LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES SOCIALES, DES SCIENCES ET DE LA TECHNOLOGIE
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 26 septembre 2024
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd’hui, à 11 h 30 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi C-64, Loi concernant l’assurance médicaments.
La sénatrice Ratna Omidvar (présidente) occupe le fauteuil.
La présidente : Je m’appelle Ratna Omidvar et je suis une sénatrice de l’Ontario.
[Traduction]
Je suis la présidente du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.
Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude du projet de loi C-64, Loi concernant l’assurance médicaments. Avant de commencer, j’aimerais demander à mes collègues de se présenter à nos témoins et au public, en commençant par la vice-présidente du comité.
La sénatrice Cordy : Jane Cordy, de la Nouvelle-Écosse. Merci et bienvenue au comité ce matin. Ravie de vous accueillir.
La sénatrice Moodie : Rosemary Moodie, de l’Ontario.
La sénatrice Burey : Sharon Burey, de l’Ontario.
La sénatrice Osler : Flordeliz Gigi Osler, du Manitoba.
[Français]
Le sénateur Cormier : René Cormier, du Nouveau-Brunswick.
[Traduction]
La sénatrice Bernard : Sénatrice Wanda Thomas Bernard, de la Nouvelle-Écosse.
[Français]
Le sénateur Brazeau : Bonjour à tous. Patrick Brazeau, du Québec.
[Traduction]
La sénatrice Seidman : Bonjour, je suis Judith Seidman, du Québec.
La sénatrice Muggli : Tracy Muggli, de la Saskatchewan, territoire visé par le Traité no 6.
La présidente : Merci, chers collègues. Nous accueillons aujourd’hui notre premier groupe de témoins, en personne. Merci d’être là en personne. Nous accueillons donc la Dre Joss Reimer, présidente de l’Association médicale canadienne et la Dre Diane Francœur, directrice générale de la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada. De l’Association des pharmaciens du Canada, nous avons Mme Danielle Paes, qui est pharmacienne en chef, et Mme Joelle Walker, vice-présidente aux affaires professionnelles et publiques.
Merci d’être avec nous aujourd’hui. Nous commencerons par la déclaration liminaire de la Dre Reimer, suivie de la Dre Francœur et de Mme Walker. Vous aurez cinq minutes chacune pour vos déclarations, puis nous passerons aux questions de mes collègues. Docteure Reimer, la parole est à vous.
Joss Reimer, présidente, Association médicale canadienne : Merci de me permettre de prendre la parole aujourd’hui et de faire connaître le point de vue des médecins sur cette initiative, l’assurance médicaments. Il est primordial que les professionnelles et les professionnels de la santé puissent participer à ces discussions afin d’assurer que les futures politiques reflètent les normes les plus élevées en matière de soins à la patientèle.
Je suis la Dre Joss Reimer, présidente de l’Association médicale canadienne, l’AMC. J’ai aussi eu le privilège d’être médecin-hygiéniste en chef de l’Office régional de la santé de Winnipeg et responsable médicale du groupe de travail du Manitoba sur la campagne de vaccination contre la COVID-19.
Je m’intéresse tout particulièrement à la santé publique, à l’équité en santé et à la réduction des préjudices, tout en maintenant une pratique clinique en soins de maternité à l’hôpital pour femmes ou Women’s Hospital de Winnipeg.
L’AMC félicite le gouvernement fédéral de présenter le projet de loi C-64, Loi concernant l’assurance médicaments, et soutient pleinement son adoption rapide. Ce projet de loi vise essentiellement à abolir les obstacles à l’un des aspects les plus fondamentaux des soins de santé : l’accès.
L’AMC s’engage à avoir un système de santé solide, financé par l’État, où l’accès aux soins essentiels est déterminé par le besoin, et non pas par le compte en banque.
[Français]
Le régime d’assurance-maladie du Canada veille à ce que les services médicaux et hospitaliers soient couverts. Cependant, de nombreux patients et patientes font toujours face à des lacunes quant à la couverture des médicaments essentiels. Si la patientèle n’a pas les moyens de payer des médicaments d’ordonnance, alors les soins que nous offrons restent incomplets. Ces lacunes rendent la patientèle vulnérable et créent une fracture dans un système de santé qui devrait être homogène.
[Traduction]
Je représente les médecins de tout le Canada qui se préoccupent sérieusement de l’accès de leur patientèle aux médicaments. Avant de rédiger une ordonnance, plus de 70 % de nos membres vérifient si leurs patients peuvent s’offrir des médicaments.
Les médicaments d’ordonnance constituent la pierre angulaire d’un système de santé de qualité, rentable et axé sur la patientèle.
Pourtant, le prix des médicaments au Canada est parmi les plus élevés au monde. Les gens reçoivent des ordonnances comme étant la clé d’une meilleure santé, mais l’armoire à pharmacie que cette clé est censée ouvrir implique un prix que beaucoup ne peuvent se permettre. Des millions de personnes ont une couverture insuffisante, voire aucune assurance médicaments. Plus de 20 % d’entre elles sont aux prises avec des difficultés financières, ce qui les incite à ne pas faire exécuter leurs ordonnances, à omettre des doses et même à couper en deux des comprimés. Il va sans dire que le non-respect de ces traitements a des conséquences bien réelles et coûteuses.
À titre d’exemple, le coût moyen d’une dialyse pour une personne dont le diabète a été mal contrôlé est de 70 000 $ par année-patient.
Madame la présidente, comme je l’ai dit, je travaille dans le domaine de la santé des femmes. J’ai récemment eu une patiente qui n’avait pas les moyens d’acheter un stérilet. Elle est revenue me voir avec une grossesse non planifiée, confrontée à des problèmes émotionnels et à d’autres soucis financiers.
Je vois aussi régulièrement des patientes opter pour une chirurgie invasive et coûteuse, comme la ligature des trompes, parce que les coûts de cette intervention sont couverts, alors que les contraceptifs, eux, ne le sont pas. Ces témoignages mettent en évidence l’impact bien réel de cet enjeu.
Un régime d’assurance médicaments disparate entraîne de trop nombreuses lacunes. Le moment est venu d’instaurer un régime national d’assurance médicaments où personne ne sera laissé pour compte.
Depuis des années, l’AMC presse les gouvernements de combler les lacunes de la couverture des médicaments d’ordonnance pour la patientèle. Ce problème n’est pas nouveau. Il existe depuis trop longtemps.
Le projet de loi C-64 répond à un besoin critique dans notre système de santé, un système qui est toujours en crise, avec un nombre croissant de patientes et de patients qui peinent à obtenir des soins de qualité dans des délais raisonnables, malgré tous les efforts déployés par les travailleuses et travailleurs de la santé.
Avec l’inclusion des contraceptifs et des médicaments pour le traitement du diabète dans la première phase de la mise en œuvre du projet de loi, l’assurance médicaments aura un effet significatif sur la vie de nombreux Canadiens et Canadiennes, les patients et patientes que nous voyons tous les jours.
Tous les ordres de gouvernement doivent collaborer pour améliorer la santé de la patientèle en mettant en place un programme à coût partagé de couverture des médicaments d’ordonnance. C’est le premier pas vers un continuum de soins de santé abordables et accessibles pour l’ensemble de la population canadienne.
Le projet de loi C-64 est un engagement à abolir les obstacles financiers qui empêchent la population canadienne d’avoir accès aux soins dont elle a besoin. Il constitue une avancée vers l’instauration d’une couverture universelle et complète, mais il reste du travail à faire.
L’AMC reste prête et déterminée à faire entendre la voix des travailleuses et des travailleurs de la santé en vue de s’assurer que cette mesure législative tienne sa promesse.
La présidente : Merci, docteure Reimer. Nous passons à la Dre Francœur.
[Français]
Dre Diane Francœur, directrice générale, Société des obstétriciens et gynécologues du Canada : Madame la présidente, mesdames et messieurs les membres du comité, bonjour. Je m’appelle Diane Francœur, je suis obstétricienne et gynécologue au CHU Sainte-Justine à Montréal. Je suis aussi directrice générale de la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada. Je suis ici aujourd’hui pour discuter du projet de loi C-64, qui offrira une couverture universelle et gratuite d’une gamme complète de méthodes contraceptives aux Canadiennes.
[Traduction]
Aujourd’hui, je tiens à souligner les raisons pour lesquelles cette mesure est importante et s’impose depuis longtemps, pourquoi ce n’est pas une question qui concerne uniquement les femmes ni un luxe, pourquoi il s’agit d’une politique économique intelligente et avantageuse pour l’ensemble de la société, pourquoi nous vous exhortons d’inclure toutes les formes de contraception dans la version définitive du projet de loi, et d’adopter le projet de loi sans retard indu.
La discussion d’aujourd’hui tombe à point, en cette Journée mondiale de la contraception. Nous avons une occasion unique de marquer cette importante journée de sensibilisation en posant des gestes concrets pour les droits des femmes en matière de santé et de reproduction. En effet, aujourd’hui, quelque part au Canada, une femme devra choisir entre payer l’épicerie, payer sa facture de chauffage, faire le plein d’essence ou payer sa contraception.
Nous savons tous que les Canadiennes et Canadiens ressentent le fardeau de la hausse du coût de la vie. Cependant, pour neuf millions de femmes en âge de procréer, il y a un coût supplémentaire : le coût de la prévention d’une grossesse non désirée.
La contraception est un besoin fondamental, même si l’on n’en parle pas toujours ouvertement. Or, pour ces neuf millions de femmes, la contraception est tout aussi essentielle à leur vie de tous les jours que n’importe quel autre besoin personnel ou corporel.
La contraception offre aux femmes l’autonomie nécessaire pour planifier leur vie et leur famille. Les femmes qui ont un accès facile aux moyens de contraception sont plus susceptibles de terminer leurs études et de participer à la vie active. Elles ont une plus grande stabilité économique et, lorsqu’elles choisissent d’avoir des enfants, elles vivent mieux leur grossesse.
Au cours de leur vie, les Canadiennes assument les coûts liés à la prévention d’une grossesse pendant 30 ans, en moyenne, mais ces coûts peuvent limiter les options de contraception qui s’offrent à elles.
Actuellement, au Canada, la couverture offerte pour les contraceptifs est très disparate et varie selon le revenu, les assurances et le lieu de résidence. Cela oblige certaines femmes à choisir la méthode la moins chère, pas nécessairement la meilleure pour leur corps ou leur santé en général. Certaines femmes n’ont tout simplement pas les moyens de s’offrir la contraception, ce qui peut entraîner une grossesse non désirée. C’est ce que je vois chaque semaine dans mon cabinet de gynécologie-obstétrique. Nous pouvons faire mieux pour les femmes canadiennes.
Encore aujourd’hui, 40 % des grossesses au Canada ne sont pas désirées. Cela n’a pas seulement des répercussions sur les femmes et leur famille, mais aussi sur l’économie. On estime à 320 millions de dollars par année le coût direct des grossesses non désirées au Canada, sans compter les coûts en aval pour la société ou les parents.
[Français]
En tant que porte-parole nationale de la santé des femmes, la SOGC se réjouit du nouveau projet de loi proposant un accès universel et gratuit aux contraceptifs, mais nous savons que la mise en œuvre de nouveaux programmes, en particulier un programme aussi important que celui-ci, peut prendre du temps. Nous savons que les grands changements dans le domaine des soins de santé peuvent être difficiles à mettre en œuvre.
Voilà pourquoi nous vous demandons instamment, honorables sénatrices et sénateurs, de veiller à ce que le projet de loi C-64 soit adopté sans heurts et sans retard injustifié. Pour mettre pleinement en œuvre les engagements contenus dans ce projet de loi, Ottawa devra négocier des accords avec les provinces et les territoires, ce qui prendra du temps. Tout retard parlementaire ne fera qu’obliger les femmes à attendre plus longtemps cette aide dont elles ont tellement besoin. Nos patientes, nos infirmières, nos filles et nos voisines nous demandent tous les jours quand ce projet de loi sera adopté, car elles attendent cette couverture avec impatience. Chaque jour où l’on prend des risques de devenir enceinte de façon non planifiée en est un de trop.
Nous vous demandons également de veiller à ce que la version finale de ce projet de loi couvre tous les types de méthodes contraceptives : la pilule, le timbre, l’anneau, les stérilets, l’injection et l’implant. Toutes les options doivent être disponibles pour que les femmes puissent choisir celle qui est la meilleure pour elle. Ainsi, neuf millions de femmes au Canada ne seront pas contraintes de prendre des décisions en matière de planification familiale en fonction de leurs revenus. Je vous remercie.
[Traduction]
La présidente : Merci beaucoup, docteure Francœur. Madame Walker, la parole est à vous.
[Français]
Joelle Walker, vice-présidente, Association des pharmaciens du Canada : Madame la présidente et mesdames et messieurs les membres du comité, merci beaucoup de nous avoir invités aujourd’hui. Je vais faire mes remarques en anglais, mais je serai heureuse de répondre à vos questions en français ou en anglais.
[Traduction]
Je ferai valoir trois points aujourd’hui. Nous sommes ici aujourd’hui pour représenter plus de 45 000 pharmaciens, qui travaillent en grande majorité dans des pharmacies communautaires dans l’ensemble des provinces et territoires et dans certaines régions parmi les plus éloignées du Canada.
