LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE LA SÉCURITÉ NATIONALE, DE LA DÉFENSE ET DES ANCIENS COMBATTANTS
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 12 juin 2024
Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants se réunit aujourd’hui, à 11 h 32 (HE), avec vidéoconférence, pour examiner la teneur du projet de loi C-70, Loi concernant la lutte contre l’ingérence étrangère.
Le sénateur Jean-Guy Dagenais (vice-président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le vice-président : Avant de commencer, j’aimerais demander à tous les sénateurs et aux autres participants en personne de prendre connaissance des fiches posées sur la table afin de se familiariser avec les lignes directrices visant à prévenir les incidents liés aux retours de son. Veuillez prendre note des mesures préventives suivantes mises en place pour protéger la santé et la sécurité de tous les participants, dont les interprètes.
[Français]
Dans la mesure du possible, veillez à vous asseoir de manière à augmenter la distance entre les microphones. N’utilisez qu’une oreillette noire homologuée. Les anciennes oreillettes grises ne doivent plus être utilisées. Tenez votre oreillette éloignée de tous les microphones à tout moment. Lorsque vous n’utilisez pas votre oreillette, placez-la, face vers le bas, sur l’autocollant placé sur la table à cet effet.
[Traduction]
Bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants. Je suis Jean-Guy Dagenais, sénateur du Québec et vice-président du comité. Notre président, le sénateur Dean, est le parrain du projet de loi C-70, que nous examinons cette semaine. C’est lui qui m’a demandé de présider ces travaux.
[Français]
Avant de commencer, j’inviterais les membres du comité présents aujourd’hui à se présenter.
[Traduction]
La sénatrice McBean : Marnie McBean, sénatrice de l’Ontario.
Le sénateur Richards : Dave Richards, sénateur du Nouveau-Brunswick.
[Français]
Le sénateur Carignan : Bonjour. Claude Carignan, du Québec.
Le sénateur Housakos : Leo Housakos, du Québec.
Le sénateur Dalphond : Pierre J. Dalphond, du Québec.
[Traduction]
La sénatrice Patterson : Rebecca Patterson, de l’Ontario.
La sénatrice M. Deacon : Bienvenue. Marty Deacon, de l’Ontario.
La sénatrice Anderson : Margaret Dawn Anderson, des Territoires du Nord-Ouest.
La sénatrice Dasko : Donna Dasko, sénatrice de l’Ontario.
Le sénateur Cardozo : Andrew Cardozo, de l’Ontario.
Le sénateur Boehm : Peter Boehm, de l’Ontario.
Le sénateur Cotter : Brent Cotter, sénateur de la Saskatchewan.
Le sénateur Yussuff : Hassan Yussuff, de l’Ontario.
Le sénateur McNair : John McNair, du Nouveau-Brunswick.
[Français]
Le sénateur Kutcher : Stan Kutcher, de la Nouvelle-Écosse.
Le vice-président : Nous poursuivons aujourd’hui notre examen de la teneur du projet de loi C-70, Loi concernant la lutte contre l’ingérence étrangère. Pour continuer ce travail, je suis heureux d’accueillir l’honorable Arif Virani, c.p., député, ministre de la Justice et procureur général du Canada, et l’honorable Dominic LeBlanc, c.p., député, ministre de la Sécurité publique, des Institutions démocratiques et des Affaires intergouvernementales. Bienvenue, messieurs Virani et LeBlanc. Ils sont accompagnés de fonctionnaires de Sécurité publique Canada, du Service canadien du renseignement de sécurité, de la Gendarmerie royale du Canada et du ministère de la Justice Canada.
[Traduction]
Merci de vous être joints à nous aujourd’hui. Nous allons commencer par les déclarations liminaires. Monsieur Virani, vous pouvez commencer dès que vous serez prêt.
[Français]
L’honorable Arif Virani, c.p., député, ministre de la Justice et procureur général du Canada : Merci beaucoup, monsieur le président.
[Traduction]
Je suis très heureux d’être ici aujourd’hui pour parler avec vous, ici au Sénat, du projet de loi C-70.
Ce projet de loi tient compte à la fois de la réalité de la menace d’ingérence étrangère à laquelle notre pays est confronté et des opinions des Canadiens et des experts sur la meilleure façon d’y faire face. Les propositions qu’il contient sont rigoureuses, directes et mesurées.
[Français]
Le projet de loi C-70 propose de modifier les infractions existantes et d’en ajouter de nouvelles dans la Loi sur la protection de l’information et le Code criminel, afin de répondre directement à la menace que l’ingérence étrangère fait peser sur notre démocratie. Les modifications proposées protégeraient les personnes au Canada, y compris la diaspora qui est touchée de manière disproportionnée, contre la menace en constante évolution que représente l’ingérence étrangère.
[Traduction]
Ces modifications s’appuient sur les consultations approfondies que nous avons menées avec les communautés concernées, les partenaires provinciaux, territoriaux et autochtones, les universitaires, la communauté juridique et d’autres parties prenantes. Plus de 40 tables rondes ont précédé la présentation de ces dispositions législatives.
Le message qui est ressorti de ces consultations est clair : le Canada doit prendre des mesures pour doter les organismes d’application de la loi et les procureurs des outils dont ils ont besoin pour contrer l’ingérence étrangère.
[Français]
En ce qui concerne la Loi sur la protection de l’information, le projet de loi modifie l’infraction actuelle consistant à recourir à l’intimidation, aux menaces ou à la violence à l’encontre des Canadiens et des personnes vivant au Canada pour le compte d’États étrangers. Pour aider la police et les procureurs à lutter contre la répression transnationale, il supprime l’obligation de prouver que l’acte interdit a effectivement porté atteinte aux intérêts canadiens ou visait à accroître la capacité d’un État étranger à porter atteinte aux intérêts canadiens.
En vertu de ce projet de loi, il faudra plutôt prouver que l’acte interdit a été commis sur l’ordre d’un État étranger ou en collaboration avec celui-ci.
Le projet de loi garantit que la Loi sur la protection de l’information s’applique aux menaces proférées par des États étrangers à l’encontre de membres des familles des Canadiens et Canadiennes. Ceci inclut lorsque ces membres sont menacés dans le but d’exercer des pressions sur quelqu’un pour qu’il fasse ou ne fasse pas quelque chose, par exemple pour protester contre un gouvernement étranger.
En d’autres mots, un individu se trouvant outre-mer contrevient à la loi lorsqu’il menace un Canadien ou un membre de sa famille, et ce, à la demande d’un État étranger.
[Traduction]
Le projet de loi crée trois nouvelles infractions aux termes de la Loi sur la protection de l’information.
Premièrement, il y aura une infraction pour la perpétration de tout acte criminel pour le compte d’une entité étrangère.
Deuxièment, on instaurera une nouvelle infraction générale d’ingérence étrangère qui s’appliquera lorsqu’une personne se livrera sciemment à une conduite subreptice ou trompeuse pour le compte d’une entité étrangère.
Avec la troisième nouvelle infraction d’ingérence politique pour le compte d’une entité étrangère, la loi criminalisera l’ingérence subreptice ou trompeuse dans un processus démocratique sous la direction d’une entité étrangère ou en association avec elle. Cette dernière infraction s’appliquerait à tout moment — et pas seulement en période électorale — et à tous les paliers de gouvernement. Elle s’appliquerait également au processus d’investiture des partis politiques et aux échelons les plus élevés de prise de décision des établissements d’enseignement.
Ces mises à jour de la loi sont destinées à protéger nos institutions de toute ingérence. Il y a infraction lorsqu’une influence étrangère malveillante tente en secret de saper les processus légitimes.
Le projet de loi propose également de durcir les sanctions et d’élargir le champ d’application du délit d’actes préparatoires couvert par la Loi sur la sécurité de l’information. L’expression « actes préparatoires » désigne les actions entreprises en vue de commettre certaines infractions telles que l’espionnage ou les menaces de violence pour le compte d’une entité étrangère.
[Français]
En ce qui concerne le Code criminel, le projet de loi propose de moderniser l’infraction actuelle de sabotage qui n’a pas été révisée depuis 1951, ainsi que d’ajouter deux infractions concernant les infrastructures essentielles et les dispositifs destinés à être utilisés à des fins de sabotage. Pendant les consultations publiques, les intervenants des associations canadiennes et de l’industrie ont indiqué clairement la nécessité de protéger les infrastructures essentielles.
Les modifications proposées reconnaîtraient expressément le droit à la liberté d’expression et le droit à la liberté de réunion pacifique protégés par la Charte et confirmeraient que les personnes qui agissent en vertu de ces droits, sans intention de commettre un acte de sabotage, ne tombent pas sous le coup de l’infraction.
Pour s’assurer que ces nouvelles infractions soient utilisées dans des circonstances appropriées, le procureur général devra donner son consentement avant que des accusations liées au sabotage ne soient portées.
[Traduction]
Il est absolument essentiel que le droit de manifester pacifiquement soit sauvegardé, et il le sera grâce à ce projet de loi.
Grâce à ces importantes propositions législatives, notre gouvernement prend des mesures concrètes pour protéger les Canadiens et nos institutions démocratiques contre l’ingérence étrangère.
Je vous remercie et je cède la parole à la présidence.
[Français]
Merci beaucoup.
Le vice-président : Merci beaucoup, monsieur le ministre Virani. Maintenant, nous allons entendre le ministre LeBlanc.
[Traduction]
L’honorable Dominic LeBlanc, c.p., député, ministre de la Sécurité publique, des Institutions démocratiques et des Affaires intergouvernementales : Distingués sénateurs, je vous remercie de me donner l’occasion de vous parler aujourd’hui du projet de loi C-70 dans le cadre de votre étude préliminaire à ce sujet.
Monsieur le président, permettez-moi une parenthèse bien personnelle. Lorsque nous avons fait un tour de table et que les sénateurs se sont présentés, il y a eu un moment où j’ai souri. La présence du sénateur McNair, du Nouveau-Brunswick, est pour moi un événement particulièrement heureux. J’étais jeune stagiaire dans un cabinet d’avocats à Saint John, au Nouveau-Brunswick, il y a 31 ans, lorsque le sénateur McNair était un associé principal de ce cabinet. J’ai eu la chance de le connaître pendant trois décennies, et de le voir assis ici aujourd’hui me fait particulièrement chaud au cœur. Je sais que mon père partagerait ce sentiment.
Monsieur le président, l’ingérence étrangère est aujourd’hui l’une des choses qui menacent le plus la société canadienne, notre prospérité économique et notre souveraineté. En donnant à nos organismes d’application de la loi et du renseignement des outils et des pouvoirs accrus, la loi concernant la lutte contre l’ingérence étrangère renforcerait notre capacité à détecter et à désamorcer les menaces d’ingérence étrangère qui pèsent sur notre sécurité nationale, tout en respectant les intérêts et les droits des Canadiens ainsi que, bien entendu, le besoin de transparence.
[Français]
Honorables sénateurs, il convient d’abord de mentionner que les changements proposés tiennent compte des points de vue des Canadiens que le gouvernement a entendus lors des consultations.
[Traduction]
L’un des principaux piliers de ce projet de loi et de son engagement envers la transparence est la création d’un registre visant la transparence en matière d’influence étrangère.
Au printemps 2023, le gouvernement a tenu des consultations publiques pour guider la création d’un registre visant la transparence en matière d’influence étrangère. Le gouvernement a également mené d’autres consultations publiques sur d’éventuelles modifications législatives à la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, au Code criminel, dont mon collègue vient de parler, à la Loi sur la protection de l’information et à la Loi sur la preuve au Canada.
Aux termes de ce registre, on exigerait que toute personne ou entité qui conclue un arrangement avec un commettant étranger et qui entreprend des activités visant à influencer un gouvernement ou un processus politique au Canada déclare publiquement ces activités.
L’objectif de ce registre est de promouvoir la transparence de la part de toutes les personnes qui défendent les intérêts de gouvernements ou d’entités étrangers, ainsi que d’assurer que ceux qui chercheraient à le faire de façon clandestine soient tenus dûment responsables de leurs actes.
[Français]
Toutefois, le registre n’est, en aucun cas, une solution universelle à l’ingérence étrangère. Ce problème constitue une menace complexe qui exige une approche à plusieurs volets.
[Traduction]
Des modifications ciblées à la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité permettraient également au gouvernement d’être mieux équipé pour renforcer la résilience et contrer les menaces modernes auxquelles le Canada est désormais confronté.
En outre, le projet de loi C-70 permettrait au Service canadien du renseignement de sécurité, ou SCRS, d’être plus souple et plus efficace dans ses enquêtes en prévoyant de nouvelles autorisations pour certaines techniques d’enquête. La nouvelle loi ferait aussi en sorte d’élargir la divulgation de renseignements à des partenaires clés en dehors de l’appareil gouvernemental du Canada. En prévoyant des mesures de protection adéquates, ces renseignements aideront les Canadiens à mieux se défendre face à ces menaces.
Ce projet de loi propose également plusieurs nouvelles mesures pour aider le SCRS dans ses enquêtes sur l’ingérence étrangère. Ces mesures combleraient les lacunes qui plombent les pouvoirs du SCRS et qui ont gagné en gravité avec, bien entendu, l’évolution mondiale vers les communications et les technologies numériques. Par exemple, y sont proposées des ordonnances de préservation et de communication, lesquelles permettraient au SCRS de demander à la Cour fédérale de contraindre un tiers à préserver ou à communiquer des renseignements susceptibles de lui être utiles dans le cadre d’une enquête donnée.
Distingués sénateurs, il est important de souligner que toutes ces modifications législatives se feront dans le respect des droits et libertés fondamentaux des Canadiens. Mon collègue, le procureur général, l’a expliqué il y a un instant. Les rigoureuses mesures d’examen, de surveillance et de transparence que nous avons resteront en place et ne seront pas changées.
