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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES SOCIALES, DES SCIENCES ET DE LA TECHNOLOGIE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 27 avril 2023

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd’hui, à 11 h 1 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi C-22, Loi visant à réduire la pauvreté et à renforcer la sécurité financière des personnes handicapées par l’établissement de la prestation canadienne pour les personnes handicapées et apportant une modification corrélative à la Loi de l’impôt sur le revenu.

La sénatrice Ratna Omidvar (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : J’aimerais d’abord souhaiter la bienvenue aux membres du comité et à nos témoins. Tout d’abord, je m’excuse pour le retard d’hier. Certaines choses échappent au contrôle du comité. Et je tiens également à souhaiter la bienvenue au public qui regarde nos délibérations.

Je m’appelle Ratna Omidvar et je suis sénatrice de l’Ontario et présidente du comité. Nous allons commencer par inviter les sénateurs à se présenter.

La sénatrice Bovey : Bienvenue. Je m’appelle Patricia Bovey, sénatrice du Manitoba.

La sénatrice Burey : Sharon Burey, sénatrice de l’Ontario.

La sénatrice Bernard : Wanda Thomas Bernard, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice McPhedran : Marylou McPhedran, du Manitoba.

[Français]

La sénatrice Petitclerc : Chantal Petitclerc, division sénatoriale de Grandville, au Québec.

[Traduction]

La sénatrice Dasko : Donna Dasko, sénatrice de l’Ontario.

La sénatrice Lankin : Frances Lankin, sénatrice de l’Ontario.

La sénatrice Seidman : Judith Seidman, de Montréal, au Québec.

La sénatrice Osler : Gigi Osler, du Manitoba.

Le sénateur Kutcher : Stan Kutcher, de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Cotter : Je suis Brent Cotter, sénateur de la Saskatchewan, et parrain du projet de loi. Je ne suis pas membre du comité.

La présidente : Bienvenue à tous.

Aujourd’hui, notre comité poursuit son étude du projet de loi C-22, Loi visant à réduire la pauvreté et à renforcer la sécurité financière des personnes handicapées par l’établissement de la prestation canadienne pour les personnes handicapées et apportant une modification corrélative à la Loi de l’impôt sur le revenu.

J’aimerais prendre un moment pour rappeler à ceux qui participent à la réunion d’aujourd’hui, ainsi qu’à ceux qui regardent les délibérations en personne et par vidéoconférence, que le comité a pris des mesures pour permettre la pleine participation de tous les témoins et du public dans le contexte et l’examen du projet de loi C-22. Dans le cadre de la planification de réunions inclusives et accessibles, le comité a pris des dispositions pour assurer une interprétation en langue des signes américaine et québécoise pour les témoins qui comparaissent en personne et pour les personnes présentes dans le public. L’interprétation gestuelle sera intégrée à l’enregistrement vidéo archivé des débats, qui sera disponible ultérieurement sur ParlVU par l’intermédiaire du site Web du comité.

Enfin, si un membre du public a besoin d’aide à un moment ou à un autre, il est prié de le signaler à l’un des pages ou à la greffière du comité.

Nous accueillons aujourd’hui en personne Me Steven Muller, vice-président des litiges, Share Lawyers; Me Hart Schwartz, professeur associé, Osgoode Hall Law School, Université York; et Neil Hetherington, chef de la direction, Daily Bread Food Bank. Merci beaucoup de vous joindre à nous aujourd’hui. Encore une fois, nous vous présentons à nouveau nos excuses pour ce changement de date.

Avant de commencer, j’aimerais demander aux membres et aux témoins présents dans la pièce d’éviter de se pencher trop près du microphone ou, ce faisant, d’enlever leur écouteur. Ils préviendront ainsi une réaction acoustique dangereuse pour le personnel du comité qui est sur place.

Je rappelle aux témoins que chaque organisation dispose de cinq minutes pour les déclarations liminaires, qui seront suivies par les questions des sénateurs. Me Muller et Me Schwartz ont accepté de partager leur temps.

Me Steven Muller, vice-président des litiges, Share Lawyers, à titre personnel : Merci, mesdames et messieurs les sénateurs. Je m’appelle Steven Muller et je suis vice-président chez Share Lawyers dans le domaine des prestations d’invalidité à long terme, et ce, depuis 25 ans. Mon collègue, Hart Schwartz et moi sommes honorés de comparaître à titre de témoins dans le cadre de l’étude du projet de loi C-22. Je reconnais que je m’adresse à vous à partir du territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin anishinabe.

J’exerce dans le domaine des prestations d’invalidité à long terme depuis 25 ans. Hart Schwartz est professeur adjoint de droit à la Osgoode Hall Law School et a récemment pris sa retraite après une carrière de 35 ans en tant qu’avocat à la direction générale du droit constitutionnel du ministère du Procureur général de l’Ontario.

Nous appuyons l’objectif de la nouvelle prestation pour les personnes handicapées, à savoir réduire la pauvreté et soutenir la sécurité financière des personnes handicapées. Le projet de loi C-22 a été décrit comme étant un changement que l’on ne voit qu’une seule fois par génération. Cela étant dit, nous croyons que ce moment historique sera éclipsé par le fait que le montant de la nouvelle prestation sera compensé ou déduit du montant des prestations d’invalidité à long terme.

Le problème est le suivant : les prestations d’invalidité à long terme au Canada font partie intégrante du filet de sécurité sociale qui protège nos voisins et nos travailleurs lorsqu’ils vivent des moments cruels. De nombreux travailleurs, syndiqués ou non, cols blancs ou cols bleus, sont protégés par une police d’invalidité collective, un contrat de services de gestion seulement ou une fiducie de santé et de bien-être. Ces contrats indiquent que les prestations d’invalidité seront amputées des montants provenant d’autres sources de revenus pour la même invalidité ou une invalidité connexe. L’une de ces sources correspond aux « régimes gouvernementaux » ou aux « programmes gouvernementaux ». Ces contrats ne font pas de distinction selon la caractérisation de l’invalidité. Le libellé du contrat permet de compenser ou de déduire ces « prestations sociales » ou ces « prestations liées aux revenus ».

L’article 9 du projet de loi C-22 n’aborde pas la question de la compensation ou de la déduction dans les cas d’invalidité à long terme.

Les assureurs privés compensent déjà le montant reçu au titre des prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada. Si l’on ajoute cette nouvelle prestation pour les personnes handicapées, le gouvernement deviendra alors le payeur principal de la prestation d’invalidité à long terme. À défaut d’interdire aux assureurs privés de déduire ou de compenser le montant reçu, les bénéficiaires visés par la Prestation canadienne pour les personnes handicapées ne recevront aucune prestation supplémentaire.

L’objectif du nouveau programme fédéral serait donc compromis.

Parlons maintenant de la solution. Le dicton veut que la politique soit « l’art du possible ». Il y a effectivement une solution possible dans le cas qui nous occupe. Nous proposons un amendement mineur à l’article 9 pour garantir que la nouvelle prestation soit versée à la personne handicapée. Il faut se rappeler que l’article 9 est la seule disposition du projet de loi qui traite de la déduction ou de la compensation. Nous demandons au Sénat d’ajouter une dizaine de mots à l’alinéa 9c), à savoir « aux termes d’un contrat, d’un régime d’assurance ou d’un autre instrument semblable ».

Cet amendement ferait en sorte qu’il serait impossible pour une personne d’invoquer un contrat, une entente, un régime d’assurance privé ou un autre instrument semblable pour déduire la nouvelle prestation pour les personnes handicapées reçue par un bénéficiaire.

Me Hart Schwartz, professeur adjoint, Osgoode Hall Law School, Université York, à titre personnel : L’amendement proposé serait constitutionnel. Le projet de loi C-22 relève du pouvoir fédéral de dépenser. Tout comme le Parlement peut déterminer qui recevra la prestation, il peut aussi décider qui ne pourra pas la recevoir, soit directement, soit indirectement.

L’amendement que nous proposons d’apporter à l’alinéa 9c) pourrait aussi s’appuyer sur la doctrine des pouvoirs accessoires. Cette doctrine permet aux lois fédérales de se répercuter sur les droits en matière de droit privé lorsque cela se révèle nécessaire pour atteindre l’objectif du régime fédéral. En effet, le but du programme fédéral serait complètement compromis par ces compensations, et la personne handicapée ne recevrait aucun supplément. Comment peut-on parler de prestation supplémentaire si elle ne peut pas être supplémentaire?

Les lois fédérales peuvent se répercuter sur les contrats privés au besoin. Par exemple, dans l’arrêt relatif à la Loi sur la non-discrimination génétique, la Cour suprême du Canada a confirmé une loi fédérale qui a commencé au Sénat et qui interdisait les contrats de maternité de substitution à des fins lucratives; tout ce qui peut être fourni, ce sont les dépenses, pas d’indemnisation. Cela a été confirmé par la Cour suprême du Canada. C’est quelque chose qui s’est répercuté sur l’industrie de l’assurance. La Loi sur la non-discrimination génétique est une autre loi. Les compagnies d’assurances ne peuvent pas vous demander si vous avez subi un test génétique. Elles ne peuvent pas vous demander si vous avez subi un test et quels en ont été les résultats. Cela touche au cœur du contrat, mais la loi a été maintenue, car elle était nécessaire pour que le système fédéral atteigne son objectif.

L’amendement proposé n’est pas sans précédent. La ministre a dit qu’elle n’arrivait pas à trouver d’exemples similaires, mais nous en avons trouvé un : la Loi sur l’indemnisation des marins marchands. Elle est jointe en annexe aux exposés. Elle constitue un exemple manifeste d’une prestation fédérale excluant toute compensation et toute récupération. En effet, cela réfute aussi l’argument qu’un régime de prestations fédéral ne puisse se répercuter sur les contrats privés. Si nous pouvons exclure les récupérations de la Loi sur l’indemnisation des marins marchands, il est certainement dans l’intérêt des Canadiens d’exclure toute compensation et toute récupération pour les personnes handicapées moins nanties visées par le projet de loi C-22.

Enfin, le Cabinet ne peut pas prendre de règlement pour interdire les compensations et les récupérations. L’article 11 du projet de loi traite de la forme, mais pas du pouvoir d’interdire les compensations. Même si la loi était modifiée pour créer de tels pouvoirs par règlement, elle ne permettrait pas de garantir que le Cabinet interdise effectivement les compensations ou qu’un Cabinet futur n’élimine cette protection.

Me Muller : La solution de rechange pour le ministre serait de collaborer avec chaque province et chaque territoire pour les convaincre de modifier leurs lois provinciales et ainsi empêcher ces compensations. C’est une mauvaise idée. Le concept juridique d’invalidité à long terme est très complexe et nuancé. Chacune des provinces a des lois distinctes en matière d’assurances. Les régimes collectifs peuvent relever d’articles de loi différents. Les contrats de services de gestion seulement ne relèvent pas du tout des lois sur les assurances; il s’agit purement de contrats privés entre l’employeur et l’employé. Les fiducies de santé et de bien-être peuvent relever des lois provinciales sur les assurances, mais peuvent aussi être autofinancées et ne pas relever des lois sur les assurances. Les dispositions des régimes collectifs, des contrats de service de gestion seulement et des fiducies de santé et de bien-être peuvent être incorporées dans des ententes collectives. Le grand nombre de lois et de contrats privés que les provinces devraient accepter de modifier afin de protéger l’intégrité du programme fédéral ferait en sorte que cette avenue ne serait ni pratique ni réalisable.

Nous appuyons également l’amendement de dissuasion proposée par l’Alliance de la Loi sur l’accessibilité pour les personnes handicapées de l’Ontario. Toute personne touchant la prestation par l’entremise d’un contrat, d’une entente, d’un régime d’assurance privé ou de tout autre instrument similaire devrait être obligée par la loi de la remettre au bénéficiaire handicapé.

Comme nous l’avons démontré, la proposition de l’industrie de l’assurance, qui affirme que le projet de loi crée une prestation sociale, ne fonctionne pas sur le plan contractuel. La proposition du gouvernement fédéral voulant que ce dernier tente de négocier des protocoles d’entente nécessiterait la modification d’au minimum une dizaine de lois provinciales et de nombreuses modifications des ententes collectives, ce qui est peu probable et irréalisable. Certains travailleurs handicapés seront laissés pour compte.

Alors que la COVID tire à sa fin, les Canadiens sont las de laisser leurs voisins de côté. De nombreux groupes de personnes handicapées ayant témoigné devant le comité sénatorial ont indiqué que ce n’est pas ce qu’ils souhaitent. Bien sûr, nous voulons tous que le projet de loi C-22 soit adopté rapidement par le Parlement. Toutefois, nous ne voulons pas que ce moment historique soit gâché. Nous pouvons adopter un amendement mineur qui permettra de protéger les bénéficiaires visés par le projet de loi C-22. Les fonds du gouvernement ne devraient pas se retrouver dans les poches des assureurs privés. Les contribuables canadiens n’ont pas à appuyer indirectement les assureurs privés par l’entremise du projet de loi. Nous pouvons, grâce à un amendement d’une dizaine de mots, protéger les personnes handicapées moins nanties de la génération actuelle et des générations futures.

Sénateurs et sénatrices, nous devons modifier dès maintenant ce projet de loi sur l’invalidité. Je vous remercie.

La présidente : Merci beaucoup, maître Muller et maître Schwartz.

Neil Hetherington, chef de la direction, Daily Bread Food Bank : Bonjour et merci, sénateurs et sénatrices, de me fournir cette occasion. Je m’appelle Neil Hetherington et j’ai l’incroyable privilège de représenter la Daily Bread Food Bank, la plus importante banque alimentaire du Canada établie à Toronto.

Notre vision est simple. Nous voulons nous assurer que le droit de chacun à l’alimentation se concrétise, et aujourd’hui, malheureusement, nous sommes loin de cela. Daily Bread est un fier membre de la coalition Defend Disability, un groupe composé de personnes ayant une expérience de handicap et de pauvreté et des personnes qui les accompagnent dans cette aventure.

Je tiens d’abord à reconnaître que je ne serai pas bénéficiaire de la prestation canadienne pour les personnes handicapées. Je n’ai pas de handicap et j’ai la chance d’avoir un salaire qui me permet de répondre à mes besoins. Je le reconnais, parce qu’il est essentiel que le comité accorde la priorité aux voix des personnes handicapées dans l’étude du projet de loi C-22. Ces voix sont claires. Le projet de loi C-22 est une occasion historique de réduire et même d’éliminer la pauvreté chez les personnes handicapées. Le Sénat doit agir rapidement. Les amendements potentiels font l’objet d’un certain débat. Toutefois, ce débat est éclipsé par un alignement clair sur les principes directeurs fondamentaux du projet de loi, qui sont les bons.

L’année dernière, plus de 2 millions de visites ont été enregistrées dans les banques alimentaires de Toronto seulement. À Daily Bread, alors que nous servions 60 000 clients par mois, nous en servons maintenant 270 000 par mois. Près de la moitié des clients que nous servons se désignent comme ayant un handicap ou un problème de santé chronique. Un client de banque alimentaire sur quatre a signalé que son handicap justifie son besoin d’accéder à la banque alimentaire. Notre rapport de recherche annuel Who’s Hungry montre que les clients des banques alimentaires qui sont handicapés sont en proie à une plus grande insécurité alimentaire que les clients non handicapés. Il est frappant de constater qu’au Canada, un client de banque alimentaire sur trois souffrant d’un handicap a déclaré avoir faim au moins un jour par semaine.

Je vais citer l’un de nos clients qui a un handicap :

Je prends un ou deux repas par jour. Je n’ai pas les moyens d’en prendre trois. Sans la banque alimentaire, je ne pourrais pas m’en sortir, je passerais de huit à dix jours par mois sans manger. Les aliments sont chers, et comme j’ai une déficience visuelle et physique, je n’ai pas d’autre choix que le taxi pour revenir de l’épicerie. Ça me coûte 20 dollars chaque fois que je vais faire mes courses.

Si troublant que cela puisse paraître d’entendre cette personne avoir de la difficulté à se payer de la nourriture, les nécessités les plus élémentaires, il ne faut pas non plus s’étonner que les personnes handicapées au Canada sont plus susceptibles de vivre dans la pauvreté, de faire face à l’insécurité alimentaire, d’être confrontées à des obstacles à l’emploi et de ne pas disposer d’un logement abordable et accessible. Nous le constatons chaque jour. Chaque jour, nous voyons que la mosaïque actuelle des programmes sociaux qui apportent un certain soutien au revenu aux personnes handicapées ne suffisent pas, c’est le moins que l’on puisse dire.

Un client de banque alimentaire sur quatre à Toronto dépend du Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées, qui, même s’il a reçu une augmentation de 5 % cette année, laisse encore les bénéficiaires 900 $ sous le seuil de la pauvreté chaque mois. Les personnes handicapées sont contraintes par la loi de vivre dans la pauvreté, ce qui est tout simplement inacceptable. Mais il y a de l’espoir : la prestation canadienne pour les personnes handicapées a la possibilité de corriger le tir et de permettre au Canada de répondre enfin à ses obligations en vertu de la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées. Lorsque je dis que la prestation canadienne pour les personnes handicapées offre une possibilité, c’est parce que le projet de loi ne nous apprend que très peu de choses sur la conception ou la prestation, car beaucoup de choses ont été laissées au règlement.

Quatre considérations principales n’ont pas été définies dans le projet de loi. Premièrement, bien que le projet de loi mentionne l’établissement du montant de la prestation qui correspond au seuil de pauvreté officiel, il n’y a pas de seuil minimum prévu par la loi. Pour atteindre l’objectif double du projet de loi de réduire la pauvreté et de favoriser la stabilité financière, il est essentiel que la prestation soit adéquate afin de sortir les Canadiens handicapés de la pauvreté et qu’elle reflète les coûts supplémentaires associés au fait de vivre avec un handicap.

La deuxième est l’admissibilité. Pour réduire les obstacles à l’accès, les personnes bénéficiant de mesures de soutien aux personnes handicapées, y compris le crédit d’impôt pour personnes handicapées et les programmes d’aide sociale provinciaux, devraient être automatiquement admissibles.

Troisièmement, le projet de loi ne stipule pas précisément que les provinces et les assureurs privés ne devraient pas récupérer ces prestations, comme on en a discuté récemment.

Enfin, le projet de loi ne comprend actuellement aucun mécanisme d’appel législatif. Les personnes jugées non admissibles à la prestation devraient avoir le droit de contester cette décision dans le cadre d’un processus de règlement des litiges indépendant, accessible, transparent et opportun. Malgré ces limites, nous reconnaissons l’importance du projet de loi afin que l’élaboration du règlement puisse commencer et que les fonds soient acheminés aux personnes qui en ont besoin.

