LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES SOCIALES, DES SCIENCES ET DE LA TECHNOLOGIE
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 28 septembre 2022
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd’hui, à 16 heures [HE], avec vidéoconférence, pour examiner, afin d’en faire rapport, les questions qui peuvent survenir de temps à autre dans les domaines des affaires sociales, des sciences et de la technologie en général.
La sénatrice Ratna Omidvar (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Honorables sénateurs et sénatrices, je m’appelle Ratna Omidvar, et je suis sénatrice de l’Ontario et présidente de ce comité. Aujourd’hui, nous examinons le rôle de l’analyse comparative entre les sexes plus, ou ACS Plus, dans l’élaboration des politiques. Nous avons des témoins qui comparaissent en personne et d’autres par vidéoconférence.
Dans notre premier groupe, nous accueillons Melanie Omeniho, présidente des Femmes Michif Otipemisiwak, par vidéoconférence; Lisa J. Smith, directrice principale, Gouvernance, Relations internationales et parlementaires, de l’Association des femmes autochtones du Canada, en personne; ainsi que les représentantes de Pauktuutit Inuit Women of Canada, Gerri Sharpe, présidente, et Amanda Fletcher, analyste principale des politiques, ACS Plus, qui comparaissent par vidéoconférence.
Merci beaucoup de vous joindre à nous aujourd’hui. Je vous invite maintenant à faire votre déclaration préliminaire. Notre temps est limité; vous disposerez de cinq minutes, après quoi nos membres vous poseront des questions qui, je l’espère, susciteront une discussion vraiment productive et fructueuse. Je rappelle aussi aux membres du comité que, selon l’usage habituel, chacun dispose de cinq minutes pour les questions et réponses.
Melanie Omeniho, présidente, Les Femmes Michif Otipemisiwak : Bonjour. Je vous remercie de donner aux Femmes Michif Otipemisiwak, ou LFMO, l’occasion de s’adresser à vous aujourd’hui alors que vous poursuivez votre étude de ce que nous considérons comme une nécessité absolue, appliquer à l’élaboration des politiques une approche d’analyse comparative entre les sexes plus. Je m’adresse à vous d’ici même à Ottawa, sur le territoire non cédé et non abandonné du peuple algonquin anishinaabe, mais je réside personnellement sur le territoire du Traité no 6, qui est la mère patrie de la nation métisse à Edmonton.
Nous trouvons encourageant d’entendre nos partenaires de divers ministères fédéraux, comme FEGC, SAC, RCAANC et la SCHL, dire qu’ils commencent à appliquer ou qu’ils continuent d’appliquer les techniques de l’ACS Plus dans leurs travaux. Nous trouvons encourageant de voir que vous étudiez le rôle de l’ACS Plus dans l’élaboration des politiques et nous espérons qu’en cours de route, vous aurez constamment à l’esprit l’importance d’une analyse comparative qui soit adaptée au plan culturel.
L’ACS Plus est au cœur de tout ce que nous faisons chez LFMO. En 2019, nous avons créé notre propre trousse en nous inspirant de ce qui se fait au ministère des Femmes et de l’Égalité des genres, mais en allant plus loin pour inclure nos façons de penser, nos valeurs et nos visions du monde, et pour rendre compte des personnalités uniques des femmes et des personnes de divers genres qui composent la société métisse. Cette trousse est disponible sur notre site Web et peut servir autant à des personnes, des collectivités et des organisations métisses, y compris des organismes autonomes, qu’aux gouvernements fédéral et provinciaux et aux organismes de la société en général qui voudraient appliquer l’ACS Plus dans une optique propre aux Métis.
Comme l’ACS Plus pour les Métis comprend des consultations au centre et à chaque étape, réunissant des femmes, des jeunes, des aînés et des personnes de diverses identités de genre, elle renvoie aux réalités actuelles, historiques et politiques des Métis. Elle mise sur la collaboration, elle se fonde sur les forces et les distinctions, et elle accorde une égale valeur aux formes courantes et aux formes ancestrales du savoir.
Avec des racines plongées dans l’histoire, les traditions, les enseignements, les activités et les relations intergénérationnelles des Métis, la trousse d’ACS Plus des Femmes Michif Otipemisiwak est représentée symboliquement comme une fleur, où les feuilles évoquent les facteurs intersectionnels plus généraux de l’ACS Plus, comme la géographie ou l’étape de la vie, tandis que les pétales décrivent les facteurs identitaires propres aux Métis, comme l’autodétermination et le rapport à la terre.
Comme tous les êtres vivants, la fleur est soumise à des facteurs externes. Dans le cas de l’ACS Plus propre aux Métis, ces facteurs renvoient aux capacités et aux ressources communautaires, aux droits et aux terres des Métis, ainsi qu’à l’appareil de justice pénale et aux systèmes socioéconomiques dans lesquels s’inscrit notre existence. Chez LFMO, dans tous nos engagements, dans la création de chacun de nos documents d’orientation et de nos énoncés de position, et dans nos relations avec nos partenaires, nous utilisons notre version proprement métisse de l’ACS Plus et nous parlons continuellement de notre trousse.
Il n’y a pas deux personnes pareilles, comme il n’y a pas deux personnes touchées de la même façon par une politique. L’ACS Plus nous permet de tenir compte de la situation unique à chaque personne à chaque étape de l’élaboration, de la mise en œuvre et de l’évaluation des politiques. En effet, une travailleuse métisse transgenre qui vit en Colombie-Britannique et dont la mère est une survivante des pensionnats aura des besoins de logement très différents de ceux d’une chômeuse métisse cisgenre non binaire qui vit dans le Nord de l’Ontario et qui s’occupe de sa kookum.
Souvent, lorsqu’on discute des enjeux des politiques et de leurs répercussions sur les Métis, ainsi que du vécu des Métis en général, on parle des faiblesses et des carences, surtout à cause de facteurs externes comme le colonialisme, la rafle des années 1960 et les pensionnats, qui ont brisé nos liens de Métis tissés serrés et nos réseaux de parenté.
Nous devons plutôt examiner toutes les politiques sous l’angle des forces métisses, comme la résilience, les façons dont les femmes métisses et les personnes métisses de divers genres mettent à contribution leurs atouts, leurs compétences et leur vécu, de leur propre point de vue et selon leurs propres termes.
Il y a aussi une grande absence de données sur les populations métisses, en grande partie parce que les données sont noyées dans des collectes qui visent tous les Autochtones et parce qu’on ne comprend pas qui sont les Métis. Les organisations métisses qui cherchent à recueillir leurs propres données manquent souvent de moyens ou de ressources. Afin d’appliquer efficacement l’ACS Plus dans toute démarche d’orientation stratégique et de combler ces lacunes statistiques, les groupes doivent disposer de données qu’ils auront eux-mêmes recueillies.
Comme le gouvernement fédéral s’engage à une application plus consciencieuse de l’ACS Plus dans tout le processus d’élaboration de ses politiques, je vous encourage à aller plus loin et à rechercher des outils d’analyse comparative qui soient adaptés au plan culturel et qui soient créés par et pour les populations qu’ils visent.
Merci de m’avoir écoutée.
La présidente : Merci beaucoup, madame Omeniho.
Lisa J. Smith, directrice principale, Gouvernance, relations internationales et relations parlementaires, Association des femmes autochtones du Canada :
Bonjour. Tout d’abord, je tiens à dire que je suis honorée d’être ici en personne à vos côtés, madame la présidente et honorables membres du comité. Je vais me faire l’écho d’une bonne partie de ce que nous venons d’entendre.
À l’Association des femmes autochtones du Canada, l’AFAC, nous préconisons une analyse comparative entre les sexes culturellement pertinente, que nous désignons par le sigle ACSCP. Qu’est-ce que l’ACSCP? Commençons par là. Il s’agit d’un outil d’analyse important qui permet d’évaluer les répercussions des politiques, des programmes et des lois sur les femmes et les filles autochtones, ainsi que sur les personnes bispirituelles, transgenres et de diverses identités de genre.
Articulée autour du savoir ancestral, l’ACSCP tient compte des problèmes historiques et actuels des peuples autochtones, dont les répercussions de la colonisation et des traumatismes intergénérationnels. Elle prend en compte les traditions, les structures et les normes sociales patriarcales importées d’Europe qui ont été imposées aux communautés autochtones depuis la rencontre des deux mondes, et qui ont eu des conséquences dévastatrices sur leur gouvernance, leurs relations communautaires et familiales, avec des incidences directes sur leur santé et leur bien-être.
Cette discussion tombe à point nommé, madame la présidente, car, comme vous le savez, nous sommes à deux jours de la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation.
L’ACSCP intègre aussi les contextes culturels, géographiques, historiques et spirituels particuliers et les forces de diverses communautés autochtones qui ont survécu et résisté à l’imposition de visions du monde patriarcales.
Honorables sénateurs, une application culturellement pertinente de l’analyse comparative entre les sexes s’appuie sur l’ACS Plus pour évaluer les répercussions des politiques et des programmes sur la vie des femmes et des filles autochtones et des personnes bispirituelles, transgenres et de diverses identités de genre dans un cadre occidental. Elle est plus inclusive et socialement plus juste. Une perspective sexospécifique adaptée à la culture est une façon de réduire au minimum le risque de préjudice et d’accroître la sécurité. Pensons au rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Réfléchissons à ce que nous pouvons faire pour assurer la sécurité de nos consœurs.
L’ACSCP repose sur quatre piliers. D’abord, elle est fondée sur les distinctions, c’est-à-dire qu’elle reconnaît les expériences vécues respectives des Premières Nations vivant dans les réserves et hors réserve, avec ou sans statut, des Inuits bénéficiaires ou non d’un accord de règlement de revendications territoriales, et des Métis. Deuxièmement, elle inclut la diversité de genre : cisgenre, transgenre, fluide ou non genré. Troisièmement, elle tient compte de l’intersectionnalité de diverses identités comme l’appartenance culturelle, la race, la classe, la capacité, l’orientation sexuelle, et cetera. Enfin, elle accorde de la valeur aux modes de connaissance des femmes autochtones.
Alors, quel est le risque si on n’applique pas l’ACSCP dans l’élaboration des politiques? Je vais m’écarter un peu de mon texte pour vous faire part d’une statistique de l’enquêteur correctionnel du Canada. Dans son dernier rapport déposé au Parlement le 21 février, M. Zinger dit que les femmes autochtones représentent 4,9 % de la population du Canada — nous sommes maintenant à 5 % selon le recensement qui vient de paraître, je crois, la semaine dernière —, mais quoi qu’il en soit, les femmes autochtones, honorables sénateurs, représentent 50 % de la population carcérale fédérale. Il y a donc un travail urgent à faire. Je ne fais qu’en souligner l’urgence.
Sans ACSCP pour éclairer les politiques, on risque de perpétuer davantage la marginalisation et l’oppression des femmes autochtones, ou la violence exercée contre elles. Il est essentiel d’envisager les répercussions particulières des politiques et des programmes à l’endroit des femmes des Premières Nations, des Métisses et des Inuites.
Je crois avoir couvert l’essentiel de mon sujet, alors je vais m’arrêter ici. L’ACSCP aidera aussi les décideurs à déconstruire les façons de penser coloniales qui percolent jusque dans nos communautés et contribuent à perpétuer les torts causés à nos gens. Sur ce, je vous remercie, honorables sénateurs.
La présidente : Merci, madame Smith.
Gerri Sharpe, présidente, Pauktuutit Inuit Women of Canada : Unnusaakkut. Je m’appelle Gerri Sharpe et je suis la présidente de Pauktuutit Inuit Women of Canada. Je suis accompagnée aujourd’hui d’Amanda Fletcher, notre analyste principale des politiques d’ACS Plus. Je suis heureuse de comparaître devant vous aujourd’hui pour discuter de l’importance d’appliquer non seulement l’analyse comparative entre les sexes plus, ou ACS Plus, dans l’élaboration des politiques, mais aussi de le faire dans une optique adaptée au plan culturel.
