LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE LA SÉCURITÉ NATIONALE, DE LA DÉFENSE ET DES ANCIENS COMBATTANTS
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le lundi 7 octobre 2024
Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants se réunit aujourd’hui, à 16 h 3 (HE), avec vidéoconférence, afin d’examiner le projet de loi C-20, Loi établissant la Commission d’examen et de traitement des plaintes du public et modifiant certaines lois et textes réglementaires et à huis clos, afin de se pencher sur ses travaux à venir.
Le sénateur Tony Dean (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour, chers collègues. La séance est ouverte.
Avant de commencer, je demanderai à tous les sénateurs et aux autres participants présents dans la salle de consulter les fiches posées sur la table devant eux. Vous y trouverez des directives pour éviter des effets Larsen. Merci de votre coopération.
Bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants. Je m’appelle Tony Dean, je suis sénateur de l’Ontario et je préside le comité. Sont également présents aujourd’hui d’autres membres du comité, et je leur demanderai maintenant de se présenter, en commençant par la vice-présidente.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, du Québec.
[Traduction]
La sénatrice Dasko : Donna Dasko, sénatrice de l’Ontario.
Le sénateur Richards : Dave Richards, du Nouveau-Brunswick.
La sénatrice Patterson : Rebecca Patterson, de l’Ontario.
Le sénateur Yussuff : Hassan Yussuf, de l’Ontario.
Le sénateur Al Zaibak : Mohammad Al Zaibak, de l’Ontario.
La sénatrice M. Deacon : Marty Deacon, de l’Ontario.
Le sénateur McNair : Bienvenue. John McNair, du Nouveau-Brunswick.
La sénatrice Omidvar : Ratna Omidvar, de l’Ontario. Je ne siège pas à ce comité, mais je suis la marraine du projet de loi.
Le sénateur Boehm : Peter Boehm, de l’Ontario.
Le président : À ma gauche est assise Ericka Paajanen, l’excellente greffière du comité, et à ma droite est assis Ariel Shapiro, qui est notre analyste de la Bibliothèque du Parlement.
Chers collègues, nous poursuivons aujourd’hui notre examen du projet de loi C-20, Loi établissant la Commission d’examen et de traitement des plaintes du public et modifiant certaines lois et textes réglementaires. Nous recevons trois groupes de témoins qui nous feront part de leurs points de vue sur ce projet de loi.
J’ai le plaisir d’accueillir, dans le premier groupe, M. Mel Cappe, chercheur émérite, École Munk des affaires mondiales et des politiques publiques. Certains d’entre vous se rappelleront que M. Cappe a été greffier du Conseil privé, chef de la fonction publique et qu’il a été pendant quatre ans haut-commissaire du Canada au Royaume-Uni.
Nous accueillons également Brian Sauvé, président et directeur général de la Fédération de la police nationale, et, par vidéoconférence, Mark Weber, président national du Syndicat des douanes et de l’immigration. Je vous remercie tous de votre présence aujourd’hui.
Nous vous invitons à présenter vos observations préliminaires, après quoi les membres du comité vous poseront des questions. Je vous rappelle que vous disposez de cinq minutes pour votre exposé. Nous commencerons par M. Cappe. Vous avez la parole, je vous en prie.
Mel Cappe, chercheur émérite, École Munk des affaires mondiales et des politiques publiques, à titre personnel : Je vous remercie, monsieur le président. Comme vous l’avez fait remarquer, j’enseigne à des étudiants en maîtrise à l’École Munk des affaires mondiales et des politiques publiques, à Toronto, mais j’ai été pendant 30 ans haut fonctionnaire du gouvernement du Canada. J’ai été sous-ministre de plusieurs ministères et greffier du Conseil privé, comme l’a souligné le président, de 1999 jusqu’au milieu de 2002.
J’ai été nommé sous-ministre pour la première fois par le premier ministre Mulroney et j’ai occupé la fonction de greffier sous le premier ministre Chrétien. Je veux dire par là que j’ai eu une carrière non partisane.
[Français]
Après avoir passé cinq ans à titre de PDG de l’Institut de recherche en politiques publiques à Montréal, j’ai été approché par un directeur général au ministère de la Sécurité publique afin de préparer un rapport sur le manque dans la capacité de l’examen de l’Agence des services frontaliers du Canada.
[Traduction]
En juin de cette année-là, j’ai remis un rapport au ministère. Peut-être parce que j’avais passé quatre ans au Royaume-Uni, je l’ai intitulé Mind the Gap. Le fait est que le processus et la capacité d’examen présentaient des lacunes. J’avais interrogé plus de 50 personnes, parmi lesquelles des juges de la Cour suprême, des directeurs d’organismes, des sous-ministres et de simples citoyens, y compris des membres de groupes ethniques minoritaires. J’ai proposé de créer un organisme de surveillance de l’Agence des services frontaliers du Canada, l’ASFC, et qu’il ait des liens avec l’examen d’autres organismes de sécurité, comme la Gendarmerie royale du Canada, la GRC. J’ai proposé de le structurer de manière à concilier le droit du public à la sécurité et le droit individuel à la protection de la vie privée, en respectant la nécessité de la confidentialité et de mesures coercitives, avec une reddition de comptes indirecte à un organisme de surveillance indépendant.
Quand le projet de loi C-20 a été déposé, j’y ai vu un très bon début dans ce sens. Il ne faisait pas tout ce que je souhaitais. Cependant, comme sept ans s’étaient déjà écoulés depuis mon rapport, j’estimais alors et je suis convaincu à présent que l’adoption du projet de loi C-20 améliorera considérablement le processus d’examen de l’ASFC et, par là même, l’efficacité organisationnelle de l’Agence.
Ne laissez pas le mieux être l’ennemi du bien. Honorables sénateurs, je sais que vous êtes chaque fois confrontés à ce dilemme lorsque vous devez décider de ce que vous renvoyez ou pas à la Chambre.
[Français]
Je suis prêt à répondre à vos questions, mais je dois souligner qu’il s’est passé sept ans depuis que j’ai étudié cette question, et ma mémoire n’est pas aussi aiguë que la vôtre.
Je vous remercie.
[Traduction]
Le président : Je vous remercie, monsieur Cappe. La parole est maintenant à M. Brian Sauvé, de la Fédération de la police nationale. Je vous en prie.
Brian Sauvé, président et directeur général, Fédération de la police nationale : Je vous remercie de m’avoir invité à m’exprimer aujourd’hui. Comme il a été mentionné, je m’appelle Brian Sauvé. Je suis président et directeur général de la Fédération de la police nationale, la FPN, syndicat qui représente près de 20 000 membres de la GRC au Canada et dans le reste du monde.
Nous reconnaissons le rôle essentiel que joue une surveillance civile dans le maintien de la confiance du public. La FPN est depuis longtemps favorable à ce que ce ne soit plus la police qui enquête sur la police, et le projet de loi C-20 offre une excellente occasion de régler cette question. Il pourrait créer une commission d’examen et de traitement des plaintes du public plus indépendante et dotée de toutes les ressources nécessaires, ce qui est, selon nous, essentiel pour renforcer la confiance du public dans les organismes d’application de la loi.
Nous comprenons les amendements proposés par le Comité permanent de la sécurité publique et nationale de la Chambre des communes, notamment ceux qui reconnaissent le rôle de la FPN dans le processus de traitement des plaintes, mais des questions demeurent en ce qui concerne les ressources attribuées à cet organisme et le calendrier des enquêtes.
Aujourd’hui, je présenterai quatre recommandations pour améliorer le projet de loi C-20.
Premièrement, il serait bon de clarifier la définition de plaintes de « tierces parties ». Les amendements actuels au paragraphe 33(1) et à l’article 35 autorisent des « tierces parties » à déposer des plaintes et à recevoir de l’aide. Cependant, le terme « tierce partie » n’est pas clairement défini. On ne sait pas trop qui peut être considéré comme « tierce partie », les circonstances dans lesquelles des « tierces parties » peuvent recevoir de l’aide ou ce que veut dire être « directement concernée » par une plainte. Cette ambiguïté pourrait conduire à une mauvaise utilisation des ressources, car la commission recevrait des plaintes futiles, et cela pèserait encore sur des ressources déjà limitées.
Nous recommandons de préciser si l’on entend par « tierces parties » des particuliers, des organisations ou les deux. De plus, la commission devrait être en mesure de décider d’aider ou pas une tierce partie par rapport à une plainte, d’autres dispositions accordant une certaine latitude dans l’affectation des ressources.
Deuxièmement, il serait bon aussi de rétablir le délai d’un an pour porter plainte. Le projet de loi, dans sa version actuelle, fait passer ce délai à deux ans. Étant donné les défis actuels de la commission en matière de ressources, cette prolongation risque de retarder des enquêtes et de compliquer la collecte de renseignements précis, la mémoire s’altérant. Le processus actuel permet déjà de prolonger le délai dans des cas exceptionnels. Rétablir le délai original d’un an, en ne le prolongeant qu’en cas de nécessité, garantirait des enquêtes menées rapidement et plus fiables.
Troisièmement, il serait bon aussi de revoir l’interdiction totale des accords de non-divulgation. L’article 35.1 interdit complètement les accords de non-divulgation, les AND, dans le cas des plaintes déposées en vertu de la loi. Cette approche générale risque d’avoir des conséquences indésirables dans d’autres procédures et d’avoir pour effet que plus de plaintes donnent lieu à des audiences, ce qui représentera une charge supplémentaire pour le système. Nous recommandons de modifier cet article afin de :
A) permettre que les AND existants découlant d’autres affaires restent exécutoires;
B) permettre aux parties de préserver la confidentialité de renseignements protégés;
C) permettre la confidentialité des aspects financiers des règlements.
Cette approche concilierait la transparence et l’aspect pratique, tout en évitant de peser inutilement sur des ressources limitées.
Enfin, il serait bon de garantir l’entière indépendance et les ressources de la Commission d’examen et de traitement des plaintes du public, la CETPP, proposée. Le projet de loi C-20 offre, selon nous, une occasion unique de renforcer la surveillance civile des organismes d’application de la loi au Canada en garantissant l’entière indépendance de la CETPP. Le gouvernement a toujours promis une plus grande transparence dans l’application de la loi, et ce projet de loi devrait refléter cet engagement. La CETPP doit être dotée des ressources et de la capacité nécessaires pour mener ses propres enquêtes en toute indépendance, sans influence politique ni apparence de conflit ou de partialité.
Pour être efficaces, ces changements doivent permettre des enquêtes éclairées, équitables et rapides qui répondent à l’intérêt général. Une CETPP totalement indépendante garantira plus de transparence et de responsabilité dans les organismes d’application de la loi et vis-à-vis des Canadiens.
Je vous remercie de votre attention et je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
Le président : Je vous remercie, monsieur Sauvé. La parole est, pour finir, à M. Mark Weber, qui s’exprime au nom du Syndicat des douanes et de l’immigration. Nous sommes heureux de vous revoir, monsieur Weber. Je vous en prie.
Mark Weber, président national, Syndicat des douanes et de l’immigration : Je vous remercie, monsieur le président.
Monsieur le président, sénateurs, je vous remercie de m’avoir invité à comparaître devant vous aujourd’hui. En tant que président national du syndicat qui représente le personnel de l’Agence des services frontaliers du Canada, c’est avec beaucoup d’intérêt que je suis le projet de loi C-20, et je suis heureux d’avoir une fois de plus l’occasion de commenter cette mesure législative.
Lors du premier examen du projet de loi à la Chambre des communes, le Syndicat des douanes et de l’immigration a fait part de plusieurs préoccupations au Comité permanent de la sécurité publique et nationale. Bien que le syndicat soit heureux que le comité ait proposé un certain nombre d’amendements en réponse à ces préoccupations, plusieurs questions demeurent, la principale étant la nécessité que le projet de loi garantisse que nos membres puissent se prévaloir des recours offerts par la Commission d’examen et de traitement des plaintes du public.
Cependant, avant de parler plus avant des amendements au projet de loi C-20, je soulignerai son importance dans la confirmation du rôle des agents de l’ASFC en tant que personnel de sécurité publique. La surveillance civile proposée par le projet de loi C-20 concorde certainement avec le rôle des agents de l’ASFC en tant qu’agents d’application de la loi et confirme leur place dans le cadre de sécurité publique de notre pays. Toutefois, elle n’est pas conforme à d’autres lois et processus connexes qui régissent des avantages tels que l’admissibilité à une retraite anticipée. En effet, les agents de l’ASFC chargés de l’application de la loi sont désavantagés par rapport à leurs pairs qui travaillent dans le même type d’organisme qu’eux, car ils doivent travailler plus longtemps avant de prendre leur retraite, tombent souvent malades, se blessent au travail ou ne peuvent satisfaire aux exigences physiques de leur emploi. Quand j’ai témoigné pour la première fois devant le comité de la sécurité publique de la Chambre au sujet du projet de loi C-20, j’ai affirmé qu’il était essentiel de remédier à cette incohérence avant que le projet de loi ne devienne loi.
Nous avons été encouragés lorsque le gouvernement a annoncé en juin qu’un projet de loi permettant de tels changements serait déposé à l’automne. Nous avons hâte de voir très bientôt ces changements, et je tiens à souligner à quel point il est important qu’ils interviennent avant que le projet de loi C-20 soit adopté, afin que les avantages auxquels nos membres ont accès soient compatibles avec la surveillance supplémentaire résultant du projet de loi C-20.
Pour ce qui est des amendements au projet de loi, comme je l’ai fait remarquer dans le passé, l’Agence a la réputation auprès de ses employés de laisser passer des abus flagrants de la direction, et les employés de l’ASFC ont du mal à faire traiter par les voies existantes leurs plaintes concernant des gestionnaires. En fait, les gestionnaires de l’ASFC favorisent souvent l’ambiance même qui permet la multiplication de mauvais comportements. Grâce au fiasco d’ArriveCAN, l’irresponsabilité de la direction de l’Agence est désormais tristement célèbre, et il est évident que la structure de signalement et d’enquête interne de l’ASFC a grand besoin d’être révisée. La semaine dernière, la CBC a publié un article sur un cas où il a été conclu que l’ASFC a « sournoisement dissimulé son incapacité de mener véritablement une enquête », ce qui est malheureusement la norme en ce qui concerne la direction de l’ASFC.
Je suis d’avis que le projet de loi C-20 pourrait aider à résoudre ce problème en définissant clairement le droit des employés de signaler la conduite problématique de supérieurs.
Nous avons également des préoccupations pressantes au sujet des délais, notamment en ce qui concerne le délai initial pour déposer une plainte. Selon la dernière version du projet de loi, les plaintes peuvent être déposées jusqu’à deux ans après l’incident présumé. Étant donné que les agents de l’ASFC interagissent souvent avec des centaines de voyageurs par jour — et que ces interactions peuvent être très brèves —, des délais trop longs désavantageraient énormément les agents faisant l’objet d’une plainte, car il est souvent pratiquement impossible de se souvenir d’une interaction de quelques secondes qui s’est produite plusieurs mois auparavant.
Pour conclure, nous avons déposé auprès du comité un mémoire qui expose en détail nos préoccupations au sujet du projet de loi, et nous espérons qu’il vous sera utile. Je vous remercie et je répondrai avec plaisir à vos questions.
Le président : Je vous remercie, monsieur Weber. Nous allons passer aux questions. Comme d’habitude, quatre minutes seront accordées par question, réponse comprise, et je demande à mes collègues de poser des questions succinctes afin que nous ayons le plus d’interventions possible. La première question revient, comme c’est le cas habituellement, à notre vice‑présidente, la sénatrice Dagenais.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Ma première question s’adresse à M. Sauvé.
Nous conviendrons tous que ce ne sont pas toutes les plaintes contre les policiers qui sont fondées, mais pour l’avoir constaté moi-même à plusieurs reprises, tous les policiers qui font l’objet d’une plainte, fondée ou non, subissent les conséquences de ces dernières. Il y a deux semaines, la présidente de la Commission civile d’examen et de traitement des plaintes relatives à la GRC, Mme Michelaine Lahaie, nous a dit qu’elle n’avait pas connaissance des conséquences pour les policiers quand il y a un long délai pour le traitement d’un dossier ou d’une plainte. D’ailleurs, monsieur Sauvé, vous avez parlé des délais, mais que pensez-vous de ceux-ci? Est-ce que vous pensez que le projet de loi C-20 améliorera le temps de traitement de dossiers?
[Traduction]
M. Sauvé : Dans son libellé actuel, je ne crois pas. Il me semble, d’après mes entretiens avec la Commission civile d’examen et de traitement des plaintes relatives à la GRC, la CCETP, qu’elle s’attend à une charge de travail bien plus importante avec un minimum de ressources supplémentaires. On ajoute presque un tiers de sujets de plainte possibles en incluant l’ASFC, ce qui est très bien, à mon avis, pour les organismes d’application de la loi. Cependant, il faut tenir compte du nombre d’interactions de l’ASFC, comme le soulignait M. Weber, et du nombre d’interactions de la GRC. Nous parlons, pour nos membres, de trois millions d’interactions recensées par an pour l’ensemble du Canada.
Très peu de ces interactions sont soumises au processus d’examen des plaintes du public, encore moins parmi celles-ci font l’objet d’enquêtes et encore moins parmi ces dernières aboutissent à un appel de la CCETP, et encore moins à cette étape — et nous parlons d’environ 1 %, voire moins — donnent lieu à une enquête complète à l’initiative de la présidence.
Cependant, à l’heure actuelle, par exemple, la politique stratégique fait l’objet d’une enquête de la CCETP au sujet du Groupe d’intervention pour la sécurité de la collectivité et de l’industrie de la Colombie-Britannique, qui est l’unité tactique à plein temps qui a été déployée pour faire appliquer une injonction d’un tribunal provincial dans de nombreuses zones de manifestation contre l’abattage de vieux arbres. L’affaire remonte il y a deux ans et demi et nous n’avons pas encore de rapport provisoire.
