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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES SOCIALES, DES SCIENCES ET DE LA TECHNOLOGIE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 30 mars 2022

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd’hui à 16 h 3 (HE), avec vidéoconférence, pour procéder à l’étude article par article du projet de loi S-209, Loi instituant le Jour commémoratif de la pandémie, et pour étudier le projet de loi S-203, Loi concernant un cadre fédéral relatif au trouble du spectre de l’autisme.

La sénatrice Ratna Omidvar (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Je suis Ratna Omidvar, sénatrice de l’Ontario et présidente de ce comité.

Le 2 mars, nous avons suspendu notre étude du projet de loi S-209 et nous allons maintenant reprendre l’étude article par article de ce projet de loi. Pour revenir en arrière et nous rafraîchir la mémoire, j’ai demandé si le préambule de ce projet de loi serait adopté. La sénatrice Mégie a proposé à ce moment-là un amendement au préambule. Par la suite, la sénatrice Bernard a proposé un sous-amendement à la proposition de la sénatrice Mégie. Nous avons suspendu la séance à ce moment-là pour préparer le libellé de l’amendement dans les deux langues officielles.

Hier, on vous a fait parvenir le libellé du sous-amendement, alors nous allons reprendre nos travaux là où nous étions rendus. Nous devons maintenant débattre du sous-amendement de la sénatrice Bernard, et j’espère que tout le monde l’a. Si vous ne l’avez pas, nous pouvons nous organiser pour que vous le receviez.

Un sénateur souhaite-t-il prendre la parole sur le sous-amendement?

[Français]

La sénatrice Mégie : Je ne suis pas d’accord avec le sous-amendement, parce qu’il restreint la portée du projet de loi S-209 et parce qu’il y a une redondance avec ce qui a déjà été dit dans mon amendement.

Je pense qu’il n’apporte pas de valeur ajoutée à mon amendement ni au projet de loi. C’était là mon objection.

[Traduction]

La présidente : Merci, madame la sénatrice Mégie.

La sénatrice Bernard : Merci. J’ai juste quelques remarques à faire pour donner un peu plus de contexte concernant mon sous-amendement.

En ce qui concerne les questions fondamentales, d’après les témoignages, de nombreux Canadiens sont en deuil pour de nombreuses raisons à la suite de la COVID-19. En réalité, le deuil et la perte sont des termes généraux, ce qui signifie que la guérison elle-même est générale. La perte et le deuil ne se limitent pas à la perte de la vie. Nous savons qu’il existe de nombreux types de pertes, comme la perte d’un emploi, la perte de temps, la perte d’étapes marquantes — excusez-moi, madame la présidente, mais quelqu’un chez moi fait des travaux, alors j’ai besoin d’un moment, désolée. C’est l’un des défis du travail à domicile. Pouvez-vous passer aux autres intervenants?

La présidente : Oui, c’est ce que nous ferons.

La sénatrice Bernard : Je vais revenir le plus rapidement possible. Je m’excuse à tout le monde. Merci.

Le sénateur Patterson : Je voulais dire brièvement que je suis d’accord avec la sénatrice Mégie. Merci.

[Français]

La sénatrice Petitclerc : J’aimerais exprimer mon appui à la position de la sénatrice Mégie. Je comprends et je remercie la sénatrice Bernard de cette réflexion. Avec tout le respect que j’ai pour le processus et pour ce qu’elle souhaite faire, selon ma compréhension et mon expérience au Sénat, plus particulièrement au sein de ce comité et avec des projets de loi semblables, l’intention de ce projet de loi, c’est qu’on n’a pas besoin d’être aussi prescriptif. Au contraire, on se doit d’avoir un projet de loi comme celui-là, qui ne va pas trop dans les détails, parce que la façon dont les organismes, les individus, les provinces et les municipalités choisiront de faire cette commémoration ne doit pas être prescrite. C’est pour cette raison que je n’appuierai pas cet amendement.

[Traduction]

La présidente : Merci, madame la sénatrice Petitclerc.

La sénatrice Bovey : En tout respect, j’appuie les deux. Je pense que le terme « guérison » est un grand mot. C’est un terme qui est utilisé dans de nombreux contextes où j’ai travaillé avec des gens d’origines et d’âges variés. J’appuie entièrement le projet de loi. C’est un projet de loi-cadre, et je suis satisfaite du sous-amendement. Je vais commencer par voter en faveur du sous-amendement, mais j’appuie aussi entièrement le projet de loi. Ce n’est pas une question de choix pour moi; rendons-le le plus constructif possible.

La présidente : Merci, madame la sénatrice Bovey. Madame la sénatrice Bernard, nous vous donnerons, comme il se doit, le dernier mot sur votre sous-amendement.

La sénatrice Bernard : Je m’excuse encore une fois, et je vous remercie tous de votre patience. Je suis revenue juste au moment où j’ai entendu la sénatrice Bovey dire qu’elle appuyait sans réserve le projet de loi, et je tiens à ce que ce soit clair aussi, si ce n’est déjà fait. J’appuie également ce projet de loi. Je crois simplement que ce sous-amendement le renforcerait.

Pour parler des pertes, comme je l’ai dit précédemment, il existe de nombreux types de pertes. Un grand nombre de personnes nous ont parlé de certains des types de pertes qu’elles ont subies. Les gens ont perdu leur emploi, leur entreprise, leur temps et leurs relations avec des amis et des membres de leur famille et n’ont donc plus ces contacts.

La guérison en soi n’est pas contraignante, mais elle peut, va et doit prendre de nombreuses formes. Bien que la guérison puisse être considérée comme étant une activité individuelle, nous avons certainement entendu de nombreux témoins dire qu’il y a aussi une nature collective au chagrin et au deuil associés à ces multiples types de pertes. Nous savons donc que la guérison prendra également des formes collectives. Je ne crois pas que l’ajout du terme « guérison » soit plus contraignant que ce qui figure déjà dans le projet de loi, qui prescrit le rétablissement, la commémoration et la préparation, comme l’a dit la sénatrice Mégie dans son témoignage.

Tout comme nous savons que les Canadiens se souviennent de ce qui s’est passé de différentes manières, je pense qu’ils peuvent aussi guérir de différentes manières. Le sous-amendement crée un espace pour que ce soit très explicite.

La présidente : Comme personne ne semble vouloir intervenir, prenons nos décisions. Y a-t-il des objections à ce que le sous-amendement soit adopté?

Je vois des mains levées. Puisqu’il y a des objections, la décision est-elle que la motion soit adoptée avec dissidence? Ou devons-nous procéder à un vote par appel nominal?

La sénatrice Mégie : Un vote.

La présidente : Honorables sénateurs, on a demandé la tenue d’un vote par appel nominal. Le greffier nommera les membres en commençant par la présidente, puis les autres membres par ordre alphabétique. Les membres doivent répondre à voix haute « oui », « non » ou « abstention ». Le greffier annoncera ensuite les résultats du vote, et la présidente déclarera ensuite si la motion a été adoptée ou rejetée.

M. Charbonneau : L’honorable sénatrice Omidvar?

La sénatrice Omidvar : Non.

M. Charbonneau : L’honorable sénatrice Bernard?

La sénatrice Bernard : Je dois préciser que je suis perdue. Je ne suis pas certaine de savoir ce que l’on fait. Est-ce que nous nous prononçons sur le sous-amendement ou sur l’amendement complet? Je ne sais pas trop.

La présidente : Sénatrice Bernard, nous nous prononçons sur votre sous-amendement. Nous pourrons nous prononcer sur l’amendement seulement lorsque la décision concernant votre sous-amendement sera prise.

La sénatrice Bernard : Donc, c’est pour déterminer si cela devrait être inclus ou non?

La présidente : Oui.

La sénatrice Bernard : Je vote « oui ». Merci.

M. Charbonneau : L’honorable sénatrice Bovey?

La sénatrice Bovey : Oui.

M. Charbonneau : L’honorable sénatrice Dasko?

La sénatrice Dasko : Non.

M. Charbonneau : L’honorable sénateur Kutcher?

Le sénateur Kutcher : Non.

M. Charbonneau : L’honorable sénatrice Mégie?

La sénatrice Mégie : Non.

La sénatrice Bovey : Madame la présidente, nous n’entendons pas le vote des gens.

La présidente : Oui, je comprends. Veuillez parler fort...

La sénatrice Bovey : S’ils pouvaient répondre par « oui » ou par « non », cela nous serait utile en ligne.

M. Charbonneau : L’honorable sénatrice Mégie a voté « non ».

L’honorable sénatrice Moodie?

La sénatrice Moodie : Non.

M. Charbonneau : L’honorable sénatrice Moodie a voté « non ».

L’honorable sénateur Patterson?

Le sénateur Patterson : Non.

M. Charbonneau : L’honorable sénateur Patterson a voté « non ».

L’honorable sénatrice Petitclerc?

La sénatrice Petitclerc : Non.

M. Charbonneau : L’honorable sénatrice Petitclerc a voté « non ».

L’honorable sénatrice Poirier?

La sénatrice Poirier : Je m’abstiens.

M. Charbonneau : L’honorable sénatrice Verner?

La sénatrice Verner : Je m’abstiens.

M. Charbonneau : Deux oui, sept non et deux abstentions.

La présidente : Chers collègues, la motion est donc rejetée. Nous allons maintenant passer à l’étude de l’amendement proposé par la sénatrice Mégie au préambule modifié. Y a-t-il des objections à ce que la motion d’amendement soit adoptée? S’il n’y en a pas, elle est adoptée. Merci.

Y a-t-il des objections à ce que le préambule modifié soit adopté? Il n’y en a pas? Il est adopté.

Y a-t-il des objections à ce que le titre soit adopté? S’il n’y en a pas, il est adopté.

Y a-t-il des objections à ce que le projet de loi modifié soit adopté? S’il n’y en a pas, il est adopté.

Y a-t-il des objections à ce que le légiste et conseiller parlementaire soit autorisé à apporter les modifications ou corrections techniques, numériques et typographiques nécessaires aux amendements adoptés par le comité? Merci, chers collègues.

Le Comité souhaite-t-il envisager d’annexer des observations au rapport? Non.

Y a-t-il des objections à ce que je fasse rapport du projet de loi modifié au Sénat? Merci.

Par conséquent, nous avons terminé notre étude article par article du projet de loi S-209.

Nous allons maintenant poursuivre notre étude du projet de loi S-203, Loi concernant un cadre fédéral relatif au trouble du spectre de l’autisme. C’est une loi-cadre. Elle prévoit que, dans l’élaboration d’un cadre national, les éléments à inclure sont un processus de consultation pour l’élaboration du processus, la création d’une conférence pour élaborer le cadre, le dépôt du cadre fédéral et des rapports au Parlement après la publication du cadre fédéral.

J’aimerais présenter nos témoins d’aujourd’hui. Pour Autistics for Autistics, nous accueillons Anne Borden King, cofondatrice et liaison communautaire. De Autistics United Canada, nous recevons Vivian Ly, cofondateur et membre organisateur. J’aimerais inviter Mme King à faire une déclaration, suivie par Vivian Ly. Madame King, vous disposez de cinq minutes pour faire votre déclaration, puis nous passerons aux questions des sénateurs.

