LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE LA SÉCURITÉ NATIONALE, DE LA DÉFENSE ET DES ANCIENS COMBATTANTS
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 13 juin 2024
Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants se réunit aujourd’hui, à 8 heures (HE), avec vidéoconférence, pour étudier la teneur du projet de loi C-70, Loi concernant la lutte contre l’ingérence étrangère.
Le sénateur Jean-Guy Dagenais (vice-président) occupe le fauteuil.
Le vice-président : Honorables sénatrices et sénateurs, avant de commencer, je voudrais vous demander ainsi qu’aux autres participants en personne de bien vouloir consulter les cartons sur la table pour connaître les lignes directrices sur la prévention des incidents de rétroaction acoustique. Veuillez respecter les mesures préventives suivantes, qui ont été mises en place pour protéger la santé et la sécurité de tous les participants, y compris les interprètes. Dans la mesure du possible, veillez à vous asseoir de manière à augmenter la distance entre les microphones. Utilisez seulement une oreillette noire approuvée. Les anciennes oreillettes grises ne doivent plus être utilisées. Éviter en tout temps d’approcher votre oreillette des micros. Si vous n’utilisez pas votre oreillette, placez-la face vers le bas sur l’autocollant sur la table prévue à cette fin. Je vous remercie tous et toutes de votre coopération.
Bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants. Je suis Jean-Guy Dagenais, sénateur du Québec et vice-président de ce comité. Notre président, le sénateur Tony Dean, est le parrain du projet de loi C-70 que nous allons examiner cette semaine; il m’a donc demandé de présider ces délibérations.
Avant de commencer, j’inviterais les membres du comité présents aujourd’hui à se présenter, en commençant par ma gauche.
[Traduction]
Le sénateur Richards : Dave Richards, du Nouveau-Brunswick.
[Français]
Le sénateur Carignan : Bonjour. Claude Carignan, du Québec.
Le sénateur Housakos : Leo Housakos, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Cardozo : Andrew Cardozo, de l’Ontario.
Le sénateur Woo : Bonjour. Yuen Pau Woo, de la Colombie-Britannique.
La sénatrice M. Deacon : Bienvenue. Marty Deacon, de l’Ontario.
La sénatrice Anderson : Margaret Dawn Anderson, des Territoires du Nord-Ouest.
Le sénateur Dean : Tony Dean, de l’Ontario.
Le sénateur McNair : John McNair, du Nouveau-Brunswick.
La sénatrice Dasko : Donna Dasko, de l’Ontario.
Le sénateur Boehm : Peter Boehm, de l’Ontario.
Le sénateur Yussuff : Hassan Yussuff, de l’Ontario.
Le sénateur Kutcher : Stan Kutcher, de la Nouvelle-Écosse.
Le vice-président : Merci, chers collègues.
Aujourd’hui, nous poursuivrons notre étude sur la teneur du projet de loi C-70, Loi concernant la lutte contre l’ingérence étrangère.
[Français]
Pour le premier groupe de témoins aujourd’hui, je suis heureux d’accueillir l’honorable Michael Chong, député de Wellington—Halton Hills, Tim McSorley, coordonnateur national, Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles, et Trevor Neiman, vice-président, Politiques, et conseiller juridique, Conseil canadien des affaires.
Messieurs, bienvenue parmi nous et merci d’avoir accepté notre invitation. Nous sommes prêts à entendre vos déclarations préliminaires. Nous commençons avec l’honorable Michael Chong.
Monsieur Chong, la parole est à vous.
L’honorable Michael Chong, c.p., député, Wellington—Halton Hills, à titre personnel : Honorables sénateurs, merci de m’avoir invité dans le cadre de votre étude préliminaire du projet de loi C-70, Loi concernant la lutte contre l’ingérence étrangère. Ce projet de loi est critique pour la protection de nos institutions démocratiques et nos élections.
[Traduction]
Les Canadiens et les Canadiennes s’attendent à ce que leur gouvernement les protège contre les activités malveillantes liées à la menace des États autoritaires. Les Canadiens s’attendent à ce que tout l’appareil gouvernemental canadien, y compris ses services de renseignement et ses organismes d’application de la loi, protège nos élections et nos institutions démocratiques contre les activités clandestines de coercition et de corruption liées à la menace d’ingérence étrangère des États autoritaires. Voilà à quoi s’attendent les Canadiens et les Canadiennes, et c’est pourquoi ils ont été si choqués d’apprendre l’ampleur des menaces de l’ingérence étrangère dans notre démocratie, lorsque cela a été révélé au Parlement et au public.
La juge Hogue, qui dirige l’enquête publique sur l’ingérence étrangère, a déclaré, dans le rapport initial de l’enquête publié le 3 mai dernier, que « [c]ette ingérence s’est manifestée lors des deux dernières élections générales [...] » et qu’elle était si grave que cela avait « [...] diminué la capacité de certains électeurs de voter de façon éclairée [...] ». Elle a aussi conclu que l’ingérence étrangère avait miné l’ensemble de l’écosystème électoral lors des élections de 2019 et de celles de 2021, et que cela avait sapé la confiance du public envers la démocratie canadienne.
Le projet de loi C-70 a été déposé en réaction aux révélations choquantes concernant les menaces d’ingérence étrangère dirigées contre nos élections et contre les élus de la Chambre des communes. Le projet de loi C-70 contient un éventail de mesures visant à protéger les candidats lors des prochaines élections générales et à protéger les députés de la Chambre des communes.
Maintenant que le projet de loi C-70 est à l’étude au Parlement, l’inertie et les retards doivent cesser. Comme l’a souligné la juge Hogue, le risque lié aux conséquences de l’ingérence étrangère est appelé à s’aggraver « si aucune mesure n’est mise en place pour l’atténuer ». Les prochaines élections générales approchent, et le temps nous est compté pour renforcer la confiance des Canadiens envers nos élections.
Il est rare que l’opposition officielle collabore avec le gouvernement sur un projet de loi pour qu’il soit adopté à la Chambre des communes. Pourtant, les députés libéraux et conservateurs et ceux des autres partis, qui représentent la vaste majorité des Canadiens, ont appuyé ce projet de loi tout au long de son étude à la Chambre et au comité de la Chambre des communes. Tout porte à croire que ces députés voteront en faveur du projet de loi, lorsqu’il sera mis aux voix cet après-midi à la Chambre des communes. Cela reflète le grand sérieux que les députés de la Chambre des communes accordent aux menaces contre les élus et nos élections.
[Français]
À la lumière des renseignements dévoilés dans les plus récents rapports de l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement, du Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement et de la Commission sur l’ingérence étrangère, il est primordial pour nous, parlementaires, de nous assurer de la protection de nos institutions et de nos élections. Il faut travailler ensemble afin de préserver l’intégrité de nos élections et de nos institutions démocratiques. Le projet de loi C-70, à mon avis, est une excellente première étape.
[Traduction]
Je suis prêt à répondre à vos questions. Merci.
[Français]
Le vice-président : Merci beaucoup, monsieur Chong. Nous entendrons à présent M. McSorley.
[Traduction]
Tim McSorley, coordonnateur national, Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles, à titre personnel : Je vous remercie de l’invitation à témoigner ici aujourd’hui au nom de notre coalition de 46 organisations canadiennes.
Nous reconnaissons l’importance et l’urgence de pallier les conséquences de l’ingérence étrangère, surtout dans les cas où les gouvernements menacent des particuliers ou leurs proches dans le but de limiter leur capacité à exercer leurs droits fondamentaux ou à participer aux processus démocratiques.
Je suis aussi parfaitement conscient et très reconnaissant des efforts que votre comité a déployés : vous avez tenu de nombreuses séances, et même des séances marathons tout au long de la semaine. Cependant, je dois vous dire que la coalition que je représente, mes collègues d’autres organisations des libertés civiles et des droits de la personne et moi-même sommes profondément préoccupés par la précipitation avec laquelle ce projet de loi a été traité. Un projet de loi d’une telle ampleur nécessite une étude approfondie. Pourtant, il a été présenté il y a à peine un mois, avant même la conclusion de l’enquête sur l’ingérence étrangère, et l’étude des comités des deux chambres du Parlement aura pris à peine deux semaines. L’étude de la Loi antiterroriste de 2001 elle-même ne s’est pas faite si rapidement, et elle avait pris deux mois. En raison de cette étude accélérée, les experts et les organisations aux ressources limitées ont dû précipiter leur analyse du projet de loi, et il a été pour ainsi dire impossible de déposer des mémoires et de recommander des amendements appropriés.
Le projet de loi C-70 a une très grande importance, puisqu’il traite d’enjeux cruciaux pour la protection et la promotion de la démocratie et des droits démocratiques au Canada. Ce projet de loi a le potentiel de faire respecter ces droits, mais il contient également certaines dispositions qui, très clairement, pourraient miner et même vont miner ces droits. Nous craignons que ces préoccupations ne soient pas prises en considération qu’une fois les dispositions du projet de loi C-70 mises en œuvre, lorsque nous verrons leurs répercussions sur les gens et les collectivités du Canada. Nous recommandons fortement aux membres du comité de collaborer avec leurs collègues sénateurs afin de prolonger l’étude du projet de loi C-70, ce qui permettra de recueillir plus de témoignages et d’analyses et, ainsi, d’élaborer et de proposer des amendements et d’en débattre.
Quels seront les impacts des changements importants proposés dans le projet de loi C-70? Le but déclaré du projet de loi est de lutter contre les menaces importantes liées à l’ingérence étrangère, mais les modifications proposées dans le projet de loi vont bien plus loin. S’il est adopté, le projet de loi C-70 aura de vastes répercussions sur la sécurité nationale du Canada, sur son service du renseignement et sur ses systèmes de justice pénale. Par conséquent, il aura aussi de grandes conséquences sur la vie et sur les droits fondamentaux de chaque personne vivant au Canada, notamment l’accroissement de la surveillance, l’affaiblissement du respect de la vie privée et le renforcement du profilage racial, religieux et politique. D’autres dispositions sont formulées de manière vague ou excessivement générique, ce qui pourrait nuire à la liberté d’expression et d’association. Certaines peines proposées soulèvent d’importantes questions sur la proportionnalité et la détermination de la peine. Cela changera aussi la manière dont les cours traitent les renseignements sensibles, car l’utilisation d’éléments de preuve secrets minera la diligence raisonnable dans le système judiciaire.
J’aimerais maintenant vous expliquer certains de nos domaines précis de préoccupation.
Premièrement, les modifications prévues au régime de données du Service canadien du renseignement de sécurité — le SCRS — ne concernent qu’indirectement l’ingérence étrangère. Nombre de ces modifications découlent en réalité d’un rapport cinglant de l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement, qui concluait que le SCRS enfreignait la loi dans son application du régime de données. Mais, au lieu de faire en sorte que les organisations respectent la loi, on a plutôt décidé de modifier la loi pour que les activités du SCRS soient légales. Les conséquences potentielles de ces modifications ne sont toujours pas claires et auraient dû être analysées dans le cadre de l’examen prévu par la loi de la Loi de 2019 sur la sécurité nationale. Nous recommandons de supprimer ces modifications jusqu’à l’issue de cet examen.
Nous sommes aussi préoccupés par les modifications prévues à l’article 19 de la Loi sur le SCRS, concernant les pouvoirs de divulgation. Même si nous comprenons leur objectif et que nous savons qu’il est important de veiller à ce que des informations appropriées puissent être échangées, cela fait 20 ans que de sérieuses questions sont soulevées quant à la façon dont le SCRS traite la divulgation de renseignements sensibles. Plus particulièrement, les paragraphes 34(2) et 34(3) du projet de loi C 70 doivent être assortis de garde-fous plus robustes.
Le projet de loi C-70 accorde aussi au SCRS d’importants nouveaux pouvoirs en matière d’ordonnances de production et de mandats et pourtant, cela fait des années que les cours réprimandent le SCRS parce qu’il les a induites en erreur dans ses demandes de mandat. Les exigences relatives aux mandats existent pour protéger nos droits, et il ne convient pas d’assouplir ces exigences maintenant, puisque les manquements du SCRS à son obligation de franchise envers les cours n’ont toujours pas été correctement rectifiés.
Le projet de loi modifie également la Loi sur la protection de l’information et crée de nouvelles règles selon lesquelles les infractions mineures, lorsque commises en association — un terme non défini — avec une entité étrangère, pourraient être passibles d’un emprisonnement à vie ou de peines consécutives assimilables à l’emprisonnement à vie. Cela suscite des inquiétudes touchant la proportionnalité de la peine ainsi que la liberté d’expression.
Nous sommes aussi préoccupés par le registre en matière d’influence étrangère et les nouvelles infractions de sabotage proposées, y compris l’amendement très préoccupant qui a été adopté à l’autre endroit lundi dernier.
J’aimerais conclure par un commentaire sur les modifications à la Loi sur la preuve au Canada. Notre coalition s’oppose fondamentalement à l’élargissement de l’utilisation des éléments de preuve secrets devant les cours canadiennes, même sous prétexte de protéger la sécurité nationale, la défense nationale et les relations internationales. Introduire un système normalisé pour dissimuler de l’information à ceux et celles qui contestent les décisions de gouvernement normalisera ce processus et encouragera davantage l’utilisation d’informations secrètes dans notre système judiciaire.
Je vous remercie du temps qui m’a été accordé aujourd’hui, et je suis impatient de discuter davantage de ces enjeux.
[Français]
Le vice-président : Merci beaucoup, monsieur McSorley.
[Traduction]
La parole va maintenant à M. Neiman.
[Français]
Monsieur Neiman, la parole est à vous.
[Traduction]
Trevor Neiman, vice-président, politiques, et conseiller juridique, Conseil canadien des affaires : Monsieur le président, mesdames et messieurs, je vous remercie de l’invitation à participer à votre étude sur le projet de loi C-70.
Comme mon organisation représente les entreprises les plus novatrices et prospères du Canada, mes commentaires d’aujourd’hui ne porteront que sur la partie du projet de loi qui touche le plus directement le secteur privé et l’économie canadienne, c’est-à-dire le paragraphe 34(3), qui a pour but de modifier la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité et de lui permettre de divulguer des renseignements liés à une menace à des parties prenantes de l’extérieur du gouvernement du Canada, dans le but exprès d’accroître leur sensibilisation et leur résilience face à l’ingérence étrangère.
Cependant, avant de parler de cette disposition, je tiens à ce qu’il soit on ne peut plus clair que le milieu des affaires canadien appuie généralement l’intégralité du projet de loi C-70. De l’établissement...
[Français]
Le vice-président : Monsieur Neiman, je vous demande de réduire votre débit.
[Traduction]
Parlez un peu plus lentement, pour nos interprètes.
M. Neiman : Merci, monsieur le président.
De l’établissement d’un régime sur la transparence en matière d’influence étrangère à la création de nouvelles infractions de sabotage, ce projet de loi dont nous avons urgemment besoin contribuera à protéger la vie et les moyens de subsistance des Canadiens, en donnant à notre gouvernement les outils nécessaires pour mieux protéger notre pays.
Pour commencer mes observations de fond, je soulignerais que, même si le débat actuel au Canada concernant l’ingérence étrangère a été surtout axé, à juste titre, sur l’intégrité de nos processus démocratiques et sur la sécurité des groupes ethniques et culturels pris pour cible, il est important que nous reconnaissions tous que les acteurs étatiques ciblent activement tous les aspects de la société canadienne, y compris l’économie du Canada. En effet, à notre époque de rivalité géopolitique grandissante, où les chaînes d’approvisionnement, les réseaux infrastructurels et l’innovation technologique déterminent de plus en plus les avantages stratégiques, les entreprises canadiennes sont une cible de choix pour nos adversaires. Tous les Canadiens devraient en être préoccupés.
Les menaces à la sécurité économique ne sont pas abstraites, et elles n’existent pas non plus en vase clos. Ces menaces ciblent les infrastructures essentielles, qui transportent l’énergie jusqu’à nos foyers. Elles ciblent les chaînes d’approvisionnement qui permettent à nos familles d’obtenir des aliments et des médicaments à faible coût. Elles ciblent les propriétés intellectuelles qui créent de bons emplois et qui nous aident à payer nos factures. En résumé, ces menaces mettent en péril la sécurité et la prospérité mêmes des Canadiens.
Évidemment, les entreprises et les gouvernements investissent des milliards de dollars chaque année pour protéger les Canadiens contre ces attaques économiques directes et indirectes. Toutefois, si nous voulons réellement protéger notre mode de vie de manière efficace, nous devons remplacer nos efforts indépendants par des mesures collectives, et la clé pour fonder ces partenariats est de pouvoir échanger des renseignements sur les menaces.
Contrairement aux organismes de sécurité intérieure de nos partenaires du Groupe des cinq, lesquels possèdent des pouvoirs juridiques modernes qui leur permettent d’échanger avec les milieux des affaires respectifs des renseignements détaillés à propos des menaces, il est présentement interdit au SCRS de transmettre au secteur privé canadien des renseignements concernant les menaces, sauf peut-être des renseignements excessivement généraux. Il s’agit d’une lacune considérable dans les défenses du Canada. Même si le SCRS a les connaissances et l’expertise nécessaires pour aider les entreprises canadiennes à résister aux menaces croissantes, la loi désuète régissant le SCRS fait en sorte que les entreprises sont laissées à elles-mêmes.
C’est pour cette raison que le Conseil canadien des affaires appuie fermement le paragraphe 34(3). Les nouveaux pouvoirs en matière d’échange de renseignements liés à la menace permettront au SCRS de communiquer de l’information plus précise et plus concrète aux entreprises canadiennes. Ainsi, les chefs d’entreprises auront une meilleure compréhension de la menace grandissante et des mesures qu’elles peuvent prendre afin de mieux protéger leurs employés et leurs clients, ainsi que les collectivités où ils exercent leurs activités.
L’utilisation de ces nouveaux pouvoirs avantagerait également le gouvernement du Canada, en aidant le SCRS à établir une plus grande confiance avec le secteur privé du Canada. Les chefs d’entreprises du Canada seraient donc plus portés à signaler à Ottawa les menaces qu’ils voient sur le terrain, et le gouvernement pourrait ainsi mieux éclairer ses politiques et améliorer la capacité du SCRS de réagir aux menaces futures.
Bien sûr, l’octroi de tout nouveau pouvoir doit s’harmoniser avec les valeurs communes de notre société démocratique, notamment le respect des droits et libertés individuelles. À ce sujet, nous sommes très heureux de voir que le gouvernement du Canada a intégré des mesures de protection rigoureuses, au paragraphe 34(3), pour garantir que la divulgation protège les intérêts des Canadiens en matière de protection de la vie privée.
Avant de conclure, je tiens à insister sur l’urgence de ce projet de loi. Le Conseil canadien des affaires est d’accord avec nombre de législateurs quant au fait que les protections contenues dans le projet de loi C-70 doivent être mises en place avant les prochaines élections générales. Il est de la plus haute importance que nous préservions notre système démocratique. J’ajouterais cependant que le Canada a du retard à rattraper sur ses alliés pour ce qui est de renforcer la résilience économique. Non seulement les Canadiens sont exposés à des risques inutiles au quotidien, mais, si nous n’emboîtons pas le pas à nos plus proches alliés, nous risquons d’être considérés comme le maillon faible de la chaîne et de mettre en péril la relation de notre pays avec nos alliés, à un moment charnière où l’ordre mondial est en pleine transformation et où les partenariats sont de la plus haute importance.
Je vais conclure en soulignant que le projet de loi C-70 n’est qu’une autre des nombreuses réformes en matière de sécurité économique qui doivent être mises en œuvre dans les plus brefs délais pour protéger les Canadiens. En priorité, le Conseil canadien des affaires recommande fortement au gouvernement du Canada d’ajouter au paragraphe 34(3) une disposition sur un mécanisme officiel d’échange de renseignements sur la menace, afin que les renseignements recueillis par le SCRS puissent être reçus et diffusés de manière sécurisée à l’échelle du secteur économique canadien. Cette réforme ainsi qu’une quarantaine d’autres très nécessaires sont énumérées dans le rapport que le Conseil canadien des affaires a publié récemment, intitulé La sécurité économique est la sécurité nationale.