Pauktuutit est une organisation nationale qui représente les femmes inuites au Canada et qui est régie par un conseil d’administration de 15 membres recrutées partout au Canada. Son travail est fondé sur les techniques dites qaujimajatuqangit, c’est-à-dire les principes, les valeurs et les interventions sexospécifiques appliqués aux enjeux qui touchent les femmes inuites.
Pauktuutit a pour mandat de mieux faire connaître les besoins des femmes inuites, de promouvoir l’égalité et les améliorations sociales et d’encourager la pleine participation des femmes inuites à la vie communautaire, régionale et nationale du Canada.
Pourquoi est-il si important d’intégrer l’ACS Plus dans l’élaboration des politiques? L’ACS Plus est une méthode d’analyse qui reconnaît que chaque personne se définit par de nombreux facteurs contributifs et de nombreux éléments d’identité, qui comprennent par exemple la race, le sexe, l’orientation sexuelle, la culture, les séquelles coloniales, l’emplacement géographique et le statut de bénéficiaire d’un accord de règlement de revendications territoriales.
Ces facteurs ne sont pas indépendants, mais ils agissent tous de concert pour façonner qui vous êtes et influencer votre manière de vivre et d’évoluer dans les différents systèmes et dans la société. Voilà pourquoi il est important d’élaborer et d’analyser les politiques sous la loupe de l’ACS Plus, parce que différents groupes de personnes vivent différemment une même situation.
Nous aimerions bien reconnaître que nous voyons le gouvernement du Canada comme un chef de file dans l’adoption et la mise en œuvre de l’ACS Plus pour veiller à l’obtention des meilleurs résultats possible. C’est d’autant plus vrai que, même si les femmes inuites sont maintenant invitées aux instances de décision, elles se voient souvent refuser un siège à la table — et un droit de vote. C’est vrai aux niveaux communautaire, régional et national, où la capacité, les talents et le leadership des femmes inuites devant des enjeux critiques sont souvent diminués ou inexploités.
C’est pour cette raison qu’en 2019, Pauktuutit a vu la nécessité d’élaborer un cadre d’ACS Plus propre aux Inuits comme outil de politique et de recherche afin d’inscrire dans une démarche intersectionnelle la compréhension des nombreux facteurs psychosociaux, économiques et politiques qui façonnent le vécu des femmes inuites à l’intérieur et à l’extérieur de l’Inuit Nunangat et de l’Inuit Nunangit, où qu’elles vivent.
L’ACS Plus repose fortement sur les aptitudes des praticiens à la pensée critique et à la recherche. Afin de prendre des décisions équitables et d’obtenir de bons résultats, les décideurs doivent constamment cultiver ces aptitudes. D’où la nécessité d’outils comme notre trousse d’ACS Plus adaptée aux Inuits, qui comprend de l’information et des exercices permettant de cultiver les aptitudes et les connaissances des décideurs à l’égard des femmes, des personnes de diverses identités de genre, des enfants et des familles inuits. Comme l’ACS Plus est une compétence, notre version adaptée aux Inuits permet de couvrir les angles morts dans la pratique actuelle et de s’appuyer sur la compétence des praticiens pour élaborer des politiques et des programmes qui débouchent sur une plus grande équité pour les femmes, les enfants et les familles inuits.
Le cadre d’ACS Plus élaboré par Pauktuutit donne essentiellement aux Inuits la capacité d’agir et de résister aux forces d’oppression comme le colonialisme, le racisme et le sexisme. Il exige un profond respect pour la vision du monde, les valeurs et le savoir ancestral des Inuits. Il exige le partage du pouvoir par lequel les Inuits déterminent les politiques et les programmes qui touchent leur vie.
La présidente : Madame Sharpe, je m’excuse. Malheureusement, votre temps est écoulé. J’espère que la période de questions vous aidera à terminer votre exposé de différentes façons. Merci beaucoup à tous les témoins. Nous passons maintenant aux questions des membres du comité.
La sénatrice Bovey : Je tiens à remercier tous les témoins. Vous avez présenté des arguments et des points de vue très convaincants, et je comprends tout à fait la nécessité de respecter chaque élément de la diversité culturelle.
Vous avez toutes dit très clairement qu’il doit y avoir des approches différentes de l’ACS, que chacune doit être adaptée à sa culture respective. J’aimerais savoir comment on devrait mener pour différents types de politiques ces différentes sortes d’analyses sexospécifiques et intersectionnelles.
Je vais préciser ma pensée tout de suite, parce que vous êtes bien capables de me perdre dans tout cela. À quelles étapes de l’élaboration des politiques l’ACS Plus devrait-elle être appliquée : au début, tout au long, du début à la fin, juste à la fin? J’aimerais savoir ce que vous en pensez. J’aime vraiment ce que j’entends de votre part.
Mme Sharpe : Je vous remercie de cette question. Le cadre spécifique que nous avons établi chez Pauktuutit décrit comment bien inscrire les données, comment recueillir les renseignements importants, comment tenir compte des valeurs, du vécu, des forces et de la diversité des Inuits. Il s’applique aux moments où une politique est élaborée, mise en œuvre et évaluée, donc à toutes les étapes.
Il est fondé sur les forces, c’est-à-dire qu’il s’appuie sur la conviction que les gens et les collectivités ont déjà des atouts, de l’expérience et des moyens, qu’ils ont les ressources et peuvent acquérir de nouvelles compétences et résoudre des problèmes, qu’ils peuvent utiliser les compétences en place pour cerner leurs préoccupations et y répondre.
La reconnaissance de notre cadre d’ACS Plus pour les Inuits marque un changement dans la façon dont le gouvernement du Canada comprend les enjeux qui comptent pour les femmes et les personnes de diverses identités de genre chez les Inuits. Notre démarche amène déjà des changements systématiques et annonce des relations fructueuses entre les pouvoirs publics et les principaux intéressés. Elle trace aussi la voie à suivre pour garantir les droits des femmes inuites à participer et pour assurer le renforcement du leadership des Inuits. Qujannamiik.
Mme Omeniho : De notre point de vue, l’analyse comparative entre les sexes doit se faire du début à la fin. Il ne s’agit pas simplement de commencer, puis de l’appliquer à un moment donné comme un pansement sur autre chose au milieu d’un programme. On ne peut pas commencer en se disant cela.
Ce qui compte davantage, même pour nous, c’est de voir les résultats, parce que nous pouvons alors mesurer l’efficacité de nos trousses d’ACS Plus adaptées au plan culturel. Nous voulons un monde meilleur pour tous, et pour y arriver, nous devons être en mesure d’évaluer exactement l’efficacité des outils que nous utilisons. Je vous remercie de la question.
Mme Smith : Je vous remercie de votre question, madame la sénatrice. Je vais vous donner un exemple. J’abonde dans le même sens que les autres intervenantes, mais je pense que nous devons prendre comme base les différentes identités qui composent une personne, en nous rappelant que chacune est la somme de nombreux facteurs identitaires qui s’entrecroisent, et qu’il faut en tenir compte tout au long du processus d’élaboration d’une politique.
Je vous donne un exemple. Prenons le cas d’une femme enceinte qui vit dans une localité éloignée. Elle est transportée dans une autre qui dispose de l’infrastructure médicale nécessaire pour lui fournir des soins. Nous nous posons des questions clés : y a-t-il quelqu’un dans la famille proche ou les amis qui peut faire le voyage avec elle? S’ils font partie de la communauté 2ELGBTQ+, l’hôpital sera-t-il un endroit sûr pour eux? Est-ce qu’elle et son ou sa partenaire seront traités avec le même respect qu’un couple hétérosexuel ou cisgenre? Merci.
La présidente : C’est extrêmement révélateur.
Le sénateur Patterson : Merci aux témoins. Mes questions s’adressent à Pauktuutit.
[Mots prononcés en inuktitut]
Votre cadre d’ACS Plus propre aux Inuits peut aider les décideurs à couvrir les angles morts dans la pratique actuelle. Notre comité va formuler des recommandations au terme de son étude. Que nous recommandez-vous de faire avec votre cadre propre aux Inuits?
Mme Sharpe : Sénateur Patterson, [mots prononcés en inuktitut].
Je demande à Mme Fletcher de vous répondre. Elle a contribué à l’élaboration de ce cadre, et je crains que ma liste de souhaits soit très longue. La sienne sera plus succincte.
Amanda Fletcher, analyste principale des politiques, ACS+, Pauktuutit Inuit Women of Canada : Merci de me donner la parole, madame Sharpe. Je tiens aussi à souligner que notre cadre a été élaboré dès le départ avec le concours de la communauté, avec les femmes inuites. Comme Mme Sharpe l’a évoqué, tout l’exercice consistait à essayer de savoir ce que nous voulions y mettre.
La question porte sur ce que nous aimerions voir recommander et la façon dont nous aimerions que les choses se fassent. Pour nous, une optique d’ACS Plus propre aux Inuits ou adaptée au plan culturel, comme celle que nous avons dans notre cadre, vise vraiment à créer l’espace voulu pour amplifier et mettre en avant les points de vue et les priorités des femmes inuites, des Inuits de diverses identités de genre, de leurs familles et de leurs communautés. Comme vous le savez sans doute — et toutes les intervenantes présentes aujourd’hui pourraient en témoigner —, nos populations sont depuis longtemps victimes d’une négligence ou d’une indifférence systémique.
Pour nous, il s’agit d’intégrer cette optique particulière, comme l’ont dit Mme Sharpe et toutes les autres, dans tout le cycle d’élaboration des politiques, qu’il s’agisse de la mise en œuvre, du déploiement ou de l’évaluation. En fait, l’objectif ultime et le résultat que nous voulons, c’est que notre voix soit reconnue et que nous puissions prendre part aux discussions, participer de façon équitable et influer sur l’orientation des politiques et des programmes qui touchent nos communautés.
Comme Mme Sharpe, je pourrais continuer moi aussi, mais à la base, c’est de cela qu’il s’agit. Comme nous l’avons dit, l’ACS Plus est une compétence, mais elle est vraiment importante, de l’avis de toutes les intervenantes. Nous devons vraiment reconnaître tous ces éléments qui s’entrecroisent. Les politiques et les programmes vont toucher chacun et chacune de façon très différente. Nous voulons que ce soit reconnu, mais aussi, surtout, que nos voix soient déterminantes dans les politiques qui nous touchent. C’est de cela qu’il s’agit : veiller à ce que les politiques soient efficaces et à ce que nous obtenions les résultats que nous recherchons, et exercer un véritable leadership à cet égard. Merci.
Mme Sharpe : J’ajouterai que tout cela repose sur l’IQ, c’est-à-dire l’Inuit Qaujimajatuqangit.
Mme Fletcher : Absolument.
Mme Sharpe : Cela existe déjà chez les Inuits, comme vous le savez, et c’est aussi en usage dans les Territoires du Nord-Ouest. Partout où il y a des entreprises inuites, elles s’appuient sur l’IQ. Cela commence par là.
Le sénateur Patterson : Merci beaucoup. Écoutez, j’ai une autre petite question. Vous avez parlé de tables où on vous refuse un siège, mais je sais que Pauktuutit est active à la table du Comité de partenariat entre les Inuits et la Couronne. Et je sais qu’on y a élaboré une politique pour l’Inuit Nunangat qui vise à sensibiliser tous les ministères fédéraux aux besoins propres des Inuits. À quelles autres tables pensiez-vous lorsque vous avez dit qu’on vous refusait un siège? Merci.
Mme Sharpe : En fait, nous avons un siège là, mais pas le droit de vote. Nous n’avons pas de voix. Nous pouvons nous exprimer à la table, mais nous ne prenons pas part aux décisions. Nous sommes un participant permanent, mais c’est plus comme un observateur.
Le sénateur Patterson : Merci beaucoup.
