LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES SOCIALES, DES SCIENCES ET DE LA TECHNOLOGIE
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 16 novembre 2022
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd’hui, à 16 heures (HE), avec vidéoconférence, pour examiner les questions qui pourraient survenir concernant les affaires sociales, les sciences et la technologie en général, afin d’en faire rapport.
La sénatrice Ratna Omidvar (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Je suis Ratna Omidvar, sénatrice de l’Ontario et présidente du comité. Je voudrais commencer la réunion en demandant à mes collègues de se présenter.
La sénatrice Dasko : Donna Dasko, sénatrice de l’Ontario.
[Français]
La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, du Québec.
[Traduction]
La sénatrice McPhedran : Marilou McPhedran, sénatrice indépendante du Manitoba.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Chantal Petitclerc, sénatrice du Québec.
[Traduction]
La présidente : Merci, chères collègues. Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude sur la main-d’œuvre temporaire et migrante du Canada. Permettez-moi de rappeler à mes collègues la portée de cette étude. Il s’agit d’examiner la main-d’œuvre temporaire et migrante au Canada et le rôle qu’elle joue afin de répondre aux besoins du marché du travail, en particulier dans les provinces rurales, éloignées et de l’Atlantique, ainsi que d’examiner les tendances futures du marché du travail.
La journée a été étrange au Sénat, et elle demeurera quelque peu étrange pour le comité. Nous n’avons qu’un seul témoin pendant les deux heures de notre séance. Notre deuxième témoin a été contraint d’annuler sa présence à cause des normes sur les écouteurs. Nous sommes donc en train de respecter les engagements que nous avons pris, mais cela signifie que nous pourrons prendre tout notre temps avec notre témoin. Notre témoin s’appelle Lou Janssen Dangzalan et il est membre du comité directeur de l’Association canadienne des avocats en immigration. Il sera avec nous peut-être plus longtemps qu’il l’avait prévu, mais nous le remercions beaucoup.
Comme d’habitude, nous écouterons d’abord votre déclaration. Je serai un peu plus souple en ce qui concerne le temps, car nous en avons beaucoup. Il en va de même pour vos questions, chères collègues : vous pouvez poser des questions plus poussées et le temps ne sera pas chronométré aussi rigoureusement pour cette réunion du Sénat.
Lou Janssen Dangzalan, membre du comité directeur, Association canadienne des avocats en immigration : Merci, et bonjour. Je m’appelle Lou Janssen Dangzalan, et je suis un avocat en immigration établi à Toronto, en Ontario, sur les territoires traditionnels de la Première Nation des Mississaugas de Credit.
Au nom du comité directeur de l’Association canadienne des avocats en immigration, ou ACAI, merci de nous avoir invités à participer à cette étude très importante. Nous sommes une association d’avocats en immigration d’un bout à l’autre du pays, d’un océan à l’autre. Nous défendons la justice et l’équité dans les lois sur la citoyenneté et l’immigration. Nous plaidons en faveur d’améliorations aux politiques relatives à l’immigration et aux opérations ministérielles dans le cadre de dialogues publics, de présentations, de la mise sur pied de coalitions, d’interventions devant les tribunaux et d’élaboration de causes types.
Aujourd’hui, j’aborderai huit points que l’ACAI défend depuis sa création, en insistant particulièrement sur les travailleurs temporaires.
J’aimerais d’abord brosser un portrait de la situation. En ce qui concerne l’immigration de personnes semi-qualifiées et peu qualifiées au Canada, aucune voie cohérente vers la résidence permanente n’est offerte aux travailleurs migrants, en particulier ceux que nous avons reconnus comme essentiels, surtout en période de besoin pendant la pandémie. Il manque toujours un programme dans notre ensemble de programmes d’immigration.
C’est notamment le cas dans le Plan des niveaux d’immigration récemment annoncé, dans lequel il est question d’augmenter la taille du gâteau. Nous avons affaire ici à une augmentation de la taille du gâteau, c’est-à-dire l’allocation de fonds du gouvernement fédéral pour d’autres programmes des candidats des provinces et les programmes régionaux, ainsi que des programmes au niveau municipal.
Il convient donc de se demander si la création de voies pour les migrants temporaires est transférée aux provinces et aux régions. Il n’y a carrément aucun programme au niveau fédéral.
J’aimerais également parler des voies de légalisation actuelles pour les personnes qui n’ont pas le statut légal et de l’état actuel de la situation. Le gouvernement a fait plusieurs annonces au sujet du Plan des niveaux d’immigration. Il a présenté une réponse à la motion 44 de la Chambre des communes, par exemple. Pourtant, on attend encore de voir des plans concrets en vue de régulariser les personnes qui n’ont pas de statut. Le Sénat joue un rôle important en rappelant au gouvernement que ce programme est important, d’autant plus que nous avons déjà établi que ce sont des travailleurs dans le volet économique dont nous avons besoin, surtout pendant la pandémie.
Le troisième point est le Programme des aides familiaux résidants. Il y a eu un équilibre entre les moins bonnes voies du programme et les éléments positifs qu’il a engendrés, ce qui a permis d’établir une voie de résidence permanente pour des personnes pendant l’histoire du programme. Le programme pilote actuel a effectivement mis fin au Programme des aides familiaux résidants, car les délais de traitement se chiffrent maintenant en années. En effet, quand une demande finit par passer aux étapes suivantes, un employeur canadien a déjà passé à autre chose et a très probablement obtenu d’autres soins pour ses proches.
Nous sommes reconnaissants d’avoir abordé dès le départ les exigences en matière de résidence permanente qui étaient habituellement la source de chagrin dans les versions précédentes du programme. Cependant, la configuration actuelle est également intenable. Nous devons refaire nos devoirs, et même si c’est le cas, nous pourrions peut-être réinstaurer des permis de travail appuyés par une étude d’impact sur le marché du travail, EIMT, avec des mesures de protection supplémentaires pour répondre aux besoins croissants des familles canadiennes.
Je voudrais aborder ensuite le quatrième point, qui traite de l’accessibilité et de l’accès aux services d’un avocat, ce qui se rapporte aux droits des travailleurs migrants. Certains travailleurs migrants ne possèdent pas un aussi bon bagage de connaissances en informatique qu’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, IRCC, aimerait le croire. Le fait de limiter l’accès aux services d’un avocat empêche les travailleurs d’avoir accès au système d’immigration. Cela limite considérablement leur capacité à présenter des demandes en temps opportun.
En outre, les portails en ligne en particulier abondent, à un point tel que même IRCC n’a pas de site Web qui puisse réellement les suivre tous correctement au même endroit. Il n’y a pas non plus de soutien technique fonctionnel disponible lorsque ces portails échouent. Donc, si vous présentez une demande à un programme tributaire du facteur temps et que la plateforme de ce programme ne fonctionne pas, vous n’avez pas de chance.
Le cinquième point porte sur la nécessité des EIMT. Dans le contexte de l’arriéré de l’immigration, l’ACAI a proposé d’examiner les exigences relatives aux EIMT. Emploi et Développement social Canada peut temporairement exempter les employeurs de diplômés internationaux récents des exigences en matière d’annonce du poste et de taux de rémunération courants relatives aux EIMT. Cette exemption d’affichage pour les diplômés internationaux existait avant 2014. Des changements avaient été apportés aux programmes des travailleurs étrangers temporaires à l’époque, et ils imposaient cette exigence aux diplômés internationaux. Le rétablissement de cette mesure permettra de maintenir le bassin de talents canadiens en éducation et en expérience au Canada, ce qui aidera à combler les pénuries de main-d’œuvre au Canada et à empêcher potentiellement des milliers de travailleurs étrangers temporaires ou de résidents temporaires de se retrouver sans statut.
Le sixième point est essentiellement une mention élogieuse à l’égard d’IRCC pour son programme de permis de travail ouvert pour les travailleurs vulnérables. Nos membres confirment que le programme a été très efficace pour mettre fin aux abus commis par les employeurs. Il est donc important de se demander ensuite quelle sera la prochaine étape pour ces travailleurs. Existe-t-il un programme pour leur donner accès à la résidence permanente, en gardant à l’esprit que le permis de travail ouvert pour les travailleurs vulnérables ne dure que 12 mois? Qu’advient-il s’ils choisissent de rester au Canada? Y a-t-il des options qui s’offrent à eux?
Le septième point porte sur la transformation de l’économie, en ce qui concerne les nomades numériques, le travail à distance et le développement de l’économie du savoir. IRCC, le ministère et même le ministre Fraser ont reconnu que le Canada est en pleine course pour attirer des talents à l’échelle mondiale. Le Canada excelle pour ce qui est d’attirer les talents, mais il ne doit pas se reposer sur ses lauriers. Nous devons examiner ce que font d’autres pays dans l’économie mondiale à mesure qu’ils s’adaptent aux réalités post-COVID-19 et à un nouvel ordre géopolitique.