Je vous remercie de m’avoir permis de témoigner, et je suis impatient de répondre à vos questions.
Le vice-président : Merci, monsieur Neiman.
Nous allons commencer la période de questions. Comme d’habitude, vous avez quatre minutes pour poser votre question et écouter la réponse. Je vous demande d’être brefs, afin que nous puissions avoir autant d’interventions que possible.
Le sénateur Boehm : Je remercie les témoins d’être avec nous. J’ai deux questions, si j’ai le temps : l’une s’adresse à M. Chong, et l’autre à M. Neiman.
Monsieur Chong, vous avez dit dans votre déclaration qu’il y a consensus quant à la nécessité de ce projet de loi et au fait qu’il aurait dû être présenté il y a longtemps, et que tous les partis l’appuient. David McGuinty, le président du Secrétariat du Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement — le CPSNR —, nous a dit ici même lundi que l’ingérence étrangère dirigée contre le Canada n’est pas un phénomène nouveau au pays. Nous en sommes même conscients depuis des décennies, et cela existe dans d’autres pays également. Le moment du dépôt de ce projet de loi et le rapport du CPSNR ont certainement donné lieu à des jeux politiques, de tous les côtés. Comment pouvons-nous faire en sorte que le fond du projet de loi, c’est-à-dire la lutte contre l’ingérence étrangère — puisqu’il s’agit d’une étape préliminaire, comme vous l’avez dit —, ne soit pas miné par une politisation excessive? Comme vous êtes un député connu et que vous avez vous-même été ciblé par une campagne d’ingérence étrangère, est-ce quelque chose qui vous préoccupe, ce débat houleux, surtout quand on commence à réclamer des noms, que l’on cherche sur qui jeter le blâme et qui a ou pas consulté les rapports. J’aimerais avoir votre point de vue sur le sujet.
M. Chong : Merci de la question, sénateur.
Ce projet de loi confère au Service canadien du renseignement de sécurité de nouveaux pouvoirs qui lui permettront de renforcer la démocratie canadienne contre les menaces d’ingérence étrangère en l’autorisant à donner de l’information à certaines personnes de l’extérieur du gouvernement du Canada. Le projet de loi établit aussi une nouvelle loi-cadre du Parlement créant un poste de commissaire et un registre en matière d’influence étrangère. Je fais confiance à la fonction publique. Je fais confiance aux fonctionnaires de tout le gouvernement du Canada, à nos services de sécurité et à la création de ce nouveau poste de commissaire, et je crois qu’ils vont tous remplir leurs fonctions en vertu de la loi sans partisanerie et en interprétant la loi dans l’intérêt des Canadiens, tout en les protégeant contre l’ingérence étrangère et en protégeant la Charte des droits et libertés.
Le sénateur Boehm : Merci.
Monsieur Neiman, dans votre déclaration ainsi que dans votre communiqué de presse du 6 mai, vous avez dit que les entreprises devaient être adéquatement informées par le SCRS et même que, à mesure que la situation évolue, les entreprises doivent être tenues au courant des circonstances pour éviter de se retrouver en difficulté. Votre organisation a-t-elle des liens quels qu’ils soient avec le SCRS présentement, même ponctuellement, ou même seulement certains de vos membres? Avez-vous d’autres préoccupations précises, outre ce que vous avez mentionné dans votre déclaration, et quel niveau d’échange de renseignements ou d’informations sur les menaces le Conseil canadien des affaires vise-t-il dans sa relation avec le SCRS? À votre avis, l’échange serait-il réciproque? En d’autres mots, si une entreprise croit qu’elle est menacée d’une façon ou d’une autre ou que l’on cherche à l’influencer, pourra-t-elle communiquer avec le SCRS ou avec d’autres organisations compétentes?
M. Neiman : Merci de la question.
Le Conseil canadien des affaires a effectivement une relation avec le SCRS, mais il en a aussi avec le vaste milieu de la sécurité et du renseignement au Canada. Cependant, nous dirions que cette relation est très largement unilatérale, en ce qui a trait à la collaboration avec le SCRS, étant donné que le libellé actuel de la Loi sur le SCRS lui interdit de communiquer toute information, mis à part des renseignements des plus généraux, avec le secteur privé. Il y a certaines exceptions en cas de menace imminente pour la sécurité nationale. Le SCRS peut exercer ses pouvoirs de réduction des menaces lorsque certains critères juridiques sont remplis et transmettre de l’information au secteur privé, mais ce mécanisme de collaboration est très lacunaire, à cause des critères juridiques que j’ai mentionnés et aussi parce qu’il s’agit d’un mécanisme réactif. Nous nous efforçons actuellement de renforcer et solidifier davantage notre relation avec le SCRS, mais il faudra pour cela adopter le projet de loi C-70 et, tout particulièrement, le régime d’échange de renseignements prévu au paragraphe 34(3).
Le sénateur Housakos : Ma question s’adresse à M. Chong. Si nous examinons les 10 dernières années, il devient tout à fait clair que le principal obstacle dans la lutte contre l’ingérence étrangère est le gouvernement actuellement en place. La première chose qu’il a faite, quand il a pris le pouvoir en 2015, a été d’abroger et de modifier le projet de loi C-51, déposé par le gouvernement précédent, qui essayait de prendre les premières mesures pour corriger les problèmes de sécurité nationale et lutter contre l’ingérence étrangère. Nous savons que l’opposition conservatrice — tout comme vous — réclame depuis très longtemps un registre des agents étrangers, et aussi qu’il a agité des drapeaux rouges à cet égard. Pourtant, la réponse du gouvernement Trudeau, lors des précédentes législatures, a été de crier au racisme. Un projet de loi déposé par les conservateurs, à l’étude au Sénat, est ajourné depuis trois ans, et le gouvernement n’a pas eu la volonté de le reprendre et de l’adopter. Nous avons été témoins du fiasco du rapporteur spécial, qui n’était qu’une autre tentative pour gagner du temps et éviter de faire quoi que ce soit à l’égard des difficultés et des problèmes qui attendent le Canada et nos alliés du Groupe des cinq.
J’ai deux questions : Pourquoi le gouvernement a-t-il tergiversé pendant près d’une décennie? Quels sont les conséquences et les impacts, dans la lutte contre l’ingérence étrangère, compte tenu de notre très grand retard sur nos alliés du Groupe des cinq?
M. Chong : Merci de la question, sénateur.
Je pense que le gouvernement a mis trop de temps à comprendre. C’est pourquoi, quand le gouvernement a enfin présenté le projet de loi C-70 à la Chambre des communes et que nous l’avons étudié, nous avons sauté sur l’occasion pour le soutenir. Malgré tout, cela lui a pris trop de temps pour comprendre.
Le rapport du CPSNR, publié pas plus tard que la semaine dernière, a mis en relief le fait que le gouvernement avait été averti, en 2018, que l’ingérence étrangère représentait une menace grave et existentielle pour le Parlement et pour nos élections. Le premier ministre a été averti, à ce moment-là, que les mesures en vigueur ne suffisaient pas pour protéger notre démocratie contre ces menaces, et il lui a été conseillé de prendre d’autres mesures.
Le greffier du Conseil privé a même demandé au premier ministre, en décembre 2019, d’approuver un plan d’action visant à protéger le Parlement lors des élections, mais le premier ministre n’a pas donné son approbation. Un an plus tard, le conseiller à la sécurité nationale et au renseignement, le CSNR, a demandé au premier ministre pour la deuxième fois d’approuver un plan d’action visant à protéger le Parlement, et encore une fois, il a essuyé un refus. Pour une troisième fois, le CSNR a voulu ressusciter l’initiative en février 2022, mais cela a à nouveau été refusé. Donc, à trois reprises, la personne la plus haut placée de la fonction publique a demandé au premier ministre d’approuver des mesures visant à protéger le Parlement et nos élections, et l’approbation lui a été refusée.
Si on regarde la situation aujourd’hui, il est clair — comme la juge Hogue l’a souligné dans son rapport — que les conséquences et les risques associés aux menaces d’ingérence étrangère n’ont fait que s’accroître en raison de notre incapacité à mettre en œuvre des mesures pour protéger notre démocratie et nos élections.
Ce projet de loi succède à de nombreuses années d’études du gouvernement du Canada et du Parlement. À dire vrai, rien que durant la présente législature — j’ai vérifié, et mon équipe a aussi fait beaucoup de recherches en préparation à mon témoignage devant le comité —, quatre comités de la Chambre ont étudié la question de l’ingérence étrangère. Il y a eu 70 réunions sur l’ingérence étrangère — excluant celles sur le projet de loi à l’étude —, 364 témoins ont été interviewés et entendus, il y a eu 152 heures de témoignages et 1 902 pages de documentation.
Ce projet de loi a beaucoup tardé, mais à présent que nous l’avons sous les yeux, nous avons la possibilité de l’adopter.
Le sénateur Yussuff : Merci aux témoins d’être ici.
Monsieur Chong, si je peux m’adresser encore à vous, vous avez été la cible de l’ingérence, et votre famille et vous-même avez reçu des menaces en lien avec l’ingérence étrangère. Comme nous sommes ici, maintenant, pour parler d’un projet de loi qui fait consensus parmi les parlementaires, la grande question que je me pose concerne le fait qu’un régime autoritaire, ou même un régime démocratique — comme nous l’avons constaté —, est impliqué dans le meurtre d’un de nos propres citoyens. C’est très grave. Comment pouvons-nous mettre de côté la politique partisane qui domine les débats, pour nous pencher sur la sécurité nationale? Il ne s’agit pas d’un enjeu pour les conservateurs ou pour les libéraux : c’est un enjeu pour le Canada. Comment pouvons-nous mettre de côté toute la partisanerie et travailler de concert? Qu’on le veuille ou non, la Chine n’a pas un cycle électoral de quatre ans; elle suit toujours la même approche dans ses relations étrangères et, par-dessus tout, dans ses interventions contre les menaces et les défis qui se présentent à elle. Comment pouvons-nous créer un mécanisme plus robuste, qui suppose également que nous nous serrions tous les coudes, en tant que parlementaires, dans l’intérêt supérieur du pays?
M. Chong : Merci, sénateur. Je trouve que c’est une excellente question.
Je crois que le gouvernement a réussi à la faire, dans le projet de loi, grâce au modèle du commissaire. Celui-ci ne peut être nommé qu’après consultations des chefs des partis reconnus à la Chambre des communes et des chefs des entités du Sénat, mais aussi après que la résolution sera adoptée par le Sénat et par la Chambre des communes. Les parlementaires devront nécessairement appuyer le commissaire. Celui-ci travaillera en même temps au ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile, et il n’y aura pas le genre de cloisonnement que l’on a vu par le passé qui empêchait le gouvernement d’agir dans les dossiers relatifs à la sécurité nationale. J’ai bon espoir que le commissaire aura suffisamment d’indépendance, tout en travaillant dans l’appareil du gouvernement, pour effectuer son travail efficacement et avoir le soutien des parlementaires. Ce projet de loi ne crée pas un poste d’agent du Parlement indépendant, mais nous avons aussi vu en même temps que beaucoup de gens en face appuyaient ce genre de modèles, qui nous ont permis de traiter de différents enjeux par le passé.
Le sénateur Yussuff : Ma prochaine question s’adresse à M. McSorley. Vous avez soulevé des points importants au sujet des libertés civiles dans le contexte plus large de ce projet de loi. Le droit de manifester au Canada est inscrit dans la Charte. Vous avez clairement dit que la ligne n’était pas claire ici en ce qui concerne l’élargissement du libellé du projet de loi. Quelles sont vos craintes ou vos réserves quant à la façon dont ce projet de loi s’appliquerait si le gouvernement décidait de recourir plus agressivement à ces nouvelles dispositions du projet de loi?
M. McSorley : Certainement. Merci beaucoup de la question, sénateur.
Un des aspects clés qui nous préoccupe — et qui préoccupait l’Association canadienne des libertés civiles, qui était ici lundi —, c’est l’absence de définitions dans le registre pour la transparence en matière d’influence étrangère. Nous sommes préoccupés par le fait que la définition d’entité étrangère, et surtout la définition d’association, sont très larges et ne précisent pas nécessairement que cette entité étrangère procure un avantage ou même exerce une influence, disant simplement qu’il pourrait y avoir une forme d’association. Cela fait 20 ans que nous travaillons précisément sur le contre-terrorisme et les libertés civiles, par exemple, nous avons vu que des organismes de bienfaisance, surtout de la communauté musulmane, faisaient l’objet d’accusations et d’enquêtes au motif d’une association très vague, parfois seulement parce qu’ils recevaient des invitations à participer à des conférences d’organisations internationales.
[Français]
Le sénateur Carignan : J’ai deux questions; la première s’adressera à M. Chong.
On a vu, car c’est bien documenté dans le rapport du Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement, la déficience dans le traitement de l’information ou dans le jugement porté sur les décisions à prendre. Le Service canadien du renseignement de sécurité donne des renseignements, mais il y a aussi un conseiller politique, il y a des gens autour du premier ministre ou parfois le premier ministre lui-même n’y croit pas vraiment et dit que ce n’est pas important. Je ne crois pas que ce soit suffisant; il y a des gens compétents et si l’information se rend au premier ministre, c’est parce qu’elle est fiable. Pourtant, les choses ne bougent pas.
Je regarde le projet de loi, et je ne vois pas de limites ou de moyens de surveillance et de contrôle, ou bien une façon d’enlever cette discrétion au conseiller politique ou au premier ministre.
Cela ne vous inquiète-t-il pas? Y a-t-il des améliorations qui pourraient être faites? Si ce n’est pas dans ce projet de loi, cela pourrait-il être fait ultérieurement, pour éviter ce genre de situation où on a un premier ministre avec des lunettes roses?
M. Chong : Je vous remercie pour la question. La loi ne peut pas demander aux élus et aux politiciens de faire quelque chose qui concerne la consommation de l’intelligence et des avis en matière de sécurité nationale.
À mon avis, ce projet de loi donne au SCRS le pouvoir d’indiquer, à l’extérieur du gouvernement du Canada, des informations qui vont protéger le secteur privé, les individus, les compagnies, les universités, etc. De plus, le gouvernement doit s’assurer que ces individus et ces entités ont de l’information pour protéger leurs droits et leurs affaires.
[Traduction]
Le projet de loi permet au SCRS, pour la première fois, de communiquer de l’information confidentielle à des gens de l’extérieur du gouvernement du Canada. C’est une bonne chose parce que, tout d’abord, nos organismes de sécurité réclament ces pouvoirs depuis un certain temps, et ensuite parce que cela va éliminer un obstacle mentionné dans le rapport du CPSNR et d’autres rapports, où il est indiqué que le Cabinet n’a pas suivi les conseils du SCRS visant à protéger la société civile contre ces menaces en lui permettant de passer outre au premier ministre et de communiquer des renseignements à des gens de l’extérieur du gouvernement du Canada de façon que la transparence serve à protéger la société civile contre ces menaces d’ingérence étrangère.
[Français]
Le sénateur Carignan : Ma prochaine question concerne le secteur des affaires. Certes, il y a une communication qui peut se faire avec les entreprises, mais il y a des limites à cette information, notamment sur le nom ou la personne d’une entité canadienne. On va utiliser des entités canadiennes pour se cacher et faire des menaces et de l’espionnage. J’ai l’impression qu’on essaie de poser des dents, mais on commence tout de suite à arracher des dents.
Le vice-président : Sénateur Carignan, votre temps de parole est écoulé, mais vous pourrez poser des questions lors de la deuxième ronde.
[Traduction]
La sénatrice M. Deacon : Merci à vous tous d’être ici aujourd’hui, je l’apprécie.
J’aimerais revenir à une question similaire à celle qu’a posée plus tôt mon collègue le sénateur Boehm au sujet du secteur des affaires. Merci de nous rappeler son importance ainsi que l’importance du mot « réciproque ». Vous n’aviez pas tout à fait fini votre réponse, donc, je veux m’assurer que vous ayez le temps de la finir. C’est quelque chose que vous aviez mentionné dans votre mémoire, à l’autre endroit. Je vais vous donner quelques secondes pour terminer votre réponse.
M. Neiman : Merci.
Comme je l’ai mentionné dans mes déclarations liminaires, nous croyons que les nouveaux pouvoirs de partage d’information sur les menaces du SCRS ne sont que la première des mesures à prendre pour renforcer la résilience de l’économie canadienne. Il faut aussi que le gouvernement canadien établisse ensuite un mécanisme pour que le SCRS puisse communiquer de façon sécuritaire et efficace les renseignements sur les menaces dans toutes les sphères de l’économie canadienne.
Le Conseil des affaires a demandé au gouvernement de créer un mécanisme officiel d’échange sur les menaces à l’image du Domestic Security Alliance Council, le DSAC, qui donne d’excellents résultats. Le DSAC est un partenariat entre 700 sociétés américaines importantes sur le plan stratégique, le Federal Bureau of Investigation et le département de la Sécurité intérieure. Grâce à un échange d’informations bidirectionnel et en temps opportun, le DSAC peut protéger la sécurité nationale et la sécurité économique au nom du gouvernement américain et permettre aussi aux sociétés américaines de protéger leurs activités, leurs clients et leurs collectivités.
Les membres du DSAC tirent divers avantages de la participation à cette organisation et peuvent entre autres communiquer directement avec des gens haut placés comme des dirigeants du FBI et du département de la Sécurité intérieure. Le secteur privé a un accès à des renseignements sur mesure sur les menaces qui concernent son secteur d’activité, et les secteurs public et privé ont aussi accès à un réseau de professionnels de la sécurité avec qui ils peuvent collaborer, régler des problèmes et discuter des pratiques exemplaires.
Au Conseil des affaires, nous croyons que le SCRS, Sécurité publique Canada et le secteur des affaires sont bien positionnés pour établir et gérer un mécanisme d’échange similaire et vraiment s’assurer que les autorités mentionnées au paragraphe 34(3) sont utilisées de manière optimale pour favoriser une meilleure résilience de toute l’économie en veillant à ce que les entreprises canadiennes, les entreprises de première ligne qui protègent les Canadiens, ont vraiment l’information dont elles ont besoin pour protéger les Canadiens contre ces menaces changeantes.
La sénatrice M. Deacon : Merci. Le moment est drôlement choisi, parce que le DSAC fait aussi l’objet d’un examen approfondi aux États-Unis. J’espère que cela sera utile.
Monsieur McSorley, j’aimerais revenir sur quelque chose que j’ai mentionné hier et que j’ai entendu au cours de votre exposé, et cela concerne les peines maximales qui s’appliqueraient pour n’importe quel crime, du méfait au crime avec violence. Hier, nous avons posé des questions aux représentants. Ils étaient d’avis que les peines seraient proportionnelles et appropriées et que l’on adopterait des lignes directrices afin qu’elles soient bien appliquées. Aujourd’hui, j’aimerais savoir si vous pensez la même chose. Si vous avez des préoccupations, que changeriez-vous dans le projet de loi pour trouver un bon équilibre entre une peine qui est proportionnelle, mais qui tient compte aussi de la gravité de l’ingérence étrangère au Canada?
M. McSorley : Merci de la question.
Voici ce qui nous préoccupe : le projet de loi crée de nouvelles infractions qui entraîneraient des condamnations à vie ou des peines consécutives.
Une des choses que nous avons proposées concerne les peines consécutives; actuellement, il est indiqué dans le projet de loi que les peines moins sévères que les condamnations à vie seront purgées consécutivement. Nous avons plutôt proposé d’indiquer que les peines peuvent être purgées consécutivement, afin de conférer un pouvoir décisionnel plus grand au juge qui doit décider s’il devrait imposer des peines consécutives qui pourraient être assimilables à une peine à vie.
