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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES SOCIALES, DES SCIENCES ET DE LA TECHNOLOGIE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 20 avril 2023

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd’hui, à 11 h 32 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi C-22, Loi visant à réduire la pauvreté et à renforcer la sécurité financière des personnes handicapées par l’établissement de la prestation canadienne pour les personnes handicapées et apportant une modification corrélative à la Loi de l’impôt sur le revenu.

La sénatrice Ratna Omidvar (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonjour, honorables sénateurs et chers témoins. Je voudrais commencer en souhaitant la bienvenue aux membres du comité, à nos témoins et aux membres du public qui regardent nos délibérations. Je m’appelle Ratna Omidvar, sénatrice de l’Ontario et présidente du comité.

Je voudrais commencer en demandant à mes collègues de se présenter brièvement, en commençant par la vice-présidente du comité, la sénatrice Bovey.

La sénatrice Bovey : Je m’appelle Patricia Bovey, sénatrice du Manitoba.

La sénatrice Bernard : Wanda Thomas Bernard, sénatrice de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice McPhedran : Marilou McPhedran, sénatrice indépendante du Manitoba.

[Français]

La sénatrice Petitclerc : Chantal Petitclerc, division sénatoriale de Grandville, au Québec.

[Traduction]

Le sénateur Cotter : Brent Cotter, sénateur de la Saskatchewan. Je ne suis pas membre du comité, mais je parraine le projet de loi C-22.

La sénatrice Osler : Gigi Osler, sénatrice du Manitoba.

Le sénateur Kutcher : Stan Kutcher, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Dasko : Donna Dasko, sénatrice de l’Ontario.

La sénatrice Moodie : Rosemary Moodie, sénatrice de l’Ontario.

La présidente : Je vous remercie, honorables collègues.

Nous poursuivons aujourd’hui notre étude du projet de loi C-22, Loi visant à réduire la pauvreté et à renforcer la sécurité financière des personnes handicapées par l’établissement de la prestation canadienne pour les personnes handicapées et apportant une modification corrélative à la Loi de l’impôt sur le revenu.

Je voudrais prendre un instant pour rappeler à tous ceux et celles qui participent à la séance d’aujourd’hui, ainsi qu’aux personnes qui observent les délibérations en personne et par vidéo, que le comité a pris des mesures pour permettre à tous les témoins et membres du public de participer pleinement à notre étude du projet de loi C-22. En planifiant des réunions inclusives et accessibles, le comité a pris des arrangements pour offrir l’interprétation en langue des signes — tant américaine que québécoise — pour les témoins qui comparaissent en personne et notre auditoire. L’interprétation en langue des signes sera enregistrée pour être intégrée à l’enregistrement vidéo archivé des délibérations, qui sera publié ultérieurement sur le site Web du comité, du SenVu.

Enfin, si un membre de l’auditoire a besoin d’aide à quelque moment que ce soit, qu’il en avise un des pages ou la greffière du comité.

Nous souhaitons la bienvenue à Rabia Khedr, directrice nationale, et, témoignant par vidéoconférence, Elizabeth Lowe, membre de l’équipe de direction, de Handicap sans pauvreté; ainsi qu’à Guillaume Parent, directeur du Centre d’expertise Finances et handicap, et Jean-Didier Dufour, chargé de projet, qui témoignent en personne, et Pascale Pilon, directrice générale, qui témoigne par vidéoconférence, de Finautonome. Je vous remercie de vous joindre à nous aujourd’hui.

Avant de commencer, je demanderais aux membres du comité et aux témoins présents dans la salle d’éviter de trop se pencher vers leur micro ou de retirer leur oreillette s’ils le font. Cela évitera des retours de son qui pourraient être préjudiciables au personnel du comité dans la salle.

Je rappelle aux témoins que chaque organisation dispose de cinq minutes pour faire une allocution d’ouverture, qui sera suivie par des questions des sénateurs. Nous commencerons par Le handicap sans pauvreté. Madame Khedr, vous avez la parole.

Rabia Khedr, directrice nationale, Le handicap sans pauvreté : Je vous remercie beaucoup. Je suis honorée de comparaître devant le comité. Je vous arrive de Mississauga, en Ontario, des territoires traditionnels des Mississaugas de New Credit. Ma collègue témoigne depuis Québec avec l’application Zoom.

Je ne témoigne pas devant vous pour vous lire notre mémoire ou pour présenter de nouvelles preuves à l’appui de la prestation canadienne pour les personnes handicapées, ou PCPH. Vous avez entendu de nombreux témoins crédibles jusqu’à maintenant et vous continuerez d’en entendre. Mes collègues et moi-même avons rencontré plusieurs d’entre vous pour discuter de la pauvreté chez les personnes handicapées. Nous vous avons indiqué que plus de 41 % des personnes vivant dans la pauvreté sont en fait des personnes handicapées, et que 50 % des personnes aux prises avec l’insécurité alimentaire sont handicapées. Les choses ne font qu’empirer pour les personnes handicapées qui vivent dans la pauvreté, qui sont plus de 1,4 million au Canada.

Je suis ici aujourd’hui pour parler du projet de loi C-22, non seulement en qualité de directrice nationale de Handicap sans pauvreté, mais aussi à titre de personne handicapée ayant passé sa vie à défendre ses droits et ceux de sa fratrie aux handicaps complexes.

Je suis arrivée au pays en tant qu’enfant immigrante. Je dis toujours « Heureusement que j’ai grandi au Canada, car c’est le meilleur pays et j’ai le droit de réclamer davantage et de le rendre encore meilleur. » Voilà pourquoi je suis ici aujourd’hui, en ce 29e jour du ramadan, sacrifiant mon jeûne, car cette question est extrêmement importante pour moi.

Je sais que si j’avais grandi dans le village où je suis née, j’aurais vécu une vie de misère et de marginalisation. J’ai pu surmonter tout cela seulement parce que j’ai eu accès à l’éducation. Cela m’a permis de surmonter certains des obstacles que j’ai rencontrés. Étant une membre de la société qui travaille à temps plein, je peux gagner un salaire adéquat et soutenir ceux qui m’entourent. Mon frère, atteint d’un trouble du développement, ne connaîtra pas la pauvreté simplement parce que nous sommes là pour l’aider, mais toutes les personnes handicapées du pays n’ont pas cette chance. Ce ne sont pas toutes les femmes racisées ayant un handicap qui ont les possibilités dont j’ai bénéficié.

À titre de personne handicapée, j’ai le cœur brisé de voir que certaines personnes doivent sacrifier des choses importantes pour pouvoir manger. Par exemple, j’étais dans le stationnement d’une épicerie quand W s’est approché de moi en fauteuil roulant. Il m’a offert son billet d’autobus, son seul moyen de rentrer chez lui, pour que je lui achète de la nourriture ce jour-là parce qu’il était affamé. J’en ai eu les larmes aux yeux. Cela me brise le cœur, car cela ne correspond pas à l’image que j’ai du Canada. C’est ce que je vois quand je voyage dans des pays en développement. Il existe un affreux marché où les gens vendent leur fauteuil roulant et leurs médicaments pour pouvoir acheter de la nourriture ou faire quelque chose de gentil pour leur enfant.

Il est temps de mettre fin à la pauvreté des personnes handicapées au pays en adoptant rapidement le projet de loi C-22. Selon un sondage Angus Reid, 89 % des Canadiens considèrent comme nous qu’il est temps de mettre fin à la pauvreté des personnes handicapées. Cet appui nous a encouragés à lancer un mouvement national d’un océan à l’autre afin de sensibiliser la population à la pauvreté des personnes handicapées et d’accélérer le versement de la prestation. Des célébrités, des syndicats et des sociétés et tout le monde appuient ce mouvement.

Le Sénat est notre conscience sociale qui défend les valeurs canadiennes et fait le nécessaire pour réaliser un second examen objectif dans notre démocratie. Nous vous remercions du travail difficile que vous effectuez et nous sommes favorables à tout changement technique que vous souhaiteriez apporter à ce projet de loi. Nous vous implorons d’éviter d’apporter des modifications de fond qui, en suscitant de nouveaux débats, risqueraient de retarder l’adoption du projet de loi ou de le faire mourir au Feuilleton. Nous sommes déterminés à travailler avec le système pour résoudre tous les problèmes qui se posent au moyen de règlements. Nous appuyons le cadre, car il contribuera à mettre fin à la pauvreté des personnes handicapées et permettra d’apporter au système les changements dont nous avons si désespérément besoin au pays.

La présidente : Je sais que Mme Lowe devait partager votre temps, mais le temps est écoulé. Mme Lowe pourra peut-être donner son point de vue pendant la période de questions.

Madame Pilon ou monsieur Dufour, vous pouvez faire votre exposé.

[Français]

Pascale Pilon, directrice générale, Finautonome : Bonjour, madame la présidente et chers membres du comité.

Mon nom est Pascale Pilon, je suis directrice générale de Finautonome. Je suis accompagnée par mes deux collègues, MM. Guillaume Parent et Jean-Didier Dufour. Je m’occuperai de l’allocution préliminaire.

Finautonome est un organisme de bienfaisance qui a été fondé pour sensibiliser, éduquer, informer et accompagner les personnes en situation de handicap au Québec et dans les communautés francophones du Canada, afin d’améliorer leur bien-être financier et leur inclusion sociale. Nous offrons de l’accompagnement pour les aider à accéder plus facilement aux programmes et aux mesures fiscales des gouvernements.

De façon complémentaire, nous élaborons des approches qui visent à sensibiliser les milieux financiers et professionnels afin qu’ils contribuent, eux aussi, à faciliter l’accès à ces programmes pour leur clientèle en situation de handicap.

Par son action sur le terrain, Finautonome accueille et accompagne les personnes en situation de handicap qui sont malheureusement invisibilisées derrière des statistiques. Nous témoignons que la pauvreté touche de manière disproportionnée les personnes en situation de handicap. Il n’est pas exagéré de reconnaître que depuis la pandémie, l’état de pauvreté des personnes en situation de handicap est une situation de crise au pays.

Nous vous remercions pour l’invitation à témoigner et partager avec vous nos observations et nos recommandations concernant le design de la prestation.

Pour que les iniquités envers les personnes en situation de handicap prennent fin, en particulier pour les plus pauvres, il faut que la prestation s’harmonise avec les programmes existants. Mieux encore, nous croyons que le design de ce revenu complémentaire d’aide sociale est une occasion de finaliser les recommandations sénatoriales de 2018 concernant le crédit d’impôt pour personnes handicapées.