Le Portugal, l’Espagne, la Thaïlande et l’Indonésie, par exemple, sont des pionniers qui tirent parti de l’essor des entreprises en démarrage. Ils ont réorienté leur système d’immigration afin de s’adapter aux réalités du travail à distance ou des nomades numériques. C’est particulièrement important dans l’économie du savoir dont dispose le Canada et il s’agit de l’un des points forts du pays. Nous devrions explorer les possibilités pour notre système d’immigration de répondre aux besoins des pourvoyeurs de talent et de capital social dans notre pays.
Enfin, il est peut-être temps d’avoir une vision à long terme, de faire le point sur ce que notre système a et d’examiner la possibilité de lancer une commission royale d’enquête. Songer à l’avenir est une tâche en soi. Le ministère de l’Immigration est déjà accablé par le nettoyage des dégâts causés par la convergence d’un système boiteux avec les demandes massives provoquées par les changements récents dans l’ordre mondial et la pandémie.
Le temps est peut-être venu de créer une commission royale, qui aurait le mandat de déterminer la vision du Canada pour son système d’immigration dans 10, 20 et 30 ans — d’avoir une vision à long terme. Nous sommes confrontés à de nombreux défis en tant que société, y compris les vagues de migration causées par les changements climatiques. Nous devons commencer à y réfléchir. L’immigration est et sera toujours un aspect immuable de la société canadienne. Elle est trop importante et nous devons avoir un plan. Merci beaucoup.
La présidente : Merci beaucoup, monsieur Dangzalan. Je donnerai la parole à mes collègues à mesure qu’elles lèveront la main afin de poser leurs questions ou manifesteront leur intérêt à le faire.
Écoutons d’abord la sénatrice Moodie. Sénatrice Moodie, votre temps de parole ne sera pas chronométré de façon aussi rigoureuse qu’il l’est habituellement. Vous n’avez pas nécessairement besoin de vous empresser à poser toutes vos questions.
La sénatrice Moodie : La question que j’aimerais vous poser aujourd’hui, c’est de savoir comment nous pouvons enrichir les conditions pour les personnes qui pourraient vouloir venir au Canada.
Lors de notre dernière réunion, nous avons entendu dire que lorsque des travailleurs étrangers temporaires viennent accompagnés des membres de leur famille, et avec un certain soutien communautaire, ils sont plus susceptibles d’obtenir du succès et réussissent mieux à combler les pénuries de main-d’œuvre. Souscrivez-vous à cette idée? Pensez-vous qu’il existe des soutiens suffisants pour appuyer cette initiative au Canada? S’agit-il d’un domaine que nous devrions chercher à améliorer? Dans la négative, quels soutiens pourriez-vous suggérer?
M. Dangzalan : Il est vrai qu’il y a un avantage quand les travailleurs étrangers sont en mesure d’amener les membres de leur famille. En fait, le Programme des étudiants étrangers l’offre déjà. Ces étudiants étrangers sont autorisés à emmener leur conjoint de fait ou leur époux et même leurs enfants à charge de moins de 18 ans. Le fait d’offrir les mêmes avantages à nos travailleurs étrangers temporaires constituerait un avantage supplémentaire pour attirer des gens qui voudraient s’installer au Canada et contribuer à l’économie canadienne.
La question de la capacité de répondre à leurs besoins relève peut-être davantage de la compétence des provinces en ce qui concerne le logement et les services sociaux qui peuvent être offerts. Le gouvernement fédéral devrait peut-être chercher à renforcer ces points de coordination entre le gouvernement fédéral et les provinces pour ce qui est de l’attribution, par exemple, de places pour les travailleurs étrangers temporaires et leur famille. Merci.
[Français]
La sénatrice Mégie : Merci à notre témoin d’être avec nous aujourd’hui.
À la lumière des rencontres que vous avez eues avec des travailleurs temporaires ou avec leurs représentants, quelles sont leurs préoccupations en matière de santé et de bien-être au Canada? Dans quelle industrie leur santé est-elle plus vulnérable?
M. Dangzalan : Cela dépend de quel type travailleur on parle, madame la sénatrice. Par exemple, si on parle des étudiants internationaux qui travaillent durant les 20 heures autorisées dans la loi, nous avons trouvé que certaines provinces n’ont pas d’assurance médicale pour les étudiants, par exemple, alors que d’autres provinces disposent de l’assurance-maladie pour toute la famille de cette personne.
Il y a assurément une incohérence entre les provinces en ce qui concerne l’approvisionnement de la santé et des services sociaux pour les familles. Donc, si on parle de travailleurs qualifiés, les provinces fournissent normalement des services de santé et des services sociaux. La question se pose plutôt pour les travailleurs temporaires, surtout les travailleurs saisonniers qui ont un emploi dans le secteur de l’agriculture, où les gens ont un hébergement fourni et plusieurs autres avantages. Le problème, c’est la surveillance effectuée par le vérificateur général. Il y avait un problème avec les preuves fournies par les employeurs. C’est donc peut-être un secteur où le gouvernement fédéral peut améliorer la situation.
La sénatrice Mégie : Merci. Le gouvernement a toujours stipulé que les travailleurs étrangers temporaires ont le droit d’être informés sur leurs droits au Canada. Par conséquent, il affirme que c’est à l’employeur de fournir les renseignements sur les droits au Canada. Que pensez-vous du fait que cette responsabilité est déléguée aux employeurs? Voyez-vous une autre façon de faire qui pourrait être plus sécuritaire pour ces personnes?
M. Dangzalan : Je comprends. C’est un peu problématique. Je pense à une analogie en anglais.
[Traduction]
C’est confier la garde du poulailler à des loups.
[Français]
Le système se base sur l’honnêteté. C’est une question de surveillance par le gouvernement fédéral. Il y a aussi d’autres façons pour un employeur de diffuser de l’information sur les droits. Par exemple, je sais que le consulat général des Philippines travaille avec les travailleurs temporaires ici au Canada pour renseigner les citoyens des Philippines, afin que ces derniers connaissent mieux leurs droits au travail. Il faut peut-être être un peu plus créatif dans la diffusion des informations sur les droits, parce que si on dépend seulement des employeurs, c’est problématique.
La sénatrice Mégie : Je pensais aussi que c’était problématique, et c’est pour cela que j’ai posé la question.
J’ai une question sur les statistiques. L’étude de Statistique Canada disait qu’il y avait environ 620 000 étudiants étrangers actifs et que ce nombre a augmenté. Ces étudiants étrangers pourraient jouer un rôle dans la main-d’œuvre actuelle, qui est déficiente. Pour ce qui est des étudiants étrangers francophones, on sait qu’à la base, il y a une discrimination systémique, même dans le formulaire qu’ils remplissent pour venir au Canada. Avez-vous des données qui feraient une distinction ou qui montreraient qu’il y a une vraie diminution des migrants francophones? Avez-vous des données là-dessus?
M. Dangzalan : J’ai des données et des statistiques. Je vais les partager avec le comité par courriel, si vous voulez.
La sénatrice Mégie : D’accord. Merci.
La sénatrice Petitclerc : Merci beaucoup d’être avec nous aujourd’hui; c’est très apprécié. Je veux creuser un peu moi aussi sur la protection et la vulnérabilité, plus particulièrement pour les travailleurs agricoles saisonniers. J’avais posé une question là-dessus à la dernière réunion, et j’ai parlé des abus qui sont documentés et que vous avez vous-même mentionnés. Il me semble que oui, effectivement, le gouvernement a des responsabilités.
Il y a des visites et des inspections improvisées. Je veux votre avis là-dessus. Il me semble que le grand défi, c’est la nature de cette relation qui place l’individu dans une situation de vulnérabilité, car il s’agit de quelqu’un qui ne maîtrise ni la langue, ni la culture, ni ses droits dans ce contexte. Ma compréhension, c’est que souvent, ce travailleur agricole doit être inclusif vis-à-vis de cet employeur. Quelles sont les pistes de cette solution quand on a une relation de cette nature, qui est très inéquitable au départ, peu importe qu’il y ait ou non des inspections?
M. Dangzalan : Premièrement, il est très important de souligner que la relation entre l’employeur et l’employé est assez inéquitable. Il y a vraiment une iniquité du pouvoir de négociation entre les deux parties.
La deuxième solution, les associations, y compris l’Association canadienne des avocats en immigration, en ont déjà parlé. On peut prendre l’exemple du programme pour les proches aidants, où les permis ne sont pas spécifiques à l’employeur, mais sont plutôt spécifiques à l’occupation, au métier, à la profession. Ces travailleurs peuvent changer de travail en changeant d’employeur, ce qui leur donne plus d’options et plus de pouvoir.
Le problème est aussi probablement lié à la question soulevée par la sénatrice Mégie. Souvent, les employés ne connaissent pas leurs droits. Même aujourd’hui, les proches aidants que je connais ne savaient pas qu’il était possible de changer d’employeur, même s’ils ont un permis de travail spécifique à leur métier. En revanche, la dernière fois, c’était vraiment fermé comme permis de travail.
Ce sont les pistes de solution qui ouvrent, en quelque sorte, la conversation sur l’iniquité des pouvoirs entre l’employeur et l’employé.
