de chez eux à cause d’activités en faveur de la démocratie qui ont eu lieu au Canada, même après leur départ de Hong Kong.
Nous pensons qu’il faut ajouter le terme « discrimination », et qu’il est important d’avoir un libellé précis au sujet des tactiques de répression transnationale.
Le sénateur Dalphond : Avez-vous été consultés ou avez‑vous participé aux discussions sur le nouvel article 20 que nous trouvons à l’article 53?
M. Tohti : Nous ne l’avons pas été. Ce qui est plus important, c’est qu’il existe pour la première fois une définition d’un certain nombre d’infractions. La définition n’est pas suffisante, à mon avis. Elle devrait être codifiée et intégrée au Code criminel une fois qu’elle aura été établie, et peu importe ce qui est considéré comme un crime ou une atteinte aux droits de la personne, comme nous en avons discuté, telle la discrimination fondée sur l’origine ethnique ou religieuse et des choses du genre. Tous ces éléments devraient être inclus ou plus largement définis dans la répression transnationale ou l’ingérence étrangère également, parce que l’ingérence étrangère, comme mon collègue l’a dit, cible des personnes et des groupes particuliers sur la base de...
Le sénateur Dalphond : C’est une façon de faire de l’intimidation.
M. Tohti : Oui, et cela devrait donc être interdit par notre Code criminel.
[Français]
Le vice-président : Nous avons le temps pour une deuxième ronde. Je vous demanderais des questions rapides et des réponses courtes, s’il vous plaît.
[Traduction]
Le sénateur Cardozo : Vous préconisez tous l’adoption du registre sur l’ingérence étrangère. Comment pouvons-nous le renforcer? Certains, qui sont des protagonistes peu recommandables, ne s’inscriront pas automatiquement. Comment pouvons-nous les amener à s’enregistrer? À quoi bon le registre s’ils ne le font pas?
M. Tohti : Mme Leung a souligné un certain nombre de points. J’ajouterai que les États-Unis ont adopté un registre des agents étrangers en 1938 et que l’Australie, le Royaume-Uni et d’autres alliés ont légiféré dans le même sens. Cela étant, si nous examinons le projet de loi, quel est l’avantage du registre? Est-ce un régime solide? Comment pouvons-nous le renforcer? Oui, cela nous permet de bien comprendre la modification.
La sénatrice Cordy : Madame Leung, avez-vous une brève réflexion à nous livrer?
Mme Leung : Oui.
D’après ce que je comprends, le but d’un registre, c’est que les éléments peu recommandables ne s’enregistrent pas, et nous pouvons alors imposer des sanctions, comme des amendes ou même des peines d’emprisonnement, à ceux qui, sans être enregistrés, agissent comme agents étrangers. La dissuasion pour les agents étrangers au Canada? Ils devraient soit dire la vérité sur leur action, soit s’exposer aux conséquences.
Le sénateur Cardozo : D’accord, merci.
Le sénateur Housakos : La démocratie est florissante lorsque nous y participons et l’encourageons. Je peux vous dire, après un certain nombre de rencontres avec des intervenants — des Canadiens qui sont venus de Hong Kong et de la Chine continentale, et des Canadiens d’origine persane —, que je suis toujours frappé de voir que, dans un pays comme le nôtre, après des rencontres et des tables rondes, ils ne veulent pas que nous prenions des photos. Ils ne veulent pas être affichés sur des sites, parce qu’ils ne veulent pas être victimes d’intimidation, ici et dans leur pays. C’est incroyable que vous ayez vécu cela en 2024.
À votre avis, au cours des neuf dernières années, le gouvernement en a-t-il fait assez pour protéger les citoyens canadiens et leur droit de participer à la démocratie?
M. Tohti : Permettez-moi d’intervenir le premier. Lorsque les premiers médias nationaux ont rapporté que j’étais suivi par les agents chinois, c’était en 2007, dans le magazine Maclean’s. Le titre de l’article était le suivant : « Pékin est toujours à l’affût : les Canadiens d’origine chinoise se disent surveillés et intimidés par des espions ». Nous sommes en 2024, 17 ans plus tard.
Il a fallu beaucoup de temps non seulement au gouvernement, mais aussi à la population canadienne, y compris aux législateurs élus et nommés, pour comprendre le phénomène : ingérence étrangère, infiltration par le Parti communiste chinois et influence profondément enracinée au Canada par le biais des affaires, du milieu universitaire, des universités et de plusieurs ordres de gouvernement.
Même si j’ai beaucoup de choses à dire et que je ne crois pas les gouvernements, il a fallu du temps, oui. Au moins, nous saisissons le moment. Nous devons saisir cette occasion et régler le problème une fois pour toutes.
Le vice-président : Voilà qui nous amène à la fin de notre séance avec ce groupe de témoins. Merci, monsieur Therchin, monsieur Tohti et madame Leung, d’avoir pris le temps de nous rencontrer.
Le vice-président : Nous passons maintenant à notre cinquième et dernier groupe.
[Français]
Je voudrais souhaiter la bienvenue à nos témoins. Nous accueillons l’honorable David McGuinty, c.p., président du Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement, l’honorable Frances Lankin, c.p., sénatrice et membre du comité, et M. Alex Ruff, député de Bruce—Grey—Owen Sound et membre du comité; ils sont accompagnés de Lisa-Marie Inman, directrice générale du secrétariat du comité.
Je souhaite la bienvenue à chacun d’entre vous. Je vous invite maintenant à faire vos déclarations liminaires.
[Traduction]
L’hon. David McGuinty, c.p., député, président, Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement : Merci beaucoup, monsieur le président et honorables membres du comité, de votre invitation à comparaître ce soir dans le cadre de votre étude du projet de loi C-70. Je vais me faire un plaisir de discuter du point de vue du Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement, le CPSNR, sur le projet de loi après la publication de son plus récent rapport spécial sur l’ingérence étrangère dans les processus et les institutions démocratiques du Canada.
Le rapport est un autre exemple d’étude unanime et non partisane de la réaction du gouvernement à une menace à la sécurité nationale, une étude réalisée par un comité composé de sénateurs et de députés de tous les grands partis et groupes ayant une habilitation de sécurité. C’est pourquoi je suis accompagné ce soir — et c’est un honneur pour moi — de votre collègue, l’honorable Frances Lankin, et, bien sûr, d’Alex Ruff, député de Bruce-Grey-Owen Sound. Lisa Marie Inman est également parmi nous ce soir. Elle est directrice générale du secrétariat du comité et elle est également là pour vous aider au besoin.
Honorables sénateurs, nous limiterons nos observations à la question à l’étude ce soir.
[Français]
Nous sommes ici plus précisément pour vous aider à comprendre le raisonnement qui sous-tend les conclusions et les recommandations unanimes du comité à l’égard de certaines propositions du projet de loi C-70. Notre comité jouit d’une position unique pour vous aider à cet égard.
Tout d’abord, nous avons développé une certaine expertise dans l’étude de cette question, parce qu’il s’agit de la troisième fois que le comité s’intéresse à la réponse du gouvernement à la menace que représente l’ingérence étrangère au Canada. Le comité s’est penché sur la question de l’ingérence étrangère pour la première fois dans le cadre de son rapport spécial de 2018 concernant la visite officielle du premier ministre en Inde.
Quant au rapport de 2019, il s’agissait d’un examen plus approfondi des activités d’ingérence étrangère de 2015 à 2018.
Notre dernière étude prend appui sur ces deux rapports.
[Traduction]
Deuxièmement, les membres du comité ont accès à des renseignements hautement classifiés qui ne peuvent être discutés en public. Autrement dit, nous avons examiné les rapports de renseignement qui font ressortir la nécessité de cette mesure législative. Par conséquent, nous comparaissons devant vous aujourd’hui non pas en tant que décideurs, mais en tant que comité ayant une connaissance privilégiée des raisons pour lesquelles une réforme législative est si cruciale et urgente. Cela dit, je vous rappelle que le CPSNR est un organisme d’examen. Il y a peut-être des questions auxquelles nous ne pourrons pas répondre ce soir, compte tenu de notre mandat et de nos contraintes en matière de sécurité.
Comme dans le cas de l’examen de 2019, le comité a conclu que l’ingérence étrangère dans les processus et les institutions démocratiques constitue une menace complexe et envahissante pour la sécurité nationale et mine les droits démocratiques des Canadiens ainsi que l’intégrité et la crédibilité du processus parlementaire. Nous avons écrit que les activités d’ingérence dans les processus et les institutions démocratiques visaient tous les ordres de gouvernement, le personnel politique, des groupes de la société civile, des communautés ethnoculturelles, des organismes communautaires, des hommes et femmes d’affaires et des journalistes.
En particulier, le comité a constaté que le cadre juridique du Canada ne permet pas aux organismes de sécurité et d’application de la loi de réagir efficacement à cette menace. Autrement dit, nous avons toujours constaté l’absence d’outils solides pour lutter contre l’ingérence étrangère. Nous nous retrouvons ainsi dans une situation où il y a peu de mesures dissuasives importantes pour décourager les États étrangers et leurs mandataires canadiens de mener des activités d’ingérence. Le Canada est donc vulnérable.
Pour cette raison, la première recommandation importante du comité qui ait un lien avec le projet de loi C-70 veut que le gouvernement comble plusieurs lacunes législatives précises avant les prochaines élections fédérales, et ce, dans cinq domaines clés.
Premièrement, le comité a recommandé la création d’un registre pour la transparence en matière d’influence étrangère. Conçue avec soin pour éviter la stigmatisation des communautés ethnoculturelles et pour protéger les droits et libertés des Canadiens, la loi devrait préciser quels comportements sont considérés comme de l’ingérence. Elle aurait un effet dissuasif sur les agents d’États étrangers et permettrait à la GRC d’enquêter sur les infractions.
Des lois semblables dans des États alliés comme l’Australie et les États-Unis se sont révélées un moyen utile pour la police face à l’ingérence étrangère. Un registre pour la transparence en matière d’influence étrangère favoriserait également la transparence, tout comme le registre actuel des lobbyistes.
Deuxièmement, le droit pénal canadien ne définit ni ne criminalise l’ingérence étrangère. Le comité a donc recommandé des modifications au Code criminel et à la Loi sur la protection de l’information. L’une des principales difficultés pour les milieux de la sécurité et du renseignement cernées par le comité est l’absence d’un seuil d’intervention convenu. Une définition claire et moderne de l’ingérence étrangère aiderait à préciser les activités considérées ou non comme une menace. Ainsi, les ministères devraient pouvoir élaborer des définitions normalisées de ce qui constitue un seuil d’intervention.
Troisièmement, la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, ou Loi sur le SCRS, accuse clairement et invariablement son âge. Il convient de souligner qu’elle ne permet pas pour l’instant au SCRS de fournir des renseignements classifiés aux parlementaires ou à d’autres ordres de gouvernement. Il est donc difficile de bien informer et avertir les parlementaires et les autres ordres de gouvernement. Les difficultés s’étendent également à l’échange d’information avec des enquêteurs qui ne sont pas des agents de la paix — comme des fonctionnaires électoraux — pour qu’on puisse mener des enquêtes, porter des accusations ou appuyer des poursuites. Pour cette raison, le comité recommande de moderniser la Loi sur le SCRS afin de faciliter un échange plus large de renseignements classifiés, ce qui est en fait prévu dans le projet de loi à l’étude.