Toutes ces propositions ont été élaborées en tenant compte des attentes élevées des Canadiens en matière de protection de la vie privée et, bien sûr, en ce qui concerne les protections qui leur sont accordées aux termes de la Charte canadienne des droits et libertés.
[Français]
Nos organismes de sécurité et de renseignement travaillent d’arrache-pied pour détecter et contrer les menaces et je suis convaincu qu’ils continueront de le faire. Je suis accompagné du directeur du Service canadien du renseignement de sécurité et du sous-commissaire de la GRC, qui pourront évidemment vous donner des détails.
L’ingérence étrangère n’est jamais acceptable et le Canada ne doit jamais tolérer l’intimidation, le harcèlement ou la désinformation de la part d’acteurs étrangers envers notre pays.
[Traduction]
En conclusion, monsieur le président, l’adoption du projet de loi C-70 nous permettra de mieux faire face à la menace de l’ingérence étrangère tout en respectant les droits et libertés de tous les Canadiens.
[Français]
Monsieur le président, je sais que je parle également pour mon collègue quand je dis que nous avons vraiment hâte de répondre à vos questions et à vos suggestions. Merci beaucoup.
Le vice-président : Merci beaucoup, monsieur le ministre LeBlanc.
Nous allons maintenant procéder à la période des questions. Comme toujours, quatre minutes vous seront allouées pour chaque question, y compris la réponse. Je le dis et le répète : quatre minutes vous seront allouées pour chaque question et pour la réponse. Je vous demande de poser des questions succinctes, afin de permettre d’entendre le plus grand nombre d’interventions possibles.
[Traduction]
Le sénateur Housakos : Merci, messieurs les ministres, de votre présence.
Jusqu’ici, notre comité a entendu des témoignages troublants de la part de nombreux témoins qui ont souligné le fait que, tandis que d’autres pays du Groupe des cinq n’ont pas hésité à voter des dispositions législatives appropriées et à doter leurs agences de sécurité nationale de ce dont elles avaient besoin pour lutter contre l’ingérence étrangère, le Canada s’est évertué à faire tarder les choses et à essayer de définir ce qu’est l’ingérence étrangère. De toute évidence, ce projet de loi a été déposé à la hâte, neuf ans après le début du gouvernement actuel.
Messieurs les ministres, c’est un constat troublant, surtout quand on pense que la première chose que le gouvernement a faite en 2015 a été de remanier le projet de loi C-51, qui traitait de la question de la sécurité nationale et commençait à aborder celle de l’ingérence étrangère. Il est également troublant de voir que ce gouvernement a retardé l’examen du projet de loi sur l’ingérence étrangère que Kenny Chiu a déposé à la Chambre il y a de nombreuses années. Il est également troublant de constater que, depuis trois ans, le Sénat du Canada soit saisi d’un projet de loi — le projet de loi S-237 — qui a été ajourné, et qu’aucun représentant du gouvernement ne veuille dire quoi que ce soit à ce sujet.
Bien sûr, le comble dans tout cela, c’est que, il y a plus d’un an, le gouvernement a décidé de nommer un rapporteur spécial — l’ancien gouverneur général David Johnston — pour étudier cette question, et que les conclusions de ce dernier ont été conformes au point de vue que le gouvernement avait à ce moment-là, à savoir qu’il n’y avait rien de particulier à signaler et qu’on pouvait passer à autre chose.
Messieurs les ministres, il y a deux questions que j’aimerais vous poser. Premièrement, je voudrais que vous disiez au comité combien le rapporteur spécial a coûté aux contribuables canadiens. Je pense que nous sommes tous d’accord pour dire qu’il s’agissait d’une mesure d’atermoiement et d’une dépense inutile pour les contribuables. Deuxièmement, si, il y a plus d’un an, le rapporteur spécial n’avait pas été mis en place à des fins dilatoires, à quel point serions-nous plus avancés en ce qui a trait à l’adoption du projet de loi dont nous sommes saisis?
M. LeBlanc : Évidemment, je n’adhère pas à l’introduction partisane du sénateur Housakos. Ces observations partisanes peuvent être maintenues, mais je ne crois pas qu’il soit constructif de les aborder. Nous sommes heureux de parler du projet de loi qui est actuellement devant la Chambre des communes et qui, nous l’espérons, sera renvoyé au Sénat.
La question particulière du coût de l’ancien gouverneur général Johnston — nommé à ce poste par M. Harper — en est une que le sénateur Housakos connaît bien, puisqu’il a été président du Sénat sous le premier ministre Harper. L’ancien gouverneur général Johnston a fait ce travail. Je n’ai pas les chiffres exacts concernant les coûts relatifs au travail du rapporteur spécial. Le Bureau du Conseil privé les aurait, et nous serons heureux de veiller à ce qu’ils vous soient communiqués.
Le sénateur Housakos : Monsieur le ministre, vous êtes confronté à de la politique partisane tous les jours de la semaine, et nous sommes au Parlement. Nous posons des questions difficiles et nous attendons des réponses honnêtes et transparentes.
Il faut répondre à ma deuxième question. Nous méritons une réponse, tout comme les Canadiens. À quel point ce projet de loi aurait-il avancé si le gouvernement l’avait déposé il y a plus d’un an au lieu de nommer un rapporteur spécial qui est arrivé à la conclusion qu’il n’y avait rien à signaler?
M. LeBlanc : Encore une fois, avant que l’ancien gouverneur général Johnston ne commence son travail, le gouvernement avait tenu des consultations sur la possibilité d’avoir un registre visant la transparence en matière d’influence étrangère. Nous pensons qu’il est important d’effectuer le travail de manière appropriée, d’écouter les Canadiens et de consulter les experts en la matière. Notre gouvernement a fait ce travail.
Je pense qu’il est également important de noter que le gouvernement a été le premier à prendre au sérieux la menace de l’ingérence étrangère. En 2013, le Service canadien du renseignement de sécurité a commencé à parler publiquement de la menace d’ingérence étrangère dans nos institutions démocratiques. C’était la première fois que cette question était soulevée. Or, pendant les deux dernières années de son règne — y compris lorsque le chef actuel du parti conservateur était ministre des Institutions démocratiques —, le gouvernement Harper n’a absolument rien fait pour mettre en place des mesures et des protections pour détecter et neutraliser l’ingérence étrangère.
Je pense que nous sommes fiers de nous être attaqué à cette question. Je partage votre point de vue, sénateur, sur le fait que la menace a évolué et que sa présence s’est accrue. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous nous sommes adaptés et que nous avons renforcé nos mesures en conséquence, et c’est ce que nous allons continuer à faire. Nous croyons que ce projet de loi est une excellente occasion pour le Parlement de faire ce grand pas en avant. C’est pourquoi nous sommes si heureux que les conservateurs de la Chambre des communes aient été parmi les premiers à venir me voir pour me dire qu’ils aimeraient travailler avec nous à l’adoption de ce projet de loi.
Le sénateur Boehm : Merci, messieurs les ministres, d’être avec nous aujourd’hui.
Ma première question s’adresse au ministre LeBlanc. J’aimerais vous interroger sur ce que ce projet de loi représente pour la démocratie elle-même. Je sais que c’est une question existentielle, mais pas un enjeu de second plan pour autant.
Au cours de notre réunion de lundi, nous avons entendu le professeur Wesley Wark, qui avait publié plus tôt ce jour-là un article intitulé « How to deal with Treason? », ou « Comment doit-on traiter la trahison? ». Le mot « trahison » n’est pas très usité dans notre pays. Dans cet article, M. Wark remet en question le principe de nommer publiquement des personnes et de les couvrir de honte dont on a beaucoup parlé ces derniers temps. Dans la quatrième raison qu’il invoque pour s’opposer au principe de la dénonciation et de l’humiliation publique en tant qu’approche dissuasive, il déclare :
... le plus important : nous vivons dans une démocratie, étayée par le principe selon lequel toute personne accusée d’un crime a droit à un procès équitable.
En tant que ministre responsable des institutions démocratiques, j’aimerais connaître votre point de vue et celui du gouvernement sur l’impact fondamental que ce projet de loi et l’approche ou la question de nommer publiquement des personnes et de les couvrir de honte pourraient avoir sur nos enjeux démocratiques.
M. LeBlanc : Sénateur Boehm, je vous remercie de votre question. En fait, il y a ici deux aspects à considérer.
L’impact sur les institutions démocratiques est une chose dont tous les parlementaires devraient se préoccuper à juste titre. J’ai l’impression que cette préoccupation est partagée par tous les parlementaires, aussi bien chez vous que chez nous.
Vous avez été un haut fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères, sénateur Boehm, et je présume que, dans ce contexte, vous avez pu examiner certains de ces travaux de renseignement bien avant moi et probablement dans une plus vaste mesure que moi. Ce qui est insidieux, c’est que ceux qui cherchent à saper la confiance du public dans nos démocraties seraient très satisfaits de la discussion qui a lieu actuellement dans un contexte partisan pour savoir si le sénateur untel ou le député untel est, en fait, la personne qui a fait quelque chose.
Pour répondre à votre question, je pense qu’il est dangereux de s’engager dans un concept de dénonciation et d’humiliation publique. Ce n’est pas quelque chose que le gouvernement fera. Au cours des 10 mois où j’ai eu le privilège d’être ministre de la Sécurité publique, j’ai appris la différence entre les renseignements et les preuves. Semaine après semaine, j’ai appris différentes choses du directeur et de la GRC, et le sous-ministre est là pour en témoigner. Nous avons vu des exemples de renseignements qui changent de nature avec l’augmentation du nombre de renseignements recueillis, que les alliés fournissent des perspectives différentes, que certaines choses sont corroborées ou discréditées. Le fait de prendre un élément brut d’information qui peut provenir d’une source non corroborée et de prétendre qu’il devrait permettre de juger du bien-fondé des services rendus par un parlementaire à notre pays est, à mon avis, extrêmement dangereux.
Cela étant dit, je suis convaincu que le travail effectué par nos collègues du Service canadien du renseignement de sécurité et de la Gendarmerie royale du Canada est conçu précisément pour garantir que le nécessaire soit fait advenant le cas d’un acte répréhensible qui attendrait le seuil de tolérance d’un pays de droit. Je pense que vous avez parlé de cela et mon collègue le procureur général a évidemment des opinions à ce sujet. Ce travail est rigoureux, méticuleux et efficace, et nous devrions également avoir confiance dans ce processus.
Je crois très fort à la résilience de notre démocratie. Je pense que les Canadiens doivent être fiers de leurs institutions démocratiques et je crois qu’ils le sont. Les partenaires démocratiques du Groupe des cinq m’en parlent lors de nos réunions. Le secrétaire américain à la sécurité intérieure, M. Mayorkas, m’en a parlé il y a deux semaines à peine. Nos alliés constatent eux aussi que des acteurs étatiques hostiles tentent de miner la confiance de leurs citoyens à l’égard des institutions démocratiques. Je crois malheureusement que l’élection présidentielle aux États-Unis pourrait nous placer aux premières loges pour constater comment certains pays chercheront, par la désinformation et d’autres tactiques, à ébranler la confiance des citoyens à l’égard des grandes démocraties. Je ne pense pas que les Canadiens doivent être pessimistes, mais nous devons adopter des lois comme celle-là et continuer à travailler ensemble au renforcement de cette confiance.
[Français]
Le sénateur Carignan : Bienvenue. Ma question s’adresse au ministre LeBlanc. Monsieur le ministre, je lisais le rapport de votre ancien collègue M. McGuinty. L’inaction de votre premier ministre est assez flagrante. Il y a beaucoup de laxisme, beaucoup d’attentes et beaucoup de contradictions. On ne semble pas faire confiance aux informations que l’on reçoit de la part de nos services de renseignement. Vous soulevez encore des doutes, même dans votre témoignage aujourd’hui.
Il me semble que la solution la plus efficace serait de demander à la juge Hogue de faire cette enquête, d’en valider les preuves et d’en arriver à une conclusion sur la participation ou la non-participation de membres du Parlement à des infractions criminelles. Je pense que c’est la chose à faire, mais tout dépendra du mandat que vous allez confier à la commissaire Hogue, en laquelle j’ai pleinement confiance.
Allez-vous donner à la juge Hogue le mandat de divulguer le nom des parlementaires qui auraient commis des infractions? Je vais vous mettre un degré de preuve dans la balance des probabilités, si elle arrive à la conclusion selon laquelle ces gens ont commis des actes répréhensibles.
Il y a des accusations criminelles qui peuvent être portées, mais il y a aussi des infractions des sénateurs et des députés de la Chambre des communes au code d’éthique, qui pourraient entraîner des sanctions.
M. LeBlanc : Merci pour la question. J’apprécie beaucoup le contexte que vous recherchez en ce qui concerne la Commission Hogue.
Pour répondre à votre question, sénateur, il est certain que le gouvernement va confier le mandat approprié afin de permettre à la Commission Hogue d’examiner ces questions.
Je n’oserais pas moi-même avancer une opinion juridique sur les obligations de la juge Hogue.
Le sénateur Carignan : Si vous lui confiez un mandat.
M. LeBlanc : Je ne pense pas que l’on puisse confier un mandat qui va à l’encontre de la Loi sur la protection de l’information, par exemple. C’est une question technique. Je ne peux pas aujourd’hui assurer la juge Hogue de ses obligations, qui m’ont été expliquées par le sous-commissaire Flynn, qui est parmi nous aujourd’hui. Il m’a très bien expliqué mes obligations lundi matin.
La capacité de la commission de divulguer publiquement les noms, c’est une question de droit, et je n’ose pas avancer une opinion à un juge aussi important que la juge Hogue, de la Cour d’appel du Québec.
Cependant, pour répondre à votre question, si le gouvernement croit que c’est une façon de faire appropriée, avec les précautions en place en matière de sécurité des renseignements et des codes de sécurité, je pense que c’est une suggestion tout à fait acceptable.