La CCETP, telle qu’elle existe aujourd’hui, a des problèmes de ressources et ajouter à sa charge sans augmenter réellement ses niveaux de ressources n’améliorera pas les choses.
[Français]
Le sénateur Dagenais : J’ai une question pour M. Cappe. Je suis un ancien policier et j’ai l’impression que, malgré les mécanismes mis en place pour accueillir les plaintes des citoyens, ceux qui portent plainte ne seront jamais satisfaits. Les recherches que vous avez menées vous permettraient-elles d’expliquer l’insatisfaction et la suspicion qui existent envers les commissions qui enquêtent sur les plaintes?
M. Cappe : Si j’ai bien compris, je pense que c’est une question de confiance. Comment créer ou soutenir une confiance dans le processus et les gens qui sont responsables de la mise en place de ces enquêtes? Ultimement, je pense qu’il est d’abord très important de choisir les bonnes personnes comme membres de cette commission. Deuxièmement, je suis tout à fait d’accord avec M. Sauvé pour dire qu’il faut avoir assez de ressources pour qu’elle puisse faire ce qu’elle doit faire.
[Traduction]
Le sénateur Boehm : Je remercie les témoins de leur présence aujourd’hui. Je prendrai le relais de la sénatrice Dagenais et parlerai, monsieur Sauvé, de la recommandation de la Fédération de la police nationale de mettre fin à la pratique des enquêtes de police sur la police dans le cadre de l’actuelle CCETP.
Pensez-vous que le modèle d’enquête hybride avec des enquêteurs civils et policiers mettrait fin à l’impression de partialité qu’a le public ou s’agit-il seulement d’un pas dans cette direction?
Dans le même ordre d’idées, vous avez mentionné dans votre réponse précédente le nombre total de plaintes et le nombre de plaintes auxquelles il est réellement donné suite, et vous avez laissé entendre qu’il faudrait plus de fonds et de personnel. Je sais qu’il est très difficile de prévoir combien de fonds et de personnel il faudrait, mais avez-vous une idée générale des besoins pour gérer l’augmentation prévue des plaintes en maintenant l’efficacité et l’indépendance que vous préconisez?
M. Sauvé : Je donnerai une idée approximative. Je sais que le personnel actuel de la CCETP sait probablement mieux ce dont il pourrait avoir besoin en prévision de ce qu’il pourrait voir à l’avenir, à l’approche de la conclusion et de l’entrée en vigueur du projet de loi C-20, mais sa charge de travail va très probablement doubler. En fait, si nous voulons un organisme totalement indépendant, il faudra probablement quadrupler le personnel.
Dans notre mémoire, nous parlons un peu du processus actuel, évidemment. Si je suis membre de la GRC à Estevan, en Saskatchewan, et que j’ai une plainte du public à la suite d’un contrôle routier que j’ai fait il y a six mois, c’est très probablement un membre de la GRC d’Estevan ou des régions avoisinantes qui sera chargé d’enquêter sur cette affaire. Le problème, c’est que l’on demande à un membre de la GRC, payé par la Saskatchewan, de laisser de côté ses responsabilités communautaires pour enquêter sur quelque chose, alors qu’il n’y a pas de recouvrement des coûts. S’il lui faut 40 heures pour enquêter sur une plainte du public, ce sont 40 heures de travail policier dont la Saskatchewan et les citoyens d’Estevan ne voient pas la couleur.
Nous recommandons notamment de mettre en place un modèle de recouvrement des coûts, si nous maintenons le même système où la GRC enquête sur les plaintes du premier processus.
Quant au modèle hybride, il fonctionne très bien avec l’équipe d’intervention en cas d’incident de l’Alberta, l’ASIRT; avec l’équipe d’intervention en cas d’incident de la Saskatchewan, la SIRT, et avec les équipes d’intervention en cas d’incident de la Nouvelle-Écosse, du Nouveau-Brunswick, de Terre-Neuve et de l’Île-du-Prince-Édouard, principalement parce que l’on a des gestionnaires de cas graves qui ont une grande expérience du travail de police et qui connaissent sans doute la culture et la situation, et que l’on intègre des civils à mesure qu’ils y sont exposés, de sorte que cette approche hybride semble très bien fonctionner.
Le sénateur Boehm : J’ai une petite question pour monsieur Cappe. Étant donné votre grande expérience de l’administration publique, votre expérience à l’étranger et votre connaissance des rouages de l’appareil gouvernemental en général — bien sûr, le Bureau du Conseil privé s’occupe de cela —, quelles sont, selon vous, les chances d’avancer très rapidement dans ce dossier?
M. Cappe : J’aurais aimé qu’il soit facile de répondre, mais ce n’est pas le cas. Je pense qu’au fond, le fait que la CCETP soit déjà en place aide, car on élargit son mandat, mais je pense comme M. Sauvé qu’il faut qu’elle dispose de ressources suffisantes.
Par ailleurs, je pense que l’Agence — c’est-à-dire l’ASFC — doit se préparer, ce qu’elle fait déjà à bien des égards. Elle dispose d’un organisme d’examen interne qui fait sa propre police, ce que nous voulons éviter, mais elle sera en mesure de s’adapter très rapidement. En ce sens, je pense qu’elle est bien placée pour mettre rapidement en œuvre les mesures.
La sénatrice M. Deacon : J’ai quelques questions, mais je reviendrai d’abord sur certaines choses que vous avez dites.
Monsieur Cappe, vous avez une expérience aussi vaste qu’approfondie, ce que nous apprécions. Oui, faisons en sorte que le projet de loi soit adopté. Il n’est pas parfait. Il y manque selon vous des éléments et j’aimerais que vous preniez quelques instants pour nous les exposer.
M. Cappe : Volontiers. Le premier est la capacité de la commission d’examen d’interagir avec l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement. Elle peut évidemment le faire d’un point de vue administratif, mais le projet de loi ne me semble pas contenir de disposition qui le valide.
J’aimerais qu’il y ait une telle disposition — qui crée une passerelle entre les deux — et, selon moi, la possibilité pour la commission d’ouvrir de son propre chef une enquête, sans qu’il y ait de plainte, sur certains problèmes liés aux politiques.
Soyons clairs, je ne pense pas que l’une ou l’autre de ces mesures doive être prise d’emblée. Ces deux choses — et avec tout le respect que je dois à M. Sauvé, avec qui j’ai maintenant été d’accord plusieurs fois —, aucune de ses propositions ne doit être suivie d’effet maintenant pour commencer le processus de mise en œuvre. Elles peuvent toutes faire l’objet d’une mesure législative ultérieure.
J’aimerais que quelque chose soit mis en place pour que l’ASFC ne reste pas sans examen et qu’ensuite, la loi soit améliorée au fil du temps.
La sénatrice M. Deacon : Je vous remercie de votre réponse, que je comprends.
Monsieur Sauvé, c’est un plaisir de vous revoir au comité. Pouvez-vous nous en dire plus sur une de vos propositions au sujet du rétablissement — c’était le terme — des AND et de la disposition relative aux accords de non-divulgation? Vous avez ensuite parlé un peu de l’exemple 1 ou de la partie 1, puis de la partie 2.
Pouvez-vous clarifier votre propos?
M. Sauvé : Si nous parlons de l’exclusion, dans le libellé actuel, de tout ce que contient un accord de non-divulgation dans une affaire distincte, elle signifie que l’on ne peut pas s’y référer dans la procédure de la CETPP.
Prenons, par exemple, une plainte contre un membre de la GRC au sujet de l’enquête sur ma collision avec un véhicule automobile, pour laquelle j’ai eu séparément avec l’autre conducteur un litige qui a été réglé avec un accord de non‑divulgation, aucune des dispositions de ce règlement ne peut être utilisée ou invoquée dans la procédure d’examen de la CETPP sur la façon dont la GRC m’a traité. Ce devrait être possible tout en préservant la confidentialité des règlements financiers et des dossiers médicaux qui faisaient peut-être partie d’une procédure afin de permettre de traiter la plainte du public et d’avoir une enquête équitable, transparente et approfondie.
La sénatrice M. Deacon : Je cherchais un scénario. Je vous remercie de votre explication. Elle est utile.
La sénatrice Dasko : Je remercie les témoins de leur présence aujourd’hui.
Ma première question est pour M. Cappe. Vous avez peut-être étudié ces questions il y a sept ans, quand vous faisiez cette analyse. Quels sont les avantages ou les inconvénients de faire rendre compte de ce processus au pouvoir législatif plutôt qu’à un ministère fédéral? Je ne sais pas si vous vous êtes penché sur cette question ou ce que vous en pensez.
M. Cappe : Si je comprends bien votre question, je dirai que la reddition de comptes fait partie des principes fondamentaux de la façon dont nous procédons en l’espèce.
Le gouvernement doit rendre compte de ses activités au Parlement et, par conséquent, les processus de reddition de comptes en place doivent être bien structurés de sorte que, premièrement, l’ASFC produise des rapports et fournisse beaucoup de renseignements au Parlement et que, deuxièmement, la commission communique également des renseignements au Parlement.
Soyons clairs, je ne suis pas policier, mais nous parlons du recours à la coercition et à la force dans certaines circonstances. Les membres de M. Weber aussi. Il est nécessaire. Ils assurent la sécurité du Canada et des Canadiens. Nous devons toutefois veiller aussi à ce qu’ils rendent des comptes. Nous devons protéger la confidentialité dans les enquêtes menées par la police et les services de renseignement. Nous avons donc besoin d’une tierce partie qui puisse attester qu’ils respectent la loi.
Oui, je leur demande de rendre des comptes au Parlement, mais je mettrais en place un système comportant un mécanisme de contrôle et en vertu duquel tout ne doit pas être divulgué au Parlement.
La sénatrice Dasko : Estimez-vous que le projet de loi est équilibré et que l’approche est bonne?
M. Cappe : Je le pense. Il s’agit, selon moi, d’une bonne approche.
La sénatrice Dasko : J’aimerais en savoir plus sur les conséquences du nouveau processus de plainte, à la fois en ce qui concerne le volume — monsieur Sauvé, vous avez laissé entendre que le volume pourrait augmenter — et les types ou catégories de plaintes, disons, qui pourraient être déposées à présent et qui ne l’étaient pas dans le processus précédent. Il y avait un processus de plainte. Je crois savoir qu’on a calculé le nombre de plaintes. Je ne sais pas dans quelle mesure on les a classées par catégorie. Je ne suis pas certaine de ce que nous savons précisément.
Ma question s’adresse à tous les témoins et porte sur les conséquences potentielles de l’évolution du nombre et du type de plaintes qui pourraient ne pas être déposées aujourd’hui, mais qui le seraient dans le cadre du nouveau processus.
M. Sauvé : Étant policier, j’ai fait l’objet de plaintes du public, mais j’ai également été chargé d’enquêter sur des plaintes du public contre d’autres membres.
Je déteste mettre tout le monde dans le même sac, mais je nuancerai en disant qu’avec les médias sociaux et Internet qui transforment le monde en un village planétaire et la polarisation variable des perspectives, nous finirons par nous retrouver dans un monde où des responsables de l’application de la loi seront visés par des plaintes futiles et vexatoires. Cela met l’actuelle CCETP dans une position difficile où elle doit justifier le rejet de ces plaintes parce qu’elles sont déposées en dehors des délais, qu’elles sont futiles ou qu’elles sont vexatoires.
M. Cappe : J’ai un bref commentaire pour relier vos deux points, sénatrice.
L’élément clé de ma proposition était de maintenir l’obligation de rendre des comptes de l’agence, ou de la police, afin que les organisations elles-mêmes soient responsables de la gestion de cette question. M. Sauvé a montré comment les chiffres diminuent et que la CCETP n’a à traiter que les cas les plus flagrants. Il faut qu’il continue d’en être ainsi. Il ne faut pas que les plaintes futiles et vexatoires prennent tout le temps. Il faut donc que ce soit l’agence qui entame le processus une fois qu’une plainte a été déposée.
M. Weber : Je suis en partie d’accord avec ce que M. Sauvé a dit. À mon avis, beaucoup de plaintes auront des motifs politiques. Ce sera une nouvelle réalité pour l’ASFC. À l’heure actuelle, nous n’avons que notre processus interne. Est-ce que le nouveau processus fera qu’il y aura plus de plaintes? Je le suppose. Combien. Je ne suis pas certain. Cela reste à voir.
La sénatrice Omidvar : J’ai une question pour chacun des témoins.
Monsieur Cappe, je n’ai pas lu tout votre rapport. Je l’ai parcouru. Il date de 2017. Vous avez dit que, dans l’ensemble, vous êtes satisfait du projet de loi, bien que certaines de vos propositions n’en fassent pas partie.
Pouvez-vous me dire en quoi le projet de loi a été amélioré par votre proposition?
M. Cappe : Bonne question. Sénatrice, je n’en suis pas certain. Elle représentait bien des choses qui seraient, selon moi, faites sur le plan administratif. Il est intéressant de se demander ce que l’on veut laisser à la direction et quand on veut que le Parlement dicte comment il faut procéder. C’est un peu plus normatif que je ne le pensais probablement.
La sénatrice Omidvar : Nous avons ici des témoins qui demandent plutôt plus de prescriptions que moins.
M. Cappe : Il est toujours possible d’améliorer le projet de loi.
La sénatrice Omidvar : Monsieur Sauvé, vous avez parlé de la recommandation que vous nous avez faite de clarifier ce que nous entendons par particuliers ou organisations autorisées à déposer une plainte à titre de tierce partie. Il n’y a pas de définition. Vous souhaitez que le projet de loi précise comment elles seront aidées. Ne pensez-vous pas que ce genre de conversation a lieu lors des discussions sur les règlements?
M. Sauvé : Sans doute. « Règlement à suivre », c’est ce qui est parfois indiqué quand un projet de loi est adopté.
J’attends des changements aux règlements de la Loi de l’impôt sur le revenu. M. Weber a laissé entendre qu’il attend des changements à ceux de la Loi sur les pensions. Ils sont le fait d’un gouvernement surchargé qui a des priorités du jour en ce qui concerne ses effectifs. Les règlements viendront peut-être par la suite.
Je crois que M. Cappe et moi allons devenir les meilleurs amis du monde aujourd’hui parce que je suis d’accord avec une grande partie de ce qu’il a dit et qu’il est d’accord avec une grande partie de ce que j’ai dit. Le défi, en attendant, est de savoir si nous ne créons pas quelque chose de trop général en élargissant la catégorie des organismes d’application de la loi dans le projet de loi C-20 pour y inclure l’ASFC. Allons-nous nous retrouver avec un certain nombre de plaintes de parties intéressées qui soutiendront qu’elles devraient être considérées comme des tierces parties en tant qu’organisations, ce qui influera sur les futurs règlements avant qu’ils soient publiés?
La sénatrice Omidvar : Monsieur Weber, je vous remercie de votre point de vue. L’amendement proposé à la Chambre a, en effet, été adopté et il prévoit la possibilité pour les membres de l’ASFC de recourir à la CETPP pour régler certains des problèmes dont nous avons parlé.
Ce qui me préoccupe, c’est que ce projet de loi concerne les clients de la GRC et de l’ASFC qui ont une plainte à déposer. Vos membres sont syndiqués. Ils disposent de voies d’arbitrage et de négociation. Je crains qu’un volume de plaintes émanant de vos membres syndiqués ne compromette l’accès des particuliers. Qu’en pensez-vous? Ai-je raison ou tort?
M. Weber : Je ne pense pas que cela se produira. La difficulté que nous rencontrons est que les processus en place ne mènent à rien à l’ASFC. Dans de nombreux milieux de travail, nous avons une culture très toxique qui conduit à des comportements discriminatoires et répréhensibles contre lesquels on essaie de lutter dans ce projet de loi. Lorsque nous avons un milieu de travail où la direction et la haute direction se comportent ainsi, les voyageurs n’ont d’interaction qu’avec les agents des services frontaliers.
Il sera impossible de traiter le cas des principaux responsables de la création de l’atmosphère qui permet ce type de comportement en application de ce projet de loi si on le réserve aux voyageurs. C’est pourquoi vous devriez vraiment envisager d’autoriser les personnes qui travaillent à l’ASFC à utiliser ce projet de loi, à déposer des plaintes et à soulever ce type de problèmes systémiques, afin que l’on puisse les régler et apporter les changements que vous souhaitez.
La sénatrice Patterson : Je remercie les témoins. Leurs témoignages sont fort intéressants.
Monsieur Weber et monsieur Sauvé, ma question est pour vous, étant donné qui vous représentez dans tout cela. Nous parlons d’un cadre législatif général, indépendamment du fait que des personnes sont concernées et qu’il s’agit de membres de vos organisations respectives.
Ce qui peut se produire lorsque nous travaillons sur la transparence et que nous cherchons un équilibre, c’est que, parfois, on veuille écarter les dirigeants par quelque mécanisme que ce soit, surtout dans une culture des médias sociaux particulièrement vigoureuse. Comment ferez-vous pour vous assurer que les membres de vos groupes obtiennent justice — pour que les intimés obtiennent justice, au même titre que les plaignants?
Nous savons également que la divulgation d’un nom, en particulier lorsque l’on essaie d’être transparent, ce qui est essentiel, peut entraîner une révocation et des conséquences à vie pour les carrières.
Est-ce que le projet de loi réglera cette question ou est-ce qu’elle sera mieux réglée dans le règlement?
M. Weber : Il y a du travail à faire sur ce plan. J’ai notamment mentionné aussi dans mes observations préliminaires que le délai de deux ans pour déposer une plainte posera un problème de taille à nos membres. Comme je l’ai dit, certains d’entre eux ont affaire à des centaines de voyageurs par jour. Imaginez qu’une plainte soit déposée au sujet d’une interaction de cinq secondes qui s’est produite il y a 18 mois. La probabilité de s’en souvenir ou de savoir ce qui s’est passé est presque nulle. Ce n’est juste ni pour l’accusateur ni pour l’accusé. En plus de ce délai, il faut des délais précis pour la conclusion d’une enquête. Des délais doivent être précisés pour chaque étape. À l’heure actuelle, il semble que ces enquêtes peuvent durer des années sans qu’il y ait de véritables délais clairement établis quant au moment où une décision doit être prise.
