LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES SOCIALES, DES SCIENCES ET DE LA TECHNOLOGIE
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mardi 11 juin 2024
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd’hui, à 15 heures (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi C-58, Loi modifiant le Code canadien du travail et le Règlement de 2012 sur le Conseil canadien des relations industrielles.
La sénatrice Jane Cordy (vice-présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La vice-présidente : Je m’appelle Jane Cordy et je suis une sénatrice de la Nouvelle-Écosse ainsi que la vice-présidente de ce comité. Notre présidente, la sénatrice Omidvar, est retenue pour la première heure de notre réunion d’aujourd’hui par un autre comité, après quoi elle se joindra à nous pour le deuxième groupe de témoins.
Avant que nous commencions, j’aimerais demander à tous les sénateurs et à tous ceux qui participent en personne dans la salle de consulter les cartes sur la table pour connaître les lignes directrices sur la prévention des incidents acoustiques. Veuillez noter que les mesures préventives suivantes ont été prises afin de protéger la santé et la sécurité de tous les participants, y compris les interprètes.
Je sais que nous avons tous entendu ces lignes directrices à maintes reprises, mais on nous a dit que lundi, je crois, un incident assez grave s’est produit à la Chambre des communes parce qu’un écouteur était placé trop proche du micro. Je vais donc continuer à vous les rappeler en guise d’avertissement amical.
Si possible, asseyez-vous de manière à accroître la distance entre vous et le micro. Utilisez seulement l’oreillette noire approuvée. Les anciennes oreillettes grises ne doivent plus être utilisées. S’il vous plaît, évitez en tout temps d’approcher votre oreillette du micro. Si vous n’utilisez pas votre oreillette, veuillez la placer face à l’envers sur l’autocollant prévu à cette fin sur la table. Je vous remercie tous de votre coopération.
Nous poursuivons aujourd’hui notre étude du projet de loi C-58, Loi modifiant le Code canadien du travail et le Règlement de 2012 sur le Conseil canadien des relations industrielles.
Avant que nous commencions, j’aimerais que nous fassions un tour de table pour que les sénateurs et les sénatrices puissent se présenter, en commençant par une sénatrice du comité permanent, c’est-à-dire la sénatrice Seidman.
La sénatrice Seidman : Bonjour. Judith Seidman de Montréal, au Québec.
La sénatrice Lankin : Frances Lankin, sénatrice de l’Ontario.
[Français]
Le sénateur Brazeau : Bonjour. Patrick Brazeau, du Québec.
La sénatrice Petitclerc : Chantal Petitclerc, du Québec. Bonjour.
[Traduction]
La sénatrice Bernard : Wanda Thomas Bernard, de la Nouvelle-Écosse.
La sénatrice Burey : Sharon Burey, sénatrice de l’Ontario.
La vice-présidente : Nous accueillons cet après-midi, pour le premier groupe de témoins, Robert Paul Hebdon, professeur émérite en comportement organisationnel à l’Université McGill, et Rafael Gomez, professeur agrégé à l’Université de Toronto, qui témoigneront par vidéoconférence, ainsi que Daniel Dufort, directeur général, et Gabriel Giguère, analyste principal des politiques publiques, de l’Institut économique de Montréal, qui se joignent à nous en personne. Merci à tous d’être avec nous.
M. Hebdon, M. Gomez et M. Dufort ont une déclaration préliminaire à nous présenter.
Monsieur Hebdon, allez-y.
Robert Paul Hebdon, professeur émérite en comportement organisationnel, Université McGill, à titre personnel : Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de m’exprimer, madame la présidente et mesdames et messieurs les sénateurs. C’est un privilège d’être ici.
Je vais essayer de suivre une présentation PowerPoint qui, je crois, a été distribuée. Même si vous ne pouvez pas la voir sur votre écran, je la mettrai sur mon écran et je la suivrai. Ceux qui l’ont sous forme électronique ou sur papier pourront la suivre ainsi.
En passant, si cela ne fonctionne pas, j’ai un autre plan, mais je vais commencer par la présentation PowerPoint.
Il s’agit d’une présentation faite au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie le 11 juin. Je m’appelle Robert Hebdon. Je suis professeur émérite à l’Université McGill. Pour ceux qui ne le savent pas, le titre de professeur émérite désigne un professeur à la retraite, mais avec une certaine distinction.
La vice-présidente : Je suis désolée. Je viens d’apprendre que nous n’avons pas tous une copie de la présentation. Je pensais qu’il ne s’agissait que de moi et je me suis procuré une copie auprès de la greffière. Y a-t-il un moyen de la voir, monsieur Hebdon?
M. Hebdon : J’espérais pouvoir la diffuser électroniquement, mais ce n’était apparemment pas possible.
La vice-présidente : Vous ne pouvez pas partager votre écran; je suis désolée. Veuillez simplement faire vos observations sans présentation visuelle.
M. Hebdon : Je pense que cela se passe d’explications. Nous sommes ici pour étudier l’incidence d’une interdiction du recours à des travailleurs de remplacement. Je poursuivrai dans cette voie et je présenterai certaines recherches auxquelles j’ai participé et qui, je pense, aideront le comité dans ses délibérations.
Plus précisément, je vais vous fournir quelques données probantes que j’ai trouvées dans le cadre d’un article que j’ai rédigé sur les incidents liés à la grève, sur la durée des grèves et sur les salaires, ainsi que sur l’incidence de l’interdiction du recours à des travailleurs de remplacement sur ces variables.
L’étude à laquelle je fais référence s’intitule L’incidence de la législation entourant les négociations collectives sur les grèves et les règlements salariaux, ce qui dit tout, à mon avis. Je ne saurais en dire davantage sur la pertinence de cette étude. Elle semble s’inscrire pleinement dans le mandat de ce comité. Elle a été publiée en 2014 dans la revue Industrial Relations, de Berkeley, l’une des principales revues dans le domaine. Il s’agit d’une étude universitaire qui a été réalisée de manière très rigoureuse.
L’auteur principal de cette étude s’appelle Michele Campolieti, de l’Université de Toronto; j’y ai participé à l’Université McGill, ainsi que Benjamin Dachis, économiste à l’Institut C.D. Howe.
Cette étude était très vaste. Elle a couvert une période de 40 ans, de 1978 à 2008. Elle incluait les 10 provinces relevant de la compétence fédérale. Elle comprenait des mesures de contrôle à l’égard de divers changements économiques et législatifs. Elle a donc été réalisée au moyen d’une analyse statistique très rigoureuse.
Je dois ajouter que le professeur Campolieti, du moins à l’époque, enseignait l’économétrie au sein du département d’économie de l’Université de Toronto. D’ailleurs, à la lecture de l’article, on constate que le degré d’économétrie est assez élevé.
L’étude a été analysée en deux périodes. En plus de l’analyse globale sur 40 ans, nous avons procédé à une analyse en divisant une première période de 1978 à 1992, puis une deuxième de 1993 à 2008. Or, il s’avère que plusieurs variables politiques ont eu des effets différents au cours de chaque période, notamment en ce qui a trait à l’interdiction du recours à des travailleurs de remplacement. Cette analyse était donc pertinente. Les différences entre les effets de l’interdiction du recours à des travailleurs de remplacement sur ces variables étaient considérablement variées pour chaque période; c’est pourquoi je les ai incluses dans l’analyse.
La raison pour laquelle nous l’avons scindée en deux, c’est qu’après 1993, il n’y avait pas d’autre analyse comme celle-ci, c’est-à-dire une analyse pancanadienne de diverses variables de la politique du travail au Canada. La dernière remontait à 1992, et nous voulions donc cette ventilation.
Je vais passer directement aux résultats de l’étude. Comme je l’ai dit, il s’agit de l’effet de l’interdiction du recours à des travailleurs de remplacement partout au Canada, et des effets sur les grèves, la durée des grèves et les règlements salariaux. Si l’on considère l’ensemble de l’échantillon, c’est-à-dire celui de toute la période de 40 ans allant de 1978 à 2008, nous avons constaté un effet neutre. Autrement dit, l’effet de l’interdiction du recours à des travailleurs de remplacement sur les grèves n’est pas statistiquement significatif.
C’est peut-être contre-intuitif. J’ai une certaine expérience de la négociation collective et je sais que si l’on est confronté à une interdiction du recours à des travailleurs de remplacement, notre pouvoir de négociation s’en verra probablement renforcé jusqu’à un certain point. C’est une chose de moins dont il faut se préoccuper pendant la grève. Je me serais probablement attendu à ce que les grèves soient un peu plus nombreuses si j’avais dû émettre une hypothèse. J’aurais également pu émettre l’hypothèse de grèves plus vastes et plus longues dans certains cas. J’aurais également pu émettre l’hypothèse d’un...
La vice-présidente : Il vous reste une minute, monsieur Hebdon, alors si vous pouviez conclure votre intervention. Je suis désolée.
M. Hebdon : Je vous en prie. C’est ce que je vais faire. Nous avons constaté que les grèves avaient un effet neutre, puis nous les avons divisées en deux périodes. Il y a eu une augmentation au cours de la première période et une diminution au cours de la seconde. Les grèves ont été plus longues sur l’ensemble de l’échantillon, ce à quoi nous nous attendions en quelque sorte, de même que dans la première partie, mais elles ont été neutres dans la seconde partie. Les règlements salariaux ont également diminué, ce qui nous a étonnés. Les règlements salariaux ont effectivement baissé en conséquence. Dans la dernière période, ils ont été neutres ou ils ont augmenté.
Permettez-moi de dire quelques mots sur la deuxième période de 1993 à 2008, qui marque vraiment le début de l’effet de la mondialisation et du libre-échange. Je dirais que, la raison pour laquelle les choses sont différentes dans la deuxième partie, c’est que le contexte de négociation était plus difficile pour les syndicats. C’est ce qui ressort de nos données.
En conclusion, nous n’avons pas constaté d’effets négatifs importants de la mise en œuvre d’une interdiction du recours à des travailleurs de remplacement sur les grèves ou les règlements salariaux. Merci. Je serai heureux de répondre à vos questions.
La vice-présidente : Merci, monsieur Hebdon.
Monsieur Gomez, allez-y.
Rafael Gomez, directeur, Centre des relations industrielles et des ressources humaines, Université de Toronto, à titre personnel : Bonjour. Merci beaucoup pour cette invitation. Je vous en suis reconnaissant. Mes observations sont un peu différentes des précédentes. J’ai une formation en économétrie. J’ai fait beaucoup de travail empirique, mais je vais parler d’un autre type d’effet que des changements comme celui-ci peuvent avoir sur le régime de relations de travail.
Lorsqu’il s’agit de manière générale du régime de relations de travail, en tant que spécialiste des relations industrielles, je ne défends ni les syndicats ni le patronat. Je ne travaille pas dans une école de gestion ni au sein d’un programme d’études sur le travail. Je crois plutôt défendre les institutions qui soutiennent le bon fonctionnement du marché du travail. La négociation collective en fait partie.
J’envisage deux façons de « réguler » un marché. On peut laisser le marché à lui-même ou mettre en place un grand nombre de règles en les faisant appliquer par des inspecteurs, et cetera. On peut aussi trouver un juste milieu, c’est-à-dire la négociation.
Je pense que c’est ce que nous, spécialistes des relations industrielles, cherchons à faire. Notre expertise vise à soutenir des institutions comme la négociation collective afin de créer un marché du travail plus efficace et plus équitable.
C’est dans ce contexte qu’il faut être prudent face à un projet de loi comme celui-ci qui pourrait modifier l’équilibre. Comme l’ont montré les recherches du professeur Hebdon, les variables politiques proprement dites n’ont probablement pas un effet considérable. Il existe des conditions limites ou des variables contextuelles. En outre, comme l’a dit le professeur Hebdon, à la fin des années 1990 et au début des années 2000, la mondialisation a eu des effets considérables sur certains éléments comme le nombre de grèves, la durée des grèves, et cetera.
Je vais parler d’un effet politico-économique, à savoir qu’on ne doit pas réparer une chose qui fonctionne bien. À titre d’exemple historique, au début des années 1990 en Ontario, un gouvernement néo-démocrate a été élu pour la première fois et il a mis en place une série de réformes dans le domaine du travail. Pendant 45 ans, le Parti progressiste-conservateur a gouverné, mais pas en tant que gouvernement idéologique de droite. Il était très centriste et il se déplaçait vers le centre droit et vers le centre gauche au besoin. Il croyait qu’il fallait soutenir le système de relations industrielles sans favoriser une partie plutôt qu’une autre. Cependant, lorsque le NPD est arrivé au pouvoir, il a entrepris de mettre en œuvre beaucoup de mesures que les syndicats réclamaient et qu’ils ont largement obtenues. Le hic, c’est qu’aux élections suivantes en 1995, les progressistes-conservateurs de l’Ontario sont revenus au pouvoir sous la direction de Mike Harris, qui a non seulement défait ce que le NPD avait fait pendant la brève période où il avait été au pouvoir, mais qui a également repris une mesure absente depuis 45 ans en Ontario.
La question des travailleurs de remplacement a polarisé le discours. Les employeurs disaient : « Pourquoi le NPD modifie‑t-il cette loi? Nous n’avons presque jamais recours à des travailleurs de remplacement. » C’est vrai. Les grèves sont rares pour commencer. Une doctorante vient de terminer un travail sur les grèves. Sur une période de 20 ans, 98,6 % de son échantillon de conventions collectives n’ont jamais abouti à une grève, ce qui signifie que son résultat disponible, à savoir la probabilité d’une grève, se produit 1,4 % du temps. La plupart des conventions collectives sont réglées par la voie de la négociation et elles ne débouchent pas sur une grève.
Ainsi, pour le « n », le résultat, une grève est très rare. Il est encore plus rare qu’en cas de grève, la première chose que fait l’employeur, c’est d’engager des travailleurs de remplacement. C’est une rareté qui s’ajoute à quelque chose qui est déjà très rare. Cependant, une partie pourrait soudainement s’apercevoir que ses préoccupations et ses intérêts ne sont pas entendus. Cela peut conduire à un mouvement de balancier qui inquiète les experts en relations industrielles, ceux que l’on dit « neutres », comme les arbitres et les présidents de conseil du travail.
Si cela vous intéresse, je vous renvoie à Kevin Burkett, un arbitre bien connu en Ontario, qui a prononcé un discours sur cette affaire en particulier lors de la remise du prix Bora Laskin de 2015.
L’un des effets inquiétants d’une telle mesure législative, c’est ce qu’elle produira à l’avenir. Il faut être conscient de l’évolution de la situation politique. Quel parti sera au pouvoir dans un an et demi? Il faut en tenir compte dans le type de projet de loi qu’on propose aujourd’hui, parce que, dans un système parlementaire avec un gouvernement majoritaire, de telles mesures législatives peuvent être annulées. Or, ce n’est pas ce qu’on souhaite dans le domaine des relations industrielles. On souhaite plutôt l’équilibre, la stabilité, l’équité et l’efficacité pour que les deux parties soient entendues. Merci beaucoup.
La vice-présidente : Merci beaucoup, monsieur Gomez.
[Français]
Daniel Dufort, directeur général, Institut économique de Montréal : Je tiens à vous remercier pour l’invitation d’aujourd’hui. Mon collègue Gabriel Giguère et moi sommes très heureux d’être ici afin de discuter d’un enjeu aussi important que celui des travailleurs et travailleuses de remplacement.
Le projet de loi sur le recours aux travailleurs et travailleuses de remplacement lors d’un arrêt de travail dans les industries sous réglementation fédérales constituerait un recul important pour la qualité et les prix des services offerts aux consommateurs canadiens, le tout sans offrir de gains importants pour les travailleurs et travailleuses syndiqués. C’est intéressant parce que, dans le cadre de notre travail à l’IEDM, nous faisons de la vulgarisation de la science économique afin de tirer les conclusions que nous allons vous présenter aujourd’hui. Nous nous sommes notamment servis d’une étude du professeur Hebdon, qui a pris la parole avant nous.
Dans le cadre d’une récente publication, l’IEDM s’est penché sur la question du projet de loi C-58.
Notre premier constat est qu’un cadre législatif qui empêche le recours aux travailleurs et travailleuses de remplacement n’est pas la norme, mais bien l’exception à la règle. Seules deux provinces canadiennes ont adopté une telle mesure. Il s’agit du Québec, qui l’a adoptée dès 1977, et de la Colombie-Britannique, qui a emboîté le pas en 1993. Pour sa part, le gouvernement de l’Ontario a adopté une telle loi en 1993, mais s’en est rapidement défait sous le gouvernement du premier ministre Mike Harris, durant la « révolution du gros bon sens ». C’est un peu l’historique de ce type de loi au pays. On peut constater que même une province comme la Saskatchewan, qui est un peu le berceau du NPD au pays, ne s’est jamais dotée d’une telle mesure législative.
