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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES SOCIALES, DES SCIENCES ET DE LA TECHNOLOGIE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 23 mars 2023

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd’hui, à 11 h 33 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi C-22, Loi visant à réduire la pauvreté et à renforcer la sécurité financière des personnes handicapées par l’établissement de la prestation canadienne pour les personnes handicapées et apportant une modification corrélative à la Loi de l’impôt sur le revenu.

La sénatrice Ratna Omidvar (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : D’abord, j’aimerais souhaiter la bienvenue aux membres du comité, aux témoins et aux membres du public qui regardent ces délibérations. Je m’appelle Ratna Omidvar. Je suis une sénatrice de l’Ontario et la présidente de ce comité. J’aimerais maintenant faire un tour de table et demander aux sénateurs de se présenter, à commencer par la sénatrice Bovey, vice-présidente du comité.

La sénatrice Bovey : Je m’appelle Patricia Bovey, sénatrice du Manitoba.

La sénatrice Dasko : Donna Dasko, sénatrice de l’Ontario.

Le sénateur Kutcher : Stan Kutcher, sénateur de la Nouvelle-Écosse.

[Français]

La sénatrice Petitclerc : Chantal Petitclerc, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Bernard : Wanda Thomas Bernard, sénatrice de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Burey : Sharon Burey, sénatrice de l’Ontario.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Patti LaBoucane-Benson, sénatrice de l’Alberta, dans le magnifique territoire du Traité no 6.

La sénatrice Seidman : Judith Seidman, sénatrice de Montréal, au Québec.

La sénatrice Osler : Gigi Osler, sénatrice du Manitoba.

La présidente : Le comité poursuit aujourd’hui son étude du projet de loi C-22, Loi visant à réduire la pauvreté et à renforcer la sécurité financière des personnes handicapées par l’établissement de la prestation canadienne pour les personnes handicapées et apportant une modification corrélative à la Loi de l’impôt sur le revenu.

Je vais prendre quelques instants pour rappeler à ceux qui participent à cette réunion et à ceux qui observent les délibérations en personne ou par vidéoconférence que le comité a pris des mesures pour permettre à tous les témoins et à tous les membres du public de participer pleinement à l’étude du projet de loi C-22. Dans le cadre de la planification de réunions inclusives et accessibles, le comité a pris des dispositions pour que les témoins qui comparaissent en personne et les membres de notre auditoire puissent avoir accès à des services d’interprétation gestuelle en langue des signes américaine et québécoise. L’interprétation en langue des signes sera enregistrée sur bande vidéo pour être intégrée à l’enregistrement vidéo archivé des délibérations, qui sera disponible à une date ultérieure sur la page SenVu du site Web du comité.

Enfin, si, à un moment donné, quelqu’un de l’auditoire devait avoir besoin d’aide, je l’inviterais à en faire part à l’un des pages ou à la greffière du comité.

Le premier groupe de témoins se joint à nous aujourd’hui par vidéoconférence et est composé de Michelle Hewitt, coprésidente de l’équipe chargée de la politique sociale au Conseil des Canadiens avec déficiences, et de Glen Hoos, directeur des communications de la Down Syndrome Resource Foundation. Merci beaucoup d’être des nôtres. Les témoins ont cinq minutes pour faire leur déclaration liminaire, qui sera suivie de questions posées par les membres.

Madame Hewitt, vous avez la parole.

Michelle Hewitt, coprésidente, Équipe chargée de la politique sociale, Conseil des Canadiens avec déficiences : Merci beaucoup de m’avoir invitée à témoigner. Je m’appelle Michelle Hewitt. Je suis handicapée. Je vis à Kelowna, en Colombie-Britannique, sur le territoire traditionnel non cédé de la nation Syilx/Okanagan. Bien que je sois membre d’un certain nombre de conseils d’administration et de comités, je m’adresse à vous aujourd’hui à titre de coprésidente de l’équipe chargée de la politique sociale du Conseil des Canadiens avec déficiences, souvent désigné par son acronyme CCD.

Le CCD est une organisation de justice sociale mettant en valeur les voix de toutes les personnes handicapées et revendiquant un Canada accessible et inclusif au sein duquel les personnes en situation de handicap pourront totalement exercer leurs droits fondamentaux, tels qu’énoncés dans la Convention relative aux droits des personnes handicapées de l’ONU. Nous comprenons que, si les personnes handicapées veulent vivre en conservant leur dignité et leur autonomie, elles ne doivent pas vivre dans la pauvreté. Voilà pourquoi nous appuyons sans réserve le projet de loi C-22 et la prestation canadienne pour les personnes handicapées et vous enjoignons d’œuvrer pour que cette prestation soit accessible aux Canadiens handicapés d’âge actif dès que possible.

Je souhaite utiliser le temps dont je dispose pour établir trois points clés relativement à la mesure législative à l’étude.

D’abord, le projet de loi énonce ceci :

... qu’il reconnaît, suivant le principe du « rien ne doit se faire sans nous », l’importance d’établir un dialogue avec la communauté des personnes handicapées dans l’élaboration de mesures de soutien qui leur sont destinées, conformément à la Loi canadienne sur l’accessibilité...

Cette loi marquante précise que les personnes handicapées « doivent participer à l’élaboration et à la conception des lois, des politiques, des programmes, des services et des structures ».

Le projet de loi C-22 autorise le gouverneur en conseil à mettre en œuvre la plupart des éléments conceptuels de la prestation par voie de règlement, ce qui est particulièrement important. Dans le cadre de cette première mesure législative fédérale majeure à l’intention des personnes handicapées depuis l’adoption de la Loi canadienne sur l’accessibilité, nous estimons que le règlement doit absolument être corédigé avec des organisations représentant les personnes handicapées, qui auront obtenu un soutien suffisant pour assurer leur pleine participation à ce processus.

En outre, notre foi en la concrétisation de la vision qu’a la ministre Qualtrough de ce processus dépend de la rédaction accessible, transparente et compréhensible du règlement, de même que de la présence à la table d’un groupe de personnes handicapées de divers horizons qui parlent en leur propre nom.

Deuxièmement, nous apprécions le travail effectué par le Comité permanent des ressources humaines, du développement des compétences, du développement social et de la condition des personnes handicapées de la Chambre des communes, qui a formulé une série d’amendements qui améliorent le projet de loi C-22, surtout l’amendement à l’article 11 qui se lit comme suit :

Le gouverneur en conseil, [...] concernant le montant de la prestation, tient compte du seuil officiel de la pauvreté au sens de l’article 2 de la Loi sur la réduction de la pauvreté.

Nous estimons que c’est une disposition particulièrement importante de cette mesure législative. Sans elle, les personnes handicapées risquent de ne pas sortir de la pauvreté en raison d’une prestation inadéquate.

Troisièmement, la chose la plus importante pour les personnes handicapées qui vivent dans la pauvreté est de voir ce projet de loi progresser rapidement au sein de la législature afin que le travail relatif à la rédaction du règlement, et au versement de cette prestation, commence pour de bon. Ce projet de loi a d’abord été proposé dans le Discours du Trône de septembre 2020. Depuis, le gouvernement fédéral n’a offert qu’un paiement de 600 $ aux personnes handicapées jugées admissibles, afin d’atténuer les incroyables difficultés éprouvées par un si grand nombre d’entre nous qui sommes handicapés.

Dans les 18 mois qui ont suivi, l’inflation a été importante. Le coût de la nourriture frappe de plein fouet les personnes qui vivent dans la pauvreté. Les derniers chiffres indiquent une augmentation du prix de produits d’épicerie de 10,6 % en février. Actuellement, aucune prestation provinciale ou fédérale pour les personnes handicapées n’atteint le seuil de la pauvreté et, dans la majorité des provinces, les prestations majorées ne sont pas indexées à l’inflation. Imaginez que vous vivez bien en-deçà du seuil de la pauvreté depuis le début de cette pandémie sans la moindre aide qui se profile à l’horizon.

Aujourd’hui, il y a environ un million de Canadiens handicapés d’âge actif qui vivent dans la pauvreté et qui ont cruellement besoin d’aide. Le Conseil des Canadiens avec déficiences vous exhorte à faire un travail poussé qui vise à renvoyer le projet de loi C-22 à la Chambre des communes pour recevoir la sanction royale dès que possible.

Merci de votre attention. Maintenant, finissons-en.

La présidente : Merci beaucoup pour vos commentaires, madame Hewitt.

Monsieur Hoos, vous avez la parole.

Glen Hoos, directeur des communications, Down Syndrome Resource Foundation : Merci beaucoup de me donner l’occasion de vous parler ce matin de ce projet de loi, d’une importance critique, qui prévoit la création d’une prestation canadienne pour les personnes handicapées.

Ce matin, je porte deux chapeaux : le premier, c’est le chapeau de représentant de la Down Syndrome Resource Foundation, une organisation qui offre des programmes, des services et un soutien à des centaines de personnes trisomiques et à leurs familles à Burnaby; le deuxième chapeau, c’est celui de mari et de père, car ma femme et mes deux enfants ont des incapacités permanentes multiples. Dans le cas de ma femme, ce sont des handicaps physiques. Mes deux enfants ont des déficiences intellectuelles.

J’aimerais féliciter le Sénat de la rapidité avec laquelle il travaille à la création de cette prestation novatrice, dont l’objectif est de faire sortir les Canadiens handicapés de la pauvreté. La création de la prestation canadienne pour les personnes handicapées fera du Canada un chef de file mondial pour ce qui est de promouvoir l’inclusion économique, sociale et individuelle de tous ses citoyens, et ce sont des valeurs que notre organisation et moi-même, en tant que particulier, chérissons.

La nécessité d’une prestation canadienne pour les personnes handicapées dignes de ce nom est évidente. En 2002, le seuil de la pauvreté au Canada était estimé à 26 000 $. Or, les allocations pour personnes handicapées de toutes les provinces sont bien en deçà de ce montant. Dans ma province, la Colombie-Britannique, les personnes handicapées ont eu droit à environ 16 300 $ en 2022. Ce sont parmi les allocations les plus généreuses au Canada, mais c’est encore presque 10 000 $ en dessous du seuil de pauvreté national. Et je ne dis rien des autres lacunes des allocations provinciales, dont le fait que la plupart des personnes handicapées mariées n’y sont même pas admissibles.