La sénatrice Patterson : Monsieur Sauvé, voulez-vous ajouter quelque chose?
M. Sauvé : Il est intéressant que vous en parliez. J’ai oublié de le mentionner tout à l’heure à propos de la remarque de M. Cappe sur la responsabilité de l’agence ou de l’organisme chargé de l’application de la loi. Cela figurait dans notre mémoire à l’autre comité, mais, par exemple, nous avons environ 14 000 membres de la GRC qui servent de manière uniforme dans tout le Canada, dans 13 provinces et territoires, dans des rôles municipaux, provinciaux et fédéraux. Ils sont soumis à trois types de surveillance précis, dont l’un est pénal. Ainsi, en Ontario, la surveillance civile est assurée par l’Unité des enquêtes spéciales, l’UES; et au Québec, par le Bureau des enquêtes indépendantes, le BEI. Par ailleurs, le code de déontologie de la GRC prévoit des sanctions pouvant aller jusqu’au renvoi. Les enquêtes du BEI, organisme civil, peuvent conduire à une peine d’emprisonnement. Le troisième type de surveillance est celui exercé par la CCETP, qui est généralement de nature administrative pour l’organisation en ce qui concerne les politiques, la formation et la mise en œuvre.
Il faut savoir que nous avons souvent affaire à une culture de la censure à l’égard des membres de la GRC qui font l’objet d’une enquête d’un organisme de surveillance civile ou d’une audience publique où l’on réclame leur renvoi. Des audiences tout à fait publiques ont eu lieu la semaine dernière au sujet d’un dossier concernant Coquitlam.
Normalement, dans les dossiers de surveillance civile, à moins que le membre soit accusé devant un tribunal pénal, les renseignements le concernant demeurent privés et confidentiels, et ils ne sont jamais publiés.
Dans une procédure disciplinaire, si le renvoi est demandé, l’affaire est publique parce que les audiences sont publiques. C’est une bonne chose. Que le comportement soit bon ou mauvais, nous soutenons à 100 % le principe de la transparence du système judiciaire et des audiences publiques.
Dans le cas de la CCETP, ce n’est généralement qu’une fois que la présidence prend l’initiative d’examens, et que le rapport devient final après que les recommandations du commissaire ont été acceptées ou rejetées, que ce rapport devient public.
Depuis l’accréditation — n’oubliez pas que nous sommes un syndicat relativement nouveau, créé il y a environ cinq ans maintenant —, nous participons au processus pour pouvoir aider, guider et présenter le point de vue de la FPN ou des membres à la CCETP, comme la GRC le fait en ce qui concerne les recommandations.
Cela a eu une incidence sur trois plaintes de la présidence au cours des cinq dernières années. La commission est surchargée de travail, comme je l’ai mentionné précédemment.
J’espère que nous nous améliorerons au fur et à mesure que nous avancerons.
Le sénateur Yussuff : Je remercie les témoins de leur présence. J’ai trois ou quatre questions.
Monsieur Sauvé et monsieur Weber, je comprends qu’une plainte puisse refroidir quelqu’un. Je pense que vous conviendrez que vous êtes tous deux responsables d’organismes publics qui, à ce titre, devraient faire l’objet d’une certaine surveillance. Ce projet de loi s’est heurté à de nombreux obstacles et n’a jamais, évidemment, été adopté par le Parlement, mais nous pourrions finir par l’adopter ici.
Je comprends votre point de vue sur les lacunes du projet de loi.
Permettez-moi de traiter rapidement ce sujet, car vous êtes tous deux sur la même longueur d’onde en ce qui concerne le délai d’un an ou de deux ans pour déposer une plainte.
Pourquoi ce délai est-il si important? Est-ce seulement à cause de la question de la mémoire individuelle ou pensez-vous qu’il risque de diminuer la capacité à répondre de manière appropriée pour fournir les preuves nécessaires?
M. Sauvé : À mon avis, aujourd’hui, vous pouvez probablement poser la question à Mme Lahaie, la présidente de l’actuelle CCETP. Elle est investie d’une grande autorité ou de la capacité de reporter et de faire valoir des circonstances exceptionnelles pour accorder un délai supérieur à un an.
Je ne comprends pas pourquoi nous devons automatiquement porter ce délai à deux ans. Il est évident qu’elle pourra toujours, dans des circonstances exceptionnelles, aller au-delà de deux ans.
Encore une fois, nous envisageons d’augmenter la charge de travail de la commission en permettant ces plaintes tardives, et elles peuvent concerner le contrôle routier à Estevan, en Saskatchewan, où j’ai contesté l’amende pour excès de vitesse 18 mois plus tard, et je dirai que le policier s’est montré grossier.
M. Weber : J’ajouterai qu’il s’agit de la possibilité pour nos membres de répondre aux plaintes. Étant donné le nombre de personnes avec lesquelles nous avons des interactions, une fois tout ce temps passé, il nous sera très difficile de nous défendre contre n’importe quelle plainte. Il est peu probable que nous nous souvenions de ce qui s’est passé.
Quand il a été mentionné plus tôt que la représentation syndicale est couverte par l’ajout des mots « tierces parties », et nous recommandons dans notre mémoire de renforcer le texte pour bien préciser que les droits syndicaux s’appliquent, que les membres visés par des plaintes ont le droit d’être représentés par leur syndicat, que le droit de grief demeure pendant tout ce processus et que tous les droits liés aux conventions collectives sont consacrés. Quand on utilise des termes généraux, comme « tierce partie », ils sont en quelque sorte laissés à l’interprétation de l’employeur. Je soupçonne fort que l’interprétation sera que le syndicat n’a aucun rôle du tout à jouer dans ce cas.
Le sénateur Yussuff : Monsieur Cappe, deux brèves observations. Il est évident que ce projet de loi ne sera pas sans poser de difficultés, comme toute nouvelle mesure législative. Je pense que le Parlement devrait réexaminer la loi dans un délai de trois à cinq ans pour voir ce qui fonctionne, ce qui ne fonctionne pas et comment y remédier. Qu’en pensez-vous?
Deux autres observations aussi. Vous parlez de l’efficacité opérationnelle du projet de loi et, bien sûr, de la surveillance. Êtes-vous convaincu que ce que prévoit actuellement le projet de loi peut réellement améliorer ces deux autres aspects?
M. Cappe : Premièrement, le Parlement peut examiner la législation quand il le souhaite. Il est inutile de décréter qu’après trois ans, la loi devient caduque si le Parlement ne la révise pas. C’est à vous de voir s’il faut la modifier ou non.
À vrai dire, l’agence et la commission vont soumettre des rapports au Parlement pour vous faire savoir qu’il y a un problème ou que tout va comme sur des roulettes. Cela m’inquiète moins.
Il ne faut pas confondre surveillance et examen. L’examen est réalisé a posteriori, après que des mesures ont été prises. Jadis, un inspecteur général faisait de la surveillance en temps réel au sein du ministère de la Sécurité publique. Son rôle était de remettre en question les activités d’organismes comme le Service canadien du renseignement de sécurité, entre autres.
Comme c’était assez inutile, le gouvernement Harper a aboli cette fonction. Ce qui importe avant tout, c’est l’examen en profondeur, et celui qui est prévu dans ce projet de loi est tout à fait adéquat.
Le sénateur Cardozo : Merci d’être ici. Je vous prie de m’excuser pour mon retard. J’espère que le sujet que je vais aborder n’a pas déjà été soulevé... Je vais regarder l’enregistrement.
Ma question s’adresse à M. Cappe. Vous avez été le greffier responsable de l’ensemble des activités à Ottawa. À votre avis, quels seront les défis d’un organisme dont le mandat d’examen s’étendra à deux organismes, dont un qui a déjà été sous sa garde? Est-ce qu’il y a des inconvénients à charger un organisme d’examiner deux autres organismes qui sont liés, mais différents?
M. Cappe : Je ne crois pas que cela pose problème. Au contraire, c’est selon moi une approche plutôt intéressante, qui dénote une volonté de créer une commission qui aura à l’œil les responsables de l’application de la loi, qui sont très nombreux. Quand j’étais sous-ministre de l’Environnement, mes agents de protection de la faune faisaient appliquer la loi et ils étaient armés. Il est tout à fait normal qu’à un certain moment, le Parlement souhaite prendre un moment pour réfléchir et faire un bilan après la mise en œuvre. J’ai été impliqué dans le Bureau de la concurrence. Le personnel n’est pas armé, mais il effectue des opérations de perquisition et de saisie. Il y a beaucoup de plaintes, mais aucun organisme pour les traiter. Les plaignants peuvent s’adresser à la Cour fédérale pour engager une procédure de justice naturelle, mais il n’y a personne pour recevoir leurs plaintes.
Il faudra peut-être en arriver à considérer que c’est un organisme d’examen des activités d’application de la loi.
Le sénateur Cardozo : Le mandat d’examen devrait-il s’étendre à d’autres organismes? Devrait-il englober les agents d’immigration et d’autres?
M. Cappe : M. Weber est beaucoup mieux placé que moi pour parler de ce sujet. Les agents des services frontaliers doivent mettre en œuvre et faire respecter à peu près 90 dispositions législatives. Ils sont très actifs. Nous avons la Commission de révision agricole, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, pour n’en nommer que quelques-unes. La liste est très longue. Or, aucun de ces organismes ne surveille la conduite et les actes des agents, et c’est exactement le rôle qui sera confié à cette commission.
Le sénateur Richards : Je remercie les témoins de leur présence.
J’ai une question pour M. Sauvé. Quel est le nombre approximatif de plaintes reçues par la GRC dans une année à l’échelle du pays? Le savez-vous? J’imagine que ce nombre est assez élevé.
M. Sauvé : Non, il n’est pas si élevé.
Le sénateur Richards : Ce nombre n’est pas élevé?
M. Sauvé : Non. Nous en parlons dans le mémoire que nous avons déposé à la Chambre des communes, que nous serons heureux de vous transmettre. On parle de quelque chose comme 3 000 plaintes, dont près de 2 100 sont rejetées au motif qu’elles sont frivoles ou ne satisfont pas au mandat. Les 800 plaintes restantes sont transmises aux membres de la GRC pour fins d’enquête. Sur ces 800 plaintes, 700 environ sont réglées en première instance, et à peu près 150 peuvent faire l’objet d’un appel par le plaignant à la CCETP pour nouvelle enquête. Considérant qu’il y a trois millions d’interactions consignées par année, ce bilan semble assez positif.
Le sénateur Richards : La commission devra ouvrir une enquête même si une plainte est frivole, pour décider si c’est effectivement le cas ou non. Pensez-vous que la période de deux ans est justifiée et contribuera à améliorer la surveillance, ou pensez-vous qu’une année suffirait?
M. Sauvé : Je pense qu’une année suffirait. Actuellement, une déférence est accordée au président de la CCETP — qui deviendra la CETPP —, et il faudrait continuer d’accorder cette déférence et permettre qu’une décision concernant l’existence de circonstances atténuantes soit rendue au-delà d’un an.
Le sénateur Richards : Merci.
[Français]
Le sénateur Carignan : Ma question s’adresse à M. Cappe. Elle porte sur le retrait du contrôle par un ancien juge de renseignement protégé. Il y a actuellement une disposition dans la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada qui permet à la GRC de refuser de donner accès à des renseignements qui sont protégés. Ils doivent cependant donner les raisons du refus. Si on est insatisfait, on peut aller devant un ancien juge. Cette possibilité a été retirée du projet de loi C-20. Savez-vous pourquoi? Ce mécanisme a-t-il déjà été utilisé?
M. Cappe : Je n’ai aucune information sur cela. Je n’étais pas au courant qu’il y avait une telle capacité et qu’elle a été retirée.
Le sénateur Carignan : Y a-t-il d’autres témoins qui sont au courant de cela ou qui auraient de l’information à ce sujet? Non. D’accord. Merci.
Le sénateur Dagenais : Monsieur Sauvé, vous avez établi clairement que c’est une faible proportion des plaintes qui donnent lieu à des procédures. J’aimerais savoir ceci : quelles sont les conséquences pour la carrière d’un policier faisant l’objet d’une plainte, même si elle est non fondée?
M. Sauvé : Sur le plan de la Commission civile d’examen et de traitement des plaintes relatives à la GRC — le projet de loi dont on parle aujourd’hui —, les conséquences pour un membre de la GRC, en plus de l’embarras social des suites d’une enquête publique, sont l’orientation opérationnelle, qui peut être de la formation, ou une enquête d’une agence indépendante comme le BEI. Cela peut être criminel. Toutefois, ce n’est pas dans le projet de loi dont on parle aujourd’hui.
[Traduction]
Le président : C’est ce qui clôt nos échanges avec ce groupe de témoins. Le temps a passé vite et les discussions ont été fort instructives. Merci, messieurs Cappe, Sauvé et Weber, d’avoir témoigné devant nous aujourd’hui et de nous avoir fait profiter de vos lumières, de votre grande expérience et de votre discernement.
Vous avez apporté une contribution fort utile à nos travaux, comme le montre l’intérêt suscité dans la salle. Nous vous offrons nos sincères remerciements au nom du comité et du Sénat du Canada.
Nous allons poursuivre avec un autre groupe de témoins. Nous avons le grand honneur d’accueillir M. Natan Obed, président, ainsi que Mme Elizabeth Zarpa, conseillère juridique au sein de l’organisme Inuit Tapiriit Kanatami. Nous recevons également des porte-parole de l’Assemblée des Premières Nations : M. Andrew Bisson, chef de la direction, et Mme Julie McGregor, conseillère juridique. Merci beaucoup de vous joindre à nous.
Nous allons tout d’abord entendre vos déclarations liminaires et les membres vous poseront vos questions ensuite. Le premier à prendre la parole sera M. Natan Obed, le président d’Inuit Tapiriit Kanatami. Nous sommes ravis de vous revoir. Vous pouvez y aller quand vous êtes prêt.
Natan Obed, président, Inuit Tapiriit Kanatami : Nakurmiik. Merci, monsieur le président. C’est un plaisir pour nous de rencontrer tous les participants réunis ici.
L’organisme national Inuit Tapiriit Kanatami représente les 70 000 Inuits du Canada.
Notre premier et principal sujet de préoccupation concernant le projet de loi a rapport à la langue. L’inuktut est la langue maternelle de la majorité des Inuits de ce pays, qui vivent pour la plupart dans l’Inuit Nunangat, qui couvre 40 % du territoire canadien. L’Inuit Nunangat compte 51 communautés inuites et la totalité du territoire est visée par des traités modernes. Nous sommes soit les propriétaires, soit les cogestionnaires — avec le gouvernement fédéral, les provinces et les territoires — des terres de ces 3,6 millions de kilomètres carrés de ce territoire.
L’Inuit Nunangat est composé de quatre régions, dont l’Inuvialuit dans les Territoires du Nord-Ouest, et le Nunavut, où il y a un chevauchement complet avec le gouvernement du Nunavut. L’accord du Nunavut a créé le territoire du Nunavut. Il a été conclu entre les Inuits et la Couronne. Les autres régions sont le Nunavik, au nord du Québec, et le Nunatsiavut, au nord du Labrador.
Parmi nos communautés, 70 % reçoivent des services de police contractuels de la GRC, dont la plupart des employés ne sont pas inuits. Nous collaborons de façon proactive avec la GRC. Nous avons un protocole d’entente. Nous avons un plan de travail commun. Une partie de ce plan porte sur les ressources humaines, une autre sur les communications et les défis liés à la langue. Une autre partie est liée aux données. Peu importe ce que nous tentons de faire et ce que nous aimerions que la GRC fasse, les Inuits restent nombreux à avoir l’impression que les services policiers sont déployés sur notre sol sans aucun respect pour nos droits de la personne, et particulièrement pour ce qui concerne la langue de service.
Nous sommes aussi grandement préoccupés par le recours à la force excessive et les nombreux exemples de ces pratiques.
Pour ces raisons, nous pensons que ce projet de loi pourrait grandement contribuer à l’instauration de services policiers équitables pour les Inuits. Il pourrait contribuer au respect des droits de la personne qui nous sont reconnus. Il pourrait améliorer les relations avec la GRC. Il pourrait aussi contribuer à la mise en œuvre des appels à la justice de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées.
Voici maintenant quelques suggestions plus précises. Un premier amendement d’ordre pratique consisterait à intégrer des dispositions qui assureraient aux Inuits d’avoir accès aux services de plaintes de la commission en inuktut. Dans la version actuelle, il est prévu que les services devront être offerts en français et en anglais. Il n’y a aucune mention des langues autochtones et, pour ce qui nous concerne particulièrement, de l’inuktut.
Nous recommandons de plus que cette langue soit utilisée dans le projet de loi. C’est essentiel pour assurer la soumission des plaintes aux conseillers juridiques de la commission, comme il est prévu aux articles 35 et 59 du projet de loi, pour que l’expérience réelle des Inuits lorsqu’ils interagissent avec la GRC soit prise en compte et pour donner suite à l’appel à la justice 5.7 et à l’action 6.12 du Plan d’action national pour les femmes, les filles et les personnes 2ELGBTQQIA+ autochtones disparues et assassinées. Nous avons recommandé d’accroître le nombre de représentants autochtones au sein des organismes civils de surveillance de la police. Une amélioration significative du projet de loi consisterait à y prévoir explicitement la représentation inuite au sein de la commission, particulièrement à l’article 3, et à ajouter des dispositions à l’article 6 visant l’établissement d’organismes régionaux à l’échelle de l’Inuit Nunangat.
Nous accueillons favorablement l’objet du projet de loi, mais nous craignons que le fédéral adopte encore une fois une mesure législative insuffisante, qui ne reconnaît pas explicitement les obligations du Canada à l’égard des peuples autochtones, et notamment pour ce qui concerne la langue et la prestation de services dans les régions éloignées.
