LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES SOCIALES, DES SCIENCES ET DE LA TECHNOLOGIE
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 17 novembre 2022
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd’hui, à 11 h 33 (HE), avec vidéoconférence, afin d’examiner pour en faire rapport les questions qui pourraient survenir concernant les affaires sociales, la science et la technologie en général.
La sénatrice Ratna Omidvar (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Je déclare ouverte cette séance du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie. Je m’appelle Ratna Omidvar, et je suis sénatrice de l’Ontario et présidente du comité.
J’aimerais faire un rapide tour de table pour permettre à mes collègues de se présenter à la témoin.
La sénatrice Dasko : Merci. Je m’appelle Donna Dasko, sénatrice de l’Ontario.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Sénatrice Petitclerc, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Kutcher : Stan Kutcher, de la Nouvelle-Écosse.
La présidente : Merci, chers collègues.
Nous poursuivons aujourd’hui notre étude de la main-d’œuvre temporaire et migrante du Canada. Dans notre premier groupe, nous accueillons par vidéoconférence Elizabeth Kwan, chercheuse principale au Congrès du travail du Canada.
Notre deuxième témoin ne peut comparaître pour des raisons techniques. Espérons que nous pourrons l’entendre à un autre moment.
Nous avons amplement de temps avec notre seule et unique témoin. Nous pouvons creuser aussi profondément que nous le voudrons avec elle. La séance d’aujourd’hui, chers collègues, est inhabituelle, en ce sens que nous devons lever la séance à 12 h 55 parce que le Sénat siégera et que le personnel devra déménager.
J’inviterais maintenant Mme Kwan à faire sa déclaration préliminaire. Nous avons habituellement cinq minutes pour les déclarations préliminaires. Étant donné que vous êtes la seule témoin, et que nous avons plus de temps, je serai plus conciliante que d’habitude aujourd’hui sur la question des temps de parole.
Allez-y, madame Kwan.
Elizabeth Kwan, chercheuse principale, Congrès du travail du Canada, à titre personnel : Merci beaucoup, madame la présidente.
Bonjour, honorables sénateurs. Je vous remercie de m’avoir invitée à comparaître devant votre comité aujourd’hui.
À titre personnel, j’ai défendu les droits des migrants et des immigrants pendant des décennies. Je travaille actuellement au Congrès du travail du Canada, ou le CTC, la plus grande centrale syndicale du Canada, au service de 3 millions de travailleurs répartis dans tous les secteurs à l’échelle du Canada.
Les travailleurs migrants viennent au Canada dans le cadre de deux programmes : le Programme des travailleurs étrangers temporaires, le PTET, et le Programme de mobilité internationale, le PMI.
Je parlerai d’abord du Programme des travailleurs étrangers temporaires, que le gouvernement et l’employeur considèrent comme un programme axé sur la demande des employeurs, ainsi que comme un programme contrôlé par l’employeur, et qui fonctionne comme tel.
Le PTET est structuré de manière à assurer un énorme déséquilibre du pouvoir entre les travailleurs migrants et les employeurs dans la relation d’emploi, en raison de la condition du permis de travail pour un employeur précis.
Cela rend les travailleurs migrants vulnérables à la maltraitance et à l’exploitation et assure aux employeurs une main-d’œuvre migrante stable, à bas salaires et docile. La vulnérabilité des travailleurs migrants est aggravée par des lacunes de la réglementation et des politiques, comme la perte de droits des travailleurs agricoles selon certaines lois du travail et normes d’emploi provinciales et par la faiblesse de la surveillance et du contrôle de la conformité des employeurs dans le PTET.
Les travailleurs migrants en subissent de nombreuses et graves conséquences, comme l’insalubrité du logement pour les travailleurs agricoles migrants, le respect insuffisant ou inexistant des normes de santé et de sécurité, le vol des salaires, la servitude pour dettes, la traite des personnes, les piètres conditions de travail, le racisme, la discrimination et la difficulté d’accès aux soins de santé.
Le discours selon lequel la maltraitance et l’exploitation des travailleurs migrants étrangers temporaires sont le fait de seulement quelques mauvais acteurs détourne l’attention du véritable problème, à savoir que le Programme des travailleurs étrangers temporaires, de par sa conception même, permet systématiquement ces violations des droits des travailleurs et des droits de la personne.
Honorables sénateurs, j’aimerais aborder le Programme de mobilité internationale, le PMI, qui compte trois fois plus de travailleurs migrants que le PTET.
Selon le gouvernement, l’objectif du PMI est de promouvoir les intérêts sociaux, culturels et économiques et l’avantage concurrentiel du Canada.
L’objectif du PTET est de corriger les pénuries de main‑d’œuvre et de compétences en aidant les employeurs à embaucher une main-d’œuvre temporaire lorsqu’ils sont incapables de trouver un résident canadien ou permanent pour répondre à leurs besoins.
Cette distinction appliquée aux travailleurs migrants est arbitraire et démontre que les travailleurs étrangers temporaires sont moins utiles et moins avantageux pour le Canada que les travailleurs du PMI, ce qui, nous le savons tous maintenant, n’est pas vrai. Par conséquent, le gouvernement exige moins de comptes et de diligence raisonnable pour les employeurs dans le PMI que dans le PTET.
Par exemple, l’employeur du PMI peut embaucher un travailleur migrant sans s’occuper de l’évaluation de l’impact sur le marché du travail, ou l’EIMT, qui est pourtant obligatoire dans le PTET. Donc, certains employeurs utilisent le PMI pour se soustraire aux coûts et aux exigences du PTET. Le Canada dispose en fait de peu de données sur les emplois confiés aux travailleurs migrants du PMI.
Honorables sénateurs, la mise en œuvre du PTET et du PMI doit être harmonisée et aller dans le sens des obligations du gouvernement en matière de normes du travail au Canada et à l’échelle internationale, de même que de son ambition d’éradiquer le travail forcé. Il est inquiétant de constater que certaines violations du PTET se trouvent dans la définition même du travail forcé de l’Organisation internationale du travail.
Les travailleurs migrants doivent avoir les mêmes droits et la même capacité de les faire respecter que les Canadiens et les résidents permanents, par un accès significatif à la résidence permanente et de bonnes occasions d’y accéder.
Le Congrès du travail du Canada continuera de défendre les droits, les protections et la justice pour les travailleurs migrants.
Une partie du travail du CTC ces trois dernières années — ou juste avant et pendant la pandémie — a été le projet pilote du Réseau de soutien aux travailleurs migrants, le Programme pilote sur l’agroalimentaire, l’affectation des travailleurs de la construction sans statut au projet pilote de la région du Grand Toronto pour les travailleurs sans papiers, la défense des droits des travailleurs migrants pendant les confinements, la défense de la voie d’accès du résident temporaire au statut de résident permanent pour 90 000 migrants et d’innombrables mémoires, notamment ceux sur le renforcement des protections des travailleurs migrants, la stratégie de la main-d’œuvre agricole, le logement et les soins de santé pour les travailleurs migrants.