Les pharmaciens connaissent les régimes d’assurance médicaments. Quiconque est allé en pharmacie avec sa carte d’assurance médicaments sait que c’est le pharmacien qui gère leur assurance médicaments. Chaque jour, les pharmaciens soumettent des millions de demandes de remboursement au nom de leurs patients, passent du temps au téléphone avec les régimes d’assurance publics et privés et aident les patients à trouver d’autres traitements, au besoin.
Nous voyons souvent des patients qui peinent à payer leurs médicaments; des changements s’imposent. Cependant, nous sommes d’avis, en raison de l’expérience des pharmaciens, que la mise en place d’un modèle universel mixte public-privé est la meilleure solution pour l’avenir. Un tel modèle limiterait les perturbations du système et serait des plus avantageux pour les Canadiens.
Cela m’amène à mon deuxième point : on ne peut surestimer le risque de perturbations importantes. Comme les membres de ce comité peuvent probablement en témoigner dans la foulée de la récente transition du Régime de soins de santé de la fonction publique, changer de régime d’assurance médicaments est susceptible d’entraîner des perturbations à la fois pour les participants au régime et les pharmaciens. Passer d’un régime privé à un régime public peut avoir un effet tout aussi perturbateur. Par conséquent, la prudence est donc de mise lorsqu’on apporte des changements afin d’éviter toute confusion et de réduire le fardeau administratif.
Au Canada, la couverture des régimes publics d’assurance médicaments est beaucoup moins complète que celle des régimes privés. Comme le comité l’a entendu, les listes de médicaments contre le diabète et les listes de contraceptifs sont assez limitées. Si la mesure législative entraîne une transition du privé au public et que certains médicaments ne sont plus couverts, cela obligera les pharmaciens et les médecins à consacrer énormément de temps pour modifier la médication des patients, remplir des formulaires pour obtenir des exemptions spéciales et informer les patients de ces changements.
Permettez-moi de donner un exemple personnel. Je prends une pilule contraceptive qui ne figure pas sur la liste des médicaments proposés. Cela m’a pris plus de trois ans pour trouver un médicament qui me convient et qui ne s’accompagne pas d’effets secondaires qui nuisent à ma vie quotidienne. Sachant que les contraceptifs seront couverts par le régime public, mon employeur maintiendra-t-il la couverture? Ma pharmacie gardera-t-elle en stock des médicaments qui ne sont pas couverts? Y aura-t-il des exemptions? Mon pharmacien devra-t-il en faire la demande pour moi? Voilà d’importantes questions qui, selon nous, doivent être comprises et exigent des réponses avant que cette mesure législative n’aille plus loin.
Enfin, l’assurance médicaments ne devrait pas être uniquement une question de coût des médicaments, mais devrait être axée sur les soins dont les gens ont besoin pour prendre ces médicaments. Ce fait est reconnu dans toutes les lois provinciales sur l’assurance médicaments, qui comprennent les services pharmaceutiques.
Voilà pourquoi nous proposons que ce comité modifie la définition de « régime d’assurance médicaments » afin d’inclure les services pharmaceutiques et d’harmoniser le projet de loi C-64 aux programmes provinciaux d’assurance médicaments.
Dans un sondage mené récemment par Abacus Data, 83 % des Canadiens sont d’avis que le coût des services pharmaceutiques devrait être inclus dans le régime national d’assurance médicaments. En effet, les Canadiens comprennent les soins qu’ils reçoivent des pharmaciens et en sont reconnaissants.
Nous sommes aussi d’avis que les pharmaciens doivent être inclus dans le comité d’experts, ce qui, encore une fois, s’harmoniserait avec diverses réglementations provinces. Les pharmaciens apportent une perspective unique et pratique qui est fondée sur les interactions quotidiennes avec les patients. Leur point de vue est essentiel pour veiller à ce que cette politique fonctionne dans le monde réel.
En conclusion, nous exhortons le comité à examiner des modifications qui viendraient clarifier le rôle de l’assurance privée dans l’assurance médicaments et à veiller à inclure les services pharmaceutiques dans tout régime national d’assurance médicaments.
C’est avec plaisir que je répondrai à vos questions.
La présidente : Merci, madame Walker. Nous passons maintenant aux questions. Chers collègues, nous commencerons par la sénatrice Cordy.
La sénatrice Cordy : Merci beaucoup à toutes. Vous êtes toutes en première ligne, soit comme médecin qui prescrit un médicament ou comme pharmacienne qui remplit une ordonnance. Donc, merci beaucoup à vous toutes d’être ici.
Docteure Reimer et docteure Francœur, vous avez toutes les deux parlé des défis, pour les femmes, en ce qui concerne la contraception et les décisions connexes qui leur incombent. Vous avez dit que neuf millions de femmes risquent des grossesses non planifiées, ce qui me consterne, en quelque sorte. J’imagine que nous n’entendons pas parler de toutes ces femmes, mais c’est un chiffre extrêmement élevé que nous devrions toujours garder à l’esprit.
Par rapport à la contraception et à la prévention de la grossesse ou de la planification familiale — puisque ce n’est pas tout le monde qui veut éviter une grossesse —, quelle sera l’incidence de ce projet de loi sur les femmes en âge de procréer?
Dre Francœur : Comme vous le savez, je viens du Québec, où les femmes ont un accès gratuit aux dispositifs intra-utérins depuis 2006. Je n’arrive toujours pas à croire que près de 20 ans plus tard, cela n’est pas offert dans le reste du pays. Le Canada est encore un pays, et toutes les femmes de ce pays devraient avoir le même accès.
Je travaille aussi en gynécologie pédiatrique auprès des adolescentes; j’ai donc dirigé la clinique d’obstétrique adolescente. Lorsque j’ai commencé, le taux de grossesse était de 28 par 1 000 adolescentes. Maintenant, c’est 4 par 1 000. Les taux de grossesse chez les adolescentes sont moins élevés grâce aux méthodes contraceptives actives et à long terme aux effets évidemment réversibles.
C’est une question de choix, et nous savons que les femmes ont accès au médicament qui leur convient le mieux, elles continuent de le prendre, elles ont moins d’effets secondaires et elles sont heureuses. Parfois, comme ma collègue pharmacienne vient de l’indiquer, elles ne peuvent pas choisir la meilleure option parce qu’elle est trop chère. Lorsqu’on fait le calcul par jour, un dispositif intra-utérin ne coûte pas cher, mais il faut payer le montant complet d’avance et les femmes n’ont pas cet argent, ce qui est encore pire aujourd’hui. Je pense que les faits sont là; il faut simplement rendre cela accessible dans le reste du pays.
La sénatrice Cordy : Docteure Reimer, avez-vous quelque chose à ajouter?
Dre Reimer : Je suis tout à fait d’accord avec ma collègue. Le coût initial est un obstacle considérable pour bon nombre de patientes. J’ai travaillé dans une clinique au centre-ville de Winnipeg qui comptait parmi sa clientèle des gens du Nord du Manitoba qui font la navette entre Winnipeg et le Nord, et la plupart de ces gens n’ont pas les moyens de payer leurs médicaments. Des dispositifs intra-utérins étaient régulièrement disponibles à notre clinique, mais ils étaient payés à l’aide de dons, ou par les médecins. Il nous est arrivé d’avoir des conversations difficiles sur la possibilité d’utiliser un stérilet expiré, parce qu’il n’y avait pas d’autre option. C’est notre seule option. Elles n’ont pas les moyens de se payer quoi que ce soit.
Ce sont des conversations qui brisent le cœur lorsqu’un dispositif intra-utérin est l’option la moins chère à long terme, dans bien des cas, mais que la personne n’y a toujours pas accès. Par conséquent, un projet de loi comme celui-ci aura une incidence énorme pour les Canadiennes, à la fois sur leur capacité de contrôler leur planification familiale et sur leur vie quotidienne. C’est pour cette raison que nous sommes favorables à l’adoption rapide de ce projet de loi, sans modification, pour veiller à ce que les Canadiennes qui attendent cette couverture depuis beaucoup trop longtemps obtiennent la couverture dont elles ont besoin.
La sénatrice Seidman : Je vous remercie de votre témoignage et je vous remercie également d’avoir pris le temps de venir nous aider à comprendre l’importance du projet de loi. J’aimerais adresser mes questions à Mme Walker et à Mme Paes si vous me le permettez. En tant que Québécoise, je crois que nous sommes très privilégiés et que nous ne comprenons que trop bien l’importance du rôle de pharmacien dans le système de santé. Il agit comme professionnel de première ligne à plusieurs égards. Nous le voyons plus souvent que notre médecin. Très souvent, il joue un rôle important dans le diagnostic et il renouvelle des ordonnances. Depuis tout récemment au Québec, les pharmaciens peuvent même rédiger des ordonnances. À mon avis, il s’agit là d’un aspect crucial du rôle de pharmacien actuellement, à une époque où il est si difficile pour les Canadiens de voir un médecin.
Je trouve curieux que les services pharmaceutiques ne soient mentionnés nulle part dans le projet de loi. Le mot « pharmacien » ne se trouve pas dans les définitions, les mots « services pharmaceutiques » non plus. Ma réflexion vient peut-être du fait que je suis Québécoise et que pour moi, les pharmaciens ont toujours joué un rôle important dans la prestation de services. J’aimerais avoir votre avis sur la question.
J’aimerais aussi vous entendre sur un autre sujet. Vous avez brièvement parlé du fardeau administratif et bureaucratique qui pourrait incomber aux pharmaciens, qui devront s’adapter aux changements apportés par le projet de loi. J’aimerais aussi que vous nous parliez des pénuries de médicaments. Nous avons entendu des témoignages hier au sujet des restrictions liées à la liste des médicaments assurés de Santé Canada, et vous avez parlé, madame Walker, d’un médicament...
La présidente : Cela fait beaucoup de questions en peu de temps. Madame Walker, ces questions vous étaient toutes adressées.
Mme Walker : En préparation pour la réunion d’aujourd’hui, nous avons passé en revue toutes les lois provinciales liées aux régimes d’assurance médicaments. Chaque province a sa propre loi en la matière, et il est très explicite dans ces lois qu’elles s’appliquent aux services pharmacologiques. Lorsqu’on fait préparer une ordonnance, il y a le coût du médicament, les frais d’ordonnances et, souvent, d’autres services sont fournis pour veiller à ce que le médicament soit bien administré et à ce qu’il n’y ait pas de mauvaises interactions entre les différents médicaments. C’est un élément fondamental qui n’a pas été inclus dans le projet de loi. Il faudrait être cohérent avec les lois provinciales, puisque le projet de loi mènera à des discussions bilatérales avec les provinces.
Le fardeau administratif est bien réel. J’ai parlé du Régime de soins de santé de la fonction publique. Les pharmacies à Ottawa servent d’innombrables fonctionnaires. Certains services, certains types de médicaments et certains formats n’étaient pas accessibles pendant la transition, et les pharmaciens se sont retrouvés à devoir remplir des formulaires et communiquer avec les régimes d’assurance pour savoir ce qui était admissible et ce qui ne l’était pas, particulièrement pour les personnes âgées; on ne peut pas tout simplement les diriger vers un site Web. Il faut vraiment les accompagner pour qu’elles puissent suivre le traitement prescrit. Ce sont pour nous des éléments clés, et toute transition doit être soigneusement préparée.
Finalement, pour ce qui est des pénuries de médicaments, il s’agit d’un enjeu bien réel. Les pharmaciens passent environ 20 % de leur temps à gérer des pénuries de médicaments, du temps qu’ils ne peuvent pas passer à faire autre chose, comme fournir des services directs aux patients. L’achat de médicaments en grande quantité permet peut-être de faire des économies à proprement parler, mais cela a également de nombreuses conséquences. Les Canadiens sont plus vulnérables lorsque nous n’avons qu’un seul médicament disponible pour un usage donné. Si ce médicament n’est pas disponible pour quelque raison que ce soit, par exemple si une usine dans un pays étranger connaît des défaillances, nous n’avons plus le médicament en question. Il faut vraiment nous assurer que lorsque nous nous procurons des médicaments, et ce sont les pharmaciens qui placent les commandes, nous gardons en tête le fait que le programme...
La présidente : Je vous remercie, madame Walker. Il nous faudra peut-être revenir à vous. Il y aura peut-être un deuxième tour de questions.
La sénatrice Osler : Je remercie tous les témoins qui sont avec nous aujourd’hui. J’ai deux questions : une pour l’Association médicale canadienne, ou AMC, et l’autre pour l’Association des pharmaciens du Canada, ou APC.
Vous connaissez les principes établis dans la Loi canadienne sur la santé, à laquelle renvoie le projet de loi C-64, des principes dont le ministre doit tenir compte : la gestion publique, l’intégralité, l’universalité, la transférabilité et l’accessibilité.
Notre comité a entendu des témoignages ambigus concernant le caractère public, ou non, du régime national d’assurance médicaments; la définition dans la loi indique que — exige que les régimes d’assurance-maladie soient gérés par un organisme public, sans but lucratif.