La sénatrice Moodie : Je remercie les témoins qui se sont joints à nous aujourd’hui. Ma question s’adresse à Mme Fletcher. En tant qu’analyste des politiques spécialiste de l’ACS Plus et plus particulièrement de l’outil que vous avez créé à l’intention des Inuits, j’aimerais savoir ce que vous pensez de toute la question de la formation. Plus précisément, croyez-vous que les analystes de politiques du gouvernement ont accès à une formation suffisante, surtout à des outils très spécialisés comme le vôtre? Est-ce qu’il y a un déficit de formation important en ce qui concerne l’application des outils de ce genre?
Mme Fletcher : C’est une question extrêmement intéressante; je pourrais sans doute en parler longuement, mais je vais m’abstenir. Tous les fonctionnaires fédéraux ont accès à une formation sur l’ACS Plus. C’est une formation très exhaustive, mais elle est évidemment axée sur l’ACS dans son application générale. L’ACS Plus est une compétence générale. Elle vous donne en tout cas les éléments de base pour être en mesure d’effectuer l’analyse et de bien le faire.
Pour ce qui est de notre cadre à nous et de la collaboration avec nos partenaires gouvernementaux — qui sont extraordinaires, soit dit en passant, ils sont vraiment ouverts maintenant à l’idée d’une ACS Plus adaptée au plan culturel, ils trouvent cela formidable —, tous les ministères fédéraux ont le mandat de mettre en œuvre l’ACS Plus, et ils y mettent vraiment un effort concerté. Mais on reconnaît dans tout l’appareil gouvernemental qu’il faut aussi tenir compte des particularités culturelles.
Nous voyons cela presque comme une sorte de casse-tête qui s’emboîte. Nous ne disons pas que tel outil ACS Plus est meilleur que tel autre ou qu’il faut faire ceci plutôt que cela. Nous voyons cela comme une compétence en évolution. Si on veut analyser l’incidence d’une politique sur une population en particulier, il faut vraiment avoir cette optique culturelle.
Pour ce qui est de la formation, la volonté est là, et Pauktuutit — je peux parler au nom de notre organisation — travaille actuellement avec les fonctionnaires pour intégrer notre cadre dans leurs modules de formation. Nous sommes sur la bonne voie. Je ne dirais pas qu’il y a un déficit. Je dirais même que nous sommes ravies de voir les progrès réalisés au niveau fédéral pour ce qui est d’amener cette optique culturelle à toutes les étapes des politiques, dans tout l’appareil gouvernemental. Maintenant, il s’agit simplement d’intégrer les éléments propres à la culture, de les insérer dans la formation qui se donne actuellement. C’est ce qui se passe. Nous le faisons actuellement. Nos partenaires intègrent volontiers à leur calendrier de formation actuel sur l’ACS Plus des modules correspondant à notre cadre propre aux Inuits.
Mme Sharpe : À titre d’information, c’est une des raisons pour lesquelles je ne fais pas d’entrevues en inuktitut, parce que je ne sais pas comment dire « analyse comparative entre les sexes » en inuktitut. Il n’y a pas de mot pour cela.
La sénatrice Moodie : Vous toutes qui êtes des intervenantes très importantes dans le processus, pensez-vous que les outils mis à la disposition des analystes du gouvernement sont utilisés à bon escient et au bon moment? Je sais que vous avez dit plus tôt à quel moment vous pensiez qu’il fallait les utiliser, mais qu’en est-il dans la réalité? Que se passe-t-il actuellement?
Mme Sharpe : En fait, au cours des deux dernières années, un certain nombre d’organisations fédérales différentes ont communiqué avec notre bureau et ont travaillé avec lui sur notre cadre d’ACS Plus propre aux Inuits. C’est un outil que notre personnel a créé pour nous et qui est largement utilisé. Le fait que des ministres fédéraux s’en servent — et notre personnel fait régulièrement des exposés à ce sujet — est pour nous un objet de grande fierté. Au conseil d’administration, on est très heureux d’en entendre parler parce que cela fonctionne.
La sénatrice Dasko : Je remercie les témoins d’être ici aujourd’hui. J’aimerais revenir sur quelques-unes des questions précédentes qui ont à voir avec la façon dont vous avez élaboré l’ACS. Si j’ai bien compris vos propos, vous ne vous fiez pas trop à l’ACS du gouvernement parce que vous avez toutes élaboré votre propre version. Vous ne prenez donc pas ce qu’il a fait, ou alors vous prenez quelque chose qu’il a fait et vous travaillez avec.
J’aimerais savoir si votre cadre s’applique à toutes les politiques gouvernementales. Avez-vous un genre de protocole qui vous permette d’appliquer votre analyse à toutes les politiques qui touchent vos communautés? C’est ma principale question. À titre d’exemple, nous savons tous que l’accès à l’eau potable est une politique importante du gouvernement fédéral à l’égard des communautés autochtones, qui procure de l’eau bonne à boire à des collectivités dans tout le pays. Je me demande si et comment vous pourriez appliquer votre analyse à une politique très médiatisée comme celle-là. Merci.
Mme Omeniho : Je vous dirais pour commencer que nous avons créé notre propre trousse nous aussi, et c’est parce qu’il n’en existait pas, en fait, qui étaient adaptées au plan culturel; celles qu’il y avait passaient à côté des problèmes. Elles convenaient davantage à ce qui aurait probablement passé pour un mouvement féministe à l’époque, alors nous avons créé nos propres trousses de toutes pièces, comme l’a fait Pauktuutit.
Pour ce qui est de l’application, nous travaillons encore très fort, même à l’interne au sein de nos propres gouvernements métis, pour que les pouvoirs publics se servent de notre trousse. De plus en plus, ils commencent à en adapter des parties, et nous demandent de leur donner de la formation pour mieux comprendre comment cela fonctionne.
Entre autres ministères, comme je le disais plus tôt, il y a RCAANC, la SCHL et FEGC. Ils sont tous venus nous voir et nous avons fait des exposés avec eux. Il y a d’autres ministères qui n’envisagent toujours pas d’analyse comparative entre les sexes — en fait, je ne pense pas qu’ils fassent de l’ACS sur quoi que ce soit. Bien des fois, des politiques sont élaborées qui peuvent être néfastes pour nous sous un aspect intersectionnel auquel personne n’a jamais pensé, mais il est très gratifiant de pouvoir parler à des interlocuteurs comme la SCHL et leur faire comprendre comment des politiques et des programmes de logement peuvent ou non atteindre la cible en ce qui concerne les femmes autochtones ou la communauté LGBTQ. Nous pouvons les éclairer en nous servant de notre trousse d’ACS Plus. Merci.
Mme Smith : Je vous remercie de la question; elle est importante. Je me fais l’écho des autres témoins. Il n’y avait pas de trousse d’analyse culturellement pertinente, alors nous l’avons créée nous-mêmes en raison du besoin, mais je dirais aussi que nous le faisions avant même qu’elle prenne forme. L’AFAC aura une trousse fin prête plus tard cet automne qui, nous l’espérons, aidera tous les sénateurs et tout le monde.
À propos de l’eau potable, les femmes autochtones ont un lien spécial avec l’eau en tant que porteuses de vie. Toutes les femmes ont un lien spécial avec l’eau, alors il y a aussi une dimension spirituelle à considérer. Sous la loupe de l’ACSCP, nous examinons non seulement un droit de la personne qui est bafoué, mais aussi une atteinte à la spiritualité de la femme autochtone. Je tenais à le souligner.
Je pense qu’avec le projet de loi C-15 qui prévoit la mise en œuvre de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, et avec une analyse comparative entre les sexes qui est culturellement pertinente, j’ai davantage confiance dans les politiques du Canada pour l’avenir. Merci.
La présidente : Merci beaucoup.
La sénatrice Cordy : Merci beaucoup à vous toutes; la discussion est fascinante. J’ai eu le privilège, lundi, d’entendre un groupe de jeunes hommes et de jeunes femmes autochtones au Comité des peuples autochtones. Ils ont exposé bon nombre des idées qui sont ressorties aujourd’hui, en particulier l’intersectionnalité, à savoir qu’on ne peut pas examiner les choses en vase clos et qu’il faut voir d’où les gens viennent pour bien cerner leurs besoins. Ce sont des choses dont vous avez toutes parlé — la race, le sexe, la rafle des années 1960, les pensionnats, l’endroit où on vit, le colonialisme — toutes ces choses qui font de vous ce que vous êtes. C’était bien de l’entendre de la bouche des jeunes, mais c’est bien aussi de l’entendre de la vôtre aujourd’hui. Merci beaucoup à toutes.
Ma question s’adresse à Mme Smith. J’ai lu hier soir le document que vous nous avez remis, la trousse de démarrage pour l’analyse comparative entre les sexes, ce qui m’a été très utile puisque je ne suis pas membre à temps plein du comité. J’ai remarqué que vous avez parlé notamment des lacunes de l’ACS générale et du fait qu’elle n’insiste pas suffisamment sur le rôle que la colonisation a joué. Vous avez dit qu’on élaborait des politiques et des programmes sans tenir compte de ce contexte et de l’intersectionnalité. Comment pouvons-nous changer cela?
Je sais que quelqu’un a dit tout à l’heure qu’on envoyait des messages et qu’on donnait des ateliers aux ministères, ce qui est une très bonne chose. Mais comment pouvons-nous nous assurer que tous ces facteurs sont pris en compte avant d’arriver avec des politiques gouvernementales qui pourraient fonctionner ou non?
Mme Smith : Merci. La Commission de vérité et réconciliation a imposé des appels à l’action aux gouvernements et à la société civile, mais à mon avis, nous avons tous un rôle à jouer. Pour les décideurs, il s’agit simplement de remettre en question leurs convictions. C’est difficile. Cela semble simple, mais c’est difficile à faire. J’ai fait des études coloniales à la faculté de droit. Je dois constamment déconstruire mes propres pensées. Ce n’est pas difficile, mais même si la vérité et la réconciliation ne sont pas faciles, de toute évidence, le jeu en vaut la chandelle.
Pour ce qui est des lacunes, nous avons vraiment besoin d’une approche tenant compte des traumatismes pour ce qui est de l’élaboration des politiques, de la compréhension des traumatismes et de la façon dont ils influent sur les expériences vécues par les peuples autochtones. Merci.
La sénatrice Cordy : Vous parlez d’une approche tenant compte des traumatismes, et lundi, nous avons justement discuté du traumatisme générationnel. Quand j’ai questionné un des témoins, j’ai dit qu’on parlait depuis de nombreuses années de ce qui s’était produit, et j’ai demandé comment on pouvait ne pas comprendre que le traumatisme passe d’une génération à l’autre et que cela pouvait encore toucher les gens aujourd’hui. Comment expliquez-vous cela à ceux qui ne comprennent pas que, même si cela s’est passé il y a 50 ans, cela touche encore beaucoup les jeunes que j’ai entendus lundi? Cela a encore des répercussions sur leur vie.
Mme Smith : C’est une excellente question. Une partie de l’aspect vérité de la réconciliation consiste à tenir ces discussions. Je parle souvent de l’expérience personnelle de gens que je connais dont un parent était un survivant de pensionnat. Souvent, en raison des mauvais traitements qu’ils avaient subis, les survivants des pensionnats ont essayé de surmonter leur traumatisme d’une manière qui n’était pas saine, ce qui a nuit au bien-être de leurs enfants, et ne leur a pas donné ce dont ils avaient besoin pour entretenir de saines relations. Si l’on regarde la situation sous cet angle et que l’on montre les liens entre les générations et la façon dont cela se répercute sur elles, c’est encore très important — et il est très important à cet égard qu’on ne fasse rien pour nous sans nous. Il s’agit d’écouter avec humilité, en ouvrant son cœur et ses oreilles.