[Français]
Quatrièmement, le comité recommande au gouvernement de résoudre les difficultés liées à la conversion du renseignement en preuve. Les organismes du renseignement protègent avec grand soin leurs techniques de collecte de nature délicate, leurs sources confidentielles et les renseignements transmis par des alliés.
Le comité a relevé plusieurs cas au cours de son examen où les services de renseignement n’ont pas communiqué d’informations à des organismes d’application de la loi, dont la GRC et le Bureau du commissaire aux élections fédérales, par crainte que l’information ne soit divulguée devant les tribunaux.
Selon le comité, il s’agit là d’un problème très sérieux. Nous encourageons le gouvernement à continuer d’envisager d’autres options législatives pour résoudre complètement le problème.
[Traduction]
Cinquièmement, le comité a examiné des renseignements troublants qui donnent à penser que les processus d’investiture et les courses à la direction sont particulièrement vulnérables à l’ingérence étrangère. Il s’agit d’une lacune critique, car un certain nombre de circonscriptions au Canada sont considérées comme des sièges sûrs pour un parti ou un autre, et le nombre de votes requis pour influencer l’investiture dans une circonscription est souvent faible. Il s’agit donc d’un moyen très utile pour les États étrangers d’orchestrer l’élection de leur candidat préféré.
Bien que la Loi électorale du Canada impose des sanctions administratives aux activités de financement d’une entité étrangère, le Canada ne criminalise pas l’ingérence dans les investitures ou dans tout autre processus des partis politiques. Pour cette raison, le comité recommande que le gouvernement atténue les vulnérabilités dans les investitures et les courses à la direction.
Nous sommes encouragés par les nouveaux processus prévus dans le projet de loi à propos de l’influence politique ou gouvernementale.
Une deuxième recommandation importante qui a un lien avec le projet de loi C-70, c’est que le gouvernement devrait également mobiliser tous les partis politiques pour déterminer si les processus de mise en candidature et les courses à la direction des partis doivent être ajoutés au cadre de la Loi électorale du Canada. Ainsi, les processus d’investiture des partis seraient assujettis à la surveillance d’Élections Canada et du bureau du commissaire aux élections fédérales.
Le comité a également demandé au gouvernement de collaborer avec le Parlement pour voir s’il y a lieu de réviser le mandat du commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique et le conseiller sénatorial en éthique afin d’y inclure les préoccupations que l’ingérence étrangère suscite.
À l’heure actuelle, l’ingérence étrangère n’est pas définie dans la Loi sur les conflits d’intérêts ni dans le Code régissant les conflits d’intérêts des deux Chambres. Par conséquent, le commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique et le conseiller sénatorial en éthique ne sont pas expressément autorisés à enquêter sur les conflits d’intérêts qui sont ou peuvent être liés à l’ingérence étrangère.
Dans sa troisième recommandation importante pour le projet de loi C-70, le comité demande au gouvernement d’examiner et de renouveler les lois, les stratégies et le financement en matière de sécurité nationale pour veiller à ce qu’ils s’adaptent à l’évolution de la menace et, chers collègues, je puis vous dire qu’elle évolue. Il s’agit de veiller à ce que les milieux de la sécurité et du renseignement disposent des outils et des ressources dont ils ont besoin pour réagir à la menace d’une manière qui décourage à l’avenir les efforts d’ingérence.
Le gouvernement actuel et les gouvernements futurs doivent également introduire régulièrement des dispositions de révision législative par le Parlement. Ces révisions sont essentielles si nous voulons vérifier comment le Canada suit l’évolution de la menace. Nous sommes heureux de voir qu’une révision quinquennale est prévue dans les modifications de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité.
Le gouvernement doit également respecter les dispositions de révision énoncées dans la loi et entendre les membres du Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement. À cet égard, nous ne faisons pas d’exception pour la révision des dispositions habilitant le CPSNR. Le dépassement des délais ne donne pas l’impression que le Canada prend au sérieux son cadre législatif en matière de sécurité nationale. Somme toute, le projet de loi C-70, du point de vue du comité, est un bon début.
En terminant, je tiens à dire que tous nos rapports sont le fruit du travail dévoué de mes collègues du comité et du personnel exceptionnel des services administratifs qui ont appuyé ce travail.
Depuis sa création, toutes les conclusions et recommandations des 13 examens du CPSNR ont été formulées de façon entièrement consensuelle par tous les membres. C’est grâce à notre engagement indéfectible à traiter la sécurité nationale et le renseignement comme quelque chose qui transcende les clivages entre partis. Nous étudions toutes ces questions sans aucun esprit de parti.
Nous sommes prêts à répondre à vos questions. Merci beaucoup de votre attention.
Le vice-président : Merci beaucoup, monsieur McGuinty.
Passons maintenant aux questions. Je rappelle aux sénateurs que quatre minutes sont accordées pour chaque question, y compris la réponse. Je vous demande de poser des questions succinctes afin de permettre le plus grand nombre d’interventions possible.
Le sénateur Boehm : Merci, monsieur le président. Merci à vous, monsieur McGuinty, ainsi qu’aux autres membres du CPSNR et à Mme Inman, pour le rapport que vous avez produit.
Monsieur McGuinty, dans votre déclaration, vous avez mentionné d’autres pays. Je voudrais poursuivre cette discussion avec vous, surtout au sujet des pays fidèles à la tradition de Westminster. Les Australiens ont un registre depuis 2018. Le Royaume-Uni a également légiféré.
Vous en avez parlé, mais c’est nouveau pour nous au Canada, y compris la façon de traiter la question de la confidentialité des délibérations du Cabinet. Je comprends que vous ne puissiez pas tout nous dire. Mon autorisation de sécurité très secrète a pris fin il y a quelques années. C’est un sujet difficile que je veux aborder. Voilà pour la première question.
Voici la deuxième. Y a-t-il quoi que ce soit qui, à votre avis, empêcherait de faire participer de nouveaux parlementaires, qu’ils soient d’ici ou des Communes, élus ou nommés, à des séances d’information et d’intégration? Il n’est pas nécessaire qu’il y ait un classement de sécurité. Le comité pourrait établir les règles du jeu, comme vous l’écrivez dans votre rapport, par exemple, en ce qui concerne les rôles des diplomates accrédités, la façon dont il faut interagir avec eux, ce genre de choses. C’est une question à deux volets. Je vous en prie.
M. McGuinty : Je vous remercie de la question, sénateur.
Nous n’avons pas tout à fait entrepris de proposer une étude comparative avec la façon dont les pays du Groupe des cinq ou les pays de la tradition de Westminster gèrent cette question.
Nous avons constaté à plusieurs reprises que le Royaume-Uni et l’Australie étaient peut-être plus avancés que nous à cet égard. J’ai fait allusion au fait qu’il y a des sanctions pénales dans ces deux pays, par exemple, pour quiconque s’ingère dans les processus d’investiture. Il est important pour nous, et important pour vous qui allez étudier le projet de loi C-70 et l’améliorer, de tirer parti de cette expérience en faisant des comparaisons.
De façon générale, un comité ne serait pas tout à fait d’accord pour dire que c’est nouveau pour le Canada. Nous avons constaté que ce n’est pas nouveau, que le Canada est au courant de cela depuis des décennies. Au comité, nous estimons qu’il est maintenant temps d’agir assez rapidement pour rattraper les autres pays.
Quant à la question qui porte précisément sur la possibilité d’offrir des séances d’information aux parlementaires, nous soulevons cette possibilité depuis cinq ans. L’examen réitère que nous avons soumis la proposition au premier ministre et au centre du gouvernement à plusieurs reprises.
Nous avons demandé que les parlementaires soient informés immédiatement après leur assermentation et régulièrement par la suite afin qu’ils comprennent ce qu’est l’ingérence étrangère.
Ainsi, l’ingérence étrangère n’est pas une influence étrangère. Elle a des ramifications secrètes et d’autres incidences. Qu’est-ce qu’un coopté? Qu’est-ce qu’un représentant, ou une personne qui représente un État mal famé en sol canadien? Comment se protéger? Quelles questions lui poser? Et votre personnel?
Cela dit, nous tenons dès le début de notre comparution à souligner qu’il est légitime de viser le Parlement et les parlementaires ce soir. Toutefois, il est extrêmement important que vous compreniez tous que cela transcende le Parlement, non seulement le Parlement fédéral, mais les gouvernements provinciaux et municipaux. C’est un problème et un défi qui menacent toute la société.
Certains renseignements nous ont amenés à signaler cette situation dans le monde des médias, dans nos associations communautaires et dans nos conseils d’administration. À l’heure actuelle, l’ingérence étrangère est omniprésente au Canada.
Quant aux parlementaires, nous y revenons encore une fois dans le cadre de cet examen en demandant au gouvernement de les informer. Nous avons constaté que le ministre de la Sécurité publique prend déjà des mesures à cet égard.
Si cette séance d’information s’accompagnait de nouvelles dispositions en matière d’éthique à la Chambre et au Sénat, cela contribuerait à sensibiliser pleinement tous les parlementaires à ces risques.
L’hon. sénatrice Frances Lankin, c.p., membre du Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement : Merci. Permettez-moi d’ajouter qu’évidemment, les deux Chambres établissent leurs propres processus à cet égard.
Depuis la publication du rapport de 2018 sur l’ingérence étrangère, j’ai demandé que le Service de sécurité du Sénat organise pour tous les nouveaux sénateurs les séances d’information qui conviennent. J’ai demandé à l’huissier du bâton noir de soulever cette question en mon nom.
Si l’un d’entre vous siège au Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration, CIBA, je vous prierais de soulever cette question à ce comité. Ces séances d’information — et je ne parle pas seulement de celles de nos propres services de sécurité, du SCRS et d’autres organismes —, sont essentielles pour que les sénateurs et, en fait, tous les parlementaires, puissent faire leur travail tout en se tenant aux aguets.
Le sénateur Boehm : J’ajouterais le personnel aussi. Merci, monsieur le président.
Le sénateur Kutcher : Je vous remercie d’être venu. Merci pour l’excellent travail que vous faites. Je ne parle pas seulement de ce dernier rapport, mais de tout le travail que vous avez accompli. Merci de nous rappeler la tendance qu’ont les Canadiens à ne pas être pleinement conscients des activités des acteurs malveillants d’États étrangers et de leur capacité de causer du tort. Nous ne nous retrouvons pas face à une nouvelle affaire Gouzenko, mais la situation actuelle soulève les mêmes préoccupations.
Dans vos deux derniers rapports, vous présentez de nombreuses recommandations dont on aurait pu tenir compte en élaborant ce projet de loi. Monsieur McGuinty, vous nous en avez présenté quelques-unes. Quelles recommandations du comité des parlementaires auraient pu être ajoutées au projet de loi C-70 et ne l’ont pas été? C’est ma première question.
Deuxièmement, dans votre rapport, vous soulevez de nombreuses préoccupations au sujet du fait que la GRC n’a pas la capacité de faire face à un grand nombre de menaces émergentes. Pourriez-vous nous en dire davantage sur ce que nous pourrions faire pour y remédier?