Anne Borden King, cofondatrice et liaison communautaire, Autistics for Autistics : Bonjour, estimés membres du Sénat canadien. C’est un honneur d’être ici avec vous aujourd’hui. Je m’appelle Anne Borden King et je représente Autistics for Autistics. Nous sommes un groupe de défense nationale dirigé par des autistes. Nous nous sommes établis en 2018 parce que nous avons réalisé qu’au Canada, ce sont surtout des personnes non autistes qui ont mené la discussion sur la politique de l’autisme — une politique sur nous, sans nous.

Pendant des décennies, le gouvernement du Canada a accordé des centaines de millions de dollars en contrats à fournisseur unique à des organismes pour l’autisme, sans appel d’offres — ou demandes de propositions —, sans concurrence, sans suivi et sans évaluation. Les chèques sont émis, et tout le monde assiste au gala de bienfaisance et applaudit lorsqu’on inaugure le nouveau foyer pour autistes en bordure de la ville. Saviez-vous que plus de 90 % des fonds fédéraux canadiens destinés au logement dans ce secteur sont encore consacrés à des foyers de groupe distincts, même si, aux États-Unis, on a démontré qu’un modèle différent — la vie autonome avec soutien — est meilleur pour tous? Nous espérons aujourd’hui que ce nouveau cadre permettra d’amorcer un changement de politique qui évoluera au même rythme que les changements qui surviennent dans le reste du monde. Notre gouvernement doit maintenant passer de la perspective de la charité à celle des droits.

Les autistes, comme les autres personnes handicapées, ont des droits. En fait, nos droits sont enchâssés dans la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées. Au Chili, le Congrès vient d’intégrer l’article 26 à sa nouvelle constitution, qui stipule que « l’État reconnaît la neurodiversité et les personnes neurodivergentes, leur droit à... l’autonomie et l’autodétermination ».

Aux États-Unis, les groupes dirigés par des autistes sont en dialogue direct avec l’administration Biden dans le cadre de son équipe chargée des politiques sur l’invalidité. L’Interagency Autism Coordination Committee, ou IACC, est un groupe diversifié et rigoureux composé de membres fédéraux et publics, et il comprend des membres de groupes dirigés par des autistes.

Pendant ce temps, au Canada, les personnes autistes ne sont même pas incluses à l’heure actuelle dans la législation fédérale sur les droits des personnes handicapées; l’autisme est dans un cloisonnement politique. Jusqu’à présent, la politique canadienne n’a pas cherché à résoudre nos problèmes, mais à présenter les personnes autistes comme étant le problème.

Dans l’ébauche actuelle du cadre, l’autisme est qualifié de trouble invalidant, avec des difficultés pour l’emploi et le logement. Notre première demande est que ces euphémismes soient abandonnés et que les termes « handicap » et « obstacle à l’accès » les remplacent. Les écoles, les lieux de travail et les logements ont la responsabilité de modifier l’environnement pour répondre aux besoins des personnes handicapées, y compris les personnes autistes.

Nos demandes d’accès à l’information ont révélé qu’au cours de la dernière décennie, aucun des projets liés à l’autisme supervisés par l’Agence de la santé publique du Canada n’a fait l’objet d’un processus d’appel d’offres. Je donne l’exemple du site Web de 10 millions de dollars qui n’a pas fait l’objet d’un appel d’offres, mais qui a plutôt été donné à une entreprise liée à l’autisme qui doit maintenant en faire davantage l’évaluation parce que le trafic sur son site est si faible. Il existe de nombreux autres exemples de ce genre d’utilisation inefficace des fonds. Notre deuxième demande est donc que le cadre et les autres lois exigent un environnement de financement concurrentiel, évaluent le rendement des investissements pour les projets et exigent des appels d’offres.

Notre troisième demande est d’ajouter au cadre que le gouvernement doit recueillir les données de manière indépendante. Il s’agit notamment d’évaluer la rigueur de la recherche sur l’autisme, qui est sujette aux biais de détection et à d’autres problèmes méthodologiques. La recherche doit être évaluée, et ce, de manière indépendante. J’ai été ravie de voir un article sur les données — l’alinéa 2(2)c) de la mesure législative proposée —, mais il est également assez vague. La politique actuelle est souvent fondée sur des données biaisées ou peu fiables fournies par des groupes de pression. Je signale l’enquête nationale sur les besoins de 2018 du groupe d’intérêt de l’ACTSA, où seulement 2,4 % des participants à l’enquête étaient réellement autistes. Avec respect, ce type de données ne devrait pas éclairer les politiques. C’est au gouvernement de recueillir indépendamment ses propres données. C’est ce qui se passe aux États-Unis par l’entremise de l’IACC et, bien sûr, au Royaume-Uni, par l’entremise du conseil des normes. Nous avons besoin d’un organisme comme celui-là au Canada pour faire ce genre de travail.

Comme toutes les personnes handicapées, les Canadiens autistes devraient avoir un droit d’accès aux communications comme AAC, aux écoles et aux lieux de travail inclusifs, aux soins de santé et au logement dans la communauté. Pour conclure, nous demandons que le cadre renferme un libellé qui inclut ces droits. Pensez à la constitution chilienne, qui reconnaît les droits des personnes neurodiverses, et pensez à l’approche de notre propre gouvernement par rapport aux autres handicaps. Appliquez-la ici. Nous avons besoin d’une politique rigoureuse axée sur la qualité de vie. Il est temps de changer de paradigme. Merci.

Vivian Ly, cofondateur et membre organisateur, Autistics United Canada : Bonjour, honorables sénateurs, et merci de me donner l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui. Je suis Vivian Ly. Je suis cofondateur et membre organisateur d’Autistics United Canada, une organisation dirigée par des autistes qui représente des centaines d’adultes et de jeunes autistes sur tout le territoire colonialisé connu comme étant le Canada. Je me joins à vous sur les territoires ancestraux et traditionnels non cédés des nations Musqueam, Squamish et Tsleil-Waututh, en tant que colon occupant activement ces terres. J’espère que cette reconnaissance ne soit qu’une partie du travail perturbateur nécessaire pour agir en faveur de la réconciliation et de la décolonisation dans tout ce que nous faisons, y compris les services et les soutiens offerts aux personnes autistes et handicapées. Tandis que nos membres d’Autistics United Canada réclament un plus grand soutien non seulement pour les personnes autistes, mais aussi pour toutes les personnes handicapées et neurodivergentes qui vivent sur ces terres, nous avons des préoccupations concernant ce projet de loi et la stratégie nationale sur l’autisme.

Premièrement, le projet de loi définit l’autisme dans une optique de déficit et non une optique fondée sur les forces qui affirme et reconnaît la neurodiversité. Les défenseurs de l’autisme qui ont des besoins de soutien variés revendiquent depuis longtemps un changement de paradigme en faveur de la neurodiversité. Nous nous opposons aux discours de la tragédie. Nous ne souffrons pas de l’autisme. Cela rejette la faute sur l’enfant ou l’adulte autiste, et sur notre façon d’être naturelle. Au contraire, nous, dans notre famille, souffrons de discrimination fondée sur la capacité systémique et d’un manque d’accès, d’acceptation et de soutien. Il faut adopter un modèle de droits de la personne fondé sur la neurodiversité et les forces de l’autisme qui reconnaisse notre pleine humanité, ce que le libellé du projet de loi ne reflète pas.

Deuxièmement, nous rejetons le cloisonnement du soutien à l’autisme alors que nous avons besoin de soutiens et de services pour tous les handicaps, et d’un accès universel et équitable à la sécurité financière, aux besoins de base, au logement, à l’emploi, à l’éducation et aux soins de santé. Autistics United Canada s’inquiète de la direction que peuvent prendre ces cadres et ces stratégies, qui ne créent que des institutions spécialisées et séparées — comme nous l’avons vu avec la suppression du financement flexible et individualisé et la création de centres pour l’autisme en Colombie-Britannique —, plutôt que de mettre en œuvre un changement complet et transformationnel dans les systèmes de soins du Canada par l’entremise du revenu de base universel, du régime universel d’assurance-médicaments, des politiques de Logement d’abord et de la pleine conformité avec la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées.

Il existe également une inquiétude très réelle au sein de la communauté autistique — la communauté composée d’autistes — qui craint que ce projet de loi et la stratégie nationale sur l’autisme financent des interventions comportementales plus coercitives et nuisibles, telles que l’analyse appliquée du comportement, ou AAC, au détriment de divers soutiens favorables à la neurodiversité. Les témoignages de survivants autistes de l’AAC et les recherches de plus en plus nombreuses font état de traumatismes à long terme, d’expériences d’abus, de maladies mentales et de tendances suicidaires. Les décideurs politiques doivent prendre au sérieux les survivants de l’AAC et veiller à ce que les enfants et les adultes autistes aient l’autonomie, l’autodétermination et le choix des soutiens et des services qu’ils reçoivent.

Ainsi, comment entrevoyons-nous les mesures d’appui? Nous voulons que les systèmes de soins priorisent l’éradication de phénomènes sanctionnés par l’État : la pauvreté des personnes autistes, neuroatypiques et handicapées ainsi que la violence envers elles. Nous réclamons des organes fédéraux de coopérer avec les gouvernements provinciaux et territoriaux pour lutter contre l’eugénisme dans la recherche et les politiques; chambouler la trajectoire de l’école vers les institutions et de l’école vers les prisons pour toutes les jeunes personnes handicapées; mettre fin aux contraintes et au retrait dans les milieux d’éducation et de soins de santé; s’engager à mettre en œuvre la désinstitutionnalisation et cesser la construction de nouvelles institutions séparées pour plutôt créer des systèmes universels et équitables d’appui pour chaque étape de la vie.

Ces solutions comprennent des mesures d’appui universelles à la maison et en communauté pour tous les types de handicaps afin de favoriser la vie indépendante et interdépendante et le recours à la technologie d’assistance. Pour que les mesures d’appui soient efficaces, elles doivent garantir l’autonomie et l’autodétermination des personnes handicapées en offrant une gamme d’options et en étant conçues par les personnes autistes et ayant d’autres formes de handicaps. « Rien pour nous sans nous » n’est pas qu’un slogan; c’est un appel à l’action.

Selon la CRDPH de l’ONU, le Canada a l’obligation de consulter étroitement les personnes handicapées et de les faire participer activement à l’élaboration de politiques. Nous comprenons que les personnes les plus touchées par les systèmes de soins au Canada — soit les personnes handicapées, à faible revenu, PANDC, 2SLGBTQIA+, incarcérées et itinérantes, ainsi que celles appartenant à plus d’un de ces groupes et ayant les besoins d’appui les plus complexes — sont les mieux placées pour cerner les solutions. Présumez que nous sommes compétents et écoutez notre expertise. Bien que des gains aient été réalisés, les personnes autistes sont trop souvent ignorées et ne sont pas consultées. Les décideurs doivent travailler avec nous pour transformer les systèmes de soins et les rendre équitables et justes pour toutes les personnes handicapées — pas seulement pour les autistes — et recueillir des données de façon indépendante sur nos besoins afin de dresser notre profil démographique désagrégé sur les handicaps, la neurodivergence, le genre, la race et les autres groupes sociaux.