Voilà. Telles sont les notes que j’avais pour mes cinq minutes, et je m’arrête donc là. Merci de votre temps, et je me réjouis à la perspective d’une série de questions bien senties des sénateurs.
La présidente : Je pense que vous pourrez faire valoir tous vos points dans l’heure que nous vous avons réservée. C’est vraiment à notre avantage de ne pas vous limiter à cinq minutes pour approfondir le problème.
À votre tour de poser des questions, chers collègues. Permettez-moi de commencer pour demander une précision. Madame Kwan, vous avez parlé du Programme des travailleurs étrangers temporaires et du Programme de mobilité internationale. Hier, des témoins nous ont parlé des professions dominantes — travailleurs agricoles, cuisiniers, aidants naturels, et cetera — dans le PTET.
Pourriez-vous nous dire quelles sont les professions dominantes dans le PMI?
Mme Kwan : Merci de votre question, madame la présidente. Comme le PTET a ses exigences administratives, nous comprenons en fait quels emplois sont pourvus lorsque nous accueillons les travailleurs migrants dans le cadre du PTET. Dans mes commentaires, j’ai dit que le PMI était un peu plus laxiste à cet égard. Comme il ne demande pas d’évaluation d’impact sur le marché du travail, il n’y a pas suffisamment d’information sur les types d’emplois qui sont pourvus dans le cadre du PMI.
En général, la dernière fois que j’ai vérifié, environ 70 % des emplois dans le PMI entrent dans la vaste catégorie des « compétences inconnues ». Il est donc assez difficile de répondre avec précision à votre question.
Dans le cas des personnes qui recourent au PMI plutôt qu’au PTET, par exemple, du travailleur qui s’amène pour la cueillette des pommes dans le cadre du PMI, en quoi est-il différent de celui qui cueille des pommes dans le cadre du PTET, si ce n’est que les programmes sont distingués différemment?
Pour moi, c’est quelque chose à examiner parce que, depuis plusieurs années, le nombre de travailleurs arrivés ici dans le cadre du PMI est désormais plus du triple du nombre de travailleurs migrants en vertu du PTET.
Merci.
La présidente : D’après ce que je comprends du PMI, les travailleurs sont généralement des employés transférés d’une société à l’autre, ainsi que des travailleurs visés par des accords comme l’Accord de libre-échange nord-américain et des étudiants de certains pays qui sont autorisés à venir travailler.
Si vous aviez plus d’information sur l’interaction entre les deux programmes et sur le fait que le PMI sert de point d’entrée de niveau inférieur pour les travailleurs étrangers temporaires, alors, s’il vous plaît, veuillez nous en informer.
La sénatrice Dasko : Merci, madame Kwan, d’être des nôtres aujourd’hui. J’ai deux questions à vous poser.
Tout d’abord, vous avez dit que le PMI est un moyen plus facile que le PTET de nous attirer des travailleurs. Estimez-vous qu’il faudrait regrouper ces deux programmes? Serait-ce un bon moyen de régler notre problème de cloisonnement? C’est ma première question.
Voici ma deuxième question : j’avais l’impression, je suppose, que le gouvernement cherchait à régler certains des abus dans le PTET. J’aimerais bien savoir si vous pensez qu’il y a eu des progrès côté traitement des abus dans le programme et, si oui, où ils ont eu lieu, ou encore, à quelle place il faudrait faire encore plus.
Voilà mes deux questions. Merci.
Mme Kwan : Merci, sénatrice, de ces questions.
Honorables sénateurs, j’apprécie toute cette heure qui m’est consacrée, mais cela me rend très nerveuse.
Pour répondre à la première question, qui est de savoir s’il faut regrouper les deux programmes, je ne pense pas que cela soit une bonne idée. En effet, ne serait-ce que pour cette raison, ce que la présidente a dit est juste : il y a d’autres volets qui permettent des transferts selon nos accords commerciaux; par exemple, des universitaires nous arrivent par le PMI. C’est un mélange, mais je suppose qu’il y a de nombreux volets dans chacun de ces programmes. Mais c’est un mélange.
Je me demande si le regroupement des deux volets représenterait une valeur ajoutée. En fait, cela pourrait accroître la confusion qui est déjà là. Donc, je dirais non.
Mais il y a des questions sur lesquelles — comment dire — il faut être lucides quant à certaines positions utilisées dans le PMI. Par exemple — et mon exemple date d’un certain temps —, pour plusieurs gouvernements passés, lorsqu’il y a eu des changements au programme des aidants naturels migrants et que les employeurs multipliaient leurs demandes par l’entremise du programme, ils ne trouvaient pas de travailleurs migrants par le PTET. Dans ce cas-là, ils s’adressaient au Programme d’échanges jeunesse dans le PMI pour faire venir quelqu’un pour s’occuper de leurs enfants à la place.
Il s’agit de nous assurer que nous avons des systèmes en place et que les gens sont en mesure d’en profiter. Encore une fois, les cueilleurs de pommes, dans le PMI comme dans le PTET, font le même travail, n’est-ce pas? Je pense donc que ce sont d’autres problèmes de système et de programme qu’il faut régler. En tout cas, je ne pense pas qu’il faille les regrouper, parce qu’ils sont différents.
Je dois dire, par contre, que je m’oppose à la préférence accordée dans les objectifs du programme PMI parce que, pendant la pandémie, nous aurions été bien plus mal pris sans les travailleurs agricoles admis en vertu du Programme des travailleurs étrangers temporaires.
Dans les cas de maltraitance et de violations dans le cadre du PTET, je dirais qu’on n’a pas fini de travailler pour faire des progrès et améliorer le programme. Par exemple, on vient d’annoncer de nouveaux amendements pour offrir plus de protections aux travailleurs. Mais il y a deux choses ici : d’abord, tant que le permis de travail lié à l’employeur sera en place — ce qui signifie que le travailleur ne peut se mettre au service que de l’unique employeur désigné sur le permis de travail, ce déséquilibre du pouvoir existera toujours. On aura beau apporter tous les ajustements que l’on voudra, essentiellement, c’est ce qui crée vraiment beaucoup d’inégalité pour les travailleurs.
Je dirais que, oui, le Congrès du travail du Canada et moi‑même avons multiplié les présentations en faveur de l’amélioration du logement, des protections et des services de santé. Il y a du travail à faire, mais le progrès doit aller dans le sens de donner aux travailleurs migrants dans le cadre du PTET les mêmes droits qu’aux Canadiens et aux résidents permanents, des droits qu’ils peuvent exercer pendant leur séjour chez nous. Et la façon dont le PTET est conçu, surtout avec le permis de travail fermé pour un employeur précis, ne le permet pas. C’est pourquoi nous préconisons la résidence permanente.
La présidente : Merci.
Le sénateur Kutcher : Merci, madame Kwan, d’être des nôtres aujourd’hui.
J’ai été frappé par une expression, que j’ai tenté de noter, mais que je n’ai peut-être pas bien saisie. Je pense que c’est que les travailleurs étrangers temporaires du PTET ou du PMI devraient avoir les mêmes droits et la même capacité d’agir que les travailleurs canadiens. Si vous aviez à nous faire une recommandation transcendante pour notre étude, où se situerait‑elle dans votre liste?