Mme Sharpe : Je pense devoir ajouter quelques mots, car j’ai quelque chose à dire. Vous avez mentionné que cela s’est produit il y a 50 ans. Cela ne s’est pas produit il y a 50 ans. J’ai 52 ans. J’ai fréquenté un pensionnat. Je fais partie de la rafle des années 1960. Je participe à l’effort de vérité et de réconciliation. Je fais partie des Femmes et filles autochtones disparues et assassinées. C’est une chose que nous devons garder à l’esprit. Ce n’est pas quelque chose qui est arrivé il y a 50 ou 60 ans. Ma mère est née sur nos terres. C’est l’information manquante. Ce qui manque, c’est l’information sur les gens que vous servez.
La sénatrice Cordy : C’est important. Merci de cette précision.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Ma question s’adresse aussi à vous, madame Smith. J’ai regardé votre document et je vous explique le contexte. Je suis moi-même une personne qui vit en situation de handicap et j’ai remarqué que, quand on fait de la collecte de données, on a souvent tendance à demander : « Êtes-vous une personne handicapée, par exemple, oui ou non? »
Cela reste très général et cela a pour conséquence de mettre toutes les personnes en situation de handicap dans la même catégorie.
J’ai l’impression qu’on fait sensiblement la même chose quand il s’agit des Premières Nations, des Métis et des Inuits du Canada. Cela demeure-t-il un défi, un problème?
Est-ce qu’on s’améliore? Jusqu’où devrait-on aller dans les détails et l’identité d’une personne pour bien cerner les défis et pour créer des programmes et des politiques qui seront appropriés? C’est une longue question.
[Traduction]
Mme Smith : Je vous en remercie. Je suis désolée, mais je n’ai pas pu faire fonctionner l’interprétation, alors je ne pense pas avoir bien compris. Désolée.
La sénatrice Petitclerc : Je peux essayer de nouveau très rapidement. C’est bien. Ce que je dis, c’est qu’en tant que personne handicapée, je constate parfois que lorsqu’on recueille des données, on vous demande si vous êtes une personne handicapée. J’ai l’impression que la même approche existe toujours en ce qui concerne les Canadiens autochtones. La situation s’améliore-t-elle? Dans quelle mesure est-il important d’entrer dans les détails pour avoir des approches appropriées?
Mme Smith : Merci. C’est une question très importante. Je travaille sur la Convention relative aux droits des personnes handicapées, de l’Organisation des Nations Unies, et cette question tombe à point nommé. J’ai supervisé une séance de mobilisation cette semaine et la discussion a longuement porté sur ce sujet. J’ai discuté avec des gens qui avaient vécu certaines expériences. Il doit y avoir un certain niveau de détails parce que j’ai également communiqué avec des fournisseurs de services qui doivent aussi avoir des précisions sur un handicap, par exemple, afin de pouvoir le prendre en compte correctement. Je vous remercie, car c’est un élément très important. Vous avez également demandé si la situation s’améliore. Sommes-nous encore en train de généraliser, sans entrer suffisamment dans les détails pour pouvoir pleinement répondre aux besoins de notre peuple de façon inclusive?
Mme Sharpe : J’aime la question que vous avez posée pour le simple fait que chez les Inuits, lorsque nous parlons de notre communauté, cela peut signifier une communauté donnée — ma communauté d’origine est Gjoa Haven. Je peux parler de ma communauté natale de Gjoa Haven, ou je peux parler de la communauté inuite, qui est entièrement composée d’Inuits. Cela tient compte de toutes leurs capacités physiques, mentales et identitaires. En ce qui concerne les Inuits, lorsqu’on pense aux identités, il y a 60 ans, le mot « bispirituel » faisait référence au chamanisme, c’est-à-dire la capacité de changer de peau et de devenir l’animal que l’on était, l’ours, puis de reprendre sa peau humaine. Il n’était pas question de LGBTQQIA+; c’était humain ou animal. Si vous vivez, vous êtes humain dans votre chair.
Le fait qu’il existe de multiples façons différentes de considérer une personne et la façon dont elle agit en tant qu’être humain est pris en compte dans le cadre de l’ACS Plus pour les Inuits, et c’est rare. Donc, lorsque nous parlons des services de sages-femmes dans l’Inuit Nunangat, cela sous-entend que la majorité de ces services doivent être offerts à l’extérieur parce que l’Inuit Nunangat n’en a pas. Nous en tenons compte lorsque nous en parlons. Et lorsque nous parlons de ceux qui ont besoin de rampes d’accès, nous savons que cela posera un problème parce que l’Inuit Nunangat n’a pas la capacité d’en fournir une à tous ceux qui en ont besoin.
La sénatrice Martin : Merci à nos témoins. En écoutant les questions de mes collègues et vos réponses, j’ai déjà eu la réponse à plusieurs de mes questions, mais il m’en reste quelques-unes. Je vais les poser. Je vous remercie de nous avoir présenté vos outils très soigneusement conçus et adaptés à la culture.
Vous représentez votre région, mais aussi l’organisation nationale. Je me demande si d’autres groupes ont créé d’autres cadres adaptés à la culture; y a-t-il une liste que nous devrions connaître? Je sais que Mme Sharpe dit qu’elle a travaillé avec différents ministères, mais je me demande si le gouvernement du Canada et tous ses ministères sont au courant de ces merveilleux outils. Si ce n’est pas le cas, nous devrions veiller à ce qu’ils le soient grâce à ce rapport.
Mme Smith : Je vous remercie de cette question. C’est une excellente question. La façon dont l’AFAC est gouvernée est qu’il y a une association provinciale-territoriale dans chaque province et territoire. Ce sont les femmes de la base et les personnes de diverses identités de genre qui orientent ensuite les mandats de l’AFAC. Nous avons une trousse de démarrage, mais nous aurons une trousse d’outils que les gens pourront utiliser. Tous les travaux de recherche qui en découlent sont influencés par les membres de l’AFAC partout au pays. Cela permet d’aborder les différences régionales et culturelles au sein de cette structure de gouvernance.
La sénatrice Martin : Très bien. Je suis curieuse au sujet des nations métisses.
Mme Omeniho : Nous avons une trousse d’outils sexospécifiques qui a été utilisée par les gouvernements métis. Nous, Les Femmes Michif Otipemisiwak, travaillons avec eux. Nous nous adressons aussi à des organisations provinciales de femmes métisses, et nous partageons également notre trousse avec elles. Nous l’avons déjà communiquée aux ministères du gouvernement fédéral qui sont ouverts et réceptifs. Certains ministères comme Environnement et Changement climatique Canada et Innovation, et Sciences et Développement économique Canada, n’ont pas été aussi ouverts et réceptifs et nous travaillons encore sur certaines choses avec EDSC. Ils n’ont pas tous été aussi réceptifs et réactifs à l’analyse comparative entre les sexes, mais je continue de faire avancer ce travail. Nous avons également fait des progrès auprès de Santé Canada, je crois. Je vous remercie de la question.
Mme Sharpe : Je dirai qu’à Pauktuutit, nous avons fait un tour d’horizon avant de créer notre cadre, mais je vais laisser Mme Fletcher finir de répondre.
Mme Fletcher : C’est parfait, madame Sharpe. C’est par là que j’allais commencer. Nous pourrons fournir une liste aux membres du comité par la suite. Nous avons effectué un tour d’horizon complet des outils sexospécifiques culturellement spécifiques qui existent actuellement, non seulement au Canada, mais dans le monde entier. Nous avons donc ce document, que nous pourrons vous fournir plus tard.
Pour ce qui est d’examiner l’ensemble de l’appareil gouvernemental, le genre de diffusion et de collecte de ces outils et ce à quoi cela ressemble, j’ai mentionné plus tôt que nous examinons différents moyens et que nous avons consulté divers ministères au sujet de l’adoption de notre cadre ACS Plus pour les Inuits, à quoi il ressemblera et à quoi ressemblera la formation.
Je tiens également à dire que nous faisons la même chose au sein des communautés. Notre cadre a été élaboré en collaboration avec les communautés inuites. Nous continuerons de nous servir des connaissances qu’elles nous ont transmises, et nous retournerons les voir avec notre cadre pour essayer de trouver, à partir d’un grand nombre de ces éléments, une façon d’utiliser le cadre de façon plus normalisée et holistique sur le terrain.
Nous travaillons beaucoup avec les organisations de femmes inuites de la base, et elles ont toutes des capacités différentes. Cela dépend des besoins, du financement et de la façon dont les choses se déroulent, et nous pouvons en discuter. Nous nous concentrons sur les façons de renforcer le leadership des femmes inuites au moyen de notre cadre et de le faire également sur le terrain, dans la collectivité, afin que tout le monde soit familier avec ce cadre, qui, encore une fois, comme l’a dit Mme Sharpe, est fondé sur les principes culturels inuits.
Ce ne sont pas de nouveaux renseignements que nous allons leur donner, mais c’est simplement la façon dont ils sont appliqués et utilisés sur le terrain. Il s’agit en quelque sorte d’amener les ministères à se familiariser avec cette façon culturellement spécifique de faire l’ACS, mais aussi de renforcer cette compétence sur le terrain avec les organisations de femmes inuites partout au Canada.
La présidente : Merci beaucoup, madame Fletcher. Honorables sénateurs, cela nous amène à la fin de ce panel. Je remercie beaucoup nos témoins de leur participation. Nous vous sommes très reconnaissants de la sagesse et de l’aide que vous nous avez apportées pour notre étude. Je tiens à remercier tout particulièrement chacune d’entre vous d’avoir fourni à l’avance des documents écrits, et je sais que certaines d’entre vous ont promis d’envoyer d’autres documents, que vous pourrez faire parvenir à notre greffière.
Nous allons maintenant passer à notre deuxième groupe de témoins. Nous accueillons Sarah Kaplan, professeure émérite et directrice, Institut sur le genre et l’économie, École de gestion Rotman, Université de Toronto, et Wendy Cukier, fondatrice et directrice, Institut de la diversité, Université métropolitaine de Toronto. Nous venons de recevoir les excuses de Mme Bipasha Baruah, et nous lui demanderons de nous soumettre ses observations par écrit.
Je pense que nos deux témoins savent comment nous faisons les choses. Elles ont déjà comparu devant des comités. Vous disposerez de cinq minutes pour faire votre déclaration préliminaire, puis nous passerons aux questions des sénateurs. Merci beaucoup.
Sarah Kaplan, professeure émérite et directrice, Institut sur le genre et l’économie, École de gestion Rotman, Université de Toronto : Merci beaucoup. C’est un honneur de comparaître devant le comité. Je me joins à vous depuis les terres traditionnelles des Hurons-Wendat, des Sénécas et des Mississaugas de Credit.
Comme on l’a mentionné, je suis professeure et directrice de l’Institut sur le genre et l’économie et, à ce titre, j’encourage l’utilisation de recherches universitaires rigoureuses pour éclairer les politiques et les pratiques. Pour me préparer à ce témoignage, j’ai examiné la littérature savante ainsi que les vérifications et les rapports du gouvernement sur l’ACS Plus.
J’aimerais commencer par souligner que l’introduction de l’ACS Plus dans l’analyse des politiques du gouvernement a été une étape essentielle pour s’assurer que les politiques, les règlements et les programmes favorisent une plus grande équité dans la société canadienne, qui a également été renforcée par la Loi canadienne sur la budgétisation sensible aux sexes et le Cadre des résultats relatifs aux sexes présenté dans le budget de 2018.
Les Canadiens peuvent être fiers que l’ACS Plus intersectionnelle soit reconnue par le gouvernement canadien comme une compétence clé à l’appui de l’élaboration de programmes et de politiques efficaces.
La promesse de l’ACS Plus est que non seulement elle peut mesurer et évaluer les répercussions sur les politiques, mais elle peut aussi éclairer les priorités stratégiques, façonner la conception des politiques et des programmes et orienter la mise en œuvre. Néanmoins, il y a encore des possibilités d’amélioration, car l’ACS Plus n’a pas encore tenu sa promesse.