Après la lettre d’Andrew Scheer et la motion du Bloc québécois, le Bureau du Conseil privé a déjà commencé un processus avec les avocats de la commission la fin de semaine dernière, afin de comprendre comment ils pourront examiner précisément ce que vous venez d’avancer. On m’a dit que les avocats de la commission pensaient que c’était possible, quitte à vérifier auprès de la juge, et que leurs termes de référence permettaient déjà à la commission de suivre la preuve. Compte tenu du rapport du Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement et de l’importance de rassurer le public quant à la résilience de nos institutions, que ce soit ici ou à la Chambre des communes, je pense que la juge Hogue a un mandat important pour nous aider. Nous allons travailler avec elle pour —
Le sénateur Carignan : Êtes-vous d’accord avec moi pour dire que, dans le contexte de la confiance du public, vous devez donner à la juge Hogue les coudées franches pour qu’elle puisse nommer les personnes si une infraction a été commise, ou référer le tout pour que des poursuites soient intentées au criminel?
Le vice-président : Merci, sénateur Carignan. Nous allons passer la parole au sénateur —
Le sénateur Carignan : J’aimerais avoir une réponse.
Le vice-président : Mais c’est que...
Le sénateur Carignan : Sénateur Dagenais, je comprends que...
Le vice-président : Très bien, allez-y. Je vous donne quelques minutes, monsieur le ministre.
M. LeBlanc : Je ne prendrai pas quelques minutes. Je comprends que le sénateur Carignan est un avocat d’expérience. Ce n’est pas une question à laquelle on peut répondre par un oui ou un non. Est-ce qu’on va s’assurer que la Commission Hogue pourra examiner et prendre conscience de toutes ces circonstances, comme le comité des parlementaires? Bien sûr. Est-ce qu’on va fournir les documents nécessaires pour qu’elle puisse examiner toutes ces questions? Absolument. Est-ce qu’on va autoriser la divulgation publique? Encore là, vous avez plus d’expérience que moi comme juriste, sénateur Carignan, mais si je dois dire à une juge de la Cour d’appel, sans procès ni poursuite, qu’elle doit examiner des renseignements, tous les renseignements, et se prononcer sur la culpabilité ou la non-culpabilité de quelqu’un, cela me semble un peu simpliste.
Le sénateur Carignan : Je n’ai pas parlé de culpabilité. J’ai parlé de référer le dossier pour des poursuites.
[Traduction]
Le sénateur Yussuff : Je vous remercie de votre présence. Je serai aussi bref que possible. J’espère que vous pourrez essayer de fournir autant de réponses que possible dans le temps qui nous est imparti.
Monsieur le ministre, nous avons devant nous ce qui est probablement le projet de loi le plus complet à avoir été rédigé au sujet de la sécurité de notre pays. Compte tenu du temps qui nous est imparti et du fait que nous avons commencé nos travaux lundi dernier et qu’on nous a demandé de les achever dans un délai très court, je crains que nous n’ayons pas le temps voulu pour faire notre travail avec toute la rigueur que demande un sujet d’une telle importance. Vous avez eu le temps de le préparer, mais n’avons pas en ce moment le temps qu’il nous faudrait pour faire les choses de manière optimale. Néanmoins, je comprends que vous souhaitiez que nous adoptions ce projet de loi avant la fin de la session. Comment pouvons-nous y parvenir tout en faisant ce que nous sommes censés faire, à savoir examiner le projet de loi autant que possible pour s’assurer qu’il répond aux obligations de la nation?
M. Virani : Merci, sénateur Yussuff. Il y a un certain nombre de choses à dire à ce sujet.
Tout d’abord, des consultations approfondies ont été menées dans le cadre des travaux préparatoires qui ont mené à la rédaction du projet de loi. Cela devrait vous donner une idée de la pertinence de notre démarche.
Deuxièmement, il s’agit d’une question pour laquelle nous constatons un soutien de tous les partis à la Chambre des communes, ce qui, malheureusement, en juin d’une année donnée, est généralement assez rare. Ce soutien est dû au fait que tous les partis estiment qu’il est nécessaire d’avancer rapidement quant à l’élaboration de cette mesure législative.
Troisièmement, le fait que vous ayez déjà commencé votre étude préalable est un exemple du travail diligent que vous faites pour prêter main-forte à la Chambre des communes. Or, cette étude préalable est un pas dans la bonne direction pour nous aider à atteindre cet objectif commun.
Le sénateur Yussuff : Reconnaissant cette réalité, nous restons engagés dans une course contre la montre. Si nous décidons que nous n’avons pas assez de temps, on nous met un pistolet sur la tempe pour nous intimer à mener cela à bien dans les plus brefs délais. C’est un défi pour nous, au Sénat, compte tenu de notre mode de fonctionnement. Nous prenons notre temps et faisons ce qu’il faut pour que le projet de loi soit conforme à ses obligations.
Le rapport publié par le comité parlementaire mixte met en évidence les tensions énormes que subissent ces personnes. Elles sont victimes de harcèlement et elles sont prises pour cibles. Étant donné la diversité de notre pays et le fait que ce qui a conduit à cette discussion, ce sont les fuites provenant des services de renseignement ou des échelons supérieurs de l’appareil bureaucratique, comment sommes-nous censés faire montre d’intégrité quand les services du renseignement ou les instances bureaucratiques responsables ne peuvent pas observer le secret requis? Comment notre communauté de la diaspora est-elle censée avoir confiance si elle veut nous dire quelque chose alors qu’elle ne peut pas être assurée de cette confiance? Quels sont les mécanismes de dissuasion? Plus important encore, cette question est-elle envisagée dans le contexte de ce projet de loi, compte tenu de ce que nous venons de vivre? Il était important que les journalistes fassent la lumière sur cette question, mais il est important pour notre intégrité au sein du Groupe des cinq que les services de sécurité de notre pays soient étanches.
M. LeBlanc : Sénateur Yussuff, je partage votre inquiétude au sujet de ces fuites. Encore une fois, je n’ai pas d’information sur le travail que la GRC ou d’autres partenaires font pour enquêter à ce sujet. Je ne veux pas ergoter, mais il s’agit de documents secrets qui ont prétendument été divulgués. Je ne sais évidemment pas comment cela s’est produit et quelle était la nature de ces documents. Toutefois, pour répondre à votre question, sénateur, cela souligne le problème de façon précise.
J’ai eu le privilège de voir le travail effectué par nos agences de sécurité nationale et par la GRC. J’ai vu la qualité du travail qui se fait et les choses remarquables qu’accomplissent les femmes et des hommes qui travaillent pour la Gendarmerie royale du Canada. Il s’agit d’un travail dangereux qui est très précieux pour nos partenaires du Groupe des cinq. J’ai entendu les ministres de ces pays, en particulier le secrétaire d’État Mayorkas, souligner la valeur des produits du renseignement canadien. Cela nous permet également d’avoir accès à leur travail de renseignement.
Le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement est, à notre avis, un forum approprié pour ce type d’examen en raison de la sécurité qui entoure les renseignements dont il dispose, du serment prêté par les membres qui y siègent et de l’engagement de ces derniers.
Cette situation est corrosive. Nous avons toujours une grande confiance dans le travail que le Canada peut accomplir, mais cela nous rappelle l’importance de la sécurité, sénateur, comme vous l’avez mentionné.
Je vois que c’est tout le temps que nous avions. Cependant, sénateur Yussuff, vous avez parlé des communautés de la diaspora qui sont souvent prises pour cibles par ces acteurs malveillants. Ce sont elles que nous cherchons aussi à protéger.
La sénatrice Patterson : Merci, messieurs les ministres, d’être là.
Monsieur LeBlanc, j’aimerais revenir sur l’une de vos autres observations. Vous avez parlé de résilience et de démocratie, ainsi que des choses qui se sont produites dans la Cité parlementaire et qui ont miné la confiance des Canadiens à notre égard. Je suis d’accord avec vous. Je pense que le fait de nommer des personnes en l’absence d’enquête appropriée ou de mesures d’encadrement idoines ne peut que saper la confiance des gens à l’égard de la démocratie. Toutefois, le fait de ne rien faire saperait également la confiance et aurait une incidence sur notre résilience.
En ce qui concerne le Sénat, y aura-t-il un moment où nous pourrons obtenir les autorisations de sécurité nécessaires pour que chaque chef de groupe et de caucus reconnus au Sénat puisse consulter le rapport fourni par le Secrétariat du Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement, afin que nous puissions, en interne — c’est-à-dire jusqu’à ce que des choses plus importantes se produisent, jusqu’à ce que tout le monde ait suivi les processus — aborder la question du comportement et démontrer que nous méritons la confiance des Canadiens?
M. LeBlanc : Je vous remercie de la question, sénatrice Patterson.
Le préambule de votre question porte sur l’importance de rassurer les Canadiens et sur l’intégrité de nos institutions démocratiques, y compris l’endroit où vous et vos collègues siégez, et c’est primordial. C’est une chose qui préoccupe le gouvernement et, je pense, tous les parlementaires de notre côté. Il est raisonnable que nous nous comportions de manière à renforcer cette confiance et à rassurer les gens tout en assumant les responsabilités qui nous incombent pour veiller à ce que les bons processus soient mis en place avec les mesures de protection dont vos collègues ont parlé, que nous avons en commun.
Lorsque j’ai lu certains des commentaires qui ont été faits au sujet du Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement, ou CPSNR — il s’agit bien d’un comité des « parlementaires », bien sûr, parce qu’il comprend des membres du Sénat — quant à la façon dont votre chambre peut rassurer les gens à cet égard, vous comprendrez qu’il n’incombe pas à un député de la Chambre des communes de vous dire quoi faire. Je ne me permettrais pas de vous dire comment vous devriez agir. Ce n’est pas correct.
Toutefois, ce que vous avez dit à propos de l’accès des dirigeants à ces renseignements est intéressant. Vous comprendrez que le CPSNR fait rapport au premier ministre et dispose de son propre secrétariat, mais ce genre de demande passe par le Bureau du Conseil privé. Quoi qu’il en soit, je serai heureux de faire cette suggestion. Je n’ai pas le pouvoir de l’accepter aujourd’hui. Il me semble que c’est une façon réfléchie de rassurer les gens. Je serais ravi de travailler avec nos collègues pour veiller à ce que, encore une fois, par l’intermédiaire du représentant du gouvernement au Sénat, avec qui je préside le Comité des opérations du Cabinet... Le sénateur Gold y participe activement. Je suis heureux de travailler avec lui de manière appropriée pour déterminer comment nous pouvons faire avancer les choses à cet égard. Je vous remercie de la suggestion.
La sénatrice Patterson : Merci beaucoup. Comme on nous a dit qu’il fallait que cela vienne de vous, je vous en prie, engagez-vous à le faire. Il est important pour nous, au Sénat, que vous vous y engagiez. Je suis certaine que le sénateur Gold travaillera avec vous, en étroite collaboration, pour que nos dirigeants puissent être informés comme il se doit.
M. LeBlanc : Je vous remercie, sénatrice. Je serai heureux de le faire et d’assurer le suivi auprès du sénateur Gold, avec qui je suis toujours ravi de travailler.
J’ai une suggestion à faire, et ce serait probablement par l’intermédiaire des responsables de la sécurité du Sénat, avec les différents groupes et caucus. Je sais qu’avec de hauts fonctionnaires du SCRS et de notre ministère, parmi les choses nous faisons, il y a, ce soir, une séance d’information pour le caucus libéral de l’autre endroit. Le but est d’aider nos collègues à comprendre les pratiques exemplaires de défense et à mieux comprendre la nature de la menace. C’est une bonne chose que nous pouvons faire pour tous les sénateurs. Je sais que le travail est en cours, mais je serai heureux de poser la question à David Vigneault. Il adore venir au Sénat. Il viendra ici chaque fois que ce sera utile.
Le sénateur Kutcher : Je vous remercie de votre présence parmi nous, messieurs les ministres.
Le comité est au courant de préoccupations selon lesquelles la Loi sur le SCRS, qui définit les menaces à la sécurité du Canada, est désuète. Ma question s’adresse principalement au ministre LeBlanc, mais M. Virani peut intervenir au besoin. Il est nécessaire de moderniser la loi. On ne l’a pas fait depuis 1984 et les temps ont changé. Seriez-vous disposé à envisager un amendement au projet de loi C-70 pour moderniser la définition de « menaces envers la sécurité du Canada » de manière à ce que des questions comme l’infrastructure essentielle, l’agression transnationale, les nouvelles dispositions sur le sabotage — qui se trouvent dans l’autre loi — puissent être mieux prises en compte et pour aider le commissaire à la transparence en matière d’influence étrangère à mener ses enquêtes?
M. LeBlanc : Je vous remercie de votre question, sénateur Kutcher. C’est une question tout à fait valable, car c’est essentiel au travail que le Parlement doit accomplir pour comprendre quels sont les bons outils, et donc les définitions à donner à nos organismes de sécurité nationale dans le contexte de leur travail.
Je ne vais pas me prononcer sur les amendements possibles, sénateur — vous le comprendrez —, qui pourraient être proposés ici, au Sénat. Je suis convaincu que ce travail sera bien fait. Si vous voulez une brève réponse concernant la définition de « menaces envers la sécurité du Canada », je pourrais vous en donner une, mais elle ne serait pas aussi utile que celle que pourrait vous donner le directeur Vigneault.
Le sénateur Kutcher : Merci, monsieur le ministre. Je suis tout à fait d’accord avec vous sur ce point.
David Vigneault, directeur, Service canadien du renseignement de sécurité : Merci.
La question de la définition contenue dans la Loi sur le SCRS a été soulevée à plusieurs reprises, dont récemment dans le cadre de la commission d’enquête sur l’invocation de la Loi sur les mesures d’urgence. Des observations ont été faites sur la nécessité de la moderniser.