Nous sommes heureux de voir un engagement dans la loi à l’égard d’une collaboration véritable avec les personnes handicapées et de la cocréation de ce règlement.

On me demande souvent si j’ai encore espoir, compte tenu du nombre croissant d’utilisateurs des banques alimentaires dans la ville que je sers et du pays dans son ensemble. La réponse est oui, je garde espoir. J’ai bon espoir en raison d’occasions comme celles-ci. J’ai bon espoir que la prestation canadienne pour les personnes handicapées puisse éliminer la pauvreté chez les personnes handicapées. Profitons de ce moment historique. Je vous remercie.

La présidente : Merci, monsieur Hetherington, maître Schwartz, maître Muller.

Nous allons maintenant passer aux questions. Sénateurs et sénatrices, je vous rappelle que vous avez quatre minutes pour vos questions et vos réponses. La salle est pleine aujourd’hui. Les témoins peuvent soumettre des réponses supplémentaires par écrit. Chers collègues, veuillez indiquer si votre question s’adresse à l’un ou à l’ensemble des témoins. Cela nous aidera. De plus, je vous demande de bien vouloir vous nommer.

La première question s’adresse à Me Muller : avez-vous été consulté durant la conception du projet de loi? Avez-vous comparu devant le comité de la Chambre?

Me Muller : Non et non. J’ai pris connaissance du projet de loi à la fin de décembre. J’ai reçu une baladodiffusion de l’Osgoode Hall Law School. Je l’ai écoutée. Je me suis dit : « Oh mon Dieu, ils vont ruiner les prestations d’invalidité de longue durée. »

J’ai écrit un courriel au cabinet de la ministre Qualtrough et reçu une réponse qui disait que si ce n’est pas dans sa circonscription, je ne recevrai pas de réponse.

Dix jours plus tard, en janvier, j’ai reçu un courriel de responsables des politiques du cabinet de la ministre Qualtrough. Je leur ai demandé une copie du projet de loi. Je l’ai lu. J’ai dit : « Vous savez que nous devons le modifier? Il y a un problème. » Ils ont dit qu’ils voulaient me rencontrer.

J’ai rencontré trois responsables des politiques à la mi-janvier. Je les ai renseignés sur ce que je fais, l’invalidité à long terme 101. Ils avaient l’air pris de court. Ils n’avaient aucune idée. Nous avons parlé d’invalidité à long terme. À la toute fin, j’ai dit : « Personne n’a parlé de l’invalidité à long terme? » Eh bien, il y avait un mémoire de l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes. J’ai dit : « Puis-je avoir ce mémoire? » Ils me l’ont envoyé.

J’ai ensuite rallié mon village, j’ai invité Hart Schwartz à participer. J’ai fait appel à des personnes qui se soucient des personnes handicapées. J’ai continué.

Depuis, j’ai envoyé un amendement aux responsables des politiques. Ils m’ont dit : « Vous savez que le projet s’en va en troisième lecture, puis au Sénat. Vous pouvez parler aux sénateurs de vos préoccupations. » Donc, me voici.

J’ai donné la semaine dernière mes notes d’allocution aux responsables des politiques du cabinet de la ministre Qualtrough. Je n’ai pas eu de communication en retour. Je les ai invités à me parler. Personne ne m’a répondu depuis.

Oui, j’ai fait de la mobilisation. Les Trial Lawyers Associations du Canada, toutes les associations dans notre pays, se sont ralliées à nos exposés. Cela fait beaucoup d’avocats. Trois avocats ne sont jamais d’accord sur rien. Toutes les associations des avocats de première instance du Canada ont accepté mes propositions.

La présidente : Merci, maître Muller.

La sénatrice Bovey : Merci à tous. Je comprends. Vous savez que nous avons été confrontés à un dilemme. Des personnes sont venues devant notre comité pour nous dire : « Adoptez cette loi immédiatement. Nous avons besoin d’argent. S’il vous plaît, trouvez-nous de l’argent. Nous nous méfions du temps qu’il faudra pour les amendements. Nous craignons qu’il y ait des élections et que tout soit perdu. Il vaut mieux avoir ce que nous savons que nous aurons que rien du tout. »

Ensuite, nous avons entendu des gens nous dire : « Vous devez apporter les amendements, car nous avons besoin de la garantie des dispositions dans la loi plutôt que dans le règlement. »

Vous savez que j’ai été très préoccupée au sujet des récupérations. Je suis dans une province où le gouvernement provincial procède à de nombreuses récupérations. J’aimerais savoir ce que vous en pensez.

Pouvez-vous nous aider à résoudre ce casse-tête dans lequel nous nous trouvons? Comment trouver un équilibre entre « Vous devez le faire maintenant » et « Vous devez inscrire ces dispositions dans la loi »? Si vous pouviez tous creuser un peu plus, je vous en serais reconnaissante.

Me Schwartz : C’est pourquoi nous proposons une dizaine de mots pour que le libellé demeure direct et simple. La réalité, c’est que si la ministre conclut des protocoles d’entente avec les compagnies d’assurance, ce n’est pas un contrat entre la personne handicapée et sa compagnie d’assurance. Leur contrat l’emporte sur n’importe quel protocole d’entente.

Bien sûr, la personne handicapée devrait savoir qu’il existe un protocole d’entente et demander à le faire appliquer, ce qui n’est souvent pas le cas. Le contrat l’emporte sur le protocole d’entente, mais une loi l’emporte toujours sur un contrat.

C’est pourquoi nous pensons qu’il est impossible de négocier avec les provinces, non seulement en ce qui concerne leurs programmes d’invalidité — le Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées, l’indemnisation des accidentés du travail — mais aussi avec les compagnies d’assurance, car nous pensons qu’il s’agit d’une tâche gigantesque et qu’elle n’est pas réaliste. Il est plus facile d’ajouter une dizaine de mots au projet de loi.

La sénatrice Bovey : Monsieur Hetherington, je me demande si vous pouvez ajouter quelque chose, de votre point de vue et de celui de vos clients?

M. Hetherington : Vous êtes dans une position difficile, sénatrice Bovey. Nous savons empiriquement que ces prestations doivent être versées immédiatement. À la banque alimentaire, nous sommes à un point de rupture. C’est absolument nécessaire.

Je ne suis pas qualifié pour dire dans quelle mesure un amendement peut être adopté. Je sais que d’autres personnes plus qualifiées peuvent en parler. S’il s’agit d’une dizaine de mots, je ne suis pas sûr des défis que cela posera en ce qui concerne la rapidité.

Je peux vous parler du besoin, de l’urgence, que nous ressentons à la banque alimentaire.

La sénatrice Bovey : Nous avons beaucoup entendu dire qu’il s’agit d’un projet de loi que l’on ne voit qu’une fois par génération. Nous avons également entendu des gens dire que l’un des aspects positifs du projet de loi, c’est qu’il permet à une personne de déménager d’une province à une autre si elle doit être avec sa famille sans perdre la prestation. Si elles changent de province, elles perdent autrement du temps pour recevoir les prestations. Pouvez-vous me répondre à ce sujet, s’il vous plaît? Est-ce l’un des véritables avantages du projet de loi?

Me Schwartz : Ce n’est pas un avantage si les assureurs privés de tout le pays, dans différentes provinces, peuvent compenser le montant, de sorte que, en fait, vous ne recevez aucune prestation d’invalidité. Comme nous l’avons dit, le pouvoir réglementaire ne permet pas au Cabinet de régler ce problème. Cela doit être fait par une loi.

La sénatrice Seidman : Je vous remercie de votre présence et de votre exposé très convaincant. Je dois dire que je suis très perplexe. J’aimerais revenir sur la séquence des événements et sur votre raisonnement.

Alors que vous nous présentiez des déclarations très affirmatives, selon lesquelles l’objectif du nouveau programme fédéral serait complètement compromis par cette loi, ma question était la suivante : « D’accord, pouvons-nous obtenir cela des organismes de réglementation? » Ensuite, vous avez répondu rapidement à cette question en disant que non, à cause de l’article 11 du projet de loi, nous ne pouvons pas obtenir cela des organismes de réglementation.

Je me suis alors demandé si la ministre pouvait faire quelque chose. Vous avez rétorqué que non, la ministre ne peut rien faire, parce qu’il y a un réseau de lois provinciales et territoriales très complexes qui vont entraver cela et le rendre très compliqué, ce qui, soit dit en passant, est le même problème pour les récupérations provinciales, n’est-ce pas? Nous sommes tous préoccupés par les récupérations provinciales également.

Ma question est la suivante : pourquoi pensez-vous que le projet de loi a été conçu de cette façon, même s’il s’agit d’un projet de loi-cadre, qui est très minimaliste? Pourquoi cela serait‑il oublié? J’essaie de comprendre cela.

Me Muller : Nous devons modifier le projet de loi. À l’heure actuelle, nous avons une conséquence imprévue. En ce moment, nous sommes à un moment charnière où nous apportons une conséquence voulue. Nous excluons un groupe important de personnes.

Le projet de loi C-22 a été conçu comme un programme de grande envergure. Mais 53 % des employés ont accès à des prestations d’invalidité de longue durée au Canada. En 2021, 8,8 milliards de dollars ont été versés en prestations d’invalidité de longue durée. Les prestations d’invalidité de longue durée représentent environ 20 % des dépenses totales de prestations. Environ 25 % des dépenses totales sont consacrées à l’aide sociale provinciale avec la détermination de l’invalidité par les provinces. Selon le rapport de l’Organisation de coopération et de développement économiques, 25 % sont consacrés aux indemnités provinciales d’accident du travail. De nombreuses personnes bénéficiant de prestations d’invalidité de longue durée reçoivent des montants modestes, et elles vont être laissées pour compte. Les gens passent d’un programme provincial à l’autre. Ils bénéficient des programmes provinciaux et commencent à travailler, puis quelque chose d’autre arrive, et ils se retrouvent en invalidité de longue durée, et ils vont être laissés pour compte.

Essentiellement, nous avons un bateau, et il coule. La ministre Qualtrough a colmaté le bateau. C’est très bien, mais ce faisant, elle a créé un autre trou. Elle utilise des ciseaux pour remplir ce trou, mais nous avons besoin d’une rustine.

La sénatrice Seidman : Je viens du Québec. Je sais que la loi est différente au Québec par rapport au reste du pays, alors j’aimerais que vous m’aidiez à comprendre. Est-ce que la recommandation que vous faites, fondée sur la doctrine des pouvoirs accessoires, s’appliquerait aussi au Québec?

Me Schwartz : Oui, la doctrine des pouvoirs accessoires s’applique partout au Canada. L’exemple que j’ai donné de la Loi sur la non-discrimination génétique s’applique certainement aux contrats qui seraient couverts par le Code civil du Québec.

La sénatrice Seidman : En plus de la loi fédérale sur l’indemnisation des marins marchands, que vous avez citée comme exemple de ce qui se passe déjà?

Me Schwartz : Oui.

La sénatrice Seidman : C’est aussi au Québec?

Me Schwartz : C’est une loi fédérale, qui s’applique partout au Canada.

La sénatrice Seidman : Mais cela s’applique de la même manière. La loi est différente au Québec, c’est ce qui me préoccupe.

Me Schwartz : C’est exact.

La sénatrice Osler : Ma question s’adresse à Me Muller et à Me Schwartz. Merci beaucoup de votre témoignage.

J’essaie d’avoir une idée du nombre de Canadiens qui pourraient être touchés maintenant ou à l’avenir si l’amendement que vous recommandez n’est pas adopté. Pouvez-vous donner un aperçu au comité? Quel pourcentage de Canadiens handicapés reçoivent actuellement des prestations d’invalidité de longue durée d’un assureur privé? D’après votre expérience, pensez-vous que ce serait un nombre statique? Pensez-vous que le nombre de Canadiens recevant des prestations d’invalidité de longue durée augmentera à l’avenir?

Me Muller : Il conviendrait probablement davantage de poser cette question à l’Association canadienne des compagnies d’assurance de personnes, ou l’ACCAP, qui sera ici la semaine prochaine. Cependant, je vais vous répondre dans une certaine mesure.

L’industrie de l’assurance se plaint de l’augmentation des paiements, des coûts et du nombre de personnes handicapées à long terme. Les employeurs se plaignent du fait que leurs primes augmentent. Nous savons, d’après ce que j’ai mentionné il y a un instant, que le rapport de l’OCDE d’il y a environ 10 ans indiquait que 20 % des dépenses totales étaient consacrées à l’invalidité de longue durée. Mais voici le hic, et le comité devrait vraiment en être conscient : cela touche aussi les accidents de la route, car en Ontario, vous recevez 1 600 $ par mois. Cela affecte — nous avons des clients qui ont des limites de 2 000 $ ou 1 500 $, et ce, sans preuve.

C’est ce qui va finir par arriver. Vous pourriez vous retrouver avec une prestation d’invalidité de longue durée de 1 500 $ ou 2 000 $, et vous finissez avec un ajustement au coût de la vie. La prestation peut s’élever à 2 500 $, et la personne a 2 000 $. Elle peut être handicapée et appauvrie, et elle dit à sa compagnie d’assurance : « Je ne vais pas bien. » On lui dira de demander la prestation canadienne pour les personnes handicapées, et elle recevra 500 $. Ensuite, elle reçoit 1 000 $ de plus du programme d’invalidité du RPC. Puis, la compagnie d’assurance est responsable de verser seulement 500 $, et le gouvernement du Canada devient le principal payeur de l’assurance.

Nous sommes en train de détruire les programmes d’invalidité de longue durée au Canada. Lorsque les assureurs finissent par laisser de côté l’évaluation des risques et pour concentrer leurs efforts sur le fait que les demandeurs reçoivent de l’argent de sources fédérales, cela crée des abus importants et un déséquilibre de pouvoirs dans le système. Ce que nous avons effectivement, en ce moment, avec le projet de loi C-22, ce sont des problèmes d’accès à la justice, de protection des consommateurs et de déséquilibre des pouvoirs. Nous devons nous attaquer à cela. C’est très important, et nous devons amender le projet de loi maintenant.

La sénatrice Petitclerc : Merci beaucoup d’être ici aujourd’hui. J’avais des questions pour les deux témoins, mais, maître Muller, vous avez donné des réponses très exhaustives. Merci, sénatrice Seidman, de la question. Je pense que cela m’a été très utile.

Je vais vous poser ma question, monsieur Hetherington. L’une de mes préoccupations est que le projet de loi C-22 n’est pas normatif en ce sens qu’il respecte le seuil de pauvreté. Il y est indiqué qu’il faut tenir compte du seuil de pauvreté ou du panier de consommation. Tous les témoins ont été très clairs sur le fait que ce n’est pas suffisant lorsqu’on est une personne handicapée. Même votre document mentionne que le montant doit être supérieur d’au moins 30 % à la mesure du panier de consommation.

J’ai entendu quelque chose de très intéressant. Quelqu’un a dit — et je crois que c’est vrai — que le fait d’utiliser une mesure générale comme le panier de consommation et de l’appliquer aux personnes handicapées est, en fait, une bonne définition du capacitisme. Je pense que cela m’a vraiment interpellée.

Ma question est la suivante : le libellé devrait-il être plus fort? Suffit-il que nous demandions que le projet de loi exige seulement que l’on tienne compte, ou devrait-il être plus fort?

M. Hetherington : Bien sûr, il serait avantageux d’avoir un libellé plus fort. Nous nous heurtons aux mêmes difficultés, soit de le renvoyer sans amendement et de ne pas acheminer les fonds aux personnes qui y ont droit. À la Daily Bread Food Bank, nous avons recommandé la mesure du marché plus 30 %, pour tenir compte de l’augmentation des coûts. Mais c’est le même dilemme.

La sénatrice Petitclerc : Il vaudrait mieux que...

M. Hetherington : Ce serait préférable.

La sénatrice Petitclerc : Merci de la précision.

Je pense que je n’ai plus de questions pour l’instant.

La sénatrice Lankin : J’ai une question pour chacun d’entre vous, donc je vais être très brève, et je vous demanderais une réponse vraiment brève.

Notre bureau a travaillé sur un certain nombre d’amendements potentiels. Je pense que, en tant que comité, nous allons discuter du plus grand dilemme : l’absence d’amendements et l’entrée en vigueur rapide par opposition à des amendements.

L’un des amendements, maître Muller, porte sur l’article 9 concernant les contrats d’assurance. Notre amendement contient neuf mots — tous contenus dans vos 10 mots, et ceux qui manquent sont « régime d’assurance privé ». Il se lirait comme suit : « ne peut être recouvrée ou retenue, en tout ou partie, aux termes d’un contrat, d’un régime d’assurance ou d’un autre instrument semblable. »

L’omission du mot « privé » entraînera-t-elle des conséquences imprévues ou l’inclusion du mot « privé » est-elle susceptible de créer des conséquences imprévues? Vous pouvez répondre plus tard par écrit si vous le souhaitez.

Me Muller : Je pense que j’ajouterais en fait « compensation » dans l’amendement, si on enlève « privé », et dirais simplement « régime d’assurance ». Mais « régime d’assurance » — en effet, ma préoccupation est le régime d’assurance privé par opposition au régime d’assurance public, mais si vous parlez des régimes d’assurance en général, nous allons pouvoir éviter l’indemnisation des accidents du travail, et la perte non économique en Ontario devient un problème. Si nous insérons le mot « compensation », cela protégera la responsabilité civile. Si on veille à avoir un régime d’assurance, on va finir par couvrir l’invalidité de longue durée collective.

Les contrats de services de gestion seulement, les contrats de SGS...

La sénatrice Lankin : Je vous demanderais de bien vouloir nous soumettre le reste de ce texte dans un courriel, car nous allons manquer de temps.

Maître Schwartz, vous avez mentionné que l’article 9 était inconstitutionnel. Deux des amendements sur lesquels nous travaillons — l’un se trouve à l’article 8, en ce qui concerne les récupérations par les provinces, et l’autre, à l’article 9, en ce qui concerne les récupérations par des organismes fédéraux — ne le permettent nulle part.

Voyez-vous un problème constitutionnel, maître Schwartz, advenant qu’un amendement dise que la ministre peut conclure des ententes avec les provinces, et cetera, qui interdisent à la province, au ministère ou aux organismes de récupérer éventuellement, en tout ou en partie, une prestation au titre de ce projet de loi? Y voyez-vous des problèmes constitutionnels ou de partage des compétences?