Mon examen de la documentation et des vérifications indique que, bien que l’ACS Plus soit censée être utilisée dans tous les ministères et organismes gouvernementaux, elle n’est pas appliquée de façon uniforme et n’est souvent utilisée que tardivement dans la conception et l’évaluation des politiques. Seulement 39 % des ministères le font à l’étape de la définition du problème critique plus de 60 % du temps. En appliquant l’ACS Plus seulement à la fin du processus, les décideurs ratent des occasions d’utiliser des idées intersectionnelles fondées sur le sexe pour déterminer les priorités stratégiques et façonner la conception des politiques. Au lieu de cela, l’ACS Plus a tendance à être utilisée pour déterminer les répercussions après l’établissement des priorités et des politiques, puis pour suggérer des modifications progressives marginales qui pourraient atténuer les répercussions sexospécifiques, raciales ou autres. Par conséquent, le véritable potentiel de l’ACS Plus n’est pas exploité.
Pourquoi en est-il ainsi?
Premièrement, le personnel chargé de l’ACS Plus n’a peut-être pas les compétences ou le temps nécessaires pour utiliser l’ACS Plus de la façon la plus appropriée, et il y a un manque de surveillance et d’engagement de la part des cadres supérieurs. Bien que le gouvernement et le Collège canadien aient augmenté la formation, les outils et l’orientation depuis 2015, la capacité des ministères de réaliser l’ACS Plus demeure un défi. Une grande partie de la formation est axée sur les processus techniques et administratifs établis pour l’ACS Plus, comme la façon de remplir les formulaires appropriés pour les présentations budgétaires, mais non sur la façon de participer à l’ACS Plus pour l’établissement des priorités et la conception des politiques. À l’Institut sur le genre et l’économie, nous avons mené une analyse des intervenants associée à l’élaboration de notre propre programme de formation et cadre de compétences en analyse comparative entre les sexes, et nous avons constaté que de nombreuses personnes au sein du gouvernement n’avaient pas les connaissances nécessaires pour entreprendre une véritable ACS Plus.
Deuxièmement, le manque de données quantifiées constitue une partie du défi pour assurer l’efficacité de l’ACS Plus. La collecte de données désagrégées sur divers groupes a été lente. Toutefois, l’obtention de meilleures données quantitatives ne mènera pas automatiquement à une meilleure politique.
Les universitaires qui ont étudié l’ACS Plus ont souligné que sa mise en œuvre actuelle ne comprend pas de processus de lecture critique des politiques ou de prise en compte de la façon dont les problèmes sont définis. Le fait de ne mettre l’accent que sur les chiffres peut détourner l’attention des consultations avec les organisations féministes, communautaires, autochtones et de justice sociale qui sont à l’origine des connaissances de l’ACS Plus et qui en sont les gardiens. Cela risque de transformer l’ACS Plus en une méthodologie apparemment « neutre » et bureaucratique sans reconnaître la façon dont ce pouvoir est ancré dans le processus.
Troisièmement, l’intersectionnalité n’est pas encore appliquée efficacement. Le « Plus » met l’accent sur l’ajout de la race, du revenu, de l’incapacité ou de l’indigénéité au sexe plutôt que sur leur prise en compte simultanée afin de comprendre comment les répercussions des politiques, qu’elles soient négatives ou positives, peuvent être amplifiées ou atténuées en raison de ces intersections.
De plus, le genre est souvent traité de manière binaire sans reconnaître la diversité du genre chez les personnes non binaires, bispirituelles, intersexuées et transgenres.
Alors, qu’est-ce qui pourrait être amélioré? Quelques recommandations seraient, premièrement, de recadrer l’ACS Plus comme élément central de la planification des politiques et des programmes plutôt que comme exigence supplémentaire, et de surveiller les ministères et les organismes dans leur utilisation appropriée de l’ACS Plus, notamment en s’assurant que le « Plus » de l’intersectionnalité est bien établi.
La deuxième recommandation serait de renforcer la capacité en matière d’ACS Plus, y compris aux échelons les plus élevés, non seulement en ce qui concerne les procédures administratives pour remplir les présentations budgétaires, mais aussi la façon d’utiliser l’ACS Plus pour établir les priorités, remettre en question les hypothèses, concevoir les politiques et les programmes et surveiller les répercussions.
La troisième recommandation consiste à mobiliser davantage les organismes communautaires et universitaires qui possèdent des connaissances sur l’ACS Plus et à les soutenir financièrement, en les faisant participer à la collecte de données et à la conception conjointe de politiques et de programmes.
La dernière recommandation serait d’investir dans une meilleure collecte de données intersectionnelles par l’entremise de Statistique Canada et d’autres mécanismes, tout en reconnaissant que les données quantifiées ne sont pas le seul élément important d’une bonne analyse ACS Plus.
En conclusion, l’ACS Plus est très prometteuse, mais elle sera moins efficace si elle n’est utilisée que comme outil d’évaluation des politiques. Son véritable pouvoir viendra lorsque les idées générées mèneront à des politiques novatrices qui peuvent surmonter les nombreuses impasses auxquelles sont confrontés les efforts visant à atteindre une plus grande équité dans la société à l’heure actuelle.
Merci beaucoup.
La présidente : Merci beaucoup.
Wendy Cukier, fondatrice et directrice, Institut de la diversité, Université métropolitaine de Toronto, à titre personnel : Merci beaucoup de me donner l’occasion de témoigner aujourd’hui.
Je ne veux pas répéter les observations et les recommandations importantes qui ont été faites jusqu’à maintenant dans le cadre de cet examen de l’ACS Plus au sein du gouvernement. Je voulais ajouter quelques éléments en fonction de la conversation que nous avons eue jusqu’à maintenant.
Je dois dire, pour commencer, que tout comme Mme Kaplan, je me joins à vous depuis le territoire traditionnel des Mississaugas de Credit, des Haudenosaunee, des Wendat, des Chippewas et des Anishinaabe. Je suis de l’ancienne Université Ryerson, dont l’engagement profond à l’égard de la vérité et de la réconciliation se reflète en partie dans son récent changement de nom.
Le travail que nous faisons à l’Institut de la diversité vise essentiellement à établir un lien entre l’ACS Plus et les buts et objectifs organisationnels. Je voulais donc ajouter une perspective légèrement différente à la discussion.
Je tiens également à souligner que nous sommes actuellement l’un des partenaires écosystémiques du Défi 50-30 et que nous avons rassemblé une gamme d’outils pour faire progresser l’analyse comparative entre les sexes et accroître la diversité au sein des organisations. Je suis heureuse de vous présenter certaines de ces approches différentes parce que, comme vous l’avez entendu, de nombreux organismes communautaires ont élaboré des stratégies et des outils différents pour répondre précisément aux besoins des personnes handicapées ou de la communauté 2SLGBTQ+ et autres. Je suis heureuse de vous en faire part.
Je devrais également souligner qu’en plus de diriger des projets comme le Portail de connaissances pour les femmes en entrepreneuriat, je siège au conseil d’administration de la Federation of African Canadian Economics et je participe activement à certains des travaux qui sont actuellement menés pour lutter contre le racisme envers les Noirs. Encore une fois, certains outils sont spécialement conçus pour lutter contre le racisme envers les Noirs et dans une optique intersectionnelle.
Voici quelques points qui, à mon avis, valent la peine d’être examinés. Le dernier groupe de témoins a souligné que certains ministères sont plus focalisés et réceptifs que d’autres à l’égard de cette analyse. Mme Kaplan a mentionné, je pense, qu’elle est très souvent faite après coup; elle fait partie de l’évaluation, et cetera. Nous recommandons fortement d’intégrer une perspective de genre et de diversité dans l’élaboration même des politiques.
L’une des mesures les plus percutantes que le gouvernement a prises au cours des dernières années a été de mettre l’accent sur le Conseil du Trésor, les lettres du greffier du Conseil privé et les lettres de mandat des ministres. Je dirais que ces mesures ont, plus que toute autre chose, vraiment accru l’engagement des ministères à l’égard des questions d’égalité entre les sexes et de diversité. Je pense que cela montre vraiment ce que bon nombre d’entre nous comprennent, à savoir que le leadership est essentiel.
Il y a donc des ministres qui peuvent parler de l’égalité des sexes et de la diversité lorsqu’ils rencontrent des organisations qui méritent l’équité, mais ils l’oublient lorsqu’ils font leur travail principal. C’est ce que nous devons vraiment combattre. Nous devons veiller à ce que l’analyse comparative entre les sexes et l’analyse de la diversité soient intégrées aux activités de base de ces organisations. Nous devons tenir compte de certaines de nos hypothèses. Comment définissons-nous l’innovation? Comment définissons-nous l’entrepreneuriat? Comment prioriser les investissements et le développement économique? Je pourrais en parler plus en détail, mais ces questions fondamentales ont une incidence énorme sur qui a accès aux ressources, et nous devons commencer à pousser l’analyse plus en amont.
L’autre point que je voulais souligner, c’est que, d’après notre expérience, ce qui est mesuré est fait, et que les paramètres et les cadres de responsabilisation sont donc absolument essentiels. La formation est nécessaire, mais insuffisante. Ce doit être dans un contexte où il faut rendre compte des résultats.
Le dernier point que j’aimerais faire valoir, c’est qu’à notre avis, la façon de faire de nouveaux convertis est de les aider à comprendre comment cela leur permettra de mieux faire leur travail, de mieux servir la population et de mieux élaborer les politiques. Merci.
La présidente : Merci à nos deux témoins. Nous allons maintenant passer aux questions.
La sénatrice Bovey : Merci à vous deux. Je pourrais poser toutes sortes de questions, mais je vais m’en tenir à deux. Je vais aborder la question d’un point de vue pratique.
D’après ce que vous avez dit toutes les deux, vous estimez que ceux qui effectuent l’ACS Plus n’ont pas accès à tous les outils et à toutes les ressources et peut-être même à la philosophie dont ils ont besoin pour être efficaces. J’aimerais donc vous demander qui devrait avoir la responsabilité ultime de veiller à ce que l’ACS Plus soit menée et appliquée. Je comprends que vous parliez de l’aide qu’elle apporte pour l’élaboration des objectifs d’une institution et l’élaboration de politiques, de mesures et de tout cela. Mais qui devrait avoir la responsabilité de s’assurer que ces effets se poursuivent? J’aimerais adresser cette question à nos deux témoins.
Mme Cukier : Personnellement, je pense que le greffier du Conseil privé et le Conseil du Trésor ont beaucoup plus d’influence sur l’établissement des priorités dans les ministères fédéraux. Je pense que c’est là-dessus qu’il faut mettre l’accent, car de nombreux ministères, comme d’autres organisations, suivront l’argent. S’ils croient vraiment que le fait de bien faire les choses aura une incidence sur les budgets qu’ils reçoivent, je pense que cela accélérera les comportements par rapport à de nombreuses autres initiatives axées sur la sensibilisation, par exemple.
Mme Kaplan : Merci. Je suis tout à fait d’accord avec Mme Cukier. J’ajouterais également, comme je l’ai indiqué dans mon témoignage, il y a quelque temps, sur la formation de Femmes et Égalité des genres Canada, que ce ministère a un rôle crucial à jouer dans le développement des compétences et dans l’aide aux autres ministères à développer ces compétences. Je suis d’accord pour dire que les gens suivront l’argent, mais s’ils ne savent pas comment, s’ils n’ont pas les compétences et les outils nécessaires et s’ils n’ont pas les capacités individuelles et les processus organisationnels pour le faire efficacement, alors ils ne pourront pas accomplir ce dont parle Mme Cukier.
La sénatrice Bovey : Je ne sais pas si vous avez entendu le groupe de témoins précédent. Évidemment, chacune de ces organisations a sa trousse d’outils, lesquels sont évidemment adaptés à ses besoins culturels. Comment cela peut-il être intégré à la politique et aux applications du gouvernement si nous voulons que ce soit efficace dans l’ensemble du gouvernement et dans tous les ministères?