Actuellement, les coûts liés aux incapacités sont pourtant reconnus par le gouvernement canadien, mais ne sont pas compensés pour les plus démunis. En effet, le crédit d’impôt pour personne handicapée est non remboursable. C’est donc dire que les Canadiennes et les Canadiens en situation de handicap, sans revenu imposable, n’ont pas accès à ces sommes pour compenser les coûts complémentaires qui sont liés au handicap. Il est urgent de transformer le crédit d’impôt pour personnes handicapées en crédit d’impôt remboursable afin d’être équitable envers ceux et celles qui ne payent pas d’impôts.

D’autre part, les nombreux obstacles administratifs, dont plusieurs enjeux communicationnels qui réduisent largement l’accessibilité de fait aux programmes — en particulier pour les plus pauvres, pour qui l’accès réel au généreux Programme canadien pour l’épargne-invalidité qui se compose du Régime enregistré d’épargne-invalidité (REEI), de la Subvention canadienne pour l’épargne-invalidité et du Bon canadien pour l’épargne-invalidité — devraient aussi mériter votre attention.

Ne pas pouvoir occuper un emploi pour des raisons de santé devrait être reconnu comme un handicap. Si le gouvernement fédéral admettait automatiquement toutes les personnes prestataires de programmes de soutien au revenu en raison de contraintes sévères et persistantes à l’emploi, il contribuerait à un système plus équitable et il s’approcherait des cibles de réduction de la pauvreté plus rapidement.

Nous répétons plusieurs fois par semaine que les aides financières existent, mais qu’elles sont encore trop peu utilisées. Nous réitérons qu’il faut absolument attaquer de front la question de l’admissibilité qui doit être considérée sous la lorgnette de l’accessibilité si on vise la réduction de la pauvreté. Notre objectif est de répondre plus rapidement aux plus pauvres.

L’adhésion automatique pour les personnes dont la subsistance est assurée par des programmes de dernier recours, qui ont des contraintes sévères à l’emploi, est notre recommandation la plus forte. Il n’existe pas de solution parfaite qui convienne à tous. Cette aide sociale doit se concrétiser rapidement pour que toutes les personnes qui sont actuellement happées par l’inflation et sans autres possibilités de revenu puissent y avoir accès rapidement.

Bien que ce ne soit pas le même type de prestation, l’expérience des mesures de la Prestation canadienne d’urgence nous a montré qu’il est possible d’aider rapidement les plus vulnérables.

Toujours dans le même souci de cohérence avec les autres programmes et pour accélérer le versement de la prestation, nous invitons les décideurs à considérer des seuils déjà reconnus par la Loi de l’impôt sur le revenu quand viendra le temps de déterminer les mécanismes de calcul du crédit d’impôt pour personne handicapée.

Nos recommandations en ce qui a trait à la prestation canadienne pour les personnes handicapées sont donc les suivantes : premièrement, l’adoption du projet de loi sans amendement afin d’accélérer le premier versement aux plus pauvres. Deuxièmement, nous recommandons de mettre en place un système d’adhésion automatique pour les prestataires de programmes provinciaux d’aide de dernier recours qui présentent des contraintes sévères à l’emploi ou dès qu’une personne devient admissible au crédit d’impôt pour personnes handicapées ou à un programme provincial ou territorial équivalent d’aide aux personnes handicapées.

Enfin, nous recommandons l’harmonisation de la prestation avec les mesures existantes, par exemple avec le crédit d’impôt pour personnes handicapées et le régime enregistré d’épargne-invalidité, et ce, afin d’éviter d’accroître les iniquités envers les plus pauvres.

[Traduction]

La présidente : Madame Pilon, je suis certaine que nous examinerons plus en profondeur certaines des propositions que vous avez faites pendant la période de questions.

Nous passerons maintenant aux questions. Je rappelle aux sénateurs qu’ils disposent de cinq minutes pour poser leur question et recevoir la réponse. Je demanderais aux témoins d’essayer de répondre succinctement. Si vous le souhaitez, vous pouvez fournir des réponses supplémentaires par écrit après la séance. Je demande à mes collègues d’indiquer si leur question s’adresse à tous les témoins ou à un témoin en particulier, en précisant qui devrait répondre en premier. De plus, je demande aux sénateurs de se nommer avant de poser leur question.

La première question viendra de la vice-présidente du comité, la sénatrice Bovey.

La sénatrice Bovey : Je m’appelle Patricia Bovey, comme je l’ai indiqué plus tôt, du Manitoba. Je veux tous vous souhaiter la bienvenue et vous remercier beaucoup de ce que vous avez dit. Je formulerai juste quelques réflexions et j’interrogerai chacun d’entre vous, si vous le voulez bien.

Vous avez toutes les deux parlé du besoin d’adopter rapidement le projet de loi et proposé des idées fort intéressantes. Tout d’abord, puis-je présumer que vous considérez que vos idées pourraient se réaliser en élaborant des règlements dans le cadre de ce processus?

Je veux poser une autre question sur la récupération. Tout le monde sait que ce problème me préoccupe énormément. Puisque la prestation est une subvention et non un revenu gagné, je veux vous demander si cela élimine les préoccupations quant au fait qu’il pourrait y avoir une récupération.

Madame la présidente, ce sont là mes réflexions. J’aimerais entendre vos points de vue, peu importe qui décide de répondre en premier.

Mme Khedr : Je peux commencer.

Nous nous inquiétons également de la récupération. Nous avons toutefois une stratégie pour intervenir auprès de chaque province à titre de personnes handicapées, discutant avec les homologues provinciaux du gouvernement fédéral et leur prodiguant des conseils pour leur faire comprendre qu’ils doivent honorer leurs responsabilités provinciales et locales de soutenir leurs citoyens, et que la récupération est absolument inacceptable. On ne reprendra pas d’une main ce que l’on donne de l’autre. Les personnes handicapées ne l’accepteront pas.

Pour ce qui est du projet de loi-cadre et de dire si le problème peut être résolu par voie de règlement, nous croyons fermement à l’élaboration conjointe et à la collaboration. La communauté des personnes handicapées a fait savoir au gouvernement qu’il ne suffit plus de faire des consultations. Nous avons été consultés, consultés et consultés. Il est temps de nous donner un siège à la table afin de mieux procéder dans l’avenir en tenant compte de notre expérience de vie et en s’appuyant sur le modèle voulant que rien ne se fasse pour nous sans nous.

[Français]

Guillaume Parent, directeur, Centre d’expertise Finances et handicap, Finautonome : Je vous remercie de l’invitation. J’en profite pour saluer mes centaines de milliers d’amis et de clients, dont la moitié vivent sous le seuil de la pauvreté.

Alors, le désengagement provincial, oui, ça nous inquiète, mais on doit le remettre en perspective. Il faut donc composer avec une panoplie de provinces et d’assurances privées — il ne faut pas les oublier. Certaines sont plus généreuses que d’autres. Selon moi, ça ne devrait pas être un argument pour se désengager de leur programme; toutefois, il ne faut pas voir les clawbacks comme une fin en soi.

Je pense qu’on devrait vraiment mettre à niveau tout le monde et peut-être, pour les provinces plus généreuses, moduler les négociations, car il se peut que certaines provinces aient des programmes autres que le soutien du revenu qui ont besoin d’amour. Nous disons non aux clawbacks, mais nous proposons plutôt un processus de négociation agile.

[Traduction]

La présidente : Merci.

La sénatrice Bovey : Est-ce que je peux poser une question? Vous pourrez peut-être y répondre dans le cadre d’autres questions, alors je vais la poser.

Certains sont d’avis que le projet de loi s’adresse aux personnes en âge de travailler. Je me demande si, dans le cadre des discussions d’aujourd’hui ou après, vous pourriez nous dire ce que signifie pour vous la fin de l’âge de travailler. Bon nombre d’entre nous ici ont dépassé l’âge actif. J’aimerais connaître votre opinion sur ce sujet.

Mme Khedr : En ce qui a trait à l’âge actif, nous savons que les adultes handicapées de 18 à 64 ans n’ont droit à aucune prestation supplémentaire lorsqu’ils vivent dans la pauvreté ou ont un faible revenu. Ce sont eux la priorité; nous sommes tout à fait de cet avis.

Nous savons que nos aînés vivent des difficultés, tout comme les personnes de moins de 18 ans, mais la Prestation canadienne pour enfants existe et le Supplément de revenu garanti aussi. Il y a du travail à faire; toutefois, les Canadiens de 18 à 64 ans qui sont en âge de travailler et qui ont un handicap sont les plus pauvres à l’heure actuelle.

Vous avez parlé du recouvrement. Mme Lowe est en ligne; elle peut vous parler de son expérience et de ses préoccupations personnelles à ce sujet.

La sénatrice Osler : Je remercie tous les témoins de comparaître devant nous aujourd’hui.

La sénatrice Bovey et moi sommes sur la même longueur d’onde parce je voulais vous demander votre opinion ou vos recommandations sur le règlement du projet de loi C-22 sur les critères d’admissibilité, notamment ceux portant sur l’âge de travailler. Madame la présidente, nous pourrions peut-être entendre Mme Lowe, de l’organisme Le handicap sans pauvreté, qui se joint à nous avec vidéoconférence.

Elizabeth Lowe, membre de l’équipe de direction, Le handicap sans pauvreté : Bonjour. J’ai eu des problèmes techniques avec mon casque d’écoute. Pourriez-vous répéter la question?

La sénatrice Osler : Pouvez-vous nous faire part de vos commentaires, de vos observations ou de vos recommandations sur les critères d’admissibilité et, pour faire suite à la question de la sénatrice Bovey, sur le critère associé à l’âge de travailler?

Mme Lowe : Premièrement, j’habite dans la ville de Québec; les choses fonctionnent un peu différemment ici. En gros, nous avons accès à ce qu’on appelle le Programme de revenu de base. Il s’agit d’un supplément de revenu accordé à toutes les personnes handicapées qui reçoivent aussi des prestations d’aide sociale. C’est ce qu’on nous donne, mais ce montant ne suffit pas à nous sortir de la pauvreté. Je parle de ma propre expérience. Je travaille actuellement à temps partiel; en raison de la nature invisible de l’un de mes handicaps, je ne peux pas travailler à temps plein — et ne pourrai jamais le faire —, donc je me questionne au sujet des critères d’admissibilité, parce que je ne sais pas s’il y aura des mesures de recouvrement, puisque nous avons déjà accès au Programme de revenu de base dont je viens de parler. Je ne sais pas ce qui se passera pour la prestation fédérale. J’espère seulement qu’en étant admissible aux deux suppléments, nous pourrons enfin nous sortir de la pauvreté et avoir une certaine dignité, pour que notre vie en tant que personnes handicapées ait un sens.