Me Schwartz : Non. Au cours de mes 35 années au ministère du Procureur général, nous avons vu de nombreux cas d’ententes fédérales-provinciales comme celle-là, qu’il s’agisse de quotas de pêche ou de la Loi canadienne sur la santé. Ce genre d’arrangements se produit tout le temps. En fait, cela est conforme au fédéralisme coopératif, qui, selon la Cour suprême du Canada, est la voie que nous suivons maintenant dans la jurisprudence, par opposition à l’ancienne approche des compartiments étanches.

Je pense donc que ces ententes seraient parfaitement constitutionnelles.

La sénatrice Lankin : D’accord, merci.

Monsieur Hetherington, vous avez parlé du pourcentage de personnes qui reçoivent de l’aide de la banque alimentaire qui déclarent avoir un handicap, et du fait que le handicap est la principale raison pour laquelle elles doivent utiliser la banque alimentaire. Ce nombre était de 50 %, je pense. Vous avez également parlé d’une augmentation stupéfiante du nombre de personnes qui se présentent à la banque. Est-ce après la pandémie? Est-ce que l’augmentation du coût de la vie...

La présidente : Désolée, mais nous devons régler la question d’une manière ou d’une autre.

La sénatrice Lankin : La prochaine fois, prévenez-moi du temps qu’il me reste lorsque je poserai la question.

La présidente : Veuillez m’excuser.

Le sénateur Kutcher : Ma question aurait été parfaitement opportune pour la sénatrice Lankin, alors je vais continuer dans la même veine.

La COVID longue est qualifiée d’événement de détérioration généralisée, le nombre prévu d’invalidités à long terme attribuables à la COVID longue augmentant de façon spectaculaire. Nous ne connaissons pas l’ampleur à ce stade-ci, car nous n’en avons pas fini avec la COVID longue; nous commençons à peine à voir les résultats maintenant.

Diriez-vous que, en tant que comité, nous devrions nous préoccuper de l’augmentation du nombre d’invalidités de longue durée en raison de cette pandémie, ce dont le projet de loi n’a peut-être pas tenu compte?

Me Muller : Merci, sénateur Kutcher. Je reçois des cas de COVID longue. Je pratique, comme je l’ai dit, depuis 25 ans. J’ai représenté environ 1 800 clients au Canada, et je représente des clients en Ontario et en Colombie-Britannique. Je dirais que la pandémie a été incroyablement difficile pour les clients atteints de fibromyalgie, de fatigue chronique, de COVID longue et de problèmes de santé mentale. Ces personnes souffrent vraiment. Leur enlever... et ne pas leur donner le supplément qu’elles devraient recevoir est vraiment problématique.

Le sénateur Kutcher : Pourriez-vous dire si l’impact de la COVID longue sur l’augmentation des demandes de prestations d’invalidité de longue durée au pays sera important et si le projet de loi doit en tenir compte?

Me Muller : Lorsque vous parlez aux trois grandes compagnies d’assurance, leurs demandes d’indemnisation ont augmenté. Elles augmentent en raison de la COVID longue; les compagnies s’en plaignent. Elles sont submergées et font face à beaucoup de poursuites. Beaucoup de gens voient leur demande refusée. C’est un vrai problème.

Le sénateur Kutcher : Merci beaucoup.

J’ai une dernière question rapidement. Vous nous avez dit que tous vos collègues souscrivent à votre amendement. Je suis impressionné d’entendre cela. Mais si nous devions avoir l’ancien doyen d’une Faculté de droit ici au comité et qu’il vous confiait la tâche de plaider contre votre propre amendement, que diriez-vous? Quel serait votre argument contre l’amendement?

Me Muller : Parlons-en. La ministre Qualtrough a déclaré que l’industrie de l’assurance parle d’une prestation sociale. Alors, qu’a dit l’industrie? Le 15 novembre 2022, elle a défini l’allocation canadienne comme une prestation sociale, puisque l’objectif est de sortir les Canadiens de la pauvreté. De cette façon, la prestation ne constituera pas un flux de revenu, et moins de programmes de soutien du revenu — on ne dit pas aucun — viendront en réduire le montant.

Le 17 mars 2023, les représentants utilisent le même libellé.

Quand une compagnie d’assurance ou une industrie dit « moins », cela ne veut rien dire. Cela signifie qu’il va y avoir compensation. Deux des trois grandes compagnies d’assurance au Canada ont un libellé dans leur police qui annulerait ce libellé.

Si je me suis trompé et que toutes les associations d’avocats plaidants du Canada se sont trompées et que l’industrie de l’assurance a raison, ce n’est manifestement pas clair ni certain, et nous n’avons pas réglé la question. Si nous proposons l’amendement, l’affaire devient claire et certaine, et la question sera réglée.

Le sénateur Kutcher : Merci beaucoup.

La sénatrice Burey : Merci beaucoup. C’est tout simplement un honneur d’être ici dans une salle où des Canadiens travaillent si fort ensemble pour trouver des solutions.

Mes collègues se sont penchés sur la question des récupérations, et vous nous avez donné de bons renseignements parce que c’est quelque chose qui revient énormément. En médecine, il arrive souvent qu’on examine des choses qu’on ne connaît pas. J’utilise donc la même approche pour passer à la partie suivante : avons-nous assez d’argent pour sortir les personnes handicapées de la pauvreté? Vous en avez parlé, monsieur Hetherington.

Maintenant, en utilisant la même question pour ce qui est d’inscrire réellement quelque chose dans le projet de loi plutôt que de l’établir par voie de règlement ou de le modifier par des pouvoirs ministériels, est-ce que le seuil de pauvreté et l’utilisation du panier de consommation, sans modificateur... devrait-on l’inscrire dans le projet de loi lui-même, ou est-ce quelque chose que nous pourrions changer par voie de règlement. Devrions-nous nous exprimer par voie de règlement, comme cela a été suggéré, ou prévoir un pouvoir ministériel? Est-ce une situation semblable à celle des compagnies d’assurance? Nous voulons veiller à avoir assez d’argent pour les personnes handicapées.

Me Schwartz : Pourrais-je obtenir des éclaircissements à propos de votre question? Est-ce que la récupération peut figurer dans le règlement ou...

La sénatrice Burey : Pas la récupération — le montant que les gens pourront obtenir. Cela dit vraiment qu’il faut tenir compte de la mesure du panier de consommation. Peut-être que M. Hetherington, vous n’êtes pas avocat...

M. Hetherington : Non, je ne le suis pas.

La sénatrice Burey : ... mais est-ce quelque chose que nous pouvons régler au moyen d’un règlement ou d’un pouvoir ministériel, ou devons-nous l’inclure dans le projet de loi — quelque chose de plus normatif?

M. Hetherington : Comme on l’a dit au sénateur, il serait préférable de faire cela.

Vous avez demandé si nous avions assez d’argent. Lorsque vous avez posé cette question pour la première fois, j’ai cru que vous demandiez si, à l’échelle nationale, nous avions assez d’argent pour pouvoir faire cela. D’un point de vue économique, nous savons que la pauvreté coûte 33 milliards de dollars rien qu’en Ontario. Il est incroyablement coûteux de continuer avec le système actuel, qui laisse les gens si loin derrière. Nous devons faire cet investissement.

Pour répondre à la question précédente de la sénatrice Lankin, nos chiffres indiquent que nous sommes passés d’environ 60 000 clients par mois à 120 000 au début de la pandémie, et maintenant, nous en avons 270 000 par mois, et rien n’indique que le ratio de personnes handicapées ait changé de 2020 à 2023.

Me Muller : J’ajouterai un commentaire. Nous devons à nos enfants et à nos petits-enfants, qui pourraient contracter la maladie de Parkinson, la sclérose en plaques ou le cancer et s’appauvrir, de veiller à ce que l’argent ne sorte pas du système et aille aux compagnies d’assurance alors qu’il peut être versé aux personnes handicapées et aux pauvres.

Oui, si vous mettez un montant, ou du moins que la mesure est rattachée à un certain montant — mais je pense que, à mesure que le coût de la vie augmente dans la facture, lorsque nous ajoutons le coût de la vie, cela aura de plus en plus une incidence sur les personnes qui reçoivent des prestations d’invalidité de longue durée si nous ne réglons pas la question.

La présidente : Merci beaucoup.

La sénatrice Bernard : Certaines de mes questions ont été posées, et on y a répondu, donc c’est bien. J’ai une question, qui s’adresse à vous, monsieur Hetherington.

J’aimerais vous demander quelles sont vos statistiques sur l’utilisation de la banque alimentaire. Vous avez dit que 50 % des utilisateurs sont des personnes handicapées. Avez-vous d’autres données désagrégées qui nous permettraient de déterminer combien de ces personnes pourraient avoir plus de 65 ans?

Une des préoccupations que plusieurs témoins différents ont soulevées à maintes reprises est que le projet de loi se limite aux personnes en âge de travailler et que l’âge de travailler maximal est 65 ans.

M. Hetherington : Nous avons ces données. Est-ce que je pourrais les soumettre au comité?

La sénatrice Bernard : Ce serait très utile. Merci.

La sénatrice Dasko : Merci, chers témoins, d’être ici. On a répondu à certaines de mes questions, mais je ne comprends pas très bien la proposition que vous avez présentée.

Le comité est très préoccupé par les récupérations. Nous avons questionné de nombreux témoins à propos des récupérations. Nous comprenons que le gouvernement fédéral, la ministre, négociera avec les provinces. Jusqu’à présent, nous nous sommes beaucoup concentrés sur les récupérations potentielles des aides des gouvernements provinciaux, mais, bien sûr, il s’agit d’un aspect important, soit les récupérations des compagnies d’assurance. Vous avez expliqué la façon dont cela pourrait fonctionner.

Maître Schwartz, vous le présentez dans le contexte du fédéralisme coopératif, et il semble pourtant que l’amendement donnerait compétence au niveau fédéral à cet égard, si je vous lis bien, théoriquement ou potentiellement. Y a-t-il une possibilité de contestation judiciaire, disons, si l’amendement était inclus dans le projet de loi? Les compagnies d’assurance pourraient‑elles dire : « Ce n’est pas une bonne idée. Ce n’est pas vraiment votre champ de compétence. » Est-ce une possibilité?

Me Schwartz : C’est une excellente question. Oui, bien sûr, c’est une possibilité. En fait, l’industrie de l’assurance est très procédurière, comme Me Muller peut en témoigner, et peut vouloir la compensation.

Quand j’ai parlé tout à l’heure du fédéralisme coopératif par opposition aux compartiments étanches, je parlais de l’évolution globale du droit constitutionnel. Pendant la Dépression, le Parlement a adopté la Loi sur l’assistance chômage. Le Conseil privé d’Angleterre l’a invalidée et a déclaré : « L’assurance est une responsabilité provinciale. Vous ne pouvez pas vous en occuper. »

Nous avons vu une évolution et un changement radical dans ce domaine, où les tribunaux cherchent, autant que possible, à trouver un moyen pour que les deux systèmes fonctionnent ensemble.

Notre amendement ne change pas la nature du projet de loi. L’essence même du projet de loi est de fournir une prestation supplémentaire pour aider les personnes handicapées à sortir de la pauvreté. Notre amendement a un impact secondaire, un impact accessoire, sur l’industrie de l’assurance.

L’industrie de l’assurance peut dire : « Nos primes vont augmenter. » Les compagnies ne peuvent pas vraiment le faire. C’est une nouvelle prestation. Leurs primes actuelles sont fondées sur les programmes sociaux existants, l’indemnisation des accidents du travail, la Loi sur le Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées, et cetera. Cela n’a donc pas vraiment d’incidence sur leur résultat net pour le moment. Ce serait un avantage supplémentaire pour eux s’ils pouvaient également compenser ce montant.

Quand je parle de fédéralisme coopératif, je parle de tendance. Nous l’avons vu avec la Loi sur la non-discrimination génétique.

Il s’agit d’un cas intéressant parce que le gouvernement lui‑même a dit : « Nous ne pouvons pas entraver le travail des compagnies d’assurance. » Le Sénat a dit : « Non. Nous présentons le projet de loi. » Il y a eu un vote libre au Parlement. Le vote libre a été en faveur de la législation. Il a été contesté. Le procureur général du Canada a fait quelque chose de très inhabituel, d’après mon expérience. Il a contesté la constitutionnalité du projet de loi qui a été déposé au Sénat, et la Cour suprême du Canada s’est prononcée en déclarant : « Bien sûr, le gouvernement fédéral peut effectuer cette petite partie du contrat d’assurance et dire “vous ne pouvez pas demander à une personne de fournir ses antécédents génétiques”. »

Le sénateur Arnot : Ma question s’adresse à M. Hetherington. Monsieur, vous avez mentionné que la conception ou la prestation se trouve dans le règlement, et vous ne pouvez pas vraiment faire de commentaires à ce sujet parce que vous ne l’avez pas vu.

Comment concevriez-vous la prestation? Fait plus important encore, de quelle contribution la société civile a-t-elle besoin et de quel mécanisme disposez-vous pour vous présenter à ceux qui élaboreront réellement la prestation? Cela me semble être l’une des caractéristiques les plus saillantes de tout ce travail, vous devez donc être là.

De même, que peut faire le Sénat pour veiller à ce que la question soit réglée?

Vous avez mentionné l’absence de processus d’appel. C’est évidemment une lacune. Il doit y avoir un accès facile pour faire appel. À mon avis, cela devrait se trouver dans le sommaire. Il devrait y avoir une assistance pour les personnes qui ont besoin d’aide pour faire appel. Les motifs du refus d’un appel ou d’une réduction de toute prestation doivent être consignés par écrit. Ce sont mes commentaires généraux.

Je me demande ce que vous pourriez dire à propos de tout cela. Que peut faire le comité pour veiller à ce que ce soit fait correctement?

M. Hetherington : Je dirais que je suivrais vos conseils. En ce qui concerne la conception, je souscris à tout ce que vous avez dit. J’ajouterais que le règlement ne devrait pas être conçu par nous. Ce règlement devrait être conçu en cocréation, comme l’a promis la ministre. Je pense que c’est précieux.

Vous examinez ces quatre considérations pour vous assurer qu’il y a un processus d’appel, qu’il est accessible et que vous l’utilisez comme une occasion de mettre en commun l’information entre la province et l’Agence du revenu du Canada, de sorte que l’enregistrement est automatique et que la prestation va de l’avant. Donc, l’admissibilité, et puis, enfin, ce dont nous avons parlé à quelques reprises quant au montant minimal, et ce montant minimal étant le panier de consommation et la prise en considération des coûts supplémentaires que doivent assumer les personnes handicapées.

La présidente : Le sénateur Arnot m’a accordé une minute, et j’aimerais poser une question soit à Me Muller, soit à Me Schwartz, et vous pourrez nous répondre par écrit.

Nous avons devant nous un mémoire de l’Association canadienne des compagnies d’assurance de personnes. L’association recommande que la prestation canadienne d’invalidité soit définie comme une prestation sociale. Ainsi, cela permettrait de se prémunir contre les compensations.

Me Muller : Les observations écrites que j’ai déjà transmises au comité sénatorial contiennent le libellé utilisé par deux des trois plus grandes compagnies d’assurance, et ce libellé relèverait d’une disposition de déduction ou de compensation. Le « régime gouvernemental » ou « programme gouvernemental » est répertorié dans les documents de deux des trois principales compagnies d’assurance.

Quand je demande à mes collègues qui sont avocats de la défense, ils disent : « Bien sûr, ce sera visé par un régime ou un programme du gouvernement. » J’ai demandé aux médiateurs, et ils disent : « Oui. Bien sûr, ce sera le cas. »

L’ACCAP, qui comparaîtra ici la semaine prochaine, dira qu’elle représente 95 ou 99 % de l’industrie. Les services administratifs seulement, ou contrats de SGS, sont des contrats qui ne relèvent pas de l’ACCAP. Loblaws a un contrat de SGS, l’Université de Toronto aussi. IBM a un contrat de services de gestion seulement. Costco en a un depuis deux ans. Bell, la Ville de Toronto, la Ville d’Ottawa, OC Transpo...

La présidente : Merci, maître Muller. Vous nous avez convaincus.

Me Schwartz : Ce qui importe, sénateur, c’est que le fait d’appeler cela une prestation sociale ne changera rien au fait qu’elle peut être compensée.

La présidente : Merci beaucoup à vous trois. Sachez que nous apprécions la sagesse dont vous nous avez fait profiter dans notre étude de ce projet de loi.

Chers collègues, nous allons commencer notre étude du projet de loi C-22. Pour notre deuxième groupe de témoins, nous accueillons en personne Robert Lattanzio, directeur général, ARCH Disability Law Centre, et Vince Calderhead, avocat chez Pink Larkin. Merci beaucoup à vous deux d’être avec nous en personne aujourd’hui. Je vous invite maintenant à faire des remarques liminaires. Je vous rappelle que vous disposez de cinq minutes pour des déclarations liminaires suivies de questions de nos membres. Monsieur Lattanzio, la parole est à vous.

Robert Lattanzio, directeur général, ARCH Disability Law Centre : Merci. Bonjour, madame la présidente et honorables membres du comité.

Je reconnais que je suis ici sur le territoire non cédé des peuples algonquins anishinabes.

Je suis reconnaissant de l’occasion de comparaître devant vous au sujet de votre étude du projet de loi C-22. Je m’appelle Robert Lattanzio. Je suis directeur général d’ARCH Disability Law Centre, aussi appelé ARCH. ARCH est une clinique juridique spécialisée dont la pratique est axée exclusivement sur les droits des personnes handicapées. Nos clients sont des personnes handicapées qui vivent dans la pauvreté et subissent souvent une discrimination intersectionnelle. Depuis sa constitution en société en 1979, ARCH a travaillé aux côtés de groupes de défense des droits des personnes handicapées et de personnes handicapées sur un large éventail de questions juridiques.

Le comité a entendu de nombreux témoignages sur le besoin urgent de la prestation canadienne pour personnes handicapées en raison de la pauvreté profonde et disproportionnée à laquelle les personnes handicapées sont confrontées. La pandémie, la hausse du coût de la vie, la libéralisation de l’aide médicale à mourir et le manque de soutien essentiel pour les personnes handicapées ajoutent à l’urgence et au besoin de la prestation.

Nous saluons donc les efforts déployés pour reconnaître cette terrible réalité et le leadership de la ministre Qualtrough à cet égard.

Cependant, en tant qu’avocats qui travaillent en étroite collaboration avec des personnes handicapées vivant dans la pauvreté partout en Ontario, il nous incombe d’exprimer notre préoccupation face aux lacunes de ce projet de loi et à la façon dont ces lacunes peuvent gravement entraver l’élaboration d’un règlement en temps opportun et la réception des prestations.