M. McGuinty : Veuillez m’excuser, je ne me souviens pas exactement de ce que nous avons dit au sujet de la GRC dans le cadre de cet examen. Je sais ce que nous avons dit lors du dernier examen sur le mandat de police fédérale de la GRC. Je me souviens que nous avons souligné qu’il lui faudrait des centaines et des centaines d’agents de plus pour relever les défis de police fédérale auxquels elle fait face. Je crois que la vérificatrice générale nous en a parlé un peu plus la semaine dernière.
Il faut distinguer les deux séries de recommandations présentées dans le cadre de l’examen du projet de loi C-70. La première est celle des recommandations législatives. La majorité des appels à l’action que nous avons présentés ici se retrouvent dans le projet de loi C-70, presque en totalité ou en partie. Il y a ensuite une série de recommandations qui ne sont pas de nature législative. Celles qui sont législatives — ce que nous appellerions la recommandation 1 parmi les quatre ou cinq autres — sont incluses, pour la plupart. Nous recommandons toutefois que le gouvernement définisse le terme d’ingérence étrangère dans le droit canadien afin que tout le monde comprenne bien la menace qu’elle pose. Cela n’a pas été inclus dans le projet de loi C-70.
Cette définition serait très importante, parce qu’à l’heure actuelle, nous n’avons pas de définition qui englobe les divers acteurs. Par exemple, si vous demandiez au chef de police de Halifax ce qu’est l’ingérence étrangère, vous auriez de la difficulté à obtenir une réponse claire. Si vous demandiez à un ministère plutôt qu’à un autre, ou à un fonctionnaire plutôt qu’à un autre, à quoi ressemble l’ingérence étrangère, ils vous donneraient une définition du Service canadien du renseignement de sécurité, le SCRS, mais vous constateriez probablement une certaine confusion, car ils la comprennent mal. C’est un domaine dans lequel nous pensions qu’elle serait importante. Il serait crucial d’intégrer cette définition moderne au projet de loi C-70.
Certaines autres recommandations qui ne sont pas de nature législative n’ont pas été intégrées dans le projet de loi. Il s’agit de certaines des choses dont j’ai parlé, comme le rôle du commissaire à l’éthique. À notre avis, il est important. Chaque année — je ne sais pas si cela se fait au Sénat —, les députés doivent remplir un résumé d’une vingtaine de pages sur leurs documents de divulgation. Je l’ai passé en revue — c’était pénible — il y a quelques semaines. Je n’y ai pas vu une seule référence à l’ingérence étrangère. On n’y demande pas aux députés si quelqu’un semble faire des efforts manifestes pour cultiver une relation avec eux. Ce résumé ne m’a rien demandé. Il ne m’offrait nulle part d’inscrire mes préoccupations. J’ose même dire que si je prenais le téléphone et que j’appelais un des agents du Commissariat à l’éthique pour lui dire : « Je crois que j’ai un problème d’ingérence étrangère, pouvez-vous m’aider? », il serait incapable de me donner des renseignements utiles.
Ce sont là certains de nos appels à l’action qui ne se trouvent pas dans le projet de loi. Ai-je oublié quelque chose?
La sénatrice Lankin : Oui. Deux ou trois choses. Si vous me demandez ce qu’il ne contient pas, je vais citer nos recommandations. La recommandation 1 porte sur les mesures législatives et, comme notre président l’a indiqué, nous n’avons toujours pas de définition de l’ingérence étrangère.
Les partis politiques promettent d’examiner le processus de mise en candidature et de décider s’il devrait s’insérer dans le cadre de la Loi électorale du Canada. N’importe lequel d’entre eux peut lancer ce processus, mais il faut que tous y participent.
Notre président vient de mentionner les commissaires à l’éthique des deux Chambres. Certaines mesures ne sont pas législatives. Par conséquent, nous avons commencé à nous pencher sur les rôles, les mandats et la reddition de comptes du Conseil de la sécurité nationale et sur les structures de gouvernance qui s’y rapportent. Nous avons encore beaucoup de travail à faire, du moins pour la période que nous examinons. Je ne peux vous mentionner que ce qui se trouve dans le cadre de notre examen.
Dans certains cas, il s’agit simplement de demander au gouvernement de le faire. Il devrait sans tarder exiger la production d’un rapport annuel sur les menaces d’ingérence étrangère signalées par les parlementaires. Ce n’est qu’un mécanisme de reddition de comptes. Ces éléments ne figurent pas dans le projet de loi, mais ils ne sont pas adéquatement centrés dans une intervention législative.
Le sénateur Kutcher : Vous recommanderiez que l’on établisse une définition de l’ingérence étrangère?
M. McGuinty : Oui.
Alex Ruff, membre du Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement : Je voudrais discuter plus en détail de ce qui manque à la GRC et à la police. Cela va au cœur du problème. Le paragraphe 153 du rapport aborde le problème du renseignement de nature délicate et de la preuve. Comment protéger nos sources et les techniques que l’appareil de sécurité utilise, nos relations avec nos partenaires étrangers et avec nos alliés si c’est de là que vient une partie de cette information? En fin de compte, je rappelle à tous les parlementaires et à toutes les personnes concernées que nous concluons, au paragraphe 164, que certaines des actions que nous signalons sont peut-être illégales, mais qu’il est peu probable qu’elles donnent lieu à des accusations criminelles. Le Canada n’a toujours pas réglé son problème de longue date sur la protection des renseignements classifiés et des méthodes utilisées dans les processus judiciaires.
Le projet de loi C-70 s’attaque à la première partie de la façon de communiquer l’information. Si je comprends bien, dans sa forme actuelle, il ne tient pas compte de la façon de traiter le deuxième aspect, l’information transmise à nos organismes d’application de la loi, qu’ils puissent ou non s’en occuper. J’encourage le comité et tous les comités qui étudient ce projet de loi à continuer d’examiner ce problème.
Le sénateur Yussuff : Merci à tous d’être venus. Je vous remercie tous de travailler avec tant d’acharnement.
Monsieur McGuinty, je vais revenir à vous. Vous avez dit que c’est un bon début. Ce n’est pas une louange retentissante de la direction dans laquelle nous travaillons. Je vous remercie de nous mettre en garde.
Compte tenu de la diversité de notre pays, nous sommes maintenant victimes d’une forte intimidation étrangère. Nous ne nous y attendions pas, mais c’est la réalité actuelle. En examinant cela dans le contexte du racisme et des stéréotypes de ces communautés, pensez-vous que les gens comprennent bien que nous devons aborder ce problème de manière à maintenir la confiance de ces communautés tout en protégeant notre appareil de sécurité et nos méthodes de travail? Est-ce que cela cause plus de torts, tout en protégeant la sécurité future de notre pays?
M. McGuinty : C’est une question extrêmement importante. Elle nous a donné bien du fil à retordre, et nous l’avons examinée de très près. C’est pourquoi, à la page 15 du rapport, vous trouverez un encadré présentant en détail la notion de répression transnationale. Nous avons jugé qu’elle méritait que nous la traitions séparément. Nous essayons de la définir et d’en comprendre le fonctionnement. Nous citons quelques cas pour expliquer la façon de contrôler une communauté culturelle ethnique. Nous voulions aussi réfuter certains commentaires. Par exemple, nous avons travaillé directement sur la question de ce qu’on appelle les « postes de police » situés dans plusieurs centres urbains au Canada. Nous avons défini cela pour que les Canadiens se fassent une meilleure idée de ce qu’ils sont et de ce qu’ils ne sont pas. Ce qu’ils semblent être et ce qu’ils font. Où se trouvent-ils? Qu’est-ce que le SCRS évalue? Qu’ont fait les États-Unis face à ces soi-disant postes de police? Que fait la GRC à leur sujet?
Il est extrêmement important d’établir un juste équilibre. Sénateur, l’un des avantages du contexte canadien pour cet équilibre, qui nous ramène à une question que le sénateur Boehm a soulevée il y a un instant, c’est que le Canada a une Charte des droits et libertés. D’autres gouvernements n’en ont pas. Donc, quand on cherche une loi sur mesure pour le contexte canadien, l’aiguille dans la botte de foin est plus petite, parce que nous devons respecter des droits, des libertés et des protections. La question de la répression transnationale est très nouvelle. Elle est arrivée chez nous. Nous devons y faire face. Nous l’avons définie. Nous espérons que le projet de loi C-70 en tiendra compte pour tous les changements que nous apporterons dans le cadre de la lutte contre l’ingérence étrangère.
Le sénateur Yussuff : Vous avez décelé une chose plutôt unique dans le contexte de notre système parlementaire. Nous parlons de sécurité nationale, ce qui devrait préoccuper tous ceux d’entre nous qui travaillent dans le système parlementaire, que ce soit à la Chambre ou au Sénat. Pourtant, pour diverses raisons, nous ne semblons pas parvenir à un consensus. Nous ne devrions pas considérer cela comme un problème politique, autant à la Chambre qu’au Sénat. Nous devrions y travailler collectivement pour assurer la sécurité du pays. C’est une tâche primordiale de notre rôle de parlementaires.
Alors selon l’expérience que vous avez accumulée dans votre comité, vous qui obtenez un consensus chaque fois que vous produisez un rapport, comment pouvons-nous surmonter cela? Que pouvez-vous enseigner aux membres de notre comité? J’ai remarqué que d’autres gouvernements ont réussi, mais nous avons une peine folle à faire les premiers pas. Comment nous, les parlementaires, pourrions-nous collaborer pour atteindre cet objectif commun dans l’intérêt supérieur de notre pays?
M. McGuinty : Je crois que notre comité réussit très bien parce que son travail se fonde avant tout sur ce que j’appellerais la noblesse d’intention. Certains enjeux transcendent la partisanerie. Je crois que vous serez d’accord avec moi, la sécurité nationale en est un. Nous pourrions même nous entendre sur le fait que les changements climatiques en représentent un autre. C’est tout au moins ce que je pense. Certains enjeux ne devraient jamais se trouver dans l’arène partisane.
Je crois qu’au niveau parlementaire, et même dans d’autres ordres gouvernementaux, tout le monde pense que ce processus devrait produire de meilleurs résultats. D’ailleurs, nous soulignons cela dans notre rapport. Les Canadiens nous regardent. Ils sont très inquiets. Nous estimons que notre comité doit aussi assumer un rôle de sensibilisation et d’éducation pour exposer les Canadiens à certains de ces défis. Le projet de loi C-70 nous encourage beaucoup, cependant. Dans le cadre de cet examen, nous avons très souvent souligné ce que le gouvernement a accompli au cours de la période que nous examinons.
Notre évaluation de ce que le gouvernement a accompli est très claire. Il a toutefois lancé certaines mesures. Il a créé des organismes comme le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement, comme l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement et comme le Protocole public en cas d’incident électoral majeur, qui n’existait pas il y a sept ans. Il a aussi créé le Groupe de travail sur les menaces en matière de sécurité et de renseignement, qui n’existait pas non plus, et il a lancé d’autres mesures qui sont en cours. Mais il y a place à l’amélioration. Cela me rappelle toujours la vieille maxime de la négociation. Quand le négociateur jure qu’il est au bout du rouleau et qu’il ne peut plus rien obtenir, on applique la règle d’or, qui est toute simple : on change de négociateur et l’on repart jusqu’à ce qu’on obtienne ce qu’on veut. Je pense donc que mon collègue Alex Ruff aura quelque chose à ajouter, et peut-être mes deux autres collègues aussi.