Nous craignons aussi que les nouvelles dispositions fassent en sorte qu’une infraction très mineure, si elle est simplement commise en association avec une entité étrangère, entraîne un emprisonnement à vie, ce qui est une peine très disproportionnée selon nous. Encore une fois, comme l’Association canadienne des libertés civiles, nous pensons que les peines infligées devraient refléter des peines parallèles ou similaires ou qu’il faudrait limiter la longueur de la peine.
Le sénateur Kutcher : Merci à vous tous d’être ici ce matin.
Ma question s’adresse à M. Chong et à M. Neiman et elle concerne la répression interétatique. Le projet de loi est un pas à l’avant dans le règlement de ce dossier, mais nous avons entendu des témoignages assez convaincants sur les conséquences de la répression interétatique sur les Canadiens selon lesquels le projet de loi n’est peut-être pas suffisant. Ces préoccupations ont été soulevées par des gens qui ont comparu à titre personnel, par des universitaires, par des groupes communautaires et par des gens d’affaires. Pourriez-vous nous dire ce qui doit être fait pour régler ces enjeux? Plus précisément, quel est votre avis sur le rôle de la GRC et sur les ressources dont elle dispose pour protéger les Canadiens des menaces et du harcèlement des entreprises et des acteurs étrangers?
M. Chong : Merci, sénateur. Vous avez soulevé une très bonne question.
Le gouvernement du Canada doit entre autres répondre à la recommandation formulée depuis longtemps dans de nombreux rapports : il doit réformer la GRC. Le rapport final de la Commission des pertes massives a été déposé récemment, et il y a eu d’autres rapports au cours des 20 dernières années. L’Assemblée législative de la Colombie-Britannique a fait une recommandation. Le gouvernement de l’Alberta a souhaité que la GRC cesse ses services de police contractuelle pour se concentrer sur son mandat fédéral. Le CPSNR a fait une recommandation similaire dans un rapport récent. Je pense que c’est un élément essentiel si l’on veut faire respecter le droit fédéral en matière de répression interétatique, qui concerne souvent des enjeux comme le blanchiment d’argent et l’ingérence étrangère; et actuellement, la GRC n’est pas bien outillée pour faire cela.
Il a été indiqué dans le rapport du CPSNR que, pour entrer dans la Division Dépôt, en Saskatchewan, il faut avoir 18 ans et détenir un diplôme d’études secondaires. À Quantico, le FBI accepte des gens d’au moins 23 ans qui possèdent un diplôme universitaire. La formation de la Division Dépôt dure 823 heures, dont seulement six sont consacrées au mandat fédéral; les 817 heures restantes sont consacrées aux services de police contractuelle.
Donc, il est évident que la GRC n’est pas adéquatement outillée pour faire respecter son mandat fédéral, ce qui explique pourquoi il n’y a pas eu autant de poursuites, ici, au Canada, en ce qui concerne le droit fédéral et le mandat fédéral, surtout pour ce qui est de la répression interétatique.
M. Neiman : Malheureusement, je n’ai pas assez d’information pour répondre à cette question présentement, mais je pourrais vous transmettre une réponse par écrit, si cela vous convient.
Le sénateur Kutcher : Merci.
Le sénateur Cardozo : Je pourrais peut-être utiliser la minute restante du sénateur pour poser ma question. Merci beaucoup.
Monsieur Chong, merci beaucoup d’être présent aujourd’hui. Et je vous remercie particulièrement pour le travail que vous avez fait, pendant de nombreuses années, dans ce dossier. Indépendamment du fait que votre famille a été harcelée, comme l’a expliqué le sénateur Yussuff, vous avez fait beaucoup de travail à cet égard.
Je pourrais vous poser des questions sur plusieurs sujets, mais la question du registre, à la partie 4 du projet de loi... Je vois une lacune ici : les acteurs malveillants ne se bousculeraient pas pour s’inscrire. Que pouvons-nous faire? Vous et moi avons eu l’occasion d’en discuter par le passé, mais j’aimerais en savoir plus sur ce que vous pensez de cela.
Monsieur McSorley, en ce qui concerne la raison pour laquelle nous y voyons une urgence, c’est que, si nous voulons que le registre entre en vigueur avant les élections, nous devons adopter le projet de loi dès que possible. Y a-t-il une façon de retirer l’article 113 de la partie 4 du projet de loi? Pouvons-nous faire cela en premier et faire le reste plus tard?
M. Chong : Merci de la question.
Tout d’abord, j’aimerais dire que, même si mon affaire a été suivie avec attention, de nombreux Canadiens ont fait l’objet de ces tactiques de répression et ont souffert en silence. Je pense que mon rôle est de parler pour ceux qui ne le peuvent pas le faire et parler ouvertement de la répression qu’ils ont vécue pendant des années. C’est pourquoi je tiens tellement à travailler avec le gouvernement pour faire adopter ce projet de loi.
En ce qui concerne votre question, j’aimerais souligner que la structure du projet de loi fait en sorte que les gens qui participent à des activités d’influence légitimes au nom d’un commettant étranger s’inscriront. C’est une bonne chose, pour la transparence. Nous demandons entre autres aux lobbyistes de s’enregistrer, et maintenant nous demandons aux gens qui agissent au nom d’un commettant étranger de le faire.
En ce qui concerne ceux qui participent à des activités clandestines de coercition et de corruption liées à l’ingérence et à l’influence étrangères, il est évident qu’ils ne s’inscriront pas. Le projet de loi non seulement dissuade les gens de participer à de telles activités, mais, s’ils décident de le faire, il prévoit aussi un processus en trois étapes qui nous permet de les poursuivre.
Premièrement, le commissaire peut émettre des avis d’exécution. Le défaut de coopérer avec le commissaire peut entraîner des sanctions.
Deuxièmement, le commissaire peut imposer des sanctions administratives pécuniaires, qui sont des amendes civiles qui lui permettront de poursuivre les gens impliqués dans ces activités clandestines de corruption et de coercition.
Et troisièmement, si la preuve ou les renseignements pointent vers la criminalité, le commissaire peut communiquer l’affaire à la police de l’administration concernée, aux procureurs de la Couronne ou au service des poursuites de la Couronne afin qu’une poursuite au criminel soit déclenchée.
Le sénateur Cardozo : Merci beaucoup.
Monsieur McSorley, c’est à vous.
M. McSorley : Merci, sénateur.
Si le gouvernement avait envisagé dès le départ de ne pas présenter un projet de loi omnibus, de séparer le registre pour la transparence et de proposer un projet de loi distinct pour les autres dispositions, cela aurait pu fonctionner. Nous aurions pu alors mener une étude en profondeur du registre avant la pause estivale et revenir cet automne sur les autres dispositions qui, nous le savons, entreront en vigueur plus rapidement que le registre sur l’influence. Présentement, malheureusement, je pense qu’il est trop tard. À ce moment-ci, je ne sais pas s’il existe une procédure qui permettrait de scinder le projet de loi en deux. À l’heure actuelle, nous craignons que le registre lui-même n’a pas fait l’objet d’un examen aussi approfondi que s’il avait été présenté seul et que, si nous nous dépêchons de le faire adopter, des aspects ne seraient pas examinés. Présentement, nous espérons que vos collègues et vous, ainsi que les députés à l’autre endroit envisageront une façon d’examiner ce dossier plus en profondeur.
La sénatrice Dasko : Merci à nos témoins d’être ici.
Mes questions s’adressent toutes à M. Chong. Monsieur Chong, vous avez parlé de l’importance de l’influence étrangère dans les campagnes électorales. Votre ancien chef a laissé entendre qu’un certain nombre de circonscriptions ont peut-être changé de parti en raison de l’ingérence étrangère. Que pensez-vous de cela? Pensez-vous que ce soit arrivé?
M. Chong : Je vous renvoie au rapport initial du 3 mai de la juge Hogue. Elle a conclu qu’il y avait eu de l’ingérence étrangère dans les élections de 2019 et de 2021, que cela avait miné la confiance du public envers la démocratie et, surtout que cela avait peut-être eu une incidence sur le résultat dans plusieurs circonscriptions et sur la capacité des Canadiens de ces circonscriptions à voter. Selon l’analyse effectuée par la juge Hogue dans le rapport initial, je pense qu’il est clair qu’il y a eu de l’ingérence et que cela a effectivement eu un impact.
La sénatrice Dasko : Cela a peut-être eu un impact sur les votes — je crois que c’est ce que vous dites —, mais pensez-vous que cela a fait en sorte que dans certains cas, des circonscriptions ont changé de parti? Je vous pose la question parce que votre ancien chef pensait qu’un certain nombre de circonscriptions avaient changé d’allégeance. Je veux simplement savoir ce que vous en pensez. Pensez-vous que c’est le résultat de l’ingérence étrangère?
M. Chong : Tout d’abord, ni l’ancien chef ni les conservateurs n’ont mis en doute les résultats généraux des élections de 2021. Nous avons dit clairement que cela n’avait pas eu d’incidence sur le résultat général.
Nous avons aussi dit clairement — tout comme l’ancien chef, Erin O’Toole — que cela avait peut-être eu un impact dans une poignée de circonscriptions. C’est très difficile à évaluer. Ni l’ancien chef ni les autres conservateurs n’ont dit que cela avait incontestablement changé les résultats du vote dans ces circonscriptions. C’est difficile de savoir ce que pensent les hommes et les femmes quand ils entrent dans l’isoloir ou quand ils ne votent pas.
Nous avons dit clairement dès le départ que cela avait peut-être eu une incidence sur le résultat général dans ces circonscriptions précises. Cela a certainement eu une incidence, mais nous ne saurons jamais si elle a été suffisante pour changer quoi que ce soit dans les résultats du vote dans ces quelques circonscriptions.
La sénatrice Dasko : Merci.
J’ai une question au sujet de la course à l’investiture. Le rapport du CPSNR se concentrait sur les courses à l’investiture, surtout dans les circonscriptions gagnables par chaque parti, et indiquait que cela avait été un enjeu important au chapitre de l’ingérence étrangère. M. McGuinty et la sénatrice Lankin étaient ici l’autre jour et ils ont dit, tout comme d’autres personnes, que le projet de loi n’allait pas assez loin en ce qui concerne les courses à l’investiture et que, en fait, ces courses ne seraient pas surveillées, comme le recommandait le CPSNR. Selon vous, comment le projet de loi pourrait-il traiter des courses à l’investiture? Va-t-il assez loin?
M. Chong : Le projet de loi traite effectivement de la nomination des candidats des partis. Selon le projet de loi, une entité étrangère — ou son représentant — commet une infraction si elle interfère dans une course à l’investiture ou une course à la chefferie.
En ce qui concerne les règles s’appliquant aux personnes autorisées à voter dans une course à l’investiture, je pense que la juge Hogue a soulevé de vraies préoccupations. Je pense que les règles du Parti conservateur sont assez strictes. Pour devenir membre, vous devez payer des frais d’adhésion de 15 $, et vous pouvez le faire de trois façons.
Le vice-président : Merci, monsieur Chong. Votre temps est écoulé.
Le sénateur Richards : Je vais rapidement poser une question à M. McSorley. Je pense qu’il s’agit d’un projet de loi important. Je ne pense pas que cela va régler les problèmes comme nous le voudrions. Le chef de la GRC m’a dit hier qu’il pensait que c’était une bonne première étape. Je ne sais pas si la GRC a les ressources nécessaires pour gérer la situation. Je ne le pense pas.
Compte tenu de votre préoccupation, pensez-vous que la Ligue des droits et libertés contestera certaines parties de ce projet de loi devant les tribunaux et l’adoption de ce projet de loi serait retardée en attendant une décision d’un de ces tribunaux?
M. McSorley : Merci beaucoup de la question.
Je pense qu’il est trop tôt pour dire si le projet de loi serait contesté devant les tribunaux. Je pense qu’il faudrait qu’une personne ou une collectivité soit touchée par un aspect de ce projet de loi pour comprendre la façon dont il pourrait être contesté.
C’est pourquoi une contestation devant un tribunal ne retarderait pas l’adoption de ce projet de loi. Il faudra peut-être en conséquence le resserrer ou modifier la loi, ou les tribunaux pourraient présenter au Parlement des recommandations sur les aspects du projet de loi qui sont constitutionnels ou qui enfreignent la Charte. Malheureusement, nous sommes préoccupés par le fait que cela ne viendra qu’après qu’une personne ou une collectivité aura été touchée.
Nous voyons très clairement certains aspects qui, sans miner ou annuler des dispositions clés du projet de loi, serviraient plutôt à assurer que les libertés civiles sont mieux protégées; il faudrait ajouter de meilleures définitions, tenir compte des régimes de détermination des peines et aussi des mesures de sécurité relatives à la divulgation d’information. Il ne faut pas empêcher la divulgation d’information, mais garantir que les gens qui ont partagé de l’information rendent des comptes, soient transparents et tiennent des dossiers sur la nature et l’origine de l’information divulguée, de façon que l’OSSNR ou d’autres entités puissent plus tard examiner le tout.
Le sénateur Richards : Vous parliez d’association innocente. Je me demandais si c’est ce que vous pensiez — je vais vous poser la question parce que cela m’intéresse — des gens dont les comptes ont été gelés lorsqu’ils ont versé quelques centaines de dollars au convoi de la liberté, ici, il y a deux ans. Leurs comptes bancaires ont été gelés, et ils ont été harcelés par des gens qui les traitaient de fascistes de la droite ou peu importe comment on les appelait. J’ai trouvé cela très déplorable. Qu’en pense la Ligue des droits et libertés?
M. McSorley : Merci de la question.
À l’époque, nous avons exprimé des inquiétudes au sujet des pouvoirs du gouvernement qui pouvait geler des comptes et restreindre l’accès aux fonds. Nous exprimons ces inquiétudes depuis 20 ans, non seulement au sujet du convoi de la liberté, mais aussi sur les répercussions sur les organismes de bienfaisance musulmans et d’autres organisations comme celles qui défendent l’environnement ou les territoires, qui ont eu les mêmes problèmes lorsque leurs finances ont fait l’objet d’enquêtes injustifiées, qui n’ont jamais mené à des accusations. Nous pensons que, chaque fois que des libertés civiles sont menacées, surtout la liberté d’expression et la liberté d’expression politique, il faut demander une enquête et il faut contester. À l’avenir, à la lumière de ce projet de loi, des choses similaires qui ont déjà été dénoncées pourraient arriver lors d’un autre convoi de la liberté, et cela pourrait plus facilement être utilisé dans d’autres manifestations et mouvements.
Le sénateur Richards : Merci.
Le sénateur Dean : Monsieur McSorley, merci d’être présent avec nous aujourd’hui.
Vous avez fait part de vos inquiétudes au sujet de certains des amendements proposés. J’aimerais parler précisément des ensembles de données et des mandats.
S’il y a une chose que nous savons tous, en ce qui concerne la transparence, c’est que la Loi sur le SCRS et les activités du SCRS ont été conçues à l’époque analogique et que l’organisme a de plus en plus de difficulté à faire son travail et à nous protéger dans un monde numérique. Cela m’amène aux ensembles de données. Oui, nous avons entendu dire que le SCRS a peut-être pris des libertés avec les paramètres d’application, mais ces paramètres étaient très stricts et ont été resserrés, n’est-ce pas? Cela a compliqué le travail de nos services de renseignement et a mis à rude épreuve leur capacité de nous protéger dans des aspects clés, y compris le respect des droits de chacun. Nous devons les mettre à jour. Selon moi, nous devons donner au SCRS la capacité de bien faire son travail et de nous protéger, collectivement et individuellement.
En ce qui concerne les mandats, c’est essentiellement la même chose, n’est-ce pas? Au départ, il s’agissait d’un mandat de capacité générale en quelque sorte, qui lui-même s’est révélé tout à fait incapable d’être adapté à la réalité des menaces auxquelles nous faisons face. On propose maintenant des mandats flexibles et des mandats adaptés, qui devraient tous quand même être approuvés par un juge, car il ne s’agit pas de donner au SCRS le pouvoir de tout faire.
Pouvez-vous me dire ce que vous en pensez?
M. McSorley : Merci beaucoup de la question.
Nous reconnaissons que la technologie change et qu’il faut adapter les lois en conséquence. Nous étions préoccupés par les ensembles de données lorsqu’ils ont été introduits en 2017 et qu’ils sont entrés en vigueur en 2019, parce que cela permettait de recueillir des informations qui ne concernaient pas une menace et de recueillir beaucoup d’information en même temps. Il était clairement prévu à l’époque que, cinq ans après, il fallait examiner le fonctionnement de ce régime. Pendant ce temps, l’OSSNR a découvert que, plutôt que de dire aux parlementaires « Nous devons modifier cela plus tôt, nous devons faire cet examen et nous avons besoin d’une nouvelle loi », le SCRS a enfreint les lois qui régissent le régime de données afin d’avoir, comme vous l’avez dit, la flexibilité supplémentaire dont il estime avoir besoin.
Notre préoccupation la plus importante, c’est que nous croyons que ce projet de loi est problématique parce qu’il faut l’examiner plus exhaustivement et mieux le comprendre et tenir une discussion générale sur le régime initial de données en se demandant si les nouveaux pouvoirs et les modifications du régime sont nécessaires et quelles seraient les répercussions possibles. Nous sommes aussi préoccupés par d’autres choses qui vont affecter le régime de données, par exemple la divulgation d’un ensemble de données complet sans justification claire et sans mesures de protection. Il faudrait une analyse plus approfondie et complète du régime des ensembles de données pour en savoir plus sur cela.
En ce qui concerne les mandats, nous sommes principalement préoccupés par le fait que les cours ont conclu à maintes reprises que le SCRS avait violé le processus et manqué à son obligation de franchise envers les tribunaux. Nous ne doutons pas que, compte tenu de l’évolution de la technologie, il faut s’adapter. Ce qui nous préoccupe, au moment où on lui confère davantage de pouvoirs, c’est que rien n’empêche le service de repousser ces limites, encore une fois, plutôt que de se conformer aux règles qui sont en place. Nous réclamerions davantage de mesures de protection.
À l’autre endroit, on a présenté un projet de loi d’initiative parlementaire pour modifier le serment des membres du SCRS afin de les faire jurer de respecter l’obligation de franchise. Nous pensons que c’est un pas dans la bonne direction qui ne semble pas figurer dans ce projet de loi. Nous pensons que l’on pourrait examiner d’autres aspects du projet de loi afin de s’assurer que le SCRS puisse se voir conférer graduellement plus de pouvoirs, mais en parallèle, la responsabilité de rendre des comptes et de trouver de meilleures solutions à ce problème de franchise.
[Français]
Le vice-président : C’est la fin du temps que nous avions avec ce groupe de témoins. Nous remercions M. Chong, M. McSorley et M. Neiman du temps qu’ils ont pris pour nous rencontrer aujourd’hui.
Nous poursuivons maintenant avec notre deuxième groupe de témoins. Je voudrais souhaiter la bienvenue à Guy Saint-Jacques, ex-ambassadeur du Canada en Chine, Charles Burton, agrégé supérieur, Sinopsis, et Me Aaron Shull, directeur général et avocat général, Centre pour l’innovation dans la gouvernance internationale.
[Traduction]
Bienvenue à vous tous. Je vous invite à faire vos déclarations liminaires. Nous allons commencer par M. Saint-Jacques. Allez-y quand vous êtes prêt.
[Français]
Guy Saint-Jacques, ex-ambassadeur du Canada en Chine, à titre personnel : Merci, monsieur le vice-président. Bonjour, mesdames et messieurs les sénateurs. Merci de votre invitation à témoigner devant votre comité aujourd’hui. L’ingérence étrangère au Canada est un sujet extrêmement préoccupant qui, jusqu’à tout récemment, ne recevait pas l’attention qu’il méritait, même si notre souveraineté et notre démocratie sont en jeu.