Il est évident que le projet de loi nécessite des amendements pour atteindre son objectif déclaré visant à réduire la pauvreté des personnes handicapées. Nous sommes conscients que ce projet de loi constitue une loi-cadre et que la plupart des détails de la prestation seront élaborés dans le règlement. Toutefois, le Sénat peut faire des amendements et devrait le faire en vue d’inclure, au moins, certains droits de la personne et des objectifs axés sur le processus dans le projet de loi. Ces amendements permettront d’établir un cadre qui reflète, du moins en partie, les progrès réalisés par les communautés des personnes handicapées pour s’affirmer comme détenteurs de droits dans la législation nationale et internationale sur les droits de la personne.

Nous avons fourni un mémoire écrit au comité avec un libellé spécifique concernant les amendements. Je me concentrerai aujourd’hui sur quatre amendements qui ne peuvent être déposés que par voie législative. Je tiens vraiment à le préciser. Ces amendements faciliteront l’élaboration du règlement, réduiront les retards afin de garantir que les personnes qui en ont le plus besoin reçoivent les prestations le plus rapidement possible et ne contourneront pas la participation des communautés de personnes handicapées au processus d’élaboration du règlement.

Premièrement, l’entrée en vigueur de ce projet de loi a un impact direct et important sur la manière dont les prestations seront versées rapidement à ceux qui en ont besoin. Il existe une lacune technique dans l’article 14, tel qu’il est rédigé présentement. Conformément à la Loi d’interprétation, j’interpréterais cette partie comme si le projet de loi entrait en vigueur après la sanction royale. C’est précisément ce que nous et nos communautés demandons, mais la formulation de cet article est ambiguë. Nous craignons que cette ambiguïté ne cause un retard. Nous imaginons qu’un amendement visant à corriger cette lacune de l’article 14 pourrait être proposé, et nous souhaitons formuler une mise en garde : tout amendement proposé ne devrait en aucun cas retarder l’entrée en vigueur de la loi après la sanction royale.

Deuxièmement, le projet de loi doit permettre que les personnes qui reçoivent déjà des mesures de soutien du revenu liées à un handicap soient automatiquement admissibles. Un amendement est nécessaire pour exiger l’élaboration d’un règlement sur cette question. Nous devons éviter les processus et les obstacles administratifs inutiles et contraignants, et ne pas exiger des personnes handicapées qu’elles « prouvent de nouveau » leur handicap.

Troisièmement, le projet de loi doit préciser que les prestations ne seront pas suspendues en raison des retards dans certaines négociations concernant un accord de « non-récupération » par les gouvernements fédéral, provinciaux ou territoriaux. Nous soutenons tous les efforts visant à garantir qu’il n’y aura pas de récupération des prestations, et nous venons d’avoir cette discussion. Cependant, nous craignons de plus en plus que ces négociations ne retardent ou ne bloquent injustement le versement des prestations pour les habitants des provinces ou des territoires qui ont déjà conclu un accord.

Quatrièmement, le projet de loi doit inclure un droit d’appel devant un tribunal. L’amendement prolongé est tout à fait standard et laisse les détails aux responsables de l’élaboration du règlement. L’accès à la justice est un droit fondamental de la personne.

Les amendements proposés guideront le processus d’élaboration du règlement, fourniront des protections fondées sur les droits et faciliteront les prestations...

La présidente : Merci beaucoup, monsieur Lattanzio. Je regrette, mais nous devons respecter nos délais.

Maître Calderhead?

Me Vince Calderhead, avocat, Pink Larkin, à titre personnel : Je vous remercie. Bon après-midi, madame la présidente et membres du comité.

J’aimerais simplement dire un mot au sujet de mes propres antécédents et de mon expertise dans ce domaine. En tant qu’avocat spécialisé en droits de la personne, je compte presque 40 années d’expérience dans des affaires touchant le soutien au revenu dans plusieurs provinces au Canada — des affaires d’aide sociale — et à l’international, aux Nations unies, devant les organes créés par traité, et je précise simplement avec quelques secondes de fierté, que j’ai réglé hier une affaire importante liée aux droits de la personne, qui avait été portée devant les organismes de défense des droits de la personne et la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse où elle a été débattue pendant 10 ans, au nom des personnes handicapées de la Nouvelle‑Écosse : leur droit de vivre dans la collectivité est désormais garanti.

Enfin, j’aimerais également mentionner que pendant 27 ans j’ai donné un cours intitulé « Droit des pauvres et droits de la personne », à la Faculté de droit Schulich de l’Université Dalhousie. Je ne peux m’empêcher de faire remarquer que la personne qui donnait ce cours avant moi était le sénateur Cotter, et c’est un plaisir de le voir ce matin.

Le sénateur Cotter : Je l’ai mal enseigné.

Me Calderhead : Les commentaires que je viens vous présenter concernent exclusivement l’article 11 du projet de loi modifié. J’appuie les arguments de M. Lattanzio et M. Lepofsky, qui témoignera plus tard. Je les soutiens, mais aujourd’hui, pour l’instant, je vais parler de l’article 11(1.1) du projet de loi modifié, celui qui s’intitule « Montant de la prestation ».

Actuellement, le projet de loi C-22 ne prévoit aucune disposition concernant un revenu adéquat. Il pourrait être question d’un dollar par mois en vertu de la réglementation. Ou bien un futur gouvernement — sinon le gouvernement actuel — pourrait fixer la prestation à ce montant, et le projet de loi ne prévoirait rien du tout à ce sujet.

Pourtant, en 2023, la Prestation canadienne pour les personnes handicapées ne peut pas laisser les gens dans la pauvreté. La ministre a dit que son intention avec ce projet de loi est de sortir les personnes handicapées de la pauvreté. Les obligations internationales en matière de droits de la personne exigent que le Canada garantisse le droit à un revenu adéquat en vertu de divers traités. Avec le présent projet de loi, il existe une occasion en or de franchir une magnifique nouvelle étape vers l’instauration d’un revenu annuel de base au Canada, qui permettra aux personnes handicapées de ne plus vivre dans la pauvreté.

De plus, permettez-moi d’aborder la question de la prétendue urgence. Certains témoins vous ont dit : « Ce projet de loi doit être adopté d’urgence, sans délai, pour que l’on commence à verser les fonds aux personnes handicapées. » C’est une préoccupation valide, manifestement, mais je soulève trois points que vous devez prendre en considération :

Bien que plusieurs témoins aient demandé un projet de loi rapide non modifié, certains d’entre eux ont exprimé le même message devant le comité de la Chambre des communes et, ironiquement, ils ont accueilli favorablement les amendements adoptés par le comité de la Chambre des communes. Ensuite, bon nombre de ces mêmes témoins ont déclaré, d’après les transcriptions, qu’ils voulaient que l’on mette un terme à la pauvreté des personnes handicapées, alors c’est en fait un message contradictoire de la part de certains groupes de défense des droits des personnes handicapées.

Et comme pour chaque groupe aspirant à l’égalité, il existe une diversité de points de vue. Il est simplement erroné de dire « les groupes de défense des droits des personnes handicapées disent ceci ou cela », alors que nous savons qu’il existe une diversité et un continuum d’opinions.

Or, il faut vraiment parler de l’objectif principal de ce retard. La ministre a déclaré que sa priorité était de s’assurer qu’il n’y ait pas de récupération. Ce n’est pas possible avec une loi émanant du gouvernement fédéral; il s’agit ici de questions d’aide sociale qui relèvent des provinces. L’absence de récupération sera réglée par des négociations, et ces négociations prendront beaucoup de temps.

Quelle est la pièce A à cet égard? Il s’agit du programme national des garderies. Chaque province a dû négocier un accord individuel. Par conséquent, il n’y a rien dans ce projet de loi qui permette de régler cette situation. Le retard sera attribuable non pas au processus législatif, mais au processus de négociation, qui devrait durer de nombreux mois, voire un an ou deux.

Enfin, permettez-moi de dire un mot au sujet de la proposition modifiée que j’ai remise aux membres du comité. À la fin de la page 3, elle comporte deux points principaux : présentement, le libellé modifié dit simplement que le Cabinet « doit tenir compte » du seuil de pauvreté. Cela exige que le Cabinet fasse quelque chose, mais dans ma proposition modifiée, j’ai insisté pour que le projet de loi soit modifié afin de renforcer l’engagement envers le seuil de la pauvreté, et j’ai proposé une formulation « compatible avec » ou « cohérente avec » le seuil de pauvreté.

La présidente : Je vous remercie, maître Calderhead. Je crois que vous avez fait valoir votre point, et il est temps pour mes collègues d’obtenir davantage de précisions.

Chers collègues, vous connaissez le déroulement, mais cette fois-ci, vous disposerez de cinq minutes chacun pour poser vos questions et entendre les réponses.

La sénatrice Bovey : Je vous remercie tous les deux de vos points de vue. Je ne répéterai pas la question que j’ai posée de nombreuses fois à propos des récupérations. Je vais plutôt la formuler de manière légèrement différente, si vous me le permettez.

Nous avons entendu parler dans notre séance précédente d’un amendement potentiel en ce qui concerne l’assurance, et aujourd’hui, monsieur Lattanzio, vous parliez de l’entrée en vigueur de la loi après la sanction royale. Si ce projet de loi était modifié selon les recommandations formulées au cours de notre précédente séance, seriez-vous d’accord pour qu’il puisse entrer en vigueur dès l’obtention de la sanction royale sans attendre l’élaboration du règlement?

Je présume que l’autre facteur qui me fait hésiter est le temps qu’il faut pour élaborer un règlement et mener des négociations et le fait de vouloir distribuer l’argent aux gens le plus rapidement possible. Votre entrée en vigueur en plus de l’amendement proposé lors de la dernière séance, permettrait-il de verser l’argent aux gens rapidement, et de garantir qu’il ne puisse pas être récupéré, du moins par les compagnies d’assurance?

Je pose la question à nos deux témoins, s’il vous plaît.

M. Lattanzio : Je vous remercie de la question, madame la sénatrice.

L’une des choses à prendre en considération est qu’il n’existe pas vraiment de cadre de responsabilité solide. Comme nous le savons, tout commence quand la loi entre en vigueur. Si nous parlons d’un scénario où la loi entre en vigueur un an après la sanction royale, alors, évidemment, cela retarde tout. Certes, nous avons parlé, dans nos mémoires, tout comme d’autres groupes, de la nécessité de fixer des délais pour ce règlement, et nous avons entendu dire qu’ils pourraient prendre environ un an à être élaborés. Nous en sommes maintenant à envisager un délai de deux ans.

Nous avons de nombreuses préoccupations différentes concernant le revenu adéquat, comme nous venons de l’entendre de la part de Me Calderhead, mais si l’objectif ici est de verser l’argent le plus tôt possible, alors ce n’est que logique que nous veillions à ce que la loi entre en vigueur afin que tous ces mécanismes — du moins ceux qui existent et qui sont inscrits dans le projet de loi — soient mis en œuvre, pour nous permettre de commencer le processus dès que possible et d’amorcer les consultations et l’élaboration.

La sénatrice Bovey : Maître Calderhead, tandis que vous répondiez à cela, nous avons eu une brève discussion au sujet de la différence entre les fonds considérés comme une prestation sociale par rapport à un revenu provenant de gains, alors pouvez‑vous en tenir compte dans votre réponse également?

Me Calderhead : Je n’ai pas un point de vue très élaboré sur la question de l’entrée en vigueur et de la sanction royale. Je ne me suis pas concentré là-dessus, alors je ne peux pas parler de manière informée.

Quant à la caractérisation de la prestation, en tant que personne ayant travaillé exclusivement pour les gens vivant dans la pauvreté ou avec ces derniers pendant toute ma carrière juridique, je dirais que la manière dont la prestation est traitée après la réception par un bénéficiaire dans toute province est une décision prise par chaque province dans le cadre de ses programmes d’aide sociale. Il est impossible que le gouvernement fédéral caractérise la prestation d’une manière, en croisant les doigts et en espérant qu’une province précise ne la traitera pas comme un revenu non gagné et ne la traitera pas comme étant imposable à 100 %. Cela ne peut tout simplement pas être fait. Cette magie ne se produira que dans le cadre de négociations.

Le gouvernement fédéral ne peut pas, dans sa loi, lier les mains des provinces et décider si ces dernières doivent traiter la prestation comme étant un revenu imposable ou l’exempter.

La sénatrice Bovey : Si les récupérations sont négociées, peu importe le temps que cela prend, et si un autre parti prend le pouvoir et a des points de vue politiques ou des manières de faire les choses différentes, ces récupérations négociées peuvent-elles être changées?

Me Calderhead : Cela dépend de l’accord qui a été conclu, je présume. Pendant des décennies, le gouvernement fédéral a conclu des accords d’aide sociale avec les provinces en vertu du Régime d’assistance publique du Canada. Ces accords n’ont jamais été changés. Si, par voie législative, la province décide de traiter quelque chose qui n’a pas été imposable comme étant imposable, alors, on se retrouve dans une situation délicate. Dans le cadre du fédéralisme budgétaire, le mieux que l’on puisse faire est de négocier un accord avec chaque province. Ensuite, il faut espérer que les deux parties maintiennent cet accord.

La sénatrice Seidman : Je vous remercie de nous aider à comprendre les complications que suppose ce projet de loi.

J’ai plusieurs questions. Je voudrais juste prendre un instant pour parler de l’entrée en vigueur, monsieur Lattanzio. Et, effectivement, votre commentaire concernant la responsabilisation est très juste. Nous y renonçons parce qu’il s’agit de la loi-cadre et que tout revient aux organismes de réglementation et au Cabinet.

Ce qui est intéressant à propos de l’entrée en vigueur, après la sanction royale, c’est que très peu de temps après l’adoption de cette loi par le Sénat, le projet de loi lui-même comporte un processus de responsabilisation intégré, si j’ai bien compris. Il prévoit que dans les six mois suivant la date d’entrée en vigueur de la loi, il y a un rapport d’étape, sur les progrès de la consultation. Dans l’année qui suit l’entrée en vigueur de la loi, le ministre doit présenter un rapport aux deux Chambres.

Alors, encore une fois, un examen parlementaire est effectué après le premier anniversaire de l’entrée en vigueur de la disposition. L’étape de l’entrée en vigueur est vraiment cruciale. Je crois que c’est essentiellement le point que vous avancez. Il faut qu’il soit absolument clair comme de l’eau de roche. Nous espérons que cette erreur technique sera corrigée.

L’autre question que je voudrais poser à laquelle je vous laisserai tous les deux répondre est que l’une des choses que nous avons entendues de la part des intervenants dans de nombreux témoignages, est que la prestation devrait être basée sur le revenu personnel plutôt que sur le revenu familial. Il y a une raison à cela, bien sûr, nous la comprenons tous clairement. Il s’agit en grande partie des questions de genre et de risque d’abus.

L’un d’entre vous s’est-il penché sur cette question?

Me Calderhead : Je suis heureux de dire quelques mots, puis M. Lattanzio voudra peut-être faire de même.

En ce qui concerne la question du revenu personnel par rapport au revenu familial total du ménage, au Canada, il est rarissime que l’aide sociale soit disponible pour quelqu’un, par exemple, dans le cas d’un conjoint qui aurait droit à une prestation d’assurance sociale parce qu’il ne travaille pas à l’extérieur, même si son conjoint travaille à temps plein. Ce serait inhabituel. Je n’ai jamais entendu parler de quelqu’un dans cette situation.

En revanche, un scénario différent, et plutôt fréquent, est celui d’un adulte handicapé vivant à la maison avec ses parents une fois devenu adulte. Il conviendrait que cette personne bénéficie entièrement de la prestation d’invalidité canadienne sans que le revenu familial soit pris en considération. Essentiellement parce qu’elle n’est plus légalement sous la responsabilité de ses parents.

M. Lattanzio : J’ajouterais à cela que, simplement au chapitre des obligations internationales en matière de droits de la personne en vertu de la Convention, lorsque nous parlons d’autonomie et du droit de prendre sa propre décision, c’est très important, n’est-ce pas? Ces droits fondamentaux doivent vraiment être intégrés. Une fois encore, j’appuie donc les propos de Me Calderhead sur la nécessité d’adopter une approche individuelle plutôt que familiale.

La sénatrice Seidman : Si vous me permettez de revenir sur la question de l’entrée en vigueur, est-ce le type de responsabilisation que vous demandez, la responsabilisation déjà inscrite dans la législation? Par conséquent, dès que la loi entre en vigueur, l’échéancier entre en vigueur?

M. Lattanzio : Il est certain que, dans ce cadre, je repousserais un peu les limites. Dans notre mémoire, d’autres possibilités de renforcer ce cadre de responsabilisation sont présentées. Madame la sénatrice, vous avez mentionné les rapports d’étape. Je rappelle à votre comité qu’il y a quelques années, il s’est penché sur la Loi canadienne sur l’accessibilité. Le comité a joué un rôle essentiel dans le renforcement de ce projet de loi et du cadre de responsabilisation, qui nous a permis d’obtenir des échéances pour certaines des dispositions réglementaires qui doivent être adoptées. Je ne l’ai pas mentionné dans mes observations de vive voix, mais cela figure également dans mon mémoire. Ce sont tous des éléments que nous pouvons continuer à peaufiner et à ajouter, mais à bien des égards, cela revient au moment où la loi entre réellement en vigueur. On a beaucoup parlé de cocréation et de consultation, mais la loi doit être en vigueur pour que ces processus puissent commencer.

La sénatrice Seidman : Merci à tous les deux.

La sénatrice Osler : Je remercie les deux témoins pour leur témoignage et leur mémoire.

Monsieur Lattanzio, dans votre mémoire, vous avez recommandé d’apporter six amendements au projet de loi C-22. Hormis l’entrée en vigueur, le premier amendement, des résultats équivalents pourraient-ils être obtenus par voie réglementaire au lieu d’amendements?

M. Lattanzio : Je repense aux nombreuses discussions qui ont eu lieu ici au sujet de la perfection. Je commence par cela parce que si la perfection était ce que l’ARCH recherchait réellement, tous ces amendements seraient substantiellement différents. Je peux vous l’assurer.

Ce que nous avons essayé de faire, ce que mon collègue a également fait et la raison pour laquelle nous avons travaillé ensemble, c’est de vraiment réfléchir à des amendements qui ont, à tout le moins, une incidence sur la mise en œuvre. Je ne sais pas si cela répond à votre question.

La sénatrice Osler : Merci. C’est très bien. Je peux céder mon temps.