La sénatrice Petitclerc : Même si chaque pays a des besoins différents en ce qui concerne les travailleurs, comme les travailleurs agricoles temporaires, avez-vous des exemples de pays ou de juridictions qui font mieux que nous et dont on devrait peut-être s’inspirer, en ce qui a trait au respect des droits, pour s’assurer qu’il n’y a pas d’abus?
M. Dangzalan : C’est une très bonne question. Malheureusement, je n’ai pas d’exemple, mais je pourrais vous revenir là-dessus, si vous me le permettez.
La sénatrice Petitclerc : Merci beaucoup, c’est très apprécié.
[Traduction]
La sénatrice Dasko : Merci à notre témoin d’être ici aujourd’hui.
Je voudrais poursuivre sur la question des travailleurs qui se trouvent dans une situation irrégulière, que vous avez soulevée au début de votre intervention. J’aimerais que vous expliquiez un peu plus ce phénomène de plusieurs façons. Pouvez-vous me dire quel pourcentage de travailleurs se trouvent réellement dans cette situation, sans statut? Y a-t-il des secteurs particuliers dans lesquels vous savez que les travailleurs sans statut sont surreprésentés? Que leur arrive-t-il? Que savons-nous de ce qui leur arrive? Combien de temps restent-ils au Canada?
Vous avez également fait allusion au rôle des provinces dans la gestion de cette question. Je ne savais pas si vous faisiez allusion à la question de savoir si les provinces ont un rôle quelconque à jouer dans le statut de ces travailleurs. Les provinces peuvent-elles régulariser leur situation ou s’agit-il simplement d’une question qu’il appartient au gouvernement fédéral de régler? Pouvez-vous simplement expliquer un peu plus certains de ces points?
M. Dangzalan : Merci de la question. En ce qui concerne les statistiques, je vous reviendrai à ce sujet, si vous me le permettez. J’enverrai les statistiques au comité par courriel. Malheureusement, je ne peux pas les donner de mémoire.
La sénatrice Dasko : Je sais que vous n’avez pas les statistiques avec vous, mais parlons-nous de la majorité?
M. Dangzalan : C’est une bonne question. Le plus récent chiffre que j’ai entendu provient d’un reportage, mais je dois le confirmer. On compterait des centaines de milliers de personnes sans statut. C’est un nombre considérable, mais une goutte d’eau, en quelque sorte, par rapport à la population générale du Canada. Ce chiffre peut toutefois avoir une incidence considérable si, par exemple, ces personnes sont concentrées dans des provinces dont la population est plus faible. Nous devons aussi réfléchir aux répercussions sur les services sociaux, par exemple. Je comprends que tous les ordres de gouvernement — y compris les municipalités et les provinces — se préoccupent de savoir s’ils sont en mesure de répondre aux besoins d’une telle population, surtout dans le contexte d’une crise du logement. C’est une très bonne question. Si vous me le permettez, je vous reviendrai à ce sujet.
En ce qui concerne les exemples de travailleurs qui sont sans statut, comment en arrivent-ils là? Ils se retrouvent dans cette situation de plusieurs façons. Certains des clients que j’ai rencontrés dans mon cabinet, par exemple, ont un permis de travail fermé et l’entreprise ferme malheureusement ses portes, ce qui fait en sorte qu’ils perdent leur emploi. Évidemment, il est possible que ce travailleur étranger ait contracté d’importantes dettes pour venir au Canada parce qu’il faut beaucoup de ressources pour émigrer. Quand ils le font, ils s’attendent à être en mesure d’envoyer de l’argent à leur famille qui en dépend s’ils ne peuvent pas emmener leur famille. Il est également possible qu’ils aient contracté une hypothèque sur leur propriété. Ils ont peut-être obtenu un prêt d’un usurier de leur village, qui pourrait être retenu contre eux s’ils revenaient prématurément sans les ressources qu’ils s’attendaient à obtenir au Canada.
J’ai malheureusement rencontré des travailleurs qui se trouvent dans de telles situations. Ce qui leur arrive est très complexe. Certains d’entre eux finissent par trouver et par s’établir avec leur famille au Canada. S’ils sont célibataires, ils peuvent fonder une famille au Canada. Certains d’entre eux présentent des demandes aux programmes des motifs d’ordre humanitaire déjà surchargés ou des demandes d’asile, s’ils ont une réclamation quelconque. Parfois, ils sont victimes d’abus par des acteurs douteux, par exemple, et reçoivent des conseils pour demander l’asile même si une telle demande est infondée, ce qui engorge inévitablement le système.
Si l’on examine la question sous l’angle des systèmes, il faut trouver un moyen d’empêcher même l’accès à un tel programme, car il y a des demandeurs légitimes qui ont besoin de se voir attribuer cette « bande passante » et qui ont besoin d’une protection humanitaire ou publique, par exemple.
L’autre question portait sur les provinces. Les provinces peuvent-elles aider à résoudre cette question? D’après ce que je comprends, pour la plupart des programmes de candidats provinciaux, les demandeurs doivent avoir une situation régulière. Le plan des niveaux a changé au cours des 5 à 10 dernières années. Récemment — il y a quelques jours seulement, je crois —, le ministre a présenté le plan des niveaux. Il s’agira de l’augmentation de la taille du gâteau la plus importante à ce jour.
Je tiens à dire aux membres du comité que l’allocation pour les programmes de candidats provinciaux et les programmes régionaux a augmenté de façon spectaculaire par rapport aux programmes fédéraux pour les personnes très qualifiées. L’année 2023, où l’on constate encore une légère surabondance de programmes de politiques publiques fédéraux spéciaux, fait peut-être exception. Ces demandeurs continuent à prendre un peu de « bande passante » du gâteau pour l’immigration économique.
On constate maintenant une réorientation vers les provinces. Les provinces vont déterminer les programmes et ce dont elles ont besoin. C’est une bonne nouvelle sur papier, mais ces programmes répondent-ils aussi aux besoins des personnes qui risquent de perdre leur statut ou dont la situation est déjà irrégulière? Il y a une chose qui me vient à l’esprit, et c’est le programme des travailleurs agricoles saisonniers, par exemple. Il s’agit véritablement d’un programme temporaire, et la plupart des programmes de candidats provinciaux n’ont pas nécessairement de lien avec l’énoncé de but, ce qui dépend de la limite de huit mois de l’énoncé de but.
Cela les empêche donc d’avoir accès à une grande partie des programmes de candidats provinciaux, ce qui est honteux, à mon avis, surtout pour les provinces qui ont une très grande taille ou pour lesquelles l’agriculture représente une partie considérable de leur économie.
La sénatrice Dasko : Je vous remercie.
La présidente : Puis-je donner suite à cette question? Est-ce une politique fédérale ou provinciale qui empêche les participants aux programmes des travailleurs agricoles saisonniers de présenter des demandes aux programmes des candidats des provinces?
M. Dangzalan : Ce sont surtout les politiques provinciales, madame la présidente. Ce sont les provinces qui établissent les exigences. Il faut être admissible pour pouvoir obtenir la candidature du programme, et beaucoup d’entre eux sont conçus de telle façon qu’il faut posséder une expérience de 12 mois. Et en raison de cette limite de huit mois, ils peuvent ou non convenir au programme aussi bien que d’autres travailleurs étrangers temporaires, par exemple, ou même des travailleurs qualifiés qui participent au Programme de mobilité internationale.
La présidente : Et à la lumière de votre déclaration liminaire et de votre préoccupation quant à l’absence de voies unies pour les travailleurs étrangers temporaires, recommanderiez-vous que le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux s’assoient ensemble et élargissent l’admissibilité au Programme des candidats des provinces, ou PCP, afin que les travailleurs agricoles saisonniers puissent être admissibles au statut permanent par l’intermédiaire du PCP?
M. Dangzalan : Je pense qu’il faut assurément en discuter. Au cours des deux ou trois dernières années et tout au long de la pandémie, nous avons prouvé que les travailleurs agricoles sont essentiels. Aujourd’hui, nous ressentons les répercussions du problème de l’offre et de l’inflation causé par des problèmes dans les chaînes d’approvisionnement pour l’alimentation, par exemple, ce qui montre à quel point il est important pour l’économie canadienne de compter sur ces travailleurs.
Permettez-moi de dire que je ne suis pas un adepte de l’étiquette de travailleurs peu qualifiés que l’on colle à ces types de travailleurs, compte tenu du fait qu’ils sont essentiels à l’économie, comme nous l’avons vu au cours des deux dernières années.
La sénatrice Martin : Mes collègues ont posé beaucoup de bonnes questions, et j’aimerais explorer quelques domaines de questionnement que votre témoignage fait ressortir.
Pour poursuivre sur la grande vulnérabilité de ces travailleurs dans notre système global qui comporte des lacunes, faute d’un meilleur terme, ou des tensions, au niveau provincial et fédéral, pouvez-vous nous dire dans quelles industries canadiennes les travailleurs temporaires et migrants sont les plus vulnérables aux questions juridiques et d’immigration? Vous en avez nommé quelques-unes, je crois.
