LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE LA SÉCURITÉ NATIONALE, DE LA DÉFENSE ET DES ANCIENS COMBATTANTS
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le lundi 23 septembre 2024
Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants se réunit aujourd’hui, à 16 h 32 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi C-20, Loi établissant la Commission d’examen et de traitement des plaintes du public et modifiant certaines lois et textes réglementaires.
Le sénateur Tony Dean (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Avant de commencer, je demanderais à tous les sénateurs et autres participants en personne de consulter les cartes sur la table pour connaître les consignes visant à prévenir les incidents liés aux retours de son. Veuillez tenir votre oreillette éloignée de tous les microphones à tout moment. Quand vous n’utilisez pas votre oreillette, placez-la, face vers le bas, sur l’autocollant placé sur la table à cet effet. Merci à tous pour votre coopération.
Bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants. Mon nom est Tony Dean, sénateur de l’Ontario et président du comité. Plusieurs de nos collègues membres du comité sont aujourd’hui présents. Je les invite à se présenter, en commençant par notre vice-président.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, du Québec
Le sénateur Carignan : Bonjour. Claude Carignan, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Richards : Dave Richards, du Nouveau-Brunswick.
La sénatrice Patterson : Rebecca Patterson, de l’Ontario.
La sénatrice M. Deacon : Bienvenue. Marty Deacon, de l’Ontario.
Le sénateur Cotter : Brent Cotter, sénateur de la Saskatchewan. Je ne fais pas officiellement partie du comité, mais ce projet de loi m’intéresse officiellement au plus haut point.
[Français]
Le sénateur Dalphond : Pierre Dalphond, de la division De Lorimier, au Québec.
Le sénateur Cardozo : Andrew Cardozo, de l’Ontario.
[Traduction]
La sénatrice Omidvar : Ratna Omidvar, de l’Ontario. Je ne fais pas officiellement partie du comité, mais je suis la marraine de ce projet de loi.
Le sénateur McNair : John McNair, du Nouveau-Brunswick. Je remplace aujourd’hui le sénateur Kutcher.
Le sénateur Yussuff : Hassan Yussuff, de l’Ontario.
Le président : Je suis accompagné à ma gauche par Mme Ericka Paajanen, notre fidèle greffière, et à ma droite par M. Ariel Shapiro et Mme Anne-Marie Therrien-Tremblay, nos très compétents analystes de la Bibliothèque du Parlement.
Nous entamons aujourd’hui l’examen du projet de loi C-20, Loi établissant la Commission d’examen et de traitement des plaintes du public et modifiant certaines lois et textes réglementaires.
Avant de commencer, je souhaite vous communiquer une déclaration d’intérêts personnels. Chers collègues, la sénatrice Anderson a fait par écrit une déclaration d’intérêts personnels concernant le projet de loi C-20. La rétractation sera consignée dans le procès-verbal du comité.
Je vous informe également qu’en 2015, notre comité a produit un rapport intitulé Vigilance, reddition de comptes et sécurité aux frontières du Canada, dont la deuxième recommandation prônait la création d’un organisme civil indépendant d’examen des plaintes pour les activités de l’Agence des services frontaliers du Canada, ce qui est exactement l’objet de ce projet de loi. Je remercie mes collègues assis à ma droite de nous l’avoir rappelé.
Pour lancer ces travaux, nous avons le plaisir d’accueillir l’honorable Dominic LeBlanc, ministre de la Sécurité publique, des Institutions démocratiques et des Affaires intergouvernementales, qui est accompagné des fonctionnaires suivants : de Sécurité publique Canada, Randall Koops, directeur général, Politiques internationales et frontalières, Secteur des affaires du portefeuille et des communications, et Philippe Roseberry, directeur, Politiques frontalières, Secteur des affaires du portefeuille et des communications; de la Gendarmerie royale du Canada, Bryan Larkin, commissaire par intérim, Services de police spécialisés, et Alfredo Bangloy, commissaire adjoint, Secteur de la responsabilité professionnelle; et de l’Agence des services frontaliers du Canada, Cathy Maltais, directrice, Direction générale des finances et de la gestion organisationnelle, Direction des recours.
Merci à tous de votre présence aujourd’hui. Plusieurs d’entre vous ont déjà comparu devant le comité, et nous vous en remercions.
Monsieur le ministre LeBlanc, je vous invite maintenant à présenter votre déclaration liminaire, dès que vous serez prêt.
L’hon. Dominic LeBlanc, c.p., député, ministre de la Sécurité publique, des Institutions démocratiques et des Affaires gouvernementales : Merci monsieur le président. Comme les scouts, je suis toujours prêt.
Merci, honorables sénateurs, de m’accueillir à nouveau. Merci d’avoir présenté mes collègues du portefeuille qui m’accompagnent aujourd’hui. J’ai préparé une série de commentaires introductifs d’environ 45 minutes, qu’il me fera plaisir de discuter avec vous.
[Français]
Comme je le disais plus tôt, je suis heureux de me joindre à vous aujourd’hui pour parler du projet de loi C-20.
Ce projet de loi répond à un engagement de longue date d’améliorer le mécanisme de plainte et d’examen de la GRC et d’établir pour la première fois un organe d’examen civil pour l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) par la création de la Commission d’examen et de traitement des plaintes du public (CETPP).
Comme certains d’entre vous s’en souviendront — et vous en avez vous-même parlé, monsieur le président —, les efforts visant à mettre en place un organe d’examen externe pour l’ASFC ont commencé au Sénat, avec l’introduction de deux projets de loi en 2014 et 2015.
Notre gouvernement a ensuite présenté des projets de loi en 2019 et 2020, qui sont morts au Feuilleton et qui auraient apporté des changements similaires à ceux que contient le projet de loi que nous étudions.
[Traduction]
Ce projet de loi, qui s’appuie sur les précédentes propositions législatives du gouvernement, a été peaufiné par le truchement du processus d’étude en comité de la Chambre des communes pour prendre la forme qui vous est soumise aujourd’hui.
Le projet de loi C-20 rehaussera la diversité de la composition de la Commission d’examen et de traitement des plaintes du public (CETPP), de manière à ce qu’elle reflète la population servie; il augmentera la transparence et la reddition de comptes en ajoutant de nouvelles exigences de production de rapports au Parlement; il élargira le mandat de la CETPP aux réservistes de la GRC; il renforcera l’autonomie de la commission en lui accordant un plus grand pouvoir discrétionnaire dans l’exercice de son mandat; il fournira le premier fondement législatif pour la communication de données désagrégées selon la race et la démographie au sujet des plaintes; et il rendra plus accessible le processus de dépôt et d’examen des plaintes.
Le projet de loi fait écho au contenu des rapports et aux propos des experts — y compris, comme vous l’avez mentionné, monsieur le président, les travaux menés en cette chambre depuis plus d’une décennie — et des communautés qui ont connu de nombreuses interactions avec la GRC et l’Agence des services frontaliers du Canada.
De plus, comme vous le savez, notre gouvernement a budgété 112,3 millions de dollars de plus pour allouer à la commission toutes les ressources nécessaires pour s’acquitter de son important mandat.
[Français]
Le projet de loi répond à un appel lancé de longue date par des gens du milieu académique, des organisations de la société civile, le Sénat, comme je l’ai mentionné, et des groupes autochtones en faveur de la création d’un organe d’examen indépendant pour l’ASFC.
Il intègre les recommandations formulées par la présidente de l’actuelle Commission civile d’examen et de traitement des plaintes relatives à la GRC.
Il reflète aussi les recommandations formulées dans le rapport de la Commission des pertes massives de la Nouvelle-Écosse.
Il répond à une décision de la Cour fédérale de 2022 qui a imposé à la GRC des délais plus stricts pour répondre à la commission.
Il répond également aux recommandations formulées par le jury du Bureau du coroner en chef de l’Ontario dans le cadre de l’enquête sur le décès d’une personne immigrante détenue par l’ASFC.
[Traduction]
Honorables sénateurs, il s’agit d’un projet de loi réfléchi et soigneusement formulé. J’ai depuis longtemps perdu l’illusion qu’il faut atteindre la perfection législative, mais nous pensons qu’il s’agit d’un important texte législatif qui chemine depuis longtemps sous diverses versions. Il comble les dernières lacunes de notre cadre civil d’examen des activités d’application de la loi. Après l’ajout de certains amendements au comité permanent des Communes, comme j’ai dit, ce projet de loi a reçu l’appui unanime de la Chambre des communes.
L’examen civil est un élément essentiel de la confiance du public envers la règle de droit. Plusieurs d’entre vous ont beaucoup plus d’expérience que moi pour comprendre les nuances d’un enjeu aussi important, mais j’espère que vous conviendrez avec moi que cette fonction d’examen civil impartial est essentielle à une démocratie saine et à la confiance que les Canadiens accordent à leurs forces policières et à l’Agence des services frontaliers du Canada. J’ai déjà dit, y compris récemment à des hauts dirigeants de la GRC, qu’aucun d’entre nous ne voudrait vivre dans un pays où le public n’a pas confiance à la police nationale ou aux agences d’application de la loi aussi importantes que les services frontaliers. Dans leurs interactions avec la GRC et l’ASFC, les Canadiens attendent et méritent un traitement cohérent, juste et équitable, et ils s’attendent à un mécanisme efficace de reddition de comptes quand ce traitement est remis en question.
J’espère, honorables sénateurs, que cette conversation nous permettra de discuter des façons dont cette loi améliorera la situation actuelle. Bien entendu, il me fera plaisir — ainsi qu’à mes collègues du gouvernement — de travailler avec les membres de votre comité et avec le Sénat. Certains de mes collègues du ministère sont présents ici pour toute la soirée. On me dit que vous leur avez commandé un souper vers 18 heures. Il est très agréable de savoir qu’un lundi soir, vous pourrez les accueillir en si grand nombre et si longtemps. Je vous remercie.
Le président : Merci beaucoup, monsieur le ministre.
Nous allons maintenant passer aux questions. Quatre minutes seront accordées pour chaque question, y compris la réponse. Je vous demande donc de poser des questions courtes, pour permettre le maximum d’interventions. La première question sera posée par notre vice-président, le sénateur Dagenais.
[Français]
Le sénateur Dagenais : En jetant un coup d’œil au fonctionnement proposé de la commission, il y a des procédures semblables à celles d’un processus judiciaire. On parle d’accès à l’information, de délai pour avoir l’information, de contestation possible, etc. Pour le citoyen qui porte plainte, pouvez-vous nous dire quel sera le délai raisonnable pour obtenir une décision? Va-t-il s’embarquer dans un processus qui va durer des années et peut-être lui coûter une fortune en frais d’avocats pour affronter la machine et faire valoir son point de vue?
M. LeBlanc : Merci pour la question, monsieur le sénateur. Vous avez tout à fait raison. On voit à travers le pays des circonstances où les processus judiciaires peuvent être très coûteux et entraînent souvent des délais. Si on pense à un plaignant devant la cour, vous avez totalement raison de soulever cette inquiétude qui devra susciter la discussion entre vous concernant la commission.
M. Koops ou d’autres pourront donner des détails plus techniques, mais une des choses que j’ai constatées lorsque j’ai pris connaissance du projet de loi, c’est que cela donne à la commission une façon de tenir des audiences plus informelles. C’est à la discrétion des commissaires de décider, tout en protégeant le droit de celui ou celle qui va déposer une plainte, de s’assurer que le processus entamé est conforme au jugement de la commission et n’entraîne précisément pas ce genre de délai ou de coûts. Cependant, il y a peut-être d’autres circonstances qui seront plus techniques, où la personne va arriver avec des avocats pour entamer un processus plus important qu’une audience informelle. Par contre, en matière de délai, je ne sais pas s’il y a des prescriptions de délai précis quant au traitement d’une demande.
Monsieur Koops, aimeriez-vous ajouter des informations?
Randall Koops, directeur général, Politiques internationales et frontalières, Secteur des affaires du portefeuille et des communications, Sécurité publique Canada : Pour le traitement d’une demande à la première instance, il y a des échéances qui sont maintenant incluses pour la GRC ou pour l’agence pour ce qui est de répondre à la commission. Comme le ministre l’a dit, la commission aura toujours le droit de suivre des processus moins formels. À ma connaissance, la plupart des plaintes traitées par la commission sont traitées par un processus plutôt informel, mais la commission aura à sa disposition des pouvoirs égaux aux cours fédérales. Cela implique les lois de la preuve et les règlements sur la protection des renseignements personnels des personnes qui ont porté plainte lorsque c’est nécessaire.
Le sénateur Dagenais : Monsieur le ministre, on sait que parfois, votre gouvernement fait des petits écarts par rapport aux projections budgétaires, qui ne sont pas toujours très justes. Pouvez-vous nous dire quel sera le budget total de ce nouvel organisme? Combien faudra-t-il de personnes pour qu’il soit efficace?
M. LeBlanc : Je vous remercie pour la question. Je ne partage pas votre critique surprenante sur le processus budgétaire de notre gouvernement. Cela me surprend énormément que vous croyiez que ce soit le cas.
Je peux vous dire que nous avons octroyé 112 millions de dollars pour l’exercice actuel. Je crois que c’est 19 millions de dollars sur une base récurrente. Nous avons travaillé avec la commission de la GRC en place actuellement. Nous croyons, selon une conversation que le ministère a eue, que cela représente un montant approprié pour donner des outils importants tout en respectant l’importance des fonds provenant des contribuables. C’est une priorité essentielle pour notre gouvernement aussi, sénateur.
Le sénateur Dagenais : Merci beaucoup, monsieur le ministre.
[Traduction]
Le sénateur Cardozo : Merci, monsieur le ministre, de votre présence.
Je prendrai une minute pour vous remercier de votre dernier passage devant nous, pour l’examen du projet de loi C-21. Une des questions alors soulevées — par ma collègue la sénatrice Anderson — portait sur l’absence de contrôleurs des armes à feu dans les trois territoires. Nous vous en avons parlé à l’époque, nous en avons ensuite parlé aux fonctionnaires et nous sommes restés en contact avec vos services — moi-même, la sénatrice Anderson, le sénateur Yussuff et d’autres. Je suis heureux de dire qu’à l’extérieur du processus législatif, vous avez continué de donner suite à ces interventions et apporté ces trois changements. J’aimerais souligner la qualité du travail alors accompli par le Sénat, qui a repéré et vous a signalé un point qui avait échappé à la Chambre, et auquel vous avez réagi. Je vous en remercie.
J’ai deux questions au sujet du projet de loi. Premièrement, est-ce qu’il couvre les services contractuels? Je pense en particulier à GardaWorld et aux autres entreprises qui fournissent divers services. Ces entreprises sont-elles visées par le projet de loi ou demeurent-elles à l’abri de toute surveillance?
Deuxièmement, on entend occasionnellement des histoires; je pense à l’atroce rapport qui est sorti il y a quelques jours — en Colombie-Britannique je crois — sur des choses épouvantables qui se sont produites au sein de la GRC. En bout de piste, on se demande à quoi sert un mécanisme de plaintes si ce genre de situation ignoble se produit de manière aussi flagrante. Est-ce que cela a une quelconque importance?
M. LeBlanc : Monsieur le sénateur, merci de votre question et merci de votre compliment. Je suis d’accord avec vous, il s’agissait d’une collaboration positive entre notre gouvernement et le Sénat. Je vous remercie de l’avoir souligné.
En ce qui concerne GardaWorld ou un autre contractant — et M. Koops me corrigera, je ne veux pas vous induire en erreur parce qu’il s’agit d’un aspect technique; je vois que votre collègue à votre droite acquiesce, alors j’espère que j’ai bien compris. Donc si j’ai bien compris, tout mandataire employé par l’ASFC — par exemple un de ces entrepreneurs privés — serait couvert par ce processus, mais ce ne serait pas le cas des membres civils de la GRC, puisque le processus vise davantage la fonction policière. Le commissaire par intérim Larkin pourra me corriger si je me suis trompé. Je conviens avec vous, monsieur le sénateur, qu’il ne devrait pas y avoir de moyen de faire indirectement ce qu’il est interdit de faire directement, de manière à assurer la transparence, la redevabilité et la fiabilité d’un processus qui s’appliquerait également aux mandataires embauchés à contrat, en particulier par l’Agence des services frontaliers du Canada.
J’ai pris note de vos commentaires, monsieur le sénateur, et de ceux formulés par mon ami Mike Farnworth, ministre de la Sécurité publique et solliciteur général de la Colombie‑Britannique, au sujet de cette situation particulière en Colombie‑Britannique. Vous comprendrez que j’hésite à commenter, lorsqu’un processus de ce genre fait l’objet d’une enquête; et pour donner suite à votre remarque, l’existence d’une solide commission civile indépendante de traitement des plaintes devrait donner aux Canadiens l’assurance que les hommes et les femmes remarquables qui représentent la GRC et l’ASFC le font d’une manière qui respecte les valeurs et l’éthique de leur organisation.
J’ai une grande confiance dans le travail de la GRC et de l’ASFC, et les dirigeants de ces organisations qui m’accompagnent aujourd’hui vous diront également que la confiance des Canadiens est renforcée par le type même de mesure législative dont le Parlement, et maintenant le Sénat, sont saisis. Dans mes conversations avec eux, j’ai été encouragé par l’accueil favorable qu’ils réservent à cette mesure législative appropriée et distincte — ils en parleront certainement eux‑mêmes plus tard durant vos débats —, reconnaissant l’importance de ce que vous avez dit, monsieur le sénateur, et reconnaissant l’importance d’enquêter adéquatement sur une situation comme celle survenue en Colombie-Britannique et d’en éclaircir les faits. Ce type d’agence d’examen fait clairement partie intégrante d’une telle conversation.
[Français]
Le sénateur Carignan : Comme vous le savez, monsieur le ministre, j’ai eu le privilège de remplacer notre ami commun, le sénateur Mockler, comme président du Comité sénatorial permanent des finances nationales. La semaine dernière, nous avons étudié les crédits de certains commissaires, soit la commissaire à l’intégrité du secteur public et la commissaire à l’information du Canada. Les deux commissaires se plaignaient d’un manque de budget, ce qui a pour conséquences un retard dans l’application de la loi, un retard dans les enquêtes et une perte de confiance des fonctionnaires ou du public dans l’accès à l’information. Elles n’étaient pas tendres à l’égard de votre gouvernement; je pourrais vous envoyer les bleus pour une lecture de fin de semaine, mais c’était assez franc comme commentaires.
