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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES SOCIALES, DES SCIENCES ET DE LA TECHNOLOGIE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 20 novembre 2024

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd’hui, à 16 h 15 (HE), avec vidéoconférence, afin d’élire la vice-présidence et d’examiner le projet de loi C-252, Loi modifiant la Loi sur les aliments et drogues (interdiction — publicité d’aliments et de boissons destinée aux enfants).

La sénatrice Rosemary Moodie (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs et sénatrices, je m’appelle Rosemary Moodie. Je suis sénatrice de l’Ontario, et il s’agit de ma première réunion en tant que présidente du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

J’aimerais faire un tour de table et inviter tous les sénateurs à se présenter.

La sénatrice Bernard : Je suis Wanda Thomas Bernard, sénatrice de la Nouvelle-Écosse, territoire mi’kmaq.

[Français]

Le sénateur Boudreau : Bonjour. Victor Boudreau, du Nouveau-Brunswick.

[Traduction]

La sénatrice Osler : Flordeliz Gigi Osler, sénatrice du Manitoba.

[Français]

Le sénateur Cormier : René Cormier, du Nouveau-Brunswick.

[Traduction]

La sénatrice Burey : Bienvenue. Sharon Burey, sénatrice de l’Ontario.

[Français]

La sénatrice Petitclerc : Bienvenue. Chantal Petitclerc, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Seidman : Bienvenue. Judith Seidman de Montréal, au Québec.

[Français]

La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Dasko : Donna Dasko, sénatrice de l’Ontario.

La présidente : Sénateurs et sénatrices, le premier élément à l’ordre du jour aujourd’hui est l’élection d’une nouvelle personne à la vice-présidence. Comme vous le savez, notre ancienne vice-présidente, la sénatrice Cordy, a pris sa retraite lundi dernier. Cela laisse un poste vacant que nous devons pourvoir aujourd’hui. Je suis prête à recevoir une motion à ce sujet.

La sénatrice Seidman : Félicitations, madame la présidente, pour votre premier jour dans cette fonction. Je propose que l’honorable sénatrice Bernard soit la vice-présidente du comité.

La présidente : Y a-t-il d’autres mises en candidature? Comme je n’en vois aucune, il est proposé par l’honorable sénatrice Seidman que l’honorable sénatrice Bernard soit la vice-présidente du comité.

Honorables sénateurs et sénatrices, la motion est-elle adoptée?

Des voix : D’accord.

La présidente : Merci beaucoup. Je déclare la motion adoptée.

Félicitations, sénatrice Bernard.

La sénatrice Bernard : Merci.

La présidente : Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude du projet de loi C-252, Loi modifiant la Loi sur les aliments et drogues (interdiction — publicité d’aliments et de boissons destinée aux enfants).

Pour le premier groupe de témoins, nous recevons les témoins suivantes : Monique Potvin Kent, professeure, École d’épidémiologie et de santé publique, Faculté de médecine de l’Université d’Ottawa, se joint à nous en personne. Par vidéoconférence, nous accueillons Charlene Elliott, professeure, Département de communication, médias et film de l’Université de Calgary; et Lindsey Smith Taillie, professeure agrégée et directrice, Département de nutrition, Gillings School of Global Public Health de l’Université de la Caroline du Nord, à Chapel Hill.

Merci à vous toutes de vous joindre à nous aujourd’hui. Nous allons commencer par la déclaration liminaire de Mme Potvin Kent, qui sera suivie par celle de Mme Elliott et, enfin, nous céderons la parole à Mme Smith Taillie. Vous aurez chacune cinq minutes pour présenter votre déclaration liminaire.

Madame Potvin Kent, la parole est à vous. Ma politique sera de vous le rappeler lorsque votre temps sera écoulé.

Monique Potvin Kent, professeure, École d’épidémiologie et de santé publique, Faculté de médecine, Université d’Ottawa, à titre personnel : Merci beaucoup de me fournir l’occasion de m’adresser au comité. Je mène des recherches dans le domaine de la publicité d’aliments destinée aux enfants depuis 2006. Depuis ce temps, j’ai publié plus de 80 articles et rapports.

J’ai commencé mes recherches dans ce domaine lorsque mon enfant de trois ans me demandait chaque jour d’aller dans un restaurant d’alimentation rapide particulier. Lorsque j’ai commencé mes recherches sur la publicité à la télévision, je me suis rendu compte que ce restaurant d’alimentation rapide particulier annonçait ses repas pour les enfants toutes les 30 minutes pendant les émissions pour enfants. Depuis, j’ai effectué un très grand nombre de recherches sur l’exposition des enfants à la publicité d’aliments et de boissons.

En ce qui concerne la publicité à la télévision, dans le cadre de l’une des plus grandes études que j’ai réalisées, j’ai recueilli des données auprès d’une entreprise appelée Numerator. Nous avons été en mesure de calculer l’exposition des enfants à la publicité télévisée sur une période d’une année complète. Nous avons pu estimer que les enfants à Toronto voient plus de 2 000 publicités d’aliments et de boissons au cours d’une année. Près de 50 % de ces publicités concernaient des restaurants, dont la plupart étaient des restaurants d’alimentation rapide. Plus de 90 % des produits annoncés aux enfants étaient classés comme riches en matières grasses, en sucre ou en sel.

J’ai également réalisé énormément de travaux sur la publicité numérique. Récemment, j’ai mené une étude financée par l’Organisation mondiale de la santé, l’OMS, où j’ai enregistré en format vidéo et audio 100 enfants âgés de 6 à 17 ans, qui utilisaient leur téléphone intelligent ou leur tablette, pendant une période de 30 minutes. Les enfants ont aussi répondu à un sondage sur leur utilisation des médias.

À partir de ces données, nous avons été en mesure d’estimer que les enfants sont exposés à plus de 4 000 publicités d’aliments et de boissons lorsqu’ils utilisent leur téléphone intelligent ou leur tablette; 80 % de ces produits étaient classifiés comme étant moins sains, selon les critères de Santé Canada.

Pour résumer, les enfants sont exposés à plus de 2 000 publicités d’aliments et de boissons par année à la télévision, puis ils en voient 4 000 de plus en ligne. Cela représente plus de 6 000 publicités d’aliments et de boissons pour ces seuls médias.

Si vous ajoutez à cela la publicité sur d’autres médias comme la radio, les publicités extérieures et l’exposition dans des contextes comme les magasins de détail et les centres de loisirs, nous parlons d’une exposition très élevée des enfants à des publicités d’aliments peu sains. Même les parents les plus consciencieux qui rappellent quotidiennement à leurs enfants de manger des aliments sains ne peuvent pas rivaliser avec les plus de 6 000 messages d’aliments et de boissons du secteur des aliments et des boissons. Le projet de loi C-252 aidera les parents dans leur quête pour élever des enfants en santé.

Depuis 2005, j’ai également mené un très grand nombre de recherches qui ont évalué l’Initiative canadienne pour la publicité sur les aliments et les boissons destinée aux enfants, qui est le code d’autorégulation récemment démantelé. Dans chaque étude, j’ai conclu que ce code ne protège pas suffisamment les enfants contre la publicité d’aliments malsains. Les recherches réalisées dans le monde — aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Australie et en Nouvelle-Zélande — sont parvenues à des conclusions similaires. L’autorégulation n’est pas efficace pour réduire l’exposition des enfants à la publicité d’aliments malsains.

Il y a un peu plus d’un an, comme vous le savez probablement, l’industrie a mis en œuvre un nouveau code d’autorégulation. J’ai effectué une analyse approfondie du code et j’estime qu’il comporte de nombreuses lacunes. Tout d’abord, sa définition de la publicité n’est pas suffisamment exhaustive. Il y a des lacunes flagrantes, surtout en ce qui concerne les médias numériques. Par exemple, la publicité sur les médias sociaux, sur les sites numériques qui ne s’adressent pas principalement aux enfants et celle faite par des influenceurs sur les médias sociaux qui ne s’adressent pas aux enfants n’est pas incluse dans la réglementation.

Le nouveau code d’autorégulation s’inspire de la Loi sur la protection du consommateur du Québec, mais n’en est qu’une pâle imitation. Je vais vous donner un exemple. Dans sa définition du moment et du lieu, le nouveau code d’autorégulation de l’industrie énonce que, lorsque le public composé d’enfants est de moins de 15 %, vous pouvez cibler les enfants avec des aliments malsains. C’est très différent de ce que l’on voit au Québec, où on n’est pas autorisé à cibler les enfants, peu importe la composition de l’auditoire.

Les critères relatifs à la santé dans le nouveau code d’autorégulation sont également absents. En particulier, ses critères concernant les céréales sucrées sont très mauvais, et c’est aussi le cas pour la malbouffe. Il classe des aliments comme étant plus sains, alors que ceux-ci ne seraient pas classifiés ainsi par les diététistes. Rappelez-vous que 50 % des publicités vues par les enfants concernent des produits d’alimentation rapide.

Parmi les autres limites du nouveau code d’autorégulation, mentionnons le fait qu’il n’y a pas de vérifications de la conformité pour s’assurer que les entreprises respectent les règles ni de mécanismes d’application de la loi lorsque les entreprises ne les respectent pas. Les Normes de la publicité n’ont pas compétence sur ces entreprises.

La présidente : Merci. Nous espérons pouvoir entendre le reste de votre exposé dans les questions qui suivront.

Madame Elliott, la parole est à vous pour cinq minutes.

Charlene Elliott, professeure, Département de communication, médias et film, Université de Calgary, à titre personnel : Merci de m’avoir invitée à m’adresser à vous. J’ai consacré près de 20 ans à l’étude de la promotion des aliments auprès des enfants. J’étais auparavant titulaire de la Chaire de recherche du Canada en publicité d’aliments, en politique alimentaire et en santé alimentaire des enfants et je suis actuellement titulaire de la Chaire d’excellence en recherche sur le même sujet de l’Université de Calgary. J’ai aussi un enfant, ce qui m’a permis d’expérimenter la portée et l’influence de la publicité d’aliments du point de vue d’un parent également.

Aujourd’hui, j’aimerais attirer votre attention sur trois points pour votre évaluation du projet de loi.

Le premier concerne la formulation. Le préambule du projet de loi C-252 est axé sur le problème de l’obésité des enfants et sur ses résultats négatifs en matière de santé. D’après mon expérience, cette formulation entraîne généralement une série de questions portant sur les effets; c’est-à-dire, dans quelle mesure le projet de loi permettra-t-il de réduire les taux d’obésité des enfants, ou dans quelle mesure les taux d’obésité au Canada diffèrent-ils de ceux du Québec, puisque la publicité commerciale ciblant les enfants est interdite là-bas? Ce sont des questions raisonnables qui cherchent à aller au cœur de la valeur du projet de loi. Or, je pense que ces discussions nous éloignent du point de vue fondamental, à savoir que les aliments à haute teneur en gras saturés, en sucre et en sel contribuent de manière non équivoque à compromettre la santé des enfants, peu importe le poids de ces enfants. Par son essence même, le projet de loi cherche à promouvoir la santé des enfants et à créer un environnement qui favorise la santé de tous les enfants. Si nous situons cet objectif de promotion de la santé comme point de départ, cela ne rend pas la question de l’obésité moins importante, mais contribue à changer l’axe d’intérêt de manière positive pour tous les enfants canadiens.

Ensuite, j’aimerais parler de la nécessité du projet de loi. Je documente le pouvoir de persuasion et la qualité nutritive des aliments emballés destinés aux enfants depuis 2006, un projet inspiré à l’origine par la prolifération d’emballages ciblant les enfants dans l’ensemble du supermarché et par le fait que les techniques de publicité qui ciblent les enfants dans le rayon des céréales sont apparues dans d’autres catégories d’aliments.

Il y avait 367 produits dans le premier ensemble de données; 89 % d’entre eux pouvaient être classés comme ayant une mauvaise qualité nutritive en raison des niveaux élevés de sucre, de gras ou de sel. Nous avons ensuite effectué des études ultérieures en 2009, en 2017 et en 2023 afin de suivre les tendances et les transformations des aliments ciblant les enfants au fil du temps. Depuis la première étude, les appels ciblant précisément les enfants n’ont fait qu’augmenter. Notre plus récent ensemble de données contenait 458 produits. Nous avons ensuite appliqué les critères proposés par Santé Canada pour évaluer la composition nutritive des aliments destinés aux enfants de cet ensemble de données et avons constaté que 97,5 % des produits dépassaient au moins un seuil pour ce qui est du sel, du sucre ou des gras saturés. Autrement dit, moins de 3 % des produits emballés explicitement pour plaire aux enfants dans les supermarchés seraient en fait autorisés comme publicité ciblant les enfants si les critères proposés s’appliquaient aux aliments emballés. Il y a beaucoup de travail à faire dans ce domaine.

Enfin, j’aimerais souligner l’importance de la disposition du projet de loi qui vise la surveillance de la publicité d’aliments ciblant les adolescents. Depuis les trois dernières années, je dirige une étude dans le cadre de laquelle nous avons recruté des adolescents de partout au pays afin qu’ils utilisent une application mobile expressément conçue pour saisir les annonces d’aliments ciblant les adolescents qu’ils voient en une semaine et pour consigner, pour chaque publicité, le nom du produit, la marque, la plateforme et les appels particuliers qui, selon eux, font en sorte que la publicité s’adresse aux adolescents.