Si l’on compare les différentes provinces, soit celles qui s’en sont dotées et celles qui ne s’en sont jamais dotées, on remarque que, dans les provinces où l’on a interdit les travailleurs de remplacement, les grèves sont plus fréquentes et les arrêts de travail sont plus longs — on parle même de 60 % plus longs. Toutefois, ce qui est le plus important, c’est que ces mesures visant à interdire le recours aux travailleurs de remplacement ne mènent pas à une meilleure rémunération pour les travailleurs syndiqués. En réalité, on observe même le contraire. Après l’adoption d’une telle loi, on constate une baisse de 25 % des investissements privés, et il s’ensuit que la rémunération des employés baisse de 3,6 % — en fait, leur rémunération devient 3,6 % plus basse que dans les provinces qui ne se seraient pas dotées d’une telle loi.
Dans le cas de l’interdiction prévue par le projet de loi C-58, il faut aussi reconnaître qu’il affecterait des industries particulièrement stratégiques, ce qui pourrait contribuer à des effets encore plus néfastes. Si on regarde autour de nous, on peut voir poindre à l’horizon des menaces de grève dans l’industrie ferroviaire, au CN et au CPKC, par exemple. Si les 80 contrôleurs ferroviaires du CPKC étaient en grève, plus aucun train ne roulerait sur le réseau dans un contexte où l’on aurait une telle mesure législative en place.
En plus de paralyser le transport des marchandises, il y aurait un effet sur le transport des passagers. En effet, de nombreux réseaux de trains de banlieue empruntent ces voies ferroviaires, dont le West Coast Express de Vancouver, la ligne Milton de GO Transit ou encore trois lignes d’EXO autour de Montréal, qui se verraient paralysés en l’absence de travailleurs et travailleuses de remplacement. Une grève de l’un ou l’autre des corps de métier dans l’aviation pourrait également avoir pour effet de paralyser nos aéroports, qui sont des points d’entrée essentiels au pays ainsi que des plaques tournantes de notre économie.
On peut également imaginer l’impact que pourrait avoir un bris des infrastructures de télécommunications s’il est impossible de demander aux employés de faire les réparations qui s’imposent. Bref, le projet de loi C-58 n’aidera pas les travailleurs canadiens, bien au contraire. Il représente également une nuisance potentielle pour l’ensemble des Canadiens. Les conséquences inattendues de ce projet de loi font en sorte qu’il n’en vaut tout simplement pas la peine.
Merci beaucoup.
[Traduction]
La vice-présidente : Merci beaucoup aux témoins. Nous allons maintenant passer à la période des questions.
La sénatrice Seidman : Je remercie les témoins d’être présents cet après-midi. Je vais parler des conséquences imprévues et je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de le faire.
Si le projet de loi était adopté, il aurait une incidence sur les travailleurs et sur les employeurs du secteur privé sous réglementation fédérale, qui représente environ 1 million de travailleurs et quelque 22 300 employeurs. À l’heure actuelle, seules deux provinces, la Colombie-Britannique et le Québec, disposent d’une mesure législative semblable interdisant le recours à des travailleurs de remplacement. Comme nous l’avons entendu, celle du Québec est probablement la plus pure. La Colombie-Britannique ne bénéficie pas de toute la force de cette mesure législative.
J’aimerais savoir quels enseignements, s’il y en a, peuvent être tirés de la mise en œuvre des interdictions relatives aux travailleurs de remplacement au Québec et en Colombie-Britannique. Quelles sont les conséquences imprévues? J’aimerais connaître votre avis à tous les trois. Je ne sais pas de combien de temps je dispose, mais je pourrais commencer par le professeur Hebdon, passer au professeur Gomez, puis à M. Dufort.
M. Hebdon : Merci. La recherche que nous avons menée répond directement à cette question — peut-être pas tant en ce qui concerne les conséquences imprévues —, mais il faut comprendre que lorsque cette étude a été menée sur une période de 40 ans, cela comprend la période qui précède la mise en œuvre de l’interdiction du recours à des travailleurs de remplacement, avant et après. La variable dépendante, c’est le changement de politique. L’étude examine l’effet de ce changement et de la politique, tant au Québec qu’en Colombie‑Britannique, sur les grèves, sur la durée des grèves et sur les salaires. Il s’agit des résultats dont j’ai parlé dans ma présentation. Je n’y reviendrai pas.
En ce qui concerne les conséquences imprévues, vous verrez dans ma présentation qu’il y a quelques surprises. Les salaires étaient censés augmenter. Les travailleurs étaient censés avoir un plus grand pouvoir de négociation. Or, les salaires ont baissé dans la première partie de l’étude. Nous ne savons pas vraiment pourquoi. On a soulevé la question des investissements. Il est tout à fait possible que ce soit le cas, mais, lorsqu’on réalise une étude majeure comme celle-ci, il faut associer ce dont je parle à ce dont parle le professeur Gomez à l’échelle locale, par exemple. Nous connaissons le résultat dans chacun de ces cas, et il y a eu des surprises.
Je dirais également que les surprises ont été de nature minime. Les décideurs politiques n’ont pas à s’en inquiéter.
[Français]
Gabriel Giguère, analyste principal des politiques publiques, Institut économique de Montréal : Dans la littérature, on voit une augmentation de la durée et de la fréquence des grèves. J’ai donc décidé d’examiner si, au cours des 10 dernières années, les données disponibles de Statistique Canada correspondent à la littérature économique. On a constaté qu’au Québec, pour 1 000 personnes, le nombre de journées non travaillées est beaucoup plus élevé qu’ailleurs au pays, et la Colombie-Britannique se situe en troisième place à ce titre. On constate que l’interdiction du recours aux travailleurs de remplacement peut faire partie de cette dynamique. Sans dire que c’est la seule cause, c’est en partie la raison pour laquelle on compte plus de journées de grève que de journées non travaillées par 1 000 travailleurs.
[Traduction]
La sénatrice Lankin : Je poserai ma question au professeur Hebdon, mais je tiens à préciser, professeur Gomez, que j’étais membre du Cabinet en 1994 ou à l’époque où nous avons adopté cette mesure législative. Je comprends ce que vous dites sur l’effet coup de fouet de la position prise dans ce dossier par le gouvernement successeur. Cependant, je dirais qu’il en a été de même, par exemple, pour l’aide sociale, où l’on a tenté d’augmenter les taux d’aide sociale pour aider les gens à composer avec le coût de la vie. Or, le gouvernement successeur n’a pas seulement rétabli les taux initiaux. Il les a rendus bien inférieurs à ce qu’ils étaient avant. On ne peut pas prédire ce que feront les gouvernements futurs, et je ne pense pas que nous pouvons fonder nos politiques là-dessus.
Professeur Hebdon, je ne vous avais pas vu depuis longtemps, et je suis très heureuse de vous revoir.
M. Hebdon : Moi aussi.
La sénatrice Lankin : Je vous remercie de votre présence. En écoutant les commentaires sur la recherche, j’ai passé en revue toutes les recherches sur ce sujet que les partis ont présentées et envisagées à la Chambre des communes et hors de cette enceinte. Sans vouloir manquer de respect envers qui que ce soit, je qualifierais la plupart d’entre elles de « recherches militantes », dans la mesure où elles proviennent de la partie syndicale ou de la partie patronale. Elles ne sont pas ce que j’appellerais des recherches universitaires rigoureuses.
J’ai cherché et trouvé votre article, et c’est l’un des documents de recherche les plus complexes sur le plan technique que j’ai jamais lus. Toutefois, sa rigueur, sa publication dans la revue importante et bien connue que vous avez mentionnée, sa longueur et la durée des recherches menées sont impressionnantes. M. Smith et M. Stanford ont, ce matin, fait référence à un document antérieur dont vous avez participé à la rédaction en tant que membre d’une équipe de recherche avec l’Institut C.D. Howe. Il était différent de celui auquel je fais référence, qui est beaucoup plus universitaire et contient énormément de variables.
D’après ma propre expérience, en général, la variable la plus importante pour les incidents de grève est liée, sur le plan statistique, aux conditions économiques du pays ou de l’administration; et, dans une moindre mesure, aux conditions de travail, ou à l’état du partenariat et de la relation.
Après avoir lu votre point de vue, j’aimerais que vous confirmiez que les diverses politiques énumérées dans votre recherche n’ont essentiellement pas eu d’incidence considérable à cet égard. Il y a eu des points de vue contradictoires à ce sujet, tel que ces politiques provoquent plus de grèves ou moins de grèves, des grèves plus longues ou plus courtes. En réalité, la seule étude que j’ai pu trouver qui se fondait sur des données empiriques est celle que vous avez effectuée et, d’après ce que j’ai lu, ces politiques n’ont pas eu d’incidence considérable. Pourriez-vous nous en dire plus là-dessus, s’il vous plaît?
M. Hebdon : Oui, c’est en fait la conclusion que j’ai tirée dans la dernière diapositive, à savoir que je ne vois pas d’effet considérable.
Pour ce qui est de la qualité de la recherche, lorsque mes coauteurs et moi-même nous sommes lancés dans ce projet, nous n’avions aucune idée de ce que nous allions trouver. Nous n’avons pas commencé avec l’idée en tête que nous allions essayer d’améliorer les choses. C’était notre hypothèse. En fait, nous nagions dans l’inconnu. Nous avions formulé quelques hypothèses basées sur quelques recherches antérieures, mais nous n’avions aucun intérêt personnel à protéger.
Je dois également ajouter que cette étude découle de l’étude menée par l’Institut C.D. Howe, à laquelle j’ai pris part avec Ben Dachis. Ce n’est pas quelque chose que j’aime admettre, mais nous avons découvert des erreurs — ou, plutôt, des erreurs d’omission — dans cette étude. Lorsque nous avons réalisé une étude rigoureuse pour le compte de la revue que vous avez mentionnée et qu’elle a été soumise à un processus rigoureux d’examen par les pairs, cela a grandement amélioré les résultats, non seulement en ce qui a trait à l’analyse effectuée, mais aussi aux données recueillies.
Le problème, c’est que si l’on est un organisme de pression, on cherche à prouver un point particulier. Je ne dis pas que la recherche est sans valeur, mais elle est suspecte. Je pense que les recherches les plus fiables sont celles que j’ai effectuées et que le professeur Gomez effectue. Si vous vous soumettez aux rigueurs d’un processus universitaire, vous aurez des examinateurs qui examineront votre travail sans indulgence et vous feront le reprendre jusqu’à ce qu’il soit parfait. Ce n’était pas le cas avec l’étude de l’Institut C.D. Howe. Ce ne l’est généralement pas avec les études menées par des organismes de pression.
La sénatrice Lankin : Merci.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Je vais poser ma question en français. Elle s’adresse également au professeur Hebdon. J’essaie de voir s’il existe des recherches ou des données sur le niveau de formation et de compétence des travailleurs de remplacement. Ma question s’inscrit dans le contexte où on a parlé de l’impact des travailleurs de remplacement sur les rapports dans les milieux de travail et les négociations. On nous a dit qu’un des problèmes ou un des défis, c’est le fait que ces travailleurs de remplacement n’ont peut-être pas le même niveau de formation et de compétence. C’est la même chose sur le plan de la sécurité quand il s’agit des soins de santé. Le niveau de service pourrait donc être différent.
Est-ce une chose qui est prouvée? A-t-on des recherches ou des données à ce sujet?
[Traduction]
M. Hebdon : Ma réponse sera très brève. J’aimerais pouvoir vous fournir une réponse plus détaillée, mais je ne suis pas au courant de recherche à ce sujet. Or, la préoccupation que vous soulevez est certes légitime. Le professeur Gomez aurait peut‑être quelque chose à ajouter.
M. Gomez : Puis-je intervenir?
La vice-présidente : Bien sûr, allez-y.
La sénatrice Petitclerc : Oui, s’il vous plaît.
M. Gomez : Certaines données indiquent que les travailleurs de remplacement ne sont pas aussi compétents et que cela entraîne des défauts. Dans le cas de Firestone, un cas très emblématique, il y a eu un problème avec la production des roues. Il y avait deux usines dans le New Jersey. Dans l’une d’entre elles, il y a eu une grève et des travailleurs de remplacement ont été embauchés, ce qui s’est avéré être la source de la plupart des défauts. Mais il y a pire. Après la fin de la grève et le retour des travailleurs, ceux-ci étaient tellement mécontents de ce qui s’était passé que le taux de défaut a en fait augmenté.
Ce que je veux dire, c’est que lorsqu’on fait appel à des travailleurs de remplacement, les enjeux sont très élevés. Cette pratique n’aide pas l’employeur et nuit aux relations de travail. C’est pourquoi elle est si rarement utilisée et n’a lieu que rarement, voire jamais. Il existe des cas emblématiques. L’étude dont je parle a été publiée par Alexandre Mas de Princeton. Il s’agit d’une autre étude publiée dans une revue spécialisée, et non à des fins de recherche militante.
Le coût est énorme et, parfois, il est assumé par la compagnie, qui voit sa réputation en prendre un coup et qui observe une détérioration de la qualité de ses produits et de la prestation de ses services.
La sénatrice Petitclerc : Merci. C’était utile. Parlons-nous de la qualité et de la productivité? Est-ce que cela peut s’appliquer aussi à la sécurité?
M. Gomez : Oui. En l’occurrence, il s’agissait de la sécurité des produits. Toutefois, vous avez raison. Cela pourrait s’appliquer aux travailleurs qui n’ont pas reçu une formation suffisante pour utiliser les machines du lieu de travail ou effectuer toute tâche pouvant y être demandée.
Je voudrais revenir sur un point. Il se trouve que les grèves sont quelque chose de peu fréquent. Le recours aux travailleurs de remplacement, lui, est encore plus rare. Bien des gens qui utilisent cette pratique une fois décident de ne plus jamais s’en servir. En effet, la plupart des employeurs se rendent compte qu’il ne s’agit pas d’une tactique durable et efficace, à moins que le but de la grève ou du lockout est de détruire essentiellement le système de négociation collective des relations du travail. Cela s’est déjà produit au Canada. Certains employeurs ont cherché à échapper à la négociation collective, et c’est l’une des façons d’y parvenir. Je le répète, c’est quelque chose de rare.
La sénatrice Petitclerc : Merci.
La sénatrice Burey : Merci beaucoup d’être là. C’est très intéressant. Merci beaucoup aux témoins.
Monsieur Gomez, vous parliez de l’ensemble des règlements et des lois sur les relations industrielles, créant un équilibre et une stabilité dans les relations industrielles. Je ne pense pas avoir compris si vous pensiez que ce projet de loi causerait une certaine instabilité ou s’il améliorerait la stabilité des relations industrielles. C’est la première question.
Ensuite, si j’ai le temps, je poserai une question spécifique au professeur Hebdon.
Mais, monsieur Gomez, pourriez-vous vous prononcer à ce sujet? Vous partiez du principe que vous vouliez que les choses demeurent stables.
M. Gomez : Oui, sénatrice. Vous êtes très perspicace. Je ne vous ai pas vraiment dit si je croyais que cette mesure allait créer de l’instabilité ou non.
Dans le contexte actuel, compte tenu de ce que j’ai mentionné précédemment à propos de la rareté des grèves — et du fait que le secteur fédéral est un secteur très mature avec de grands employeurs possédant de grandes marques et un capital-marque que de mauvaises relations de travail pourraient endommager —, je ne pense pas qu’un seul de nos principaux employeurs fédéraux envisage d’échapper à la négociation collective. De toute façon, ce serait impossible dans de nombreux cas, à cause de la façon dont le processus législatif fonctionne.
Alors, oui, je crois que cette mesure crée de l’instabilité. Il n’y a pas un tas d’employeurs qui utilisent des travailleurs de remplacement dans le but, comme je l’ai déjà dit, d’éviter et de détruire le processus de négociation collective. La sénatrice Lankin faisait partie intégrante du gouvernement néo-démocrate, et vous avez raison : les gouvernements ne peuvent pas gouverner en fonction de ce que leurs successeurs feront. Toutefois, lorsque des changements sont apportés, en particulier à la veille d’un cycle électoral potentiel, il faut être conscient des conséquences imprévues d’un gouvernement qui pourrait être élu en raison de ce qui est perçu comme des mesures anti‑employeurs. On observe alors une sorte de mouvement de balancier. C’est pourquoi les experts en relations industrielles, qui essaient de rester neutres, se livrent à la réflexion suivante : « S’agit-il d’un problème qui doit être résolu maintenant? Si ce n’est pas le cas, favorisons et effectuons un travail sur d’autres volets de la relation de travail qui ne risque pas de contrarier l’une des parties et d’entraîner ce va-et-vient lorsqu’un gouvernement plus favorable à l’une ou l’autre des parties arrive au pouvoir. »
J’espère que cela répond à votre question.
La sénatrice Burey : Oui, merci.
Je tiens à remercier grandement le professeur Hebdon pour l’élégance de ses recherches. Je n’ai pas eu l’occasion de lire le document, mais nous avons entendu le Conseil canadien des relations industrielles, ou CCRI, ce matin. Pour ce qui est de disposer de ressources humaines et financières adéquates, avez‑vous examiné si le fait de fournir des ressources adéquates au CCRI ou à des institutions équivalentes a vraiment contribué à faire avancer les décisions? Cela permettrait d’assurer la stabilité de toute mesure législative que nous présentons ici.