M. Ruff : Très rapidement, vous demandez comment nous, les parlementaires, pouvons améliorer les choses à cet égard. Recommandation 6 : organiser sans tarder des séances d’information et en faire rapport annuellement afin que nous sachions qui a été informé, qui ne l’a pas été et qui ne s’est pas donné la peine de s’informer. Voilà comment on tient les gens responsables.
Deuxièmement, j’encourage tous les parlementaires et, en fait, tous les Canadiens, à lire ce rapport du début à la fin. On devrait même peut-être le relire chaque année, parce que son message est puissant. Sa valeur ne réside pas dans le fait que nous en sommes les auteurs, mais dans le fait qu’il faut absolument régler ce problème. Il faut s’écarter de la partisanerie et se concentrer sur le renseignement de sécurité nationale. Nous devons tous nous renseigner sur les menaces, les vulnérabilités et la façon de les contrer.
La sénatrice Lankin : Très brièvement, c’est une question qui nous tient éveillés la nuit. Je suis d’accord avec tout ce que M. Ruff a dit. Je crois comprendre qu’à première vue, le contenu de ce rapport a secoué les gens. Jusqu’à maintenant, dans les deux Chambres, on a mis l’accent sur les parlementaires — qui, quoi, quand et où.
Je voudrais vraiment que les parlementaires envisagent leur responsabilité envers les Canadiens de façon plus globale. Ces acteurs étrangers s’en prennent à des universitaires, à des projets de recherche, à des décisions d’entreprises, à des organismes communautaires, à des communautés ethnoculturelles et même aux médias, qui n’ont jamais signalé qu’ils étaient eux aussi victimes d’ingérence étrangère. Ces graves enjeux devraient constituer une force qui nous unit. Ils devraient nous inciter à sortir du match de baseball interne qui a fait rage la semaine dernière — je le dis respectueusement, je comprends tout à fait. Mais l’horizon est bien plus étendu. Levons les yeux et concentrons-nous sur ce problème qui touche tous les secteurs de la société canadienne. Hâtons-nous de le résoudre.
Le sénateur Housakos : Merci, chers collègues, d’être venus aujourd’hui. Il faut bien reconnaître que le Parlement a laissé tomber les Canadiens. Les témoins que nous avons entendus nous ont dit que nous avons laissé tomber les Canadiens dans tous les aspects de ce problème. Il faut reconnaître que nos alliés du Groupe des cinq ont adopté des lois il y a des années, qu’ils ont mis en place des mécanismes et donné des outils à leurs organismes d’application de la loi pour faire face à cette situation et que même, dans bien des cas, ils ont porté des accusations. Il y a des gens devant les tribunaux et il y a des gens en prison.
Ici, au Canada, nous discutons de la définition de l’ingérence étrangère. C’est un problème. Et oui, ce bon projet de loi fait un pas dans la bonne direction. Reconnaissons toutefois que nous avons adopté le projet de loi C-51 en 2015, la Loi sur la sécurité nationale. La première chose que le gouvernement actuel a faite avec le projet de loi C-59 a été de l’abroger et de le remanier, de lui enlever du mordant.
Déjà en 2019, des députés réclamaient une loi sur le registre des étrangers. Nous avons traîné les pieds. Il y a un projet de loi au Sénat, le projet de loi S-237, qui est ajourné depuis trois ans. Il est très semblable au projet de loi C-70. Aucun de mes collègues autour de la table ne voulait en parler.
Ces préoccupations sont très graves. Vous avez raison, sénatrice Lankin, cet enjeu est figé dans la partisanerie, et nous n’avons rien fait pour régler ce terrible problème. Alors voici ma question : pourquoi cela traîne-t-il depuis si longtemps? Pourquoi autorisons-nous, dans notre pays, que toutes les routes en matière de sécurité nationale mènent au Cabinet du premier ministre pour qu’il décide de ce qui sera rendu public et de ce qui ne le sera pas, et quand?
Le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement est un organisme parlementaire entouré de secret à chaque étape. On nous répond toujours : « Nous traitons de questions de sécurité nationale de nature délicate ». Mais les Canadiens veulent savoir comment nous abordons ces questions et qui en est responsable.
Donc, quand le nom de nos collègues a été divulgué, il ne l’a pas été à cause de ce que nous avons fait au Parlement. Il l’a été parce que certains fonctionnaires du Service canadien du renseignement de sécurité, le SCRS, lassés de cette inertie, ont divulgué cette information. C’est la seule raison pour laquelle nous en débattons aujourd’hui. Alors puisque vous vous êtes penchés sur cette question, que devrions-nous changer dans notre structure parlementaire pour accroître la transparence et la reddition de comptes?
M. McGuinty : Merci, sénateur. Deux ou trois choses. Le comité a très clairement critiqué le gouvernement pour ses réponses tardives à un grand nombre de ces problèmes. Paragraphe 175 :
La réponse tardive à une menace connue représente une grave lacune, qui pourrait entraîner des conséquences pour le Canada pendant de nombreuses années.
Comme chaque mot, chaque phrase et chaque paragraphe de ce rapport, ces mots ont été délibérément choisis.
Nous parlons de la nécessité d’agir sans tarder. Nous parlons de la nécessité d’agir promptement. Nous parlons de retards. Nous soulignons que le gouvernement est lent à agir et qu’il a accusé divers retards.
Il est peut-être important que les Canadiens — même les parlementaires — se tiennent au courant de la notion de renseignements classifiés, de renseignement, du fait que ce ne sont pas toujours des preuves. C’est vrai.
Cette énigme de divulguer le renseignement aux fins des procédures de justice pénale — elle n’est pas facile à élucider. Comme je l’ai dit tout à l’heure, c’est une chose... je ne suis pas ici pour défendre un gouvernement. Je vous assure que ce n’est pas le cas. Nous ne sommes pas ici pour cela. Toutefois, je me souviens qu’il y a 20 ans, quand j’ai été élu pour la première fois, nous parlions de créer une structure semblable à celle du Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement. D’abord M. Easter, puis M. Martin, puis Mme Joyce Murray, ma collègue, et enfin M. Trudeau, qui était un tiers parti à l’époque, ont dit : « Il nous faut un mécanisme comme le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement pour régler ce problème ».
Je me souviens d’être allé voir le premier ministre Harper et de lui avoir demandé s’il envisagerait cela. À ce moment-là, il ne pensait pas que ce serait nécessaire. Il le penserait probablement nécessaire aujourd’hui. J’imagine qu’il le penserait nécessaire.
Nous ne voulons pas porter jugement. Je pense qu’il faut que nous unissions nos efforts pour agir promptement. Le projet de loi C-70 est un excellent début. Il est possible de l’améliorer. Nous comptons sur vous pour l’améliorer. À mon avis, c’est la première chose à faire.
Comme je crois que vous avez fait allusion au caviardage, je tiens à préciser, aux fins du compte rendu, que le premier ministre ne s’assoit pas à une table avec un marqueur noir pour éliminer des sections de nos rapports. Tout cela se fait techniquement selon quatre critères établis clairement dans la loi sur le comité des parlementaires. Le gouvernement ne peut censurer qu’à des fins particulières. Le caviardage est décrit dans l’article 38 de la Loi sur la preuve au Canada, et le gouvernement fédéral a des équipes d’experts qui s’en chargent.
Nous avons vécu cela à 13 reprises, alors nous avons une bonne idée de la façon dont cela fonctionne. Il s’agit de retirer du libellé jugé préjudiciable, mais pour quatre motifs précis. Ces motifs ne sont ni aléatoires ni politisés. Mme Frances Lankin et moi pouvons vous assurer — puisque je siège au comité des parlementaires depuis sa création — que nous ne nous souvenons pas d’un cas où le gouvernement ait tenté, de quelque façon que ce soit, de politiser l’examen des rapports écrits du comité. Sénatrice Lankin?
La sénatrice Lankin : Oui. Il est important de garder cela à l’esprit, parce que de nombreuses affirmations et allégations au sujet de ce processus ont incité le public à mal comprendre. Les sections sont caviardées pour les motifs énoncés dans la loi. Les services de renseignement de sécurité, les comités — autant l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement que le comité des parlementaires — sont tenus de respecter ces dispositions.
Je pense que les gens ont beaucoup parlé — vous l’avez aussi mentionnée, sénateur Housakos — de l’absence de poursuites. Parfois, les gens roulent les yeux d’indignation, mais le défi du renseignement à la preuve est réel et il est différent de ce qui se passe dans d’autres pays. Je pense que la plupart d’entre nous chérissons la Charte des droits et libertés qui protège nos citoyens. Son interaction avec les tribunaux et la façon dont la preuve est divulguée à l’accusé, entre autres choses, sont tous des aspects importants de ce défi. N’oublions pas non plus ce qui risque de nuire aux intérêts de notre pays. Nous ne pouvons pas trahir nos sources et nos méthodes d’opération.
Avant de venir au Sénat, je siégeais au Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, le prédécesseur de l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement. À l’époque, nous avons discuté d’un certain nombre de ces questions. Ce problème nous nargue depuis longtemps, mais quand enfin il se manifeste, il faut agir. Voilà pourquoi je vous supplie d’agir promptement et de toute urgence. Il faut examiner la situation et bien la comprendre afin de déterminer si ce projet de loi s’y attaque efficacement.
Notre président y a fait allusion. Toutefois, notre organisme d’examen, contrairement à son homologue de l’Australie, n’est pas un comité législatif qui révise des lois. Nous présentons des recommandations, mais ensuite, le gouvernement et le Parlement doivent déterminer si les dispositions énoncées dans un projet de loi sont adéquates et efficaces.
M. McGuinty : Si vous me le permettez, sénateur Housakos, je vais revenir à la question des fuites. Vous avez raison, et nous avons précisé cela aux paragraphes 165 et 166. Premièrement, nous rejetons complètement la notion de fuite. Ce n’est pas de la dénonciation. C’est un acte illégal. Ces individus ne sont pas des patriotes. Ils ne sont pas des dénonciateurs. En fait, ils enfreignent la loi. Nous en parlons clairement, tout en ajoutant cependant que nous reconnaissons une vérité qui nous met mal à l’aise. Je vais vous la lire :
Avant les fuites, un faible sentiment d’urgence habitait les élus et les décideurs de haut niveau pour ce qui était de corriger les lacunes non résolues de cette menace importante et bien documentée envers la sécurité nationale.
Les fuites ont agi comme principal élément catalyseur. C’est malheureux, mais voilà où nous en sommes. Les renseignements sont sortis. Nous ne croyons pas aux fuites. Nous pensons qu’elles sont très dangereuses pour notre appareil de sécurité et de renseignement et pour les gens qui y travaillent. Toutefois, vous avez raison de dire qu’elles ont servi d’élément déclencheur, et c’est bien malheureux.