On a aussi, pour ce projet de loi en particulier, entendu certaines craintes et je suis obligé de croire qu’elles sont fondées. La Fédération de la police nationale, l’Association du Barreau canadien et le Syndicat des douanes et de l’immigration ont tous exprimé des inquiétudes sur l’impact de cette augmentation de charge, sur la question des délais et sur la question des ressources financières qui accompagneront le tout. Avec l’expérience que nous avons avec ces commissaires qui rendent service au public et qui manquent de fonds pour faire leur travail, qu’est-ce qui nous garantit que cet organisme aura les fonds nécessaires? Vous avez fait une évaluation à vue de nez, si je comprends bien, mais cet organisme aura peut-être une multitude de plaintes et une plus grande charge de travail. Quelle garantie avons-nous que les personnes et les commissaires auront les sommes disponibles pour faire adéquatement leur travail?
M. LeBlanc : Merci de votre question, sénateur Carignan. Je partage complètement l’inquiétude que vous exprimez de manière tout à fait logique et appropriée. Je ne serais pas heureux, comme personne autour de la table, si l’on se trouvait dans cette situation avec la nouvelle commission, avec toute la bonne volonté et toutes les promesses qu’offre cette organisation indépendante établie conformément à la loi.
Vous avez fait référence à certains agents du Parlement, et j’ai pris note de cela aussi. Ces agents se plaignent souvent du fait que la demande pour leurs interventions et leurs services n’est pas représentée sous forme d’allocation budgétaire. Je prends bien note de ce commentaire.
J’ai une grande confiance dans les séances d’information que j’ai eues avec mon ministère, la GRC et l’Agence des services frontaliers du Canada. La présidente actuelle de la Commission civile d’examen et de traitement des plaintes relatives à la Gendarmerie royale du Canada qui existe actuellement a indiqué que son budget de fonctionnement entre l’exercice financier de 2023-2024 et celui de 2026 a augmenté de presque 50 %, soit de 49 %. C’est une augmentation de 50 % pour l’organisme actuel.
Dans un monde idéal, il n’y aurait pas de plaintes. On souhaite toujours que le nombre de plaintes diminue. Nous sommes d’accord pour l’affirmer dans ce contexte-là, mais il y a un besoin, pour les raisons déjà énoncées, d’avoir cette fonction établie. Le montant additionnel de 112,3 millions de dollars dans l’horizon fiscal a été ajouté à cause du nouveau projet de loi. De plus, comme je l’ai mentionné, il y a un montant récurrent de 19 millions de dollars. Si l’on constate malheureusement que le nombre de plaintes et la charge de travail augmentent, ce sera à un autre gouvernement, peut-être à notre gouvernement une fois réélu — sénateur Carignan, je sais que c’est ce que vous souhaitez énormément —, ce sera peut-être à nous, dans trois ans, de constater qu’il faut plus de ressources. Je suis sûr que nous et d’autres gouvernements prendrons ces besoins en considération.
Le sénateur Carignan : Il faudra aller à l’église allumer les mêmes lampions, mais pas avec les mêmes vœux, je vous le garantis.
[Traduction]
La sénatrice Omidvar : Je dois malheureusement siéger à deux comités en même temps, alors je vous remercie de votre indulgence.
Monsieur le ministre, cela fait neuf ans, je dirais, que ce projet de loi est promis à la population canadienne. C’est la troisième tentative. Qu’est-ce qui est en jeu pour ce projet de loi à l’heure actuelle, dans ce Parlement, dans le contexte politique actuel?
M. LeBlanc : Madame la sénatrice, je vous remercie de votre question et du travail que vous avez accompli dans cette enceinte pour appuyer les Canadiens et améliorer les projets de loi. Vous avez servi honorablement, d’une manière qui a bonifié le processus législatif de notre pays. Je pense qu’il est important de le reconnaître, et je suis heureux de le faire. Tout aussi important est le travail que vous avez effectué avec mon ministère, avec moi-même et avec mes prédécesseurs au sujet de ce texte législatif.
Madame la sénatrice, vous avez cerné ce que j’essayais de communiquer dans mes remarques préliminaires, conscient du respect que nous devons au processus législatif. Nous ignorons combien de temps durera la législature actuelle. J’espère clairement — tout comme le sénateur Carignan — que nous serons ici jusqu’à la tenue d’une élection à date fixe en octobre de l’année prochaine. Si par malheur ce n’était pas le cas et que le Parlement était dissous, ce serait alors une occasion manquée, comme vous l’avez dit, et c’est notre gouvernement qui en serait responsable. Un projet de loi est mort au Feuilleton quand les élections de 2019 ont été déclenchées, et ensuite également quand la législature suivante a été dissoute. Cette législature, dans le contexte de la COVID, a peut-être été plus compliquée, mais le projet de loi est effectivement mort au Feuilleton pour une deuxième fois.
Je pense que les Canadiens, pour les raisons que j’ai évoquées et que vos collègues ont très bien exprimées, se réjouiraient de la création par voie législative d’une commission moderne et indépendante habilitée à recevoir les plaintes concernant la police nationale et, pour la première fois, l’Agence des services frontaliers du Canada. Je ne crois pas que les Canadiens comprennent l’importance du rôle que joue l’ASFC, quotidiennement et partout au pays, dans le domaine de la sécurité nationale et de l’application des lois. J’ai beaucoup appris sur l’excellent travail que l’ASFC a accompli et continue d’accomplir. Selon moi, nous ne comprenons pas instinctivement l’importance de cette organisation et les pouvoirs très étendus dont elle dispose pour protéger les Canadiens, mais aussi, par ricochet, nous ne comprenons pas l’obligation de l’assujettir à un processus adéquat d’examen civil et indépendant, comme c’est le cas de la GRC depuis longtemps. Il s’agit d’une lacune, une lacune que cette législation saura combler, je l’espère. Ce projet a pris naissance ici même il y a plus de dix ans, en 2014 et 2015, dans les projets de loi d’intérêt public du Sénat, qui correspondent, si je ne m’abuse, à nos projets de loi d’initiative parlementaire.
La sénatrice Omidvar : C’est l’ancien sénateur Wilfred Moore qui l’avait fait.
M. LeBlanc : Un grand Néo-Écossais, ancien maire adjoint de Halifax.
La sénatrice Omidvar : J’espère qu’il écoute.
Vous avez parlé de perfection et d’imperfection. C’est la nature même des lois. Ce projet de loi a été considérablement amélioré dans l’autre chambre. Des amendements ont été votés et approuvés aux Communes. Que pensez-vous des améliorations apportées par le Sénat?
M. LeBlanc : Je comprends certainement l’esprit de la question.
D’après mes collègues qui ont travaillé au sein du comité des Communes et, certainement, d’après les conversations du comité du Cabinet chargé des opérations que je préside et où le sénateur Gold est en permanence invité, nous avons essayé, de notre côté du processus, de prendre en compte les rapports de votre comité et les autres travaux menés par le Sénat. Nous avons tenté — le sénateur Gold peut en parler davantage — d’avoir un processus collaboratif et inclusif.
Madame la sénatrice, je n’ai pas la prétention de dire à cette assemblée comment traiter les projets de loi, mais soyons honnêtes avec nous-mêmes. Qui est responsable de cette situation? Un peu tout le monde est probablement à blâmer. Nous avons une occasion unique d’améliorer très sensiblement cet enjeu, mais avec des délais potentiellement rapprochés. À mes yeux, sans vouloir substituer mon jugement au vôtre, il serait malheureux à ce moment précis que la perfection soit l’ennemi du bien. Une législature ultérieure pourrait également revoir cette loi et la bonifier à un autre moment. Nous semblons disposer d’un créneau favorable qui est étroit, et j’espère franchement que nous trouverons collectivement un moyen d’en profiter. Merci d’avoir soulevé ce point.
Le président : Merci, monsieur le ministre.
La sénatrice M. Deacon : Merci à tous de votre présence aujourd’hui. Nous l’apprécions au plus haut point. Je vais limiter mes questions parce que je souhaite laisser du temps à mes collègues qui sont invités.
Cette nouvelle commission a le pouvoir de demander des documents et des dossiers dans le cadre de ses enquêtes, même si les agences d’application de la loi peuvent décliner ces demandes à condition d’en donner la raison. Si je comprends bien, à l’heure actuelle, en vertu de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, un refus de divulguer des renseignements protégés peut être renvoyé à un ancien juge pour un examen indépendant.
J’ai deux questions à ce sujet. Si ce projet de loi est adopté, est-ce que cette disposition demeurera inchangée dans la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada? Existera-t-il une disposition similaire pour l’ASFC si elle refuse de divulguer des documents?
M. LeBlanc : C’est une excellente question, madame la sénatrice.
J’apprends ici quelque chose que je n’avais peut-être pas compris auparavant, mais je pense que la personne la mieux placée pour répondre serait le commissaire par intérim M. Bryan Larkin, et Mme Maltais de l’ASFC voudra peut-être ajouter quelque chose, avec votre permission, monsieur le président. M. Larkin a hâte de répondre à vos questions, et il serait dommage de ne pas pouvoir entendre tonner sa voix à notre table.
Bryan Larkin, commissaire par intérim, Services de police spécialisés, Gendarmerie royale du Canada : Merci, monsieur le ministre.
Par votre intermédiaire, monsieur le président, je répondrai à la sénatrice Deacon qu’elle a raison. La disposition resterait en place. Toutefois, sur cette question, nous croyons franchement, en fait nous en sommes convaincus, que le système de traitement des plaintes du public fonctionne bien et sert bien le public quand la GRC coopère. Dans certains cas très particuliers, il se peut qu’en raison d’un privilège de non-divulgation pour des raisons opérationnelles ou dans la cadre d’une enquête, on refuse la divulgation de documents pour ne pas porter préjudice à l’issue de l’enquête ou à une enquête en cours, ou pour garantir une équité procédurale dans une affaire en cours.
Cela dit, je tiens à réaffirmer que la GRC accueille favorablement le projet de loi C-20. Nous l’approuvons. Nous pensons qu’il renforcera la démocratie et la surveillance civile de la Gendarmerie royale du Canada. En bref, il y a encore quelques lacunes à combler et quelques défis à relever. Cependant, nous croyons que nous sommes bien mieux servis quand nous coopérons. Nous entretenons des relations positives et continues avec la commission d’examen.
La sénatrice M. Deacon : Merci.
Pour l’Agence des services frontaliers du Canada, est-ce que cette disposition s’appliquera à l’avenir? Vous ne l’avez pas pour l’instant?
M. Koops : Le projet de loi est conçu de manière à faire en sorte que la commission ait un accès maximal à l’information, tout en protégeant les types de renseignements auxquels la commission ne devrait pas avoir accès, comme les documents confidentiels du Cabinet, les documents de sécurité nationale ou certains types d’informations relevant du secret professionnel de l’avocat. En fin de compte, si la commission se fait refuser l’accès à des informations, le commissaire de la GRC ou le président de l’ASFC doit en fournir les raisons par écrit, et en dernier ressort, le ministre peut au besoin ordonner à l’administrateur général de l’une ou l’autre des agences de se conformer à la demande.
La sénatrice M. Deacon : Merci.
Rapidement, vous avez parlé de « sécurité nationale » à la fin de votre réponse. Je vous en remercie, car je voulais vous poser une question à ce sujet. On peut lire ce qui suit à l’article 52(8) du projet de loi :
La Commission refuse d’examiner toute plainte concernant des activités étroitement liées à la sécurité nationale...
Pouvez-vous expliciter un peu plus les mots « étroitement liées à la sécurité nationale », et quelles pourraient en être les balises? Si vous ne pouvez pas, d’accord, mais je me demandais vraiment ce que l’expression voulait dire.
M. LeBlanc : C’est là encore une question importante. Je vais vous donner ce que je pense être une réponse partielle, que mes collègues MM. Koops ou Larkin voudront peut-être compléter.
Dans ce contexte, comme vous le savez très bien, il y a l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement, présidé par un ancien juge de la Cour suprême, et il y a également le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement. Cela a été reconnu dans les briefings qu’on m’a donnés et dans les conversations que j’ai eues au sujet de certaines opérations sensibles de sécurité nationale. Le sous-commissaire Larkin m’a informé de certaines des opérations de sécurité nationale très réussies menées ces dernières semaines par les partenaires de la GRC. Je pense qu’on craint de mettre en lumière ces opérations, ou d’empiéter sur le champ d’activité des autres organismes de surveillance.
Est-ce que M. Koops ou M. Larkin voudraient ajouter quelque chose?
Le président : Nous reviendrons à eux plus tard, car je souhaite aller au bout de la liste d’intervenants. Désolé de vous interrompre.
Le sénateur Richards : Merci de votre présence.
Je partage certaines des préoccupations de la sénatrice Deacon, mais j’adresserai cette question à M. Larkin ou au ministre LeBlanc, ou à quiconque souhaite y répondre.
Bien sûr, nous sommes tous au courant des révélations visant la GRC en Colombie-Britannique la semaine dernière, et des conversations proprement odieuses tenues par certains de ses membres dans une salle de clavardage concernant des individus, dont certains lui demandaient de l’aide. C’est tout à fait déplorable. Considérant le travail qu’ils accomplissent, je me demande à quel point l’accumulation du travail effectué au fil des ans peut en partie expliquer cette insensibilité totale, et s’il peut s’agit d’un symptôme de colère et de syndrome de stress post-traumatique. Si c’est le cas, est-ce que cette commission pourra un jour insister sur l’importance d’une aide psychologique pour ces gendarmes ou ces policiers, et l’examiner? Comme sept membres de ma famille sont des policiers ou des juges, je tiens beaucoup à ce que ce projet de loi soit bien conçu. Merci.
M. LeBlanc : Merci monsieur le sénateur. Je sais que votre sœur a été juge en chef adjointe de la Cour provinciale de notre province, et qu’elle y a accompli un travail remarquable.
Je sais également, d’après ce que j’ai observé au sein de la Fédération nationale des policiers et de la direction de la GRC — vous avez parlé des services psychologiques et des services de santé mentale —, qu’il s’agit là d’un énorme défi pour la GRC et les autres organisations chargées d’appliquer la loi. Je pense qu’on a beaucoup investi dans les services et dans les façons permettant de venir en aide aux femmes et aux hommes qui font ce travail, mais aussi dans la compréhension et l’acceptation du fait que cela doit faire partie intégrante d’une agence moderne d’application des lois. Je suis rassuré par l’accent qui a été placé sur certains des soutiens en santé mentale dont vous avez parlé.
En ce qui concerne les circonstances particulières qui ont été évoquées, et qui me troublent vraiment tout autant que vous, monsieur le sénateur, je laisserai M. Larkin nous donner le point de vue de la GRC elle-même.
M. Larkin : Merci, monsieur le ministre.
Par l’intermédiaire du président, je vous remercie de votre question.
Tout d’abord, je commencerai par répéter la teneur d’une discussion que le commissaire et tous les cadres supérieurs ont eue vendredi quand cette histoire de 2019 a été rendue publique. C’est tout simplement inacceptable. Les commentaires sont odieux, ils sont bouleversants. Même si nos membres font manifestement un travail difficile dans des circonstances difficiles, un tel comportement est inexcusable. Je tiens à souligner qu’il y aura équité procédurale, et que cette affaire fera l’objet d’une audience sur le code de conduite prévue pour février 2025. Vous savez que notre organisation demande le renvoi des personnes impliquées. Nous prenons ces questions très au sérieux. Depuis, nous avons beaucoup travaillé à l’interne sur notre culture, sur la gestion du bien-être, sur le soutien à apporter à nos membres, sur le recrutement et sur d’autres enjeux. Les commentaires sont tout simplement indéfendables. Nous prenons ces questions très au sérieux.
Ce projet de loi permettra notamment de faire des examens systémiques. Pour ce qui est de savoir si les plaintes du public font émerger différents défis, ou des problèmes de milieu de travail observés par nos membres, ce serait potentiellement l’occasion d’envisager la tenue d’examens systémiques dans notre organisation.
Je répète que c’est préoccupant, au point que, vendredi, le commissaire Duheme a diffusé à l’échelle de toute l’organisation un message concernant la situation, mettant en relief le travail que nous faisons actuellement sur le plan culturel et rappelant à tous nos membres le code de déontologie, notre engagement et les valeurs éthiques que nous avons réaffirmés en partenariat avec l’ensemble du gouvernement du Canada au cours des 12 derniers mois.
Encore une fois, je présente mes excuses les plus sincères à tous les Canadiens. Toutefois, je tiens aussi à reconnaître dans ce cas particulier que notre code de conduite et notre processus disciplinaire fonctionnent. Nous tenons ces membres responsables. Cela étant dit, il y a une équité procédurale. J’arrête là mes observations. Merci de votre attention.
Le sénateur Richards : Merci.
Le sénateur Yussuff : Merci, monsieur le ministre, et merci à vous tous d’être ici.
En vertu de l’article 65 du projet de loi C-20 :
Les conclusions et les recommandations énoncées dans le rapport final de la Commission [...] sont définitives et ne sont pas susceptibles d’appel ou de révision en justice.
La question que je me pose est la suivante. Le projet de loi devrait-il être modifié pour permettre l’appel ou la révision en justice proposés par la Commission d’examen et de traitement des plaintes du public et, dans la négative, pourquoi?
M. LeBlanc : Sénateur, je vous remercie de votre question. Elle est importante.
J’ai également pris note de cette disposition particulière. Là encore, ce sont des éléments techniques du droit administratif. Qui est l’autorité définitive? M. Koops peut vous donner une réponse précise à ce sujet.