Le manque de réaction de la part du gouvernement, malgré tous les rapports détaillés de nos services de renseignement, est difficilement compréhensible, surtout dans un contexte où les relations avec la Chine se sont fortement détériorées après l’arrestation de Wanzhou Meng et de Michael Kovrig et Michael Spavor en décembre 2018. Rappelons-nous toutes les mesures coercitives prises par la Chine pour punir le Canada. Dans ce contexte, le gouvernement aurait dû être encore plus vigilant pour essayer de prévenir toutes les attaques de la Chine. À mon avis, cette quasi-indifférence a dû soulever des inquiétudes au sein de nos partenaires, particulièrement chez le Groupe des cinq.
J’aimerais préciser que le rôle d’un diplomate est d’essayer d’influencer un gouvernement étranger pour qu’il prenne des mesures et des positions qui lui sont favorables autant que possible.
[Traduction]
C’est ce que j’ai essayé de faire pendant mes 40 ans de carrière diplomatique. La différence la plus importante, par rapport aux enjeux dont nous parlons, c’est que mes approches étaient ouvertes, que je n’ai jamais offert du soutien financier ou organisationnel afin qu’un candidat soit choisi ou élu et que je n’ai pas fait de campagnes de désinformation sur Internet. Je n’ai pas non plus fait pression sur les Canadiens vivant à l’étranger pour qu’ils votent pour un candidat et je ne les ai pas non plus menacés s’ils ne le faisaient pas. Ce sont toutes des activités que font systématiquement les diplomates chinois.
Depuis que Xi Jinping a accédé au pouvoir en novembre 2012, il a beaucoup augmenté le budget du Département du travail sur le front uni, chargé d’influencer et de contrôler la diaspora chinoise à l’étranger. Les budgets destinés à influencer l’opinion publique à l’étranger ont aussi augmenté, y compris pour les médias sociaux, qui sont utilisés de façon systématique pour diffuser de la désinformation. On a dit aux diplomates chinois d’y aller plus énergiquement afin d’atteindre les objectifs économiques et politiques actuels de la Chine.
La Chine comprend très bien les faiblesses de notre système électoral et sait comment en profiter. Nous avons entendu beaucoup de choses à ce sujet au cours des audiences tenues par la juge Hogue dans le cadre de la Commission sur l’ingérence étrangère. J’ai hâte de voir quelles en seront les recommandations, mais je dirais que les partis politiques devraient changer immédiatement leurs règles de mise en candidature et d’investiture. Essentiellement, seuls les citoyens canadiens devraient pouvoir voter pour choisir un candidat, et le processus devrait se dérouler sous la supervision d’Élections Canada.
[Français]
À la suite du rapport du Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement (CPSNR), j’ajouterais que les partis politiques ne devraient pas attendre que la GRC porte des accusations à l’endroit de parlementaires ou de personnel politique que l’on soupçonne d’avoir comploté avec des agents chinois ou d’autres nationalités. Les partis doivent mettre en place des politiques claires pour montrer qu’il y aura une tolérance zéro pour de telles activités et que, s’il y a des soupçons, ces personnes seront interrogées par les autorités du parti et expulsées, si cela s’avère nécessaire.
En ce qui concerne le projet de loi à l’étude, soit le projet de loi C-70, Loi concernant la lutte contre l’ingérence étrangère, il me semble être une bonne approche, parce qu’il apporte des améliorations à des lois existantes, comme la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité. On y retrouve notamment les mesures suivantes : la création de nouvelles pénalités criminelles pour des infractions, un meilleur partage d’informations au sein de l’appareil fédéral, y compris l’utilisation de renseignements de nature délicate, dans le cadre de procédures administratives devant la Cour fédérale, et enfin, la création d’un registre des agents qui représentent des intérêts étrangers.
[Traduction]
Sur ce dernier point, les directeurs des universités canadiennes ont exprimé des inquiétudes quant aux répercussions négatives que cela pourrait avoir. Selon moi, on a fait d’énormes progrès au cours des dernières années, puisque l’on passe au peigne fin les projets de recherche mixtes en portant plus attention aux aspects liés à la sécurité et aux applications militaires possibles. Cela dit, il est important de maintenir des relations et des échanges en personne avec la Chine. Rappelons-nous que la Stratégie indo-pacifique du Canada, dévoilée par la ministre Joly en novembre 2022, encourage la collaboration au chapitre de l’environnement et des changements climatiques, de la biodiversité, de la santé publique, et ainsi de suite.
[Français]
Merci. Je serai heureux de répondre à vos questions.
Le vice-président : Merci beaucoup, monsieur Saint-Jacques.
[Traduction]
Charles Burton, agréé supérieur, Sinopsis, à titre personnel : Mes domaines d’expertise, ce sont la politique intérieure et la politique étrangère de la Chine. J’ai fait mes études en République populaire de Chine et j’ai ensuite travaillé au Centre de la sécurité des communications et pour le service diplomatique canadien comme universitaire. J’ai publié plusieurs articles et rapports sur les activités d’influence chinoise au Canada.
Mes déclarations liminaires concerneront la partie 4 du projet de loi C-70, Loi sur la transparence et la responsabilité en matière d’influence étrangère, qui s’en prend aux activités des agents du ministère chinois de la Sécurité d’État qui ciblent les politiciens canadiens.
Cela va beaucoup plus loin que la question des pouvoirs étrangers qui tentent de truquer les élections par des méthodes cachées. Le ministère chinois de la Sécurité d’État, en collaboration avec l’important Département du travail sur le front uni du parti communiste, a une stratégie à deux volets pour subvertir des législatures partout dans le monde et favoriser les intérêts de Pékin.
Sa première méthode est une stratégie nommée huaren canzheng, ce qui veut dire élire des personnes d’origine chinoise à des postes de fonctionnaires, et ce, dans tous les ordres de gouvernement. Il y a eu des allégations selon lesquelles le consulat chinois à Toronto a demandé à de jeunes Chinois de remplir la salle pendant une assemblée de mise en candidature dans une circonscription gagnée d’avance par les libéraux, et ils auraient présenté de fausses pièces d’identité et de fausses déclarations selon lesquelles ces jeunes Chinois étaient des résidents de cette circonscription; c’est un exemple classique de stratagème orchestré par le ministère chinois de la Sécurité d’État pour influer sur les élections dans un pays dont le processus démocratique institutionnel est permissif. Pékin a des attentes inébranlables et croit que toutes les personnes d’origine chinoise, en tant que descendantes de l’empereur jaune Huangdi, soient loyales envers la Chine en toutes circonstances.
La deuxième tactique du ministère chinois de la Sécurité d’État est de cultiver des liens à long terme avec des gens qui ne sont pas d’ethnicité chinoise, mais qui peuvent influencer les stratégies intérieures et étrangères du Canada pour favoriser les intérêts chinois. Habituellement, cela commence tôt dans la carrière d’un politicien et cela se fait au moyen d’une stratégie du « filet large » visant à appuyer des candidats précis, souvent mobilisés par les « postes de police » et d’autres organisations de première ligne. Les gens qui deviennent sciemment ou sans vraiment se le demander des représentants politiques de la Chine se verront souvent offrir des voyages gratuits en Chine par des associations amies, y compris l’Association législative Canada-Chine. Cette approche se révélera fructueuse pour les autorités chinoises si l’un des parlementaires cités dans le dernier rapport du CPSNR a accédé au Cabinet fédéral et aux documents confidentiels du Cabinet.
On cherche à soudoyer les fonctionnaires canadiens de plusieurs façons, y compris les pots-de-vin, le chantage ou les « appâts ». Il y a 15 ans, le député Bob Dechert et le secrétaire parlementaire du ministre des Affaires étrangères, John Baird, ont admis avoir échangé des courriels roucoulants avec Shi Rong, une jeune « journaliste » de l’agence de presse Xinhua travaillant au Canada. Mais, lorsqu’il a été révélé que Mme Shi n’avait jamais publié d’article dans la presse chinoise, elle a rapidement disparu en Chine; elle a refait surface quelques mois plus tard en tant que boursière de l’école d’administration publique John F. Kennedy de l’Université Harvard, où tant de politiciens américains en devenir passent les belles années de leur jeunesse.
Toutefois, ce que nous avons remarqué le plus, c’est que les gens qui deviennent « amis » avec la Chine pendant qu’ils occupent un poste leur conférant une influence politique, sont grassement récompensés par le régime chinois, des années plus tard, lorsqu’ils retournent à la vie privée. Lorsque l’ancien premier ministre australien Bob Hawke s’est rendu en Chine après avoir terminé son mandat, le président de l’époque, Jiang Zemin, l’a accueilli avec ces mots : « Monsieur Hawke, la Chine n’oublie jamais ses amis et nous voulons que vous sachiez que nous vous considérons comme l’un de nos meilleurs amis. » Dans les années 1980, lorsqu’il était premier ministre, M. Hawke avait vivement encouragé les voisins de l’Australie dans le Pacifique sud à accueillir l’arrivée de la Chine sur la scène géopolitique de la région. Dans les années qui ont suivi, M. Hawke a occupé plusieurs postes de directeur et de consultant en lien avec la Chine, ce qui lui a permis d’avoir beaucoup de succès sur le plan financier. Il y a plus d’information à ce sujet dans la lettre d’opinion que j’ai publiée dans le Toronto Star ce matin. Ici au Canada, nous pouvons constater que d’anciens ministres du Cabinet, d’anciens ambassadeurs en Chine et d’anciens hauts fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères à la retraite ont eu accès à des débouchés lucratifs liés à la Chine après avoir quitté le gouvernement.
Laissez-moi, pour conclure, souligner qu’il sera très difficile d’utiliser notre future Loi sur la transparence et la responsabilité en matière d’influence étrangère pour déceler les conséquences invisibles des avantages futurs pour les fonctionnaires qui ont été séduits par le ministère chinois de la Sécurité d’État, il y a de cela des années. Nous devrons mettre en marche d’autres mécanismes réglementaires pour y parvenir.
Merci monsieur le président.
Le vice-président : Merci, monsieur Burton.
Aaron Shull, directeur général et avocat général, Centre pour l’innovation dans la gouvernance internationale, à titre personnel : Bonjour, monsieur le président et honorables membres du comité.
Je vais vous dire tout de suite ce que je réclame. Je vais vous demander d’adopter rapidement ce projet de loi. J’ai comparu précédemment devant le comité de la Chambre qui étudiait ce projet de loi, et j’y ai soulevé une préoccupation importante : il n’y était pas mentionné explicitement que les municipalités étaient des entités couvertes par le projet de loi. Dans les faits, elles étaient exclues de la portée du registre. Je suis ravi de vous dire que cette préoccupation a été réglée grâce au témoignage présenté. La version modifiée du projet de loi inclut maintenant explicitement les municipalités et cela garantit une approche beaucoup plus globale de la couverture des activités d’ingérence étrangère. Compte tenu de cette amélioration essentielle, je vous recommande d’accélérer l’adoption du projet de loi pour que le registre pour la transparence en matière d’influence étrangère soit créé bien avant les prochaines élections.
L’urgence de la situation tient à ceci : le préambule du projet de loi souligne l’importance d’agir, et le préambule relatif à l’interprétation des lois établit l’objectif et le contexte du projet de loi. Je sais qu’il est peut-être un peu tôt ce matin pour commencer à parler des objectifs et des principes de l’interprétation des lois, mais je m’écarte du sujet. Il est indiqué dans le préambule :
que leurs tentatives visant à influencer de façon non transparente les processus politiques et gouvernementaux de tous les ordres de gouvernement au Canada ont des effets systémiques à travers le pays et mettent en danger la démocratie, la souveraineté et les valeurs fondamentales canadiennes…
« Ont des effets systémiques ». On ne dit pas pourraient avoir, mais bien « ont ». C’est un état de fait. Et « mettent en danger la démocratie, la souveraineté et les valeurs fondamentales canadiennes ». Si nous voulons effectivement atteindre l’objectif de ce projet de loi, si nous voulons vraiment réagir à ce qui se passe présentement, le projet de loi doit être adopté avant les prochaines élections.
Quand j’ai comparu devant l’autre comité, j’ai fait une blague en disant que ce serait un peu comme apporter un gâteau d’anniversaire un mardi pour une fête ayant en lieu le samedi précédent. Si le projet de loi n’est pas adopté avant les prochaines élections, nous aurons manqué un moment charnière.
Des collègues ont soulevé des préoccupations quant à la portée, à l’ampleur et à la profondeur, mais laissez-moi seulement vous dire que le Canada s’est doté de mécanismes d’examen de la sécurité nationale, et on a inclus dans ce projet de loi des mécanismes d’examen législatifs complets, lesquels me rassurent. Je crois que les mécanismes de vérification du Canada sont parmi les plus robustes du monde. L’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement, le commissaire au renseignement et les tribunaux exercent une surveillance rigoureuse. En fait, je sais que le comité entendra M. Craig Forcese plus tard. Il siège à l’OSSNR et il était en passant un de mes professeurs de droit. Je ne voudrais pas que M. Forcese révise mon devoir parce qu’il prend cela très au sérieux. Donc, il y a une surveillance complète.
Selon moi, il est primordial que le public et toutes les parties prenantes comprennent que les pouvoirs accrus établis pas le projet de loi C-70 sont assortis de freins et de contrepoids stricts et que ces pouvoirs ne sont utilisés que lorsque c’est approprié et justifié; il y a ensuite un examen législatif de la Loi sur le SCRS et de la Loi sur la transparence et la responsabilité en matière d’influence étrangère. Même si les projets de loi ne sont pas parfaits — et je vais être le premier à l’admettre, monsieur le président —, des mécanismes d’examen seront mis en œuvre, et je pense qu’il est plus important de le faire maintenant que de le faire parfaitement.
Cela s’aligne aussi sur le récent rapport du Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement, le CPSNR. Je sais que toute l’attention s’était portée sur l’aspect volontaire et involontaire, sur ceux qui agissent sciemment ou non, sur ceux qui veulent des noms, mais le commentaire le plus important ou la recommandation la plus importante du rapport concernait la création d’un registre pour la transparence en matière d’influence étrangère avant les prochaines élections. Vous n’avez pas à me croire sur parole, mais c’était aussi la principale recommandation du rapport.
L’autre point que je soulignerais, c’est que ce dossier a aussi fait l’objet de larges consultations nationales auprès de parties prenantes d’un bout à l’autre du pays et que ces consultations ont montré que l’on avait besoin d’outils plus solides. Cependant, des experts, des dirigeants communautaires et des citoyens engagés ont également été consultés, et la plupart d’entre eux ont donné leur avis très important sur la meilleure façon de protéger la démocratie : la plupart appuient la création de ce registre.
J’aimerais terminer en disant qu’il y a de nouveaux pouvoirs, mais ils feront l’objet d’un examen et visent à empêcher les actes malveillants. L’approche globale utilisée dans le projet de loi C-70, avec l’inclusion des municipalités et de mécanismes de surveillance robustes et le soutien de la base, fait en sorte qu’il est un projet de loi essentiel pour protéger notre sécurité nationale et notre intégrité démocratique. J’encourage vivement le comité à appuyer l’adoption rapide du projet de loi pour avoir les outils nécessaires afin de contrer l’ingérence étrangère efficacement et maintenir les valeurs et les principes qui définissent notre démocratie.
Merci beaucoup de votre attention, monsieur le président, et j’ai hâte de répondre à vos questions.
[Français]
Le vice-président : Merci beaucoup, maître Shull. Nous passerons maintenant aux questions. Nous allouons quatre minutes à chaque question, y compris la réponse. Je vous demande de poser des questions succinctes afin de permettre le plus grand nombre d’interventions et de questions possibles.
Le sénateur Carignan : Ma question porte sur la communication de renseignements, particulièrement la communication à des tiers. Une des limitations, c’est qu’on ne peut pas communiquer d’information lorsque cette dernière contient le nom d’une personne morale, constituée ou prorogée sur une loi fédérale ou provinciale ou une entité canadienne. N’est-ce pas une échappatoire importante, sachant que les Chinois, et notamment l’État chinois, vont utiliser des entités canadiennes comme paravent pour faire des activités?
Si on ne peut pas communiquer avec une entité canadienne, même si on sait que c’est juste un paravent, cela limite beaucoup le partage d’information. Deuxièmement, ne devrait-on pas avoir un moyen d’élargir l’information à toute la partie liée à l’approvisionnement? Je suis encore sous le choc que le gouvernement fédéral ait octroyé des contrats pour l’installation d’antennes chinoises dans des tours de communication de la GRC. N’y a-t-il pas quelque chose qui devrait être fait aussi de ce côté-là pour améliorer la sécurité de nos communications? Monsieur Saint-Jacques pourrait-il répondre à ma question, et les autres par la suite?
M. Saint-Jacques : Merci, monsieur le sénateur. Je dirais que le projet de loi, tel qu’il est rédigé à l’heure actuelle, apporte de grandes améliorations au sujet de la circulation d’information. À mon avis, même si le nom d’une personne morale est mentionné, je pense qu’il est possible de communiquer et de sensibiliser davantage les parties. Jusqu’à présent, le SCRS était très limité dans les communications qu’il pouvait partager.
En ce qui concerne votre deuxième question sur les approvisionnements, là aussi, le laxisme qui existait était causé en bonne partie par des appels d’offres où l’on choisissait toujours le plus bas soumissionnaire. Or, on sait que les compagnies chinoises sont subventionnées et que nos compagnies peuvent difficilement faire concurrence avec elles. Nous portons maintenant beaucoup plus attention aux questions de sécurité. C’est une bonne chose.
Le sénateur Carignan : Deuxièmement, on l’a vu dans le rapport du Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement (CPSNR), c’est le premier ministre qui contrôle l’information qui peut être communiquée. Tout est concentré au Cabinet du premier ministre. Dans le rapport du CPSNR, on voit bien que de l’information a été bloquée par des conseillers politiques, des fonctionnaires proches du Bureau du Conseil privé (BCP) ou des fonctionnaires du Conseil privé. Ne devrait-on pas trouver une façon de retirer encore plus de pouvoirs au Cabinet du premier ministre et au Bureau du Conseil privé et d’en donner davantage au comité des parlementaires, pour qu’il puisse donner plus d’informations et avoir plus d’autonomie? Monsieur Burton?
[Traduction]
M. Burton : Je pense qu’il a été bien établi dans les preuves présentées au Parlement, surtout à la Chambre des communes, qu’il y a un enjeu lié à la culture du SCRS. Je pense que M. Vigneault, dans la preuve qu’il a présentée à la Commission Hogue, a dit que l’objectif du SCRS est de maintenir le secret. L’objectif du SCRS est de nous aider à arrêter les vilaines gens qui mènent des activités malveillantes dans notre pays, non pas de conserver les secrets. Je pense que d’autres pays, comme l’Australie, les États-Unis et le Royaume-Uni ont été beaucoup plus disposés à divulguer de l’information sur les enquêtes lancées par leurs services du renseignement et qu’ils ont déclaré beaucoup plus publiquement ce qu’ils savaient.
Le sénateur Kutcher : Merci à vous tous d’être ici.
J’ai une seule question, mais j’aimerais connaître l’opinion de tout le monde, à commencer par notre ancien ambassadeur, puis M. Burton et Me Shull. Le projet de loi C-70 utilise une approche qui ne cible aucun pays spécifique, comme le modèle de l’Australie, plutôt qu’une approche améliorée à plusieurs volets, comme celle du Royaume-Uni. L’Australian Strategic Policy Institute vient tout juste d’étudier cela et il a noté que l’approche australienne ne réagit pas adéquatement aux activités du Département du travail sur le front uni et aux autres activités de la République populaire de Chine qui pourraient être une menace en Australie. Pouvez-vous nous dire ce que vous en pensez? Pouvez-vous aussi nous expliquer pourquoi vous avez choisi une approche qui ne cible aucun pays spécifique et quelles pourraient être les répercussions sur notre capacité de composer avec les auteurs des menaces étrangères?
M. Saint-Jacques : Je ne sais pas comment cela s’est décidé, mais je crois que l’approche du Royaume-Uni est meilleure. Elle est plus adaptée au type de menace que nous devons gérer.