En tant que directeur du SCRS, je dirais que les définitions actuelles nous permettent de cerner le type d’activités dont il est question. Nous n’avons rien vu dans leur libellé qui nous empêche de faire notre travail. Lorsque nous travaillons avec la Cour fédérale, par exemple, lorsque nous demandons un mandat, nous sommes en mesure de relier le type d’activité menaçante que nous voyons aux pouvoirs qui découlent de la définition dans la loi pour pouvoir nous adresser à la cour et nous avons les pouvoirs nécessaires pour pousser l’enquête. Aujourd’hui, dans la pratique, les définitions fonctionnent bien.
Cependant, comme on l’a dit à la commission d’enquête, les menaces changent et il en est de même des acteurs, des moyens utilisés et de la rapidité à laquelle des menaces visent des Canadiens, y compris — pour répondre au sénateur Yussuff — les communautés des diasporas au Canada, dont les membres sont vulnérables. Les menaces changent. Il serait sain de revoir les définitions en temps voulu.
À ce stade-ci des travaux sur le projet de loi C-70, les changements qui y sont prévus sont vraiment importants pour améliorer l’efficacité du SCRS. La seule chose que je dirais, c’est que des amendements concerneraient probablement le travail que j’aimerais voir effectuer à l’avenir — une sorte de réflexion approfondie sur le contexte des menaces et, par conséquent, sur la pertinence des définitions de la loi.
Le sénateur Kutcher : Merci pour cette explication. D’après notre expérience au Sénat, l’avenir n’arrive souvent jamais, alors peut-être pourrions-nous vous aider à faire avancer les choses plus rapidement.
M. LeBlanc : Vous êtes plus confiant dans votre avenir que ceux d’entre nous qui doivent se faire élire, sénateur.
Le directeur a notamment parlé de l’idée d’un examen. Nous pensons que c’est une très bonne chose, et c’est quelque chose que M. Virani et moi avons intégré dans le texte législatif. Il semble assez étrange que ce soit la première fois, en 40 ans, que l’on mène des travaux importants à propos de la Loi sur le SCRS. Le SCRS fête son 40e anniversaire. La loi a été adoptée à la toute fin du mandat du gouvernement de M. Trudeau et c’est M. Mulroney qui a établi l’organisme. L’idée de procéder à un examen périodique au Parlement offre cette possibilité. Lorsque le SCRS a vu le jour, M. Vigneault écoutait probablement de la musique sur un lecteur de cassettes huit pistes dans une Corvette.
[Français]
Le sénateur Dalphond : Bienvenue à notre comité, messieurs les ministres. Mes questions s’adressent au procureur général et concernent l’interprétation des amendements au Code criminel en relation avec la nouvelle infraction de sabotage aux infrastructures essentielles. Lorsque je lis la définition d’infrastructure, je vois que cela comprend les infrastructures de transport. J’imagine donc que cela comprendrait le pont de Windsor ainsi que les infrastructures relatives aux activités politiques, qu’on appelle en anglais « government operations infrastructure ». Je comprends que cela comprendrait aussi le Parlement du Canada.
Y a-t-il lieu de s’inquiéter de cette nouvelle infraction, malgré la définition de l’exclusion? Si on se remet dans le contexte de ce qui s’est passé il y a deux ans, est-ce qu’on a pu utiliser les dispositions en matière de sabotage à l’endroit des personnes qui bloquaient la rue Wellington avec leurs camions?
M. Virani : Merci pour la question, monsieur le sénateur. Je crois que la définition visait à donner une certaine souplesse et une flexibilité assez grande pour cibler la situation telle qu’on l’a connue à ce moment-là. M. Vigneault vient de nous dire qu’il y a des menaces, qu’elles ont augmenté et qu’elles visent plusieurs aspects ou plusieurs espaces physiques.
Par exemple, nous avons étudié à la Chambre des communes un amendement visant à inclure non seulement les choses qui existent déjà, mais aussi celles qui sont en train d’être créées. Par exemple, avec le rapport préliminaire de Mme Hugues, on a appris que les menaces sont vastes et qu’elles visent plusieurs aspects des infrastructures. Cela n’a pas trait à ce qui est arrivé au Parlement du Canada il y a deux ans et demi, mais c’est un aspect qui touche tout le Canada et toutes nos institutions, surtout nos infrastructures. La souplesse dans nos définitions vise précisément ce problème.
Le sénateur Dalphond : En fait, ce que vous répondez, c’est que cela viserait le Parlement et comprendrait notamment le pont de Windsor. Si ce sont des manifestants qui le font pour des raisons politiques, y a-t-il lieu de s’inquiéter? Je reprends le mémoire de l’Association canadienne des libertés civiles, qui propose de modifier l’exception en matière de manifestations politiques. Est-ce que vous avez pris connaissance de ce mémoire?
M. Virani : Je comprends certaines de leurs préoccupations, bien sûr.
Le sénateur Dalphond : N’y aurait-il pas lieu de modifier l’exemption au paragraphe 52(5) pour enlever les mots qu’ils proposent d’enlever?
[Traduction]
Ils proposent de retirer les mots « alors qu’il prend part à des revendications, à des protestations ou à des manifestations d’un désaccord, [...] mais n’a pas l’intention de provoquer l’une des situations mentionnées aux alinéas (1)a) et b) ».
[Français]
M. Virani : Première chose : le droit de manifester est protégé par la Chambre. Vous le savez très bien comme juriste et comme juge. Deuxième chose : lorsqu’on a visé les crimes de sabotage, on a constaté que les dispositions n’avaient pas changé depuis 1951 et qu’il fallait moderniser cet aspect. On a donc mis en place une référence spécifique au droit de manifester dans la loi prescrite, parce qu’on veut être absolument clair sur le fait que ce droit est toujours protégé et le sera toujours. La quatrième chose que j’aimerais ajouter, c’est que lorsqu’on procède à des poursuites pour du sabotage, il faut le consentement d’un procureur général, soit moi pour les aspects fédéraux ou les personnes sur le terrain dans n’importe quelle province. Cela donne un autre aspect et une protection vis-à-vis des droits constitutionnels importants.
Le vice-président : Merci beaucoup pour votre réponse, monsieur le ministre.
[Traduction]
La sénatrice M. Deacon : Je remercie toute l’équipe de sa présence aujourd’hui.
Il est certain que nous devons bien faire les choses, et bien les faire ensemble, pour que les Canadiens comprennent et que cela leur inspire confiance, ce qui est essentiel. L’une des préoccupations qui ont été exprimées lors des réunions de lundi est que la Loi sur la transparence et la responsabilité en matière d’influence étrangère, ou LTRIE, est neutre par rapport aux pays. Cela correspond en grande partie à ce que les Australiens ont fait, à vrai dire, tandis que le Royaume-Uni a adopté une approche à deux volets pour son registre visant la transparence en matière d’influence étrangère. Pourquoi avons-nous choisi la voie australienne étant donné que même les Australiens se demandent si c’était le choix le plus judicieux et que cela pourrait rendre ce registre plus vaste et plus complexe, avec l’effet qu’on attraperait, comme l’a dit un témoin lundi, les « bons » également? Monsieur LeBlanc, si vous pouviez répondre à cette question, ce serait très bien.
M. LeBlanc : Merci pour cette question, sénatrice Deacon.
Je me souviens de discussions qui ont eu lieu à ce sujet concernant le projet de loi, dont des discussions au sein de comités du Cabinet et avec des fonctionnaires de notre ministère. Vous avez raison de parler de différents modèles. Le sous-ministre ou d’autres personnes pourront peut-être apporter plus de précisions que moi.
L’une des choses qui me préoccupaient, c’était l’idée que le registre lui-même devienne une liste noire. Il ne peut s’agir de prendre quelqu’un en défaut parce qu’il respecte la loi de manière transparente et enregistre les renseignements voulus.
Si le Parlement décide que rendre ces activités plus transparentes, comme l’ont fait d’autres démocraties, est une bonne chose... La liste des pays changera. Je suis ministre de la Sécurité publique depuis 11 mois seulement. J’ai l’impression que cela fait plus longtemps. En 11 mois, la liste des pays susceptibles d’être préoccupants a changé. Chaque fois que nous ajoutons un pays à la liste, vous pouvez imaginer les conséquences sur notre politique étrangère.
Nous avons pensé qu’un registre qui ne vise aucun pays en particulier contribuerait à éliminer le mépris ou le risque que des personnes qui respectent la loi et le registre tirent des conclusions négatives, de la même manière qu’un lobbyiste qui s’inscrit au registre des lobbyistes respecte la loi d’une manière transparente. Nous pensons que cela minimiserait le risque de créer des listes noires. Cela offre une plus grande transparence, ce qui peut être utile.
Encore une fois, je ne suis pas un spécialiste de la politique étrangère, mais vous pouvez imaginer la pression qui serait exercée pour retirer tel pays ou ajouter tel autre. Ce serait un sujet de discussion permanent. Il semble qu’il soit plus facile de mettre en place un système qui ne tient pas compte des pays.
La sénatrice M. Deacon : Merci. S’il y a d’autres renseignements que l’équipe peut ajouter par écrit, ce serait bien.
M. LeBlanc : Bien sûr.
La sénatrice M. Deacon : Je vous en suis reconnaissante.
Le sénateur Cardozo : Messieurs les ministres, merci de votre présence et du travail que vous et vos fonctionnaires avez accompli pour élaborer ce projet de loi très complet.
J’ai deux questions. La première porte sur le registre, qui est certainement une chose que bien des communautés des diasporas et d’autres personnes ont demandée et qu’elles soutiennent. Il présente une lacune, à savoir que les vrais mauvais acteurs n’enregistreraient pas les renseignements et ne vous diraient pas ce qu’ils ont l’intention de faire. J’aimerais avoir votre point de vue là-dessus.
Je vous pose ma deuxième question. Le projet de loi couvre-t-il les acteurs non étatiques? Je pense à des groupes terroristes, à des milices privées ou à des groupes de nationalistes blancs. Dans les définitions de la Loi sur la transparence et la responsabilité en matière d’influence étrangère, il est question d’une entité étrangère. Un acteur non étatique pourrait-il également être visé par le projet de loi?
M. LeBlanc : Merci de la question, sénateur Cardozo.
Je vais tenter de répondre à votre première question. Peut-être que le sous-ministre peut apporter des précisions au sujet des entités non étatiques. Je ne veux pas vous donner une réponse qui ne soit pas tout à fait exacte.
J’ai vu des commentaires dans le cadre des travaux. J’ai la chance de voir l’information à jour sur le travail de votre comité. J’ai pris note de ce commentaire ou de cette question concernant les mauvais acteurs ou ceux qui cherchent à faire le plus de mal — choisissez votre définition —, qui n’iront pas enregistrer leurs renseignements en ligne. Bien sûr. Sur la route, il y a des limites de vitesse. Certaines personnes font des excès de vitesse, mais la grande majorité des gens respectent les limites. Le commissaire dispose d’un pouvoir d’enquête, ce qui inclut des sanctions pénales graves pour ceux qui cherchent à ne pas respecter la loi. Il y aura toujours un petit groupe de gens qui, de manière irresponsable, décideront de ne pas respecter la loi. Ils en subiront les conséquences. Je suis fier que les sanctions potentielles soient suffisamment sévères.
Nous pensons qu’il s’agit d’une étape importante. La GRC et le SCRS ont leurs pouvoirs d’enquête. Les personnes dont le comportement a atteint un seuil criminel s’exposent à ces sanctions. Il ne s’agit pas d’une mesure ponctuelle, mais d’une mesure qui s’inscrit dans l’objectif d’accroître la transparence. Nous pensons que la vaste majorité des gens voudront se conformer à la loi. Le petit groupe de personnes qui ne le feront pas s’exposera aux sanctions voulues. Le registre n’est pas la panacée. Il s’agit d’une étape importante et, comme vous l’avez dit, sénateur, du travail que de nombreuses communautés des diasporas nous ont demandé d’accomplir. Je suis sûr que ce travail sera mené à bien et de manière appropriée. Il ne faut pas minimiser le petit risque que cela représente. Je suis convaincu qu’il existe d’autres mécanismes.
Monsieur le président, peut-être le sous-ministre peut-il répondre à la question de savoir s’il est question d’une entité étatique ou non. Monsieur Tupper, pouvez-vous intervenir?
Shawn Tupper, sous-ministre, Sécurité publique Canada : Nous avons essayé de garder cette question ouverte et de laisser au nouveau commissaire une certaine marge de manœuvre pour déterminer comment les choses fonctionneront à l’avenir. Tant qu’il existe des liens entre un acteur non étatique et un acteur étatique, ils pourraient être visés. Ce sont des choses qui font que le commissaire doit disposer de ce pouvoir d’enquête et de la capacité d’examiner des situations et de prendre des décisions dans le cadre de la nouvelle loi. Il ne s’agit pas d’exclure toutes les entités non étatiques, mais cela dépendra un peu de la situation en ce qui concerne les actes des entités étatiques et ces liens.
Le sénateur Cardozo : Donc s’il s’agit d’un groupe terroriste qui agit dans un autre pays, il n’est pas visé par le projet de loi?
M. Tupper : Encore une fois, je dirais que ce qu’il faut retenir, c’est qu’il ne s’agit que d’un nouvel élément dans une boîte à outils dont nous disposons par l’intermédiaire de nos organismes et d’une série de lois. Ce n’est pas qu’ils demeurent libres d’agir à leur guise. Nous disposons d’un certain nombre de moyens différents pour recueillir les renseignements et être en mesure de poursuivre ce type d’activités. La meilleure façon de procéder ne consiste peut-être pas à passer par le bureau du commissaire.
[Français]
Le vice-président : Je vois que l’heure avance. Nous allons terminer avec une dernière question, puis nous pourrons libérer les ministres et continuer avec les fonctionnaires.
[Traduction]
La sénatrice Anderson : Merci de votre présence, messieurs les ministres.