Dans une récente ébauche de politique de l’AMC sur les régimes de soins de santé publics et privés, l’organisme demande simplement aux gouvernements de garantir un accès universel aux médicaments sur ordonnance de première nécessité médicale, indépendamment de la capacité de payer du patient.
Pourriez-vous nous en dire plus sur cette recommandation et sur les cinq principes? Pourquoi parler uniquement d’universalité et d’accessibilité quand les preuves montrent que les coûts associés à une gestion publique du régime d’assurance médicaments ne représentent qu’une fraction des coûts de gestion des assureurs privés? Pourquoi laisser de côté la gestion publique?
Dre Reimer : Il va de soi que les principes établis dans la Loi canadienne sur la santé nous tiennent tous à cœur. Tous les Canadiens doivent pouvoir avoir confiance en leur système de soins de santé et avoir la certitude qu’ils y auront accès, peu importe où ils habitent, et que les principes d’intégralité, d’accessibilité, de transférabilité et de gestion publique seront respectés.
Concernant le projet de loi, nous reconnaissons qu’il reste encore beaucoup de travail à accomplir au chapitre des négociations bilatérales entre les provinces et le gouvernement fédéral. Il s’agit d’un système complexe qui produit des résultats complexes. Toutefois, nous reconnaissons également qu’avec l’élection qui approche, le projet de loi est essentiel pour garantir aux Canadiens l’accès au système dont ils ont besoin et qu’ils attendent depuis trop longtemps.
Bien que les détails concernant l’administration du régime ne sont pas encore arrêtés, nous encourageons le Sénat à adopter le projet de loi sans amendement pour que les Canadiens puissent avoir accès au système. C’est la principale préoccupation des Canadiens concernant le système de soins de santé, bien avant les autres principes définis dans la loi.
La sénatrice Osler : Je vous remercie. J’aurais maintenant une question pour l’APC. Vous recommandez un modèle universel mixte, donc alliant le public et le privé. Toujours dans la même veine, avez-vous songé à qui administrerait le régime national public d’assurance médicaments?
Mme Walker : Voici comment nous entrevoyons le projet de loi : on a ciblé deux catégories de médicaments, et elles sont très importantes. Personne ne le remet en question. À notre avis, il existe de nombreuses autres catégories de maladies — les maladies du cœur, les cancers, et il y a là des patients qui auraient aussi besoin d’un coup de pouce —; ce serait l’occasion d’offrir une plus vaste couverture aux personnes qui ne sont pas assurées. Il s’agirait là d’un grand premier pas qui permettrait de donner accès aux médicaments à un plus grand nombre de Canadiens au lieu d’utiliser cette première phase pour changer de régime des personnes qui ont peut-être déjà une couverture acceptable et qui n’en ont peut-être pas besoin.
C’est l’approche que nous privilégions, et nous savons qu’elle fonctionne bien dans plusieurs provinces. Le Québec a justement adopté ce modèle. On peut toujours améliorer les choses, mais nous croyons que cela constitue déjà un pas dans la bonne direction.
[Français]
Le sénateur Cormier : Je vais poser ma question à la Dre Francœur. Bienvenue à tous les témoins.
D’une part, vous avez dit que la contraception n’était pas que l’histoire des femmes. Je suis d’accord avec vous. À ce sujet, je me disais que la pilule contraceptive pour les hommes est expérimentale, mais que les condoms existent. Sont-ils accessibles? En fait, je me suis posé plusieurs questions sur le rôle que peuvent jouer les hommes et les façons dont le système médical peut aider l’ensemble des citoyens à contrer les défis relatifs à la contraception.
Vous disiez que le projet de loi doit être adopté sans amendement le plus rapidement possible, mais vous avez également dit que toutes les méthodes contraceptives devraient y être incluses. Est-ce que toutes les méthodes sont incluses dans la liste des médicaments, et sinon, que faudrait-il? Cela nécessiterait sans doute de notre part un travail d’amendement ou de modification.
Dre Francœur : C’est une très bonne question. À l’heure actuelle, dans la proposition, toutes les méthodes sont incluses : les timbres, les pilules, les stérilets, les implants et les injections.
Cela dit, dans un monde idéal, on aimerait bien que les condoms y soient aussi. On ne peut pas tout avoir.
En matière de santé des femmes, pour combattre les iniquités, il faut toujours un jour 1. Faisons-le arriver. Ensuite, on pourra toujours l’étendre. On s’aperçoit sur le terrain, et je pense que la Dre Reimer a un peu la même pratique que moi, que les femmes démunies sont toujours en train de négocier. Elles n’ont pas d’aide pour payer la contraception. Les conjoints les manipulent. Le fait de ne pas avoir accès à une contraception gratuite, c’est une autre étape qui augmente les iniquités entre les hommes et les femmes. Dans la proposition, on préfère que le projet de loi soit adopté rapidement et après, on pourra toujours l’améliorer. Pour l’instant, toutes les méthodes sont incluses, afin de donner la possibilité aux femmes d’avoir accès à la méthode qui pourra régler la plus grande partie des problèmes qu’elles subissent tous les jours et afin que les femmes n’aient pas à négocier le coût de la contraception avec le conjoint, parce que cela ne fonctionne pas. Chez les femmes démunies, c’est encore pire.
Le sénateur Cormier : Merci, docteure Francœur.
Ma deuxième question s’adresse à Mme Walker. Je n’ai pas de grandes connaissances en matière de services de pharmacie. Vous avez dit que les services devraient être inclus. Vous avez nommé quelques services. Y a-t-il une liste de services prioritaires? Puisque le gouvernement fédéral va conclure des ententes avec les provinces et territoires, y aurait-il moyen de tenir compte dans ces ententes des besoins des pharmacies, comme vous nous les avez exprimés?
Mme Walker : Dans chaque province, et c’est pareil au Nouveau-Brunswick, les pharmaciens offrent une variété de services. Certains sont vraiment très particuliers aux médicaments, même juste pour faire l’ordonnance et éduquer la personne sur les effets secondaires possibles, mais ils offrent aussi beaucoup de services de vaccination et de prescription d’ordonnance pour des conditions mineures. Ce qui nous inquiétait dans le projet de loi du gouvernement fédéral, c’est qu’il ne reflétait pas exactement comment les provinces voyaient toute la situation dans le contexte d’un système public. Chaque province offre un système public de médicaments. À notre avis, il faudrait que ce soit reflété dans le même projet de loi.
Le sénateur Cormier : Dans les ententes, cela pourrait-il être négocié?
Mme Walker : Absolument. Toutefois, ce serait bien de le voir dans le projet de loi aussi pour s’assurer que ce soit clair.
[Traduction]
La présidente : Je vous remercie, madame Walker.
La sénatrice Moodie : Je remercie les témoins d’être parmi nous aujourd’hui. Je tiens à préciser qu’en tant que médecin, je travaille avec des patients tous les jours — avec des enfants souffrant demaladies chroniques — afin de faire la transition vers de nouveaux médicaments. Je rédige une ordonnance, qui est envoyée à la pharmacie, puis le pharmacien la prépare. C’est aussi simple que cela. Je suis un peu perturbée du fait qu’on dépeint le tout comme étant compliqué et qu’on parle du temps nécessaire pour effectuer la transition vers de nouveaux médicaments avec le nouveau régime proposé. Certains ont affirmé qu’il s’agissait d’un processus compliqué nécessitant beaucoup de temps. Pourriez-vous nous dire pourquoi vous envisagez le tout comme étant long et compliqué?
Danielle Paes, pharmacienne en chef, Association des pharmaciens du Canada : Je serai heureuse de vous faire part de ma perspective en tant que pharmacienne qui était sur les premières lignes lorsque le régime OHIP+, l’assurance-maladie de l’Ontario, a été mis en œuvre. J’ai eu des conversations avec des parents et des enfants concernant la nouvelle couverture. Lorsqu’ils venaient à la pharmacie chercher leurs nouveaux médicaments, qu’ils croyaient couverts et qui ne l’étaient pas, cela donnait lieu à des conversations très difficiles. Alors pour les patients de tenter de comprendre quelle est leur couverture actuelle et en quoi elle correspond à la liste actuelle des médicaments assurés, réussir à voir un médecin ou une infirmière praticienne pour tenter de comprendre si une transition s’avère nécessaire... Quel est le calendrier établi? Est-ce que cela entraînera des retards dans la thérapie? Il est important de faire en sorte que cette transition soit aussi douce et facile que possible pour nos patients, surtout pour les enfants malades.
La sénatrice Moodie : Je comprends. Toutefois, il faut comprendre aussi que ce genre de transition se produit tous les jours. Il y aura peut-être une période d’adaptation, mais votre industrie a déjà dû gérer des périodes de mise en œuvre par le passé. Pourriez-vous m’expliquer pourquoi la transition est perçue comme un si grand obstacle?
Mme Paes : Je crois qu’une grande partie des tâches des pharmaciens ne sont pas visibles. Nous parlons au téléphone avec les représentants des régimes d’assurance. Les efforts déployés pour avoir accès à un médicament passent inaperçus. Il ne s’agit pas simplement d’une liste. Il faut s’assurer que tout concorde, de sorte que le patient reçoive ses médicaments. Et là, on ne parle que de la première visite. S’il y a des effets secondaires, si le patient ne tolère pas le médicament, si la maladie évolue et qu’il faut réévaluer les médicaments, eh bien toute cette réévaluation et les suivis se font dans le cadre d’une relation saine...
La sénatrice Moodie : ... pour le médecin aussi. C’est la même chose dans tout le système.
Mme Paes : Absolument.
La sénatrice Moodie : S’il me reste du temps, j’aimerais poser une autre question. Nous parlions des services qu’offrent les pharmaciens. Beaucoup de ces services sont remboursés par le gouvernement provincial, grâce aux négociations menées au palier provincial. Vous dites qu’il s’agit d’un autre enjeu. Quel sera votre rôle, si le projet de loi est adopté, concernant les remboursements appropriés, le calendrier et la coordination avec les provinces, que mettrez-vous en place, qu’est-ce qui devrait être mis en place pour veiller à la continuité des services, puisque c’est à ce palier que les négociations auront lieu — pas avec le gouvernement fédéral, pas selon le projet de loi que nous étudions. C’est de compétence provinciale. Ce sont les provinces qui assurent la prestation des soins de santé.
Mme Walker : Je me contenterai de faire des calculs élémentaires, car je suis nulle en mathématiques. Le projet de loi sur l’assurance médicaments aborde directement le coût des médicaments, mais ce n’est pas la seule dépense qu’un régime public assume. Les régimes publics incluent également les frais d’exécution des ordonnances dans les dépenses de base. Il est donc important que le gouvernement fédéral n’oublie pas de tenir compte, dans le financement, de certains coûts supplémentaires qu’il devra transférer aux provinces — en particulier si la loi mentionne le coût des médicaments.
La présidente : Merci. Nous devrons peut-être revenir à ce sujet.
La sénatrice Pate : Je vous remercie. Je voudrais poursuivre avec l’Association des pharmaciens du Canada. Comme vous le savez probablement, une analyse évaluée par des pairs et publiée dans le Canadian Medical Association Journal a révélé qu’un système national mixte public-privé à l’instar du modèle québécois obligerait les Canadiens à dépenser 20 % — 5 milliards de dollars — de plus par an pour les médicaments, et le nombre de personnes incapables de se payer des médicaments resterait plus élevé que dans des pays comparables dotés de systèmes à payeur unique. Je suis curieuse de savoir comment vous justifiez auprès des Canadiens, y compris vos propres patients, l’appui à un système dans lequel les employeurs et les ménages devraient dépenser 20 % de plus qu’ils ne le font actuellement pour les médicaments, sans que cette augmentation des coûts leur rapporte grand-chose. Je souligne que je crois comprendre — et c’est assez évident — que la négociation des honoraires des pharmaciens est prévue, comme l’a indiqué le sénateur Cormier, dans les négociations entre les provinces et les territoires, et qu’elle fait partie de l’accord de financement fédéral.
Mme Walker : L’un des facteurs distinctifs, en particulier au Québec, est la robustesse de la liste des médicaments assurés. C’est très important pour fournir les meilleurs soins aux patients. Comme je l’ai mentionné, ma pilule contraceptive ne figure pas sur la liste des médicaments proposés, mais elle est couverte par mon assurance privée. Je paie donc un peu de ma poche, et je pense que le gouvernement fédéral a la possibilité d’appuyer ces patients. Mais si on se concentre sur une seule petite liste de médicaments, qui est différente et nettement plus courte de celle du Québec, cela influencera les soins que les patients reçoivent au quotidien. Et les employeurs devront prendre des décisions sur la couverture qu’ils offriront à l’avenir pour les classes de médicaments. C’est un point que vous avez entendu en comité.
La sénatrice Pate : Docteure Francœur, lorsque vous avez témoigné devant un comité de la Chambre des communes, vous avez dit que la situation devenait embarrassante; vous avez travaillé avec des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques, ou OCDE, sur le libre accès aux médicaments. Je crois comprendre que vous avez de l’expérience et que vous connaissez la situation en Angleterre et en Australie, deux pays qui ont des systèmes publics universels à payeur unique bien établis, efficaces et rentables. Le projet de loi C-64 est un premier pas vers la mise en place d’un système similaire au Canada. J’aimerais savoir si vous convenez que les expériences fructueuses de l’Australie, de l’Angleterre et d’autres pays devraient encourager le Canada à aller de l’avant.