M. Burton : Je suis allé tout récemment à Washington pour témoigner devant un comité américain sur le Parti communiste chinois, le PCC. Lorsque j’ai laissé entendre que le Canada ferait bien d’adopter une loi sur le régime de transparence des influences étrangères comme celle de l’Australie, ils avaient certaines réserves à cet égard. Autrement dit, les Américains tiennent à la loi sur l’enregistrement des agents étrangers aux États-Unis. Ils ne tiennent pas tant à ce que d’autres pays aient des lois qui supervisent les activités qu’ils mènent ici, au Canada. Je pense que c’est un problème, mais que la transparence est toujours une bonne chose. Les entreprises étrangères qui retiennent mes services de consultation me procurent des avantages. Je suis heureux de vous en faire part.
Pour ce qui est de la loi australienne, j’ai parlé à des amis qui s’occupent de cette loi. Ils disent qu’elle n’est pas très bien rédigée. L’homologue australien du SCRS n’a pas reçu les ressources qu’il faut pour en assurer le suivi, mais la simple existence de cette loi a un effet dissuasif sur les politiciens australiens qui seraient peut-être enclins à tirer profit des avantages que procurent des États étrangers comme la Chine. Certaines personnes ont démissionné des conseils d’administration de l’ancien ministre australien du Commerce international tout juste avant l’entrée en vigueur du projet de loi australien.
Tout cela a permis en quelque sorte aux politiciens canadiens d’être mieux informés de ce qui se passe et d’être plus conscients de l’engagement très perfectionné et bien financé de la Chine ainsi que de prendre des mesures pour éviter de se retrouver dans une situation qu’ils pourraient beaucoup regretter plus tard.
Me Shull : Je dirais que c’est une distinction, mais pas une différence. L’effet pratique serait le même. Certains pays sont plus actifs. Ce sont les pays qui seront assujettis à l’enregistrement, point final. Que vous ayez ou non un système à deux paliers, le résultat final sera le même.
La sénatrice M. Deacon : Merci d’être ici aujourd’hui.
Ma première question s’adresse à Me Shull, puis je reviendrai sur une question que j’ai posée hier. Nos universités craignent que ce projet de loi ne freine sérieusement les possibilités de recherche communes avec nos partenaires internationaux. Je souligne que, durant votre comparution à la Chambre, il a été question du rôle des provinces dans tout cela et de certains des succès que vous avez obtenus, ce qui est formidable. Les universités relèvent de la compétence des provinces. Durant votre comparution à l’autre endroit, un des autres témoins a déclaré que l’on avait même proposé aux premiers ministres provinciaux de discuter du SCRS en juin dernier et que tous, à l’exception d’une personne, ont refusé. Je cite le témoin : « Il y a une certaine naïveté qui confine à la stupidité lorsque nous commençons à nous pencher sur la question. » Croyez-vous que, grâce à ce projet de loi, les provinces tendront l’oreille et reconnaîtront mieux leurs responsabilités dans tout cela? Dans la négative, que pouvons-nous faire pour changer cela?
Me Shull : Merci. C’est une bonne question.
Je dirais que je l’espère sincèrement. Je répondrai également à l’une des questions posées par le sénateur précédent ainsi qu’à cette question. Votre question porte sur les établissements de recherche, et le sénateur précédent parlait de la technologie 5G et de Huawei. Un grand débat est en cours à l’échelle nationale au sujet de la technologie 5G et de Huawei. Pendant que nous faisions cela, on mettait sur pied un organisme appelé Calcul Canada. Je ne vois pas pourquoi le comité saurait ce que c’était, mais il s’agit d’une infrastructure superinformatique qui reliait un certain nombre d’établissements de recherche ensemble. Devinez qui est responsable de la mise sur pied de la dorsale? Huawei.
À mon avis, nous avons deux conversations ce matin. L’une d’elles concerne le fondement de ce projet de loi et la question de savoir s’il devrait être adopté et faire l’objet d’amendements et à quelle vitesse, etc. L’autre conversation est plus générale et concerne une stratégie en matière de sécurité nationale que nous devons mettre en place dans notre pays. Nous n’avons pas ce genre de stratégie. Le gouvernement s’est engagé à en mettre une en place. À mon avis, nous jouons au jeu de la taupe, en changeant une chose et en faisant une autre. En l’absence d’une architecture stratégique, des États adverses se comportent de manière très stratégique qui exige une réponse stratégique.
J’ai exhorté le comité à adopter ce projet de loi rapidement, et ce conseil est toujours valable. Si ce comité souhaitait examiner la possibilité de mettre en place une stratégie en matière de sécurité nationale ou ce que cela implique, j’aimerais en être le premier témoin. Merci.
La sénatrice M. Deacon : Merci.
Monsieur Burton, j’aimerais vous poser une question au sujet de votre témoignage à l’autre endroit. Vous avez parlé d’une influence subtile qui est surtout exercée par la Chine et qui n’est pas prise en compte dans le projet de loi, c’est-à-dire que, lorsqu’un fonctionnaire quitte ses fonctions officielles, il semble qu’il veillera aux intérêts de ceux qu’il considère comme ses amis. Dans bien des cas, cela peut le mener à une carrière lucrative une fois qu’il quitte la fonction publique. Cela peut vouloir dire que certains fonctionnaires n’interviendront pas à l’égard de renseignements qu’ils jugent défavorables à la Chine, parce qu’ils cherchent à faire de l’argent. La Loi sur le lobbying interdit à tout ancien titulaire d’une charge publique désignée de poursuivre une carrière en lobbying durant les cinq ans qui suivent la cessation de ses fonctions, mais existe-t-il un type quelconque d’interdiction pour le scénario que je viens de mentionner? Sinon, serait-ce une bonne idée d’imposer une interdiction de travailler pour toute entreprise, société ou entité ayant des liens avec un gouvernement étranger, ou cela serait-il trop difficile à appliquer?
M. Burton : Oui. J’ai l’impression qu’il est très problématique que les titulaires de charge publique de haut rang prennent des fonds d’une source étrangère après avoir quitté leurs fonctions. Nous avons des dispositions qui prévoient que les personnes qui ont eu — comme moi, à plusieurs reprises dans ma carrière — accès à des informations très secrètes ne sont pas autorisées à les utiliser durant leur carrière postgouvernementale ou à révéler ces informations. De même, il devrait y avoir une disposition selon laquelle les titulaires de charge publique ne devraient pas être autorisés à concrétiser des possibilités d’affaires financées par des pays étrangers après avoir quitté la fonction publique. Je me rends compte que cela ne sera pas très bien vu, mais la pension parlementaire est plutôt généreuse, et je crois que c’est suffisant.
J’aimerais rapidement ajouter quelque chose au sujet de votre autre question. J’ai été le vice-président de l’association des étudiants chinois de l’Université Brock...
Le vice-président : Je suis désolé, mais il ne reste plus de temps.
Le sénateur Cardozo : J’aimerais interroger les trois témoins sur la question des mises en candidature. Monsieur Saint-Jacques, vous avez indiqué qu’elles devraient se limiter aux citoyens. Je pense que certains partis, voire tous, permettent aux résidents permanents — aux immigrants — de voter lors des mises en candidature. Je présume que les partis y voient un intérêt parce que ce sont des électeurs potentiels qu’ils essaient d’attirer vers leur parti politique. Apparemment, le problème en ce qui concerne la circonscription de Don Valley-Nord était qu’il s’agissait d’étudiants internationaux que l’on avait fait venir par autobus et qui participaient à ce vote. Que pensez-vous de la possibilité d’inclure les résidents permanents? J’aimerais vous entendre tous les trois, mais peut-être que M. Saint-Jacques pourrait répondre en premier.
M. Saint-Jacques : Eh bien, comme je l’ai dit plus tôt, la Chine connaît très bien les faiblesses de notre système. Si nous devons mener des processus démocratiques, nous devons faire preuve de transparence. Je dirais que, dans tous les aspects de la sélection des candidats, y compris à l’échelon de la direction... je sais que des préoccupations ont été soulevées par le passé à ce sujet. À l’heure actuelle, pour certains partis, autoriser des jeunes d’à peine 15 ans, et qui ne sont pas citoyens canadiens, offre la possibilité à quiconque d’intervenir dans le processus de mise en candidature. Cela a été toléré, mais, à mon avis, puisque seuls les citoyens canadiens peuvent voter aux élections, je crois que le vote devrait se limiter aux citoyens canadiens.
M. Burton : Je suis tout à fait d’accord avec M. Saint-Jacques. Je crois que le processus mené à Don Valley-Nord était complètement fou. Je crois que seules les personnes qui ont le droit de voter devraient avoir le droit de choisir un candidat.
Me Shull : J’avoue n’avoir aucune expertise en matière de candidatures politiques. Je travaille pour un groupe non partisan, donc je me fiche de savoir qui remportera les prochaines élections. Je dirai toutefois ceci : vous devriez faire en sorte qu’il soit aussi difficile que possible pour les acteurs étatiques hostiles d’avoir une influence sur les résultats. La manière dont nous procédons est peut-être un sujet de débat et de consternation. De manière générale, je soutiens qu’il faut empêcher autant que possible de brouiller les cartes au stade de la mise en candidature.
Le sénateur Cardozo : Monsieur Burton, que pensez-vous du registre?
M. Burton : Je suis très heureux qu’il soit envisagé. Le fait qu’il puisse exister, comme je l’ai dit, a un effet dissuasif considérable sur les activités du ministère chinois de la Sécurité d’État au Canada. Je préconise cela depuis bien des années, et je ne pourrais être plus heureux que l’on soit tous d’accord au Parlement pour dire que c’est quelque chose dont nous avons besoin.
Le sénateur Cardozo : Il semble y avoir une lacune, c’est-à-dire que les acteurs néfastes pourraient ne pas y être inscrits. Cela vous préoccupe-t-il?
M. Burton : Bien entendu. C’est pourquoi nous poursuivons les personnes qui violent cette loi.
Le sénateur Cardozo : Merci.
Le sénateur Housakos : Je remercie les témoins d’être ici. Vous êtes de toute évidence bien informés lorsqu’il s’agit de traiter de la dictature à Pékin, puisque vous en avez été témoins directement.
Je suis toujours étonné du fait que la dictature de Pékin bénéficie d’un budget annuel de 2,6 milliards de dollars, qu’elle dépense par l’intermédiaire du « Front unifié » pour exercer une influence sur les démocraties du monde entier. Ces mêmes démocraties lui ont donné un accès sans entrave aux marchés de la classe moyenne les plus riches au monde. Cela lui donne 2,6 milliards de dollars à dépenser pour exercer une influence sur nos démocraties et nous espionner.
Ma question est très simple : pourquoi semble-t-il qu’ici, au Canada, nous soyons si réticents comparativement à nos alliés, comme le Royaume-Uni, l’Australie et les États-Unis, à mettre en place des mesures, alors que nous savons que ce pays a infiltré cinq éléments de notre société, c’est-à-dire le gouvernement, le Parlement, les médias, les établissements d’enseignement et notre économie? Pourquoi avons-nous, en tant que pays, fait preuve d’autant de réticence comparativement à nos alliés démocratiques? Il doit y avoir une raison.
M. Burton : Voulez-vous que je réponde à la question? Je crois que c’est parce qu’il est question d’argent. Le régime chinois montre clairement que les gouvernements qui critiquent le comportement international de la Chine et l’appui aux dictatures mondiales, qui critiquent les violations des droits de la personne en Chine, y compris le génocide commis contre les Ouïghours, et ceux qui sévissent contre les agents de sécurité du ministère d’État chinois au Canada — nous n’avons expulsé qu’une des dizaines de personnes qui mènent leurs activités librement ici — seront punis. Du point de vue économique, les entreprises canadiennes auront moins de possibilités d’obtenir des contrats en Chine parce que le régime chinois fonctionne comme un tout qui englobe les entreprises, le parti et l’État. Cela fait partie du problème de sensibilisation.
Notre population a pris la décision, que je juge raciste, de ne pas sévir face à l’approche chinoise à l’égard des membres des communautés de la diaspora. Je conseille la Coalition canadienne pour les droits des personnes en Chine depuis 2005, je crois. Elle est composée de représentants des Ouïghours canadiens, des Tibétains canadiens, des groupes démocratiques chinois, du Falun Gong et ainsi de suite. Je pense qu’ils sont très déçus du fait que la société canadienne ne soit pas prête à les protéger contre l’agression d’agents du régime chinois qui s’attendent à ce qu’ils taisent leurs préoccupations. Je pense que c’est une honte nationale. J’ai honte, en tant que Canadien blanc, que nous ayons laissé la situation se poursuivre pendant si longtemps.
M. Saint-Jacques : Il y a de la complaisance depuis longtemps. Lorsque j’étais ambassadeur, j’ai participé à des séances d’information, avant d’aller à Pékin en 2012, durant lesquelles le SCRS a exprimé des inquiétudes à propos des mesures prises par le gouvernement chinois pour exercer une influence sur le processus électoral au Canada. Je peux confirmer que, durant mes quatre ans comme ambassadeur, j’ai constaté que certains parlementaires et certains membres du personnel politique et des gouvernements provinciaux étaient probablement sous l’influence de la Chine. En dépit de tous les avertissements et de tous les rapports détaillés fournis par le SCRS, j’ai bien du mal, une fois de plus, à comprendre pourquoi des mesures n’ont pas été prises plus tôt.
Quand je parle de complaisance, je crois peut-être que certains partis politiques ont estimé qu’il n’était pas grave qu’une influence ait été exercée sur les élections dans telle ou telle circonscription, parce qu’ils savaient qu’ils allaient gagner. En fait, cela les a peut-être aidés à gagner, ce qui soulève des questions très importantes au sujet de notre démocratie.
Le sénateur Boehm : Ma question s’adresse tout d’abord à M. Saint-Jacques, mais j’encouragerais les autres témoins à répondre à la question s’ils le souhaitent.
L’année 2024 est une année électorale majeure dans le monde entier, et des élections inattendues ont été annoncées. Par exemple, le président Macron a annoncé que des élections législatives nationales se tiendraient en France. Des élections britanniques sont prévues, ainsi que d’importantes élections en novembre, chez nos voisins du Sud. Les dirigeants du G7 se réunissent en Italie cette fin de semaine. Du travail a déjà été fait dans le passé pour examiner l’ingérence dans nos démocraties. Un mécanisme a été établi à Charlevoix en 2018. Malheureusement, il est sous-financé.
Ma question s’inscrit vraiment dans le contexte du projet de loi C-70 et de la voie à suivre. Monsieur Saint-Jacques, tout le monde vous désigne comme notre ancien ambassadeur en Chine, ce que vous étiez, mais vous avez également été sous-chef de missions dans les capitales de deux de nos plus importants alliés. Compte tenu de votre vaste expérience en politique étrangère, j’aimerais savoir ce que vous pensez que notre pays devrait faire, de concert avec nos alliés, pour lutter contre l’ingérence.
M. Saint-Jacques : Merci, sénateur. Vous soulevez une question très importante. En fait, je peux ajouter quelque chose à ce sujet.
Si vous regardez le communiqué du G7 qui est ressorti du sommet de l’année dernière, on y évoque clairement pour la première fois la collaboration pour lutter contre les mesures coercitives adoptées par la Chine. Pour un pays comme le Canada, il est très difficile de lutter seul contre l’ingérence et les mesures coercitives — toutes les tactiques — utilisées par la Chine. Nous devons vraiment travailler en équipe et adopter une approche ferme à l’égard de la Chine.
Je pense que, jusqu’ici, notre inaction a terni notre image et la réputation du Canada dans des capitales comme Washington et Londres. Je sais que les représentants ont été perplexes par rapport à cette inaction parce que — il ne faut pas nous leurrer — les services de sécurité sont bien conscients de ce qui s’est passé ici. La désinformation, surtout durant les campagnes électorales, a été sous-estimée et n’a pas été bien analysée dans le pays, à mon avis.
Le sénateur Boehm : Merci.
Monsieur Burton ou maître Shull, voulez-vous dire quelque chose?
M. Burton : Un alignement total avec nos alliés aux vues similaires en ce qui concerne nos politiques à l’égard de la Chine et l’Inde est très important. Les Américains jugent que le financement de la Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique, qui prévoit 2,4 milliards de dollars sur cinq ans, n’est pas une approche très vigoureuse. En continuant de ne pas investir dans la défense, nous nous éloignerons de plus en plus du centre des affaires mondiales et de l’activité géostratégique de l’OTAN et du Groupe des cinq. Déjà, dans le Groupe des cinq, il semble que notre position soit dévalorisée. Si M. Trump devient président des États-Unis, nous devrons alors assumer une responsabilité beaucoup plus grande pour assurer notre propre défense. Je suis bien loin de mon domaine d’expertise, mais la Chine se qualifie d’État quasi arctique. Elle collabore de plus en plus avec la Russie. D’après ce que je peux voir, nous ne défendons pas l’Arctique de manière à relever le défi.
Me Shull : Je vous remercie de poser la question.
Sénateur, je pense que vous étiez le sherpa du G7 à Charlevoix, si je ne m’abuse. Je m’en souviens bien. La réponse se trouve dans la préface de votre question : le mécanisme de réponse rapide du G7 n’est pas bien financé. Ce n’est pas une mauvaise solution; elle est seulement sous-financée et sous-utilisée. Il faut donc augmenter les coûts. Il s’agit simplement d’augmenter les coûts le plus possible pour les acteurs étatiques adverses qui cherchent à s’ingérer dans nos élections.
Le sénateur Yussuff : Merci, chers témoins, d’être ici. Monsieur Saint-Jacques, je suis heureux de vous revoir. Merci de votre service au pays.
La question plus générale concernant le projet de loi C-70, bien sûr, c’est qu’il procure à nos centres de sécurité de nouveaux outils dans le cadre de l’effort général visant à protéger notre démocratie, mais également pour nous assurer de relever directement les défis auxquels nous faisons face. Si vous avez eu l’occasion de réfléchir à ce texte de loi dans le contexte de ce qu’ils peuvent faire et d’apprendre d’autres administrations l’approche qu’elles utilisent, que manque-t-il selon vous dans le projet de loi? Pensez-vous qu’il établit un juste équilibre entre ce que nous essayons de réaliser pour protéger notre démocratie et assurer la sécurité du pays et, parallèlement, bien sûr, afin de protéger nos droits traditionnels pour que les gens puissent faire ce qu’ils font dans notre pays en matière de manifestations, mais en reconnaissant également leur responsabilité fondamentale quant à notre comportement à l’égard des élections?
M. Saint-Jacques : Je pense que c’est un bon début, car cela couvre des aspects qui n’ont pas été abordés correctement. Bien sûr, nous devrons attendre de voir comment les règlements seront élaborés pour couvrir les aspects que vous avez mentionnés.
À mon avis, le principal problème relevé dans le passé par la Commission Hogue est la communication inappropriée d’information pour alerter les gens de ce qui se passe. Comme on l’a dit plus tôt, on n’accorde pas assez d’attention aux activités de désinformation des acteurs étatiques chinois sur les médias sociaux utilisés par les Canadiens d’origine chinoise, comme WeChat et Weibo.
Nous devons également rendre les hauts fonctionnaires et les ministres responsables de leurs actes. Je peux vous dire que, d’après mon expérience d’ambassadeur dans le passé, des mémorandums de sécurité importants étaient adressés aux ministres. Ceux-ci les lisaient. Il y avait des mécanismes pour s’assurer qu’ils étaient lus. Il revenait ensuite aux ministres de prendre les mesures appropriées.
Encore une fois, dans tout cela, je pense qu’on assiste enfin à un changement d’attitude, et j’espère que cela sera précisé clairement dans les règlements qui devront être publiés sous peu.
Le sénateur Yussuff : Dans le contexte de ces nouvelles dispositions, nous aurons un nouveau commissaire doté de vastes pouvoirs et d’une grande responsabilité. Pensez-vous que le commissaire disposera d’une assez grande indépendance dans ses fonctions pour s’acquitter des responsabilités qui lui sont maintenant accordées de faire appliquer cette loi, mais aussi de s’assurer que certaines synergies peuvent être plus efficaces compte tenu de la portée de la loi?