Monsieur LeBlanc, vous avez parlé de l’intention, à l’aide du registre public, de défendre les intérêts et l’autonomie du Canada.
Ma question porte sur la mine Nechalacho, la mine de terres rares située à 100 kilomètres au sud-est de Yellowknife, sur le territoire des Dénés, qui appartient à la société australienne Vital Metals.
Vital Metals a vendu une participation de 9,9 % à Shenghe Resources, une société chinoise. Shenghe Resources avait également acheté tous ses stocks de matières de terres rares. Cette vente a fait de Shenghe Resources le principal actionnaire actuel de la mine. La Chine extrait plus de 60 % des métaux des terres rares et traite jusqu’à 90 % de l’offre mondiale.
Au départ, cette mine a été présentée comme un moyen pour le Canada de réduire sa dépendance à l’égard de la Chine pour les matières essentielles à divers types de technologies à faibles émissions de carbone. Elle a également été présentée comme une occasion de créer des emplois pour les Dénés de Yellowknife et d’autres Premières Nations de l’Akaitcho, de favoriser la réconciliation économique et d’aider à la mise en place d’une infrastructure nordique indispensable.
Selon un article paru dans News/North le 16 janvier 2024, le député ténois de Tu Nedhé-Wiilideh, où se trouve la mine Nechalacho, a déclaré :
Il semble que Vital et les Chinois essaient de faire un tour de passe-passe aux propriétaires fonciers autochtones, au gouvernement des Territoires du Nord-Ouest et au gouvernement fédéral. Pensez-vous que les parties prenantes autochtones et les organismes de réglementation appuieraient un jour ce que le projet est devenu? Absolument pas!
La possession par des entreprises étrangères est-elle perçue comme une menace lorsque des collectivités autochtones perdent des droits relatifs à leurs terres et lorsque ces entreprises mènent leurs activités et contestent l’autonomie du Canada? Ce pays, la Chine, s’est clairement défini comme un État quasi arctique. Le projet de loi C-70 va-t-il donner suite à ces préoccupations pour éviter que cela se reproduise et pour renforcer la posture du Canada face à ces actifs étrangers ainsi que pour renforcer les propres actifs du Canada?
M. LeBlanc : Sénatrice Anderson, merci de poser la question.
Je connais un peu le dossier. J’ai participé à différentes séances d’information sur ce genre de transaction. Bien entendu, je veux éviter de parler de transactions précises, mais une de mes responsabilités en tant que ministre de la Sécurité publique consiste à travailler avec le ministre de l’Innovation et de l’Industrie pour veiller à l’application de la Loi sur Investir au Canada. Nous examinons régulièrement des transactions, y compris, évidemment, les circonstances où une entité chinoise chercherait à acquérir des participations dans des secteurs essentiels de notre économie, et je ne peux pas imaginer que ce serait le cas ici. Je ne veux pas parler de décisions liées à la Loi sur Investir au Canada. Nous donnons des conseils en nous appuyant sur ce que nous disent les services de renseignement de mon collègue, le ministre de l’Innovation.
Vous êtes préoccupée par les droits autochtones. Je me souviens d’avoir eu cette conversation à titre de ministre des Affaires intergouvernementales avec Mme Cochrane, l’ancienne première ministre. Je suis conscient du caractère délicat de la situation avec cette entreprise, qui ne répond peut-être pas aux critères en ce qui concerne les droits autochtones et la responsabilité par rapport à l’obligation de consulter et à la déclaration des Nations unies. C’est un cas difficile.
Le sous-ministre a peut-être des précisions sur cet exemple, mais il est vraiment regrettable que nous devions nous abstenir de dire certaines choses dans une tribune publique comme celle-ci. Je céderais la parole au sous-ministre s’il a des observations.
[Français]
Le vice-président : Merci beaucoup, monsieur le ministre.
Ceci nous amène à la fin de notre premier groupe de témoins. J’aimerais remercier les ministres Virani et LeBlanc ainsi que les fonctionnaires de Sécurité publique Canada, du Service canadien du renseignement de sécurité, de la Gendarmerie royale du Canada et du ministère de la Justice Canada du temps qu’ils ont pris pour nous rencontrer aujourd’hui.
Nous allons suspendre brièvement la séance pour préparer le prochain groupe de témoins et nous vous reviendrons dans quelques minutes.
Encore une fois, bienvenue à tous. Pour ceux qui se joignent à nous en direct, nous nous réunissons aujourd’hui pour continuer notre examen de la teneur du projet de loi C-70, Loi concernant la lutte contre l’ingérence étrangère.
Nous poursuivons avec notre deuxième groupe. Nous accueillons Mme Sarah Estabrooks, directrice générale, Politiques et relations étrangères, Service canadien du renseignement de sécurité. Nous accueillons également Heather Watts, sous-ministre adjointe déléguée, Me Karine Bolduc, avocate, et Me Mark Scrivens, avocat-conseil, ministère de la Justice Canada.
Enfin, nous accueillons Richard Bilodeau, directeur général, Sécurité publique Canada, et Mark Flynn, sous-commissaire, Police fédérale, Gendarmerie royale du Canada.
Je souhaite la bienvenue à chacun d’entre vous. Les fonctionnaires ne feront pas de remarques, mais ils pourront répondre aux questions des sénateurs.
Je vous rappelle que quatre minutes seront allouées pour chaque question, y compris la réponse.
Je vous demande de poser des questions succinctes, afin de permettre d’entendre le plus grand nombre d’interventions possibles.
[Traduction]
Le sénateur Woo : Je veux vous poser une question sur l’emploi des mots « en collaboration avec » dans le projet de loi, à la partie 4 lorsqu’il est question du registre, mais aussi pour les infractions en lien avec des infrastructures essentielles, les infractions de sabotage et ainsi de suite. Pouvez-vous nous donner une idée de ce que vous entendez par « en collaboration avec »?
Richard Bilodeau, directeur général, Sécurité publique Canada : Je peux peut-être commencer, et mes collègues du ministère de la Justice peuvent poursuivre.
Le projet de loi prévoit trois déclencheurs pour l’enregistrement de renseignements. Le premier est un arrangement au titre duquel on agit en collaboration avec une entité étrangère ou sur l’ordre d’une entité étrangère. La définition visait à rendre la disposition suffisamment vaste pour englober tous les types d’arrangements. Il reviendra au commissaire d’appliquer la loi pour déterminer si ce seuil est atteint. Il faut encore qu’il y ait un certain accord entre un État étranger et une personne ou une entité avec qui un arrangement a été conclu. Cela ne peut pas être seulement une personne qui agit ainsi parce qu’elle pense que c’est ce que voudrait l’entité étrangère. Il doit y avoir un certain accord.
Le sénateur Woo : Et pourtant, la définition est distincte de « sous l’autorité de », ce qui laisse entendre que « en collaboration avec » ne nécessite pas une sorte de lien de subordination. Seriez-vous d’accord pour dire que quelqu’un qui partage le point de vue d’un État étranger et qui communique régulièrement avec l’agent d’un État étranger est suffisamment impliqué pour que l’exigence de « en collaboration avec » s’applique?
M. Bilodeau : Je vais émettre une réserve dans ma réponse en disant que, au bout du compte, ce sera la décision du commissaire, car il va appliquer la loi de manière indépendante. Ce sera à lui de trancher.
Le sénateur Woo : Qu’en pense le ministère?
M. Bilodeau : L’intention, c’est qu’il y ait un certain lien entre l’activité et l’État.
Le sénateur Woo : Certaines personnes se rencontrent régulièrement, elles parlent entre elles et partagent le même point de vue sur une question donnée. Il n’y a pas de lien de subordination, mais on pourrait faire valoir qu’elles collaborent. Est-ce que cela serait suffisant pour que l’enregistrement soit obligatoire et pour que les infractions de sabotage et les infractions visées par la Loi sur la protection de l’information s’appliquent?
M. Bilodeau : Je ne peux pas parler des infractions de sabotage et des infractions visées par la Loi sur la protection de l’information, mais je peux parler du registre. Une fois de plus, il faudrait monter un dossier en recueillant des faits, mais il faudrait qu’on s’entende d’une certaine façon pour dire que l’ingérence ou l’activité se fait en collaboration avec l’État. Il faudrait comprendre dans une certaine mesure les liens entre l’activité et l’État, et il faudrait qu’il y ait une entente. Cela sous-entend que l’on comprend dans une certaine mesure que l’activité est accomplie pour l’État.
Le sénateur Woo : Lorsqu’on parle d’une entente, on veut évidemment dire qu’on partage un point de vue, et je crains vraiment que ce déclencheur ne suffise pas.
Je comprends que cette mesure législative vise en partie à donner suite à des préoccupations légitimes de certaines diasporas à propos de la répression transnationale et ainsi de suite, et c’est grandement nécessaire, mais que fait-on pour protéger d’autres segments de la diaspora qui craignent la répression de leurs propres points de vue politiques parce qu’ils pourraient être soupçonnés de collaborer avec un État étranger tout simplement à cause de ces points de vue?
M. Bilodeau : Qu’il soit membre de la diaspora ou non, tout Canadien qui exprime un point de vue ne serait pas assujetti à l’enregistrement.
Le sénateur Woo : Même si c’est en collaborant avec une entité étrangère?
M. Bilodeau : Il faudrait qu’il y ait une entente avec l’État étranger pour mener une de ces trois activités, à savoir communiquer avec le titulaire d’une charge publique, communiquer avec le public ou verser de l’argent en lien avec un processus gouvernemental ou politique. Si une personne dit tout simplement qu’elle pense que le gouvernement devrait changer une certaine loi, le fait qu’elle soit membre d’une diaspora ne l’oblige pas automatiquement à s’inscrire. Le ministre de la Justice peut en parler. Les gens sont libres de continuer de s’exprimer et d’exprimer leurs points de vue. Ces trois éléments doivent être présents pour que l’inscription au registre soit obligatoire.
Le sénateur Woo : Lorsqu’ils me parlent, ils seraient tenus de...
Le vice-président : Merci, monsieur Bilodeau.
Le sénateur Richards : C’est une question que j’allais poser au ministre Leblanc. Je ne sais pas si je m’adresse à la bonne personne. Elle provient d’une question que la sénatrice Anderson a posée à la dernière réunion.
À quel point devons-nous reconnaître notre propre naïveté — je parle non seulement du gouvernement, mais aussi de l’ensemble des Canadiens — avant que nous commencions à nous rendre compte de la gravité de l’ingérence étrangère dans notre pays? Pensez-vous que ce projet de loi a le mordant nécessaire pour accomplir ce que nous voulons, surtout à la lumière de la question de la sénatrice Anderson?
M. Bilodeau : Merci. Je peux peut-être commencer puis céder la parole à mes collègues qui ont tous un rôle à jouer dans ce dossier.
Comme nous en avons discuté, la Loi sur Investissement Canada permet d’examiner des transactions pour des motifs de sécurité nationale. De plus, le projet de loi C-70 réunit une série d’outils qui répondent à la menace de l’ingérence étrangère, qui a évolué au cours des dernières années. Le registre pour la transparence en matière d’ingérence étrangère est un de ces outils. Il assurera une transparence pour exercer une influence sur les activités qui impliquent notre gouvernement et nos processus politiques. Comme le ministre Leblanc l’a dit plus tôt, c’est loin d’être la seule chose qui doit être faite. C’est la raison pour laquelle il est aussi important à ce stade-ci d’apporter des modifications à la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, à la Loi sur la protection de l’information et au Code criminel, car on modernise ainsi la trousse d’outils pour s’opposer à des comportements qui nous préoccupent et à l’ingérence étrangère.
Je ne sais pas si le sous-commissaire Flynn veut ajouter quelque chose à cela, car c’est lui qui sera chargé de faire appliquer la loi.
Mark Flynn, sous-commissaire, Police fédérale, Gendarmerie royale du Canada : Du point de vue de l’application de la loi, les outils envisagés dans le projet de loi C-70 ainsi que votre important travail et les modifications que vous apportez sont grandement nécessaires aujourd’hui. J’espère que c’est la première d’une série de réformes législatives qui seront effectuées avec souplesse pour s’adapter aux menaces en constante évolution avec lesquelles nous composons.
Ce que je vous demanderais, c’est que vous vous assuriez que nous avons un processus régulier pour examiner les outils ainsi que les autres outils nécessaires et que nous n’attendions pas que tous les outils possibles soient cernés avant d’en mettre certains en place, car j’ai peur que nous attendions une éternité. L’environnement évolue constamment, et ce ne sera jamais parfait. Il est important que nous ayons les outils dont nous avons besoin aujourd’hui. Je suis conscient que cela signifie que le projet de loi ne va peut-être pas fournir d’autres outils que j’aimerais voir en place aujourd’hui ou demain, mais si nous attendons que vous ayez terminé l’important travail que vous accomplissez tous les jours avant de mettre ces outils à notre disposition, il faudra attendre encore plus longtemps, ce qui aurait des conséquences négatives sur nos activités.
Le sénateur Richards : Ce projet de loi est une sorte de première étape vers une vision d’ensemble de l’ingérence étrangère, n’est-ce pas?
M. Flynn : J’espère que notre vision du problème et notre processus législatif sont assez souples et concrets pour nous permettre de nous attaquer au problème.
Le sénateur Richards : Plus personne n’est naïf par rapport à l’ingérence étrangère, n’est-ce pas?
M. Flynn : J’espère que c’est le cas.
Le sénateur Richards : Je l’espère aussi.
Le sénateur Housakos : Soyons clairs, chers collègues. Après neuf années d’inaction de la part du gouvernement, la seule raison pour laquelle nous sommes ici aujourd’hui, c’est parce que des fonctionnaires frustrés du Service canadien du renseignement de sécurité ont laissé filtrer assez d’information et sonner l’alarme. C’est pour cette raison que nous sommes ici.