La sénatrice Patterson : Merci beaucoup pour ce rapport. Je crois qu’il est absolument essentiel que les Canadiens puissent y avoir accès. Sénatrice Lankin, je conviens avec vous que nous ne pouvons pas nous en tenir aux parlementaires et aux processus parlementaires. N’oublions pas cependant que l’un des objectifs de l’ingérence étrangère est de miner la confiance envers la démocratie et d’imposer des principes que les démocraties rejettent. Je vais revenir à votre commentaire sur la responsabilisation du monde parlementaire, des parlementaires et même du Sénat, conformément au paragraphe 48(4) du Code régissant l’éthique et les conflits d’intérêts des sénateurs. Je vais vous relire ce que le conseiller sénatorial en éthique peut faire :
(4) Dans le cadre de son enquête, le conseiller sénatorial en éthique peut exiger la comparution de personnes et la production de documents, lesquelles mesures peuvent être mises à exécution par le Sénat sur recommandation du Comité à la suite d’une demande à cet effet du conseiller sénatorial en éthique.
Je crois que les Canadiens veulent savoir que si l’on soupçonne que des parlementaires participent à de telles activités, on mènera au moins un examen de cette allégation.
Ma question concerne les deux Chambres. Y a-t-il une façon pour le Sénat ou la Chambre des communes de demander une copie de ce rapport pour examiner discrètement le comportement de certains sénateurs ou parlementaires et, si l’allégation se concrétise, de le faire sans les exposer au public?
La sénatrice Lankin : Je pourrais répondre, mais voulez‑vous le faire en premier?
M. McGuinty : Je pensais que vous alliez dire que cette question est tellement facile que même votre président pourrait y répondre.
Il est très difficile de répondre à cette question. Au Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement, nous ne sommes pas responsables de la diffusion de l’information ni des mesures de sauvegarde de l’examen. Nous ne sommes pas propriétaires des renseignements. Nous ne sommes ni les collecteurs ni les évaluateurs de ces renseignements. C’est une question qu’il vaudrait mieux poser au gouvernement pour savoir s’il est en mesure de montrer le rapport. Je suppose que vous parlez de la version non censurée du rapport?
La sénatrice Patterson : Peut-être, mais je dirais que votre comité est propriétaire du rapport.
M. McGuinty : Oui. Je vais maintenant demander à la personne très intelligente, Mme Lisa-Marie Inman, de répondre. Elle peut nous en dire plus à ce sujet.
Lisa-Marie Inman, directrice générale, Secrétariat du Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement : Je pense que vous avez raison, c’est une question qu’il faudrait normalement poser au gouvernement. Notre comité produit les rapports, mais il les présente au premier ministre et aux ministres concernés, conformément à notre loi.
La sénatrice Patterson : Le comité a-t-il recommandé au gouvernement d’effectuer un suivi quelconque? En discutant de votre rapport et de la publicité qu’il a causée, nous nous sommes dit que ce n’est peut-être pas un acte criminel, mais que nous respectons nos propres règlements et que nous devrions examiner cette question. Votre comité a-t-il recommandé que le gouvernement communique ces renseignements de façon confidentielle aux groupes d’éthique compétents?
La sénatrice Lankin : La recommandation 2 propose que le gouvernement « mobilise les partis politiques » — ils doivent donc participer eux aussi. Nous devrons discuter des deux Chambres au sujet des mises en candidature, que j’ai déjà mentionnées, et de la Loi électorale du Canada.
Je poursuis : « et travaille avec le Parlement pour déterminer s’il faut réviser la loi régissant le commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique et le conseiller sénatorial en éthique afin d’y inclure l’ingérence étrangère ».
C’est un précurseur important qui pourrait autoriser les conseillers en éthique de l’une ou l’autre chambre qui répondent aux plaintes déposées à prendre des mesures pour déterminer l’accès qu’ils pourraient avoir aux renseignements. Ce projet de loi essaie de permettre au Service canadien du renseignement de sécurité, le SCRS, de divulguer plus de renseignements. Toutefois, j’en reviens à ce que notre président et M. Ruff ont dit au sujet des responsabilités des parlementaires. Ils ne peuvent pas être tenus responsables s’ils n’ont pas été avertis.
Les séances d’information que les parlementaires recevront régulièrement dès qu’ils seront élus leur ouvriront les yeux. Je crois que tous nos collègues seront heureux de savoir dans quelles circonstances ils devraient soupçonner les gens qui les accostent. On a beaucoup débattu des mots « conscient » et « inconscient ». Nous ne pouvons être conscients que si nous avons été renseignés. Je pense qu’il s’agit d’une première étape essentielle qui se rapporte, sénatrice Patterson, à votre question sur les agents d’éthique et sur les comités qui les servent.
La sénatrice M. Deacon : Merci d’être venus. Merci non seulement pour ce rapport, mais pour tous vos rapports. Ils sont toujours exceptionnels, et il est toujours intéressant de voir des propositions se concrétiser.
J’ai réfléchi à la Loi sur la transparence et la responsabilité en matière d’influence étrangère proposée et à son intention. Elle permettra notamment de dresser une liste d’entités et de personnes que les organismes d’application de la loi devront surveiller, et ils devront aussi tenir à jour et appliquer ce registre.
Nos témoins précédents ont exprimé des préoccupations au sujet des ressources qu’il faudrait investir pour faire cela adéquatement et efficacement. Lors de l’étude sur les sanctions que nous avons effectuée au Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international, de nombreux témoins ont affirmé que le régime de sanctions est fondé sur la conformité. Il y a eu si peu de poursuites que, dans la pratique, ce régime dépend du fait que les organismes et les personnes comprennent leurs obligations et agissent en conséquence. Cela est clairement ressorti dans nos conversations.
Quand je lis cette loi sur la transparence, je crains que nous ne nous engagions dans la même voie et que nous n’y consacrions pas les ressources nécessaires pour qu’elle soit bien appliquée. Croyez-vous que ce registre sera fondé sur la conformité et, dans l’affirmative, dans quelle mesure pensez-vous qu’il sera efficace?
M. McGuinty : Est-il acceptable de dire que je n’en ai aucune idée?
La sénatrice M. Deacon : Bien sûr.
M. McGuinty : Je n’en ai aucune idée. Ce n’est pas une question que le comité a examinée attentivement, mais nous allons certainement en prendre bonne note.
J’essaie de me rappeler si, dans les 98 pages du rapport, nous avons approfondi la question, et je ne pense pas que nous l’ayons fait.
La sénatrice Lankin : Nous avons examiné ce qui se fait dans d’autres pays, et je répète la mise en garde que nous avons tous formulée, à savoir que notre pays diffère des autres par sa structure constitutionnelle et par sa charte. Dans d’autres pays, le registre des cas d’ingérence étrangère permet aux organismes d’application de la loi de prendre des mesures quand une personne ne respecte pas la loi. Par exemple, les États-Unis ont fermé les postes de police communautaires de la République populaire de Chine. C’est un très bon exemple. La GRC agit aussi à cet égard, mais dans un contexte différent, parce que nous n’avons pas ce registre.
Les preuves, les approches, les sanctions possibles et l’application de la loi peuvent s’avérer utiles. Mais essentiellement, oui, c’est une approche fondée sur la conformité, comme notre registre des lobbyistes.
[Français]
Le sénateur Carignan : Merci, monsieur le président. Je veux continuer sur la lancée de la question de la sénatrice Patterson et apporter une précision. Je suis membre du Comité sur les conflits d’intérêts. Notre code d’éthique prévoit déjà cela. Nous n’avons pas besoin de le modifier, car il indique très clairement qu’on ne peut pas contribuer à des activités d’espionnage. Nous avons des articles assez vastes dans le code d’éthique qui incluent ce genre d’infraction et qui prévoient d’imposer des sanctions à un sénateur qui se comporterait de cette façon.
Le problème, à l’heure actuelle, c’est que nous n’avons pas de noms. Le conseiller en éthique n’a pas de noms. Il est donc impossible d’enquêter et de sanctionner un comportement répressif. Le ministre LeBlanc dit que si les chefs de parti avaient des noms, ils pourraient au moins ne pas signer certaines lettres de candidature et les mettre discrètement à l’écart, mais nous ne pouvons pas faire cela avec un sénateur, car il est nommé jusqu’à l’âge de 75 ans. C’est pour cette raison que nous avons un code d’éthique qui nous permet d’imposer des sanctions.
Je suis d’avis qu’il faut absolument publier ou trouver une façon de transmettre les noms au conseiller en éthique pour qu’une enquête appropriée soit faite sur les sénateurs soupçonnés d’avoir commis un acte répréhensible.
Deuxièmement, je suis surpris de la réponse que vous avez donnée à mon collègue le sénateur Housakos. Vous n’avez pas traité d’améliorations potentielles au système. Quand on lit votre rapport, vous indiquez que ce n’est pas le premier ministre qui faisait le caviardage. Cela m’inquiète, parce que la loi dit que c’est le premier ministre qui peut faire cela, donc si c’est quelqu’un d’autre qui l’a fait, il y a déjà un problème.
Disons que c’est le premier ministre qui l’a fait. Il y a toutes sortes de considérations là-dedans où l’on voit que, pour des raisons politiques, il y a de l’information qui ne s’est pas rendue au bureau du premier ministre. Vous dénoncez plusieurs comportements, dont l’omission et la lenteur du premier ministre, et vous n’y allez pas avec le dos de la cuillère, vous n’y allez pas de main morte — avec le « dos de la main morte », comme certains disent.
C’est très bien, mais vous ne proposez pas de changements pour encadrer ou enlever ce pouvoir au premier ministre. Vous vous redonnez plutôt ce pouvoir pour que vous puissiez faire cette évaluation. Cela me surprend que vous n’alliez pas plus loin dans vos recommandations sur la structure visant à limiter le pouvoir du premier ministre et du ministre, parce qu’on le voit à des fins politiques, mais vous notez ce qui suit au paragraphe 160 :
[...] des dirigeants de haut niveau ont parfois demandé aux organisations du renseignement de retirer des rapports publiés, car ils jugeaient que les informations étaient trop sensibles sur le plan politique.
Ce n’est plus une question de sécurité nationale, mais de politique. Cela n’a pas sa raison d’être. Je regarde la liste des pays que vous avez inclus. Il y en a un qui a trois astérisques. Est-ce que je peux savoir de quel pays l’on parle dans l’intérêt public, pour lever la garde sur ce pays? L’Iran, c’est bien; l’Inde, c’est bien, on fait attention; mais les trois astérisques, quel pays est-ce? Je ne comprends pas pourquoi ce pays n’est pas nommé. Le premier ministre a jugé qu’il ne fallait pas le nommer. Pourquoi?
M. McGuinty : Juste avant de céder la parole à M. Ruff, je veux être parfaitement clair : le processus de caviardage n’est pas effectué par le premier ministre. Je peux vous assurer qu’au contraire, pendant les réunions que je devais avoir avec le premier ministre avant le dépôt du rapport dans les deux Chambres, il y a eu des moments où le premier ministre lui‑même est personnellement intervenu pour pousser les cadres supérieurs du gouvernement à être plus transparents et à nommer des pays, par exemple. Ce n’est pas le bureau du premier ministre qui examine l’information et fait le caviardage...
Le sénateur Carignan : Le paragraphe 21(5) de la loi dit que le premier ministre peut —
M. McGuinty : Oui, il délègue la responsabilité à ses cadres, au Bureau du Conseil privé, à Justice Canada et aux agences. Nous travaillons de très près avec tous les joueurs dans ce domaine. Je voulais juste être clair sur la question du caviardage. Quant aux autres questions, je vais demander à M. Ruff d’y répondre.