En second lieu, y a-t-il des composantes particulières de tout cela qu’il faudrait mettre en lumière pour chacun de ces deux programmes?
Mme Kwan : Merci de votre question, sénateur. Pouvez-vous expliquer votre deuxième question?
Le sénateur Kutcher : Pourquoi ne pas voir d’abord la réponse à la première question? Nous pourrons toujours passer à la deuxième ensuite. Merci.
Mme Kwan : Très bien.
L’élément des droits égaux rejoint ma réponse aux questions de la sénatrice qui m’a précédée : il n’y aura pas de droits égaux tant que les personnes concernées ne seront pas traitées comme une catégorie distincte de travailleurs. Dans ce cas-ci, le PTET même est justement structuré pour promouvoir ce déséquilibre.
En matière de droits égaux, il y a divers facteurs à prendre en considération. Comme je l’ai dit tantôt, la chose la plus importante, c’est que les travailleurs couverts par le PTET puissent avoir un accès assez libre et plus de possibilités d’accès à la résidence permanente s’ils le veulent. Supposons que nous nous orientons vers cette situation; entretemps, le permis de travail fermé doit faire place au permis de travail ouvert, de manière que, par exemple, en cas d’exploitation ou de maltraitance, les travailleurs aient le droit de fuir chez un autre employeur pour échapper à la maltraitance et aux violations.
Le sénateur Kutcher : Je vous en remercie.
Soyons plus explicites. Recommanderiez-vous au comité de rappeler dans nos recommandations que les droits et la capacité d’agir des personnes relevant du PTET ou du PMI devraient être équivalents à ceux des travailleurs canadiens? Diriez-vous que ce serait une bonne recommandation pour le comité?
Mme Kwan : Oui. Je crois qu’elle va dans le sens des obligations prévues dans les engagements internationaux du Canada.
Le sénateur Kutcher : Merci de le dire.
Je veux maintenant soulever certains des détails opérationnels que cache cette déclaration générale. Je vous ai entendu dire qu’il faut mettre fin au permis de travail lié à l’employeur et le remplacer par un permis de travail ouvert. Encore une fois, s’agirait-il là d’une recommandation précise?
Mme Kwan : Oui.
Le sénateur Kutcher : Avez-vous d’autres recommandations précises à nous faire ou à nous conseiller de faire pour améliorer dans le même sens le passage de la situation actuelle à une situation équivalente en droits et capacités d’agir pour les travailleurs canadiens? Cela pourrait-il être le logement, l’accès aux soins de santé, et cetera?
Mme Kwan : Merci, sénateur.
Une foule de choses que j’ai énumérées pour ce qui est du logement, de la santé et de la sécurité, des soins de santé, des conditions de travail — tout cela doit être amélioré. Ces éléments opérationnels peuvent être améliorés avec un resserrement de la surveillance gouvernementale et du contrôle de la conformité par les employeurs.
Permettez-moi un exemple très récent; j’ai lu cela hier ou avant-hier. Il y a un travailleur agricole qui devait prendre l’avion le lendemain, après la saison. Il a été frappé par une voiture sur son vélo et s’est fracturé une hanche. Il a fallu le transporter à l’hôpital et tout cela.
S’il était à vélo, c’est qu’il apportait ses vêtements à une buanderie. C’est le genre de service qui est censé être disponible dans les logements. Sans surveillance et contrôle d’application rigoureux, même si cela semble bien banal pour nous ici, cela finit par être très dangereux pour les travailleurs eux-mêmes.
Je dirais la même chose au sujet du logement. Lorsqu’on a des lits superposés surpeuplés et qu’on héberge des travailleurs dans des bâtiments où aucun d’entre nous n’oserait mettre les pieds, et encore moins y passer des mois —, c’est le genre de choses dans lesquelles le gouvernement doit intervenir pour ce qui est de la surveillance et de l’application du programme.
Cela dit, toutefois, la meilleure chose qu’on puisse faire — et j’en ferais une recommandation — serait de donner l’accès et de meilleures occasions aux travailleurs migrants, et surtout permettre aux travailleurs migrants à bas salaire dans le cadre du PTET d’immigrer de façon permanente au Canada.
La présidente : Nous allons vous revenir, sénateur Kutcher.
Le sénateur Kutcher : Merci.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Merci beaucoup à notre témoin d’aujourd’hui; c’est très apprécié.
Je vais poursuivre sur certaines vulnérabilités des travailleurs temporaires, notamment les travailleurs du secteur agricole.
Pour approfondir la conversation qui est déjà entamée, j’aimerais savoir précisément comment cela se passe pour un travailleur qui se trouve en situation d’abus. Que reçoit-il comme information, quelles sont ses ressources et qui le représente? Sait-on si les travailleurs utilisent ces ressources et ces outils, si l’on considère l’inégalité des pouvoirs?
[Traduction]
Mme Kwan : Merci beaucoup de ces questions.
Qu’arrive-t-il lorsqu’un travailleur est maltraité? Il y a désormais un élément du programme que le gouvernement prévoit pour les travailleurs maltraités qui veulent quitter le service de leur employeur. Ils peuvent utiliser ce programme pour échapper à la maltraitance. Le gouvernement les place dans ce programme particulier pour les travailleurs migrants qui ont été victimes de maltraitance puis leur délivre un permis de travail ouvert. La période de validité du permis de travail est rigoureusement limitée. J’hésite à dire pour combien de temps ce permis de travail est valide, mais il s’agit d’un permis de travail ouvert très limité, de sorte que le travailleur doit dès lors se trouver un autre emploi.
C’est ce dont on parle moins : il y a des politiques et des programmes en place, par exemple, dans ce cas-ci, mais comment cela se passe-t-il sur le terrain? Tout d’abord, il y avait une question au sujet des ressources. Il faut une quantité formidable de ressources à un travailleur pour demander et obtenir ce permis de travail ouvert.
Lorsque cela arrive, il y a des syndicats qui représentent les travailleurs agricoles ou travailleurs de serre, tel le Syndicat des travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, ou TUAC, qui s’amènent avec des ressources pour les aider à présenter le cas au gouvernement. D’autres groupes communautaires, comme la Migrant Workers Alliance for Change, consacrent aussi beaucoup d’énergie à les aider et à leur fournir des ressources pour les aider à remplir les formulaires et à prouver qu’ils ont été maltraités ou exploités, ce qui est l’autre élément très important.
Il n’est pas facile d’y avoir accès en raison du peu de ressources et en raison de ce qu’il faut pour dénoncer la maltraitance, ce qui nous amène à la représentation. Je crois que les travailleurs ont besoin d’être représentés. Nous faisons de notre mieux dans notre situation actuelle où les travailleurs sont sans représentation. En Ontario, pas question de se syndiquer. Au Québec, il y a de la représentation, mais partielle seulement. Tout le monde n’est pas couvert. Même chose en Alberta.