Jusqu’ici, l’étude a révélé l’importance primordiale des plateformes numériques pour les adolescents. Plus de 75 % des publicités qu’ils ont soumises provenaient des plateformes numériques. Ce qui est toutefois frappant, c’est que, lors de notre dernière collecte de données, 468 adolescents ont soumis près de 3 500 publicités d’aliments et de boissons qu’ils ont vues en une semaine seulement à partir des quatre plateformes les plus populaires, soit Instagram, Snapchat, TikTok et YouTube. De ces quatre plateformes, ils ont saisi — ce qui est remarquable —, 557 marques uniques d’aliments et de boissons, ce qui témoigne du caractère agressif de la publicité auprès des adolescents dans leur vie numérique.

Étant donné que nous avons demandé aux adolescents de saisir à la fois la publicité d’aliments et ce qui faisait en sorte qu’elle les ciblait eux précisément, nous disposons également de rares connaissances sur l’importance des techniques de persuasion particulières pour ce public, des techniques liées au style visuel de la publicité ou à ses offres spéciales ainsi qu’aux célébrités, influenceurs et créateurs de contenu, entre autres choses, qui font maintenant partie de la lingua franca de la vie des adolescents.

C’est important, car cela révèle que les publicités saisies par les adolescents, majoritairement pour des aliments mauvais pour la santé, les touchent aussi personnellement. Il ne s’agit pas seulement de bruit numérique.

Le projet de loi est une occasion de donner la priorité à la santé des enfants et de comprendre davantage les pressions qu’exercent sur les adolescents les publicités du secteur des aliments et des boissons. Il offre aussi l’occasion de faire un choix éthique plutôt qu’un choix commercial. Nous devons protéger nos enfants contre la publicité d’aliments qui compromet leur santé à long terme.

Je vous remercie de votre temps.

La présidente : Merci, madame Elliott.

Nous cédons maintenant la parole à Mme Taillie.

Lindsey Smith Taillie, professeure agrégée et directrice, Département de nutrition, Gillings School of Global Public Health, Université de la Caroline du Nord, Chapel Hill, à titre personnel : Sénateurs et sénatrices, merci de me donner l’occasion de m’adresser à vous. Mon expertise repose sur les politiques alimentaires qui visent à promouvoir des régimes plus sains, y compris les politiques sur la publicité alimentaire. Depuis les 15 dernières années, je travaille dans de nombreux pays du monde sur ces questions. Je vous félicite tous de prendre en considération ce projet de loi et de donner le bon exemple à votre voisin du Sud.

Pour commencer, j’aimerais vous raconter une histoire. La fin de semaine dernière, j’étais à l’épicerie avec mon enfant de quatre ans, qui venait de regarder le film Le Roi Lion pour la toute première fois. Nous circulions dans le rayon des boissons lorsqu’elle a vu une boisson à saveur de fruits très sucrée qui avait un gros couvercle en forme de lion, exactement comme celui du film. Il se trouvait juste à la hauteur de ses yeux. Elle a immédiatement commencé à la demander et n’a pas arrêté, même après notre départ du magasin, ce qui a causé une crise monumentale. C’est parce que le marketing adressé aux enfants fonctionne. Les enfants veulent, demandent et consomment les aliments qui sont annoncés dans les publicités.

Le problème, c’est que la grande majorité de la publicité d’aliments au Canada, comme aux États-Unis, vise des aliments malsains ultra-transformés, et cette publicité d’aliments malsains se retrouve tout autour des enfants, à la télévision, sur leurs appareils, dans les magasins. Nous disposons d’un très grand nombre de données probantes qui montrent que ces types d’aliments non seulement entraînent un gain de poids, mais il existe de plus en plus de données probantes selon lesquelles ces aliments entraînent une dépendance de la même manière que le tabac et d’autres drogues.

Comment régler le problème? Des régimes alimentaires sains doivent commencer par des préférences saines, et pour donner aux enfants la possibilité d’acquérir une préférence pour des aliments sains, nous devons limiter la quantité de publicités d’aliments à laquelle ils sont exposés, tout comme pour le tabac.

Je suis très heureuse de voir le projet de loi C-252. S’il est adopté, le Canada prendra des mesures fort nécessaires pour limiter la publicité d’aliments malsains destinée aux enfants et pour les protéger contre les maladies chroniques. Ce projet de loi est conforme aux recommandations de l’Organisation mondiale de la santé. Il limitera l’exposition des enfants à une publicité d’aliments nocifs, et, s’il est mis en œuvre, il ferait du Canada un chef de file mondial dans la promotion d’une santé publique pédiatrique. En plus, la création d’un régime alimentaire plus sain pour les enfants est beaucoup plus rentable que la médication et qu’un traitement à long terme une fois qu’ils contractent une maladie chronique.

Nous disposons également de données probantes mondiales selon lesquelles des restrictions fermes sur la publicité d’aliments fonctionnent. Le Chili, où j’ai travaillé au cours des 10 dernières années, est le meilleur exemple. En 2016, le Chili a mis en œuvre une restriction visant la publicité d’aliments semblable à ce que vous avez devant vous, ainsi que des étiquettes nutritives à l’avant des emballages, comme ce que le Canada met actuellement en œuvre. Il a également interdit la vente et la promotion de ces aliments dans les écoles.

Ensemble, ces politiques sur l’étiquetage et la publicité limitent de 44 % l’exposition des enfants d’âge préscolaire à des aliments malsains et de près de 60 % l’exposition des adolescents. Qui plus est, nous avons constaté un changement des comportements. Ces politiques ont réduit l’achat par les ménages d’aliments malsains, avec une réduction de 37 % du sucre, de 24 % des calories et de 37 % du sel que si ces politiques n’avaient pas été adoptées. Ce sont des effets spectaculaires que nous observons à l’égard de régimes alimentaires sains, dans la foulée de ce type de projet de loi.

Je tiens à souligner un élément clé du règlement chilien : il a été imposé par le gouvernement. Je sais bien que, au Canada, comme dans bon nombre d’autres pays, l’industrie alimentaire a proposé des initiatives pour autoréguler la publicité d’aliments destinée aux enfants. Les données probantes scientifiques sur ces types d’initiatives sont claires : elles sont insuffisantes et ne permettent pas de limiter l’exposition des enfants à la publicité d’aliments malsains.

J’ai examiné le code de publicité volontaire du Canada, et j’estime que, à l’instar d’autres initiatives volontaires dans le monde, les définitions dans le code sont si limitées qu’elles auront peu d’incidence, voire aucune. Ces initiatives ne sont qu’une tentative de contourner des règlements plus stricts qui permettraient de réduire de manière importante l’exposition des enfants.

Pour vraiment changer les choses, le gouvernement canadien doit mettre en œuvre un règlement obligatoire. Le projet de loi C-252 est un excellent début. Je suis heureuse de voir que le projet de loi recommande un examen pour inclure les enfants âgés de 13 à 17 ans. Je recommande fortement l’inclusion de cette population, car les recherches montrent que ce groupe d’âge est non seulement encore vulnérable à la publicité d’aliments, mais il est en fait encore plus exposé que les jeunes enfants.

Ensuite, je recommande l’inclusion générale des canaux par lesquels les enfants peuvent être exposés et des techniques publicitaires qui fonctionnent avec eux. Il ne suffit pas de réglementer seulement les programmes destinés aux enfants ou d’inclure uniquement les stratégies marketing qui plaisent uniquement aux enfants, car cela ne comprend qu’une fraction de la publicité d’aliments totale à laquelle ils sont exposés. Une loi efficace doit inclure l’ensemble des canaux et des stratégies qui attirent l’attention des enfants et les amènent à vouloir un aliment donné.

Enfin, je recommande que l’on prête une attention spéciale à la mise en œuvre de la loi dans les espaces en ligne, puisque c’est à cet endroit que les enfants aujourd’hui consomment la plupart des médias.

En résumé, l’adoption du projet de loi est essentielle pour réduire l’exposition des enfants à la publicité d’aliments nocifs et protéger leur santé. Je vous remercie.

La présidente : Nous allons maintenant passer aux questions des membres du comité.

Pour ce groupe, les sénateurs auront quatre minutes pour poser leurs questions, ce qui comprend la réponse. Veuillez dire si votre question s’adresse à un témoin ou à des témoins en particulier et qui vous voulez entendre répondre en premier. La première question est pour la sénatrice Bernard, la vice-présidente.

La sénatrice Bernard : Merci, madame la présidente. Je pense que je vais commencer par Mme Potvin Kent. Je sais que vous vouliez nous faire part de certaines choses que vous n’avez pas eu l’occasion de nous dire, alors j’aimerais les entendre, en premier lieu.

Mme Potvin Kent : J’étais rendue aux deux dernières phrases. J’avais légèrement dépassé le temps.

Essentiellement, je voulais terminer en disant que j’estime que les autorégulations qui ont été créées sont une passoire qui n’aura pas d’effet. C’est la raison pour laquelle je suis très favorable au projet de loi C-252 et je pense que nous devrions aller de l’avant avec celui-ci, parce qu’il permettrait de protéger la santé des enfants. Merci beaucoup.

La sénatrice Bernard : Merci. Premièrement, permettez-moi de vous remercier toutes les trois des recherches que vous menez. C’est remarquable et très utile.

Une question qui m’est venu à l’esprit lorsque je vous ai écoutées toutes les trois est la suivante : le projet de loi va-t-il assez loin? Permettra-t-il de réagir aux problèmes que vous avez très clairement relevés dans vos recherches respectives?

Mme Potvin Kent : Il est certain qu’il y a des limites, mais nous avons travaillé sur ce domaine. Mme Elliott et moi le faisons depuis 2005, comme elle l’a aussi mentionné. Selon moi, il est très important d’aller de l’avant avec quelque chose qui est obligatoire, dès maintenant.

Idéalement, cette approche viserait les adolescents, absolument, car ils sont aussi vulnérables. Peut-être que l’on pourrait l’adopter progressivement. Je pense que l’examen parlementaire d’un projet de loi est une mesure très positive, car il presse le gouvernement à continuer de surveiller la publicité d’aliments et de boissons destinée aux enfants, puis nous pouvons examiner si la publicité ciblant les adolescents augmente une fois que le projet de loi sera mis en œuvre.

La sénatrice Bernard : Merci.

La présidente : Aimeriez-vous entendre une réponse d’une des autres témoins?

La sénatrice Bernard : Oui, s’il vous plaît, s’il reste du temps.

Mme Elliott : Si je peux me permettre, j’ajouterais également que, ce qui est formidable selon moi, c’est qu’il réussit très bien à protéger les plus vulnérables, soit les enfants de moins de 13 ans. Très souvent, il y a une sorte d’interrupteur qui s’allume, et l’on dit : « Mon Dieu, l’industrie sera très touchée. » Mais, en fait, elle peut continuer de faire de la publicité; elle ne peut tout simplement pas cibler les enfants vulnérables avec ses publicités. Elle peut viser les adultes.

Je pense que c’est formidable que le projet de loi fasse avancer la protection des plus vulnérables, et qu’il offre également cette disposition, que je trouve également formidable, concernant la surveillance de la publicité d’aliments ciblant les adolescents, afin que l’on puisse voir si, en fait, les pressions marketing exercées sur eux augmentent après la mise en œuvre de la loi, si celle-ci était adoptée.

La présidente : Madame Taillie?

Mme Smith Taillie : Absolument. Je souscris à tous ces commentaires.

Juste pour revenir sur le point de Mme Elliott concernant l’économie, car c’est une préoccupation que j’entends, lorsque nous avons évalué cet aspect dans des pays qui ont mis en œuvre des politiques similaires, nous n’avons constaté aucune conséquence économique sur les salaires ou l’emploi dans le secteur de l’industrie alimentaire. Celui-ci change habituellement ses publicités pour d’autres formats. Cela ne représente pas un type de risque économique potentiel majeur.

La sénatrice Seidman : Merci à toutes nos témoins d’avoir lancé une conversation au sujet du fait que, comme ma collègue l’a dit, nous ne sommes pas certains que le projet de loi aille assez loin.

J’aimerais prendre un peu de recul, si vous me le permettez, et commencer par vous, madame Potvin Kent, puis peut-être que je m’adresserai aux autres témoins, pour vous questionner sur la terminologie utilisée dans le projet de loi. Le terme « marketing » en anglais est utilisé dans le titre et le préambule, mais le mot « advertising » est utilisé dans les dispositions du projet de loi. Je pense que cela pourrait causer des problèmes, parce que nous comprenons tous qu’il y a une différence entre le « marketing » et l’« advertising » , et je ne suis pas certaine de savoir à quoi le projet de loi fait vraiment référence.

Par exemple, le placement de produits dans les magasins, quelqu’un l’a mentionné, je pense, constitue du marketing; ce n’est pas de l’« advertising », de la publicité à proprement parler. Vous êtes à un comptoir de paiement avec votre enfant, vous attendez de payer, il y a diverses choses que l’enfant peut voir à la hauteur de ses yeux, et tout à coup votre enfant veut un produit particulier. C’est du marketing; ce n’est pas de l’« advertising ». J’ai entendu dire qu’une entreprise de tablettes de chocolat a payé pour être annoncée dans un jeu qui se trouve sur tous nos téléphones. Ce n’est pas de l’« advertising »; c’est du marketing. Comment voyez-vous cela?

Mme Potvin Kent : Le marketing comprend les quatre P : le prix, le placement, le produit et la promotion. L’aspect promotion est de l’« advertising ». L’« advertising » n’est qu’un élément du marketing. Dans mes recherches, si je me concentre uniquement sur les annonces à la télévision, je fais référence à la publicité à la télévision, parce que je parle d’une annonce particulière.

Lorsque je parle de marketing en général, la publicité malsaine adressée aux enfants, j’utilise habituellement le terme « marketing », car cela englobe plus que les seules annonces. Par exemple, dans les médias numériques, pour bon nombre des techniques que nous observons, c’est beaucoup plus large que les seules annonces. C’est donc pourquoi j’utilise un terme plus global.