M. Koops : Cela relève du principe de conception et, selon ce principe, la commission n’est pas l’autorité définitive. La commission présente des recommandations au ministre. Elle présente des recommandations au président de l’ASFC et au commissaire de la GRC. En fin de compte, les administrateurs généraux de ces organisations prennent et mettent en œuvre des décisions en fonction de ces recommandations. Dans l’intérêt de la création d’un système de révision rapide et aussi plat que possible, si vous voulez, l’interposition d’une couche de révision en justice éventuelle sur une recommandation qui n’est pas la décision définitive va à l’encontre du principe de révision rapide et de l’idée que la révision en justice doive viser le décideur définitif — que ce soit l’administrateur général ou, à l’occasion, le ministre —, plutôt qu’un organisme qui examine simplement la question, a le pouvoir de faire une recommandation, mais n’a pas le pouvoir de prendre des décisions exécutoires.
Le sénateur Yussuff : Permettez-moi de poursuivre là‑dessus.
Essentiellement, après avoir attendu si longtemps ce projet de loi qui devrait responsabiliser ces deux institutions pour leurs actions et leur comportement, nous avons maintenant une commission dont l’unique travail est de faire des recommandations. Et vous semblez penser que c’est suffisant, plutôt que de dire en fin de compte : voici les conclusions et ce que nous attendons de vous.
Finalement, ce que les Canadiens veulent, c’est que nous disposions d’un mécanisme qui oblige ces deux agences à rendre des comptes. Dans l’ensemble, l’ASFC et la GRC, la majorité de leur personnel, font un travail exemplaire. Nous n’avons pas besoin de plaintes. Il est arrivé souvent que le comportement d’un petit groupe de personnes au sein de l’organisation enfreigne certains des principes les plus fondamentaux d’équité de notre démocratie et de notre Charte.
Nous avons maintenant une commission que nous interposons ici et dont l’unique responsabilité est de formuler une recommandation. Comment pouvons-nous être sûrs que cette commission donnera aux Canadiens ce qu’ils veulent après avoir attendu si longtemps que ce projet de loi voie le jour?
M. LeBlanc : Sénateur Yussuff, je vous remercie de cette question.
Vous avez reconnu certains des exemples alarmants que nous avons vus. J’ai été rassuré par la réponse du commissaire Larkin à la question du sénateur Richards. Nous devrions tous être réconfortés par le fait que le commissaire par intérim de la GRC ait répondu à l’exemple qui a été évoqué plus tôt. Pour moi, c’était important.
Je crois comprendre, sénateur, que c’est un principe fondamental de reddition de comptes, que nous ne cherchons pas... Tout d’abord, dans le processus actuel de la commission civile des plaintes contre la GRC, l’an dernier, 88 % des recommandations ont été mises en œuvre. Je ne pense pas que nous devrions donner l’impression qu’il n’y a pas de circonstance où, dans le cas de l’actuelle commission civile des plaintes contre la GRC, le commissaire est responsable devant moi de son travail à la tête de l’organisation. Il y a une reddition de comptes publique.
Comme je l’ai dit, les dirigeants de la GRC ou de l’ASFC me disent souvent que le public soutient ces organisations et qu’il est important de maintenir la confiance du public. De toute évidence, si une commission indépendante dotée de ressources importantes et de solides protections dans la loi formule des recommandations qui ne sont pas mises en œuvre par la haute direction chargée de demander des comptes à ces personnes, la confiance des Canadiens qu’ils veulent honorer n’est pas validée.
Je comprends votre question, sénateur. Je suis convaincu, tout d’abord, que les recommandations et le travail de cette commission seront solides et importants. Je pense que les responsables de l’Agence des services frontaliers ou de la GRC seraient bien avisés de prendre ce travail au sérieux. Je suis convaincu que c’est le cas.
En fin de compte, le président de l’ASFC ou le commissaire de la GRC seraient responsables de leur propre processus disciplinaire. Nous ne voudrions pas, par inadvertance, déléguer cela à une commission indépendante sans comprendre les exigences en matière de droit administratif qui découleraient d’un tel changement.
Le sénateur Boehm : Merci, monsieur le ministre.
J’aimerais que vous partiez de la dernière question du sénateur Yussuff. En tant qu’ancien bureaucrate, je sais qu’il faut beaucoup de temps, lors d’un changement organisationnel ou de tout autre changement, pour que les organisations travaillent ensemble. Si je me souviens bien, étant en poste à Washington au moment du 11 septembre, notre propre ASFC a été mise en place rapidement parce que les Américains avaient créé à l’époque un ministère correspondant, le Homeland Security. Quelles sont vos attentes en tant que ministre en ce qui concerne le niveau de collaboration et de coopération que vous souhaiteriez voir en place maintenant qu’une commission des plaintes va être créée? Je sais qu’il se passe beaucoup de choses. Cela ajoute un autre degré d’urgence, et je dirais de reddition de comptes, à la fois à la GRC et à Sécurité publique Canada.
M. LeBlanc : Sénateur Boehm, je vous remercie de votre question. Je suis heureux de vous voir cet après-midi.
Quand vous dites « collaboration », parlez-vous de la collaboration entre les organismes, ou entre les organismes et la commission?
Le sénateur Boehm : Dans les trois sens.
M. LeBlanc : La commission étant l’un des trois sens.
Le sénateur Boehm : Oui.
M. LeBlanc : C’est une question fondamentale, et vous avez raison.
J’ai réfléchi. La création de l’Agence des services frontaliers a été en grande partie le résultat du Homeland Security Department créé après le 11 septembre, ainsi que de la commission du Congrès américain. Je me suis entretenu avec le secrétaire Mayorkas, responsable des douanes et de la protection des frontières des États-Unis, et c’est certainement une question qui retient l’attention aux États-Unis à l’heure actuelle. Il m’a expliqué l’origine de ce problème dans son propre contexte aux États-Unis. Je suis heureux que vous ayez soulevé cette question. J’ai trouvé cela intéressant.
Mes instructions au président de l’ASFC et au commissaire de la GRC, en supposant que cette loi reçoive la sanction royale, seront de collaborer très rapidement et très efficacement, en reconnaissant exactement, sénateur Boehm, le défi que vous avez souligné quant à la création d’une nouvelle organisation et de changements organisationnels. La bonne nouvelle, c’est que le projet de loi prévoit une continuité : le président actuel du processus de plaintes civiles de la GRC restera en fonction jusqu’à ce que la nouvelle commission soit nommée.
Je suis également un ministre qui rend compte d’une autre fonction au Bureau du Conseil privé. Je vois là régulièrement le sous-ministre chargé de la gouvernance. Je veux m’assurer qu’il travaille avec les dirigeants de la GRC et de l’ASFC le plus efficacement possible.
En supposant que cette loi reçoive la sanction royale, les Canadiens ne comprendraient pas pourquoi, un nombre « X » de mois ou d’années plus tard, le gouvernement n’a pas nommé les commissaires — c’est notre responsabilité, le processus de nomination par décret —, mais les agences, comme vous l’a dit le commissaire adjoint, ont hâte de voir cette loi mise en place. Je n’aurai de cesse de les encourager à être aussi efficaces que possible. Il est dans notre intérêt à tous de mettre en place cette loi le plus rapidement possible.
Le sénateur Boehm : Merci.
La sénatrice Patterson : J’aimerais revenir sur les questions de la sénatrice Deacon et du sénateur Richards concernant les renseignements protégés et plus particulièrement les alinéas 17f) et g) en ce qui a trait aux renseignements médicaux. D’autres ministères ont des employés qui travaillent dans des environnements très particuliers comme celui-ci. Lorsqu’il y a un accès généralisé aux renseignements médicaux, parce qu’ils accèdent, en tout ou en partie, à un dossier médical complet, c’est-à-dire à des dossiers cliniques, en particulier sur la santé mentale, je me demande comment la Loi sur la protection des renseignements personnels va changer pour faire cela et comment l’ASFC et la GRC vont être en mesure de le contrôler. Nous avons des exemples où cet accès généralisé aux dossiers médicaux d’une personne par une commission, sans contraintes clairement énoncées, peut dissuader les membres de demander des soins de santé mentale.
M. LeBlanc : Sénatrice, je vous remercie d’avoir soulevé cette question.
Ce serait, comme vous le dites, une bien triste ironie que les membres ou les personnes qui travaillent à l’ASFC que j’ai rencontrées, comme je l’ai dit dans une réponse précédente, et qui comprennent l’importance de pouvoir faire leur important travail de façon saine, si nous créons directement ou indirectement un élément qui les dissuade de chercher l’aide dont ils ont besoin, une aide médicale professionnelle. C’est une situation médicale comme une autre, et nous ne voulons pas créer, pour toute une série de raisons historiques, une sorte d’hésitation à cet égard. Cela leur enlèverait le sentiment de sécurité, amènerait leurs collègues à ne pas se sentir en sécurité et rendrait le pays moins sûr si cela se perpétuait.
En ce qui concerne la protection des renseignements médicaux de nature délicate, M. Koops pourra peut-être vous répondre en détail, et si ce n’est pas le cas, M. Larkin avait l’air de chercher quelques notes également, alors il pourra peut-être le faire aussi.
M. Koops : Madame la sénatrice, la protection des renseignements personnels et la protection des renseignements médicaux, ainsi que le cadre solide permettant cette protection, faisaient partie des principes de conception initiaux. Si vous le permettez et si vous le souhaitez, nous pourrons vous revenir avec les dispositions précises après que le ministre aura quitté la table, et en parler alors plus en détail.
Le sénateur Cotter : Merci, monsieur le ministre, d’être présent.
Je soutiens le projet de loi, et je suis heureux de voir une approche étendue, recentrée et modernisée, mais j’ai pour vous une question que je pense être profondément philosophique, et j’aimerais la poser en deux parties. Ce n’est pas un piège, mais une explication de la question générale.
Le projet de loi actuel permet à la commission de continuer à exercer principalement une fonction de révision, en examinant les enquêtes de la GRC et de l’ASFC sur les plaintes, par opposition à une fonction d’enquête exercée principalement par un organisme indépendant. Cela impose des exigences importantes à la GRC et au personnel des services frontaliers. Ma première question est la suivante : combien d’années-personnes la GRC a-t-elle dû consacrer aux enquêtes sur ses propres membres, et combien d’années-personnes en sera-t-il de même pour les agents de la sécurité frontalière?
Si je pose d’abord cette question, c’est que cette approche d’examen des services de police et des services frontaliers est de plus en plus en contradiction avec les approches adoptées dans l’ensemble du pays en ce qui concerne la surveillance des agences de services policiers. Michael Tulloch a réalisé un examen approfondi en Ontario — il est aujourd’hui juge en chef de la Cour d’appel de l’Ontario — qui a approuvé davantage et validé un modèle d’enquêteurs indépendants. Les chefs de police de la Saskatchewan ont fait pression sur moi, lorsque j’occupais d’autres fonctions, et sur le gouvernement de la Saskatchewan pour que soit créée une agence indépendante chargée des affaires graves, parce qu’ils étaient surchargés par les besoins des enquêtes sérieuses. En outre, les enquêteurs coûtent généralement moins que les agents de la GRC, ce qui permet de réduire les coûts, premièrement; deuxièmement, les agents de la GRC et les professionnels de la sécurité des frontières peuvent faire ce pour quoi ils ont été formés, ne pas enquêter sur d’autres policiers, mais faire leur travail de maintien de l’ordre et de la paix, et troisièmement, grâce à ce modèle, on s’éloigne du souci largement répandu selon lequel la police mène des enquêtes sur la police. Pourquoi n’aurions-nous pas opté pour un modèle axé sur l’enquête plutôt que sur l’examen?
M. LeBlanc : Sénateur, ce sont des questions très importantes.
En ce qui concerne le nombre d’agents de l’ASFC ou de la GRC, les heures-personnes ou la façon dont on mesure ce travail, nous n’avons pas ces renseignements ici, mais je m’engage à les communiquer rapidement au comité en ce qui concerne les ressources actuelles de la GRC, ou même de l’ASFC, qui font enquête actuellement à l’interne sur ces questions. Je serais heureux de communiquer ces informations au comité dès que possible.
Sénateur, je trouve votre question très judicieuse en ce qui concerne la différence de philosophie entre un organisme d’examen et un organisme d’enquête indépendant. Vous l’avez résumée comme je n’aurais pas su le faire. J’ai noté, dans certaines circonstances tragiques récentes, la situation de la GRC, y compris dans votre province et dans d’autres... évidemment, dans le cas de la mort d’une personne aux mains de la police, il y a, à juste titre, un examen indépendant complet. Depuis longtemps, il s’est agi d’une enquête menée par un service de police externe. Je pense que c’est là une observation ou une distinction importante.
Monsieur Koops, voulez-vous répondre à la question du sénateur en ce qui concerne un organisme d’examen par rapport à un organisme ayant une fonction d’enquête? M. Larkin pourrait peut-être répondre lui aussi. C’est une très bonne question et je veux m’assurer que vous recevez la bonne réponse. Je ne veux pas en improviser une.
M. Koops : Cela correspond tout à fait aux premiers principes de conception de l’organisme tels qu’ils sont présentés dans le projet de loi, à savoir que l’organisme n’est pas destiné à entreprendre des enquêtes criminelles ni à présenter des affaires à la Couronne. Il n’est pas destiné à remplacer l’unité d’intervention structurée provinciale, l’Équipe d’intervention en cas d’incident grave de l’Alberta ou une sorte d’organisme qui...
Le sénateur Cotter : Je ne veux pas vous interrompre, monsieur Koops, mais je parle des enquêtes sur les plaintes. Le modèle et la tendance au Canada sont que des agences indépendantes examinent des plaintes, et ne procèdent pas seulement à des enquêtes criminelles. Cette philosophie semble aller à l’encontre des tendances recommandées, par exemple, par le juge en chef de l’Ontario.
M. Koops : Cet organisme aurait le pouvoir de procéder à des enquêtes sur les plaintes. Il pourrait les entreprendre en première instance s’il était dans l’intérêt public de le faire. Ce pouvoir discrétionnaire revient à la commission.
Dans le cas d’affaires impliquant une infraction éventuellement criminelle, des lésions corporelles graves ou la mort, l’agence contre laquelle la plainte est déposée serait obligée de renvoyer ces affaires au service de police local, de les confier, à juste titre, à la police du territoire de compétence. Ce projet de loi comprend un tel cadre concernant les incidents graves pour l’ASFC. Il reflète le cadre des incidents graves que la Loi sur la GRC contient déjà, à la seule différence près que l’ASFC n’est jamais la police du territoire de compétence, de sorte qu’il n’est pas nécessaire d’aplanir une hiérarchie de compétences policières conflictuelles.
M. LeBlanc : M. Larkin voulait ajouter un autre exemple en ce qui concerne les agressions sexuelles.
M. Larkin : Merci, monsieur le ministre.
Par votre intermédiaire, monsieur le président, je pense que la notion d’indépendance est extrêmement importante. D’une certaine manière, nos conclusions et nos recommandations sont transmises à l’actuelle Commission civile d’examen et de traitement des plaintes relatives à la GRC, ou CCETP, qui les examine. Je crois bien qu’elle approuve notre enquête dans environ 80 % des cas. Il y a donc un élément d’indépendance.
Vos observations sont judicieuses. Comme l’a indiqué M. Koops, ce n’était pas le but de ce dialogue et de ce débat, mais je tiens à rappeler à tout le monde que, dans toutes les provinces, tout incident criminel ou toute allégation d’agression sexuelle fait l’objet d’une enquête par un organisme indépendant. À partir de là, en fonction des conclusions, on procéderait à une enquête sur le code de conduite de la GRC. Nous attendrions les résultats de cette enquête, ces conclusions, et nous les mettrions en œuvre. Mais je comprends bien votre prémisse, sénateur Cotter.
[Français]
Le sénateur Dalphond : Je vais conclure sur un autre projet de loi qui est lié à l’Agence des services frontaliers du Canada et à la Loi sur la protection de la vie privée des consommateurs ainsi qu’au traitement que les Canadiens peuvent recevoir lorsqu’ils passent la frontière pour entrer au Canada. C’est le projet de loi S-7, qui a été présenté au Sénat en mars 2022 et renvoyé à la Chambre des communes en octobre 2022 et qui, depuis ce temps, en est toujours à l’étape de la première lecture. Est-ce que le gouvernement est vraiment intéressé à protéger la vie privée des Canadiens?
M. LeBlanc : Encore là, je ne connais pas tous les détails. Je sais qu’il y a eu une décision des tribunaux, mais je ne veux pas improviser.
Le sénateur Dalphond : Il y en a deux, en Alberta et en Ontario...
M. LeBlanc : Absolument.
Le sénateur Dalphond : ... qui ont invalidé le système actuel.
M. LeBlanc : J’ai assisté à certaines discussions au sein des comités du Conseil des ministres; c’est plutôt mon collègue le procureur général et ministre de la Justice qui pourrait répondre à votre question.
Je serai heureux de m’assurer que vous ayez ces renseignements; je ne veux pas improviser une réponse.
Monsieur Koops, avez-vous quelque chose à ajouter?
[Traduction]
M. Koops : Comme vous l’avez dit, sénateur, le projet de loi a été envoyé à l’autre endroit. Dans l’intervalle, il y a eu une série de litiges sur ce point et des décisions récentes que le gouvernement prendra en compte pour déterminer la marche à suivre.
[Français]
Le sénateur Dalphond : Est-ce que ça ne rend pas urgent pour le gouvernement de faire adopter une loi qui aurait des normes nationales qui s’appliqueraient à l’intérieur du pays au lieu d’avoir un système fragmenté, où il y a l’Alberta, l’Ontario et les autres provinces?
M. LeBlanc : C’est un défi, c’est certain, avec l’actuel projet de loi S-7. Le défi n’est pas unique à ce champ de compétence. « Patchwork quilt », « système fragmenté », choisissez les mots que vous voulez, c’est souvent votre province qui insiste pour avoir ces différences.
Je comprends bien, dans le contexte d’un projet de loi sur la vie privée dans le droit criminel, que c’est exactement ce qu’il ne faut pas avoir.
Je vais m’assurer que vous ayez une réponse plus complète que ce que je pourrais improviser ici.
Je vois que votre président nous indique que nous allons passer à une autre étape et que vous serez obligés d’entendre mes collègues, qui seront à la table longtemps.
[Traduction]
Le président : Très bien interprété, monsieur le ministre. Merci beaucoup.