M. Hebdon : Une seule chose me vient à l’esprit, et j’espère qu’elle est en rapport avec votre question.
L’une des conclusions de l’étude est que lorsque vous avez fait une longue grève, la probabilité que vous en fassiez une autre est élevée. L’existence de relations difficiles provoque donc des longues grèves en boucle. La solution à ce problème est une intervention du CCRI ou d’un autre organisme fédéral. Je sais qu’il y a eu des tentatives d’améliorer les relations quand les parties en ont fait la demande, mais il pourrait être nécessaire d’envisager une intervention plus forte pour aider les parties à briser ce cycle.
Alors, oui, je pense que les organismes comme le CCRI doivent être dotés de ressources adéquates, car ils doivent s’attaquer aux problèmes particuliers qui se posent. C’est ce que nous avons découvert lors de notre étude.
La sénatrice Burey : Merci.
[Français]
Le sénateur Cormier : Ma question s’adresse à MM. Dufort et Giguère. Merci d’être ici à tous les témoins. Monsieur Dufort, j’ai noté que c’est l’un ou l’autre. Vous avez mentionné qu’au Québec, étant donné qu’il y a une loi semblable à celle-ci, il y avait eu une baisse de 25 % des investissements privés. C’est l’une des questions que j’ai pour vous.
D’abord, sur quelles études vous basez-vous pour déterminer cela? Quel secteur cela touchait-il particulièrement? L’autre élément, c’est que vous avez aussi mentionné que, pour 1 000 travailleurs, il y avait un certain nombre de jours non travaillés, mais vous n’étiez pas en mesure de dire si c’était attribuable à l’application de la loi au Québec. Je voudrais des précisions là‑dessus. Cela ne semble pas concorder avec d’autres informations qu’on a reçues, et je voudrais bien comprendre vos arguments.
M. Dufort : Merci beaucoup pour la question. D’abord, pour la question de la baisse de 25 %, l’Institut économique de Montréal a produit une étude en 2005 qui reprend de la documentation dans laquelle on traite de ce qui s’est produit dans les dernières décennies. Ce qu’on a constaté, c’est qu’il y avait 25 % de moins d’investissements dans les différentes provinces qui ont adopté ce type de loi. Je serais heureux de vous envoyer l’étude de 2004 ultérieurement. Cela semblait assez clair dans la documentation. Pour ce qui est du nombre de journées —
Le sénateur Cormier : Nous sommes 20 ans plus tard, par rapport au moment où vous avez fait votre étude. Cette étude a‑t‑elle été actualisée et nous permet-elle de dresser un portrait clair? Le marché du travail a beaucoup évolué en 20 ans.
M. Dufort : Elle n’a pas été refaite intégralement, mais elle nous permet quand même d’avoir une compréhension de ce qui s’est passé, et le fait d’avoir déjà ce portrait nous permet de comprendre ce qui pourrait se produire. Sans dire que ce sera un copier-coller, il faut garder en tête qu’il peut y avoir des impacts très concrets sur la question de l’investissement.
Sur la question du nombre de jours, effectivement, je ne peux pas vous dire que c’est la cause de tout cela, mais c’est un des éléments qui peut expliquer le portrait qui a été dressé. Il y a également la question du taux de syndicalisation qui peut jouer, mais en ce qui concerne la question de l’interdiction du travail de remplacement, quand on regarde la documentation et quelques études, on constate qu’il y a un lien avec le fait que le nombre de travailleurs — en fait, on a constaté que cela se produisait quand il y avait une interdiction du recours aux travailleurs de remplacement.
Quand on parle de la documentation et des chiffres de Statistique Canada, j’ai dit que c’étaient des données recueillies de 2014 à 2023. Sur une décennie, je voulais voir quelle était la tendance. En fait, ce qu’on a constaté, c’est qu’au Québec, par 1 000 travailleurs, il y avait beaucoup plus de journées non travaillées qu’ailleurs au pays.
Le sénateur Cormier : Vous n’avez donc pas été en mesure d’évaluer l’ensemble des facteurs? Il y a une certaine présomption par rapport au fait que, effectivement, l’application de la loi diminue le nombre de jours travaillés, mais vous n’avez pas l’ensemble du portrait qui nous permet d’affirmer clairement cela?
M. Dufort : Dans un premier temps, j’ai regardé la documentation, et on voyait bien qu’il y avait un lien. La première chose, c’est que j’ai constaté qu’il y avait un lien. J’ai regardé les données pour voir si cela se produisait dans les provinces où il y avait une interdiction du recours aux travailleurs de remplacement. Est-ce que cela vient corroborer la documentation économique? La réponse était affirmative, selon les données que j’ai vues, de sorte qu’avec la documentation, on pouvait conclure qu’il y avait un impact. Après, je ne peux pas vous dire... Je ne viens pas ici en disant que ce n’est qu’à cause des travailleurs de remplacement. Je pense qu’il faut être sérieux par rapport à cette question. Il y a d’autres phénomènes qui interviennent, mais on voit très certainement le lien entre les deux.
Le sénateur Cormier : Merci. J’aurais une question plus générale. Comme je le dis souvent, je ne suis pas un expert dans le domaine du travail, mais l’équilibre des pouvoirs entre les travailleurs et les employeurs est un rapport de force complexe et délicat qui nécessite effectivement des mesures de protection pour les uns et les autres. Il me semble que l’idée derrière ce projet de loi, c’est d’assurer un certain équilibre dans le rapport de force entre les employés et les employeurs. Êtes-vous d’accord avec cette vision des choses?
M. Giguère : Je crois que quand on regarde les industries qui sont affectées dans ce cas-ci, il y a des impacts très importants pour le consommateur canadien. Pour le Canadien qui est à la maison, les impacts peuvent être très graves si l’on vient empêcher des trains de banlieue de circuler, si l’on empêche des employés de réparer des bris dans les infrastructures...
Le sénateur Cormier : Est-ce que vous avez des données là‑dessus? Évidemment, ce sont des hypothèses, mais est-ce que vous avez des données?
M. Giguère : Ce ne sont pas des données, cela se trouve dans le projet de loi que vous analysez. C’est ce qui est écrit dans le projet de loi.
Le sénateur Cormier : Je parlais de l’impact.
M. Giguère : L’impact est que le train roule ou ne roule pas et que l’infrastructure de télécommunication fonctionne ou ne fonctionne pas. Au-delà de cela, c’est dans l’avenir. Je ne peux pas avoir de données plus précises pour l’instant.
[Traduction]
La sénatrice Seidman : Je n’ai pas tout à fait terminé avec M. Dufort et M. Giguère. Si vous souhaitez poursuivre sur le thème des conséquences imprévues, je serais heureuse d’entendre ce que vous avez à dire. Je note également que, dans votre publication économique, vous avez affirmé ceci dans la plus récente note économique :
En France, il est interdit de faire appel à des travailleurs de remplacement en cas de grève. […] [O]n constate un ratio de 16 901 journées perdues par 1000 travailleurs au cours de la dernière décennie.
Il s’agit d’une nouvelle mise à jour économique, donc je suppose qu’il ne s’agit pas de données anciennes. À titre comparatif, les employés des entreprises de transport sous réglementation fédérale au Canada affichent un ratio de 1 037 journées perdues par 1 000 travailleurs au cours de la même période, soit environ un seizième du nombre de journées perdues par leurs homologues du secteur ferroviaire français.
Je vais laisser cette question sur la table et je vous laisserai répondre. Merci.
[Français]
M. Dufort : Merci pour la question. Dans un premier temps, pour continuer dans la même veine que la question du sénateur Cormier, la question des PME est très importante aussi. Quand on a des rails, des compagnies qui... Au final, quand les marchandises ne peuvent pas se rendre auprès de nos PME, il y a un impact. On le sait, on l’a vécu pendant la pandémie : c’est difficile pour les petites entreprises. L’impact de l’interdiction du recours aux travailleurs de remplacement sera beaucoup plus important, notamment pour les petites entreprises dont la chaîne logistique pourrait être perturbée. Cela peut être plus difficile pour s’adapter. Ce sont des impacts concrets. Ce sont donc, dans un premier temps, ce qu’on appelle des effets pervers. J’irais avec cette affirmation.
Pour ce qui est de la France, c’est intéressant et cela fait écho à ce que j’ai dit plus tôt. La question de l’interdiction du recours aux travailleurs de remplacement ne vient pas tout expliquer, mais ce qu’on a constaté à la SNCF, qui est essentiellement l’entreprise française qui s’occupe des chemins de fer, c’est que s’ils font la grève — et il y a une culture de grève —, les travailleurs ne peuvent pas être remplacés. Bien sûr, la dynamique montre que lorsqu’on sait qu’on ne pourra pas être remplacé, on peut faire la grève un peu plus souvent. Malheureusement, c’est ce qu’on voit en France.
Je ne vous dis pas qu’il y aura un copier-coller ici, mais il faut garder cela en tête avant d’adopter des projets de loi comme celui-ci, parce qu’il peut y avoir des exemples concrets. Je vais faire le parallèle avec ce dont j’ai parlé au départ, soit la question des PME. Ce n’est pas seulement que les gens ne pourront pas se déplacer, ce qui a déjà de graves impacts, mais la question de nos PME sera plus difficile à régler. Je répondrai ainsi.
[Traduction]
La sénatrice Seidman : En effet, nous entendrons les petites et moyennes entreprises demain, je crois. Nous leur poserons ces questions. Je vous remercie.
La sénatrice Lankin : Merci. Je vous remercie de vos remarques. Cependant, j’ai du mal à voir la pertinence de la France dans ce dossier, étant donné toutes les différences qui existent entre les politiques de relations de travail des deux pays, la nature intrinsèque de la loi et l’examen de la mesure législative du Québec. Je crois que la loi a changé à la fin des années 1970. Si ma mémoire est bonne, c’était une période marquée par des grands conflits, plus particulièrement dans le secteur de la construction, et de la violence sur les piquets de grève. Je ne cherche pas à minimiser la situation. Il est important que nous entendions le point de vue des syndicats, mais je reviens aux recherches qui se penchent sur ces enjeux.
Professeur Hebdon, dans le cadre du travail que vous avez effectué — sans nécessairement mener les recherches vous‑même —, avez-vous effectué une comparaison théorique rigoureuse des lois existantes d’administrations comme la France et le Québec? De telles comparaisons existent-elles? Je me demande seulement dans quelle mesure nous pouvons nous inspirer de ce qui s’est passé dans d’autres pays qui disposent d’un ensemble de politiques totalement différentes en matière de culture et de relations industrielles.
M. Hebdon : Oui, il s’agit d’un domaine distinct des relations industrielles, le domaine comparatif. Je m’y suis aventuré à quelques reprises pour établir des comparaisons. C’est très difficile à faire parce que les contextes sont très différents. Vous avez déjà soulevé ce point. Je crois savoir que la France dispose d’un droit constitutionnel de grève. Au Canada, ce droit est protégé par notre Constitution, mais en France, ce droit est inscrit explicitement dans sa Constitution. En partant de ce principe, si vous comparez les taux de grève entre les pays, il est difficile de contrôler toutes les différences entre la loi et l’attitude que certains pays ont à l’égard de la grève, parce qu’elles sont tellement différentes des nôtres.
Notre modèle est assez réglementé. Par exemple, il est seulement possible de faire la grève après une certaine période. Dans la plupart des pays, le modèle est très peu réglementé. C’est une autre différence qui rend difficile l’établissement de comparaisons. Ma longue réponse est que je ne connais pas d’études définitives dans ce domaine. Cependant, il existe des études qui comparent les taux de grève. J’ai participé à quelques-unes d’entre elles, mais je ne veux pas m’y fier en tant que décideur politique pour suggérer que nous nous lancions dans la même voie qu’un autre pays pour l’élaboration de nos politiques. Je pense que ce n’est pas la bonne chose à faire. Nous devons nous concentrer sur nos propres divergences législatives et apporter des changements importants lorsqu’ils sont nécessaires et lorsqu’ils n’ont pas d’énormes répercussions sur les résultats.
J’ai été surpris de constater à quel point l’effet d’interdire le recours à des travailleurs de remplacement a été insignifiant. Dans l’analyse finale, cette mesure n’a pas vraiment eu d’incidence importante sur aucune des variables que nous avons examinées.
La sénatrice Lankin : Merci.
La vice-présidente : Sénateurs, cela nous amène à la fin de notre premier groupe de témoins. J’aimerais remercier nos témoins, M. Hebdon, M. Gomez, M. Dufort et M. Giguère, pour leur présence parmi nous cet après-midi et pour leur témoignage.
La sénatrice Ratna Omidvar (présidente) occupe le fauteuil.
La présidente : Chers collègues, nous reprenons notre étude du projet de loi C-58. Pour ceux qui nous regardent en direct, je m’appelle Ratna Omidvar et je suis présidente du comité. Je tiens à remercier ma collègue, la sénatrice Cordy, la vice-présidente du comité, qui a assuré la présidence en mon absence au cours de la dernière heure.
Pour notre prochain groupe de témoins, nous accueillons nos témoins par vidéoconférence. Nous avons parmi nous Bea Bruske, la présidente du Congrès du travail du Canada. Nous sommes heureux de vous revoir. Nous avons aussi parmi nous les personnes suivantes : Lana Payne, présidente nationale d’Unifor; et Mariam Abou-Dib, la directrice exécutive de Teamsters Canada. Je crois comprendre que Mme Bruske et Mme Payne ont une déclaration liminaire à présenter. Nous commencerons par vous, madame Bruske, et vous aurez cinq minutes pour vos remarques.
Bea Bruske, présidente, Congrès du travail du Canada : Merci, madame la présidente. Bonjour, membres du comité. Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de comparaître devant vous aujourd’hui. Je m’appelle Bea Bruske. Je suis la présidente du Congrès du travail du Canada, ou CTC. Nos affiliés sont des syndicats nationaux et internationaux représentant plus de trois millions de travailleurs dans tous les secteurs économiques et toutes les régions du Canada.
Le CTC appuie fermement le projet de loi C-58 et exhorte le comité à adopter le projet de loi sans tarder. Depuis 1956, le CTC prône l’amélioration des mesures de protection des travailleurs. Depuis des décennies, nous réclamons une interdiction du recours aux travailleurs de remplacement — les briseurs de grève — en cas de grève ou de lockout. Interdire le recours aux briseurs de grève dans le secteur privé sous réglementation fédérale est important pour rendre notre économie plus équitable pour tous.
En plus de 30 ans comme syndicaliste, j’ai participé à d’innombrables piquets de grève dans toutes les régions du pays, et je peux vous dire que la décision de participer à un piquet de grève n’est jamais facile à prendre pour un travailleur. Aucun travailleur ne veut participer à un piquet de grève au lieu de travailler. Ils veulent conclure une entente équitable à la table de négociations. Parfois, ce n’est pas le choix des travailleurs : l’employeur les a mis en lockout. Il a ensuite retourné le couteau dans la plaie en se servant de briseurs de grève pour poursuivre ses activités.
Tous les députés de tous les partis représentés à la Chambre des communes ont reconnu que l’interdiction du recours aux briseurs de grève servait au mieux les intérêts des Canadiens. Combien de fois obtenons-nous l’unanimité à la Chambre? Ce projet de loi a reçu l’appui unanime des députés à deux reprises. Cela montre que le projet de loi C-58 est juste et sensé.
Veuillez adopter ce projet de loi sans tarder. Le recours à un arrêt de travail est une possibilité offerte aux deux parties à la table de négociations, mais lorsque les employeurs sont autorisés à recourir à des briseurs de grève, ils font pencher la balance en leur faveur et obligent les travailleurs à durcir leurs positions.
L’utilisation de briseurs de grève pour remplacer les travailleurs en grève ou visés par un lockout empoisonne les relations de travail. Elle exacerbe les tensions, renforce la méfiance et nuit aux relations entre les travailleurs et les employeurs. Ces préjudices peuvent persister bien au-delà de la fin du conflit de travail. Le recours à des briseurs de grève risque également de prolonger les arrêts de travail et d’accroître l’incertitude et l’instabilité économiques.
La sécurité économique de tous les Canadiens est mieux servie par le maintien sur le marché du travail de travailleurs bien formés, qualifiés et compétents. Je rappelle aux sénateurs de nouveau que tous les députés ont voté en faveur du projet de loi C-58 à l’étape de la deuxième lecture, puis appuyé le projet de loi amendé à l’étape de la troisième lecture. C’est quelque chose que nous ne pouvons pas ou ne devrions pas ignorer. Aucun projet de loi n’est parfait, et vous pourriez être tenté d’amender le projet de loi C-58. Au nom des travailleurs canadiens, je vous demande de ne pas le faire. Il est essentiel que ce projet de loi soit adopté rapidement et sans tarder afin qu’il puisse entrer en vigueur le plus tôt possible.
Les travailleurs et leurs familles ne peuvent se permettre le risque d’un quelconque retard. L’économie canadienne ne peut pas se permettre ce risque. Je pense que nous sommes tous d’accord pour dire qu’il y a de nombreux nuages sombres à l’horizon qui menacent de déstabiliser notre bien-être économique. Les employeurs ne devraient pas être autorisés à exacerber ces forces déstabilisatrices et à créer une plus grande incertitude en utilisant des briseurs de grève au lieu de faire le travail nécessaire à la table de négociations.
Les travailleurs sont le véritable moteur de notre économie et pourtant, trop souvent, lorsque les conditions économiques se dégradent, ce sont les travailleurs et leurs familles qui en font les frais.