M. Dangzalan : Il ne fait aucun doute que les travailleurs étrangers temporaires qui travaillent dans des secteurs où ils sont considérés comme peu qualifiés ou semi-qualifiés sont certainement vulnérables.
Cela dépend aussi du type de recrutement qui est effectué lorsque la langue n’est pas nécessairement une exigence, ce qui signifie qu’ils ne sont pas nécessairement aussi habiles que quelqu’un qui maîtrise parfaitement l’anglais ou le français, par exemple. Ils pourraient être vulnérables aux abus dans ce genre de situation.
Je ne peux pas nommer de secteur en particulier. Cependant, l’une des choses qui me viennent à l’esprit, et c’est bien documenté, ce sont les aides familiaux, par exemple. Les abus commis dans ce secteur remontent à près d’un siècle. Cela a donné beaucoup de résultats positifs dans l’économie canadienne et dans la société canadienne en général. Je crois qu’un documentaire a été réalisé sur la montée du mouvement féministe, qui a été rendu possible parce que les domestiques ont pu combler le vide pour permettre à un grand nombre de Canadiennes d’occuper réellement un emploi, par exemple. Il s’agit là d’une contribution évidente du Programme des aides familiaux.
En même temps, il y a un compromis à faire. Les abus existent. Il faut féliciter le gouvernement d’avoir réellement apporté des changements aux programmes au cours des dernières années; cependant, au cours des 10 dernières années, en ce qui concerne le Programme des aides familiaux, nous avons assisté à une cacophonie de programmes pilotes et même les meilleurs avocats en immigration ou spécialiste du droit des réfugiés auront du mal à comprendre comment leur client correspondrait à ce programme particulier.
Du côté des employeurs, comme je l’ai mentionné dans ma déclaration liminaire, beaucoup d’employeurs croient que le programme ne fonctionne plus, car le délai de traitement d’une demande, qui se chiffrait en mois à l’origine, se chiffre maintenant en années.
La sénatrice Martin : J’ai entendu parler de quatre ans, est-ce exact?
M. Dangzalan : Oui, c’est insoutenable.
La sénatrice Martin : Et ce retard est-il attribuable au fait que le programme lui-même doit être corrigé et qu’il y a des problèmes dans le traitement, entre autres? Quels sont les problèmes liés à ce programme?
M. Dangzalan : Je pense qu’IRCC serait l’institution la mieux placée pour répondre à la question.
Si je puis me permettre, le problème réside à mon avis dans l’offre de places pour les programmes en question — parce qu’ils reçoivent un certain nombre d’allocations étant donné qu’ils ont essentiellement offert le volet de résidence permanente dès le départ. Les candidats sont essentiellement soumis à une évaluation de leur admissibilité à la résidence permanente dès qu’ils présentent une demande, ce qui ralentit le traitement. Le délai de traitement était déjà long, même avant les retards causés par la pandémie.
Dans le contexte de l’arriéré de 2,4 millions de cas, à ma connaissance, cela n’aide pas.
La sénatrice Martin : D’accord. Je crois que vous avez dit que vous alliez nous revenir avec une réponse à ce sujet, mais vous avez utilisé l’expression « course pour attirer des talents à l’échelle mondiale » et cela a vraiment attiré mon attention. Vous avez énuméré un certain nombre de pays. J’aimerais en savoir plus sur les pays où le Canada ferait concurrence, comme les pays du Commonwealth ou les États-Unis. Je me demande si vous avez des exemples de certaines de leurs réussites sur lesquelles nous devrions nous pencher.
M. Dangzalan : Eh bien, le Royaume-Uni, si je peux me permettre, a récemment mis en place un programme visant les diplômés des meilleures universités du monde. Les diplômés de l’Université nationale de Singapour, par exemple, qui fait habituellement partie des 10 ou 20 meilleures universités, selon les cotes que l’on utilise, seraient admissibles à des permis de travail ouverts pour venir au Royaume-Uni et travailler dans l’industrie de leur choix. C’est le genre de concurrence à laquelle nous nous heurtons dans les pays du Commonwealth.
Bien entendu, au fur et à mesure que la pandémie s’atténuera, nous verrons l’Australie et la Nouvelle-Zélande rouvrir leurs portes et accélérer aussi l’immigration. Cette concurrence, à la lumière de l’arriéré en particulier, pourrait nous faire perdre du talent.
La sénatrice Martin : Oui. Merci.
La sénatrice McPhedran : Merci de vous être déplacé pour nous rencontrer en personne. Nous vous en sommes très reconnaissants.
Je voulais poser une question au sujet de l’objectif annoncé d’accueillir 500 000 nouveaux Canadiens, espérons-le, et revenir sur certaines des observations que la sénatrice Martin vient de formuler au sujet de l’arriéré.
Nous savons que des annonces ont été faites récemment au sujet de l’augmentation de l’embauche à IRCC. Nous sommes tous d’accord pour dire que ces embauches sont essentielles compte tenu de l’arriéré. J’ai deux questions à vous poser. L’une d’ordre général, l’autre est beaucoup plus détaillée.
La question d’ordre général porte sur les 500 000 nouveaux Canadiens qui arrivent et l’arriéré. Je sais que personne n’a de boule de cristal, mais vous avez beaucoup d’expérience dans le traitement des demandes et le soutien des travailleurs qui viennent au Canada et qui veulent rester au pays. Manque-t-il quelque chose dans ce programme potentiel? Y a-t-il quelque chose que vous auriez voulu entendre ou voir, qui était bien loin de ce que nous a dit IRCC?
M. Dangzalan : Oui. Je vous remercie de la question. Je suis heureux d’être ici à Ottawa. C’est en quelque sorte un retour aux sources. J’ai fait mes études à l’Université d’Ottawa.
Pour ce qui est de la vue d’ensemble, ce que nous aimerions voir en tant qu’organisation, c’est un peu plus de transparence de la part du ministère en ce qui concerne la façon dont il veut gérer les arriérés.
L’un des exemples particuliers qui me viennent à l’esprit est sa stratégie de transformation numérique qui, à mon avis, est très importante. Il s’agit d’un élément important de la modernisation de son système de traitement des demandes vétuste, fondé sur le système mondial de gestion des cas, qui a aidé IRCC au fil des ans. Il s’agit toutefois d’une technologie vieillissante qui doit être remplacée.
Des plans sont en place, mais si les avocats spécialistes de l’immigration n’avaient pas fait de bruit au sujet de l’utilisation de l’intelligence artificielle et de l’analyse avancée, IRCC n’aurait pas été aussi enclin à révéler comment ces programmes sont réellement mis en œuvre. Nous avons vu dernièrement — en particulier du ministre Fraser — que l’on communique de façon de plus en plus proactive que ces programmes, en particulier les programmes d’immigration, seront mis en œuvre. Par exemple, en octobre, le ministère a annoncé qu’il utiliserait des analyses avancées pour prolonger les permis d’études à l’intérieur du Canada. Nous sommes reconnaissants de cette transparence. Le Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration de la Chambre des communes a également demandé au ministère d’être un peu plus transparent lorsqu’il s’agit d’utiliser des techniques d’analyse avancées et de l’intelligence artificielle. Je pense que la conversation ne fait que commencer, et il s’agit d’une composante très importante du processus décisionnel de l’immigration à l’avenir.
Je pense que nous devons continuer d’encourager le ministère à continuer d’en parler.
La sénatrice McPhedran : J’ai grandi dans une région rurale, et il se trouve que ma ville natale — je viens de Neepawa, au Manitoba — a vu sa population doubler par suite de l’arrivée de travailleurs de pays qui s’y installent.
Je sais aussi, ayant grandi dans une région rurale, que des blessures peuvent survenir.
En faisant fond sur votre vaste expérience, je me demande si vous pourriez parler de ce qui se passe lorsque quelqu’un devient invalide temporairement ou — comme on peut s’y attendre — à plus long terme. Comment le Canada gère-t-il ce genre de situation? Avons-nous des possibilités d’amélioration?
M. Dangzalan : Je dirais que cela varie d’une province à l’autre en fonction du niveau d’accès aux soins de santé. La plupart des travailleurs étrangers de la plupart des provinces ont accès au système d’assurance-maladie au Canada. En ce qui concerne l’invalidité, cela dépend aussi de la province.
Par exemple, les programmes d’aide sociale de l’Ontario ne donnent peut-être pas le même montant que ceux que le Manitoba donnerait à une personne qui subit une blessure. Cela dépend des différences dans les règles relatives au milieu de travail que nous avons en matière de santé et sécurité au travail. Je ne suis malheureusement pas spécialisé dans ce domaine. Cela ne relève plus de l’immigration. Je crois toutefois comprendre qu’il s’agit en grande partie d’un méli-mélo.
Cela devrait peut-être être un sujet de discussion entre les programmes d’immigration et les provinces lorsqu’elles élargissent les programmes des candidats des provinces, étant donné qu’elles disposent d’une plus grande marge de manœuvre pour déterminer leur propre voie d’immigration.
La sénatrice McPhedran : La prochaine partie de ma question relève peut-être de votre champ d’expertise. Des personnes vous ont-elles consultées parce qu’elles sont en fait forcées de quitter le pays à cause d’une invalidité survenue dans le cadre de leur travail au Canada?