Chers collègues, nous arrivons au terme de notre entretien avec le ministre. Monsieur le ministre, je vous remercie d’avoir passé du temps avec nous et d’avoir répondu avec franchise à des questions très difficiles. Vous gérez des portefeuilles importants et significatifs en notre nom et au nom de tous les Canadiens. Vous avez fait allusion à un autre portefeuille aujourd’hui, et nous vous remercions pour cela et pour le travail que vous accomplissez. Au nom de mes collègues du comité, je tiens à vous en remercier et à vous souhaiter bonne chance pour la suite. C’est avec grand plaisir que nous vous reverrons une prochaine fois au comité.
M. LeBlanc : Sénateur, je vous remercie de vos aimables paroles. La prochaine fois, nous pourrions peut-être nous rencontrer de façon plus informelle. Dans une demi-heure, je serai avec des collègues du comité de la Chambre des communes. Je les ai invités à venir boire une bière et manger une pizza dans mon bureau ministériel de la rue Laurier. Ce n’est pas comme la salle à manger du président de la Chambre ou la nourriture qui y est servie. Sénateur Dean, c’est avec plaisir que j’aurais l’occasion, dans les semaines à venir, d’avoir une conversation informelle avec vous. Je serais ravi de vous accueillir pour une bière et une pizza à Sécurité publique Canada. J’accepterais également une invitation de votre président à venir dîner avec ceux d’entre vous qui seraient intéressés par une occasion informelle. J’espère que nous pourrons trouver une occasion dans les semaines à venir, avant que nous ne soyons trop avancés dans cette session. Je le fais avec des collègues de l’autre endroit, mais il serait intéressant de pouvoir le faire avec des collègues intéressés de cet endroit. Je serais heureux de travailler avec votre bureau pour trouver le moyen approprié de le faire.
Le président : Monsieur le ministre, merci.
Sénateurs, des représentants de l’ASFC, de la GRC et de Sécurité publique Canada ont accepté de rester pour répondre à vos questions. Au cours de la dernière heure, nous avons entendu l’honorable Dominic LeBlanc, ministre de la Sécurité publique, des Institutions démocratiques et des Affaires intergouvernementales. Nous poursuivrons notre période de questions avec des représentants de Sécurité publique Canada, de la GRC et de l’Agence des services frontaliers du Canada.
La sénatrice M. Deacon : Je vais revenir à ce dont je parlais tout à l’heure pour vous donner l’occasion de préciser l’expression « étroitement liée ». Nous parlions de l’examen d’une plainte concernant une activité étroitement liée à la sécurité nationale et des paramètres qui peuvent changer dans ce cas. J’ai eu l’impression qu’il y avait peut-être un peu plus à dire à ce sujet.
M. Koops : Je vous remercie de nous avoir accordé quelques instants pour que nous puissions vérifier que nous disposons de tous les éléments nécessaires pour répondre à la question.
Le principe général du projet de loi est que la commission n’interviendra pas dans le domaine de la sécurité nationale, car le Parlement a récemment mis en place deux autres organismes à cet effet, à savoir l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement, ou OSSNR, et le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement, ou CPSNR. Le projet de loi prévoit que la commission n’a pas accès aux renseignements relatifs à la sécurité nationale, mais il prévoit également qu’il ne peut y avoir de chevauchement ni d’écart entre elle et l’OSSNR. Cela signifie, selon le projet de loi, que les deux organes doivent prendre toutes les mesures raisonnables pour coopérer l’un avec l’autre. La Commission d’examen et de traitement des plaintes du public doit renvoyer les questions de sécurité nationale à l’OSSNR. Comme l’a dit M. Larkin, le mécanisme d’examen fonctionne mieux lorsque les organismes collaborent. En fin de compte, sur la base de ces principes, on peut s’attendre à ce qu’il n’y ait pas de conflit.
Vous avez raison, le projet de loi ne définit pas les renseignements relatifs à la sécurité nationale. Différents types de renseignements sur la sécurité nationale figurent dans le projet de loi et différentes catégories de renseignements, mais ceux-ci ne sont pas définis dans la Loi sur l’OSSNR non plus. Dans une large mesure, ce sont des questions de pratique et d’expérience. Il serait difficile de les définir étant donné la nature délicate et changeante de ces genres de renseignements.
Le projet de loi prévoit que la commission et l’une ou l’autre agence ou les trois entités peuvent conclure des protocoles d’entente sur la manière de traiter ce genre de renseignements, là encore partant du principe selon lequel il est préférable qu’elles le fassent de leur propre chef. En fin de compte, le gouverneur en conseil a également le pouvoir de prendre des règlements pour délimiter le renvoi des plaintes entre les trois organismes et délimiter le traitement des renseignements qui parviennent à l’un, mais seraient mieux traités par l’autre.
La sénatrice M. Deacon : Merci.
J’ai encore une question à poser. Je pense que c’est plaisant que des Canadiens nous posent des questions et s’intéressent aux projets de loi et aux différents scénarios. Ma question fait suite à une conversation que j’ai eue.
Les articles 52 et 38 imposent un certain nombre de restrictions sur les personnes qui peuvent déposer une plainte et sur le genre de plainte qui peut être déposée. J’ai cru comprendre que des tiers pouvaient déposer une plainte, mais, par exemple, l’alinéa 52(1)b), énumère une série d’exceptions à cette règle. Une simple question hypothétique a été posée : si je suis sur un trottoir et je vois un agent de la GRC traiter avec une personne dans la rue d’une manière que je juge peut-être brutale ou dangereuse, pourrais-je déposer une plainte au nom de cette personne?
M. Koops : N’importe qui peut déposer une plainte. La décision d’accepter ou non la plainte revient à la commission. Le pouvoir discrétionnaire qui a été accordé à la commission vise à garantir que le commissaire n’est pas inondé de plaintes venant de personnes qui ne sont pas directement impliquées, qui n’ont peut-être pas d’intérêt dans le résultat, qui ont peut-être observé quelque chose à la télévision, entendu quelque chose de troisième main ou tiré une conclusion à partir de quelque chose qui a été vu dans les médias sociaux. En fin de compte, cependant, lorsque cela relève de la compétence de la commission, celle-ci a le pouvoir discrétionnaire de déterminer si elle souhaite donner suite à une plainte ou non — un pouvoir discrétionnaire complet dans le cadre de son mandat, un pouvoir discrétionnaire restreint à l’intérieur des limites du mandat.
La sénatrice M. Deacon : Je vous remercie d’avoir répondu à cette question. Je vous en suis reconnaissante.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Ma question s’adresse à M. Larkin.
On sait que le Canada est un grand territoire. Les plaintes peuvent venir de partout. Je reprends votre question. Collaborer pour répondre aux plaintes exigera combien de personnes au sein de la GRC? Quel sera le budget? Croyez-vous que les dépenses se feront uniquement à l’interne à la GRC, ou devez-vous prévoir des budgets pour les experts externes, comme des avocats pour défendre vos policiers et policières?
M. Larkin : Merci, monsieur le sénateur Dagenais. M. Bangloy est responsable de tout ce qui a trait à notre service de gendarmerie. Je vais lui transférer la question. Il va faire la demande aujourd’hui. La chronologie changera aussi d’un an à deux ans. On ne connaît pas l’impact de cet aspect.
Monsieur Bangloy, avez-vous de l’information sur la demande de service?
[Traduction]
M. Alfredo Bangloy, commissaire adjoint, Secteur de la responsabilité professionnelle, Gendarmerie royale du Canada : Je vous remercie de votre question.
Si je comprends bien, la question portait sur le fait de savoir si nous aurions besoin de ressources supplémentaires pour mener les enquêtes.
Dans le cadre du processus actuel, je crois comprendre qu’elles se poursuivraient avec la nouvelle agence. La majorité des plaintes sont instruites par des agents de police de la GRC en première ligne dans les différentes provinces, et cela se poursuivrait dans le cadre du nouveau projet de loi. Il se peut que les besoins en ressources augmentent, étant donné que la période au cours de laquelle une plainte peut être déposée passe d’un an à deux ans, et nous devrons l’évaluer au fur et à mesure. Toutefois, on peut imaginer que la plupart des personnes qui souhaitent déposer une plainte le feront probablement dans les 12 mois, de sorte que nous ne savons pas si cela aura un impact en augmentant le nombre de plaintes. J’espère avoir répondu à votre question.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Ma prochaine question s’adresse à Mme Maltais.
Madame Maltais, l’Agence des services frontaliers du Canada n’est pas couverte par l’actuelle Commission civile d’examen et de traitement des plaintes relatives à la GRC, mais cela n’a sûrement pas empêché des citoyens de contester certaines de vos actions.
Pourriez-vous nous dire quels sont les changements internes que votre inclusion dans ce nouveau processus de traitement des plaintes va entraîner?
Devrez-vous rafraîchir la formation de votre personnel en fonction de cette nouvelle commission de traitement des plaintes? Allez-vous devoir faire de la formation supplémentaire pour votre personnel?
Cathy Maltais, directrice, Recours, Agence des services frontaliers du Canada : Merci pour la question, monsieur le sénateur.
On a un système de traitement des plaintes à l’Agence des services frontaliers du Canada qui est en place depuis 2011, avec des normes que l’on croit assez robustes. On contacte le client à l’intérieur de 14 jours et on conclut l’enquête à l’intérieur de 40 jours dans 80 % des cas, quand on peut.
Comme à la GRC, ce sont les gens de la gestion de première ligne qui vont s’occuper de la formation — quand c’est là que cela se passe. Il est certain qu’il y aura plus de formation avec les changements à la loi, parce qu’il y aura des échanges qui vont se faire avec la commission. En ce moment, cela se fait juste à l’ASFC. On répond au client et cela s’arrête là. Dans le contexte, il y aura le commissaire et les gens auront la possibilité d’aller à la commission pour dire : « Non, je ne suis pas satisfait. » Il y a des choses dans la loi qui changent, comme les notifications.
Il est certain qu’il y a un ajustement à faire. Les 14 jours et les 40 jours vont changer, évidemment, parce qu’il y a autre chose qui entre en jeu. Cependant, gérer des plaintes fait partie des descriptions de tâches de toute la gestion au sein de l’Agence des services frontaliers du Canada; ce n’est pas quelque chose de nouveau.
Il suffira d’ajuster les techniques pour s’assurer qu’on respecte vraiment tous les points. Cela fait cinq ans que je travaille là‑dessus; je travaille avec la commission et la GRC pour qu’on profite de ce qu’ils ont déjà mis en place. Nous avons déjà amélioré nos procédures et bâti des systèmes pour être prêts à travailler lorsque le projet de loi sera adopté.
Le sénateur Dagenais : Merci beaucoup, madame.
Le sénateur Carignan : Ma question porte sur la possibilité que le ministre demande à un ancien juge d’étudier les éléments de sécurité nationale.
À l’heure actuelle, lorsqu’on refuse de donner des renseignements pour des questions de sécurité nationale, en vertu de l’article 45.41 de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, le ministre peut demander à l’ancien juge de faire des recommandations et d’étudier la question. Dans le processus actuel, cela disparaît. Si la GRC ou l’Agence des services frontaliers du Canada considère que c’est une question de sécurité et que cela pourrait enfreindre ou nuire à la sécurité nationale, on ne donne pas l’information. Il n’y a pas de mécanisme prévu comme celui qui existe dans la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada actuellement. Pourquoi supprimer ce mécanisme?
M. Koops : Effectivement, monsieur le sénateur, cela ne figure pas dans le projet de loi actuel.
Le principe sur lequel la loi a été rédigée était de donner aux administrateurs généraux des agences la possibilité de prendre eux-mêmes une décision sur la disponibilité des renseignements privilégiés pour la commission au lieu d’avoir recours à un juge dans une telle situation.
Il incombe à l’administrateur général de l’agence de fournir des raisons pour sa décision. La commission peut faire un suivi de la question avec les agences ou avec le ministre. Cependant, il est vrai que cela n’est pas prévu dans le projet de loi que vous étudiez maintenant d’ajouter une autre étape avec un juge ou un recours pour faire une révision de ces décisions.
Le sénateur Carignan : Pourquoi avait-on cela avant et pourquoi l’enlève-t-on? Est-ce quelque chose qui a mal fonctionné, donc on décide d’enlever le recours au juge?
Il me semble que c’est le contraire de la transparence si on enlève des possibilités à la commission ou au plaignant.
M. Koops : À ma connaissance, ce processus n’était jamais utilisé — et mes collègues me confirment que c’est bien le cas —, donc ce n’était pas nécessaire. Comme l’a expliqué mon collègue, les relations avec l’écosystème de l’examen des plaintes fonctionnent beaucoup mieux quand on travaille dans un esprit de collaboration et de coopération.
J’aimerais souligner quand même, monsieur le sénateur, que le gouverneur en conseil aura toujours le droit de prendre des règlements sur les questions de partage d’information. Si nécessaire, le gouverneur en conseil peut formuler des règlements pour établir des règles de partage des renseignements entre des agences opérationnelles et l’agence responsable des plaintes.
Le sénateur Carignan : Mon autre question porte sur l’article 69, qui dit ceci :
Lorsqu’il détermine s’il fait une recommandation au titre des articles 67 ou 68, le président de la Commission tient compte des facteurs réglementaires.
On parle donc de mesures disciplinaires. Quels sont les facteurs réglementaires? On les prend où?
M. Koops : Les facteurs réglementaires seront contenus dans les règlements pris par le gouverneur en conseil, conformément à l’article 80. Cela n’est pas actuellement dans le projet de loi. C’est un des champs d’activité où le gouverneur en conseil aura le droit de prendre des règlements pour établir des règles du jeu, disons. En faisant cela, le gouverneur en conseil aura la flexibilité nécessaire pour répondre aux changements dans le milieu opérationnel qui existe entre la commission et les agences.
[Traduction]
La sénatrice Patterson : J’aimerais revenir sur ma question concernant la manière dont vous envisagez de gérer les renseignements médicaux, surtout parce que la Loi sur la protection des renseignements personnels est assez restrictive à cet égard.
Deuxièmement, elle parle de l’accès aux renseignements en tout ou en partie. J’ai besoin de comprendre ce qu’une commission de personnes non médicales ferait d’un dossier médical complet, sachant, d’après ce qui est écrit, qu’elle y aurait accès. Comment protéger la vie privée des gens? Cette question est liée à l’équité procédurale pour les agents de la GRC et de l’ASFC. Quel en sera l’impact sur la Loi sur la protection des renseignements personnels? Je pose la question parce qu’il devrait y avoir des changements.
M. Koops : La conception du régime concernant les renseignements protégés est conforme aux protections qui sont accordées à ces renseignements en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels, mais dans ce cas, elles sont accompagnées d’une protection et d’une spécificité supplémentaires.
Comme vous l’avez souligné, les renseignements médicaux sont particulièrement considérés comme faisant partie d’une catégorie de renseignements protégés. Les renseignements protégés sont les renseignements qui reçoivent la plus grande protection dans le cadre de la procédure de plainte. Dans le cas de la GRC, la Chambre des communes a précisé en particulier que les renseignements médicaux incluent les renseignements relatifs à la santé mentale. Selon le processus, pour que ces renseignements soient portés à la connaissance de la commission, celle-ci devra en faire la demande. L’administrateur général de l’agence pourrait décider de les fournir ou non et, en cas de refus, en donner les raisons.
Le projet de loi prévoit des protocoles d’entente entre les agences et la commission, non seulement sur les renseignements à échanger, mais aussi, dans le cas de renseignements confidentiels, sur les principes et les procédures de protection de ces renseignements. Le paragraphe 87c) prévoit également des dispositions réglementaires.
Les protections qui en découlent se trouvent à plusieurs endroits dans le projet de loi. À l’article 24, vous constaterez qu’il existe des protections explicites concernant l’utilisation de ces renseignements par un tiers — des interdictions explicites, plutôt. À l’article 26, on précise qu’il y a des limites à l’utilisation de ces renseignements, que celle-ci doit être conforme aux fins pour lesquelles ils ont été recueillis. Enfin, l’article 27 contient des dispositions explicites sur la divulgation. Toutes ces dispositions ressemblent à celles que l’on trouve dans la Loi sur la protection des renseignements personnels pour les renseignements personnels généraux, mais dans ce cas-ci, elles sont adaptées aux besoins précis de ce contexte. Enfin, je voudrais faire remarquer que l’article 91 précise l’infraction criminelle que représente la divulgation de renseignements protégés dont la commission a eu connaissance dans le cadre d’une plainte.
Mes collègues de la commission seront peut-être plus à même de vous expliquer au cours de l’heure qui suit comment ils utilisent ces renseignements lorsque ceux-ci entrent en leur possession dans le cadre d’une enquête.
La sénatrice Patterson : Merci.
Le sénateur Richards : Je vous remercie de nouveau de votre présence.
Ma question est semblable à celle de la sénatrice Patterson. Je me demande s’ils ont une information quelconque sur l’état mental de certains agents de police. Si les actions de l’agent de police sont présentées à une commission aujourd’hui, il est plutôt tard pour obtenir l’ensemble des preuves psychologiques. La commission n’a pas constaté, disons sur une période de 10 ans, à quel point la santé psychologique de certains membres de la GRC doit s’être altérée en raison d’un traumatisme ou d’un syndrome de stress post-traumatique. Je ne prends pas le parti des mauvais acteurs de la GRC, mais je dis simplement qu’une commission chargée de traiter cette question n’a peut-être aucune idée de ce que cet agent de la GRC a vécu pendant 10 ans, et obtenir son profil psychologique après coup revient à fermer la porte de l’écurie après que le cheval s’est enfui. Je me demande comment la commission traitera cette question, ou si même elle la traitera.
M. Koops : Sénateur, avec votre indulgence, je pense qu’il vaudrait mieux que la commission réponde à cette question dans l’heure qui suit en ce qui concerne... je ne connais pas personnellement le genre de renseignements médicaux qui leur seraient divulgués. Je ne sais pas si la GRC a des observations à faire à ce sujet à partir de sa pratique de traitement des plaintes du côté des forces de l’ordre.