Pour les protéger, vous devez protéger le droit à la négociation collective de bonne foi. En vous joignant au soutien unanime de vos collègues de la Chambre, vous veillerez à ce que les employeurs considèrent la table de négociations comme un lieu où l’on peut régler les différends. Pour que les négociations soient justes et fructueuses, il faut que les deux parties fassent preuve de bonne foi. L’utilisation de briseurs de grève va à l’encontre de cet objectif.
En terminant, j’aimerais vous exhorter, une fois de plus, à adopter ce projet de loi sans tarder. Je vous remercie pour le temps que vous m’avez accordé. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
La présidente : Merci, madame Bruske.
Madame Payne, vous avez la parole.
Lana Payne, présidente nationale, Unifor : Je remercie et salue les honorables sénateurs, les membres du comité et mes collègues du groupe de témoins. Je suis heureuse d’avoir l’occasion de vous parler aujourd’hui.
Comme vous le savez, je m’appelle Lana Payne et je suis la présidente nationale d’Unifor. Nous représentons 320 000 travailleurs dans l’ensemble du pays, dont 70 000 dans les secteurs privés sous réglementation fédérale, notamment le transport aérien, routier, ferroviaire et maritime, ainsi que les télécommunications et les médias.
Je me joins à vous aujourd’hui à partir de la Nouvelle-Écosse, dans la région de l’Atlantique, où plus de 200 dirigeants des sections locales d’Unifor se sont réunis à l’occasion de leur assemblée annuelle. Aujourd’hui, ils ont fait quelque chose de vraiment spécial. Ils ont remercié les 230 membres qui travaillent à Autoport, une filiale du très puissant et très lucratif CN. Ces membres ont été remerciés pour leur courage. Pendant une grève de cinq semaines cet hiver, ces travailleurs ont fait face à un employeur qui avait recours à des briseurs de grève, à du personnel de remplacement, pour les décourager, les démoraliser et les empêcher d’obtenir une convention collective équitable dans le contexte d’une crise de l’abordabilité. Le CN a agi de la sorte alors même que le projet de loi C-58 était débattu et appuyé par vos collègues à la Chambre des communes. Comme l’a dit Mme Bruske, il n’est jamais facile de prendre la décision de faire la grève, de tout risquer, de se priver d’un chèque de paie dans le but de corriger des injustices sur le lieu de travail et d’améliorer les conditions de travail.
Le projet de loi C-58 est essentiel pour protéger les droits et la dignité des travailleurs canadiens. Les droits fondamentaux de négocier collectivement et de faire la grève en cas de besoin ont été obtenus à la suite de luttes menées par des travailleurs pendant plusieurs générations, sont protégés par la Charte des droits et libertés et ont été confirmés par la Cour suprême.
Ce projet de loi est également nécessaire pour moderniser notre régime de relations de travail afin de refléter le contexte social et économique du pays et du monde d’aujourd’hui, où l’accroissement de la puissance et de la richesse des entreprises exige un contrepoids efficace.
Selon nous, le projet de loi C-58 vise à rétablir l’équilibre dans les négociations entre les travailleurs et les employeurs. Il s’agit d’uniformiser les règles du jeu et de faire respecter les principes d’équité et de justice dans les relations de travail.
Il est rare qu’une mesure législative aussi importante pour les travailleurs soit adoptée à l’unanimité à la Chambre des communes, comme ce fut récemment le cas pour le projet de loi C-58. Ce vaste appui indique que l’action militante menée pendant des dizaines d’années par les travailleurs pour défendre leurs droits a enfin porté des fruits.
L’objectif premier d’une grève — appliquer des pressions économiques sur l’employeur afin de parvenir à une convention équitable — est fondamentalement mis en péril lorsque l’employeur peut avoir recours à des briseurs de grève ou, comme c’est souvent le cas, s’il menace de le faire à la table de négociations.
Le recours à des travailleurs de remplacement accroît la virulence des conflits de travail et prolonge leur durée, qui s’étire jusqu’à six fois plus longtemps selon l’expérience d’Unifor. Les groupes de pression des entreprises du Canada — la Chambre de commerce, l’Association des Employeurs des transports et communications de régie fédérale, Manufacturiers et Exportateurs du Canada et la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante — se sont vigoureusement opposés à cette nouvelle mesure législative.
Je dois souligner qu’il y a en ce moment beaucoup d’exemples d’employeurs au Canada qui sont prêts à violer les droits de négocier collectivement des travailleurs et à avoir recours à du personnel de remplacement. C’est pour cette raison que je suis ici aujourd’hui, pour insister une fois de plus sur l’absolue nécessité de cette mesure législative.
Mes nombreuses années d’expérience m’ont appris que les travailleurs de remplacement n’aident pas les parties à parvenir à une entente négociée. Ils ne l’ont jamais fait et ne le feront jamais. Le recours aux briseurs de grève fait partie d’une stratégie utilisée par l’employeur pour affamer les travailleurs, leur enlever leurs moyens de défense, les démoraliser et les obliger à se contenter de moins.
Je tiens à être claire. Le fond du problème n’est pas que certains employés ont un trop grand pouvoir économique, ce qui est d’ailleurs une notion ridicule étant donné le régime économique dans lequel nous vivons. Le problème est que les employeurs ont un trop grand pouvoir économique et qu’ils n’ont pas investi dans l’établissement de chaînes d’approvisionnement et d’infrastructures résilientes, une responsabilité qui leur revient en principe.
Des problèmes comme les changements climatiques, les conflits mondiaux et les catastrophes sanitaires et économiques représentent une bien plus grande menace pour les chaînes d’approvisionnement. Je souligne que leurs répercussions ne sont pas immédiatement connues ni prévisibles.
Les relations de travail pacifiques au Canada — et dans le monde entier d’ailleurs — reposent sur les principes de la négociation collective libre et équitable. Ces principes permettent d’améliorer les conditions de vie et de travail des travailleurs canadiens.
Des lois anti-briseurs de grève ont été mises en œuvre avec succès dans certaines provinces et ailleurs dans le monde. Le Québec et la Colombie-Britannique ont de telles lois. D’autres ont entrepris de suivre leur exemple. Nous vous demandons, honorables sénateurs, de respecter le large consensus politique et démocratique qui a été établi et de rapidement approuver le projet de loi C-58 au Sénat.
Je vous remercie de votre attention et je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
La présidente : Merci beaucoup, madame Payne.
Mariam Abou-Dib, directrice générale, Teamsters Canada : Merci. Distingués membres du comité sénatorial, chères collègues du groupe de témoins, je vous remercie de me donner l’occasion de vous parler aujourd’hui au nom de Teamsters Canada. À titre de directrice générale et au nom du président François Laporte, je suis ici pour vous exhorter à adopter la mesure législative visant à interdire le recours à des travailleurs de remplacement dans les secteurs sous réglementation fédérale.
Teamsters Canada représente plus de 135 000 travailleurs de divers secteurs de l’économie canadienne. Nous sommes le syndicat canadien du secteur des transports et de l’approvisionnement. Nous représentons des travailleurs de tous les modes de transport, aérien, ferroviaire et routier, en plus de bien d’autres secteurs.
Notre organisation est déterminée à protéger les droits et les intérêts des travailleurs au Canada. Le recours à des travailleurs de remplacement viole les droits des travailleurs, compromet leur dignité et leur autonomie au travail et mine les négociations collectives. Il suscite le ressentiment et la frustration chez les travailleurs et accroît le risque de violence sur les lignes de piquetage.
De plus, permettre l’utilisation de travailleurs de remplacement exacerbe le déséquilibre des pouvoirs entre les travailleurs et les employeurs, ce qui érode les conditions de travail pour tous les travailleurs à long terme.
Le recours aux travailleurs de remplacement dans les secteurs sous réglementation fédérale constitue un grave problème. Selon le Programme du travail, des travailleurs de remplacement ont été utilisés dans environ 42 % des grèves au cours des 10 dernières années.
Il est temps de réformer notre cadre législatif et de véritablement protéger les droits constitutionnels des travailleurs au Canada de négocier leurs conditions de travail collectivement et de refuser de travailler comme moyen de pression ultime.
N’oublions pas que la Cour suprême a reconnu que la grève est un élément indispensable de la négociation collective.
Teamsters Canada est aussi d’accord avec l’Organisation internationale du Travail pour dire que le recours à des travailleurs de remplacement constitue une grave atteinte à la liberté d’association.
Nous tenons à souligner que nous saluons en particulier le fait que le projet de loi ne limite pas l’interdiction de recourir à des travailleurs de remplacement à un établissement en particulier. On reconnaît ainsi que le milieu de travail physique d’aujourd’hui n’est pas ce qui compte. Dans le contexte des travailleurs de remplacement, c’est plutôt le travail effectué qui compte.
Nous pensons également que la loi prévoit des exceptions limitées et strictes pour protéger la santé et la sécurité publiques et pour prévenir les dommages importants à la propriété. Il faut continuer à bien définir ces exceptions et à les soumettre à des dispositions d’application robustes pour prévenir les abus dans les règlements.
L’application d’une interdiction de recourir à des travailleurs de remplacement exige une approche globale. Les retards de procédure persistants et répétés dans le processus de négociation constituent en fin de compte une menace aux droits des travailleurs de négocier et de faire la grève.
Le maintien des activités ne devrait pas causer de retards importants dans les négociations. À cet égard, lorsqu’il n’y a pas d’entente, le projet de loi C-58 exige qu’une des parties soumette une demande de renvoi au Conseil canadien des relations industrielles pour qu’il tranche sur le maintien des services essentiels. Nous pensons que la demande devrait être automatique pour réduire les retards supplémentaires dans l’octroi du droit de grève aux travailleurs.
Nous croyons également que l’interdiction du recours à des travailleurs de remplacement, si elle est faite efficacement, profitera aux travailleurs canadiens et à leurs familles et mènera à de meilleures relations de travail et à une distribution plus juste des fruits du travail. Elle contribuera à façonner une économie dans laquelle nous créons non seulement plus d’emplois, mais plus de bons emplois, avec équité et dignité pour les travailleurs.
L’adoption de ce projet de loi arrive au bon moment. De nos jours, tous les partis politiques de toutes les allégeances cherchent des moyens de protéger la classe moyenne. Qui plus est, on observe une tendance dangereuse chez certains gouvernements provinciaux et employeurs, qui contreviennent aux droits des travailleurs selon les décisions rendues par les tribunaux. Nous devons relever le niveau et éviter de reculer sur les avancées durement gagnées pour les travailleurs au pays.
En conclusion, l’adoption d’une mesure législative interdisant le recours à des travailleurs de remplacement dans les secteurs sous réglementation fédérale est une étape nécessaire pour protéger les droits des travailleurs et promouvoir des pratiques de travail équitables. Il est essentiel que le Sénat adopte ce projet de loi pour protéger les droits des travailleurs garantis par la Charte en veillant à ce que le droit de grève efficace soit respecté et ne soit pas miné par le recours à des travailleurs de remplacement. Ce faisant, nous pouvons créer une société plus équitable et plus juste pour tous les Canadiens.
Je vous remercie de votre attention.
La présidente : Merci beaucoup à tous les témoins. Nous passons aux questions de nos collègues.
Je vais poser la première question. L’ensemble d’entre vous peut y répondre. Le projet de loi a été amendé à l’autre endroit pour faire passer le délai d’entrée en vigueur de 18 à 12 mois. Présumons que le projet de loi entrera en vigueur dans 12 mois.
L’écart est important entre 18 et 12 mois. C’est une moitié d’année. Quelles sont les conséquences inattendues du raccourcissement du délai?
Mme Bruske : Bien honnêtement, je suis d’avis que le projet de loi aurait dû être adopté hier. Le plus tôt sera le mieux. L’aspect dont il faut tenir compte, c’est de veiller à ce que le Conseil canadien des relations industrielles dispose des ressources nécessaires pour bien gérer les éléments du projet de loi qui relèveront de lui, en ce qui concerne les services essentiels et les décisions de ce genre.
Il est absolument nécessaire d’adopter le projet de loi rapidement. Des cas de lock-out sont toujours en cours dans les secteurs privés sous réglementation fédérale, et les travailleurs touchés attendent une solution à leur situation.
Mme Abou-Dib : Je suis d’accord avec Mme Bruske. La question de l’entrée en vigueur doit aller de pair avec l’octroi de ressources au Conseil canadien des relations industrielles. Accorder les ressources appropriées au conseil et l’outiller pour lui permettre d’assumer les responsabilités qui lui sont attribuées est la clé du succès.
Mme Payne : Je vais juste faire un commentaire supplémentaire. L’un des principaux défis est évidemment la dotation en ressources du CCRI, mais la formation qui sera nécessaire pour veiller à ce que le nouveau personnel soit formé comme il se doit en est un autre. Il y a beaucoup de gens au Canada qui possèdent d’excellentes compétences en relations du travail et qui peuvent être déployés pour aider à réaliser cette tâche. À mon avis, nous n’avons pas besoin de 18 mois pour former les gens à faire ce travail. Cela peut également se faire parallèlement à l’ensemble du processus. Je pense qu’il n’y avait aucune raison d’attendre 18 mois après la sanction royale. C’était beaucoup trop long.
Pour être franche, sénatrice, le problème est que cela nous amène à un autre cycle électoral. Il s’agira d’une nouvelle loi qui n’a pas encore été entièrement mise à l’épreuve ou examinée, et je pense qu’il est important que cela se fasse avant que nous n’en arrivions à ce stade. Plus nous nous employons dès maintenant à faire en sorte que le projet de loi soit appuyé et adopté par le Sénat, plus tôt nous pourrons donner au CCRI les ressources nécessaires pour accomplir ce travail.
La présidente : Merci, madame Payne. Il convient de souligner que le projet de loi a été adopté à l’unanimité à l’autre endroit; par conséquent, je pense que nous devrions être rassurés par le fait que, élections ou pas, les objectifs du projet de loi seront préservés.
La sénatrice Cordy prendra la parole, suivie de la sénatrice Seidman. Chers collègues, chacune d’entre vous dispose de quatre minutes pour poser des questions et obtenir des réponses. Peut-être plus. Voyons comment les choses se déroulent.
La sénatrice Cordy : Mesdames Bruske, Payne et Abou-Dib, c’est formidable d’avoir trois femmes fortes et puissantes à la tête de syndicats. Vous avez toutes brisé des stéréotypes, alors bienvenue au Sénat du Canada. C’est un plaisir de vous avoir parmi nous.
Vous avez tous dit, peut-être en des termes différents, que les syndicats et le gouvernement affirment que le projet de loi C-58 est crucial. Nous avons notamment entendu parler de son importance à la table de négociation, non seulement de la part des témoins d’aujourd’hui, mais aussi d’autres personnes. Je me demande si vous pourriez tous nous dire comment vous pensez que ce projet de loi permettra de créer une meilleure atmosphère à la table de négociation. En effet, s’il y a une bonne atmosphère à la table de négociation, cela signifie que les deux parties se sentiront probablement mieux lorsqu’elles quitteront la table. Tout le monde y gagnera. J’aimerais que chacun d’entre vous fasse un commentaire, en commençant peut-être par Mme Bruske.
Mme Bruske : Absolument. J’ai passé de nombreuses années à participer à des négociations dans le secteur privé au Manitoba, et je peux vous dire que les travailleurs sont enthousiastes et inquiets en ce qui concerne les négociations. Ils sont enthousiastes parce que c’est l’occasion de s’attaquer à leurs problèmes au travail et ils s’inquiètent des conflits potentiels qui pourraient survenir.
Les travailleurs qui décident de voter contre une convention collective proposée et en faveur d’une grève ou qui risquent d’être poussés à faire la grève parce que l’employeur les a mis en lockout ont des conversations dans la cuisine avec leur famille pour savoir s’ils peuvent se permettre de faire la grève ou d’accepter l’offre qui leur est faite actuellement.
J’ajouterais également que l’économie est l’un des facteurs dont tiennent compte les travailleurs lorsqu’ils prennent ces décisions. Cependant, il y a très souvent d’autres facteurs qui entrent en ligne de compte lorsque les travailleurs décident de participer à un piquet de grève. Ils pensent souvent à des questions de dignité, de sécurité en milieu de travail, d’horaires de travail, de conciliation travail-famille, ainsi que de charge de travail. Il est très difficile pour les travailleurs de prendre cette décision. Ils ne décident pas de participer à un piquet de grève parce qu’ils en ont assez de leur lieu de travail.
Le fait qu’ils soient susceptibles d’être remplacés par des briseurs de grève rend cette décision encore plus difficile. Cela signifie qu’ils risquent d’être bloqués sur un piquet de grève pendant de nombreux mois ou, dans des cas extrêmes, pendant des années. Afin de rétablir l’équilibre et de mener de bonnes négociations empreintes de respect dans l’intention de parvenir à une convention collective, nous avons désespérément besoin de ce type de législation.
La sénatrice Cordy : Madame Payne, avez-vous quelque chose à ajouter?
Mme Payne : Oui. J’ai un exemple concret pour vous, sénatrice, qui peut faire la lumière sur ce que vivent les travailleurs lorsqu’un employeur fait des préparatifs et envisage de faire appel à des travailleurs de remplacement.