Le seuil de pauvreté, établi à 26 000 $, est déjà insuffisant pour les personnes handicapées qui, bien souvent, dépensent davantage que les personnes non handicapées sur les produits de première nécessité comme les médicaments, les appareils, les régimes spéciaux, etc. Ici, dans le district régional de Metro Vancouver, où le loyer moyen dépasse les 2 000 $ par mois, le logement peut être à lui tout seul plus élevé que le montant accordé par les provinces aux personnes handicapées. La Colombie-Britannique a annoncé récemment une bonification de l’allocation mensuelle pour le logement destiné aux personnes handicapées, qui passera de 375 $ à 500 $, mais cela demeure évidemment trop peu. Les Canadiens handicapés recevant des allocations inférieures au seuil de la pauvreté pâtissent depuis de nombreuses années et l’inflation qui a marqué les dernières années a créé une véritable situation de crise.

Au début de la pandémie de COVID-19, le gouvernement fédéral a rapidement instauré la Prestation canadienne d’urgence, la PCU, et c’est tout à son honneur. Le montant de 2 000 $ par mois a été perçu comme le minimum nécessaire pour offrir un niveau de vie de base. Cela n’a pas échappé aux Canadiens handicapés qui, quelques années plus tard, doivent toujours subvenir à leurs besoins avec un montant beaucoup plus inférieur, et ce, malgré une hausse dramatique du coût de la vie.

Les faibles allocations pour les personnes handicapées font que ces personnes souffrent de façon disproportionnée des problèmes suivants : la pauvreté et l’endettement continu; l’itinérance et le logement précaire; la faim et la malnutrition; l’incapacité de se procurer des médicaments essentiels; la dépression et les troubles psychologiques. Or, le fait de sortir les personnes handicapées de la pauvreté les aiderait à éviter l’itinérance, la faim et la malnutrition, à se procurer des médicaments et des thérapies essentiels et des logements sûrs; à s’acheter des vêtements corrects pour eux-mêmes et leurs enfants; à éviter de devoir choisir les factures à payer; à s’extirper du cercle vicieux de la pauvreté et de l’endettement; à améliorer leur santé mentale.

Ce ne sont pas seulement les personnes handicapées qui en ressentiront les avantages. Lorsque les personnes handicapées ont les moyens de participer pleinement à la société et à l’économie canadienne, tout le monde est gagnant.

Afin d’assurer l’inclusion, l’égalité, la sécurité économique et la dignité personnelle de tous les Canadiens handicapés, je vous enjoins à créer et mettre en œuvre la prestation canadienne pour les personnes handicapées dans les délais les plus brefs, d’ici la fin de 2023. Je reconnais qu’il faut du temps pour concevoir une prestation très complexe qui répond aux besoins d’une population ayant des besoins diversifiés. Malheureusement, la pauvreté est toujours présente et les personnes handicapées ne peuvent plus attendre.

Merci d’avoir reconnu l’urgence de cette crise et de fournir les efforts nécessaires afin que la prestation canadienne pour les personnes handicapées voie le jour.

La présidente : Merci, monsieur Hoos. Nous remercions les deux témoins d’avoir fait leurs déclarations. Les sénateurs auront maintenant l’occasion de poser des questions. Chers collègues, vous aurez chacun cinq minutes et comme d’habitude, cela comprend évidemment la question et la réponse. Avant de céder la parole, je demanderai aux membres et aux témoins présents dans la salle d’éviter de se rapprocher du micro. Si vous devez le faire, enlevez votre oreillette. Cela empêchera les réactions acoustiques qui pourraient blesser le personnel du comité dans la salle.

La sénatrice Bovey : Je remercie les deux témoins de leurs déclarations éloquentes.

Je vous demanderai de répondre à la même question. Tout comme d’autres, je crains que certaines provinces, peut-être pas toutes, chercheront à récupérer des montants une fois que la prestation pour les personnes handicapées sera mise en œuvre, ce qui viendra contrecarrer l’objectif du projet de loi. Je suis aussi préoccupée par certaines rumeurs, selon lesquelles les gens ont peur que des services comme les aides au loyer et à l’achat d’un fauteuil roulant, des soutiens essentiels, puissent être réduits. Est-ce que je m’en fais trop, ou avez-vous les mêmes préoccupations?

Monsieur Hoos, vous pourrez peut-être commencer, et ce sera ensuite le tour de Mme Hewitt.

M. Hoos : Vos préoccupations sont tout à fait justifiées et nous avons les mêmes. La prestation sera utile uniquement si elle vient s’ajouter à ce qui est déjà en place. Si le montant de la prestation est récupéré, que ce soit par la réduction des allocations pour les personnes handicapées ou une hausse du coût des services offerts actuellement par les provinces, la prestation n’offrira aucun avantage quelconque. Une étape cruciale du processus consistera à négocier avec les provinces afin que ce cas de figure ne se produise pas.

La sénatrice Bovey : Madame Hewitt, j’aimerais bien savoir ce que vous en pensez. Dans le cadre de votre travail avec le Conseil des Canadiens avec déficiences, voyez-vous diverses formes de récupération dans le pays?

Mme Hewitt : Merci beaucoup de la question. J’abonde dans le même sens que M. Hoos.

La question des récupérations est incroyablement complexe. Ce genre de chose se produit déjà. Je vais vous en donner un exemple de l’Alberta que j’ai vu dans les nouvelles : Il s’agit du cas d’une jeune femme dans sa vingtaine atteinte de spina-bifida. C’est une jeune femme active, dynamique, qui souffre d’incontinence. Autrefois, sa province lui permettait d’acheter des serviettes pour incontinence discrètes, mais maintenant, elle ne rembourse que l’achat de couches pour adultes, qui sont volumineuses et très visibles. C’est une forme de récupération. Cette femme ne peut couvrir l’écart dans le prix avec le montant qu’elle touche en tant que personne handicapée, ce qui en fait une récupération. Nous n’examinons pas seulement les choses qui sont faciles à quantifier, telles que des montants d’argent ou des laissez-passer pour le transport en commun. Il peut s’agir d’un fonctionnaire qui prend une décision budgétaire en disant : « Plutôt que de rembourser l’article numéro deux dans le catalogue, nous ne rembourserons que l’article numéro trois, puisqu’il coûte moins cher. »

Ce genre de récupération se fait partout, et c’est une source de grande préoccupation. Nous craignons de ne pas être en mesure de corriger ce genre de situation au moyen d’une loi fédérale. La communauté des personnes handicapées est consciente du problème et va suivre le dossier de près une fois que la loi entrera en vigueur.

La sénatrice Bovey : Merci beaucoup. Lorsque viendra le temps de tenir des négociations ou des discussions sur le règlement, allez-vous parler de ce problème, et participerez-vous aux négociations?

Mme Hewitt : Comme je l’ai indiqué, le choix des participants aux discussions sur le règlement sera très important. Les personnes handicapées doivent impérativement avoir une place à la table et participer aux discussions afin qu’elles puissent soulever ce genre de problème qui ne vient pas forcément à l’esprit des autres participants. Je ne crois pas que nous sachions qui participera à ces discussions, mais je sais que tous les membres de la communauté des personnes handicapées sont plus que prêts à se retrousser les manches et à s’y mettre. Il suffit de nous le demander, et nous répondrons à l’appel.

M. Hoos : Je suis du même avis. Encore une fois, je ne sais pas qui participera aux discussions ni à quoi elles ressembleront, mais notre organisation s’est exprimée par tous les moyens possibles jusqu’à présent, et nous avons certainement l’intention de continuer. Comme je l’ai dit dans ma déclaration, trois membres de ma famille immédiate ont des incapacités permanentes, ce qui fait que je m’intéresse beaucoup au dossier. Personnellement, je serais ravi d’y participer d’une façon quelconque.

La sénatrice Bovey : Permettez-moi de vous remercier tous les deux. Vos témoignages sont touchants et éloquents. Merci.

La présidente : Permettez-moi de poser une question rapide sur la récupération. Je présume que vous faites les démarches nécessaires dans vos provinces respectives pour parler aux responsables des gouvernements provinciaux de la question de la récupération, tout comme vous vous êtes organisés pour vous exprimer au sujet du projet de loi auprès des représentants fédéraux.

Mme Hewitt : Tout à fait. Notre organisation chapeaute 14 organismes au pays. Par exemple, M. Hoos et moi-même vivons en Colombie-Britannique. Je siège au conseil d’administration de la Disability Alliance BC, qui est l’un de nos membres. Tous nos groupes membres discutent avec les gouvernements provinciaux.

Nous avons des groupes comme Inclusion Canada, une fédération d’organisations, qui parlent au nom de la communauté des personnes handicapées. Je suis la présidente du conseil d’administration du mouvement Le handicap sans pauvreté; nous mettons en œuvre des stratégies actuellement à l’échelon provincial et nous entretenons tous des dialogues avec les gouvernements provinciaux.

La présidente : La ministre a indiqué dans sa déclaration hier qu’elle n’accepterait pas les récupérations. Selon elle, il n’y aura aucune récupération. C’est une position admirable.

Pensez-vous que la prestation devrait être offerte une fois que toutes les ententes en matière de récupération auront été signées, ou que la prestation devrait être offerte dans une province à la fois, dès qu’une entente de récupération aura été conclue? Vous avez aussi la possibilité de fournir une réponse plus tard.

M. Hoos : À mon avis, les prestations devraient être versées le plus rapidement possible, et même plus vite encore. Lorsque nous avons déposé notre premier mémoire auprès de la Chambre, nous avons recommandé le versement de fonds intérimaires d’urgence pendant la période de conception de la prestation parce que même si nous réalisons notre objectif, c’est-à-dire la création de la prestation d’ici la fin de 2023, cela veut néanmoins dire qu’il y aura une période intérimaire de neuf mois pendant laquelle le problème ne cessera de s’aggraver. Le plus vite que nous pourrons remettre l’argent aux gens, le mieux ce sera. Je suis sûr que Mme Hewitt est d’accord.

Mme Hewitt : Oui, je suis d’accord. C’est très difficile pour nous de dire que les gens de certaines provinces recevront la prestation après d’autres, mais il faut trouver une façon quelconque de commencer à aider les gens au moyen de cette prestation.

Je comprends la position de la ministre et je suis d’accord. Toutefois, je pense que cette stratégie, c’est-à-dire guetter les récupérations, devra faire l’objet de discussions afin de voir comment cela se réalisera et de trouver des organisations qui sont les mieux placées pour comprendre la réalité des personnes handicapées. L’exemple de la jeune femme que je vous ai donné en est un cas.