M. Bangloy : Rien en ce qui concerne le traitement des plaintes. Cependant, en ce qui concerne notre procédure disciplinaire, la question peut être soulevée par l’avocat du membre concerné pour sa défense. Parfois, il y a aussi des témoignages d’experts, si cela s’avère pertinent pour la défense du membre concerné par les actions pour lesquelles il fait l’objet de mesures disciplinaires.
M. Larkin : Par votre intermédiaire, monsieur le président, il s’agit certainement d’une observation importante. Je suis d’accord avec mon collègue, M. Koops, pour dire que la commission devra probablement expliquer davantage comment elle gère ces renseignements délicats.
J’apprécie vos observations sur les traumatismes, et certains des comportements que nous observons parfois sont souvent le reflet d’autres défis et problèmes et seraient des circonstances atténuantes. Je pense qu’il s’agit de trouver le bon équilibre. Comme l’a indiqué le commissaire adjoint Bangloy, c’est un élément que nous considérons comme une circonstance atténuante dans toutes les décisions prises au sein de l’organisation, y compris dans la manière dont nous travaillons.
Encore une fois, nous continuons à franchir de nouveaux seuils en ce qui concerne le bien-être des employés et notre culture, et il est crucial que nous ne perdions pas de vue l’importance de continuer à soutenir nos membres. La police est une profession très exigeante et difficile. Il ne fait aucun doute qu’après plus de 30 ans, le comportement et la vision de la société s’en ressentent. Cela ne veut pas dire que nous n’acceptons pas et ne tolérons pas certains comportements, mais cela peut parfois être un facteur atténuant. J’anticipe vivement la coopération de notre organisation avec la commission sur la manière de gérer et de naviguer ces aspects. Comme nous y avons fait allusion, il y a des possibilités de protocoles d’entente sur la manière dont nous partageons les renseignements.
Je tiens à réaffirmer notre engagement à voir le succès... Si cette loi est adoptée, le commissaire Duheme et de la haute direction ont pour engagement d’adopter et de renforcer le travail que nous réalisons. Nous pensons que cela aura des conséquences positives sur la confiance des Canadiens quant à la qualité du service que nous fournissons.
Le sénateur Richards : Merci.
Le sénateur Boehm : Je pense que cette question s’adresse à Mme Maltais. En mai dernier, ce comité a examiné la section 39 de la partie 4 du projet de loi C-69, la Loi d’exécution du budget, et ce fut une séance très émouvante. Au cours de cet examen, plusieurs témoins ont soulevé des préoccupations concernant l’absence d’un organisme de surveillance dans le contexte du fonctionnement des postes d’immigration, ainsi appelés, au sein des établissements correctionnels fédéraux, notamment pour la détention des personnes à risque élevé sur le plan de l’immigration.
Avec l’adoption de ce projet de loi — et, bien sûr, cette autre disposition a été adoptée et est déjà en vigueur —, les personnes détenues pour des raisons liées à l’immigration seraient-elles en mesure de déposer des plaintes contre les agents de l’ASFC travaillant dans les établissements correctionnels fédéraux? Quelles mesures précises et concrètes seraient prises pour garantir un traitement rapide de ces plaintes? Comment proposez-vous d’adapter vos procédures internes? Je suppose que vous avez déjà procédé à la mise en œuvre, mais est-ce que cela nécessiterait un ajustement supplémentaire?
Mme Maltais : Oui, c’est certainement possible. Aujourd’hui, tout détenu peut se plaindre de la conduite de l’ASFC. Il en sera de même où qu’ils se trouvent. Je sais que l’on débat encore de l’endroit où cela se passe, mais oui, en vertu du projet de loi C-69, les détenus peuvent absolument se plaindre de la conduite de l’ASFC. Le projet de loi C-20 précise également que l’ASFC doit informer les détenus de leur droit de porter plainte. Ils seraient informés de la manière de procéder, comme c’est généralement le cas aujourd’hui dans les lieux de détention. Oui, nous serions prêts. Nous le faisons aujourd’hui. Ils se plaignent quand ils veulent, de nos jours. C’est aussi parfois par l’intermédiaire des ONG qu’ils se plaignent. Ils ne se plaignent pas toujours eux-mêmes. Si j’ai bien compris, cette possibilité leur serait également offerte dans les postes d’immigration.
Pour ce qui est de la rapidité d’exécution, d’après ce que je comprends de la loi, les plaintes passeraient par la commission, qui les transmettrait ensuite à l’ASFC. Les délais resteraient les mêmes qu’aujourd’hui. Nos délais sont assez rapides, aujourd’hui. Avec l’ajout d’une commission, nous devrons examiner les étapes supplémentaires qui sont en place.
Le sénateur Boehm : Très bien. La seule question à laquelle vous n’avez pas répondu — et c’est probablement la plus difficile — est : cela signifie-t-il que vous aurez besoin d’un plus grand budget et de plus de personnel?
Mme Maltais : Je ne peux pas répondre à cette question pour le projet de loi C-69 parce que je m’occupe surtout du projet de loi C-20...
Le sénateur Boehm : Si le projet de loi C-20 est mis en œuvre, est-ce que cela signifie que vous aurez besoin de plus de ressources?
Mme Maltais : Pour gérer les plaintes? Nous le faisons déjà. C’est la responsabilité de la direction de gérer les plaintes, c’est dans leurs descriptions de tâches actuelles. Comme le ministre l’a mentionné plus tôt, des fonds sont prévus pour aider l’ASFC à mettre en place, par exemple, des systèmes de communication avec la commission. Nous devrons assurer la formation, et nous devrons superviser l’examen et ce genre de choses. Il y aura une certaine quantité de fonds. Nous devrons voir, lorsque tout sera opérationnel, comment ils seront utilisés et s’ils sont suffisants ou non.
Le sénateur Boehm : Merci beaucoup.
Le sénateur Cardozo : Je me demande si vous pourriez nous parler de la transition et de la mise sur pied d’une nouvelle commission. Je regarde la partie 8 du projet de loi, à partir de l’article 113, qui dit que le gouverneur en conseil fixera une date. Supposons que le gouverneur en conseil fixe la date du 1er janvier de l’année prochaine. Que se passera-t-il alors? Je crois savoir que les commissaires restent en place et que les dossiers actifs sont transférés à la nouvelle commission. Les commissaires qui sont actuellement en place ont-ils un mandat qui va au-delà, disons, du 1er janvier, et le personnel sera-t-il maintenu ou de nouveaux commissaires entreront-ils en fonction? Devrez-vous former le personnel de la commission pour qu’il puisse traiter les plaintes provenant de l’ASFC? Diffèrent-elles de celles que vous recevez actuellement de la GRC? La GRC et l’ASFC formeront-elles du personnel à la mise en œuvre d’une nouvelle loi? Je m’excuse, cela fait beaucoup de choses. Il y a de nombreux détails dans la transition.
M. Koops : Je reviendrai, si vous le permettez, sur une réponse concernant les principes de conception du projet de loi. Il s’agissait d’assurer la plus grande continuité possible dans la transition.
Dans le cas de la GRC, toutes les plaintes existantes sont maintenues. Toutes les procédures existantes sont maintenues. Les nominations, le mandat des personnes nommées par le gouverneur en conseil à la commission actuelle sont transférés à la nouvelle commission. Le droit des personnes de déposer une plainte auprès de la commission ne commence pas ou ne repart pas à zéro avec la création de la nouvelle commission. Il ne s’éteint pas avec la disparition de l’ancienne commission.
C’est un peu différent dans le cas de l’ASFC parce qu’il n’y a pas d’organe d’examen indépendant existant. Dans le cas de l’ASFC, vous constaterez que des plaintes peuvent être déposées rétroactivement, de sorte qu’une fois la commission mise en place — et c’est également vrai dans le cas de la GRC —, des plaintes rétroactives peuvent être portées à son attention. Je suppose que l’ASFC exige que son personnel reçoive une formation sur la manière de traiter avec l’agence. Je suppose que l’agence aura également besoin de formation. Elle est probablement la mieux placée pour répondre à cette question.
Le sénateur Cardozo : Je me demande si Mme Maltais pourrait parler de la formation que vous prévoyez pour votre personnel.
Mme Maltais : Comme je l’ai mentionné plus tôt, nous gérons déjà les plaintes, de sorte que, dans l’ensemble, il existe déjà un processus de traitement des plaintes à l’ASFC. Nous aurons besoin d’une formation plus technique sur les différents éléments que la loi ajoute à notre processus actuel et, pour nous, à l’administration centrale, l’échange de renseignements avec la commission et l’échange de plaintes. Il y a un certain nombre d’étapes différentes qui n’existent pas aujourd’hui. Il s’agit davantage, je dirais, des renseignements que nous devrons diffuser à tout le monde sur la manière de mettre à jour le processus. Nous avons procédé à des mises à jour au cours des cinq dernières années, et nous aurons donc de moins en moins de choses à faire une fois que le projet de loi aura été adopté.
Le sénateur Cardozo : Une autre question brève : êtes-vous d’avis que la commission a encore du travail à faire en ce qui concerne les plaintes, surtout en ce qui a trait au racisme et au sexisme systémiques qui sont omniprésents dans certains de ces organismes?
M. Larkin : Eh bien, il est certain que du point de vue de la GRC, le projet de loi C-20 permettra ces examens systémiques. Nous accueillons favorablement l’examen externe et indépendant. Notre organisme a fait l’objet de plusieurs examens externes. En particulier, je pense que l’un des bienfaits de ce projet de loi est que, si l’on pense aux rapports annuels et aux tendances dans les plaintes du public, il fournira à la commission un courant sous-jacent sur lequel opérer et mener une série d’examens systémiques qui lui seraient utiles pour corriger le cap ou relever les défis culturels au sein de l’organisme ou, très franchement, mettre à jour les pratiques de formation et les possibilités de perfectionnement professionnel au sein de l’organisme. Nous pensons que c’est l’un des points forts du projet de loi, en offrant à la commission la possibilité d’effectuer ce travail en toute indépendance.
M. Koops : Si vous me le permettez, sénateur, le projet de loi en tant qu’outil comprend également, comme le ministre l’a dit, la première apparition dans le texte d’une loi fédérale de références à des données raciales et démographiques ventilées. Cela permettra de recueillir et de communiquer au ministre et au Parlement, pour la première fois, des renseignements sur l’identité des communautés, qu’il s’agisse d’identité raciale ou autre, de façon systématique, organisée et cohérente. Le cycle des rapports au Parlement dans son ensemble sera enrichi par la connaissance de l’expérience des communautés dans leurs relations avec la police et les forces de l’ordre, en particulier les communautés qui ont eu des relations avec les forces de l’ordre qui ne sont pas fondées sur la confiance. Il s’agit d’un outil que le Parlement peut utiliser pour demander des comptes au ministre et que ce dernier peut utiliser plus efficacement pour orienter les efforts des organismes dans la lutte contre le racisme systémique et pour veiller à ce que les services d’application de la loi répondent aux besoins de toutes les communautés qu’ils servent.
Le président : C’est un ajout important.
Le sénateur Yussuff : J’ai deux questions. La première fait suite à la question de mon collègue, le sénateur Boehm. Elle concerne le projet de loi C-69 et la section 39 sur l’hébergement de détenus pour des raisons en lien avec l’immigration dans des établissements fédéraux. Il vous a interrogé explicitement sur les plaintes contre les agents de l’ASFC. Or, nous avons compris dans l’étude de ce projet de loi que les services d’autres organismes seront retenus, notamment des agences privées, et il pourrait s’agir de GardaWorld ou d’autres agences de sécurité. Le projet de loi C-20 engloberait-il également les plaintes contre les personnes travaillant pour le gouvernement fédéral dans ces établissements? Est-ce qu’ils seraient sujets à l’examen de plaintes par la commission?
Mme Maltais : Le Service correctionnel du Canada et l’ASFC travaillent actuellement à déterminer le mécanisme le plus approprié, car le projet de loi C-20 pose des problèmes de calendrier. Si le projet de loi C-20 n’est pas adopté avant cela, il faudra s’assurer qu’un autre mécanisme est en place pour couvrir toutes les plaintes. Un mécanisme sera en place, c’est une certitude. La question qui se pose actuellement est la suivante : quel mécanisme utilisera-t-on? Ce n’est pas ma spécialité. Ce sont les experts du projet de loi C-69 qui s’en occupent. Il est certain que cela englobe ces plaintes, et c’est le cas aujourd’hui. Nous travaillons actuellement avec des employés de GardaWorld qui travaillent pour l’ASFC, et ces plaintes seraient traitées selon ce qui est prévu pour les employés de l’ASFC, afin qu’on puisse porter plainte contre eux dans nos centres de détention actuels.
Le sénateur Yussuff : En outre, ce projet de loi sera relativement nouveau. De toute évidence, il tente d’accomplir de nombreuses choses en matière de surveillance. Quelle est la capacité du Parlement à revoir ce projet de loi après une période raisonnable pour s’assurer qu’il est efficace et qu’il atteint l’objectif qui, encore une fois, a été longtemps recherché par de nombreux organismes, mais aussi par des personnes qui ont fait valoir que nous avons besoin de cette surveillance et que nous en avons besoin depuis longtemps?
M. Koops : Monsieur le sénateur, le projet de loi ne précise pas de période d’examen. Il laisse au Parlement la possibilité de le faire comme il l’entend. Cependant, le projet de loi comprend de nombreuses exigences élargies en matière de rapports. Le rapport annuel de la commission au Parlement comprendra une reddition de comptes, comme l’ont recommandé la Commission des pertes massives de la Nouvelle-Écosse et d’autres organismes spécialisés, sur ce qu’elle a fait des recommandations qui lui ont été faites par la commission. Le ministre présente à son tour ce rapport au Parlement, de sorte qu’il y aura, chaque année, un rapport plus riche, plus approfondi et plus détaillé au Parlement, non seulement sur les recommandations de la commission, mais aussi sur ce que les organismes ont fait de ces recommandations et sur l’état d’avancement de leur mise en œuvre.
Le sénateur Yussuff : En tant que parlementaires, pour nous assurer que ce nouvel organisme fonctionnera de manière appropriée et obtiendra les résultats que nous recherchons, et j’imagine que nous en déciderons au sein du comité, serait-il approprié pour nous de recommander que, bien sûr, ce projet de loi soit revu dans un délai raisonnable pour s’assurer qu’il est efficace et qu’il atteint l’objectif qui a été énoncé?
M. Koops : Je n’étais pas sûr qu’il y avait une question pour moi en tant que fonctionnaire.
Le sénateur Yussuff : C’était une question générale, je suppose. De notre point de vue de parlementaires, nous entendons parler, bien sûr, de la nécessité d’avoir un organe d’examen indépendant de cette nature depuis un certain temps, et d’anciens collègues de ce comité l’ont réclamé. C’est ce que nous avons fait depuis que je fais partie de ce comité. Il serait approprié que nous évaluions la nécessité d’une révision de la loi après un délai raisonnable.
M. Koops : En tant que fonctionnaire, sénateur, je peux vous assurer que nous prenons bonne note des observations des comités sénatoriaux lorsqu’ils renvoient des projets de loi au Sénat.
[Français]
Le sénateur Carignan : Au moment de l’étude à la Chambre des communes, on a ajouté la possibilité, notamment à l’article 33, que toute tierce partie puisse déposer une plainte. La notion de « tierce partie » n’est pas définie. Selon vous, quelles sont les conséquences d’avoir une tierce partie qui dépose une plainte, si cette notion n’est pas définie? Cela peut représenter beaucoup de gens et on ne traite pas nécessairement de la notion d’intérêt particulier. J’aimerais vous entendre là-dessus.
M. Koops : L’inclusion d’une tierce partie dans la disposition pour les plaintes répond à une inquiétude selon laquelle des gens qui veulent porter plainte, surtout contre la GRC, sont souvent dans des situations assez délicates et n’ont pas suffisamment confiance pour porter plainte eux-mêmes contre la police.
Il était donc utile d’élargir le processus et d’avoir recours à des groupes de la société civile pour aider les plaignants potentiels à porter plainte.
Il reste toujours la discrétion de la commission que l’on retrouve à l’article 52. La commission aura toujours le droit de prendre elle-même la décision d’accepter la plainte ou non. On énumère certaines considérations, y compris si une personne est curatrice, si une personne n’a pas vu ou entendu, si une personne n’est pas visée par une certaine conduite, si une personne n’a pas la permission écrite d’une personne qui veut porter une plainte ou si une personne n’a subi elle-même aucune perte ni aucun dommage. Les tierces parties auront donc le droit de porter plainte, mais la commission aura toujours le droit de refuser d’examiner toute plainte dans les quatre coins de sa juridiction.
Le sénateur Carignan : Je comprends, mais l’article 33 dit : « Tout particulier ou toute tierce partie peut déposer une plainte [...] ». Cela ne dit pas que la tierce partie doit avoir un rôle de représentant d’une partie touchée. Cela m’inquiète quand vous dites que la commission pourrait rejeter la demande d’une tierce partie en se basant sur l’intérêt direct. Si elle a cet intérêt, vous dites que la commission pourrait... Elle n’est plus une tierce partie, elle peut être partie tout court.
M. Koops : Vous avez raison, mais ce que le changement a fait, c’est d’élargir un peu l’accès de la commission. En même temps, c’est préserver l’autorité de la commission elle-même de décider ce qu’elle peut faire avec une plainte.
Le sénateur Carignan : Ne devrait-on pas définir ce qu’est la tierce partie?
M. Koops : Ce n’est pas défini dans le projet de loi.
Le sénateur Carignan : Je sais, mais on est là et c’est notre travail de le faire et de proposer des amendements à un projet de loi.
M. Koops : Je crois que ce n’est pas nécessaire, parce que la commission aura toujours le droit de refuser d’examiner une plainte si elle est d’avis que ce n’est pas dans l’intérêt public.
Le sénateur Carignan : Ça va.
[Traduction]
La sénatrice Patterson : Je vais poser une question générale. Je pars du principe que les membres de l’ASFC et de la GRC peuvent également déposer une plainte directement auprès de la commission, mais en réalité, je sais que vous êtes des fonctionnaires. J’aimerais savoir — en particulier de la part de la GRC et de l’ASFC — si ce projet de loi devait être adopté, quels avantages voyez-vous pour les Canadiens et pour les membres de vos organisations respectives? Comment cela améliorera-t-il l’environnement dans lequel ils travaillent et la confiance des Canadiens?