[Traduction]
M. Ruff : Pour faire suite à ce qu’a dit M. McGuinty — et je suis entièrement d’accord avec lui —, le premier ministre ne censure rien. C’est le processus que nous suivons qui permet ces caviardages pour protéger la sécurité nationale, la défense nationale et surtout les relations internationales, puisque nous parlons des pays étrangers.
Votre critique, que vous avez soulevée à juste titre et que nous soulignons aussi dans notre rapport, sur l’information qui ne parvient pas au premier ministre, ne signifie pas que notre rapport ne lui parvient pas. Il s’agit d’information et de rapports précédemment publiés que la communauté du renseignement a retenus, et à juste titre. Voilà pourquoi nous l’avons signalé.
Rien de ce rapport n’a été caviardé à des fins politiques. Il est caviardé pour des raisons légitimes de sécurité nationale, de relations étrangères ou de défense nationale.
Pour répondre à votre question sur la solution à apporter à tout cela, cela ne fait pas vraiment partie de notre mandat. Les possibilités sont nombreuses. Je pense que le Parlement devra se saisir de cette question. Nous avons mentionné que notre comité était censé entamer cet examen d’une période de cinq ans il y a plusieurs années. Si le Parlement pense que notre comité peut y jouer un rôle ou assumer une autre fonction… c’est pourquoi notre deuxième recommandation suggère que le gouvernement présente ce processus aux partis politiques pour qu’ils déterminent la façon d’aborder ces allégations, qui ne sont pas entièrement de nature criminelle, mais qu’il faut malgré tout examiner. Peut-être qu’il devra confier cela à un autre organisme. Comme nous le suggérons dans notre rapport, il pourra examiner les différents…
[Français]
Le sénateur Carignan : Je ne veux pas argumenter avec vous, monsieur Ruff, car nous ne sommes pas en caucus. Si nous l’étions, je pourrais argumenter davantage.
M. McGuinty : Allez-y.
Le sénateur Carignan : Le mandat du comité, c’est d’examiner le cadre législatif réglementaire. Donc, s’il y a quelque chose qui ne fonctionne pas dans ce cadre, il faut dire ce qui pourrait fonctionner. C’est votre travail de l’examiner.
[Traduction]
Le sénateur Cardozo : Merci beaucoup d’être venus nous présenter votre rapport et merci pour le travail que vous accomplissez. Il est toujours encourageant de voir des gens de tous les partis travailler ensemble, surtout pour la sécurité nationale.
Ma question porte sur votre première recommandation concernant le registre. Beaucoup de gens et de communautés le réclament depuis longtemps. Pensez-vous que nous en demandons trop? Les mauvais joueurs qui sont venus chez nous pour commettre des actes répréhensibles ne se précipiteront pas pour s’inscrire au registre. Comment tirer le meilleur parti du registre dans ces circonstances?
M. McGuinty : Je ne pense pas que le comité laisse entendre — et vous non plus, je crois, sénateur — que ce registre soit une panacée.
Le sénateur Cardozo : Exactement.
M. McGuinty : Ce n’est pas une panacée, mais est quelque chose qui fait partie de l’arsenal d’interventions dont dispose le Canada.
Nous pensons que certaines choses utiles découleront du registre. Premièrement, il précisera ce qui constitue ou non de l’ingérence étrangère. Si vous posiez la question de la différence entre l’influence et l’ingérence étrangère à des collègues sénateurs, vous n’obtiendriez sûrement pas de réponse claire, ce qui est normal, puisque cela échappe à notre référentiel habituel. Nous estimons que ce genre de distinguo serait utile.
Le registre présentera aussi l’avantage de préciser nos attentes en matière de comportement et d’ingérence étrangère, ce qui n’est précisé nulle part. C’est quelque chose que mon bon ami, le sénateur du CTC, comme j’aime à l’appeler — et merci de votre indulgence... nous avons travaillé ensemble tous les deux pendant des années. Pardonnez-moi, je plaisante, sénateur Yussuff.
Sénateur, tout à l’heure vous avez posé une question sur la sensibilité de nos communautés de la diaspora. Nous sommes d’avis que le registre sur l’influence étrangère doit être soigneusement conçu afin d’éviter la stigmatisation des communautés ethnoculturelles et de protéger les droits et libertés des Canadiens. Ce sont des droits et des libertés qui nous tiennent à cœur et qui ont été gagnés de haute lutte. Nous pensons donc que le registre sera un grand progrès à cet égard.
Comme l’ont indiqué tout à l’heure nos deux collègues de l’autre côté de la salle, si nous sommes en retard dans cette danse, cela nous donne l’occasion de nous inspirer de l’expérience d’autres pays pour définir la façon d’utiliser le registre.
Le sénateur Cardozo : Merci.
Le sénateur Dean : Merci de vous être joints à nous et de nous avoir remis un autre rapport formidable qui est honnête, transparent et accessible. Il constitue une très bonne lecture. Il convient bien sûr de remarquer que vous y parlez de la répression transnationale, et vous profitez également de l’occasion pour nommer les principaux acteurs de la menace liée à l’ingérence étrangère. Vous y dites par ailleurs qu’au cours des deux ou trois dernières années, ce que j’appellerai le « tableau de classement » a un peu changé et que certaines personnes se sont déplacées vers le haut et d’autres vers le bas, ce qui est quand même surprenant.
Aujourd’hui, des témoins nous ont dit que le gouvernement devrait faire un suivi de la situation et identifier les principaux auteurs de menaces dans le projet de loi. Certes, bien des choses peuvent changer en cinq ans, et elles ont déjà évolué depuis deux ou trois ans. Il me semble que le gouvernement ou les organismes de sécurité pourraient régulièrement communiquer publiquement les noms des principaux acteurs sans forcément les intégrer dans une loi immuable pendant cinq ans. Avez-vous une opinion à ce sujet?
M. McGuinty : Non. Le comité n’a pas d’opinion à ce sujet. Nous n’avons pas examiné la question de l’identification des États étrangers qui demeurerait inchangée pendant un certain temps. Nous avons tenu compte de nos constats, au cours de la période d’examen, relativement à la hiérarchie de la participation à la pratique de l’ingérence étrangère.
Cela peut-il changer? Effectivement, et les choses ont déjà évolué et elles continueront d’évoluer. C’est à peu près certain. La géopolitique mondiale changera.
Je ne sais pas si nous pouvons ajouter grand-chose à cela, sénateur. Je ne sais pas si nommer des États serait une solution. Je pense que ce genre d’information serait peut-être rapidement dépassée. Qu’en pensez-vous, sénatrice?
La sénatrice Lankin : Je suis d’accord. La prudence aidant, vous pourriez envisager une autre approche et les parlementaires devraient considérer un autre mécanisme.
Je souhaite revenir sur la question du sénateur Carignan, je crois, relative aux noms des acteurs étatiques qui ont été caviardés. Il y a plusieurs raisons à cela. On a le choix parmi toutes celles qui sont énoncées dans les critères de la loi. Cet aspect demeurera délicat pour les gouvernements, même si un autre processus est suivi pour établir une liste. C’est la question qui se pose en fait et c’est l’une des choses dont les deux Chambres doivent être saisies pour déterminer la meilleure façon de fournir aux Canadiens une mise à jour de cette information.
Le sénateur Dean : Merci.
La sénatrice Dasko : Vous avez répondu à la plupart de mes questions, et c’est heureux. Les listes d’auteurs de menaces tombent rapidement en désuétude et les élections américaines approchent à grands pas, mais je ne m’engagerai pas sur cette voie.
Monsieur McGuinty, tout à l’heure, vous avez souligné tout l’intérêt que représentent les circonscriptions que je qualifierais de « gagnables », ou les circonscriptions qu’un parti détient déjà et qui sont très sûres pour lui. Vous avez mentionné le fait que l’ingérence étrangère s’exerce plus généralement dans ce genre de circonscriptions.
Certaines des recommandations de votre rapport se sont retrouvées dans le projet de loi, mais pas l’aspect du suivi des nominations. J’aimerais savoir ce que vous en pensez. Cela ne signifie-t-il pas que c’est important, bien qu’il n’en soit pas encore fait mention dans la loi? Cela ne risque-t-il pas de devenir un véritable problème pour notre système? Nous aurons des élections dans un an et demi, et si nous envisageons un tout nouveau processus et d’autres... Les courses à la direction ne sont pas mentionnées dans le projet de loi pas plus que d’autres facettes du processus politique. J’aimerais savoir ce que vous en pensez et si cela créera un véritable déficit en matière de sécurité et d’ingérence étrangère.
La sénatrice Lankin : Je vais intervenir et dire deux choses rapidement. Le projet de loi comporte une disposition qui traite de l’influence s’exerçant sur les partis politiques et le gouvernement. Il existe donc une disposition en ce sens.
Les détails concernant l’investiture et les courses à la direction sont très importants. Notre recommandation n’était pas d’en traiter dans le projet de loi, mais de faire participer les partis politiques à l’étude de cette question. Je pense que la Chambre des communes, à tout le moins, pour ne pas dire l’ensemble de la société canadienne se révolterait à l’idée qu’un gouvernement d’une certaine allégeance politique impose un tel système à tous les partis politiques sans véritable consultation des autres acteurs politiques.
Les parlementaires et les autres acteurs politiques ont un rôle à jouer, au plein sens du terme, car ils doivent assumer la responsabilité des processus identifiés grâce au renseignement, et plus particulièrement par le comité — comme on le voit aujourd’hui —, afin d’être protégés. Les partis politiques doivent s’entendre à cet égard. Elle ne sera pas imposée par un comité parlementaire ou par un gouvernement seul.
La sénatrice Dasko : Êtes-vous en train de dire qu’ils devraient assumer eux-mêmes la surveillance?
La sénatrice Lankin : Non. Je dis qu’ils doivent déterminer — et c’est notre recommandation que je me permets de vous lire. Il s’agit de la deuxième recommandation :
Le gouvernement mobilise les partis politiques pour déterminer si les processus de mise en candidature et les courses à la direction des partis doivent être ajoutés au cadre de la Loi électorale du Canada...
Nous disons que c’est une solution possible, mais il vous reste à déterminer si c’est la bonne façon de procéder, et tous les partis doivent mettre la main à la pâte et parvenir à une entente à ce sujet.
Je dirais que, si l’on veut que des mesures soient prises rapidement, compte tenu de ce que vous dites au sujet de l’imminence des élections, les parties devraient se réunir sans tarder pour faire ce travail. De plus, si l’on s’entend sur ce que devrait être la loi, s’il s’agit de la Loi électorale du Canada, alors cela pourrait être présenté à l’automne et mis en œuvre rapidement.
La sénatrice Dasko : Quoi qu’il en soit, je doute fort que les partis soient d’accord pour que cette surveillance relève du directeur général des élections, mais c’est ce que je pense. Merci.
M. McGuinty : Si vous me le permettez, monsieur le président, l’un des éléments encourageants du projet de loi C-70 réside dans le fait que l’article 53 prévoit une infraction pour influencer les processus politiques ou gouvernementaux, et que la définition de « processus politique ou gouvernemental » inclut la nomination des candidats.