La présidente : Merci beaucoup.

La sénatrice Seidman : Je tiens à remercier nos deux témoins qui ont décrit les enjeux que nous devrons absolument comprendre afin de faire en sorte que ce projet de loi aide réellement la communauté des personnes handicapées.

J’aimerais poursuivre la discussion sur la façon de verser les fonds aussi rapidement que possible aux gens qui en ont tellement besoin. Madame Hewitt, dans le mémoire que votre organisation a présenté au Comité permanent des ressources humaines, du développement des compétences, du développement social et de la condition des personnes handicapées de la Chambre des communes, on recommande que : « Tous les gouvernements s’engagent à simplifier l’administration et l’offre de prestations… »

Nous parlons de l’accès. Hier, il a été question de simplifier le processus. Comment pouvons-nous être sûrs que les gens qui ont vraiment besoin de la prestation vont être au courant et pouvoir y avoir accès? Quelle sera la complexité du processus? Y aura-t-il des récupérations? On a mentionné un enjeu hier, à savoir s’il y aura un seul point de contact pour les membres de la communauté des personnes handicapées qui cherchent à toucher la prestation. Y aura-t-il un défenseur ou un agent que les personnes handicapées pourront appeler, une personne qui comprend le processus et les procédures et peut aider les gens à faire des demandes, ou encore à intenter un appel si leur demande est refusée pour une raison quelconque? Nous savons que le crédit d’impôt pour personnes handicapées a généré d’énormes problèmes, notamment en ce qui a trait à l’accès. Notre comité a travaillé sur ce dossier il y a quelques années.

Qu’en pensez-vous? Reviendra-t-il aux gens sur le terrain et aux organisations comme la vôtre d’aider les gens, ou y a-t-il une façon de prévoir dans le règlement un poste de défenseur chargé de veiller à l’accès et d’aider les gens en cas de problème?

Mme Hewitt : Parlons tout d’abord du crédit d’impôt pour personnes handicapées. C’est un crédit fiscal. Les gens qui en font la demande en ce moment payent de l’impôt et demandent un crédit. Les gens à qui nous parlons, des gens qui vivent dans une pauvreté extrême, ne présentent pas habituellement une demande de crédit d’impôt pour personnes handicapées.

Je comprends que le gouvernement fédéral doit avoir « une liste d’incontournables », comme l’a dit la ministre hier, et que le crédit d’impôt pour personnes handicapées répond à ce critère. Toutefois, il ne répond pas aux besoins des personnes pour qui la prestation est essentielle.

Bon nombre de provinces, mais pas toutes, versent une allocation quelconque aux personnes handicapées. Puisque le gouvernement fédéral est prêt à établir un partenariat avec les provinces pour offrir conjointement la Prestation pour enfants handicapés et l’allocation provinciale, nous présumons que le gouvernement fait confiance au processus prévu pour déterminer l’admissibilité à l’allocation provinciale. Cela veut dire pour moi que les gens qui ont déjà présenté une demande pour l’allocation et ont été déclarés admissibles seront également admissibles à la prestation.

Les personnes handicapées répètent à qui veut l’entendre qu’il ne faut pas les obliger à passer par des démarches administratives compliquées, parce que chaque démarche est différente et incroyablement complexe. On oblige les personnes handicapées à prouver à maintes reprises qu’elles sont handicapées. Or, bon nombre d’entre elles ont des incapacités permanentes qui ne se résoudront jamais.

Je pense que l’on pourrait grandement simplifier les choses aux échelons provinciaux et territoriaux ainsi qu’au gouvernement fédéral au fur et à mesure que nous avançons. J’aime beaucoup l’idée d’avoir un défenseur qui veille sur l’accessibilité, mais il devrait y en avoir un dans chaque province.

Disability Alliance BC, un groupe qui fait partie du Conseil des Canadiens avec déficiences, réalise déjà beaucoup de travail dans ce domaine. Nous faisons des revendications au nom des gens . Nous les aidons à remplir des formulaires et à intenter un appel, par exemple. Le partenariat entre les provinces et le gouvernement fédéral doit trouver des organisations comme la nôtre qui ont déjà l’expertise nécessaire.

La sénatrice Seidman : Merci beaucoup.

La sénatrice Osler : Je remercie les témoins qui comparaissent aujourd’hui. Ma question est destinée à vous deux.

Le préambule du projet de loi C-22, fidèle au principe « rien ne doit se faire sans nous », reconnaît l’importance de mobiliser les personnes handicapées ainsi que les provinces et territoires aux fins d’élaboration de la prestation canadienne pour les personnes handicapées.

Vos organisations ont-elles participé aux consultations qui ont eu lieu jusqu’à présent? Si oui, quelles préoccupations avez-vous soulevées lors des discussions? Si vous n’avez pas encore participé aux consultations, avez-vous des préoccupations quant au projet de loi ou au règlement à venir que vous aimeriez transmettre au comité?

M. Hoos : Nous n’avons pas encore participé à ces discussions, mais nous serions ravis d’y participer. Nous avons soumis bon nombre de documents.

En ce qui concerne les personnes trisomiques, il est plus difficile de recueillir leurs commentaires. Dans bien des cas, les personnes trisomiques devront probablement être accompagnées de leur proches aidants ou de leurs parents pour les aider à comprendre les enjeux et à exprimer leurs besoins, mais elles devraient certainement avoir l’occasion de le faire.

Pour ce qui est de nos préoccupations, nous avons déjà parlé des récupérations. C’est probablement notre plus grande préoccupation.

Nous pensons aussi que la prestation devrait constituer un revenu garanti pour les personnes handicapées. Elle ne doit pas devenir une contre-incitation au travail. Voilà une des lacunes évidentes des allocations provinciales. Même si les personnes handicapées gagnent un salaire modeste, dès qu’elles franchissent un certain seuil de revenu, elles n’ont plus droit aux allocations provinciales. Il est même arrivé à quelques occasions que mon organisation ait offert du travail à des personnes trisomiques qui ont décidé de le refuser, car elles en perdraient davantage en allocations qu’elles ne toucheraient en salaire. Il faut empêcher ce cas de figure.

Quelqu’un a parlé de l’inflation. Nous pensons que la prestation doit être indexée sur l’inflation et augmenter annuellement selon le coût de la vie. Voilà une lacune des allocations provinciales pour personnes handicapées; elles ne sont pas indexées sur l’inflation.

Nous voulons que le plus grand nombre possible de personnes handicapées ait droit à la prestation. La réglementation provinciale, du moins celle de la Colombie-Britannique, prévoit l’évaluation des ressources de la famille. J’ai fait beaucoup de recherches à ce sujet moi-même : il est devenu apparent que ma femme ne pourra probablement jamais travailler pendant le reste de sa vie. J’ai voulu savoir si elle serait admissible aux allocations provinciales. La réponse est non, car son mari gagne plus de 40 000 $ par année. Je peux vous dire qu’un salaire annuel de 40 000 $ ne va pas loin quand on essaie d’élever une famille dans la région de Vancouver.

Essentiellement, le régime actuel nous oblige à rester une famille à un seul revenu pendant le reste de nos vies. Nous pensons qu’une personne mariée devrait avoir le droit de gagner de l’argent comme tout autre citoyen. Il faudrait rendre un maximum de gens admissibles.

Mme Hewitt : Oui, des membres de notre organisation ont participé aux tables rondes à l’étape de la préconsultation que le gouvernement a organisée et nous avons participé aux groupes de discussion du Plan d’action pour l’inclusion des personnes handicapées du Canada, ainsi qu’aux sondages et autres activités connexes.

Pour ce qui est des préoccupations qui ont été soulevées, nous avons les mêmes que M. Hoos. Si j’avais plus de temps, je vous parlerais du besoin d’adapter la prestation aux circonstances individuelles.

La sénatrice Moodie : Merci aux témoins qui sont des nôtres aujourd’hui. J’aimerais examiner la question de l’accès et voir comment le processus de demande et les étapes administratives peuvent gêner l’accès des personnes handicapées.

Hier, nous avons pris connaissance de certains problèmes possibles : on nous a parlé de maladies épisodiques dont la gravité peut fluctuer et avoir une incidence sur le revenu des gens de temps à autre. On nous a décrit les problèmes qui découlent de l’évaluation des ressources et du fait que l’admissibilité doit être fonction du revenu, et non des ressources. On nous parle encore de la question du revenu qui n’est pas lié à la situation familiale.

Pouvez-vous nous donner des exemples de modèles qui fonctionnent afin que les gens qui liront notre rapport puissent en prendre connaissance? Y a-t-il des pays ou des régions qui ont réalisé de bons coups que vous aimeriez souligner?

Mme Hewitt : Bien franchement, il est difficile de trouver de bons exemples d’accès. Des exemples qui me viennent à l’esprit proviennent d’organisations à but non lucratif qui vont activement à la recherche de gens. En Colombie-Britannique, une coalition d’organisations a mis sur pied un programme pour faciliter l’accès aux REEI. Les personnes admissibles à un régime enregistré d’épargne-invalidité, un REEI, se font ainsi accompagner pendant tout le processus, c’est-à-dire se rendre à la banque et ouvrir un compte d’épargne, qui est une démarche très compliquée. Des représentants des organisations comme Disability Alliance BC aident les gens avec toutes les démarches. Ce type de mentorat et de soutien individuel est tellement important pour les personnes qui se sentent extrêmement vulnérables lorsqu’elles doivent passer par des étapes administratives.

L’un des plus grands obstacles est bien souvent le coût. J’ai un médecin que je consulte depuis de nombreuses années, et c’est probablement également le cas pour la plupart d’entre vous. Si je dois demander à ma médecin de signer un formulaire, elle me le fait gratuitement. C’est un privilège. La plupart des gens qui ont le plus besoin de ces prestations n’ont bien souvent pas de médecin de famille. Nous savons qu’en Colombie-Britannique, un million de personnes sont sans médecin de famille, et c’est une situation qui se reproduit partout au pays. Sans médecin de famille, il faut payer de 50 à 100 $ pour avoir droit à une prestation dont on a besoin parce qu’on vit dans la pauvreté. On peut voir que c’est un cercle vicieux.

Vous avez probablement deviné à partir de mon accent que j’ai vécu de nombreuses années au Royaume-Uni, qui est un exemple dont il ne faudrait vraiment pas s’inspirer. Le régime britannique est extrêmement lacunaire. J’ai appris toutefois que l’Écosse œuvre de son côté et fait de bonnes choses, mais je ne pourrais pas vous en dire davantage maintenant.

