LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES SOCIALES, DES SCIENCES ET DE LA TECHNOLOGIE
TÉMOIGNAGES
Ottawa, le mercredi 18 octobre 2023
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd’hui, à 16 h 15 (HE), avec vidéoconférence, pour l’étude du projet de loi C-35, Loi relative à l’apprentissage et à la garde des jeunes enfants au Canada.
La sénatrice Ratna Omidvar (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Chers collègues, je déclare ouverte cette séance du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie. Je tiens tout d’abord à souhaiter la bienvenue aux membres du Comité, aux témoins et aux membres du public. Je m’appelle Ratna Omidvar, et je suis sénatrice de l’Ontario et présidente de ce comité.
Avant d’entamer la séance, j’aimerais demander à mes collègues de se présenter brièvement, en commençant par la sénatrice Cordy.
La sénatrice Cordy : Je vous remercie, madame la présidente. Je tiens également à souhaiter la bienvenue à la ministre et à ses collaborateurs. C’est un plaisir de vous compter parmi nous aujourd’hui. Je m’appelle Jane Cordy, et je représente la Nouvelle-Écosse.
La sénatrice McPhedran : Bienvenue à tous. Je m’appelle Marilou McPhedran, et je siège comme sénatrice indépendante pour le Manitoba.
[Français]
Le sénateur Cormier : Bonjour. Bienvenue, madame la ministre et vos collaborateurs. Mon nom est René Cormier, je suis un sénateur du Nouveau-Brunswick.
[Traduction]
La sénatrice Burey : Bienvenue, madame la ministre. Je m’appelle Sharon Burey, et je suis sénatrice pour l’Ontario.
La sénatrice Osler : Bonjour à tous. Je suis Gigi Osler, sénatrice pour le Manitoba.
Le sénateur Cardozo : Bienvenue à tous. Je m’appelle Andrew Cardozo, et je représente l’Ontario.
La sénatrice Seidman : Bonjour. Je m’appelle Judith Seidman, et je suis originaire de Montréal, au Québec.
[Français]
La sénatrice Mégie : Bonjour, madame la ministre. Je suis Marie-Françoise Mégie, une sénatrice du Québec.
[Traduction]
La présidente : Merci à tous et à toutes.
Aujourd’hui, nous entamons notre étude du projet de loi C-35, Loi relative à l’apprentissage et à la garde des jeunes enfants au Canada. Je souhaite la bienvenue aux témoins de notre premier groupe. Je tiens d’abord à remercier l’honorable Jenna Sudds, c.p., députée, ministre de la Famille, des Enfants et du Développement social. Nous accueillons également plusieurs représentants du ministère dirigé par Mme Sudds : Andrew Brown, sous-ministre délégué; Michelle Lattimore, directrice générale, Secrétariat fédéral responsable de l’apprentissage et de la garde des jeunes enfants; Cheri Reddin, directrice générale, Secrétariat de l’apprentissage et de la garde des jeunes enfants autochtones; Jill Henry, directrice, Secrétariat de l’apprentissage et de la garde des jeunes enfants autochtones; Kelly Nares, directrice, Secrétariat fédéral responsable de l’apprentissage et de la garde des jeunes enfants; et Christian Paradis, directeur, Secrétariat fédéral responsable de l’apprentissage et de la garde des jeunes enfants. Merci à tous de vous être joints à nous aujourd’hui.
On m’a informée que des votes sont prévus à l’autre endroit, et qu’ils pourraient coïncider avec votre présence ici ce soir. Par conséquent, vous pourrez me faire signe le moment venu, et nous suspendrons brièvement la séance pour vous permettre d’aller voter. Je suis consciente que ce vote est important.
Madame la ministre, nous vous demanderons d’entamer cette séance par une déclaration préliminaire d’une durée de cinq minutes. Les membres du Comité pourront ensuite vous poser des questions.
L’hon. Jenna Sudds, c.p., députée, ministre de la Famille, des Enfants et du Développement social (Emploi et Développement social Canada) : Merci, madame la présidente, et merci aux membres du comité. C’est un réel plaisir d’être parmi vous pour m’exprimer au sujet du projet de loi C-35, Loi relative à l’apprentissage et à la garde des jeunes enfants au Canada. C’est également une occasion passionnante pour moi de comparaître devant le comité pour la première fois à titre de ministre de la Famille, des Enfants et du Développement social. Par ailleurs, je tiens à souligner que nous sommes rassemblés aujourd’hui sur le territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin anishinabe.
Je souhaite également attirer votre attention sur la crise profondément troublante à laquelle nous assistons en ce moment au Moyen-Orient. Pour être franche, je trouve qu’il est difficile de mener nos travaux parlementaires dans un contexte aussi explosif. Mes pensées et mes prières accompagnent toutes les personnes concernées par cette horrible tragédie.