C’est ce que je disais au sujet des lacunes des lois du travail et des normes d’emploi dans certaines provinces. L’Ontario est probablement la province la plus importante parce que la plupart des travailleurs agricoles — environ 40 %, je pense — viennent travailler en Ontario, là où je suis. Ils n’ont pas la possibilité d’être représentés. Ils n’ont pas la possibilité de se syndiquer. Ça, c’est l’autre chose.
Maintenant, j’ai quelque chose à dire à votre comité. Encore là, comment tout cela se passe-t-il sur le terrain? J’ai entendu dire que les travailleurs qui réussissent à obtenir ce permis de travail ouvert ont beaucoup de mal à se trouver un autre emploi parce que les employeurs n’en veulent pas.
La politique doit donner des résultats sur le terrain. C’est ma philosophie et ma façon de travailler. Autrement, il ne sert à rien de la faire bien paraître sur papier; elle n’est vraiment pas aussi efficace qu’elle pourrait l’être. C’était un exemple éclatant de la façon d’améliorer les choses.
Le dernier point que vous avez soulevé, à savoir si les travailleurs utilisent le programme en raison du déséquilibre du pouvoir... il en faudrait beaucoup. Il faudrait, selon moi, qu’une foule de personnes brisent le silence, ce silence si important pour quiconque veut continuer de travailler et revenir l’année suivante. Ceux qui osent dénoncer sont ceux qui sont tellement maltraités et exploités qu’ils n’en peuvent plus. Autrement, ils souffrent en silence et espèrent revenir l’année suivante.
La sénatrice Moodie : Je tiens à remercier le témoin d’être là aujourd’hui.
J’aimerais dire encore quelques mots au sujet des ressources mises à la disposition des travailleurs temporaires. J’ai eu des conversations avec les tenants de la situation contraire, si vous voulez, avec des personnes qui font métier d’aider et de travailler à obtenir les permis ouverts que convoitent les travailleurs. Ces personnes disent que les travailleurs ont besoin d’aide en raison de problèmes de capacité liés à la langue anglaise et de leur capacité de composer avec la complexité de certains formulaires de demande et du besoin d’aide de base, comme pour la rédaction de la demande en leur nom. Ces gens-là ne font pas la charité; leurs services ne sont pas gratuits.
Quelles mesures de soutien offrons-nous pour aider les personnes dans cette position à composer avec la complexité de ce processus qui, en fait, les protégera des chevaliers d’industrie dont le seul but est de leur faire payer ce service?
Mme Kwan : Merci, sénatrice, de votre question. Je pense qu’il est très difficile dans le monde des travailleurs migrants de départager les intérêts commerciaux des différents intervenants. Je parle non seulement des consultants en immigration, mais aussi des recruteurs de travailleurs. Je veux parler d’autres personnes qui peuvent ensuite utiliser d’autres moyens dans notre système pour déjouer certaines des exigences applicables à l’employeur.
Pour ce qui est des gens qui vont, dans le cas qui nous intéresse, trouver quelqu’un pour remplir une demande moyennant frais, il nous faut de plus de ressources, et la représentation des travailleurs est en fait une très bonne solution. Il nous faut plus de ressources pour soutenir les travailleurs migrants parce que, bien honnêtement, honorables sénateurs — je le dis toujours, peu importe à qui je parle; je pourrais tenir le même langage au cabinet du ministre et au ministère, comme à vous —, les formulaires du gouvernement ne sont pas faciles. Je suis bien instruite, je fais du travail de politique et je lis beaucoup. Il arrive que je ne comprenne pas du tout quelle information on me demande dans un formulaire à remplir. On dira que c’est uniquement que le demandeur connaît mal l’anglais. Mais non, je dirais que c’est tout simplement que les formulaires sont difficiles. Anglais ou pas, les formulaires sont trop difficiles, si bien qu’il leur faut des ressources et du soutien.
Les mesures de soutien prennent différentes formes. Il y a d’abord l’information sur les droits des travailleurs, et c’est pourquoi il y a eu le programme pilote du Réseau de soutien des travailleurs migrants, pour donner de l’information. En second lieu, encore une fois, pour revenir à ce que j’ai dit, on peut avoir l’information et comprendre ses droits, mais encore faut-il avoir la capacité d’agir pour vraiment les exercer. Je ne parle pas d’une seule chose, mais de deux choses maintenant.
À la question de l’autre sénatrice, quand je dis qu’il faut beaucoup de ressources pour aider un travailleur à dénoncer une situation de maltraitance auprès du gouvernement, je parle d’heures et d’heures à n’en plus finir pour aider le travailleur en raison des exigences et des formulaires. Il faut beaucoup de ressources.
Je ne veux pas dire que quiconque se fait payer fait du mauvais boulot, mais nous savons aussi qu’un grand nombre travaillent mal. Il arrive que nous, les syndicats ou les gens qui travaillons dans la collectivité, qui sommes militants et qui défendons les travailleurs migrants, passions du temps à réparer le gâchis que le travailleur nous apporte.
C’est très compliqué. Je pense que, s’il y avait plus de ressources sans but lucratif, s’il y avait plus de représentation, nous pourrions avancer un peu plus de ce côté-là.
La présidente : Madame Kwan, êtes-vous en train de dire que les travailleurs migrants du Canada devraient avoir accès à des réseaux d’établissement et d’aide juridique?
Mme Kwan : Oui, absolument.
La présidente : Merci.
[Français]
La sénatrice Mégie : Bonjour, madame Kwan. Je ne sais pas si vous avez déjà répondu à ma question, étant donné que je suis arrivée après vos remarques liminaires. Si c’est le cas, dites-le-moi.
D’après votre expérience — parce que jusqu’ici on a parlé de travailleurs temporaires et de comment ils peuvent avoir accès à la résidence permanente et tout cela —, quelle proportion d’entre eux aimerait vraiment obtenir la résidence permanente? Est-ce que cette proportion varie selon qu’ils sont arrivés au Canada par la voie du Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET) ou du Programme de mobilité internationale (PMI)?
En effet, on a souvent entendu dire qu’il y a beaucoup de travailleurs agricoles qui sont contents de venir travailler ici et heureux de retourner chez eux, parce qu’ils ont gagné assez d’argent pour réaliser des rêves ou des projets dans leur pays d’origine. Quelle proportion d’entre eux veut vraiment rester ici?
[Traduction]
Mme Kwan : Je vous remercie, sénatrice, de cette question. Personne ne l’a encore posée.
Je dirais que la différence avec le PMI, c’est que les chances d’obtenir la résidence permanente sont un peu plus élevées que dans le cadre du Programme des travailleurs étrangers temporaires. Une amélioration vient d’être apportée, hier en fait, pour rajuster le système Entrée express afin de permettre à un plus grand nombre de personnes de participer aux volets de l’immigration permanente.
Dans la plupart des cas, notre système d’immigration permanente répond aux besoins de ce qu’on pourrait appeler des demandeurs instruits et hautement qualifiés. Au fil des ans, il a essentiellement laissé très peu de solutions de rechange aux travailleurs migrants temporaires, surtout aux travailleurs migrants à bas salaire. Je dis à « bas salaire » précisément parce qu’ils ne sont pas des travailleurs peu qualifiés; ils sont évidemment très qualifiés. Vous et moi ne pourrions pas récolter les asperges aussi rapidement que tous ceux et celles qui viennent les récolter chaque saison.