La présidente : Chers collègues, il n’y aura pas de deuxième série de questions. Je vais donner 10 secondes à M. Hoos afin qu’il puisse répondre à la question.

M. Hoos : Je suis d’accord pour dire qu’il n’existe pas vraiment de bons exemples ailleurs. Je crois que le projet de loi fera du Canada un chef de file en la matière. Je ne peux vous fournir un seul exemple d’un pays qui serait plus avancé que nous.

La présidente : Merci.

La sénatrice Petitclerc : J’aimerais remercier les deux témoins. J’ai quelques questions à poser à Mme Hewitt, mais si nous avons suffisamment de temps pour entendre la réponse du deuxième témoin, ce serait formidable.

Madame Hewitt, dans votre déclaration, vous avez parlé du seuil de pauvreté et du montant des allocations accordées par les diverses provinces qui sont largement inférieures au seuil de pauvreté, ainsi que de l’impact de cette situation, et de l’importance de l’indexation sur l’inflation. Comme vous le savez, le projet de loi ne prévoit pas de montant précis. Il propose un cadre. Il ne fixe pas la prestation en fonction du seuil de pauvreté. Il ne fait que préciser qu’il faut en tenir compte.

Mes questions sont les suivantes : dans quelle mesure est-il important d’en faire plus que de tout simplement en tenir compte? Dans quelle mesure est-il important de viser le seuil de pauvreté, ou même à mon humble avis de le dépasser, si nous tenons compte également des coûts supplémentaires associés à une incapacité?

Mme Hewitt : Les gens de ma communauté devineront déjà ce que je vais vous dire : le seuil de la pauvreté n’est pas une panacée, c’est le seuil de la pauvreté. C’est là où nous voulons amener les gens, notamment dans les provinces de l’Atlantique. Les habitants du Nouveau-Brunswick reçoivent un peu plus de 700 $ par mois. Pouvez-vous vous imaginer vivre de ce montant? Je ne sais pas comment les gens le font. Comme vous le savez sans doute, vivre avec une incapacité coûte plus cher. La recherche le confirme : les études menées dans d’autres pays indiquent qu’il peut en coûter 40 % de plus dans le cas d’une incapacité ouvrant droit à une allocation provinciale typique. Cela veut dire que le seuil de pauvreté de 2 100 $ sera de l’ordre de 2 800 $ ou de 2 900 $. Même si nous amenons les personnes handicapées au seuil de pauvreté, elles vont toujours vivre dans la pauvreté. Ce seuil est le minimum que nous devrions viser.

Je sais que nous devons faire les choses graduellement. Nous ne pourrons pas d’emblée verser 3 000 $ à tout le monde, mais le point de départ ne peut être inférieur au seuil de pauvreté actuel. Sinon, nous ne respecterons pas les critères prévus dans le projet de loi. Nous n’allons pas extirper les personnes handicapées de la pauvreté. Je crois que le seuil de pauvreté est le point de départ, et non le point d’arrivée.

M. Hoos : J’abonde dans le même sens. Lorsque nous parlons de ce genre de soutien, les gens peuvent parfois avoir l’impression que les personnes handicapées se payent du caviar avec l’argent du gouvernement. C’est tout le contraire. Vivre au jour le jour au seuil de la pauvreté est très difficile. Comme on l’a dit maintes fois, le seuil de pauvreté officiel est vraiment une sous-estimation dans le cas des personnes handicapées. Je crois que le seuil de pauvreté devrait être le minimum que nous visons. Tout montant qui lui serait inférieur serait très décevant et insuffisant.

La sénatrice Dasko : Merci aux témoins d’être des nôtres. Ma question porte aussi sur le seuil de pauvreté, mais j’aimerais l’aborder dans une autre optique. Vous avez tous les deux parlé de l’importance de la réduction de la pauvreté, et vous venez tout juste de décrire la réalité du seuil de pauvreté. Madame Hewitt, vous avez également donné des précisions quant à vos attentes.

J’aimerais obtenir plus de renseignements. Hier, certains témoins nous ont fait part de la statistique suivante : 40 % des personnes handicapées vivent en deçà du seuil de pauvreté. J’aimerais savoir quelles sont vos attentes quant à l’impact de la prestation. Combien de personnes handicapées échapperont à la pauvreté grâce à la prestation? Quels sont vos espoirs et vos attentes à l’égard de la prestation et son impact en ce qui concerne le pourcentage de gens qui se sortiront de la pauvreté, c’est-à-dire les 40 % dont on a parlé hier? Merci.

M. Hoos : Je m’attends à ce que la prestation permette à toutes les personnes handicapées de se sortir de la pauvreté. Bien sûr, cela dépendra des modalités d’accès, de la facilité du processus et de son inclusivité. Comme il a été mentionné plus tôt, je préconise le recours aux systèmes qui sont déjà en place, y compris pour les gens qui sont déjà passés par le processus et ont été déclarés admissibles à l’allocation provinciale pour personnes handicapées ou au crédit d’impôt pour personnes handicapées. Malgré les lacunes des deux soutiens, je crois que quiconque ayant déjà été déclaré admissible devrait également l’être d’office dans le cas de la prestation.

Évidemment, il faudra prévoir un nouveau système pour ceux qui n’ont jamais présenté de demande auparavant à titre de personne handicapée. Il faut que l’accès soit le plus facile possible. Dans le secteur des services aux personnes handicapées, j’ai l’impression qu’il y a toujours des portiers qui ont comme tâche de faire entrer un minimum de gens plutôt que d’ouvrir grand la porte afin que tout le monde qui y a droit puisse entrer. J’aimerais que cette approche soit retenue dans le cas de la prestation.

La sénatrice Dasko : En êtes-vous persuadé, ou est-ce que vous l’espérez tout simplement?

M. Hoos : À condition que la prestation soit conçue de façon à constituer un montant suffisant et que toute personne handicapée y ait droit, il n’y a aucune raison de croire le contraire.

La sénatrice Dasko : Madame Hewitt, pensez-vous que la prestation permettra à tout le monde d’échapper à la pauvreté?

Mme Hewitt : Oui. Dans ma déclaration, j’ai indiqué qu’environ un million de Canadiens en âge de travailler vivaient dans la pauvreté. Ce sont des chiffres qui remontent à 2017, et cela ne représente que les gens qui ont pu être énumérés. J’imagine que maintenant, six ans plus tard, en période post-pandémie, le chiffre est beaucoup plus élevé. Je ne saurais vous donner une estimation. Mais dans notre pays, le Canada, je m’attends à ce que personne ne vive dans la pauvreté, et surtout pas parce qu’il ou elle est handicapé.

La sénatrice Burey : J’aimerais remercier les témoins de nous avoir fait part de leurs expériences personnelles qui nous interpellent. Je vais m’attarder à la question du seuil de pauvreté, parce que nous devons offrir une prestation suffisante aux gens qui en ont besoin. Hier, nous avons entendu que la prestation canadienne pour les personnes handicapées était un investissement dans les Canadiens en situation de handicap, leur permettant de participer pleinement à la société et d’y contribuer. Je tenais à le souligner.

En ce qui concerne le seuil de pauvreté, le projet de loi a été amendé par un comité de la Chambre par adjonction d’une nouvelle disposition dont vous avez parlé, qui obligerait le gouverneur en conseil à tenir compte du seuil de pauvreté officiel, tel qu’il est défini par la Loi sur la réduction de la pauvreté. Comme vous l’avez dit, on en tiendrait compte, mais il n’y aurait aucune obligation précise. C’est ce dont nous discutons.

Bien sûr, la Loi sur la réduction de la pauvreté fait référence à la Mesure du panier de consommation. Avez-vous des propositions à l’égard de la mesure afin que le montant de la prestation soit suffisant pour réduire la pauvreté chez les personnes en situation de handicap?

Je voudrais avoir plus de renseignements sur la Mesure du panier de consommation. Statistique Canada utilise cette mesure pour examiner certains facteurs, notamment l’inflation. Nous avons parlé de l’inflation alimentaire. Quels sont les autres facteurs dont on devrait tenir compte dans la Mesure du panier de consommation afin de réduire la pauvreté?

Mme Hewitt : J’ai rencontré à quelques reprises des représentants de Statistique Canada afin de parler de cet enjeu, car la Mesure du panier de consommation ne représente pas fidèlement la réalité des personnes handicapées. Le problème, c’est que la communauté des personnes handicapées est un groupe disparate. D’autres pays ont choisi d’utiliser un multiplicateur. Je crois que c’est une meilleure approche, plutôt que de tenir compte de ce que nous pourrions ajouter. Moi-même, en tant que personne handicapée souffrant de sclérose en plaques et de diabète, j’ai des besoins différents comparativement à M. Hoos, dont les enfants ont des déficiences intellectuelles.

Aucune recherche n’a été menée au Canada à ce sujet, ce qui fait que nous n’avons pas de données canadiennes. Nous pouvons cependant regarder ce qui se fait dans des pays comparables, comme l’Irlande, l’Australie et le Royaume-Uni. Ces pays ont des données et nous pouvons voir ce qu’ils ont fait pour en tenir compte dans leur mesure. Actuellement, la réalité d’une personne handicapée n’est pas représentée par la mesure.

M. Hoos : Je suis d’accord avec Mme Hewitt pour dire qu’un multiplicateur est probablement le meilleur outil. Le même handicap peut se présenter différemment d’une personne à l’autre. Ma fille est trisomique et autiste, et je travaille avec des centaines de personnes trisomiques. Certaines d’entre elles sont en bonne santé et n’ont pas beaucoup de frais supplémentaires. Ma fille a beaucoup de comorbidités, comme c’est le cas de bien des personnes trisomiques et, par conséquent, ses dépenses sont beaucoup plus élevées que celles d’autres personnes trisomiques. Je crois qu’il serait trop compliqué d’essayer d’en tenir compte dans les diverses catégories du panier. Le multiplicateur, qui est bien étayé par la recherche, serait la meilleure façon de procéder.

La sénatrice Burey : Merci.

Le sénateur Kutcher : Je vous remercie tous les deux de votre témoignage et du travail que vous faites au nom des personnes handicapées.