Mme Kaplan : Il est très important de reconnaître qu’il existe divers outils. Les ministères et les organismes devraient investir du temps pour y avoir accès et renforcer leurs capacités en les utilisant ou en mobilisant certains de ces organismes communautaires pour les aider à les utiliser. Il ne s’agit pas seulement pour le gouvernement de faire des choses pour les gens, mais aussi de s’engager; comme l’ont dit de nombreux intervenants précédents, « ne faites rien pour nous sans nous ». Il s’agit en partie de mobiliser ces collectivités, mais il faut accorder beaucoup plus d’attention au renforcement de ces compétences.
Si on regarde la formation qui est offerte actuellement, elle est dispensée par le gouvernement ou par le Collège canadien. Elle est beaucoup plus axée sur la façon de créer une présentation budgétaire — quels sont les formulaires et que devez-vous savoir pour pouvoir les remplir? Elle ne s’attarde pas beaucoup sur ce à quoi il faut vraiment penser pour faire une analyse comparative entre les sexes intensive au stade de la conception des priorités et des politiques. C’est ce qui manque à mon avis.
Mme Cukier : L’autre élément manquant est la motivation, le « pourquoi ». De mon point de vue — et, encore une fois, je suis dans une école de commerce, j’ai peut-être un point de vue déformé —, je pense que les gens sont souvent mus par un intérêt personnel éclairé. Je vois que les organisations sont plus susceptibles de répondre si elles voient comment cela les aidera à mieux faire ce qu’elles essaient d’accomplir, plutôt que de passer par un modèle de conformité.
Il y a beaucoup de nuances dans la façon dont cela fonctionne. Je me ferai un plaisir de parler davantage de ce que nous avons vu avec certains des ministères du Développement économique, les organismes de développement régional, ISDE, et cetera, sur la façon de structurer une partie de ce travail de façon à vraiment interpeller les gens et les inciter à aller de l’avant.
Le sénateur Patterson : Je vous remercie toutes les deux de vos exposés. Madame Kaplan, je vous ai bien entendu dire que beaucoup de gens au gouvernement ne savent pas comment appliquer l’ACS Plus. Dans certains cas, ils finissent par ajouter l’analyse à la fin de l’élaboration des politiques, plutôt que de la rendre formative.
Vous avez recommandé que nous renforcions la capacité de l’ACS Plus à tous les niveaux. Pauktuutit a comparu juste avant vous et a dit que cela devrait être intégré dans les modules de formation fédéraux.
Pourriez-vous nous expliquer comment cette capacité devrait être intégrée à l’ACS Plus à tous les niveaux? Quel est le mécanisme pour le faire? Nous aurons l’occasion de faire des recommandations au gouvernement. Comment formuleriez-vous cela, s’il vous plaît?
Mme Kaplan : Merci beaucoup de la question. Je ne crois pas qu’il y ait une seule solution. Il pourrait s’agir d’améliorer et d’augmenter la formation déjà offerte par l’entremise de FEGC et du Collège canadien.
Mais il faut aussi profiter de ces organisations. Les témoins du groupe précédent ont dit qu’ils offraient de la formation. Ce sont aussi des organismes qui sont très pauvres en ressources et qui ne sont pas appuyés adéquatement. Je pense que le gouvernement a vraiment l’occasion d’aider ces organisations à offrir cette formation et à partager ces connaissances avec les collectivités.
À l’Institut sur le genre et l’économie, nous avons conçu notre propre formation qui s’adresse non seulement au gouvernement, mais aussi aux ONG et au monde des affaires. Nous l’offrons en ligne. Nous lancerons un programme en présentiel.
L’une des difficultés dont nous ont parlé les fonctionnaires, c’est que cette formation particulière n’est pas autorisée ou ne compte pas officiellement. Ils ne peuvent donc pas s’en servir pour prouver qu’ils ont acquis ces compétences.
Je pense donc que c’est une occasion en or. Qui sont tous les organismes externes, qu’il s’agisse d’universités ou d’organismes communautaires, qui pourraient offrir de la formation sur ces compétences, et comment peuvent-ils être accrédités et officialisés pour que les fonctionnaires puissent en profiter?
Le sénateur Patterson : Merci beaucoup.
La présidente : Madame Cukier, qu’en pensez-vous?
Mme Cukier : Je suis d’accord. À mon avis, la formation est, comme je l’ai dit, nécessaire, mais insuffisante. Je sais que si je mange trop et que je ne fais pas d’exercice, je vais grossir. Mais cela ne change pas mon comportement. Je pense donc qu’en plus de réfléchir à l’éventail de programmes de formation qui devraient être offerts et de permettre un certain choix — si vous offrez des programmes au centre-ville de Toronto, le racisme contre les Noirs est en quelque sorte fondamental. Si vous offrez des programmes à St. John’s, à Terre-Neuve, peut-être pas autant ou peut-être que ce n’est pas aussi primordial. Je pense donc qu’il y a un avantage à avoir une programmation diversifiée.
Mais encore une fois, à mon avis, cela fait partie du processus. Cela doit vraiment commencer lorsque le gouvernement établit les priorités et s’assure qu’il pose des questions vraiment fondamentales au sujet des définitions de base.
Ai-je le temps de vous donner un exemple? Les programmes d’aide financière dans le cadre de la COVID-19 ont été conçus en fonction des prêts et étaient initialement axés sur les petites et moyennes entreprises comptant un seul employé. Parmi les entreprises détenues par des femmes, 90 % n’ont pas d’employés et ne sont pas constituées en société. La plupart des entreprises autochtones ne sont pas constituées en société. Parmi les entrepreneurs noirs, 98 % ont dit qu’ils ne pouvaient pas s’endetter davantage.
Il y a donc des questions fondamentales qu’il faut se poser dès le départ pour bien concevoir ces programmes. Nous avons eu de la chance parce que le gouvernement a été très réactif et itératif, mais je dirais qu’il y a des cas où le genre et d’autres formes de préjugés sont intégrés dans le cadre fondamental de ce que nous essayons de faire de manière à pouvoir nous y attaquer. La seule façon de le faire, c’est à la table du Cabinet et dans les forums décisionnels les plus importants.
La sénatrice Moodie : Je remercie nos témoins d’aujourd’hui. Ma question portera sur les données. Nous sommes conscients de l’importance renouvelée accordée à la collecte de données désagrégées et des investissements qui ont été faits récemment. Mais nous avons toujours un problème de manque de données. Cela demeure un enjeu clé.
Selon vous, que peut-on faire pour éliminer cet obstacle? Pendant que nous augmentons nos capacités de collecte de données, quels types d’autres types de données ou d’information les analystes peuvent-ils utiliser, entretemps, pour régler certains de ces problèmes?
Mme Cukier : Je suis responsable de la recherche au Centre des compétences futures. L’une des choses sur lesquelles nous avons beaucoup insisté — et nous voyons d’autres ministères le faire —, c’est la création de marqueurs d’identité pour chaque programme afin que nous sachions quels programmes sont offerts, à qui, et quels en sont les effets.
Je peux vous dire que beaucoup de ministères, même FEGC, ne savent pas quelles données ils peuvent recueillir auprès des organisations qu’ils servent. Tout le travail de Statistique Canada a été extraordinaire, mais si vous ne recueillez pas de données auprès des gens que vous servez et que vous ne les analysez pas, vous ne savez pas vraiment qui profite de tous les programmes offerts par le gouvernement fédéral. C’est donc un domaine qui exige un sérieux travail.
Mme Kaplan : J’aimerais poursuivre sur cette lancée et dire, par exemple, qu’aux États-Unis, il y a l’EEOC et que chaque employeur doit recueillir les données d’identité, de sorte qu’il y a beaucoup plus de données disponibles aux États-Unis qu’au Canada.
Cela suggère très fortement que ce n’est pas quelque chose qu’on peut faire moyennant quelques changements mineurs. Mais à mon avis, nous avons besoin d’un programme national similaire qui exige que tous les employeurs recueillent ces données. Mme Cukier a décrit comment chaque programme pourrait le faire. Cela devient incroyablement difficile parce qu’il y a tellement d’efforts et d’énergie à déployer chaque fois qu’il faut recueillir ces données.
Je reconnais qu’il est souvent difficile de les obtenir. Il faut tenir compte de beaucoup de sensibilités culturelles. J’ai participé à des réunions où les Autochtones disaient qu’ils refusaient de remplir ces formulaires parce qu’ils ne voulaient pas que leurs données soient recueillies. Nous devons donc le faire avec énormément de délicatesse.
Je pense que nous manquons, à l’échelle nationale, une occasion en or de mieux comprendre qui est employé et qui est servi, parce que nous n’avons pas recueilli ces données par le passé. Pour cette raison, vous pouvez demander à StatCan de faire toutes sortes de choses, mais il n’a pas les données voulues pour le faire.
Je pense aussi que nous avons besoin d’investir beaucoup plus dans StatCan pour recueillir et analyser des données dans le sens dont nous avons parlé.
Mme Cukier : Il faut aussi relier les données de StatCan aux données administratives pour pouvoir vraiment comprendre les liens entre les investissements, les programmes et les résultats sur le plan de l’emploi, des salaires et le reste.
La sénatrice Dasko : Je remercie les témoins d’être ici aujourd’hui. Bon nombre des questions relatives à l’analyse comparative entre les sexes dont vous avez parlé toutes les deux aujourd’hui ont également été soulevées par la vérificatrice générale, qui était ici la semaine dernière. Elle a dit des choses très semblables au sujet du retard dans le processus, de la capacité et de toutes les autres questions, alors je pense qu’il y a là un thème commun sur lequel on s’entend.
J’aimerais en savoir un peu plus sur les réussites que vous avez pu constater. Madame Cukier, vous avez déjà parlé d’une réussite en matière d’ACS relativement à la COVID-19, mais je me demande s’il y a d’autres études de cas dont vous pouvez parler, au sein du gouvernement fédéral, où l’on a vraiment fait du bon travail en matière d’ACS dans certains domaines stratégiques. J’aimerais que vous me parliez de certains succès.
De plus, dans tous les cas où, disons, le milieu universitaire a aidé le gouvernement, a effectué pour lui une analyse de l’ACS et, encore une fois, pour ce qui est des études de cas, j’aimerais que vous me parliez de l’analyse, de la façon dont elle a été effectuée et de la façon dont elle a été utilisée. À quoi doit-on son succès? C’est ma première question pour vous deux.
Mme Kaplan : J’ai hâte d’entendre ce que Mme Cukier a à dire, parce que lors de notre analyse des intervenants et des consultations que nous avons menées au gouvernement, nous avons demandé à tout le monde des exemples de réussite et personne n’a pu nous en citer. Je suis certaine qu’il y en a, mais beaucoup de gens ont dit qu’ils n’avaient en tête aucun exemple de situation où cela avait changé les choses de la façon dont nous parlons, Mme Cukier et moi. Je serais curieuse de savoir où nous pourrions voir certaines des plus grandes réussites.
Mme Cukier : La question est de savoir si le verre est à moitié vide ou à moitié plein. Rien n’est parfait, mais je vais souligner certaines choses qui, à mon avis, sont vraiment encourageantes.
EDSC, par exemple, a reconnu que notre succès en ce qui concerne la stratégie nationale en matière de compétences dépend non seulement de ce qui est fait pour les demandeurs d’emploi, mais aussi de la prise en compte des employeurs, de leurs pratiques et des mesures nécessaires. Ce n’est qu’au cours de la dernière année que nous avons commencé à voir des organisations comme EDSC, qui investissent beaucoup d’argent dans la formation, se concentrer sur les facteurs liés à la demande. C’est le résultat direct du travail qui a été effectué sur l’impact du genre et de la diversité.
Un autre exemple — Mme Kaplan y a participé, tout comme la sénatrice Omidvar — est la recherche sur la représentation dans les rôles de direction qui a mis l’accent sur la perspective intersectionnelle. Au lieu de se concentrer simplement sur l’augmentation du nombre de femmes dans des rôles de direction et les cadres de responsabilisation par l’entremise de la CVMO, et d’autres organisations, on s’est intéressé aux femmes membres des conseils d’administration en se centrant sur les quatre groupes désignés, et ensuite sur le Défi 50-30. Je pense qu’on peut établir un lien direct entre ces initiatives stratégiques et l’analyse comparative entre les sexes dans une véritable optique de diversité. Je trouve ces initiatives encourageantes.