M. Dangzalan : Malheureusement, je n’ai pas rencontré de telles personnes et je ne peux donc pas répondre à cette question, sénatrice.
La sénatrice McPhedran : C’est très intéressant en soi.
La présidente : Je suis vraiment très généreuse en ce qui concerne le temps alloué aujourd’hui.
La sénatrice McPhedran : Merci, je vous en suis reconnaissante.
Mon autre question porte sur le genre — plus précisément sur le sexe et le féminin par rapport au masculin. Il semblerait qu’un nombre plus élevé d’hommes participe à ces deux programmes les plus importants. Chaque fois que je vois cela, je me demande si une certaine partialité peut être à l’œuvre. Il peut s’agir de préjugés inconscients. Cette partialité peut être profondément systémique et ne pas être perçue ou vécue comme une discrimination consciente. Mais les chiffres sont très intéressants. On dirait qu’il s’agit d’environ 80 % des hommes dans un programme et de 50 % dans l’autre. Pourriez-vous me donner un aperçu — encore une fois d’après votre expérience — de ce qui se passe pour les femmes qui veulent venir au Canada et participer aux programmes que nous offrons?
M. Dangzalan : C’est une question très importante. Ce n’est pas tant que le système discrimine en répartissant les hommes ou les femmes dans des professions particulières. Oui, il faut parler de la perpétuation de tels stéréotypes et rôles selon le genre. Toutefois, cela dépend aussi du recrutement. Nous devons aussi être conscients que les aides familiaux, par exemple, sont recrutés à l’étranger, et qu’il existe parfois des préjugés sociétaux qui peuvent être hors de portée du Canada lorsqu’il s’agit de recruteurs qui mènent leurs activités dans un pays étranger.
C’est la même chose pour le Programme des travailleurs agricoles saisonniers. Je pense qu’il existe un stéréotype selon lequel les hommes sont plus robustes et qu’ils seront en mesure de supporter le poids d’une dure journée de travail sur le terrain, ce qui, nous le savons, n’est pas nécessairement vrai. C’est la même chose pour le secteur des soins de santé où l’on trouve surtout des femmes — en particulier les infirmières, les infirmières auxiliaires autorisées, les aides-soignantes et les préposées aux bénéficiaires.
Je dirais que le ministère met en œuvre une analyse plus rigoureuse. D’après ce que nous avons entendu et vu à la suite de ses divulgations, il met maintenant en œuvre une analyse comparative entre les sexes — l’ACS Plus — dans l’élaboration de ses programmes et politiques. Nous sommes donc impatients d’avoir plus de discussions sur le rôle du genre et du sexe dans l’élaboration d’une politique d’immigration. Ce sera une conversation intéressante, car l’immigration se réoriente maintenant vers les provinces et les régions.
Nous devons tous nous rappeler — vous avez raison, il y a un accent accru sur les hommes et une surreprésentation des hommes, surtout dans le secteur agricole, et il y a une surreprésentation des femmes dans le secteur des aides familiaux.
La sénatrice McPhedran : Puis-je continuer d’approfondir ce sujet?
La présidente : Un peu.
La sénatrice McPhedran : Je veux simplement savoir si la disparité entre les sexes est à l’ordre du jour de ces conversations que vous avez décrites. Est-ce que l’on se penche sur cette question précise? Les programmes sont-ils analysés dans l’optique de l’analyse comparative entre les sexes plus? Cette analyse est-elle mise en application?
M. Dangzalan : Ce que je sais, c’est que l’analyse et l’élaboration des politiques et des programmes — l’ACS Plus — sont maintenant des activités régulières que mène IRCC.
La sénatrice McPhedran : Merci.
Le sénateur Kutcher : Veuillez m’excuser de mon retard. Si je vous pose une question à laquelle vous avez déjà répondu, vous n’avez qu’à me dire que je n’ai pas pu entendre votre réponse en raison de mon retard. D’accord?
J’ai une observation, qui sera suivie de trois questions. J’ai été bouleversé, mais, secrètement, quelque peu soulagé, quand vous avez décrit les programmes comme une cacophonie parce qu’en tant que personne qui essaie de comprendre cela — je suis quelque peu novice et notre présidente est beaucoup plus au fait de ce genre de choses que moi, bien sûr —, je trouve cela complètement déroutant. Cela doit être horrible pour quelqu’un qui essaie de s’y retrouver dans tout ce processus. Il y a un programme et un autre programme, un tel programme commence ce jour-ci, un autre se termine ce jour-là. En toute honnêteté, c’est bizarre.
Je me sens soulagé maintenant que je l’ai dit.
Vous parlez du modèle des meilleures universités du Royaume-Uni. C’est un programme très intéressant, qui a été suggéré ici à de nombreuses reprises.
En ce qui concerne le « visa pour les génies » que les États-Unis utilisent pour accélérer le processus des travailleurs étrangers de haut niveau, je suppose qu’à moins d’être Donald Trump, vous pouvez accélérer le rythme de traitement de la crème des talents — en particulier les scientifiques et les travailleurs de la haute technologie de la Silicon Valley — tout de suite. Il leur faut beaucoup moins de temps pour obtenir la citoyenneté. Le Canada a-t-il une approche accélérée semblable et, dans la négative, devrait-il en avoir une?
M. Dangzalan : Parlez-vous du visa O-1, sénateur?
Le sénateur Kutcher : Oui, on l’appelle le visa pour les génies.
M. Dangzalan : L’un de mes clients a effectivement profité du visa O-1 aux États-Unis, et j’ai cru comprendre que ce programme particulier n’offre aucune voie menant à l’obtention d’une carte verte. Les titulaires de ce genre de visa doivent être transférés à un autre programme de résidence permanente aux États-Unis. Mais ils attirent certainement beaucoup de talents rapidement et les font entrer très rapidement grâce à un visa O-1. D’après ce que j’ai compris, ils doivent être parrainés aux États-Unis pour obtenir une carte verte.
Existe-t-il un programme semblable au Canada? Nous avons le visa des travailleurs indépendants pour les résidents permanents. C’est l’équivalent qui se rapproche le plus de ce programme auquel je puisse penser. Comme le décrit IRCC, il est conçu pour les artistes et les athlètes. Il se trouve que j’ai un client qui est à la fois un artiste et un athlète dans un pays étranger et nous essayons de le faire entrer dans cette catégorie. Les délais de traitement sont très lents. Nous parlions de deux à trois ans avant la pandémie. En toute honnêteté, je ne tiens même pas à savoir ce qu’il en est en ce moment. Je n’ai pas tiré de conclusions sur les derniers chiffres concernant les délais de traitement pour ce programme.
Devrions-nous avoir un programme semblable à celui-là? Il faudrait peut-être ajouter ce sujet à la conversation. Vous avez parlé de celui mis en place par le Royaume-Uni pour attirer les meilleurs diplômés. Il existe d’autres moyens d’attirer les talents. Le mois dernier, l’Espagne, par exemple, a adopté la loi sur les entreprises en démarrage qui permet de capitaliser un montant particulier pour entrer au pays. L’équivalent au Canada serait le visa pour démarrage d’entreprise, qui est difficile et est truffé de nombreux problèmes. L’Association canadienne des avocats en immigration a parlé de ce programme par le passé. Je pense qu’il faut procéder à un examen approfondi et à une refonte afin de déterminer l’orientation qu’emprunte réellement l’économie des entreprises en démarrage.
Nous devrions nous inspirer de pays comme le Portugal et l’Espagne pour réfléchir aussi aux entreprises en démarrage et aux nomades numériques parce qu’ils apportent aussi une réserve de talents — pas nécessairement pour qu’ils immigrent en soi, mais pour côtoyer les entreprises en démarrage ici au Canada. La fonction des incubateurs d’entreprises en démarrage est un phénomène intéressant dans le monde entier. C’est vraiment un point de bourgeonnement de l’innovation, de la pensée créative et de la perturbation dans les secteurs critiques de l’économie qui peuvent générer des avantages considérables pour le pays.
Le sénateur Kutcher : C’est utile.
La présidente : Pouvons-nous nous concentrer sur les travailleurs étrangers temporaires peu qualifiés?
Le sénateur Kutcher : Oui. J’aimerais maintenant que nous parlions de ce que nous appelons la Loi sur la faillite et l’insolvabilité au Canada, aux termes de laquelle les travailleurs d’une entreprise qui fait faillite bénéficient d’une certaine forme de protection. Qu’arrive-t-il aux travailleurs peu qualifiés qui viennent travailler dans les cas où l’exploitation agricole devient insolvable ou l’usine de poissons pour laquelle ils travaillent s’effondre? Que leur arrive-t-il?
M. Dangzalan : Avec la permission du comité et du sénateur, je vais vous revenir avec une réponse à ce sujet. C’est une question très importante. Je ne peux malheureusement pas y répondre. Cela dépasse la portée de mon travail habituel. Il s’agit d’une question de faillite et d’insolvabilité. Je vous reviendrai avec une réponse à ce sujet.