Comme je l’ai mentionné dans mes remarques préliminaires, nous venons de vivre un conflit de travail de cinq semaines avec Autoport, une filiale du CN. Nous avons négocié pendant six mois pour tenter d’obtenir une convention collective équitable. Il est clair que notre comité de négociation et nos membres ont déployé beaucoup d’efforts pour tenter de parvenir à un résultat satisfaisant. Nous avons suivi le processus de conciliation. Je dirais que le Canada a un système exemplaire en place dans les secteurs de compétence fédérale, notamment en ce qui concerne la conciliation et la médiation, afin d’aider les parties à parvenir à un accord négocié. Ces personnes sont des experts et font très bien leur travail.
Unifor fixe souvent des dates limites pour le déclenchement des grèves parce que c’est souvent à ce moment-là que l’on obtient les meilleurs accords et qu’on les obtient avant que la grève ait lieu. C’est ce qui se produit dans 95 % des cas, voire plus. Vendredi, avant notre date limite pour déclencher la grève, le CN se préparait déjà à faire venir des travailleurs de remplacement qu’il avait formés. Il était à la table de négociation avec nous et nos membres étaient d’avis qu’il ne négociait pas de bonne foi à ce moment-là. Nous avons évidemment appris à la date limite que nous avions fixée pour déclencher la grève que le CN ne négociait effectivement pas de bonne foi. Il avait l’intention d’essayer de violer nos droits collectifs en faisant appel à des travailleurs de remplacement. Cela a immédiatement changé le ton. Il a fallu environ une semaine pour que nos membres se calment vraiment. Ils étaient très en colère contre leur employeur et contre le fait qu’il soit prêt à agir de la sorte. Vous pouvez voir comment cela change la dynamique sur le lieu de travail.
Après un piquet de grève de cinq semaines, lorsque vous parvenez enfin à une entente de principe après avoir accompli beaucoup de travail et exercé des pressions sur cet employeur dans de nombreuses autres régions du pays, vous ne retournez pas à un lieu de travail où tout va bien. Il y a maintenant de la discorde entre les employés et l’employeur, ce qui est différent d’un conflit de travail ordinaire. Tous les conflits de travail sont difficiles, mais lorsqu’on y ajoute le recours à des travailleurs de remplacement, cela empoisonne les relations de travail pendant longtemps. Cela peut créer des lieux de travail toxiques. Cela crée bel et bien des lieux de travail toxiques.
Afin d’éviter tout cela et de faire en sorte que tous les employeurs, car ce n’est pas tout le monde qui envisagerait même d’utiliser des travailleurs de remplacement... Nous négocions une convention collective par semaine dans ce pays. Nous avons 3 000 conventions collectives. La plupart de nos employeurs négocient équitablement, mais il y en a qui ne le font pas. Ils utiliseront toujours la menace de travailleurs de remplacement pour se donner le gros bout du bâton. C’est pour cette raison que nous avons besoin d’une mesure législative comme celle-ci pour soutenir les travailleurs dans le processus de négociation.
Mme Abou-Dib : Une situation comparable à celle que vient de décrire Mme Payne a eu lieu récemment à l’aéroport Pearson, où les employés de Gate Gourmet ont déclenché une grève. C’est un autre exemple de ce qui se produit quand on a recours à des travailleurs de remplacement. Nos membres ont regardé ces derniers traverser leurs piquets alors qu’ils n’avaient pas la cote de sécurité requise, n’avaient pas reçu la formation qu’ils auraient dû recevoir, et n’avaient pas été sensibilisés aux risques et aux politiques en matière de santé et sécurité. En fait, bon nombre de ces travailleurs de remplacement ont été placés dans des situations précaires et parfois même dangereuses.
Lorsque nous avons fini par parvenir à une entente, bien que nous ayons réussi à obtenir des améliorations et des conditions plutôt avantageuses dans la convention collective, les employés étaient absolument furieux. L’entente a été adoptée, mais de justesse; le taux d’approbation n’était pas élevé.
Voilà ce qui arrive quand des travailleurs qui s’investissent dans leur travail et y consacrent leur vie ont l’impression de ne pas être respectés et d’être traités avec dédain. Voilà ce qui arrive quand l’employeur peut simplement embaucher des gens pour les remplacer aussi rapidement. Quand un employeur estime qu’il peut tout simplement remplacer les travailleurs lorsqu’ils font la grève, cela crée un climat toxique au travail — non seulement pendant les négociations, mais aussi après.
La sénatrice Cordy : Je vous remercie.
La sénatrice Seidman : Je vous remercie de vos observations et de votre présence parmi nous aujourd’hui. Vous faites tomber les stéréotypes; cela ne fait aucun doute, comme le disait ma collègue. En tant que femme, je trouve cela très rassurant.
Je repense à vos observations et à celles formulées ce matin par Ginette Brazeau, du Conseil canadien des relations industrielles, ou CCRI. Elle a exprimé des inquiétudes quant aux ressources du CCRI et quant à la satisfaction des besoins, notamment en cas de crise, où il faut réagir de façon urgente, pratiquement dans l’immédiat.
Quelles mesures devrait-on prendre pour veiller à ce que le CCRI soit prêt? Vous avez parlé de ressources. De quelles ressources aura-t-il besoin selon vous? J’aimerais avoir quelques explications supplémentaires à ce sujet. Vous avez déjà commencé à en parler, mais j’aimerais vous donner l’occasion d’approfondir votre pensée. Nous pourrions commencer avec Mme Bruske, puis passer à Mme Payne, et finir avec Mme Abou-Dib. Merci.
Mme Bruske : Je vous remercie pour cette question, sénatrice. D’abord et avant tout, le conseil a besoin des ressources financières nécessaires pour pouvoir dépêcher du personnel d’un bout à l’autre du pays sans préavis en cas de grève ou de lockout imminent. Il est essentiel d’avoir toujours suffisamment de fonds facilement accessibles pour pouvoir réagir à une crise qui se développe rapidement.
Ensuite, il y a la question du personnel, comme ma collègue, Mme Payne, l’a mentionné. Il faut s’assurer d’avoir du personnel dûment formé qui peut parvenir à concilier les positions diamétralement opposées de deux comités de négociation en vue de renforcer le lien de confiance entre eux et en arriver à une solution. Cela prend beaucoup de savoir-faire, comme on l’a déjà souligné.
Bien des gens au Canada ont ce genre de savoir-faire et la capacité de travailler dans ce genre d’environnement. Il s’agit d’embaucher les bonnes personnes et de veiller à ce que les ressources soient disponibles pour pouvoir réagir rapidement. Le temps de réaction est important. Il faut pouvoir être au bon endroit au bon moment, sans avoir à attendre une autorisation pour aller de l’avant.
Mme Payne : En passant, nous aimons fracasser les plafonds de verre ici. C’est vraiment formidable. Je vous remercie de l’avoir souligné. Je pense que Mme Bruske, Mme Abou-Dib et moi-même sommes heureuses de faire partie de ce groupe de témoins ensemble.
Je vais parler d’une des difficultés, et je suis sure que le CCRI saura exactement de combien d’employés ils auront besoin pour faire le travail. De toute évidence, comme pour tout nouveau projet de loi, peu importe l’objectif, tout est en cours de développement.
L’un des éléments de ce projet de loi est que le personnel devra aider les parties à parvenir à une entente sur la question du maintien des services. Pour cela, il faut connaître le milieu de travail, écouter les parties et veiller à leur permettre de formuler des observations à cet égard.
Nous œuvrons dans le secteur des négociations à l’échelon fédéral depuis longtemps et nous savons comment élaborer ce genre d’ententes sur le maintien des services. Nous l’avons fait à plusieurs reprises déjà, tout comme les employeurs d’ailleurs.
Évidemment, cela entraînera une charge de travail plus lourde pour le conseil. Je pense que nous sommes parfaitement capables de travailler tous ensemble pour parvenir à une solution. L’essence même des relations de travail consiste à être en mesure de s’assoir tous ensemble pour parvenir à s’entendre sur ce genre de choses.
J’ajouterai, sénatrice, que nous mettons souvent en place des ententes sur le maintien des services dans des organisations de compétence provinciale où elles ne sont pas obligatoires. Nous travaillons avec l’employeur afin d’assurer la protection des infrastructures essentielles. Il s’agit d’un élément important dans bien des milieux de travail, car même à la suite de la fermeture complète d’une usine ou d’une centrale électrique, il faut bien retourner au travail après le conflit. Personne ne veut perdre trois semaines à relancer ces infrastructures essentielles.
Il y a des moyens d’effectuer ce travail. Avec du personnel supplémentaire ainsi que le savoir-faire et la volonté nécessaires pour surmonter ce genre de difficultés qui surviennent durant des négociations, je pense que nous pouvons y arriver. J’ajouterais que le processus de négociation sera empreint d’un degré plus élevé de professionnalisme grâce à ces dispositions législatives; cela ne fait aucun doute dans mon esprit.
La sénatrice Osler : Je remercie les témoins de leur présence aujourd’hui. Ma question s’adresse à vous trois. Nous pourrions peut-être y aller dans l’ordre inverse, donc Mme Abou-Dib, puis Mme Payne et, enfin, Mme Bruske.
Le comité a entendu des gens qui se disaient inquiets que l’adoption du projet de loi C-58 entraîne une diminution des investissements locaux et étrangers et salisse la réputation du Canada en tant que partenaire fiable.
Avec le projet de loi C-58, comment peut-on trouver le bon équilibre entre le besoin d’éviter de faire fuir les investisseurs tout en garantissant que les employeurs traitent leurs travailleurs de façon équitable?
Mme Abou-Dib : Je rejette la prémisse selon laquelle il y aurait moins d’investissements locaux ou étrangers et que nous serions perçus comme un partenaire moins fiable. En fait, quand on regarde les facteurs économiques importants, la Colombie-Britannique et le Québec n’ont pas subi de baisse des investissements et ne sont pas considérés comme étant moins fiables.
Au contraire, je dirais que l’adoption de ce projet de loi entraînerait une hausse de la stabilité et du professionnalisme. On rééquilibrerait un peu le rapport de force entre les employeurs et les employés et on renforcerait la capacité de négocier de bonne foi, en éliminant les échappatoires dont les employeurs se servent parfois à l’heure actuelle. En fait, à mon avis, plutôt que d’entraîner une mauvaise réputation ou d’être une menace pour les investissements, c’est le contraire qui se produira.
Mme Payne : Je suis d’accord sur ce point. Merci, madame Abou-Dib, d’avoir pris la parole en premier, car c’était une excellente réponse.
L’objectif premier de cette mesure législative est d’offrir une plus grande stabilité afin que nous puissions parvenir à une entente à la table de négociation et éviter les conflits. Il y aura maintenant un plus grand incitatif en ce sens.
J’aimerais également préciser que de nombreux pays dans le monde ont adopté des dispositions législatives similaires, voire encore plus poussées que celles dont nous parlons ici aujourd’hui. Ce sont des endroits où les droits des travailleurs en matière de négociation collective, de grève et de toutes ces autres choses sont mieux protégés et soutenus que ce dont nous parlons ici.
Ce sont là des arguments formulés par des gens qui ne veulent pas vraiment de ce projet de loi. La réalité est tout autre. Nous ne parlons pas de réduire la stabilité dans les relations de travail, mais bien de la hausser.
La présidente : Je vous remercie.
Mme Bruske : Je suis d’accord avec mes collègues. Manifestement, la faiblesse des investissements au Canada est un problème qui existe depuis plusieurs décennies. Ce projet de loi n’aura aucune incidence à cet égard.
La présidente : Je vous remercie.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : J’aimerais avoir votre évaluation du projet de loi C-58. Le paragraphe 6(1) exige maintenant que l’employeur et le syndicat concluent une entente qui indique quelles activités doivent être maintenues dans les 15 jours suivant l’avis de négociation collective. Ce que je comprends, c’est que, dans sa forme actuelle, le Code canadien du travail autorise, mais n’oblige pas l’employeur et le syndicat à conclure ce genre d’entente sur les services essentiels dans les 15 jours.
J’aimerais savoir ce que vous pensez de cette exigence. J’aimerais également savoir si, dans les faits, c’est quelque chose qui se fait déjà, le fait de conclure ce genre d’entente à l’intérieur de 15 jours. Mme Bruske pourrait commencer, suivie de Mmes Payne et Abou-Dib.
[Traduction]
Mme Bruske : Il n’y a rien de nouveau dans l’idée d’imposer une limite de temps pour parvenir à une entente sur les services. C’est quelque chose que les parties auront à garder en tête lorsqu’elles entament le processus de négociation, et elles en discuteront tout au long de la période menant aux négociations.
Je pense qu’il revient toujours aux parties d’essayer d’en arriver à une entente le plus rapidement possible, car même pour les services essentiels, une entente négociée est préférable à une entente imposée qui pourrait ne répondre aux besoins d’aucune des deux parties. Je ne pense donc pas que ce soit une exigence déraisonnable, mais je laisserai bien sûr mes collègues parler de la façon dont elles ont pu vivre ce genre de choses plus récemment.
Mme Payne : Merci beaucoup, sénatrice, pour votre question très importante.
Nous avons fait cela à maintes reprises. Le délai de 15 jours n’est pas un problème quand vient le temps de tenir ces discussions. Je suis d’accord pour dire qu’une entente conclue entre les deux parties est de loin préférable à une entente sur le maintien des services imposée par le conseil, car les parties comprennent les exigences propres au lieu de travail. Cela dit, il arrive quand même que le conseil doive intervenir et émettre une ordonnance.
J’aimerais également ajouter que le plus gros du travail est fait lorsqu’on a conclu une première entente sur le maintien des services. Bien souvent, le lieu de travail ne change plus tellement après cela, ce qui signifie qu’il existe déjà une base qui peut être réutilisée à chaque ronde de négociations. Lorsque les parties d’un lieu de travail donné se sont entendues sur ce qui doit être considéré comme critique, essentiel et nécessaire dans le contexte d’une entente sur le maintien des services, cela peut servir de fondement pour la prochaine ronde de négociations. Très souvent, la deuxième fois, on n’aura pas besoin de 15 jours — ou du moins on ne devrait pas en avoir besoin — pour parvenir à une entente, à moins, bien sûr, que le lieu de travail ait subi des transformations en profondeur au cours des trois à cinq années écoulées.
[Français]
Mme Abou-Dib : Je suis tout à fait d’accord pour dire que les 15 jours ne posent aucun problème. C’est l’expérience que nous avons. L’entente est plus avantageuse quand elle est conclue entre les deux parties : l’employeur et le syndicat. Ils sont les experts. C’est toujours préférable d’en arriver à une entente entre les deux parties que de se faire imposer une entente. Nous sommes tous d’accord là-dessus.
[Traduction]
La sénatrice Lankin : Je ne veux pas être la seule à ne pas souligner à quel point il est merveilleux de vous voir toutes les trois. Je remonte à l’époque de Shirley Carr, il y a bien longtemps, alors c’est très bon de vous voir.
Je vais poser ma question et vous laisser décider qui y répondra. Vous nous avez donné des exemples importants. L’une d’entre vous peut-elle nous parler davantage de la situation au port de Québec et des travailleurs de remplacement auxquels on a recours depuis trois ans? J’aimerais avoir votre avis à ce sujet, mais j’aimerais que vous en parliez dans le contexte plus global du droit qu’ont les travailleurs de faire la grève.
La Cour suprême, dans une décision rendue par la juge Rosalie Abella, je crois, a conclu que le droit de grève est inhérent à la liberté d’information prévue par la Charte.
Alors que nous cherchons à rétablir une plus grande équité dans ce système, je crois que l’argument que nous examinons actuellement repose sur le fait que le recours aux travailleurs de remplacement affaiblit le droit des travailleurs de faire véritablement la grève d’une manière significative. Auriez-vous des observations à formuler à ce sujet? Auriez-vous un exemple en particulier? Je m’intéresse à l’exemple de la première convention collective, à savoir si cela est représentatif d’une atteinte au droit de grève tel que défini ou interprété dans le contexte de la liberté d’association prévue par la Charte.
Mme Bruske : Je peux certainement faire le point rapidement. Je vous remercie, sénatrice, de mentionner la situation au port de Québec, parce que ces 81 travailleurs ont été mis en lockout par leur employeur depuis le 15 septembre 2022. Ces travailleurs sont allés à la table de négociation dans le but d’obtenir une convention collective. Or, nous sommes maintenant à l’été 2024, et ils sont encore sur les piquets de grève, ce qui est extrêmement frustrant pour eux.
Certains de ces travailleurs sont venus à la Chambre des communes, il y a quelques semaines à peine, à l’occasion de la troisième lecture de ce projet de loi. Un travailleur de troisième génération m’a dit qu’il travaillait à ce port depuis 40 ans. Il est consterné de constater qu’après 40 ans à travailler pour cet employeur, ce dernier l’a mis en lockout et continue de le faire sans se présenter sérieusement à la table de négociation en vue de conclure une convention collective.
Bien franchement, c’est honteux. C’est pour cela que le projet de loi est si important : tous ces travailleurs méritent une entente équitable. Ils veulent participer à la table de négociation. Ils veulent pouvoir retourner au travail, retourner dans leur lieu de travail, mais on les en empêche.