La sénatrice Lankin : Merci, j’ai deux questions. Tout d’abord, monsieur Lattanzio, la première porte sur la Loi d’interprétation. D’après ce que j’ai compris des représentants du Bureau du légiste parlementaire, avec lequel nous avons traité, tout texte législatif de base ne comportant pas de date d’entrée en vigueur spécifique entre en vigueur au moment de la sanction royale, et la façon d’atteindre votre objectif consiste à rejeter cette disposition. La plupart des dispositions d’entrée en vigueur sont intégrées parce qu’elles retardent l’entrée en vigueur de la loi. Avez-vous des observations à ce sujet? Ce conseil que nous avons reçu semble-t-il bon? Est-il suffisant?

M. Lattanzio : Quelque chose me préoccupe dans la façon dont il est actuellement formulé. En général, la date est effectivement indiquée ou elle a été déléguée à la gouverneure générale. Nous sommes simplement préoccupés par le libellé. Donc, encore une fois, d’après ma lecture de la Loi d’interprétation, il serait indiqué qu’elle entrerait en vigueur. Cependant, nous sommes préoccupés par le fait qu’il subsiste une certaine ambiguïté, car il faut clarifier exactement ce qu’il en est.

La sénatrice Lankin : L’une des options qui nous ont été proposées consiste simplement à rejeter cette disposition.

M. Lattanzio : Exactement, je suis également tout à fait d’accord avec cela. La supprimer complètement.

La sénatrice Lankin : Maître Calderhead, je vais commencer par vous demander de répondre. Vous avez été assez catégorique en parlant de la compétence provinciale et de ce que les autorités fédérales peuvent ou ne peuvent pas faire. Cette loi peut contrôler ce que les autorités fédérales peuvent ou non faire, c’est sa raison d’être. Elles doivent mettre en œuvre ce programme. Elles doivent le faire en respectant ces conditions. Elles doivent élaborer conjointement le règlement, etc.

Un amendement qui permet au ministre de conclure un accord avec les provinces ou les territoires nécessite toujours des négociations lorsque cet accord interdit au ministère de la Couronne ou aux organismes des provinces et territoires de conserver ou de recouvrer, entièrement ou partiellement, une prestation au titre de la présente loi. S’ils ne parviennent pas à négocier, il n’y a pas de transfert d’argent à cette province ou aux bénéficiaires de la prestation dans cette province, ce qui pose des problèmes en soi, mais qui crée un effet de levier pour que les gens se tournent vers la province afin qu’elle se mette d’accord avec les autorités fédérales à ce sujet.

Permettez-moi de relire ce segment : le ministre ne peut conclure un accord avec un ministère ou un organisme de la province que si cet accord interdit à ce ministère ou à cet organisme de conserver ou de recouvrer, entièrement ou partiellement, une prestation au titre de la présente loi. Voyez‑vous un problème avec cela?

Me Calderhead : Non, pas du tout. La distinction que j’ai faite tout à l’heure concernait la législation visant à gérer les programmes provinciaux d’aide sociale. Si le gouvernement fédéral adopte une loi précisant la forme que devraient prendre ces accords, s’ils devaient être conclus, je ne vois pas de problème. Ce serait similaire à la Loi canadienne sur la santé, l’exemple le plus connu.

M. Lattanzio : Je suis tout à fait d’accord avec Me Calderhead.

La sénatrice Lankin : Merci.

Le sénateur Kutcher : Je vous remercie tous les deux de votre présence et de votre témoignage.

Ma question s’adresse à Me Calderhead. Je voudrais revenir sur la signification du terme « urgent » et sur ce qu’il implique réellement, car si je peux paraphraser Shakespeare, « amender ou ne pas amender : voilà la question ». On nous a dit que le fait d’amender le projet de loi allait entraîner des retards, et c’est urgent. La question de l’urgence comporte deux volets. L’un est l’intensité, l’autre, le temps. Sortir les gens de la pauvreté — intensité — nous sommes tout à fait d’accord. La question est la suivante : combien de temps ce projet de loi va-t-il prendre avant que cela ne se réalise?

Ce que j’ai compris de votre témoignage, c’est que l’urgence peut être compromise par des négociations, contrairement à ce qui se passerait si la loi comportait des éléments clairs. Aidez‑moi à mieux comprendre, car je ne suis pas sûr d’avoir bien saisi, mais nous avons beaucoup entendu parler de l’urgence de l’échéancier.

Me Calderhead : Si je comprends bien votre question — et je vous invite à me remettre sur le cap si je n’ai pas bien compris — l’urgence de faire parvenir des prestations aux personnes handicapées est simple. La ministre a déclaré qu’il y avait deux priorités. La première est de sortir les personnes handicapées de la pauvreté, et la seconde est qu’il n’y ait pas de récupération.

C’est l’absence de récupération qui nous amène à entamer des négociations entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux. À ce stade, l’urgence est en quelque sorte jetée en l’air, comme on l’enseigne aux étudiants en droit dès leur premier jour, ou du moins, pendant leur première année à l’école de droit, car il est impossible de dire qu’il y aura un accord, dans le cas qui nous occupe, avec les provinces. Nous ne savons pas s’il y aura un accord, et encore moins ce à quoi il ressemblerait s’il y en avait un.

Pour ceux qui disent « Distribuons simplement les prestations aux bénéficiaires », il importe vraiment de reconnaître qu’une fois la loi adoptée, nous entrons dans une deuxième phase, une phase de négociation avec les provinces. À ce stade, qui peut dire combien de temps ces négociations vont durer? Il suffit de se souvenir de l’indemnité de garde d’enfants et de la durée interminable de ces discussions.

J’espère que cela répond à votre question. Il s’agit en fait d’un enjeu dont l’urgence n’est pas entièrement du ressort du gouvernement fédéral en raison de l’exigence de négociation pour régler le problème de la récupération. La récupération ne peut être réglée qu’avec des négociations.

Le sénateur Kutcher : Je vous remercie.

La question d’un amendement à la loi, semblable à ce que la sénatrice Lankin disait envisager et à ce que nous avons entendu pendant le témoignage précédent changerait-elle cette relation et ce processus d’une manière substantielle de sorte que la possibilité de parvenir à un accord pour les provinces serait modifiée?

Me Calderhead : Si je comprends bien votre question, si le projet de loi était amendé pour dire que le gouvernement fédéral doit ou peut conclure des accords avec les provinces, une des conditions serait qu’il n’y ait pas de récupération. Si c’est ce qui est proposé, c’est tout à fait acceptable d’un point de vue constitutionnel. Cependant, à ce moment-là, il faut se croiser les doigts et se dire « bonne chance avec ces négociations ». Il se peut qu’elles aboutissent, mais rien ne permet de dire si elles aboutiront et, si c’est le cas, le temps qu’elles prendront.

Le sénateur Kutcher : Si je comprends bien votre réponse, il n’est pas clair qu’un tel amendement modifierait ou non l’élément d’urgence de l’échéancier?

Me Calderhead : Exact. Lorsque des personnes entament des négociations, il est impossible de dire combien de temps cela prendra.

Le sénateur Kutcher : Merci beaucoup.

La sénatrice Bernard : Pour gagner du temps, je ne poserai qu’une seule question, qui s’adressera à Me Calderhead. Je vous remercie tous deux de votre présence et de votre témoignage aujourd’hui.

Maître Calderhead, dans vos remarques préliminaires, vous avez mentionné le travail que vous avez récemment achevé, hier, je crois, en Nouvelle-Écosse, ma province d’origine, en représentant les personnes handicapées et en défendant leurs droits de la personne, et le fait que cela a pris 10 ans. J’aimerais savoir ce que vous pensez des conséquences, y compris les conséquences imprévues, de l’absence d’une procédure claire et accessible pour interjeter appel des décisions relatives à cette prestation. Je vous remercie.

Me Calderhead : Merci. M. Lattanzio pourra peut-être compléter ce point. Mais il s’agit essentiellement d’une exigence d’équité fondamentale selon laquelle si les administrateurs d’un programme prennent une décision qui désavantage un candidat ou un bénéficiaire, la personne qui a fait l’objet de la décision doit avoir le droit d’interjeter appel auprès d’un organisme décisionnaire indépendant. Il s’agit simplement d’une question d’équité fondamentale. Elle caractérise tous les programmes de prestations du gouvernement fédéral. Ce programme doit comporter un tel processus d’appel.

La sénatrice Bernard : Voulez-vous ajouter quelque chose?

M. Lattanzio : Merci. Bien sûr, nous ne demandons pas au comité de désigner un tribunal ou de créer un tribunal en vertu de la loi. Ce que nous demandons, réellement, et ce que nous voulons, c’est que la loi prévoie le droit à un processus d’appel réglementaire. Nous ne devons pas créer de nouveaux obstacles qui obligeraient les demandeurs qui se voient refuser les prestations soit à s’adresser aux tribunaux... nous connaissons tous les obstacles supplémentaires que cela suppose. Nous voulons être certains que cela est inscrit dans la loi, que nous avons cet accès fondamental à des droits judiciaires.

[Français]

La sénatrice Petitclerc : Je vais poser ma première question à M. Calderhead; si j’ai du temps, j’aimerais vous poser une question à vous aussi.

Vous nous avez parlé de cette suggestion visant à rendre l’article 11 plus exécutoire. Le projet de loi propose de tenir compte du seuil de la pauvreté, mais vous suggérez d’utiliser plutôt les mots « consistant ou compatible ». Vous savez certainement qu’on a essayé de renforcer cet article à l’autre endroit et que cela a été jugé inadmissible pour les raisons que l’on connaît. Je ne sais pas si vous avez fait des consultations. Est-ce que cette proposition pourrait justement franchir la ligne d’acceptabilité, à votre avis?

[Traduction]

Me Calderhead : Je pense que vous avez mis le doigt sur la question. Dans mon domaine, les droits de la personne, le caractère adéquat est une considération primordiale, c’est-à-dire que le droit à un revenu adéquat est reconnu en droit international des droits de la personne.

La question que je pose, dans ma proposition, c’est comment pouvons-nous renforcer cette formulation qui, présentement, est plutôt neutre. Je veux dire, comment pouvons-nous vraiment tenir compte... la plupart de ceux qui réfléchissent à cette formulation diraient qu’elle exige que le Cabinet ou les gens qui fixent les taux tiennent compte du seuil officiel de la pauvreté et de tout le reste. Donc, comment pouvons-nous renforcer la formulation sans dépasser la limite et forcer le gouvernement à dépenser? Je travaille dans ce domaine depuis des décennies, et je sais bien ce que dit la jurisprudence et quelle est son interprétation de « doit tenir compte » et des termes compatible et cohérent.

J’admets que ce que je propose va plus loin que « doit tenir compte », mais j’estime tout de même que cela ne force pas la main au gouvernement et au Cabinet en ce qui concerne le montant de la prestation. Vous avez précisément posé la question clé.

[Français]

La sénatrice Petitclerc : Ma question s’adresse à M. Lattanzio. Quand la ministre Qualthrough a comparu ici, elle nous a dit qu’il était concevable de penser que les personnes en situation de handicap pourraient recevoir cette indemnisation à l’intérieur d’un an, peut-être.

Quand on regarde certaines parties du projet de loi, comme celle qui traite de son entrée en vigueur, où l’on fait face à de petits défis en ce qui concerne la période de six mois ou d’un an, on peut penser, si le contexte politique venait à changer — s’il y a un changement de gouvernement, par exemple —, que cela pourrait prendre, à mon avis, beaucoup plus d’un an. Ai-je raison de penser cela?

Dans la mesure où, en raison de choses qu’on ne peut pas contrôler, cela pourrait prendre plus d’un an, il doit y avoir des certitudes par rapport à cet échéancier dans le projet de loi qui deviennent encore plus importantes. Que répondez-vous à ceci?

[Traduction]

M. Lattanzio : Encore une fois, je pense que vous abordez un point important. Effectivement, il y a des délais prescrits pour les rapports. Nous avons discuté des rapports d’étape, mais il n’y a pas de délais réels. Nous savons que ce projet de loi a été conçu de façon à ce que tout se fasse par règlement. Pas de règlement, pas de prestation. Donc, s’il n’y a aucun délai pour l’adoption du règlement, alors, pour répondre à votre question, nous ne savons effectivement rien. Nous ne savons pas combien de temps cela pourrait prendre, et il n’y a rien dans la loi qui nous donne des certitudes ou des garanties.

La sénatrice Burey : Merci à nos témoins. Je vais poser ma question favorite, puis poursuivre sur la lancée de la sénatrice Petitclerc. Mes commentaires s’adressent surtout à Me Calderhead. Cela concerne le caractère adéquat de la prestation, votre revendication principale devant notre comité, y compris les coûts connexes pour les groupes de personnes en situation de handicap, les groupes intersectionnels et les autres groupes. Est-ce qu’on nous demande de dire « Faites-la adopter à toute vitesse, sans amendements »? Est-ce que c’est absolument essentiel d’apporter des amendements, ou est-ce que l’on pourrait apporter des corrections par le règlement ou par intervention ministérielle?

Me Calderhead : Merci. L’amendement que j’ai proposé modifie le libellé afin d’ajouter qu’il faut tenir compte des dépenses liées à l’incapacité, étant donné que Statistique Canada admet librement et ouvertement, dans la Mesure du panier de consommation, qu’elle ne tient compte d’aucune dépense liée à l’incapacité. Le fait que le libellé actuel « tient compte du seuil officiel de la pauvreté tel que défini [dans la loi] » est, comme l’a mentionné la sénatrice Petitclerc, une approche ouvertement capacitiste, ce qui est d’autant plus ironique qu’il s’agit d’une prestation pour personnes handicapées. La seule façon de corriger cela est de tenir compte du seuil de la pauvreté, comme dans le premier libellé de ma proposition, puis d’ajouter « en tenant compte des dépenses liées à l’incapacité ». Nous en sommes à un point où, en tant que société, nous devons tenir compte de ces mesures d’adaptation et des dimensions relatives à l’équité.

La sénatrice Burey : Je voulais une explication plus détaillée, pour le compte rendu.

Me Calderhead : Pour répondre à la question de savoir si cela pourrait être corrigé par le règlement, je répondrais : peut-être, mais qui sait? Vous dites que vous proposez des principes importants, qui seront intégrés dans ce projet de loi, mais qu’ils pourraient se retrouver dans le règlement, peut-être. Mais si c’est le cas, peut-être qu’ils ne le seront pas quand le prochain gouvernement sera élu.

Je crois, de façon plus générale — et cela englobe mon point sur le caractère adéquat —, c’est que, au point où nous en sommes en ce qui concerne les droits des personnes en situation de handicap, nous disons : « Oui, nous faisons confiance au gouvernement pour établir une prestation, mais nous voulons qu’il ait des comptes à rendre », et c’est à l’étape législative que les comptes se rendent.

M. Lattanzio : Pour mettre en relief ce que dit Me Calderhead, il y a ici des amendements qu’on ne peut pas reporter à l’étape de l’élaboration du règlement. Nous devons nous assurer d’être très prudents quand nous discutons de certaines choses qui pourraient peut-être attendre et qui pourraient être abordées pendant le processus de consultation et de cocréation. Mais nous avons cerné certains amendements et éléments clés qui manquent au projet de loi et qui doivent y être intégrés directement pour créer ce cadre réglementaire.

La sénatrice Dasko : Au comité, nous avons discuté des nombreux motifs du retard à verser cette prestation aux prestataires. Ces motifs seraient — mais ce n’est pas une liste exhaustive — la date d’entrée en vigueur, le fait que le Sénat peut proposer des amendements, une autre cause de retard potentielle et les négociations avec les provinces.

J’aimerais discuter de ce dernier point, en adoptant peut-être le point de vue opposé à celui de la sénatrice Lankin, qu’elle a exprimé plus tôt. Quand la ministre a comparu devant nous, elle a dit catégoriquement qu’elle n’allait pas retarder la prestation pour les personnes en situation de handicap. Elle a dit très clairement qu’elle n’allait pas retarder la prestation, même si aucune entente n’avait été conclue avec les provinces au sujet de la récupération. Elle a expliqué très clairement ses raisons. La raison principale est que les gens ont besoin de ces prestations. Elle était passionnée par cette question, et tout à fait catégorique, à ce que j’ai vu.

D’autres défenseurs ont témoigné devant nous et ont dit la même chose, que cela ne devrait pas être une cause de retard.

Je voulais en discuter avec vous, pour avoir vos commentaires.

M. Lattanzio : Je reviendrai à ce que j’ai dit plus tôt sur le fait qu’il n’y a rien dans la loi qui nous protège contre les retards indus, peu importe leur cause. Ce projet de loi est vulnérable aux retards, qui pourraient avoir toutes sortes de causes, y compris n’importe quelle étape du processus d’élaboration du règlement, par exemple.

Je veux être clair sur ce point. Rien dans le projet de loi ne prévoit un échéancier quelconque et rien ne nous protège contre les retards indus. J’ai lu le projet de loi, et il ne contient absolument rien de tel. Effectivement, il y a des rapports d’étape, mais le cadre de responsabilisation prévu dans ce projet de loi n’est pas rigoureux, et c’est en partie pour cela que nous recommandons de modifier et de peaufiner ces aspects.

Me Calderhead : Si je pouvais ajouter quelque chose, madame la sénatrice, vous avez décrit un scénario où la ministre dit qu’il n’y aura aucun retard, peu importe que nous ayons ou non conclu des ententes avec les provinces. Mais qu’arrive-t-il, dans ce scénario? Ce qu’elle dit, c’est que si aucune entente n’est conclue, à ce moment-là, les provinces auront le champ libre pour faire ce qu’elles veulent avec la prestation. Il va inévitablement y avoir des tentatives de récupération, comme de nombreuses provinces l’ont fait avec la PCU, même si la ministre espérait qu’il n’y en aurait pas. Dans les faits, on sait qu’il y en a eu.

Même s’il est prioritaire pour la ministre qu’il n’y ait pas de récupération, cela n’arrivera pas s’il n’y a pas d’entente. La seule autre façon serait de modifier le projet de loi — je m’inspirerais du projet de loi sur la prestation nationale pour la garde d’enfants — de façon à ce que la prestation soit versée, en vertu de l’article 5, seulement dans les provinces qui ont conclu des ententes. Dans les provinces qui n’ont pas conclu d’entente, les citoyens exerceraient une énorme pression sur leur gouvernement pour qu’il conclue une entente, en partie parce que ce serait ces citoyens qui paieraient la facture pour les autres provinces.

Si la ministre dit que la prestation sera versée peu importe si une entente est conclue ou non, alors elle n’a plus pour priorité d’éviter la récupération.

La sénatrice Dasko : Oui. Clairement, la structure est différente de celle des transferts de la prestation pour la garde d’enfants. Quoi qu’il en soit, la ministre a dit qu’elle ne voulait pas empêcher qui que ce soit d’accéder à cette prestation. Je vais m’en tenir à cela.