En résumé, honorables sénateurs, nous vous exhortons à vous engager à adopter des politiques audacieuses sur la neurodiversité qui transformeront les systèmes de soins au Canada grâce à des mesures d’appui universelles et équitables pour tous les types de handicaps et qui rendront des comptes aux personnes les plus directement touchées par les politiques sur l’autisme : les personnes autistes mêmes. Merci beaucoup.

La présidente : Merci beaucoup à nos deux témoins. Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs. Tenons-nous-en à des questions liées au projet de loi. Le temps est limité, et je ne veux pas nécessairement avoir à interrompre les intervenants. Veuillez poser des questions brèves et les adresser à un des témoins ou aux deux.

J’aimerais aussi souligner que Vivian Ly se sert d’un logiciel texte-parole, et que ses réponses seront donc décalées.

La sénatrice Bovey : Compte tenu des limites de temps, je vais céder mon temps à la sénatrice Bernard, si c’est possible. Elle posera la question en mon nom. Merci.

La sénatrice Bernard : Merci, sénatrice Bovey. J’aimerais sincèrement remercier Mme Borden King et Vivian Ly d’être parmi nous aujourd’hui. Je suis vraiment ravie d’avoir entendu vos perspectives; nous devions vous donner voix au chapitre, alors je vous remercie d’avoir accepté de participer à notre réunion.

Vous avez soulevé dans vos témoignages des inquiétudes dont d’autres nous ont fait part et que j’ai moi aussi, soit des inquiétudes sur les termes choisis.

Je crois que Vivian Ly a mentionné le besoin de passer d’un modèle caritatif à un modèle axé sur les droits de la personne. Vivian Ly, vous avez dit qu’il nous faut passer d’une optique centrée sur les faiblesses à une optique centrée sur les forces. Pouvez-vous nous donner des suggestions précises quant à la façon d’améliorer le libellé du projet de loi, surtout dans le préambule, pour mettre davantage l’accent sur le modèle axé sur les droits de la personne et la perspective axée sur les forces afin de présenter le bien-fondé du projet de loi et les objectifs qu’il essaie de réaliser? Merci.

Mme Borden King : À titre d’exemple, le mot « handicap » ne se retrouve nulle part dans le projet de loi, et je crois que c’est un concept souvent oublié. Cette ancienne perspective caritative écarte l’autisme comme s’il ne faisait pas partie du cadre des handicaps. Il est primordial de comprendre que, au sein de la communauté des autistes, et parmi les parents, les familles, les fournisseurs et les professionnels, l’autisme est réellement perçu comme étant un handicap.

Ainsi, lorsqu’on qualifie l’autisme de trouble ou d’autres termes similaires, comme Vivian Ly l’a dit, on adopte une approche très pathologisante et médicalisée. C’est un problème. Comme nous faisons partie d’un groupe de personnes handicapées, nous devons être visés par les lois sur les handicaps. Tout nouveau texte de loi à l’avenir doit reconnaître que l’autisme est une forme de handicap et que les personnes touchées ne peuvent se trouver du logement et des emplois adéquats. Les personnes autistes sont exclues à l’école. Il s’agit de problèmes d’accès au même titre que pour les personnes frappées de tout autre handicap.

La présidente : Vivian Ly a fourni une réponse à la question par écrit dans le clavardage de Zoom. Je vais demander à une greffière à la procédure de lire la réponse qui pourra ensuite être insérée dans la transcription.

[Voici le texte lu par Andrea Mugny, une greffière à la procédure]

Vivian Ly : Tout d’abord, je suis d’accord avec Mme Borden King au sujet des concepts de handicap, d’accessibilité et d’obstacles qui doivent remplacer ceux de troubles ou de déficiences.

Les personnes autistes et ayant d’autres formes de handicaps reconnaissent le modèle social de handicap là où les obstacles environnementaux interagissent avec nos « corps-esprits ». La société nous handicape. Je recommanderais aussi d’ajouter les idées de neurodiversité et de neurodivergence dans le projet de loi. Nous pouvons assurément faire un suivi pour un examen langagier détaillé.

Nous sommes ravis que des formulations centrées sur l’identité se retrouvent dans le projet de loi.

La présidente : Merci beaucoup. Vivian Ly, je crois vous avoir entendu dire que vous pourriez fournir d’autres idées sur les mots employés. Si vous décidez de nous en faire part, veuillez les envoyer au comité dès que possible. Merci beaucoup.

Le sénateur Patterson : Je remercie nos deux témoins de leurs exposés fascinants. J’ai une question pour Vivian Ly et une pour Mme King.

Vivian Ly, vous avez très clairement exprimé vos préoccupations sur le fait qu’un cadre fédéral calomnierait les personnes neurodivergentes ou perpétuerait le statu quo prévoyant des établissements distincts que vous jugez inacceptables.

La discussion d’aujourd’hui ne porte pas sur un cadre, mais plutôt sur le mécanisme pour en créer un; à ce sujet, croyez-vous que la participation de personnes comme vous à la création du cadre remédierait à vos préoccupations?

Et, si je puis, madame King, merci de votre apport aujourd’hui. Si on garde encore une fois à l’esprit que ce projet de loi ne fait que prévoir le mécanisme qui créera le cadre et ne constitue pas le cadre en tant que tel, dois-je comprendre que vous voyez d’un bon œil un cadre qui apportera transparence et reddition de comptes aux politiques et programmes qui toucheront la communauté neuroatypique? Croyez-vous qu’un cadre est utile?

Mme Borden King : Je crois que nous avons des sentiments partagés par rapport au projet de loi parce que nous avons l’impression que l’autisme se retrouve souvent à part, dans des textes de loi spéciaux, ce qui laisse croire qu’il est dans une catégorie distincte des autres protections de droits pour les personnes handicapées. Nous nous inquiétons gravement du fait que la protection et les droits ne sont pas appliqués uniformément, comme si les personnes autistes formaient une catégorie à part des autres formes de handicaps.

Par ailleurs, si vous rédigiez ce texte de loi et qu’il était adopté de façon à inclure le concept que les personnes autistes sont visées par les nouveaux textes législatifs canadiens sur les personnes handicapées et leurs droits, ce serait utile. Si vous reconnaissiez dans ce cadre, par exemple, que l’autisme est une forme de handicap et que les personnes autistes font partie de ce groupe, ce serait utile pour la rédaction et la révision de futurs textes législatifs. À cet égard, le projet de loi pourrait être très important et très percutant.

Il faudrait apporter quelques petits changements. Nous nous concentrons sur le choix de mots parce qu’ils représentent la façon dont nous sommes perçus dans les politiques, à savoir si nous sommes déshumanisés ou isolés. J’espère avoir réussi à répondre à votre question.

Le sénateur Patterson : Si vous avez des changements à proposer, madame King, veuillez nous les envoyer par l’entremise de la présidente du comité.

La présidente : Tout à fait, et nous allons vous envoyer toutes les coordonnées nécessaires. Une question a été posée dans le clavardage. Nous allons nous assurer que vous avez toutes les coordonnées pour nous faire parvenir vos suggestions. Je le précise une autre fois. Attendons-nous une réponse de Vivian Ly?

Mme Mugny : Oui, elle est en train de taper du texte, madame la présidente.

La présidente : Merci.

Mme Borden King : J’ajouterais que les droits des personnes muettes font partie d’une catégorie conjointe de handicap et qu’il ne faut pas les oublier non plus.

Mais je vais maintenant donner la parole à Vivian Ly.

[Voici le texte lu par Mme Mugny]

Vivian Ly : Un cadre créé conjointement par les personnes autistes atténuerait partiellement mes inquiétudes, surtout s’il y a des efforts d’accessibilité consacrés à la participation active des autistes marginalisés à plusieurs égards — les autistes PANDC par exemple.

J’ai eu des expériences négatives lors des consultations sur la stratégie nationale de l’autisme d’où les autistes PANDC étaient exclus. Nos sentiments sont indéniablement mitigés. Je suis d’accord avec Mme Borden King : les droits des autistes doivent être ancrés dans les droits des personnes handicapées. Les politiques à notre sujet devraient être claires afin qu’elles s’intègrent bien aux politiques canadiennes globales en matière de handicaps et que nous ne soyons pas isolés.

Toutefois, notre organisation se préoccupe aussi du manque d’appui global pour les handicaps multiples. Les politiques sur les handicaps multiples doivent être plus robustes. Les autistes ont divers handicaps. Nous avons besoin de mesures d’appui générales, et non pas de mesures fragmentées d’un établissement à l’autre ou de programmes réservés aux autistes. Il nous faut un revenu universel de base, des stratégies sur le logement et des mesures d’appui pour les handicaps multiples.

La présidente : Merci beaucoup.

Chers collègues, le temps file. Nous devons terminer la discussion avec ces deux témoins d’ici 17 h 5. Pour la première question, je crois qu’il est raisonnable de d’abord donner la parole à Mme King pendant que Vivian Ly prépare sa réponse.

La sénatrice Poirier : Merci à nos deux témoins d’être parmi nous aujourd’hui. Je l’apprécie vraiment.

Ma première question s’adresse à Mme Borden King d’Autistics for Autistics.

Dans un message publié en 2019, votre organisation s’est opposée à la stratégie nationale sur l’autisme, et vous avez expliqué que le moment était venu de procéder à un changement de mentalité dans la politique fédérale sur l’autisme. Selon vous, le projet de loi S-203 annoncerait-il un changement de mentalité dans la politique fédérale sur l’autisme?

De plus, la même déclaration affirmait que les autistes devraient être inclus dans une politique sur les personnes handicapées, ce dont vous avez parlé. Depuis 2019, les autistes ont-ils été plus impliqués dans une politique sur les personnes handicapées? Et croyez-vous que le projet de loi S-203 est une solution, ou même une partie de la solution, à ce problème?

S’il reste suffisamment de temps, j’aurai une question, mais sinon, je comprendrai.

Mme Borden King : D’accord. Le gouvernement fédéral n’a déployé aucun effort — sinon l’invitation à participer à cette discussion, une occasion formidable. Il y a eu peu d’initiatives pour nous impliquer dans les politiques.

L’ACSS nous a demandé de participer à des consultations parce que cette académie songe à lancer une stratégie nationale sur l’autisme, ce à quoi — comme vous l’avez dit — nous nous opposons parce que nous percevons l’initiative comme étant le produit d’un groupe de pression. Nous sommes insatisfaits de la façon dont ce groupe a servi notre communauté.

Alors oui, nos efforts de défense se poursuivent. Toutefois, mis à part l’invitation à nous adresser à vous aujourd’hui et celle de l’ACSS, le gouvernement fédéral ne fait pas appel à nous. Nous devons nous-mêmes tenter de nous faire entendre auprès du gouvernement fédéral.

La sénatrice Poirier : Merci.

La présidente : Madame Mugny, veuillez nous faire signe lorsque Vivian Ly sera prête à être entendue aux fins du compte rendu.