Lorsque vous utilisez le terme « marketing » , vous captez toute la portée de ce que tous les enfants voient et dont ils font l’expérience.

La sénatrice Seidman : Si je peux continuer, maintenant que vous l’avez bien présenté, le projet de loi lui-même dit « Sous réserve des règlements, il est interdit de faire la publicité d’aliments réglementaires dont les taux de... excèdent... » Quel est le problème? Le projet de loi lui-même traite d’« advertising », de publicité, alors que le préambule parle de marketing?

Mme Potvin Kent : Je pense que vous pouvez laisser le libellé tel quel, mais il est très important ensuite de définir exactement ce que vous entendez par « advertising » et tous les différents types de contextes inclus, et les types de techniques marketing n’ont pas à être abordés dans la loi; cela peut être fait dans le règlement qui accompagne le projet de loi. On peut le faire dans un guide d’application du projet de loi, mais il est certainement très important de définir les termes.

La sénatrice Seidman : D’accord. Puis-je demander à l’une des deux autres témoins d’intervenir? Voyons voir qui veut parler en premier.

Mme Smith Taillie : Je suis d’accord avec vous. Nous voulons vraiment que la formulation soit beaucoup plus vaste, comme je l’ai dit dans ma déclaration, et comprenne tous les endroits où les enfants pourraient être exposés, alors cela ne se limite pas seulement aux publicités à la télévision. Il faut penser aux éléments comme les écoles, les emballages, les magasins, les panneaux publicitaires, et même la forme des aliments. Parfois, les entreprises produisent leurs aliments en forme de jouets, de bandes dessinées ou quoi que ce soit d’autre. Il sera vraiment important dans le règlement lui-même, ou dans les lignes directrices relatives à la mise en œuvre, de s’assurer d’inclure ces définitions vastes afin de cibler vraiment tous ces différents canaux.

La sénatrice Osler : Je remercie toutes les témoins d’être ici aujourd’hui. Je vais adresser ma première question à Mme Elliott.

Dans votre déclaration, vous avez parlé de publicité d’aliments destinée aux adolescents sur les plateformes numériques; or, le projet de loi C-252 exclut actuellement les enfants âgés de 13 à 17 ans, comme vous l’avez dit, un groupe également vulnérable à la publicité. La marraine du projet de loi a mentionné que la portée originale était plus large, mais qu’elle a été réduite afin que l’on se concentre sur les enfants de moins de 13 ans.

Comment les mesures prévues pourraient-elles s’appliquer aux personnes âgées de 13 à 17 ans?

Mme Elliott : Du point de vue de la surveillance, ces mesures s’appliquent particulièrement bien, car elles permettent de surveiller ce qui est diffusé. L’un des défis est le seuil d’âge, soit les personnes âgées de moins de 13 ans — ce qui est aussi dû au fait que nous disposons de nombreuses données probantes sur l’incidence de la publicité alimentaire sur les préférences des enfants de 13 ans et moins. Quant à la nature de la publicité alimentaire destinée aux adolescents, nous en apprenons de plus en plus concernant son incidence sur le seuil d’âge plus élevé.

La Loi sur la protection du consommateur du Québec est fondée sur le principe selon lequel les très jeunes enfants ne peuvent pas reconnaître l’intention de la publicité. La publicité qui leur est destinée est, en soi, de la manipulation.

De toute évidence, les personnes plus âgées, les adolescents, peuvent être en mesure de reconnaître cette intention de la publicité. Ils rendent encore plus complexe ce qui se passe, mais cela ne signifie pas nécessairement qu’ils y sont moins vulnérables.

Dans certains cas, il est vraiment important de mettre en place des mesures de protection là où c’est possible, car lorsqu’on arrive à l’âge de 18 ans… Ce qu’un jeune de 17 ans pourrait reconnaître ou non dans l’intention de la publicité suscite de nombreuses discussions.

La surveillance nous permet donc de savoir où les jeunes sont ciblés, de quelle façon ils le sont et ce qui les persuade. Ainsi, nous pouvons établir un dossier solide sur ce que la réglementation devrait faire ou sur la nécessité d’apporter des modifications par rapport à ce qui se passe.

La sénatrice Osler : Merci. Je vais revenir sur un commentaire que vous avez fait au sujet de l’accent mis sur l’obésité chez les enfants et des questions qui détournent l’attention de l’aspect fondamental.

Je dirais que, au bout du compte, l’un des effets d’un projet de loi comme celui-ci devrait être de promouvoir la santé. Madame Potvin Kent, vous avez mentionné que le projet de loi aiderait les parents dans leur quête pour élever des enfants en santé. Je suis d’accord avec ma collègue pour dire que d’autres mesures seraient nécessaires. De quoi d’autre les parents auraient-ils besoin, au-delà du projet de loi, pour aider leurs enfants à faire des choix plus sains et pour promouvoir la santé de leurs enfants? C’est une vaste question.

Mme Potvin Kent : L’un des cours que j’enseigne à l’Université d’Ottawa porte sur la politique de la santé. Comme votre collègue l’a mentionné, nous discutons toujours de la nécessité de superposer des politiques pour lutter contre l’obésité ou les maladies chroniques — imaginez un mur de sacs de sable empilés pour retenir l’eau, essentiellement. Une seule politique est insuffisante si l’on veut obtenir un impact. Nous l’avons vu dans le cadre de la lutte contre le tabagisme, où toutes les politiques ont été superposées, ce qui a eu un impact énorme au Canada.

À propos des autres mesures à prendre pour aider les parents, lorsque je décris la stratégie de saine alimentation à mes étudiants, je leur dis que nous avons connu un tel changement dans les politiques de santé, d’alimentation et de nutrition au Canada depuis 2015 que cela a été absolument incroyable avec l’étiquetage sur le devant des emballages et le nouveau Guide alimentaire canadien. Nous avons fourni toutes sortes d’outils aux parents et à la population en général.

Je pense que les restrictions sur la publicité alimentaire auront un impact important sur les enfants et sur les parents; elles les aideront à avoir une plus grande influence sur la vie de leurs enfants. Comme je l’ai dit, si vous essayez de rivaliser avec plus de 6 000 messages, vous ne pouvez tout simplement pas rivaliser en tant que parent.

[Français]

Le sénateur Cormier : Il semble que la réglementation va préciser énormément d’éléments qui sont plutôt flous dans la loi. Je suis préoccupé par la réglementation et son contenu. Si le projet de loi est adopté, l’évaluation, la surveillance et l’application seront des éléments essentiels pour assurer la mise en œuvre des restrictions sur la publicité. En fait, lors de leur comparution devant le comité, les représentants de Santé Canada ont indiqué que la conformité et l’application des mesures seront des éléments cruciaux du cadre réglementaire pour soutenir ce projet de loi, s’il est adopté.

Ma question s’adresse à vous, madame Potvin Kent. À votre avis, quelles mesures devraient être mises en place pour soutenir l’évaluation, la surveillance et l’application des dispositions du projet de loi C-252? En d’autres mots, que devrait contenir la réglementation plus précisément pour que le projet de loi ait toute son efficacité?

[Traduction]

Mme Potvin Kent : La loi a une très vaste portée. C’est typique des lois. La Loi sur la protection du consommateur au Québec a également une très vaste portée. Alors, qu’en est-il de la réglementation à l’appui de la loi? Nous avons besoin de définitions très claires de ce qu’est la publicité, de ce que la définition inclut ou n’inclut pas.

Nous avons besoin d’une définition claire de ce qui est sain ou malsain, donc quels sont les produits que vous considérez comme riches en gras, en sucre et en sel? Quels sont ces seuils? Santé Canada a établi des seuils comme ceux-là.

Nous avons besoin d’un système clair de surveillance : ce qui est surveillé et dans quels médias. Nous avons besoin d’un système de conformité qui établit exactement qui, quelle organisation, quel organisme va réellement faire le suivi pour s’assurer que l’industrie respecte effectivement les règles qui ont été établies.

Il doit y avoir une sorte de système de sanctions pour les entreprises qui ne respectent pas… Je veux juste dire à nouveau la réglementation.

Le sénateur Cormier : Merci de votre réponse. Ma deuxième question s’adresse à Mme Taillie. Dans un article récent, vous avez souligné que davantage de recherches étaient nécessaires pour déterminer quels sont les éléments stratégiques les plus importants d’une réglementation qui réduise efficacement l’exposition des enfants à la publicité d’aliments mauvais pour la santé, améliore leur alimentation, prévient l’obésité ou fait la promotion de la santé, je dirais. Quels sont les éléments stratégiques que vous considérez maintenant comme étant les plus importants? Quels sont-ils?

Mme Smith Taillie : C’est une excellente question. Dans le cas du Chili, ils ont mis en œuvre ces mesures comme un tout. C’est vraiment une stratégie efficace parce que les mesures ont un effet de renforcement.

Au Canada, vous avez déjà l’étiquetage sur le devant de l’emballage, ce que la plupart des gens voient et ce à quoi ils pensent. La population ne parle pas des changements dans la réglementation sur la publicité alimentaire. Ce n’est pas aussi visible pour le consommateur ordinaire. Mais nous savons que cela fonctionne en coulisses parce que cela change les préférences des enfants.

Je dirais qu’en plus de ces deux éléments, les politiques d’alimentation scolaire sont vraiment essentielles, car elles garantissent que ces aliments ne sont pas promus ou ne sont idéalement pas du tout vendus dans les écoles, car c’est là que les enfants obtiennent une grande partie de leur nourriture.

L’autre élément important est le prix. Lorsque nous sommes allés au Chili, nous avons parlé aux parents et ils nous ont dit : « Nous comprenons les étiquettes. Nous sommes reconnaissants de ne plus avoir de Tony le Tigre sous les yeux, mais nous ne pouvons pas toujours nous permettre d’acheter des aliments sains. » C’est quelque chose de vraiment essentiel, car ces aliments bon marché et ultratransformés font généralement l’objet d’une promotion intensive, mais ils ont aussi tendance à être moins chers que les aliments sains. Il est donc essentiel de réfléchir à des politiques telles que des taxes sur les boissons sucrées, ainsi qu’à des programmes d’aide ou d’incitation à l’alimentation saine, qui sont essentiels pour que les parents acquièrent non seulement des préférences saines — c’est ce que font les réglementations sur la commercialisation et l’étiquetage —, mais aussi pour qu’ils puissent s’offrir des aliments sains. C’est l’autre élément que je recommanderais vraiment.

La présidente : Merci.

[Français]

Le sénateur Boudreau : Merci aux trois témoins. Il est clair que vous avez énormément d’expérience. Nous sommes choyés de profiter de toute cette expérience ici aujourd’hui.

Ma question s’adresse à Mme Potvin Kent et elle se base sur sa dernière réponse concernant la mise en application. C’est sur cet aspect que je me pose des questions. Vous avez mentionné toutes les trois que les jeunes sont bombardés de centaines, pour ne pas dire de milliers d’annonces par semaine pour un produit ou un autre. On parle de compagnies qui ont des marques de commerce mondiales. Nous ne transigerons pas seulement avec des compagnies canadiennes, mais aussi avec des compagnies internationales à portée globale. J’aimerais parler un peu plus en détail de la mise en application. J’ai l’impression qu’il faudra une petite armée de fonctionnaires pour assurer la mise en application d’une telle loi. Je suis tout à fait en faveur du projet de loi. Toutefois, une loi est seulement aussi forte que sa mise en application. Comment va-t-on faire pour surveiller toutes ces annonces qui viennent de partout, à la télé, à la radio et sur les médias sociaux? Comment le gouvernement va-t-il s’y prendre?

[Traduction]

Mme Potvin Kent : C’est ce que je fais depuis 20 ans, essentiellement, de la surveillance. La surveillance n’est pas si compliquée, car on ne fait que prendre des échantillons. On ne surveille pas absolument tout; de la même façon qu’on effectuerait des vérifications de conformité, en ne vérifiant pas la conformité de chaque minute de publicité télévisée et de chaque minute de ce qui se passe en ligne. On prend des échantillons.

Il y a quelques années, j’ai élaboré un cadre de surveillance pour Santé Canada, dans lequel j’ai formulé des recommandations sur ce que le gouvernement doit surveiller au fil du temps pour voir quelle est l’exposition des enfants à divers médias et contextes. C’est tout à fait gérable.

Nous avons un très grand nombre de chercheurs, car Santé Canada a consacré des fonds à la surveillance de la publicité d’aliments et de boissons ces cinq dernières années. Nous avons mis en place une sorte de petite armée de chercheurs qui ont ces capacités au Canada. Le Canada est très dynamique en matière de recherche sur la publicité d’aliments et de boissons.

À l’université, j’avais des équipes comptant jusqu’à huit à douze personnes à la fois. Ensuite, il y a cinq ou six autres chercheurs au pays, chacun avec sa propre équipe qui possède aussi une expertise dans ce domaine maintenant. Donc, ce type de surveillance est très simple.

En ce qui concerne la mise en œuvre, une fois que la réglementation est rédigée, l’industrie doit la mettre en œuvre. Ce sont les membres de l’industrie qui placent leurs publicités sur divers sites. La mise en œuvre n’est pas un gros fardeau pour le gouvernement.

Le sénateur Boudreau : Mais la surveillance dont vous parlez est à des fins de recherche, n’est-ce pas? Vous n’êtes pas des fonctionnaires au sens de l’application de la loi.

Mme Potvin Kent : Je comprends. Exactement.

Le sénateur Boudreau : Est-ce que la surveillance fonctionne alors uniquement selon un système fondé sur les plaintes?