Une partie du travail qui se fait dans le cadre de la Stratégie pour l’entrepreneuriat des communautés noires et du Black Opportunity Fund, qui met l’accent sur la richesse générationnelle de la communauté noire et qui reconnaît que la lutte contre le racisme est une chose à laquelle le gouvernement doit s’attaquer en se fondant sur des données désagrégées qui sont indéniables, est encourageant.
Je peux vous citer des programmes et des exemples. Les organismes de développement régional recueillent maintenant une gamme complète de données sur le genre et la diversité lorsqu’ils donnent de l’argent. Le PARI, du CNRC, cherche à déterminer comment il peut tirer parti de son positionnement en tant que bailleur de fonds pour promouvoir l’égalité des sexes et la diversité dans les petites et moyennes entreprises du Canada. Ce sont les choses de ce genre qui entraîneront des changements dans l’écosystème. Encore une fois, je me concentre principalement sur l’innovation, les compétences, et cetera, mais je trouve cela très encourageant.
La sénatrice Lankin : Je suis heureuse de vous voir, madame Cukier. Cela fait pas mal de temps. Bienvenue à vous et à Mme Kaplan.
J’ai une série de questions. Je vais les poser toutes et vous demander à toutes les deux d’y répondre. Elles s’appuient sur vos commentaires les plus récents, madame Cukier, et sur le travail que de nombreuses personnes ont accompli — y compris, comme vous l’avez mentionné, la sénatrice Omidvar — en ce qui concerne la diversité des conseils d’administration et une foule d’autres choses.
Lorsque vous avez parlé plus tôt d’un intérêt personnel éclairé, je pensais à cela et au livre Good to Great et plusieurs autres qui ont dit aux entreprises que leur participation à la collectivité, en tant que parties prenantes, en ne voyant pas seulement l’intérêt des actionnaires — tout cela — a été un facteur de transformation très important dans le secteur des entreprises. Le gouvernement a un rôle à jouer dans la réglementation à cet égard.
Je pense à plusieurs choses. Premièrement, comment pourriez-vous nous aider à examiner le réseau de centres de formation, qu’ils soient dans les universités ou ailleurs? Avez-vous un réseau? Comment pourrions-nous aborder l’idée d’une certification qui rendrait ce genre de programmes disponibles et certifiés dans toutes les régions du pays afin que les ministères qui y sont présents puissent les connaître et s’en prévaloir?
Je suppose qu’une partie de votre travail consiste à former les analystes des politiques de l’avenir qui seront intégrés au gouvernement. Et si nous discutions avec le gouvernement des critères d’embauche pour les emplois de type politique, et des compétences nécessaires pour comprendre l’ACS Plus?
En ce qui concerne les problèmes réels liés à la gouvernance des conseils d’administration des sociétés, des sociétés d’État et des organismes sans but lucratif, nous avons constaté un énorme mouvement en matière de responsabilité sociale, non seulement en ce qui concerne la gestion des relations avec les actionnaires, mais aussi la gestion des relations avec les parties prenantes. Madame Kaplan, lorsque j’ai participé au programme de formation des administrateurs de Rotman, il y a de nombreuses années, il y avait des documents portant sur la responsabilité sociale. Mais il n’y en avait aucun indiquant si le conseil d’administration avait une responsabilité non seulement à l’égard de la diversité, mais aussi de la façon dont il mène ses activités et interagit avec la collectivité. Y a-t-il quelque chose que vous avez déjà fait, ou pouvons-nous avoir une influence sur tous les programmes de formation des administrateurs?
De plus, quel genre d’interaction pourrions-nous avoir avec les commissions des valeurs mobilières et des organisations comme la Coalition canadienne pour une bonne gouvernance? Je vais m’arrêter là. Merci.
Mme Cukier : Oui, je pense que l’idée de gérer les ressources plutôt que de choisir les gagnants est beaucoup plus logique parce qu’elle permet aux gens de choisir. Je pense que le Conseil canadien des normes se lance dans ce domaine avec des normes officielles. Il pourrait être très intéressé à faire quelque chose de ce genre.
J’aime votre suggestion d’intégrer les compétences liées à l’analyse comparative entre les sexes dans les processus d’embauche. J’ajouterais à cela l’expérience vécue parce que, comme quelqu’un l’a déjà dit : « Pourquoi est-ce que travailler dans une soupe populaire est considéré comme une bonne expérience pour être médecin alors que grandir dans la pauvreté ne l’est pas? » Je pense vraiment que nous dévalorisons l’expérience vécue par les gens et ce que cela apporte aux processus politiques.
Nous pourrions également tenir toute une discussion au sujet des conseils d’administration et du leadership. Je pense que le Défi 50-30 offre des outils réels et des pratiques exemplaires sur la façon d’adopter une approche à l’échelle de l’organisation, en reconnaissant que si vous n’abordez pas tous les aspects de l’organisation, vous ne pouvez pas changer qui est au sommet de la hiérarchie. Il y a donc beaucoup à dire. Je me ferai un plaisir de vous envoyer des documents supplémentaires à ce sujet. Je suis sûre que Mme Kaplan peut le faire aussi.
Mme Kaplan : Merci. Je suis tout à fait d’accord pour ce qui est de la gestion des ressources. J’adore l’idée d’inclure cela dans les critères d’embauche. Dans les universités, nous demandons à tous les candidats à des postes universitaires de présenter une déclaration au sujet de leur engagement à l’égard de la diversité et de la façon dont ils l’intègrent dans leur recherche, et pas seulement leur engagement vis-à-vis des membres de leur équipe, par exemple. Je pourrais imaginer quelque chose de semblable. Avec l’appui de FEGC, nous avons élaboré un cadre de compétences en analyse comparative entre les sexes qui peut être utilisé pour évaluer les compétences des personnes et des organisations. Je l’enverrai au comité plus tard.
En ce qui concerne la gouvernance des conseils d’administration, j’ai essayé d’intervenir sur ce front avec le document du programme de gouvernance 360 degrés que j’ai élaboré avec Peter Dey, en insistant sur le fait qu’au XXIe siècle, vous ne pouvez pas être un bon administrateur sans vous occuper des questions concernant les droits des Autochtones, la diversité et l’inclusion dans votre organisation. Il ne s’agit pas seulement de la diversité et de l’inclusion de votre personnel, mais aussi de la façon dont vos produits et services sont commercialisés et de leur inclusivité. Je conviens que c’est extrêmement important. C’est un sujet qui me tient vraiment à cœur, personnellement.
La sénatrice Lankin : Cela a-t-il déjà été intégré au programme de formation des administrateurs de Rotman?
Mme Kaplan : Non, mais on m’a demandé de contribuer à ce que cela se produise, alors ce sera fait.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : J’aimerais connaître votre perspective sur quelque chose qui me semble difficilement réconciliable. D’un côté, on a entendu des témoignages à ce sujet aujourd’hui et la semaine dernière, et la vérificatrice a également mentionné à quel point on manque de données désagrégées, et qu’on manque également de qualité et de constance dans les données. D’un autre côté, on a entendu également, de la part de témoins qui étaient là auparavant et d’autres témoins, à quel point il est important d’aller plus loin dans les détails de ce que l’on demande et de ce que l’on va chercher comme données, et qu’il faut donc recueillir encore plus de données désagrégées.
Devrait-on s’attaquer aux deux problèmes en même temps, ou devrait-on faire l’un avant l’autre? Qui devrait avoir la responsabilité de ce défi? Est-ce réaliste d’essayer d’accomplir tout cela?
[Traduction]
Mme Cukier : Il y a beaucoup de mécanismes et d’intersections où le gouvernement rejoint les gens, les sociétés et les entreprises par l’entremise de toute une gamme de programmes. Selon certains principes de la gestion des données, vous ne les demandez qu’une seule fois. Vous obtenez un profil de l’entreprise; l’entreprise vient demander de l’argent à ISDE, et vous obtenez alors les données démographiques de cette entreprise. Elle demande de l’argent au PARI, et vous obtenez de l’information à son sujet; elle produit sa déclaration de revenus, et vous obtenez encore de l’information à son sujet.
À mon avis, ce qui est incohérent à l’heure actuelle, ce sont les données démographiques que nous recueillons, qu’il s’agisse de sociétés ou de particuliers qui ont accès à des programmes, et cetera. C’est en grande partie une question de volonté. Le gouvernement doit simplement commencer à poser plus de questions lorsqu’il fournit des politiques et des services, en tenant compte du point soulevé par Mme Kaplan, à savoir qu’il faut se préoccuper de la confidentialité des renseignements personnels; on ne peut pas obliger les gens à s’auto-identifier, par exemple. Mais si nous n’avons pas ces données, cela nous pose vraiment un problème.
Je dirais aussi que le gouvernement peut obliger d’autres organisations à le faire. À l’heure actuelle, la Loi sur l’équité en matière d’emploi exige que les services financiers fassent rapport sur leurs emplois. Il n’existe aucun mécanisme au Canada pour obliger les institutions financières à nous dire qui a accès à l’argent, même si elles contrôlent l’accès aux prêts étudiants, aux hypothèques et aux prêts pour les petites entreprises, et qu’elles ont une incidence fondamentale sur le patrimoine générationnel des femmes, les personnes racialisées, les Noirs, et cetera. Je pense que le gouvernement peut faire beaucoup pour encourager la collecte et le partage de données sur la prestation des services, par exemple, et cela ferait une énorme différence.
Mme Kaplan : Je suis tout à fait d’accord. Je reviens également sur le point que j’ai soulevé dans ma déclaration préliminaire et qui va dans le sens des propos du groupe de témoins précédent, à savoir que les données ne sont pas toutes quantifiables. Certes, il est extrêmement important de réunir de meilleures données exactement comme l’a dit Mme Cukier, mais sans pour autant négliger la consultation des collectivités et des gardiens du savoir. Ce que nous apprendrons vraiment en matière de création de politiques plus équitables passera en grande partie par la conception conjointe et l’information sur l’expérience vécue des gens, que les chiffres ne traduisent pas forcément.
Pendant que nous déplorons la rareté des données quantitatives, les décideurs doivent trouver le moyen de réunir des données qualitatives, ce qui va au-delà d’une simple consultation où chacun a cinq minutes pour intervenir. Sans vouloir offenser nos témoins, disons que j’ai participé à des consultations gouvernementales, que j’ai eu mes cinq minutes pour parler, avant l’adoption de la politique. Ce n’est pas ce dont nous parlons ici.
Mme Cukier : Le gouvernement a un préjugé en faveur des données quantitatives, et a tendance à marginaliser les autres formes de savoir. C’est un préjugé inhérent, que nous devons également corriger.
La présidente : J’aimerais poser moi-même une question qui s’adresse à l’une ou l’autre ou à chacune d’entre vous.
L’ajout du signe « Plus » après le sigle ACS désignant l’analyse comparative entre les sexes, n’est pas l’idéal, en ce sens qu’il désavantage les parcours des personnes issues de minorités — Autochtones, personnes handicapées, etc. — et qu’il marque une considération secondaire qui n’est pas au cœur des travaux du gouvernement. Les témoins ont cité des cas où l’on a pu faire l’ACS sans le signe « Plus ». On s’est demandé s’il serait important ou impératif de mener une analyse distincte sur le « Plus » sans l’ACS. Qu’en pensez-vous, toutes les deux?
Mme Kaplan : Il ne faut pas oublier que le genre est varié et que la diversité est sexospécifique. En effet, je ne crois pas qu’une analyse distincte soit possible parce que tout le problème est que l’impact d’une politique sur une blanche sans enfants, comme moi, et une Noire, chef de ménage célibataire ou quelque chose du genre, est bien différent. Nous savons également qu’il y a des politiques qui touchent les hommes, les personnes de diverses identités de genre, etc., selon la race, la classe socioéconomique et le handicap ou l’absence de handicap.