Lorsque vous demandez quelle est la proportion, je pense que beaucoup aimeraient obtenir la résidence permanente. Combien? Nous devons veiller à ce que ceux qui le veulent en fait aient accès aux programmes et à ce qu’ils aient la possibilité de le faire, et pour ceux qui ne le veulent pas — eh bien, nous devons nous assurer que les programmes fonctionnent vraiment pour qu’ils ne soient pas subordonnés à un programme avec un tel déséquilibre du pouvoir.
Je suis convaincue que beaucoup de gens aimeraient avoir accès à la résidence permanente. Ce n’est pas scientifique, mais les propos que vous avez entendus récemment dans les médias, au travail, dans les manifestations et dans les efforts de représentation relativement à l’obtention de la résidence permanente pour de nombreux travailleurs migrants démontreraient qu’il y a une forte demande à cet égard. Merci.
La présidente : Merci, madame Kwan. Je crois vous avoir entendu dire — et corrigez-moi si je me trompe — que notre système de résidence permanente au Canada est axé sur la classe.
Mme Kwan : Oui.
La présidente : Et nous devons y apporter plus d’équité et de justice — c’est bien ce que vous dites?
Mme Kwan : Oui.
La présidente : Pouvons-nous passer aux étudiants étrangers? Techniquement, les étudiants étrangers ne sont pas des travailleurs étrangers temporaires, mais, de plus en plus, ce sont des étudiants étrangers qui se servent de cette porte arrière pour répondre aux besoins du marché du travail, porte d’ailleurs agrandie par notre gouvernement à cette fin. D’après ce que j’ai entendu dire, de nombreux étudiants étrangers viennent pour le travail plutôt que pour les études. Que savez-vous de leurs conditions de travail et de leurs droits alors qu’ils essaient de s’y retrouver dans ce monde d’études et de travail, ou peut-être simplement de travailler et de rester?
Mme Kwan : Merci, sénatrice. En général, je n’ai pas une grande expertise en ce qui concerne les étudiants étrangers. Si nous avons des gens qui sont ici pour étudier, travailler et tout cela, pourquoi ne pas les accueillir? Par ailleurs, je sais que de nombreux nouveaux venus sur le marché du travail canadien, qu’il s’agisse de nouveaux arrivants ou d’étudiants étrangers, sont désavantagés. Dans la plupart des cas, ils se retrouvent dans des emplois peu rémunérés ou dans des emplois pour lesquels ils sont surqualifiés. Il faut régler ce problème.
Les étudiants étrangers se font eux aussi prendre dans le système, parfois dans des emplois peu rémunérés. Par exemple, ceci me vient immédiatement à l’esprit. Si vous étiez un étudiant étranger et que vous obteniez un emploi dans une station-service, que vous travailliez pendant une demi-journée chaque jour, qu’est-ce que vous inscririez dans votre curriculum vitæ? Cela perpétue en quelque sorte la situation. Lorsque vous occupez un poste à bas salaire, votre expérience s’appuie sur cette expérience. Je pense qu’elle nuit à ce que cette personne peut réellement offrir lorsque cela se produit.
Il existe de nombreuses façons de soutenir les étudiants qui entrent sur le marché du travail en occupant des emplois qui correspondent un peu plus à leurs études. Ils font ce qu’ils doivent faire — et c’est la réalité —, c’est-à-dire avoir de l’argent pour vivre et s’assurer d’avoir de la nourriture et un logement. C’est difficile, mais nous devons veiller à ne pas reléguer les étudiants étrangers à des emplois peu rémunérés.
Sénatrice, c’est semblable à ce qui s’est passé il y a de nombreuses années, lorsque nous avons invité des immigrants hautement qualifiés; le médecin finit par conduire un taxi. Vous perdez des compétences lorsque vous êtes coincé dans un emploi peu rémunéré dont vous avez besoin pour vous en sortir, mais cela ne s’appuie pas sur vos titres de compétence actuels ou futurs. Merci.
La présidente : Merci beaucoup, madame Kwan, d’avoir été avec nous pendant plus longtemps. Vous nous avez très bien renseignés pendant cette période. N’hésitez pas à nous faire parvenir tout autre renseignement que vous aimeriez nous transmettre.
Chers collègues, pour notre deuxième groupe de témoins, nous accueillons avec vidéoconférence Deena Ladd, directrice générale, Workers’ Action Centre. Ce n’est pas la première fois ni probablement la dernière fois que Mme Ladd comparaît devant notre comité. Merci d’être parmi nous aujourd’hui. Je vous invite maintenant, madame Ladd, à faire votre déclaration préliminaire.
Deena Ladd, directrice générale, Workers’ Action Centre : Merci, sénatrice Omidvar.
Honorables sénateurs, je vous remercie de m’avoir invitée à vous parler aujourd’hui au nom du Workers’ Action Centre.
Notre organisation appuie de nombreux travailleurs occupant des emplois précaires et peu rémunérés, dont bon nombre sont des travailleurs migrants et des sans-papiers. Nous sommes également membres du Migrant Rights Network, la plus importante coalition nationale dirigée par des migrants au Canada.
Le traitement actuel des migrants et des travailleurs étrangers temporaires vise essentiellement à déterminer si nous voulons une société juste où tout le monde a les mêmes droits, le même accès à la justice et les mêmes possibilités, ou si nous voulons une société qui favorise un système d’inégalité croissante.
Chaque jour, je suis témoin des horribles abus qui découlent de nos politiques injustes en matière d’immigration. Nous devons faire mieux, et nous avons besoin du leadership du Sénat pour nous assurer de mettre en œuvre un programme complet de régularisation pour les travailleurs sans papiers, et ce, sans plafonnement ni exclusion. C’est tellement important en ce moment.
Nous avons également besoin de votre leadership pour nous assurer que nous avons un système juste qui protège les migrants contre les abus et l’exploitation, et c’est pour ces raisons que je vous demande d’exiger que le Canada inclut un statut d’immigration intégral et permanent pour tous les migrants, y compris les travailleurs agricoles, les travailleurs dans le domaine des soins, les étudiants, les réfugiés au Canada, et le statut de résident permanent à l’arrivée pour tous les migrants à l’avenir.
Chaque mois, notre salle de réunion est remplie de travailleurs migrants qui sont aux prises avec des problèmes de vol de salaire, de racisme, de discrimination, de violation de leurs droits fondamentaux de travailleurs et qui n’ont nulle part où aller.
Je veux vous parler d’un travailleur que j’ai rencontré il y a cinq ou six semaines et qui est venu à notre centre pour obtenir de l’aide. Appelons-le Miguel. Miguel a répondu à l’appel lancé par notre pays pour des travailleurs. À l’heure actuelle, les chefs et les cuisiniers sont très recherchés dans les restaurants. Miguel a versé environ 4 000 $ à divers recruteurs et transformateurs pour obtenir une EIMT afin de travailler comme chef dans un restaurant de Toronto.