Cela étant dit, j’ai le plaisir d’être accompagnée aujourd’hui par trois collègues exceptionnels : Andrew Brown, sous-ministre délégué; Michelle Lattimore, directrice générale, Secrétariat fédéral responsable de l’apprentissage et de la garde des jeunes enfants; et Cheri Reddin, directrice générale, Secrétariat de l’apprentissage et de la garde des jeunes enfants autochtones.
[Français]
Tous les enfants méritent d’avoir le meilleur départ possible dans la vie et chaque Canadien devrait avoir la possibilité de bâtir une carrière et une famille.
[Traduction]
C’est pourquoi, dans le cadre du budget de 2021, le gouvernement du Canada a fait un investissement historique et transformateur de plus de 30 milliards de dollars sur cinq ans pour mettre en place un système pancanadien d’apprentissage et de garde des jeunes enfants. Pour ce faire, nous avons travaillé en étroite collaboration avec des partenaires provinciaux, territoriaux et autochtones.
Depuis cette annonce, bien des choses se sont passées. Nous avons négocié des accords avec chaque province et chaque territoire, et notamment une entente asymétrique avec le Québec, afin de favoriser la création de places en garderie accessibles, abordables et de bonne qualité.
Le réseau pancanadien d’éducation préscolaire et de garde d’enfants que nous avons mis en place profite déjà à des dizaines de milliers de familles. Les frais de garderie ont été considérablement réduits, et près de la moitié des provinces et des territoires ont déjà atteint le seuil de 10 $ par jour. Notre objectif est de créer 250 000 places en garderie à l’échelle du pays, et à ce jour, nous avons déjà réussi à créer plus de 50 000 places.
Nous avons réalisé beaucoup de progrès par rapport à nos engagements, et nous voulons assurer les familles canadiennes qu’elles peuvent continuer à compter sur nos réalisations. Nous avons présenté le projet de loi C-35 pour faire en sorte que les prochaines générations de familles canadiennes puissent elles aussi bénéficier de ce système. Je suis ravie de l’occasion qui m’est offerte de participer à votre étude sur cet important projet de loi.
[Français]
Le projet de loi C-35 tient compte des commentaires que nous avons reçus de nos partenaires et des intervenants. Le texte de loi proposé respecte les compétences provinciales et territoriales de même que la vision et les principes du Cadre multilatéral d’apprentissage et de garde des jeunes enfants de 2017 élaboré avec les provinces et les territoires, et le Cadre d’apprentissage et de garde des jeunes enfants autochtones élaboré en collaboration avec nos partenaires autochtones.
Grâce au projet de loi C-35, nos partenaires provinciaux, territoriaux et autochtones profiteront de la garantie d’un engagement fédéral durable en faveur de l’apprentissage et de la garde des jeunes enfants, y compris un engagement financier à long terme. En inscrivant nos principes communs et notre vision dans la loi fédérale, nous créons de la stabilité et de la prévisibilité pour les systèmes de garde d’enfants.
Nous parlons des principes communs comme l’inclusivité culturelle et l’accès aux services pour toutes les communautés.
[Traduction]
Plusieurs sénateurs ont posé une question importante par rapport à la manière dont le projet de loi prévoit favoriser un système de garde d’enfants plus inclusif. Ils souhaitent également savoir si tous les accords signés incluaient des clauses linguistiques spécifiques visent à protéger les droits des communautés de langue officielle en situation minoritaire. Je peux vous assurer que les familles profiteront de nos mesures, peu importe leur statut socioéconomique et l’endroit où elles vivent, peu importe l’identité raciale de l’enfant, et peu importe le fait qu’un enfant soit handicapé ou qu’il ait besoin d’un accompagnement personnalisé.
Le gouvernement du Canada est parfaitement conscient que la qualité des services de garde contribue très fortement au développement des compétences langagières et de l’identité de l’enfant. Je l’ai d’ailleurs constaté moi-même la semaine dernière lors de ma visite à Londres et au La Pommeraie Child Care Centre.
[Français]
C’est pourquoi les accords sur l’apprentissage et la garde des jeunes enfants à l’échelle du Canada comprennent des clauses visant à soutenir l’inclusion des communautés mal desservies, comme les communautés de langue officielle et minoritaire. Le projet de loi a aussi été amendé par le comité HUMA — Comité permanent des ressources humaines, du développement des compétences, du développement social et de la condition des personnes handicapées — pour y ajouter une formulation semblable.
[Traduction]
Pour conclure, en inscrivant nos principes communs et notre vision dans ce projet de loi, nous allons améliorer la stabilité et la prévisibilité dans le système de services de garde d’enfants au Canada. Notre objectif est de permettre aux prochaines générations de familles canadiennes de continuer à bénéficier de ce système.