Me Shull : Je le pense, sénateur, et ce, pour deux raisons différentes.
Premièrement, le projet de loi modifié qui s’en vient nécessite des résolutions conjointes du Sénat et de la Chambre des communes.
Deuxièmement, elles doivent également être intégrées dans une institution, car elles ont besoin d’accéder à une installation pour information sensible cloisonnée. Vous ne voulez pas commencer à conclure des protocoles d’entente avec le SCRS. Il doit disposer des renseignements pour pouvoir publier ces avis de non-conformité, ces sanctions administratives pécuniaires, et il doit pouvoir le faire rapidement. Mettre en place une nouvelle institution en dehors du champ d’application d’un nouveau ministère n’est tout simplement pas pratique.
M. Burton : Il est très difficile, s’il s’agit d’une nomination par décret qui peut être interrompue en tout temps, d’encourager une véritable indépendance. Je pense qu’il est difficile pour le SCRS et la GRC d’enquêter sur des politiciens de haut rang qui peuvent être compromis par la Chine en raison des sensibilités politiques. Ce n’est pas bon pour eux d’offenser les gens auxquels ils rendent des comptes. Je pense qu’il est très important de disposer du degré d’indépendance le plus élevé, à l’instar de celui du vérificateur général du Canada, pour faire ce travail de la manière dont nous espérons le voir fonctionner.
La sénatrice Dasko : Merci à nos témoins d’aujourd’hui.
Ma première question s’adresse à l’ambassadeur Saint-Jacques. Je m’inquiète tout particulièrement de ce que vous avez dit concernant les efforts de la Chine pour influencer l’opinion publique dans des pays étrangers. Je m’intéresse évidemment aux efforts que le pays a faits au Canada, que ce soit par la désinformation ou d’autres formes d’influence. Il est très difficile pour les Canadiens de reconnaître quels sont ces efforts et où ils se situent, ou encore quand ils se produisent. Pourriez-vous donner des exemples concrets des efforts déployés par la Chine pour que nous puissions comprendre comment et où cela se produit? Ma deuxième question pour vous est la suivante : j’ai l’impression que le projet de loi ne traite pas vraiment de ce phénomène. En fait, il n’en parle pas. Je me demande si vous pourriez nous en dire plus à ce sujet après avoir fourni quelques exemples. Merci.
M. Saint-Jacques : Merci, sénatrice.
Par rapport à votre première question, il y a eu un exemple de désinformation lorsqu’un incendie dévastateur s’est produit à Hawaï l’an dernier. La Chine a envoyé des renseignements et utilisé l’intelligence artificielle pour créer de fausses images afin de dire que, en fait, c’était une expérience du gouvernement américain qui avait mal tourné et qui était la source de l’incendie. Cette information s’est répandue. Dans ce domaine, la Chine n’a aucun scrupule à déformer la vérité, et, en fait, elle continuera de le faire.
Cela dit, je dirais que l’on essaie d’influencer l’opinion publique générale, mais en période électorale, on se concentre presque exclusivement sur les Canadiens d’origine chinoise. On s’intéresse tout particulièrement à 12 ou 15 circonscriptions où la proportion de Canadiens d’origine chinoise est élevée.
En ce qui concerne votre deuxième question, nous devrons voir quels types de règlements seront adoptés, mais si vous regardez le dernier cycle électoral, je pense que les hauts fonctionnaires ont manqué le bateau, parce qu’ils n’ont pas reconnu adéquatement la désinformation propagée au sujet de certains candidats par les acteurs étatiques chinois. Cela a été très dommageable. Je me rappelle une réponse de hauts fonctionnaires, qui ont dit ceci : « Eh bien, puisque ce se limitait à une communauté, nous avons décidé de ne pas agir. » À mon avis, il s’agissait d’une réponse tout à fait inappropriée, où l’on traitait un groupe de Canadiens différemment des autres. Il est très important de protéger les droits des Canadiens de toutes les origines ethniques.
La sénatrice Dasko : Pour revenir à l’influence de l’opinion publique, dites-vous que, pour le Canada en particulier, vous n’avez pas d’exemple, car l’exemple que vous avez fourni portait sur Hawaï? Pouvez-vous nous dire quelque chose du même genre quant à ses efforts au Canada pour influencer d’autres populations ou la population générale, ou est-ce que cela se concentre presque exclusivement sur la communauté de la diaspora?
M. Saint-Jacques : Je peux vous dire que je lis les médias chinois au Canada et que j’ai donné des entrevues aux médias canadiens qui utilisent le mandarin. Je peux vous dire que, en ce qui concerne les publications, parfois 90 % de l’information provient directement de Pékin. Cela signifie que ce que les Canadiens d’origine chinoise lisent lorsqu’ils regardent les médias chinois est de la propagande pure et simple de la part de la Chine. Au début de l’affaire Meng Wanzhou, j’ai répondu à des questions, et j’ai été frappé de constater qu’elles provenaient directement de Pékin. Ils ne comprenaient pas du tout la position canadienne.
Notre autre problème, c’est que nous fournissons des plateformes à l’ambassadeur chinois. C’est arrivé à Montréal avec le forum, où l’ambassadeur chinois précédent, Cong Peiwu, a été invité…
Le vice-président : Excusez-moi, monsieur Saint-Jacques.
Le sénateur Dean : Merci encore une fois aux témoins.
Je vais revenir à un sujet que l’on a abordé plus tôt. Le projet de loi C-70 est conçu pour permettre au SCRS de s’acquitter de son mandat dans un monde de plus en plus numérique et dangereux. L’une des dispositions donne à penser qu’il devrait y avoir plus de flexibilité d’accès aux mandats adaptés à l’objectif. L’autre, c’est que l’on devrait accorder plus de flexibilité au service pour l’utilisation de ses données. Avez-vous des réactions par rapport à ces recommandations? Avez-vous des préoccupations?
Me Shull : Je vous dis un beau « Bravo ». Je suis tout à fait d’accord. Je pense que l’idée de pouvoir communiquer à l’extérieur du gouvernement du Canada est parfaite, tout particulièrement pour les entreprises qui sont en première ligne.
Avec tout le respect que je dois à un témoin précédent qui a dit que le régime des ensembles de données est déconnecté du cadre de l’ingérence étrangère, je ne suis pas d’accord. Selon vous, pourquoi le SCRS veut-il utiliser les données?
Encore une fois, avec tout le respect que je dois au témoin précédent, à mon avis, ce projet de loi règle les problèmes relevés dans le tout premier rapport de l’OSSNR réalisé. Nous avons pris ces recommandations de l’office de surveillance au sérieux et avons proposé une solution à ces problèmes, alors je suis favorable à tout cela.
M. Burton : Je m’inquiète de la vitesse avec laquelle nous faisons cet examen. Ce sont des questions très sérieuses, qui empiètent sur des questions clés de la Charte canadienne des droits et libertés. Je sais que le ministère de la Sécurité publique a consacré beaucoup de temps et d’attention à ce dossier, et je suis persuadé que nous faisons la bonne chose. Si quelque chose empiète sur les droits des Canadiens, je suis sûr que nos tribunaux y réagiront.
Le sénateur Dean : Monsieur Saint-Jacques, je suis heureux de vous revoir. J’ai une question très différente pour vous. Nombre d’entre nous, parlementaires, sénateurs et citoyens, sommes soumis à un flux de ce que j’appellerais de la désinformation au sujet du rôle véritable de l’Organisation mondiale de la santé et d’autres institutions multilatérales qui nous servent et dont le Canada est membre. Pensez-vous ou avez-vous des preuves que ces tendances et ces messages négatifs trouvent leur origine dans des sites extraterritoriaux et, dans l’affirmative, où se trouvent-ils?
M. Saint-Jacques : Je dirais que la Chine a compris il y a environ 10 ou 12 ans l’importance des organisations multilatérales et qu’elle a changé son approche, en essayant d’abord de diriger le plus grand nombre possible de ces organisations. Il y a quelques années, 5 citoyens chinois dirigeaient 14 grandes organisations internationales. Ils ont également utilisé le programme d’aide au développement pour obtenir un soutien des pays en développement. Je l’ai constaté lorsque j’étais négociateur en chef du Canada aux changements climatiques, où les pays africains adoptaient des positions chinoises qui nuisaient à leurs intérêts. Je suis aussi sûr que, au début de la pandémie de COVID-19, la réaction a été retardée en raison de l’influence antérieure que la Chine exerçait sur l’Éthiopie. À l’époque, l’actuel directeur général de l’Organisation mondiale de la santé, le Dr Ghebreyesus, était ministre des Affaires étrangères. Rappelons-nous que la Chine a établi le siège social de l’Union africaine à Addis-Abeba. Vous pouvez constater l’effort concerté de la part du gouvernement chinois pour utiliser ces institutions internationales à ses propres fins et sans aucun scrupule, afin d’utiliser la désinformation dans le but de propager des rumeurs pour créer toutes sortes de problèmes.
Le sénateur Woo : Merci, chers témoins.
J’aimerais vous demander comment nous pourrions, selon vous, protéger les droits des Canadiens d’adopter des points de vue qui pourraient être perçus comme favorables, disons, à la Chine sans être stigmatisés ou devoir s’enregistrer dans le registre proposé à cause de la très vague disposition qui fait référence à une personne en association avec un commettant étranger. Peut-être que Me Shull aimerait commencer.
Me Shull : Merci beaucoup de poser la question, c’est une bonne question.
Je dirais qu’il y a peut-être une distinction à faire. Il y a l’obligation de s’enregistrer lorsque vous entretenez une quelconque relation avec un commettant étranger, puis il y a le fait d’avoir des opinions. Tout le monde peut avoir des opinions. Tout le monde peut dire ce qu’il veut. Le principal problème dont il est question dans le projet de loi, c’est de combler cette lacune lorsqu’il y a une entente avec un commettant étranger. La chose à faire est alors la suivante : procédons à un examen des définitions.
À mon avis, le projet de loi fait un travail assez admirable. Je ne pense pas qu’il y ait beaucoup de dérapages. Dans la mesure où cela s’avère nécessaire, le commissaire fournira probablement des précisions, dès qu’elles seront en place. Si elles vont trop loin, les tribunaux sont là pour les attraper. Elles pourront faire l’objet d’un contrôle judiciaire. C’est l’objectif de la common law : clarifier les définitions.
Le sénateur Woo : Comment définiriez-vous « en association avec »?
Me Shull : À mon avis, cela dépend des faits distincts, donc dans la mesure où il y a un contrôle, qu’il soit éphémère ou réel, dans la mesure où il y a une relation où quelqu’un estime qu’il y a un pouvoir et un contrôle, dans la mesure où quelqu’un exerce une influence sur les autres. Il y a des façons de le faire. Les juges élaborent des critères juridiques depuis le début de la common law, et c’est probablement là où nous en sommes.
Le sénateur Woo : Permettez-moi de reprendre vos mots. Quelqu’un sent qu’il y a un contrôle ou un contrôle éphémère. Pouvez-vous nous expliquer comment cela serait déterminé?
Me Shull : Oui.
Le sénateur Woo : Laissez-moi vous donner un exemple concret.
Me Shull : Oui, s’il vous plaît.
Le sénateur Woo : Si quelqu’un est en contact avec un représentant étranger et qu’il rédige par la suite un article d’opinion qui exprime un point de vue aligné sur celui de cet État étranger, mais qu’il n’y a aucune preuve qu’il y a eu un contrôle ou un avantage matériel ou une quelconque relation de subordination, cela ne s’inscrirait-il pas dans la définition de « en association avec »? Cela ne se pourrait-il pas? Cela repose sur votre compréhension de la nature éphémère et du sentiment qu’il pourrait y avoir cette situation de contrôle.
Me Shull : Il y a des cas exceptionnels, et c’est pourquoi c’est une question aussi bonne. Le cas que vous avez fourni me semble indépendant. À partir des faits que vous venez de présenter, je ne dirais pas qu’il y a de relation. Vous avez décrit un modèle factuel qui est complètement indépendant.
Le sénateur Woo : C’est pourtant l’exemple précis utilisé dans un document de consultation du gouvernement pour fournir un exemple concret des personnes qui seraient tenues de s’enregistrer. Pourquoi ne pensez-vous pas qu’il est pertinent?
Me Shull : Encore une fois, il s’agira des faits particuliers de l’affaire, mais dans le cas que vous avez mentionné, vous avez dit qu’il y avait un contact, une discussion, puis qu’un article d’opinion était rédigé.
Le sénateur Woo : Il s’agit précisément de l’exemple cité dans le document de consultation du ministre de la Sécurité publique. Mais je comprends que vous ne pensez pas que cela serait un cas d’enregistrement?
Me Shull : Je dirais que c’est poussé à l’extrême.
Le sénateur Woo : D’accord. Merci.
[Français]
Le vice-président : Ceci nous amène à la fin de notre discussion avec ce groupe de témoins. Nous remercions, messieurs Saint-Jacques et Burton et maître Shull, d’avoir pris le temps de nous rencontrer aujourd’hui. Merci à vous.
Pour ceux qui se joignent à nous en direct, nous nous réunissons aujourd’hui pour continuer notre examen de la teneur du projet de loi C-70, Loi concernant la lutte contre l’ingérence étrangère.
[Traduction]
Nous allons maintenant poursuivre avec notre troisième et dernier groupe de témoins. J’aimerais accueillir nos témoins.
[Français]
De l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement, Me Craig Forcese, vice-président, et Me Charles Fugère, avocat général principal et directeur général par intérim; du Bureau du commissaire au renseignement, l’honorable Simon Noël, c.r., commissaire au renseignement, et Me Justin Dubois, directeur exécutif et avocat général.
Messieurs, je vous souhaite la bienvenue. Maître Forcese, je vous invite maintenant à faire votre déclaration préliminaire. La parole est à vous, dès que vous êtes prêt.
[Traduction]
Craig Forcese, vice-président, Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement : Bonjour, sénateurs et sénatrices. Pour commencer, permettez-moi de souligner que je m’adresse à vous depuis le territoire ancestral non cédé de la Nation algonquine Anishinaabeg.
[Français]
Je vous remercie de nous avoir invités à participer à vos travaux. Je suis professeur de droit à l’Université d’Ottawa et membre de l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement (OSSNR) depuis 2019 et j’en suis maintenant vice-président.
À ma gauche, je vous présente Charles Fugère, avocat général principal et directeur général par intérim du Secrétariat de l’OSSNR.
[Traduction]
Mon allocution d’aujourd’hui repose sur trois points. Premièrement, je tiens à préciser que l’OSSNR accueille favorablement la réforme du droit, laquelle s’avère nécessaire, mais qui n’est pas en soi une panacée. Deuxièmement, les amendements que ce projet de loi propose relativement à la législation s’appliquant au SCRS sont importants. Toutefois, il ne faut pas s’attendre à ce que les changements apportés au régime des ensembles de données évacuent les tensions inévitables que l’on observe dans la structure de la Loi sur le SCRS. Troisièmement, l’OSSNR serait favorable à la tenue d’un examen parlementaire élargi concernant la Loi de 2017 sur la sécurité nationale.
C’est au nom d’un organisme d’examen en matière de sécurité nationale que je prononce la présente allocution. La mission de l’OSSNR est d’être les yeux et les oreilles des Canadiens grâce à des enquêtes et des examens indépendants que l’OSSNR effectue à l’endroit des activités du Canada en matière de sécurité nationale et de renseignement, notamment celles du SCRS. En outre, le rapport d’examen que nous avons récemment publié sur l’ingérence politique étrangère exercée entre 2018 et 2023 illustre bien le travail que nous accomplissons.
Permettez-moi maintenant de revenir à mes trois points principaux.
[Français]
Premièrement, la présente étude préalable va contribuer au débat public sur une réforme du droit concernant l’ingérence étrangère. À l’issue de ses examens, l’OSSNR a lui-même recommandé des modifications législatives pour combler les lacunes identifiées. Par exemple, nous avons recommandé que le rôle de conseiller à la sécurité nationale et au renseignement auprès du premier ministre soit défini dans un instrument juridique. Cela dit, comme nous l’avons indiqué dans notre rapport annuel l’an dernier, l’intervention législative, bien que nécessaire, n’est souvent pas suffisante pour remédier aux lacunes.
Plusieurs recommandations émises par l’OSSNR sur les sujets abordés dans le projet de loi C-70 portaient sur des améliorations nécessaires sur le plan de la gestion de l’information, de la formation et des ressources. Par exemple, nous avons recommandé que le SCRS et Sécurité publique Canada adoptent un mécanisme qui permette de suivre et de documenter rigoureusement la réception des produits de renseignement.
[Traduction]
J’arrive maintenant à mon deuxième point. Le projet de loi C-70 propose des modifications au régime des ensembles de données du SCRS afin de clarifier les ambiguïtés juridiques qui ont été perçues à la suite de leur adoption en 2019. En tant qu’organisme d’examen, l’OSSNR est appelé à examiner minutieusement la manière dont ce régime est appliqué. Or, lors de l’examen que nous avons réalisé au sujet des ensembles de données, nous avons décelé certaines tensions au sein de la Loi sur le SCRS. D’une part, nous voyons une rigoureuse conservation des renseignements pour la plupart des renseignements pertinents, bien qu’aucune loi n’encadre la gestion de ces renseignements. D’autre part, nous constatons l’existence d’un régime des ensembles de données assorti d’une norme de conservation plus simple, mais qui est orienté par des mesures administratives et légales compliquées. En somme, il sera toujours difficile de déterminer quel régime s’applique à quelle information et dans quelles circonstances, mais il sera tout aussi difficile de résister à la tentation d’opter pour le système le moins compliqué sur le plan administratif. La tâche de l’OSSNR consistera donc à continuer de mener des examens sur la manière dont le SCRS met en œuvre ces systèmes.
En ce qui concerne les modifications proposées au régime des mandats du SCRS, l’expérience de l’OSSNR montre que ce système des mandats, lequel s’applique actuellement à tous les cas sans distinction, s’avère lourd et peut donc raisonnablement faire l’objet d’une réforme législative. La tâche de l’OSSNR consistera à examiner de près la mise en œuvre par le SCRS des nouvelles procédures relatives aux mandats.
Enfin, alors que vous étudiez ce projet de loi, je rappelle que la Loi de 2017 sur la sécurité nationale a mené à la création de l’OSSNR et a donné lieu à la réforme de nombreux pouvoirs clés en matière de sécurité nationale au sein des services de renseignement. En outre, cette loi prévoyait un nouvel examen de son texte au bout de trois ans. Or, cette période triennale est désormais révolue. Si le Parlement devait se prêter à cet examen, nous serions impatients de faire part de nos observations sur d’autres modifications proposées à la loi sur la sécurité nationale.
Je vous remercie de nous avoir permis de nous exprimer devant vous aujourd’hui. Nous aurons le plaisir de répondre aux questions du comité.
[Français]
Le vice-président : Merci beaucoup, maître Forcese. Nous entendrons maintenant l’honorable Simon Noël. Monsieur Noël, la parole est à vous.
L’honorable Simon Noël, c.r., commissaire au renseignement, Bureau du commissaire au renseignement : Mesdames les sénatrices et messieurs les sénateurs, je vous remercie de m’avoir invité afin de discuter du projet de loi C-70. Je suis accompagné aujourd’hui de Me Justin Dubois, directeur exécutif et avocat général de mon bureau.
À la suite de la présentation du vice-président de l’OSSNR, je vais concentrer mes propos sur le régime des ensembles de données, ce qu’on appelle en anglais le Dataset Regime. Il fait l’objet de certains amendements dans le projet de loi. Lorsqu’on parle d’ensembles de données, on parle de la vie privée des Canadiens et des Canadiennes. Le commissaire au renseignement joue un rôle important de surveillance et de contrôle au sein de ce régime.