La sénatrice Lankin : Si je puis me permettre, est-ce bien un cas où, il y a environ trois ans, un syndicat a été accrédité et une unité de négociation a été créée? Il s’agissait de la négociation d’une première convention? Je peux concevoir le dur coup pour le syndicat du fait qu’il a été incapable de conclure une première convention. Je ne suis pas certaine de bien connaître les faits.
Madame Bruske, pouvez-vous commenter?
Mme Bruske : D’après ce que je comprends, il s’agissait du renouvellement d’une convention collective. Vous pensez peut‑être à une grève des travailleurs de la FIOE, la Fraternité internationale des ouvriers en électricité, en Colombie-Britannique, pour conclure une première convention avec l’entreprise de télécommunications LTS Solutions. Ces travailleurs ont fait la grève pendant trois ans pour en arriver à une première convention collective. Là encore, ils auraient eu besoin de ce genre de mesure législative pour forcer l’employeur à plus de sérieux.
Cet employeur s’est opposé à l’accréditation de ce groupe d’employés pendant des mois et des mois. Je doute qu’il ait jamais eu l’intention de se présenter vraiment à la table des négociations pour négocier de bonne foi pour ces employés, qui sont plus de 200. Il n’était pas nécessaire de faire la grève pendant trois années pour conclure une première convention collective.
Le sénateur Brazeau : Bonjour à vous tous. Je précise que jusqu’à il y a 10 minutes, j’étais le seul homme à siéger au comité. Je me considère très chanceux, car il y a quelque chose de très spécial à travailler avec des femmes fortes, intelligentes et passionnées. Je tenais simplement à le dire.
Pour revenir au projet de loi C-58, nous avons entendu le ministre et ses fonctionnaires dire que l’interdiction de recourir à des travailleurs de remplacement serait levée dans des situations où il y aurait un enjeu de santé et de sécurité. Avez-vous une idée précise de ce qui constituerait un enjeu de santé et de sécurité?
Mme Abou-Dib : Le projet de loi prévoit qu’il y a exception lorsqu’il y a un problème de santé et de sécurité critique dans une communauté ou lorsque la santé et la sécurité d’un établissement ou d’une communauté sont en jeu.
Donc, d’après nous, cela signifie presque des situations de vie ou de mort. Nous parlons de risques de grave préjudice et non du type de cas exceptionnel qui amènerait, par exemple, une entreprise à connaître de l’instabilité sur le marché boursier ou qui créerait une situation qui pourrait se répercuter sur les résultats financiers, une marge bénéficiaire.
La grève a pour but d’utiliser le travail des effectifs dans une organisation donnée pour faire pression sur l’employeur pour qu’il retourne à la table pour négocier une juste convention collective. Le recours à des travailleurs de remplacement par l’employeur, quand il le peut, annule complètement ce moyen d’action. Les seules exceptions qui pourraient être acceptables sont donc lorsqu’il y a véritablement un enjeu de vie ou de mort ou qu’une communauté est en danger, une vraie situation de vie ou de mort.
Mme Payne : J’aimerais ajouter quelques observations. Au fil de nombreuses années, il y a eu de nombreuses grèves au Canada qui avaient pour enjeu la santé et la sécurité. Si nous avons d’aussi bonnes lois sur la santé et la sécurité au Canada, c’est parce que des travailleurs ont fait la grève pour faire connaître les conditions atroces auxquelles ils étaient soumis.
Ce que je veux dire, c’est que les travailleurs savent à quel point la santé et la sécurité sont importantes. Donc, lorsque nous discutons de ce qui est important pour protéger la santé et la sécurité dans le cadre de cette mesure législative, ils seraient les premiers à comprendre ce qui en fait vraiment partie et ce qui pourrait être utilisé par un employeur pour considérer un plus grand nombre de travailleurs comme essentiels ou indispensables pour le maintien du service.
J’ajouterai que, d’un autre côté, le recours à des travailleurs de remplacement peut aussi nuire à la sécurité sur un lieu de travail. Songeons au genre de lieu de travail dont nous parlons en ce moment. On parle de lieux de travail industriels. Ceux qui y travaillent sont des membres — des membres de Mme Abou‑Dib — qui ont été formés pendant de nombreuses années pour faire le travail. Ils connaissent ces lieux de travail comme le fond de leur poche. Ils ont reçu une formation en santé et sécurité. Voilà que, tout d’un coup, ils doivent obtenir une attestation de sécurité et bien autres choses. Puis, un jour, il y a des travailleurs de remplacement qui n’ont pas à répondre à ces exigences. C’est ce qui se passe actuellement dans notre pays.
La présidente : Merci, madame Payne.
Mme Payne : Merci.
La sénatrice Bernard : Tout d’abord, je remercie tous les témoins d’être ici et, comme mes collègues, je dirai que votre présence et le fait d’avoir fracassé le plafond de verre me donnent beaucoup plus l’espoir qu’un jour, nous briserons aussi les plafonds de béton auxquels un grand nombre d’entre nous doivent encore faire face. Cela dit, j’ai une question.
Quelqu’un parmi mes collègues — je ne sais pas trop qui — a posé une question sur les conséquences inattendues et j’ai entendu, entre autres choses, que les employeurs pourraient résister davantage à la création de syndicats aux endroits non syndiqués. Je me demande si l’une d’entre vous voudrait bien commenter cela. Merci.
Mme Bruske : J’oserais avancer que l’ajout de ce projet de loi ou encore l’absence de toute mesure législative n’aura pas d’incidence sur la réticence des employeurs.
Les travailleurs qui veulent se syndiquer rencontreront toujours de la résistance. Dans presque 99,9 % des cas, c’est un fait qu’il faut gérer, qu’il faut naviguer, parce que les travailleurs refusent de signer une carte de membre. Pour eux, il est très difficile de signer une carte de membre. Cette décision s’accompagne de beaucoup de crainte, mais aussi de beaucoup d’espoir, puisque cela peut avoir une incidence positive sur leurs conditions de travail et leur capacité d’être davantage vus comme des égaux de l’employeur à la table de négociation. Je ne crois pas que ce projet de loi aura la moindre incidence là-dessus.
Mme Payne : Merci pour votre question, sénatrice. Je suis aujourd’hui dans votre belle province, où il fait beau soleil depuis un certain temps déjà, ce qui est super.
Je suis d’accord avec Mme Bruske, et j’ajouterais que les employeurs qui ont recours à des travailleurs de remplacement sont probablement les mêmes que ceux qui ont recours aux pires tactiques pour empêcher les travailleurs ou à tout le moins essayer de les empêcher d’exercer leur droit d’association dans ce pays. C’est un aspect qui témoigne de l’importance de cette mesure législative : on rend les règles du jeu équitables et on assure des relations de travail globalement plus stables.
Mme Abou-Dib : Je suis du même avis que mes collègues, alors vous pouvez poser la prochaine question toute de suite.
La présidente : Merci.
[Français]
Le sénateur Carignan : Ma question s’adresse aux trois témoins. Quand on regarde l’article de la loi sur la question des sanctions administratives pécuniaires, on réalise que tout le processus est fait par règlements, tant la création des infractions et les montants des sanctions que les degrés de preuves requises. Ne pensez-vous pas que c’est quelque chose qui aurait quand même dû se trouver dans la loi plutôt que de se faire par décret?
[Traduction]
Mme Bruske : L’idéal est toujours d’avoir ce type de sanctions dans le libellé. Toutefois, j’ai bon espoir que les règlements permettront de bien naviguer l’application des sanctions et que ce sera un élément assez dissuasif pour prévenir toute violation de cette mesure législative.
[Français]
Mme Abou-Dib : Je suis d’accord avec Mme Bruske. La seule chose que j’ajouterais, c’est que les sanctions administratives ou tout le travail fait par le Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) vont exiger un investissement. On fait encore appel à un investissement dans les ressources humaines et financières pour appliquer la loi. En ce qui concerne les règlements, on est persuadé que les intentions du gouvernement et le consensus qui a été développé en vue d’appuyer la loi se traduiront par l’attribution des ressources et des investissements nécessaires pour son application.
Le sénateur Carignan : Je me disais aussi qu’il ne semble pas y avoir non plus de processus de consultation pour adopter ces règlements. Ne serait-ce pas souhaitable que des représentants des parties patronales et syndicales soient consultés par le gouvernement sur la création de ces infractions et sur les processus mis en place pour intenter des poursuites?
[Traduction]
Mme Payne : Oui, je dirais que nous devrions être consultés. Je suis persuadée que les employeurs diraient qu’ils doivent aussi être consultés sur cet aspect de la réforme réglementaire qui sera nécessaire à l’application de la loi.
D’une manière ou d’une autre, je peux vous assurer que nous allons nous prononcer, sénateur. Nous allons veiller à ce que notre point de vue soit connu sur les amendes et pénalités qui devraient figurer dans la loi par l’intermédiaire des règlements.
[Français]
Le sénateur Carignan : Je suis content que vous soyez celle qui répond au nom des gens d’Unifor, parce que lorsque j’examine les dispositions, je ne vois pas le syndicat.
On voit l’employeur, on voit les individus, mais on ne voit pas des syndicats possiblement sanctionnés en cas d’infraction. J’imagine que cela ne vous inquiète pas?
Mme Abou-Dib : Ce n’est pas nous qui allons chercher les travailleurs de remplacement. Cela ne s’adresse donc pas à nous.
Le sénateur Carignan : Il pourrait quand même y avoir des situations d’encouragement, parce qu’on va créer des violations ou des contraventions. Cela laisse place à l’imagination pour faire en sorte qu’un syndicat n’encourage pas ou n’incite pas à agir en violation de la loi. Cette infraction qui pourrait être mise en place serait très appropriée. Cependant, on ne voit pas cette possibilité dans le pouvoir réglementaire prévu dans la loi actuelle.
Mme Abou-Dib : En ce qui concerne votre question au sujet du processus de consultation, nous sommes d’accord sur le fait que, d’une manière ou d’une autre, on devra avoir la possibilité de discuter de la réglementation. Que ce soit au sujet des sanctions administratives, de ceux qui seront ciblés par ces sanctions ou d’autre chose, je crois que peu importe le règlement, avoir un processus de consultation serait important.
[Traduction]
La sénatrice McPhedran : Je souhaite simplement remercier toutes les leaders fortes qui composent notre groupe de témoins. Je tiens également à dire à Mme Bruske à quel point les Manitobains sont fiers de son leadership national et à quel point la confiance des membres du Congrès du travail du Canada envers elle est évidente vu sa réélection à la présidence.
Ma question s’adresse à tous les témoins. Je tiens seulement à souligner que l’Institut économique de Montréal nous a déjà dit que le Québec et la Colombie-Britannique disposent de lois semblables, mais que ces provinces connaissent des arrêts de travail plus longs et plus fréquents que tout autre au pays, où il n’y a pas de telles lois. Pourtant, vous nous avez fait part d’exemples positifs au Québec et en Colombie-Britannique. Voudriez-vous prendre un instant pour répondre aux préoccupations soulevées par l’Institut économique de Montréal?
Mme Bruske : D’abord, sénatrice, je vous remercie beaucoup pour vos bons mots. Je les apprécie énormément.
En ce qui a trait à la Colombie-Britannique et au Québec, ces deux provinces ont respectivement 30 ans et 45 ans d’expérience avec des mesures législatives interdisant le recours aux travailleurs de remplacement. Je ne tire aucune conclusion du fait qu’il y a ce type de loi dans ces provinces et que les grèves puissent y être plus longues. Pas la moindre conclusion. En définitive, les travailleurs ne veulent pas se retrouver sur la ligne de piquetage; ils veulent être au travail. Ils veulent travailler. Ils veulent se présenter à une ronde de négociation en sachant qu’ils ont des chances d’obtenir une entente équitable qui a été négociée plutôt que de leur être imposée.
Donc, je ne tire aucune conclusion de cela. Je crois que c’est une coïncidence, bien franchement. Je ne crois pas que nous devrions en tirer la moindre conclusion.
Mme Payne : Merci. J’aimerais ajouter quelque chose, car notre syndicat a mené une analyse détaillée de tous les différends qu’il a connus au cours d’une décennie, qu’il s’agisse d’une grève ou d’un lockout, y compris la durée de ces différends et ce qui s’est passé. Nous avons publié un rapport, intitulé Le bien‑fondé d’une loi anti-briseurs de grève au Canada. Dans le cas d’Unifor, les différends où on a eu recours à des travailleurs de remplacement, que ce soit en raison d’une grève ou d’un lockout, ont duré six fois plus longtemps que ceux où ces travailleurs n’ont pas été utilisés.
Je ne peux pas imaginer de meilleure preuve qu’une décennie de différends au sein du plus important syndicat du secteur privé au Canada et que notre capacité à vous transmettre cette information. C’est notre expérience sur le terrain. C’est notre expérience à la table de négociation. C’est notre expérience après des décennies et des décennies de travail au nom des travailleurs.
Mme Abou-Dib : Si vous me le permettez, j’aimerais simplement ajouter que c’est aussi l’expérience de Teamsters Canada dans ces provinces et au fédéral.
Il est vraiment important en matière de grèves prolongées de ne pas se pencher sur un facteur en vase clos. Il y a bien d’autres choses qui devraient vraiment être prises en compte, comme l’état de l’économie quand ces grèves prolongées se sont produites et d’autres facteurs qu’il ne faut pas négliger ou sortir de leur contexte. Je nous invite tous à prendre cette affirmation avec un grain de sel quand nous étudions cette question.
La présidente : Je souhaite donner au sénateur Carignan un peu de temps pour répondre à titre de critique, mais allez-y, sénatrice McPhedran. Vous pouvez poser une question à une personne.
La sénatrice McPhedran : Merci beaucoup.
Le groupe de témoins a fait allusion à la capacité du Conseil canadien des relations industrielles de réagir rapidement et efficacement. Puis-je simplement demander ce qui est nécessaire, ou si quoi que ce soit est nécessaire, pour créer une telle capacité de réaction? S’agit-il d’en augmenter le nombre de membres ou d’en étendre l’autorité? Qu’est-ce qui est nécessaire pour que cela se concrétise?
Mme Payne : Je dirais une augmentation des ressources financières du conseil et du nombre de membres, puisque c’est à eux qu’on demandera d’effectuer ce travail avec les parties.
[Français]
Le sénateur Carignan : Je comprends que c’est publié, mais pouvez-vous nous envoyer ce rapport que vous avez produit? Si vous pouviez aussi nous envoyer le lien pour qu’on puisse l’obtenir, ce serait très utile.
Évidemment, le rapport s’interprète dans un sens ou dans l’autre, mais il est quand même intéressant sur le plan des statistiques.
[Traduction]
Mme Payne : Absolument. Il est sur notre site Web, et je serai heureuse de le transmettre à l’ensemble du Comité.
La présidente : Merci beaucoup, chers collègues, et merci à nos témoins, à nos trois femmes. Le fracas du verre que vous avez brisé résonne à nos oreilles. Vous nous avez beaucoup aidés dans le cadre de l’étude du projet de loi.
Chers collègues, nous reprenons notre étude du projet de loi C-58. Soyez des nôtres pour notre troisième groupe de témoins. Nous accueillons en personne Gil McGowan, président de la Fédération du travail de l’Alberta, et Marty Warren, directeur national du Syndicat des métallurgistes unis; de même que Rob Ashton, président de l’International Longshore and Warehouse Union, qui se joint à nous par vidéoconférence.
Je crois savoir que MM. McGowan, Warren et Ashton ont préparé une déclaration liminaire.
Qui souhaite prendre la parole en premier? Monsieur McGowan?
Gil McGowan, président, Fédération du travail de l’Alberta : Volontiers. Merci beaucoup.
Si je suis venu à Ottawa aujourd’hui, c’est pour plaider avec insistance en faveur de la réadaptation salariale. La qualité de vie au Canada a été mise à mal ces dernières années. Pour bien des gens, le salaire ne suit pas l’inflation. Pour presque tout le monde, presque partout, il est donc difficile de se procurer presque n’importe quoi. Afin que leur qualité de vie soit rétablie, les travailleurs canadiens ont besoin d’une augmentation de salaire, ce qui n’est possible qu’avec le pouvoir de négocier.
C’est ce qui m’amène à la mesure législative à l’étude. Le projet de loi C-58 n’est pas une panacée. Il ne renversera pas à lui seul l’érosion de la qualité de vie des Canadiens, mais c’est un outil important dans l’arsenal dont les Canadiens ont besoin pour combler l’écart creusé par l’inflation.
Pour vous montrer pourquoi c’est important, je voudrais vous communiquer certains résultats d’un sondage panprovincial d’Environics Analytics mené pour le compte de la Fédération du travail de l’Alberta il y a quelques mois à peine. Ce sondage montre que la crise du coût de la vie frappe durement ma province.
Six Albertains sur 10 affirment que leur qualité de vie est en déclin depuis deux ans. Les trois quarts des répondants se disent inquiets de la hausse du coût de la vie. Parmi les Albertains qui se décrivent comme faisant partie de la classe moyenne, les deux tiers craignent que la hausse du coût de la vie mène à leur exclusion de la classe moyenne.