Dre Francœur : Absolument. Le modèle québécois n’est pas parfait. Il est toujours possible de l’améliorer. J’ai cependant siégé au conseil d’administration de la RAMQ pendant sept ans et je sais donc assez bien à quel point le programme est robuste et bien géré. La contraception est la première étape, mais, comme je l’ai dit, le premier jour de changement est toujours un bon départ; puis, de nombreux autres jours de changements s’ensuivent. La Colombie-Britannique — ainsi que le Manitoba, selon ce que j’ai entendu — envisage également de couvrir les médicaments pour la ménopause. Il est temps que nous nous souciions des femmes au Canada. Les Canadiennes représentent la moitié de la population. Elles méritent que nous n’oubliions pas leurs droits.
La sénatrice Pate : Merci.
La sénatrice Bernard : Je vous remercie toutes pour votre présence, pour les données que vous présentez et pour vos réponses aux questions de mes collègues. Je réfléchis... l’une d’entre vous a mentionné la grossesse chez les adolescentes, et j’ai été ramenée une quarantaine d’années en arrière. Au début de ma carrière, j’ai beaucoup travaillé dans les communautés au sujet de la grossesse chez les adolescentes. Nous étions particulièrement préoccupés par les grossesses chez les adolescentes des communautés afro-néo-écossaises et des groupes à faibles revenus. Nous avons créé des centres de santé et des cliniques communautaires. Mais dans bon nombre de ces communautés, en raison de la stigmatisation et de certaines formes de résistance, le taux de participation a été moindre que ce à quoi nous nous attendions. Je ne sais pas si l’une d’entre vous a une expérience des efforts déployés au cours des 20 dernières années environ pour réduire la stigmatisation et pour combler certaines lacunes concernant les enjeux de grossesse chez les adolescentes.
Dre Francœur : Je peux facilement répondre à cette question. Je pense qu’il s’agit avant tout d’instaurer la confiance. Les adolescentes doivent faire confiance aux intervenants, quel que soit leur milieu, car il y a aussi des adolescentes de familles à revenus élevés qui deviennent enceintes. Elles doivent donc se sentir respectées. Elles doivent sentir que nous nous soucions d’elles. Au Canada, nous avons la chance que le nombre de grossesses chez les adolescentes ait diminué, mais nous pouvons toujours faire mieux, car nous voulons qu’elles restent sur les bancs d’école. Vous savez, la plus jeune patiente que j’ai aidé à accoucher avait 11 ans. Ce sont des événements qui arrivent dans notre pays. C’est donc assez grave.
Lorsque je dirigeais la clinique, nous faisions pression sur tous ceux qui avaient un portefeuille pour qu’ils achètent de grands pots de préservatifs. Les pots étaient toujours vides. Lorsque les préservatifs étaient gratuits, les jeunes les utilisaient tout le temps pour éviter les grossesses et les infections transmises sexuellement. L’initiative fonctionnait.
Je terminerai rapidement sur ce point. Ce projet de loi a suscité un tel enthousiasme que nous allons organiser notre premier sommet public pour les femmes en novembre. Nous voulons les sensibiliser. Nous voulons leur faire connaître les méthodes. Ainsi, dans les provinces où les pharmaciens peuvent travailler étroitement avec nous, les femmes sauront déjà ce dont elles ont besoin et ce qu’elles veulent : nous allons effectivement partager autant d’informations que possible. C’est la meilleure façon de respecter les patients : il faut leur faire acquérir les connaissances nécessaires pour qu’ils puissent faire le meilleur choix pour eux.
La sénatrice Bernard : Vous dites que les chiffres ont baissé. Disposez-vous d’études permettant de déterminer si les chiffres sont en baisse de manière générale, ou s’il existe encore des communautés — des groupes dans la population — où les chiffres ne diminuent pas, contrairement à ce que nous voulons?
Dre Francœur : Tout est une question d’accès, et l’accès aux soins primaires est malheureusement très difficile dans notre pays. Donc, plus il y aura de personnes autour de la table... Bien entendu, je suis favorable à ce que les pharmaciens prescrivent la pilule comme les infirmières scolaires. Il y a de nombreuses années, au Québec, nous avons connu une première baisse en autorisant les infirmières scolaires à prescrire la pilule. Cela a changé la donne parce qu’il était facile de consulter un professionnel de la santé. C’est probablement le plus grand pas que nous ayons fait pour réduire le nombre de grossesses chez les adolescentes. Mais nous avons besoin d’infirmières, de médecins et d’intervenants dans chaque communauté. La deuxième journée de ce grand projet, je ferais en sorte que la pilule contraceptive soit en vente libre dans les pharmacies. Nul besoin d’une ordonnance si la personne...
La présidente : Merci, docteure Francœur.
La sénatrice Burey : Merci beaucoup de votre présence et de vos témoignages d’expertes. Je suis également médecin et je rédige des ordonnances. Je travaille également en Ontario. J’ai deux questions à vous poser et je me lance tout de suite. Docteure Francœur et docteure Reimer, vous avez parlé de l’importance vitale d’adopter ce projet de loi. J’aimerais que vous vous prononciez sur cette question, en particulier en ce qui concerne — vous avez parlé de la question de l’accès — les patients les plus vulnérables. C’est la question que je vous pose.
Je m’adresse ensuite à Mmes Walker et Paes, au sujet de ce projet de loi et des services pharmaceutiques. Y a-t-il quoi que ce soit dans ce projet de loi qui empêcherait de régler les détails dans les accords bilatéraux?
Dre Francœur : Je dirais qu’avec les femmes à faibles revenus, tout est difficile. Dès qu’on aborde la question d’argent, la distance entre le médecin et la patiente se creuse. Il n’y a pas d’issue. Et comme l’a dit la Dre Reimer, nous demandons depuis des années aux sociétés pharmaceutiques de nous donner des échantillons, des dispositifs intra-utérins, des implants. Mais de nos jours, elles ne nous en donnent plus. Nos étagères sont vides. Nous avions jadis beaucoup de médicaments gratuits, mais ce n’est plus le cas.
Ces femmes sont tellement vulnérables. Quel que soit leur âge... Je dirais que les adolescentes sont probablement moins vulnérables que les femmes plus âgées. Lorsque vous parlez d’argent, elles se sentent encore plus vulnérables parce qu’il est question d’un rêve qu’elles n’auront jamais. Il est certain qu’elles n’auront pas d’enfants si elles en ont déjà trop ou si elles ne veulent pas en avoir maintenant. Le sujet de l’argent ne fait donc qu’aggraver leur malaise, et la conversation est difficile et peu respectueuse.
La présidente : Madame Walker, la deuxième question s’adresse à vous.
Mme Walker : Je dirais que rien dans le projet de loi n’empêche de régler les détails. Cependant, nous sommes toujours surpris de constater qu’on oublie les professionnels qui mettent en œuvre les programmes lorsqu’il est question de l’assurance médicaments. C’est un peu comme si, dans le cas des soins optométriques, on se contentait de fournir des lunettes, mais qu’on ne parlait pas du service offert par la personne qui vous aide à déterminer si vous avez les bonnes lunettes. Pour nous, ces deux aspects sont étroitement liés. Si nous nous contentons de parler du coût des médicaments, nous passons à côté de toute une partie des soins qui vont de pair avec ces médicaments.
Le sénateur Brazeau : Je vous remercie toutes d’être présentes aujourd’hui. De nombreux témoins nous ont dit qu’il faut adopter ce projet de loi le plus rapidement possible et sans amendement. Je suppose que nous comprenons que la porte est maintenant en quelque sorte déverrouillée et entrouverte. Je suppose que les parties prenantes souhaitent que cette porte soit grande ouverte et que les négociations futures englobent un plus grand nombre de médicaments.
Ma question est la suivante : étant donné que vous n’avez proposé aucun amendement — et, encore une fois, nous comprenons que les gouvernements ne sont pas aussi ouverts aux amendements qu’on pourrait le penser parce qu’ils préfèrent la simplicité —, si vous deviez en suggérer un ou deux pour renforcer ce projet de loi et éviter toute erreur de communication à son sujet, quels seraient-ils?
Dre Reimer : Pour faire écho à la question de la sénatrice Osler et à celle de la sénatrice Pate, un système universel à payeur unique est assurément un objectif que nous aimerions atteindre. Je dirais qu’à ce stade, cet enjeu est plus qu’un amendement. Selon l’Association médicale canadienne, il s’agit là d’une première étape cruciale vers un régime universel d’assurance médicaments pour l’ensemble des Canadiens. Les deux sujets choisis touchent une très grande proportion de Canadiens. Nous soutenons cette initiative et la voyons comme un moyen d’ouvrir cette porte, comme vous l’avez dit, tout en reconnaissant que nous souhaitons vivement qu’elle nous pousse en aval vers l’universalité et vers un système administré par l’État.
Pour l’instant, nous aimons beaucoup ce que cette proposition offre aux Canadiens qui attendent depuis des décennies d’être couverts. En particulier, comme nous l’avons dit, étant donné la vulnérabilité de certaines de ces personnes et la stigmatisation dont elles font l’objet, le fait d’avoir une couverture pour les contraceptifs fera beaucoup pour contrecarrer cette stigmatisation et changer le discours public sur ce que cela signifie d’être capable de contrôler son propre planning familial.
Le sénateur Brazeau : Est-ce que quelqu’un a quelque chose à ajouter?
Mme Walker : Nous avons proposé des amendements pour élargir la définition de l’assurance médicaments, et j’espère que le comité en tiendra compte. Il y a un autre aspect du projet de loi que j’aimerais souligner, et c’est celui des achats en gros.
On pense à tort que les gouvernements achètent des médicaments, mais ce n’est pas le cas. Les pharmacies achètent des médicaments et sont ensuite remboursées par les gouvernements. L’achat en gros repose également sur un concept, à savoir que vous devez acheter un médicament particulier en gros, et c’est ce qui nous rend vulnérables aux pénuries de médicaments. Nous recommandons au comité d’envisager de supprimer cette formulation dans le projet de loi.
La présidente : Si vous le permettez, puisque vous suggérez que le projet de loi devrait être amendé pour inclure les services pharmaceutiques, je dois demander une précision à Mme Walker. À votre avis, les services pharmaceutiques sont-ils adéquatement pris en compte dans les ententes provinciales?
Mme Paes : Je crois que l’on peut toujours faire mieux.
La présidente : Ces services sont couverts dans les accords provinciaux, non?
Mme Paes : Il y a des services qui sont offerts par les régimes provinciaux, oui.
La présidente : Merci.
La sénatrice Seidman : Je vous remercie de me permettre de revenir sur la question des pénuries de médicaments. Vous avez souligné, madame Walker, que le risque de pénuries existe. La liste de médicaments que le gouvernement a proposée — nous en avons beaucoup entendu parler dans les témoignages d’hier — est bien plus courte que beaucoup de listes de régimes provinciaux et assurément que celles que proposent les fournisseurs privés. En ce qui concerne plus particulièrement les médicaments contre le diabète, j’ai ici un tableau qui montre le coût total couvert par les régimes d’assurance maladie, par médicament, par catégorie et par province. Si vous regardez les médicaments contre le diabète par province, vous trouverez le coût total de la catégorie de médicaments par province et le pourcentage qui ne figure pas sur la liste fédérale. Plus de 80 % de tous les médicaments contre le diabète couverts par chaque province ne figurent pas sur la liste de médicaments contre le diabète proposée en ce moment.
La liste actuelle semble donc couvrir une seule version de chacun des produits sélectionnés. Cela signifie que l’on dépend d’un seul fabricant, ce qui accroît les risques de problèmes relatifs à la chaîne d’approvisionnement. Je vous présente cette liste parce que je pense qu’il est inquiétant de constater que plus de 80 % des médicaments actuellement couverts par les provinces et les fournisseurs privés ne sont pas pris en charge par le régime proposé.
Mme Walker : Je pense que l’idée d’essayer de faire passer les patients diabétiques à cette liste et principalement à cette dernière — même chose pour la contraception — est problématique parce que, comme vous l’avez dit, les pharmaciens stockent ce qui est couvert et ce que les gens prennent. En prenant ces décisions — et je ne peux pas parler pour les fabricants —, ils décident si, oui ou non, ils souhaitent permettre l’entrée de tel ou tel produit au Canada. S’il ne s’agit pas d’un produit qu’ils pensent pouvoir vendre en grande quantité, ils ne l’offriront pas. Il existe de nombreux exemples de médicaments contre le cancer, par exemple, pour lesquels il y avait sept ou huit fabricants, alors qu’il n’en reste que deux ou trois aujourd’hui. Or, lorsque l’un d’entre eux disparaît de l’équation, les autres ne peuvent pas suivre et nous nous retrouvons avec des pénuries. Je pense que nous devons réfléchir aux types de listes que nous proposons et garder à l’esprit que nous avons besoin d’un grand nombre d’options pour les patients, tout en veillant à ce que les fabricants puissent faire entrer leurs produits sur le marché canadien.
La sénatrice Seidman : Je vous remercie.