Ma question porte sur ce qui se passera après l’adoption du projet de loi : une fois cette étape franchie, quel type de soutien supplémentaire devrait être offert aux organisations de votre secteur afin qu’elles puissent participer de façon efficace au processus d’élaboration du règlement prévu par le projet de loi? Quelles sont les conditions nécessaires pour que vous puissiez participer comme vous l’entendez?

Mme Hewitt : Je suis également doctorante dans le domaine de l’engagement communautaire et des études sur la condition des personnes handicapées. Je crois réellement qu’il existe de nombreuses manières, à mesure que nous améliorons la réglementation, de sensibiliser davantage la population. Nous pourrions réunir des assemblées populaires autour d’un enjeu épineux et en profiter pour les sensibiliser pendant une fin de semaine. Il existe de nombreuses pistes de solution, mais le principal fondamental est de respecter l’ouverture, la transparence et l’accessibilité.

Par exemple, M. Hoos et moi-même assistons à cette séance de manière virtuelle depuis la Colombie-Britannique et tout se passe bien. Hier, par contre, il n’a pas été facile pour un de mes collègues de participer au processus en raison de problèmes de microphone, entre autres.

Je suis immunodéprimée, et c’est comme vivre dans une bulle que j’essaie de ne pas trop quitter. Beaucoup de gens souhaiteraient accéder comme moi à des technologies pour pouvoir mieux communiquer. Nous constatons qu’au Nunavut, l’accès à Internet haute vitesse est particulièrement restreint. Nous devons trouver des moyens de leur permettre de participer à des rencontres virtuelles par téléphone ou par d’autres moyens technologiques. C’est là que le financement entre en jeu, afin de garantir à ces collectivités un accès facile, ouvert et transparent aux technologies de communication.

Le sénateur Kutcher : Je vous remercie.

M. Hoos : Il est important de permettre aux personnes avec des besoins diversifiés d’utiliser différentes technologies de communication. Certains moyens de communication peuvent à la fois être appréciés par certains utilisateurs, mais ne pas convenir à d’autres. Nous devons ainsi faire preuve de créativité et proposer autant d’options que possible, qu’il s’agisse par exemple d’assemblées générales virtuelles ou de sondages, ou encore de communiquer par téléphone ou soumettre des recommandations par écrit. L’important, c’est d’élargir le plus possible le champ des possibilités de communication.

La présidente : Chers collègues, je vais passer à la deuxième série de questions. Sénatrice Seidman, vous vouliez poser une autre question à M. Hoos.

La sénatrice Seidman : En fait, monsieur Hoos, vous avez déjà commencé à répondre à ma question lors de votre réponse à une autre question, ce que j’apprécie. Ma question portait sur l’enjeu de l’accessibilité ; vous avez une grande expérience des obstacles que les personnes que vous représentez se heurtent lorsqu’elles présentent une demande de prestation d’invalidité provinciale. Selon votre expérience, que pourrions-nous envisager de faire par rapport à cette prestation particulière?

M. Hoos : Tout à fait. J’abonde dans le même sens que Mme Hewitt concernant la manière dont on ne cesse de demander aux personnes handicapées de prouver qu’elles sont toujours aux prises avec un handicap. Même dans le cas de personnes atteintes de trisomie 21, nous devons sans cesse faire des démarches pour obtenir une lettre du médecin ou d’autres documents qui attestent que notre fille est toujours atteinte de trisomie 21. Cela n’a pas de fin.

Dans la mesure du possible, il est préférable de continuer de travailler au sein d’un système dans lequel les personnes handicapées ont déjà franchi toutes les étapes d’approbation concernant leur cas. Je souhaite que le système reconnaissance immédiatement les personnes qui présentent une demande pour le Crédit d’impôt pour personnes handicapées ou pour toute forme d’aide à l’échelle provinciale. Aucune de ces deux mesures d’aide n’est suffisante par elle-même, car des personnes en sont exclues alors qu’elles ne le devraient pas. Il faut trouver un moyen d’aider tout le monde. Pour commencer, et dans l’intérêt financier des personnes handicapées qui présentent des demandes d’aide, j’aimerais beaucoup que le gouvernement s’appuie sur des mesures déjà existantes et pour lesquelles les demandeurs ont déjà franchi toutes les étapes.

La présidente : Merci, chers collègues. Nous sommes maintenant à la fin de la première série de questions. Je tiens à remercier sincèrement tous les témoins pour leur présence, leurs points de vue et leur sagesse. Vous nous avez énormément aidés à mener notre étude pour ce projet de loi. Encore une fois, merci beaucoup.

Chers collègues, pour notre deuxième série de questions, nous accueillons Bill Adair, directeur général de Lésions médullaires Canada, et Marcia Yale, présidente nationale l'Alliance pour l’égalité des personnes aveugles du Canada. Enfin, par vidéoconférence, nous accueillons Linda Bartram, première vice-présidente l'Alliance pour l’égalité des personnes aveugles du Canada.

Merci beaucoup de vous être joints à nous aujourd’hui. Vous disposerez de cinq minutes chacun pour vos déclarations préliminaires. J’ai cru comprendre que Mme Yale partagera son temps de parole avec Mme Bartram. Madame Bartram, la parole est à vous, je vous en prie.

Linda Bartram, première vice-présidente, Alliance pour l’égalité des personnes aveugles du Canada : Bonjour mesdames et messieurs les sénateurs. Je m’appelle Linda Bartram et je suis une personne âgée aveugle. Je vous remercie de nous avoir invités ici aujourd’hui.

La Prestation canadienne pour les personnes handicapées vise à réduire la pauvreté et à soutenir la sécurité financière des personnes handicapées, ce qui constitue un objectif louable. Malheureusement, cette prestation exclut un segment complet de la communauté des personnes handicapées en ce sens qu’elle se limite aux personnes handicapées en âge de travailler, excluant donc vraisemblablement les personnes âgées. Le fait d’être en âge de travailler est présentement le seul critère d’admission qui figure dans le projet de loi. Nous demandons le retrait de l’expression « en âge de travailler » de l’article 3 du projet de loi. Nous demandons également à ce que le critère de l’âge soit pris en compte à l’étape la réglementation.

Notre justification pour le retrait de ce critère est que d’abord, l’expression « en âge de travailler » est trop vague, on ne sait pas à quoi elle fait référence. Par ailleurs, cette expression peut être considérée comme discriminatoire dans la mesure où ne figure aucune restriction concernant l’âge des personnes qui travaillent. De nombreuses personnes continuent de travailler à un âge avancé, et j’en suis moi-même un exemple. À mon avis, il est problématique que cette expression figure dans le projet de loi lui-même.

Le taux de chômage chez les personnes handicapées s’élève à 59 %, et atteint 75 % chez les personnes aveugles. On parle ici de personnes qui pourraient ne jamais occuper un emploi au cours de leur vie, et qui n’ont ainsi pas la possibilité de mettre de l’argent de côté pour leurs vieux jours. Ces personnes ne peuvent évidemment pas cotiser à un régime de retraite privé. Par ailleurs, elles ne peuvent pas non plus cotiser au Régime de pensions du Canada, le RPC. Enfin, si ces personnes sont nées avant 1960, elles ne sont pas admissibles aux subventions et aux bons en lien avec le Régime enregistré d’épargne-invalidité, le REEI.

À partir de 65 ans. ces personnes doivent donc se contenter des prestations liées à la Sécurité de la vieillesse, la SV, et au Supplément de revenu garanti, le SRG. Les conclusions de l’analyse d’impact que nous avons menée sont quelque peu inquiétantes : ces personnes pourraient devoir se résigner à un maigre budget de 1 660 $ par mois selon le taux de change actuel, ce qui est très inférieur au seuil de pauvreté dont on a parlé plus tôt dans la séance.

Nous estimons que les personnes les plus vulnérables doivent être admissibles à la Prestation canadienne pour les personnes handicapées, y compris les personnes âgées. Plusieurs d’entre elles se retrouveront dans cette catégorie. Pourtant, si l’expression « en âge de travailler » est incluse dans le texte du projet de loi, toute personne âgée de plus de 65 ans en sera probablement pas automatiquement admissible à cette prestation. Par conséquent, nous demandons au Sénat d’envisager sérieusement de supprimer cette expression du libellé du projet de loi, et de tenir compte des restrictions liées à l’âge dans les critères d’admissibilité des règlements, conformément à l’article 4 du projet de loi. De cette manière, les personnes âgées vulnérables pourront toujours demeurer admissibles à la prestation en question.

Je vous remercie et je cède la parole à ma collègue, Mme Yale.

Marcia Yale, présidente nationale, Alliance pour l’égalité des personnes aveugles du Canada : Madame Bartram, je vous remercie pour votre dévouement.

Il convient d’amender le projet de loi C-22 afin de faire en sorte que le montant de 2 200 $ représente le montant minimum absolu du revenu total d’une personne après l’octroi de toutes les prestations auxquelles elle a droit. Pendant la pandémie, le gouvernement fédéral a évalué que les travailleurs canadiens avaient droit à un montant de 2 000 $ par mois par l’entremise de la PCU, ainsi qu’un crédit supplémentaire pour les dépenses liées à un handicap. En ce qui me concerne, je ferais passer ce montant à 40 %, pourquoi pas? Le montant devrait être ajusté chaque année en fonction de l’inflation, ce qui n’est pas le cas actuellement. Le gouvernement fédéral doit prendre en considération que le seuil de pauvreté tel que défini par la Loi sur la réduction de la pauvreté n’est pas réaliste. Il ne s’agit pas d’un revenu garanti qui soit viable.

Le projet de loi doit faire en sorte que les gouvernements provinciaux ne puissent pas récupérer les sommes des prestations versées par le gouvernement fédéral. Nous soutenons les amendements proposés par Steven Muller et Hart Schwartz, qui ont mis à jour une grave lacune dans le projet de loi dans sa forme actuelle, à savoir que les compagnies d’assurances privées sont en mesure de récupérer les prestations dont il est question. Les fonds fédéraux destinés à sortir les personnes handicapées de la pauvreté ne devraient jamais être détournés au profit de compagnies d’assurances aux profits déjà énormes.

Le projet de loi stipule que le gouverneur en conseil a le pouvoir de créer des règlements. Rien dans le projet de loi dans sa forme actuelle ne garantit que le gouvernement adoptera un jour l’un des 21 règlements importants énumérés à l’article 11. Le projet de loi ne fixe aucun échéancier pour veiller à ce que les règlements soient élaborés dans un délai raisonnable. Le paragraphe 11.2(2) prévoit simplement que le ministre dépose un rapport au Parlement sur l’évolution du processus réglementaire d’une année entière après l’entrée en vigueur du projet de loi. Cela pourrait donc être deux ans suivant la date de la sanction royale. Que se passera-t-il si le rapport en question indique que la réglementation n’est toujours pas totalement au point?