[Français]

M. Parent : C’est une très bonne nuance à faire. Quand on planifie l’avenir d’une personne handicapée qui travaille et moi, je m’inclus ici, je ne pourrai pas physiquement travailler jusqu’à 65 ans; c’est impossible. En plus, il ne faut pas se mettre la tête dans le sable, on a une expérience moindre. Donc, dans nos recommandations, nous proposons d’harmoniser la prestation avec les Régimes enregistrés d’épargne-invalidité (REEI).

On l’oublie souvent, parce que c’est tellement loin dans le temps, mais le REEI et le supplément de revenu garanti vont régler en partie la retraite des personnes handicapées, si et seulement si on facilite l’accès un peu plus et on reconnaît que, pour ceux qui n’ont pas eu la chance d’ouvrir un REEI tôt dans leur vie, il faudra moduler cela, parce que ce n’est pas à 60 ans qu’on va dire à notre patron : « sorry, boss, je ne suis plus capable, il faut que je ralentisse ».

Donc, une bonne prestation selon moi — à long terme peut-être —, cela demande de réfléchir à une coordination entre le REEI et la Prestation pour enfants handicapés (PEH) pour différentes personnes, dans différents cycles de vie.

[Traduction]

La sénatrice Moodie : J’aimerais céder les cinq minutes dont je dispose à Mme Lowe afin d’entendre ce qu’elle aurait voulu nous dire si elle avait eu l’occasion de s’exprimer.

Mme Lowe : Voulez-vous que je reprenne là où je me suis arrêtée?

La sénatrice Moodie : Allez-y, mais vous n’avez pas beaucoup de temps.

Mme Lowe : Merci.

Je suis honorée de pouvoir témoigner devant vous aujourd’hui. Je ne l’ai pas dit plus tôt, mais je suis atteinte de la paralysie cérébrale et j’ai un handicap neurologique invisible : la dyspraxie. Il s’agit d’un handicap reconnu par la médecine, mais qui est souvent ignoré en raison de sa nature invisible. Ainsi, à cause de la dyspraxie, je ne peux travailler à temps plein et ne pourrai jamais le faire. Je peux toutefois travailler à temps partiel, mais en raison des restrictions relatives aux prestations d’aide sociale du Québec, je ne reçois qu’une paie symbolique de 200 $ par mois. Je me retrouve donc bien en deçà du seuil de la pauvreté. J’espère que le projet de loi C-22, en association avec les actuels programmes d’aide sociale du Québec, me permettront de travailler à temps partiel selon pour un salaire normal, sans que l’on réduise mes prestations.

J’aimerais de plus pouvoir vivre avec mon conjoint, qui est aussi handicapé, mais qui peut travailler à temps plein. J’aimerais que nos prestations ne soient pas réduites de 30 ou 40 % parce que nous habitons ensemble. J’ai l’impression que les jeunes couples de handicapés sont punis parce que l’un des partenaires travaille à temps plein. Je trouve cela très injuste. J’espère que le projet de loi C-22 et les programmes d’aide du Québec nous permettront de trouver une façon pour que je puisse vivre avec la personne que j’aime et avoir un sentiment de liberté et d’autonomie financière. Merci.

La sénatrice Moodie : Merci beaucoup.

J’aimerais poser une question, très rapidement, aux représentants de Finautonome. Votre organisation aide les personnes handicapées à naviguer à travers le système pour avoir accès aux prestations. Pouvez-vous nous dire ce qu’il manque au projet de loi? Quels sont les éléments absents du projet de loi dont nous devrions tenir compte? Quelles sont les améliorations que nous pourrions y apporter?

M. Parent : Si je devais apporter une modification au projet de loi, je ferais de l’accès aux prestations d’invalidité un automatisme. Dans notre société, l’incapacité de travailler représente le réel handicap. Nous aidons les gens à naviguer à travers ce cauchemar. Nous avons travaillé avec l’Université de Calgary et avons comparé le recensement des personnes handicapées de 2017 au nombre de personnes qui présentaient une demande. Ce taux était d’environ 25 %; chez certaines populations comme les Autochtones, les Noirs et les personnes marginalisées, les Québécois et les francophones, le taux baissait à environ 15 %. Donc l’accès et les critères d’accessibilité devraient reconnaître ces différences.

[Français]

Pour moi, la conséquence serait que le projet de loi C-22 manque totalement la cible : la réduction de la pauvreté. En plus, ce sont ceux qui ont le plus de moyens et une réalité financière comprenant un REEI. En 2040, parce qu’on parle d’y arriver en 2040, un REEI fournira environ 350 000 $, si on l’a ouvert en 2008 — le REEI moyen sera de 350 000 $. Si on ne démocratise pas l’accès au REEI, j’ai peur qu’en 2040, il y ait deux classes de citoyens handicapés : une qui aura accès à un bon fonds de retraite et l’autre, malheureusement, en raison des obstacles, ce sera tant pis pour eux. Ce sont mes deux grosses inquiétudes.

[Traduction]

La présidente : Merci.

[Français]

La sénatrice Petitclerc : Je vais poser ma première question à Mme Khedr. Bonjour, c’est un plaisir de vous avoir avec nous aujourd’hui.

Je vais poser une question ayant trait aux consultations, mais avec l’angle suivant : sommes-nous prêts à procéder aux réglementations? La raison pour laquelle je pose la question est qu’on a reçu, à ce comité, d’une part Mme Krista Carr, d’Inclusion Canada, qui a parlé des consultations et de tout ce qu’on a été capable de recueillir comme informations. D’autre part, nous avons aussi entendu, bien sûr, la ministre Carla Qualtrough, qui nous a dit de lui faire confiance : cette prestation va se matérialiser assez rapidement parce que beaucoup de travail a déjà été fait.

Ma question est la suivante — parce que je sais que vous avez fait partie de ces consultations : est-ce que des progrès ont effectivement été réalisés? Est-ce qu’on peut être certains que, comme on nous le dit, les personnes en situation de handicap pourront toucher cette prestation d’ici un an, peut-être? Quand le projet de loi C-22 sera adopté, aurons-nous déjà beaucoup d’informations, et le processus de réglementation se fera-t-il quand même assez efficacement?

[Traduction]

Mme Khedr : Tout à fait. Nous avons recueilli suffisamment d’information. En fait, depuis que le premier ministre a annoncé son engagement à l’égard de la prestation d’invalidité du Canada en septembre 2020, les personnes handicapées, Le handicap sans pauvreté et d’autres organismes se sont mobilisés, se sont organisés, ont fait de la recherche, et ont élaboré et conçu des modèles, qui sont examinés par le gouvernement. Nous avons établi nos principes, qui ne sont pas sorciers. Ce sont des principes très clairs, qui s’harmonisent à la conception de la prestation et qui visent à créer les règlements et à les mettre en œuvre rapidement. Lorsqu’on veut, on peut. C’est une question de valeurs. Sommes-nous prêts à faire ce qu’il faut pour les personnes handicapées? Sommes-nous prêts à changer le système? Nous avons fait ce qu’il fallait pour les personnes non handicapées au printemps 2020. Il faut en faire tout autant, avec la même passion et le même engagement du gouvernement, des élus et des représentants nommés, afin d’assurer un avenir meilleur pour les personnes handicapées qui vivent dans la pauvreté. Nous pouvons le faire en moins d’un an.

[Français]

La sénatrice Petitclerc : Je vous remercie. Je vais vous poser une question, monsieur Parent. Vous en avez parlé un petit peu, mais je veux qu’on comprenne la réalité de ce que cela représente, la quantité de formulaires qu’une personne en situation de handicap est obligée de remplir, souvent à répétition, même si on garde notre handicap. Est-ce important à la fois qu’on ne multiplie pas ce genre de formulaires, qu’on trouve une solution, et que ces formulaires, cette façon de devenir admissible, soit assez simple pour tous les types de handicaps?

M. Parent : Les formulaires, c’est la pointe de l’iceberg dans notre travail d’agent. Il faut d’abord accepter son handicap, donner des détails. Pour moi, cela a été assez facile. Cependant, il faut trouver le médecin qui veut signer. Ce n’est pas facile du tout.

Ce qu’on propose, c’est vraiment d’analyser tous les programmes provinciaux, territoriaux et fédéraux pour trouver les points de convergence. Mon intuition me dit qu’on est assez proche pour que ça converge. Est-ce qu’on peut, au lieu de négocier des clawbacks, harmoniser les critères d’admissibilité pour créer, justement, des passerelles automatiques?

Pour ce qui est de l’Agence du revenu du Canada, c’est déjà dans la base de données; les provinces envoient les feuillets fiscaux concernant les personnes qui reçoivent des prestations provinciales. La négociation ne porte pas seulement sur [Difficultés techniques], elle est sur les critères d’admissibilité.

[Traduction]

La sénatrice Dasko : Je remercie tous les témoins de comparaître devant nous aujourd’hui.

Le projet de loi C-22 s’intitule : « Loi visant à réduire la pauvreté et à renforcer la sécurité financière des personnes handicapées ». Nous avons entendu d’autres témoins nous dire que 40 % des Canadiens handicapés vivaient dans la pauvreté. Quelles sont vos attentes face à ce projet de loi? Croyez-vous qu’il permettra de sortir toutes les personnes handicapées de la pauvreté au Canada? Quelle sera l’incidence du projet de loi sur le niveau de pauvreté? De nombreux témoins en ont parlé au cours des dernières semaines. J’aimerais savoir dans quelle mesure, selon vous, le projet de loi sera une réussite en ce sens. Sinon, quelle en sera l’incidence? Combien de personnes pourront se sortir de la pauvreté, selon vous? Ma question s’adresse à tous les témoins.

[Français]

M. Parent : En 2018, le même Sénat a fait preuve d’une clairvoyance incroyable en déposant le rapport Éliminer les obstacles : Analyse critique du Crédit d’impôt pour personnes handicapées et du Régime enregistré d’épargne-invalidité contenant les recommandations 13, 14 et 15. Cela mettait la table pour cette prestation, cela mettait la table pour élargir le bassin. Je ne sais pas pourquoi cela a été oublié ou mis sur une tablette; je ne sais pas ce qui s’est passé, mais on n’en entend plus parler.