Mme Potvin Kent : Non, je recommanderais probablement des vérifications aléatoires dans divers médias. Il faudrait procéder à davantage de vérifications de conformité. Encore une fois, il s’agit simplement de prendre des échantillons dans divers médias et contextes. Nous disposons de toutes les méthodologies pour examiner la publicité dans tous les différents contextes médiatiques, car comme je l’ai dit, au cours des cinq à dix dernières années, nous avons vraiment acquis cette expertise partout au Canada. En fait, d’autres pays font appel à notre expertise, car nous sommes très en avance dans ce domaine.

La sénatrice Dasko : Merci à nos témoins d’aujourd’hui. Nous avons évidemment des spécialistes incroyables avec nous, qui possèdent beaucoup d’expérience et de connaissances dans ce domaine.

Je veux commencer par Mme Potvin Kent. Vous avez effectué des recherches, dont vous n’avez pas fait rapport ici maintenant.

Mme Potvin Kent : Juste quelques études.

La sénatrice Dasko : Je sais que vous avez toutes des listes infinies de recherches que vous avez effectuées. Mais certaines d’entre elles m’ont semblé très troublantes. J’aimerais que vous en parliez dans vos propres mots. Vous avez découvert dans vos recherches que certaines entreprises qui avaient signé le code de l’industrie étaient en fait plus fautives que celles qui ne l’avaient pas signé.

Mme Potvin Kent : Oui, absolument.

La sénatrice Dasko : C’est vraiment troublant de constater cela. Vous l’avez documenté à maintes reprises. Pouvez-vous décrire les résultats de cette recherche?

Mme Potvin Kent : Bien sûr. C’est une recherche que nous avons effectuée il y a quelques années lorsque l’Initiative canadienne pour la publicité sur les aliments et les boissons destinée aux enfants était en place; c’était l’ancien code d’autoréglementation. À l’époque, environ 16 entreprises du secteur des aliments et des boissons participaient à cette initiative, beaucoup de grandes entreprises, mais une seule entreprise de restauration rapide.

Il s’agissait d’une étude sur la publicité télévisée. Nous avons recueilli une énorme quantité de séquences vidéo télévisées, puis mes assistants à la recherche les ont passées au peigne fin et ont extrait toutes les différentes publicités télévisées. Nous avons ensuite fait des comparaisons entre les entreprises qui participaient à l’Initiative canadienne pour la publicité sur les aliments et les boissons destinée aux enfants et celles qui n’y participaient pas. On aurait pu supposer que celles qui y participaient faisaient un meilleur travail, mais en fait, nous avons constaté tout le contraire. Plus précisément, les participants faisaient davantage de publicités et utilisaient davantage de techniques de commercialisation qui plaisent vraiment aux enfants, comme des personnages porte-parole, des personnages sous licence et d’autres choses de ce genre. Nous avons été étonnés par ces résultats.

La sénatrice Dasko : C’est comme si le code leur avait fourni une couverture pour…

Mme Potvin Kent : Oui, parfois j’ai l’impression que c’est un peu…

La sénatrice Dasko : Je trouve étonnant que ce soit ce que vous avez découvert.

Mme Potvin Kent : Désolée de vous interrompre. Parfois je trouve que c’est un peu de la poudre aux yeux. Je ne pense pas vraiment que ce soit une coïncidence si le nouveau code d’autoréglementation a été dévoilé il y a un an et quelques mois, alors que l’industrie sait évidemment que Santé Canada est en train d’élaborer une réglementation. Un projet de loi était alors à l’étude à la Chambre des communes, donc le moment est venu pour qu’ils puissent dire : « Eh bien, regardez ce que nous faisons, nous nous autoréglementons. Il n’est pas nécessaire de nous réglementer. »

Les données probantes que nous avons au Canada — et comme je l’ai dit, la prépondérance des données à l’échelle mondiale — montrent que l’autoréglementation ne fonctionne pas dans ce domaine parce que l’industrie est en conflit d’intérêts. C’est aussi simple que cela.

La sénatrice Dasko : En fait, il s’agit d’entreprises qui ne sont pas couvertes, puis de celles qui le sont. Elles sont toutes…

Mme Potvin Kent : Elles font toutes de la publicité auprès des enfants.

La sénatrice Dasko : Elles font toutes de la publicité. Les entreprises couvertes font de la publicité, surtout pour les aliments les moins sains.

Mme Potvin Kent : Absolument. C’est exactement ça. C’est pourquoi j’ai dit, encore une fois, que l’industrie a créé une passoire. Le code est tellement plein de trous qu’il est inconcevable qu’il réussisse et protège réellement la santé des enfants.

La sénatrice Dasko : Madame la présidente, puis-je apporter une précision de la part de Santé Canada sur un point? On a soulevé la question concernant la définition de publicité par rapport à marketing. Santé Canada a déclaré que la Loi sur les aliments et drogues définit largement le terme « publicité », mais pas le terme « marketing ». Les activités de marketing sont donc incluses dans le mot « publicité » plutôt que l’inverse. C’est dans le projet de loi.

Mme Potvin Kent : Exactement.

La sénatrice Dasko : Cela vient tout droit de la documentation.

Mme Potvin Kent : C’est pourquoi j’ai dit que, du moment où nous définissons clairement ce qu’est la publicité, en incluant le marketing, je crois que le libellé du projet de loi n’est pas un problème.

La sénatrice Dasko : Selon Santé Canada, le marketing est inclus dans la publicité. Merci.

La sénatrice Petitclerc : J’aimerais revenir au « pourquoi » de ce projet de loi. Merci, madame Dasko, parce que je voulais moi aussi parler des défis ou des faiblesses de l’autoréglementation. Je crois que cela a été très utile.

Madame Potvin Kent, dans votre déclaration préliminaire, je crois que vous avez dit que les parents ne pouvaient rivaliser avec les publicités. Madame Elliot, je crois que vous avez parlé du pouvoir persuasif de la publicité. Certains croient que c’est le rôle des parents de s’en occuper. Cela a été dit. D’autres disent qu’il existe déjà un code d’autoréglementation.

Au bout du compte, quelle est la solution? Une loi est-elle la meilleure option? Comme vous l’avez dit, les parents ne peuvent pas rivaliser avec l’immense pouvoir du marketing et de la publicité. Donc, est-il logique que l’unique solution à ce problème soit un projet de loi? Madame Potvin Kent, pourriez-vous répondre en premier?

Mme Potvin Kent : Bien sûr. L’OMS recommande des dispositions législatives et réglementaires obligatoires, et je crois que c’est essentiel, puisque toutes les entreprises doivent y adhérer pour qu’elle soit efficace. Je crois définitivement qu’une loi est une excellente façon de régler le problème.

La sénatrice Petitclerc : Merci. Madame Elliott, sur cette question, pourriez-vous nous aider en nous expliquant à quel point la publicité et le marketing sont complexes? J’essaie de savoir si les règles du jeu sont équitables.

Mme Elliott : Si vous me permettez de revenir à votre première question — est-ce que la réglementation est la solution —, il existe une foule de solutions que vous pouvez appliquer pour aider les parents à nourrir leurs enfants et à créer un environnement optimal. Par exemple, il y a l’étiquetage sur le devant des emballages et d’autres choses de ce genre. Je crois que c’est l’une des solutions qui nous aiderait à soutenir les parents.

Je me souviens d’avoir lu une statistique de l’industrie disant que les enfants peuvent influencer jusqu’à 80 % le budget de nourriture du ménage. D’où le terme « pouvoir de harcèlement ». Les parents qui font l’épicerie verront 473 aliments emballés qui ciblent explicitement les enfants et essaient d’attirer leur attention. Toutefois, il y a beaucoup de littérature sur cette question, et nous avons également fait des entrevues avec des parents : Ils nous ont dit qu’il était difficile de gérer de jeunes enfants dans ce genre d’environnement. Ils se disent, d’accord, je ne veux pas me faire harceler, et ils finissent par acheter le produit.

L’autre facteur, c’est que l’alimentation n’est pas simplement une question de valeur nutritive : elle a aussi une valeur sociale. Si votre enfant voit que ses amis, à l’école, ont des céréales ou des biscuits dans un emballage à l’image des Minions, il en voudra lui aussi parce qu’il trouve que c’est « cool ». C’est de cette manière que les entreprises essaient explicitement d’attirer l’attention des enfants.

Je crois que le projet de loi pourrait, entre autres, réduire la pression sur les parents et aider les enfants à choisir des aliments qui ne sont pas dans des emballages attrayants. Nous savons que les enfants sont poussés à acheter des produits qui montrent des personnages de dessins animés, des formes amusantes et des personnages sous licence, et ce n’est pas vraiment l’aliment qui est important; c’est le personnage sous licence.

La présidente : Merci. C’est très intéressant. Nous allons passer aux deux dernières sénatrices pour la période de questions, la sénatrice Mégie et la sénatrice Burey. Puis, je propose de permettre aux sénatrices Bernard, Osler et Seidman, ainsi qu’au sénateur Cormier de poser leurs questions, auxquelles les témoins répondront par écrit.

[Français]

La sénatrice Mégie : Ma question peut s’adresser à tout le monde, mais je pourrais commencer par Mme Potvin Kent. On remarque souvent dans les publicités que, pour atteindre leur cible, ils font des liens parents-enfants. Premièrement, cela fait la promotion d’une bonne relation avec les parents. Ensuite, ils font la promotion du produit qui est intégré à cette relation. La Loi sur la protection du consommateur, au Québec, est appliquée depuis longtemps. Je ne sais pas si vous avez des idées sur les manières dont on est parvenu à faire quelque chose, parce qu’au Québec, je vois encore cette publicité et elle persiste. Comment peut-on dire que cela s’adresse aux parents et pas aux enfants? On ne peut pas boucher les yeux des enfants pour qu’ils ne regardent pas. Comment cette évaluation peut-elle être faite pour savoir si le projet de loi a vraiment atteint sa cible ou non?

[Traduction]

Mme Potvin Kent : Idéalement, les publicités d’aliments et de boissons mauvais pour la santé qui ciblent les enfants, seraient sévèrement restreintes. Le Québec a interdit toutes les publicités qui visent les enfants.

Mes recherches, au Québec, ont montré que les enfants québécois sont exposés à plus de publicités, mais à une publicité différente de celle à laquelle sont exposés les enfants du reste du Canada. Par exemple, l’enfant pourrait voir un homme qui mange un sandwich pour déjeuner dans son bureau, mais la publicité ne vise pas explicitement les enfants. Les enfants ne sont pas ciblés. La publicité ne montre pas un enfant qui mange un repas du menu enfant, et elle ne montre pas une situation à laquelle les enfants s’identifient.

Lorsque nous analysons les publicités, nous nous référons à une longue liste de techniques de marketing, très bien définies, que nous utilisons depuis les quelques décennies. Ensuite, nous analysons les publicités pour déterminer quelle tactique de marketing est utilisée. Nous formons continuellement nos codeurs pour nous assurer qu’ils codent les publicités de la même façon. Il existe un mécanisme qui permet de déterminer si une publicité cible les enfants. Nous avons l’habitude de faire ce genre de choses.

[Français]

La sénatrice Mégie : Je n’ai jamais regardé quelle compagnie a fait cela, parce que ce n’est pas...

[Traduction]

Mme Potvin Kent : Au Québec, beaucoup de publicités réussissent à passer à travers les mailles de ce filet. Dans la province, il n’y a pas de contrôle systématique de la Loi sur la protection du consommateur; on se fie aux plaintes des consommateurs. Je ne connais pas beaucoup de parents qui ont le temps de porter plainte au Bureau de la protection du consommateur ou qui savent que c’est ce qu’ils sont censés faire. Au Québec, on compte habituellement sur les organismes non gouvernementaux pour porter plainte à ce bureau.

La sénatrice Burey : Je remercie les témoins de leurs expertises et de leurs recherches.

J’aimerais examiner le caractère équitable des milliers de publicités diffusées chaque année dont vous avez parlé. Avez-vous pu désagréger vos données riches pour regarder certains groupes démographiques et certains statuts socioéconomiques précis? Par exemple, je pense à la publicité pour le tabac qui cible particulièrement les communautés noires, autochtones et LGBTQ. Avez-vous remarqué cela dans vos données?

Mme Potvin Kent : Aux États-Unis, beaucoup de recherches ont été faites et montrent que les communautés noires et latines sont davantage exposées à des publicités d’aliments et de boissons et davantage ciblées par les entreprises d’aliments et de boissons.

Je dirais que la recherche au Canada en est encore à ses premiers balbutiements. Mon laboratoire de recherche a fait beaucoup d’études pour déterminer qui, des filles ou des garçons, était le plus exposé aux publicités. Nous n’avons pas encore eu l’occasion de recruter un assez large groupe de sujets de plusieurs genres, mais une étude a été faite au Canada et j’y ai participé. C’était des données autodéclarées. L’étude utilisait des données provenant de l’International Food Policy Study, c’est-à-dire l’étude sur la politique alimentaire internationale, et a montré que les enfants qui autodéclarent les publicités d’aliments et de boissons qu’ils voient sont des enfants de milieux moins aisés, des enfants qui ne font pas partie de la majorité ethnique, donc des enfants non blancs. Lorsque nous compilons des statistiques, nous n’avons souvent pas un assez grand groupe de gens non blancs. Il est certain qu’ils ont été davantage exposés et que les enfants autochtones ont été davantage exposés aux publicités d’aliments et de boissons.

Le problème est que, souvent, certains groupes de certaines sous-populations d’enfants consomment peut-être davantage de médias, mais il est également possible que l’industrie cible davantage ces groupes. C’est certainement ce qui a été observé aux États-Unis. Mme Smith Taillie peut peut-être vous en dire plus.