La sénatrice Dasko : D’accord.
M. McGuinty : Elle va déjà assez loin, et peut-être pourrait‑on l’élargir davantage et s’appuyer sur certaines de nos recommandations.
La sénatrice Dasko : Merci.
Le sénateur Dalphond : Ma question portera précisément sur l’article 53 du projet de loi qui est un bon début. Cet amendement a été modifié pour ajouter le mot « intimidation », et des témoins aujourd’hui nous ont parlé de répression transnationale et du fait que des membres de diasporas sont soumis à la coercition et à des menaces, surtout ceux qui ont encore de la parenté dans d’autres pays.
Pensez-vous que cet article 53 règle bien la question? Certains témoins nous ont suggéré d’ajouter le mot « discrimination » en plus du mot « intimidation ».
Deuxièmement, je me demande si le problème ne sera pas l’application de ce genre de disposition, même si le libellé est parfait. Je suppose que cela revient à dire que les corps policiers, régionaux et provinciaux, ainsi que les procureurs de la Couronne et tous ceux qui participent aux enquêtes et, par la suite, aux accusations, devront être pleinement informés des menaces transnationales. J’estime que c’est là que le projet de loi pourrait éventuellement permettre de retracer l’origine des problèmes et favoriser la circulation d’informations — pas forcément des informations tout à fait exactes, mais pourvu qu’elles soient suffisantes — pour expliquer comment les stratagèmes sont employés et tout le reste.
Dans le dossier de la violence familiale, il a fallu une vingtaine d’années aux policiers pour comprendre ce que cela signifiait, puis pour agir. Le SCRS devrait peut-être aussi participer à la formation des corps policiers à ce sujet. Je ne sais pas ce que vous en pensez.
M. McGuinty : Voilà une série de questions importantes, sénateur, sur lesquelles nous ne nous sommes pas beaucoup arrêtés dans le cadre de l’examen. L’examen parle de ce que nous avons dit au sujet des processus de nomination et des congrès à la direction.
Nous avons souligné deux études de cas. L’une était l’étude de cas de Han Dong, et l’autre concernant l’ingérence étrangère dans deux courses à la direction du Parti conservateur du Canada. Nous sommes allés aussi loin que possible pour vous informer, vous et les Canadiens, de ce qui aurait pu se passer.
Comme je l’ai mentionné plus tôt, le Canada ne criminalise pas l’ingérence dans les processus d’investiture ou d’autres processus de partis politiques. Le nouveau projet de loi C-70 nous aidera beaucoup. Nous espérons que, grâce à celui-ci, entre autres, nous réduirons simplement les vulnérabilités, car nous avons reçu des renseignements troublants laissant entendre que les processus de nomination et les courses à la direction sont particulièrement vulnérables à l’ingérence étrangère. Ces volets de la vie politique ne sont pas visés par la réglementation ou la surveillance fédérales, et il serait peut-être temps de tenir une conversation adulte sur la façon de mieux les encadrer afin que les Canadiens puissent avoir davantage confiance dans le processus.
J’aimerais pouvoir vous éclairer davantage sur les questions que vous avez soulevées. Je ne pense pas que nous soyons en mesure de le faire pour l’instant.
La sénatrice Lankin : J’aimerais ajouter un mot.
M. McGuinty : S’il vous plaît.
La sénatrice Lankin : Merci. J’aimerais simplement ajouter que vous parlez aussi des témoins que vous avez entendus, peut‑être des organisations communautaires, des diasporas et de la question de savoir s’il faut ajouter des mots comme « intimidation » et « discrimination ».
Comme le président l’a dit, nous sommes un organisme d’examen. Nous examinons le cadre, ce qui est notre mandat en vertu de la loi. Nous n’examinons pas les lois. Nous faisons des recommandations. C’est à vous de déterminer si les mots sont les bons ou non, et notre comité n’a pas fait ce travail et n’a pas de point de vue commun que nous pourrions exprimer.
Le sénateur Woo : Je trouve intéressant que vous demandiez une définition plus claire du terme « ingérence étrangère », car il en existe une que vous utilisez également, j’en suis sûr. Cela a été révélé dans le rapport de l’Enquête publique sur l’ingérence étrangère, et le SCRS ainsi que le CST y vont tous deux de leurs définitions. Vous savez qu’il s’agit de menaces dirigées contre le Canada, de menaces coercitives, secrètes ou trompeuses, qui touchent les intérêts du Canada. Ne serait-ce pas là une définition convenable? Pourquoi ne pas la proposer, puisqu’il semble que beaucoup l’appliquent déjà.
M. McGuinty : Excusez-moi. Qui emploie cette définition?
Le sénateur Woo : Le SCRS et le CST ont des définitions très semblables.
M. McGuinty : D’accord.
Le sénateur Woo : Essentiellement autour des notions de coercition, de secret, et de tromperie à l’endroit de Canadiens ou d’intérêts canadiens.
M. McGuinty : La question est de savoir si le comité appuie la définition de l’« ingérence étrangère »...
Le sénateur Woo : C’est déjà largement employé dans ce sens.
M. McGuinty : Exact.
Le sénateur Woo : Seriez-vous à l’aise avec cela?
La sénatrice Lankin : Nous n’avons pas examiné le libellé. Je peux vous dire, cependant, que celle-ci n’est pas universellement appliquée par l’ensemble de la communauté de la sécurité et du renseignement.
Le sénateur Woo : Vrai.
La sénatrice Lankin : Cela est important, car nous devons être cohérents. Il est très important de prévoir cette disposition dans la loi pour que le public puisse également y avoir accès afin d’orienter des choses comme les définitions sous la rubrique de la sécurité de l’information ou celle du registre de transparence en matière d’influence étrangère.
Ce n’est pas exactement ce sur quoi portait votre question, mais il se trouve que, dans le rapport, nous faisons référence à la nécessité de parvenir à une définition commune à l’ensemble de la communauté du renseignement, de l’application de la loi et de la défense, et en même temps de s’entendre tous sur les seuils à respecter pour qu’une action soit considérée comme constituant de l’ingérence étrangère plutôt que de l’influence étrangère, ces seuils n’étant pas les mêmes pour tout le monde. Il existe des écarts énormes. Nous n’avons pas réglé ce problème. Nous recommandons que le gouvernement et le Parlement le règlent.
Le sénateur Woo : J’aimerais poser une autre question. Nous avons appris de l’Enquête publique sur l’ingérence étrangère, en particulier lors des audiences — par les témoignages du Groupe de travail sur les menaces en matière de sécurité et de renseignements visant les élections, ainsi que du groupe des cinq — qu’après réception de certains renseignements communiqués par les organismes de sécurité et de renseignement, chacun y va de son propre jugement et se fonde sur ses connaissances générales du monde. Cela étant, certains renseignements ont été rejetés parce que jugés peu plausibles, peu convaincants, non crédibles, incohérents ou tout simplement erronés, si bien que personne n’a tiré la sonnette d’alarme. Vous connaissez l’histoire.
Votre comité, le CPSNR, applique-t-il le même genre de démarche quand il reçoit des renseignements, ou votre protocole est-il radicalement différent?
M. McGuinty : Je vais répondre rapidement, puis je vais demander à M. Ruff d’intervenir. Nous examinons tous ces aspects, et nous sommes l’un des destinataires des évaluations du processus fondamental du protocole électoral après les élections. Nous comprenons ce dont il retourne. Habituellement, c’est une tierce partie qui s’en occupe et qui nous soumet les résultats de son examen. Nous les examinons et formulons des commentaires.
Nous sommes au courant. Nous sommes par ailleurs conscients de la difficulté qu’éprouvent les membres du Groupe des cinq à savoir exactement où se situe le seuil. À quel moment le seuil est-il atteint ou dépassé, et à quel moment faut-il faire appel au Groupe des cinq pour informer les Canadiens que nous avons un problème lors de telle ou telle élection?
Jusqu’à maintenant, selon les gens ayant participé à des évaluations par des tiers, le seuil n’a pas été atteint, mais je pense que M. Ruff peut ajouter quelques points.
M. Ruff : C’est pourquoi nous avons la recommandation 5 ici. Nous demandons à ce que les seuils soient clairement définis. C’est une question que nous avons examinée très attentivement tout au long de l’étude, tout au long de l’examen, sous différents angles, et c’est pourquoi vous avez toute cette idée de seuils correspondant à différents niveaux de défi, à des modes d’influence sur les courses à l’investiture, sur les élections fédérales et sur tout ce qui a trait à notre processus démocratique institutionnalisé. Le comité est d’avis qu’il faut préciser les seuils afin que les Canadiens comprennent qui a l’obligation de déclarer quoi et quand. Il faut tirer cela au clair.
Le sénateur Woo : Je suis d’accord. Je pense que la commissaire Hogue va travailler là-dessus également, et nous avons hâte de voir ce qu’elle va proposer, mais ma question est légèrement différente.
Remettez-vous en question l’exactitude et la crédibilité du renseignement lui-même, quand on vous rapporte un fait qui ne vous semble pas vrai, ou prenez-vous tout au pied de la lettre? Je comprends du travail électoral que, parfois, les fonctionnaires examinent l’information et déterminent qu’elle ne paraît pas vraie. L’analyse semble imparfaite — elle ne semble pas tenir la route. Avez-vous ce genre de réflexe à votre comité? Êtes-vous en mesure de remettre les choses en question?
M. McGuinty : Madame Inman, pouvez-vous essayer de répondre?
Mme Inman : Oui. Je vais parler du point de vue du secrétariat. En fait, nous sommes l’organisme qui traite avec les organismes et les ministères produisant l’information. Nous déterminerons ce que le comité demande, nous demanderons des renseignements en son nom pour les lui transmettre et les lui présenter, mais ni le secrétariat, ni le CPSNR, ni le comité ne font de collecte de renseignements.
Le sénateur Woo : D’accord.
Mme Inman : Le comité ne collecte pas de renseignements et il n’est pas un organisme d’évaluation. Les rapports du CPSNR...
Le sénateur Woo : Vous prenez tel quel ce qui vous est adressé?
Mme Inman : Jusqu’à un certain point. Je dirais que les rapports du CPSNR énoncent ce qui était connu ou ce qui a été signalé — c’est ce qui était à la disposition des décideurs à l’époque, et c’est de cette façon que le gouvernement ou les décideurs ont réagi à ce qu’ils savaient.
Sachez que le rapport du comité comporte une note au lecteur précisant que, dans les chapitres descriptifs ou dans ceux présentant le contexte, le comité a vraiment essayé de faire la part entre les renseignements communiqués au sujet de l’événement, les évaluations ultérieures de ces renseignements et les renseignements que le comité a reçus lors de comparutions classifiées.
Le sénateur Woo : Voilà qui est utile. Merci.
M. McGuinty : Merci, sénateur.
[Français]
Le vice-président : Avant de passer au second tour, monsieur McGuinty, j’ai une question pour vous. Un soupçon d’ingérence étrangère par le SCRS n’est pas nécessairement une preuve judiciaire. Je vous dirais qu’on peut même parfois être très loin de cela. Ceux qui font de l’ingérence nuisible vont souvent le faire pour le compte de grandes puissances étrangères et vont agir dans l’ombre et dans le secret, évidemment. Dans quelle mesure un registre devient-il une protection suffisante pour notre démocratie? Que savent nos services de renseignement et qui pourrait être utilisé pour empêcher l’élection au Canada de personnes qui seraient à la solde d’une puissance étrangère, par exemple? J’imagine que c’est le point de départ de ce projet de loi.