M. Koops : Je peux répondre à la première question pendant qu’ils réfléchissent à la seconde.
La réponse courte est que oui, les membres des deux organisations peuvent déposer une plainte. Il ne s’agit pas d’un organisme d’examen des plaintes sur le lieu de travail, mais un membre peut déposer une plainte concernant un comportement dont il a été témoin de la part d’un autre membre ou d’un autre employé.
Mme Maltais : Ce que cela apporte aux Canadiens, c’est qu’il s’agit d’une lacune à l’ASFC, sans équivoque. Bien que nous ayons un mécanisme d’examen des plaintes du public, nous n’avons pas de deuxième niveau. Nous menons une enquête et nous communiquons une décision au plaignant. S’il n’est pas satisfait, la procédure s’arrête là. Il y a certainement une lacune à combler, et pas seulement pour les Canadiens, parce qu’à l’ASFC, nous traitons avec des gens du monde entier. Tout le monde peut se plaindre. S’ils ne sont pas satisfaits de la réponse de l’ASFC, ils peuvent s’adresser à la commission et lui demander de jeter un regard différent sur la situation — une deuxième paire d’yeux.
Pour l’ASFC, je pense que cela va dans le même sens. Aujourd’hui, nous déposons des plaintes, mais il n’y a pas de validation pour confirmer que nous avons raison ou tort. Si nous disposons d’un examen externe qui nous dit que nous pourrions mieux faire ceci ou cela, nous en tirerons tous profit. Nous aurons ainsi d’autres recommandations et d’autres points de vue sur ce qui se passe.
M. Larkin : Merci, madame Patterson.
Ce n’est pas unique. Nous fonctionnons depuis un certain temps dans le cadre d’une relation avec une commission des plaintes. Cependant, nous pensons que le projet de loi C-20 offre des possibilités de reddition de comptes et de transparence accrues, qui sont les fondements et la marque de la confiance du public dans les institutions, en particulier dans les services de police. La GRC fournit des services de police à une population diversifiée sur une vaste étendue géographique à travers notre pays, ce qui est très différent des grandes municipalités urbaines.
Un fait essentiel est que les données démographiques et raciales coïncident très bien avec le travail interne que nous effectuons dans le cadre de nos appels de service et de nos interactions avec les citoyens canadiens sur la collecte de données raciales. Cela offre de grandes possibilités d’examiner les modèles, les tendances et les différentes possibilités d’accroître les connaissances sur les préjugés systémiques et institutionnels au sein de notre organisation. C’est important. Permettre à cette commission de procéder à des examens systémiques indépendants est également une possibilité accrue. C’est important dans le monde de la police. Notre travail comporte des risques et des conflits avec les citoyens. Nous n’arrivons pas dans les meilleurs jours des Canadiens, c’est pourquoi cela crée un système de reddition de comptes renforcé au sein de notre organisation. Cela s’harmonise bien avec le travail que nous avons effectué, mais l’utilité pour les Canadiens est en fait liée à la confiance dans les institutions démocratiques à un moment où cela est de la plus haute importance. Je vous remercie de votre attention.
Le sénateur Cardozo : J’ai une question brève concernant le paragraphe 37(2), l’enquête sur les plaintes par la GRC. Il y est indiqué que la GRC ou l’Agence ne doit pas commencer une enquête sur la plainte si la commission a notifié au commissaire ou au président qu’une plainte est déjà en cours d’examen. Pourriez-vous nous expliquer le cas et nous dire s’il s’agit d’une procédure normale dans ce genre de situation? Ma crainte est que si la nouvelle commission prend beaucoup de temps pour examiner la plainte, ne serait-il pas plus rapide de la traiter en interne? Mais d’après cette disposition, il ne sera pas possible de le faire en interne.
M. Bangloy : Cette disposition existe dans notre projet de loi actuel et permettrait à la commission de mener l’enquête elle‑même lorsqu’elle a déterminé qu’il est dans l’intérêt public de le faire, et dans certaines circonstances, la GRC voit cela d’un bon œil, car elle est perçue comme enquêtant sur elle-même. Cela ne se produit pas très souvent, mais c’est une disposition qui le permet.
Le sénateur Cardozo : Il est précisé que la GRC n’entreprendrait pas d’enquête si la commission enquête déjà.
M. Bangloy : Il s’agit d’éviter une double enquête parce que la commission aurait décidé qu’elle s’en chargerait. Parfois, elle reçoit des plaintes et la GRC enquête, et cette enquête serait soumise à l’examen de la CCETP, mais dans ce cas, la CCETP aurait décidé d’enquêter sur la plainte elle-même, et nous n’enquêterions donc pas.
La sénatrice Omidvar : J’ai une brève question d’éclaircissement pour M. Koops, et elle fait suite à la question du sénateur Carignan au sujet de la capacité de la commission de refuser les plaintes de tierces parties. Si j’ai bien compris, et je vous prie de me corriger si je me trompe, la commission ne peut refuser les plaintes de tiers que lorsque ce tiers n’a pas la permission du plaignant qui n’est pas en mesure, pour diverses raisons, de déposer sa plainte.
M. Koops : C’est l’un des principaux motifs. D’autres motifs sont également prévus dans le projet de loi.
Le président : Chers collègues, nous arrivons à la fin du temps imparti à ce groupe. Nous avons retenu nos témoins longtemps. J’aimerais remercier nos collègues de Sécurité publique Canada, de la GRC et de l’Agence des services frontaliers du Canada. Messieurs Koops, Larkin, Bangloy et madame Maltais, merci d’avoir pris le temps de nous rencontrer. Je ne saurais trop insister sur l’importance du travail que vous accomplissez pour nous, pour le Sénat du Canada et pour les Canadiens de tout le pays. Vous portez un lourd fardeau de responsabilités et il est important que vous soyez reconnus pour cela. Je vous remercie au nom de nous tous pour la différence positive que vous faites chaque jour, et bien des soirs, je le comprends aussi. Je vous en remercie.
Chers collègues, nous allons accueillir notre dernier groupe, la Commission civile d’examen et de traitement des plaintes relatives à la GRC, représentée par Michelaine Lahaie, sa présidente, par Joanne Gibb, la directrice principale de sa Direction des opérations et des politiques stratégiques et par Lesley McCoy, avocate générale.
Merci beaucoup de vous être jointes à nous ce soir. Je crois savoir que Mme Lahaie fera des observations liminaires au nom de la CCETP. Veuillez donc procéder dès que vous êtes prête.
[Français]
Michelaine Lahaie, présidente, Commission civile d’examen et de traitement des plaintes relatives à la GRC : Bonsoir à tous et merci de m’avoir invitée à prendre la parole devant vous aujourd’hui.
Le projet de loi C-20 élargira le mandat de la Commission civile d’examen et de traitement des plaintes relatives à la GRC (CCETP), créant ainsi un organisme d’examen civil indépendant pour l’ASFC et la GRC.
[Traduction]
Comme je l’ai déjà fait remarquer, la CCETP est bien placée pour jouer un rôle élargi en raison de ses 36 années d’expérience en matière d’examen civil de l’application de la loi et de sa connaissance approfondie du processus de réception et d’examen des plaintes.
En outre, la CCETP mène déjà des enquêtes systémiques sur la GRC depuis 10 ans qui ont conduit à d’importantes modifications des politiques, de la formation et des programmes de la GRC. Entre autres exemples, je citerai le harcèlement au travail à la GRC, les politiques et procédures de la GRC en matière de fouilles à nu et le modèle de prestation de services de police dépourvus de préjugés de la GRC.
[Français]
La CCETP a également réalisé plusieurs enquêtes d’intérêt public à la suite de plaintes, dont celle concernant l’enquête menée par la GRC sur la mort de Colten Boushie et, plus récemment, l’enquête sur un incident survenu à Kinngait, au Nunavut, lors duquel une personne a été heurtée par la portière d’un véhicule de la GRC.
[Traduction]
Depuis mon entrée à la présidence de la CCETP en 2019, j’ai accru sa transparence en exigeant que les résumés de tous les rapports d’examen des plaintes soient publiés dans le site Web de la CCETP.
L’examen des plaintes du public est un aspect essentiel de notre mandat. Il permet à la commission d’examiner la plainte de manière indépendante et de formuler des conclusions et des recommandations à la GRC, le cas échéant.
En s’appuyant sur cette expérience et ce savoir-faire, la nouvelle Commission d’examen et de traitement des plaintes du public, la CETPP, disposera d’une base solide pour se charger de l’ASFC.
Ce projet de loi établira une loi habilitante solide pour la CETPP grâce à une loi distincte, contrairement au mandat actuel de la CCETP qui est dérivé de la Loi sur la GRC.
[Français]
En tant que présidente de la CCETP, je salue les amendements apportés au projet de loi C-20 à la suite de l’étude du Comité permanent de la sécurité publique et nationale.
[Traduction]
Ces modifications renforcent la reddition de comptes de la GRC et de l’ASFC et tiennent compte de certaines recommandations formulées par la CCETP, notamment la prise en compte par le ministre de la Sécurité publique de la diversité et de l’inclusion lorsqu’il recommande la nomination de commissaires de la CETPP; l’accroissement de la capacité de la CETPP à mener des enquêtes systémiques en lui conférant un plus grand pouvoir discrétionnaire; la collecte et la communication de données démographiques en plus des données fondées sur la race concernant les plaintes; et l’obligation de fournir des raisons pour le retrait d’une plainte.
Dans l’ensemble, je pense que le projet de loi C-20 est un projet solide. Il fournira à l’ASFC un mécanisme indépendant d’examen et de traitement des plaintes du public dont elle a grand besoin, y compris un mandat d’enquête systémique, tout en renforçant la reddition de comptes de la GRC.
L’obligation d’informer le public sur le processus de plainte, la prise en compte de la diversité chez les commissaires de la CETPP et la collecte et la communication de données démographiques, entre autres améliorations du mandat, serviront à renforcer la confiance du public dans ces deux institutions essentielles.
[Français]
J’ai bon espoir que le Sénat mènera à bien l’adoption du projet de loi.
Je serai heureuse de répondre à vos questions. Merci.
[Traduction]
Le président : Merci beaucoup pour votre présentation, madame Lahaie. Nous avons une longue liste d’intervenants. Sénateur Dagenais, vous lancez le bal.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Merci, madame Lahaie. Vous savez, je suis un ancien policier et j’ai travaillé pendant 40 ans à la Sûreté du Québec. Il y a plusieurs organismes qui surveillent les policiers : le Bureau des enquêtes indépendantes, le comité de discipline, le commissaire à la déontologie policière... Il y aura aussi votre commission, mais on ne peut pas être contre la vertu.
Cela dit, j’aimerais profiter de votre expérience pour évaluer les moyens qui seront alloués à la nouvelle commission. Quand cela se complique pour accéder à toute l’information, combien de temps avez-vous pris en moyenne pour déposer vos rapports sur les plaintes des citoyens, et avez-vous déjà été témoin d’entraves dans vos enquêtes?
Mme Lahaie : Je vous remercie de votre question, sénateur. Quand on parle des limites de temps pour compléter les affaires, cela dépend de toutes les circonstances qui peuvent se produire. On envoie la plupart de nos plaintes à la GRC pour qu’elle fasse enquête; la GRC doit la conclure dans les six mois. Une fois que l’enquête est terminée et que le rapport nous est envoyé, le plaignant a le droit de demander un examen. Cet examen devrait prendre environ 120 jours — c’est ce que prévoit notre système en ce moment. On produit notre rapport. Si on est satisfait de la manière dont la GRC a réagi, c’est un rapport satisfaisant. Si nous ne sommes pas satisfaits, nous l’envoyons au commissaire de la GRC. C’est à lui de l’examiner pour déterminer s’il est d’accord avec nos recommandations ou non. Il doit nous le renvoyer dans les six mois et ensuite, nous produisons notre rapport final dans les 30 jours.
Quand on parle des informations, je vous dirais que, à la naissance de la commission en 1988, il y a eu des entraves pour obtenir de l’information, mais la commission était toute nouvelle. Nous ne nous sommes pas heurtés à de gros obstacles de la part de la GRC plus récemment. Souvent, il s’agit du temps qu’il faut pour trouver l’information. En général, cela se passe bien en ce moment.
Le sénateur Dagenais : Quand on parle des informations auxquelles vous n’avez pas accès, on établit des balises qui n’existaient pas et qui limitent les pouvoirs de la nouvelle commission. Êtes-vous à l’aise avec ce que les fonctionnaires et le gouvernement ont établi comme étant des informations qui ne peuvent pas être communiquées? Est-ce que pour vous, c’est trop restrictif? Enfin, dans quelle mesure les interdictions d’accès à l’information limitent-elles votre travail d’enquête, qui doit être complet et transparent?
Mme Lahaie : En ce moment, je n’ai pas d’inquiétude sur le projet de loi pour ce qui est de l’accès à l’information. Comme l’a mentionné le dernier groupe de témoins, ce qui est dans la loi sur la GRC n’a pas été utilisé jusqu’à maintenant. Je n’ai pas d’inquiétude là-dessus. On réussira à avoir l’accès. Sinon, il y a d’autres façons d’obtenir ces informations.
Le sénateur Dagenais : Merci beaucoup, madame.
Le sénateur Carignan : Je lisais dans votre rapport annuel que seulement 38 % des rapports finaux ou intérimaires ont été produits dans les délais de 120 jours, et qu’un certain nombre a même dépassé les six mois, soit 94 %. En 2020-2021, c’était 28 mois. On crée un nouvel organisme, on ajoute à son mandat, son mandat sera probablement plus public, donc cela générera des plaintes. On le voit au Sénat : il y a parfois des mouvements de masse, on reçoit des quantités industrielles de lettres et ce sont des mouvements organisés. Certains mouvements pourraient déposer des plaintes pour embourber la commission. Vous devrez au minimum les étudier pour savoir si elles sont frivoles. Êtes-vous inquiète du risque de conclure des enquêtes et de fournir des conclusions dans un délai raisonnable de 120 jours ou de six mois?
Mme Lahaie : En fait, il s’agit là de l’une de mes inquiétudes constantes. C’est la réalité de ce que nous vivons. Il s’agit d’examiner nos processus pour voir si on peut faire des changements pour accélérer les choses. L’une des choses que nous ignorons avec ce projet de loi qui est devant vous, c’est le nombre de plaintes que nous recevrons à propos de l’ASFC. C’est une inconnue. Ils ont déjà un processus à l’interne, mais quand il y a une agence externe qui se penche sur ces plaintes, cela donne plus de confiance au grand public. Lorsqu’on ouvre les portes — car elles sont déjà ouvertes —, on change. Lorsque la nouvelle commission entrera en fonction, il faudra se pencher sur le nombre de plaintes que nous recevons. Si l’on constate que nous n’avons pas assez de ressources, c’est alors qu’il faudra demander d’en avoir plus.
Le sénateur Carignan : Avez-vous bon espoir d’avoir de nouvelles ressources? L’historique nous dit que c’est assez difficile. Lors du dépôt du nouveau projet de loi, on avait dit à Mme Maynard, la commissaire à l’information du Canada, qu’elle aurait des ressources. Elle a dit en entrevue qu’elle avait été naïve de croire le gouvernement. C’est le mot qu’elle a utilisé. Ne pensez-vous pas que vous avez des mécanismes pour garantir un financement adéquat pour éviter que cela ne se produise?
Deuxièmement, il y a aussi des conséquences. Je suis avocat et membre du barreau. Lorsqu’il y a une plainte au conseil de discipline ou d’éthique, oubliez la candidature au poste de juge. On ne peut pas avancer tant que la plainte n’est pas réglée. Par conséquent, dans le cas d’un policier qui est victime ou qui est touché par une plainte, sa carrière est en suspens pendant la période où la question doit être traitée. Cela occasionne donc des préjudices. J’aimerais vous entendre à ce sujet.
Mme Lahaie : En ce qui concerne les ressources, il y a déjà des mécanismes en place. Comme vous l’avez déjà entendu, en 2022, la commission est allée chercher plus de ressources, justement parce qu’on n’en avait pas assez. Le nombre de plaintes augmente chaque année et on n’avait pas suffisamment de ressources. On a réussi à se faire entendre. On a eu ce qu’on avait demandé. Les processus sont en place. Il faudra observer bien attentivement ce qui se passe, combien de plaintes sont déposées et si cela fonctionne. Nos processus sont des processus correctifs. Il ne s’agit pas d’un processus où un policier est le sujet d’une plainte du public et où cela aura un impact négatif sur sa carrière. C’est plutôt un processus négatif qui vise à aider le membre à régler la situation et qui vise à faire des changements aux politiques, à la formation et aux procédures. Ce n’est pas un processus où la vie de quelqu’un est sur pause pendant une certaine période.
[Traduction]
Le sénateur Cardozo : Ma question porte sur la transition, mais permettez-moi de commencer par demander, au cours des dernières années, quels ont été les principaux défis que la CCETP a dû relever pour traiter les cas et les plaintes? Toute organisation a des défis à relever; je suis sûr que vous en avez eu. Quels sont les domaines dans lesquels vous avez rencontré des difficultés et que vous n’avez pas réussi à surmonter? C’est le premier point.
Deuxièmement, je regarde ce projet de loi, et dans un sens, il a pour effet de doubler la charge de travail de la commission. Comment allez-vous vous y prendre pour former le personnel — embaucher et former le personnel pour qu’il soit à la hauteur de la situation? Quand pensez-vous être en mesure de remplir le mandat et de faire face à la charge de travail qui découle de la responsabilité de deux organismes?
Mme Lahaie : Je dirais qu’au cours de mon mandat, l’un des principaux problèmes auxquels j’ai été confrontée dès le début était le manque de transparence de la commission. On nous reprochait souvent notre manque de transparence parce que nous ne diffusions pas notre information. Lorsque l’on consultait le site Web de la commission, on avait l’impression que nous ne menions qu’une enquête et que nous ne faisions pas grand-chose d’autre. Nous avons remédié à cette situation en devenant plus transparents. En fait, vous verrez maintenant des reportages dans les médias qui parlent de nos différents rapports. C’était un immense défi pour nous.