Je ne pense donc pas que la solution soit une analyse distincte. Ce sont les intersections qui retiennent notre attention. Je reconnais que la marque de l’ACS Plus pose problème. C’est le même problème à l’Institut sur le genre et l’économie, qui est intrinsèquement intersectionnel, à notre avis, mais qui est perçu autrement. Il faut mieux redéfinir notre façon d’effectuer les analyses. Nous ne pouvons plus nous contenter de dire que nous allons séparer le sexe de la race, de l’indigénéité ou de la classe socioéconomique. C’est dangereux parce que bon nombre des répercussions découlent des formes d’intersectionnalité avec ces autres facteurs.
Je pense qu’il y a une véritable occasion et, quand on lit tous les articles d’universitaires qui ont critiqué l’ACS Plus, on voit qu’un bon nombre se sont attachés au concept du « Plus », qu’ils trouvent dépassé, et ont fait valoir qu’il faut trouver un moyen de l’intégrer là où sont centrées les intersections plutôt qu’avec le sexe, la race ou le handicap, etc.
Mme Cukier : L’intersectionnalité, c’est important, mais pas plus que les groupes désignés, l’orientation sexuelle et la diversité des genres.
Je crois que nous nous retrouverons avec toutes sortes d’approches différentes. Je sais que, dans la perspective de l’utilisateur final, si vous portez le chapeau de l’organisation — nous travaillons déjà avec quelques-unes —, il peut être très difficile de naviguer entre les formes multiples d’analyse. Ma solution serait de simplement renommer l’analyse comme analyse selon le sexe et la diversité ou quelque chose qui reflète clairement que le « Plus » est autre chose qu’un simple ajout.
Je sais que la diversité est parfois considérée comme péjorative. Alors, peu importe le terme, je pense que les gens ne comprennent pas que les autres dimensions sont tout aussi importantes.
La présidente : Voilà un point intéressant au sujet de la nouvelle image de marque.
Madame Kaplan, j’ai une brève question à vous poser. Elle découle de la recommandation que je crois vous avoir entendu faire, soit que, idéalement, vous aimeriez que le Canada adopte la méthode de collecte de données de l’Equal Employment Opportunity Commission des États-Unis. Je viens de recevoir une note de notre analyste de la Bibliothèque du Parlement, qui m’informe que la différence entre les deux est que, au Canada, nous recueillons ces renseignements par voie de sondages sur l’équité en matière d’emploi, mais que l’auto-identification est le mécanisme qui nous permet de recueillir les données. Proposez-vous que nous recueillions les données d’une façon qui ne laisse pas le choix de s’auto-identifier? Je ne comprends pas très bien, alors éclairez-moi.
Mme Kaplan : Même à l’EEOC aux États-Unis, on s’auto-identifie parce que les employés remplissent eux-mêmes le formulaire. Je n’ai rien d’autre à proposer que l’auto-identification dans ces choix.
Je crois comprendre qu’il serait extrêmement difficile d’adopter ce système au Canada, étant donné l’histoire du Canada et la façon dont nos lois et règlements ont été élaborés. Je l’ai déjà dit, cela m’apparaît tenir davantage du vœu pieux pour la mise en place d’un mécanisme plus systématique que celui que nous avons aujourd’hui pour recueillir ces données. Les exemples dont nous parlons autrement ne sont que des organisations différentes, dont chacune applique son propre système, après l’avoir elle-même repensé et refait. Il se perd beaucoup d’efficacité, et les données ne sont pas centralisées pour être utilisées efficacement dans l’élaboration des politiques. Je ne suis pas sûre qu’il soit même possible, dans le cadre canadien, d’appliquer la méthode américaine.
La sénatrice Bovey : J’aimerais revenir à la formation et à la façon dont nous créons ce changement de paradigme indispensable. La formation vise à faire comprendre à la fois la nécessité et la mise en œuvre de l’ACS Plus.
Vous représentez toutes les deux des organisations universitaires, évidemment. Les programmes de formation sur l’ACS Plus sont-ils intégrés dans les programmes d’études, de manière que les étudiants qui passent par le système comprennent ce qu’il en est, ou s’agit-il seulement de programmes d’études sexospécifiques et d’administration publique? Si je devais revenir à l’enseignement de la politique culturelle, je peux vous assurer que, à compter de maintenant, ce serait au tout début du cours. Et pourquoi pas dans les arts, en médecine, en génie, etc.? Y a-t-il moyen d’intégrer cela dans le programme d’études pour que les étudiants y soient exposés avant d’avoir à l’appliquer?
Mme Cukier : Les universités sont parmi les organisations les plus difficiles à changer. Par comparaison, un changement de gouvernement est un jeu d’enfant, parce qu’elles ont une grande autonomie.
Les établissements offrent de plus en plus de cours, mais la mesure dans laquelle ils sont obligatoires... J’ai donné de la formation obligatoire sexospécifique pour tous les étudiants de première année en génie à Ryerson de 1991 à 1996. C’était une exigence de la pratique professionnelle instituée par l’Ordre des ingénieurs de l’Ontario, mais je peux vous dire qu’elle demeure très inégale et assez rare dans les écoles professionnelles, de même que dans les programmes en général.
Mme Kaplan : Je suis d’accord avec Mme Cukier. J’essaie d’obtenir la même chose à l’Université de Toronto depuis fort longtemps. Si les employeurs commencent à la demander, alors, pour revenir à la conversation précédente selon laquelle, pour s’adresser au gouvernement, il faut démontrer qu’on possède les compétences en matière d’ACS Plus; c’est ainsi qu’on l’obtiendra pour tous les programmes.
Pour changer les choses dans le milieu universitaire, il faut que les employeurs changent ce qu’ils veulent et que les étudiants créent la demande; alors nous sommes forcés d’aller de l’avant. Mais il est très difficile pour nous d’agir proactivement. C’est ainsi que les choses vont changer. Comme l’a dit Mme Cukier, lorsque c’est devenu une exigence de la pratique professionnelle, il a fallu donner un cours, et les étudiants ont eu la formation.
La sénatrice Dasko : J’ai une brève question pour Mme Kaplan. À votre avis, Statistique Canada devrait-il faire plus? Selon vous, que doit-il faire? Doit-il mener de nouvelles études, ou développer les études existantes, et lesquelles? Doit-il ajouter des questions ou grossir l’échantillon?
Mme Kaplan : Je vous donne quelques exemples. Nous menons une étude sur l’écart salarial entre les hommes et les femmes et sur la mesure dans laquelle il vient de ce que les femmes changent d’emploi après l’arrivée de leur premier enfant. Nous aimerions savoir, en particulier, quelles sont les caractéristiques des employeurs, quels employeurs elles choisissent, et si ces employeurs ont des politiques plus favorables à la famille. L’enquête sur l’emploi de la main-d’œuvre que nous utilisions n’existe plus, si bien que nous devons nous appuyer sur des données très anciennes. Nous n’avons plus de données sur les genres de politiques que pratiquent les organisations qui pourraient être plus ou moins favorables à la famille. C’est un exemple.
De même, dans le cadre de cette étude, en raison des limitations de personnel et des contraintes au sein de Statistique Canada, il nous a fallu deux ans et demi, voire trois ans, pour obtenir les nombreux ensembles de données à apparier pour réaliser l’étude.
Les possibilités seraient multipliées s’il y avait plus de financement et plus de personnel. Statistique Canada pourrait faire ces études et publier les données beaucoup plus rapidement qu’à l’heure actuelle.
Une bonne partie de ce qu’il a fait récemment au sujet de l’égalité entre les sexes est axée sur la haute direction, comme la présence de femmes au sein des conseils d’administration. C’est bien. Oui, nous manquons de femmes dans les conseils d’administration, mais la disparité s’observe aussi souvent chez les plus pauvres et les plus marginalisés de notre société. Nous n’avons pas la capacité de faire toutes ces analyses que nous aimerions faire.
Je pense que Statistique Canada est sous-financé et qu’il n’a pas les moyens de faire les études, même avec les données dont il dispose, et encore moins de collecter des données qui seraient utiles.
La sénatrice Lankin : Merci beaucoup. J’aime bien notre conversation.
J’ai demandé plus tôt s’il existe un réseau d’écoles et d’établissements comme le vôtre. Si oui, veuillez nous en faire part, car cela pourrait faire partie de notre approche à l’égard du gouvernement en ce qui concerne la certification éventuelle, etc.
La question est presque théorique, mais qui de mieux que deux universitaires pour en parler? Je veux revenir à la discussion que la sénatrice Omidvar a soulevée au sujet de la marginalisation du « Plus » et du fait qu’il s’agit vraiment d’une question d’intersectionnalité. Certaines féministes déplorent aussi que nous n’ayons rien d’autre que l’analyse comparative entre les sexes à l’heure actuelle; l’examen des questions qui intéressent directement les femmes, y compris la richesse de l’analyse de l’intersectionnalité, est-il menacé? Je ne suis pas contre un changement d’image ou quoi que ce soit de ce genre, mais je veux comprendre les pressions concurrentielles qui s’exercent pour divers groupes d’équité. Avez-vous des commentaires là-dessus?
Mme Cukier : Les droits de la personne ne sont pas du gâteau ni un concours. J’ai travaillé à ces dossiers, et j’ai connu un grand nombre d’entre vous dès le début. Il y a toujours un côté de moi qui craint que nous ne perdions de vue l’égalité de genre, parce qu’il y a tellement de gens qui diront : « C’est déjà fait, et nous en avons la certitude aujourd’hui. » Nous devons nous prémunir avec grand soin — et la sénatrice Omidvar connaît ma statistique la plus horrible, à savoir que la moitié de la population de Toronto est blanche et que la moitié de la population est racisée, que la moitié de la population est masculine et l’autre moitié, féminine, plus ou moins, et que, malgré tout, les femmes blanches sont plus nombreuses que les femmes racisées dans les conseils d’administration. Faites une recherche quelque part et vous constaterez les écarts salariaux et toutes sortes de choses.
Nous devons reconnaître que les femmes font des progrès — peut-être pas aussi rapides que nous le souhaiterions — alors que d’autres groupes sont vraiment laissés pour compte. Nous devons trouver moyen de faire avancer tout le monde en même temps.
Mme Kaplan : Je suis complètement d’accord.
Dans le monde des affaires, il y a un « problème d’objet brillant » : on vous parle tantôt des femmes, et tantôt des personnes transgenres et non binaires. Puis c’est « Oh, ce qui nous intéresse aujourd’hui, c’est Black Lives Matter. »
L’intérêt pour les différents aspects s’exprime par vagues, mais nous devons parler de tout cela tout le temps. J’ignore comment on peut parler de Black Lives Matter sans parler des femmes noires. Le problème, c’est qu’on veut voir les choses dans leur unidimensionnalité. Si le « Plus » est si important, c’est que nous devons changer l’articulation pour parler comme Mme Cukier, pour expliquer que ce n’est pas que les femmes font des progrès; c’est peut-être que les blanches, l’élite féminine, font des progrès.
Je reconnais avec vous qu’il est extrêmement important de ne pas perdre de vue le genre et l’articulation sur les femmes et les personnes de divers genres, mais si nous n’intégrons pas toutes ces autres identités qui se recoupent — les personnes handicapées et la classe socioéconomique, et pas seulement les quatre classes protégées, mais toutes les façons dont les identités se recoupent —, nous n’atteindrons jamais l’égalité que nous recherchons.
La présidente : Merci à nos témoins de cette séance des plus intéressantes et instructives. Merci de nous avoir offert de nous envoyer des documents. Nous serions très heureux de les recevoir.
Honorables sénateurs, notre prochaine réunion aura lieu demain matin. Nous attaquerons alors l’étude du cadre fédéral de prévention du suicide.
(La séance est levée.)