[Voici le texte lu par Mme Mugny]

Vivian Ly : Mme Borden King a répondu ce que j’aurais dit. Afin de ne pas prendre trop de temps, nous pouvons continuer.

La présidente : Merci beaucoup de votre patience à l’égard de nos procédures.

Le sénateur Loffreda : Merci à nos témoins d’être parmi nous. Je vais poursuivre sur l’importance de la langue, qui est cruciale comme vous l’avez souligné.

La semaine dernière, nous avons accueilli des intervenants qui s’intéressent directement à ce projet de loi. Un de ces témoins était Jonathan Lai de l’Alliance canadienne des troubles du spectre de l’autisme. Son organisation a proposé des amendements au projet de loi S-203, dont celui de remplacer le mot « sensibilisation » par « acceptation » dans le cadre d’une campagne publique nationale.

Il a fait valoir que la communauté autiste ne vise pas la sensibilisation à un trouble mais plutôt l’acceptation par les groupes qui ont davantage une optique des droits de la personne. Il a avancé que la communauté veut également que soit priorisée l’inclusion sociale et économique des Canadiens autistes et de leurs familles.

J’aimerais savoir si vous êtes d’accord avec lui et si vous avez d’autres amendements à proposer à l’heure actuelle pour améliorer le projet de loi.

Mme Borden King : Nous n’appuyons pas la plateforme ou les piliers de l’ACTSA, l’organisation que représente M. Lai. Nous sommes défavorables à tous leurs piliers et efforts.

Toutefois, nous appuyons le concept d’acceptation de l’autisme. J’espère avoir répondu à la question.

Le sénateur Loffreda : Oui, merci.

La présidente : Nous allons attendre la réponse de Vivian Ly à cette importante question.

[Voici le texte lu par Mme Mugny]

Vivian Ly : Nous avons les mêmes préoccupations par rapport à l’ACTSA.

Toutefois, le remplacement du concept de sensibilisation par celui d’acceptation a été mentionné par la communauté autiste, et il me fait plaisir de l’appuyer.

Le sénateur Loffreda : Merci.

La présidente : Merci.

Le sénateur Kutcher : Je remercie les témoins de nous rappeler les points essentiels soulevés dans vos témoignages. J’implore tous les membres du comité à écouter attentivement ce que vous dites.

Ma question s’adresse à Mme Borden King. Avant mon arrivée au Sénat, j’étais déjà au courant de votre travail et de vos formidables tentatives pour mettre de l’ordre dans l’abondance de pseudoscience et de désinformation déroutantes entourant le traitement de l’autisme. Ce projet de loi ne s’intéresse nullement à cet enjeu important. Croyez-vous que le projet de loi devrait aborder cette question et, le cas échéant, pourquoi?

Deuxièmement, vous avez écrit beaucoup de textes sur le sujet. Seriez-vous prête à nous acheminer certains de vos écrits pour qu’ils puissent nous éclairer?

Mme Borden King : Oui, je peux certainement vous parler de ce que j’écris. Je suis en train d’écrire un livre à ce sujet. Je pourrais rédiger un mémoire et l’envoyer à votre comité, peut-être par courriel.

Pour ce qui est d’une réponse immédiate à la question, je crois que, comme vous l’avez dit, le cadre ne traite pas de la pseudoscience de l’autisme ou de la désinformation en matière de santé, et il faudrait vraiment que ce soit le cas.

Cet enjeu devrait être mis à l’avant, car il s’agit d’un grave problème qui affecte la santé et la sécurité d’enfants et d’adultes vulnérables au Canada. Le problème n’a fait qu’empirer. Comme nous le savons, la désinformation en matière de santé n’a fait que s’aggraver depuis le début de la pandémie de la COVID-19; elle semble s’être installée dans les médias sociaux et la solution passera par une approche à multiples volets.

Il est important que le gouvernement, dans le cadre de ce projet de loi, s’engage à faire des recherches, à enquêter, à lutter et à travailler avec divers ministères pour résoudre ce problème. Je suggère fortement qu’une telle approche soit incluse dans le projet de loi afin de faire bouger les choses. La situation stagne, en ce moment. Il n’existe pas beaucoup de réglementations ou de mesures d’application.

Les enfants sont à risque. Les travailleurs sociaux, les familles et les tuteurs publics nous demandent ce qui peut être fait pour mettre fin à cette situation, et nous disposons de très peu de moyens de les aider présentement, car il nous faut un cadre pour s’attaquer à cet enjeu. Je vous remercie de votre question. Si vous souhaitez faire un suivi, faites-le-moi savoir.

La présidente : Merci, madame Borden King. Nous attendrons vos documents avec impatience. Je ne suis pas certaine que nous ayons le temps de lire un livre, mais un mémoire, très certainement. Nous allons maintenant attendre la réponse de Vivian Ly à la question.

[Mme Mugny fait la lecture.]

Vivian Ly : Absolument. La pseudoscience et la désinformation en matière de santé posent problème presque depuis que l’autisme est connu comme une façon d’être dans le monde. Mme Borden King a fait un excellent travail à cet égard, mais nous n’avons pas beaucoup progressé en matière d’application et de prévention dans les collèges de réglementation et au sein de Santé Canada.

J’estime qu’il faudrait faire des recherches sur les répercussions à long terme des thérapies en général sur les personnes autistes. Par exemple, il nous faut plus de recherches sur les répercussions à long terme des thérapies étant donné l’opposition répandue à l’analyse comportementale appliquée, ou ACA, parmi les personnes autistes. Des études se penchent présentement sur les résultats immédiats en matière de comportement cible — on tente souvent de normaliser la personne autiste, ce qui va à l’encontre des valeurs de célébration des différences et d’inclusion — plutôt que sur le bien-être émotionnel à long terme et de demander à la personne autiste comment la thérapie l’a affectée. Merci.

La présidente : Merci.

La sénatrice Lankin : Ma question s’adresse à Mme Borden King. Dans vos remarques liminaires, vous avez parlé de vos préoccupations concernant les services, les soutiens et les contrats attribués à un seul fournisseur sans appel d’offres. Je me demande si vous pourriez nous en dire plus à ce sujet.

Il s’agit d’un enjeu dont le sénateur Kutcher et moi-même avons discuté dans le cadre d’autres dossiers, et il semble que ce soit un sujet de préoccupation que nous devons examiner et comprendre. Pourriez-vous nous donner un peu plus de détails à ce sujet et nous dire quelles mesures ont été prises par votre organisation ou d’autres pour attirer l’attention sur ce problème procédural?

Mme Borden King : Nous avons été en contact avec le député Matthew Green, qui a contacté l’Agence de la santé publique du Canada, car, comme je l’ai dit, nous avions déposé des demandes d’accès à l’information. Bien sûr, on peut trouver beaucoup d’information sur le site Web achatsetventes.gc.ca. On peut voir que tout l’argent est versé de façon discrétionnaire, qu’il n’y a pas de processus d’appel d’offres ou d’évaluation, pas plus qu’il n’y a de transparence.

D’un point de vue extérieur au monde politique, ce que cela nous indique, c’est que les organisations reçoivent de l’argent, mais personne ne sait ce qu’elles en font ou si elles font un bon travail. Il n’existe aucune concurrence. La situation est problématique, car seules quelques grandes organisations de services dominent. Selon bien des gens, nous y compris, ces organisations de services ne sont pas suffisamment axées sur la qualité de vie des personnes autistes. Il s’agit de grandes et anciennes organisations bien établies qui sont parfois basées sur la ségrégation, ce que nous ne soutenons pas. Quand nous voyons l’argent que certaines organisations reçoivent... Je pourrais vous donner des exemples, mais le temps nous manque. Je peux certainement vous envoyer une liste. Vous pouvez aussi les voir sur le site Web achatsetventes.gc.ca — vous pouvez voir la direction prise. Ce n’est pas la voie que nous devons emprunter.

Nous avons besoin de beaucoup plus de rigueur. Il nous faut examiner les pratiques exemplaires des États-Unis et du Royaume-Uni en matière de soumissions, d’élaboration de projets, de collecte de données et d’évaluation — tel que l’a dit Vivian Ly, la British Standards Institution évalue présentement les interventions auprès de personnes autistes et leur efficacité. Il s’agit d’une évaluation qui se fait indépendamment du gouvernement, puisque ce dernier est celui qui signe les chèques et qui a la responsabilité de servir le public. Rien de semblable ne se fait ici. Nous avons abordé la chose dans les médias, et nous en avons parlé au député Green. Fait intéressant, mais d’après ce que j’ai entendu, l’ASPC n’a jamais recontacté le député Green dans ce dossier. Nous avons nous-mêmes contacté l’ASPC, mais cela ne nous a menés nulle part. C’était il y a deux ans. Depuis, nous avons contacté l’organisation à maintes reprises, mais rien n’a changé. Voilà pourquoi j’estime qu’il est important d’inclure cet enjeu dans un cadre prescrit et de ne pas permettre l’octroi discrétionnaire d’une quantité d’argent aussi importante, comme c’est présentement le cas. La situation est très préoccupante. Merci.

[Mme Mugny fait la lecture.]

Vivian Ly : J’ajouterai qu’il n’existe pas de mécanisme permettant aux personnes autistes de prendre part à la surveillance indépendante des processus de financement et d’évaluer l’efficacité de ces organisations à nous soutenir.

La présidente : Merci.

La sénatrice Petitclerc : Ma question porte un peu sur le langage, mais avec une perspective différente. Vous avez parlé du concept « rien sur nous sans nous ». Nous en entendons en effet beaucoup parler, mais est-ce que cela se concrétise réellement sur le terrain? C’est une tout autre question.

Nous ne traitons pas d’un cadre, mais plutôt d’un projet de loi visant à établir un cadre, et dans ce projet de loi, on ne parle nulle part de façon explicite de la participation des personnes vivant avec un trouble du spectre de l’autisme. Le projet de loi comprend des parties sur la consultation; une partie stipule qu’il faudra mener des consultations avec des intervenants pertinents et des représentants des communautés de défense de la recherche médicale, mais rien n’est dit de façon explicite. Pensez-vous qu’il serait pertinent de dire explicitement que le cadre doit être établi de concert avec des personnes vivant avec un trouble du spectre de l’autisme?

Mme Borden King : Les consultations doivent se faire de façon responsable et stratégique. Par exemple, parfois le gouvernement dit avoir « consulté » les personnes autistes, alors qu’en fait, il n’a fait qu’inviter trois personnes pour leur dire : « Racontez-nous votre histoire ». On nous demande souvent de raconter notre histoire, ce qui nous donne l’impression d’être un animal de cirque à qui l’on demande de narrer sa propre vie. Je suis une personne avec sa propre histoire. Je suggérerais d’élargir un peu les horizons.

Nos groupes représentent un spectre diversifié au Canada. AUC est un groupe national et a donc des sections partout au pays, tandis que notre organisation, Autistics for Autistics, n’est représentée qu’en Ontario et dans la région de l’Atlantique. L’AUC dispose d’une représentation régionale, et nos deux organisations disposent d’une représentation culturelle. Nous représentons 20 % des personnes autistes non verbales. Il est important d’avoir une telle représentation, et lorsque représentation il y a, il est important de faire les choses de la meilleure façon qui soit.