Merci beaucoup, madame la présidente. Je serai heureuse de répondre à vos questions.
La présidente : Je vous remercie, madame la ministre. Vous avez indiqué que le projet de loi a été amendé à la Chambre des communes. Ma question est donc la suivante : êtes-vous ouverte à toute suggestion d’amélioration qui pourrait être apportée par le comité, ou par le Sénat de manière plus générale?
Mme Sudds : Merci beaucoup, madame la présidente. Bien entendu, nous demeurons toujours ouverts à toutes propositions d’amendements. Notre objectif est de parvenir à faire adopter le meilleur projet de loi au profit des familles et des enfants dans l’ensemble du pays.
La présidente : Je vous remercie de votre ouverture.
Les sénateurs disposent de quatre minutes chacun pour poser des questions et obtenir des réponses. Je cède maintenant la parole à Mme Cordy, notre vice-présidente.
La sénatrice Cordy : Je tiens d’abord à remercier la ministre de sa présence. J’ai déjà été institutrice au sein d’une école primaire en Nouvelle-Écosse, et j’adore les projets de loi de ce type, car je comprends l’importance que revêt l’apprentissage de la petite enfance et la garde d’enfants. Lorsque les deux parents choisissent de rester sur le marché du travail, il est essentiel qu’ils aient accès à des services d’éducation préscolaire et de garde d’enfants abordables.
L’abordabilité n’est pas le seul obstacle à la garde d’enfants au Canada. En fait, le nombre de places disponibles représente un obstacle majeur. Je suis originaire de la Nouvelle-Écosse, une province où il a été difficile de créer le nombre nécessaire de places en garderie, en particulier au sein des régions rurales.
Malheureusement, je note que le projet de loi C-35 ne semble pas aborder cet enjeu. Si c’est le cas, je ne l’ai pas remarqué en prenant mes notes hier soir. Quelles mesures le ministère a-t-il prises pour s’assurer que chaque région du pays puisse bénéficier du nombre requis de places en garderie? Le projet de loi prévoit-il contribuer à la création de nouvelles places en garderie en cas de besoin? La question n’est pas de savoir « si » de nouvelles places seront requises, mais plutôt « quand ».
Mme Sudds : Oui, je suis tout à fait d’accord. Le terme « quand » est bien le bon. Le système pancanadien s’est développé et les frais liés à l’apprentissage et à la garde d’enfants ont diminué dans tout le pays, ce qui a bien entendu engendré une augmentation de la demande. Pour assurer le succès de ce système pancanadien, nous devons notamment en élargir l’accès. L’un des principes directeurs sur lequel s’appuie ce projet de loi est de favoriser un accès équitable aux familles canadiennes.
Par conséquent, nous reconnaissons l’importance de veiller à ce que les familles de tout le pays bénéficient d’un accès égal au système de service de garde, quel que soit leur statut socioéconomique. Comme je l’ai dit, nous nous sommes engagés à créer 250 000 places en garderie dans tout le pays. Nous allons réaliser cette promesse en tirant parti des leviers dont nous disposons, à savoir les ententes que nous avons conclues avec nos partenaires provinciaux et territoriaux, ainsi qu’avec différentes organisations autochtones nationales.
Dans le cadre de ces ententes, nos partenaires se sont engagés à élaborer un plan pour déterminer ce dont chaque province, territoire et organisation autochtone nationale a besoin pour favoriser la création de ces nouvelles places en garderie.
Je tenais également à souligner que j’ai eu de nombreuses discussions par rapport aux enjeux relatifs aux régions rurales et éloignées, ainsi que sur les différentes exigences en matière de langues officielles. Les ententes que nous avons conclues au terme de négociations stipulent que nous faisons de l’accès équitable un principe directeur. Nos partenaires provinciaux et territoriaux ont accepté d’agir en fonction de ce principe directeur.
Nous sommes déjà parvenus à créer de nombreuses places en garderie, et nous nous attendons à continuer en ce sens au fur et à mesure que les provinces et les territoires honorent leurs engagements au terme de l’accord.
La présidente : Je vous remercie, madame la ministre.
La sénatrice Seidman : Merci beaucoup, madame la ministre.
Mme Sudds : Je suis désolée, mais je dois participer à un vote rapide.
La présidente : D’accord, nous allons faire une pause pour vous permettre de procéder à ce vote.
Mme Sudds : Je vous remercie. Je suis maintenant prête à reprendre notre séance.
La présidente : Nous allons passer à la période de questions.
La sénatrice Seidman : Très bien. Je vais poser ma question.