De plus, je suis préoccupé par la structure que nous avons actuellement en place et qui fait en sorte que, lorsqu’il est question de sécurité nationale et d’ingérence étrangère, tous les chemins mènent au Cabinet du premier ministre. Il est le juge, le procureur, le jury et le bourreau. Et c’est le bureau le plus partisan au pays. C’est lui qui est responsable de protéger notre propre Parlement contre l’ingérence étrangère, et il y a donc un problème inhérent à notre structure.
Je suis conscient que le Code criminel ne contient pas nécessairement de dispositions pour enquêter sur les parlementaires lorsqu’il est question d’ingérence étrangère. Il y a le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement, mais, bien entendu, c’est un organe très secret qui, encore une fois, relève fondamentalement du premier ministre et du Cabinet.
Pour compliquer les choses, les renseignements de sécurité — plus particulièrement lorsque nous les obtenons du Groupe des cinq et, très souvent, du Service canadien du renseignement de sécurité et de la Gendarmerie royale du Canada, la GRC — ne peuvent pas toujours être utilisés devant un tribunal. Nous sommes donc conscients que c’est un autre problème.
Voici la question que j’ai pour le commissaire : la structure que nous avons actuellement en place au Parlement est-elle adéquate? Le premier ministre, qui est le chef du gouvernement, est responsable de décider ce qui mérite de faire l’objet d’une enquête au Parlement et ce qui ne le mérite pas, ainsi que lesquels de ses collègues méritent de faire l’objet d’une enquête et lesquels ne le méritent pas? Par exemple, il n’a eu aucune réticence à placer l’Inde sous les projecteurs et à utiliser des renseignements qu’il n’a pas rendus publics en invoquant la nécessité de garder le secret, mais il a procédé ainsi à des fins politiques. Avec la structure que nous avons actuellement en place, monsieur le commissaire, à quel point est-il difficile pour la Gendarmerie royale du Canada de mener des enquêtes qui portent sur des sénateurs et des députés lorsque vous savez que vous devez, au bout du compte, passer par le Cabinet du premier ministre?
M. Flynn : Je pense qu’il est important que je précise immédiatement dans ma réponse que la GRC ne passe pas par le premier ministre. Le premier ministre ne joue aucun rôle — comme tous les ministres, tous les députés et tous les autres élus — au moment de déterminer l’objet des enquêtes de la GRC. La GRC est très indépendante dans ses enquêtes et dans ces décisions concernant les personnes visées par ses enquêtes, le moment où les enquêtes ont lieu et la portée des enquêtes. Nous nous laissons guider par les éléments de preuve à notre disposition, et nous nous assurons de nous acquitter de notre mandat de manière indépendante.
Le sénateur Housakos : Mais vous devez rendre des comptes au premier ministre par l’entremise du Service canadien du renseignement de sécurité et d’autres services de renseignement de sécurité lorsque vous obtenez de l’information en la matière sur un parlementaire et lorsque vous utilisez cette information dans vos enquêtes. Arrive-t-il souvent dans notre société que l’on doive communiquer les renseignements utilisés dans une enquête à la personne qui fait l’objet de l’enquête, à l’exception du premier ministre et du Parlement?
M. Flynn : Nous utilisons de nombreux moyens d’enquête différents. Comme vous le savez, la GRC fait partie d’un ministère qui relève du ministre...
Le sénateur Housakos : Monsieur le commissaire, j’en suis conscient, mais mis à part le Cabinet du premier ministre, y a-t-il une autre personne ou une autre entité au pays à qui vous communiqueriez l’information de l’enquête dont elle fait l’objet? Dans ce cas-ci, si un parlementaire fait l’objet d’une enquête qui repose sur de l’information provenant de services de renseignement, le premier ministre et vous auriez le même accès à l’information.
M. Flynn : Je peux vous assurer que le premier ministre n’a pas le même accès à toute l’information recueillie par la GRC dans ses enquêtes. Je peux également vous assurer que lorsque nous enquêtons sur d’autres types de crimes — ou celui-ci —, nous communiquons sans aucun doute avec les entités et les différentes autorités dont relèvent ces entités afin que nos activités d’enquête soient adéquates pour gérer l’intégrité de nos enquêtes et les droits de l’accusé ainsi que pour prendre des mesures visant à atténuer les préjudices auxquels l’entité fait face à cause de ces personnes. C’est un équilibre délicat que nous devons maintenir tous les jours dans le cadre de nos enquêtes criminelles.
[Français]
Le sénateur Carignan : Merci, monsieur Flynn.
En premier lieu, je suis content de savoir que le premier ministre a dit tout à l’heure qu’il suivait vos conseils juridiques, même si vous n’êtes pas avocat. Précédemment, avec votre collègue, il ne suivait pas ses conseils, parce que la commissaire disait qu’il n’avait pas besoin de déclencher les mesures d’urgence, mais il l’a fait quand même. Il est bon de savoir qu’il va peut-être vous écouter, vous.
Cela met en évidence le fait que le gouvernement, le premier ministre ou les ministres choisissent ce qu’ils veulent bien entendre. Même si vous avez l’indépendance requise pour faire vos enquêtes, quand vient le temps de faire des recommandations, s’ils décident de ne pas aller de l’avant avec vos recommandations, vous êtes bloqué et on est dans un cul-de-sac. On l’a vu dans le rapport final de la Commission sur l’état d’urgence : il y a eu du laxisme de la part du bureau du premier ministre, malgré plusieurs demandes du Service canadien du renseignement de sécurité et de la GRC.
Selon vous, qu’y a-t-il dans ce projet de loi qui va faire en sorte que le gouvernement ou le premier ministre n’auront pas le choix de suivre les recommandations et qu’il n’y aura pas de filtre pour faire en sorte qu’on se place dans une situation comme celle dans laquelle nous nous trouvons maintenant, où ils savent que des parlementaires ont probablement commis des infractions criminelles, mais ils ne veulent pas nous le dire?
M. Flynn : Merci pour votre question, monsieur le sénateur.
[Traduction]
Pour ce qui est du projet de loi dans son ensemble, je pense qu’il serait préférable que quelqu’un d’autre réponde.
Encore une fois, à propos des efforts que nous consacrons aux nouvelles dispositions dans nos enquêtes criminelles ou des dispositions modifiées existantes du Code criminel, de la Loi sur la sécurité de l’information et d’autres lois, il n’y a actuellement rien, y compris dans le projet de loi, qui donne le moindre contrôle au premier ministre pour avoir une incidence sur nos efforts d’enquête.
[Français]
Le sénateur Carignan : J’ai une autre question technique.
L’infraction visant à influencer un processus politique ou gouvernemental dit ceci : « Commet un acte criminel quiconque, sur l’ordre d’une entité économique étrangère ou en collaboration […] »; c’est un fardeau qui est très élevé et qui doit être prouvé hors de tout doute raisonnable.
Étant donné la difficulté, comme cela a été souligné à quelques reprises, de passer du renseignement à la preuve, croyez-vous que les dispositions qui se trouvent dans ce projet de loi permettront d’obtenir la condamnation d’individus hors de tout doute raisonnable, compte tenu du degré de difficulté de prouver qu’une entité étrangère a donné un ordre à un individu?
[Traduction]
Heather Watts, sous-ministre adjointe déléguée, ministère de la Justice Canada : Merci beaucoup pour la question.
Vous faites allusion à l’infraction d’ingérence politique qui doit faire l’objet du nouvel article 20.4, et cette infraction engloberait des activités menées sur l’ordre d’une entité étrangère ou en collaboration avec une entité étrangère dont la conduite subreptice ou trompeuse gêne un processus politique ou gouvernemental, selon la définition donnée dans la loi.
Je dirais que, comme pour toutes les infractions criminelles, cela dépend toujours des éléments de preuve à notre disposition pour intenter une poursuite. De toute évidence, le gouvernement est conscient des défis que présente l’utilisation du renseignement en tant qu’éléments de preuve dans les procédures criminelles, et le projet de loi prévoit des mesures pour en tenir compte dans un contexte de droit administratif.
Dans un contexte de droit pénal, je vous rappelle que le renseignement est considéré comme une information. Ce n’est pas nécessairement quelque chose qu’un tribunal va accepter comme preuve. Il faut que ce soit pertinent et recevable, et il faut que des exigences soient remplies pour que ce soit accepté comme preuve. Bien entendu, comme vous le savez, le gouvernement ne dévoile pas toujours les éléments de preuve dans les procédures judiciaires publiques puisque nous devons protéger cette information.
L’article 38 de la Loi sur la preuve au Canada a pour but de protéger cette information. Ce qui ressort de ce processus peut être utilisé dans des procédures judiciaires, y compris des procédures criminelles. Comme vous le savez, le gouvernement peut se servir de cette information.
Certaines restrictions s’appliquent, mais nous avons déjà réussi à utiliser de l’information qui provient des organismes de renseignement et qui fait partie du dossier de police dans le cadre de poursuites pénales contre des personnes accusées de terrorisme, par exemple. Malgré les défis que présente cette façon de faire, du moins dans le contexte du terrorisme, dans la mesure où il y a des considérations similaires à propos de la nécessité de protéger des renseignements de nature délicate et d’intenter une poursuite, tout en respectant le droit de l’accusé à un procès équitable, il y a moyen d’atteindre cet équilibre, en dépit des difficultés que vous avez soulignées.
Le sénateur Yussuff : J’ai deux ou trois questions.
Dans le contexte de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, il y a d’importants changements qui permettent au gouvernement fédéral d’échanger des renseignements avec des partenaires, c’est-à-dire d’autres ordres de gouvernement, des organisations de gouvernance autochtone, des universités, etc. Compte tenu de cette nouvelle réalité concernant l’échange de renseignements, la grande question est de savoir comment nous allons sensibiliser ces entités à faire preuve du jugement nécessaire pour gérer adéquatement l’information dans le but de protéger leur intégrité tout en veillant à ce qu’elles n’enfreignent pas la loi en utilisant l’information qu’elles reçoivent.
Sarah Estabrooks, directrice générale, Politiques et relations étrangères, Service canadien du renseignement de sécurité : Je vous remercie de votre question.
Il s’agira effectivement d’un territoire inexploré et il y aura des défis à relever. Plus que quiconque, le service se soucie évidemment de l’intégrité de ses renseignements, et la manière dont il les divulguera sera essentielle pour s’assurer qu’ils ne portent pas atteinte à la sécurité nationale en aval. Plusieurs questions viennent à l’esprit. Le service a établi des relations productives d’un bout à l’autre du Canada dans plusieurs secteurs où il existe des réseaux de confiance et des personnes bien formées et informées qui savent comment traiter les renseignements de manière appropriée. Nous nous efforçons donc de tirer parti et de tirer des leçons de ces relations et de mettre en place les procédures nécessaires pour comprendre comment nous pouvons atténuer les risques.
Toutefois, il existe également un large éventail de renseignements susceptibles d’être divulgués. Je pense qu’il est raisonnable de présumer qu’il est peu probable que nous divulguions des renseignements très secrets et sensibles provenant de sources humaines bien placées ou de collecte technique, car il serait extrêmement difficile de limiter les risques. Nous devons présumer qu’il sera possible de renforcer la résilience face aux menaces en agissant plus tôt, avant que les menaces ne se concrétisent, pour discuter du type de techniques et de vecteurs des activités de menace, pour accroître la sensibilisation et pour aider à atténuer les risques en discutant avec les personnes qui détiennent les renseignements, les actifs et les autres choses que nous essayons de protéger.
Il ne s’agira certainement pas d’une approche universelle. Il existe des réseaux, par exemple, à l’échelon provincial où se trouvent des régimes de sécurité ministérielle établis dans lesquels la divulgation peut être un peu plus tactique. Il y a également d’autres façons qui nous permettent de présumer qu’il s’agira d’échanges éclairés par les renseignements dans le but de renforcer la résilience.
Le sénateur Yussuff : Monsieur Flynn, étant donné la menace à laquelle les communautés de la diaspora font face dans notre pays, et étant donné que votre organisme, à titre d’organisme principal chargé de faire respecter la loi au pays, doit atténuer ces menaces et travailler avec ces communautés, disposez-vous des ressources adéquates, compte tenu de la diversité de notre population, pour remplir vos responsabilités et vos obligations? Et bien entendu, il faut contribuer à l’intérêt public en vue d’établir des liens avec ces communautés, puisqu’il ne suffit pas d’aller sur place pour gagner leur confiance — il faut gagner cette confiance au fil du temps et s’assurer de la préserver. Disposez-vous des ressources nécessaires pour y arriver? Étant donné que ce projet de loi vous donnera des responsabilités supplémentaires, disposez-vous des ressources adéquates pour remplir vos obligations en vertu du projet de loi -70?
M. Flynn : Pour répondre à votre question, le projet de loi C-70 est un outil pour lutter contre l’ingérence étrangère. Vous avez abordé un élément très important qui, à mon avis, est souvent négligé dans ces discussions, soit la menace qui pèse sur notre diaspora et les grandes communautés canadiennes qui sont représentées dans cette diaspora.
Du point de vue des ressources, je peux vous assurer que les intervenants des organismes d’application de la loi n’auront jamais assez de ressources pour faire tout ce qu’ils aimeraient ou pourraient faire. Je ne crois pas non plus que les organismes d’application de la loi représentent la seule solution à un grand nombre de ces problèmes. Ce point a été soulevé dans le cadre de vos questions sur l’éducation et de la déclaration qui a été faite plus tôt au sujet de la naïveté. Je pense que nous devons faire énormément d’efforts pour nous assurer que nous sommes en communication avec la diaspora et que nous nous présentons et nous comportons de manière à inspirer confiance. Vous avez sûrement constaté, lors de certaines opérations menées par la GRC au cours des deux dernières années, que nous avons pris des mesures importantes pour apparaître sous la bannière de la police fédérale, si l’on peut dire, c’est-à-dire pour assurer une présence en uniforme et montrer aux communautés que nous reconnaissons le problème et que nous prenons des mesures énergiques pour y remédier.