Pour ce qui est de la collecte de données, une collecte de type recensement pourrait être une avenue intéressante. Le problème, lorsque le gouvernement choisit une telle approche, c’est qu’il a tendance à confier le travail en sous-traitance à un organisme sans but lucratif qui procède à son propre recensement. Bien sûr, ces groupes ont leurs propres intérêts, puisqu’ils sont justement des groupes d’intérêts, et il faudrait donc que le gouvernement prenne en charge ce type de recensement de manière indépendante, qu’il tende la main à la communauté et qu’il s’assure de mener des consultations diversifiées. Je vous remercie de votre considération. Nous espérons que cela pourra se concrétiser.

La présidente : Je vous remercie de votre réponse, madame Borden King.

[Mme Mugny fait la lecture.]

Vivian Ly : Je m’inquiète énormément du fait que les consultations soient symboliques et excluent les personnes autistes diversifiées et marginalisées à bien des égards. Il doit y avoir une représentation équitable, non seulement pour les personnes autistes en général, mais aussi pour celles qui vivent diverses formes de discrimination et d’oppression, qui sont non verbales ou qui ont des besoins complexes.

L’observation générale no 7 du Comité des droits des personnes handicapées de l’ONU, datant de 2018, clarifie la responsabilité de l’État de consulter et d’impliquer les personnes handicapées par l’intermédiaire des organisations qui les représentent, et précise qu’il s’agit d’organisations créées par et pour les personnes handicapées, et non pas d’organisations parraines ou de fournisseurs de services.

La présidente : Merci beaucoup, Vivian Ly.

La sénatrice Dasko : J’aimerais faire un suivi sur votre recherche, madame Borden King. Vous avez parlé du caractère suspect du chiffre de 2,4 % pour le taux d’incidence. J’aimerais faire un suivi là-dessus. Pourquoi estimez-vous que ce chiffre est erroné?

Mme Borden King : Seulement 2,4 % des personnes ayant participé à l’enquête sur l’évaluation des besoins nationaux de l’ACTSA étaient autistes. Tous les autres étaient des fournisseurs de services, des entreprises parraines ou reliées à l’autisme ou des intervenants. On ne peut pas bien relever les besoins des personnes autistes lorsque 97 % des répondants à un sondage ne le sont pas.

La sénatrice Dasko : Je comprends.

[Mme Mugny fait la lecture]

Vivian Ly : Cela ne représente pas bien le concept de « rien sur nous sans nous ».

La sénatrice Dasko : C’est un excellent commentaire. J’aimerais prendre un peu de recul. Selon moi, les mesures du cadre sont l’essence du projet de loi. Madame Borden King, vous avez parlé de deux mesures que vous changeriez. Il en existe six au total. Pensez-vous qu’il soit nécessaire de changer toutes les mesures du cadre inscrites dans le projet de loi dans leur forme actuelle? S’il faut modifier tant de choses dans ce projet de loi, ne serait-ce pas préférable de faire table rase et de repartir à zéro?

Mme Borden King : La dernière partie de votre question vous revient.

Je ne voulais pas entrer trop dans les détails, mais il existe certainement des préoccupations quant à la manière de procéder — sur l’éducation et le site web, par exemple — et nous pourrions certainement vous envoyer une liste de nos propres commentaires et recommandations stratégiques pour aborder les divers éléments. Je n’ai simplement pas voulu entrer trop dans les détails par manque de temps. Nous nous en sommes tenus aux points les plus importants, mais si vous le voulez, nous pourrions vous envoyer un court mémoire à ce sujet.

La sénatrice Dasko : Oui, et sur ce qu’il manque, aussi. Je pense que vous en avez parlé.

La présidente : J’aimerais entendre Vivian Ly sur la question posée par la sénatrice Dasko. Si ce projet de loi vous préoccupe autant, devrions-nous simplement le mettre de côté?

[Mme Mugny fait la lecture.]

Vivian Ly : La recherche pourrait facilement déraper. Bien des gens ont protesté contre l’étude Spectrum 10K au Royaume-Uni en raison des ramifications eugéniques. Un projet de recherche similaire est en cours au Québec. Personnellement, je crois que le projet de loi devrait être assujetti à de nombreux examens pour veiller à ce qu’il y ait des mécanismes de prévention en place. La décision de faire table rase ou pas dépendra de l’efficacité des examens, et, comme l’a dit Mme Borden King, c’est un choix qui vous revient.

La sénatrice Bernard : J’aimerais aborder un enjeu tellement important. Ma question s’adressera à Vivian Ly. Vous avez fait allusion à quelques reprises au fait qu’on ne tient pas compte des personnes noires, autochtones et racialisées. Je voulais souligner ce point et vous demander si vous pensez que ce projet de loi pourrait être renforcé en parlant précisément de cette intersectionnalité et en y accordant une attention particulière. Merci.

[Mme Mugny fait la lecture.]

Vivian Ly : Oui, mais il faudrait aussi parler d’autres intersections. Je ne connais pas les statistiques exactes, mais les personnes autistes sont six fois plus susceptibles, si je me souviens bien, de faire partie de la communauté LGBT. De plus, selon un sondage d’AUC, 25 % des personnes autistes vivent sous le seuil de la pauvreté. Merci.

La présidente : Merci, je crois que le temps est écoulé. Je suis désolée, Vivian Ly, mais je n’arrive pas à voir l’écran d’où je suis assise. Je vous remercie, madame King et Vivian Ly, nous avoir donné de votre temps et de nous avoir fait profiter de votre sagesse, de votre expérience et de vos points de vue. Vous avez nettement enrichi nos discussions et nous avez appris beaucoup de choses.

Nos derniers témoins sont Mackenzie Salt, qui est titulaire de la bourse postdoctorale d’apprentissage en matière d’impact sur le système de santé des IRSC à l’Université McMaster, ainsi que le Dr Jean-François Lemay, qui est pédiatre spécialisé en développement et chef de la section de pédiatrie développementale à l’Hôpital pour enfants de l’Alberta.

Mackenzie Salt, titulaire de la bourse postdoctorale d’apprentissage en matière d’impact sur le système de santé des IRSC, Université McMaster, à titre personnel : Bonjour, honorables sénateurs. Je vis avec un trouble du spectre de l’autisme et je suis chercheur en autisme au sein de l’équipe de recherche sur l’autisme de l’Université McMaster. Mon temps de recherche est partagé entre l’Université McMaster et l’Alliance canadienne des troubles du spectre autistique. Je suis aussi rédacteur en chef du Canadian Journal of Autism Equity, une revue qui cherche à amplifier les voix des personnes autistes et à les porter à l’attention des chercheurs et des décideurs. Je suis honoré de pouvoir vous parler aujourd’hui de mon expérience en tant qu’adulte vivant avec un trouble du spectre de l’autisme et défenseur des personnes autistes, ainsi qu’à titre de chercheur spécialisé dans l’autisme à l’âge adulte.

On m’a diagnostiqué une forme d’autisme à l’âge de 13 ans. Ma recherche vise principalement à combler les lacunes des travaux de recherche sur les adultes autistes et à recueillir les points de vue de ces derniers afin d’orienter les recherches futures sur les enjeux qui leur importent, de guider les politiques qui les concernent et de remettre en question les pratiques de recherche et les perceptions sur l’autisme en général.

Malheureusement, l’enjeu de l’autisme a été grandement politisé au Canada. Les politiciens n’ont étonnamment pas de problème à démanteler complètement des programmes sur l’autisme et à repartir à zéro. Cela s’est en effet produit après des changements de gouvernement, non seulement au niveau fédéral, mais aussi au niveau provincial et territorial. Ce type d’approche a des conséquences majeures et peut changer des vies.

Lorsque vous achetez une maison, vous ne la démolissez pas. Vous y apportez quelques changements pour l’adapter à votre vie et vous construisez sur les fondations. Cela permet des transitions organiques qui coulent de source. Les anciens programmes peuvent être mis à jour avec de nouvelles initiatives basées sur l’évolution de la recherche et des informations disponibles. L’approche politique actuelle n’a fait que diviser davantage le milieu de l’autisme et créer un système à deux vitesses : il y a ceux qui peuvent se permettre des services privés et il y a les autres, ceux qui ne le peuvent pas. Ce n’est pas nouveau comme situation.

Avant d’être diagnostiqué autiste, j’avais du mal à accomplir l’acte physique d’écrire lorsque j’étais à l’école. Mes parents ont fait des sacrifices pour que je puisse bénéficier d’une évaluation fonctionnelle en ergothérapie et d’une technologie d’appoint qui m’a aidé à poursuivre mes études. Ils ont également dû s’absenter de leur travail pour assister aux réunions de la commission scolaire afin de plaider pour que je puisse utiliser cette technologie d’appoint en classe. C’était il y a plus de 20 ans, avant que les services de soutien à l’autisme ne soient mis en place dans ma province, l’Ontario.

Bien que mes parents ont assurément dû faire de nombreux sacrifices, je reconnais que j’ai été très chanceux d’avoir eu des parents qui pouvaient se le permettre, alors que de nombreuses familles qui s’occupent d’enfants et d’adultes autistes ne peuvent se payer aucun service de soutien, et encore moins le diagnostic nécessaire pour avoir accès à ces services. En fait, au Canada, il existe très peu de services financés par l’État pour les adultes autistes. C’est inacceptable, car les enfants autistes grandissent et deviennent des adultes autistes qui peuvent encore avoir besoin de soutien.

Je suis reconnaissant de comparaître devant ce comité sénatorial en cette deuxième semaine de témoignages, car cela me donne l’occasion d’insister sur certains points importants qui ont été soulevés. Je soutiens de tout cœur les observations de Paul Finch concernant l’article 2(3), où l’on énumère les personnes qui doivent être consultées. Finch a déclaré que les personnes autistes doivent participer directement, et pas seulement les organismes de défense qui les représentent.

L’autisme est, en soi, un phénomène extrêmement hétérogène. Il est par conséquent important de souligner que la stratégie qui découle du cadre proposé dans ce projet de loi doit le reconnaître. Je reconnais que je suis privilégié de pouvoir m’adresser à vous aujourd’hui, alors que de nombreuses personnes n’ont pas cette chance. La communauté des personnes autistes est incroyablement diversifiée, de sorte que je crois qu’aucun organisme ne peut parler au nom de tout le spectre. Lors de l’élaboration de la stratégie qui découlera du cadre établi dans ce projet de loi, nous devrons entendre ces diverses voix. Je ne peux parler que de moi-même et de mon expérience, et mon seul point de vue ne saurait représenter l’ensemble du spectre. Je ne peux pas parler au nom des femmes autistes, des autistes qui ne parlent pas, des autistes de couleur ou des autistes autochtones. Le processus actuel du Sénat a montré comment nous pouvons nous rassembler et favoriser la discussion entre ceux qui ont des points de vue différents. La stratégie qui découle du cadre établi par ce projet de loi doit reconnaître cette diversité et comprendre que des personnes différentes ont des besoins différents.