Mme Smith Taillie : C’est exactement ça. Nous savons que l’industrie alimentaire cible ces groupes et essaie de savoir quelles stratégies publicitaires sont les plus efficaces auprès d’une sous-population donnée et qu’elle emploie ces stratégies, en particulier auprès des adolescents. Je crois que c’est à ce niveau qu’il y a plus de recherches : l’utilisation de célébrités, de musiciens et d’athlètes pour cibler des groupes précis.

La sénatrice Burey : Est-ce que le projet de loi permettrait d’atténuer ces problèmes en matière d’équité?

Mme Potvin Kent : Oui, je crois que le projet de loi aura un impact plus large puisque, si différents groupes consomment plus de médias, les publicités auront une plus grande incidence, par exemple, sur les enfants canadiens noirs, ou sur les enfants autochtones parce qu’ils consomment possiblement plus de médias. Ils devraient donc être moins exposés.

La sénatrice Burey : Donc, la quantité et le ciblage sont des choses différentes, c’est cela?

Mme Potvin Kent : Oui, tout à fait. Dans ce cas-ci, tous deux seraient réduits. Le projet de loi devrait avoir une plus grande incidence sur ces populations. D’un point de vue de l’équité, il n’aggrave certainement pas la situation. Je crois qu’il va améliorer les choses.

La sénatrice Burey : J’espère que vous allez faire plus de recherches sur le sujet.

Mme Potvin Kent : C’est sur notre liste.

La présidente : Je vais expliquer le processus et inviter les sénatrices Bernard, Osler et Seidman ainsi que le sénateur Cormier à poser leurs questions en indiquant à qui ils souhaitent les adresser, le cas échéant. Les témoins doivent répondre par écrit.

La sénatrice Bernard : Merci. Ma question s’adresse à tous les témoins. Nous n’avons pas beaucoup entendu parler aujourd’hui de la publicité en ligne. J’aimerais savoir si vous pouviez nous dire comment le projet de loi répond aux préoccupations liées au marketing et à la publicité en ligne.

La sénatrice Osler : Ma question s’inspire de la question de la sénatrice Burey. Ma question s’adresse à tous les témoins. Pourriez-vous transmettre au comité des données sur l’incidence des dispositions législatives et réglementaires sur des groupes précis ou des populations précises d’enfants et de jeunes? Vous avez parlé du genre. Je pense aussi à la situation géographique, à la race, au statut autochtone, au revenu familial et au statut d’immigrant.

[Français]

Le sénateur Cormier : Nous avons entendu en comité que la Loi sur les aliments et drogues prévoit des sanctions en cas de non-conformité. Ma question s’adresse à tous les témoins. Quelle est votre compréhension actuelle des sanctions potentielles, monétaires ou autres, qui pourraient être imposées aux mauvais acteurs lorsque les dispositions du projet de loi C-252 et ses règlements entreront en vigueur? Ces sanctions seront-elles suffisantes et dissuasives pour l’industrie?

[Traduction]

La sénatrice Seidman : Nous avons parlé du Québec et de ce que le Québec a fait. Nous n’avons pas vraiment demandé si l’interdiction, au Québec, avait été efficace pour éliminer l’exposition à certains aliments et améliorer l’état de santé, ce que nous essayons de faire.

Avez-vous des données sur cela? Nous avons entendu parler de vieilles données, il y a longtemps, parce que ce n’est pas la première fois que nous nous penchons sur le problème. Je me demandais si vous aviez des données sur les répercussions de la décision du Québec.

Également, y a-t-il des avantages et des inconvénients à cette approche, à savoir une interdiction totale, plutôt qu’un ciblage des aliments et des boissons? Je vous remercie.

La présidente : Mesdames les sénatrices et messieurs les sénateurs, c’est tout pour notre premier groupe de témoins. Je tiens à remercier les témoins pour leur témoignage d’aujourd’hui.

Je souhaite la bienvenue à notre deuxième groupe de témoins. Nous accueillons, en personne, Mme Lisa Wolff, directrice, Politiques et recherche, d’UNICEF Canada. Nous accueillons aussi de la Coalition Arrêtons la pub destinée aux enfants, Mme Elise Pauzé, analyste des Politiques, Nutrition, Cœur et AVC; et par vidéoconférence, le Dr Tom Warshawski, pédiatre consultant et président, Childhood Healthy Living Foundation; et Mme Corinne Voyer, directrice, Collectif Vital.

Je vous remercie de vous joindre à nous aujourd’hui. Nous allons commencer par les déclarations préliminaires de Mme Pauzé, du Dr Warshawski et de Mme Wolff. Vous avez cinq minutes en tout pour faire votre observation préliminaire.

Madame Pauzé, vous avez la parole.

Elise Pauzé, analyste des Politiques, Nutrition, Cœur et AVC, Coalition Arrêtons la pub destinée aux enfants : Bon après-midi. Comme on l’a déjà dit, je m’appelle Elise Pauzé et je suis analyste des politiques à Cœur et AVC. Je suis également étudiante au doctorat à l’Université d’Ottawa, et depuis 2016, je fais des recherches sur les politiques sur la publicité d’aliments qui cible des enfants.

Je suis ici au nom de la Coalition Arrêtons la pub destinée aux enfants et je suis accompagnée de Corinne Voyer, directrice du Collectif Vital et du Dr Tom Warshawski, pédiatre de la Childhood Healthy Living Foundation et coprésident de la Coalition avec Cœur et AVC.

La coalition rassemble 10 importants organismes de santé et notre travail est soutenu par 92 autres organisations et 22 experts en santé de renom.

Allez-y, docteur Warshawski.

Tom Warshawski, pédiatre consultant et président, Childhood Healthy Living Foundation, Coalition Arrêtons la pub destinée aux enfants : Je suis ici en tant que coprésident de la Coalition Arrêtons la pub destinée aux enfants qui, depuis 2014, travaille pour protéger les enfants du marketing et des publicités d’aliments et de boissons malsains.

La Coalition Arrêtons la pub destinée aux enfants recommande vivement au Sénat d’adopter le projet de loi C-252, sans amendement, avant la fin de la session parlementaire. Je vais vous expliquer pourquoi.

La majeure partie des aliments et des boissons dont la publicité cible les enfants sont ultratransformés et malsains. Il s’agit d’aliments prêts à manger préparés avec des ingrédients raffinés à partir d’aliments entiers et auxquels on ajoute habituellement des saveurs et des colorants artificiels et d’autres additifs industriels. En général, il n’y a pour ainsi dire plus aucune trace de l’aliment entier. On parle, par exemple, des boissons gazeuses, des collations emballées, de nombreuses céréales à déjeuner, des nouilles instantanées et des produits de viande reconstitués. Ce sont des aliments à teneur élevée en glucose, en gras trans et en sodium.

Contrairement aux aliments non transformés, ils ont une faible teneur en protéines, en fibres alimentaires et en micronutriments bons pour la santé. Ce sont des aliments à forte teneur énergétique qui sont conçus pour être hautement savoureux.

La consommation excessive de ces produits est associée à un risque accru d’obésité, de maladie cardiovasculaire, d’AVC, de diabète, de cancer, de dépression et de carie dentaire. La consommation de ces produits est liée à des maladies chroniques et des décès prématurés.

Malheureusement, les publicités d’aliments ultratransformés qui ciblent les enfants sont efficaces. Les publicités influencent les préférences alimentaires des enfants, elles les poussent à harceler leurs parents pour qu’ils achètent des produits et elles font augmenter leur consommation de ces produits. C’est pourquoi, chaque année, l’industrie dépense 1,1 milliard de dollars en publicités qui pourraient rejoindre les enfants.

Il est immoral de cibler les enfants, car les enfants de moins de cinq ans sont incapables de faire la différence entre les publicités et le contenu des émissions, et la majorité des enfants de moins de 12 ans ne comprennent pas toujours que les publicités visent à persuader. Les enfants sont programmés pour croire tout ce qui leur est dit, et l’éducation aux médias ne règle pas le problème.

À cause de la publicité, les enfants de 9 à 13 ans sont les plus grands consommateurs d’aliments ultratransformés au Canada, et ceux-ci comptent pour 60 % de leur apport calorique. Ces produits nuisent à une saine alimentation. Les parents le savent, et la plupart veulent que les règlements empêchent l’industrie alimentaire d’encourager les enfants à consommer des aliments néfastes pour leur santé.

L’industrie des aliments transformés prétend vouloir aider les parents, mais, sénatrices et sénateurs, vous ne devez pas vous laisser berner. Malgré ce qu’ils disent, comme l’a souligné Mme Potvin Kent, l’autoréglementation de l’industrie n’a pas su protéger les enfants des publicités d’aliments et de boissons malsains.

L’échec mondial de l’autoréglementation a poussé le Royaume-Uni, le Portugal, le Chili et le Mexique à prendre des mesures législatives pour protéger les enfants de la publicité pour des aliments malsains. Malheureusement, la précédente tentative du Canada d’adopter une loi similaire, le projet de loi S-228, est resté bloqué au Sénat, et a fini par mourir au Feuilleton en 2019, même s’il avait l’appui de la majorité de la Chambre et du Sénat et de 82 % des Canadiens. Nous avons manqué de temps. L’industrie nous a pris notre temps.

Au cours de la dernière décennie, Santé Canada a mené des recherches approfondies sur le sujet et a organisé de nombreuses consultations publiques, et les parties prenantes de l’industrie ont eu de nombreuses réunions avec des fonctionnaires. Nous avons maintenant les résultats, et les preuves sont claires. Nous permettons à l’industrie des aliments transformés de persuader les enfants de consommer des produits néfastes pour la santé, et cela coûte cher.

En 2019, les maladies chroniques liées à l’alimentation et à d’autres facteurs ont coûté environ 28 milliards de dollars à notre système de santé et ont contribué au décès de 36 000 Canadiens. C’est financièrement irresponsable et c’est immoral de continuer de permettre à l’industrie de persuader nos enfants de consommer des aliments et des boissons qui favorisent le développement de maladies chroniques et qui pourraient réduire leur espérance de vie. Le temps est venu de passer à l’action.

Le Sénat ne doit pas laisser se reproduire la tragédie de 2019 et doit adopter le projet de loi C-252, sans amendement, le plus tôt possible. Le temps passe. Le premier ministre et le Bureau du premier ministre doivent soutenir l’adoption du projet de loi C-252 et mettre en œuvre le règlement proposé par Santé Canada.

Le premier ministre Trudeau doit arrêter de faire du surplace et doit respecter son engagement de longue date envers la restriction de la publicité d’aliments et de boissons malsains ciblant les enfants.

Merci. J’ai bien hâte d’entendre vos questions.

La présidente : Merci, madame Pauzé, docteur Warshawski. Madame Wolff, c’est à vous.

Lisa Wolff, directrice, Politiques et recherche, UNICEF Canada : Merci, sénatrice Moodie, et merci aux honorables sénateurs.

Je m’appelle Lisa Wolff; je suis directrice des Politiques et Recherche à UNICEF Canada et membre de la Coalition Arrêtons la pub destinée aux enfants. Je tiens à reconnaître que je me trouve sur le territoire non cédé de la nation anishinabe algonquienne.

L’UNICEF a pour mandat, dans 190 pays et territoires, de promouvoir les droits humains universels des enfants, conformément à la Convention relative aux droits de l’enfant. Nous demandons, à l’échelle nationale et internationale, des lois, des politiques et des budgets qui permettront de garantir et de protéger ces droits en donnant aux enfants la possibilité de vivre en santé et de réaliser pleinement leur potentiel.

Dans le cadre de ce travail, nous laissons souvent la place aux jeunes et leur donnons l’occasion, en tant que détenteurs des droits, de s’exprimer et de prendre part aux décisions qui les concernent. J’aimerais mentionner Matin Moradkhan et Stephanie Hyun, qui militent pour la santé et ont beaucoup à dire sur la question, et qui sont avec moi aujourd’hui pour regarder le débat.

Nous soutenons le projet de loi C-252 ainsi que son objectif de protéger les droits des enfants canadiens à être en santé et à avoir accès à des aliments nutritifs, et leur droit d’être protégés contre la publicité pour les aliments et les boissons malsains. Le titre abrégé est Loi sur la protection de la santé des enfants. Elle pourrait être intitulée Loi sur la protection et la santé des enfants, parce que ce sont deux objectifs importants du projet de loi.

L’adoption du projet de loi permettra également de montrer que le Parlement a à cœur les intérêts supérieurs des enfants, ce qui est le devoir du gouvernement.

Inscrire la protection des enfants dans la loi est une obligation prévue par la Convention relative aux droits de l’enfant, et le projet de loi C-252 est un effort louable en ce sens. Aujourd’hui, c’est la Journée nationale de l’enfant, établie dans la loi, au Canada, qui s’engage à reconnaître ces droits et à s’acquitter de son devoir corollaire de les respecter. Toutefois, en ce 35e anniversaire de la convention, les enfants et leurs droits ne sont pas suffisamment protégés au Canada. C’est le gouvernement du Canada qui a signé la convention et qui a le devoir de promouvoir et de protéger ces droits; ce n’est pas aux parents de le faire. Ni les parents ni l’industrie n’ont signé la convention.

Les enfants canadiens doivent être protégés contre les publicités d’aliments et de boissons néfastes pour la santé, comme nous l’avons entendu, parce que ces publicités sont omniprésentes dans la vie des enfants et que la plupart des aliments et boissons qui font l’objet de publicité sont des produits malsains; parce que le régime des enfants est principalement composé d’aliments et de boissons néfastes pour la santé; parce que le surpoids et l’obésité sont omniprésents chez les enfants canadiens et parce que la publicité visant les enfants est inappropriée et injuste, compte tenu de leur stade de développement.

Ce n’est pas un effet accidentel. Plus de 20 ans de données probantes, dont nous avons entendu parler, montrent qu’il existe un lien entre la publicité sur des aliments et boissons malsains, une mauvaise alimentation, des carences nutritives et une mauvaise santé.