En une phrase, mon mandat est d’approuver ou non certaines activités de sécurité nationale et de renseignement prévues par le Centre de la sécurité des télécommunications Canada et le Service canadien du renseignement de sécurité. À titre d’exemple, je dois approuver des catégories d’activités que des employés du SCRS ou des ressources humaines peuvent commettre et qui seraient contraires à la loi. Je dois aussi approuver des activités du SCRS qui sont liées aux ensembles de données.
[Traduction]
Je pense qu’il est important de comprendre de manière générale comment fonctionne le régime des ensembles de données en tenant compte des modifications. Il permet au SCRS de recueillir, de conserver et d’utiliser des renseignements qui ne sont pas directement et immédiatement liés à une menace à la sécurité du Canada. Pour que le SCRS puisse recueillir l’information, celle-ci doit s’appliquer à ses fonctions.
Pour que l’on puisse recueillir un ensemble de données qui contient de l’information liée à des Canadiens, celles-ci doivent faire partie d’une catégorie approuvée, c’est-à-dire une catégorie qui a été autorisée par le ministre de la Sécurité publique et par le commissaire au renseignement. Pour pouvoir conserver et utiliser les renseignements liés aux Canadiens, le SCRS doit ensuite obtenir une autorisation judiciaire auprès de la Cour fédérale.
Le SCRS peut également conserver un ensemble de données étranger, c’est-à-dire un ensemble de données qui ne contient pas de renseignement apparent lié aux Canadiens. Dans ce cas, le commissaire au renseignement doit approuver l’autorisation de conservation émise par le directeur du SCRS.
Puisqu’un ensemble de données peut contenir un grand volume de renseignements qui ne sont pas directement liés à la menace, le régime des ensembles de données pourrait se répercuter sur les intérêts en matière de vie privée des Canadiens. Une partie importante de mon rôle consiste à m’assurer que le ministre de la Sécurité publique et le directeur tiennent adéquatement compte des intérêts en matière de vie privée des Canadiens.
La plupart des modifications proposées concernant le régime des ensembles de données dans le projet de loi visent à faciliter l’utilisation par le service des ensembles de données canadiens et étrangers. Je prévois que les modifications proposées ne changeront pas la nature de mon rôle, qui consiste à assurer une surveillance indépendante quasi judiciaire.
[Français]
Cela dit, je tiens à souligner un amendement proposé qui aurait un impact sur le travail du commissaire ainsi que sur les intérêts en matière de vie privée des Canadiens. Le projet de loi autoriserait le SCRS à faire la collecte et à conserver des ensembles de données aux fins de l’article 15 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité.
Cet article de loi permet au SCRS de mener des enquêtes en vue de fournir des évaluations de sécurité au gouvernement du Canada, par exemple aux fins d’emploi au sein de la fonction publique et aux fins d’immigration. Cela élargit la portée des ensembles de données relatifs aux Canadiens que le SCRS peut recueillir et conserver.
Nos agences de sécurité ont besoin des outils nécessaires pour exécuter leur travail, puisqu’on leur donne des pouvoirs extraordinaires. Il faut continuer de s’assurer qu’il existe une surveillance et un contrôle suffisant sur ces pouvoirs. Je suis heureux de constater que le projet de loi ne modifie pas le cadre de surveillance.
Je suis ici en tant que commissaire au renseignement, mais j’apporte ici l’expérience d’un juge désigné de la Cour fédérale pendant plus de 20 ans, ainsi que celle d’un avocat impliqué dans les questions et les commissions de sécurité nationale depuis 1979. Je suis heureux de répondre à toute question dans la mesure où mon point de vue pourrait vous aider. Merci.
Le vice-président : Merci beaucoup, monsieur Noël. On va passer aux questions. Je vous rappelle que quatre minutes seront allouées à chaque question, y compris la réponse. Je vous demande de poser des questions succinctes et je demande à nos témoins de répondre le plus succinctement possible. Avant de commencer, je vais me permettre de poser une question à nos deux témoins. Pourriez-vous m’expliquer pourquoi l’on créerait un nouveau commissaire, plutôt que d’utiliser l’expertise de deux organismes expérimentés?
M. Noël : C’est une très bonne question, sénateur Dagenais. Je ne suis pas dans la tête du législateur; il faudrait savoir pourquoi au juste on veut créer ce poste. Il me semble que la charge de travail des deux organismes auxquels vous avez fait référence est assez lourde. C’est un genre de travail différent. Par exemple, dans mon cas, de toute évidence, on me demande de superviser et d’examiner attentivement si les organismes de sécurité, le Centre de la sécurité des télécommunications (CST) ou l’agence de service agissent dans le cadre de leur sphère de compétence et s’ils respectent les droits des Canadiens.
De ce côté, le travail est donc bien différent de celui d’un commissaire qui devrait mettre sur pied un registre qui fait appel à un autre genre de travail.
Le vice-président : Merci. Maître Fugère, vous avez un commentaire à faire, ou maître Forcese?
M. Forcese : Merci pour la question.
[Traduction]
Je proposerais une réponse similaire. Nous sommes un organe d’examen.
[Français]
Alors, on examine les choses après le fait.
[Traduction]
Participer à des activités qui supposent d’imposer des obligations à des particuliers, puis constituer par la suite un organe d’examen pour examiner cette activité nous exposerait à un conflit d’intérêts inhérent.
Je signale que, tel qu’il est libellé actuellement, le projet de loi C-70 soumet le nouveau bureau à notre fonction d’examen. À l’instar du reste du gouvernement exécutif responsable de la sécurité nationale et du renseignement, il serait soumis à un examen de l’utilisation de ses pouvoirs par notre organisme.
Le sénateur Boehm : Je remercie les témoins d’être ici. Ma première question s’adresse à M. Forcese, puis par la suite, s’il reste du temps, au commissaire Noël.
Le comité de la sécurité publique et de la sécurité nationale de la Chambre des communes a modifié le projet de loi C-70 afin d’exiger un examen parlementaire exhaustif de la loi et de son fonctionnement, pas simplement comme prévu au début après chaque période quinquennale, mais également pendant la première année suivant une élection générale.
En présumant qu’il sera adopté et compte tenu du fait que l’OSSNR relève directement du Parlement, pensez-vous que l’office pourrait jouer un rôle, directement ou indirectement, dans un examen postélectoral? S’il ne participait pas à l’examen du projet de loi C-70 à proprement parler, l’OSSNR examinerait-il ses activités dans le contexte des activités du SCRS en vertu du projet de loi C-70?
Peu importe le rôle que l’OSSNR pourrait jouer dans de tels examens, comment peut-on mesurer, selon vous, la réussite ou l’échec du projet de loi C-70 pour lutter contre l’ingérence étrangère, plutôt que d’attendre de voir ce qui se produira à la prochaine élection?
M. Forcese : Merci de poser la question, sénateur.
Pour commencer, je vais décrire brièvement nos fonctions. Nous disposons bien sûr du Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement.
Nos fonctions sont avant tout axées sur la conformité et la convenance. Nous regardons la conformité avec la loi et si les activités étaient raisonnables et nécessaires dans les circonstances. Nous avons tendance à nous concentrer sur le fonctionnement. Dans certaines circonstances, nous regarderons comment fonctionne un régime juridique, car un régime juridique a parfois des conséquences sur les activités. Toutefois, nous ne nous lancerions généralement pas dans un examen axé strictement sur une question d’efficacité, sur la qualité de la conception d’un régime, sauf dans la mesure où elle est accessoire à notre examen de la convenance.
En réponse à votre question, pour ce qui est de contribuer à l’examen du projet de loi C-70, que ce soit dans un délai d’un an ou par la suite, notre travail pourrait se révéler pertinent, mais il ne serait pas consacré à la mesure dans laquelle le projet de loi C-70 fonctionne dans l’ensemble. Il y a certainement des aspects du projet de loi C-70 qui feraient partie intégrante de notre travail régulier.
Le sénateur Boehm : Pensez-vous que l’OSSNR serait appelé à jouer un rôle, par exemple, dans un examen postélectoral dans ce délai de un an?
M. Forcese : Ce serait possible, de la même manière que notre examen sur l’ingérence étrangère s’est penché sur les institutions qui existaient pendant la période d’examen pour réagir à l’ingérence étrangère. Il est possible que nous fassions un examen de ces aspects. Comme exercice de notre indépendance, nous sélectionnons nos propres examens en fonction de ces questions que nous examinons à partir d’une compréhension passablement logique de l’environnement. Pour ce qui est des examens prioritaires, je note que les ministres sont en mesure de nous demander de procéder à des examens également.
Le sénateur Boehm : Si j’ai le temps, j’aimerais poser une question rapide au commissaire Noël. En présumant que le projet de loi, bien sûr, sera adopté, celui-ci conférera beaucoup de responsabilités supplémentaires à divers organismes. Il pourrait arriver que des lois étrangères aient une incidence sur notre projet de loi et sur ce que notre loi fera. Dans l’avenir, imaginez-vous avoir de plus grandes communications avec certains de vos homologues ou équivalents étrangers, même s’il n’y a pas d’équivalent exact de votre rôle?
M. Noël : Permettez-moi de répondre à cette question, sénateur, de la manière suivante : la collecte d’ensembles de données serait très utile pour cerner l’ingérence étrangère, à bien des égards. Je soupçonne que, dans l’avenir, on demandera qu’un plus grand nombre d’ensembles de données étrangers soient autorisés et conservés.
Si vous regardez dans le monde — parce que nous l’avons fait — la United States Foreign Intelligence Surveillance Court fait le même travail. Nous sommes en train de communiquer avec elle pour discuter de sa façon de faire. Nous faisons la même chose avec la Grande-Bretagne afin de mieux nous informer.
Enfin, comme l’OSSNR, nous sommes membres du comité de surveillance et d’examen du Groupe des cinq de ces cinq pays. Dans le cadre des discussions, la collecte des ensembles de données et l’ingérence étrangère sont des sujets d’intérêt, bien sûr, et nous en discutons entre nous.
Le sénateur Cardozo : Monsieur Noël, pourriez-vous m’expliquer la relation entre votre bureau et le Service canadien du renseignement de sécurité?
Ma deuxième question s’adresse à vous deux et porte sur le renseignement. À certains égards, les gens surestiment ce qu’est le renseignement. Nous parlons maintenant davantage d’éléments du renseignement. Les gens ont tendance à considérer le renseignement comme un fait absolu, alors que ce que nous constatons, c’est que le renseignement n’est peut-être pas aussi intelligent et que ce ne sont que des éléments d’information.
M. Noël : Dans mon ancienne vie, sénateur, j’ai traité avec le SCRS, et ce, depuis 1979, et en tant que juge depuis 2002. J’ai traité des centaines de mandats, de demandes et autres. Je me suis toujours senti complètement indépendant, comme certains de mes jugements l’ont démontré dans le passé.
Cela dit, dans le cadre de mon nouveau travail, je me sens aussi indépendant que lorsque j’étais juge. J’assume un travail quasi judiciaire. Dans la Loi sur le commissaire au renseignement, il y a une disposition selon laquelle le SCRS a l’obligation de me renseigner. On pourrait dire que c’est une bonne façon d’influencer le commissaire. Je leur ai dit ceci. Je leur ai dit que s’ils voulaient me renseigner, ils devaient se couvrir sur tous les sujets d’importance, car si un jour, je tombe sur un sujet sur lequel ils ne m’ont pas renseigné, ils devront en payer le prix. On conclura que je n’ai pas été renseigné. Vous n’apprenez rien sur la sécurité nationale — les faits et la collecte de renseignement — à l’université.
En ce qui concerne la collecte de renseignements, vous avez raison, sénateur. On ne peut pas dire que le fait numéro un est concluant au point d’être le fait. Selon mon expérience, vous devez regarder le renseignement de manière globale. On ne peut pas dire qu’une chose se passe et que c’est tout, puis vous tirez une conclusion à partir de cela. Vous devez pouvoir regarder tous les faits qui sont recueillis et vous assurer que la conclusion à laquelle vous pourriez parvenir repose sur tous ces faits. C’est un défi. Nous ne devrions pas considérer le renseignement comme la preuve d’un tribunal. Ce n’est pas la même chose. C’est le recueil de tous ces faits qui devient plus concluant à la fin.
Le sénateur Cardozo : Monsieur Forcese, voulez-vous répondre à la question?
M. Forcese : Merci beaucoup de poser la question.
Je vais reprendre le dernier point soulevé par M. Noël, et voici une citation de notre examen que j’ai mentionné sur l’ingérence étrangère : « En soi, le renseignement ne constitue pas une preuve, mais il n’est pas non plus le fruit de spéculations, de conjectures ou de rumeurs. »
Le problème avec le renseignement est toujours, comme M. Noël l’a mentionné, une question d’interprétation. Dans notre rôle en tant qu’OSSNR, lorsque nous évaluons le caractère raisonnable et la nécessité, il se peut bien que nous procédions à des analyses — en particulier dans notre fonction de traitement des plaintes — qui étudient la manière dont le renseignement a été évalué. C’est l’une de nos tâches. Je ne pense pas avoir autre chose à ajouter, sauf pour dire que c’est un exercice contingent et contextuel.
Le sénateur Woo : Bienvenue, chers témoins.
J’aimerais revenir sur cette série de questions et demander à l’OSSNR en particulier s’il a le mandat et la capacité non seulement de formuler la déclaration générale selon laquelle le renseignement ne constitue pas une preuve, mais, en fait, de remettre en doute la crédibilité et l’importance d’un renseignement; pas seulement un renseignement, mais un rapport d’analyse fondé sur le renseignement, une conclusion soudaine qui pourrait être tirée, qui, d’instinct, ne vous semble peut-être pas très bonne. Quelle capacité avez-vous de remettre en question le rapport d’analyse? Pour les Canadiens ordinaires, beaucoup repose sur une telle conclusion.
M. Forcese : Merci de poser la question, sénateur.
Selon notre loi, en rendant nos rapports et conclusions d’examen et de plaintes, nous pouvons formuler les conclusions et les recommandations que nous jugeons appropriées. Dans le cadre d’un examen, il est précisé « tel que des commentaires sur la légalité, le caractère raisonnable et la nécessité. » Dans l’exercice de ces fonctions, nous avons un mandat très précis pour servir d’organisme d’examen ayant droit à des renseignements classifiés complets. Dans le cadre de cette activité d’examen, il se peut fort bien que nous arrivions à la conclusion que les lignes ne sont pas créées à partir des points, et cetera. Cela nous obligerait à poser un jugement, ce que la loi nous permet de faire.
Le sénateur Woo : Il ne s’agit pas seulement de savoir si les subtilités juridiques ont été respectées et si la logique était cohérente. Il s’agit partiellement de savoir si les renseignements sont exacts et si l’analyse est logique. J’ai vu des documents qui, selon moi, n’ont tout simplement aucun sens. Si un office de surveillance n’est en mesure de se fier qu’à leur valeur apparente et d’évaluer simplement, comme vous le dites, l’aspect de conformité de sa véracité, alors qui, dans le monde de l’examen et au regard de la responsabilisation, peut remettre en doute l’importance et la crédibilité de l’analyse du renseignement? Peut-être que M. Noël aimerait se prononcer également, ou l’un de vous deux.
M. Noël : Je vais poursuivre sur ce que disait M. Forcese. Il y a une impression que tout ce que le SCRS dit est une parole d’Évangile et que c’est la vérité. Je ne suis pas du même avis pour la raison suivante. Comme je l’ai dit, je me suis occupé de nombreux mandats. J’ai remis en question les faits en fonction desquels les mandats étaient demandés. Parfois, je n’étais pas d’accord. J’ai interrogé des témoins du SCRS et leur ai demandé : « Sur quoi vous fondez-vous pour dire cela? Pour quelle raison dites-vous cela? » Au final, comme des juges désignés de la Cour fédérale l’ont démontré, de nombreux mandats sont rejetés entièrement ou partiellement.
À ce propos, vous avez raison : qui diable remet en question les faits? C’est l’approche de l’Évangile. Je pense que l’OSSNR le fait très bien dans son récent rapport, et le CPSNR a soulevé la question. La Cour fédérale le fait. En tant que commissaire au renseignement, je fais la même chose. Si vous regardez mes décisions récentes, comme M. Forcese le sait, je rejette des demandes. J’ai dit au SCRS et au Centre de la sécurité des télécommunications : « Non, ce n’est pas suffisant, et je ne suis pas d’accord. » Donc, il y a des institutions qui peuvent remettre les faits en question.
Le sénateur Yussuff : Merci, chers témoins, d’être ici.
Vous jouez tous les deux un rôle unique dans les deux agences dont vous êtes responsables en ce qui concerne vos fonctions. Ce texte de loi accorde de tout nouveaux pouvoirs pour ce qui est de la façon dont nous contestons l’ingérence étrangère au pays et composons avec celle-ci.
Comme vous le savez, les communautés de la diaspora au pays ont été au centre de nombreux débats quant à la façon dont elles se comportent ou ne se comportent pas et à ce que les gouvernements étrangers font pour les influencer. On reconnaît d’une certaine manière que certaines de ces communautés elles-mêmes sont assujetties à l’ingérence étrangère, comme nous le voyons en Colombie-Britannique, où un citoyen canadien a été assassiné par un État étranger.
Compte tenu du rôle que vous jouez à cet égard, comment pouvons-nous combler l’écart dans les communications et les relations à bâtir? Si nous allons protéger le pays, nos citoyens ont un rôle important à jouer. Comment nous assurer que la fausse information et la désinformation au sujet de certaines communautés sont également examinées de manière à ne pas devenir préjudiciables, de sorte que les Canadiens regardent ces communautés d’une manière injuste pour elles, et qu’elles ne puissent pas se défendre?
M. Forcese : Merci d’avoir posé la question, sénateur.
Du point de vue des institutions, je dirais que les gens devraient savoir que l’OSSNR a une fonction de traitement des plaintes. Dans le cadre de cette fonction, nous agissons effectivement comme organe d’enquête quasi judiciaire. Notre mandat en matière de plaintes comprend le SCRS, le Centre de la sécurité des télécommunications et les fonctions de sécurité nationale de la GRC.
Dans les cas où les Canadiens estiment que ces services se sont comportés d’une manière propre à générer une plainte, nous avons le droit, sur réception de la plainte, dans les cas où il y a une activité, de mener une enquête, ce qui comprend l’examen et l’analyse des informations classifiées. C’est la différence entre notre situation et celle d’un tribunal chargé d’un contrôle judiciaire, par exemple. Nous avons un accès complet aux informations classifiées, au personnel et à la capacité pour mener ces évaluations. Il pourrait y avoir des cas qui supposent les types de circonstances que vous avez mentionnées, où les citoyens sont insatisfaits du comportement des services de sécurité en matière d’ingérence étrangère et où notre fonction relative aux plaintes liées au renseignement pourrait être sollicitée.
Le sénateur Yussuff : Je veux revenir à ceci, parce que c’est très important pour que la loi puisse nous aider à composer avec les défis auxquels nous sommes confrontés. Lorsqu’un préjugé est généralisé à l’égard d’une communauté particulière, ce n’est pas seulement une personne qui souffre; toute la communauté souffre. Comme nous l’avons vu pendant toute la période de la COVID, toute la communauté chinoise du pays a été perçue de façon préjudiciable, d’une façon que nous n’avions pas vue depuis des décennies, mais ce n’était pas la première fois. Comment réagissons-nous en tant que pays? Comment répondons-nous aux agences du gouvernement qui affirment que ces questions requièrent toute l’attention nécessaire? Trop souvent, les communautés sont laissées à elles-mêmes pour se défendre. Elles n’ont pas les ressources ni les moyens nécessaires pour savoir comment les agences gouvernementales fonctionnent au pays. Il est regrettable que ces choses arrivent, et je reconnais le rôle important que nous devons jouer pour protéger notre pays contre l’ingérence étrangère.