Nakurmiik.
Le président : Merci beaucoup, monsieur le président. Je suis certain que mes collègues auront des questions pour vous.
Le prochain intervenant sera M. Andrew Bisson, le porte‑parole de l’Assemblée des Premières Nations. Vous avez la parole.
Andrew Bisson, chef de la direction, Assemblée des Premières Nations : Merci. Bonjour à tous. Je prends la parole au nom de la cheffe nationale Cindy Woodhouse Nepinak, qui vous prie de l’excuser. Elle participe à une autre réunion. Je suis membre de la Première Nation de M’Chieeng, de l’île Manitoulin en Ontario.
Je vous suis reconnaissant de l’occasion qui m’est donnée aujourd’hui de parler des répercussions du projet de loi C-20 pour les Premières Nations. C’est la première fois que nous sommes consultés au sujet de ce projet de loi qui pourrait jouer un rôle essentiel dans la lutte contre le racisme systémique dans les interactions des Premières Nations avec la Gendarmerie royale du Canada et l’Agence des services frontaliers du Canada.
La Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones établit une norme minimale en matière de consultations judicieuses et suffisantes sur la législation susceptible d’avoir des répercussions sur les droits constitutionnels inhérents et issus des traités des Premières Nations. Nous craignons que le projet de loi franchisse une nouvelle étape sans avoir fait l’objet d’un examen axé sur les répercussions pour les titulaires de droits autochtones et sans qu’on ait pris en considération les expériences des Premières Nations.
Au vu des rapports récents sur les décès de membres des Premières Nations émanant de la GRC et d’autres services de police provinciaux et municipaux, il est clair que ce projet de loi doit aller de l’avant pour instaurer un processus transparent d’examen et de traitement des plaintes du public à l’égard de la conduite des services policiers qui sera confié à un organisme indépendant.
Nous nous réjouissons en outre que le mandat de la commission s’étende à l’ASFC, pour laquelle il n’existe actuellement aucun organisme d’examen externe. Toutes les plaintes du public contre l’ASFC sont traitées en interne.
Les citoyens des Premières Nations ont souvent l’impression de faire l’objet d’un profilage négatif de la part des agents frontaliers et sont par conséquent réticents à traverser les frontières, au détriment de leurs liens familiaux et culturels. Nous avons entendu parler d’agents de l’ASFC qui véhiculent des préjugés et des idéologies racistes qui contreviennent à leurs engagements de service à l’égard des résidents du Canada. Récemment, la cheffe nationale a elle-même été interceptée et retardée par des agents de l’ASFC. Selon elle, il devient urgent d’instaurer un processus d’examen indépendant et d’opérer une réforme pour que les membres des Premières Nations cessent d’être pris pour cibles quand ils se présentent aux frontières.
Un organisme d’examen indépendant sera mieux outillé pour obliger la GRC et l’ASFC à prendre leurs responsabilités afin d’éradiquer le racisme systémique au sein de leurs organismes et de faire en sorte que les membres des Premières Nations soient traités de manière équitable.
Je voudrais maintenant parler de points plus précis. Le premier concerne la représentation des Premières Nations au sein de la commission qui serait chargée de traiter et d’examiner les plaintes du public. Récemment, un débat parlementaire d’urgence a eu lieu à la Chambre des communes à propos du décès de membres des Premières Nations aux mains de la police. Ce débat a mis en lumière les changements urgents et immédiats à apporter à des systèmes de police et de justice disproportionnellement préjudiciables pour les Premières Nations. Le projet de loi C-20 prévoit la création d’une commission d’examen et de traitement des plaintes du public qui sera composée de cinq membres, dont un président et un vice‑président.
Le paragraphe 3(1.1) porte expressément sur la représentation au sein de la commission, et énonce que le ministre de la Sécurité publique:
[...] cherche à refléter la diversité de la société canadienne et tient compte de facteurs comme l’égalité des genres et la surreprésentation de certains groupes dans le système de justice pénale, notamment les peuples autochtones et les personnes noires.
La représentation des Premières Nations au sein de la commission doit absolument être garantie. C’est capital compte tenu de leur importante surreprésentation et de la discrimination systémique que leurs membres ont subie de la part de ces organismes. Les échecs répétés des tentatives de désescalade et des pratiques adaptées à la culture ont eu des conséquences dévastatrices, y compris des pertes de vie. C’est insuffisant de dire qu’il faut chercher une représentation des Premières Nations dans ce qui pourrait constituer un mécanisme de surveillance essentiel de la GRC et de l’ASFC. L’Assemblée des Premières Nations, ou APN, estime que la commission devrait compter au moins un représentant des Premières Nations, et que ce représentant devrait diriger toutes les procédures impliquant une plainte déposée par un membre d’une Première Nation.
La deuxième source de préoccupation concernant le projet de loi C-20 réside dans le fait qu’il vise à établir un énième organisme qui sera chargé d’examiner la conduite et de formuler des recommandations sans pour autant exiger leur mise en œuvre. Il existe d’autres organismes du genre, dont le Bureau de l’enquêteur correctionnel du Canada. Son mandat figure à la partie III de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, et sa fonction première est de faire enquête sur les plaintes individuelles relevant de sa compétence et de s’assurer qu’elles sont menées à terme. Or, le seul pouvoir conféré à l’enquêteur correctionnel est de formuler des recommandations au Service correctionnel du Canada, qui semble assez peu empressé à y donner suite de manière concrète. Il faut à tout prix éviter que le projet de loi C-20 soit une coquille vide qui en apparence renforce la responsabilisation, mais qui dans les faits ne confère aucun pouvoir d’apporter des changements structurels et systémiques pour éradiquer le racisme et la discrimination.
En conclusion, il est évident que des problèmes systémiques sont liés aux tragédies et aux expériences vécues à répétition par les citoyens des Premières Nations à l’échelle du pays et que, pour s’y attaquer, il est urgent d’établir une commission qui examinera et traitera les plaintes du public à l’égard de la GRC et de l’ASFC. La composition de cette commission devra refléter la représentation des Premières Nations, et des commissaires des Premières Nations devront piloter les dossiers des plaignants des Premières Nations. Nous demandons également que cette commission puisse formuler des recommandations contraignantes afin d’imposer des réformes.
Depuis 1989, plus d’une vingtaine d’enquêtes et de commissions ont étudié le racisme au sein des systèmes de police et de justice au Canada. Le moment est venu de consacrer plus de temps et de ressources à la réparation d’un système qui est déréglé.
Nous espérons que les positions que nous défendons aujourd’hui seront prises en considération et que nous allons enfin voir un plan de consultations judicieuses et suffisantes des Premières Nations. Merci de m’avoir accordé votre temps, distingués sénateurs.
Le président : Merci, monsieur Bisson. Nous allons passer à la période des questions. Chaque sénateur disposera de quatre minutes pour les questions et les réponses. Notre vice-président, le sénateur Dagenais, sera le premier.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Ma première question s’adresse à M. Bisson. Monsieur Bisson, ma première question sera courte et simple.
Au-delà de la question linguistique évoquée, est-ce que les dispositions de ce projet de loi sont de nature à améliorer la confiance des peuples autochtones envers le processus d’examen des plaintes contre les policiers?
[Traduction]
M. Bisson : Je vais demander à ma collègue, Julie McGregor, de répondre aux questions techniques. Merci.
Julie McGregor, conseillère juridique, Assemblée des Premières Nations : Comme vous avez pu l’entendre dans les déclarations liminaires des témoins de ce groupe, nous appuyons sans réserve l’objet du projet de loi. Il va permettre de renforcer la responsabilisation et de donner suite à un bon nombre des appels à la justice et à l’action issus des enquêtes sur les Premières Nations et le système de justice.
Ce qui nous pose problème, c’est la question de la représentation des Premières Nations et des Autochtones. Cette représentation est essentielle pour qu’ils fassent confiance à une commission ou à un organisme d’examen. Ils doivent y avoir leurs propres représentants. C’est pour cette raison que nous recommandons qu’au moins un membre soit autochtone — et membre d’une Première Nation dans notre cas — et qu’il dirige les enquêtes sur la GRC ou l’Agence des services frontaliers du Canada impliquant un Autochtone. Encore là, c’est un gage de responsabilité quand un des vôtres prend part au processus. Cette représentation renforce la confiance et c’est pourquoi nous faisons cette recommandation.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Le projet de loi C-20 établit que la Commission d’examen et de traitement des plaintes du public devra publier chaque année des données démographiques sur les plaignants et les personnes visées par ces plaintes. On dit que ces données existent déjà en partie, mais croyez-vous que la diffusion de ces informations sera utile dans l’appréciation de certains dossiers, et croyez-vous qu’on y verra une surreprésentation de certains groupes parmi ceux qui déposent des plaintes?
[Traduction]
Mme McGregor : Absolument. Je pense que ce sera utile parce que nous savons qu’il y a une surreprésentation des Autochtones dans le système de justice et parce que nous savons que leurs contacts avec la GRC ou l’Agence des services frontaliers du Canada sont trop souvent une mauvaise expérience. Ce serait donc une bonne chose.
Il faut davantage de données pour comprendre le racisme systémique que subissent les Autochtones quand ils interagissent avec ces organismes et ces services de police. Depuis le 29 octobre, neuf Autochtones sont morts après avoir eu des démêlés avec la GRC ou d’autres forces policières. Neuf personnes en un mois. C’est clair qu’on ne parle pas seulement de personnes qui ont été malchanceuses lors de leurs contacts avec des services de police. Le problème est systémique. Il faut davantage de données pour le prouver, parce que c’est probablement la pointe de l’iceberg pour ce qui est des mauvaises expériences des Premières Nations avec ces organismes d’application de la loi.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Merci, madame.
[Traduction]
Le sénateur Boehm : Je remercie les témoins d’être avec nous. Ma question s’adresse à M. Obed. Je suis heureux de vous retrouver, monsieur.
Quand des membres de ce comité se sont rendus à Iqaluit dans le cadre de l’étude sur l’Arctique il y a deux ans, nous vous avons rencontré et nous avons rencontré le surintendant de la GRC. Dans les deux cas, on nous a donné la nette impression qu’une relation de confiance s’établit. Dans votre exposé, vous avez mentionné qu’un protocole d’entente est en préparation. Vos collègues, M. Bisson et Mme McGregor, viennent de nous parler de la nécessité de la représentation autochtone au sein de la commission.
Partagez-vous ce point de vue? Pensez-vous également que la présence de représentants inuits est nécessaire pour clarifier la nature de la relation et établir un lien de confiance, ce que tout le monde s’accorde à reconnaître prendra du temps. Je suis très intéressé de vous entendre à ce sujet.
M. Obed : Merci de poser cette question. Je ne peux pas m’empêcher de l’aborder d’un point de vue global. Ce pays a promis d’essayer de déceler et d’éradiquer le racisme systémique, en particulier après la mort de Joyce Echaquan et d’autres décès médiatisés qui sont liés au système de santé ou à d’autres domaines de services publics.
Ce projet de loi pourrait contribuer à l’éradication de la discrimination systémique subie par les Inuits, les Premières Nations et les Métis dans ce pays. Mais le mécanisme auquel vous devez recourir, la légifération, est appliqué d’une manière qui est centrée sur les droits de la personne et les intérêts antérieurs des Autochtones. Il ne considère pas les peuples autochtones comme ayant leurs gouvernements ou leurs propres démocraties qui peuvent intervenir dans ce processus… Vos décrets ne nous permettent pas de participer à l’amélioration systématique du projet de loi en désignant, par exemple, un représentant des institutions démocratiques des gouvernements inuits. Ce serait quand même formidable d’avoir un jour la possibilité de faire profiter le système gouvernemental canadien de ce qu’il y a de meilleur dans nos gouvernements inuits afin de réaliser des progrès dans ces domaines.
Oui, je suis d’avis qu’il devrait y avoir une représentation inuite au sein des organismes qui sont créés ici. On devrait donner une place à l’inuktut, notre langue. De plus, concernant la réglementation découlant de la loi, comment pouvons-nous faire en sorte que tous peuvent en tirer avantage de manière équitable sans craindre un recours? Il ne faut pas oublier que dans les petites communautés, les gens font leur épicerie aux côtés des agents de la GRC. C’est la réalité dans nos petites communautés. Je suis convaincu que nous ne serions pas les seuls à avoir ce problème concernant l’application de la loi. Un processus de plainte plus sensible est nécessaire, et certaines dispositions qui suscitent des préoccupations dans le contexte inuit… La participation d’un Inuit au processus de surveillance favoriserait des échanges naturels et éviterait des scénarios d’application qui entraînent des conséquences pour vous inattendues, mais très prévisibles pour nous.
La sénatrice Patterson : Merci beaucoup pour vos observations. Elles sont absolument essentielles, notamment pour nous aider à comprendre les répercussions des activités policières en général pour les Autochtones au Canada.
L’analyse des données est très importante, et de nouvelles obligations en matière de rapport sont imposées à la commission d’examen. Je constate qu’une bonne partie sont des données de sortie. Il ne semble pas y avoir beaucoup de données permettant une analyse approfondie des problèmes systémiques à l’œuvre.
À votre avis — je vous pose la question à tous les deux —, quelles sont les données qui devraient être recueillies pour comprendre ce qui se passe dans vos communautés?
Monsieur Obed, voulez-vous commencer?
M. Obed : C’est intéressant. La question touche plusieurs des mesures législatives sur lesquelles nous avons travaillé.
Dans les discussions sur le projet de loi sur la santé des Autochtones, un des concepts que nous avons défendus auprès du gouvernement du Canada a trait à l’équité en matière de services de santé et de dotation en personnel de santé à la grandeur de notre territoire.
Par 100 000… Je suis certain que des chiffres sont fixés pour le personnel des services policiers ou frontaliers fournis aux Canadiens en général. Pourtant, dans nos petites communautés inuites, le nombre d’agents de police est souvent insuffisant. C’est un problème systémique, qui entraîne une chaîne de réactions négatives à l’égard des services fournis et le manque de relations avec la communauté.
Si un agent est trop occupé à arrêter des personnes et à traiter leur dossier, il n’a pas le temps de faire des activités de liaison avec la communauté et d’assurer une présence qui n’est pas associée à des mesures punitives, mais qui vise plutôt à établir des liens, un climat de confiance et une réelle approche communautaire des activités policières. C’est impossible actuellement.
Ce serait formidable si ce processus débouchait sur une meilleure compréhension de certains éléments essentiels pour assurer de bons services policiers ou frontaliers, et si des critères de réussite ou d’échec étaient établis pour déterminer les chances de réussite du système créé par le projet de loi.
Cela nous amène à la partie qui porte sur les plaintes du public. Bien entendu, c’est encore l’approche traditionnelle du travail en amont et en aval qui s’applique. J’aimerais beaucoup mieux faire davantage de travail en amont et réfléchir à des façons d’établir des relations plus durables et plus saines entre ces services et les membres de nos communautés plutôt que d’essayer de régler des plaintes qui sont inévitables puisque le système est déréglé.
La sénatrice Patterson : Merci.
Monsieur Bisson, qu’en pensez-vous?
M. Bisson : Je vais encore une fois demander à Mme McGregor de répondre à la question. Elle a beaucoup plus d’expertise que moi dans ces domaines et je suis certain que votre temps sera beaucoup mieux utilisé si vous écoutez ses réponses.
Mme McGregor : Comme le président Obed vient de le dire, je pense qu’il ne faut pas seulement tenir compte des interactions négatives. Il faut aussi considérer les interventions qui ont bien fonctionné pour améliorer les relations et en tirer des leçons.
Cela étant dit, je crois qu’il serait utile de recueillir des données fondées sur les distinctions, notamment pour ce qui concerne la population des Premières Nations dans les réserves et en milieu urbain, de même que la nature des incidents.
Le projet de loi C-20 prévoit beaucoup d’exceptions quant aux renseignements qui peuvent être fournis, mais c’est important de comprendre le contexte et, globalement, pourquoi une interaction a eu lieu. Est-ce qu’un problème de santé mentale était en cause? On sait que dernièrement, la GRC a été appelée à faire des vérifications de la santé mentale d’une personne qui a finalement été tuée.
Comme nous ne savons rien des circonstances dans lesquelles ces événements se produisent, c’est impossible d’en tirer des leçons pour déterminer les mesures de soutien à offrir aux personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale. C’est le genre d’information qu’il faudrait recueillir pour savoir quels services doivent être ajoutés pour améliorer les services de police. Du point de vue des Premières Nations, l’objectif est toujours d’offrir des services de police communautaires et mieux adaptés à la culture. Pour y arriver, nous devons comprendre les problèmes à l’origine des interactions négatives des Premières Nations avec la police.
Ces renseignements seraient utiles pour nous.
La sénatrice M. Deacon : Merci à vous tous. Nous avons déjà rencontré certains d’entre vous. J’ai bon espoir, si je me fie à ce que j’ai observé durant notre visite dans le Nord et entendu durant vos témoignages l’année dernière et dans d’autres circonstances, qu’il va y avoir des progrès sur la question linguistique, que votre participation aux discussions va s’améliorer et que les gens vont se sentir de mieux en mieux représentés. Je l’espère vraiment, et je suis consciente que cela fait partie de notre travail.
Monsieur Bisson, tôt dans la discussion sur le projet de loi, vous avez dit que vous aimeriez vraiment qu’il y ait une étude préalable. C’est ce que vous avez dit, et je crois comme vous que c’est nécessaire. Vous parliez du projet de loi.
J’aimerais que vous me parliez davantage de l’étude à laquelle vous pensez, si je puis me permettre, et de l’information que vous souhaitez recueillir. De quelle information avez-vous besoin pour contribuer à améliorer ce projet de loi dès le départ?
M. Bisson : Comme par hasard, mais j’ai reçu un appel de la cheffe nationale pendant que vous posiez votre question.
Je vais demander à Mme McGregor d’y répondre. Je viens tout juste d’arriver en poste et je pense qu’elle est mieux placée que moi pour parler de ce sujet.