Les personnes handicapées ne devraient pas avoir à faire automatiquement confiance au gouvernement actuel ni à tous ses successeurs. Les promesses de collaboration avec la communauté des personnes handicapées ne nous suffisent pas. Je vous remercie de votre attention.

La présidente : Je vous remercie. Monsieur Adair, la parole est à vous.

Bill Adair, directeur général, Lésions médullaires Canada : Merci, madame la présidente. Je m’appelle Bill Adair, et je vous parle à titre de directeur général de Lésions médullaires Canada.

La raison de ma présence ici est que j’estime qu’il est urgent d’adopter rapidement la prestation pour les personnes handicapées proposée.

Je tiens à souligner que je prends la parole depuis Ottawa, le territoire traditionnel non cédé de la nation algonquine anishinabe. Ces peuples sont les gardiens traditionnels de cette terre, et je rends hommage à leurs aînés d’hier et d’aujourd’hui.

En collaboration avec neuf autres organismes d’aide aux personnes handicapées, nous avons étudié en profondeur la meilleure façon d’améliorer le projet de loi de prestation d’invalidité dont il est question aujourd’hui. Nous avons entendu parler de cette prestation pour la première fois dans le discours du Trône de 2020, et nous voilà en 2023 depuis plusieurs mois. Les personnes handicapées qui vivent en situation de pauvreté ont attendu assez longtemps. La prestation d’invalidité proposée doit être en mesure d’assurer un niveau de vie minimum et de sortir les gens de la pauvreté. Cette prestation doit faciliter la pleine participation de chacun à la société.

Nous sommes reconnaissants envers la Chambre des communes d’avoir approuvé neuf modifications importantes au projet de loi C-22. Ces changements renforcent le projet de loi et incluent de nombreuses recommandations formulées par des membres de la communauté des personnes handicapées.

Nous sommes conscients qu’il reste de nombreux détails à régler avant que les fonds du gouvernement fédéral puissent être versés aux personnes handicapées qui vivent dans la pauvreté. Nous pensons que la meilleure façon de clarifier de tels détails est d’améliorer la réglementation après que le projet de loi aura reçu la sanction royale.

Des modifications déjà apportées à la Chambre des communes raffermissent beaucoup de personnes handicapées comme nous dans leur confiance que le gouvernement accélérera la création de règlements.

Ces mêmes modifications nous font également avoir confiance que le gouvernement fera participer la communauté des personnes handicapées à l’élaboration de règlements. Cette forme de mobilisation peut garantir une optique — rendue si nécessaire — à la fois pancanadienne et fondée sur la prise en considération des discriminations croisées et de l’addition des handicaps.

Ensemble, nous ferons que la Prestation canadienne pour les personnes handicapées mettra vraiment fin à leur pauvreté. Nous respectons ceux qui, dans notre communauté, réclament au Sénat d’autres amendements au projet de loi C-22, pour des détails de conception et des éléments techniques. Je suis d’accord, et nombreux sont, parmi mes collègues, ceux qui acceptent en grande partie la nécessité de régler ces détails et éléments pour renforcer le projet de la Prestation canadienne pour les personnes handicapées et le rendre efficace.

Mais, comme ç’a été dit, nous sommes nombreux à croire que ces détails seront mieux fixés à la faveur d’un processus fondé sur la participation d’une large gamme de personnes handicapées. Cette véritable participation fera honneur à l’engagement de la Loi canadienne sur l’accessibilité : « Rien ne doit se faire sans nous ».

Pour introduire maintenant de nouveaux amendements au projet de loi C-22 sur des domaines complexes — comme la suffisance, l’admissibilité et la coordination avec les provinces, les territoires et les assureurs privés — il faudra de longues recherches et de longues négociations. Ça prendra du temps, ce qui pourrait ralentir le processus d’approbation. Ça pourrait même faire échouer complètement le projet de loi. C’est arrivé après son premier dépôt à la Chambre des communes, avant le déclenchement des dernières élections fédérales. Nous voulons en éviter la répétition et ne pas être obligés de recommencer une troisième fois à partir de zéro.

Aujourd’hui, je demande que le Sénat adopte de façon accélérée le projet de loi C-22 pour en proposer, le plus tôt possible, la sanction royale. Cette position est partagée par de nombreuses organisations et de nombreux particuliers de partout au Canada, comme il est rendu compte dans une lettre que les sénateurs ont reçue cette semaine. Je vous incite vivement à jeter un second regard sur les signatures. Vous y trouverez des noms de personnes handicapées, de personnes qui ont subi des discriminations croisées et d’alliés et de Canadiens de toutes les régions.

Merci d’avoir invité Lésions médullaires Canada à prendre la parole, aujourd’hui, devant vous. Mes observations sont conformes à l’opinion de ce groupe. Mon propre vécu de personne handicapée a certainement contribué à les façonner de même que les décennies que j’ai consacrées à la promotion de l’inclusion sociale des personnes handicapées et la position que je partage, sur le projet de loi, avec neuf autres organisations représentant des personnes ayant divers handicaps, position également partagée par les signataires de la lettre susmentionnée — plus d’un millier.

S’il vous plaît, prenez rapidement votre décision, adoptez le projet de loi C-22 avant la fin de la session parlementaire. Des vies sont en jeu. Nous avons assez attendu.

La présidente : Merci, monsieur Adair. Allons maintenant aux questions.

Chaque sénateur disposera de quatre minutes pour ses questions, ce qui comprend les réponses. Nous commençons par la sénatrice Bovey, la vice-présidente de notre comité.

La sénatrice Bovey : Je remercie les trois témoins dont j’ai bien aimé les témoignages. Si vous permettez, je commencerais par une question pour vous, monsieur Adair. Vous avez évoqué le besoin urgent d’une adoption rapide — de crainte de voir mourir le projet de loi — et la nécessité d’une élaboration des règlements dans un esprit de collaboration. Vous ne serez pas étonné de ma question, parce que je sais que vous l’avez déjà entendue ici. Elle porte sur les mécanismes de récupération des sommes d’argent qui sont à l’œuvre avec plus ou moins d’intensité d’un bout à l’autre du pays.

Avez-vous le sentiment que l’élaboration des règlements en collaboration peut facilement et rapidement répondre aux inquiétudes très réelles qu’on ressent dans tout le pays à l’égard des mécanismes provinciaux de récupération et de ceux que mettent en œuvre les assureurs?

M. Adair : Une condition essentielle à une sortie effective de la pauvreté et la raison pour laquelle beaucoup d’entre nous qui estiment que c’est la bonne façon de procéder passe par la réglementation sont que ça prendra du temps. Il faudra des négociations. Oui, des accords sont possibles. J’ai également appris que la ministre Qualtrough a entamé ces discussions, comme elle l’a expliqué hier. La question suivante, qui a été posée hier, est très pertinente : La communauté des personnes handicapées de chaque province ou territoire à l’intérieur de son propre groupe, dans sa propre région, doit-elle encourager la collaboration de la province ou du territoire sur cette nouvelle prestation?

Oui, il faudra y mettre du temps et nous pouvons le faire aussitôt que possible.

La sénatrice Bovey : Madame Yale, la communauté des non-voyants canadiens est-elle préoccupée par les mesures appliquées par les provinces pour récupérer des sommes versées?

Mme Yale : Certainement. La prestation doit s’ajouter à l’offre existante. Si la province en récupère une partie, elle s’enrichit grâce à elle et, encore une fois, à nos dépens. Nous sommes absolument contre toute forme de récupération, mais il faut que la puissance publique fasse appliquer les accords avec les provinces, parce que si une province revient sur sa promesse de ne pas récupérer d’argent, nous devons pouvoir enjoindre au gouvernement fédéral de s’occuper du problème, parce qu’il a discuté avec les provinces, il a passé des accords avec elles, il doit réparer les pots cassés. Cette tâche n’incombe pas aux personnes handicapées. Elles devraient pouvoir s’adresser au gouvernement fédéral.

La sénatrice Bovey : Est-ce que ça comprend les services fournis à la communauté des personnes handicapées du Canada?

Mme Yale : Oui.

La sénatrice Bovey : Merci. Je m’en réjouis.

La sénatrice Seidman : Merci d’être venus et merci de tout votre travail extraordinaire pour les communautés de personnes handicapées.

J’ai tout de suite une question pour vous, madame Yale. On a dit que la prestation pour les personnes handicapées devait se fonder sur le revenu de la personne physique, plutôt que sur le revenu familial. On nous a beaucoup parlé de niveau de pauvreté et de la façon de faire de cette prestation un moyen efficace pour ceux qui en ont vraiment besoin. Vous avez fait allusion à cette question dans votre mémoire au Comité permanent des ressources humaines, du développement des compétences, du développement social et de la condition des personnes handicapées de la Chambre des communes. Je voudrais que vous nous en disiez un peu plus à ce sujet — nous avons entendu dire que cet aspect avait été délibérément laissé aux soins de la réglementation, en raison du manque d’accord à son sujet dans la communauté des personnes handicapées.

Mme Yale : Nous estimons que ce devrait être une prestation de la personne physique — qu’elle ne devrait pas entrer dans le revenu familial — parce que chacun devrait mener sa vie en autonomie. Peu importe qu’on vive seul ou dans un cadre familial, le handicap continue d’entraîner les mêmes dépenses et on continue de mériter le respect d’être autonome et indépendant. Ça ne devrait pas être une question touchant le revenu du conjoint. Ce devrait se résumer au revenu de la personne handicapée, parce que les coûts supplémentaires ne disparaissent pas. Il faut que ce soit une source de revenus de la personne physique.

La sénatrice Seidman : Merci beaucoup. Monsieur Adair, croyez-vous que ce problème est soluble au moyen de règlements, compte tenu de tout ce que nous entendons?