L’ensemble de la communauté policière au Canada et à l’étranger fait face à l’insuffisance des ressources. Nous répondons à d’incessantes demandes liées à l’extrémisme violent, à l’ingérence d’acteurs étrangers et à des activités de la part d’acteurs étatiques hostiles. J’ajouterai que l’élément supplémentaire de l’implication du crime organisé dans ces activités exerce une pression considérable sur les ressources dont nous disposons.
La sénatrice Patterson : Je ne suis pas certaine si ma prochaine question s’adresse à Mme Watts ou à M. Bilodeau. Nous avons reçu plusieurs mémoires de différents groupes. L’organisme Démocratie en surveillance vient de publier un rapport dans lequel il mentionne 49 domaines qu’il considère comme représentant un défi, mais j’aimerais me concentrer sur le lobbying. Dans ce rapport, l’organisme formule 17 recommandations et souligne ce qu’il considère comme des failles dans la loi en ce qui concerne le lobbying. En réalité, il s’agit de l’influence étrangère qui utilise des lobbyistes pour contourner la Loi sur le lobbying et influencer des personnes en position d’autorité à l’échelon fédéral, provincial et municipal. J’aimerais que vous nous parliez de la façon dont la loi aborde, selon vous, des questions telles que l’utilisation indirecte de l’influence étrangère par l’entremise d’actes légitimes.
M. Bilodeau : Je vous remercie de votre question.
Le registre pour la transparence en matière d’influence étrangère vise à accroître la transparence de tous les types d’influence exercés au nom d’États étrangers, et il s’agit de présenter ces renseignements au grand jour pour que tout le monde puisse les consulter.
Pour répondre à votre question sur les lobbyistes, je reviendrai sur ce qui déclenche l’obligation de s’inscrire au registre. Si un individu au Canada — un lobbyiste, par exemple — accepte un mandat d’un État étranger pour influencer un gouvernement ou un processus politique, ce lobbyiste devra s’inscrire au registre pour la transparence en matière d’influence étrangère et remplir d’autres obligations qui lui incombent en vertu d’autres lois. La loi prévoit également la possibilité d’appliquer les dispositions aux gouvernements provinciaux, territoriaux et désormais municipaux, grâce à un amendement adopté en comité à la Chambre des communes. Tout individu qui a conclu une telle entente doit s’inscrire au registre, qu’il soit ou non un lobbyiste ou qu’il soit autre chose — il n’y a aucune exemption.
La sénatrice Patterson : Je vous remercie.
À titre de suivi, leur préoccupation concerne le secret. Il s’agit de savoir si les mauvais acteurs vont s’inscrire au registre. Vous pourrez peut-être répondre à cette question, monsieur Flynn. Lorsque vous enquêtez sur quelqu’un qui enfreint peut-être deux lois, soit la Loi sur le lobbying et cette nouvelle loi, comment mèneriez-vous votre enquête? Sur quels aspects mettriez-vous l’accent?
M. Flynn : Il est très difficile de répondre à la question de savoir sur quels aspects il faudrait mettre l’accent, car notre approche consiste à lutter contre la menace, et pas nécessairement à nous concentrer sur l’utilisation d’un outil particulier. La boîte à outils élargie nous donne plus d’options et comble les lacunes que nous avons observées dans certaines de nos enquêtes en cours.
Si nous nous concentrons sur l’inscription au registre et sur la transparence ainsi créée, cela nous donne une autre option que nous pouvons utiliser si une personne a recours à des moyens trompeurs ou subreptices pour contourner notre capacité à établir ce lien. Nous utiliserons donc cet outil en plus des outils actuels dont nous disposons.
M. Bilodeau : Si vous me le permettez, j’aimerais ajouter quelque chose en réponse à votre question. Le commissaire aura la possibilité d’enquêter et de s’appuyer sur les plaintes. Si des personnes se rendent compte qu’un individu fait quelque chose qui devrait l’obliger à s’inscrire au registre, mais qu’il ne l’a pas fait, ces personnes pourront en informer le bureau du commissaire, et le commissaire pourra mener une enquête, tout comme il pourra s’appuyer sur des renseignements susceptibles d’éclairer son travail. Je crois savoir que d’autres infractions sont également proposées et que cela pourrait être utile.
Mme Watts : Dans la mesure où c’est utile, nous devons voir le projet de loi C-70 comme une boîte à outils, et le registre est l’un de ces outils. Il y a aussi les modifications proposées à la Loi sur la protection de l’information, et je reviendrais à l’infraction d’ingérence politique au profit d’une entité étrangère. Lorsqu’il y a un comportement subreptice et trompeur qui vise un processus gouvernemental — ce qui pourrait comprendre les nominations, le leadership politique, l’élaboration des plateformes des partis, etc. — et qu’il correspond aux critères prévus pour cette infraction, c’est un autre outil que les forces de l’ordre peuvent utiliser pour intercepter l’activité en question.
La sénatrice M. Deacon : Je remercie tous les témoins d’être ici aujourd’hui.
Ma question concerne plus précisément U15 Canada, qui représente nos grandes universités. D’autres témoins ont abordé la question, mais dans leur mémoire écrit sur ce projet de loi, ils indiquent que les critères actuels pour déterminer l’obligation d’inscrire des activités au registre pour la transparence en matière d’ingérence étrangère posent des problèmes importants pour les activités de recherche dans les universités et pour la communauté universitaire canadienne. Ils soulignent toutefois qu’il serait possible de régler ce problème par l’entremise de la réglementation, en particulier au paragraphe 6(1), qui permettrait la non-application du registre à certaines catégories de personnes précisées dans des règlements subséquents.
Que vous ont appris les expériences passées sur la manière dont ces exemptions prévues dans les règlements sont appliquées? Des groupes comme U15 Canada pourront-ils s’en servir pour demander des exemptions dans le cadre du processus réglementaire? Combien de temps, d’après les expériences passées, cela pourrait-il prendre?
M. Bilodeau : Je vous remercie de votre question.
Encore une fois, l’obligation de s’inscrire au registre est soumise à un critère à trois volets. Je ne vais pas les répéter, car je pense que nous en avons déjà parlé.
En ce qui concerne la possibilité de prévoir des exemptions dans la réglementation, l’élaboration des règlements fera l’objet de consultations, et nous aurons donc l’occasion de participer à ces discussions. Je tiens à souligner que l’intention du projet de loi était de prévoir le moins d’exemptions possible, afin de s’assurer que nous n’excluons pas des comportements qui devraient être visés.
Cela dit, les universités de recherche et les universités en général nous ont fait part de leurs préoccupations concernant leurs partenariats avec des universités étrangères susceptibles d’être financées par des fonds publics, car elles craignent que ces partenariats ne soient visés. Encore une fois, il ne suffit pas de déclarer une collaboration avec une université publique dans un État étranger. Il faut encore que cette collaboration réponde aux trois critères et qu’elle soit liée à des activités ayant une influence. Je pense qu’il est important de ne pas l’oublier.
Lorsque toutes ces mesures seront mises en place, le commissaire aura la possibilité de publier des bulletins d’interprétation pour expliquer ce qu’il peut considérer comme étant des activités qui doivent être inscrites au registre, et l’une des étapes principales de cette démarche sera d’informer le public de ses obligations. Tout n’est pas noir ou blanc. Le commissaire pourra interpréter la disposition en fonction des circonstances.
La sénatrice M. Deacon : Je vous remercie beaucoup.
Lundi dernier, nous avons également entendu les représentants de l’Association canadienne des libertés civiles, ou l’ACLC — sur un tout autre domaine, mais c’était un témoignage important —, au sujet des dispositions relatives à l’emprisonnement à perpétuité prévues dans le projet de loi C-70 en vertu de la nouvelle Loi sur l’ingérence étrangère et la protection de l’information. Ils ont déclaré que, par exemple, une personne reconnue coupable de méfait à l’égard d’un bien au profit d’une entité étrangère est passible d’une peine d’emprisonnement à perpétuité au lieu de la peine maximale de deux ans moins un jour prévue par le Code criminel. À première vue, cela semble sévère, même dans le contexte de l’ingérence étrangère. J’aimerais savoir quelles certitudes ou garanties peuvent être données aux groupes de défense des droits civils selon lesquelles ces dispositions seront appliquées de manière proportionnelle par rapport au délit. J’aimerais entendre l’avis des représentantes du ministère de la Justice Canada sur la question.
Mme Watts : Une partie de la réponse à la question se trouve dans votre question. La détermination de la peine est toujours un processus individualisé en droit pénal. Les juges prononcent une peine adaptée et appropriée en fonction des circonstances de l’infraction et du délinquant. Dans le contexte de ce projet de loi et des pénalités maximales que nous avons proposées, l’idée de souligner la gravité d’une infraction par l’imposition d’une peine maximale potentiellement très élevée est un élément que les tribunaux prendront en compte pour déterminer la gravité de l’infraction et le comportement qui mérite d’être puni. Dans tous les cas, cette peine doit être adaptée et proportionnée. Le fait qu’il y ait une peine maximale élevée ne signifie pas que la peine sera disproportionnée, et cela donne aux juges un pouvoir discrétionnaire dans l’intervalle fixé par la loi pour déterminer une peine appropriée pour le délinquant.
La sénatrice M. Deacon : Je vous remercie de l’avoir mentionné pour le compte rendu, car c’est une préoccupation qui a déjà été soulevée.
Le sénateur Kutcher : Ma question s’adresse à M. Flynn et fait suite à la question du sénateur Yussuff. Je veux seulement m’assurer que vous êtes d’accord pour dire que le projet de loi C-70 imposera un fardeau supplémentaire considérable à la capacité d’enquête et d’application de la loi de la GRC, qui manque déjà de ressources dans ce domaine.
J’aimerais également vous poser une question pointue. Quels types de contextes de menace la GRC étudie-t-elle actuellement et sur lesquels nous ne savons peut-être pas grand-chose? Savez-vous s’il existe des plans visant à renforcer les capacités en matière d’enquête et d’application de la loi de la GRC? Savez-vous si un financement est prévu ou vous a-t-on parlé d’un financement qui pourrait être versé pour ces types de ressources, et si on vous a mentionné un tel financement, avez-vous une idée de la date à laquelle ces ressources pourraient être mises à votre disposition?
M. Flynn : Je vais tenter d’être concis, car cette question comporte de nombreux éléments. Je vous remercie de votre question.
En ce qui concerne le fardeau supplémentaire, le projet de loi C-70 comprend des dispositions qui nous permettent d’aider le commissaire à enquêter sur les diverses activités qui feront l’objet d’une enquête. Le projet de loi C-70 prévoit également des modifications à des lois existantes et des outils supplémentaires. Il se peut effectivement que nous devions enquêter sur de nouveaux types d’infractions, mais je considère que ces modifications et ces pouvoirs supplémentaires pourraient réduire la durée de certaines de nos enquêtes, car nous avons des options supplémentaires à notre disposition.
Cependant, ce qui est très important, comme je l’ai déjà dit, c’est qu’on a mis ce problème en évidence. On le comprend beaucoup mieux maintenant. Nous avons une très bonne discussion ici aujourd’hui, et de nombreuses autres discussions sur ce problème sont en cours et elles sont absolument nécessaires, car ce problème est omniprésent. Il s’agit d’une menace réelle et le Canada subit quotidiennement des préjudices importants. La priorité de la GRC est donc de s’attaquer à ce problème, plus particulièrement dans le cadre de mon domaine de responsabilité, c’est-à-dire la police fédérale.
Nous avons reçu un financement dans le cadre de la lutte contre les activités hostiles des acteurs étatiques, afin de nous permettre d’ajouter des ressources qui serviront à combattre ce type de menace et plus précisément les activités hostiles.
À la GRC, nous sommes également conscients que des changements doivent être apportés pour veiller à ce que nos ressources soient utilisées en fonction des priorités. Vous apprendrez au fil du temps — certains d’entre vous le savent peut-être déjà — que nous apportons des modifications au fonctionnement de la police fédérale. Nous sommes passés à un modèle régional. Quatre commandants régionaux qui s’occupent des opérations à l’échelle nationale relèvent directement de moi. Cela me permet de disposer à la fois de la responsabilité et de l’autorité nécessaires pour affecter les ressources à la menace la plus prioritaire.
Je saisis cette occasion pour dire que le nombre de menaces auxquelles nous sommes confrontés, comme je l’ai déjà dit, est immense. Nos employés travaillent jusqu’à l’épuisement chaque jour de la semaine, chaque heure de la journée. Par égard pour eux, je dois souligner que nous n’avons pas assez de ressources pour faire tout ce que nous sommes appelés à faire au quotidien, et je dirais que cela vaut pour tous les corps de police au pays et pour tous ceux qui travaillent dans le domaine de la sécurité publique.
Le sénateur Kutcher : Merci beaucoup.
Le sénateur Boehm : Je remercie les témoins des renseignements qu’ils nous fournissent.
Ma question s’adresse à Mme Estabrooks. Elle porte sur les séances d’information et sur les parlementaires qui obtiennent des séances d’information et ceux qui n’en obtiennent pas. Il existe ce que l’on appelle une séance d’information non classifiée où l’information est donnée verbalement, sous forme de diapositives ou d’une autre façon. Ensuite, d’aucuns suggèrent — notamment M. Juneau et Mme Carvin — que les chefs des partis politiques devraient assister à une séance d’information classifiée quelconque afin qu’ils puissent assumer la responsabilité au sein de leurs propres caucus.