Je dirais au Sénat de prendre à nouveau connaissance de ces recommandations, et que si celles-ci sont appliquées, que ce soit en parallèle ou un peu après [Difficultés techniques]. Je pense que cela ferait 80 % du travail. Quand on lit cela, l’un va avec l’autre : les recommandations 14, 15 et 16.

[Traduction]

La sénatrice Dasko : Parce que parfois, nos projets de loi s’en vont quelque part et nous ne savons pas exactement où, mais enfin.

[Français]

M. Parent : Je siège à un comité de personnes handicapées de l’Agence du revenu du Canada, et je reviens toujours avec ces recommandations. Cependant, le problème, madame la sénatrice, c’est que les affaires des personnes handicapées sont dans un triangle où il y a le ministère des Finances, l’Agence du revenu du Canada et Emploi et Développement social Canada. Pour que cela fonctionne, il faut que les trois s’alignent, et si possible, comme point de départ, qu’ils tiennent compte de vos recommandations.

[Traduction]

Mme Khedr : La seule chose que j’ajouterais au sujet de la prestation, c’est qu’il faut qu’elle permette à tout le moins aux gens d’atteindre le seuil de la pauvreté. Donc oui, si elle permet de le faire, et si on investit suffisamment d’argent pour apporter de réels changements systémiques et améliorer la qualité de vie des personnes handicapées, alors on réduira le taux de pauvreté national d’au moins 41 %... Il faut toutefois que les principes que nous avons établis soient intégrés à la réglementation. C’est pourquoi la création conjointe des règlements est absolument essentielle. Les gens qui ont une expérience vécue, les personnes handicapées, doivent participer à la conception des règlements. Il faut faire les choses différemment cette fois. Nous devons faire mieux, et ne pas retomber dans nos vieilles habitudes.

La présidente : J’aimerais vous poser une question. Vous avez parlé de sortir les gens de la pauvreté. Le projet de loi propose une mesure fondée sur le marché à titre de fondement pour définir la valeur de la prestation. Croyez-vous qu’il s’agit d’une mesure appropriée pour les personnes handicapées?

Mme Khedr : Les personnes handicapées vivent une pauvreté beaucoup plus importante que les personnes non handicapées. Les mesures actuelles, les lignes que nous avons tracées au pays, sont 20 à 40 % inférieures à la réelle pauvreté vécue par les personnes handicapées. Nous nous attendons à ce que la prestation permette à ces personnes à tout le moins d’atteindre le seuil de pauvreté qui a été établi. Elles ne seront pas complètement sorties de la pauvreté, mais leur situation sera améliorée.

La présidente : Merci.

La sénatrice Bernard : Ma question s’adresse à Mme Khedr. Je pensais à votre déclaration, en réponse à une question précédente, je crois. Vous avez dit qu’il était temps pour vous de participer à la conception des règlements et qu’il fallait une création conjointe. Vous avez aussi parlé du concept voulant qu’aucune décision vous concernant ne soit prise sans vous. Avez-vous des recommandations précises à faire sur la façon dont il faut s’y prendre, étant donné les complexités associées aux diverses provinces et aux territoires, et à l’intersectionnalité des personnes handicapées? Les handicaps sont tellement nombreux... Il y a les handicaps visibles et ceux qui sont invisibles, les défis des personnes qui vivent dans les régions rurales et dans les communautés urbaines, etc. Avez-vous des recommandations précises à faire pour veiller à ce que ces gens participent à l’élaboration des règlements pour nous permettre d’aborder les complexités associées à l’intersectionnalité des personnes handicapées du pays?

Mme Khedr : Bon nombre des renseignements recueillis dans le cadre des consultations ont fait état des différences entre les situations sociales, des diverses expériences et de l’intersectionnalité; tout cela est documenté.

Nous savons qu’il y a un processus visant à publier les règlements en vue d’obtenir les rétroactions de la population. Dans le cadre de ce processus, les fonctionnaires responsables rencontrent les membres de la population, discutent des règlements, en débattent et les rédigent ensuite. Il est important que des personnes ayant une expérience vécue et une bonne connaissance du système fassent aussi partie du processus interne du gouvernement et aient une place à cette table afin d’assurer une véritable collaboration.

Il est important, au moment de publier les règlements dans le but d’obtenir l’avis du public, de rejoindre des populations cibles afin de veiller à ce que les personnes handicapées de diverses communautés — des régions urbaines et des régions rurales —, celles qui ont un handicap visible et invisible, aient la chance de faire part de leurs commentaires et aient un accès en ce sens. Il est important que ces personnes participent à la conception des règlements et fassent part de leurs commentaires dès le départ, afin d’éviter de devoir tout repenser et tout refaire parce que nous avons omis certaines nuances essentielles, en raison de notre ignorance.

La sénatrice Bernard : Merci.

Monsieur Parent, vouliez-vous ajouter quelque chose?

[Français]

M. Parent : Ça ne va pas être parfait du premier coup. C’est tellement complexe, il y a tellement de définitions. Est-ce qu’on veut beaucoup aider une certaine partie de la population, ou veut-on élargir le programme et aider moins?

Je suis peut-être un peu naïf, mais je pense qu’il va y avoir des expériences et des analyses de scénarios à faire. Je crois que le gouvernement a tout intérêt à nous mobiliser et à ouvrir ses livres, et à nous révéler ses contraintes et ses scénarios.

Dans un deuxième temps, la cocréation va prendre 10 ou 15 ans. Ce n’est pas l’année prochaine. Donc, il faudra aussi former un comité d’appel, former un comité de gouvernance et mobiliser les membres de la communauté — oui, avant, pendant, avec des scénarios, mais surtout après, pour avoir l’humilité de dire ce qui marche et ce qui ne marche pas.

D’ailleurs, en 2008, quand on a adopté la Loi canadienne sur l’épargne-invalidité, on nous avait promis des révisions tous les trois ans. Il n’y en a pas eu depuis 2011. Donc, pour moi, ce n’est pas cela, de la cocréation.

Cela se passe en aval, en amont, durant les scénarios; partout.

[Traduction]

La sénatrice McPhedran : Je n’ai qu’une seule question à poser à tous nos témoins. Tout d’abord, j’aimerais vous souhaiter la bienvenue. Ensuite, est-ce que j’ai bien compris que vous étiez tous trois de l’avis que le projet de loi C-22 devrait être adopté selon sa formulation actuelle, et qu’aucun amendement n’était nécessaire?

Mme Khedr : Oui, c’est exact. La communauté des personnes handicapées et les particuliers qui sont en faveur du projet de loi C-22 souhaitent, de façon générale, qu’il soit adopté tel quel. Nous allons travailler, dans le cadre du système, à établir des règlements qui abordent les préoccupations de tous. Comme l’a fait valoir M. Parent, ce ne sera pas parfait du premier coup. Si nous attendons un projet de loi parfait, il n’arrivera jamais. Nous devons commencer quelque part et travailler en vue d’atteindre la perfection au fil du temps. Il faut commencer à combler l’écart. Il faut mettre fin à la pauvreté de certaines personnes handicapées pour commencer, dans l’espoir d’y mettre fin pour tous un jour.

La présidente : Je remercie tous nos témoins, au nom du comité, d’être avec nous en personne et en ligne, et de nous transmettre leur sagesse, leur point de vue et leurs expériences pour nous permettre de comprendre le projet de loi.

Pour la deuxième partie de la réunion, nous recevons Katherine Scott, chercheure principale au bureau national du Centre canadien de politiques alternatives et Me Adrian Merdzan, qui est avocat pour le Centre d’action pour la sécurité du revenu. Je vous invite à faire votre déclaration préliminaire. Vous disposez de cinq minutes chacun. Mes collègues vous poseront ensuite des questions.

Katherine Scott, chercheure principale, Bureau national, Centre canadien de politiques alternatives : Je vous remercie de m’avoir invitée à témoigner devant votre comité aujourd’hui.

Je travaille pour le Centre canadien de politiques alternatives, dans notre bureau national d’Ottawa, sur un territoire algonquin non cédé. Nous sommes un institut de recherche indépendant et non partisan. Nous nous intéressons aux enjeux sociaux, économiques et de justice environnementale. Nous avons des bureaux dans tout le pays.

Pour commencer, je tiens à féliciter le gouvernement d’avoir mis sur pied un programme essentiel visant à réduire la pauvreté des personnes handicapées. J’exhorte aussi le comité sénatorial permanent à adopter le projet de loi C-22 rapidement.

Je tiens de plus à établir que nous ne sommes pas des experts en matière d’incapacité. Ce sont les voix des personnes qui vivent cette incapacité et de leurs organisations qui comptent le plus dans le cadre de ce processus. À ce titre, je dirais que nous avons été très satisfaits des amendements au projet de loi qui visaient à assurer une collaboration significative avec la communauté des personnes handicapées dans le cadre de l’élaboration et de la conception de la prestation. À notre avis, la réussite de cette initiative repose sur l’écoute des personnes les plus touchées.

Le comité des affaires sociales et un comité de la Chambre des communes ont entendu plusieurs organismes et plusieurs personnes parler de l’ampleur de la pauvreté et de ses répercussions sur la vie des gens, surtout de ceux qui sont victimes simultanément de formes d’oppression variées. Chaque jour, des personnes handicapées sont forcées de choisir entre leurs médicaments d’ordonnance ou des aliments nutritifs, ou encore doivent décider si elles utiliseront une précieuse dose d’énergie pour prendre les transports en commun ou pour se rendre à la banque alimentaire locale. Des personnes handicapées peinent à payer leur loyer et à accéder à des ressources vitales telles que des soins auxiliaires, des services de garde et de l’éducation inclusive. Ces ressources sont même essentielles pour les personnes qui ont une vie enrichissante et bien remplie.

Ces difficultés se sont considérablement accrues au cours de l’année qui vient de s’écouler en raison de la hausse fulgurante du coût de la vie. L’indice des prix à la consommation qui est sorti mardi indique un recul du taux d’inflation mensuel. Par contre, la montée du prix des biens essentiels — le prix des aliments a augmenté de 9,7 % par rapport à l’an passé, et le coût du logement, de 5,4 % — se poursuit et affiche encore des niveaux record.