M. McGuinty : C’est une question extrêmement difficile.
Le vice-président : D’habitude, je pose des questions difficiles.
M. McGuinty : Vous attendez à la fin de la réunion, en plus.
On a fait preuve d’une certaine distance sur l’évaluation de la question relative à la création du registre. Je ne sais pas si j’ai autre chose à ajouter. Ce qu’on a dit à ce sujet figure dans le rapport. On pense que le registre va jouer un rôle important qui aidera à définir ce qu’est l’ingérence étrangère et ce qu’on ne sait pas. Il va établir des données de base et va aider les gens à comprendre ce que sont les activités acceptables et non acceptables. Est-ce une solution définitive? Non. C’est une option, un mécanisme qui est là pour nous aider. Selon nous, avec d’autres mécanismes, il permettra de clarifier la situation et de contrer l’ingérence étrangère, évidemment.
Le vice-président : Vous pouvez le mettre par écrit, mais je pense qu’on n’aura pas le temps.
[Traduction]
Le sénateur Housakos : Chers collègues, nous avons passé beaucoup de temps à parler de ce qui n’a pas été fait au sujet de l’ingérence étrangère et de ce qui doit être fait, mais il y a la situation actuelle. En vérité, nous savons que, s’agissant de sécurité nationale et d’ingérence étrangère, la responsabilité incombe au premier responsable du gouvernement, c’est-à-dire au premier ministre.
La loi est également claire. Le ministre peut très bien ne pas décider dans le détail de ce qui doit être caviardé et de ce qui ne doit pas l’être, mais il approuve toutes les séances d’information sur les questions de sécurité nationale, et il peut, s’il le désire, être mis au courant de tous les renseignements lui étant destinés.
Pour moi, la question n’est pas de savoir si c’est lui qui a caviardé ces rapports ou non. Le débat ici concerne les fuites émanant d’employés frustrés du SCRS, et nous savons maintenant que, sciemment ou non, un certain nombre de parlementaires ont contribué à l’ingérence étrangère.
La question demeure : qu’est-ce que le premier ministre a fait pour alerter les parlementaires qui, sans le vouloir, ont été pris dans une manœuvre d’ingérence étrangère afin de leur permettre de prendre des mesures préventives dans l’avenir? Qu’est-ce que le premier ministre et le gouvernement ont fait des députés qui se sont sciemment livrés à de l’ingérence étrangère?
La vérité — et je ne m’attends pas à obtenir une réponse du CPSNR — c’est que, pour nous, parlementaires, et pour les Canadiens en général, ce n’est tout simplement pas suffisant. Nos plus hautes institutions démocratiques sont remises en question, et pour répondre à votre question, je dirai que nous nous en remettons entièrement à l’institution la plus partisane qui existe au sein du gouvernement — le Cabinet du premier ministre — pour prendre une décision que tous les premiers ministres prennent invariablement par opportunisme politique.
Alors, que faisons-nous pour empêcher que cela se perpétue? Que faisons-nous maintenant pour exiger des comptes des parlementaires qui ont sciemment participé à des activités d’ingérence étrangère?
M. McGuinty : Je ne veux pas vous décevoir, mais je vais le faire quand même.
La sénatrice Lankin : Il ne s’attendait pas à une réponse.
M. McGuinty : Honnêtement, ce sont des questions qu’il faut poser au premier ministre.
Le sénateur Housakos : Nous pourrions peut-être l’inviter au Sénat. Nous allons le convoquer, avec l’accord de mes collègues.
M. McGuinty : Bien sûr. La bonne nouvelle, c’est que nous faisons partie d’un comité appelé le CPSNR, qui a été créé par la Chambre à l’initiative du premier ministre. Nous soulevons des questions importantes. C’est un bon point de départ. Tenons un débat et une discussion à ce sujet. Tirons les choses au clair. Parlons de l’ampleur de ce défi. Parlons de certains recours qui peuvent être envisagés, comme le projet de loi C-70. Comment peut-on mieux l’améliorer?
C’est un travail itératif qui est déjà en cours. Nous allons y arriver. Aucun membre du comité ne se dit que nous avons mis le doigt sur la réponse appropriée, mais nous espérons qu’il s’agit d’une contribution importante et que les décideurs auront jugé utile de l’examiner et de déterminer qu’ils doivent s’y attaquer.
Je pense que, si on leur en donne la chance, les Canadiens sont parfaitement capables de comprendre ce qu’est l’ingérence étrangère par rapport à l’influence étrangère. Nous espérons qu’un grand nombre de Canadiens liront cette analyse. C’est un long document de 106 pages à lire en un week-end ou deux, mais qui peut vraiment aider à se préparer.
Sénateur, je vais peut-être reprendre ce qu’a déclaré à deux reprises ce soir ma très bonne amie, la sénatrice Lankin : l’ingérence étrangère transcende les parlements, c’est une question sociétale. Nous ne pouvions pas voir un seul élément de la société canadienne épargné par l’ingérence étrangère en ce qui concerne l’information que nous avons fouillée dans quelque 33 000 pages de documents. C’est un défi canadien, pas seulement un défi parlementaire canadien. Espérons que nous nous réunirons tous et que nous nous servirons peut-être un peu d’outils pour trouver la réponse appropriée dans l’arène partisane afin que nous puissions faire ce qu’il faut pour les Canadiens. Je pense que c’est ce que nous essayons de faire ici aussi.
Vous et moi avons parlé à maintes reprises dans le passé, et je sais que vous le savez. Je sais que c’est ce que vous ressentez et ce que vous voulez — nous le voulons tous —, alors il est important pour nous de bien faire les choses, et c’est pourquoi nous sommes si reconnaissants d’être ici pour vous en parler.
[Français]
Le sénateur Carignan : En conclusion, le gouvernement nous propose un nouvel article dans le Code criminel qui prévoit ceci :
Commet un acte criminel quiconque, sur l’ordre d’une entité étrangère ou en collaboration [...] a une conduite subreptice ou trompeuse en vue d’influencer un processus politique ou gouvernemental, la gouvernance scolaire, l’exercice d’un devoir [...]
La définition de la gouvernance scolaire dit ceci : « S’entend de la gouvernance d’un conseil scolaire, d’une école primaire ou secondaire [...] »
Est-ce qu’on ne pousse pas le bouchon un peu loin en qualifiant d’acte criminel le fait de s’ingérer dans l’élection scolaire de l’École primaire Arc-en-ciel de Saint-Eustache et en faisant de cela une infraction passible de l’emprisonnement à perpétuité, alors que de l’autre côté, on a des parlementaires qui ont commis des actes et qui ne sont ni poursuivis ni dénoncés?
Il me semble que les gens qui nous écoutent doivent se dire qu’il y a quelque chose d’incongru dans le système.
M. McGuinty : Je ne pense pas que l’on soit en mesure de répondre directement à ces questions importantes, parce qu’on n’en a pas traité.
Le sénateur Carignan : Donc, ce n’est pas votre recommandation, l’ingérence dans l’école primaire?
M. McGuinty : Dans notre rapport de 2019, nous avons exposé des situations d’ingérence étrangère dans nos écoles, dans nos universités.
Le sénateur Carignan : Les universités, ça va.
M. McGuinty : Non, dans nos écoles, dans nos conseils scolaires; nous l’avons bien exposé, c’est dans le rapport. C’est peut-être la raison pour laquelle le gouvernement... Je ne sais pas, ce n’est pas nous qui avons rédigé le projet de loi C-70, mais nous avons démontré qu’il y avait eu de l’ingérence étrangère dans ces secteurs auparavant.
Il faudrait donc peut-être retourner au rapport de 2019, mais tout cela a été bien documenté.
Le sénateur Carignan : Merci.
Le vice-président : Pouvez-vous conclure brièvement, sénateur Cardozo?
Le sénateur Cardozo : J’ai juste une petite question.
[Traduction]
J’ai une petite question au sujet de votre rapport et de la question des noms. Vous savez qu’à l’autre endroit, je pense que le gouvernement a accepté la proposition du Bloc de demander à la Commission Hogue d’examiner la question pour voir si elle va citer des noms. Avez-vous une idée de ce qu’il faudrait faire ensuite pour que les Canadiens sachent qui sont ces noms et quels partis politiques sont concernés?
M. McGuinty : C’est une excellente question, une question qu’on nous pose très souvent, en fait. Écoutez, dans tous ses rapports, le comité vise à communiquer le plus d’informations possible. Depuis la création du comité, celui-ci tend à être plus transparent, mais il se heurte à des contraintes claires dans notre loi habilitante.
Dans ce cas-ci, le comité a travaillé fort pour divulguer le plus de renseignements possible. Tout ce que je peux dire, c’est que ce rapport se passe de commentaires. Au cours des 18 derniers mois, nous avons divulgué tout ce qui pouvait l’être. Il appartient maintenant au Parlement de décider. Si vous dites qu’il y a consensus — et nous ne sommes pas allés du côté des Communes aujourd’hui — sur une manière de régler cette question, éventuellement par l’entremise de la juge Hogue, je pense que le comité trouvera probablement cela encourageant si nous trouvons des moyens de surmonter une partie de la partisanerie immédiate.
Il y aura des différences dans la façon dont nous décidons de faire face à ce phénomène. En terminant, monsieur le président, je dirais aux Canadiens et aux sénateurs que ce phénomène n’est pas sur le point de disparaître. Il est de plus en plus intense, il est de plus en plus sophistiqué et il touche tous les recoins de la société canadienne. C’est pourquoi, quand le premier ministre nous a demandé d’entreprendre cette troisième étude sur l’ingérence étrangère, nous avons décidé d’élargir le mandat pour remonter avant les deux dernières élections et examiner l’ensemble des processus, des systèmes et des institutions démocratiques. Nous en profitons pour rappeler aux gens qu’ils doivent s’intéresser davantage à ce qui se passe. Si vous êtes chercheur universitaire, membre du conseil d’administration d’une entreprise, si vous dirigez une association communautaire, sachez que des acteurs malveillants aimeraient exercer une influence au Canada à leurs propres fins. Nous espérons seulement qu’ensemble, nous serons en mesure de progresser sur ce front.
Le sénateur Cardozo : Merci.
[Français]
Le vice-président : Nous arrivons donc à la fin du temps que nous avions avec ce groupe de témoins.
Nous remercions M. McGuinty, la sénatrice Lankin, M. Ruff et Mme Inman d’avoir pris le temps de nous rencontrer aujourd’hui; c’est très apprécié.
Cela nous amène à la fin de notre réunion. Nous allons poursuivre l’examen de la teneur de ce projet de loi le mercredi 12 juin, à 11 h 30, dans la pièce B45 de l’édifice du Sénat du Canada.
Je profite de l’occasion pour remercier mes collègues ainsi que nos analystes, la greffière, les interprètes et tout le personnel de soutien. Ce fut une longue journée. Je vous souhaite à tous une très bonne soirée.
(La séance est levée.)