Pourquoi ne pas organiser une séance d’information non classifiée dans le cadre du processus d’accueil et d’intégration des nouveaux venus au Parlement? Ce genre de séance pourrait aussi rafraîchir la mémoire des autres. Les représentants des circonscriptions changent et, du jour au lendemain, les nouveaux représentants des deux Chambres se retrouvent sur la scène politique. Ils reçoivent l’attention d’entités étrangères et de diplomates. Ils ne connaissent pas les dispositions de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques ou de la Convention de Vienne sur les relations consulaires. Ils ne savent pas vers qui se tourner. Lorsque le projet de loi C-70 sera adopté et que les pratiques et les règlements seront établis, le SCRS pourrait-il organiser ces séances d’information? Pensez-vous que c’est une bonne idée?
Mme Estabrooks : Je vous remercie de la question.
Au cours des dernières années, nous avons eu de nombreuses conversations sur les séances d’information. Le SCRS a organisé des séances d’information à l’intention de dizaines de parlementaires d’un bout à l’autre du pays sur les menaces qui pèsent sur la sécurité du Canada et, en particulier, sur les menaces liées à l’ingérence étrangère. De plus, avec d’autres partenaires des services de sécurité, dont le ministère de la Sécurité publique, la GRC et nos collègues qui s’occupent de la cybersécurité, nous déployons des efforts concertés pour contribuer à ce dont vous avez parlé : outiller les parlementaires pour qu’ils puissent comprendre les vulnérabilités particulières auxquelles ils sont confrontés et prendre des mesures en ce qui a trait au traitement de l’information, à leurs appareils personnels et ce genre de choses, afin d’atténuer les risques. D’habitude, il s’agit de séances d’information non classifiées — pour répondre à votre question —, de sorte qu’elles peuvent être utiles de façon stratégique, mais pas nécessairement pour une diffusion plus large.
Le projet de loi élargit les compétences du SCRS en matière de communication d’informations classifiées, et une conversation est en cours pour déterminer quelle en sera l’incidence sur les parlementaires. Il faut évidemment prendre en compte d’autres facteurs, mais avec le pouvoir de communication inclus dans le projet de loi, le SCRS aurait la capacité de communiquer des informations dans le but de renforcer la résilience face aux menaces à la sécurité du Canada. Ces mesures sont donc conformes à ce que vous avez mentionné, mais elles sont plus complètes et se fondent sur les données que nous avons recueillies.
Le sénateur Boehm : Dans le but d’accroître la base de connaissances, par exemple, les diplomates étrangers accrédités ici sont envoyés par leur pays pour tenter de nous influencer. Cependant, il y a des limites qu’ils ne peuvent pas franchir et, bien sûr, nos diplomates à l’étranger font la même chose. Il existe parfois un manque de connaissance à cet égard.
Ensuite, en lien avec cela, si quelqu’un — un représentant élu ou nommé — estime qu’il est trop surveillé ou qu’il est mal à l’aise avec l’attention qu’il reçoit, vers qui peut-il se tourner? Doit-il s’adresser à la direction de son propre caucus ou de son propre groupe, sachant que cela pourrait avoir des conséquences sur sa carrière, ses chances de promotion, etc? A-t-on réfléchi à une sorte de mécanisme pour ces situations?
Mme Estabrooks : Je vais répondre en premier, puis céder la parole à M. Bilodeau.
Le SCRS sera toujours là pour parler avec toute personne qui a l’impression d’être visée par une menace. Il arrive régulièrement que des personnes qui occupent des postes d’influence s’adressent à nous et nous demandent des informations; elles vont parfois nous en fournir. Il va sans dire que nous prenons cela très au sérieux et que nous accordons le plus grand respect à la confidentialité de ces discussions. Rien n’empêche les gens de communiquer avec nous. Il n’y a aucune restriction. Évidemment, si une situation requiert une enquête plus approfondie, nous jouerons un rôle important. Nous avons aussi des numéros 1-800 et des adresses électroniques pour ce genre de communications régulières, qui sont parfois utilisés par les membres de communautés qui ne se sentent pas nécessairement à l’aise de s’adresser directement à un responsable de la sécurité.
Le sénateur Dalphond : Ma question s’adresse à Mme Watts du ministère de la Justice. Il s’agit d’une question complémentaire à celles que j’ai posées au ministre. Le ministre a parlé de principes généraux, mais j’aimerais obtenir plus de précisions.
Tout d’abord, je comprends que selon la nouvelle infraction de sabotage aux infrastructures essentielles, il faut avoir porté atteinte — c’est l’élément clé — à la sûreté, à la sécurité ou à la défense du Canada, surtout en lien avec ce qui se trouve à l’alinéa b). On y parle des forces navales, des forces de l’armée ou des forces aériennes d’autres pays. Je pense que cela nous donne une idée de ce qui est protégé.
La question que j’ai posée au ministre concernait les personnes qui manifestaient devant le Parlement il y a deux ans et demi. Elles ne seraient pas visées par les dispositions parce que ce qu’elles faisaient ne correspond pas à la définition d’une atteinte à la sûreté, à la sécurité ou à la défense du Canada. Ai-je tort ou raison de supposer cela?
Mme Watts : Vous avez bien saisi les éléments qui composent cette infraction. Il s’agit de quiconque :
gêne l’accès à une infrastructure essentielle — ou encore en entraîne la perte ou la rend inutilisable, dangereuse ou impropre à l’usage — dans l’intention :
a) soit de porter atteinte à la sécurité, à la sûreté ou à la défense du Canada;
Les tribunaux devront déterminer précisément comment ils entendent appliquer cette disposition. Cela dépendra évidemment des faits et des circonstances de l’affaire.
Le sénateur Dalphond : Mais en théorie, cette infraction ne cible pas les manifestations devant le Parlement.
Mme Watts : Non. Si je me souviens bien, votre question précédente portait sur la disposition de précision au paragraphe (5).
Le sénateur Dalphond : Oui.
Mme Watts : Il faut lire les deux parties ensemble. L’intention n’est pas de criminaliser ce qui constitue des manifestations de désaccord et des protestations légales. Nous reconnaissons la liberté d’expression, et je pense que l’énoncé concernant la Charte relatif à ce projet de loi l’explique très bien. La disposition de précision vise justement à préciser que nous n’avons pas l’intention d’englober les manifestations de désaccord, les protestations et les revendications légales lorsque l’intention n’est pas de causer l’un des préjudices énumérés au premier point.
Le sénateur Dalphond : Est-ce nécessaire? La dernière partie est la définition de ce qu’ils ont l’intention de provoquer.
Mme Watts : Oui.
Le sénateur Dalphond : C’est donc répétitif, dans une certaine mesure.
Mme Watts : Oui, je pense que vous avez raison. C’est répétitif, et puisqu’il s’agit d’une disposition de précision...
Le sénateur Dalphond : La répétitivité ne soulève-t-elle pas la question de savoir s’il s’agit d’un moyen de défense ou d’une exclusion? Qui doit le démontrer? Ne serait-il pas mieux de supprimer cette partie et de la conserver comme intention dans la définition principale, car l’on sait très bien que le fardeau de la preuve repose sur la Couronne?
Mme Watts : C’est une excellente question. Comme pour toutes les infractions criminelles, il incombera toujours à la Couronne de prouver hors de tout doute raisonnable que les éléments de l’infraction ont été commis, et ce projet de loi ne change rien à cela.
La disposition de précision ici est un peu... il faut aussi examiner l’infraction de sabotage initiale, qui comportait une exclusion pour les protestations et la défense des droits des travailleurs. C’est un peu la même chose. On ne fait que donner plus de précision. Cette répétition n’a aucune incidence sur le fardeau de la preuve et ne modifie pas les éléments de l’infraction. Il s’agit simplement de souligner ce que l’infraction n’est pas censée englober.
Le sénateur Dalphond : Je vous remercie. Je propose que l’on veuille bien se demander, avant que l’on mette le projet de loi aux voix, s’il est nécessaire d’inclure l’intention deux fois; une fois dans la définition des infractions et une autre fois dans les exclusions aux infractions. C’est peut-être redondant et cela peut créer une certaine ambiguïté. Je vous remercie.
Mme Watts : Je vous remercie de la question.
Le sénateur Cardozo : Je n’ai que deux ou trois questions.
Pour faire suite à notre discussion sur la naïveté, je me demande si nous ne sommes pas également naïfs au sujet des acteurs non étatiques. J’aimerais vous lire une phrase tirée d’un bulletin du département de la Sécurité intérieure intitulé Summary of Terrorism-Related Threat to the United States :
Les États-Unis se trouvent toujours dans un contexte de menace accrue. Les criminels solitaires et les petits groupes motivés par un éventail de croyances idéologiques et de doléances personnelles continuent de représenter une menace constante et mortelle pour le pays.
D’après ce que j’ai compris, ce projet de loi ne parle pas des acteurs non étatiques. On dit qu’il y a des acteurs non étatiques aux États-Unis, et je pense que cette situation se propage au Canada. J’aimerais savoir ce que vous en pensez. Si nous n’en parlons pas ici, où pouvons-nous le faire?
La deuxième question concerne le registre. Qu’en est-il de tous ces véritables mauvais acteurs qui n’enregistrent pas leurs renseignements? Que pouvons-nous faire à leur sujet?
M. Bilodeau : Je vais d’abord répondre à la deuxième question, puis je répondrai à la première avant de céder la parole au sous-commissaire Flynn.
Vous avez raison de dire que les mauvais acteurs vont essayer de ne pas enregistrer leurs renseignements. C’est pourquoi le projet de loi prévoit des outils d’enquête que le commissaire peut utiliser, y compris la capacité d’enquêter et d’utiliser des renseignements ainsi que des ordonnances de communication et d’autres outils semblables pour recenser les acteurs qui pourraient ne pas s’inscrire. Je vais vous donner un exemple. Quelqu’un pourrait publier une lettre d’opinion dans un journal et le faire au nom d’un État étranger, sans figurer sur le registre. Des gens pourraient déposer des plaintes, identifier cette personne et dire que, selon eux, elle est associée à un État étranger. Le commissaire pourrait alors se saisir de l’affaire, mener une enquête et déterminer si c’est le cas ou non. Nous nous attendons à disposer de tous ces outils pour mener des enquêtes. Avec tous les autres outils compris dans le projet de loi C-70, nous serons en mesure de nous attaquer à ce problème.
J’en viens à la menace terroriste. Je dois dire que la lutte contre le terrorisme demeure une priorité absolue. Il existe d’autres outils dans le Code criminel, notamment l’inscription sur la liste des organisations terroristes. Je sais que cela demeure une priorité pour la GRC.
M. Flynn : Absolument. Nous disposons d’outils que vous nous verrez utiliser quotidiennement pour combattre les menaces terroristes et les activités comme celles décrites dans le document américain auquel vous avez fait référence. Le niveau d’érosion sociale que nous connaissons m’inquiète. Je suis particulièrement préoccupé par le nombre de jeunes qui participent à ces activités. La personne la plus jeune au sujet de laquelle j’ai reçu des renseignements et eu la difficile tâche d’examiner des dossiers en lien avec son implication dans des activités terroristes au Canada avait 12 ans.
Je ne compte pas sur les dispositions du projet de loi C-70 pour répondre à la menace que représentent les loups solitaires ou à cette menace terroriste. Nous disposons de listes et de mesures législatives concernant le terrorisme que nous utilisons régulièrement pour nous attaquer à ce problème. Il faut accorder beaucoup d’attention à ce problème et je pense qu’une grande partie de la solution se trouve en dehors du domaine de l’application de la loi. Nous devons examiner la manière dont nous nous comportons en tant que société — ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas — et la société doit faire respecter un grand nombre de ces règles. À mon avis, nous constaterons un changement si nous parvenons à attirer l’attention de la population sur cette question et à faire en sorte que nous fassions tous partie de la solution. Sinon, nous ne ferons qu’épuiser les enquêteurs. Comme vous le savez, une menace importante planait ici même à Ottawa avant Noël, et je peux vous dire que les efforts déployés pour combattre cette menace ont été épuisants.
Le sénateur Cardozo : Êtes-vous en train de dire que les lois actuelles nous permettent de répondre à ces autres menaces, mais qu’elles ne couvrent pas les acteurs étatiques étrangers, et que c’est là l’objet de ce projet de loi?
M. Flynn : À ce titre, je pense que votre interprétation est juste. Le projet de loi comble les lacunes qui ont trait aux acteurs étatiques étrangers et aux éléments qui portent sur les préjudices et les dispositions sur les intérêts dont mes collègues ont parlé plus tôt ou dont le dernier groupe de témoins a parlé et qui ont posé problème par le passé.
Mme Estabrooks : Aujourd’hui, la nature numérique de notre travail est l’un des défis particuliers auxquels nous sommes confrontés dans ce milieu. Certaines des propositions contenues dans le projet de loi C-70 permettraient au SCRS d’être mieux équipé dans ce domaine. On a utilisé le mot « modernisation » et on a également parlé abondamment du fait que la Loi sur le SCRS est désuète. Puisque la nature numérique des enquêtes sur l’extrémisme est extrêmement complexe, bon nombre des modifications proposées dans le projet de loi permettraient au SCRS d’être mieux outillé pour mener ces enquêtes dans l’espace numérique. Il pourrait tirer parti de la technologie et des données et s’adresser à la Cour fédérale pour obtenir les ordonnances nécessaires au type de collecte de renseignements qu’il doit effectuer. Il est très facile de se cacher et de demeurer anonyme en ligne, et notre boîte à outils n’a pas évolué au même rythme que la technologie.
Le vice-président : C’est tout le temps que nous avions avec ce groupe de témoins. Je remercie nos témoins d’avoir pris le temps de nous rencontrer aujourd’hui.
Voilà qui nous amène à la fin de notre réunion d’aujourd’hui. Nous poursuivrons notre examen de la teneur de ce projet de loi demain, le jeudi 13 juin, à 8 heures, heure de l’Est, dans la pièce C-128 de l’Édifice du Sénat du Canada. Je vous remercie de votre participation aujourd’hui. Je vous souhaite à tous une bonne journée.
(La séance est levée.)