Le sénateur Kutcher : Merci.
Mon autre question porte sur les recruteurs. Les recruteurs qui travaillent dans les pays tiers et qui recrutent ces travailleurs étrangers temporaires font-ils l’objet d’une surveillance? J’entends des histoires d’horreur sur le fait que les travailleurs versent des sommes exorbitantes à ces recruteurs. Quand ils arrivent ici, toutefois, le salaire qu’ils touchent suffit à peine à couvrir ce qu’ils ont déjà payé. Le Canada a-t-il une obligation envers les gens qui le font? Agissons-nous à cet égard?
M. Dangzalan : Si je comprends bien les règles régissant le recrutement, il existe déjà des dispositions réglementaires qui les empêchent de récupérer les coûts du recrutement auprès des employés, ce qui était généralement la pratique habituelle et, malheureusement, des recruteurs sans scrupules le font toujours.
Pour ce qui est de l’application de la loi, c’est là que les choses se corsent. Un grand nombre de ces recruteurs travaillent à l’étranger, et IRCC n’a pas compétence pour appliquer les règlements à l’extérieur du Canada. Ce n’est qu’ici, au Canada, que cela devient une question de conformité à l’étude d’impact sur le marché du travail, EIMT. L’une des composantes de l’Entente sur l’étude d’impact sur le marché du travail qu’un employeur signe est qu’il doit respecter les règlements, y compris ne pas recouvrer les coûts de recrutement auprès de l’employé. Un mécanisme est en place pour en assurer l’application.
J’irais plus loin, surtout maintenant que nous sommes confrontés à l’avenir courageux de pousser l’enveloppe de l’immigration vers les provinces et les régions. Le gouvernement fédéral devrait considérer les provinces, les territoires et les municipalités comme des partenaires dans l’application de ces règlements particuliers. Ils sauraient mieux ce qui se passe sur leur propre territoire et quelles lois s’appliquent dans leur administration particulière en ce qui concerne les normes d’emploi, les normes du travail et les normes de santé et sécurité au travail.
Le sénateur Kutcher : Merci beaucoup.
La sénatrice Moodie : Je veux explorer plus en profondeur les données. J’espérais vous demander ce que vous pensez des données que nous recueillons sur les travailleurs étrangers temporaires. De votre point de vue, les données que nous recueillons sont-elles utiles et significatives? Nous permettent-elles de comprendre comment les travailleurs migrants se portent, comment nous devons les soutenir et où sont les écarts? À votre connaissance, ces données influent-elles sur le Programme des travailleurs étrangers temporaires actuellement en place? Sont-elles complètes? Y a-t-il de graves lacunes?
M. Dangzalan : C’est une question importante. Je vous en remercie.
Les données recueillies par IRCC constituent une base de référence importante à partir de laquelle nous pouvons effectuer une merveilleuse analyse statistique de l’état actuel du programme et de son orientation, de son état tout au long de son histoire et de la trajectoire que nous prenons.
Par exemple, j’ai recueilli des données sur les taux d’approbation des permis d’études de 2007 à 2016. Je les ai soumises à une analyse corrélationnelle standard. Mon autre axe était le PIB par habitant. Dans notre propre projet parallèle, nous avons vu qu’il y avait une relation entre le PIB par habitant — ajusté en fonction de la parité des pouvoirs d’achat, évidemment pour chaque pays — et le taux d’approbation d’un permis d’étude de ce pays. Je voudrais également voir les taux d’approbation pour les travailleurs étrangers temporaires. Je n’ai pas eu l’occasion de me pencher sur cette question.
IRCC recueille beaucoup de données. À mon avis — et nous l’avons soutenu et avons présenté des mémoires à IRCC et au Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration de la Chambre des communes par le passé —, les lacunes résident dans le fait qu’IRCC ne recueille pas de données fondées sur la race. Le ministère ne collige des données que sur les nationalités et la citoyenneté, et non sur la race. Cela contraste avec des pays comparables comme les États-Unis. Ils recueillent effectivement des données fondées sur la race. Je crois que cela nous ouvrira de nouveaux horizons dans l’élaboration de politiques, de lois et de règlements. Nous pourrons ainsi savoir où se trouvent nos angles morts. Pour l’instant, c’est un angle mort. IRCC pourrait commencer à travailler là-dessus. J’espère qu’il s’engagera à le faire.
La présidente : Avec votre permission, chers collègues, j’ai quelques questions à poser. Je suis surprise par le mot que vous avez utilisé pour décrire les voies complexes menant à l’entrée et à la résidence permanente pour les aides familiaux. Vous avez dit qu’il s’agissait d’une cacophonie. Pour autant que je sache, cinq ou six projets pilotes sont exécutés en même temps. Je n’ai pas pu déterminer à quel volet je les rattacherais.
Si vous étiez aux commandes, quels changements apporteriez-vous au programme d’aides familiaux?
M. Dangzalan : Tout d’abord, j’éliminerais les programmes pilotes. Même les meilleurs avocats en immigration que je connaisse qui travaille dans le domaine de l’immigration commencent à réellement se perdre dans les programmes qui s’appliquent.
Il s’agissait, semble-t-il, d’un programme ponctuel ou, dans son autre version, d’un programme offert à deux reprises, à savoir la voie provisoire pour les aides familiaux. C’était en 2019. Ce programme temporaire avait la vision d’éliminer l’arriéré du programme des aides familiaux résidants, du programme d’aides familiaux, ainsi que des soins aux personnes ayant des besoins médicaux élevés et des soins aux enfants. Je crois avoir cerné quatre programmes. Cela devait épurer les choses, mais ce n’est pas ce qui s’est produit. On a tenté de le faire à deux reprises.
Le point faible de ce programme est qu’il n’était ouvert que pour une courte période. Essayez de vous imaginer comme un fournisseur de soins qui travaille, par exemple, à King City, en Ontario, où le transport en commun n’est pas vraiment idéal. Vous n’avez congé que le dimanche. Il se trouve que vous n’avez pas accès au transport en commun le dimanche. Vous allez essayer de vous rendre au centre-ville de Toronto pour faire votre test linguistique. Cependant, comme vous avez énormément de travail la semaine, vous ne pouvez pas vous préparer à faire votre test linguistique. N’oubliez pas que le programme n’est ouvert que pour environ un mois et demi, deux fois. Cette personne n’a pas beaucoup de temps pour se préparer ou passer cet examen qui l’aurait qualifié pour une voie vers la résidence permanente. Si j’étais aux commandes, je ferais une réouverture robuste de la voie provisoire pour éliminer l’arriéré.
En même temps, j’apprendrais des leçons et des erreurs de tous les programmes des 10 dernières années, y compris les programmes de l’ancien premier ministre Harper, par exemple, le Programme des soins aux personnes ayant des besoins médicaux élevés, le Programme de la garde d’enfants et les projets pilotes du gouvernement Trudeau qui sont le programme actuel de soins à domicile et de garde d’enfants. J’essaierais de tirer les leçons de ces programmes.
L’un des principaux points à retenir, à mon avis, est l’élimination de l’EIMT, qui enlève une grande partie du stress pour le travailleur étranger, et l’élimination de l’exigence d’être propre à l’employeur. Il s’agit de l’un des programmes qu’IRCC a mis en œuvre qui est axé sur la profession afin que les participants puissent changer d’employeur. Tant qu’ils continuent d’occuper leur métier, ils n’ont aucun problème et on évite beaucoup d’abus. Il s’agit donc d’un grand avantage qui devrait être transféré au prochain programme.
Je ne transférerais probablement pas les mesures rigoureuses que le ministère a prises — et je comprends d’où elles viennent — lorsqu’il a examiné en premier lieu les exigences relatives à la résidence permanente parce qu’il voulait prévenir les déceptions.
Mais IRCC et le gouvernement doivent comprendre que les familles canadiennes ont besoin de soins, par exemple, et à cet égard, ils devraient peut-être reconnaître que tous les aides familiaux n’ont pas l’intention de rester au Canada de toute façon. C’est probablement un très faible pourcentage, mais cela se produit tout de même. J’ai parlé à des aidants familiaux qui n’ont pas l’intention de rester au Canada. Ils sont très rares, mais ils existent.
Peut-être que dans un nouveau programme, ils pourraient refaire leurs devoirs et se pencher sur l’examen des exigences en matière de résidence permanente dès le départ. Si cela va de pair avec la remise en œuvre d’une voie provisoire, cela devrait éliminer l’arriéré et répondre à une grande partie des besoins des familles canadiennes qui ont besoin de soins.
La présidente : Vous aimeriez revenir au programme à deux étapes initial, où les aides familiaux résidants sont venus, ont travaillé pendant un certain temps, ont prouvé qu’ils étaient bien monsieur X ou madame Y, et ont ensuite demandé la résidence permanente. C’était l’ancien programme, et les chiffres étaient faibles, mais fonctionnait-il bien?