En conclusion, j’appuie de tout cœur ce projet de loi. Il établira des échéances et des obligations redditionnelles pour encadrer la prise de mesures et un changement réel. Il incitera le gouvernement fédéral à faire preuve de leadership en s’attaquant aux inégalités qui existent dans la mosaïque des services provinciaux et territoriaux en matière d’autisme. Distingués sénateurs, je vous remercie de votre temps et de votre attention. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.

La présidente : Merci beaucoup, monsieur Salt.

Dr Jean-François Lemay, pédiatre spécialisé en développement et chef de la section de pédiatrie développementale, Hôpital pour enfants de l’Alberta, à titre personnel : Merci, distingués sénateurs. Je suis honoré de vous parler aujourd’hui du cadre fédéral sur l’autisme. J’ai consacré 33 ans de ma vie de pédiatre spécialisé dans le développement à l’autisme, et demain sera la dernière journée de ma carrière que je passerai en clinique. Afin de faciliter la compréhension de mon allocution, j’utiliserai le terme « autisme » au lieu de « trouble du spectre de l’autisme ».

Chaque personne autiste est unique en son genre, ce qui complique les choses sur le plan du diagnostic. Nous savons qu’un diagnostic précoce posé, espérons-le, avant l’âge de quatre ans, combiné à une intervention précoce, est essentiel et qu’il peut améliorer les résultats à long terme. Selon les données de 2019, l’autisme touche à l’heure actuelle 2 % des enfants canadiens, et 50 % d’entre eux sont diagnostiqués après l’âge de cinq ans. Malheureusement, l’autisme est une maladie qui dure toute la vie et qui a une incidence négative sur la santé. Par rapport à la population en général, les personnes autistes ont une espérance de vie plus courte, des taux d’emploi inférieurs et plus de problèmes de santé mentale. Leurs besoins en matière de soins spéciaux ou d’éducation sont aussi plus importants que ceux de la moyenne des gens.

En m’adressant à vous aujourd’hui, je veux attirer votre attention sur le rôle essentiel que les parents et les familles ont joué pour rassembler les parties concernées autour de l’autisme. Ils ont travaillé d’arrache-pied pour défendre leurs intérêts et faire valoir ces derniers dans une perspective nationale afin que leurs enfants aient la possibilité de réaliser ce dont tous les parents canadiens rêvent pour leurs enfants : être en bonne santé, apprendre, participer à la société et avoir un bon emploi. En somme, il s’agit de leur permettre de contribuer de façon concrète à la société canadienne.

Alors pourquoi avons-nous besoin d’une stratégie canadienne ou nationale sur l’autisme? Au Royaume-Uni et en Australie, d’importants progrès ont été réalisés de l’enfance à la fin de l’âge adulte grâce à l’établissement d’une politique nationale sur les troubles du spectre de l’autisme. Le Canada ne s’est pas encore doté d’une stratégie nationale en la matière, mais je crois que nous en aurons une bientôt.

Les personnes autistes vieillissent maintenant dans toute la société canadienne, et nous n’y sommes pas encore entièrement préparés. Même avec la structure constitutionnelle canadienne en matière de santé, d’éducation et de services sociaux, il continue d’y avoir de grandes disparités à l’échelle du pays sur le plan des services et du soutien. Par conséquent, il est souvent difficile pour les familles et les personnes atteintes d’autisme de naviguer dans la complexité de notre système et de trouver les services, le soutien et les possibilités appropriés en temps opportun.

Mesdames et messieurs, j’appuie le domaine d’intervention de prédilection inclus dans le projet de loi S-203, mais nous ne devons pas oublier ce qui suit : nous devons fournir un diagnostic opportun et une intervention précoce dans la vie des personnes, afin de permettre à ceux qui seront diagnostiqués autistes et à leurs familles d’obtenir à temps l’aide qu’il leur faut.

J’ai pour vous un petit exemple particulièrement pertinent. Les pratiques d’aiguillage, l’évaluation diagnostique et les normes acceptables en matière de temps d’attente post-services pour les personnes autistes ne sont pas les mêmes partout au Canada. Dans notre centre médical — et cela s’inscrit dans notre engagement pour des soins centrés sur la famille —, nous avons réussi à mettre en œuvre des protocoles de diagnostic normalisés afin de ramener les temps d’attente de 18 mois à moins de 45 jours pour les enfants de moins de 4 ans potentiellement atteints d’autisme. À l’heure actuelle, il y a clairement des problèmes de système, mais le Canada a la chance d’avoir une abondance de ferveur, de connaissances et de savoir-faire parmi ses fournisseurs de soins de santé, ses éducateurs, ses travailleurs sociaux, ses praticiens en santé mentale, ses employeurs et ses familles. Ce dont nous avons maintenant besoin, c’est d’une structure qui permettra de rassembler ces intervenants afin de faciliter la mise en place d’un plan d’action.

Sénateurs, avec une politique nationale — et peut-être grâce à ce projet de loi —, nous aurons la possibilité d’élaborer des stratégies qui pourront s’appuyer sur les efforts coordonnés des intervenants, ce qui inclut les familles de tout le Canada. Ce projet de loi servira de tremplin pour aider à créer l’espace nécessaire à la co-conception et à l’élaboration de solutions nouvelles et novatrices tirant parti des connaissances canadiennes et internationales. Une stratégie nationale attirera l’attention sur les besoins à long terme des personnes autistes, car ces besoins sont permanents et ne cessent pas après l’enfance.

Pour mieux cibler nos efforts, un élément clé de ce projet de loi devrait inclure une stratégie nationale de collecte de données portant sur la durée de vie complète des personnes autistes. Ce que l’on mesure peut être pris en charge.

En guise de conclusion, permettez-moi de vous faire part de la liste de points importants que j’ai concoctée avec une de mes précieuses collègues de l’Alberta Children’s Hospital, Shauna Langenberger.

Premièrement, nous devons mieux éduquer les Canadiens au sujet de l’autisme. Ce serait une première étape essentielle pour favoriser une meilleure inclusion des personnes autistes dans notre société. Nous devons soutenir les personnes autistes, leurs familles et les organismes qui les représentent, et intégrer leurs voix à tous les niveaux. Grâce à la sensibilisation et à l’acceptation, nous pourrons soutenir plus efficacement les pratiques exemplaires en créant un environnement positif, accueillant et bien adapté sur le plan pratique pour les personnes atteintes d’autisme afin d’améliorer la santé mentale et physique de ces dernières, leur scolarisation, leur mode de vie, leurs perspectives d’emploi et leur espérance de vie.

Troisièmement, nous avons besoin de normes nationales pour garantir l’accès au dépistage et au diagnostic, à l’intervention précoce et aux services appropriés d’un océan à l’autre. Cela a été mon credo au cours des 33 dernières années. Cela devra s’accompagner d’un engagement à améliorer les ressources financières des individus et des familles, et à faire en sorte que la question de l’argent ne soit pas le facteur limitant en ce qui concerne l’accès à des soins et à du soutien appropriés.

Quatrièmement, grâce à une approche nationale, nous serons mieux placés pour tirer parti des recherches existantes et pour orienter les recherches futures afin d’accélérer les progrès quant à nos connaissances sur l’autisme et aux soins y afférents.

Enfin, la stratégie nationale de données permettra de suivre nos progrès, de documenter nos réussites, de mesurer les résultats, d’identifier les possibilités d’amélioration et de contribuer à l’établissement d’une norme nationale de soins avec moins de différences régionales à l’échelle du pays.

En bref, disons que ce sont des choses que je constate depuis 32 ans. Nous avons besoin d’une stratégie nationale sur les troubles du spectre de l’autisme. Je suis convaincu qu’une telle stratégie nous permettra d’apporter des changements positifs dans la vie des personnes autistes et de leurs familles. Le projet de loi S-203 fournit le cadre nécessaire pour mettre en œuvre ces changements. Il y aura peut-être quelques modifications à apporter, mais je pense que le cadre est là. C’est vous qui déciderez.

Distingués sénateurs, je vous remercie de votre soutien et de votre dévouement à cette cause importante et de l’occasion qui m’est donnée de m’adresser à vous aujourd’hui. Enfin, je suis fier de souligner que le 2 avril 2022 est la Journée mondiale de sensibilisation à l’autisme.

[Français]

Honorables sénateurs, à l’approche de la Journée mondiale de la sensibilisation à l’autisme, qui aura lieu ce 2 avril prochain, je vous remercie de votre soutien et de votre dévouement à cette importante cause, et de l’occasion qui m’est donnée de vous parler aujourd’hui.

[Traduction]

La présidente : Merci beaucoup à nos deux témoins. Ce furent d’excellents témoignages. Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs. Comme à l’habitude, je demande à chacun d’être bref dans ses questions et de toujours adresser ses questions à un témoin en particulier.

La sénatrice Bovey : Je tiens à remercier chaleureusement les intervenants. Ce fut un après-midi fascinant et très important. Comme je l’ai fait pour le premier groupe d’experts, je vais céder mon temps de parole à la sénatrice Bernard, qui travaille dans ce domaine. Je vous remercie.

La sénatrice Bernard : En plus de travailler dans ce domaine, dans l’intérêt d’une divulgation complète, je vous dirai que mon plus jeune petit-fils, qui a maintenant 10 ans, est autiste. Je suis devenue l’une de ses nombreux défenseurs. Mon emploi de travailleuse sociale a beaucoup influencé mon travail au fil des ans, mais cela s’est fait sentir avec encore plus d’acuité au cours de ces dix dernières années où j’ai été appelée à travailler avec mon petit-fils Gavin.

J’ai deux questions à poser. Tout d’abord, M. Salt a parlé d’un système à deux vitesses, ce que d’autres témoins ont corroboré. L’un des groupes qui ont été exclus d’une grande partie du travail est celui des membres des communautés racisées ou autrement marginalisées. Cela est en partie lié à la stigmatisation et à la discrimination dont sont victimes les personnes autistes.

Pensez-vous que ce projet de loi pourrait être renforcé pour tenir compte de ces réalités en ce qui concerne la stigmatisation, la discrimination et l’intersectionnalité?

Ma deuxième question s’adresse au Dr Lemay. Vous avez dit que nous sommes sur le point de célébrer la Journée mondiale de sensibilisation à l’autisme. En Nouvelle-Écosse, le mois d’avril est le mois de l’acceptation de l’autisme. Y a-t-il des choses que ce cadre pourrait faire pour nous aider à passer de la sensibilisation à l’acceptation et à l’action? Merci à vous deux.

M. Salt : Merci beaucoup de cette question, sénatrice Bernard. C’est une excellente question. Ce cadre prévoit une obligation de consultation, et il exige beaucoup de transparence et d’obligations redditionnelles. Les consultations qui sont faites doivent inclure ces diverses voix dont j’ai parlé.

Il existe des organismes de personnes autistes qui font également partie de groupes racisés — par exemple le South Asian Autism Awareness Centre —, et d’autres groupes qui peuvent être consultés de cette façon. Je pense que nous devons nous assurer que toute stratégie à cet égard est élaborée en consultation avec ces divers groupes et que les consultations sont aussi étendues que possible.