Comme vous le savez, il est essentiel de recueillir des données valides, récentes et comparables afin d’être en mesure de réviser et de moderniser les programmes d’apprentissage et de garde de jeunes enfants au Canada. L’OCDE a défini des indicateurs afin d’aider les gouvernements à améliorer l’efficacité et l’équité de leurs systèmes. L’OCDE a noté que les gouvernements locaux jouent souvent un rôle déterminant dans le financement et l’offre de services de garde d’enfants. Les pays nordiques ont comptabilisé leurs dépenses à cet égard. Néanmoins, plusieurs autres pays, souvent constitués en fédération, n’ont pas adéquatement colligé leurs données, et il leur est donc beaucoup plus difficile de se faire une bonne idée du soutien public pour la garde d’enfants. En fait, le Canada n’a présenté aucune donnée lui permettant de se comparer aux autres pays membres de l’OCDE.
Le gouvernement fédéral a-t-il collaboré avec Statistique Canada en vue d’élaborer un ensemble d’indicateurs canadiens?
Mme Sudds : C’est une excellente question. Étant économiste de formation, j’adore les chiffres.
D’abord, je tiens à rappeler que Statistique Canada a récemment lancé une nouvelle enquête sur l’apprentissage et la garde des jeunes enfants. À mon avis, cette enquête nous permettra de recueillir des renseignements importants dans différents domaines, et nous aidera à mieux cerner les défis auxquels sont confrontées les familles canadiennes en matière d’accès aux services de garde.
Voilà pour le volet qui relève de Statistique Canada.
En ce qui concerne le gouvernement, nous sommes tenus de présenter des rapports dans le cadre des ententes que nous avons conclues avec les provinces, les territoires et les organisations autochtones nationales. À titre de ministre, j’ai l’obligation de présenter un rapport annuel au Parlement afin d’assurer la transparence en ce qui concerne la manière dont le projet de loi sera appliqué.
La collecte de données est destinée concrètement à évaluer nos progrès en matière de création et de maintien de places en garderie. Bien entendu, l’apprentissage et la garde des enfants sont du ressort des provinces et des territoires, et je comprends donc qu’il est parfois difficile d’obtenir ce genre de données. J’attends avec impatience de présenter à la population canadienne les rapports sur nos plans d’action que nos partenaires sont en train de préparer. Je suis d’avis que la transparence dans ce dossier est particulièrement importante.
Je ne vais pas minimiser le fait que nous sommes face à des défis d’envergure, mais nous allons relever ces défis en collaborant avec nos différents partenaires à chaque étape du processus.
La sénatrice Seidman : Je vous remercie.
La sénatrice Osler : Madame la ministre, félicitations pour votre nouveau rôle.
La province que je représente, le Manitoba, abrite un nombre considérable de communautés membres des Premières Nations, chacune ayant ses propres besoins et évoluant à travers son propre contexte culturel. De quelle manière le projet de loi C-35 peut-il répondre aux besoins spécifiques des communautés des Premières Nations en matière d’apprentissage préscolaire et de garde d’enfants? Comment prévoit-il assurer à ces communautés des services adaptés à leur contexte culturel?
Mme Sudds : Je vous remercie de la question, qui est très pertinente, et qui correspond à une grande partie du travail que mène Mme Reddin au sein de mon ministère.
Je précise d’abord que dès le début du processus, nous avons été en mesure de maintenir le dialogue avec les organisations autochtones nationales. Comme beaucoup de représentants autochtones nous l’ont répété : « Rien pour nous sans nous ». Nous tenons compte de cette importante devise alors que nous avançons dans le développement de ce système pancanadien de services de garde.
Nos discussions avec nos partenaires autochtones nous permettent de ne jamais négliger la nécessité d’offrir des services de garde adaptés à la culture des enfants. Ce n’est pas au gouvernement de dicter aux communautés autochtones ce qu’elles doivent faire. Nous encourageons nos partenaires autochtones à prendre des initiatives, telles que la mise en place de programmes d’enseignement adaptés à leur culture. En résumé, il s’agit de nous montrer à l’écoute, et de permettre aux communautés autochtones de diriger elles-mêmes le processus.
La présidente : Je vous remercie, madame la ministre.
J’aimerais creuser davantage cette question. Vous dites avoir conclu des ententes avec toutes les provinces, mais avez-vous signé des accords avec les peuples autochtones?
Mme Sudds : C’est effectivement le cas. Mme Reddin est la personne la mieux placée pour répondre à cette question.
Cheri Reddin, directrice générale, Secrétariat de l’apprentissage et de la garde des jeunes enfants autochtones, Emploi et Développement social Canada : Je vous remercie de la question, madame la présidente.
Nous ne négocions pas avec les gouvernements autochtones de la même manière que nous le faisons avec les provinces et les territoires. Il s’agit d’un processus d’élaboration concertée et de partenariat. Nous collaborons très étroitement avec les organismes autochtones nationaux, qui agissent en tant que coordonnateurs et facilitateurs. Les représentants régionaux qui ont été mandatés par leurs dirigeants sont mobilisés pour participer à ce processus et y jouer le rôle de facilitateurs.