La sénatrice M. Deacon : Aucun souci.
Mme McGregor : Si vous faites allusion à ce qui concerne les Premières Nations, il existe plusieurs enquêtes et études qui peuvent être utiles.
Concernant le projet de loi, et en particulier la partie portant sur l’ASFC étant donné que beaucoup plus de recommandations ont été formulées au sujet de la GRC et des services de police que de l’ASFC…
Le territoire d’Akwesasne, à une heure et demie d’ici, chevauche la frontière entre le Québec et l’Ontario, au Canada, et les États-Unis. Si vous avez la chance de vous entretenir avec des gens d’Akwesasne, posez-leur des questions à propos des contrôles qu’ils subissent et de leur quotidien, des difficultés qu’ils ont à obtenir des services dans leur communauté et des contrôles de sécurité très lourds qui leur sont imposés aux frontières.
Beaucoup d’autres communautés sont dans la même situation qu’Akwesasne. La Tribu des Blood en Alberta occupe aussi un territoire qui s’étend des deux côtés de la frontière.
J’ai souvent entendu, de la part de beaucoup de gens, que les membres des Premières Nations n’ont pas traversé la frontière, mais que c’est la frontière qui les a traversés.
Pour comprendre ces enjeux, en particulier ceux qui sont liés à la frontière, il faudrait retourner voir ces communautés et les consulter. Elles pourraient expliquer les problèmes qu’elles ont avec les agents de l’ASFC, parce que ce qu’on nous dit de la situation à Akwesasne… La nation doit traiter beaucoup de plaintes, souvent sur une base quotidienne.
C’est important de le comprendre. Les exigences du projet de loi en matière de responsabilité pourraient être améliorées en allant à la rencontre de ces nations et en leur donnant la possibilité de donner leur point de vue. Cela permettrait de renforcer le projet de loi C-20.
La sénatrice M. Deacon : Vous avez parlé d’Akwesasne. Merci pour cet exemple.
Selon vous, y a-t-il d’autres régions géographiques du pays vers lesquelles le comité pourrait se tourner pour avoir une meilleure idée de ces considérations? D’autres régions vous viennent-elles à l’esprit?
Je sais qu’il y a des enjeux et des défis partout, mais avez-vous des données qui vous indiquent les régions où la situation est particulièrement difficile?
Mme McGregor : Comme je l’ai dit, c’est probablement le cas pour la Tribu des Blood en Alberta. Le long de la frontière… Plusieurs communautés ne vivent pas à la frontière, mais très près de celle-ci. Par conséquent, d’un point de vue culturel… Dans certaines nations, les familles ont des membres qui vivent juste de l’autre côté de la frontière. Je sais que dans ma propre communauté, des familles ont des membres qui vivent à Syracuse, tout juste de l’autre côté de la frontière.
Les passages à la frontière soulèvent des enjeux culturels et familiaux. Ces enjeux sont les mêmes tout le long de la frontière. Je ne peux pas vous nommer une Première Nation en particulier, mais je peux vous affirmer que les problèmes sont les mêmes partout au Canada. L’APN a d’ailleurs participé à des sommets sur la frontière avec l’ASFC, le département de la Sécurité intérieure et les autorités frontalières américaines. Durant ces sommets, nous essayons souvent de réunir des gens afin qu’ils discutent des enjeux et des solutions qui pourraient faciliter les visites familiales des membres des Premières Nations et leur participation à des activités culturelles de l’autre côté de la frontière. C’est selon nous un enjeu partout au Canada, et même en Colombie-Britannique.
Le sénateur Cardozo : Merci. J’ai quelques questions.
Premièrement, je voudrais donner, pour les fins du compte rendu, des exemples d’incidents qui mettent en lumière la différence dans la manière dont la GRC aborde les situations.
Je vous ramène en mars 2020. Le chef Allan Adam a été interpelé à Fort McMurray en raison d’une plaque d’immatriculation expirée. Sur la vidéo, on voit qu’il a été violemment battu par trois, quatre ou cinq agents de la GRC. En quelques minutes, la situation a complètement dérapé et il a été sauvagement battu.
En juillet de la même année, Corey Hurren, un réserviste du Manitoba, se rendait à Rideau Hall en camionnette, la résidence de notre chef d’État et chef du gouvernement. Il a foncé dans les clôtures avec une camionnette remplie d’armes. Les agents de la GRC ont parlementé avec lui pendant une heure jusqu’à ce qu’il se rende.
Je tiens à préciser que cette manière d’intervenir devrait toujours être celle qui est privilégiée dans ces circonstances. J’y vois une occasion d’apprendre et de comprendre ce qui doit être fait ou non, et qu’il ne faut pas agir d’une façon avec certaines personnes et d’une façon différente avec d’autres. Il s’agit du même corps policier, de la même GRC. Les agents ont reçu la même formation mais, malgré tout, ils traitent les gens de manière très différente.
J’aimerais vous interroger tous les deux au sujet de votre expérience avec l’actuelle Commission civile d’examen et de traitement des plaintes. Est-ce que cette expérience a été positive? Concernant la représentation au sein de l’organisme proposé, la CETPP, êtes-vous d’avis que cinq membres, c’est trop peu? Un gouvernement devrait normalement… Ou devrais‑je dire tout simplement qu’un gouvernement devrait faire en sorte que la représentation reflète la diversité. La commission devrait-elle compter plus que cinq membres? Pensez-vous que cela pose problème?
Mme McGregor : Je ne sais pas si nous avons déterminé quel serait le nombre idéal de membres au sein de la commission. S’il y a trop de commissaires, ils auront de la difficulté à trouver un consensus sur différentes questions.
Le plus important pour nous, c’est l’inclusivité. Peu importe le nombre, que ce soit cinq, neuf ou trois, nous voulons nous assurer que les Premières Nations seront représentées au sein de la commission. C’est essentiel si on considère le nombre troublant d’Autochtones, surtout des membres des Premières Nations, dont le décès est lié à la GRC.
Le sénateur Cardozo : Avez-vous quelque chose à ajouter eu égard à l’actuelle CCETP, qui est chargée d’examiner les plaintes déposées contre la GRC?
Mme McGregor : Toute l’information que nous avons relativement aux plaintes soumises à l’actuelle commission civile est empirique. Le racisme fait partie constante de nos vies. Vous avez donné l’exemple du chef Adam. Vous ne trouverez aucun Autochtone, aucun membre des Premières Nations au Canada qui n’a jamais eu d’interactions négatives avec la police. C’est quasiment impossible. C’est notre réalité.
Parce que beaucoup de plaintes contre la police ne font pas l’objet d’une enquête ou d’une enquête sérieuse, ou sont rejetées au motif qu’elles sont vexatoires ou pour un autre motif, les membres des Premières Nations sont réticents à porter plainte à la commission civile. Selon l’expérience que nous en avons, je dirais que le processus de plaintes de la commission civile n’a pas vraiment été concluant pour nous.
Le sénateur Cardozo : Merci. Monsieur Obed, voulez-vous ajouter quelque chose?
M. Obed : Pour ce qui concerne votre première question sur le nombre de membres de la commission, d’un point de vue structurel, le plus important pour nous — comme l’APN vient de l’expliquer — est que la composition soit fondée sur une approche axée sur les distinctions en général. Cela dit, l’inclusivité au chapitre du fonctionnement s’applique aux Inuits, aux Premières Nations et aux Métis. C’est l’objectif ultime, peu importe qu’il y ait 5, 10 ou plus ou moins de membres, ou qu’un sous-groupe soit chargé explicitement du traitement des plaintes déposées par des Autochtones. Ces détails pourront être inclus dans le texte législatif ou ils pourront être déterminés durant le processus réglementaire.
Quant aux structures en place, je dirais que d’un point de vue très général, les Inuits ont l’impression que toutes celles qui sont en place mènent des enquêtes sur elles-mêmes. Il faut absolument que ce projet de loi marque un changement de modèle. Les gens qui risquent gros en déposant une plainte officielle pour dénoncer une expérience qu’ils ont vécue doivent être assurés qu’ils ne s’exposeront pas à de nouvelles sanctions ou à un système qui se replie sur lui-même et qui leur dit que ce n’est pas arrivé ou que ce qui est arrivé est très différent de ce qu’ils ont vécu. Dans beaucoup trop de cas, les plaintes faites aux médias ou aux organismes de surveillance aboutissent à des préjucides supplémentaires pour les victimes et à un durcissement de leur mépris envers les institutions dont ils attendaient de l’aide.
Le sénateur Yussuff : Je remercie les témoins d’être avec nous.
Certains de vos propos me donnent du fil à retordre. Le racisme systémique est un enjeu complexe. Un pays au passé colonial ne peut pas, du jour au lendemain, réaliser pleinement ce qu’il a fait et affirmer qu’il peut régler le problème. Il y a 150 ans, la GRC a été créée pour vous chasser de vos terres afin d’y construire un chemin de fer national, et nous lui demandons maintenant d’être transparente sur son fonctionnement. Elle a fait beaucoup de chemin, mais les difficultés, la douleur, les préjudices et les défis sont énormes.
Monsieur Obed, je vais m’adresser à vous en premier.
Si vos membres reçoivent les services de police de la GRC sur votre territoire, et si nous leur donnons accès à ce processus, vous affirmez qu’ils devraient pouvoir le faire dans leur propre langue. C’est quelque chose dont le projet de loi ne parle pas vraiment.
Dans quelle mesure pouvons-nous nous attendre à ce que ce soit possible alors que le texte législatif ne reconnaît nulle part que beaucoup de vos membres qui ne parlent ni anglais ni français sont incapables de soumettre une plainte à la GRC ou au système? Pour ma propre gouverne, mais également pour celle des autres sénateurs et des personnes dans le public qui suivent nos travaux, pouvez-vous me dire comment nous pouvons nous attaquer à ce problème ou le régler?
M. Obed : C’est une question fondamentale. Qu’est-ce que le Canada veut dire au juste quand il affirme qu’il défend la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et ses dispositions, la Constitution canadienne et l’article 35?
D’un côté, il peut adopter une approche indolente de la mise en œuvre de nos droits de la personne existants. De l’autre, il peut s’atteler à la très difficile restructuration de nos systèmes pour s’assurer que nos droits sont respectés. Nous nous trouvons à cette croisée des chemins. Ce projet de loi représente une infime partie du défi beaucoup plus grand que doit surmonter le pays. Pensez-vous vraiment que les Inuits seront bien servis au titre de cette législation s’il n’y est nulle part question de la possibilité pour eux d’utiliser l’inuktut pour se prévaloir de ses dispositions? Je vous garantis que les Inuits ne pourront pas se prévaloir de cette législation en inuktut. Est-ce que cette discussion met en cause une violation des droits de la personne? C’est une question que les tribunaux devront peut-être trancher dans 15 ans, après qu’un Inuit qui a été lésé par cette législation aura passé des années de sa vie, et qui sait combien d’argent, à essayer d’obtenir de la Cour suprême qu’elle clarifie la manière dont les droits des Autochtones doivent être concrètement mis en œuvre dans ce pays. Ils existent, certes, mais il reste à savoir comment ils existent. Nous retombons sans cesse dans les procédures contentieuses.
Nous nous présentons devant vous pour vous donner nos perspectives, mais c’est une étape qui pourrait facilement être évitée par le simple ajout de passages qui confirmeraient les mesures que le Canada a déjà annoncées, par exemple l’utilisation de l’inuktut comme étant un service essentiel dans l’Inuit Nunangat aux fins de l’application de cette législation. Pour revenir à votre premier point, il n’y a pas d’argent pour cela. Le système n’a aucune tolérance à ce sujet. La tâche est colossale. Les gens nous écoutent poliment, ils balaient nos propositions du revers de la main et ils laissent à une autre génération ou à la Cour suprême le soin de pousser le Canada dans ses derniers retranchements pour le forcer à faire respecter les droits des Autochtones.
Le sénateur Yussuff : Monsieur Bisson, pour la première fois, nous incluons l’Agence des services frontaliers du Canada, ce qui est un aspect important. Les membres de votre collectivité traversent la frontière et, compte tenu de ce que Mme McGregor a dit plus tôt au sujet de leurs expériences, peut-on craindre que, malgré la loi, des écarts dans la façon dont les collectivités diversifiées, qui ont des langues et des cultures différentes partout dans le pays, pourraient réussir à déposer une plainte étant donné le nouveau processus avec l’ASFC qui se trouve maintenant sur le même plan pour le dépôt des plaintes?
M. Bisson : Il y a des analogies avec ce que M. Obed a décrit. Dans certaines collectivités, la langue autochtone est encore la langue dominante. Il n’en va pas de même pour toutes les collectivités du pays. Dans les collectivités des Premières Nations, nos langues sont en difficulté et, chaque année, le nombre de locuteurs diminue, mais cela revient à la formation culturelle et à un grand nombre de choses.
Oui, je souligne à nouveau que la cheffe nationale, qui est une certaine personnalité publique, a été arrêtée à la frontière avec son fils. Elle a été arrêtée pendant un certain temps, non seulement priée de sortir de sa voiture, mais aussi d’entrer dans une pièce. On se pose la question, combien de fois cela arrive‑t‑il? Cela lui est arrivé. Combien de fois cela se produit-il? Nous ne le savons pas vraiment; il n’y a pas de données qui le montrent.
Comme l’a souligné Mme McGregor, cela nuit aux familles qui essaient simplement de traverser la frontière pour visiter d’autres membres de leur famille. Il y a des gens dans des endroits comme Akwesasne, où il faut traverser la frontière tous les jours simplement pour aller travailler. Les gens qui viennent de Sault Ste. Marie ou des collectivités de Premières Nations proches de Batchewana et Garden River le font — beaucoup d’entre eux travaillent également du côté du Michigan. Il y a beaucoup de situations de ce genre dans tout le pays. Comme l’a dit Mme McGregor, il n’y a pas de zone concentrée. C’est le cas dans tout le pays.
En regardant mes notes, je me rappelle qu’en Saskatchewan, la Fédération des nations autochtones souveraines a collaboré avec le gouvernement provincial pour créer la fonction d’ombudsman de la santé, occupée par un membre des Premières Nations. Ce partenariat visait à mettre en place quelqu’un qui pourrait agir en examinateur indépendant, en organe indépendant. Cela devrait être un exemple de bonne pratique que nous pourrions également envisager pour les questions frontalières. Il y a certainement des exemples que nous pouvons examiner. Nombre d’entre eux n’en sont qu’à leurs débuts. Il est difficile de savoir quels seront les impacts à long terme, mais il y a de bons exemples de pratiques exemplaires que nous pouvons examiner.
Le sénateur Richards : Je vous remercie de votre présence. C’est un plaisir de vous revoir, monsieur. Je ne sais pas si vous vous en souvenez, mais nous nous sommes rencontrés à Fredericton. Vous avez fait un très bon exposé. Je vais y revenir. Le sénateur Yussuff en a parlé.
Les jeunes perdent-ils leur langue? Le cas échéant, comment pouvez-vous y remédier? À Fredericton, vous avez parlé des écoles, vous avez dit qu’il devrait y avoir des écoles qui enseignent l’inuktitut. Quel est le pourcentage de jeunes qui parlent encore l’inuktitut dans le Nord?
M. Obed : Merci de cette question.
Les Inuits ont la langue autochtone la plus solide du pays. C’est la deuxième langue autochtone la plus parlée, après le cri, du point de vue de la population. Au Nunavik, près de 100 % des personnes interrogées déclarent que leur langue maternelle est l’inuktitut, qui est un dialecte de l’inuktut. Au Nunavut, ce pourcentage dépasse 75 %. Dans les régions du Nunalivut et du Nunatsiavut, ce taux est beaucoup plus faible — moins de 15 % — et très prononcé d’un point de vue démographique, les générations plus âgées maîtrisant beaucoup mieux la langue que les plus jeunes.
Malheureusement, nous n’avons pas pu créer des systèmes scolaires permettant de renforcer l’usage de l’inuktitut au foyer, au stade de l’éducation préscolaire et dans le système scolaire formel de la maternelle à la douzième année. Nous avons un nombre incroyable d’éducateurs passionnés, des administrateurs en éducation qui élaborent les programmes aux enseignants qui les mettent en œuvre. Mais nous nous heurtons à un certain nombre de difficultés : tout d’abord, la place dans les programmes provinciaux et territoriaux pour les langues autochtones et tout ce qui est enseigné dans les langues autochtones, que ce soit du point de vue des normes, de l’accréditation ou du financement nécessaire. Nous sommes confrontés à des difficultés croissantes parce que personne dans ce pays n’est allé à l’école et n’a appris l’inuktitut dans son éducation de la maternelle à la douzième année.
De nombreuses personnes ont suivi des cours de langue et ont amélioré leur inuktitut, mais c’est une contribution en nature des Inuits du Canada à ce pays pour la maîtrise de la langue. Les provinces, les territoires et le gouvernement fédéral n’ont pas investi dans notre langue comme ils le font pour les langues officielles — le français et l’anglais. Tout au long des délibérations relatives à la Loi sur les langues autochtones, nous avons désespérément essayé de faire de l’inuktitut une langue officielle dans l’Inuit Nunangat, notre patrie, mais cette tentative a été rejetée et le gouvernement fédéral n’est pas enclin à agir sur ce plan.
C’est toujours une des principales raisons pour lesquelles il y a inégalité linguistique et qui nous motive à continuer à lutter pour éduquer nos enfants en inuktitut et pour maintenir la vitalité de l’inuktitut pour le bien des générations futures.
Nous n’avons pas renoncé à ce rêve, certes, mais c’est un défi. Nous constatons des changements et une érosion de la langue.
Le sénateur Richards : Mon arrière-grand-père parlait le gaélique, une langue que nous avons perdue. Dans un certain sens, c’est ce qui a motivé ma question.