M. Adair : C’est incontestablement soluble par voie réglementaire. Vous avez dit qu’il y avait désaccord dans la communauté des personnes handicapées. C’est en partie la raison pour laquelle la réglementation peut donner des résultats : il faut ne laisser personne derrière, mobiliser tout le monde et, plus important encore, mobiliser les personnes difficiles à rejoindre. Certaines des personnes qui ont le plus besoin d’aide financière peuvent nous conseiller non seulement sur le caractère du revenu — de groupe ou de personne physique — mais également sur son montant; son administration; la façon d’aider les personnes vivant dans la rue; l’aide à leur donner pour qu’elles aient accès à cette prestation; la planification à faire, à cette fin, avec elles.

La sénatrice Seidman : Merci.

La sénatrice Osler : Je remercie les témoins. M. Adair nous a parlé de l’importance de la participation de toutes les parties prenantes à l’élaboration des règlements. Je pose la question à tous les témoins, sur, précisément, le processus de demande.

Un témoin nous a parlé, aujourd’hui, de nous assurer d’un processus de demande facile, accessible, simple. Hier, la ministre a rappelé que la mobilisation et l’appui de la communauté sont nécessaires pour assurer l’accès des bénéficiaires à la prestation.

Ma question à tous : Qu’est-ce que votre organisme voudrait inclure dans le processus de demande?

Mme Yale : Je voudrais que le formulaire donne les coordonnées d’un service fédéral pour quiconque éprouve des difficultés à remplir la demande et ne sait pas auprès de qui s’informer. Ça nous aiderait à poser les questions ou ça aiderait la personne à se rendre à cet endroit et à poser les questions. Les demandes doivent employer un langage simple, sans jargon. Elles doivent exposer clairement les renseignements nécessaires, lesquels doivent être aussi simples que possible — ça doit rester simple.

Quelqu’un a dit que nous devions sans cesse confirmer notre handicap, ce à quoi nous ne devrions pas être obligés. Nous devrions pouvoir dire au point d’accès fédéral que nous donnons l’autorisation à la province de communiquer nos données. La province devrait pouvoir les communiquer au point de contact fédéral pour qu’il ne soit pas nécessaire de vérifier les renseignements une nouvelle fois. C’est le nœud de la question : si, déjà, nous recevons de la province ou de l’État fédéral une forme d’aide, il faut qu’il y ait moyen de se dispenser d’une nouvelle vérification.

La sénatrice Osler : Madame Bartram, qu’auriez-vous à ajouter avant que nous le demandions à M. Adair?

Mme Bartram : Je voudrais que le processus — éventuellement accessible en ligne — soit absolument accessible à ceux d’entre nous qui se servent d’un lecteur d’écran. Bien des années après la décision en ce sens, au nom des droits de la personne, rien n’est réglé pour nous faciliter la tâche d’accéder à tous les sites fédéraux en ligne et à toutes les applications du Web; ça reste, aujourd’hui, un parcours du combattant. Il ne devrait subsister aucun obstacle technologique ou sur le plan du transfert de l’information — pour ceux d’entre nous qui emploient la technologie — remplir et acheminer la demande au moyen d’un processus très simple. Merci.

La sénatrice Osler : Merci.

M. Adair : Sur ces observations, je suis d’accord. Un facteur important sera de donner les coudées franches aux organismes qui ont déjà facilement accès aux personnes qui vivent dans la pauvreté, qui sont en marge ou qui vivent dans des communautés éloignées et qui ont établi avec elles des relations de confiance. Comment faisions-nous, avant? Il a été question, plus tôt, d’exemples. L’un d’eux est le travail avec des organismes qui se rendent dans ces communautés. Pendant nos consultations sur la Loi canadienne sur l’accessibilité, nous avons voulu prendre le pouls de personnes qui vivaient dans le Grand Nord. Nous avons conclu un accord avec la Société Makinnasuaqtiit pour Nunavummiut ayant un handicap, qui a pu rejoindre les membres de cette organisation pour obtenir leur apport pour nous. Ç’a été la même chose avec le conseil tribal pour le Nokiiwin du nord-ouest de l’Ontario; qui chapeauterait huit réserves éloignées. Comment voulez-vous que quelqu’un, habitant une réserve éloignée, du Yukon ou des Territoires du Nord-Ouest, appelle un centre, au milieu d’Ottawa et trouve une personne accueillante, qui comprend sa langue ainsi que toutes les nombreuses complications susceptibles de nuire à la communication?

Il faut une plaque tournante centrale, il faut assurer la clarté des renseignements et un processus de demande. Il nous faut aussi ce service amical et engageant, sinon, nous passerons à côté de certaines des personnes les plus démunies que nous voulons inclure dans notre société.

Le sénateur Kutcher : Madame Bartram, l’une de vos observations me cause également des soucis. Nous savons que, pendant la dernière décennie, la proportion de personnes âgées vivant dans la pauvreté au Canada a augmenté. Que, proportionnellement, plus de personnes âgées sont pauvres que dans la population générale. Nous prenons bonne note de votre critique du sens nébuleux de l’expression « en âge de travailler ». En fait, ici, au Sénat, on ne saurait vraiment pas trop ce que ça signifie.

Nous savons également que le pourcentage de personnes qui travaillent après 55 ans a augmenté depuis deux décennies — il est assez élevé chez les hommes et les femmes. Avez-vous présenté votre argument sur le critère de vie active au bureau de la ministre ou aux fonctionnaires? Dans ce cas, quelle réponse avez-vous reçue?

Mme Bartram : Je donnerai un début de réponse, mais j’aurai peut-être besoin de ma collègue pour la compléter. Nous avons certainement profité de toutes les occasions pour dire ce qui nous tracassait, et nous en avons parlé dans notre mémoire à la Chambre des communes, à la première étape du processus. Madame Yale, que pouvez-vous ajouter?

Mme Yale : C’est exact. Nous avons mis au courant le Comité permanent des ressources humaines, du développement des compétences, du développement social et de la condition des personnes handicapées de la Chambre des communes ainsi que des parlementaires, mais ça n’a rien changé. Nous n’avons pas été invités à comparaître devant ce comité — soyez encore remerciés de votre accueil d’aujourd’hui pour nous permettre d’exprimer nos grandes craintes à cause de ce projet de loi.

Mme Bartram : Oui, je crois que des conversations privées ont eu lieu avec la ministre à ce sujet. L’impression générale serait que notre régime actuel, de sécurité de la vieillesse et du supplément de revenu garanti, est suffisant — ce que notre analyse dément. Nous craignons que si c’est conservé dans la loi même pour être ensuite soudainement découvert à l’étape de la réglementation, des personnes âgées très vulnérables ne pourront en profiter, faute de le pouvoir — ça ne pourra pas être changé. Nous demandons seulement que l’âge soit pris en considération à l’étape de la réglementation, quand on peut examiner ce critère en même temps que tous les autres critères d’admissibilité, alors qu’on pourra faire une analyse complète de l’impact de la réglementation. En ce moment, c’est impossible à faire, faute de connaître les autres critères. Nous trouvons que l’insertion d’un critère d’admissibilité dans le projet de loi pose un gros problème.

Le sénateur Kutcher : Monsieur Adair, vous n’avez pas l’air si jeune. Qu’en pensez-vous?

M. Adair : Je suis d’accord pour dire que le problème est complexe comme en faisait état le témoin précédent. Nous avons des prestations pour enfants et pour les personnes âgées, mais elles ne sont pas parfaites. Elles doivent être améliorées. Il faudra consacrer du temps et mener une analyse poussée pour comprendre où sont les lacunes. C’est de cette manière que nous voulons travailler à l’étape de la réglementation en donnant les meilleurs conseils possible et en faisant part de nos réflexions.

La sénatrice Bernard : Ma question initiale était la même que celle du sénateur Kutcher au sujet du critère lié à l’âge. J’aimerais poursuivre sur cette lancée un instant. Nous entendons souvent dire que les personnes handicapées assument beaucoup de coûts supplémentaires. Est-il juste de présumer que les coûts diminuent lorsque les personnes atteignent un certain âge et que c’est peut-être pour cette raison que le critère des personnes en âge de travailler a été ajouté? Diriez-vous plutôt que nous devrions regarder les choses sous un autre angle? Je commencerais avec Mme Bartram, si vous le permettez.

Mme Bartram : Oui. Je soutiendrais par contre que les coûts ne diminuent pas lorsque les gens deviennent des personnes âgées. Ils peuvent au contraire augmenter en raison des comorbidités. Le processus de vieillissement naturel fait entrer les aînés dans la catégorie des personnes handicapées vu la perte auditive, la perte de vision et la mobilité réduite qui y sont associées. Ces conditions constituent des handicaps pour les personnes en âge de travailler, tout comme pour les personnes âgées. Pour les personnes âgées qui ont vécu avec un très faible revenu toute leur vie, les coûts ne diminuent pas vraiment. Elles doivent encore payer le loyer, acheter de la nourriture et se procurer des médicaments. C’est à peu près tout ce qu’elles peuvent faire avec leur revenu. Elles peuvent aussi obtenir un rabais pour les aînés pour assister à un spectacle ou à un autre événement auquel elles n’avaient jamais assisté faute d’en avoir eu les moyens. Je pense que certaines personnes âgées très vulnérables seront laissées pour compte si cette restriction liée à l’âge est inscrite dans le projet de loi.

Il y a des personnes âgées aux prises avec un handicap qui n’ont pas besoin de cette prestation et dont l’admissibilité peut être déterminée à l’étape de la réglementation. Par contre, si nous décidons d’établir l’admissibilité à l’étape du projet de loi, ce ne sera plus possible d’apporter des changements à l’étape de la réglementation. Il ne faut pas penser que nous pourrons démêler cela — en l’occurrence le critère de l’âge — au moyen des règlements.

La sénatrice Bernard : Merci. Il est important que votre intervention soit consignée dans le compte rendu. J’en profite pour enchaîner avec un autre aspect du projet de loi sur lequel je veux me pencher. Il s’agit de l’intersectionnalité.

Monsieur Adair, vous avez beaucoup parlé de l’intersectionnalité et de ces voix qui ne sont pas incluses dans la conversation. À propos du principe du « rien ne doit se faire sans nous », je me demande si vous avez autre chose à suggérer sur la manière d’inclure la voix des personnes handicapées qui n’appartiennent peut-être pas aux groupes invités au processus de consultation. Avez-vous des suggestions?

J’ai trouvé intéressant de vous entendre parler de choses que vous avez accomplies dans les communautés autochtones dans le Grand Nord, mais je pense aussi à d’autres communautés comme les sans-abri, que vous avez mentionnés, ou encore les communautés racisées. Y aurait-il d’autres moyens d’inclure ces voix?