Dr Lemay : Brièvement, si l’intention est d’avoir une politique nationale, le temps est venu de dire très honnêtement que pendant de nombreuses années, tout le monde a travaillé en silos. Nous avons certes fait pas mal de bon travail, mais nous ne nous parlons pas nécessairement les uns les autres. Il est temps que nous mettions nos efforts en commun. Outre la prise de conscience, l’acceptation et tout le reste, le partage sera important.

Lorsque j’ai fait mes études de médecine, je n’avais jamais entendu le mot « autisme ». Ce n’est que lorsque j’ai terminé ma formation en pédiatrie que je l’ai enfin entendu. Ce qui sera important, c’est en quelque sorte de réaliser que nous devons amalgamer tout ce que nous avons si bien fait chacun de notre côté dans les différentes provinces et tenter de mettre tout cela ensemble.

Je ne sais pas si c’est ce que l’on appelle de l’éducation ou s’il s’agit plutôt de sensibilisation, mais je pense qu’il est temps pour tous ceux qui font de la recherche de commencer à communiquer avec leurs pairs, car même si nous essayons très fort chacun de notre côté, il y a encore tellement d’écart dans les services offerts à divers endroits au pays. Nous devons nous assurer que tout le monde au Canada reçoit le même type de services.

La présidente : Merci, docteur Lemay.

La sénatrice Poirier : J’ai une question pour M. Salt. L’une des mesures du cadre fédéral sur les troubles du spectre de l’autisme est de fournir un réseau national de recherche pour promouvoir la recherche et améliorer la collecte de données. Pourriez-vous décrire l’incidence que cette mesure aurait sur la recherche en la matière et nous dire ce que cela changerait à long terme pour les personnes autistes?

M. Salt : Merci beaucoup de votre question. Il est incroyablement important de créer un réseau national de données de recherche. À l’heure actuelle, il existe plusieurs centres au pays qui effectuent d’excellents travaux de recherche sur l’autisme; toutefois, ces centres sont situés dans des régions où il y a d’importantes communautés universitaires — des villes universitaires et des grands centres urbains.

À cause de cela, nous risquons de passer à côté des perspectives des personnes qui ne vivent pas dans ces centres, de celles qui n’ont peut-être pas le privilège de pouvoir se déplacer pour participer à ce type de recherche. Le fait d’avoir une perspective nationale et un réseau national favorisant la mise en commun des données peut aider à résoudre certains de ces problèmes, car cela permettra de joindre ces autres communautés et d’élargir la base, plutôt que de se contenter d’échantillons provenant des populations se trouvant à proximité des universités, des cliniques ou de tout autre centre de recherche.

L’un des volets du travail auquel je participe consiste à recueillir les points de vue des autistes. L’une des choses que je veux faire est de recueillir les points de vue d’un groupe aussi large que possible, mais en particulier celui des adultes autistes, pour lesquels la recherche fait cruellement défaut.

Le sénateur Patterson : Merci à vous deux pour votre témoignage. Monsieur Salt, vous avez approuvé la recommandation de M. Finch selon laquelle les autistes doivent participer directement, et vous avez dit que vous souteniez de tout cœur le projet de loi. J’espère que vous avez eu l’occasion de l’examiner. J’aimerais attirer votre attention sur l’alinéa 2(3)c). Il y est dit que lors de l’élaboration du cadre fédéral, le ministre doit consulter « [...] des intervenants concernés, notamment des représentants du monde médical, du milieu de la recherche et des groupes de défense des droits qui s’intéressent au trouble du spectre de l’autisme ».

Compte tenu de ce segment particulier, êtes-vous convaincu que le projet de loi assurera la participation des personnes autistes?

M. Salt : Merci pour votre question. Vous avez d’abord mentionné les « intervenants concernés ». Je ne crois pas que la liste fournie soit exhaustive. Selon moi, vous avez l’occasion de consulter beaucoup plus de gens que ceux-là, qui ne sont que des exemples. Je favoriserais une telle interprétation.

Cela dit, si l’on devait ajouter que des autistes peuvent aussi être consultés, je ne serais pas contre. Toutefois, le libellé dit bien « intervenants concernés », et je ne crois pas que la liste soit exhaustive telle quelle. Merci.

Le sénateur Patterson : Docteur Lemay, merci pour votre travail et bravo pour votre carrière.

Je crois vous avoir entendu dire qu’une approche nationale fondée sur des données probantes est nécessaire depuis longtemps. Donc, seriez-vous en faveur d’une adoption rapide de ce projet de loi afin de veiller à ce que l’on entame le dur labeur des consultations à grande échelle et de la collecte de données nécessaires, comme le précise l’alinéa 2(2)c), afin d’établir des normes nationales et, comme vous l’avez décrit, une approche nationale?

Dr Lemay : Pour répondre à votre question, j’appuie ce projet de loi sans réserve. Je pourrais tout à fait me satisfaire de ce que vous venez de mentionner. Je crois qu’il est temps d’avancer.

Comme je l’ai dit, je crois qu’un cadre est un bon tremplin. Nous devons seulement nous assurer de poursuivre avec le même genre de bonnes idées. J’aimerais également appuyer ce que M. Salt vient de dire à propos des intervenants concernés. J’aurais répondu exactement la même chose que lui là-dessus.

Le sénateur Loffreda : Merci.

Monsieur Salt, vous avez mentionné le manque de services financés pour les adultes autistes partout au pays, de même que quelques-uns de ces services qui seraient essentiels. Quels autres services ou quels services exactement jugez-vous prioritaires au Canada si nous pouvions rapidement les mettre en œuvre?

Docteur Lemay, vous avez dit que le diagnostic en temps opportun et l’intervention précoce posent problème, de même que le manque d’uniformité au pays. J’aime bien les pratiques essentielles que vous avez partagées avec nous, comme la stratégie sur les données nationales. J’ai toujours adhéré au principe que ce que l’on évalue s’améliore. Ma question est la suivante : qu’est-ce qui a empêché l’adoption de telles stratégies par le passé, et de quelle façon pouvons-nous améliorer la situation à partir de maintenant et nous assurer qu’elles seront adoptées rapidement, afin d’aider les autistes et leurs proches?

M. Salt : Merci beaucoup pour votre question. Elle est très importante. Les services nécessaires et la façon de les aborder dépendent beaucoup de la personne. J’estime que le soutien financier est un exemple important. Pour ce qui est de l’aide à l’emploi et au logement, elle est globalement très importante elle aussi, tout comme les services en santé mentale.

Bien que les régimes d’assurance provinciaux comportent des services en santé mentale, il y a des temps d’attente et les services spécialisés ne sont pas toujours disponibles. Ce sont là des obstacles qui empêchent l’ensemble des autistes et de leurs proches d’y avoir accès. Ce n’est pas une liste exhaustive. Vous devrez consulter bien d’autres autistes pour établir leurs besoins prioritaires.

Toutefois, je crois que le soutien financier est l’un des grands besoins prioritaires, car il y a des obstacles majeurs à l’obtention d’un diagnostic. Les listes d’attente sont longues, comme l’a dit le Dr Lemay, puis il y a le coût d’un diagnostic, qui n’est pas toujours couvert par une assurance privée. Ces frais ne sont pas nécessairement acquittés par tous les régimes publics. Le soutien financier est donc, à bien des égards, l’une des mesures les plus importantes pouvant être mises rapidement en œuvre.

Il est difficile de s’attaquer à quoi que ce soit avec empressement. Vous ne voulez pas tout mettre à la poubelle pour essayer quelque chose de neuf, ce que j’ai précisé dans ma déclaration liminaire. Vous devez vous assurer de soutenir le plus grand nombre possible de personnes par rapport à leurs besoins individuels.

Dr Lemay : Je souhaite simplement ajouter un point sur les adultes. Quand nous avons de belles histoires à raconter, nous devrions selon moi nous en réjouir. À Calgary, il y a The Ability Hub, un important centre de ressources pour les personnes de 13 à 35 ans. Il va sans dire que c’est quelque chose qui mérite d’être exploré et qui s’est avéré très utile jusqu’à présent.

Pour répondre à vos questions, je vais essayer de faire très court. J’estime que l’engagement et la visée de chaque centre au pays sont les mêmes. Tout le monde veut recevoir ces enfants dès que possible. Est-ce possible? Non. Nous avons publié un article à cet effet, que nous avons présenté, et nous avons remporté un prix national pour notre travail en réduction des temps d’attente pour les enfants, mais ce n’est pas facile. Chaque centre a des problèmes qui lui sont propres. C’est exigeant et lié à un système axé sur les hôpitaux, et provincial de surcroît. Mais je vous dirais que, si vous demandez à toutes les personnes au pays qui évaluent des enfants dans le cadre d’un dépistage précoce, elles vous répondront invariablement faire tout leur possible. Je les crois entièrement. Mais nous avons besoin de plus d’outils et de soutien. Il est peut-être temps que tout le monde s’y mette, même si nous essayons.

Nous venons de mener un sondage auprès des intervenants pour savoir comment se passe le traitement des cas qui leur sont envoyés et à quel point ils ont pris du retard en raison de la COVID. Tout le monde affirme que, oui, ils ont pris du retard et que la situation est bien pénible. Tout le monde est en mode de rattrapage en ce moment, même les services d’intervention précoce. Dans ma province, la majorité des services sont interrompus depuis de nombreux mois. Les parents doivent gérer l’anxiété des enfants. Essayez d’expliquer de quelle façon porter un masque quand les parents n’ont pas le moindre soutien. Les écoles sont fermées. Vous pouvez imaginer le rattrapage qui s’impose. J’aurais probablement besoin de la moitié de la matinée pour expliquer la logistique, mais je crois que tout le monde est bien intentionné. La volonté est là.

Le sénateur Kutcher : Merci beaucoup à nos témoins. Aujourd’hui, nous avons entendu parler du besoin urgent de services de diagnostic et de traitement ainsi que de services en santé mentale, tandis qu’on nous a parlé plus tôt de logement et d’autres formes de soutien. Le projet de loi actuel établit un cadre en six volets. Êtes-vous d’accord pour dire que ce sont les plus importants et qu’ils doivent donc figurer dans ce cadre? Sinon, sur quels volets le cadre devrait-il porter selon vous? Quels devraient être les volets précisés dans le projet de loi? Enfin, s’il est difficile de les établir à chaud, seriez-vous prêt à nous faire parvenir une liste de ceux-ci? Merci.

Dr Lemay : Il est très utile de lire ce que font les autres pays, comme le Royaume-Uni et l’Australie. Aussi, le cadre pourrait probablement être plus précis quant à l’amélioration de l’accès à l’éducation pour les enfants et les jeunes autistes et à l’aide nécessaire à une transition positive vers la vie adulte. Ma femme est endocrinologue pédiatrique. Quand elle aiguille des patients atteints de diabète vers les soins aux adultes, la transition est fort difficile.