La sénatrice Moodie : Je pense à la sécurité de l’accès aux médicaments dans une perspective mondiale, à la sécurité des chaînes d’approvisionnement, en somme. Je pense que nous avons entendu le témoignage de l’Agence canadienne des médicaments, ou ACM. Sauf que j’ai eu des discussions avec les gens de cet organisme au cours desquelles j’ai entendu dire que, dans le cadre de l’achat de médicaments, on s’attend à ce que l’agence crée un approvisionnement stable et protégé, et que cela fera partie de ses responsabilités.
Je pense également avoir entendu quelque part au cours de ces voyages qu’en plus de conclure des accords avec des sociétés pharmaceutiques pour fournir des médicaments, il existe des moyens par lesquels d’autres administrations ont placé la responsabilité financière sur ces sociétés. Or, aux termes des ententes en la matière, la responsabilité de la chute de la disponibilité de leurs médicaments leur sera très largement transférée, ce qui est une façon plutôt efficace de les dissuader d’interrompre l’approvisionnement.
Je me demande comment, dans un monde nouveau où cela pourrait devenir la direction que nous avons décidé de prendre en tant que pays — à l’instar d’autres pays —, nous pourrions envisager la création d’une agence de ce type qui aurait cette orientation. Qu’en pensez-vous? Cela enlèverait certainement la responsabilité des épaules de la pharmaceutique qui se sent responsable de protéger l’accès aux médicaments.
Mme Walker : Nous sommes extrêmement favorables à toute action visant à protéger l’approvisionnement en médicaments du Canada. Il y a de nombreux problèmes, et je sais que nous n’avons pas beaucoup de temps pour en parler. Je suis heureuse de pouvoir revenir là-dessus.
Chaque pénurie de médicaments au Canada a une cause différente. Certaines sont dues à une forte demande, d’autres à un problème dans une usine qui a dû fermer pendant un certain temps et cesser de fournir un médicament donné. Or, il faut aussi tenir compte du fait que le Canada représente 2 % du marché mondial, ce qui pose certains problèmes particuliers.
Si l’on pense à certains vaccins COVID que nous avons pu obtenir en quelque sorte en première ligne, on se rappelle que cela a eu un prix. Lorsque l’on réfléchit à cette question, il est important de ne pas se contenter d’actionner un seul levier, mais de se demander où nous voulons être en tant que pays en ce qui concerne l’accès. Essayons-nous d’offrir un vaste accès aux Canadiens ou un accès relativement limité? Je pense que ce que les Canadiens nous ont dit, c’est qu’ils veulent avoir un vaste accès aux médicaments qui leur conviennent, et nous voulons que cela se fasse de façon financièrement responsable. Or, il y a parfois des compromis à faire sur la façon d’envisager l’accès.
La sénatrice Osler : Puis-je lire ma question pour qu’elle soit portée au compte rendu? J’aimerais avoir une réponse écrite de la part de l’Agence canadienne des médicaments, puis je céderai le reste de mon temps de parole à la marraine du projet de loi, la sénatrice Pate.
La présidente : Bien sûr.
La sénatrice Osler : Vous avez proposé un amendement visant à élargir la définition de l’assurance médicaments pour y inclure les services pharmaceutiques. Ce changement de définition pourrait-il constituer une étape vers l’harmonisation des régimes d’assurance médicaments dans les provinces et les territoires? Si la définition n’est pas modifiée, quelles pourraient en être les conséquences? Pourrais-je avoir une réponse écrite, s’il vous plaît?
La sénatrice Pate : Merci beaucoup, madame Osler. Ma question fait suite à celle de la sénatrice Moodie. En Nouvelle-Zélande, où les achats en gros posent problème, le gouvernement a réussi à négocier des contrats aux termes desquels les fabricants sont responsables de la sécurité de l’approvisionnement, notamment parce qu’on exige d’eux qu’ils prennent en charge les coûts liés à la recherche d’autres fournisseurs en cas de rupture de stock. Pourquoi cette option ne serait-elle pas de mise au Canada? Si nous manquons de temps, pourriez-vous fournir une réponse écrite?
La présidente : Le temps nous manque. Chers collègues, je vous rappelle que le prochain groupe de témoins est composé d’experts en pharmacie et que vous pourrez donc leur poser à nouveau certaines de ces questions.
Je remercie nos témoins. Vous nous avez beaucoup aidés à comprendre vos points de vue sur la question. Merci.
Pour notre prochain groupe d’experts, nous accueillons les témoins suivants qui se joignent à nous en personne : de l’Association canadienne des pharmacies de quartier, Shelita Dattani, et Marie-Claude Vézina, présidente du conseil d’administration; de l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires, Benoit Morin, président, et Jean Bourcier, vice-président et directeur général. Angelique Berg, présidente et cheffe de la direction de l’Association canadienne de la gestion de l’approvisionnement pharmaceutique, se joint à nous par vidéoconférence. Je vous remercie de vous être joints à nous aujourd’hui. Nous commencerons par la déclaration liminaire de la Dre Dattani, qui sera suivie de la déclaration de M. Morin et de celle de Mme Berg. Vous disposez de cinq minutes chacun pour vos déclarations. Madame Dattani, commençons par vous.
Shelita Dattani, vice-présidente principale, Affaires pharmaceutiques et relations avec les intervenants, Association canadienne des pharmacies de quartier : Merci beaucoup. Bonjour, mesdames et messieurs les sénateurs. Je m’appelle Shelita Dattani. Je suis pharmacienne praticienne ici à Ottawa et je prends très à cœur le rôle que jouent les pharmaciens dans tout le pays. Je suis également vice-présidente principale des affaires pharmaceutiques et de l’engagement stratégique à l’Association canadienne des pharmacies de quartier.
Nous représentons les pharmacies du Canada, qu’il s’agisse de pharmacies de quartier indépendantes, comme celle que mon père a tenue ici à Ottawa pendant 31 ans, ou de n’importe quel autre type de pharmacie. Nous prenons soin des Canadiens par l’intermédiaire de plus de 12 000 pharmacies situées dans les villes, les banlieues, les collectivités rurales, les collectivités éloignées et celles des Premières Nations. Je vous remercie de m’accueillir aujourd’hui pour parler au nom de nos membres de l’ensemble du pays.
L’Association canadienne des pharmacies de quartier croit fermement que tous les Canadiens doivent avoir accès aux médicaments dont ils ont besoin, quand ils en ont besoin. Ayant travaillé derrière le comptoir dans une pharmacie, j’ai vu de mes propres yeux les difficultés que peuvent avoir mes patients sans assurance médicaments, comme cela a déjà été dit, qu’il s’agisse de ceux que ne savent pas si l’insuline de leur enfant est entièrement couverte par leur régime ou de la jeune femme qui n’a pas d’assurance pour ses moyens de contraception, comme cela a été dit lors de la dernière séance.
Comme nous aidons chaque jour nos patients à accéder à leur assurance médicaments et à s’y retrouver, nous savons ce qui fonctionne, ce qui ne fonctionne pas et où sont les lacunes. Cela signifie également que nous pouvons vous aider, vous, les décideurs, à atteindre ce que nous croyons être notre objectif commun.
La grande majorité des Canadiens ont déjà accès à une certaine forme de couverture pour leurs médicaments grâce à leurs programmes provinciaux d’assurance médicaments, de leurs régimes d’avantages sociaux ou d’autres programmes privés, et la plupart d’entre eux en sont satisfaits.
La priorité du gouvernement devrait être d’étendre l’accès aux médicaments au petit pourcentage de Canadiens qui ne bénéficient pas de ces régimes, tout en veillant à ne pas nuire à la couverture dont la majorité des Canadiens jouissent déjà actuellement.
En tant que propriétaires et exploitants de pharmacies, nous avons été témoins des perturbations qui peuvent être causées à l’accès des patients lorsque des programmes gouvernementaux sont mis en place pour remplacer une couverture existante.
Par exemple, en 2018, le programme OHIP+ en Ontario a cherché à fournir une couverture complète des médicaments aux Ontariens de moins de 25 ans, détenteurs ou non d’une couverture à cet égard, en se basant sur la liste provinciale de médicaments de l’Ontario. Cette initiative partait d’une bonne intention, à savoir veiller à ce qu’aucun jeune ne soit laissé pour compte, mais en réalité, le gouvernement a payé des millions de dollars de plus que nécessaire pour des médicaments auxquels les Ontariens avaient déjà accès. Beaucoup de ces jeunes adultes ont dû faire face à des bouleversements lorsque leur couverture a changé ou que le médicament qu’il prenait — peut-être un antidépresseur qui leur avait permis de se stabiliser — a cessé d’être couvert en vertu de la liste provinciale. Beaucoup d’entre nous, comme nous l’avons dit, passent un temps considérable à essayer d’aider ces patients à naviguer dans le système et à faire face à la frustration émotionnelle et mentale que peuvent causer des exemples comme celui-là.
Je pense à l’un des patients de ma collègue, un enfant atteint d’un cancer qui recevait une chimiothérapie couverte par le régime de ses parents. Lorsque le changement est entré en vigueur en Ontario, les médicaments de chimiothérapie que prenait l’enfant ont du jour au lendemain cessé d’être couverts en vertu de la liste appliquée par OHIP+, et le régime privé qui assurait leur couverture a lui aussi cessé de les couvrir. L’enfant a fini par être admissible à la couverture de l’OHIP par le truchement du Programme d’accès exceptionnel de l’Ontario, mais le médecin a dû remplir une demande et des documents. Cette procédure a duré huit semaines, période durant laquelle l’enfant n’a pas pu recevoir ses médicaments. Imaginez la détresse que cela a pu causer à la famille.
Dans le cadre de l’examen du projet de loi C-64 qu’effectue votre comité, il est essentiel de garder à l’esprit qu’il faut veiller à ce que des patients comme celui-là n’auront pas à changer de régime ou de médicament à cause d’une politique nationale.
En tant que pharmaciens, propriétaires d’entreprise et Canadiens, nous comprenons également notre responsabilité d’être réalistes sur le plan financier. Un programme qui remplacerait toutes les couvertures existantes pour les contraceptifs et les médicaments contre le diabète pourrait coûter, selon nos analyses, près de 900 millions de dollars par an, alors que la couverture des seuls non assurés permettrait d’atteindre le même objectif pour un tiers de cette somme. En travaillant en collaboration avec chaque province et territoire pour renforcer équitablement les régimes existants, publics et privés, et combler les lacunes en matière de couverture, l’argent des contribuables pourra être utilisé là où il sera le plus utile — et nécessaire — dans le domaine de la santé à l’heure actuelle.
Comme l’accès de nos patients aux soins sera toujours notre priorité absolue, nous ne pouvons pas négliger l’impact que ces types de programmes peuvent avoir sur les pharmacies et les services qu’elles fournissent. Les pharmacies paient leur loyer, leur personnel et leur stock, principalement par l’intermédiaire d’honoraires et de marges. Ces honoraires qui constituent notre mode de financement sont réduits lorsqu’il s’agit de programmes financés par l’État, et ils le seront aussi dans le cadre d’une assurance médicaments à payeur unique. À mesure que les fonds d’exploitation des pharmacies diminuent, notre capacité à rester ouverts pour servir les communautés que nous devons servir diminue. Une conséquence involontaire de l’assurance médicaments à payeur unique pourrait bien être un recul de l’offre de services pharmaceutiques et de l’accès aux médicaments.
Comme d’autres collègues nous l’ont dit, les Canadiens comptent plus que jamais sur les pharmacies pour se procurer des médicaments ainsi que pour accéder aux services entourant la vaccination. Nous devons donc veiller à mettre en place un régime d’assurance médicaments qui améliore l’accès aux soins de santé, et non qui le réduit. Nous demandons donc au Sénat et à tous les parlementaires de veiller à ce que ce projet de loi affirme clairement que tout programme national d’assurance médicaments doit donner la priorité aux Canadiens qui n’ont pas de couverture et à ceux dont la couverture est insuffisante. Aucun régime existant ne devrait être supplanté ou perturbé par l’instauration d’un régime national d’assurance médicaments.
Nous vous demandons de travailler en collaboration avec les gouvernements provinciaux et territoriaux pour bâtir à partir des régimes existants. Notre engagement auprès des gouvernements provinciaux nous a permis de voir que ces derniers connaissent leurs habitants et les besoins de ces derniers. La contribution des provinces et des territoires est essentielle à la réussite d’un programme national.
Enfin, nous vous exhortons à établir des partenariats avec des experts en médicaments et des exploitants de pharmacies comme nous. Faites-nous participer à la mise en œuvre des solutions qui permettront à tous les Canadiens d’avoir accès aux médicaments dont ils ont besoin au moment où ils en ont besoin.
Nous félicitons le gouvernement fédéral pour le travail qu’il a accompli jusqu’à présent, mais nous pensons que nous devons améliorer ce programme. Les Canadiens comptent sur nous. Je vous remercie de nous avoir invités à comparaître.
La présidente : Merci beaucoup. Monsieur Morin, vous avez la parole.
Benoit Morin, président, Association québécoise des pharmaciens propriétaires : Merci, madame la présidente.