M. Adair : Oui. Il y a d’autres moyens d’inclure ces voix. Nous avons dit plus tôt qu’il faudrait mettre en place plusieurs stratégies distinctes pour rejoindre et entendre les voix et les expériences de personnes de divers horizons et handicaps.

Mme Krista Carr d’Inclusion Canada, qui a comparu hier, nous dirait, si elle était ici aujourd’hui, que les membres de son organisme ont fait du bon travail au cours des 12 derniers mois. Ils sont allés parler aux personnes handicapées partout au pays. Ils ont conduit des entrevues individuelles avec les personnes concernées et ont tenu des assemblées générales en dehors des canaux établis par les organismes.

Une des recommandations formulées par Inclusion Canada dans son rapport préliminaire qui n’a pas encore été publié est de tenir compte de l’intersectionnalité et d’inclure les personnes qui font l’objet de pratiques favorisant la discrimination et la marginalisation, qui abattent les gens. Il ne suffit pas de verser des fonds aux personnes concernées. Il faut offrir un programme plus vaste comportant le logement, la sécurité alimentaire et l’accès au transport. Ces ressources permettront aux personnes de se réintégrer à la société et de participer à la communauté.

Je n’ai pas de réponse magique à cette question. En fait, un groupe de réflexion devrait être mis sur pied pour la rédaction de la réglementation. Qui a déjà fait des efforts pour rejoindre les personnes qui vivent en marge de la société? Qui sont ces personnes marginalisées et comment les mobiliser? Il devrait y avoir ensuite du financement pour créer d’autres canaux que les organismes qui représentent les personnes handicapées. Vous avez tout à fait raison; bon nombre de personnes ne veulent pas faire partie d’un organisme juste parce qu’elles ont un handicap. Or, ces personnes peuvent nous transmettre une riche expérience de vie qui aiderait le Canada à devenir un des pays qui réussit le mieux à sortir les gens de la pauvreté.

La sénatrice Bernard : Les personnes âgées ont-elles été consultées?

M. Adair : Oui. Elles ont été consultées dans le cadre des activités menées par Inclusion Canada, qui a établi des segments selon le type de handicap. Les témoins qui travaillent dans le domaine de la santé mentale se demandaient hier si les personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale avaient été consultées. Parmi les 260 personnes rencontrées par Inclusion Canada, dont 39 dans le cadre d’entrevues individuelles, plus de 30 % ont déclaré avoir des problèmes de santé mentale.

Les personnes âgées ont été consultées. Le rapport n’est pas publié, mais je pense que le comité y trouverait des informations utiles s’il pouvait y avoir accès de façon anticipée. Le rapport renferme beaucoup d’informations, mais toutes les réponses ne peuvent se trouver dans un échantillon de 260 personnes. Il faudra pousser l’analyse beaucoup plus loin à l’étape de la réglementation.

La sénatrice Petitclerc : Merci. Ma question porte sur l’échéancier. Différents témoins l’ont dit et nous nous entendons tous sur le fait que ce projet de loi est nécessaire et qu’il doit être adopté rapidement. Nous sommes tous d’accord là-dessus. Certains craignent que son adoption soit retardée indûment si nous y apportons des améliorations, et d’autres craignent que l’échéancier qui y est prévu ne soit pas assez prescriptif.

Le projet de loi énonce qu’un rapport concernant l’état d’avancement du processus réglementaire doit être déposé dans l’année suivant la date d’entrée en vigueur de la loi. Il faudra attendre cette date butoir pour savoir en quoi consistera le rapport. Je trouve cela préoccupant, car j’aimerais avoir une réponse claire à la question de savoir comment et quand les choses seront faites.

M. Adair pourrait répondre en premier. Vous pourriez peut-être enchaîner, madame Yale, car je sais que vous avez un point de vue sur la question. Pensez-vous que les prestations seront vraiment versées au bout d’un an, même si le projet de loi ne le précise pas et ne le garantit pas? Je trouve cela préoccupant. Je voudrais savoir ce que vous en pensez.

M. Adair : Merci pour cette question tout à fait cruciale.

Hier, la ministre s’est engagée verbalement à ce que la réglementation soit prise 12 mois après la sanction royale. Elle prévoit que des fonds seront versés aux personnes handicapées en situation de pauvreté en 2024. Le Sénat aimerait peut-être ajouter des précisions.

Je peux vous dire que la plupart des membres de la communauté des personnes handicapées font confiance à la ministre. Nous croyons que l’engagement à établir un dialogue avec les personnes handicapées est sérieux. Je soulignerais à gros traits que nous sommes six millions dans ce pays et que nous ne laisserons pas le gouvernement se défiler cette fois-ci. Il y a un projet de loi à adopter et des règlements à rédiger. Nous participerons au processus et nous ferons pression pour que tout se déroule rondement.

La sénatrice Petitclerc : Merci.

Mme Yale : Je ne suis pas convaincue. Pour commencer, nous n’avons aucune garantie que la loi entrera en vigueur d’ici un an. Quelque chose de majeur pourrait arriver au point de mettre en péril sa promulgation. Les échéanciers des deux rapports sont calculés à compter de la date d’entrée en vigueur, à condition que cela se produise.

Le premier échéancier à clarifier est la date d’entrée en vigueur de la loi. Pourquoi n’entre-t-elle pas en vigueur dès la sanction royale? Voilà ma première préoccupation. La deuxième chose qui me préoccupe, c’est que même si nous avons l’occasion de participer au processus de réglementation, notre participation pourrait ne se solder par rien du tout.

Certes, la ministre — ou le ministre du jour — doit déposer un rapport concernant l’état d’avancement du processus réglementaire, mais comme je l’ai dit plus tôt, le projet de loi n’indique pas ce qui se passera si ce processus n’est pas terminé. La ministre Qualtrough a dit que ce serait fait en 12 mois, mais comme ce délai n’est pas énoncé dans le projet de loi, nous ne savons pas ce qui se produira si le gouvernement tombe avant l’entrée en vigueur de la loi, ou entre la sanction royale et l’entrée en vigueur de la loi.

L’échéancier qui doit être clarifié en premier est celui de l’entrée en vigueur. Il faudra ensuite établir un échéancier pour la promulgation des règlements. Je ne parle pas de leur publication dans la Gazette du Canada, mais de leur inscription dans la loi. Tant que les règlements ne figurent pas dans la loi, le projet de loi ne sert à rien.

La présidente : Monsieur Adair, j’aimerais vous demander votre point de vue. Le Canada est une communauté diversifiée. Nous avons différentes perspectives selon qui nous sommes et ceux que nous représentons. Vous êtes d’avis que le projet de loi doit être adopté. Vous faites confiance à la ministre pour corédiger les règlements et pour verser les prestations en temps opportun.

Mme Yale et Mme Bartram pensent que ce serait peut-être mieux d’ajouter au projet de loi des dispositions qui énoncent que les prestations seront versées dès la sanction royale, dans un délai de 12 mois.

Quelle est votre position à ce sujet? Encore une fois, j’aimerais connaître votre point de vue.

M. Adair : Merci pour la question. Selon moi, il faut se pencher sur la meilleure manière de faire avancer le projet de loi. Autrement dit, il faut établir la meilleure façon de faire pour que le Canada soit en mesure de sortir les gens de la pauvreté et de leur permettre de participer pleinement à la société.

Les engagements pris par la ministre hier étaient très prometteurs. Je suis d’accord pour dire que ce n’est pas coulé dans le béton et que ce n’est pas dans le projet de loi. Je demeure convaincu toutefois que l’approche la plus rapide est d’adopter dans un premier temps le projet de loi — qui deviendra loi — et d’entreprendre ensuite la rédaction des règlements. Je suis persuadé également que la communauté des personnes handicapées travaillera sans relâche et exigera des comptes de la part du gouvernement. Madame Yale, comme vous l’avez dit, la ministre — ou le ministre du jour — devra s’assurer que les engagements sont respectés et que les personnes handicapées prennent part au processus réglementaire et contribuent à accélérer l’inscription de ces règlements dans la loi et à leur application.

La présidente : Merci, monsieur Adair.

La sénatrice Dasko : Ma question est une variation de celle qui vient d’être posée. Vous venez peut-être d’y répondre, mais je voudrais m’assurer de bien comprendre et demander l’avis des autres témoins.

Monsieur Adair, vous avez prié le comité d’aller de l’avant avec le projet de loi. Cette semaine, nous avons reçu une lettre signée par de nombreux organismes. Vous avez remarqué que la Chambre des communes a apporté neuf amendements, que vous appuyez sans réserve. Souvent, le Sénat — c’est la façon dont il fonctionne — aime apporter des améliorations aux projets de loi. C’est une tâche que nous affectionnons particulièrement.

Y a-t-il quelque chose que vous voudriez que nous changions, que le comité et le Sénat devraient modifier en priorité? J’aimerais connaître l’avis de tous les témoins. Quel serait le changement à apporter en priorité au projet de loi?

Mme Yale : Il faut apporter au moins deux changements. Le premier qui me vient à l’esprit est la suppression de l’expression « en âge de travailler » pour que tous les critères soient établis à l’étape de la réglementation. Sans cette suppression, il faudra fournir les critères pour les prestations pour éviter la discrimination, ce qui n’est pas souhaitable.

Un second changement doit être apporté au paragraphe 11(1). Si les critères doivent être établis à l’étape de la réglementation, « peut prendre » doit être remplacé par « prend ». Le gouverneur en conseil devrait avoir l’obligation, et non la possibilité, de prendre des règlements. Voilà les deux points que j’avais à soulever.

La sénatrice Dasko : Madame Bartram, quel changement le Sénat devrait-il apporter en priorité au projet de loi?

Mme Bartram : Le changement prioritaire serait la suppression de l’expression « en âge de travailler ». Ce serait ma grande priorité. Par ailleurs, je suis d’accord avec la substitution de « peut prendre » par « prend ».

La sénatrice Dasko : Merci.

La présidente : Chers témoins, je vous remercie de votre contribution à notre étude. J’aimerais vous exprimer notre gratitude pour l’aide que vous nous avez apportée aujourd’hui. Nous vous en sommes très reconnaissants et nous espérons que vous repartirez avec la conviction que le comité prend très au sérieux le projet de loi.

Chers collègues, nous poursuivrons l’étude du projet de loi C-22 à notre prochaine séance, le mercredi 29 mars à 16 heures.

(La séance est levée.)

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