Demain, Statistique Canada publiera son Enquête canadienne sur le revenu de 2021. L’année dernière, l’enquête de 2020 avait fait les manchettes en raison de la baisse historique de 38 % du taux de pauvreté des Canadiens de 2019 à 2020 calculé en fonction du seuil officiel de la pauvreté. Chez les personnes handicapées, le taux de pauvreté a diminué de 5,2 % pendant cette période. En pleine crise nationale, ces chiffres étaient impressionnants. La série de programmes d’urgence mis en œuvre pour compenser les pertes d’emploi et les coûts engendrés par la pandémie ont fait baisser les taux de pauvreté. De fait, beaucoup plus de personnes handicapées, entre autres, ont bénéficié du soutien gouvernemental. Je n’ai pas de boule de cristal, mais je devine que le rapport de 2021 qui sera publié demain révélera probablement une hausse historique des taux de pauvreté d’une année à l’autre. Au point où nous en sommes, la question sera de savoir quelle sera l’ampleur de la hausse.

Les diverses prestations d’urgence ont énormément changé la donne. Plus de 20 millions de Canadiens en ont profité, soit les deux tiers des adultes âgés de 15 ans et plus. Sept millions et demi d’entre elles ont obtenu la Prestation canadienne d’urgence, ou PCU. Environ 1,4 million de personnes handicapées ont reçu le paiement unique de 600 $ à l’automne 2020.

Il faut dire et redire que bon nombre de personnes handicapées ont reçu un soutien famélique pendant la pandémie. Elles ont eu peine à survivre avec des revenus tout à fait inadéquats au cours de cette période, et elles en arrachent encore aujourd’hui. Malgré la diminution du nombre de personnes pauvres en 2020, l’ampleur de la pauvreté, elle, est toujours la même.

Cela dit, nous pouvons nous inspirer des programmes offerts pendant la pandémie pour renforcer de façon permanente les programmes de sécurité du revenu, y compris les programmes destinés aux personnes handicapées. Les programmes liés à la pandémie démontrent les avantages d’élargir la protection aux personnes qui occupent des emplois à temps partiel, saisonniers ou temporaires — ce qui est le lot de bon nombre de personnes handicapées —, et d’instaurer, espérons-le, un plancher du revenu minimum plus élevé dans le cadre des nouveaux programmes comme la Prestation canadienne pour les personnes handicapées.

Si nous nous reportons en avril 2020, il était devenu évident à l’époque que la première version de la PCU laissait pour compte un grand nombre de travailleurs à faible revenu dont les heures de travail avaient diminué. Un rajustement du seuil de revenu minimum à 1 000 $ par mois a permis de rejoindre un groupe substantiel de travailleurs précaires et d’ajouter au nombre de prestataires de la PCU presque 900 000 travailleurs. Cette mesure était extraordinaire. De la même manière, l’élargissement des mesures de soutien du revenu aux parents et aux aidants, et le remplacement du calcul du revenu du ménage par le calcul du revenu individuel ont permis à davantage de femmes handicapées de recevoir la PCU et d’accroître le revenu de leur ménage pendant ces mois difficiles.

Ces expériences récentes créent des possibilités et procurent des enseignements qui permettront de corriger les erreurs du passé et de remédier aux graves lacunes de l’infrastructure de la sécurité du revenu au pays.

Nous savons et nous sommes d’accord pour dire que la version actuelle de la mesure législative comporte plusieurs lacunes, notamment l’absence de détails essentiels sur la conception de la prestation. Par exemple, la version modifiée énonce que la prestation doit être adéquate et calculée selon le seuil officiel de la pauvreté. Elle ne renferme toutefois pas de définition du terme « adéquat » et ne précise pas que la prestation doit permettre aux personnes qui la reçoivent de se hisser au-dessus du seuil de la pauvreté.

Le projet de loi n’établit pas de mécanisme d’appel accessible et transparent. Il n’interdit pas la récupération de montants de la prestation par les autres ordres de gouvernement ou par les compagnies d’assurance privées. Aucune disposition ne porte sur les gouvernements autochtones, qui ont pourtant un rôle central à jouer pour que les programmes mis au point répondent aux besoins des communautés.

À ce stade-ci, toutefois, nous croyons qu’il faut aller de l’avant et adopter rapidement le projet de loi de même qu’entreprendre la conception de la prestation en faisant participer pleinement les personnes handicapées de divers horizons, conformément à la loi.

Dans notre Budget fédéral alternatif, nous démontrons chaque année la nécessité de combler les écarts considérables dans le système de sécurité du revenu. Les mesures de soutien au revenu pour les enfants et les personnes âgées sont bien établies — sans être parfaites —, mais les mesures destinées aux résidents du Canada en âge de travailler telles que l’Allocation canadienne pour les travailleurs, et une variété de programmes provinciaux d’aide sociale, sont terriblement inadéquats et extrêmement intrusifs, surtout à l’égard des femmes et des personnes de diverses identités de genre.

Dans ces programmes, les montants pour personnes handicapées sont en fait des suppléments. L’Allocation canadienne pour les travailleurs prévoit par exemple un supplément pour personnes handicapées. Il existe également un crédit d’impôt pour personnes handicapées. Je suis certaine que vous avez entendu des témoignages à ce sujet.

Le Canada doit instaurer de toute urgence un programme national de sécurité du revenu pour personnes handicapées, qui serait destiné aux adultes de 18 à 64 ans. Nous convenons que ce ne serait pas une tâche facile. Le modèle que nous proposons pour le crédit d’impôt pour personnes handicapées comporte différentes phases. Nous commençons par les prestataires des programmes fédéraux, nous ajustons les détails et nous incluons ceux qui sont reconnus par les programmes d’aide sociale provinciaux et territoriaux.

Nous préconisons la mise en place d’une prestation inclusive pour personnes handicapées. Je me reporte aux années 1990, lorsque les gouvernements fédéraux et les provinces ont mis sur pied la prestation nationale pour enfants. Le discours à l’époque était de sortir les enfants de la pauvreté. Nous devrions proposer aujourd’hui d’affranchir les personnes handicapées de l’aide sociale.

Un des objectifs de la prestation nationale pour enfants dans les années 1990 était de mettre sur pied une plateforme pour les prestations calculées en fonction du revenu qui serait accessible aux prestataires de l’aide sociale et aux familles de travailleurs à faible revenu. Les provinces récupéraient des fonds des programmes d’aide sociale, qu’elles réinvestissaient ensuite dans des mesures de soutien à la communauté pour les enfants de familles à faible revenu. Toute une génération de nouveaux programmes a vu le jour pendant cette période. Cette approche fonctionnerait encore aujourd’hui.

Aucune mesure de soutien du revenu ne peut à elle seule remédier aux taux disproportionnés de pauvreté observés au sein de la communauté des personnes handicapées, que cela se traduise par la précarité du logement ou par des besoins médicaux non satisfaits. Nous croyons et nous espérons que la prestation canadienne pour les personnes handicapées permettra de réduire la pauvreté et d’élargir le soutien communautaire universel et essentiel financé par les fonds publics.

Merci.

Me Adrian Merdzan, avocat, Centre d’action pour la sécurité du revenu : Merci beaucoup, honorables sénateurs, de m’avoir invité à témoigner devant le comité dans le cadre de l’étude du projet de loi C-22.

Le mandat du Centre d’action pour la sécurité du revenu est de faire avancer les droits et les intérêts des personnes à faible revenu et d’exprimer leurs préoccupations systémiques en ce qui concerne la sécurité du revenu et l’emploi. Nous travaillons dans le cadre de 46 traités et d’autres accords qui visent le territoire connu aujourd’hui sous le nom d’Ontario. Je tiens à reconnaître que je vous parle du territoire non cédé des Algonquins anishinabes.

Nous sommes d’avis que le Sénat devrait modifier le projet de loi C-22 pour protéger les personnes handicapées qui vivent dans la pauvreté. Le Sénat peut proposer des amendements qui respectent le principe du « rien de ce qui nous concerne ne doit se faire sans nous » ainsi que le cadre conceptuel du projet de loi C-22. Des amendements structurels permettraient d’établir des mesures de protection dans la loi et de régler les détails au cours du processus réglementaire.

Le projet de loi C-22 a été amélioré à chaque étape du processus législatif. Nous recommandons au Sénat de continuer dans cette voie en ajoutant sous forme d’amendements ces trois éléments importants : des droits d’appel au moyen d’une procédure rapide et accessible de règlement des différends par l’entremise d’un tribunal; l’admissibilité automatique garantie des bénéficiaires des programmes de prestations d’invalidité déjà en place; un assouplissement des exigences d’identification qui permettrait aux populations difficiles à joindre d’accéder aux prestations.

Ces amendements ont reçu l’appui de 48 cliniques juridiques communautaires en Ontario. Ces organismes qui travaillent sur le terrain savent pourquoi les personnes handicapées ont besoin de mesures de soutien du revenu renforcées.

Premièrement, le Sénat devrait ajouter des droits d’appel. Le projet de loi C-22 énonce que des règlements « concernant tout appel » peuvent être pris. Il faut noter que les droits d’appel ne sont pas tous égaux. Au titre de la version actuelle du projet de loi, un mécanisme d’appel inaccessible peut en fait être mis sur pied par le cabinet du gouvernement du jour. Les dispositions sur les prestations post-pandémiques qui obligent les prestataires qui ont été considérés comme inadmissibles, mais qui veulent en appeler de la décision à se présenter devant la cour constituent un exemple récent de droit d’appel inaccessible. Cet exemple démontre qu’un droit d’appel devant la cour ne constitue pas une forme accessible et rapide de règlement des différends pour les personnes vivant dans la pauvreté. Pour ne pas reproduire le problème, le projet de loi C-22 devrait exiger que le processus de règlement des différends passe par un tribunal administratif avant de passer par la cour. Les tribunaux administratifs conviennent mieux aux personnes handicapées en raison de leurs normes plus flexibles sur la présentation de la preuve, de leur inclination à la résolution rapide des différends et de la possibilité de nommer des adjudicateurs ayant une expérience vécue du handicap.

Deuxièmement, le Sénat devrait garantir l’admissibilité automatique. Il est difficile sur le plan administratif, émotionnel et financier de prouver son admissibilité aux prestations d’invalidité. La version actuelle du projet de loi C-22 ne garantit pas que les participants aux programmes de prestations d’invalidité recevront la prestation canadienne pour les personnes handicapées. Les demandeurs pourraient plutôt être tenus de prouver à nouveau, à un autre agent du gouvernement, qu’ils vivent dans une situation de handicap. Le Sénat devrait modifier le projet de loi C-22 pour leur éviter de revivre ce processus déshumanisant. Il devrait aussi s’assurer que l’octroi de la prestation canadienne pour les personnes handicapées se fonde sur les critères d’admissibilité établis dans le projet de loi C-22, et non pas sur les critères d’admissibilité du programme d’invalidité existant.