[Français]
Honorables sénateurs, je vous remercie de m’avoir invité à témoigner devant vous à titre de président de l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires, ainsi que mon collègue Jean Bourcier, vice-président exécutif et directeur général. Nous représentons les 2 092 pharmaciens propriétaires des 1 891 pharmacies communautaires réparties sur le territoire québécois, peu importe la chaîne ou la bannière.
Le Québec possède une particularité importante : il faut être pharmacien pour être propriétaire d’une pharmacie. Cela fait en sorte que l’indépendance professionnelle et la déontologie ont préséance sur les décisions d’affaires et que le bien-être du patient est au cœur de nos priorités.
D’entrée de jeu, je veux souligner que notre association appuie la volonté du gouvernement du Canada d’améliorer l’accessibilité et le caractère abordable des médicaments sur ordonnance pour tous les Canadiens.
Je tiens aussi à rappeler que l’ensemble des Québécois ont accès à une couverture universelle d’assurance médicaments depuis 1997. Les frais assumés par les patients actuellement sont établis de façon équitable entre les assurés, même à 0 $ pour certains, peu importe leur condition de santé.
La mise en place d’une approche où les assurés n’auront aucuns frais à débourser pour les deux conditions ciblées n’aurait pour effet que de mettre en place une iniquité entre les patients selon leur condition médicale. Nous croyons que veiller à ce que les plateaux de franchise et de coassurance soient établis de manière objective, en tenant compte des besoins de tous les patients, est un meilleur moyen d’intervenir.
Malgré tout, cela ne réglera pas le véritable problème de prise de médicaments pour les patients qui échappent au système québécois actuel. Une faible portion de la population ne se prévaut pas de son régime d’assurance, même si ce régime est obligatoire. Le réel problème d’accès en est un de santé publique. Les enjeux de santé mentale, le manque de compréhension ou d’éducation ou les craintes liées à la prise de médicaments sont de réelles barrières à l’accès pour cette petite portion de la population. Un régime public à payeur unique ne réglera pas la situation.
La meilleure piste de solution serait donc de se pencher sur les barrières liées aux facteurs sociaux et d’intervenir avec des programmes de santé publique ciblés. Par exemple, lorsqu’il est question de contraception, une femme pourrait ne pas vouloir que ce type de médicament apparaisse dans le dossier d’assurance d’un conjoint ou d’un parent et pourrait choisir de ne pas y recourir, bien que sa situation l’exige. Dans ce cadre, un programme de gratuité ciblé peut être bénéfique. Dans le cas du diabète, on doit s’attaquer aux autres facteurs qui expliquent qu’un patient ne prend pas ses médicaments, par exemple des enjeux de santé mentale.
Il faut aussi s’assurer que le régime, tel qu’il est proposé, ne nuit pas lui-même à l’accessibilité. Les pharmacies communautaires au Québec se distinguent par leur accessibilité et leur offre de soins de première ligne. Les équipes en pharmacie offrent une multitude de services qui vont bien au-delà de la distribution et de la surveillance des médicaments. Le réseau québécois des pharmacies communautaires est accessible et bien réparti sur le territoire, ce qui permet à un bon nombre de Québécois d’avoir accès à leurs services. Or, le bon déploiement de cette offre de services est intimement lié à la santé financière des pharmacies, et donc à leur financement. Concevoir un régime national à payeur unique au Québec mettrait en péril le modèle de pharmacie au détriment des patients.
Actuellement, le financement des pharmacies québécoises repose principalement sur les honoraires professionnels liés à la distribution des médicaments et à la surveillance. La variation de ces honoraires peut influencer la capacité des pharmacies à développer des services pour les patients. Le système mixte public-privé permet aux pharmacies d’offrir leurs services de manière prévisible et stable pour le gestionnaire du régime, qui est la Régie de l’assurance maladie du Québec.
C’est précisément cette flexibilité qui permet aux pharmacies québécoises de se développer, d’être présentes dans toutes les régions et d’offrir une multitude de services aux patients. Sans cette souplesse, la santé financière du réseau des pharmacies serait mise à mal, avec des répercussions encore plus importantes en région éloignée.
Je tiens également à rappeler que le modèle québécois répond aux objectifs établis par le régime national proposé en favorisant l’accessibilité, l’abordabilité ainsi que l’utilisation optimale des produits pharmaceutiques et en prévoyant une couverture universelle pour tous ses résidants.
En conclusion, concevoir un régime national à payeur unique au Québec serait contre-productif. De plus, cela fragiliserait le modèle des pharmacies communautaires du Québec, un réseau bien ancré dans les communautés et envié par toutes les provinces canadiennes. Si l’on veut vraiment améliorer l’accès aux médicaments au Québec, il faut se pencher sur les vraies raisons qui font en sorte que le patient ne se procure pas ses médicaments.
Merci, madame la présidente.
[Traduction]
La présidente : Merci beaucoup, monsieur Morin.
Madame Berg, allez-y.
Angelique Berg, présidente et chef de la direction, Association canadienne de la gestion de l’approvisionnement pharmaceutique : Merci, madame la présidente et chers membres du comité. Je suis ravie de participer à la séance d’aujourd’hui.
Je suis Angelique Berg, présidente et chef de la direction de l’Association canadienne de la gestion de l’approvisionnement pharmaceutique, qui gère plus de 90 % des médicaments que consomme notre pays. Les distributeurs et leurs partenaires commerciaux forment une chaîne d’approvisionnement sûre, rapide et fiable, qui garantit l’accès physique aux médicaments.
Nous soutenons donc naturellement l’objectif du projet de loi C-64. Nous appuyons à la fois l’abordabilité des médicaments et leur accessibilité pour l’ensemble des Canadiens et des Canadiennes, mais nous souhaitons que l’on établisse un équilibre entre ces deux aspects, de façon à ce que l’un ne nuise pas à l’autre.
Nous demandons et encourageons la clarification du projet de loi C-64. De nombreux aspects n’ont pas encore été bien articulés et ne le seront qu’après l’obtention de la sanction royale, ce qui génère des préoccupations quant aux risques et aux conséquences possibles pour les intervenants de la chaîne d’approvisionnement.
Je ne doute pas que beaucoup d’entre vous rencontrent aujourd’hui l’Association canadienne de la gestion de l’approvisionnement pharmaceutique pour la première fois. Je vais donc vous fournir quelques renseignements de base sur la chaîne d’approvisionnement, car, comme c’est le cas pour l’acheminement de l’électricité vers nos foyers, nous pensons rarement à la façon dont nos médicaments nous parviennent, tant qu’ils nous parviennent.
La chaîne d’approvisionnement commence avec les fabricants, qui vendent les médicaments aux distributeurs, qui les vendent ensuite aux pharmacies et aux hôpitaux. Il s’agit d’un modèle guidé par les impératifs du marché, dans lequel la demande des médecins prescripteurs et des patients détermine les achats des pharmacies et des hôpitaux, qui déterminent les achats des distributeurs auprès des fabricants. La majorité des entreprises de notre chaîne d’approvisionnement sont membres de l’Association canadienne de la gestion de l’approvisionnement pharmaceutique et forment l’infrastructure essentielle qui fournit au système de soins de santé et à ses professionnels les médicaments que requièrent les patients qu’ils traitent.
Les distributeurs sont des acteurs importants de l’assurance médicaments, car ils permettent la commande et la livraison de 15 000 produits entre des centaines de fabricants et plus de 12 000 points de distribution. Cette consolidation permet au pays de réaliser des économies de plus d’un milliard de dollars par an. Leur stock de sécurité permet également de pallier à court terme les pénuries de médicaments.
Les distributeurs emploient plus de 46 000 personnes et les plus de 30 centres de distribution de notre secteur doivent se conformer à au moins trois lois fondamentales, obtenir jusqu’à sept licences différentes de Santé Canada et utiliser des technologies de pointe pour répondre à ces exigences.
Les produits pharmaceutiques sont des produits sensibles. On ne peut pas les conserver dans n’importe quel entrepôt ou les transporter dans n’importe quel camion comme un colis d’Amazon. La manipulation des médicaments est extrêmement complexe, très réglementée — à juste titre — et nécessite un stockage et un conditionnement à température contrôlée pour la sécurité des Canadiens. Ces produits ne se stockent pas et ne se déplacent pas à bon marché.
La distribution de médicaments est une entreprise coûteuse dans notre vaste pays. Notre marché ne présente pas seulement des difficultés physiques en raison de notre géographie, des variations de température et des événements climatiques, ainsi que de l’absence de routes goudronnées dans les zones rurales. Il s’agit également d’un marché contrôlé, qui dispose d’un financement limité, alors que les coûts d’exploitation et de réglementation ne sont pas contrôlés et évoluent en même temps que le marché.
La distribution est largement financée — plutôt qu’en fonction du coût du service fourni ou de la distance parcourue — par les prix des médicaments inscrits sur la liste, qui sont réglementés et échappent à notre contrôle. À titre d’exemple, en 2007, le premier accord sur le prix des médicaments génériques a réduit de 50 millions de dollars le financement du secteur de la distribution. Plus le prix est bas, moins il est possible de fournir des médicaments aux Canadiens, en particulier dans les régions rurales.
En ce qui concerne les coûts, ces cinq à dix dernières années, ils ont augmenté au moins 2,5 fois plus vite que les volumes, sous l’effet de forces du marché, tout comme le coût du carburant et de la main-d’œuvre.
L’augmentation de la réglementation entraîne également des coûts. Les règlements de Santé Canada sur le contrôle de la température coûtent à eux seuls plus de 20 millions de dollars par an au secteur.
Il en résulte des marges très faibles, et un déficit de financement de 100 millions de dollars par an. Jusqu’à présent, les distributeurs ont été en mesure d’absorber la réduction des coûts avec un effet minime pour les Canadiens. Sous sa forme actuelle, le projet de loi risque d’éroder l’infrastructure de la chaîne d’approvisionnement, qui est déjà précaire, ce qui entraînerait une réduction de l’accès physique et une aggravation des pénuries de médicaments.
Les distributeurs fonctionnent de manière tellement allégée et efficace qu’ils ont supprimé tous les domaines supplémentaires de leurs services. Si les coûts continuent de baisser, ils devront faire l’un des choix peu enviables suivants : éliminer le nombre croissant de produits déficitaires, y compris de nombreux médicaments de longue date servant à traiter des maladies chroniques, comme les médicaments hypolipémiants et les agents de protection cardiovasculaire; réduire encore les dépenses liées aux stocks de sécurité, ce qui réduirait considérablement la capacité à prévenir ou à atténuer les pénuries de médicaments; ou réduire la fréquence et la rapidité du service global dans les régions rurales et éloignées, qui sont les plus coûteuses à desservir.
Deuxièmement, comme nous l’ont dit mes collègues, une liste nationale restrictive et un accord d’achat en gros pourraient perturber l’approvisionnement en médicaments du Canada. On peut déjà le constater avec la liste nationale des médicaments contre le diabète proposée par le régime d’assurance médicaments, qui n’inclut que la moitié des médicaments actuellement sur le marché. Les Canadiens concernés seraient contraints de remplacer leur traitement actuel par un médicament figurant sur la liste, ce qui aurait un effet domino sur la chaîne d’approvisionnement. À mesure que les stocks tampons des distributeurs s’épuisent et que les fabricants des médicaments qui ne figureront pas sur la liste quitteront le marché, l’approvisionnement en médicaments deviendra de plus en plus vulnérable aux pénuries.
Il en va de même pour la manière dont on effectuera les achats en gros, en particulier si l’on établit des listes de médicaments restrictives au Canada et que l’on dépend d’un nombre réduit de fournisseurs.
La présidente : Nous devons nous arrêter là. Je suis certaine qu’on vous posera beaucoup de questions. Chers collègues, nous allons passer aux questions, à raison de quatre minutes chacun.
La sénatrice Seidman : Merci beaucoup d’être avec nous aujourd’hui, de nous apporter votre témoignage et de nous aider à comprendre ce qui est manifestement une loi importante.
Vous avez tous exprimé certaines réserves par rapport aux conséquences imprévues que pourrait avoir cette loi. Je m’intéresse particulièrement aux régions rurales et éloignées, car les pharmacies de quartier, les petites pharmacies par opposition aux grandes chaînes de pharmacies, et vous avez tous deux parlé de ces petites pharmacies communautaires... Quels sont les risques particuliers, et comment pourrions-nous les atténuer, étant donné que nous étudions ici un texte de loi et qu’il y a beaucoup de pression pour le faire adopter, surtout sans amendements? J’aimerais entendre ce que vous avez à dire.
Mme Dattani : Merci beaucoup pour cette question.
Je tiens à souligner à nouveau que, comme je l’ai indiqué dans mes observations, nous représentons toutes les pharmacies, quel que soit leur modèle de prestation de services. Je pense souvent à la petite pharmacie que tenait mon père dans une communauté rurale, et à mes collègues de Nouvelle-Écosse ou du Nord de l’Ontario, dont la pharmacie peut être le principal point d’accès et fonctionner presque comme un service d’urgence.