La situation est encore plus sombre chez les Albertains qui estiment faire partie de la classe ouvrière. Dans ce groupe, qui représente environ les deux tiers de la population de ma province, 93 % des répondants craignent que la hausse du coût de la vie les empêche d’accéder un jour à la classe moyenne.
Environ un mois après ce sondage, nous avons publié un rapport rédigé par l’économiste Jim Stanford, qui s’est adressé à vous plus tôt aujourd’hui. Ce rapport, intitulé Alberta’s Disappearing Advantage: The Crisis in Alberta Wages, and How to Fix It, indique que ce qu’affirment les Albertains n’est pas le fruit de leur imagination : leur qualité de vie décline et leur salaire ne suit pas le rythme de l’inflation. Le véritable pouvoir d’achat des travailleurs albertains, après avoir tenu compte de l’inflation, est en baisse de 5 % depuis 2018. Dans le cas des travailleurs du secteur public, cette baisse va jusqu’à 10 %. Même la rémunération dans le secteur pétrogazier n’arrive pas à suivre le rythme.
En Alberta, nous avons le douteux honneur d’avoir la croissance des salaires la plus lente au pays depuis cinq ans et l’un des plus hauts taux d’inflation, malgré les bénéfices records engrangés par nos sociétés, surtout dans le secteur pétrogazier.
Ainsi, la part de l’économie albertaine consacrée aux salaires et aux autres avantages pour les travailleurs a baissé de 8 % en 5 ans, tandis que la part encaissée par les sociétés a monté en flèche. Dans notre rapport, nous qualifions cette situation de redistribution perverse des richesses, et c’est bel et bien le cas.
Selon une déclaration célèbre de Franklin Delano Roosevelt, président des États-Unis dans les années 1930, le meilleur ami des entreprises est un travailleur avec de l’argent en poche. C’est encore vrai aujourd’hui.
Si nous voulons que les travailleurs canadiens aient de nouveau de l’argent en poche, nous devons avoir des politiques qui renforcent le pouvoir de négocier des travailleurs et qui soutiennent la hausse des salaires. Permettre aux employeurs de recourir à des travailleurs de remplacement va à l’encontre de cet objectif. Les employeurs n’ont pas recours à des travailleurs de remplacement parce qu’ils se soucient de l’intérêt public, mais bien parce qu’ils veulent mettre de la pression sur leurs employés.
En tant qu’ancien organisateur syndical qui a vu ce genre de tactiques à l’œuvre, je peux confirmer que les briseurs de grève constituent un outil de réduction des salaires, et c’est littéralement le contraire de ce dont ce pays a besoin à l’heure actuelle.
Au nom des 175 000 travailleurs albertains que je représente, je vous exhorte d’appuyer le projet de loi C-58 et de le renvoyer à la Chambre des communes sans amendement afin qu’il entre en vigueur rapidement. Ajoutons-le à l’ensemble d’outils destinés à réadapter le salaire ainsi qu’au poids des précédents qui peuvent servir à convaincre davantage de gouvernements provinciaux à faire de même.
Merci.
La présidente : Merci, monsieur McGowan. Monsieur Warren, c’est à vous.
Marty Warren, directeur national, Syndicat des métallurgistes unis : Merci, madame la présidente.
Merci à la greffière et aux membres du comité de me donner l’occasion d’être des vôtres aujourd’hui. Je m’appelle Marty Warren et suis le directeur national du Syndicat des métallurgistes unis, le plus grand syndicat du secteur privé en Amérique du Nord. Nous sommes en effet un syndicat international qui représente plus de 225 000 membres dans presque tous les secteurs économiques du Canada, y compris les membres dans les secteurs sous réglementation fédérale, c’est-à-dire les secteurs ferroviaire, portuaire, des télécommunications et de la sécurité aéroportuaire.
Le Syndicat des métallurgistes unis se bat depuis des décennies pour que le gouvernement fédéral adopte une loi anti‑briseurs de grève. Notre expérience montre qu’une interdiction du recours aux travailleurs de remplacement améliore les relations de travail, réduit la durée des différends et mène à de meilleures conditions de vie pour les travailleurs.
Que ce soit bien clair : personne ne décide de faire la grève pour le plaisir. La grève comme le lockout sont durs pour les travailleurs et les collectivités. De plus, le recours à des travailleurs de remplacement monte les travailleurs les uns contre les autres, les voisins contre les voisins, et même les membres des familles entre eux.
C’est un élément de premier ordre, car il peut aussi détruire l’avenir des relations de travail, les gens mettant des décennies à s’en remettre. Normalement, ceux qui prennent la décision de recourir à des briseurs de grève ou à des travailleurs de remplacement ont depuis longtemps passé à autre chose, mais les gens, c’est-à-dire les travailleurs, nos membres qui travaillent toujours dans les installations, vivent des relations de travail tendues pendant des décennies.
Comme vous le savez, le Québec et la Colombie-Britannique ont déjà une loi antibriseurs de grève, et le nouveau gouvernement du Manitoba a récemment indiqué son intention de leur emboîter le pas. Le NPD, qui défend le mouvement syndical depuis des années, a veillé à ce qu’un projet de loi anti‑briseurs de grève figure dans l’accord de soutien sans participation, ce qui a conduit le ministre du Travail à présenter une mesure législative que nous réclamons depuis longtemps.
Le Syndicat des Métallos a témoigné au sujet du projet de loi C-58 à trois reprises devant le Comité permanent des ressources humaines, le mois dernier. J’ai moi-même témoigné, de même que l’adjoint du directeur québécois des Métallos, Nicolas Lapierre, et Donna Hokiro, la présidente de la section locale 1944, qui représente les membres de notre syndicat dans le secteur des télécommunications. Nous avons soumis un mémoire au comité et avons formulé des recommandations pour amender le projet de loi. Nous avons surtout souligné l’importance d’adopter une loi interdisant le recours à des briseurs de grève afin de protéger les droits constitutionnels des travailleurs et les collectivités dont ils font partie.
Nous croyons que le comité de la Chambre des communes a étudié soigneusement le projet de loi et a adopté des amendements afin de le renforcer et d’éliminer certaines failles. Nous estimons que nos recommandations ont été prises en compte.
Bien entendu, ce projet de loi n’est pas parfait. Cependant, en tant que dirigeants syndicaux, nous avons l’habitude de négocier des conventions collectives pour améliorer les conditions de vie de nos membres, et nous savons très bien qu’aucune convention collective n’est parfaite. C’est l’un des principes clés de la négociation pour en arriver à une entente qui satisfait toutes les parties. Nous sommes convaincus que c’est le cas avec ce projet de loi. Celui-ci n’est pas parfait, mais il est très bon. Il est assez bon parce qu’il interdira, une fois pour toutes, le recours à des briseurs de grève durant les conflits de travail, ce que vivent en ce moment nos frères et sœurs du Syndicat canadien de la fonction publique dans le port de Québec, qui sont en lock-out depuis plus de 21 mois, mais aussi nos frères et sœurs de Vidéotron-Gatineau, qui sont en lock-out depuis 226 jours, aujourd’hui.
Il y a une chose que je tiens à dire aux membres du comité. Le projet de loi C-58 devait au départ entrer en vigueur 18 mois après la sanction royale. Comme plusieurs autres syndicats, nous avons demandé la suppression de ce délai afin que le projet de loi entre immédiatement en vigueur. Le comité de la Chambre des communes a décidé de faire passer le délai à un an. Tous les députés de la Chambre des communes ont voté en faveur de cet amendement. Nous sommes très satisfaits de ce changement. Bien entendu, nous serions ravis qu’il entre en vigueur immédiatement après la sanction royale, mais nous tenons à répéter que ce délai nous va.
Nous demandons respectueusement au comité de s’abstenir de proposer des amendements qui retarderaient de nouveau l’adoption de cet important projet de loi en raison des règles de procédure. Nous préférons nettement que le comité recommande au Sénat d’adopter ce projet de loi dans sa forme actuelle plutôt que de renvoyer celui-ci à la Chambre des communes avec une série d’amendements qui retarderait non seulement son entrée en vigueur, mais aussi la mise en œuvre d’une protection dont les travailleurs canadiens ont désespérément besoin.
Il nous a fallu des décennies pour en arriver là. Il appartient désormais au Sénat de nous mener à bon port.
Je vous exhorte à adopter rapidement le projet de loi C-58 dans l’intérêt de tous les travailleurs sous réglementation fédérale, mais aussi pour donner l’exemple aux provinces qui ne veulent toujours pas emboîter le pas. Je vous remercie.
La présidente : Merci beaucoup. C’est à vous, monsieur Ashton.
Rob Ashton, président, International Longshore and Warehouse Union : Bonjour, madame la présidente. Je vous remercie de me donner l’occasion de témoigner devant vous aujourd’hui. L’International Longshore and Warehouse Union Canada est un syndicat qui représente 16 000 travailleurs de la Colombie-Britannique et de la Saskatchewan dans divers secteurs, mais principalement les débardeurs qui travaillent dans les ports sur la côte du Pacifique.
Le projet de loi C-58 prévoit une protection contre le recours à des briseurs de grève pendant les grèves et les lock-outs. Les membres de notre syndicat appuient fortement le projet de loi C-58, et nous exhortons le comité à lui donner son aval et à l’adopter sans tarder.
Les grèves ne sont pas faciles pour les travailleurs. Ceux-ci prennent la décision de faire la grève quand la nécessité de lutter pour obtenir de meilleures conditions de travail, comme la sécurité d’emploi, la rémunération, la sécurité et des règles équitables, l’emporte sur la perte financière qu’engendre le fait de ne pas travailler pendant la durée de la grève.
Les travailleurs n’ont pas de contrôle sur les lock-outs. Ceux‑ci leur sont imposés pour miner leur solidarité et leur unité ainsi que pour leur imposer un fardeau financier dans l’espoir qu’ils acceptent une moins bonne entente parce qu’ils veulent recommencer à travailler.
La grève est une action collective constitutionnellement protégée, car le seul moyen dont disposent les travailleurs pour renverser le rapport de force dans la négociation entre eux et leur employeur, c’est de s’unir et de négocier collectivement. La négociation collective ne peut être efficace qu’à condition de permettre aux travailleurs de recourir à une grève pour exercer une pression économique réelle sur leur employeur.
Permettre à des entreprises d’utiliser des briseurs de grève prolonge les grèves, car un employeur peut poursuivre ses activités pendant un conflit de travail, ce qui mine le droit de grève des employés et consolide le droit de lock-out de l’employeur. Le recours à des briseurs de grève fait pencher la balance du pouvoir en faveur de l’employeur, car il continue de pouvoir offrir ses produits, tandis que les travailleurs sur la ligne de piquetage ne perçoivent aucun salaire. Cela est contraire au droit de grève, qui est protégé par la Charte des droits et libertés et dont le but premier est de compenser l’inégalité du rapport de force qui est caractéristique de la relation d’emploi afin que les employeurs et les travailleurs puissent négocier équitablement des conditions de travail en étant davantage sur un pied d’égalité.
Plus important encore, le recours aux briseurs de grève dresse les travailleurs les uns contre les autres. Quand des briseurs de grève traversent une ligne de piquetage, c’est irrespectueux envers les travailleurs, et c’est naturellement décevant pour eux, car ils ont pris la décision difficile de cesser de travailler malgré les pertes financières que cela leur occasionne, afin d’améliorer leurs conditions de travail. Malheureusement, cela peut être, et a déjà été, source de conflits.
Un moment marquant de l’histoire de la section canadienne de notre syndicat montre le danger d’avoir recours à des briseurs de grève. En 1935, les employeurs des débardeurs ont fait appel à des briseurs de grève pour tenter de nuire au syndicat des débardeurs. Le 18 juin 1935, le jour de la bataille du quai Ballantyne, des débardeurs ont marché jusqu’au terminal pour prodiguer des encouragements aux travailleurs et à leurs alliés. Des policiers et des gardiens de sécurité ont attaqué ces travailleurs et leurs alliés avec des matraques et d’autres armes. Du gaz lacrymogène a été utilisé dans le poste de premiers soins auxiliaire monté par des femmes. Le recours à des briseurs de grève a créé des conditions propices à la violence perpétrée par des employeurs et d’autres personnes contre des piqueteurs pacifiques, qui luttaient simplement pour obtenir une convention collective équitable.
Interdire le recours aux briseurs de grève favorise le déroulement sécuritaire des conflits de travail. Je demande au nom du syndicat que je représente que ce projet de loi soit adopté le plus rapidement possible afin que les travailleurs puissent exercer leur droit de faire la grève de manière efficace et sécuritaire. Je vous remercie.
La présidente : Nous passons aux questions. Je me permets de poser la première. Elle porte sur le temps qu’il faudra au Conseil canadien des relations industrielles pour se préparer à appliquer cette mesure législative, mais aussi sur le temps nécessaire pour élaborer des règlements sur les pénalités administratives afin que les employeurs respectent les interdictions. Croyez-vous que 12 mois suffiront pour élaborer ce règlement?
M. Warren : Le délai de 12 mois me satisfait. Comme je l’ai dit, nous espérions voir le projet de loi entrer en vigueur plus tôt. C’est l’une des explications qui nous ont été données. On a d’abord considéré 18 mois. Un délai de 12 mois est raisonnable. Il faudra des ressources et de la formation. Ce délai m’apparaît très bon.
Une période de 12 mois, c’est beaucoup de temps, pourvu que l’on accorde des ressources adéquates afin que les personnes concernées reçoivent la formation dont elles ont besoin pour mettre en application le projet de loi.
La présidente : Quelqu’un d’autre veut-il répondre?
M. McGowan : Je vais mettre mon grain de sel.
J’ai l’honneur de siéger en tant que président de la Fédération du travail de l’Alberta depuis 19 ans maintenant. Au cours de cette période, j’ai travaillé avec bien des gouvernements sur de nombreuses mesures législatives. Je connais bien la conception de la réglementation. Cela prend des mois.
Un an m’apparaît raisonnable. On pourrait même le faire plus rapidement, selon moi. Je dis cela parce que c’est une question qui a déjà été bien étudiée. Les parties qui seront consultées, celles qui ont une position, ont déjà leur point de vue.
Nous ne sommes pas en train de réinventer la roue. Le mouvement syndical parle de cette question depuis des générations. Nous sommes prêts à prendre part à des consultations. Vous avez vu que le milieu des affaires l’est aussi.
Dès que le coup d’envoi sera donné, il y aura des réunions. Je ne pense pas que cela nous retardera. Douze mois, c’est un délai raisonnable. Je ne doute pas qu’il soit possible d’élaborer des règlements équitables à l’intérieur de ce délai.
La présidente : Monsieur Ashton, avez-vous quelque chose à ajouter à cela?
M. Ashton : Je suis du même avis que les deux autres témoins, madame la présidente.
La présidente : Je vous remercie.
La sénatrice Cordy : Je vous remercie de comparaître devant le comité pour nous aider dans le cadre de l’étude du projet de loi.
Monsieur McGowan, j’ai été surprise d’apprendre que c’est l’Alberta qui est la plus durement touchée par l’augmentation du coût de la vie. Je suis de la Nouvelle-Écosse. Bien des gens de la Nouvelle-Écosse déménagent en Alberta pour obtenir un emploi bien rémunéré.
Qu’est-ce qui s’est passé? Vous avez dit que le secteur pétrolier et gazier fait de gros profits. Je sais qu’il y a un lien, mais pas avec le projet de loi. J’aimerais savoir ce qui s’est passé. Le secteur pétrolier et gazier engrange des profits énormes, mais les salaires équitables ne sont pas au rendez-vous.
M. McGowan : Oui. Eh bien, en bref, c’est une baisse de salaire qui est en cause, selon nous. C’est pertinent dans le contexte de la discussion que nous avons.
Dans mes observations préliminaires, j’ai dit que le projet de loi anti-briseurs de grève est un outil qui fait partie d’une boîte à outils. Cet outil est nécessaire pour faire croître les salaires, surtout en période de forte inflation, quand le coût de la vie augmente rapidement.
Malheureusement, c’est l’inverse que nous observons. En Alberta, le gouvernement provincial a refusé d’augmenter le salaire minimum pendant six ans, même si le taux d’inflation a augmenté de 18 % pendant cette période. Toutes les autres provinces ont augmenté le salaire minimum, mais l’Alberta, non. On y a compliqué le processus de syndicalisation et la négociation des conventions collectives. La province a même pris des règlements pour que les employeurs puissent aisément éviter de payer des heures supplémentaires.
Tous ces éléments réunis, à mon avis, sont une stratégie de baisse de salaire. Si un autre gouvernement, comme le gouvernement fédéral, présente un projet de loi anti-briseurs de grève, cela incitera des gouvernements comme le nôtre à faire ce qu’ils devraient faire en période de forte inflation, quand le coût de la vie augmente rapidement, soit mettre en œuvre des règles qui favoriseront l’augmentation des salaires plutôt que leur baisse.
La sénatrice Cordy : Vous pouvez tous nous donner votre avis. Monsieur Warren, vous avez parlé de cela. Il semble que tout le monde soit de votre avis sur la question des travailleurs de remplacement qui permettrait d’améliorer les relations de travail. Pourriez-vous nous dire comment cela fonctionnera? Il a déjà été question de cela. Ce n’est pas nouveau. Pourriez-vous parler de cela?