Troisièmement, le Sénat devrait assouplir les exigences relatives à l’identification. Au titre de la version actuelle du projet de loi C-22, les demandeurs doivent fournir leur numéro d’assurance sociale, ou NAS. La vérificatrice générale a souligné que l’obligation de fournir le NAS peut empêcher les populations difficiles à joindre d’accéder aux prestations. En effet, pour obtenir un NAS, il faut fournir deux pièces d’identité et une preuve d’adresse. Ces exigences empêchent d’emblée certaines personnes handicapées parmi les plus pauvres et les plus vulnérables de bénéficier des mesures de soutien, notamment les sans-abri, les personnes aux prises avec la barrière de la langue, les personnes ayant un statut d’immigration précaire et les Autochtones. Le Sénat peut atténuer le problème en ajoutant au projet de loi C-22 des moyens autres que le NAS de prouver son identité.

Nous espérons que le Sénat apportera les amendements proposés pour que le projet de loi C-22 honore le plus possible son objectif consistant à réduire la pauvreté des personnes handicapées. Nous avons inclus les libellés dans le mémoire que nous avons soumis au Sénat.

Merci beaucoup de nous avoir invités à participer à l’étude de ce projet de loi très important. Je suis prêt à répondre aux questions.

La présidente : Merci, maître Merdzan. Merci d’avoir respecté le temps alloué.

Je vais lancer le bal en vous posant une première question, maître Merdzan. Vous avez proposé des amendements et des reformulations. Merci d’avoir soumis le tout par écrit. Votre mémoire a obtenu l’appui d’environ 48 organismes. Les témoignages que nous avons entendus dénotent une certaine tension entre les tenants de l’amélioration du projet de loi et les tenants de son adoption rapide pour que les personnes handicapées qui vivent dans la pauvreté commencent à recevoir les prestations et que des améliorations soient apportées progressivement au fil du temps. À quel camp appartenez-vous?

Me Merdzan : Nous pensons que la version actuelle du projet de loi laisse certaines personnes en plan. Comme je viens d’en discuter, la réduction de l’exigence d’identification au seul NAS empêche les personnes qui ne détiennent pas cette pièce d’identité d’accéder à la prestation canadienne pour les personnes handicapées. Les conséquences sont graves. Des personnes handicapées sont en quelque sorte abandonnées. Elles sont exclues de la prestation. Nous comprenons — cela est ressorti clairement des discussions tenues devant le comité — toute l’importance pour les personnes handicapées d’accéder aux mesures de soutien du revenu. En ce moment, le projet de loi n’offre pas de protection contre la récupération des sommes. Il sera donc impossible de savoir si les prestations se rendront aux personnes handicapées. Des mesures de protection plus solides devraient être mises en place pour soutenir les personnes handicapées. Je réitère que 48 cliniques juridiques communautaires en Ontario appuient notre position.

La présidente : Madame Scott, qu’en pensez-vous?

Mme Scott : Les recommandations formulées par le Centre d’action pour la sécurité du revenu s’attaquent à des éléments cruciaux. Nous espérons qu’elles seront prises en compte lors du processus réglementaire. Par exemple, il y a déjà des discussions et des projets pilotes entre autres à l’Agence du revenu du Canada sur le processus d’identification et sur la mise en place de mécanismes de rechange pour le versement des prestations sociales. Le gouvernement n’a pas encore pris de mesures à cet effet probablement — c’est la seule raison que je peux voir — en raison de processus réglementaires en suspens. Je le répète : c’est vraiment un acte de foi.

Nous pensons en ce moment — la communauté l’a exposé très clairement — que la mobilisation de l’appui pour l’adoption rapide du projet de loi C-22 est une stratégie qui comporte des risques. Dans une situation idéale, je suis entièrement d’accord pour dire que les exigences proposées par le Centre d’action pour la sécurité du revenu avec le soutien des cliniques juridiques en Ontario sont essentielles. Nous ne nous opposerons jamais à ces propositions. Nous devons néanmoins tenir compte du contexte politique actuel.

Ces questions sont vraiment centrales. Le danger que de nombreuses personnes handicapées soient mises de côté est bien réel et bien présent. Je pense particulièrement aux personnes qui ne sont pas encore considérées comme admissibles aux prestations et qui continuent de se battre pour y avoir accès au niveau provincial ou fédéral. Par exemple, très peu de personnes handicapées ont accès au crédit d’impôt pour personnes handicapées.

En soulignant que la prestation évoluera au fil du temps, je soutiens que ces amendements essentiels doivent être apportés. Idéalement, ils seront apportés au projet de loi C-22, mais à ce stade, nous soutenons la communauté des personnes handicapées, qui souhaite l’adoption rapide du projet de loi.

La présidente : Merci. Nous passons à la vice-présidente du comité.

La sénatrice Bovey : J’aimerais remercier tous les témoins d’avoir livré un message clair et convaincant. Je suis d’accord avec les deux camps. À un certain point, je vais devoir choisir entre les deux.

Comme vous le savez peut-être si vous avez écouté les témoignages précédents, une des préoccupations que j’ai soulevées porte sur la récupération des sommes. Hier, j’ai entendu un commentaire intéressant selon lequel les subventions ne peuvent pas être récupérées, contrairement aux revenus gagnés. Je suis peut-être idéaliste en pensant que ce pourrait être une subvention, mais ce sera probablement l’objet d’une autre discussion.

Selon vous, que peut-on accomplir exactement à l’étape de la réglementation? Quels problèmes parmi ceux qui ont été mentionnés peuvent être résolus? Supposons que le projet de loi est adopté tout de suite et que le travail sur la réglementation est effectué pendant l’été pour que l’argent soit versé rapidement, comme le souhaitent les gens. Y a-t-il un risque à se reposer sur la réglementation? Craignez-vous que les règlements soient modifiés continuellement ou que le processus de consultation soit écourté? J’aimerais que chacun d’entre vous expose son point de vue pour m’aider à prendre une décision.

Me Merdzan : J’aimerais dire rapidement, à propos des amendements que nous proposons, que nous ne demandons pas une révision complète du projet de loi. Nos amendements vont même dans le sens de la réglementation, car l’objectif est d’inclure la protection dans la loi, de sorte qu’elle ne soit pas laissée à la réglementation et que cette dernière corresponde forcément à la loi. Nos trois amendements parlent donc de soumettre cet amendement aux règlements. C’est très important, car c’est dans la réglementation que se déroulera une grande partie de l’expérience de création conjointe avec la communauté des personnes handicapées, et nous sommes tout à fait favorables à une porte ouverte qui permet à chacun de faire entendre sa voix.

Ce qui nous préoccupe, c’est que le libellé actuel du projet de loi ne prévoit aucune protection dans les trois domaines que nous avons énumérés. Les règlements sont importants. Par exemple, les prestations sont généralement fixées par règlement. Si vous regardez le Programme de soutien aux personnes handicapées de l’Ontario, Ontario au travail, les montants sont précisés dans le règlement parce que l’augmentation des montants peut se faire plus rapidement. Les règlements feront une grande partie du travail lié à ce projet de loi. Ce qui nous préoccupe, par exemple avec l’appel qui est trop général, c’est que s’il n’y a pas de protection statutaire, ou si la protection statutaire est trop faible, n’importe quel cabinet futur pourrait ignorer le processus de consultation de la communauté des personnes handicapées et adopter sa propre solution, sans devoir se soumettre à la rigueur parlementaire et sans que la protection statutaire soit en place au départ pour éviter que cela se produise.

La sénatrice Bovey : Madame Scott, qu’en est-il de l’autre côté?

Mme Scott : Je ne pense pas qu’il y ait un autre côté. En fait, ces arguments sont très clairs.

Les éléments essentiels de ce projet de loi prendront forme quand les règlements seront pris, dans le cadre du processus de création conjointe. C’est le cas de la plupart des projets de loi de ce type. Ce sont les détails qui posent problème. Il est également vrai que les règlements sont sujets à des changements plus fréquents, en raison de leur conception, ce qui pourrait être problématique, mais la loi peut également être modifiée.

Il n’y a pas de garanties permanentes à long terme, d’après moi. Bien entendu, ce qui garantira la pérennité et la sécurité du programme, c’est qu’à partir du moment où l’argent commencera à arriver et qu’il fera partie du tissu social et de la façon dont nous parlons de la Sécurité de la vieillesse et du Supplément de revenu garanti, le programme deviendra un élément essentiel de l’État-providence canadien. C’est ainsi que les gens comprennent leur résidence et leur vie dans ce pays. C’est la sécurité offerte par ce programme qui, nous l’espérons, s’enracinera au fur et à mesure qu’il se développera et prendra de l’ampleur.

Je pense qu’il faut nécessairement trouver un équilibre. Encore une fois, je soutiens et je comprends tout à fait le point de vue du Centre d’action pour la sécurité du revenu, mais il faut espérer que le processus de conception conjointe sera solide.

C’est vraiment difficile. Il suffit de penser à l’époque de l’élaboration de la prestation pour enfants, par exemple : vous saviez que vous aviez des enfants. La définition d’un enfant n’a pas fait l’objet d’un grand débat. Il y a eu quelques débats, je vous l’accorde, sur l’âge, et ainsi de suite. Définir la catégorie de personnes qui bénéficieront du soutien prévu par ce texte de loi, définir les interactions avec les différents ordres de gouvernement, compte tenu de la complexité du système de revenu privé, des prestations de santé et autres, voilà un domaine véritablement complexe. Nous devons nous montrer à la hauteur de ce défi. Si nous avions devant nous une page blanche, ne serait-ce pas fabuleux? Nous pouvons toutefois tirer les leçons de nos erreurs passées et espérer faire avancer les choses.

Notre système actuel présente manifestement des lacunes et exclut les personnes les plus pauvres du Canada parce qu’elles n’ont pas accès à un numéro d’assurance sociale. Nous sommes évidemment en train d’étudier cette question. Nous pouvons utiliser ces leçons et ces connaissances dans le processus de conception.

Je ne pense pas qu’il y a des garanties, et je le crois sincèrement, mais je donne ma confiance à un processus de conception réglementaire où les gens sont autour de la table, apportent leur expérience vécue, s’attaquent aux problèmes posés par la conception de cette prestation — des problèmes très complexes, il ne faut pas se leurrer — et font avancer les choses. C’est vraiment là que je place mon espoir et ma foi en ce moment.

La sénatrice Osler : Je remercie les témoins.

J’ai une question pour chacun d’entre vous, et je commencerai par Me Merdzan. Merci pour le mémoire du CASR. Il comporte trois propositions d’amendement et deux recommandations. Dans quelle mesure pensez-vous que la réglementation à prendre pourrait répondre à vos préoccupations?