Il a payé le premier et le dernier mois de loyer d’un appartement. Il a ainsi épuisé ses économies pour venir ici, laissant sa femme dans son pays d’origine. Il a obtenu un permis de travail lié pour travailler dans ce restaurant, et seulement dans ce restaurant, pour les deux prochaines années. Il a travaillé dans ce restaurant pendant six semaines et a été congédié. Son crime : s’opposer à la violence verbale et à l’intimidation du propriétaire du restaurant.
Il est venu au centre et a dit : « Que puis-je faire? » Il avait demandé un permis de travail ouvert pour les travailleurs vulnérables, ce qui est censé protéger les travailleurs comme lui. Cela lui a été refusé. Immigration a essentiellement dit qu’il ne pouvait travailler que pour ce restaurant pendant les deux prochaines années. Essentiellement, la leçon qu’il a apprise, c’est qu’il faut se taire, endurer les abus et ne rien faire.
Il a trouvé un autre employeur qui veut l’employer, mais il doit présenter une nouvelle demande d’EIMT, et la demande et les frais juridiques s’élèvent à au moins 5 000 $ de plus pour ce processus. L’employeur ne veut pas payer. Il estime qu’il rend service à Miguel. Comment Miguel trouve-t-il cet argent? Ses économies ont disparu.
Les lois de l’Ontario sont censées protéger les travailleurs contre ce genre de choses, mais si Miguel ne paie pas, il n’a pas d’emploi ni de revenu. Il ne peut rien faire d’autre que payer, payer et payer, se taire si quelque chose arrive. Mais tout cela aurait pu être évité si nous avions permis à Miguel d’entrer au pays avec le statut de résident permanent.
En avril dernier, le Canada a facilité l’embauche de travailleurs migrants titulaires d’un permis de travail fermé en invoquant l’excuse des pénuries de main-d’œuvre, mais pour les travailleurs eux-mêmes, il n’y a aucune protection. Qu’il s’agisse des lois du travail provinciales ou des inspections fédérales, l’accès à la justice repose sur des travailleurs qui s’expriment et se plaignent, et des travailleurs comme Miguel et des centaines de milliers d’autres sont confrontés à la pauvreté, à l’itinérance et, vraisemblablement, à l’expulsion s’ils défendent leurs droits sans avoir le statut de résident permanent.
Je tiens à vraiment préciser qu’il ne s’agit pas d’une voie d’accès à la résidence permanente. Miguel a une voie d’accès, à condition qu’il paie les frais de cet employeur, qu’il tolère les abus et qu’il travaille pendant un an. Ces voies d’accès sont des champs de mines d’exploitation. Tout le monde au pays doit avoir le statut de résident permanent à son arrivée pour que nous puissions avoir des droits égaux et être en mesure de faire face au genre de situations auxquelles nous sommes confrontés quotidiennement au centre. Merci.
La présidente : Merci beaucoup, madame Ladd.
Honorables sénateurs, c’est à votre tour de poser des questions. Veuillez ne pas vous pencher trop près du microphone. Si vous le faites, retirez votre écouteur.
La sénatrice Dasko : Merci, madame Ladd, de votre présence aujourd’hui. L’une des choses qui m’ont frappée en vous écoutant parler des restaurants — et je suis une personne qui aime aller dans les restaurants, surtout en cette période post‑COVID —, existe-t-il une liste d’employeurs qui ont maltraité des travailleurs? J’aimerais bien la consulter, parce que je réagirais. Je n’irais pas dans des établissements qui ont maltraité les travailleurs.
Ce n’est qu’une de mes questions.
Pour ma deuxième question, vous venez de nous dire que vous croyez que les travailleurs devraient entrer avec le statut de résident permanent. Nous en avons entendu parler, et je ne suis pas du tout une experte dans ce domaine; j’en apprends beaucoup au sein du comité au sujet des programmes que nous avons, des silos, des exigences, etc., mais qu’en est-il de l’idée des permis ouverts? À votre avis, est-ce que ce serait une façon d’introduire les travailleurs migrants au Canada avant qu’ils n’arrivent comme résidents permanents? J’aimerais savoir ce que vous pensez de ce mécanisme.
Mme Ladd : Merci. Oui. Premièrement, il n’y a pas de liste. Le ministère du Travail de l’Ontario — je ne peux parler que pour l’Ontario — compte très peu d’inspecteurs pour effectuer des inspections proactives.
Dans le cas de Miguel, comme vous avez pu le constater, dès qu’il a parlé des abus, il a été congédié. Beaucoup de travailleurs ne se sentent pas à l’aise de parler de ce qui se passe. Il est sur le point d’essayer d’obtenir un emploi dans un autre restaurant. La leçon qu’il a apprise dans sa première expérience, c’est de ne rien dire et de ne rien faire parce que sa capacité de gagner de l’argent et de rester au Canada sera compromise.
Nous devons vraiment nous attaquer à ce problème.
Pour ce qui est de l’idée d’un permis de travail ouvert, j’aimerais dire que ma famille et moi sommes venus d’Angleterre en 1987. Nous n’avions pas besoin d’un permis de travail ouvert pour travailler ici. Mon père est mécanicien automobile; ma mère est employée de bureau. Nous ne sommes pas passés par le programme d’immigration des gens d’affaires. Nous ne sommes pas venus à titre de professionnels. Nous sommes venus à titre de travailleurs.
Mon père s’est retrouvé dans un entrepôt, et ma mère était employée de bureau et a passé par de nombreuses agences de placement temporaire dans le but d’obtenir des emplois à temps plein.
S’il nous fallait passer par un permis de travail ouvert, nous serions encore vulnérables parce que ce permis ne nous donnerait pas accès aux mêmes droits, aux mêmes conditions de travail et aux mêmes possibilités que ma famille a eus.
[Français]
La sénatrice Mégie : Madame Ladd, merci d’être avec nous aujourd’hui. Je vais vous poser une question plutôt large; soyez à l’aise de me dire ce que vous connaissez de ce dossier. Cela concerne les étudiants étrangers avant leur arrivée au Canada. Quand ils remplissent les formulaires, ils les remplissent bien pour dire : « Très bien, nous allons retourner dans notre pays. » C’est ce qu’on leur demande de faire. Cependant, quand on veut en refuser quelques-uns et plusieurs, le seul argument pour justifier le refus de l’immigration, c’est qu’on n’a pas de preuve qu’ils vont retourner chez eux.
Je trouve donc que le fait que nous parlions ici des moyens ou des voies d’accès que le Canada veut mettre en place pour les accueillir est une incongruité. Qu’est-ce que vous en pensez?
[Traduction]
Mme Ladd : Je pense que les gens veulent faire du Canada leur chez-soi. Je pense que les étudiants étrangers dépensent une fortune pour faire des études. De plus, pendant qu’ils sont ici, ils travaillent et occupent des emplois essentiels — nous l’avons vu surtout pendant la pandémie — que personne d’autre ne voulait occuper. Ils n’avaient pas le choix de rester à la maison et de prendre soin d’eux-mêmes.