M. Dangzalan : Je pense qu’il est utile d’en parler, mais il est également utile de parler du maintien des aspects positifs de l’examen dès le départ des exigences en matière de résidence permanente du programme. Parce qu’en fin de compte, soyons sérieux. Beaucoup de ces aides familiaux veulent devenir des résidents permanents, et c’est une voie donnée et définitive qui dure depuis près de 100 ans maintenant.
Il est essentiel de faire preuve d’honnêteté à ce sujet, mais en même temps, il doit y avoir un équilibre entre les intérêts ici, en ce sens que nous devons offrir aux familles canadiennes une voie intérimaire pour embaucher des aides familiaux pendant que ce programme est en cours d’élaboration.
La présidente : Vous avez parlé de tests linguistiques. Pourriez-vous nous dire combien coûtent les tests linguistiques chaque fois qu’un aide familial ou un travailleur étranger temporaire doit renouveler son visa et nous expliquer ce que cela inclut?
M. Dangzalan : Les coûts des examens linguistiques se situent entre 250 et 350 dollars canadiens. J’ai connu des aides familiaux qui ont passé ces tests 5 à 10 fois pour obtenir les bons résultats dont ils ont besoin. Nous parlons ici d’environ 3 500 $, et c’est habituellement un mois de salaire si nous utilisons le salaire minimum de l’Ontario comme norme dans cet exemple. C’est donc un fardeau très lourd qu’ils doivent assumer.
Il est toutefois intéressant de voir que lorsqu’ils demandent leur permis de travail, ils doivent déjà posséder certains titres de compétences, et l’un de ces éléments est une évaluation linguistique et une entrevue. Je crois comprendre qu’ils doivent passer un examen linguistique pour qu’ils puissent bien s’intégrer dans la société canadienne, ce qui soulève une grande question à mes yeux. Ils sont déjà au Canada. Ils sont des membres actifs de l’économie canadienne. Alors pourquoi semble-t-il important d’obtenir un score de 5 sur 10 pour un test particulier?
Il y a aussi la sous-utilisation des mesures d’adaptation offertes aux personnes en situation de handicap, par exemple, par les personnes qui passent le test. Par le passé, j’ai eu des clients qui souffraient de possibles difficultés d’apprentissage, par exemple, ou qui souffraient d’une anxiété grave à l’idée de subir des tests. Quand vous leur parlez, vous savez qu’ils s’expriment dans un anglais ou un français fonctionnel; cependant, ils ne réussissent pas bien lorsqu’ils subissent un test. Il faudrait donc revoir la privatisation de cette partie du pouvoir discrétionnaire accordé à un agent afin de mener une entrevue.
L’un des équivalents auquel je peux penser, c’est la Loi sur la citoyenneté, qui prévoit qu’un juge de la citoyenneté peut en fait interroger un demandeur s’il a des difficultés à réussir l’examen, par exemple. Parfois, dans certaines situations, on peut y renoncer. Par exemple, les personnes de plus de 55 ans ne sont plus tenues de passer le test de citoyenneté. Pourquoi ne pouvons-nous pas faire quelque chose de semblable pour les aides familiaux?
La présidente : Sénatrice Moodie, je suis sincèrement désolée. Je pense que je vous ai peut-être interrompue.
La sénatrice Moodie : Non, mais je pourrais poser une autre question.
La présidente : Vous devrez d’abord attendre que la sénatrice Petitclerc ait posé ses questions. Merci.
La sénatrice Petitclerc : Ma question sera brève parce que vous avez déjà répondu à bon nombre de mes préoccupations. Je fais partie des membres qui le trouvent assez complexe, et j’essaie toujours de le comprendre. J’allais donc vous demander de nous donner des exemples des problèmes et obstacles avec lesquels vos clients sont aux prises, mais vous en avez déjà beaucoup donné. Pourriez-vous nous donner quelques autres exemples des principaux problèmes ou obstacles qui reviennent sans cesse chez les personnes qui recourent à vos services?
M. Dangzalan : Eh bien, il y a des situations où, par exemple, un travailleur étranger temporaire entre au Canada avec une déclaration de santé en ordre parce qu’il a terminé les examens médicaux de son pays ou de son administration d’origine. Il séjourne au Canada depuis un certain nombre d’années, mais il développe ensuite certaines maladies qui le rendent essentiellement interdit de territoire aux termes de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. C’est donc le genre de situation qui peut se produire. Oui, il bénéficie d’une protection pendant qu’il est travailleur étranger temporaire. Mais cela l’empêche essentiellement de devenir résident permanent. Donc, le fait que ce travailleur développe cette maladie pendant qu’il se trouve au Canada appelle à la conscience.
La sénatrice Petitclerc : Oui, et il n’a aucun recours.
M. Dangzalan : Le recours est prévu à l’article 25, qui porte sur l’application des motifs d’ordre humanitaire et de compassion, mais je pense que je devrais mentionner au comité que les taux d’approbation des organismes sont inférieurs à 10 %.
La sénatrice Petitclerc : Merci.
La présidente : Si vous me le permettez, j’aimerais vous poser d’autres questions sur les tests linguistiques parce que je trouve que c’est incroyablement onéreux pour les travailleurs à bas salaire de devoir continuer à faire et à refaire ces tests.
Nous avons entendu le ministre et bien d’autres dire que l’emploi est la meilleure voie vers l’intégration. Pourtant, si ces travailleurs sont employés, ne pouvons-nous pas présumer qu’en raison de leur emploi, ils favorisent leur intégration? Aimeriez-vous que les examens de langue suivants soient abolis ou deviennent facultatifs selon la situation?
M. Dangzalan : Je pense qu’il faudrait faire preuve de clémence à l’égard de ceux qui ont été obligés de soumettre des examens de langue par le passé, s’ils ont déjà franchi cette étape, au moment d’élaborer de nouveaux programmes afin qu’ils passent du statut de résident temporaire à celui de résident permanent. Il faudrait comprendre qu’ils sont déjà intégrés d’un point de vue linguistique s’ils ont déjà soumis leurs examens de langue lorsqu’ils ont présenté leur demande à partir de la Jamaïque, par exemple.
En outre, l’anglais parlé dans certains pays, dont le niveau ne correspond pas nécessairement à ce qu’IRCC pourrait demander, peut toutefois être fonctionnel et suffisant pour l’économie. Et c’est généralement le cas de certains de mes clients dont leurs employeurs garantissent leurs compétences linguistiques, mais qui, pour une raison quelconque, ne peuvent pas faire les tests ou n’ont pas un bon rendement pendant le test. Il est donc certain que des exemptions devraient être accordées.
Je crois comprendre que les deux programmes pilotes ont été créés à cette époque à partir de politiques publiques spéciales aux termes de l’article 25.2 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Ainsi, s’ils demandent une exemption des tests linguistiques pour des motifs d’ordre humanitaire et de compassion — c’est-à-dire s’ils ont échoué au test à cinq reprises et ne veulent pas payer pour le faire une sixième fois —, cette demande se transforme en simple demande présentée à l’organisme, ce qui, comme les membres de ce comité le savent peut-être, s’accompagne d’un plus lourd fardeau s’il s’agit de la demande complète présentée à l’organisme. Vous faites toutes sortes d’analyses, y compris celle de la contrainte excessive, si vous ne traitez qu’avec des adultes et ainsi de suite.
Il y a lieu de dire quelque chose au sujet de ces politiques publiques élaborées en vertu de l’article 25.2 et de leur recours à l’article 25 afin de demander des exemptions pour des motifs d’ordre humanitaire et de compassion. S’il s’agissait d’une demande pour un parent ou un grand-parent, ou PGP, vous avez accès à des ressources d’organismes, et ce, même si vous n’appartenez qu’à ce programme particulier. Il n’est pas nécessaire de le transformer en une demande auprès de l’organisme. Toutefois, si vous vous trouvez dans une voie provisoire pour les aides familiaux par exemple, qui est un programme élaboré aux termes de l’article 25.2, et que vous demandez une petite exemption, elle se transforme en demande purement présentée à l’organisme et vous êtes envoyé au bureau de Vancouver.
La présidente : Je crois comprendre que les agriculteurs et les cuisiniers sont dans le secteur où la demande de postes temporaires de travailleurs étrangers est la plus forte et que leurs employeurs sont des exploitations agricoles et des restaurants. Toutefois, les agriculteurs et les cuisiniers ne sont pas admissibles aux services d’établissement parce qu’ils sont des travailleurs étrangers temporaires. Pourtant, nous savons qu’ils ont, à certains moments pendant leur séjour au Canada, besoin de conseils. Aimeriez-vous que le secteur de l’établissement soit mieux soutenu ou aimeriez-vous que les travailleurs étrangers temporaires aient droit à des services d’établissement?
M. Dangzalan : J’aimerais répondre les deux, c’est-à-dire élargir l’admissibilité et allouer plus de ressources à ces organismes d’établissement.
Ce que nous avons aussi vu — et mes sources dans le nord de l’Ontario le confirment, par exemple —, c’est qu’il y a maintenant une inscription excessive d’étudiants internationaux et de leur famille aux services sociaux parce qu’ils peuvent avoir accès aux banques alimentaires et autres. Il est absolument nécessaire d’avoir plus de ressources pour les gens qui arrivent au pays. Une ligne de dialogue pour le gouvernement fédéral et les municipalités est certainement une occasion qui attend d’être exploitée.