Madame Scott, merci pour votre témoignage. Si ce n’est pas un amendement, comme vous l’avez dit, quelles seraient vos recommandations ou observations pour améliorer le projet de loi C-22 et lui permettre d’atteindre son objectif?

Mme Scott : Eh bien, je suppose que notre argument principal est que nous pensons que le projet de loi devrait être adopté dans sa forme actuelle aussi rapidement que possible. Je reconnais que, dans une situation idéale, où le temps ne serait pas aussi pressant qu’il l’est actuellement, il conviendrait d’envisager la mise en place d’un mécanisme d’appel, l’interdiction de récupérer les sommes versées, et d’abord et surtout, l’établissement d’un revenu minimum et la mention de la création d’un organe consultatif tel que le Conseil de la pauvreté qui existe actuellement. La loi-cadre idéale comporterait toute une série d’autres outils qui ne figurent pas dans ce projet de loi. Mais encore une fois, nous estimons qu’il faut avancer rapidement pour soutenir la communauté des personnes handicapées dans ses efforts pour concevoir le texte de loi.

Me Merdzan : Je crois que vous connaissez probablement ma réponse : nous ne savons pas si l’un ou l’autre des trois amendements proposés sera pris en compte dans les règlements. C’est aussi l’une des raisons pour lesquelles nous les proposons.

Dans le cadre d’autres programmes, les mécanismes d’appel sont presque toujours prévus dans la loi. Dans le cas présent, il n’y en a pas. Ce que nous proposons, encore une fois, c’est un amendement-cadre. Il ne s’agit pas d’un amendement détaillé sur le tribunal auquel il faut s’adresser ou sur les raisons de le saisir du dossier. Il est question d’un tribunal en général, et nous espérons que le règlement permettra de préciser lequel. La communauté des personnes handicapées peut être consultée à ce sujet.

C’est la même chose pour l’identification. Dans ce cas, vous allez en fait exclure automatiquement des personnes. Si le texte est adopté tel quel, il n’y a aucun moyen de contourner l’exigence du NAS qui figure actuellement dans la loi. Il s’agit d’assouplir la formulation actuelle pour que les personnes handicapées, les personnes en situation de grande pauvreté qui n’ont pas d’adresse, qui ne peuvent pas obtenir de NAS, qui n’ont pas d’endroit où recevoir du courrier, puissent avoir la possibilité de participer à cette consultation.

Parfois, les personnes les plus marginalisées sont celles qui ont le moins de chances de participer à une telle consultation. Je pense que beaucoup de nos amendements essaient vraiment de faire entendre ces personnes, et ces amendements pourraient rendre possible l’inclusion de ces personnes dans la réflexion.

La sénatrice Osler : J’ai une question à vous poser à tous les deux. J’aimerais connaître votre avis sur la réglementation. Vous avez soulevé des questions concernant la confiance que la réglementation doit inspirer et la manière dont elle doit être établie. Le paragraphe 11(2) traite des critères et des différents degrés de ces critères. Je ne l’ai pas sous les yeux. Le comité s’est fait dire qu’il faut garantir ou recommander la définition des handicaps la plus inclusive possible. Nous avons entendu parler de handicaps épisodiques, de problèmes de santé mentale et de handicaps invisibles. J’aimerais savoir si vous pensez qu’il y a des risques d’exclure des personnes en fonction des définitions du handicap, des critères d’inclusion et des critères d’admissibilité.

Mme Scott : Honnêtement, je pense que la définition du handicap est l’un des éléments les plus délicats du projet de loi et de la conception finale du programme. Je comprends parfaitement qu’ils aient adopté, à juste titre, la définition initialement adoptée dans la Loi canadienne sur l’accessibilité, dont je sais qu’elle bénéficie du soutien de la communauté des personnes handicapées. Cette communauté a participé activement à l’élaboration de cette norme.

Si vous réfléchissez à la façon dont ce programme évoluera, il est très probable qu’il s’étendra à des personnes handicapées qui bénéficient actuellement de programmes qui leur sont destinés, mais dont les définitions sont divergentes. En effet, j’ai appris un jour qu’il existe 30 définitions différentes de l’invalidité pour les divers programmes fédéraux, provinciaux et territoriaux destinés aux personnes handicapées à l’heure actuelle. Nous sommes dans une situation où il est probable que l’évolution de ce programme inclura des personnes qui sont actuellement incluses, qui s’ajouteront, et il y aura des conflits. Le problème que vous soulevez est de savoir qui sera laissé pour compte. Nous savons que les appels concernant des personnes handicapées représentent la majeure partie des affaires devant les tribunaux des droits de la personne, ainsi que pour l’accès à l’aide sociale, par exemple. De nombreuses personnes handicapées sont exclues précisément parce qu’elles ne répondent pas à des définitions étroites. Il est difficile d’imaginer un processus où ce problème ne se poserait pas. J’espère que l’expérience de la collaboration avec les personnes handicapées sera essentielle à la création d’une définition aussi complète que possible qui pourra être intégrée dans la réglementation.

Je crois que notre compréhension a évolué. J’ai mentionné la Prestation canadienne d’urgence, qui a été une approche intéressante à bien des égards, mais sa portée était très étendue. Elle l’était assez pour inclure les personnes qui n’avaient pas habituellement accès à un soutien social ou n’y auraient pas eu accès. Elle ne ciblait pas les personnes handicapées, mais elle ciblait les situations dans lesquelles elles se trouvaient ou leurs emplois souvent marginalisés, entre autres. L’idée d’adopter une vaste perspective qui permet d’inclure les gens est un principe très important à intégrer dans la conception de cette prestation. Je ne pense pas qu’il soit possible de dire que tous les types de handicaps seront pris en compte. Vous ne serez pas en mesure de faire une analyse minutieuse de tous les handicaps. Je pense que c’est un exercice futile. Vous pouvez adopter une approche globale, vous appuyer sur les programmes existants, tirer des leçons et, je l’espère, élaborer un meilleur ensemble de règlements qui ciblent davantage de personnes dans le besoin.

Me Merdzan : Je pense que la définition de « handicap » qui figure actuellement dans le projet de loi C-22 — celle que donne la Loi canadienne sur l’accessibilité — est un excellent point de départ. Si nous avons proposé l’amendement relatif à l’admissibilité automatique, c’est en partie parce que cette définition est très large et qu’elle pourrait inclure un grand nombre de programmes déjà en place pour les personnes handicapées. Je pense que c’est l’avis de la communauté. Je pense que cette définition a été élaborée en collaboration avec la communauté et qu’elle devrait être celle qui sert à définir les personnes admissibles à cette prestation.

L’idée derrière le deuxième amendement proposé sur l’admissibilité automatique est de faire en sorte que les gens n’aient pas à remplir à nouveau des formulaires pour prouver qu’ils répondent à cette définition, s’ils l’ont déjà fait pour d’autres prestations. Les personnes qui ont déjà prouvé leur handicap à quelqu’un peuvent bénéficier immédiatement de la prestation d’invalidité du Canada. Il est important que les gens n’aient pas à surmonter les obstacles liés aux relations avec le gouvernement et à la surveillance exercée sur les bénéficiaires de l’aide sociale.

La sénatrice McPhedran : J’ai deux courtes questions à poser. La première s’adresse à Me Merdzan. Je vous remercie beaucoup de votre mémoire. Il est très bon de savoir qu’il y a une collaboration entre de nombreux experts en matière de droit des personnes handicapées. Concernant l’amendement relatif aux appels, estimez-vous que la création d’un tout nouveau tribunal soit la seule option possible? Est-ce que vous pourriez voir les gains d’efficacité potentiels, s’il était possible de créer un mandat ou d’ajouter au mandat d’un tribunal existant qui repose sur une infrastructure existante? Il faut bien sûr reconnaître que cela relève de chaque province.

Me Merdzan : C’est une excellente question. Merci, sénatrice McPhedran.

Je pense que nous parlons d’un tribunal général parce que nous ne voulons pas imposer ce que devrait être le tribunal. Cela doit faire l’objet d’une discussion avec les personnes handicapées. Si elles sont satisfaites du tribunal actuel et qu’elles veulent passer par ce tribunal, il faut en discuter avec elles comme d’une option. Si elles pensent que le tribunal actuel ne compte pas assez de personnes ayant une expérience vécue du handicap ou de personnes qui comprennent les handicaps alors qu’elles prennent les décisions concernant leur handicap, leur droit aux prestations de réduction de la pauvreté ou leur capacité de se payer à manger le lendemain, elles devraient être impliquées dans le processus visant à déterminer qui devrait leur dire si elles sont handicapées ou non. C’est ce qu’il y a de bien avec un tribunal. Il est possible de créer un tribunal, d’y nommer des personnes et de former ce tribunal à ces différents éléments. C’était l’intention derrière ce processus, par opposition au choix d’un tribunal particulier.

La sénatrice McPhedran : Si la négociation visait à étendre le mandat d’un tribunal existant disposant déjà de l’infrastructure nécessaire, vous n’y seriez pas opposé?

Me Merdzan : Nous n’y serions pas opposés, car cela permettrait au moins d’améliorer le mécanisme d’appel qui figure actuellement dans le projet de loi et d’éviter les décisions judiciaires. Il est essentiel que les pauvres ne soient pas obligés d’aller en justice, car cela coûte cher et demande beaucoup de ressources. Un tribunal serait préférable. Par ailleurs, le tribunal possède une plus grande expertise en matière de parties non représentées, car de nombreuses personnes doivent se représenter elles-mêmes.

La sénatrice McPhedran : Je vous remercie de votre réflexion à ce sujet. Je suis tout à fait d’accord avec vous pour dire que ce genre de mécanismes se trouve essentiellement dans les lois. Ils ne sont pas créés par la réglementation.

Madame Scott, j’ai noté avec intérêt que vous faisiez référence chaque fois à « la » communauté des personnes handicapées. J’aimerais que vous précisiez si, d’après vous, toutes les organisations et tous les défenseurs qui composent la très diverse communauté des personnes handicapées au Canada souhaitent que ce projet de loi soit adopté sans modifications. C’est apparemment le message que vous nous transmettez aujourd’hui.

Mme Scott : Je vous remercie de votre question.