Les dirigeants autochtones qui sont au cœur du processus décisionnel prennent des décisions sur les affectations de fonds, les plans de travail et les priorités, à l’échelle nationale et régionale. Au gouvernement fédéral, nous sommes en réalité les preneurs dans ce processus. Notre travail consiste à faire en sorte que le système fédéral permette de mettre en œuvre les indications des dirigeants autochtones et de répondre à leurs aspirations, qu’il s’agisse d’offrir des programmes adaptés à la culture, des activités de revitalisation linguistique, un accès élargi, des heures d’ouverture prolongées, ou encore des programmes et des services nouveaux et différents.
Nous n’avons pas négocié d’accords en tant que tels, mais nous avons des processus bien établis qui mènent à l’élaboration de plans de travail, qui prévoient cette orientation dans un cadre autochtone d’apprentissage et de garde des jeunes enfants.
La présidente : Je vous remercie. Nous pourrons revenir sur la question. La marraine du projet de loi a maintenant une question à poser.
La sénatrice Moodie : Je vous remercie de votre présence, madame la ministre. J’ai été ravie de travailler avec vous en tant que marraine du projet de loi. Je suis sûre que votre témoignage d’aujourd’hui sera utile au comité.
Je vais poser une question difficile. Je suis désolée. Je pense que bon nombre d’entre nous et de nombreux Canadiens craindraient qu’on utilise ce fonds pour créer des places en garderie privée au lieu de places en garderie publique. Dans quelle mesure pouvez-vous nous assurer que le gouvernement s’engage à mettre en place un système public, même s’il doit parfois se heurter aux provinces pour le faire?
Mme Sudds : Ce n’est pas une question difficile. Elle est excellente. Elle est également importante, car, en fin de compte, il appartient à notre gouvernement de veiller à ce que les fonds publics soient dépensés judicieusement et de manière à produire les meilleurs résultats possible. À mesure que nous créons le système avec nos partenaires, cet aspect occupe une place de premier plan.
Je vous donne un exemple. Partout au pays, il existe des places en garderie privée pour un certain nombre de raisons très valables. Par exemple, en Ontario, 30 % des places sont dans des garderies privées et 70 % dans des garderies publiques à l’heure actuelle. À mesure que nous avançons et que les accords sont signés, nous savons bien sûr que les services de garde privés ont encore un rôle à jouer. Nous avons demandé, dans le cadre de nos accords, que ces places augmentent dans la même proportion, tout comme les places publiques. Nous ne verrons jamais en Ontario un cas où la part des places en garderie privée dépasse 30 %. En ce qui concerne les places en garderie publique, bien entendu, des études ont montré qu’elles offrent toutes les choses que nous demandons. Elles respectent nos principes dans le cadre de la mise en place de ce système. La qualité de notre système national est, bien sûr, l’une de nos priorités, et nous croyons, dans la mise en place de ce système, que c’est dans le secteur public que nous obtiendrons la meilleure qualité et le meilleur rapport qualité-prix pour les familles canadiennes.
[Français]
La sénatrice Mégie : Je vais poser ma question en français.
Mme Sudds : Oui, d’accord.
La sénatrice Mégie : Le projet de loi C-35 prévoit la création du Conseil consultatif national sur l’apprentissage et la garde des jeunes enfants qui, selon le gouverneur en conseil, sera composé de 10 à 18 membres.
Selon la Gazette du Canada du 14 octobre dernier, ce même gouverneur en conseil devra pourvoir plus de 50 postes au sein de différents conseils, dont le Conseil national des aînés et le Conseil consultatif national sur la pauvreté.
Avez-vous prévu un mécanisme qui permettra d’accélérer le processus de nomination de ce conseil consultatif afin qu’il puisse commencer à s’acquitter de ses fonctions?
Mme Sudds : Je vous remercie de votre question. Je vais y répondre en anglais.
[Traduction]
Si j’ai bien compris la question, elle porte sur la création du Conseil consultatif national sur l’apprentissage et la garde des jeunes enfants et du processus à suivre pour ce faire.
Comme vous l’avez indiqué, le conseil est destiné à être un groupe de spécialistes chargés de me fournir des conseils et de l’information. Il ne s’agit pas d’un organisme décisionnel, mais d’un grand conseil composé de gens intelligents qui possèdent une vaste expérience du secteur et du domaine.
Les candidats ont été choisis dans le cadre d’un processus ouvert. Une fois que le projet de loi sera, je l’espère, adopté, le processus sera converti en nominations par le gouverneur en conseil, mais à moyen terme, nous sommes allés de l’avant avec un conseil nommé par la ministre pour accomplir le travail que nous avons fait au cours des dernières années.