Monsieur Bisson, y a-t-il des agents de police des Premières Nations qui assurent le maintien de l’ordre local à la place de la GRC et, dans l’affirmative, comment cela fonctionne-t-il?
M. Bisson : J’en parlerai brièvement, puis passerai la parole à Mme McGregor. Dans la Première Nation de l’île Manitoulin, d’où je suis originaire, nous avons une force de police tribale dans les collectivités.
Souvent, bon nombre des agents sont des membres de la Première Nation, mais ils manquent de ressources et leur effectif est très limité. Ils doivent relever de nombreux défis, et le roulement du personnel est important en raison de la quantité de travail et du manque de moyens pour le faire. Notre collectivité est confrontée à des défis. Nous ne sommes pas très loin de Toronto. Nous avons des problèmes de drogue, de gangs, etc. Je fais partie du conseil de ma collectivité et de celle de M’Chigeeng. Nous ne savons pas trop quoi faire. Nous pouvons faire beaucoup de choses et proposer beaucoup d’idées, mais nous avons toujours besoin de ce pouvoir législatif. Il n’y a tout simplement pas assez de personnes ou d’agents sur le terrain pour faire ce genre de travail.
Mme McGregor : Il y a environ 36 services de police autogérés des Premières Nations au Canada. Ils relèvent du Programme des services de police des Premières Nations et des Inuits, qui lui relève de Sécurité publique Canada. C’est un programme et non un service essentiel comme tous les autres services de police au Canada. Ils sont financés par des accords conclus entre les provinces et le gouvernement fédéral, le gouvernement fédéral assumant 52 % et la province 48 % du financement.
Cependant, encore une fois, parce qu’ils n’ont pas la désignation de service essentiel, parce qu’il n’y a pas de projet de loi régissant les services de police des Premières Nations, ils sont gravement sous-financés, et ce, depuis 40 ans. Ma collectivité dispose de ses propres services de police depuis 40 ans. Nous n’avons jamais eu à déplorer la perte d’un membre de notre collectivité causée par une fusillade de la part de nos propres services de police. Il est essentiel que les services de police communautaires des Premières Nations soient étendus à l’ensemble du Canada et qu’ils soient bien financés.
La sénatrice Dasko : Je vous remercie. Nous nous sommes rencontrés à plusieurs reprises. Monsieur Bisson, pouvez-vous nous dire comment s’est déroulée la plainte de la cheffe nationale? Vous avez mentionné qu’il semblait que la plainte visait l’ASFC. Comment les choses se sont-elles déroulées? S’est-elle plainte auprès de l’ASFC? A-t-elle déposé une plainte? A-t-elle été satisfaite de la façon dont les choses se sont déroulées? Pouvez-vous nous parler de l’évolution et du déroulement de cette affaire?
M. Bisson : J’aimerais mieux ne pas entrer dans les détails. Le processus est en cours. La cheffe donne certainement suite à l’affaire. Une lettre a été envoyée au ministre LeBlanc. Nous cherchons d’autres moyens de soulever cette question pas seulement pour elle, mais pour d’autres personnes qui ont vécu le même genre de situation. Je pense que la meilleure façon de décrire la situation est de dire qu’elle est en cours. Nous espérons, de toute évidence, qu’elle retiendra l’attention et qu’elle aboutira à des résultats positifs. Je pense encore une fois à son fils et à d’autres jeunes gens qui se trouvent dans des situations semblables. C’est ce qui guide son point de vue pour l’avenir.
La sénatrice Dasko : Elle a déposé une plainte?
M. Bisson : Oui, elle l’a fait.
La sénatrice Dasko : Ce serait un bon test pour voir comment le système la traite.
M. Bisson : C’est arrivé assez récemment, donc l’affaire n’a pas encore atteint son terme.
La sénatrice Dasko : Une question pour tout le monde : avez-vous comparu devant le comité de la Chambre pour faire part de vos préoccupations? Cela a-t-il abouti à quelque chose? Par ailleurs, pouvez-vous nous dire si vous avez rencontré le ministre à un stade donné du processus d’élaboration du projet de loi? Quelle a été la réaction du gouvernement concernant vos préoccupations?
M. Obed : J’ai effectivement comparu devant le comité permanent de la Chambre des communes. Mon exposé au comité permanent de la Chambre et mon exposé ici aujourd’hui se ressemblent en grande partie.
Le projet de loi a très peu changé depuis notre comparution devant le comité permanent de la Chambre des communes. Je n’ai pas parlé directement au ministre à ce sujet, mais mon personnel a été en contact avec le ministère, de sorte que nous avons clairement signifié notre position en ce qui concerne la loi.
Mme McGregor : Nous n’avons pas comparu devant le comité permanent de la Chambre. Je pense que c’était essentiellement lié au calendrier des réunions du comité.
Mais je tiens à dire que, souvent, nous sommes appelés à examiner les projets de loi en deuxième ou troisième lecture sans avoir été invités à participer aux échanges préalables, ni consultés, ni engagés dans l’élaboration de la plupart de ces projets de loi.
Il n’y a aucune obligation de consultation au stade d’élaboration des projets de loi. Selon la Cour suprême, il serait logique de consulter les Premières Nations, qui ont été traditionnellement exclues des processus juridique et législatif, à des fins de réconciliation et de consultation. La Cour suprême l’a dit, mais cela est rare dans le cas de projets de loi comme celui-ci qui ne concernent pas directement les Premières Nations, bien qu’ils les touchent. Il est très rare que nous soyons consultés avant la présentation du projet de loi ou même durant le processus législatif.
La sénatrice Dasko : C’est intéressant.
Le sénateur Cardozo : Merci beaucoup. J’ai deux questions rapides qui ont probablement des réponses très vastes. On s’est demandé si la GRC devait continuer à assurer le rôle de force policière à contrat dans un certain nombre de provinces et de territoires. Un des arguments avancés est que l’organisation est trop grande et trop lourde pour résoudre les nombreux problèmes qui se présentent. Souhaitez-vous que cela se produise ou non? Préférez-vous qu’il n’y ait qu’une seule force policière?
C’est presque une question à laquelle l’Assemblée des Premières Nations devrait répondre par un oui ou par un non. Les problèmes que vous avez eus à la frontière avec l’ASFC vont au-delà des collectivités qui chevauchent la frontière et des problèmes aux aéroports et à d’autres points de passage, n’est-ce pas, comme ce qu’a vécu la cheffe nationale?
M. Bisson : Oui.
Le sénateur Cardozo : C’est la réponse à la deuxième question, mais avez-vous des observations quant à la première question?
Mme McGregor : Oui, et c’est un bon point que vous soulevez, car outre les contrats conclus entre la GRC et les provinces, les Premières Nations sont parties à des ententes communautaires tripartites dans le cadre du Programme des services de police des Premières Nations et des Inuits. La GRC est donc chargée de fournir des services de police aux collectivités des Premières Nations qui n’ont pas leur propre force de police.
Le problème, c’est que souvent l’argent fourni à la GRC pour les services de police des Premières Nations n’est pas employé pour les agents dont certaines collectivités ont le plus grand besoin. La GRC utilise ces fonds ailleurs, et elle est autorisée à le faire dans le cadre du programme. Les chefs ont adopté des résolutions dans lesquelles ils demandent à Sécurité publique Canada de verser les fonds directement aux Premières Nations pour qu’elles passent elles-mêmes des contrats avec la GRC et garantissent ainsi que les fonds prévus pour les services de police dans les Premières Nations parviennent effectivement à ces dernières et qu’ils sont adéquats.
M. Obed : Merci, sénateur. La majeure partie de notre collectivité, soit 70 %, est visée par l’article 20 de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada. Nous sommes des citoyens de gouvernement public dans nos champs de compétence et sommes donc des citoyens de Terre-Neuve-et-Labrador, du Québec, du Nunavut ou des Territoires du Nord-Ouest. Le mécontentement croissant entre les provinces et les territoires et le gouvernement fédéral concernant le maintien de l’ordre dans nos collectivités est extrêmement inquiétant. Il semble que ce soit un problème d’argent et non d’efficacité des systèmes ou d’amélioration des services.
Nous craignons qu’il ne devienne de plus en plus une lutte politique fiscale entre des champs de compétence qui tentent d’obtenir du gouvernement fédéral qu’il paie la part du lion, voire la totalité, du coût des services de police au sein de nos collectivités.
Dans le cas des Inuits, nous relevons des municipalités qui, elles, relèvent des provinces ou des territoires. Mais parce que nous sommes des Inuits, on se demande maintenant si les provinces et les territoires ne devraient pas fournir ces services à nos collectivités. Je crains que cette question ne devienne la cible de manœuvres politiques et qu’elle ne soit qu’une autre façon de reporter la responsabilité et de se livrer à un bras de fer désespéré entre deux ordres de gouvernement qui ne veulent pas nous fournir ces services. Il y a encore des collectivités qui n’ont aucun service de police. Postville, au Nunatsiavut, n’a pas de service de police. Voilà où nous en sommes. Nous aimerions que la tendance soit plutôt vers le moyen d’accroître la sécurité dans nos collectivités. Comment fournir les meilleurs services de police possible? Comment pouvons-nous le faire en collaboration, plutôt qu’en querelles de champs de compétence dont l’objectif principal est de transférer la responsabilité et le financement fiscal à l’autre?
La sénatrice M. Deacon : Merci beaucoup. Vous avez dit, madame McGregor, qu’en 40 ans de services de police internes des Premières Nations, il n’y a eu aucun incident mortel. Existe‑t-il un processus de plainte au sein de cette organisation?
Mme McGregor : C’est ma Première Nation. En ce qui concerne le processus de plainte, dans le cadre du Programme de police des Premières Nations et des Inuits, ou PPPNI, nous n’avons pas de financement pour les processus de gouvernance ou les processus de plainte externes. Il n’y a tout simplement pas de fonds. Si l’on prend les services de police des Premières Nations, il y a à peine assez d’argent pour payer les salaires, l’équipement et les voitures de police; ils fonctionnent vraiment avec un budget très serré. La plupart du temps, ils couvrent des zones importantes, de grandes aires démographiques et géographiques, donc non, il n’y a pas de financement pour l’infrastructure que ce processus nécessiterait. Dans la plupart des collectivités, c’est le chef et le conseil qui traitent les plaintes.
La sénatrice M. Deacon : Merci beaucoup.
Le président : Nous arrivons à la fin du temps imparti à cet excellent panel. Merci à Natan Obed, Andrew Bisson, Julie McGregor et Elizabeth Zarpa de s’être joints à nous aujourd’hui, de nous avoir prodigué leurs conseils et d’avoir partagé leur expérience et leur sagesse. Vous avez pu constater, je crois, que vos points de vue ont intéressé les participants, et vous avez très bien répondu à certaines questions difficiles. Je vous en remercie. Au nom de mes collègues du comité et du Sénat, je vous remercie du leadership que vous exercez dans vos collectivités respectives. Vous le faites si bien. On le remarque. Cela a des effets réels. Je sais que vous le savez, mais je veux ajouter nos remerciements pour ce que vous faites, car nous en bénéficions tous.
Pour notre dernier panel de la soirée, je souhaite la bienvenue à Mustafa Farooq, membre du comité consultatif du Conseil national des musulmans canadiens, et à Ahmad Al Qadi, chargé de plaidoyer. Par vidéoconférence, nous accueillons d’Amnistie internationale Julia Sande, responsable des campagnes, Lois et politiques sur les droits de la personne, et de l’Association canadienne des libertés civiles, Shakir Rahim, directeur du programme de justice pénale, et Harini Sivalingam, directrice du programme pour l’égalité.
Je vous remercie tous de vous joindre à nous. Je vous invite à présent à présenter votre exposé. Vous disposez de cinq minutes chacun, et nous commencerons par l’Association canadienne des libertés civiles. Je crois savoir que c’est Shakir Rahim qui va commencer, alors quand vous serez prêt, allez-y monsieur.
Shakir Rahim, directeur, Programme de justice pénale, Association canadienne des libertés civiles : Je vous remercie de votre invitation à témoigner devant le comité aujourd’hui. Mon collègue et moi-même nous partagerons l’exposé.
L’Association canadienne des libertés civiles, ou ACLC, est encouragée par les progrès réalisés dans le cadre du projet de loi C-20 et espère que ce projet de loi deviendra une loi. Le projet de loi C-20 améliore la structure de surveillance de la GRC et établit une surveillance indépendante de l’ASFC, ce qui est attendu depuis longtemps.
J’aborderai trois amendements recommandés qui, comme le souligne le mémoire conjoint de la société civile, répondent à des préoccupations partagées par de nombreuses organisations. Premièrement, les paragraphes 33(1) et (2) et 36(1) et (2) devraient être modifiés pour permettre les plaintes concernant une tendance de conduite qui pourrait concerner plusieurs employés de la GRC ou de l’ASFC. Cela permettrait, le cas échéant, un examen à plus grande échelle des cas d’inconduite ayant des causes ou des effets communs.
Comme vous le savez, la Chambre des communes a récemment tenu un débat d’urgence sur la nécessité d’agir après les nombreux cas de personnes autochtones tuées par des agents de la GRC. À notre avis, cet amendement garantirait que lorsque l’inconduite est une tendance, comme c’est le cas dans les récents décès d’Autochtones, le problème dans son ensemble peut être examiné dans le cadre de cette procédure de plainte.
Deuxièmement, nous recommandons que l’alinéa 44(1)c) soit amendé pour garantir que, avec la permission de la personne que la conduite visait, les tierces parties ayant un intérêt considérable dans la plainte puissent faire des représentations. Les tierces parties peuvent fournir des renseignements importants sur l’ampleur et la nature de l’inconduite, que la plainte porte sur un seul ou sur plusieurs incidents.
Troisièmement, nous recommandons de modifier les paragraphes 28(1) et (2) afin de permettre l’examen d’activités précises dans le but d’étudier leur impact sur le public et d’inclure les actions de la GRC ou de l’ASFC dans la liste des activités pouvant faire l’objet d’un examen. Cela garantirait que les préoccupations de nature systémique, mais qui ne sont pas directement liées au non-respect d’une loi ou d’une politique précise, puissent toujours faire l’objet d’un examen approprié. Je cède maintenant la parole à ma collègue.
Harini Sivalingam, directrice, Programme pour l’égalité, Association canadienne des libertés civiles : Mon collègue a exprimé des préoccupations pressantes concernant les lacunes en matière de reddition de comptes des organismes chargés de l’application de la loi au Canada, notamment le fait que le recours à la force létale contre les Autochtones, les Noirs, les personnes racisées et les personnes souffrant de troubles mentaux met en relief la nécessité d’une plus grande responsabilisation des organismes fédéraux chargés de l’application de la loi.
Je concentrerai le temps qu’il me reste sur le besoin criant de surveillance de l’ASFC, la seule agence fédérale dotée de vastes pouvoirs d’application de la loi qui n’est pas soumise à un mécanisme indépendant d’examen et de plainte. Compte tenu des pouvoirs étendus de l’ASFC en matière d’application de la loi et de sécurité et de ses interactions avec des personnes aussi vulnérables et marginalisées — à savoir les migrants, les réfugiés et les demandeurs d’asile, dont la majorité est racisée —, cette absence flagrante de surveillance soulève des préoccupations alarmantes en matière de reddition de comptes.
Les organisations de la société civile comme l’Association canadienne des libertés civiles demandent depuis longtemps la mise en place d’un mécanisme indépendant de surveillance et de plainte pour l’ASFC. La mort de personnes détenues par l’ASFC, les tactiques d’interrogatoire de ses agents et les violations du droit à la vie privée par le partage de renseignements avec des organismes externes démontrent que cette absence totale de surveillance doit être rectifiée.
Depuis 2000, au moins 18 demandeurs d’asile et migrants sont morts en détention au Canada. J’aimerais raconter l’histoire de l’un de ces décès tragiques. Abdurahman Hassan était un réfugié somalien arrivé au Canada en 1992. M. Hassan souffrait de schizophrénie, de troubles bipolaires et de stress post‑traumatique, et après de multiples rencontres avec les forces de l’ordre, il a été placé en détention par les services d’immigration. Au cours de cette période, il a été soumis à plusieurs reprises à un isolement prolongé, passant même 95 jours consécutifs en isolement cellulaire. Tragiquement, M. Hassan est décédé le 11 juin 2015, alors qu’il était détenu par l’ASFC.
Il a fallu huit ans pour obtenir un semblant de justice et de responsabilisation, lorsque le coroner chargé de l’enquête sur la mort de M. Hassan a prononcé son verdict et ses recommandations en février 2023. Une de ces 53 recommandations était d’établir un organisme de surveillance indépendant pour l’ASFC afin que ce qui est arrivé à M. Hassan ne se reproduise pas.
La création d’un organisme de surveillance de l’ASFC est urgente et attendue depuis longtemps, et il est temps d’agir. Nous demandons instamment aux membres de ce comité de travailler ensemble pour veiller à la mise en place de mesures indépendantes et véritablement efficaces pour la surveillance et la responsabilisation des organismes fédéraux chargés de l’application de la loi. Nous vous remercions et sommes prêts à répondre à vos questions.
Le président : Merci à vous deux.
Nous allons maintenant entendre Julia Sande, responsable des campagnes, Lois et politiques sur les droits de la personne, Amnistie internationale Canada. Madame Sande, veuillez prendre la parole, si vous êtes prête.
Julia Sande, responsable des campagnes, Lois et politiques sur les droits de la personne, Amnistie internationale Canada : Je vous remercie de cette occasion de comparaître devant vous aujourd’hui au nom d’Amnistie internationale Canada. Amnistie internationale accueille favorablement le projet de loi C-20 qui, comme vous le savez, créerait la Commission d’examen et de traitement des plaintes du public pour la surveillance indépendante de l’ASFC et de la GRC. Bien que nos recommandations s’appliquent aux deux organismes, je concentrerai mes remarques aujourd’hui sur l’ASFC, dont la surveillance se fait attendre depuis longtemps.