Me Calderhead : Je pense que cela avantagerait principalement les provinces, dans cette situation.

Le sénateur Arnot : Même si nous avons déjà discuté d’à peu près tout, mais il y a deux ou trois points que je veux soulever.

Premièrement, en ce qui concerne le refus de la prestation, maître Calderhead, vous dites que vous voulez que le paragraphe 11(1.1) du projet de loi soit modifié afin d’établir une valeur de référence. D’après ce que je comprends, cela va être laissé en grande partie au règlement, et il faut avoir confiance que la société civile sera consultée, lorsque le règlement sera élaboré, advenant bien sûr que le paragraphe soit adopté.

Monsieur Lattanzio, vous voulez que le projet de loi soit modifié de façon à ce que la première partie du règlement soit prête dans les 10 mois suivant l’adoption de la loi. Êtes-vous certain que la société civile sera consultée de la façon dont vous l’espérez? Y a-t-il quoi que ce soit que notre comité puisse faire ou dire, dans les commentaires qu’il peut formuler sur le projet de loi, qui renforcerait votre capacité d’intervenir dans la conception de la prestation et qui nous permettrait de nous assurer que vous êtes adéquatement consulté pour cette prestation?

En ce qui concerne le processus d’appel, je pense que c’est un élément très important, et je vous fais confiance par rapport à cela, mais encore une fois, on laisse beaucoup de choses au règlement. Je pense, par exemple, à des choses comme l’accès au processus d’appel, une procédure sommaire, un processus très simple, de l’aide pour les gens qui ont besoin d’aide pour interjeter appel et d’autres choses du genre; vous laissez tout cela au règlement, y compris la justification et le libellé de tout cela. Êtes-vous convaincu que c’est une bonne idée?

M. Lattanzio : Merci de la question. Je l’apprécie réellement beaucoup. Cela me rappelle une question précédente.

Nous travaillons en suivant le projet de loi. Encore une fois, si nous voulions atteindre la perfection, les amendements seraient très différents. Ce que nous essayons de cerner, ce sont les conséquences et les problèmes inattendus de ce projet de loi qui doivent être corrigés à l’étape où nous en sommes, c’est-à-dire dans la loi et non pas dans le règlement. Dans mes fonctions, je crois que notre responsabilité est de cerner et de vous signaler cela.

Par rapport à tout ce que vous avez mentionné, ces droits à l’application régulière de la loi, il y a beaucoup de choses que nous avons apprises en travaillant pour rendre accessible le processus d’appel. Il ne fait aucun doute que des obstacles sont créés, que ce soit devant la cour ou un tribunal administratif. À tout le moins, nous voulons inscrire dans la loi le droit à un tribunal administratif ou le droit d’appel. Présentement, nous ne savons pas ce qu’il y aura dans le règlement par rapport aux droits d’appel.

Voilà la justification, mais je serais certainement en faveur de n’importe quel amendement qui irait plus loin pour garantir qu’un processus d’appel est accessible, dans le respect des droits à l’application régulière de la loi, et cetera, et aussi pour qu’il y ait du soutien par rapport au processus de demande et d’examen. C’est quelque chose que nous soutiendrons certainement.

Le sénateur Cotter : Merci aux témoins et aux membres du comité. Je voulais par-dessus tout faire un commentaire et peut‑être obtenir une observation de votre part.

Vous, et pratiquement tous les témoins qui ont comparu jusqu’ici devant notre comité ainsi que ceux qui vont comparaître, avez consacré votre vie aux membres désavantagés et défavorisés de notre société; dans ce sens, vous êtes des héros qui ne sont pas toujours reconnus à leur juste valeur... c’est mon avis, et c’est je pense l’avis de beaucoup d’entre nous. Je voulais vous remercier. Me Calderhead sait l’estime que j’ai pour lui, et je voulais que cela figure au moins au compte rendu.

J’ai une observation à faire, si vous me le permettez, et c’est qu’il semble y avoir un certain manque de certitudes à l’égard de la capacité du gouvernement d’offrir cette prestation conformément au cadre prévu. Je me demandais si c’était essentiellement pour cela que vous dites vouloir enrichir le projet de loi, des façons dont vous l’avez recommandé. Il me semble qu’un gouvernement de bonne volonté serait en mesure de réaliser, grâce au processus réglementaire, pour ainsi dire tous les points que vous avez cernés comme étant des préoccupations dans la loi elle-même.

Me Calderhead : J’aimerais faire un petit commentaire. Au sujet de la question de la certitude — et je pense que vous avez qualifié cela de confiance, plus tôt, dans d’autres commentaires —, j’ai deux choses à dire. Même si nous faisons confiance au gouvernement actuel ou que nous avons des certitudes, qu’en sera-t-il du prochain gouvernement, du suivant ou de celui qui suivra? Voilà le problème, si on laisse les choses au règlement. Intrinsèquement, c’est un problème.

J’aimerais aussi faire un autre commentaire plus général : nous en sommes à une étape de notre développement juridique et social où nous adoptons une approche relative aux droits de la personne, et les droits des personnes en situation de handicap en vertu de la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées et d’autres traités sont tels que... les personnes en situation de handicap ont droit à un revenu adéquat, par exemple. C’est un droit. Je pense que nous avons, en tant que société, dépassé le stade où nous quémandions en faisant confiance au gouvernement; nous avons fait la transition et adopté une approche fondée sur les droits.

La sénatrice McPhedran : J’ai une petite question, et je suis sûre que les avocats la connaissent déjà.

Nous avons reçu certaines propositions visant à modifier le préambule. Dans quelle mesure, selon vous, le préambule est-il important ou efficace?

M. Lattanzio : Comme nous le savons, les préambules sont importants. Essentiellement, compte tenu du temps, j’irai droit au but. Assurément, si votre comité envisage de modifier le préambule, ma suggestion et mes commentaires seraient de réfléchir à ce que vous essayez d’accomplir et de vous demander si cela peut être accompli dans la loi elle-même afin que nous, qui défendons les droits, ayons réellement dans la loi un outil que nous pourrons utiliser au nom de nos clients.

Me Calderhead : J’ajouterais quelque chose, si vous me donnez un moment. Je suis d’accord avec mon collègue pour dire que les préambules, c’est un peu comme un souhait, mais ils n’ont pas de valeur juridique. Si quelque chose mérite d’être dans la loi, alors cela devrait être dans la loi et non pas dans le préambule.

À l’étape où nous en sommes, tout préambule — ou toute observation — que votre comité pourrait proposer serait perçu par bon nombre de membres de la communauté des droits des personnes handicapées comme de belles paroles sans valeur, et je pense que nous avons dépassé ce stade. Merci.

La présidente : Chers collègues, nous n’avons plus de temps pour obtenir des réponses à nos questions, mais nous pourrions tout de même les poser et demander à nos témoins de bien vouloir nous répondre par écrit.

La sénatrice Bovey : J’ai une toute petite question. J’aimerais simplement une clarification, maître Calderhead, si c’est possible. En cas de négociations provinciales, dites-vous que l’argent serait versé à chacune des provinces ayant achevé les négociations, ou faudra-t-il attendre que toutes les provinces aient terminé leurs négociations avant que les fonds soient versés? C’est une question d’équité.

La présidente : J’ai une question sur les délais et sur la récupération. Le gouvernement fédéral peut-il entamer des négociations avant l’adoption du projet de loi? À propos de la récupération, disons qu’un amendement visant à empêcher la récupération est adopté dans le projet de loi, est-ce que cela permettrait de garantir, dans les faits, qu’il n’y aura pas de récupération, s’il faut quand même avoir les négociations nécessaires avec les gouvernements provinciaux?

La sénatrice Lankin : Maître Calderhead, ma question concerne les commentaires que vous avez faits par rapport à l’amendement que vous proposez à l’article 11, pour remplacer les mots « tenir compte » dans le libellé par quelque chose concernant la « cohérence » ou la « compatibilité ».

J’ai été informée du fait qu’il n’existe aucun précédent en droit fédéral en ce qui concerne cette formulation. Si je me trompe, puisque vous avez travaillé à de nombreuses affaires juridiques à ce sujet, je vous demanderais de nous renseigner. Deuxièmement, cela n’aura probablement aucune incidence sur l’interprétation, étant donné que le processus pour établir le taux, concrètement, passera par le règlement. Tout simplement, on dit ce dont on tient compte et ce qui doit être compatible. On nous a informés que l’interprétation serait considérée comme étant, de façon générale, identique à l’expression « cohérente avec ». La Chambre des communes a déjà proposé un amendement sur la cohérence. Merci.

La présidente : Merci beaucoup, chers collègues, et merci beaucoup à nos deux témoins, qui ont non seulement répondu à nos questions et accepté que nous leur donnions des devoirs, mais qui nous ont fait profiter de leurs connaissances. Nous vous en sommes très reconnaissants. C’est important, croyez-moi. Encore une fois, merci beaucoup d’avoir été des nôtres.

Chers collègues, nous accueillons notre troisième et dernier groupe de témoins de la journée : en personne, M. David Lepofsky, président de l’Alliance de la Loi sur l’accessibilité pour les personnes handicapées de l’Ontario; et, par vidéoconférence, M. Michael J. Prince, professeur de politique sociale, Faculté du développement humain et social de l’Université de Victoria. Merci à vous deux d’être avec nous aujourd’hui.

Je vous invite maintenant à nous présenter vos déclarations préliminaires. Vous avez cinq minutes pour ce faire, puis nous allons passer aux questions des membres du comité. Monsieur Lepofsky, vous avez la parole.

David Lepofsky, président, Alliance de la Loi sur l’accessibilité pour les personnes handicapées de l’Ontario : Merci.

La question fondamentale à laquelle vous devez répondre est de savoir s’il faut adopter les amendements qui, de l’avis de tous, je crois, amélioreraient le projet de loi. À cette question, nous répondons « oui, s’il vous plaît », et même plus, nous vous demandons, mesdames les sénatrices et messieurs les sénateurs, de proposer des amendements afin que vous puissiez en débattre et les mettre aux voix.

Il a été suggéré de faire confiance au gouvernement. À cela, nous répondons : « Faites confiance, mais vérifiez. » C’est ce que font nos amendements. Dans le temps qui m’est imparti, je vais vous expliquer pourquoi vous devriez adopter ces amendements. Je vous invite aussi à me poser des questions, et je vous expliquerai comment procéder.

Premièrement, nous savons que la ministre est ouverte à des amendements. Elle a dit qu’elle était ouverte à en recevoir, dans la mesure où ils sont cohérents avec le cadre législatif. Nos amendements sont cohérents avec le cadre législatif.

Ensuite, le Sénat serait très réticent à contester ou à renverser une politique gouvernementale, et ce n’est pas ce que nous vous demandons de faire. Nous vous demandons de faire en sorte que cette politique fonctionne. Pour vous simplifier la tâche, si vous tenez compte de ce que vous avez entendu jusqu’ici au cours de vos réunions, le contenu des amendements que nous voulons voir adopter ne soulève aucune controverse. Personne n’est venu vous dire qu’il faudrait obliger les personnes en situation de handicap à prouver leur handicap une deuxième fois, c’est-à-dire que, même si elles sont admissibles à une prestation provinciale, elles doivent retourner voir leur médecin. Personne n’a dit cela. Tout le monde dit même l’inverse.

Nos amendements permettraient d’accomplir des objectifs qui, je crois, font consensus — ou alors des buts stratégiques — ou que personne ne conteste. À dire vrai, si ce que nous demandons avait été inclus dans le projet de loi le premier jour ou avait été ajouté par la Chambre, je doute qu’un seul témoin ait demandé que cela soit retiré.

Vous n’avez pas à craindre de tomber dans un débat politique. La seule chose qui vous préoccupe, c’est que certaines personnes ont dit que, si vous modifiez le projet de loi, cela pourrait retarder la prestation ou lui nuire. Nous répondons : nos amendements vont accélérer la prestation et la renforcer.

Parmi ceux qui ont dit « non, s’il vous plaît, ne faites pas ça, n’apportez aucun amendement », certains ont proposé de régler ces questions dans le règlement. Vous avez entendu des avocats qualifiés qui, dans certains cas, étaient soutenus par des associations d’avocats plaidants de tout le pays. Vous ne pourrez pas corriger tous les problèmes dans un règlement, et ceux qui pourraient être corrigés ainsi ne nous donnent aucune garantie, puisque nous pourrons seulement nous y fier aussi longtemps que le gouvernement qui l’aura adopté sera au pouvoir. Dire qu’il faut laisser cela au règlement c’est comme donner foi à ce qui est, dans les faits, une méprise juridique.

L’autre raison sur laquelle je veux insister est que vous avez obtenu abondamment de commentaires de la part d’avocats ou des associations d’avocats plaidants au sujet de la récupération des prestations d’assurance et que vous avez aussi reçu le mémoire du Centre d’action pour la sécurité du revenu, qui est soutenu par 48 cliniques juridiques. Ces personnes travaillent sur le terrain afin d’obtenir réparation pour les gens en situation de handicap. Elles s’entendent pour dire que nous avons besoin de ces amendements, et le seul avocat qui a témoigné devant vous pour dire que vous ne deviez pas adopter ces amendements n’a pourtant pas contredit les opinions des autres avocats. Il n’a pas réfuté leurs arguments ni avancé aucun argument pour prouver qu’ils avaient tort.

La dernière chose que je veux dire, parce que je sais que mon temps est limité, c’est que vous voulez pouvoir faire confiance. Je dirais : ayez confiance, si vous apportez les amendements limités, très efficaces mais très peu intrusifs que nous proposons, je prédis que les gens vont vous remercier. Comment puis-je en être sûr? Premièrement, il y a quatre ans, certains d’entre nous ont témoigné devant ce même comité pour vous implorer d’apporter des modifications à la Loi canadienne sur l’accessibilité. Un certain nombre de groupes ont témoigné devant le gouvernement, comme aujourd’hui, et l’ont exhorté à ne pas modifier le projet de loi, parce qu’ils avaient peur de le perdre. Ils ont demandé de simplement l’adopter tel quel. Votre comité, dans sa sagesse, a écouté leurs préoccupations et a choisi d’apporter des modifications. Non seulement ces amendements ont été adoptés par la Chambre, mais les groupes qui ont témoigné contre les amendements ont changé d’avis et ont demandé à la Chambre des communes de les adopter. Et ce n’est pas tout : même la ministre, qui s’opposait précédemment à ces amendements, a témoigné devant vous il y a un mois pour dire que vous avez fait un travail fabuleux en proposant ces amendements. Tout le monde vous a remercié, et ils vous remercieront à nouveau.

À la Chambre des communes, certains de ces groupes ont témoigné devant le Comité permanent des ressources humaines, du développement des compétences, du développement social et de la condition des personnes handicapées, en abrégé HUMA, pour lui dire de ne faire aucune modification. Un certain nombre d’entre nous ont insisté et ont demandé ces modifications. Et qu’est-il arrivé? Le comité HUMA a adopté les amendements — mais pas tous, ce n’était pas suffisant, et c’était même très loin d’être suffisant —, mais ces mêmes groupes qui ont dit à la Chambre des communes de ne faire aucune modification ont témoigné devant vous pour vous dire que les amendements adoptés par le comité HUMA sont une bonne chose. Même le gouvernement l’a dit. Je n’essaie pas de dire que ces groupes sont malhonnêtes; ce que je dis, c’est « faites-moi confiance », et nous allons encore une fois vous remercier. Merci.

Michael J. Prince, professeur de politique sociale, Faculté du développement humain et social, Université de Victoria, à titre personnel : Merci, mesdames les sénatrices et messieurs les sénateurs. Je m’adresse à vous aujourd’hui depuis l’endroit où je vis, à Victoria, sur l’île de Vancouver. Il s’agit des territoires traditionnels des peuples de langue lekwungen, qu’on appelle aujourd’hui les Premières Nations Esquimalt et Songhees. Je tenais à le reconnaître. Je vous remercie tous et toutes de votre temps. J’aurais aimé être avec vous en personne, mais je devrai me contenter d’être avec vous par vidéoconférence.

Il y a eu beaucoup de discussions très enrichissantes ce matin. J’ai écouté attentivement les deux derniers groupes de témoins. J’aimerais aborder le sujet de la récupération, puisque cela a semblé avoir beaucoup d’importance pour les sénateurs et pour les témoins, ce matin. Je serai aussi heureux de discuter d’autres aspects du projet de loi durant la période de questions.

Il est évident que des modifications législatives devraient être apportées à ce projet de loi si l’on veut protéger les prestations d’invalidité à long terme contre les compensations. Il faut aussi, parallèlement, établir clairement que les programmes fédéraux eux-mêmes ne peuvent pas compenser ou récupérer la prestation canadienne pour les personnes handicapées. Il a été dit clairement, par rapport à la récupération par les gouvernements provinciaux et territoriaux, que cela doit être entendu dans le cadre d’ententes ou de négociations intergouvernementales.

Je vais parler de la récupération et faire quelques commentaires qui, selon moi, devraient figurer au compte rendu. Tout d’abord, toute forme de récupération, en particulier par les gouvernements provinciaux ou territoriaux, viole la Convention des Nations unies sur les droits des personnes handicapées, et tout particulièrement l’article 28 qui leur garantit un niveau de vie adéquat. Aussi, fait intéressant, la récupération, par les provinces qui ont présentement une loi en matière d’accessibilité semblable à la Loi canadienne sur l’accessibilité du gouvernement fédéral, violerait directement, je crois, les propres lois de ces provinces en matière d’accessibilité, puisqu’elle créerait de nouveaux obstacles pour les personnes en situation de handicap qui voudraient accéder à ce soutien essentiel du revenu.

Deuxièmement, toute forme de récupération, que ce soit par le secteur privé ou par un gouvernement, est essentiellement ce qu’on pourrait appeler du capacitisme financier. C’est une attaque mesquine contre des gens en situation de vulnérabilité. Cela perpétue aussi considérablement et aggrave même les désavantages passés et actuels que vivent les Canadiens en situation de handicap, en plus de stéréotyper ces personnes pour les présenter comme un fardeau financier pour les contribuables et les programmes gouvernementaux.

Plus important encore, la récupération est une mesure à courte vue et une fausse économie. Elle ne favorise pas la résilience, ne reflète pas les possibilités ou le respect, elle est plutôt susceptible d’exacerber l’anxiété, le sentiment de marginalisation et de dévalorisation, l’exclusion, la méfiance, l’insécurité alimentaire, l’épuisement physique et la tension mentale. Le stress lié à la non-satisfaction des besoins fondamentaux, au sentiment d’être stigmatisé, oublié et puni une fois de plus, augmentera la pression sur les autres services de santé mentale des gouvernements provinciaux, sur les hôpitaux, les services d’urgence, les centres de crise et les lignes d’écoute téléphonique tout en limitant l’accès à l’éducation, à l’emploi et aux transports en commun.