M. Warren : Premièrement, je dirai — comme je le dis à la plupart des employeurs, et à certains de nos plus grands, en particulier — l’ingrédient secret qu’un Canada et un monde concurrentiel peuvent utiliser, surtout face à la concurrence mondiale, c’est celui des relations de travail. C’est l’un des ingrédients secrets pour être une entreprise prospère.
Cela dit, voilà pourquoi le projet de loi anti-briseurs de grève est si important. Qu’il s’agisse d’un arrêt de travail ou d’une grève, soyons francs, c’est une situation difficile en partant. Quand des travailleurs de remplacement s’annoncent ou qu’une personne fait votre travail, cela entraîne une forte charge émotive.
Le point que j’ai essayé de faire valoir, un peu maladroitement, c’est que tôt ou tard, la grève ou le lock-out prend fin. Il faut parfois des décennies, voire des générations, avant que les travailleurs se remettent de ce que la direction leur a fait, à eux et à leur famille. Elle a fait appel à des travailleurs de remplacement.
Encore une fois, les quelques années d’expérience que j’ai m’ont permis de constater que, souvent, dans les grandes entreprises, les PDG et les membres de la haute direction changent de poste tous les trois à cinq ans. La personne qui a pris la décision de faire appel à des travailleurs de remplacement a beau être partie depuis longtemps, les gestionnaires et les travailleurs locaux sont toujours aux prises avec cette décision des décennies plus tard. C’est très difficile sur les relations de travail.
La sénatrice Cordy : Monsieur Ashton, souhaitez-vous intervenir à ce sujet?
M. Ashton : Brièvement, les briseurs de grève détruisent la relation entre les employeurs et les travailleurs. Le fait de les retirer de l’équation améliorera donc cette relation.
Je suis un membre ordinaire de mon syndicat. Lorsque je quitterai mes fonctions, je retournerai travailler sur les docks. Si mon employeur essayait de faire appel à des briseurs de grève, il romprait toute relation avec moi pour le reste du temps que je passerai sur les quais.
Un travailleur veut toujours faire mieux parce qu’il est fier du travail qu’il accomplit, du travail qu’il fait avec ses mains. Mais si un employeur fait venir un briseur de grève et dit : « Vous n’en valez pas la peine, alors je vais faire venir une personne extérieure et la coller à ton poste », quand je retournerai au travail, que pensez-vous que je ferai?
En éliminant les briseurs de grève, nous restons à la table des négociations, nous travaillons et il n’y a pas de problème lorsque nous reprenons le travail parce que l’employeur ne nous a pas fait subir ces choses désagréables.
La présidente : Merci, monsieur Ashton.
Chers collègues, nous attendons que la cloche sonne et que les votes aient lieu au Sénat. Je vais accélérer la marche et être un peu plus rigoureuse avec le temps afin que nous ne soyons pas interrompus. Il est difficile de s’interrompre et de revenir. Je préférerais que nous en finissions dans le temps qui nous est imparti.
[Français]
Le sénateur Carignan : Monsieur Warren, vous avez dit que le projet de loi n’était pas parfait, mais que c’était une première étape. Que manque-t-il au projet de loi pour qu’il soit parfait?
[Traduction]
M. Warren : Oui, le projet de loi n’est pas parfait, mais ce que je veux dire ici, c’est que rien n’est parfait. C’est comme la négociation d’une convention collective. Il n’y a pas de convention collective parfaite. Il y a toujours des concessions à faire.
Nous aimerions que le délai de 90 jours — il était de 87, soit un peu moins — oui. Aimerions-nous qu’il soit promulgué plus tôt? Oui, et il y a des problèmes de clarté. Dans l’ensemble, je tiens à dire qu’il n’est pas parfait, mais qu’il est tout à fait acceptable et qu’il constitue un pas dans la bonne direction. C’est pourquoi j’ai terminé en disant : « Nous vous prions de faire tout votre possible pour adopter ce projet de loi ».
[Français]
Le sénateur Carignan : J’ai entendu des exemples; vous avez parlé de briseurs de grève, mais j’ai l’impression que vous parlez plutôt de domaines de compétence provinciale. Il y a un aspect théorique à la loi par rapport aux avions.
Je ne pense pas qu’il y aura des briseurs de grève chez les pilotes d’avion, de bateau ou de train. Sur la question des transbordements, je crois que vous avez un gros pouvoir d’influence quand vous coupez une chaîne d’approvisionnement s’il y a une grève dans les ports ou dans les gares.
L’utilisation de travailleurs de remplacement dans ces situations est plutôt théorique. Avez-vous des exemples de compétence fédérale? J’ai Vidéotron en tête, et j’ai rencontré leurs travailleurs pour nous sensibiliser au projet de loi. Avez‑vous des exemples de compétence fédérale d’utilisation de briseurs de grève qui ont des conséquences négatives sur les employés et sur la durée de la grève?
[Traduction]
M. Warren : Oui, merci d’avoir posé cette question.
J’aimerais citer l’exemple récent des métallurgistes de Sorel, au Québec. Nous avons des remorqueurs. Environ 10 à 12 conducteurs de remorqueurs ont été remplacés par des travailleurs de remplacement. Cette grève — cet arrêt de travail — a duré neuf mois parce qu’ils pouvaient faire venir des travailleurs. Pendant neuf mois, douze personnes — il s’agit certes d’un petit nombre — mais elles n’étaient pas en mesure de subvenir aux besoins de leur famille au sein de la collectivité. Voilà un exemple.
En raison de la composition de notre syndicat, nous avons beaucoup d’exemples provinciaux, mais il s’agit de l’exemple le plus récent que je puisse citer.
M. McGowan : Oui, je vais donner un autre exemple.
Tout d’abord, j’estime que l’introduction d’une loi anti‑briseurs de grève au niveau fédéral est importante pour les provinces; en effet, comme vous le savez, 90 % de nos travailleurs relèvent de la législation provinciale, mais...
[Français]
Le sénateur Carignan : C’est ce que j’ai compris. L’enjeu est là.
[Traduction]
M. McGowan : Il est très important de créer un précédent et de donner l’exemple.
L’exemple que je donnerais pour ce qui est de l’Alberta est le lock-out de TELUS survenu en 2005. Cette dispute a été âpre. Elle a duré de nombreuses semaines. Elle a eu des répercussions sur les moyens de subsistance de milliers de travailleurs de l’Alberta et de l’extérieur de la province, et si elle a duré aussi longtemps, c’est parce que TELUS a été en mesure d’utiliser des briseurs de grève pour effectuer le travail.
L’une des raisons pour lesquelles je suis très satisfait de ce projet de loi est qu’il ne fait aucune distinction quant à la manière dont le travail est confié à des briseurs de grève, que ce soit physiquement ou électroniquement.
C’est ce qui s’est passé en 2005. Ils ont essentiellement confié le travail à des sous-traitants. Des personnes qui se trouvaient à l’extérieur de leur région, voire du pays, ont effectué le travail. Et pour revenir au point qui a été soulevé à maintes reprises, cette situation a sapé le pouvoir de négociation des travailleurs et bafoué le droit de grève.
La présidente : Merci, sénateur Carignan. Je vais vous donner un peu plus de latitude.
[Français]
Le sénateur Carignan : Parlons des télécommunications. Comment prévoyez-vous de gérer la situation des centres d’appel? La plupart de ces derniers sont à l’extérieur du pays, comme en Inde et au Maroc. C’est un enjeu assez important. Comment voyez-vous cette situation?
[Traduction]
M. Warren : Je pense qu’ils ne devraient pas être autorisés à le faire. Permettez-moi de citer l’exemple de TELUS. Ils ont fusionné avec le Syndicat des métallos il y a environ 12 ans. Ils sont arrivés chez nous avec 12 000 membres. Nous ne sommes probablement plus que 4 500 employés des télécommunications à travailler avec TELUS, car cette entreprise a sous-traité et délocalisé le travail.
Pourquoi? À cause de l’exemple donné par Gil McGowan. Plus important encore, nous sommes de retour à la table des négociations, et ce sont là deux éléments de langage collectif dont nous avions besoin pour protéger les membres, les emplois bien rémunérés et les collectivités. Nos membres avaient très peur parce qu’ils pouvaient faire appel à des briseurs de grève, sous-traiter leur travail et l’envoyer à l’étranger.
Il s’agissait d’une convention collective décente pour ce qui est des salaires et des pensions, mais ces 4 500 travailleurs ressentent encore chaque jour la menace de pouvoir perdre leur emploi et, plus important encore, ce projet de loi permettra d’uniformiser les règles du jeu afin qu’ils puissent tenter de négocier des améliorations pour au moins sauver quelques-uns de ces emplois.
Merci.
La présidente : Merci.
La sénatrice Osler : Je remercie tous les témoins d’être présents aujourd’hui.
J’ai une brève question à poser à M. Warren. Vous demandez que le projet de loi soit adopté rapidement, mais j’ai lu le mémoire du Syndicat des métallos à la Chambre, qui recommande que le projet de loi C-58 oblige les employeurs à négocier avec les syndicats relativement à la conservation du travail, faute de quoi la question doit être tranchée par le conseil.
Pourriez-vous expliquer cette recommandation au comité?
M. Warren : Comme nous l’avions suggéré, et pour autant que je sache, c’est théoriquement le cas, les deux meilleures parties pour négocier la conservation de la propriété du travail sont les deux parties qui en connaissent l’évolutivité, les exigences et la collectivité dans laquelle il est accompli. Je crois comprendre que si cela ne se fait pas au bout de 15 jours, une tierce partie est chargée de prendre la décision, de contribuer à la prise de décision ou d’y travailler.
La sénatrice Osler : J’en déduis que le Syndicat des métallos est satisfait du libellé qui figure actuellement dans le projet de loi?
M. Warren : Oui. Comme je l’ai dit, avons-nous cherché à apporter des changements supplémentaires? Oui. Mais nous attendons ce projet de loi depuis de longues années, nous sommes extrêmement satisfaits et c’est pourquoi nous vous prions de l’adopter rapidement ou de le renvoyer au Sénat dès que possible.
La sénatrice Osler : Merci, monsieur Warren.
La sénatrice Burey : Merci beaucoup. J’entends vraiment la passion que vous apportez à cette table lorsque vous évoquez l’expérience des familles et les revenus des travailleurs.
Vous avez parlé des effets du recours aux travailleurs de remplacement — permettez-moi d’utiliser ce terme — sur la violence et le moral, et du fait qu’ils déciment les collectivités. Les groupes précédents nous ont toutefois appris que la syndicalisation est en baisse dans le monde industrialisé, et assurément au Canada. Vous avez évoqué la mondialisation et les délocalisations.
Cette question ne figure peut-être même pas dans le projet de loi, mais ce dernier aura-t-il une incidence sur les tentatives de renforcement de la syndicalisation? Fera-t-il en sorte qu’il soit plus facile d’avoir un syndicat?
M. Warren : Ma réponse sera brève. Je crois que la syndicalisation sera toujours difficile, en fonction de l’employeur, mais je pense que le fait d’uniformiser les règles du jeu et de faire en sorte que les travailleurs syndiqués puissent obtenir des résultats dans des conditions équitables amènera plus de personnes à se syndiquer.
M. McGowan : Je vais donner deux réponses. Tout d’abord, je pense que ce projet de loi dépasse le cadre des syndicats. Il concerne tous les travailleurs, car les lieux de travail syndiqués sont des modèles sur le marché de l’emploi. Comme je l’ai dit dans mes remarques préliminaires, nous avons un problème de baisse du niveau de vie. Les salaires ne suivent pas l’inflation, et nous avons donc besoin de champions sur le marché du travail qui puissent négocier les salaires pour augmenter leur niveau de vie et, par la même occasion, celui de tous les autres employés. Cela a toujours été le rôle des syndicats, tant dans le secteur public que dans le secteur privé. Lorsque nous négocions de bons accords, tous les autres salariés en bénéficient.
Pour répondre directement à votre question de savoir si cette mesure découragera les gens de se syndiquer et s’il sera plus difficile pour nous de nous organiser, je dirais que c’est le contraire. J’ai mentionné que j’étais un organisateur, et l’une des choses qui découragent les gens de se syndiquer est la peur de la confrontation, mais si nous éliminons les travailleurs de remplacement de l’équation, les travailleurs auront davantage confiance dans le fait qu’ils disposeront du pouvoir de négociation nécessaire pour négocier une première convention collective et des augmentations de salaire. Ils seront alors plus enclins à se syndiquer, et non le contraire.
La sénatrice Burey : C’est ce que je voulais dire. En général, je veux que ce soit les gens qui le disent, pas moi. Vous l’avez très bien expliqué. Je vous remercie.
M. McGowan : Merci.
La sénatrice Petitclerc : J’ai une brève question à propos de certaines choses que nous avons entendues au sein de ce comité. Je vous remercie pour vos réponses. Vous avez été très clair sur l’importance de l’équilibre pour les négociations et la protection des travailleurs, et je vous en suis très reconnaissante.
L’une des choses que nous avons entendues de la part de différents témoins, et nous avons reçu beaucoup de courrier dans nos bureaux contenant des lettres inquiétantes nous avertissant que ce projet de loi pourrait avoir une incidence sur les Canadiens et qu’elle pourrait interrompre la production. On nous a parlé de perte de connectivité sur les téléphones portables et des conséquences que cela aurait sur les Canadiens. Je voulais juste avoir votre avis sur la question. Les Canadiens devraient-ils s’en inquiéter?
M. Warren : Voulez-vous donner l’occasion à M. Ashton de s’exprimer? Je prends toujours la parole.
La sénatrice Petitclerc : Je vous remercie. J’aimerais beaucoup qu’il réponde.
M. Ashton : Lorsque nous avons fait grève l’année dernière pendant 13 jours, les médias et la classe dirigeante n’ont de cesse de nous dire « Vous avez une incidence sur le pays ». Je peux vous garantir que si notre employeur avait eu recours à des briseurs de grève, nous serions toujours en grève.
Nous avons fait grève pendant 13 jours. Si une grève de 13 jours nuit à l’économie canadienne au point de la détruire — car c’est tout ce que la classe patronale disait, qu’elle détruirait l’économie — alors notre économie est en bien mauvais état si une grève peut la détruire ou si une grève peut paralyser la population de ce pays.
Souvenez-vous que c’est une grève née des négociations du Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, il y a quelques décennies, qui a permis à tous les Canadiens de ce pays de bénéficier d’un congé de maternité et de paternité. La capacité de la classe ouvrière à se défendre sans craindre que ses employeurs ne l’écrasent, en utilisant des briseurs de grève — et le bon terme est « briseurs de grève », pas travailleurs de remplacement. Le mot « briseurs de grève » est tout à fait approprié. Une fois que cette peur sera apaisée et que nous serons tous sur un pied d’égalité à la table des négociations, nous pourrons obtenir de meilleures conditions pour nos membres et pour tous les Canadiens de ce pays. C’est pourquoi un petit accroc dans l’économie, dans la chaîne d’approvisionnement ou autre, ou le fait de ne pas pouvoir recevoir un SMS immédiatement, est un sacrifice que je suis prêt à faire, et je sais que chacun de mes membres et les membres de leur famille sont prêts à le faire en raison de ce que nous pouvons obtenir pour l’ensemble des Canadiens. Merci.
La présidente : Monsieur Ashton, j’ai une question à vous poser. Nous avons entendu parler plus tôt aujourd’hui de la situation liée à la grève du port de Québec, qui dure depuis de nombreux mois. Je crois savoir que l’on fait appel à des travailleurs de remplacement. De votre point de vue, lorsque ce projet de loi aura été adopté — et imaginons que la grève soit toujours en cours dans 12 mois — que changera-t-il dans cette situation très conflictuelle?
M. Ashton : Je pense qu’il faudrait poser cette question à mon avocat, pour être honnête avec vous, ou à l’avocat du Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, pour être plus précis.
Si la loi anti-briseurs de grève avait été mise en place avant que ces travailleurs ne descendent dans la rue, ce conflit n’existerait pas aujourd’hui. Ils auraient tous repris le travail. C’est l’utilisation de briseurs de grève qui maintient ces travailleurs, qui vivent et paient des impôts dans cette collectivité, dans la rue. Nous devons adopter ce texte aujourd’hui et aller de l’avant.
La présidente : Merci, monsieur Ashton.
Chers collègues, il n’y a plus de questions et la cloche sonne. Je tiens à remercier sincèrement nos témoins d’avoir partagé avec nous leur point de vue et leur passion. Nous arrivons à la fin de ce dernier groupe de témoins.
Notre prochaine réunion sur le projet de loi C-58 — il n’est pas encore terminé — aura lieu demain à 16 h 15 dans cette même salle. À titre de rappel, nous nous réunirons pour l’étude article par article du projet de loi C-50 à 18 h 45 demain, et pour ce projet de loi C-58 jeudi à 11 h 30. Si vous ne l’avez pas encore fait, veuillez communiquer avec la greffière pour présenter des amendements, et je vous encourage à lui faire part de vos amendements et observations dans les deux langues officielles. Merci beaucoup.
(La séance est levée.)