L’ASFC dispose de pouvoirs étendus. Elle peut arrêter, détenir et expulser des personnes. Elle interagit fréquemment avec des personnes vulnérables et marginalisées, en raison de leur statut d’immigration, de leur race, de leur identité de genre et de leurs handicaps psychosociaux. Malgré cela, comme mes amis viennent de le mentionner, l’ASFC reste le seul grand organisme d’application de la loi au Canada à ne pas être soumis à une surveillance civile indépendante.
En 2021, Amnistie internationale et Human Rights Watch ont publié un rapport conjoint sur la détention des immigrants. Nous avons constaté qu’en l’absence de surveillance indépendante, l’exercice non contrôlé par l’ASFC de son vaste mandat et de ses pouvoirs d’exécution a entraîné à plusieurs reprises des violations des droits de la personne. En conséquence, nos organisations ont fait écho aux recommandations formulées par de nombreuses organisations au cours des vingt dernières années, depuis la création de l’ASFC. Nous avons exhorté le gouvernement à créer un organe de surveillance civile indépendant pour l’ASFC. Selon ces organisations, pour être efficace, cet organe de surveillance devrait pouvoir lancer ses propres examens et enquêtes, permettre à de tierces parties de déposer des plaintes et avoir le pouvoir d’ordonner des mesures correctives et des sanctions importantes.
L’introduction du projet de loi C-20 a constitué une étape importante de la réponse à cette demande. Nous avons travaillé avec le comité de la Chambre chargé d’examiner ce projet de loi et nous avons été heureux de constater que des amendements essentiels ont été apportés, notamment pour permettre aux organisations non gouvernementales de déposer des plaintes. Ces amendements ont permis au projet de loi de répondre encore mieux à la demande et constituent une amélioration importante du système actuel de surveillance de la GRC. Maintenant, nous soutenons respectueusement qu’il appartient au Sénat d’apporter les derniers changements nécessaires pour garantir que l’ASFC est soumise à une surveillance et que cette surveillance est efficace.
Amnistie internationale s’est jointe à huit autres grandes organisations de défense des droits de la personne pour présenter un mémoire conjoint qui décrit les derniers changements que nous jugeons nécessaires pour une surveillance efficace de l’ASFC. Je tiens à souligner la recommandation numéro 3 du mémoire conjoint, qui vise à garantir l’indépendance des enquêtes sur les plaintes de nature grave.
Si le projet de loi C-20 était adopté tel quel, la situation par défaut serait que l’ASFC enquête sur elle-même. Je crois savoir que lors de votre réunion précédente, le comité actuellement chargé de superviser la GRC a expliqué qu’il ne disposait pas des ressources nécessaires pour traiter toutes les plaintes et que, dans certains cas, il serait plus logique que les organismes règlent directement les plaintes mineures. Toutefois, pour les plaintes graves, le fait qu’un organisme mène une enquête sur lui-même ou sur ses propres agents est susceptible de donner lieu à des perceptions de partialité et de décourager les gens de porter plainte.
L’ASFC a un pouvoir considérable sur les personnes avec lesquelles elle interagit. Si vous n’êtes pas citoyen, l’ASFC peut vous priver de votre liberté et vous séparer de vos enfants, de votre famille et de votre collectivité en vous incarcérant dans un centre de détention de l’Immigration où vous pourriez rester pendant des semaines, des mois, voire des années. Pendant votre détention, l’ASFC peut vous surveiller, vous imposer l’isolement cellulaire et vous transférer dans un autre établissement construit pour le système de justice pénale, qui peut être très éloigné de votre collectivité, ce qui empêche votre famille de vous rendre visite. Elle peut également demander votre maintien en détention si elle estime que vous n’êtes pas coopératif. Le déséquilibre de pouvoir dans ces contextes est énorme.
Nos recherches ont montré que de nombreuses personnes craignent l’ASFC longtemps après leur libération. Si l’ASFC enquête elle-même sur des plaintes graves la visant ou dans des situations où il y a un déséquilibre de pouvoir important et accru, la crainte de représailles risque d’empêcher bien des gens de déposer une plainte.
Heureusement, ce projet de loi exige déjà que la Commission d’examen et de traitement des plaintes du public enquête sur les plaintes lorsque sa présidente estime que c’est d’intérêt public. Nous proposons respectueusement d’amender ce projet de loi afin de définir les circonstances dans lesquelles il est considéré comme d’intérêt public que la commission mène l’enquête. Ces circonstances pourraient inclure les plaintes relatives aux conditions ou au lieu de détention, à la discrimination ou aux abus ainsi qu’à la procédure de renvoi. Cet amendement permettrait aux personnes en situation de vulnérabilité de déposer des plaintes contre l’ASFC auprès d’un organe véritablement indépendant, en sachant que l’enquête ne sera pas menée par l’ASFC.
Amnistie internationale vous demande respectueusement d’apporter cet amendement ainsi que les autres proposés dans notre mémoire commun et de travailler à l’adoption de ce projet de loi afin de créer un organe de surveillance efficace et indépendant. Je vous remercie de votre attention et je serai heureuse de répondre à vos questions.
Le président : Merci beaucoup, madame Sande.
Chers collègues, nos derniers témoins de la soirée représentent le Conseil national des musulmans canadiens et je crois savoir que Mustafa Farooq présentera ses observations liminaires.
Mustafa Farooq, membre, Comité consultatif, Conseil national des musulmans canadiens : Mesdames et messieurs, je vous remercie de nous donner l’occasion de faire part de nos réflexions. Je m’appelle Mustafa Farooq et je suis membre du comité consultatif du Conseil national des musulmans canadiens. Plus de deux millions de musulmans canadiens sont fiers d’habiter au Canada, où ils vivent depuis plus de 150 ans. Je suis également accompagné du chargé de plaidoyer du CNMC, Ahmad Al Qadi.
Je tiens tout d’abord à rappeler que nous sommes ici sur un territoire algonquin anishinabe non cédé. Nous tenons également à préciser d’emblée que nous souscrivons à toutes les recommandations formulées par nos collègues de l’Assemblée des Premières Nations et de l’Inuit Tapiriit Kanatami, ainsi que par mes collègues d’Amnistie internationale Canada et de l’Association canadienne des libertés civiles.
Aujourd’hui, nous souhaitons vous faire part de nos réflexions sur le projet de loi C-20. Avant de formuler nos recommandations sur les amendements, j’estime qu’il est important que nous donnions notre point de vue général sur le projet de loi. Des dirigeants respectés de l’ASFC et de la GRC vous ont fait part de leur désir de réforme et de changement. C’est très bien. Permettez-moi de vous présenter un autre point de vue, celui de ma propre histoire.
Il y a quelques mois, je revenais de l’étranger au Canada. Alors que je passais les contrôles de sécurité à l’aéroport Pearson de Toronto, l’agent de l’ASFC m’a demandé si j’avais reçu une formation au maniement des armes pendant mon séjour à l’étranger. Je pense avoir été plutôt froid, comme on l’est souvent après un long vol, lorsque je lui ai dit que je n’avais pas reçu d’entraînement au maniement des armes à l’étranger. En esquissant un sourire, il s’est tourné vers moi et m’a dit : « Vous savez pourquoi nous devons poser ces questions ».
La simple réalité est que pour bien des membres de l’ASFC et de la GRC, y compris en première ligne, le racisme systémique, le racisme envers les Noirs et les Autochtones et l’islamophobie posent encore des défis. C’est la raison pour laquelle nous insistons depuis des années sur la réforme de la surveillance. Notre position est que, même si le renforcement du régime de surveillance prévu dans le projet de loi C-20 laisse grandement à désirer — et comme nous entrevoyons un échéancier potentiellement abrégé à l’autre endroit de sorte que ce projet de loi risque de mourir au Feuilleton — notre souhait général est que, dans la mesure du possible, ce projet de loi soit adopté avant la fin de la session.
Ce projet de loi est-il idéal? Non. Constitue-t-il un premier pas sur la voie d’une réforme globale plus complète? À notre avis, la réponse est oui. Par conséquent, si nous devons choisir entre des amendements visant à renforcer le projet de loi et ne pas l’adopter du tout, notre recommandation serait d’adopter ce projet de loi, d’autant plus que nous plaidons depuis de nombreuses années en faveur d’une surveillance de l’ASFC.
Cela est dû en partie — je sais que mes collègues l’ont évoqué — à l’excellent travail qui a été réalisé à l’autre endroit en fait d’amendements importants proposés. J’attire tout particulièrement votre attention sur les amendements relatifs aux tiers, à l’article 28 et à l’article 33, et enfin sur l’article 87 relatif aux pouvoirs de réglementation en matière de communication de renseignements à l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement, l’OSASNR.
Cela dit, nous suggérons respectueusement d’envisager deux amendements clés. Tout d’abord, nous recommandons une disposition codifiant la tolérance zéro en matière de discrimination. Nous croyons que tout agent de l’ASFC ayant fait preuve de discrimination à l’encontre d’un Canadien dans l’exercice de ses fonctions sur la base d’un motif de distinction interdit n’est plus apte à occuper ce poste. C’est pourquoi nous recommandons cet amendement. J’ajouterais que nous avons eu des conversations productives avec l’ASFC à ce sujet.
Des recherches menées en mars 2020 ont révélé qu’un agent de l’ASFC sur quatre interrogé a déclaré avoir été témoin d’une discrimination de la part d’un collègue à l’encontre de voyageurs, et 71 % d’entre eux ont estimé que cette discrimination était fondée sur leur origine nationale ou ethnique. Il s’agit là d’un problème systémique.
Deuxièmement, nous partageons les préoccupations de plusieurs de nos collègues concernant la nécessité d’options pour un contrôle judiciaire. Bien que nous prenions au sérieux la proposition du ministre en ce qui concerne le principe administratif relatif aux décideurs finaux, nous soutenons respectueusement qu’étant donné la gravité des recommandations potentielles relatives aux politiques ou aux examens clés, les conclusions de la commission ne devraient pas être limitées par une disposition privative aussi onéreuse que celle qui figure à l’article 65 du projet de loi.
Par exemple, dans l’affaire Girouard, une décision de la Cour fédérale qui a été confirmée par la Cour d’appel fédérale, le juge Noël conclut au paragraphe 69 de la décision qu’une recommandation du Conseil canadien de la magistrature concernant la destitution d’un juge, même s’il s’agit d’une recommandation, est susceptible d’un contrôle judiciaire. Je me ferai un plaisir d’en dire plus à ce sujet en répondant à des questions.
Bref, nous partageons le point de vue selon lequel il s’agit, dans une certaine mesure, de situations analogues. Nous ne voyons pas comment un contrôle et un changement à long terme à l’ASFC et à la GRC sont possibles sans tenir compte des recommandations découlant d’une décision qui ne devrait pas être susceptible d’un contrôle judiciaire. Sous réserve de vos questions, voilà nos observations. Je vous remercie de votre attention.
Le président : Merci. Nous allons passer aux questions. Nous disposons de quatre minutes pour chaque question, y compris la réponse.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Ma première question s’adresse à Mme Julia Sande.
Je crois personnellement que les policiers sont particulièrement sous surveillance au Canada. Vous me direz que c’est l’opinion d’un ex-policier. Pour le bien de nos travaux, pouvez-vous nous faire une comparaison entre ce que le Canada propose au moyen du projet de loi C-20 et ce qui peut être observé dans d’autres pays, par exemple les États-Unis, la France et l’Australie?
[Traduction]
Mme Sande : Oui. Je vous remercie pour votre question. Je n’ai pas fait d’analyse comparative de ce projet de loi. L’angle sous lequel nous l’avons abordé — bien sûr, je sais que votre question concerne la GRC, ou je pense que c’est le cas, mais je me suis concentrée sur l’ASFC — était l’absence totale de contrôle. C’est tout à fait inhabituel, même dans ce pays. C’est dans cette optique que nous avons abordé la question.
Les principes clés que nous avons exposés sont fondés sur notre compréhension du contrôle dans de nombreux pays différents. Je répète que là où nous avons constaté une surveillance fructueuse et efficace, les principes clés et fondamentaux sont la capacité d’agir en toute indépendance, de lancer ses propres enquêtes sans forcément attendre le dépôt de plaintes, de permettre à des tiers, comme des ONG, de déposer des plaintes compte tenu des craintes et de la vulnérabilité auxquelles peuvent être confrontées certaines personnes qui interagissent avec ces organisations, et de veiller à ce que l’organe de surveillance jouisse réellement du pouvoir de formuler des recommandations utiles et d’ordonner des correctifs concrets. Je ne sais pas si mes collègues ont quelque chose à ajouter.
Malheureusement, je ne peux pas parler explicitement des États-Unis, par exemple.
[Français]
Le sénateur Dagenais : J’aurais une deuxième question pour Me Rahim.
Vous proposez un élargissement des pouvoirs de la commission. N’avez-vous pas peur qu’un tel ajout ne politise les travaux, ce qui ne semble pas le mandat que le projet de loi C-20 veut lui donner? Est-ce que ce n’est pas plutôt la responsabilité du pouvoir politique d’ordonner des enquêtes plus larges avec des pouvoirs bien précis?
[Traduction]
Me Rahim : Merci pour cette question. Je suis tout à fait d’accord pour dire que nous ne voudrions jamais que ce type de mécanisme ou d’organe de surveillance soit politisé. L’autre réalité, comme nous le savons, est qu’il faut souvent un certain temps avant de voir des changements législatifs importants, et lorsque des situations sont recensées, cette surveillance n’est pas aussi étendue ou aussi large qu’elle devrait l’être.
À notre avis, il est avantageux de s’assurer d’une latitude suffisante pour mener des enquêtes appropriées, tout en veillant à éviter, grâce à un mécanisme de contrôle, de rapport et d’examen externes, toute politisation inutile ou injustifiée du processus de surveillance.
Le sénateur Boehm : Merci. Je voulais poursuivre dans la veine de mon collègue, le sénateur Dagenais, sur la question des données. Je m’intéresse particulièrement à l’existence d’une trajectoire de la discrimination. Est-elle stable? Est-elle en hausse? Comment la mesure-t-on?
Madame Sande, vous représentez une organisation mondiale. Je pense qu’avec autant de personnes déplacées, vous êtes probablement en contact avec d’autres sections d’Amnistie internationale. Je pense en particulier à l’Europe et peut-être même plus explicitement au Royaume-Uni et à la France, pour savoir s’il existe un facteur de mesure dont vous parlez?
Je voudrais également poser cette question à M. Farooq en ce qui concerne les délibérations sur ce projet de loi lui-même. Si nous partons du principe que le projet de loi sera adopté et que le ministre lui-même a déclaré qu’il n’était pas parfait, mais qu’il représentait le meilleur premier pas — et c’est exactement ce que vous avez dit vous-même. Quelles réformes précises attendez‑vous d’une deuxième ou d’une troisième version du projet de loi C-20? Pouvons-nous commencer par Mme Sande, s’il vous plaît?
Mme Sande : Merci. Je veux m’assurer de bien comprendre votre question. Elle concerne les statistiques sur le racisme, et pour ce qui est d’être en contact avec des collègues dans d’autres parties du monde, est-ce que cela concerne les statistiques sur les incidents de racisme?
Le sénateur Boehm : Les statistiques et ce que les différents services frontaliers peuvent faire, parce que ce n’est pas comme s’il s’agissait d’un problème localisé dans notre pays, donc j’aimerais savoir comment votre assez grande — je ne sais pas quelle est sa taille, mais vous êtes bien présents à travers le monde — ce que l’on pense.
Mme Sande : Je vous remercie pour la question. Dans nos recherches sur la détention d’immigrants, nous avons constaté des problèmes de racisme systémique et que les personnes racisées, les hommes noirs en particulier, étaient plus susceptibles d’être détenues plus longtemps; elles étaient plus susceptibles d’être détenues dans une prison provinciale, qui est un cadre plus punitif, que dans un centre de détention de l’Immigration. Nous avons également constaté une discrimination à l’égard des personnes souffrant de handicaps psychosociaux, à la fois dans la manière dont le pouvoir discrétionnaire était exercé, mais aussi dans certaines politiques relatives à la détention des personnes et à la facilitation de l’accès aux soins. Ainsi, ces personnes sont détenues dans des prisons provinciales, qui sont plus punitives, plutôt que dans des centres de détention de l’Immigration, simplement en raison de leurs handicaps psychosociaux.
En ce qui concerne les statistiques, je suis heureuse que vous ayez soulevé cette question. Il est difficile de suivre un changement parce que l’ASFC ne recueille pas de données ventilées. C’est un élément que nous saluons dans ce projet de loi. Je vois qu’il prévoit la collecte de données selon la race et d’autres données démographiques. C’est important.
Le sénateur Boehm : Je suis désolé de vous interrompre. Je veux donner à M. Farooq le temps de parler de la ligne de tendance.
Mme Sande : Bien sûr.
Le sénateur Boehm : Je serais encore plus précis et je vous demanderais si vous avez quelque chose à dire sur la ligne de tendance au cours de la dernière année, compte tenu de la situation au Moyen-Orient.
M. Farooq : Bien sûr, sénateur.
Il y a deux parties à votre question : l’une sur la ligne de tendance et l’autre sur ce que nous espérons d’une deuxième version de ce projet de loi. En ce qui concerne la tendance — bien que ce soit anecdotique, car c’est ce qui est rapporté à des organisations comme le Conseil national des musulmans canadiens, ou CNMC — nous voyons de plus en plus de gens qui appellent le CNMC pour dire qu’ils subissent de la discrimination à la frontière. C’est ce que nous constatons. Le nombre de plaintes a augmenté au point que nous recevons une plainte officielle toutes les deux semaines, alors qu’auparavant, c’était environ une fois par mois. Il semble que le nombre de plaintes ait doublé.
L’un des points positifs de ce projet de loi est qu’il prévoit une méthode plus complète de collecte des données relatives aux plaintes.