Cela répond-il à votre question?
[Français]
La sénatrice Mégie : Oui. C’est que je m’inquiète à savoir si les autres conseils nationaux qui arriveront après pourront entrer en fonction au bon moment.
[Traduction]
Mme Sudds : Pour que les choses soient claires, lorsque vous parlez des autres conseils, parlez-vous du Conseil consultatif national sur la pauvreté?
[Français]
La sénatrice Mégie : Oui. Étant donné que ce conseil national n’est pas encore formé, je me demande si cela ne va pas retarder la formation du Conseil consultatif national sur l’apprentissage et la garde des jeunes enfants.
[Traduction]
Mme Sudds : Je vous remercie de la précision. Je m’excuse. Je n’avais pas compris cet élément de la question.
Non, absolument pas. Selon le processus prévu, nous avons déjà en place, bien sûr, le conseil national, dont les membres ont été nommés par la ministre. Dès que le projet de loi aura été adopté, nous pourrons aller de l’avant avec le conseil actuel, quoique, bien sûr, les mandats arrivant à échéance, un processus de remplacement et de sélection aura lieu. Le processus se poursuivra et, dès que le projet de loi aura été adopté, nous pourrons procéder à une nomination par le gouverneur en conseil.
[Français]
La sénatrice Mégie : Merci.
[Traduction]
Le sénateur Cardozo : Bienvenue, madame la ministre. Je vous félicite pour votre nomination à ce poste, qui a eu lieu à un moment plutôt important en ce qui concerne ce dossier et bien d’autres questions sociales.
Je me demande si nous pouvons prendre un peu de recul et parler du contexte général de cette politique.
Il y a deux questions importantes en jeu ici. La première est d’ordre économique. Depuis longtemps, depuis que nous avons commencé à parler d’un programme national de garderies il y a environ 50 ans, dans le cadre de la Commission royale d’enquête sur le statut de la femme au Canada, il s’est toujours agi d’un programme d’action sociale mis en avant principalement par des femmes et des groupes de femmes. Il a fallu beaucoup de temps pour que cela devienne une politique nationale. Pendant la COVID, les entreprises ont peut-être fini par comprendre qu’il s’agissait d’un programme économique, et cette politique a alors reçu un soutien vraiment retentissant sur le plan économique.
L’autre question importante, à mon avis, est celle de la capacité financière. Je pense au bilan de votre gouvernement en ce qui concerne l’Allocation canadienne pour enfants, le remboursement pour l’épicerie et les mesures relatives aux pensions.
Pourriez-vous nous parler un peu de votre approche globale quant aux raisons pour lesquelles le Canada a besoin d’une politique sur la garde d’enfants? Je regarde les différentes politiques dont nous discutons, qu’il s’agisse de l’environnement, de l’avancement des peuples autochtones ou de bien d’autres politiques, et nous oublions de parler des raisons pour lesquelles nous avons commencé le tout. Nous passons à autre chose, nous avons une nouvelle terminologie et nous oublions les personnes qui ne faisaient pas partie de la discussion au départ. Je me demande si vous pouvez nous ramener en arrière et nous expliquer pourquoi le gouvernement fédéral doit prendre une telle mesure.
Mme Sudds : Je vous remercie de la question. Je pourrais dire beaucoup de choses, mais je vais essayer d’être brève.
Tout d’abord, vous avez raison. Il s’agit, à mon avis, d’une politique économique très intelligente, dit la mère de trois enfants, mais il s’agit vraiment de permettre aux familles, qu’il s’agisse d’hommes ou de femmes — même si je dirai surtout de mères — de retourner sur le marché du travail après avoir eu des enfants. Les données sont très claires sur les effets de cette mesure. Nous pouvons penser à l’époque où le Québec l’a fait et examiner les points de données. Je m’excuse, je ne me souviens pas de l’année. À un moment donné, il y avait un écart de 4 % entre le taux d’activité des femmes au Québec et celui du reste du Canada, parce que le Québec était allé de l’avant et avait joué un rôle de premier plan dans la mise en place d’un programme de garderie abordable dans la province.
Nous l’avons vu à l’époque et nous commençons à le voir aujourd’hui dans les données — c’est vraiment phénoménal quand on pense aux possibilités que cela offre aux parents, bien qu’il s’agisse principalement de femmes, de retourner sur le marché du travail et à l’indépendance économique que cela apporte, et aux avantages pour les familles, mais aussi pour notre économie en général et notre pays. Il ne faut pas le sous-estimer.