Mes honorables collègues ont largement démontré, en se fondant sur des études et des recherches, l’omniprésence de la publicité visant les enfants et la situation alarmante en matière de nutrition et de santé en découlant. De nombreuses études menées au Sénat et à l’autre endroit ont porté sur la prévalence de l’obésité au Canada et ont d’ailleurs recommandé une stratégie visant à protéger les enfants contre les publicités d’aliments et de boissons malsains. Selon des sondages publics, les gens sont très favorables à l’idée, tout comme le montrent nos enquêtes faites auprès des jeunes eux-mêmes.

Toutes ces données probantes ainsi que l’opinion publique soutiennent les droits fondamentaux des enfants. Ce sont leurs droits, et les données probantes montrent que ces droits sont minés par les publicités sur les aliments et boissons néfastes pour la santé. La publicité visant les enfants est une violation de leurs droits à la nutrition, à la santé et à l’information ainsi qu’à être protégés contre l’exploitation.

Selon le projet de loi et les autres témoins, la publicité a une influence extrêmement puissante et injuste sur les enfants de moins de 18 ans. Ceux-ci sont extrêmement vulnérables en raison de leur stade de développement et des tactiques de marketing omniprésentes et persuasives auxquelles ils sont exposés. Même les adultes ont de la difficulté à trouver des moyens de se protéger contre les publicités. C’est pourquoi elles sont aussi efficaces. Cibler et manipuler injustement les enfants à un stade de développement cognitif où ils sont très influençables est une forme d’exploitation. Les publicités compromettent leur accès à de l’information équilibrée, qui soutient un développement sain, et portent atteinte à leur droit à ne pas être soumis à l’exploitation. Et c’est pourquoi, en retour, cela nuit à leurs droits à une nutrition, une santé et un développement optimaux.

En ratifiant la convention, le Canada s’est engagé à agir dans l’intérêt supérieur des enfants. Compte tenu de tous les différents intérêts en jeu, nous devons accorder la priorité à l’intérêt supérieur des enfants lorsque nous prenons des décisions en matière de politiques et de règlements.

Nous nous sommes également engagés, en tant que pays, à atteindre l’objectif de développement durable, d’ici 2030, qui comprend de garantir l’accès à une alimentation adéquate, et nous adhérons à un grand nombre de résolutions et cadres internationaux qui demandent que les enfants soient protégés de la publicité d’aliments et de boissons malsaines.

La présidente : Merci beaucoup, madame Wolff.

Mesdames les sénatrices et messieurs les sénateurs, vous aurez quatre minutes pour poser vos questions et entendre les réponses de ce groupe de témoins. S’il vous plaît, précisez si la question s’adresse à un témoin en particulier ou à tous les témoins. Encore une fois, ce sera la sénatrice Bernard, la vice-présidente, qui posera la première question.

La sénatrice Bernard : Merci, madame la présidente. Je vous remercie tous de vos témoignages d’aujourd’hui.

Je vais commencer par poser la question que j’ai posée au précédent groupe de témoins : Est-ce que le projet de loi va assez loin? Je vous ai entendu dire qu’il faut « l’adopter sans amendement », mais j’aimerais vraiment approfondir la question, surtout pour ce qui est de l’intersectionnalité entre la publicité, les publics qui ressentent le plus directement les répercussions des publicités d’aliments néfastes pour la santé, et les droits des enfants. De trop nombreux enfants vivent dans la pauvreté, parce que leurs parents vivent dans la pauvreté, donc ils n’ont souvent aucun contrôle sur les choix que leur proposent les publicités.

Pour revenir à ma question, est-ce que le projet de loi va assez loin?

Mme Pauzé : Je peux vous parler des données probantes sur les inégalités en matière d’alimentation et d’exposition aux publicités d’aliments. Il y a des données probantes. Nous savons que, au Canada, les enfants qui ont un statut socioéconomique inférieur sont plus susceptibles d’avoir une mauvaise alimentation que les autres groupes. Des preuves donnent également à penser que ces enfants passent plus de temps devant les écrans, donc, si ces groupes ne sont pas ciblés dans le projet de loi en raison de leur plus grande exposition aux écrans, les restrictions auront de plus grandes répercussions sur eux sans qu’il soit nécessaire que le projet de loi les vise. C’est ce que j’ai à dire sur le sujet.

La coalition aurait aimé que le projet de loi s’applique également aux adolescents. La coalition est en faveur de la décision précédente de limiter l’application du projet de loi aux enfants de moins de 13 ans. Je tiens à répéter que nous soutenons le projet de loi, dans sa forme actuelle, et j’aimerais qu’il soit adopté sans être amendé.

Mme Wolff : Est-ce que je pourrais répondre, moi aussi?

La présidente : Allez-y, s’il vous plaît.

Mme Wolff : Est-ce que le projet de loi va assez loin? J’aimerais répéter que, si nous n’en étions pas à la fin de la 44e législature, nous serions, présentement, en train de demander à ce qu’il s’applique aux enfants de 17 ans et moins. Ces enfants ont les mêmes droits que les enfants plus jeunes. Selon la convention, les enfants sont des personnes qui ont moins de 18 ans, et nous avons entendu dire que les adolescents sont au moins tout aussi vulnérables. Ils sont souvent davantage exposés aux publicités en ligne, qui sont, présentement, un véritable raz-de-marée, et ils peuvent souvent s’acheter eux-mêmes des aliments — ils ont de l’argent et l’occasion de le faire.

Je tiens également à dire que le projet de loi n’est pas excessif, comme certains le disent. C’est une étape raisonnable. Nous en sommes à la 44e législature, et nous aimerions que la situation des enfants soit meilleure à la fin de la législature qu’au début.

Si nous étions au début d’une session parlementaire, oui, nous serions encore en faveur de l’appliquer à tous les enfants, qui ont les mêmes droits. Nous aimerions qu’il soit reconnu que le Canada est l’un des rares pays à revenus élevés qui n’a pas adhéré au code de commercialisation visant à protéger les enfants et leurs parents contre la publicité sur les substituts du lait maternel. Cela s’inscrirait bien dans la portée d’un projet de loi comme celui-ci.

Nous devons reconnaître que d’autres pays ont inscrit dans leurs lois non seulement des objectifs visant à protéger la santé des enfants, comme je l’ai dit précédemment, mais aussi des objectifs visant à les protéger des pratiques injustes et de l’exploitation. La loi irlandaise définit précisément les objectifs visant à protéger les enfants de l’exploitation.

La sénatrice Seidman : Je remercie à nouveau nos témoins experts d’être parmi nous, aujourd’hui. C’est très apprécié.

Madame Wolff, ma question est pour vous, parce que nous avons reçu les observations d’UNICEF Canada. Je m’intéresse en particulier à un énoncé disant :

... il convient de souligner que les enfants québécois consomment plus de fruits et de légumes que les autres enfants du Canada et affichent les plus bas taux d’obésité de toutes les provinces et territoires du Canada.

C’est un problème qui a déjà été soulevé dans l’étude de projets de loi semblables à celui qui nous occupe. Je le dis encore une fois parce que nous savons très bien que le Québec a interdit toutes les publicités commerciales visant les enfants. Si vous vous demandez quelle est l’efficacité de l’interdiction, pour ce qui est des aliments, des boissons et des résultats en santé, votre déclaration signifie que vous avez des preuves de la grande efficacité de l’interdiction, du moins si vous pouvez présumer du lien de causalité. Je crois que je vais vous demander, si vous me le permettez, de comparer les avantages et les désavantages d’une interdiction totale par rapport à la gestion de la surveillance et à l’application de quelque chose de si complexe.

Mme Wolff : Merci, sénatrice Seidman. Nous n’irons pas jusqu’à dire qu’il y a un lien de causalité. C’est ce que nous avons noté et c’est aussi ce que d’autres personnes ont noté, c’est-à-dire que, au Québec, les enfants consomment davantage de fruits et de légumes bons pour la santé et il y a un taux de pauvreté plus bas. Nous savons que, lorsque les gens ont un revenu suffisant pour acheter des aliments sains, cela fait une différence.

Il ne s’agit pas donc d’une seule politique, mais il faut voir que plusieurs politiques, comme une meilleure aide au revenu, ou encore mieux, les congés parentaux, et pas seulement les prestations de revenus, mais également la protection contre la publicité, forment un écosystème qui garantit les droits des enfants grâce à des politiques et des règlements qui amélioreront les résultats.

La sénatrice Seidman : Selon vous, quels sont les avantages et les inconvénients si on légifère sur une interdiction totale, comme l’a fait le Québec, plutôt que de tenter de composer avec le problème complexe de la mise en œuvre et de la surveillance, lorsque vous avez affaire à Internet et à d’autres choses?

Mme Wolff : Oui. Québec fait partie de l’un des nombreux pays, il n’y en a pas tant que ça jusqu’ici, mais il faut noter que la Norvège a totalement interdit toute forme de marketing. Un rapport de l’Union européenne recommande que tous les pays de l’Union européenne adoptent une interdiction totale parce que, encore une fois, au-delà des objectifs de santé, il est manifestement injuste de cibler les enfants, dans des campagnes de marketing, des enfants qui n’ont pas de défense et dont les capacités cognitives sont en développement, et qui ne peuvent pas comprendre l’objectif du marketing ni se défendre contre cela sur le plan cognitif. Lorsque vous examinez cet aspect, cet objectif, l’interdiction totale est logique.

La sénatrice Osler : Merci à tous les témoins d’être ici aujourd’hui. Ma question s’adresse à vous tous, mais je vais peut-être commencer par la Coalition Arrêtons la pub destinée aux enfants, n’importe qui peut répondre, puis je poserais la même question à UNICEF si nous avons le temps.

Évidemment, le projet de loi C-252 se traduira par une loi et un règlement. Ce qui m’intéresse, ce sont les répercussions cliniques importantes à long terme sur la santé et le bien-être des enfants et des jeunes, surtout dans le contexte canadien actuel où nous avons des problèmes au chapitre de l’abordabilité, de l’accès et de la disponibilité d’aliments frais et nutritifs. Par exemple, 27 cas de scorbut ont récemment été recensés dans le Nord de la Saskatchewan.

Maintenant, je crois que l’objectif du projet de loi est d’améliorer la santé des enfants et des jeunes. Ma première question fait suite à celle de ma collègue : est-ce que le projet de loi va suffisamment loin? Sinon, quelle serait la prochaine étape pratique?

Ensuite, est-ce que l’on devrait inclure à l’examen quinquennal une mesure des changements au chapitre de la santé plutôt que de limiter l’examen à l’augmentation de la publicité sur les aliments? Est-ce que l’on devrait inclure une mesure des changements au chapitre de la santé?

Dr Warshawski : Je vais répondre. Je suis pédiatre consultant, et mon travail consiste à diagnostiquer et à traiter les cas de surpoids et d’obésité, de poids malsain chez les enfants en développement. J’ai travaillé toute ma vie pour aider les enfants à être plus en santé. Ce projet de loi en fait beaucoup au chapitre de la prévention en amont.

Comme l’ont souligné les autres, est-ce le travail des parents? Les statistiques montrent que 10 % des parents ont des problèmes de santé mentale; 10 % vivent dans la pauvreté; 15 % sont faiblement alphabétisés; il y a 15 % de familles monoparentales, entre 20 et 25 % probablement d’immigrants récemment arrivés qui tentent d’adopter la culture canadienne, et, dans 60 % des familles, les deux parents travaillent. Ce projet de loi n’est pas parfait, mais parfois le mieux est l’ennemi du bien.

Ce projet de loi aidera beaucoup, il offrira cette protection, surtout aux immigrants qui arrivent dans notre pays; ils voient des publicités de Cocoa Puffs. Ils pensent que c’est une céréale pour le déjeuner. Ils pensent que c’est une bonne source d’alimentation pour leurs enfants. Ils n’ont aucun moyen de juger le produit. Ce projet de loi aidera vraiment les gens qui sont désavantagés. C’est pourquoi j’ai tant insisté pour faire adopter ce fichu projet de loi. Nous devons faire quelque chose.

Nous avons commencé à travailler sur ce dossier en 2013. Nous avons formé une coalition en 2014. Nous pensions qu’un projet de loi serait adopté en 2019. Si nous ne l’adoptons pas cette fois-ci, le prochain gouvernement n’aura rien pour aider nos enfants.

Pour la suite des choses, c’est important de prévoir des restrictions. Comme il a été mentionné précédemment, une taxe sur les boissons sucrées est un très bon outil, comme celle appliquée au Chili, surtout si elle est jumelée à des subventions pour les légumes. Nous voyons beaucoup de pauvreté. C’est difficile de se payer ce genre d’aliments. De bonnes politiques peuvent vraiment aider à régler ce problème; des bonnes politiques pour aider à promouvoir les programmes d’activité physique et les programmes de santé. Nous pouvons faire beaucoup de choses avec une politique, mais le projet de loi aidera beaucoup.

J’aime le modèle de l’examen quinquennal. Je suis d’accord pour surveiller et recueillir des données sur ce qui se passe au chapitre de l’adiposité et des trajectoires de poids santé — un autre témoin l’a mentionné aussi —, mais l’accent sur l’obésité est peut-être mal choisi. Ces ingrédients sont malsains en eux-mêmes. Un apport en sucre élevé est lié au diabète et aux maladies cardiaques, indépendamment de l’IMC. C’est la même chose pour le sel, l’hypertension, les AVC et le gras. Ce sont des aliments malsains, et en réduire la consommation est bénéfique pour tout le monde.