La présidente : Vous aimeriez que le financement des services d’établissement et l’accès à ces services soient étendus aux travailleurs étrangers temporaires et aux étudiants étrangers?
M. Dangzalan : Absolument.
La sénatrice Moodie : L’un des plus gros problèmes du secteur est le fardeau financier supplémentaire et non réglementé imposé au travailleur temporaire qui souhaite effectuer une transition et qui cherche une voie. C’est ce que j’appelle profiter de ces gens. Vous avez dit que cette activité se déroule en grande partie dans des administrations qui ne relèvent pas de notre contrôle. C’est vrai, mais il se passe beaucoup de choses ici.
Quels types d’activités et d’information — qu’il s’agisse d’échange d’information ou autre — pourraient, selon vous, contribuer à améliorer la base de connaissances des personnes qui se trouvent dans cette situation et qui se font souvent facturer un montant supplémentaire, par exemple pour les examens linguistiques ou pour remplir un formulaire? C’est un montant supplémentaire important. Ils font profiter d’eux, et il semble que la réglementation est très peu efficace. Que doit-il se passer dans ce cas?
M. Dangzalan : Premièrement, les services doivent être téléchargés encore plus loin et de manière substantielle et significative, par exemple en rendant les ressources disponibles en plusieurs langues au-delà des langues officielles du Canada. Nous devrions le faire en fonction des statistiques et des faits, en fonction de ce que nous apprennent les données du recensement, sur la population des nouveaux arrivants la plus nombreuse, par exemple s’il s’agit de celle qui s’exprime en tamoul, en tagalog, en farsi ou en hindi. Nous pouvons allouer des ressources afin de pénétrer davantage dans ces communautés.
Une autre chose qui me vient à l’esprit : j’étais à Calgary le mois dernier. J’ai parlé à un organisme là-bas qui tient régulièrement des séances d’éducation juridique du public aux membres de sa communauté afin de les orienter en ce qui concerne leurs droits en tant que travailleurs étrangers temporaires. Si l’on examine les organisations qui font ce genre d’activité et les financent, il est beaucoup plus efficace de les soutenir et de les encourager que bon nombre des campagnes classiques auxquelles nous pouvons penser. Je parle de l’approche de base en matière d’organisation communautaire et de diffusion de renseignements comme ceux-ci.
L’une des choses que nous devons comprendre au sujet des travailleurs étrangers temporaires est que certains d’entre eux viennent d’une culture où ils conservent leur cercle d’amis. S’ils réussissent à obtenir de l’information auprès de sources fiables au sein de leur propre communauté, ils ont tendance à les croire davantage. Cela éviterait les situations où des agents sans scrupules, par exemple, profitent d’eux et leur factureraient des frais excessifs uniquement pour remplir un formulaire.
La sénatrice Moodie : Qu’en est-il des autres moyens de donner de l’information en dehors du bouche-à-oreille? Beaucoup de gens n’ont pas accès aux ordinateurs, et cela semble être l’approche traditionnelle que nous suivons. Quelles stratégies pourrions-nous ajouter ici?
M. Dangzalan : Il y a des campagnes sur les médias sociaux. Par exemple, la province de l’Ontario — je vis en Ontario, donc je suis un peu partial parce que je le vois tout le temps — diffuse beaucoup d’information sur les droits des travailleurs dans les langues de certaines communautés de migrants. C’est efficace. Même s’il s’agit de médias sociaux — et je sais qu’il pourrait y avoir des problèmes de technologie et d’accessibilité —, nous savons aussi que beaucoup de gens utilisent maintenant des téléphones intelligents, par exemple. C’est une façon.
En dehors des organisations communautaires, on pourrait aussi le faire dans les lieux de culte, où l’on trouve des gens à qui ces travailleurs feraient naturellement confiance, par exemple. Ce sont des endroits où l’on peut intervenir. Essentiellement, nous devons examiner la question de l’organisation communautaire si nous voulons vraiment diffuser l’information à l’échelle locale.
La sénatrice Moodie : Est-ce que l’on saisit les données sur les gens qui font profiter d’eux?
M. Dangzalan : Je ne peux pas me prononcer sur ce sujet, mais je peux me pencher sur cette question pour le comité.
[Français]
La sénatrice Mégie : Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada travaille à la mise en œuvre d’une nouvelle version du système de classification nationale des professions, lequel était d’abord basé sur les compétences. Le ministère veut instaurer quelque chose de nouveau qui comporterait six niveaux. Je suis sûre que vous êtes au courant; ce système serait basé sur la formation, les études, l’expérience et les responsabilités.
D’après vous, ces changements auront-ils un effet important et positif sur la capacité des étrangers à devenir des résidents permanents au Canada?
M. Dangzalan : C’est probablement un peu trop tôt pour dire si ce sera positif ou négatif. Cependant, avec les changements au système des catégories FEER, il s’agit maintenant d’un système de classement à cinq ou six niveaux; les niveaux B et C ont été ramifiés pour apporter un peu plus de nuances dans le classement des professions. Cela donne la possibilité à IRCC d’admettre certains professionnels et certains travailleurs pour le programme Entrée express. Cela peut favoriser une ouverture, par exemple, pour les travailleurs dans les résidences de soins de longue durée.
Ensuite, on pense aussi aux personnes qui étaient auparavant classées comme des personnes semi-qualifiées, mais qui peuvent maintenant avoir accès au programme Entrée express.
Cela donne des occasions pour les demandeurs, mais cela reste à voir, à mon avis. Il faut vraiment attendre quelques rondes d’invitations pour déterminer si cela fonctionne ou non.
La sénatrice Mégie : D’accord. Merci.
[Traduction]
La présidente : Merci beaucoup de répondre aussi patiemment à toutes nos questions. J’en ai une concernant les permis de travail fermés, sectoriels et ouverts. De toute évidence, les employeurs aiment les permis de travail fermés parce qu’ils leur en donnent le contrôle, mais nous savons aussi d’après les preuves que les employés — les travailleurs étrangers temporaires — sont susceptibles de tolérer des abus parce qu’ils souhaitent passer à l’étape suivante, quelle que soit cette étape.
Je me demande s’il est possible de songer à une forme de transition, c’est-à-dire des permis de travail ouverts. Par exemple, dans une industrie où nous savons que la demande est élevée et permanente — disons les cultivateurs de champignons —, un permis de travail ouvert pourrait être créé pour les travailleurs étrangers temporaires de l’industrie des champignons, et cela serait planifié avec la participation d’associations de producteurs de champignons au Canada.
M. Dangzalan : Je vois. C’est une proposition très intéressante, sénatrice. Pour le moment, nous avons des permis de travail propres à une profession, mais les permis de travail propres à un secteur sont sans aucun doute une solution créative qui les maintiendrait dans le même secteur lorsque nous savons qu’un besoin particulier existe. C’est certainement un peu plus ciblé. À mesure qu’IRCC se dirige vers une plus grande collecte de données et de mégadonnées, et la gouvernance électronique, je pense qu’il y a un argument à défendre, selon les données qu’il recueille et selon ce qu’il est prêt à divulguer — parce qu’il est un peu secret quand il s’agit de certaines statistiques et de la façon dont sa machine fonctionne. Mais je dirais que c’est certainement une solution créative.
Je dirai aussi qu’en 2019, juste avant la pandémie, IRCC a fait un appel aux commentaires sur les permis de travail propres à une profession. J’ignore s’il a donné suite à cet appel. Je ne pense pas qu’il l’ait fait. Je pense que cela a été éclipsé par la pandémie. Maintenant que nous sommes, espérons-le, à la fin de cette pandémie mondiale, nous pouvons commencer à avoir cette conversation. Votre idée d’un permis de travail propre à un secteur mérite certainement cette conversation.
La présidente : Nous arrivons à la fin de nos questions et j’aimerais vous poser une question à un million de dollars. Nous étudions les travailleurs étrangers temporaires, leurs conditions et leur voie vers la résidence permanence. Quelles seraient les principales recommandations que vous aimeriez voir être présentées dans notre rapport?
M. Dangzalan : Ce que nous aimerions voir, c’est un programme cohérent qui parle de la transition des travailleurs étrangers temporaires vers la résidence permanente, du moins pour ceux qui veulent rester au Canada. Nous avons utilisé le processus d’immigration en deux étapes pour le plus grand avantage de notre pays, mais je pense qu’il est également important pour nous de reconnaître que ce sont des travailleurs importants qui ont une place sous le soleil canadien, qu’ils doivent être soignés et qu’ils doivent être appréciés pour ce qu’ils font pour nous.
La présidente : Merci beaucoup. Le soleil canadien, lorsqu’il brille, devrait briller de la même façon pour tous. Merci infiniment. Vous avez répondu avec une très grande générosité à nos questions. Nous vous remercions également des renseignements que vous nous avez promis de nous envoyer.
Je pense que nous avons terminé.
(La séance est levée.)