Comme je l’ai déjà dit, le fait d’établir un lien entre la manière dont les pharmacies sont généralement financées dans ce pays, grâce aux honoraires des pharmaciens et aux marges bénéficiaires, et la manière dont les régimes publics pourraient influer sur ce financement si nous adoptions un modèle à payeur unique, complique les choses, en particulier pour les petites pharmacies des communautés rurales, qui doivent rester ouvertes. Si vous avez besoin de quelqu’un — votre enfant est malade et vous devez vous y rendre un vendredi soir ou un dimanche matin — et que cette pharmacie n’a pas les moyens de rester ouverte, qu’elle ne peut pas payer ses factures d’électricité et ses salaires, les conséquences sont réelles. Nous devons établir ce lien entre les politiques de santé et les pharmacies rurales.
La sénatrice Seidman : Merci.
[Français]
M. Morin : Merci. Au Québec, il y a de petites pharmacies de village que l’on représente. On représente l’ensemble des pharmacies. Je suis un pharmacien-propriétaire de la région de Montréal. J’ai plusieurs confrères en région et ils ont souvent le principal accès en première ligne.
Au Québec, on vient de tenir il y a deux jours une commission parlementaire sur le projet de loi 67, où l’on prévoit d’élargir le rôle des pharmacies en première ligne. Ce rôle sera majeur, c’est-à-dire que le pharmacien pourra prescrire des médicaments pour plusieurs conditions courantes. Les pharmacies de village deviendront extrêmement importantes pour leur communauté — elles deviendront probablement un des seuls accès à des soins médicaux. La santé financière de ces pharmacies est importante. Il faut investir dans les pharmacies, et non pas le contraire, si on veut qu’elles jouent un rôle de plus en plus grand, parce que ce sont des ressources. On fait affaire à une pénurie de main-d’œuvre en pharmacie aussi, donc les ressources sont plus coûteuses.
L’effet pernicieux du projet de loi serait de venir déstabiliser la santé financière des pharmacies. C’est l’un des enjeux qu’on a soulevés; il faut de la stabilité et il faut être en mesure de prévoir les revenus pour être capable d’investir, de s’organiser et de recréer une façon de travailler. On ne va pas seulement nous demander de distribuer les médicaments et de les surveiller, mais aussi d’être des intervenants de première ligne.
[Traduction]
La sénatrice Seidman : Madame Berg, je vais revenir sur la question de la pénurie de médicaments. Vous avez parlé de la chaîne d’approvisionnement. J’aimerais faire suite à une longue série de questions qu’ont posées certains de mes collègues plus tôt dans la journée et vous demander ce qui suit : Supposons que nous adoptions ce projet de loi. Quels garde-fous ou mesures de protection devrions-nous mettre en place dans le cadre des négociations provinciales-fédérales pour optimiser les résultats et ne pas créer de problèmes au niveau de la chaîne d’approvisionnement?
La présidente : Essayez de retenir votre réponse à cette question. J’espère que nous pourrons y revenir au cours du deuxième tour.
La sénatrice Osler : Merci aux témoins d’être présents aujourd’hui. Ma question s’adresse d’abord à l’Association canadienne des pharmacies de quartier, et je me tournerai peut-être ensuite vers l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires et l’Association canadienne de la gestion de l’approvisionnement pharmaceutique, s’il reste du temps.
Pour ce qui est de l’Association canadienne des pharmacies de quartier, si vous étiez dans la salle, vous avez entendu les questions que j’ai posées au dernier groupe. Elles portaient sur la gestion du programme. Je vois dans votre mémoire que vous avez suggéré au comité de se pencher sur la question suivante : « Comment le programme décrit dans le projet de loi C-64 sera-t-il géré? Vous avez mentionné que divers programmes fédéraux ont mis en place des pratiques différentes. Par exemple, la prestation fédérale de soins dentaires est administrée par un prestataire tiers et les accords de garde d’enfants sont administrés différemment. Votre association souhaite apporter son soutien et ses conseils.
Ma question à tous les organismes est la suivante : Quels conseils avez-vous à donner relativement à un programme national d’assurance médicaments tel que celui décrit dans le projet de loi C-64?
Mme Dattani : Merci pour cette question.
Tout d’abord, comme nous l’avons dit dans le mémoire, nous avons beaucoup à apprendre des discussions avec les provinces pour comprendre quels sont les problèmes auxquels elles sont confrontées, pour les aider et les soutenir, et pour améliorer leurs programmes. Je pense que les pharmaciens eux-mêmes — ainsi que les propriétaires et les exploitants de pharmacies — savent très bien comment mettre des mesures en œuvre et prendre des décisions; ils comprennent les difficultés et les lacunes.
Comme nous l’avons souligné, il existe un certain nombre de possibilités. Dans le cadre de cette mise en œuvre, nous devons comprendre les enjeux provinciaux et la manière dont le gouvernement fédéral peut collaborer au mieux avec chaque province pour l’aider à s’adapter, avoir des discussions en vue d’améliorer les programmes, et combler certaines de ces lacunes. L’inclusion d’organismes comme la nôtre et de personnes comme nos pharmaciens, propriétaires et exploitants de pharmacies au sein du comité d’experts qui se penchera sur la mise en œuvre et les solutions serait très utile et permettrait un dialogue important qui se poursuivra après l’obtention de la sanction royale. Nous aimerions beaucoup y participer.
La sénatrice Osler : Je devrais peut-être préciser un peu ma question : Imaginez-vous un programme national d’assurance médicaments administré par le programme public existant de chaque province, géré par le gouvernement fédéral ou par un fournisseur tiers?
Mme Dattani : Les provinces savent comment administrer leur programme. Encore une fois, elles connaissent leurs patients et leurs besoins. Ainsi, en s’appuyant sur ce qui fonctionne déjà bien... Certains de mes collègues ont parlé de réfléchir à la situation actuelle des listes de médicaments et de s’assurer qu’elles sont suffisamment solides pour répondre aux besoins des personnes dans leur administration et ne pas créer de problèmes de résilience et d’approvisionnement en médicaments. Ce sont là quelques-unes des choses auxquelles je réfléchirais.
[Français]
M. Morin : Merci de la question. Je pense que le programme doit être le plus simple possible et oui, à travers la RAMQ, le programme provincial serait une bonne solution. Il faut que la solution soit informatique, simple à administrer en ligne avec des paiements en temps réel. Je pense que le modèle de la Régie de l’assurance maladie du Québec est un excellent modèle. Si on passait à travers ça, ce serait un plus.
La sénatrice Osler : Merci.
Jean Bourcier, vice-président exécutif et directeur général, Association québécoise des pharmaciens propriétaires : Ce qu’il faut éviter aussi, c’est que le modèle amène un fardeau administratif aux pharmaciens, aux gens sur le terrain. Cela leur permettra de s’occuper des tâches cliniques et évitera qu’ils passent trop de temps à administrer le programme, parce que ledit programme est complexe. Il faut garder en tête qu’il y a une rareté de professionnels de la santé. Il faut optimiser l’utilisation de professionnels de la santé dans des tâches qui sont cliniques, avec des tâches liées aux patients et non liées à un programme.
L’Association québécoise des pharmaciens propriétaires et le Québec ont une expérience de 27 ans avec un programme universel, et on peut aider dans la gestion de ces programmes.
[Traduction]
La présidente : Merci. Nous ne pourrons pas permettre à Mme Berg de répondre à votre question. J’espère que nous y reviendrons à un moment ou à un autre.
La sénatrice Pate : Je vous remercie de votre présence. Ma question s’adresse également à l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires.
En juin, vous avez publié un communiqué de presse concernant l’action en justice que vous avez engagée pour lutter contre les pratiques de dirigisme des patients au Québec, que vous avez qualifiées de « prise en otage » des patients. Il y a trois choses. Pourriez-vous décrire ce qu’est le « dirigisme des patients » et comment il empêche les patients d’accéder aux médicaments? Veuillez également préciser comment les patients sont dirigés et qui orchestre ce dirigisme.
Selon le communiqué de presse, parmi les personnes visées par votre action en justice figurent trois prestataires de services d’aide aux patients financés par des entreprises pharmaceutiques. J’aimerais donc obtenir plus de renseignements à ce sujet, ainsi que sur leur rôle.
Par ailleurs, les accords de réseaux de patients privilégiés conclus entre certaines pharmacies et des compagnies d’assurance privées pour l’accès des patients aux médicaments soulèvent-ils des préoccupations semblables?
[Français]
M. Morin : Merci pour la question. Il est difficile d’y répondre en peu de temps.
Les patients sont orientés vers un système où ils sont victimes de dirigisme. C’est un tiers qui les oblige à aller dans une pharmacie en particulier, qui n’est pas leur pharmacie, avec un pharmacien qu’ils ne connaissent pas. On vient fractionner le dossier, parce qu’un tiers va intervenir à partir de la prescription du médecin pour un produit vendu par un fabricant qui participe à un programme de soutien aux patients. On vient déterminer à quelle pharmacie ce patient ira. Au Québec, c’est illégal.
Dans le monde entier, c’est inéquitable comme façon de faire. Ce devrait être le professionnel de santé du patient qui décide. Un tiers ne devrait jamais intervenir dans le choix du patient. Malheureusement, cela se produit. C’est une façon de faire canadienne qu’on tente d’implanter au Québec. Pour nous, cela représente des enjeux majeurs et c’est impensable. Ce n’est pas un système viable à long terme. On ne peut pas penser qu’on va exercer le rôle qu’on veut qu’on joue en première ligne pour les soins et le traitement des maladies chroniques et penser que le patient fera affaire avec trois ou quatre pharmacies différentes. Je pourrais dire à un patient d’interrompre son traitement temporairement, parce qu’il a une infection, mais le programme de soutien aux patients ou l’autre pharmacien l’appellera et insistera pour qu’il prenne son produit, parce que lui ne gère que le produit. Cela n’a aucun sens dans la prise en charge d’un patient.
[Traduction]
La sénatrice Moodie : Cette question s’adresse aux représentants des pharmacies présents aujourd’hui. Ces derniers jours, nous avons entendu des témoignages sur la réalité tragique et difficile de patients, de femmes qui n’ont pas les moyens d’acheter leurs médicaments ou leurs appareils de contraception. On parle également de l’amélioration des résultats générée par la fourniture et l’accessibilité en amont de médicaments essentiels qui permettent parfois d’éviter des complications graves et mortelles, notamment la cécité, l’insuffisance rénale, la perte d’un membre, les grossesses non désirées et tout ce qui en découle, sans parler du fardeau économique, du fardeau que représente la maladie pour le système de santé de notre pays et pour nous tous. Il est également question de l’incapacité à aider les patients à bénéficier d’un accès adéquat aux médicaments. Nous avons entendu parler de ces enjeux, y compris des régimes privés complexes auxquels les personnes sont obligées d’avoir recours et qui peuvent couvrir ou non un médicament particulier.
Si nous mettons de côté la nécessité de protéger le bien-être financier des pharmacies, un régime national d’assurance médicaments permettrait-il en fait de fournir des médicaments aux personnes qui ne sont actuellement pas couvertes, qui se présentent — sans franchise — pour obtenir leur médicament, sans quote-part? Cela n’allégerait-il pas la charge des patients et n’améliorerait-il pas l’accès aux soins et les résultats?
Mme Dattani : Je serai heureuse de répondre d’abord à cette question. Je suis entièrement d’accord avec vous, sénatrice Moodie. En tant que femme et en tant que prestataire de soins de santé, je pense que les femmes ont le droit de jouir d’une bonne santé génésique. Il s’agit d’une question de santé publique, je suis totalement d’accord. Je réfléchis à la façon d’y parvenir. Nous savons, comme nous l’avons indiqué dans notre témoignage, que la grande majorité des Canadiens bénéficient d’une certaine forme de couverture... d’une couverture générale pour les médicaments. Comme on l’a évoqué lors de la dernière séance, un grand nombre d’autres groupes de patients et de populations sont confrontés à des difficultés et ne sont pas assurés. Nous pensons donc que le fait d’investir du temps, de l’argent et de l’énergie pour s’assurer que personne ne soit laissé pour compte pour des raisons financières, et pour couvrir toutes les personnes qui n’ont pas d’assurance, constitue une excellente utilisation des fonds du gouvernement et des ressources destinées aux soins de santé.
[Français]
Le sénateur Cormier : Bienvenue aux témoins.
Ma question s’adresse à vous tous. Lorsque le ministre a comparu devant nous, il a dit que les gens auraient le choix d’utiliser le régime public ou le régime privé. Si le projet de loi est adopté et si quelqu’un se présente au comptoir d’une pharmacie pour obtenir un médicament pour le diabète, pourra-t-il utiliser son assurance privée pour ce médicament? Si oui, l’assurance privée sera-t-elle obligée de couvrir le coût dès le premier dollar? Si l’assurance privée ne couvre pas le médicament, pourra-t-il utiliser son régime provincial? Avez-vous des réponses à ces questions? Y a-t-il une flexibilité? L’assurance privée a-t-elle l’obligation de couvrir les coûts dès le premier dollar?
M. Morin : Ma compréhension du projet de loi est qu’à partir du moment où il s’agit d’un produit couvert par la liste de ce régime public fédéral, le produit est couvert par le régime public fédéral à partir du premier dollar. Il n’est pas soumis à l’assureur privé. Si le produit du patient ne fait pas partie de la liste des médicaments couverts par ce régime, à ce moment-là, c’est le régime provincial qui le prend, soit public, soit privé. Pour un même dossier, on va gérer deux programmes différents, un dont le coût est nul et l’autre avec des frais modérateurs ou une franchise de coassurance, qui peut aussi être à zéro dans le cas du gouvernement du Québec pour le patient québécois. Donc, on va gérer deux programmes. C’est ma compréhension des choses.