Le sénateur Cormier : Merci. Mes questions s’adressent à Mme Wolff. Je vais poser les deux questions une à la suite de l’autre, puis vous pourrez répondre. Elles concernent votre mémoire.

Dans celui-ci, vous déclarez que la réduction de la prévalence du surpoids chez les enfants ne devrait pas être le seul objectif de la politique. La protection et le respect des droits des enfants devraient être un objectif clé. Or, cette notion de respect et de protection des droits ne figure nulle part dans le projet de loi dont nous sommes saisis, même si le terme « obésité » figure plusieurs fois dans le préambule.

Est-ce que, dans le projet de loi, l’on devrait renvoyer explicitement aux droits des enfants, surtout ceux mentionnés dans la Convention relative aux droits de l’enfant?

Ensuite, vous dites que ce que l’on a appris de la réglementation du tabac, c’est qu’une approche progressive est moins efficace pour protéger les enfants qu’une approche globale, parce qu’elle ouvre des brèches dans le cadre réglementaire, brèches qui peuvent être exploitées. Pouvez-vous en dire plus sur ce que l’on a appris de la réglementation du tabac?

Mme Wolff : Merci, sénateur Cormier. Les lois sont un excellent endroit pour exposer les objectifs, plutôt que de seulement les exposer dans un règlement, qui a tendance à être plus technique, parce que l’on peut toujours revenir au cadre de la loi, même pour la réglementation future ou l’interprétation. Idéalement, on n’y exposerait pas seulement les objectifs de santé, mais on y reconnaîtrait — comme en Irlande — que nous voulons protéger les enfants contre les pratiques abusives injustes auxquelles ils sont vulnérables.

Ensuite, il est toujours apprécié que l’on reconnaisse que, dans des décisions semblables, il faut tenir compte, en priorité, de ce qui est le mieux pour les enfants. C’est inclus dans différentes lois au Canada, et nous aimerions que ce soit toujours là lorsque les enfants sont concernés. C’est un excellent cadre de référence, parce que le fait d’assurer l’équilibre avec les droits des enfants vous permet de prendre de bonnes décisions. Il faut tenir compte de leurs intérêts en priorité.

Les objectifs de la politique pourraient couvrir ces trois aspects dans un projet de loi comme celui-ci.

Dans notre mémoire, nous avons renvoyé à un guide de politiques d’UNICEF sur le marketing visant les enfants. L’UNICEF milite mondialement pour protéger les enfants du marketing des aliments malsains. Je dois dire que les données probantes sont remarquablement cohérentes, et que, lorsque vous suivez ce guide, vous réduisez le pouvoir de la publicité, l’exposition des enfants et la consommation de produits alimentaires malsains. Cela n’a pas d’effets négatifs sur l’industrie et sur certaines choses dont vous avez entendu parler.

Une approche progressive? Comme nous l’avons dit, si le temps le permet, sous la 44e législature, nous aimerions que cette protection s’étende à des personnes plus âgées et qu’elle soit encore plus ambitieuse et complète. Mais une approche progressive... nous avons vu, dans les données probantes d’UNICEF que nous avons rapportées dans notre mémoire, que cela a tendance à mettre un peu plus l’accent sur des populations qui ne sont pas ciblées, ici, ce sont les adolescents. Vous savez, je pense que nous pouvons être plus inclusifs et moins progressifs, dans ce dossier. Ce serait la chose que nous pourrions faire qui aurait le plus d’incidence si nous devions faire des amendements.

Le sénateur Cormier : Merci.

La présidente : Merci.

La sénatrice Petitclerc : Ma première question s’adressera à la coalition. Si j’ai le temps, j’ai aussi une question pour vous, madame Wolff.

Nous entendons dire que le modèle du Québec et celui du Chili donnent des résultats positifs. Nous savons aussi, maintenant — cela a été documenté et les témoins précédents l’ont dit — que l’ancien code d’autoréglementation, en vigueur de 2007 à 2020, ne fonctionnait pas et qu’en fait, à certains égards, il était même pire. Nous savons cela.

Mais beaucoup parmi nous avons déjà vu cela, et nous allons nous faire dire que le nouveau code fait très bien l’affaire. Ma question est simple : Que répondriez-vous à ça et pourquoi? Pourquoi pensez-vous que le nouveau code dont nous entendrons parler fonctionnera ou ne fonctionnera pas?

Dr Warshawski : Je vais commencer. Je pense que vous n’avez pas à regarder plus loin que l’allée des déjeuners à l’épicerie. Les Lucky Charms obtiennent un laissez-passer. Regardez les critères nutritionnels, dans le code, une céréale à déjeuner peut comprendre 30 % de sucre. Vous ne devriez même pas donner ça à votre chien. Vous ne devriez surtout pas donner ça à votre enfant.

Santé Canada ne recommande pas plus que 10 %. Quand vous concevez un code qui ne veut essentiellement rien dire, cela n’impose pas de vraies restrictions importantes à l’industrie. Ce n’est pas surprenant que les gens appuieront largement ce code, parce qu’il est certain qu’il n’attrapera personne. Donc ce code — Monique Potvin Kent l’a dit —, est plutôt un écran. Il tente de tromper les gens. Ce code n’est rien.

Au contraire, le projet de loi ne dit pas quels critères précis seront appliqués, mais Santé Canada a effectivement précisé la politique en avril 2023, et c’est un assez bon code. Il ne comprend pas tout ce que nous voulions qu’il comprenne, en 2014, lorsque nous nous sommes adressés à Santé Canada, mais il est assez bon. Il offrira une assez bonne protection.

La sénatrice Petitclerc : Merci de la réponse. J’ai un peu de temps à vous accorder, madame Wolff. Nous avons entendu beaucoup de choses au sujet de l’urgence de ce projet de loi sur le plan de la santé. Vous avez utilisé un terme que je trouve très intéressant. Vous liez le marketing visant les enfants à l’exploitation. C’est très fort.

Diriez-vous que l’urgence à protéger les enfants pour des raisons de santé, c’est la même urgence à protéger les droits des enfants, parce qu’ils sont reconnus comme étant vulnérables? C’est ma question.

Si vous me le permettez, grâce à ce projet de loi, allons-nous devenir un chef de file ou allons-nous seulement rattraper notre retard par rapport au reste du monde? Où serions-nous positionnés sur l’échelle internationale?

Mme Wolff : Merci. J’aimerais citer les objectifs législatifs de l’Irlande. Les « susceptibilités » particulières des enfants sont reconnues, et l’intention est de s’assurer que « les communications commerciales n’exploitent pas ces susceptibilités ». Le gouvernement de l’Irlande a reconnu le caractère exploiteur du marketing visant les enfants.

Si vous consultez les droits des enfants — j’ai toujours la Convention relative aux droits de l’enfant avec moi — vous verrez que l’article 17 concerne le droit à l’information. Voici ce qui est indiqué au sujet des devoirs des gouvernements :

Encouragent les médias à diffuser une information et des matériels qui présentent une utilité sociale et culturelle pour l’enfant...

On dit aussi :

Favorisent l’élaboration de principes directeurs appropriés destinés à protéger l’enfant contre l’information et les matériels qui nuisent à son bien-être…

Nous avons entendu les témoins dire que le marketing visant les enfants nuisait à leur santé et à leur développement. Les enfants ont de nombreux droits en matière de protection contre l’exploitation, y compris l’exploitation économique.

Puis, à l’article 36, on dit qu’un enfant doit être protégé de « ... toutes autres formes d’exploitation préjudiciables à tout aspect de son bien-être ». Encore une fois, les droits et les principes, jumelés aux preuves de préjudice, sont assez convaincants, selon moi. Je pense que nous avons des exemples de lois d’autres pays qui en font plus pour protéger les enfants plus âgés, comme en Norvège, en Irlande et au Royaume-Uni, pays qui interdisent catégoriquement le marketing en ligne visant les enfants.

Je ne dirais pas que, en adoptant ce projet de loi, nous aurons accompli notre travail. Je dirais que c’est le point de départ d’un projet qui, je l’espère, sera plus ambitieux lorsque nous reviendrons sous la 45e législature et que nous continuerons à partir de là.

La sénatrice Burey : Merci à vous tous d’être présents. Je pense que je vais poursuivre sur la question des droits, encore une fois.

Je lisais votre mémoire, et vous avez mentionné l’évaluation des répercussions sur les droits de l’enfant. Cet outil est utilisé au Canada, mais nous ne l’utilisons pas avec toutes les lois. Je vais citer la sénatrice Greenwood, parce qu’elle a fait beaucoup de travail à ce sujet. Elle a fait une déclaration au sujet de l’évaluation des répercussions sur les droits de l’enfant. Elle a dit :

Honorables sénateurs, si le gouvernement du Canada peut imposer l’égalité des sexes, le respect de la vie privée et la protection de l’environnement dans ses processus décisionnels, il est temps pour nous d’inclure une évaluation des répercussions sur les droits de l’enfant.

Pensez-vous que ce serait un outil que nous pourrions au moins inclure dans ce projet de loi? J’entends que le temps presse. Est-ce une déclaration convaincante? Nous nous servons de cet outil, mais devrions-nous nous en servir dans ce projet de loi?

Mme Wolff : Une évaluation de l’incidence sur les droits de l’enfant est, essentiellement, une façon de voir comment une décision peut affecter les enfants, notamment les groupes d’enfants divers, différents, en ce qui concerne leurs droits, de façon à arriver à la meilleure évaluation de ce qui est dans leur intérêt. Je sais que c’est justement ce que vous faisiez dans le cadre de cette conversation, car c’est une approche systématique.

Oui, je crois que le ministère de la Justice a élaboré un outil solide, et c’est un projet de loi parfait auquel l’appliquer, à moins qu’il ne retarde encore le processus.

La sénatrice Burey : Non, nous ne l’intégrerions pas sous forme d’amendement. Je vous remercie de cette réponse.

Je vais parler à mon collègue pédiatre, le docteur Warshawski, pour en apprendre plus sur les effets de ces régimes alimentaires malsains. Cette fin de semaine, j’étais à une conférence de pédiatrie, et il était alarmant d’entendre parler des taux croissants d’hypertension artérielle primaire chez les enfants âgés de six ans à peine. C’est alarmant car c’est lié à une mauvaise alimentation. Il s’agit d’hypertension artérielle primaire, ce qui veut dire qu’il n’y a pas de cause secondaire. Le traitement est un changement de mode de vie, soit une alimentation saine et de l’exercice, ce qui a eu un énorme impact. Cela affecte véritablement le cœur, surtout la fonction ventriculaire gauche — désolée, je parle en termes trop médicaux.

Pourriez-vous en parler? Vous avez parlé d’obésité et de tous les effets de l’hypertension. Je vous demande, comme médecin, de parler de l’impact de l’hypertension et des taux alarmants d’hypertension chez les jeunes enfants.

Dr Warshawski : Comme vous le savez, sénatrice, il s’agit d’une épidémie de surpoids et d’obésité chez les enfants et les adolescents, et, bien sûr, le mode de vie appris pendant l’enfance se poursuit à l’âge adulte. Nous constatons une épidémie de diabète de type 2, ce qui est bien rare chez les adolescents. C’est le résultat d’une mauvaise alimentation. Nous constatons une épidémie de diabète de type 2 chez les Premières Nations, ce qui est aussi le résultat d’une mauvaise alimentation. Quatre-vingt-cinq pour cent des femmes autochtones présenteront un diabète de type 2 au fil de leur vie, mais les antécédents se trouvent dans les habitudes apprises pendant l’enfance.

Nous voyons de l’hypertension chez les enfants. L’hypertension a non seulement des effets cardiaques, mais également des effets cognitifs. Nous savons que la pression artérielle a des incidences sur la cognition. Nous constatons de la dyslipidémie, c’est-à-dire des taux élevés de lipides dans le sang. Les enfants souffrent d’une mauvaise santé, donc ce n’est pas seulement — je ne dirais pas « seulement » — les maladies du cœur, les cancers et la dépression à l’âge adulte; ces affections se manifestent aussi pendant l’enfance.

L’autre chose que j’ai remarquée en tant que pédiatre spécialiste en développement — vous l’aurez aussi remarqué —, c’est que ces aliments ont tendance à contenir de grandes quantités de colorants et d’additifs alimentaires. Les essais comparatifs avec placebo démontrent que les colorants alimentaires ont des effets indésirables sur le comportement d’environ un tiers des enfants. Nous avons des proportions épidémiques de trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité dans les écoles. Je crois que cela est relié en partie à la mauvaise alimentation ainsi qu’aux mauvaises habitudes de vie.

Plus nous pouvons en faire pour encourager les saines habitudes de vie chez les enfants — l’alimentation, l’activité physique et la santé mentale — meilleurs seront les progrès et l’épanouissement des enfants alors qu’ils grandissent.

La sénatrice Burey : Merci.

[Français]

Le sénateur Boudreau : Ma question s’adresse aux représentants de la Coalition Arrêtons la pub destinée aux enfants. Tous les témoins que nous avons entendus jusqu’à maintenant se sont dits en faveur du projet de loi. Il ne reste donc pas beaucoup de débats de ce côté. Je suis quand même un peu surpris d’entendre que, bien qu’une loi semblable existe au Québec depuis déjà quelques décennies, on a de la difficulté à montrer clairement qu’il y a un effet positif sur la santé des jeunes.

J’aimerais porter notre attention à l’échelle internationale. On a mentionné que d’autres pays ont des lois semblables à ce qui est proposé ici. Avons-nous des données concluantes provenant de recherches menées dans ces pays qui montrent qu’il y a un résultat positif? En fin de compte, on veut des résultats positifs pour nos jeunes. Si on ne peut pas encore faire ce lien au Québec, alors que la loi existe depuis quelques décennies, y a-t-il des exemples à l’échelle internationale qui ont prouvé qu’il y avait des résultats concrets et positifs?