À propos du deuxième point que vous avez soulevé sur l’abordabilité, pendant de nombreuses décennies — j’allais parler d’années, mais il s’agit plutôt de décennies —, beaucoup trop de parents, surtout des femmes, ne pouvaient pas se permettre de reprendre le travail après avoir eu des enfants. Les répercussions économiques sur notre pays étaient graves. Lorsque nous permettons aux gens de reprendre le travail parce que nous avons pu créer ce système national dans lequel, au bout du compte, tout le monde au pays peut avoir accès à des services de garde au coût moyen de 10 $ par jour, nos efforts ont un effet transformateur.
J’occupe mes fonctions depuis seulement quelques mois, mais je peux vous dire que j’ai eu d’innombrables conversations avec des parents pour qui c’était vraiment crucial. Cela a transformé leurs vies à un moment où l’abordabilité change vraiment. Nous savons tous que l’inflation est élevée et que le coût de la vie est actuellement difficile à assumer. Cela dit, lorsqu’une famille ici en Ontario économise, en moyenne, 800 $ par mois grâce à ce programme, nous nous attaquons sans aucun doute au problème d’abordabilité, et pendant des années, il n’y aura que des effets bénéfiques pour les familles.
[Français]
Le sénateur Cormier : Madame la ministre, on reconnaît tous les que les premières années de la vie sont déterminantes pour le développement de l’identité de l’enfant et de l’apprentissage de la langue. Dans ce sens, vous avez probablement l’un des ministères les plus importants entre vos mains.
J’aimerais vous poser des questions sur les communautés de langue officielle en situation minoritaire.
J’ai des questions assez précises sur le vocabulaire utilisé dans le projet de loi, parce que j’essaie de bien comprendre le contenu du projet de loi.
Le paragraphe 7(3) du projet de loi prévoit que les investissements fédéraux seront guidés par les engagements énoncés dans la Loi sur les langues officielles. On sait que la Loi sur les langues officielles contient un certain nombre d’engagements du gouvernement fédéral au-delà de ceux prévus aux paragraphes 41(1), 41(2) et 41(3), ceux qui sont préconisés par les communautés de langue officielle en situation minoritaire pour assurer leur épanouissement et leur développement.
Le paragraphe 7(3) du projet de loi vise-t-il l’ensemble des engagements énoncés dans la Loi sur les langues officielles ou seulement certains de ces engagements? Pourriez-vous éclaircir ce point, s’il vous plaît?
[Traduction]
Mme Sudds : Merci de la question.
C’est un enjeu vraiment important que le Comité permanent des ressources humaines, du développement des compétences, du développement social et de la condition des personnes handicapées, le comité HUMA, a examiné en détail, ce qui s’est traduit par des engagements constructifs en vue de renforcer ce projet de loi.
Nous savons que l’objectif fédéral, alors que nous mettons sur pied ce système pancanadien, est d’assurer un accès pour les familles, peu importe leur profil linguistique, leurs compétences dans les langues officielles ou leur situation socioéconomique. L’accès équitable est un principe clé de cette mesure législative et de la création de ce réseau national.
Grâce à cette mesure législative, ce sera inscrit dans la loi. C’est un aspect très important de ce que nous nous employons à faire pour que ces engagements soient respectés pendant des décennies.
Bien entendu, les premières années ont de profondes répercussions sur la vie d’une personne, sur de nombreux aspects de son développement, y compris ses compétences linguistiques et son identité. Les ententes que nous avons signées avec les provinces et les territoires, à l’exception du Québec, parce qu’il a d’autres dispositions pour soutenir et faire respecter les droits des communautés officielles en situation minoritaire, ont été négociées en fonction des priorités et du contexte propres à chacun d’eux.
Je dirais qu’il s’est fait énormément de travail pour que le gouvernement fédéral ainsi que les provinces et les territoires fassent le nécessaire en vue d’assurer le succès des familles canadiennes, peu importe où elles se trouvent. Je crois que nous verrons cet accès grâce aux amendements apportés au comité HUMA, mais aussi à d’autres travaux législatifs en cours en ce qui concerne les minorités de langue officielle. Nous poursuivons les discussions à ce sujet pendant notre examen des plans d’action qui sont négociés avec les provinces et les territoires. C’est une priorité et un principe qui font partie de cette mesure législative.
[Français]
Le sénateur Cormier : Merci. J’ai une question concernant l’article 8, qui touche le financement. L’article 8 prévoit un engagement à maintenir un financement à long terme des programmes et des services d’apprentissage de garde des jeunes enfants, notamment ceux destinés aux peuples autochtones.
Comment doit-on interpréter le terme « notamment »? Constatez-vous qu’il y a un manque de cohérence ou de parallélisme entre l’article 7 et l’article 8? Le premier fait référence aux communautés de langue officielle, mais le second ne le fait pas. J’aimerais comprendre si le terme « notamment » est utilisé à titre d’exemple ou s’il est utilisé pour cibler précisément les communautés autochtones. Cela se trouve à l’article 8.