[Traduction]
Mme Dattani : Je suis d’accord avec mon collègue du Québec. Je pense qu’il pourrait également y avoir des risques plus graves, à mesure que nous comprendrons et que nous lèverons certaines ambiguïtés potentielles. Les promoteurs du régime, notamment les employeurs, risquent d’abandonner une partie de cette couverture, d’abandonner le régime. Cette question a également été évoquée lors de la séance précédente. Le nombre de produits généralement disponibles au Canada pourrait être moindre et les choix thérapeutiques plus restreints. Nous savons que la pharmacothérapie est complexe et que nous devons répondre aux besoins des Canadiens en leur offrant un choix de médicaments solide. Il y a également un risque réel de diminution de la résilience de notre approvisionnement en médicaments.
La présidente : Puis-je vous demander si votre industrie a été consultée au sujet de ce projet de loi?
Mme Dattani : Vous voulez savoir si notre secteur a été consulté au sujet du projet de loi?
La présidente : C’est cela.
Mme Dattani : Oui, tout à fait.
La présidente : Et vous avez fait part de vos préoccupations et de vos recommandations? D’accord. Merci.
La sénatrice Burey : Merci beaucoup de vos témoignages d’expert. J’aimerais d’abord m’adresser à Mme Berg. Je vous remercie d’avoir expliqué la fabrication de médicaments et leur distribution aux pharmacies et aux hôpitaux, ainsi que le travail que vous faites. Dans l’une de nos autres séances, nous avons entendu dire que les régimes publics partout au Canada ont recours à l’achat en gros. J’aimerais simplement vérifier si cette information est exacte. Le cas échéant, qu’en avez-vous appris, et quelles leçons pourraient s’avérer utiles dans cette situation? Vous avez manifestement de l’expérience dans le domaine de l’achat en gros, pratique qui est maintenant en vigueur au Canada pour les régimes publics.
Ma prochaine question s’adresse à Mme Dattani et porte sur les accords qui ont été conclus. Je viens de l’Ontario, alors je connais l’Assurance-santé Plus, mais je crois comprendre que les accords conclus dans le cadre du régime d’assurance-médicaments de l’Ontario prévoient une façon de soutenir les pharmacies en misant sur les économies réalisées grâce à l’achat en gros et à la couverture. Pourriez-vous nous dire si c’est un système qui, sauf erreur, pourrait probablement être adopté? Si je comprends bien, c’est ainsi que vous comptez soutenir la distribution et le travail des pharmacies, c’est-à-dire au moyen des économies que vous allez réaliser pour appuyer un système sécuritaire au Canada.
Mme Dattani : Je vais peut-être demander plus de précisions sur la façon de soutenir les pharmaciens. Je ne suis pas tout à fait certaine...
La présidente : Sénatrice Burey, la question ne s’adresse-t-elle pas plutôt à Mme Berg?
La sénatrice Burey : Oui, ma première question s’adresse à Mme Berg. J’aimerais vous entendre au sujet de l’achat en gros. L’infrastructure n’est-elle pas déjà en place, et avez-vous tiré des leçons qui pourraient nous aider dans la démarche actuelle?
Mme Berg : Oui. D’ailleurs, nous nous réjouissons de l’accent qui est mis sur les pharmacies et les subtilités des conséquences thérapeutiques sur le plan clinique. L’achat en gros est effectué par les acteurs de la chaîne d’approvisionnement, donc par les personnes qui touchent réellement le produit. Cela englobe notamment les pharmacies, comme on l’a mentionné, les distributeurs et les fabricants. Les hôpitaux achètent aussi des médicaments en vrac par l’entremise de groupements d’achat. Une des conséquences imprévues de l’achat en gros est la concentration des médicaments dans un seul endroit, et les contrats donnent naturellement plus de contrôle et de robustesse aux...
La sénatrice Burey : Je voulais aussi savoir si, avec le temps, vous avez tiré des leçons du système en vigueur, leçons qui pourraient éclairer le travail à accomplir.
Mme Berg : Oui, absolument. L’achat en gros risque de réduire le nombre de fabricants actifs au Canada et de restreindre l’approvisionnement canadien.
La sénatrice Burey : Je reviens à ma question au sujet de l’Assurance-santé Plus et des accords qui ont été conclus avec le gouvernement et les pharmaciens pour compenser certaines des pertes subies par les pharmacies. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet?
Mme Dattani : En cas de retards, est-ce qu’une partie des économies serait réinjectée dans les pharmacies? Est-ce bien ce que vous demandez?
La sénatrice Burey : Je cherche à savoir si une telle disposition existe et si ce ne serait pas la façon de soutenir les pharmaciens dans ce système universel.
Mme Dattani : Absolument. Je pense que oui.
La présidente : Nous ne serons jamais au bout de nos surprises. Nous avons le temps pour un deuxième tour.
La sénatrice Seidman : Madame Berg, j’aimerais revenir à la question que j’ai essayé de vous poser à la fin de mes quatre minutes. En fait, vous venez de dire que l’achat en gros a pour conséquence imprévue de restreindre l’approvisionnement canadien. Vous avez également parlé des chaînes d’approvisionnement et du fait que la liste de médicaments que Santé Canada a fournie dans le projet de loi, surtout en ce qui concerne les médicaments contre le diabète, se réduit à un nombre assez limité de fabricants. J’aimerais que vous nous aidiez à comprendre les risques et que vous nous disiez s’il y a moyen de les atténuer.
Mme Berg : La concurrence est une bonne chose : en effet, plus il y a de concurrence, plus il y a de choix pour les patients et plus il y a de médicaments sur le marché.
Ce qui me préoccupe beaucoup, c’est que nous ne parlons pas de l’infrastructure qui soutient le tout et de la façon dont cette distribution est financée. Les distributeurs fournissent les médicaments aux professionnels de la santé qui traitent les patients au Canada. Nous ne pensons pas à cette infrastructure, mais je ne saurais trop insister sur son importance. C’est ce qui fournit au système de santé et à ses membres les médicaments dont ils ont besoin.
Nous demandons au comité d’examiner attentivement le projet de loi C-64 et d’y apporter un amendement qui prévoit clairement le principe de l’accès physique des Canadiens aux produits pharmaceutiques.
À l’heure actuelle, la distribution est financée en fonction du prix du médicament et contrôlée par les majorations provinciales. Le financement de la distribution d’un médicament reste le même, que celui-ci soit livré au centre-ville d’Ottawa, à Fort St. John, en Colombie-Britannique, ou au Nunavut. Cela n’a pas d’importance. C’est le même coût, et ce n’est pas viable. Voilà à quel point le fonctionnement de la chaîne d’approvisionnement est précaire à l’heure actuelle. Certes, nous aimerions bien pouvoir dire que nous pouvons tout faire, mais nous sommes au bord du précipice. Il n’y a plus rien à donner.
La sénatrice Seidman : Je vous remercie.
La sénatrice Osler : J’ai cherché à savoir comment le régime national d’assurance-médicaments sera administré et par qui. Cette question a été posée au dernier groupe de témoins et elle découle en partie du mémoire de l’Association canadienne des pharmacies de quartier. En vous fondant sur l’expérience de votre organisation, pouvez-vous nous donner des conseils sur la façon dont un programme national d’assurance-médicaments devrait être administré? De plus, quelle entité devrait l’administrer?
Mme Berg : Je vous remercie de la question. Pour ce qui est de la coordination à l’échelle nationale, il serait formidable d’avoir un organisme central de coordination. À l’heure actuelle, toutes les négociations et la réglementation des distributeurs se font à l’échelle provinciale, et ce modèle est resté le même au cours des 15 dernières années, sans aucune bonification. De même, la quantité de médicaments génériques a diminué en 2007, et il n’y a pas eu d’augmentation. Dans l’état actuel des choses, la distribution est mise à mal. Elle est précaire. Nous vous proposons d’envisager un modèle dans lequel le coût du service fourni est pris en compte et protégé afin que la chaîne d’approvisionnement puisse demeurer solide et continuer à soutenir le système de santé.
La sénatrice Pate : Ma question s’adresse encore une fois à l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires.
Neuf groupes de la société civile et des syndicats québécois représentant plus d’un million de Québécois — donc, plus d’un ménage sur quatre au Québec — se sont opposés haut et fort à l’idée que le Québec se retire du régime national d’assurance-médicaments tout en conservant le financement fédéral. Ils ont exprimé des inquiétudes au sujet du régime public-privé actuel de la province. Premièrement, au Québec et partout au Canada, les filles et les femmes qui sont inscrites à des régimes d’assurance-médicaments appartenant à des parents ou à des partenaires violents ne peuvent pas avoir accès à des médicaments, en particulier aux contraceptifs. Deuxièmement, en l’absence de contrôles du coût des médicaments associés à un système à payeur unique, le prix des médicaments monte en flèche et pousse les régimes d’employeurs au bord du précipice — aucun de nos systèmes n’est prêt à relever les défis liés aux nouveaux médicaments très coûteux. Ce serait toutefois possible grâce à l’établissement d’un système à payeur unique. Enfin, troisièmement, le prix des médicaments au Québec est actuellement plus élevé que la moyenne canadienne en raison du système mixte public-privé. La province arrive au deuxième rang mondial, après les États-Unis, au chapitre du coût élevé des médicaments, et trop de gens n’ont pas les moyens d’acheter des médicaments.
Compte tenu de ces défis communs auxquels nous faisons face, convenez-vous qu’il y a lieu de travailler ensemble pour régler ces problèmes plutôt que de les rejeter du revers de la main?
[Français]
M. Morin : Absolument. Dans le mémoire, on évoque la situation des jeunes femmes et des femmes qui doivent avoir accès à une contraception en toute intimité et sans laisser de trace — en toute sécurité, on va le dire de cette manière.
Pour ce qui est des prix plus élevés au Québec ou ailleurs, il faut aussi tenir compte des ristournes versées au gouvernement ou au tiers pour établir le prix réel des médicaments. Il y a un mécanisme où l’on négocie les prix et cette négociation vient augmenter le prix de base, mais en fait les tiers paient moins. Donc, il y a toute une partie qu’on ne voit pas, qu’on ne connaît pas et qui est intéressante à examiner.
Notre prétention est que le régime public-privé améliore l’accès aux médicaments. Souvent, la couverture privée a un formulaire plus large dans certaines conditions et par rapport au choix du groupe qui veut investir dans son assurance et où il y aura une couverture plus élargie.
Il est certain qu’il faut s’occuper de l’évolution du coût des médicaments, qu’il y ait un seul payeur ou plusieurs payeurs. Les prix sont un aspect important et ils mettent le régime en péril. Faire trop de pression sur les prix met une autre partie du régime en péril, car il y a des fournisseurs qui disparaissent, et on doit alors passer beaucoup de temps, en tant que professionnels de la santé, à changer la thérapie du patient plutôt qu’à s’occuper de ses vrais problèmes. On est prêt à discuter de ces enjeux, car ils sont importants.
[Traduction]
La sénatrice Pate : Si d’autres témoins souhaitent intervenir, je serai heureuse de les entendre.
Mme Dattani : Je pense que je suis d’accord avec nos collègues du Québec ainsi qu’avec mes collègues de la séance précédente. Il faut investir dans les initiatives qui permettent aux pharmacies et à leurs équipes de veiller à ce que les résultats de ces médicaments contribuent à éviter des coûts et à favoriser d’autres aspects du système de santé. L’attention portée à l’optimisation des résultats et à l’utilisation optimale des médicaments est tout aussi importante que l’accès aux médicaments, et cela devrait être pris en compte dans le dialogue.
Mme Berg : À notre avis, la collaboration est absolument essentielle. Nous appuyons le projet de loi C-64 et l’idée d’y ajouter un amendement visant à protéger l’infrastructure. La collaboration est particulièrement importante pour desservir les régions rurales. C’est là où les services coûtent le plus cher au Canada. Ces régions sont les plus vulnérables parce que les entreprises en question doivent parfois prendre des décisions déplaisantes. Il est donc essentiel de collaborer avec les acteurs de la chaîne d’approvisionnement, ceux qui touchent le produit, et nous serions très heureux de travailler avec le gouvernement à cet égard.
La présidente : Merci, chers collègues. Je crois que notre temps est écoulé.
Chers collègues, n’oubliez pas que la semaine prochaine sera un véritable marathon. Nous nous réunirons mercredi prochain pour poursuivre notre étude du projet de loi C-64. Nous aurons deux réunions de comité, l’une de 12 heures à 13 h 30 dans la salle W110, et l’autre à notre heure habituelle, soit 16 h 15, dans cette salle.
Je remercie tous nos témoins ici présents et en ligne d’avoir répondu à nos questions. Vos témoignages sont extrêmement précieux pour nous.
Chers collègues, puisqu’il n’y a pas d’autres points à l’ordre du jour, la séance est levée.
(La séance est levée.)