[Traduction]

Dr Warshawski : Je crois que Mme Voyer devrait répondre à cette question.

[Français]

Corinne Voyer, directrice, Collectif Vital, Coalition Arrêtons la pub destinée aux enfants : Je vais répondre en français et ma collègue Elise, qui est avec vous aujourd’hui, pourra poursuivre.

Si on cherche la mesure qui réglera les problèmes complexes en matière de santé, on n’aura jamais la réponse. Pour résoudre le problème de l’obésité, il faut agir en fonction de plusieurs facteurs de risque, soit l’alimentation, le sommeil et l’activité physique. Il n’y aura jamais une seule et unique solution pour réduire l’ensemble des maladies chroniques. Il existe quelques données à l’échelle internationale. Ce sont notamment des projections sur les gains économiques qu’on pourrait réaliser en intervenant par le biais d’un projet de loi qui interdit la publicité aux enfants et les retombées que cela pourrait avoir du point de vue social. Je crois que ma collègue Elise a peut-être ces données entre les mains.

De façon générale, il faut arrêter de mettre l’accent sur le fait de savoir si la mesure va régler tous les problèmes. Elle va certainement contribuer à régler des problèmes, mais elle ne les réglera pas à elle seule. Je rappelle qu’un problème aussi complexe que celui de l’obésité prend des années à s’installer. Bien souvent, une fois qu’on souffre d’obésité, on ne peut pas revenir en arrière. Malheureusement, les enfants obèses aujourd’hui le seront peut-être toute leur vie. Ce sont les prochaines générations que nous pourrons probablement mieux protéger contre l’apparition de l’obésité ou d’autres maladies chroniques comme le diabète de type 2 et l’hypertension. J’espère avoir répondu à votre question.

Mme Pauzé : En ce qui concerne la loi au Québec, elle a été adoptée il y a maintenant 40 ans. Les données ne sont pas disponibles pour évaluer facilement son impact, mais on sait qu’il y a eu des impacts positifs sur la publicité que les enfants voient, donc on sait qu’il y a moins de publicité sur les chaînes destinées aux enfants au Québec. On sait également que les enfants du Québec voient moins de publicités qui les ciblent. Il y a aussi une étude qui a montré que la loi au Québec était associée à une diminution des achats dans les établissements de restauration rapide. Cela témoigne de certains effets de la publicité que les enfants voient.

Je suis d’accord avec Mme Voyer pour dire que cela prendra plusieurs mesures pour promouvoir de meilleures habitudes alimentaires et pour réduire l’obésité.

La restriction du marketing s’inscrit dans la stratégie en faveur d’une saine alimentation de Santé Canada. Cela se fera en synergie avec les autres politiques dans le but d’améliorer les habitudes alimentaires des enfants et leur santé.

[Traduction]

La sénatrice Dasko : Je remercie nos témoins d’aujourd’hui. J’aimerais revenir à la question posée par la sénatrice Bernard à la fin de la discussion avec le dernier groupe de témoins et poser la question portant sur la publicité en ligne et numérique et sur la publicité destinée aux enfants au présent groupe de témoins.

Ce projet de loi est un peu comme une loi-cadre. Tout ce qui se produira se produira en vertu des règlements. Santé Canada travaille à la préparation de règlements depuis des années et a dit que la publicité à la télévision et la publicité numériques seraient ses priorités, qu’il se concentrerait sur ces deux types de publicité destinée aux enfants.

Maintenant, je n’ai plus de jeunes enfants, et je n’ai pas non plus de petits-enfants, alors je ne sais pas exactement quelles sont les influences, les plateformes et les moyens de publicité destinée aux enfants de cet âge. Je me demande si le Dr Warshawski ou nos autres témoins peuvent dire s’ils croient que le projet de loi serait en mesure de s’attaquer à toutes les formes de publicité numérique sur les plateformes. Que regardent les enfants? Où peuvent-ils voir ces annonces? Les règlements peuvent-ils — je ne fais que jeter un œil à l’écosystème de la publicité en ligne destinée aux enfants. Croyez-vous que ce projet de loi sera en mesure de régler cela? Pourriez-vous décrire la chose? Je vais poser la question au groupe de témoins.

Dr Warshawski : Je commencerai. Merci de la question, sénatrice. Malheureusement, c’est Mme Monique Potvin Kent qui a effectué beaucoup de recherches à ce sujet, donc, c’est elle qui sera en mesure de vous fournir une réponse plus détaillée.

Ce que je comprends de l’écosystème du marketing publicitaire destiné aux enfants, c’est qu’il est vaste. Une grande partie de cet écosystème est plus puissant et plus commun que d’autres. La télévision est toujours un gros joueur. Lorsqu’on s’aventure dans Internet, on constate qu’il y a beaucoup de publidivertissement sur les sites sponsorisés, pour Kellogg’s, Doritos, des marques de croustilles, ce genre de choses. Ces types de sites représentent peut-être 60 à 80 % de l’écosystème du marketing publicitaire. Santé Canada et les règlements peuvent probablement les attraper assez facilement. En revanche, les influenceurs seront beaucoup plus difficiles à attraper. Nous savons qu’ils influencent les préférences des enfants.

L’une des bonnes dispositions de ce projet de loi est un cadre de surveillance. Avec les chercheurs qui... c’est un peu comme le jeu de la taupe. Il faut arrêter ceci et cela, maintenant ça réapparaît ici. Que pouvons-nous faire pour y parvenir sans porter atteinte aux droits légitimes des annonceurs de faire de la publicité auprès des adultes? Il y a des domaines dans lesquels les choses sont plus claires qui ont fait l’objet de travaux au fil des ans avec le Québec et le travail accompli dans le cadre de la coalition. Je crois que beaucoup de choses peuvent être faites sur Internet. Les gens disent qu’Internet ne peut pas être arrêté. Malgré tous mes efforts, je ne peux pas regarder les publicités du Super Bowl sur Internet. D’une manière ou d’une autre, avec le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, nous pouvons bloquer cela. Je suis certain que nous pouvons bloquer 80 % des publicités pour des aliments et des boissons malsains.

La sénatrice Dasko : Oui, les publicités numériques. Avez-vous d’autres commentaires à ce sujet? C’est en pleine croissance. Il est évident que cela devient de plus en plus important. La télévision est encore une source — les enfants regardent toujours la télévision, apparemment, mais cela devient de plus en plus important.

Mme Pauzé : J’aimerais simplement ajouter que, dans la dernière proposition de politique de Santé Canada, il est mentionné que le numérique en engloberait une partie. La dernière proposition de politique relative à la publicité destinée aux enfants couvre le numérique, et cela inclut les sites Web, les applications de médias sociaux, la messagerie, la diffusion en continu, les jeux vidéo en ligne et la réalité virtuelle. Je crois qu’on reconnaît qu’il s’agit aussi d’un domaine qui évolue. Alors, tout cela est englobé.

La sénatrice Dasko : Cela sonne comme une sorte de liste contemporaine. Quelqu’un sait-il si les annonceurs, en vertu de leur code, sont tenus de faire cela, ou du moins d’en faire une partie?

Mme Pauzé : Leur code ne s’applique pas aux médias sociaux qui ne sont pas destinés aux enfants. Toutefois, nous savons que les enfants utilisent des plateformes qui ne leur sont pas destinées.

La sénatrice Dasko : Alors, le code ne couvre pas du tout le numérique?

Mme Pauzé : Eh bien, les annonceurs disent que le code couvre le numérique, mais la portée de leurs restrictions est si limitée qu’elles n’ont pas vraiment d’impact. Les annonceurs ne s’engagent même pas à ne pas faire de publicité sur les sites Internet destinés aux enfants. Le libellé du code est tel qu’il semblerait qu’il permet la diffusion de publicité destinée aux adultes dans ces types de médias.

La sénatrice Dasko : Je vois. Merci.

La sénatrice Seidman : Si je regarde l’article 7.1 du projet de loi, il dit :

Sous réserve des règlements, il est interdit de faire de la publicité d’aliments et de boissons qui contribuent à un excès de sucre, de gras saturé ou de sodium...

Ensuite, elle continue :

... de manière que la publicité soit principalement destinée aux personnes âgées de moins de 13 ans.

L’article 7.1 soulève deux problèmes. Le premier concerne les limites. Peut-être que le Dr Warshawski pourrait répondre à cette question, ou peut-être qu’il s’agit de la meilleure approche. Existe-t-il des données probantes concernant ce que devraient être ces limites? Cela serait ma première question.

Dr Warshawski : Oui, il y a des données probantes. Le seuil que Santé Canada a fixé au fil de l’avancement du processus sont honnêtes en ce qui concerne l’apport quotidien total de 5 à 10 % du sucre libre, compte tenu du gras saturé et du sel.

En ce qui concerne les enfants, les concentrations admissibles de sel et de sucre sont, peut-être moins bien documentées que chez les adultes en raison de la croissance. Disons que, devant vous, vous avez des enfants de 4 ans, de 8 ans, de 12 ans et un jeune adulte de 18 ans. À mesure que le corps grandit, il peut ingérer de plus grandes quantités de sel et de sucre. À l’âge adulte, les limites sont plus définitives. Il s’agit d’une extrapolation à rebours; si tant est qu’un tel terme existe. Vous regardez ce que font les adultes et ensuite, vous appliquez cela à un plus petit organisme pour ainsi dire et vous essayez de déterminer ce que ce petit organisme peut supporter. Nous ne disposons pas d’études qui portent sur les milligrammes de sel et sur ce qui se passe au chapitre de la tension artérielle, mais je crois que ces quantités sont raisonnables. Ils représentent de bons seuils.

En ce qui concerne l’autre partie de l’article 7.1, qui vise principalement les personnes âgées de moins de 13 ans, vraiment, à cet égard, tout se joue dans les détails. Le code de l’industrie est extrêmement faible en ce qui concerne ce qui vise les enfants. Le Québec a des descriptions détaillées de ce que veut dire « est destiné aux enfants ». Santé Canada est bien plus proche de la rigueur du Québec que le code de l’industrie, lequel, je dois dire, n’est pas très rigoureux. Madame Voyer, si vous souhaitez intervenir, ce serait formidable.

La sénatrice Seidman : Vous dites que le règlement — sur lequel nous allons compter pour donner du mordant à ce projet de loi — est sur le point d’être rédigé et qu’on a déjà établi les seuils pour distinguer la manière dont ces annonces s’adressent principalement aux personnes de moins de 13 ans. Ces deux questions... ces déclarations dans le projet de loi sont déjà rédigées pour le règlement? Elles sont déjà définies?

Dr Warshawski : Je ne peux pas parler pour les gouvernements, assurément, mais je crois que dire qu’ils utiliseraient les mêmes critères nutritionnels que ceux qu’ils encourageaient en 2017-2018, et en 2023, serait une supposition raisonnable.

De même, il existe une description de ce qui s’adresse aux enfants. Je suppose qu’il faut attendre la Gazette du Canada pour savoir de quoi il s’agit.

Encore une fois, madame Voyer, vos commentaires sont les bienvenus.

La présidente : Si quelqu’un est intéressé, nous avons du temps pour une petite question. Quelqu’un? Non?

Docteur Warshawski, l’un des domaines émergents de la recherche cardiologique préventive, s’intéresse à la lipidologie chez les enfants. Nous sommes sur le point de recevoir de nouvelles lignes directrices là-dessus. Elles seront publiées très prochainement. Je crois que nous allons assister à un véritable tsunami d’informations, car, comme le savent les enfants, cela devient une exigence forte ou une ligne directrice à mettre à l’essai. Nous commencerons à voir ce qui se produit plus tôt dans la vie.

Quelle est votre meilleure estimation de l’impact que ce projet de loi pourrait avoir sur les préoccupations à propos des niveaux malsains de gras non saturés chez les enfants, si le projet de loi était mis en place, avec la capacité émergente de mettre à l’essai et de surveiller. Quelle est votre meilleure prédiction?

Dr Warshawski : Je crois que nous pourrons constater de meilleurs bilans lipidiques grâce à ce projet de loi, si cela fonctionne comme prévu. Je crois qu’avec ce que nous pouvons voir dans les autres pays, moins de gras saturés seront consommés.

Comme vous le savez sûrement, sénatrice, il y a beaucoup de nutrigénomique en jeu ici. Certaines personnes peuvent ingérer autant de gras saturés qu’elles le veulent, et leur bilan lipidique ne semble pas changer. D’autres personnes, comme moi, qui ai eu une crise cardiaque à 55 ans — et cela n’aurait jamais dû m’arriver — mais, ô surprise! je suis très sensible aux gras saturés. On ne le sait pas vraiment dans les conditions actuelles, mais grâce à ces nouvelles lignes directrices, nous devrions tester les enfants âgés de moins de 11 ans afin de connaître leur profil lipidique pour être en mesure de détecter les changements indésirables, et nous n’aurons plus à nous battre contre le pouvoir harcelant de la publicité qui tente de convaincre les enfants de manger des aliments qui sont mauvais pour eux. En tant que parents, vous essayez de dire : « Écoute, dans 20 ans, ça va te nuire », alors que nous savons que les enfants ne voient pas les vertus de la gratification différée et du fait de reconnaître le risque.

Je crois que ce projet de loi pourrait être une aide précieuse pour ce qui est de prévenir les maladies cardiaques.

La présidente : Merci beaucoup.

Chers collègues, voilà qui met fin à la période allouée à ce groupe de témoins. J’aimerais remercier tous les témoins de leur comparution et de leur témoignage d’aujourd’hui. Nous poursuivrons notre étude sur le projet de loi C-252 à la séance de demain.

(La séance est levée.)

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