Le fait est que nous avons besoin d’un système qui prévoit le processus permettant de s’assurer que les gens qui veulent s’établir au Canada et y travailler puissent le faire sans être liés par contrat de bien des façons, que ce soit en imposant des frais horriblement élevés qui endettent complètement les gens pour le reste de leur vie, et leur famille qui est restée dans leur pays de provenance, ou au moyen de permis de travail liés à un employeur.
Nous devons nous attaquer aux causes profondes de certaines des injustices que nous constatons. Nous devons nous rendre compte que, pour bon nombre d’entre nous qui sommes venus au Canada, les gens doivent faire face à toutes sortes de choses dans leur pays d’origine. Nous devons veiller à ce que notre système soit équitable. À l’heure actuelle, pour les étudiants étrangers, c’est incroyablement injuste, et nous en avons vu les répercussions.
[Français]
La sénatrice Mégie : On ne leur permet même pas d’entrer au pays, c’est-à-dire qu’on les refuse avant même qu’ils arrivent ici, après qu’ils ont rempli les formulaires, en leur disant : « Vous ne retournez pas chez vous. » Donc, c’est pour cela que je pose la question.
[Traduction]
Mme Ladd : Non, tout à fait. Le système, de par sa cause profonde, doit changer. Nous devons nous assurer de ne pas placer les gens dans une situation intenable. Je suis tout à fait d’accord. C’est ridicule, le genre de processus de torture que nous imposons aux gens et qui n’ont absolument aucun sens.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : J’ai posé des questions sur les abus et les possibilités d’abus pour les travailleurs qui sont en grande situation de vulnérabilité. J’aurais aimé savoir un peu plus en détail ce qui se passe et ce qu’on fait avec les employeurs qui sont trouvés responsables de ces abus. Quel est le processus? Que leur arrive-t-il? Quelles sont les conséquences? Est-ce que cela les empêche d’employer quelqu’un d’autre après? Pouvez‑vous nous éclairer à ce sujet?
[Traduction]
Mme Ladd : Oui. C’est une excellente question. Je pense que, essentiellement, le système pénalise le travailleur en raison de l’énorme déséquilibre du pouvoir causé par le permis de travail lié. Il est très difficile pour les travailleurs de s’exprimer. C’est contre toute attente qu’ils le font. S’il s’agit de travailleurs agricoles, nous devons venir à leur aide. Je fais partie du Migrant Rights Network, et mes collègues que vous entendrez, je l’espère, et qui travaillent directement avec les travailleurs agricoles doivent venir à leur rescousse directement à la ferme. J’ai dû me rendre chez des gens pour rescaper des aides familiaux résidents de leurs maisons, car c’est aussi l’endroit où ils vivent.
Comme vous pouvez l’imaginer, lorsqu’un travailleur essaie d’affronter son employeur, il perd sa maison. Ces travailleurs perdent tout l’argent qu’ils ont fait ou investi.
Alors, pour le travailleur, il se bat pour sa survie. Parfois, ces travailleurs n’ont tout simplement pas la capacité de s’attaquer à ces employeurs.
En ce qui nous concerne, lorsque nous avons affaire à des travailleurs dont le salaire n’est pas payé, nous travaillons avec eux pour discuter de la façon de confronter ces employeurs. Nous rendons visite à ces employeurs dans leur milieu de travail et nous les confrontons sur la question des salaires impayés. C’est un processus très difficile et exigeant en main-d’œuvre, car de nombreux travailleurs sans papiers ne se sentent pas à l’aise de présenter des réclamations au ministère du Travail, car si l’employeur a des renseignements à leur sujet, ils craignent d’être dénoncés à l’ASFC.
C’est une situation très difficile, mais lorsque c’est possible, le Workers’ Action Centre confronte directement ces employeurs. Mais pouvez-vous imaginer? Nous sommes un petit organisme sans but lucratif et, il y a à peine deux semaines, nous avions 160 cas de salaires impayés à des travailleurs, dont certains, par frustration, ont décidé de retourner dans leur pays d’origine. Ce n’est que la pointe de l’iceberg.
Pour que nous soyons en mesure de trouver ces employeurs, de tous les confronter, de faire le suivi, on a parfois l’impression d’être des détectives privés qui essaient de trouver ces employeurs.
La présidente : Merci, madame Ladd.
Le sénateur Patterson : Merci, madame Ladd. Vos recommandations étaient claires : tous les travailleurs migrants devraient être autorisés à travailler pour plus d’un employeur dans la même catégorie de travailleurs, si j’ai bien compris ce que vous avez dit.
Qu’en est-il de l’EIMT? Vous avez parlé des difficultés et des coûts liés à cette étude. Que recommandez-vous? Est-ce qu’une EIMT est même nécessaire alors qu’il y a un si grand besoin de travailleurs dans l’ensemble de notre économie?
Mme Ladd : Je ne crois tout simplement pas qu’elle soit nécessaire. Je pense que les gens devraient pouvoir venir travailler et immigrer comme ma famille a pu le faire. Nous avons fait le travail. Mes parents ont occupé les emplois qui devaient être comblés, n’est-ce pas?
Tout le monde a des factures à payer. Si vous venez au Canada et qu’on a besoin de travailleurs dans les restaurants, chez les expéditeurs ou les réceptionnaires ou dans les entrepôts, ce sont des emplois que vous obtenez parce que vous essayez de faire de ce pays votre chez-vous.
Je pense que l’EIMT est un processus épouvantable à bien des égards parce qu’elle lie un travailleur à un employeur. Elle le muselle fondamentalement pour l’empêcher de parler de quoi que ce soit. C’est un instrument qui a donné lieu à de graves abus, à du stress inutile, à une angoisse mentale et à des situations horribles. Nous en avons vu de nombreuses preuves.
Le sénateur Patterson : Vous faites du bon travail de défense des droits, comme vous l’avez décrit.
Pouvez-vous nous dire si vous obtenez ou non du soutien du gouvernement fédéral et si cela serait utile?
Mme Ladd : Nous sommes très heureux que le gouvernement se soit engagé à mettre en place un programme de régularisation pour les travailleurs sans papiers. C’est la première fois que nous voyons ce mouvement depuis de nombreuses années. Par l’entremise du Migrant Rights Network, nous travaillons avec le ministre de l’Immigration pour veiller à ce que le programme de régularisation soit le meilleur possible, sans exclusion ni plafond, et à ce que les travailleurs sans papiers puissent obtenir la résidence permanente.
En plus, nous faisons encore du travail de représentation pour montrer pourquoi il n’est pas nécessaire d’avoir ces permis fermés et les processus qui existent en ce moment pour lier les gens à des employeurs. C’est là que le Sénat pourrait jouer un rôle de leadership incroyablement précieux pour appuyer les défenseurs sur le terrain qui font ce travail afin que nous soyons à l’écoute de ce que veulent les travailleurs migrants pour faire du Canada leur pays et que nous travaillons avec eux pour nous assurer qu’ils n’ont pas à supporter le genre de situations que nous avons vues au fil des décennies.
Le sénateur Patterson : Merci.