En ce qui concerne la deuxième version de ce projet de loi, nous aimerions qu’elle soit plus musclée. Mes collègues de l’Assemblée des Premières Nations, ou APN, ont parlé de l’assassinat de neuf hommes autochtones en un mois. Quel type de réforme globale existe-t-il pour traiter un problème aussi profond et enraciné que celui-là? C’est le genre de choses que nous voudrions voir dans une deuxième ou une troisième version. Je tiens à souligner l’incroyable travail que des personnes comme vous, monsieur le sénateur, ont accompli pour défendre les personnes qui ont perdu la vie à cause de violences policières. C’est le genre de choses que nous devons envisager à long terme pour nous assurer que le nombre de personnes tuées par les forces de l’ordre sans raison soit réduit à zéro au Canada.
La sénatrice Omidvar : Mes questions s’adressent aux excellents témoins sur vidéo. J’aimerais commencer ma question en décrivant l’historique de cet effort.
En 2002, il y a eu la détention de Maher Arar aux États-Unis et la restitution; en 2006, il y a eu l’enquête de la juge O’Connor demandant la création d’une commission indépendante d’examen et de traitement des plaintes. En 2016, un sénateur a déposé deux projets de loi d’initiative parlementaire; ainsi que la proposition de Mel Cappe au gouvernement en 2017, que nous avons sous les yeux. En 2018, la première version du projet de loi est morte au Feuilleton. En 2021, l’itération suivante est morte au Feuilleton.
Je vous pose la question : insistez-vous sur vos amendements ou craignez-vous que, si ces amendements sont déposés, tout l’effort soit à nouveau annulé en raison du contexte politique particulier d’aujourd’hui? Serait-il préférable de ne pas avoir de projet de loi ou d’avoir un projet de loi qui s’améliorera avec le temps?
Mme Sivalingam : Je parle en mon nom et au nom de notre organisation lorsque je dis que nous voyons clairement le besoin pressant de surveillance, surtout en ce qui concerne l’ASFC, qui n’a rien à l’heure actuelle.
Il est évident qu’un projet de loi qui établit un mécanisme de surveillance pour l’ASFC et améliore la surveillance exercée sur la GRC vaut mieux qu’aucun projet de loi.
La sénatrice Omidvar : J’ai abordé la question de la mauvaise manière tout à l’heure. Il n’y a pas vraiment de surveillance. Il s’agit d’un mécanisme d’examen des plaintes. Ce n’est pas un organe de surveillance, pour être tout à fait claire. La GRC et l’ASFC prennent leurs propres décisions disciplinaires. C’est le point de départ. La commission examine ces décisions et communique au ministre et aux sous-ministres son éventuel désaccord avec cette décision. Je tiens à ce que les termes employés soient clairs. Je suis désolée si j’ai semé la confusion. Maître Rahim?
Me Rahim : Oui, pour faire écho à ma collègue, au cas où ces amendements ne seraient pas adoptés, il est toujours utile de joindre des observations au rapport pour jeter les bases de changements futurs, et aussi, bien sûr, pour signaler aux décideurs ce que votre comité estime important, ou la valeur qu’il accorde à certaines préoccupations que nous avons soulevées à propos de la mise en œuvre opérationnelle.
Le sénateur Yussuff : Je remercie les témoins de leur présence. Vous faites des observations pertinentes sur les amendements recommandés au projet de loi.
Ma collègue vient de poser la question la plus évidente. Compte tenu de la situation dans laquelle le Parlement se trouve et des chances que nos efforts portent leurs fruits, allons-nous essentiellement mettre le projet de loi en péril?
Permettez-moi de revenir à la question la plus fondamentale que les témoins précédents ont évoquée et à celles que vous soulevez.
Le racisme systémique est un problème réel. Les gens n’en ont pas idée. Le système a une longue histoire de pratiques et de comportements. Ce n’est pas nouveau pour nous.
Depuis le 11 septembre, nous l’avons vu atteindre de nouveaux sommets. Les occasions d’y remédier, de changer le comportement des agents de première ligne dans leur manière d’interagir avec les gens, surtout lorsqu’ils sont un peu basanés et portent un nom comme le vôtre ou le mien, je connais la réalité.
La question est la suivante : lorsque vous passez la sécurité — j’en ai fait personnellement l’expérience — on vous prend à part parce que quelqu’un veut procéder à une fouille. Je m’y suis habitué. C’est la réalité.
Dans le contexte de ce que vous dites, comme les questions qu’on vous a posées à votre retour de voyage, il y a un sentiment d’injustice dans le fonctionnement de notre système, et ce n’est pas ce que nous attendons de nos agents de première ligne, qu’ils soient de la GRC ou de l’ASFC. Nous nous attendons à être traités équitablement. N’importe qui aurait pu revenir d’un voyage à l’étranger et on aurait pu leur poser toutes les mêmes questions. Pourquoi pose-t-on ces questions à un Canadien musulman?
Ce projet de loi nous fait avancer un peu, tout en reconnaissant qu’il n’est pas possible de relever tous les défis auxquels nous sommes confrontés.
Pensez-vous que l’adoption de ce projet de loi est une faiblesse de notre part en tant que sénateurs qui ne font pas leur travail, ou devrions-nous aller dans la direction que vous recommandez, c’est-à-dire amender le projet de loi pour combler certaines failles que vous jugez importantes et critiques, compte tenu de votre expérience et du grand nombre de personnes que vous représentez à travers le pays?
M. Farooq : Je vous remercie de votre éclairage et de votre question.
Nous avons essayé d’expliquer clairement dans nos observations que, même si nous pensons que certains amendements pourraient améliorer ce projet de loi, nous pensons qu’il faut l’adopter s’il faut choisir entre ces amendements et le manque de temps pour l’adopter. Nous ne voudrions pas que ce projet de loi meure au Feuilleton. Nous ne pensons pas que ce soit dans l’intérêt des collectivités marginalisées, aussi imparfait que soit ce projet de loi.
Le sénateur Cardozo : Ma première question s’adresse à vous, maître Rahim. Vous avez fait part de vos préoccupations concernant l’alinéa 41c). Vos préoccupations sont-elles apaisées par l’article 36, qui parle du président qui prend l’initiative de déposer une plainte, et par l’alinéa 38(1)b.1), qui parle des plaintes de tiers auxquelles Mme Sande a également fait allusion.
Je me demande si ces deux dispositions répondent à vos préoccupations concernant l’alinéa 44.1c)?
Me Rahim : Monsieur le sénateur, certains éléments du projet de loi — y compris les dispositions que vous avez citées — garantissent bien la participation et l’engagement des tiers. Comme les autres organismes de la société civile, nous pensons que la disposition particulière que nous avons mentionnée est une disposition dans laquelle la possibilité de cette participation pourrait être plus claire. Il est certain que nous ne considérons pas que le projet de loi n’offre à des tiers aucune possibilité raisonnable de participer. La Chambre a apporté des amendements qui permettront de garantir ce type de participation.
Le sénateur Cardozo : Madame Sande, en ce qui concerne les plaintes déposées par le président et le libellé des paragraphes 36(1), 36(2) et ainsi de suite, qu’aimeriez-vous modifier? Que voudriez-vous ajouter à cet article? Voulez-vous que le président soit plus indépendant ou que l’on attende davantage de lui?
Mme Sande : Merci pour votre question, monsieur le sénateur. Je pense que nous voudrions définir les circonstances dans lesquelles la commission ou le président doit examiner certaines plaintes. Dans cette disposition, « Plaintes déposées par le président de la Commission », je crois comprendre qu’il s’agit de cas où il constate un problème. Mon inquiétude portait davantage sur les plaintes déposées par des personnes sachant que, par défaut, elles sont transmises à l’organisme dont elles se plaignent. Ainsi, en vertu d’un autre article, la commission peut dire : « Si nous pensons que c’est dans l’intérêt public, nous ferons enquête sur cette plainte ».
Nous voulons simplement que les choses soient définies de manière à ce que les plaignants sachent : « D’accord, je suis détenu par les services de l’immigration. Je me plains d’être victime de racisme systémique » — cette plainte sera examinée par la commission. Ce n’est pas une question de discrétion; je sais simplement que je suis en sécurité et que je me sens à l’aise pour me plaindre. C’est davantage l’objectif de notre recommandation, mais nous constatons que l’article que vous avez cité confère également certains pouvoirs au président.
Le sénateur Cardozo : Un autre article — je ne me souviens pas du numéro — autorise la commission, si une personne dépose une plainte, puis la retire après un certain temps, de décider de poursuivre l’examen de cette plainte parce qu’elle estime qu’il s’agit d’un problème grave, par exemple, ou peut‑être que le plaignant se sent intimidé ou simplement que le problème nécessite plus d’attention.
Est-il utile que la commission puisse décider de poursuivre l’examen d’une plainte, même si le plaignant la retire?
Mme Sande : Certainement, je pense que c’est important et utile.
Une autre recommandation que nous avons faite concerne l’arrêt des renvois. Si une personne est expulsée, les chances qu’elle puisse maintenir sa plainte sont minces. Cela permet d’y remédier.
Nous essayons de nous concentrer sur les obstacles qui empêchent de déposer la plainte initiale. Oui, c’est utile si quelqu’un retire sa plainte ou craint des représailles, mais cela ne règle pas la réticence initiale que les gens éprouveront, par exemple, s’ils ne sont pas sûrs que l’ASFC n’enquêtera pas elle‑même.
Donc, la disposition que vous citez à nouveau est importante, monsieur le sénateur, et c’est un élément précieux de ce projet de loi, mais malheureusement, elle n’éliminerait pas l’obstacle initial, c’est-à-dire la possibilité que la plainte ne soit même pas déposée.
Cela dit, je tiens à dire, en réponse à la question de Mme Omidvar et de plusieurs sénateurs concernant l’adoption de ce projet de loi tel quel ou l’absence de projet de loi, qu’Amnistie se fait l’écho de ces points de vue : nous voulons que le projet de loi soit aussi solide que possible. Nous espérons que ce sera possible, mais si ce n’est pas le cas, nous préférerions quelque chose à rien, car rien n’a permis de régler des situations horribles pendant des années et des années.
Le sénateur Cardozo : C’est un terrible « choix de Sophie » et pour l’instant, nous préférons être en mesure de faire ce que nous aimons faire parfois, c’est-à-dire amender les projets de loi et les améliorer.
Madame Sande, avez-vous transmis un libellé en ce sens, ou pourriez-vous le faire sous peu? Cela figure-t-il dans votre mémoire?
Mme Sande : Oui. J’ai remarqué que le dépôt du mémoire est attribué, je crois, à la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles. C’est le groupe qui l’a soumis, mais au nom de nous tous. Vous devriez déjà avoir ce mémoire en main.
Le sénateur Cardozo : Monsieur Farooq, avez-vous des observations à faire sur les questions que j’ai posées?
M. Farooq : Nous partageons bon nombre de ces préoccupations clés, et je pense qu’elles reflètent toutes le type d’amendements qui pourraient être apportés à ce projet de loi.
Cela dit, dans l’ensemble, nous préférerions que le projet de loi soit adopté tel quel plutôt que de ne pas l’adopter, si telle est la question.
Le sénateur Cardozo : Il ne faut pas le dire trop fort tout de suite après tout ce que vous avez proposé, mais j’ai bien compris votre message. Je vous remercie.
Le sénateur Yussuff : Je remercie tous les intervenants qui sont ici, mais le plaidoyer qui se fait depuis un certain temps pour la création d’un organe de surveillance a été écrasant. Le fait que quelque chose soit enfin proposé pour répondre à cette préoccupation est tout à l’honneur des personnes ici présentes et des surveillants qui ont accompli ce dur labeur. Sans leurs efforts constants pour nous alerter sur la nécessité d’agir, je ne suis pas convaincu que nous en serions là. Encore une fois, le Parlement n’en a pas fait une priorité sans ce plaidoyer. Merci beaucoup pour le travail acharné que vous avez accompli pour nous amener ici, en reconnaissant que vous nous incitez à réfléchir davantage au produit final. Il est certain que nous en tiendrons compte.
Je vous remercie de nouveau pour votre travail acharné.
Le sénateur Al Zaibak : Je remercie tous nos témoins d’être ici. Il me semble que ce qui importe le plus, c’est d’éduquer l’ASFC, la GRC et d’autres organismes à prévenir l’inconduite, les fautes professionnelles, le racisme systémique et la discrimination. Plutôt que le processus d’examen des plaintes qui peut prendre des années avant d’aboutir, à votre avis, le projet de loi C-20 pourrait-il avoir une incidence directe ou indirecte sur le code de conduite et les pratiques au sein de ce type d’organismes?
M. Farooq : Merci, monsieur le sénateur. Je demanderai à mes autres collègues de faire également des observations. J’en ferai deux. Je pense qu’il est essentiel que des organismes comme la GRC et l’ASFC restent ouverts aux échanges avec des ONG tierces comme Amnistie, l’ACLC et l’Assemblée des Premières Nations, et qu’ils s’engagent dans un dialogue de réconciliation qui vise le processus d’éducation et de réforme systémique auquel vous faites allusion à juste titre.
Bien qu’il soit en cours, ce processus n’a pas été de tout repos. Le CNMC n’est pas le seul à l’avoir constaté. De nombreux organismes ont constaté qu’il s’agissait d’un défi. Parfois, le fait de former les gens ne donne pas les résultats escomptés. C’est une condition nécessaire, mais je ne suis pas sûr que ce soit une condition suffisante pour garantir que ces organismes ne fassent pas des choses comme celles que nous avons vues, par exemple, dans le scandale de Maher Arar ou dans les décès d’Autochtones que nous voyons encore.
Cela dit, je pense que la présentation du projet de loi C-20 a certains effets périphériques. Le fait de savoir que la procédure de plainte est renforcée peut créer une sorte de cercle vertueux selon lequel, espérons-le, les gens réfléchiront peut-être à deux fois avant de faire certaines choses; c’est du moins ce que l’on espère. Même si cela ne débouche pas tout de suite sur la situation rêvée, c’est peut-être un premier pas vers des résultats plus positifs.
Me Rahim : Monsieur le sénateur, c’est une excellente question. Elle souligne la nécessité de ne pas voir le projet de loi C-20 comme une panacée, et ce n’est certainement pas notre cas. Il y a eu des examens, qu’il s’agisse de la police fédérale ou d’autres corps policiers, des recommandations ignorées ou non mises en œuvre, de la formation par cases à cocher, où toute la formation est mise en place, mais ne change rien aux résultats. Pour avoir participé à quelques cycles de ce type de réflexion sur la reddition de comptes et le changement, je dirai que la culture est souvent au cœur du problème. Comment changer la culture d’une organisation chargée de l’application de la loi pour qu’elle respecte les droits et prenne au sérieux les problèmes de discrimination? C’est un projet de longue haleine.
Encore une fois, je partage les remarques de mon collègue sur le fait que le projet de loi C-20 est une pierre angulaire de ce projet, mais nous ne nous berçons pas d’illusions lorsqu’il s’agit d’enjeux aussi profondément enracinés. Il faudra beaucoup plus, et c’est à nous tous, décideurs politiques et dirigeants de ces services, de continuer à mettre ces enjeux au premier plan afin qu’une introspection et une action nécessaires et concrètes puissent être entreprises.
Mme Sande : Si vous le permettez, j’ajouterai brièvement que je suis tout à fait d’accord pour dire que la formation et la surveillance sont toutes deux nécessaires, mais pas suffisantes. Je tenais simplement à vous relater quelques mots recueillis au cours de nos recherches, d’un homme détenu par les services de l’immigration. Nous lui avons demandé ce qu’il dirait aux autorités canadiennes. Il a répondu :
Je ne veux pas qu’ils me connaissent parce que ces gens ont du pouvoir. Ils peuvent vous dépouiller de tout, vous faire perdre votre voix et le monde continue sans vous. Je veux juste avoir une vie simple. J’ai l’impression d’être trop petit pour dire quoi que ce soit au Canada.
Je ne veux pas exagérer ce que ce projet de loi pourrait accomplir, mais je pense que c’est un moyen pour les gens de se faire entendre alors qu’ils ne pouvaient pas le faire auparavant. Je tiens vraiment à réitérer l’importance que nous accordons à ce projet de loi.
Mme Sivalingam : Pour ajouter à cela, comme mes collègues l’ont dit, le projet de loi C-20 ne va pas résoudre ces problèmes. Il est certain qu’il n’en résoudra pas un seul, mais il va mettre en lumière certaines pratiques qui ont causé tant de tort aux personnes et qui ont violé les droits d’un grand nombre d’entre elles et les ont dépouillées de leur dignité. Cela contribuera grandement à mettre en lumière ces pratiques et à les porter à l’attention du public.
Le président : Merci. Y a-t-il quelque chose que vous auriez voulu dire et qui n’a pas été soulevé par les questions que vous avez entendues aujourd’hui? Très bien, je vous remercie.
Chers collègues, ceci nous amène à la fin de notre discussion. Nous remercions tous nos témoins d’avoir pris le temps d’être avec nous, mais en l’occurrence, nous remercions Me Rahim, Mme Sivalingam, Mme Sande, M. Farooq et M. Al Qadi. Nous avons beaucoup appris de vous et vous remercions de nous avoir fait profiter de vos connaissances, de vos points de vue, de votre vécu et de vos recommandations. C’est extrêmement utile. Vous avez été mesurés et réfléchis dans vos propos et vous avez fourni des réponses et des conseils formidables à de très bonnes questions de mes collègues, et je tiens donc à vous en remercier.
Chers collègues, avant de conclure, le sénateur Kutcher a déposé un point à examiner pour nos futurs travaux. Y a-t-il une objection à ce que nous nous réunissions brièvement à huis clos pour en discuter, auquel cas le sénateur Yussuff s’exprimera à ce sujet? S’il n’y a pas d’objection, y a-t-il un accord pour le faire?
Si c’est le cas, nous suspendons la séance pour deux minutes. Je remercie de nouveau nos témoins.
(La séance se poursuit à huis clos.)