Je dirais que la même chose s’applique à l’autisme. J’aimerais que ce soit inclus de façon plus explicite. Je crois que nous devons utiliser un libellé qui précise que nous ciblons les inégalités en santé pour les autistes. Vous couvrez essentiellement ce que l’on peut lire dans la politique nationale sur la santé d’Australie, voire du Royaume-Uni. Il y aurait peut-être une ou deux choses à ajouter, mais je vais laisser M. Salt les préciser. Je crois que le cadre est là. Les fondations sont solides. Seulement de légères modifications au libellé pourraient être apportées.

M. Salt : J’appuie les propos du Dr Lemay et j’ajouterais que, une fois de plus, je ne crois pas que la formulation soit limitative. Rien ne dit que le gouvernement ne peut pas prendre d’autres mesures après les consultations exigées par ce projet de loi.

Il est difficile de jauger ce qui est fait, mais nous voulons nous assurer d’être cohérents, et ce projet de loi fournit une série de normes, qui sont conformes, comme l’a dit le Dr Lemay, à celles de l’Australie et à d’autres stratégies nationales en matière d’autisme. Je ne crois pas que cette liste soit exhaustive. Selon moi, les consultations publiques, exigées par le projet de loi, peuvent faire ressortir autre chose. Dans le cadre de ces consultations, il serait dans l’intérêt supérieur du gouvernement d’étudier toutes les mesures plutôt que de se limiter aux six fournies ici. Une fois de plus, je ne crois pas que la liste soit exhaustive.

Dr Lemay : J’ajouterais qu’établir les bons soutiens, au bon endroit et au bon moment est essentiellement ce qui pourrait être ajouté. Je suis tout à fait d’accord avec les propos de M. Salt.

La sénatrice Moodie : Merci à vous deux, monsieur Salt et docteur Lemay. Je souhaite approfondir un peu plus la question du sénateur Kutcher. L’idée voulant que ce cadre soit un début prometteur est quelque chose que vous avez tous les deux mentionné aujourd’hui et envers laquelle vous vous êtes engagés, mais vous avez aussi parlé de certains éléments clés des défis inhérents — le manque d’accès des enfants autistes quand un problème semble se profiler à l’horizon et qu’un diagnostic est nécessaire.

Puisque vous avez parlé de l’accès au dépistage et au diagnostic en temps opportun, croyez-vous qu’il manque un élément au cadre? Docteur Lemay, vous travaillez dans ce milieu, comme je l’ai fait à titre de pédiatre, et je crois que vous êtes probablement au fait des limites, mais j’aimerais aussi entendre là-dessus M. Salt, qui a parlé de son expérience personnelle.

Dr Lemay : Si vous me posez la question, sénatrice Moodie, si je veux que ce soit en caractères gras et en détail dans le cadre, eh bien oui. Mais je sais que ce sera éventuellement ajouté. Ce sera ajouté, j’en suis certain.

J’ai discuté avec ma femme du nombre d’enfants que j’ai vu depuis 33 ans, ce qui représente des milliers d’enfants autistes. Je suis fier que nous allions de l’avant. Mon message, aujourd’hui, c’est que nous avons travaillé d’arrache-pied. Nous approchons d’une politique nationale. Je souhaite la voir de mon vivant. Je souhaite la voir au cours des deux ou trois prochaines années. Je ne veux pas que ce cadre soit abandonné. C’est mon opinion personnelle. Les fondations sont bonnes. Nous devons simplement continuer à progresser. Je vais laisser M. Salt en discuter, mais j’en parle du point de vue d’un pédiatre. Je suis très fier de voir que nous en discutons aujourd’hui, et j’aimerais remercier les sénateurs qui s’y sont engagés et qui y ont consacré beaucoup de temps.

M. Salt : Merci, docteur Lemay, et merci, sénatrice. Je n’ai pas grand-chose à ajouter. Je crois que tout a essentiellement été dit par le Dr Lemay. Sachant que je suis chercheur et non clinicien, mon travail auprès des adultes autistes et mes recherches montrent qu’il y a des adultes autistes, surtout ceux qui ont été diagnostiqués tard ou qui s’autodéclarent autistes, qui ne peuvent obtenir de diagnostic faute de fonds. Le soutien financier est l’une des mesures prévues dans le projet de loi. Il y a d’autres difficultés logistiques, comme l’a déjà dit le Dr Lemay. L’alinéa 2(2)a) aborde au moins un de ces obstacles.

La sénatrice Lankin : Ma question s’adresse à M. Salt et au Dr Lemay et s’appuie sur celles soulevées par le sénateur Kutcher et la sénatrice Moodie. D’abord, un avertissement : je ne suis pas médecin, donc peut-être pourrez-vous me répondre en conséquence.

Je veux poursuivre sur la question de l’accès en temps opportun au dépistage et aux options qui mènent à un possible diagnostic. Il me semble que, quand je consulte le projet de loi, le soutien financier aux familles, y compris la forme qu’il prendra et toute une gamme d’autres choses, ne remédie pas vraiment au besoin d’un examen des lacunes importantes dans l’accès aux services — pas strictement du point de vue géographique ou régional, mais bien de l’ampleur des services —, ce qui est lié à la possibilité pour les familles d’obtenir un dépistage et un potentiel diagnostic pour leurs enfants.

Pourriez-vous nous en parler et nous donner quelques détails sur ces lacunes? On sent dans vos commentaires toute la confiance que vous affichez par rapport à la nature non limitative du projet de loi et au fait que ce qui manque sera ajouté. Vaut-il la peine que le comité s’efforce d’inclure des références à l’accès à ces dépistages et diagnostics dont ont besoin les familles et les personnes ayant un trouble du spectre de l’autisme?

Dr Lemay : Comme je l’ai dit à la fin de ma déclaration liminaire, nous avons besoin de normes pour veiller à un dépistage poussé, à un diagnostic, à une intervention précoce et à la prestation correcte des services adéquats d’un bout à l’autre du pays.

Je ne vais prendre que 20 secondes. Récemment, nous avons apporté un changement : quand on nous envoie quelqu’un, quand nous téléphonons aux parents pour leur donner rendez-vous, nous les avisons qu’ils devront assister à une séance de formation de deux ou trois heures sur l’autisme et, après, nous dire s’ils ont l’impression que leur fils ou leur fille présente les caractéristiques discutées et s’ils veulent continuer le processus de dépistage et d’évaluation, car il y a d’abord le dépistage, puis le diagnostic, et cetera. Nous avons constaté que 97 % des parents sont prêts à poursuivre le processus après avoir suivi cette formation. Nous épaulons les 3 % restants. Au bout du compte, presque tous les parents franchissent tout le processus, mais il faut plus de temps, ce que nous devons accepter.

Oui, j’aimerais que cela figure dans le projet. Je sais que nous sommes sur la bonne voie. Je suis optimiste de nature. Je suis une personne fort positive. Je lutte et je travaille dur pour m’assurer que ces personnes ont accès à du dépistage et à un diagnostic. Oui, il y a beaucoup d’obstacles, mais avec un cadre comme celui proposé, je suis persuadé que, au fil de vos conversations, cet ajout sera fait. On devra vous dire ce qui a été fait correctement et ce qui pose encore problème. Oui, nous éprouvons des difficultés. Ce que nous faisons au Canada n’est pas parfait, mais nous devrions être fiers de ce que nous accomplissons au quotidien avec cette population. Ce n’est pas idéal, j’insiste là-dessus, mais, comme je l’ai dit, nous bénéficions de la passion débordante de beaucoup de gens.

Pour répondre à votre question : oui. Peut-être que si c’est davantage formulé... J’essaie d’être diplomate ici. Je vous laisse choisir le libellé à employer. Mais je crois que vous pouvez lire entre les lignes.

M. Salt : Le Dr Lemay a essentiellement fait le tour de la question.

Je tiens à exprimer ma préoccupation à ce sujet. Il y a une vieille blague qui va comme suit : « Comment fait-on pour manger un éléphant? » Réponse : « Une bouchée à la fois. » Selon un rapport sénatorial original, il faut faire quelque chose. Je veux donc m’assurer que ce sera le cas, comme le Dr Lemay l’a dit, « de son vivant ». Je veux m’assurer que les choses bougent rapidement, car plus nous tardons, plus les gens accusent du retard et plus ils sont désavantagés.

La présidente : Merci beaucoup.

N’est-ce pas merveilleux! Il reste un peu de temps pour que je puisse poser une question. Je veux attirer votre attention sur le préambule, qui énonce les objectifs et l’intention du projet de loi, plutôt que sur ses articles, notamment les articles de fond.

Avant vous, nous avons entendu deux intervenantes du milieu de l’autisme. Elles étaient très préoccupées par le libellé du préambule, qui décrit l’autisme comme un trouble neurodéveloppemental permanent. On y parle de difficultés et de déficits. Elles estiment que ce libellé adopte une approche fondée sur les lacunes au lieu d’une approche fondée sur les forces. Elles le considèrent comme déshumanisant et favorisant la ségrégation. Monsieur Salt, docteur Lemay, je me demande si vous avez tous les deux une réponse à cette réaction plutôt viscérale?

M. Salt : Je joue divers rôles par rapport à cette question et dans cette conversation, comme je l’ai déjà dit. Je comprends certainement que le terme « déficit » puisse avoir une connotation négative. L’expression « trouble neurodéveloppemental » est la distinction clinique, et si on envisage de modifier ce langage, il faut regarder au-delà de ce projet de loi.

Des changements de vocabulaire pourraient être cernés. Je comprends que les gens qui ont témoigné précédemment aient présenté des ressources à cet effet. Je dirais que je n’ai rien à ajouter à leurs propos. Bien que nous ne souhaitions pas utiliser bon nombre de ces termes à connotation négative, il faut utiliser les termes en usage pour ces rôles dans notre société. Il pourrait être nécessaire d’avoir une discussion plus vaste à l’échelle de la société plutôt que de se limiter à ce projet de loi. Cela ne veut pas dire que ce projet de loi ne peut pas en être le début, mais il fait partie d’une discussion beaucoup plus large. Je reconnais que le préambule puisse contenir des termes qui posent problème, et je suis convaincu que cela peut être corrigé.

Dr Lemay : Je suis d’accord avec M. Salt. Je sais que le DSM-5 utilise le mot « déficit ». Toutefois, au quotidien, ces 33 dernières années, je n’ai jamais utilisé le mot « déficit » lorsque je discute avec les parents. J’essaie d’utiliser des mots comme « forces », « défis », « points à améliorer » ou « points à travailler ». Je commence toujours par demander aux parents quels progrès ils ont constatés chez leur enfant dans la dernière année. Quels sont les défis? Voilà les mots que les parents comprennent. Si vous parlez de déficits, c’est stressant pour les parents, car il s’agit de leur enfant. Vous devez utiliser des mots de la vie de tous les jours qu’ils comprennent et qui n’ont pas de connotation pouvant être mal interprétée.

Je souscris aux propos de M. Salt. Je suis tout à fait d’accord.

La présidente : Messieurs, je vous remercie beaucoup de vos témoignages d’experts. Ils nous sont très utiles. Docteur Lemay, je vous félicite de vos longues années de carrière. J’ignore ce que vous avez prévu, mais j’espère que tout ce qui se profile à l’horizon sera merveilleux. Monsieur Salt, je vous remercie également.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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