Nous avons également été confrontés à l’absence de réaction de la part de la GRC, ce qui a finalement conduit la BCCLA à traîner la GRC devant la cour. Dans sa décision, la juge a déclaré qu’un délai raisonnable pour répondre à l’un des rapports de la commission est de six mois. Cela a été une bataille difficile pour nous, car dans certains cas, nous produisions des rapports finaux sur des plaintes qui avaient été soumises par le plaignant — je pense que le pire cas que j’ai vu remontait à sept ans, car ces dossiers accumulaient la poussière sur les étagères de la GRC. À la décharge de la GRC, elle a rectifié le tir et tous les rapports de la commissaire sont publiés dans le délai de six mois. S’ils risquent de ne pas respecter ce délai, ils nous en avisent et nous expliquent pourquoi. Tels ont été les principaux défis à relever.
Pour ce qui est de l’avenir, nous n’envisageons pas tout à fait de doubler la taille du personnel de la commission, mais presque. Je pense qu’il y aura entre 65 et 75 employés. Nous avons beaucoup de travail de recrutement et de formation de ces personnes à faire, surtout parce que l’ASFC est une organisation différente de la GRC, mais nous avons un plan en place pour y parvenir en ce qui concerne les éléments sur lesquels nous devons nous concentrer. Nous connaissons les qualifications des personnes que nous devons recruter, c’est donc un élément important.
L’autre élément qui, j’en suis sûre, ne vous surprendra pas, c’est que nous essayons de nous procurer du matériel informatique parce que notre système actuel de gestion des dossiers n’est pas adapté à ce nouveau mandat. Nous essayons de nous en procurer. C’est un long processus, qui peut être difficile. Nous y travaillons.
Je dirais qu’idéalement, une fois que le projet de loi aura reçu la sanction royale, nous aurons besoin de 12 à 18 mois avant de pouvoir véritablement ouvrir nos portes et entreprendre ce travail.
Le sénateur Cardozo : Et les plaintes seront-elles traitées dans deux sections distinctes pour les deux organismes, ou s’agira-t-il d’un système intégré?
Mme Lahaie : Au départ, lorsque des gens porteront plainte, le système sera intégré, mais lorsqu’il s’agira d’examens ou d’enquêtes, nous aurons évidemment des personnes plus spécialisées pour traiter certains de ces enjeux, en particulier ceux qui concernent les subtilités de la loi sur l’immigration et ce genre de choses.
Le sénateur Cardozo : Très bien, je vous remercie.
Le sénateur Boehm : Madame Lahaie, les sénateurs Carignan et Cardozo ont posé les questions que je voulais poser. Ils ont simplement eu l’occasion de le faire en premier, mais je voulais pousser un peu plus loin et vous remercier pour la franchise de vos réponses.
Nous ne sommes pas le seul pays au monde à disposer d’une police fédérale. Dans certains endroits, il existe des entités infranationales, comme c’est le cas ici. L’ASFC est une organisation relativement nouvelle. J’ai posé à peu près la même question au ministre, mais je vais la formuler un peu différemment. Dans vos délibérations sur la manière de traiter ce projet de loi lorsqu’il sera adopté, avez-vous glané dans d’autres ressorts, dans d’autres pays partenaires du Groupe des cinq ou ailleurs des pratiques exemplaires ou des leçons qu’ils pourraient avoir apprises? Avez-vous des équivalences dans d’autres pays et ressorts dont vous pourriez nous parler?
Mme Lahaie : Nous avons cherché et, pour être honnête, nous n’avons pas trouvé grand-chose qui puisse nous être très utile. C’est vous qui l’avez fait explicitement avec votre équipe.
Joanne Gibb, directrice principale, Direction des opérations et des politiques stratégique, Commission civile d’examen et de traitement des plaintes relatives à la GRC : Le problème avec la surveillance de l’application de la loi, qu’il s’agisse de la police ou des frontières, c’est qu’elle n’est pas normalisée d’un pays à l’autre ou d’une province à l’autre, et qu’il existe donc des différences.
Nous avons constaté que lorsque l’agence des frontières du Royaume-Uni s’est dotée d’un organisme indépendant de traitement des plaintes, le nombre de plaintes reçues a doublé en l’espace de cinq ans. C’est certainement une chose que nous avons examinée et que nous envisageons, le raz-de-marée qui pourrait nous arriver.
Par le passé, nous nous sommes entretenus avec les inspecteurs généraux américains pour savoir comment ils menaient leurs enquêtes et mieux comprendre. Il en est ressorti que le modèle dont nous disposons et qui sera reproduit et amélioré par ce projet de loi est en fait, à mon avis, bien supérieur à celui des Américains. Ils n’acceptent pas les plaintes du public pour mauvaise attitude. À moins qu’il n’y ait un élément lié aux droits civils, ils ne les acceptent pas. Nous examinons beaucoup d’autres aspects qui sont plus granulaires et qui affectent les Canadiens et les voyageurs au quotidien que ne le font les Américains. Je les invite à venir étudier notre modèle de surveillance.
Le sénateur Boehm : Dans votre planification et votre modélisation, prévoyez-vous un afflux de plaintes?
Mme Gibb : Oui.
Le sénateur Boehm : Vraiment? D’accord.
Mme Gibb : Oui. Nous sommes d’avis que lorsque le public a confiance dans un système de plaintes, il l’utilise. Même si les gens disent « Ce serait bien qu’il n’y ait pas de plaintes », en fait, il faudrait un comportement parfait, et comme nous sommes tous humains, il est peu probable que cela se produise. Si les gens croient au système et le comprennent, ils l’utiliseront.
Le sénateur Boehm : Comment comptez-vous faire connaître le système pour que les gens y croient?
Mme Lahaie : La nouvelle loi contient des dispositions qui rendent l’information du public obligatoire. Nous sommes en train d’examiner notre plan d’information du public pour déterminer exactement comment nous allons procéder.
Le sénateur Boehm : Merci beaucoup.
Le sénateur Richards : Merci d’être ici.
Je crois que le sénateur Yussuff a posé cette question plus tôt à un autre groupe. Les plaintes peuvent être déposées directement auprès de la GRC, de l’ASFC ou de la commission, et les plaintes concernant la GRC peuvent également être déposées auprès de l’autorité provinciale responsable de l’examen des plaintes. Je me demande simplement si cela ne risque pas de devenir un gâchis bureaucratique où les plaignants eux-mêmes pourraient se perdre dans cette myriade d’autorités? Chaque province aurait son propre système juridique de contrôle. La commission elle-même supervisera-t-elle toutes ces autres organisations pour s’assurer que tout se déroule correctement?
Mme Lahaie : À l’heure actuelle, environ 98 % des plaintes contre la GRC sont déposées auprès de la commission et le reste, soit 2 %, auprès de la GRC.
Nous entretenons des relations très étroites et durables avec tous les partenaires provinciaux chargés de la surveillance de la police. Nous nous réunissons une fois par an. La commission organise une réunion des chefs d’agence où nous nous retrouvons tous. Nous avons mis en place collectivement une politique selon laquelle il n’y a pas de mauvais guichet. Si l’un des organismes chargés de traiter les plaintes du public, par exemple en Saskatchewan, reçoit une plainte concernant un membre de la GRC, il sait comment s’adresser à nous, et la plainte peut nous être transmise.
Je ne dirais pas que c’est parfait, mais le fait que nous travaillions bien ensemble et que nous collaborions semble signifier que les plaintes finissent par nous parvenir. Cela peut sembler bureaucratique, mais en réalité, il s’agit d’ouvrir les portes afin de rendre les choses aussi faciles que possible pour les plaignants et de rendre le processus accessible.
Le sénateur Richards : La plupart des plaintes qui passent par les administrations provinciales à travers le pays finiront tôt ou tard sur votre bureau?
Mme Lahaie : Tant qu’il s’agit de plaintes concernant les membres de la GRC.
La sénatrice Patterson : Je vais poursuivre mes questions sur la protection des renseignements médicaux ainsi que sur la façon dont la commission les utilise, étant donné que vous ne cherchez pas à obtenir un diagnostic médical ou à excuser le comportement, etc. Comment protégez-vous la confidentialité des renseignements médicaux afin qu’ils ne portent pas indûment préjudice à la personne visée par l’enquête? Pensez-vous qu’il y ait suffisamment de protection pour la personne mise en cause dans une plainte?
Mme Lahaie : En près de six ans au sein de la commission, je n’ai jamais demandé de renseignements médicaux sur un membre de la GRC. Mes deux collègues qui travaillent à la commission depuis bien plus longtemps que moi indiquent également qu’elles n’ont jamais eu connaissance d’un tel cas.
La seule fois où nous verrons des renseignements médicaux, c’est si, au cours de l’enquête sur la plainte du public, le membre décide de divulguer ces renseignements dans sa propre déclaration, parce que la commission ne va pas chercher ces renseignements de manière proactive. Cela dit, nous avons des systèmes en place pour les renseignements qui doivent être protégés, et nous pouvons le faire, et nous sommes très stricts sur le besoin de savoir en ce qui concerne ces choses.
Il est intéressant de noter que, le plus souvent, les renseignements médicaux que nous recevons proviennent de plaignants qui nous font part de l’impact qu’a eu sur eux leur rencontre avec la GRC.
La sénatrice Patterson : Je vous remercie.
Le sénateur Cotter : C’est un plaisir de vous voir, madame Lahaie. Je dois dire à mes collègues sénateurs que Mme Lahaie et moi avons une relation de chevauchement en ce qui concerne la surveillance civile, et ce, depuis plusieurs années. De ce point de vue, il est juste de dire que la CCETP a été revitalisée au cours des cinq dernières années — d’abord sous la direction de votre prédécesseur à titre intérimaire, puis sous la vôtre. Vous méritez des félicitations à cet égard.
Ma question n’est pas tout à fait la même que celle que j’essayais d’explorer avec le ministre; elle concerne la mesure dans laquelle vous possédez et exercez une sorte de compétence d’enquête indépendante. Abstraction faite des enquêtes systémiques — je poserai les trois questions en même temps, si vous me le permettez — pouvez-vous nous donner une idée du pourcentage des affaires que vous prenez en charge à l’étape de l’enquête préliminaire? Deuxièmement, les ressources qui sont mises à votre disposition dans le cadre de ce nouveau régime seront-elles suffisantes pour que vous puissiez choisir d’enquêter vous-mêmes plutôt que d’attendre que l’agence mène l’enquête et que vous procédiez à des examens? Troisièmement, lorsque vous ferez ces choix, pouvez-vous nous donner une idée approximative des critères permettant de déterminer ceux que vous êtes heureuse de laisser à l’agence de police ou, dans le cas présent, à l’agence de sécurité des frontières, et ceux dont vous estimez que la commission devrait se charger?
Mme Lahaie : En ce qui concerne votre première question, le nombre d’enquêtes que la commission prend en charge elle-même est probablement inférieur à 5 % des plaintes. Pour être plus précise, nous recevons plus de 4 000 plaintes par an. Je dirais que c’est moins de 5 %.
En ce qui concerne les ressources, comme je l’ai dit, nous devons vraiment voir combien de plaintes nous allons recevoir au sujet de l’ASFC et quelle est la nature de ces plaintes. Je dirais que ce n’est pas une utilisation judicieuse des ressources de la commission que d’utiliser ses propres enquêteurs pour enquêter sur une plainte concernant un membre de l’ASFC qui a une attitude négative. Si quelqu’un a une mauvaise expérience au guichet ou si l’agent de l’ASFC est de mauvais poil, ce n’est pas une utilisation judicieuse des ressources de la commission. Bon nombre des plaintes que nous recevons sont de cet ordre.
En ce qui concerne les enquêtes que nous menons au sein de la commission, nous nous basons sur l’intérêt public, mais il ne s’agit pas de l’intérêt public de la situation; il s’agit de savoir s’il est contraire à l’intérêt public que la GRC mène une enquête sur elle-même. Si vous pensez au dossier Colten Boushie, qui était un gros dossier pour la commission, la commission a élargi cette enquête, mais il n’était pas dans l’intérêt public que la GRC enquête, alors la commission est intervenue et l’a fait.
Je suis d’avis que la commission devrait parler au nom des personnes qui ne peuvent pas le faire elles-mêmes. C’est l’approche que la commission a adoptée ces dernières années. J’ai parlé de l’enquête que nous avons menée sur un jeune homme frappé par une porte à Kinngait, et c’est parce qu’il s’agissait d’un jeune homme qui n’allait pas parler pour lui‑même. Nous avons estimé que nous pouvions apporter quelque chose à cette enquête. Voilà de quoi il s’agit. Il s’agit d’incidents graves. Ce n’est pas parce que quelqu’un a une conversation désagréable avec un membre de la GRC sur le bord de la route.
Le sénateur Cotter : J’aimerais poser une question brève. Je ne veux pas vous faire dire ce que vous n’avez pas dit, mais il me semble qu’il y a des cas où vous n’avez pas l’impression que la GRC parlerait au nom de cette personne, et donc, vous devez le faire, ce qui, je présume, suggère que les gens perçoivent la GRC comme n’étant pas aussi indépendante qu’elle devrait l’être dans ce genre de cas?
Mme Lahaie : Oui, c’est peut-être le cas.
Le sénateur Cotter : Merci.
Le sénateur Yussuff : J’ai quelques questions concernant les mesures disciplinaires, c’est-à-dire les articles 67 et 72. Vous avez parlé tout à l’heure d’actions individuelles et d’actions systémiques. Dans mon ancienne vie, j’étais l’agent des droits de la personne de mon syndicat, et j’ai toujours pensé que les actions individuelles pouvaient être jugées. Évidemment, c’est subjectif et basé sur le comportement de la personne, mais parfois cette action individuelle peut être un modèle de comportement systémique au sein de cette structure. Comment l’évaluer? Et surtout, comment y remédier?
Mme Lahaie : Lorsque la commission reçoit des plaintes, nous en suivons l’objet. Par exemple, l’un des problèmes qui reviennent fréquemment, et que la commission avait examiné à l’origine dans son rapport sur le Nord de la Colombie-Britannique, est que nous constations de nombreux problèmes liés aux fouilles à nu. Nous formulions des conclusions défavorables à l’encontre de différents membres de la GRC, mais nous constations également que les politiques, les procédures et la formation qui les sous-tendaient posaient un problème. La procédure de plainte du public a débouché sur une enquête systémique, qui a entraîné de nombreux changements : nous ne recevons plus autant de plaintes concernant les fouilles à nu. L’un des détachements mentionnés dans ce rapport était celui d’Iqaluit et le nombre de problèmes liés aux fouilles à nu qui s’y rattachait. Mme Gibb et moi-même avons eu l’occasion de nous rendre à Iqaluit pour des réunions sur un autre sujet, et nous avons visité le détachement. Ils nous ont montré physiquement les changements qu’ils avaient apportés par suite du rapport de la commission. Ils avaient procédé à des changements à grande échelle et tenaient à nous montrer l’impact qu’ils avaient eu. De tous les détachements que nous avons examinés, c’était sans aucun doute le pire, et ils avaient procédé à des ajustements. Vous pouvez donc voir comment le processus de plainte du public peut nous amener à examiner des problèmes systémiques.
Autre exemple : nous examinons actuellement le Groupe d’intervention pour la sécurité de la collectivité et l’industrie en Colombie-Britannique. Nous avons reçu de nombreuses plaintes concernant les actions de cette unité. Nous traitons ces plaintes une à une et nous examinons également de manière systématique ce qui se cache derrière ce groupe.
Le sénateur Yussuff : Serait-il juste de dire que lorsque des personnes agissent d’une manière qui constitue un affront à leur devoir et à leur responsabilité, elles perdent leur emploi en conséquence? Ou bien sont-elles toujours dans le système et la recommandation est que nous devons les éduquer pour qu’elles soient plus conscientes de leurs responsabilités et de leur comportement?
Mme Lahaie : Je le répète : le processus de la commission est de nature corrective. Toutefois, la commission a commencé à effectuer un suivi. Tous les deux ans, nous fournissons à la GRC ce que nous appelons notre liste de membres visés par de multiples plaintes du public, qui détaille le nombre de plaintes que des personnes ont déposées contre eux, et je pense que notre seuil est de cinq et plus à l’heure actuelle...
Mme Gibb : Trois par an.
Mme Lahaie : Trois par an. Cela signale à la GRC que ces membres font l’objet de nombreuses plaintes et elle peut les insérer dans son processus d’alerte précoce et intégrer ces renseignements. La commission ne le faisait pas auparavant, mais nous avons estimé qu’il était très important de le faire parce que nous avions des données que nous devions communiquer à la GRC.
Le sénateur Yussuff : À l’avenir, il est évident que les responsabilités, la surveillance et les attentes sont beaucoup plus grandes. Il est essentiel que le recrutement du personnel reflète la diversité du pays et de ces régions. Dans le contexte du recrutement de personnes souhaitant travailler pour vous, l’accent est mis sur la diversité des régions et sur l’évolution continue de notre pays sur le plan démographique. Je suppose qu’il s’agit d’une priorité dans le contexte du nouvel organisme.
Mme Lahaie : Oui, tout à fait.
Le sénateur Yussuff : Merci.
La sénatrice M. Deacon : Merci pour vos réponses. Je pense que certaines de nos questions se ressemblent, mais nous nous complétons les uns les autres.
C’est intéressant. J’ai participé à la création et à la mise en œuvre d’une commission dans un secteur et un volet de travail totalement différents, et nous avons environ un an d’avance, mais le langage, les questions et les défis sont tellement communs d’un secteur à l’autre.
Dans la veine des questions de mon collègue, le sénateur Boehm, sur la franchise, j’aimerais savoir comment vous définiriez votre relation, aussi confortablement que possible, avec la GRC. J’essaie simplement d’imaginer ce que nous faisons avec ce projet de loi. S’agit-il généralement d’une collaboration et d’une coopération qui continuent de s’améliorer, ou modifieriez-vous quelque chose dans la structure de la CCETP qui pourrait améliorer cette relation, et si oui, le voyons‑nous ou devrions-nous le voir dans le projet de loi?