Le sénateur Kutcher : Je vous remercie d’être parmi nous. Nous sommes vraiment heureux de connaître vos réflexions et nous vous remercions de votre aide à cet égard. Vous avez dit très clairement que les permis de travail ouverts sont une question importante sur laquelle nous devons nous pencher.
En me préparant pour la séance, j’ai naïvement tapé dans « professeur Google » « IMP Canada » et j’ai trouvé une entreprise qui disait : « Nous sommes l’entreprise la mieux placée pour aider les résidents temporaires à satisfaire à toutes les exigences relatives à la résidence permanente. » Je ne connais pas grand-chose à ces types d’entreprises. Aident-elles les travailleurs étrangers temporaires ou les gens qui sont venus dans le cadre du programme PMI? Si c’est le cas, quelle est leur valeur? Quelle est leur utilité? Que savez-vous de ce genre de choses?
Mme Ladd : Je ne connais pas précisément cet organisme.
Nous savons — et des histoires d’horreur ont été racontées — qu’il y a des consultants en immigration, des recruteurs et des organismes qui ciblent des gens pour supposément les aider à obtenir des EIMT, leur obtenir des permis et les faire entrer au Canada. Évidemment, c’est la conséquence involontaire d’un système qui est compliqué et qui produit de nombreuses façons d’abuser du système. Nous entendons beaucoup d’histoires de travailleurs qui se font raconter par ces gens et organismes, qui se concentrent sur différentes collectivités, qui utilisent leur langue maternelle et leur disent : « Nous pouvons vous aider en ce qui concerne vos besoins en matière d’immigration, quels qu’ils soient. » Ils prennent l’argent de ces personnes, puis ils disparaissent ou ils font un gâchis de leurs demandes, et ces demandeurs deviennent des sans-papiers.
C’est pourquoi, encore une fois, nous avons besoin d’un système administratif public solide, financé et viable, qui aide les gens à naviguer efficacement dans un système d’immigration, qui ne lie pas les gens à des permis et à des EIMT et qui donne plusieurs façons aux gens de profiter des travailleurs qui, en fin de compte, veulent rester au Canada, contribuer à l’économie et faire de cet endroit un foyer pour leur famille et eux-mêmes.
La sénatrice Moodie : Je remercie la témoin d’être ici aujourd’hui.
J’aimerais approfondir la question de la simplification du système et de l’élimination de l’exigence relative aux EIMT, car je crois vous avoir entendu dire que cela améliorerait le système.
D’après ce que je comprends de l’EIMT, il y a des aspects qui sont axés sur l’employeur, qui engagent les employeurs à respecter certaines ententes et les lient à certaines exigences qui protègent en fait la personne qui présente la demande.
Recommanderiez-vous de conserver ces éléments de l’EIMT sous une forme ou sous une autre — c’est-à-dire de continuer à maintenir ces protections — ou diriez-vous que tout le processus doit disparaître?
Mme Ladd : D’après ma propre expérience de défense des droits des travailleurs, je dirais que tout le processus doit disparaître. Je pense que la situation de Miguel en est un exemple parfait, car rien n’a fonctionné pour que cela se produise.
L’idée selon laquelle les employeurs doivent démontrer qu’ils ont présenté une description de poste et qu’ils ont fait de la publicité — il y a des consultants qui s’occupent de cela pour eux. Ils savent comment utiliser le système. Ils savent comment faire les publicités. Ils savent comment le présenter. Ils constituent toutes les preuves. En fin de compte, l’employeur veut qu’un travailleur soit lié à son restaurant ou à son entreprise, mais n’ait pas la capacité de s’exprimer. L’EIMT les contrôle à un point tel que, dans bien des cas, leur logement — comme je l’ai déjà dit — est aussi contrôlé. Tous les aspects de la vie des travailleurs sont contrôlés.
Je pense à nous. Si je venais au Canada et que j’étais lié à un employeur — c’est-à-dire que ma capacité de rester dans ce pays était liée à mon rendement au travail et à ma capacité d’être un travailleur obéissant qui ne dit rien de ce qui se passe —, ce serait horrible. Nous avons vu comment cela s’est passé dans l’histoire et pourquoi nous ne devons pas le faire. Pourtant, c’est le processus mis en œuvre au Canada. C’est une violation horrible des droits de la personne. Nous avons vu les abus qui en découlent.
Nous devons être en mesure de donner aux gens la possibilité de se faire entendre et d’exercer leurs droits fondamentaux dans notre pays; autrement, nous voyons ce qui est arrivé.
La présidente : Madame Ladd, lorsque je parle aux employeurs d’un permis de travail ouvert ou d’une demande de résidence permanente, voici ce que j’entends — et vous l’entendez aussi — : « Eh bien, si j’ai besoin de quelqu’un pour cueillir des fraises, et qu’il arrive avec un permis de travail ouvert ou une résidence permanente, qu’est-ce qui l’empêche de s’en aller chez Walmart, et je perds mon employé? »
La raison d’être d’un permis de travail fermé, c’est que nous avons les gens dont nous avons besoin dans les emplois que nous avons, plutôt que des gens dans l’économie.
Avez-vous une réponse à cela?
Mme Ladd : Oui. J’entends cela tout le temps aussi.
Tout d’abord, l’employeur doit tenir compte des conditions de travail des travailleurs et de tous les types d’accommodements et de problèmes dont les travailleurs ont besoin pour pouvoir cueillir des fraises, des tomates et des champignons de la meilleure façon possible.
Ce que nous avons constaté pendant la pandémie et grâce à l’action syndicale, c’est que les conditions sont plutôt mauvaises dans ces fermes. Cela ne veut pas dire que toutes les conditions sont terribles dans toutes les fermes. C’est à l’agriculteur et à la ferme de s’assurer que ces conditions sont décentes.
Le problème, c’est que si vous dites à quelqu’un qu’il ne peut pas choisir de s’en aller, que vous restreignez ses déplacements et sa capacité de rester au pays, et que vous restreignez toute possibilité pour cette personne de s’exprimer ou d’avoir des droits, alors, ce que vous faites, c’est créer un système d’esclavage à long terme. Vous ne pouvez pas vous en sortir.
Nous ne voudrions pas cela pour nous-mêmes. Nous détesterions cela pour nous-mêmes. Le fait que nous soyons d’accord pour que cela arrive aux travailleurs qui font ce travail, mais seulement s’ils viennent de certains pays, en dit long, à mon avis.
Nous devons vraiment interpeller ces employeurs et leur demander : « À quoi ressemblent vraiment vos conditions de travail? Comment traitez-vous les gens? » Il faut s’assurer que ces conditions sont justes et équitables.
Il y a une raison pour laquelle les gens ne veulent pas faire ce travail, et c’est parce que ce ne sont pas de très bons emplois. C’est comme les usines de transformation des viandes. Personne ne veut faire ce genre de travail. Alors, comment faire pour que ce travail soit de bonne qualité, avec des salaires élevés et des conditions de travail décentes? Ce n’est pas ce que sont ces emplois à l’heure actuelle.
La présidente : Je vous remercie, madame Ladd, de votre participation à notre étude. Vos points de vue nous ont été très utiles.
(La séance est levée.)