En effet, la communauté des personnes handicapées est composée d’une grande diversité de personnes. J’ai utilisé ce terme comme raccourci. Il y a manifestement des divergences d’opinions. Je note que de nombreuses organisations de premier plan telles qu’Inclusion Canada et RAFH Canada, ou Réseau d’action des femmes handicapées du Canada, ont pris position. Elles nous ont bien sûr influencées et nous avons travaillé avec elles. Leur point de vue sur la question et leurs conseils sur l’impératif politique de faire avancer rapidement ce projet de loi dans le contexte économique et politique actuel ont eu une influence sur nous. Il est vrai que cette position ne fait pas l’unanimité, et c’est ce que je comprends à la lecture de tous les mémoires qui ont été présentés. J’espère n’avoir induit personne en erreur en donnant à penser le contraire.

La sénatrice McPhedran : Étant donné que, malheureusement, ce comité ne compte aucun membre autochtone, j’aimerais savoir si l’un d’entre vous souhaite aborder la question du fardeau disproportionné qui pèse sur les personnes autochtones vivant avec un handicap, ainsi que la question plus générale des personnes racisées ou de diverses identités de genre.

Me Merdzan : Je me ferai un plaisir d’en parler.

Si l’on considère les prestations en général, le taux d’utilisation est faible chez les Autochtones. La vérificatrice générale a constaté qu’en 2017, le taux de recours à la Prestation canadienne pour enfants était de 79 % pour les familles autochtones admissibles vivant dans les réserves, contre 97 % pour l’ensemble de la population canadienne. En ce qui concerne l’identification au sein des communautés autochtones, en raison de la rafle des années 1960, beaucoup de leurs membres n’ont pas les pièces d’identité dont ils ont besoin pour fournir des preuves ou recevoir certains documents d’identité.

Quant aux sans-abri, il est souvent presque impossible de les approcher. Si vous avez quelqu’un qui peut rejoindre cette communauté... J’ai un exemple. Une infirmière qui travaillait directement au sein de la communauté, ce qui est nécessaire pour rencontrer les gens là où ils se trouvent et travailler avec eux, n’a pas réussi à inscrire ses clients au Programme de soutien aux personnes handicapées de l’Ontario. La raison est qu’elle est infirmière et qu’elle n’est pas considérée comme une professionnelle de la santé d’un niveau suffisamment élevé pour être admissible à ce programme.

Vous dressez des obstacles et vous placez les gens dans une situation où ils ne sont pas en mesure d’accéder à des prestations qui ont été conçues pour eux. Il en va de même pour de nombreuses autres communautés que vous avez mentionnées. Ce sont simplement celles qui me viennent à l’esprit en ce moment.

La sénatrice McPhedran : Je vous remercie.

Mme Scott : Je suis tout à fait d’accord avec Me Merdzan.

Je pense qu’il est essentiel d’impliquer les communautés autochtones dans l’élaboration d’une prestation qui servira leurs membres. Il est évident que les Canadiens autochtones bénéficient déjà de prestations de la part des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux. À l’échelle provinciale, les gouvernements autochtones participent souvent de manière active à la prestation de l’aide sociale au sein des réserves. Les gouvernements autochtones doivent participer aux négociations pour s’assurer qu’ils ne sont pas seulement impliqués dans l’élaboration de l’aide aux Canadiens autochtones handicapés, mais aussi dans la mise en place concrète des programmes. J’abonde dans le même sens que Me Merdzan, et je pense qu’une telle collaboration doit être prioritaire pour la phase de conception de la prestation.

La sénatrice McPhedran : Espérons-le.

Mme Scott : Oui.

La présidente : Je vous remercie.

La sénatrice Bernard : Comme la sénatrice McPhedran a déjà posé au moins deux des questions que j’avais moi-même prévu de poser, je n’ai plus d’autres questions.

La présidente : En temps normal, la présidence n’a pas l’occasion de poser des questions, mais j’en ai une pour vous.

Ma question relève probablement aussi de la phase réglementaire, mais j’aimerais tout de même avoir votre avis sur l’enjeu des actifs. Comment le gouvernement devrait-il — en fait, devrait-il même — prendre en considération le patrimoine détenu par une personne handicapée, son conjoint ou d’autres membres de sa famille lorsqu’il évalue l’admissibilité à une prestation?

Mme Scott : Je n’y avais pas songé.

Me Merdzan : Je serai heureux de répondre à cette question.

J’interprète votre question comme étant à deux volets. D’abord, est-il préférable de subordonner la prestation au revenu d’une personne plutôt que sur ses ressources financières? Ensuite, faut-il prendre compte du revenu personnel ou du revenu familial?

La présidente : C’est exact.

Me Merdzan : Nous pensons qu’il est préférable d’évaluer le revenu d’une personne plutôt que ses ressources financières. Une personne peut avoir reçu un héritage, et tout le processus qui en découle est complexe et laborieux. À notre avis, l’évaluation des revenus est généralement le meilleur moyen de garantir que les prestations soient versées tant en fonction de l’expérience vécue par la personne que dans la situation dans laquelle elle se trouve actuellement.

Je crois également que la prestation devrait être versée selon le revenu personnel d’une personne, et non selon le revenu familial. D’excellentes discussions ont eu lieu au sein du comité, au cours desquelles des personnes ont rapporté leurs expériences en matière de prestations familiales et des préjudices que cela peut engendrer. Je peux vous en dire plus à ce sujet en m’appuyant sur ma propre expérience de travail auprès de clients.

Je travaille en collaboration avec le Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées, le POSPH, et avec le programme Ontario au travail. Beaucoup de mes clients ont des aidants naturels, lesquels ne font pas partie de l’unité qui reçoit des prestations familiales. Le gouvernement suppose par défaut que l’aidant naturel est un conjoint, et donc que le bénéficiaire lui ment en prétendant qu’il n’est pas dans une relation conjugale. C’est au prestataire de démontrer que l’aidant naturel n’est pas son conjoint. On lui pose alors des questions indiscrètes concernant ses revenus et le montant de ses autres aides, ainsi que sur les moyens financiers de l’aidant naturel. On demande parfois au prestataire du POSPH si l’aidant habite avec lui et on déduit alors les revenus de location du montant de sa prestation, malgré le fait qu’il s’agit peut-être de la seule façon dont il puisse payer l’aidant.

En ce qui concerne les prestations versées selon le revenu familial, j’ai été témoin de situations problématiques. Par exemple, il arrive que le prestataire soit victime de violence conjugale et ne puisse pas échapper à cette relation, car cela se traduirait par la perte de son revenu familial.

À mon avis, tous ces exemples montrent que le versement d’une prestation fondée sur la situation familiale n’est pas aussi efficace que si seule la situation personnelle est prise en compte.

Mme Scott : Je suis tout à fait d’accord. Vous avez très bien résumé la situation.

Nos propres travaux indiquent que les prestations devraient être versées selon un critère individuel plutôt que familial, et ce, précisément pour les raisons exposées par Me Merdzan. Les preuves sont là. Des féministes et des économistes se penchent depuis des décennies sur les conséquences négatives qui découlent de la structure actuelle des allocations familiales pour les femmes fuyant la violence.

Nous sommes donc tous favorables à évaluer la situation individuelle du prestataire plutôt que d’évaluer ses actifs et ses moyens financiers. Je me demande même s’il existe une prestation fédérale similaire qui se fonde sur l’évaluation des ressources financières du prestataire. Ce n’est tout simplement pas approprié, et je dirais que c’est également très problématique au niveau provincial et territorial.

Nous plaidons vigoureusement en faveur d’une prestation fondée sur le revenu et qui cible les personnes les plus démunies. Cette prestation devrait encourager l’autonomie des individus dans le besoin, étant donné que son objectif est de les sortir de la pauvreté et de faciliter leur pleine participation à la société.

La sénatrice Petitclerc : J’ai une petite question, et je ne suis pas certaine si vous y avez réfléchi. D’une part, je suis consciente que la ministre a travaillé d’arrache-pied et nous a promis une loi très prometteuse pour bientôt. D’autre part, le projet de loi lui-même n’est pas très prescriptif en matière d’échéancier. L’article 14 stipule que la loi entrera en vigueur au plus tard au premier anniversaire de la date de la sanction royale, mais il indique également que les greffiers parlementaires devront rendre compte de l’état d’avancement des règlements dans les six mois. La sénatrice McPhedran disait que la communauté des personnes handicapées est diversifiée, et que certains de ses membres ont rapporté qu’ils craignent d’attendre une éternité avant de pouvoir recevoir leurs prestations.

Que pensez-vous de cette situation? Les personnes handicapées devraient-elles s’en préoccuper? Un changement de gouvernement pourrait-il signifier la mort au Feuilleton de ce projet de loi?

Mme Scott : Pour être honnête, je pense que tout changement de gouvernement entraîne un risque réel qu’un projet de loi ne soit finalement pas adopté. J’ai conscience que ce processus particulier comporte des risques importants. Je reconnais également que le cadre législatif n’est pas particulièrement prescriptif. Il s’agit d’un rapport au Parlement sur les progrès réalisés, et non un rapport final sur les résultats qui doivent être obtenus selon un échéancier fixe.

Je pense qu’il est probable que le projet de loi suive un développement progressif échelonné et modulaire, et qu’un groupe de personnes bien défini aura droit à des prestations relevant de la compétence fédérale. Il est difficile de fixer un échéancier pour ce genre de prestations, mais je sais qu’il est essentiel que les personnes handicapées puissent en bénéficier dans les plus brefs délais.

Je suis d’accord pour dire que ce processus comporte beaucoup de risques. Je pense que, de manière réaliste, nous pourrions assister à un déploiement progressif des prestations en question.

Me Merdzan : Je pense que Mme Scott a bien saisi l’essence du problème. Nous ne savons pas exactement comment se déroulent les négociations entourant les dispositions de récupération, n’est-ce pas? Nous sommes encore dans le noir à ce sujet et nous ignorons combien de temps prendra le processus. Même si le projet de loi comporte plusieurs exigences en matière de délais, nous ne savons toujours pas s’il verra le jour éventuellement. En effet, la ministre a déclaré qu’elle ne continuerait pas à aller de l’avant avec ce projet de loi si les provinces et les territoires mettent en place des mécanismes de récupération des montants pour les prestations. Nous sommes donc obligés de demeurer en attente.

La présidente : Je tiens à remercier tous nos témoins de s’être déplacés en personne pour nous aider à trouver des solutions, même si je soupçonne que beaucoup d’entre vous se sentent pris entre le marteau et l’enclume.

Chers collègues, nous poursuivrons notre étude du projet de loi C-22 lors de notre prochaine séance, le mercredi 26 avril, à 16 heures. Je remercie encore les témoins de nous avoir fait part de leurs précieux conseils.

(La séance est levée.)

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