Ce sont des arguments que j’espère voir dans votre rapport sénatorial. Qu’on les appelle observations ou conclusions, ce sont des points importants. Je ne pense pas que l’on puisse légiférer ou interdire des dispositions de récupération pour un gouvernement provincial ou territorial, mais vous pouvez faire valoir cela. L’argument moral et les arguments économiques sont clairs et très convaincants.

Je vais m’arrêter maintenant, avec plaisir, et laisser beaucoup de temps pour les questions et les réponses. Merci beaucoup.

La présidente : Merci beaucoup, monsieur Prince. Chers collègues, nous allons maintenant passer à une série de questions. La limite est de quatre minutes par personne. Voyons si nous pouvons la respecter. Puis-je vous demander, s’il vous plaît, de vous présenter en donnant votre nom aux témoins avant de poser vos questions? Nous allons commencer par la vice‑présidente du comité, la sénatrice Bovey.

La sénatrice Bovey : Je remercie les deux témoins. Monsieur Prince, je tiens à vous remercier de votre discussion sur les dispositions de récupération. C’est très utile. Je tiens à préciser aux fins du compte rendu que le Manitoba travaille actuellement à l’élaboration d’une loi sur l’accessibilité, et certains de mes amis de la communauté des personnes handicapées m’ont avertie qu’ils sont inquiets et qu’ils attendent de voir ce tout ceci donnera avant de finaliser leur projet de loi; nous verrons donc.

Monsieur Lepofsky, j’aimerais vous remercier des documents que vous nous avez envoyés ces derniers temps. C’était très utile.

La question que j’aimerais maintenant vous poser à tous deux est très simple. J’aimerais savoir ce que vous pensez quant à la façon dont l’admissibilité à ce montant doit être définie, puisque les situations économiques sont différentes dans chaque province du pays. Si vous pouvez me donner votre avis sur cela, ce serait très utile.

M. Lepofsky : Nous avons une proposition précise. Nous soutiendrons celle que Me Calderhead a faite au cours de la dernière heure, et la sénatrice Lankin a dit que, selon un avis juridique, la modification du libellé qu’il a proposée ne ferait pas de différence par rapport à ce qui est prévu au paragraphe 11(1.1) du projet de loi. Avec respect, je ne suis pas d’accord. La formulation que Me Calderhead a proposée le renforcerait.

Cependant, si ce libellé ne fait pas de différence ou était donnait plus de force que ce que le gouvernement jugerait acceptable, nous vous avons soumis deux propositions. Nous vous exhortons à adopter les deux. En réponse à ce que vous avez entendu ici, premièrement, notre recommandation 5.1, où la disposition prévoit maintenant que « le Cabinet, au moment de fixer le montant, doit tenir compte du seuil de pauvreté », nous disons qu’il faut ajouter trois choses. Il doit également prendre en considération les coûts supplémentaires associés à la vie avec un handicap — vous en avez entendu parler —, il doit tenir compte des besoins intersectionnels des personnes et des groupes défavorisés et il doit tenir compte des obligations internationales du Canada.

Nous disons également que la ministre et tous les futurs ministres, lorsqu’ils établissent un montant ou l’ajustent, devraient être tenus de faire rapport aux deux Chambres du Parlement sur la question de savoir s’ils ont atteint le seuil de pauvreté ou l’ont dépassé, et, si ce n’est pas le cas, en donner les raisons. Faites confiance, mais vérifiez.

La sénatrice Bovey : Merci. Monsieur Prince?

M. Prince : Merci de la question. Le comité a entendu un certain nombre d’experts, d’intervenants et de dirigeants parler des coûts supplémentaires. Le fait que l’on ait maintenant la Mesure du panier de consommation est très important. C’est la première grande nouvelle prestation fédérale de revenu qui sera mise en place après l’adoption de la Loi sur la réduction de la pauvreté. C’est la première nouvelle prestation fédérale de revenu qui doit reposer sur la Mesure du panier de consommation. Cependant, cette mesure est inadéquate. Statistique Canada le sait. Emploi et Développement social Canada et la ministre le savent.

Donc, encore une fois, peu importe le libellé, on reconnaît qu’il y a un écart de 20 ou 30 %. De plus, vous indiquez dans vos observations que Statistique Canada et Emploi et Développement social Canada doivent poursuivre leur travail en vue de définir un supplément adéquat à la Mesure du panier de consommation, et ce supplément devrait être établi en fonction d’indicateurs et d’estimations fondés sur des données probantes concernant les coûts supplémentaires moyens. Il devrait refléter une moyenne et couvrir un grand nombre de handicaps différents, comme vous le savez bien, madame la sénatrice. Nous pourrions probablement convenir d’un chiffre qui tiendrait compte de manière adéquate et équitable du coût supplémentaire de la vie et des dépenses personnelles que doivent supporter de nombreux Canadiens handicapés.

La présidente : Merci, monsieur Prince.

La sénatrice Seidman : Je remercie M. Lepofsky et M. Prince de leur exposé. Monsieur Prince, je vous remercie de tous les travaux universitaires sur les handicaps et la politique sociale que vous faites depuis des décennies. Monsieur Lepofsky, merci de votre énorme contribution aux droits de la communauté des personnes handicapées au fil des ans et de votre militantisme, que nous apprécions vraiment en tant que législateurs. J’ai une question pour vous, monsieur Prince, et une pour vous, monsieur Lepofsky.

Monsieur Prince, êtes-vous d’accord avec la proposition de Me Muller et de Me Schwartz visant à éviter la récupération par les assureurs privés?

M. Prince : En un mot, oui.

La sénatrice Seidman : C’était rapide. D’accord, merci beaucoup. C’est très utile.

Monsieur Lepofsky, dans votre exposé — au nom bien sûr de l’Alliance de la Loi sur l’accessibilité pour les personnes handicapées de l’Ontario —, vous avez parlé des modifications des dispositions de récupération provinciales et territoriales concernant l’assurance. Vous avez également parlé des dispositions de récupération du gouvernement fédéral, dont nous n’avons pas beaucoup parlé. Vous avez dit que le gouvernement fédéral devrait donner l’exemple.

Quand la ministre a comparu ici, le 22 mars... je le dis aux fins du compte rendu, car je crois que c’est très important. En fait, je lui ai posé votre question sur les dispositions de récupération dans les provinces. J’ai demandé si le gouvernement fédéral était :

[…] prêt à permettre que la prestation canadienne pour les personnes handicapées soit versée aux personnes handicapées dans une province ou un territoire qui a signé une entente avec le gouvernement fédéral, même si d’autres provinces ou territoires n’ont pas signé d’entente de non‑récupération.

Voici ce qu’elle a répondu :

Tout d’abord, il s’agira d’un paiement mensuel direct versé aux particuliers. Cela se produira, peu importe qu’il y ait un protocole d’entente dans leur province ou territoire ou non. En fait, idéalement, ces ententes devraient précéder le premier paiement. En aucune façon quelqu’un ne serait pas payé parce que nous n’avons pas conclu d’entente avec sa province ou son territoire. Je ne veux pas que cela se produise parce que je ne veux pas que ce paiement soit compensé ou récupéré, mais tout le monde peut être assuré qu’aucun bénéficiaire ne sera pris en otage alors que nous négocions ces ententes avec les provinces et les territoires, et je tiens à ce que cela soit parfaitement clair.

J’aimerais savoir ce que vous en pensez.

M. Lepofsky : Respectueusement, je dis que la réponse de la ministre ne règle pas le problème. Le problème est le suivant : soit cette prestation commencera à être versée dans une province donnée dès que son premier ministre aura signé, mais dans aucune autre province, soit elle ne commencera à être versée que lorsque les 10 premiers ministres et tous les territoires ont signé, ce qui pourrait prendre encore beaucoup de temps.

Maintenant, en ce qui concerne la prestation pour la garde d’enfants, le gouvernement a décidé qu’elle commencerait à être versée dans une province dès qu’elle aura signé. Nous proposons cette solution, ici, et c’est notre première recommandation. Après la signature, dans les six mois, l’argent sera versé.

Mais nous ne voulons pas empêcher le gouvernement fédéral de faire des paiements dans une province qui n’a pas signé, si c’est ce qu’il veut. Nous avons revu cette recommandation. Nous disons, au deuxième paragraphe de notre première recommandation, que le gouvernement fédéral restera libre de faire exactement ce que la ministre a dit, dans cette citation.

Voici le problème, et c’est sur ce point que je conclus. Le problème est que la ministre et le gouvernement — je ne vise pas particulièrement la ministre — sont devant un dilemme. La ministre a justement déclaré l’automne dernier qu’il y a une limite à ne pas franchir et qu’ils n’autoriseront aucune récupération. Dans une province qui ne s’est pas engagée, qui n’a pas signé pour qu’il n’y ait pas de récupération, le versement de l’argent dans cette province pourrait franchir cette limite.

Donc, que faire? Soit vous ne payez pas dans cette province, soit vous retardez le reste du pays? Nous disons qu’il faut verser l’argent au plus grand nombre de personnes handicapées possible le plus rapidement possible. Si une province a déjà signé, il faut y verser l’argent. Donnez à la ministre la liberté de payer ailleurs, si elle le souhaite, mais faites pression sur les autres premiers ministres pour qu’ils signent, et vos citoyens et résidants auront également droit à l’argent.

La sénatrice Osler : Merci beaucoup aux deux témoins de leur témoignage. Cette question s’adresse à vous deux, mais je commencerai peut-être par M. Prince. Je fais suite à la première question de la sénatrice Seidman.

Voici ce qu’a dit un témoin plus tôt aujourd’hui au comité :

À défaut d’interdire aux assureurs privés de déduire ou de compenser le montant reçu, les bénéficiaires visés par la Prestation canadienne pour les personnes handicapées ne recevront aucune prestation supplémentaire.

Ma question s’adresse à vous deux, et je commencerai par M. Prince; pourriez-vous, s’il vous plaît, en dire plus ou donner des explications sur les mesures dissuasives ou les interdictions de déductions ou de compensations relatives à l’assurance privée?

M. Prince : Comme l’a dit le groupe de témoins qui a soulevé la question, ce sont eux, les experts. Je ne connais pas le monde de l’invalidité de longue durée. J’ai par contre quelques connaissances sur la façon dont ce monde interagit avec le Programme de prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada et le programme équivalent du Québec.

Dans ce cas, la prestation est considérée comme le premier payeur. Autrement dit, la prestation du gouvernement est considérée comme le premier payeur. Les programmes d’assurances reposent sur cela, et l’on suppose qu’un demandeur s’adresserait d’abord au programme public pour présenter sa demande. Ensuite, le montant qu’il obtient pour une invalidité de longue durée dépend de s’il réussit à obtenir la prestation publique et le montant qu’il reçoit de ce programme public.

La nouvelle prestation canadienne d’invalidité est l’exact contraire. Elle n’est pas conçue pour être le premier payeur. Elle est censée être un supplément à d’autres sources de revenus existantes, y compris l’assurance privée et les régimes d’assurance-invalidité de longue durée ou de courte durée. Il est absolument essentiel de préciser qu’il n’y aura pas de compensation ou de récupération en cas d’interaction entre les deux types de prestations.

Encore une fois, je m’en remettrai entièrement aux experts que vous avez entendus plus tôt, ce matin, et à leur avertissement quant à la possibilité réelle de compensations par le secteur de l’assurance privée. Je pense qu’il faut prendre cela très au sérieux.

En ce qui concerne l’interaction entre les programmes fédéraux, pourquoi ne pas l’inclure dans le projet de loi pour plus de clarté? C’est du côté des provinces et des territoires que le bât blesse, comme M. Lepofsky vient de le mentionner. Cela nous amène dans le monde des relations et des négociations intergouvernementales.

En ce qui concerne l’invalidité de longue durée, je pense qu’il existe un risque évident qui n’a pas été pris en compte dans le projet de loi et qui devrait l’être. Merci.

M. Lepofsky : Permettez-moi de vous présenter très rapidement quatre points.

Premièrement, le 22 mars, la ministre a reconnu que c’était un problème, et a convenu qu’aucune compagnie d’assurance ne devait récupérer, pour son profit, l’argent destiné aux personnes handicapées démunies. Elle a bien fait.

Deuxièmement, elle a dit que l’on pouvait régler le problème au moyen d’un protocole d’entente. Comme Me Schwartz l’a expliqué au cours de la dernière heure... et je suis d’accord avec son avis constitutionnel, non pas parce que nous sommes amis, mais parce que nous avons tous les deux travaillé dans la même direction du droit constitutionnel. Cela fait partie de mon honteux passé. Le fait est que, si une personne handicapée estime que sa compagnie d’assurance privée récupère l’argent, elle ne peut pas aller déclarer qu’il y a un protocole d’entente avec le gouvernement fédéral. La réponse serait : « Merci beaucoup. Nous récupérons l’argent. » De même, si vous allez devant un tribunal, il n’y a pas de réponse. La seule réponse est un amendement fédéral qui garantira cela.

Troisièmement, la ministre dit que nous pourrions simplement appeler cela une prestation sociale, reprenant ce que le secteur de l’assurance a dit. Cependant, Me Muller — et on ne peut pas trouver meilleur expert —, je vais tout avouer, est aussi un ami, mais nous n’avons pas travaillé dans le même bureau, et c’est lui qui a mis le doigt sur le problème et en a parlé à tout le monde. Comme il l’a dit, dans certains contrats d’assurance importants, étant donné leur libellé, le fait de les qualifier de prestations sociales ne protège pas l’assuré contre la récupération.

Enfin, on a posé à mes amis la question suivante : pourrait-il y avoir une contestation judiciaire? Mesdames et messieurs, j’étais dans le domaine du droit. Il peut toujours y avoir une contestation judiciaire. Cependant, je n’aimerais pas être celui qui défend ce point de vue, et j’aimerais bien être celui qui, au tribunal, explique au juge que le gouvernement fédéral ne peut tout simplement pas empêcher que l’argent des personnes handicapées démunies soit détourné au profit des riches détenteurs d’actions dans le domaine de l’assurance. Enfin, bonne chance.

La présidente : Merci beaucoup.

La sénatrice Osler : Je vais céder au comité le temps qu’il me reste.

La sénatrice Petitclerc : Je remercie les témoins d’être ici et de la valeur de leurs commentaires. C’est très utile dans notre étude.

Ma première question sera pour vous, monsieur Lepofsky. C’est une question simple, mais je suis sûre que vous avez quelque chose à dire à ce sujet, je n’ai aucun doute.

M. Lepofsky : Je vais compliquer les choses.

La sénatrice Petitclerc : Nous avons entendu de nombreux témoins, y compris la ministre et le parrain du projet de loi, dire que ce projet de loi a le potentiel — potentiel, potentiel — de sortir les personnes handicapées de la pauvreté. Cette composante « potentiel » ne me convient pas.

Comment pouvons-nous nous assurer que ce projet de loi ait plus qu’un « potentiel »? Les propositions que nous avons sous les yeux et celles dont nous avons parlé tout à l’heure avec Me Muller, par exemple... ces propositions permettraient-elles d’ôter à ce projet de loi son aspect potentiel et de reconnaître avec un peu plus de certitude ou d’assurance qu’il peut sortir les gens de la pauvreté?

M. Lepofsky : Quand la sénatrice Dasko a demandé à l’un des plus grands défenseurs du projet de loi, si le projet de loi est adopté tel qu’il est, combien de personnes il permettra de sortir  de la pauvreté. La réponse était, essentiellement, « Nous l’espérons et nous nous battrons pour cela. »

Je salue ce point de vue, mais je pense respectueusement qu’il faut faire plus qu’espérer. On n’espère pas seulement pour cette ministre si dévouée, mais pour tous les autres ministres, et pour toujours. Les lois sont adoptées pour essayer de faire mieux que cela.

Par exemple, voici comment on peut apporter un peu plus d’espoir ou un peu plus de potentiel. Tout dépend du règlement, mais il n’y a pas de date limite pour l’adoption du règlement. Il y a six mois, la ministre a dit qu’il lui fallait un an, et qu’il n’est pas nécessaire d’attendre jusqu’à l’adoption du projet de loi. Ils s’occupent du travail politique actuellement. Il faut attendre que le projet de loi soit adopté avant de rédiger la version finale, mais cela prend deux ou trois semaines, une fois que l’on sait vraiment ce qui doit y être énoncé.

Elle a dit cela il y a six mois. Nous avons dit à l’époque qu’il fallait un amendement et fixer le délai à 10 mois. Cela fait maintenant six mois. Nous demandons toujours 10 mois. Donc, fixez-le à un an... peu importe. Fixez une date limite.

Vous vous souviendrez, madame la sénatrice, qu’il n’y avait pas de délai dans la Loi canadienne sur l’accessibilité. Si ma mémoire est bonne, vous en avez imposé un; nous l’avions demandé. Cela fait une énorme différence.

La dernière chose que je dirai à ce sujet, c’est que, alors que vous essayiez de concilier les groupes qui disent qu’il ne faut pas apporter de modifications et ceux qui disent qu’il faut le faire, vous avez reçu une lettre de nombreuses organisations disant de ne pas apporter de modifications parce que les amendements de la Chambre étaient suffisamment bons. Soit dit en passant, nous n’avons pas signé cette lettre, mais elle disait précisément que les amendements à la Chambre étaient suffisamment bons, entre autres choses, parce qu’on a fixé des délais raisonnables pour l’adoption du règlement.

Mesdames et messieurs, lisez le projet de loi, relisez-le et relisez-le une troisième fois. Avec respect, le projet de loi ne dit pas cela. Vous pouvez faire en sorte qu’il le dise.

La sénatrice Lankin : Tout d’abord, j’aimerais simplement dire au comité que les commentaires de M. Lepofsky sur l’existence d’une jurisprudence qui appuie... Il y a une différence entre les expressions « compatible avec » et « cohérente avec » ou « tenir compte ». C’est la question que j’ai posée à Me Calderhead, et il va nous répondre. Il dit qu’il existe des précédents au niveau fédéral, contrairement à ce que le légiste a dit. Nous allons recevoir sa réponse et nous pourrons l’examiner à ce moment-là.

Ensuite, j’étais tentée de demander à M. Lepofsky, étant donné la passion avec laquelle il présente ses informations, de bien vouloir nous dire ce qu’il en pense réellement. J’aimerais que vous vous mettiez à ma place un instant. À l’époque où il était ministre provincial, M. Lepofsky était l’un des principaux conseillers juridiques internes du gouvernement. Je l’ai toujours trouvé très intimidant. Ce n’est plus le cas, monsieur Lepofsky; c’est bon. Je peux débattre avec vous maintenant.