Mme Lahaie : Je dirais qu’il s’agit d’une tension saine. Cette tension est nécessaire. Nous ne pouvons pas être les meilleurs amis du monde avec l’organisation que nous supervisons, il y a donc une tension saine.
Les choses ont progressé depuis la signature du protocole d’accord opérationnel avec la GRC parce que nous avons réellement défini la manière dont nous allons travailler ensemble. Je rencontre régulièrement la commissaire. Plus important encore, si l’on considère le personnel de la CCETP et celui de la GRC, ma directrice des communications dirait qu’il y a eu un « entrelacement ». Ce n’est pas seulement moi qui parle à la haute direction, ce sont les membres du personnel de la commission qui parlent. Cela signifie que si jamais les relations au sommet de la commission s’effritent, en bas, il y aura toujours cette vague de soutien qui nous permettra de continuer à nous parler. En fin de compte, la commissaire de la GRC et la présidente de la commission ont les mêmes objectifs : l’excellence dans le maintien de l’ordre.
La sénatrice M. Deacon : Merci.
Je sais que vous étiez ici cet après-midi. Avec le dernier groupe, j’ai un peu abordé certaines définitions, et j’essayais simplement de préciser certaines choses. Une autre de ces histoires de définitions se trouve à l’article 52, qui dit :
La Commission peut refuser d’examiner toute plainte déposée si, à son avis :
a) elle est futile ou vexatoire ou a été portée de mauvaise foi;
Je m’interroge sur ces termes, car aucun d’entre eux n’est vraiment défini dans le projet de loi. Existe-t-il un moyen de faire appel si une telle plainte a été rejetée sur la base de ces critères? Il semble qu’il revient à la commission de déterminer si la plainte remplit ou non ces conditions. Je me demande ce que vous pensez de cette terminologie et si elle vous convient.
Mme Lahaie : Je peux vous dire que beaucoup de tribunaux administratifs sont aux prises avec ces concepts de futilité, de frivolité, de vexation ou de mauvaise foi. La commission dispose en fait d’une politique publique qui définit ces termes et explique comment nous allons traiter ces questions. Nous l’appliquons régulièrement. Je ne sais pas si une définition dans le projet de loi serait nécessairement une bonne idée, parce que je craindrais que le pouvoir discrétionnaire du décideur ne soit entravé.
La sénatrice M. Deacon : Merci beaucoup.
La sénatrice Omidvar : Madame Lahaie, j’ai quelques questions. Je ne sais pas si nous arriverons à passer au travers.
Vous avez présidé la CCETP et vous continuerez à présider la CETPP. Pensez-vous qu’il y aura un changement de culture au sein de votre personnel ou de votre organisation lorsque vous passerez d’une institution interne à la GRC à une institution indépendante?
Mme Lahaie : Nous fonctionnons déjà comme une institution indépendante, mais le fait que nous ayons notre propre projet de loi le confirme. C’est un élément très important.
Il y aura un changement de culture au sein de l’organisation, mais ce sera dû au fait que nous allons recruter beaucoup de nouveaux employés et que nous allons nous occuper d’une tout autre agence. Je m’attends à ce que cela modifie la culture de l’organisation dans une certaine mesure.
J’ai le privilège de diriger un groupe de personnes extrêmement professionnelles qui connaissent bien leur travail, qui le prennent très au sérieux et qui considèrent vraiment qu’il s’agit d’une vocation. Je vois l’avenir de la CETPP exactement sous cet angle.
La sénatrice Omidvar : Pourriez-vous me dire combien d’employés vous avez actuellement? Avec le nouvel organisme couvrant à la fois l’ASFC et la GRC, combien d’employés aurez-vous de façon optimale?
Mme Lahaie : Nous avons environ 95 employés à l’heure actuelle. Nous sommes encore en train de calculer les chiffres avec le nouveau — le financement a été établi en 2022, il y a donc eu quelques ajustements salariaux. Je m’attends à ce que nous embauchions entre 65 et 75 personnes.
La sénatrice Omidvar : De nouvelles personnes.
Mme Lahaie : Oui, de nouvelles personnes. Nous examinons les rôles de chacun. Nous passons beaucoup de temps à examiner le processus des ressources humaines pour nous assurer que nous avons fait le bon choix. Encore une fois, cela dépendra vraiment du nombre de plaintes que nous recevrons concernant l’ASFC pour déterminer si nous disposons de ressources suffisantes ou non.
La sénatrice Omidvar : D’après ce que j’ai entendu de la part des témoins qui vous ont précédée, je soupçonne qu’il vous faut plus que doubler. Il n’y a pas d’examen parlementaire prévu, mais la commission peut choisir d’examiner elle-même le projet de loi. Je vous remercie pour cette réponse.
Je m’interroge sur les dispositions du projet de loi relatives aux enquêtes conjointes avec d’autres administrations que le Canada. Dans la plupart des cas, il s’agit des États-Unis. Comment fonctionneront ces enquêtes conjointes dans le cadre du nouveau projet de loi? Le projet de loi canadien surveille le comportement de tous les Canadiens, en l’occurrence les fonctionnaires, notamment en ce qui concerne les droits de la personne et la protection de la vie privée. Comment cela sera-t-il respecté dans le cadre d’une enquête conjointe?
Mme Lahaie : Je ne suis pas vraiment sûre de ce point. C’est une question que nous allons devoir examiner plus à fond. Une loi nous permet actuellement de mener des enquêtes conjointes avec nos partenaires provinciaux, car les services de police diffèrent d’une province à l’autre. À l’heure actuelle, la CCETP est la seule à disposer de cette loi commune. Par exemple, lorsque le sénateur Cotter exerçait ses fonctions précédentes, nous n’aurions pas pu travailler ensemble sur une enquête parce que cela ne figurait pas dans sa loi habilitante. Il faudrait vraiment voir si les États-Unis vont mettre quelque chose en place pour que nous puissions travailler ensemble. C’est merveilleux que cela figure dans notre projet de loi, mais il faudrait que nos partenaires aient le même élément.
[Français]
Le sénateur Dalphond : Merci beaucoup pour ces présentations très instructives. Vous dites que vous recevez à peu près 4 000 plaintes par année et que vous allez enquêter sur 5 % de ces plaintes. Les autres sont retournées à d’autres organismes. Les gens auraient pu s’adresser à ces organismes directement, mais ils s’adressent à vous. Est-ce un signe qu’ils ont plus confiance en vous qu’en ces organismes? Quand vous les renvoyez à ces derniers, est-ce qu’ils perdent confiance?
Mme Lahaie : Cela se peut, mais il faut aussi donner la chance à la GRC de régler la situation. Si c’est un problème d’attitude, c’est bien mieux que le superviseur s’assoie pour dire au membre : « Écoutez, c’est cela qui est arrivé. » Ils pourront en venir à une entente avant que l’on soit impliqué.
Il y a des Canadiens qui s’attendront à ce que ce soit nous qui faisions toutes les enquêtes, mais je vous dirais que, dans la plupart des cas, cela n’a pas beaucoup de sens de faire cela, surtout dans les cas de performance et non dans les cas de conduite, car c’est souvent le cas. Je dirais que la plupart de nos plaignants sont au courant de nos processus. On passe beaucoup de temps à les éduquer sur le processus également.
Le sénateur Dalphond : Vous avez dit que l’ajout de l’agence sera un nouveau défi.
Mme Lahaie : Oui.
Le sénateur Dalphond : Considérez-vous que cela va amener beaucoup de volume et une culture différente?
Mme Lahaie : Je vous dirais que cela va amener beaucoup de volume, mais aussi qu’il y aura des cas très complexes. La complexité de certains cas nous permettra de recruter le personnel qui a les bonnes qualités, mais aussi les bonnes connaissances pour faire ce travail.
Le sénateur Dalphond : Quelle est la complexité particulière à l’Agence des services frontaliers du Canada qui n’existe pas à la GRC?
Mme Lahaie : C’est vraiment très différent. Quand on parle d’une personne qui se trouve en détention, puis qui soumet une plainte, c’est quelque chose qu’on ne regardait pas avant. Voilà la complexité.
Le sénateur Dalphond : Merci.
[Traduction]
La sénatrice Patterson : Avant tout, je tiens à vous remercier pour le travail que vous avez accompli. C’est très important pour la confiance dans les institutions publiques, en particulier dans le maintien de l’ordre et dans le futur conseil de sécurité. Nous savons également que nous vivons dans un monde plutôt méchant et malfaisant et que d’autres acteurs extérieurs cherchent à exploiter la confiance dans les institutions pour saper la démocratie à l’intérieur du pays. On peut être anti-vaccin, mais la manière dont la mésinformation et la désinformation se propagent est assez extrême; il ne s’agit pas de savoir si l’on veut croire ou non. Vous avez parlé de 5 % des plaintes que vous recevez. Nous sommes pleins de bonne volonté et nous savons qu’il s’agit de plaintes légitimes que des Canadiens ou d’autres personnes souhaitent qu’on examine.
Cette question s’adresse probablement à Mme Gibb. Lorsque vous avez parlé d’autres organismes internationaux, il est très facile de déposer des plaintes frivoles, vexatoires et de mauvaise foi pour submerger un système. Premièrement, avez-vous entendu quoi que ce soit de la part des États-Unis à propos de tentatives de submerger un système de plaintes? Là encore, ces plaintes seront diffusées dans les médias sociaux et mineront la confiance. Deuxièmement, vous devez examiner chaque plainte. C’est ce que vous devez faire. Avez-vous des mécanismes de rétroaction si vous commencez à voir des tendances se dessiner dans les types de plaintes qui vous parviennent? Encore une fois, elles ont tendance à être plus extrêmes au fil du temps. Merci de votre attention.
Mme Gibb : Lorsque nous avons rencontré les Américains, il n’a pas été question que leur système soit débordé. Je le répète, leur système est très restrictif quant aux personnes qui peuvent se plaindre et aux circonstances dans lesquelles elles peuvent le faire.
Lorsque la commission mène ses propres enquêtes sur la base d’une plainte, nous effectuons souvent un travail de fond. Nous contactons la GRC. Nous essayons d’obtenir davantage de renseignements avant que la présidente ne décide d’ouvrir ou non une enquête d’intérêt public pour cette raison précise. Nous ne voulons pas lancer une enquête pour découvrir ensuite que la plainte était futile ou vexatoire.
Mme Lahaie : Je peux vous dire qu’au cours des dernières années, nous avons rejeté davantage de plaintes sur la base de leur caractère futile, frivole et vexatoire. Une personne a déposé plus de mille plaintes le jour de Noël dernier. Nous nous sommes renseignés sur le captcha, que nous avons mis en place. Nous avons dû adapter rapidement notre système pour faire face à cette situation. C’est la réalité de notre monde. C’est ce à quoi nous devons faire face, mais nous allons de l’avant.
La sénatrice Patterson : Nous savons que la plupart des gens croient en leur plainte et qu’elle n’est donc pas frivole ou vexatoire. L’un des problèmes que nous rencontrons au sein des organisations concerne la confiance que les gens accordent à vos examens. Je crois qu’il existe un seuil légal pour les plaintes frivoles et vexatoires. Publiez-vous également ces chiffres pour montrer que le travail que vous faites ne peut être minimisé?
Mme Lahaie : Nous l’avons inclus dans le rapport annuel de cette année, c’est certain. Nous précisons le nombre de plaintes que nous acceptons et que nous refusons et nous expliquons les raisons.
La sénatrice Patterson : Je vous remercie de nouveau pour le travail que vous faites.
[Français]
Le sénateur Carignan : Je voyais dans les chiffres que 575 membres de la GRC ont fait l’objet d’au moins cinq plaintes. J’ai vu également, dans les recommandations qui ont été faites par la commission, qu’un peu plus de 15 % — je dirais peut-être 17 % ou 18 % — de ce que vous avez demandé à la GRC est en suspens. Ils n’y ont pas donné suite.
Quel est le taux de satisfaction des plaignants? Avez-vous des statistiques à ce sujet? Ne pensez-vous pas que vous devriez avoir un pouvoir plus contraignant, étant donné que 18 % de vos recommandations sont en suspens par la GRC? Ils ne semblent pas pressés de les régler, me semble-t-il, et 575 membres de la GRC ont fait l’objet de plus de cinq plaintes? Ils semblent être des récidivistes. Ne devriez-vous pas avoir un pouvoir plus coercitif?
Mme Lahaie : Pour les 575 qui ont fait l’objet de plus de cinq plaintes, cela peut vouloir dire qu’un plaignant a eu de mauvaises interactions avec le même membre. Cela peut aussi être une cause où un plaignant revient souvent. Cela fait partie des affaires que nous traitons.
En ce qui a trait au taux de satisfaction, nous ne faisons pas de sondage là-dessus. C’est quelque chose qu’on a examiné souvent, mais le problème est de déterminer si on le fait lorsque la plainte est présentée à la commission, une fois que la GRC fait l’enquête ou à la fin de l’enquête. Est-ce que le taux de satisfaction est lié à la façon dont on a traité la plainte? Si on décide qu’il n’y a pas de raison de poursuivre le processus, est-ce que le plaignant sera satisfait de cette décision? Cela entre en ligne de compte.
Le sénateur Carignan : Est-ce que vous le faites? Je comprends la complexité, mais dans n’importe quelle enquête portant sur la satisfaction, il y a un niveau de complexité, dont quelques éléments que vous venez de soulever. Cependant, ce n’est pas parce que c’est un peu difficile que vous ne pouvez pas le faire. Pourquoi ne le faites-vous pas? Avez-vous déjà tenté de le faire?
Mme Lahaie : C’est un cas de ressources, mais c’est quelque chose dont on discute depuis longtemps. Il faudrait peut-être considérer cela de nouveau.
Le sénateur Carignan : Le budget que vous avez déposé pour 2024-2025, donc votre budget actuel, représente 6 522 316 $.
Mme Lahaie : C’est 16 millions de dollars, je crois. Ce n’est pas ce qui est demandé.
Le sénateur Carignan : C’est dans le plan de dépenses du gouvernement. Les 6 465 000 $, c’est votre budget annuel?
Mme Lahaie : Non, notre budget annuel est d’environ 16 millions de dollars.
Le sénateur Carignan : Donc, ces 6 millions de dollars, c’est un budget supplémentaire que vous demandez?
Mme Lahaie : Je crois que c’est pour les augmentations de salaire.
Le sénateur Carignan : Cela inclut-il le projet de loi C-20?
Mme Lahaie : Non.
Le sénateur Carignan : Cela n’inclut pas le projet de loi C-20?
Mme Lahaie : Non.
Le sénateur Carignan : À combien l’estimez-vous? Quand vous avez fait votre calcul de scénario pour la mise en place du projet de loi C-20, quel montant avez-vous prévu, au-delà de celui que le ministre nous a donné un peu plus tôt?
Mme Lahaie : On a envisagé trois scénarios par rapport au nombre de plaintes. Je crois qu’on a envisagé 2 500 —
Mme Gibb : Trois mille, 6 000 et 12 000.
Mme Lahaie : Oui, 3 000, 6 000 et 12 000. Ce sont les nombres que nous avons envisagés. Je crois que le budget était basé sur ce qui est reçu par l’ASFC en ce moment, mais je ne peux pas vous dire que c’est le cas. Une fois les portes ouvertes, on va regarder le nombre de plaintes qu’on va recevoir, et si on n’a pas assez de ressources…
Le sénateur Carignan : Mais vous avez présenté votre cas. Vous avez monté vos demandes budgétaires en vertu du projet de loi C-20. De combien de surplus avez-vous besoin?
Mme Lahaie : Je ne m’en souviens plus. C’est arrivé en 2021-2022.
Le sénateur Carignan : Il faudra l’indexer à ce moment-là?
Mme Lahaie : C’est ça. On l’espère.
Le sénateur Carignan : Pourriez-vous nous envoyer les sommes?
Mme Lahaie : On peut essayer.
Le sénateur Carignan : Est-ce que vous vous engagez à nous envoyer ce que vous avez demandé au gouvernement et à voir si cela correspond à ce que le ministre vous a donné?
Mme Lahaie : Oui, on peut le faire.
Le sénateur Dagenais : Je voudrais faire un commentaire, madame Lahaie. Vous avez mentionné qu’un policier ou une policière qui fait l’objet d’une plainte n’aura pas de conséquences sur son avancement ou son plan de carrière. J’ai été président de l’Association des policières et policiers provinciaux du Québec. J’ai vu beaucoup de dossiers atterrir sur mon bureau. Aussitôt qu’il y a une plainte, qu’elle soit fondée ou frivole, cela représente une tache au dossier et cela nuit à l’avancement.
Mme Lahaie : C’est peut-être le cas au Québec, mais je peux vous dire que pour la GRC le processus est remédiable.
Le sénateur Dagenais : Parfait.
[Traduction]
Le président : Chers collègues, nous arrivons à la fin d’une réunion longue et productive. Pour ce faire, nous comptons sur des témoins compétents et expérimentés. Nous en avons entendu un grand nombre aujourd’hui.
Je tiens à vous remercier, mesdames Lahaie, Gibb et McCoy d’avoir passé du temps avec nous ce soir. Ce fut long pour vous. Vos conseils et vos connaissances spécialisées sont très appréciés. Vous avez répondu avec beaucoup de franchise à certaines questions difficiles et pointues de mes collègues. En outre, vous effectuez un travail extrêmement important et on vous demande d’assumer de nouvelles et importantes responsabilités sur lesquelles un grand nombre de personnes vont compter, potentiellement, de toute façon. Nous vous souhaitons tout le succès possible, quel que soit le résultat, car nous savons que vous ferez du bon travail, et nous vous remercions donc.
Chers collègues, nous poursuivrons notre examen du projet de loi C-20 le lundi 7 octobre à 16 heures, heure de l’Est, dans la salle C-128 de l’édifice du Sénat du Canada. Je vous remercie de votre participation active et de vos questions réfléchies, car comme vous le faites toujours, vous avez fait ressortir le meilleur de nos témoins.
Je vous remercie tous et je vous souhaite une bonne soirée.
(La séance est levée.)