M. Noël : Nous avons l’impression que notre système est en train de s’effondrer. Ce n’est pas vrai. Il est actif et fonctionnel. L’OSNNR fait son travail. Le CPSNR fait son travail. Les gens se demandent ce qui se passe. Sénateur, il y aura toujours place à l’amélioration. Je suis sûr que l’OSSNR a dans sa poche arrière des suggestions pour modifier la loi, tout comme nous. Mais le système est fonctionnel.
Compte tenu de la publicité faite autour de tout ce qui se passe en ce moment, je vous entends dire haut et fort que certaines communautés sont plus visées que d’autres. C’est une conséquence négative que je constate. J’attends le jour où la sécurité nationale reviendra dans une bonne perspective et ne réagira pas aux situations, comme c’est le cas actuellement.
[Français]
Le vice-président : Merci beaucoup, monsieur Noël.
Le sénateur Dalphond : Bienvenue à nos témoins. Il est certain que ma question s’adressera au juge Noël. Pour les collègues qui ne le connaissent pas, il a siégé dans des affaires en matière de sécurité nationale à la Cour fédérale pendant de nombreuses années, y compris dans des locaux sans fenêtre et bien isolés où l’on ne pouvait pas entendre ce qui se passait dans la salle.
Ma question concerne la protection des renseignements concernant les Canadiens. Je lisais votre rapport annuel, qui est très bien fait et qui résume certains principes que vous avez écrits dans des décisions. En 2023, deux décisions ont été rendues sur la catégorie relative à l’information sur des Canadiens. Vous en avez refusé une et vous avez autorisé l’autre. Dans votre rapport, vous vous posiez la question suivante : est-ce que cela ne serait pas le moment de changer le critère de la décision raisonnable pour adopter un critère plus exigeant à l’égard de la collecte d’information sur les Canadiens, ce qui, en principe, est interdit? Est-ce que vous pourriez nous en dire plus là-dessus? Est-ce qu’il faudrait une modification à la loi pour faire le changement de nom, ou est-ce quelque chose que vous auriez le pouvoir de faire?
M. Noël : Merci, sénateur Dalphond.
Tout revient à la norme de raisonnabilité et au droit administratif. C’est la façon dont on applique la norme de raisonnabilité : on y ajoute non seulement le regard sur la décision prise, mais aussi sur les objectifs du rôle du commissaire. À ce sujet-là, il y a deux éléments que je veux mentionner, monsieur le sénateur. Si je vois qu’il y a un excès de juridiction ou qu’on utilise la juridiction pour d’autres faits, cela peut avoir un impact majeur sur la norme de raisonnabilité.
Deuxièmement, c’est la finale de la Coupe Stanley à Edmonton, donc je me sens un peu comme gardien de but. Lorsque je regarde les données qui sont souhaitées par le SCRS dans leur collecte et que je réalise l’importance de la captation de ces données sur notre vie privée, je considère que c’est aussi ma vie privée. Je n’hésite pas à dire que cela ne fonctionne pas. Encore là, cela a une conséquence sur la décision à prendre vis-à-vis de la raisonnabilité.
Le sénateur Dalphond : Est-ce qu’en général vous trouvez que les réponses des décideurs sont tout à fait en phase avec vos décisions? Est-ce que les gens sont réceptifs et comprennent les limites?
M. Noël : Cela va peut-être vous surprendre. Quand on refuse, il y a deux options : on peut se servir de la voie du contrôle judiciaire ou encore leur demander de faire leurs devoirs. Jusqu’à présent, mon expérience m’a montré qu’ils font leurs devoirs, qu’ils reviennent dans les mois subséquents et qu’ils corrigent un peu la demande qui a été faite à l’origine.
Il faut garder à l’esprit que je suis impliqué dans les décisions au moment où elles se prennent. L’OSSNR, dans son rôle d’office de révision, regarde le tout après les faits. Ils ont publié un rapport en 2023 pour la période de 2019-2022. Ils examinent tout cela et ils nous sont très utiles. De plus, dans mes décisions, s’il y a lieu, je vais me référer à l’OSSNR pour recommander d’examiner certains éléments plus attentivement. Dans l’ensemble, c’est le genre de système qui fonctionne. Plus il évolue — il est tout nouveau, puisqu’il existe seulement depuis 2019 —, mieux il fonctionne.
Le sénateur Dalphond : Merci.
[Traduction]
La sénatrice Dasko : Merci d’être ici aujourd’hui. J’apprends énormément. C’est assez incroyable.
Le projet de loi C-70 créera un registre de l’influence étrangère. J’aimerais comprendre comment l’agence et le bureau vont interagir avec le registre. Il me serait très utile que vous me l’expliquiez, en plus de me fournir des exemples de la façon dont vous pourriez interagir avec la nouvelle organisation. Merci.
M. Forcese : Merci beaucoup de poser la question, sénatrice.
Les modifications prévues dans le projet de loi C-70 comprennent une modification de nos propres lois, qui précisent clairement que le nouveau registre pour la transparence fera l’objet d’un examen par l’OSSNR. Notre tâche sera d’effectuer les tâches que nous accomplissons pour tous les organismes gouvernementaux participant à la sécurité nationale et au renseignement. Nous nous intéressons à la légalité de leur comportement ainsi qu’au caractère raisonnable et à la nécessité de l’exercice de leurs pouvoirs.
En ce qui concerne la façon dont nous précisons l’objectif précis ou le mandat de notre examen, nous avons un formulaire de triage accessible publiquement, pour ainsi dire, qui donne une indication des considérations qui sous-tendent la priorité que nous accordons aux examens. Les questions nouvelles et originales sont l’une des considérations qui déterminent un examen, tout comme les activités à risque élevé. Ce sont des considérations qui stimulent les examens que nous sélectionnons et que nous plaçons dans la pile des examens immédiats.
Étant donné que nous examinerons le registre pour la transparence, il arrivera qu’il fasse l’objet d’un examen à proprement parler ou, à la suite d’une évolution qui a vraiment commencé en 2019, nous pourrons suivre le fil entre les agences. Donc, dans la mesure où il y a un échange de renseignements ou une circulation d’information entre les agences, nous pouvons en faire le suivi pour nous assurer que — cela concerne les préoccupations du sénateur Woo — tout ce qui pourrait être transféré pour soutenir une décision dans sa forme originale appuie cette décision.
La sénatrice Dasko : Est-ce que cela serait fondé sur les plaintes, par exemple, ou s’agirait-il simplement d’un examen régulier des activités du registre, ou toutes ces réponses?
M. Forcese : En principe, cela pourrait être une plainte, même s’il s’agirait plus probablement d’un examen. C’est quelque chose que nous entreprenons nous-mêmes en fonction de nos considérations liées au triage, puis nous établissons la portée de ce que nous examinerons, et effectuons un examen. Il s’agit habituellement d’un exercice d’un an, et l’on produit des rapports. Les rapports sont déposés auprès du ministre responsable. Nous préparons une version caviardée, en collaboration avec le gouvernement, qui est ensuite publiée sur notre site Web.
La sénatrice Dasko : Merci.
M. Noël : Sénatrice, nous n’aurons aucun rôle direct d’aucune façon. J’ai dit plus tôt que la collecte d’ensembles de données pourrait avoir une incidence sur l’ingérence étrangère en tant qu’outil donné au SCRS lorsqu’il enquête, mais nous n’avons rien à faire. Notre travail consiste à examiner les décisions et à décider si elles sont réellement raisonnables.
La sénatrice Dasko : Vous n’auriez donc aucune interaction avec le registre ni aucun lien avec celui-ci?
M. Noël : Non.
La sénatrice Dasko : Monsieur Forcese, pourriez-vous donner un exemple de la façon dont vous interagirez, compte tenu de ce que vous avez dit? Vous décideriez d’entreprendre un examen selon vos critères, et cela supposerait un examen à grande échelle, un petit examen, un examen ciblé? Que regarderiez-vous?
M. Forcese : Il n’y a pas d’approche uniformisée. La portée de l’examen dépend vraiment du sujet.
Dans la pratique, cela consisterait à déterminer que cette entité ou ce sujet mérite un examen. Le sujet peut couvrir plusieurs organismes. Dans certaines circonstances, nous nous concentrerons sur un organisme proprement dit. Nous établirons la question que nous voulons examiner. Encore une fois, l’ampleur des questions peut varier. Nous établirons un mandat, puis nous aurons un accès complet à tous les renseignements, à l’exception des documents confidentiels du Cabinet, en possession ou sous le contrôle des organismes, y compris les renseignements classifiés. Notre installation est un lieu sécurisé, et nous sommes accrédités pour traiter des renseignements classifiés.
La sénatrice Dasko : Vous auriez accès à toute l’information du registre?
M. Forcese : Sous réserve des documents confidentiels du Cabinet. C’est la seule exclusion de notre loi.
Nous produirions par la suite un rapport d’examen qui fait l’objet de nombreuses versions de contrôle de qualité au sein de notre organisation et, en tant que membre au sommet de l’office, nous approuverions le rapport.
L’une de nos obligations dans les circonstances où nous concluons, à notre avis, qu’il peut y avoir eu une violation de la loi — notez le seuil très bas... nous sommes obligés — nous n’avons aucun pouvoir discrétionnaire — d’informer le ministre responsable qui, à son tour, est tenu d’en informer le procureur général. C’est ce qu’on appelle un rapport en vertu de l’article 35. Encore une fois, vous trouverez une description du fonctionnement de ce processus sur notre site Web.
Le sénateur Yussuff : Monsieur Forcese, à la suite de ce que vous avez dit concernant l’examen, permettez-moi de vous poser la question suivante, car cela nécessite une certaine réflexion : vous est-il possible d’examiner les préjugés systémiques dans le cadre d’un examen visant une communauté particulière? Souvent, nous avons tendance à nous concentrer sur les plaintes individuelles lorsque nous examinons ce que font les organismes, mais les préjugés systémiques, comme vous le savez, ont une portée considérable, et leurs conséquences sont très destructrices quant à la façon dont nous créons l’harmonie dans notre société. Avez-vous le pouvoir et l’autorité pour examiner un tel phénomène et, si oui, comment pourrions-nous savoir si votre ministère se penche sur cette question? Compte tenu de la force de notre communauté et de la diversité de notre pays, nous devons constamment être vigilants quant à la manière dont nous faisons naître la solidarité les uns avec les autres pour le plus grand bien du pays et de notre sécurité nationale. C’est une question qui, selon moi, est constamment soulevée et qui nécessite un examen plus approfondi. Je ne suis pas l’expert. C’est vous qui voyez les données et les preuves, et vous avez l’autorité et le pouvoir de les examiner. Il faudra les examiner sous un angle différent, et non sous l’angle particulier que nous examinerions en ce qui concerne votre travail.
Monsieur Noël, je tiens à vous féliciter. D’après ce que j’ai entendu aujourd’hui, je pense que vous serez un excellent ambassadeur auprès de nos diverses communautés du pays pour expliquer la façon dont vous appliquez votre expertise et votre expérience antérieure à la responsabilité des mandats qui vous sont présentés, car la majeure partie de ce que fait le Service canadien du renseignement de sécurité dans ce pays est un mystère.
M. Forcese : Merci de la question, sénateur.
Des questions de préjugés, systémiques et individuels, pourraient surgir dans le cadre d’une fonction relative aux plaintes. En fait, pour les questions touchant la sécurité nationale qui sont portées devant la Commission canadienne des droits de la personne, le gouvernement peut obliger les personnes à se soumettre à notre évaluation avant de retourner devant la Commission des droits de la personne.
Dans le contexte des examens, étant donné que nous sommes une organisation qui veille à l’intégrité et que nous nous concentrons sur le droit, notre évaluation peut soulever une nécessité raisonnable et des questions de préjugés systémiques. Notre évaluation tiendra compte des questions liées à la Charte canadienne des droits et libertés. Tous les services de sécurité sont soumis à la Charte des droits et libertés ainsi qu’aux considérations liées aux droits de la personne. Nous dirions également que les plaintes relevant du droit international des droits de la personne sont visées par l’application du droit aux fins d’une évaluation de la légalité.
M. Noël : Je veux poursuivre. En tant que commissaire, notre bureau s’est fait un devoir de rejoindre les gens dans les communautés, et nous l’avons fait. Nous avons une politique de « la porte ouverte » pour rejoindre les gens.
Beaucoup de choses en matière de sécurité nationale doivent être démystifiées. « Tout va mal; il n’y a rien de bon; aucun professionnel ne travaille là-dessus ». Je suis en désaccord avec tout cela.
Avec votre permission, monsieur le président, je dirais que ce projet de loi n’est pas le meilleur. Je suis d’accord avec M. Forcese. Il y a beaucoup de choses à faire pour l’améliorer, mais c’est mieux que rien. Allons de l’avant et commençons. J’entends haut et fort : « Oh, il faudrait l’envisager sous un angle différent en suivant la définition et des choses du genre ».
Pour ce que ça vaut, la disposition de temporisation pourrait être portée à trois ans au lieu de cinq ans. Je sais que certaines personnes diront que ce n’est pas suffisant, mais c’est un élément de pression que vous ajoutez, alors vous pouvez y réfléchir.
Globalement, les choses bougent au Canada. La situation n’est pas si mauvaise. En 2015, aux États-Unis, au début, on disait : « Mon Dieu. Que se passe-t-il dans ce monde? » Puis 2019 est arrivé, et maintenant nous sommes en 2024, et nous y voilà.
Ma plus grande préoccupation, et je terminerai là-dessus, c’est que, plus nous parlons publiquement de sécurité nationale et divulguons des choses sans le savoir… Savez-vous qui écoute le plus? Les gens de la rue St-Patrick et de la rue Charlotte. Il faut garder nos armes un peu plus près de nous. Il faut être capable d’examiner les choses avec les organismes qui fonctionnent : l’OSSNR et le CPSNR. Protégeons-nous. À mon avis, parler publiquement de sécurité nationale suscite des inquiétudes. Par exemple, si vous dites : « Eh bien, je n’ai aucun problème à la lecture du rapport du CPSNR », vous me dites alors que quelqu’un qui en sait plus de l’autre côté dit : « Oh, nous avons commencé. Cela signifie qu’ils ne l’ont pas compris. » Si nous parlons du seuil d’intervention dans une élection, allons-nous divulguer comment le seuil sera appliqué et dire à nos ennemis : « Hé, voilà comment nous procéderons »? Allons, réveillons-nous et commençons à faire les choses dans l’intérêt de tous les Canadiens.
C’est vraiment mon dernier mot. Allons de l’avant. Le système n’est pas en panne. L’OSSNR l’a démontré. Le CPSNR l’a démontré. Notre bureau le démontre. Allons de l’avant.
Le sénateur Woo : J’aimerais approfondir la question du sénateur Yussuff et vous demander ce que vous pensez de la proposition selon laquelle certains examens doivent porter non seulement sur le cas individuel, par exemple, d’un échec du renseignement, d’un diagnostic erroné ou d’une pure erreur, mais aussi sur la façon dont cet élément de renseignement potentiellement défectueux a des ramifications plus profondes pour toute une communauté. Je fais référence, à mon sens, à certains rapports de synthèse, qui semblent avoir classé certains points de vue sur des questions internationales qui sont considérées comme des menaces à la sécurité nationale ou inacceptables du point de vue de la sécurité nationale et qui les ont présentés de telle manière que cela porte atteinte à la démocratie et nuit aux élections, et cetera, mais qui, au bout du compte, nuit à la capacité des Canadiens de toutes allégeances d’avoir ce point de vue et de l’exprimer lors d’une élection. Il s’agit d’une mission beaucoup plus large qu’un élément particulier de renseignement, comme je l’ai dit, peut-être erroné. Comment procédez-vous dans un tel cas? L’approche sera systémique plutôt qu’individualiste ou particulière?
M. Forcese : Il y aura ou pourrait y avoir des cas où, dans le contexte d’un examen ou d’une plainte, des questions sous-jacentes plus systémiques surgiront. Il peut s’agir de questions de droit, auquel cas, comme je l’ai déjà mentionné, nous avons le pouvoir de soulever ces questions. Dans d’autres circonstances, nous en tenons certainement compte dans nos critères en tant que questions que nous avons constatées, des domaines de vulnérabilité et des sujets de préoccupation, aux fins de la planification du ou des prochains examens. Nous sommes conscients de ces questions. Elles peuvent survenir de différentes manières. Elles peuvent survenir dans le contexte d’une plainte ou d’un examen.
Permettez-moi également de souligner que, dans notre méthodologie et notre culture, nous exerçons un jugement résolument indépendant. Cette indépendance se manifeste dans le fonctionnement du personnel et du secrétariat au sein de notre organisme, ainsi que chez les membres qui constituent l’esprit dirigeant. Notre objectif est de maintenir cette indépendance et d’examiner avec un regard neuf les questions dont nous sommes saisis, et qui pourraient inclure des questions systémiques.
Le sénateur Cardozo : Je voulais connaître votre point de vue sur la question de l’approche qui ne cible aucun pays. Certaines personnes qui ont comparu devant nous ont proposé que la loi nomme les pays. Il me semble qu’il faut laisser cela à la discrétion du commissaire et qu’avec le temps, les pays sur lesquels nous voulons nous concentrer changeront. J’aimerais connaître votre point de vue.
M. Noël : Votre question est pertinente, sénateur.
En 1979, qu’est-ce que c’était? C’était la guerre froide. C’est ce que nous examinions de très près. Nous examinions les lignes téléphoniques, la saisie au clavier et les conversations. C’est ce que nous faisions. Maintenant, les choses ont changé. Cela a évolué au fil des années, et nous voyons principalement trois, ou peut-être quatre, pays différents qui participent activement à la nouvelle technologie et qui l’utilisent dans leur meilleur intérêt, et nous prenons conscience du phénomène. Dans cinq ou dix ans, les choses vont encore changer. La situation va évoluer. Regardez l’intelligence artificielle. Nous ne savons pas dans quoi nous nous engageons avec l’intelligence artificielle. Nous pouvons nous réveiller un jour et dire : « Mon Dieu, où en sommes-nous? Avons-nous cédé le contrôle? »
Les organismes ont la capacité, je pense, d’informer les Canadiens au sujet des pays qui participent activement, ne serait-ce que pour protéger les communautés du Canada. Je pense que cela fonctionne. Certains pays sont actuellement plus attaqués que d’autres, mais je prédis que les choses vont changer.
M. Forcese : Je pense que l’intention de toute loi sur la sécurité nationale est de concilier la nécessité d’un environnement de menace dynamique dont la législation doit tenir compte, d’une part, et la mise en place d’une superstructure suffisante pour préserver la responsabilité à l’égard de l’ensemble de la démocratie libérale canadienne, d’autre part. L’une des garanties d’un tel système — en reconnaissant qu’il faut une certaine souplesse dans la loi — est de donner aux agences comme celles devant vous la capacité d’entreprendre cette évaluation de la façon dont les lois sont appliquées.
Je dirai que l’une des choses sur lesquelles nous avons insisté, outre l’indépendance, est l’idée d’une publication proactive de versions caviardées d’un rapport mis à la disposition du public afin qu’il comprenne ce que nous faisons et sache le sujet sur lequel porte notre examen.
Le message est le suivant : quelle que soit la superstructure de cette loi, nous nous engagerons toujours, en tant qu’organisme d’examen, à examiner attentivement la nécessité, le caractère raisonnable et la légalité de toute agence, encore une fois, avec une ferme volonté de respecter l’indépendance.
Le sénateur Cardozo : Merci.
Le vice-président : Merci. C’est là-dessus que se termine la période prévue avec ce groupe de témoins.
Merci, monsieur Noël, maître Dubois, maître Fugère et monsieur Forcese, d’avoir pris le temps de nous rencontrer aujourd’hui.
[Français]
Cela met fin à notre réunion. S’il n’y a pas d’autres commentaires, je remercie mes collègues et je profite de l’occasion pour remercier nos analystes, notre greffière, les interprètes et tous ceux qui nous ont aidés à rendre cette réunion possible et intéressante.
(La séance est levée.)