Je voudrais en venir à l’article 11, qui énonce certaines des choses qui doivent être compatibles ou prises en considération, quelle que soit l’expression qui sera retenue. Il y a le seuil de pauvreté et sa définition. Il y a les coûts associés à la vie avec un handicap. Il y a les besoins intersectionnels et les obligations en matière de droits de la personne.

Je vous ai posé la question directement à vous; monsieur Prince, j’apprécierais vos commentaires à ce sujet également. C’est très déconcertant de voir cet ensemble disparate de soutiens, d’un bout à l’autre du pays, mais en ce qui concerne les coûts supplémentaires de la vie avec un handicap, je pense qu’il existe dans chaque province ou territoire, à des degrés d’adéquation différents, des programmes d’appareils et d’accessoires fonctionnels. À l’échelon fédéral, il existe — et il y a une certaine comparabilité à certains échelons provinciaux et territoriaux — un crédit d’impôt pour personnes handicapées.

Nous savons que des choses comme les prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada sont le premier payeur, contrairement aux prestations supplémentaires, on ne tirera donc aucun avantage supplémentaire de cela. Cependant, il y a une myriade d’autres moyens par lesquels cela a été réglé — et encore une fois, je ne parle pas du caractère adéquat de la manière dont cela a été traité —, et établir une moyenne, comme en a parlé M. Prince, est un concept difficile lorsqu’on pense à la grande diversité des handicaps et des besoins des personnes handicapées.

Je suis très ouverte et j’appuie l’idée d’essayer de faire ce qu’il faut à ce chapitre. Je suis simplement consciente du fait qu’un certain nombre d’efforts vont faire double emploi. Monsieur Lepofsky, pourriez-vous me démentir sur ce point, comme vous l’avez fait auparavant? Monsieur Prince, pourriez-vous commenter cela également?

M. Lepofsky : En bref, calculer les coûts d’un handicap, c’est compliqué. Nous avons complètement évité cela en disant simplement que c’est un facteur que le Cabinet doit prendre en considération. Nous avons essayé de trouver un libellé que le comité pourrait adopter et que nous aurions de très bons arguments à présenter la Chambre pour qu’elle l’approuve, car cela ne nous enferme pas dans ces complexités; il est simplement demandé au Cabinet d’en tenir compte, sans lui imposer de contraintes quant à la manière de procéder.

M. Prince : Merci de la question. Madame la sénatrice, vous avez mentionné divers autres programmes offerts par les provinces. Vous avez donné l’exemple des appareils et accessoires fonctionnels, des aides et des équipements.

Vous avez tout à fait raison. La réalité dans de nombreuses provinces est qu’il y a des listes d’attente pour bon nombre de ces programmes. Les plafonds d’actifs sont souvent très bas. C’est très hétéroclite. Vous avez tout à fait raison.

En ce qui concerne la Sécurité de la vieillesse et le Supplément de revenu garanti, il y a de nombreuses années, le Parlement a décidé de supposer les besoins moyens des personnes âgées. On verse cette somme à tout le monde au Canada, d’un bout à l’autre du pays. On n’essaie pas de perfectionner cela.

En ce qui concerne l’admissibilité, de nombreux groupes de personnes handicapées disent que l’on peut faire la même chose ici. Je reconnais qu’il existe une grande diversité d’expériences humaines liées aux limites qu’impose un handicap, mais, pour ce qui a trait à une prestation de revenu, si on essaie d’emprunter la même voie qu’avec le crédit d’impôt pour personnes handicapées, détailler et surveiller, on ira à l’encontre de l’esprit et de l’objectif de ce projet de loi, absolument.

Le sénateur Arnot : Ma question s’adresse à M. Lepofsky.

Monsieur Lepofsky, je m’appelle David Arnot. Je suis un sénateur de la Saskatchewan. Nous avons rencontré la ministre Qualtrough en 2017 pour discuter de certaines de ces questions.

Je dis cela pour dire ceci : vous avez dit sans équivoque et sans ambiguïté qu’il fallait rendre ce projet de loi aussi fort que possible, le faire maintenant et laisser le moins possible à la réglementation, si j’ai bien compris. Vous êtes en total accord avec la recommandation du dernier groupe de témoins, qui veut apporter à la loi un amendement qui garantit un délai fixé pour la création de ce règlement, à savoir 10 mois.

Êtes-vous satisfait de l’accès que peut avoir la société civile, et en particulier votre organisation, au type de contribution que vous souhaitez apporter à la conception des prestations? Y a-t-il des questions qui n’ont pas été soulevées par le comité jusqu’à présent et que vous souhaitez développer pour le comité aujourd’hui? Que peut faire le comité pour s’assurer que la société civile puisse apporter une contribution nécessaire à la conception des prestations?

M. Lepofsky : Permettez-moi de répondre à vos deux questions. D’abord, je pense que la ministre est très sincère dans sa volonté de mettre en œuvre un processus ouvert de consultation. Je pense que certaines personnes ont utilisé le terme « cocréation » pour dire littéralement prendre le stylo et l’écrire ou se réunir dans la salle où les décisions sont prises. Cela n’arrivera jamais. Le Cabinet n’invite personne.

Je pense qu’il y a des groupes très enthousiastes à l’idée d’être inclus, et je pense que c’est très bien, aussi. Je pense qu’ils sont tous sincères, mais voici la réalité : j’ai participé à la fois en tant qu’avocat du gouvernement à l’interne et, plus important encore, en tant que défenseur des droits des personnes handicapées à l’externe. Il est extrêmement difficile d’avoir une incidence quelconque sur un règlement, même avec ces engagements.

En ce qui concerne la Loi canadienne sur l’accessibilité, de grands engagements ont été pris quant à l’incidence que nous allions avoir sur la forme du règlement définissant les normes d’accessibilité. À peu près au même moment, l’Office des transports du Canada a rédigé un nouveau règlement sur le transport aérien accessible. Mesdames et messieurs, on a vraiment l’impression qu’il a été rédigé par les compagnies aériennes, et il nous blesse, d’une certaine manière. C’est vraiment troublant.

Je ne remets pas du tout en question le dévouement ou la sincérité de la ministre. Je dis que même la réalisation de ce qu’elle et ces autres groupes veulent est très difficile.

Maintenant, pour ce qui est de ce que vous n’avez pas demandé, je ne vous dirais qu’une chose de plus. Vous devez examiner bien des choses, mais des gens ont dit, à vous et à moi, que les handicaps et la pauvreté ne s’arrêtent pas à 65 ans. Certaines personnes veulent que la limite de l’âge de travailler soit supprimée. Je sais que le gouvernement n’ira pas jusque là, donc nous avons proposé une modeste définition, soit l’âge de travailler qui y donne droit. Cela ne définit pas l’âge. Pourquoi ne proposez-vous pas un amendement qui dit que l’âge de travailler va jusqu’à 70 ans ou à un âge plus avancé que définirait le Cabinet? Du moins, ce serait pour certaines personnes âgées un remède — sans mauvais jeu de mots — que nous reconnaissions que la pauvreté liée à un handicap ne s’arrête pas à 65 ans, mais sans supprimer d’une façon ou d’une autre la limite de l’âge de travailler à laquelle le gouvernement tient et qui est au cœur de ce projet de loi.

Le sénateur Arnot : Je pense que les sénateurs peuvent travailler jusqu’à 75 ans. Vous devriez peut-être...

M. Lepofsky : Je pourrais formuler bien des arguments pour justifier que cette limite devrait être plus élevée. Soixante‑dix ans n’est pas un chiffre magique, mais nous voulions un âge légèrement plus avancé que 65 ans afin de briser le mur des 65 ans.

Le sénateur Arnot : Je vous remercie de si bien défendre ces droits.

La sénatrice Bernard : Merci à nos deux témoins. J’aimerais moi aussi vous remercier de si bien défendre les droits de ces personnes depuis des dizaines d’années. C’est important.

J’aurais une question pour M. Lepofsky. Un des amendements que vous proposez concerne l’intersectionnalité. Aux fins du compte rendu, pourriez-vous expliquer au comité pourquoi c’est important, selon vous?

M. Lepofsky : En formulant nos recommandations, nous avons tout revu et avons ajouté cet aspect après avoir lu tout ce qui s’était dit durant les audiences.

Madame la sénatrice, vous et certains de vos collègues avez abordé le sujet avec des témoins qui ne parlaient pas de cela. Un certain nombre de groupes se sont présentés devant vous et ont eux-mêmes abordé le sujet. Nous avons eu de la difficulté à inclure cela dans le cadre de ce projet de loi.

Si nous avions plus de temps et que le projet de loi n’était pas rendu à cette étape-ci, nous envisagerions peut-être d’ajouter autre chose; mais, selon moi, selon nous, il faut au moins que cet aspect s’y trouve.

La seule chose que vous pourriez vouloir faire, si vous voulez aller au-delà du libellé que nous avons employé au point 5.1, c’est d’indiquer ce dont le gouvernement doit tenir compte au moment d’établir le montant.

En ce qui concerne le rapport que doit préparer la ministre, vous pourriez ajouter à ce que nous avons écrit à notre point 5.2 que la ministre doit non seulement indiquer si le gouvernement a réussi à pallier le seuil de la pauvreté — et si ce n’est pas le cas, pourquoi —, mais aussi expliquer la façon dont les autres facteurs liés aux frais supplémentaires relatifs à un handicap et à l’intersectionnalité que nous énonçons sont traités. Encore une fois, faites confiance, mais vérifiez.

Cela va au-delà de ce que nous avons écrit, mais, pendant que je vous parle, je pense qu’il serait préférable de s’attacher à l’objectif dont vous parlez.

La sénatrice Bernard : Merci beaucoup.

Monsieur Prince, pourriez-vous nous dire si vous croyez qu’il est important d’adopter une approche intersectionnelle pour discuter de handicaps et nous donner vos raisons?

M. Prince : Merci d’avoir posé la question, madame la sénatrice. Tout à fait. C’est important, en partie parce que certaines populations sont difficiles à joindre, comme l’a aussi mentionné votre comité. Je pense que ce sujet a été abordé il y a plusieurs réunions de cela lorsqu’il a été question de la possibilité d’utiliser le numéro d’assurance sociale pour accéder au portail de demande.

Je ne sais pas si le projet de loi, tel qu’il est présentement, dit assez clairement si ce sera le seul ou le principal portail, mais, comme vous le savez très bien, si c’est le seul portail, cela exclurait bien des groupes marginalisés. Une analyse intersectionnelle relève ce point.

Ce que M. Lepofsky vient de dire, que nous le faisons déjà... le comité a rédigé un excellent rapport sur le cadre stratégique relatif à l’ACS Plus du gouvernement du Canada. Nous le voyons maintenant régulièrement dans les budgets fédéraux. Je crois que nous devrions continuer de l’appliquer et de mettre à profit les progrès réalisés. S’il s’agit d’une occasion pour la nouvelle génération, regardons vers l’avenir et faisons en sorte qu’une analyse intersectionnelle devienne la norme au moment de définir l’incidence des prestations. Merci.

La sénatrice Burey : Merci, messieurs Lepofsky et Prince. J’ai eu le plaisir de m’entretenir avec M. Lepofsky, hier. Merci de votre engagement et aussi de servir depuis longtemps la communauté des personnes en situation de handicap.

Ma question s’adresse en fait à M. Prince. Vous pouvez y répondre par écrit, si cela ne vous dérange pas.

J’ai toujours considéré ce projet de loi comme un investissement dans le capital humain de notre pays, et vous y avez fait allusion dans certaines de vos remarques. Vous avez fait d’excellentes recherches sur ce sujet.

Seriez-vous en mesure d’expliquer à notre comité, par écrit, l’incidence qu’aurait ce projet de loi au chapitre de l’économie, de la santé et de la justice, et pourriez-vous expliquer la nécessité de ce projet de loi?

M. Prince : Il me fera plaisir de vous envoyer de l’information. Je suis convaincu que vos recherchistes peuvent aussi vous trouver ce genre de documentation.

Évidemment, ce projet de loi vise, en partie, à régler le problème de la pauvreté. Il vise aussi à donner une certaine sécurité financière. Comme nous le savons, cela concerne tant la santé publique et la santé mentale que les prestations de revenu; donc, selon moi, l’intention de ce projet de loi est de donner aux gens le pouvoir de prendre part à la vie de leur communauté et de participer aux événements sociaux et communautaires, au marché du travail et aux activités économiques d’une façon qui ne peut qu’être bénéfique, on peut l’imaginer. Nous espérons aussi que ce projet de loi donne accès à une prestation adéquate et suffisante pour éliminer les obstacles et laisser libre cours au potentiel de centaines de milliers de Canadiens en situation de handicap qui ne demandent qu’à participer à la société.

Merci.

La présidente : Merci. Il me reste encore un peu de temps pour poser ma question, qui s’adresse à vous deux, mais je vais commencer par remercier David Lepofsky de nous avoir bien informés tout au long de notre étude et, bien entendu, de défendre les droits des Canadiens et des Canadiennes, particulièrement ceux et celles en situation de handicap.

Ma question concerne l’équilibre entre le faire maintenant et bien le faire. Je me rappelle que des représentants de la communauté de défense des droits des personnes en situation de handicap ont comparu devant notre comité, précédemment, pour nous dire qu’il était primordial de fournir de l’aide financière aux personnes en situation de handicap et que, en fait, celles-ci travaillaient déjà partout au pays, en tant que groupes de la société civile afin de négocier et de préparer les négociations entre le gouvernement fédéral et les autres gouvernements.

J’aimerais connaître votre opinion au sujet de cette stratégie et de cette déclaration.

M. Lepofsky : Nous voulons nous aussi accélérer les choses. Il ne s’agit pas d’un désaccord. De toute façon, ce projet de loi doit être amendé sur le plan technique parce que l’article 14 a été bousillé par le comité permanent de la Chambre des communes. Je le sais, parce que j’en ai été témoin, et j’ai envoyé un courriel au gouvernement, au bureau de la ministre et au secrétaire parlementaire, cinq minutes après que c’est arrivé, pour leur dire de régler le problème, et personne ne l’a fait. Nous avons dit : « Vous devez régler le problème lors de la troisième lecture. » Ils ne l’ont pas fait. Ils vous en ont laissé le soin. Vous devez le régler.

Rapidement, je vais vous aider à comprendre pourquoi c’est important. L’article 14 indiquait que le Cabinet déciderait du moment où le projet de loi entrerait en vigueur. Le comité permanent de la Chambre des communes a retiré cette indication. Il a retiré ce pouvoir à la Chambre dans le but d’accélérer les choses en indiquant plutôt que le projet de loi entrerait en vigueur au plus tard un an après avoir reçu la sanction royale. Mais il ne dit pas quand dans l’année.

Donc, il y a deux possibilités. La première, c’est que l’ambiguïté, qui est clairement là, incite les bureaucrates fédéraux à invoquer l’année et à dire : « Eh bien, nous devons attendre un an », ce qui causerait du tort à ceux qui veulent avoir l’argent rapidement. La deuxième possibilité, c’est que l’on conclue que, puisque c’est ambigu, la Loi d’interprétation fait en sorte que le projet de loi entre en vigueur maintenant, même si ce n’est pas ce qui est indiqué. Vous avez alors une épée de Damoclès au-dessus du règlement.

Si vous précisez les choses, soit en amendant l’article 14 afin qu’il soit indiqué que le projet de loi entre en vigueur dès la sanction royale, soit en abrogeant l’article 14 puisque le résultat sera le même, le problème est réglé; ce qui veut dire qu’il doit retourner devant la Chambre. Si vous effectuez les autres changements mineurs dont nous parlons, ils devront être examinés par la Chambre.

L’avantage que vous avez est identique à ce qui est arrivé il y a quatre ans. Le comité était divisé sur la question de savoir s’il fallait apporter des amendements ou non, et il a décidé de le faire. Puis, nous nous sommes tous réunis quelques semaines plus tard pour demander à la Chambre, de façon unanime, de ratifier les amendements du Sénat et c’est ce que la Chambre a fait. Nous l’avons fait de concert avec la ministre avec laquelle nous travaillons aujourd’hui. C’est pour cette raison que je crois que c’est ce qui arrivera de nouveau.

La présidente : Merci beaucoup. J’ai encore du temps pour une dernière question de deux ou trois minutes.

M. Prince : Aimeriez-vous que je vous donne mon avis sur cette question, madame la présidente?

La présidente : Oui.

M. Prince : En ce qui concerne la question que pose constamment la sénatrice Bovey concernant le dilemme ou le problème du temps : même si vous approuviez le projet de loi tel qu’il est aujourd’hui sans faire aucun amendement, aucun Canadien en situation de handicap ne recevrait de prestations de ce programme avant tard en 2024, voire en 2025. Le scénario le plus optimiste serait de viser l’année prochaine, soit 2024.

La situation sera alors la suivante : je crois qu’il faut faire des amendements concernant l’application régulière de la loi, les droits d’appel, etc. En attendant, l’occasion s’offre à nous dans le cadre de l’énoncé économique de l’automne et du prochain budget fédéral du printemps 2024 de réserver des fonds additionnels pour les Canadiens et les Canadiennes en situation de handicap dans le besoin. Il y a des précédents. Ce n’est pas une question de choisir l’un ou l’autre. Si nous voulons que de l’argent soit versé le plus rapidement possible, nous pouvons explorer d’autres options et la ministre peut se pencher sur la question avec ses collègues.

Donc je ne pense pas que vous ayez besoin de vous dépêcher. D’importants points doivent être précisés dans ce projet de loi à l’égard des handicaps à long terme, et le règlement doit être plus clair, entre autres choses.

La présidente : Merci à nos deux témoins. Vous nous avez donné vraiment beaucoup d’information et d’avis qui sont très importants pour nous.

Chers collègues, la semaine prochaine, nous ferons l’étude article par article. Nous attendons encore de savoir si un dernier témoin sera convoqué, mais la greffière du comité vous dira, à vous et votre personnel, si nous commencerons l’étude article par article mercredi ou jeudi. Dans tous les cas, j’invite les sénatrices et les sénateurs à consulter le bureau du légiste au moment de rédiger l’ébauche de leurs amendements. Bien entendu, c’est très utile de communiquer les amendements ou les observations d’avance à la greffière. Ils seront traités de façon confidentielle sauf si vous souhaitez les communiquer aux membres de votre comité avant la réunion.

Merci, chers collègues. Encore une fois, merci à nos témoins. La séance est levée.

(La séance est levée.)

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