Mme Sudds : Dans la version anglaise, on n’utilise pas le terme particularly, on utilise le terme primarily.
Le sénateur Cormier : Vous n’avez pas la bonne traduction?
Mme Sudds : Non, ça va.
[Traduction]
Le sénateur Cormier : Je ne sais pas si c’est un problème de libellé, mais la question est importante, car le sens peut différer dans les deux langues officielles.
Michelle Lattimore, directrice générale, Secrétariat fédéral responsable de l’apprentissage et de la garde des jeunes enfants, Emploi et Développement social Canada : Merci de poser la question. C’en est une bonne.
Le point qui a été soulevé, c’est que dans la version française du projet de loi, il est écrit : « notamment ceux destinés aux peuples autochtones. » Dans la version anglaise, le libellé dit : « including early learning and child care programs and services for Indigenous peoples. »
On en a discuté dans la salle de rédaction, et cette traduction a été confirmée. Il semble y avoir une petite nuance, mais c’est la traduction avec laquelle les rédacteurs se sentaient le plus à l’aise.
L’intention en anglais est d’inclure l’apprentissage et la garde des jeunes enfants autochtones sans faire de distinction, si l’on tient compte du sens de « particularly ».
Cette réponse vous aide-t-elle?
Le sénateur Cormier : C’est utile si vous avez une confirmation écrite. Il est important de comprendre le projet de loi.
Mme Lattimore : Certainement. Oui.
La présidente : Merci. Peu importe le peu de temps que nous espérions gagner, nous l’avons maintenant perdu.
La sénatrice Burey : Merci beaucoup d’être ici. Je vais essayer d’être brève.
Je salue vraiment ce projet de loi. Je suis pédiatre — jusqu’au bout : mère, grand-mère. Je n’ai rien à ajouter. Certaines organisations ont toutefois critiqué la mise en œuvre actuelle de ce système pancanadien de financement, car il n’est pas assujetti à un examen du revenu. Par exemple, certaines personnes ont laissé entendre que les familles à revenu élevé pourraient monopoliser les places en garderie à faible coût, et dans certains cas — je l’ai lu dans la documentation —, on dit que la piètre qualité des places en garderie pour les communautés marginalisées, pauvres et racisées pourrait mener à de moins bons résultats. Je pense que l’expérience du Québec montre que c’est ce qui se produit, et c’est une chose sur laquelle nous devons nous pencher.
Madame la ministre, de quelle façon le projet de loi C-35 s’occupe-t-il non seulement de l’équité, mais aussi de la qualité des services, surtout pour ces places en garderie?
Mme Sudds : J’aimerais d’abord parler de ce que vous avez dit sur l’examen du revenu, et je pourrais peut-être ensuite céder la parole à Michelle Lattimore pour qu’elle termine en répondant au deuxième volet de votre question.
Comme vous l’avez noté, l’un des principes directeurs consacrés dans cette mesure législative consiste à permettre aux familles, peu importe leur revenu, de profiter de l’abordabilité, de services de garde de haute qualité et d’espaces inclusifs. C’est un pilier de ce que nous essayons de créer ici. Nous travaillons fort avec nos partenaires pour y parvenir.
L’engagement actuel de ce cadre vise une moyenne de 10 $ par jour pour ces services de garde. Les provinces et les territoires ont la marge de manœuvre nécessaire pour établir des taux variables pour les familles sur leur territoire. Ils sont libres de procéder à leur discrétion, mais nous nous assurons toutefois de retenir le principe d’une moyenne de 10 $ par jour.
La majorité des provinces et des territoires subventionnent les places dans les centres d’apprentissage et de garde des jeunes enfants pour que les familles à faible revenu puissent profiter du système.
Je pourrais peut-être demander à Mme Lattimore de répondre au deuxième volet de votre question sur la qualité des services.
Mme Lattimore : Merci beaucoup d’avoir posé la question. La qualité des services est un des principes soulignés dans le Cadre multilatéral d’apprentissage et de garde des jeunes enfants. On en tient compte dans les principes du projet de loi proprement dit.
Le projet de loi établit un lien très étroit entre la qualité des services offerts et l’importance de la main-d’œuvre en éducation de la petite enfance au Canada. Grâce au processus d’amendement, nous voyons un libellé encore plus fort dans ce projet de loi pour souligner l’importance de cette main-d’œuvre. Il en est même question au jour le jour dans les priorités du ministère et le travail que nous faisons avec les provinces, les territoires et nos partenaires autochtones. Nous voulons respecter et tenter d’améliorer le recrutement et le maintien en poste d’une main-d’œuvre en éducation de la petite enfance de très haute qualité au pays. C’est un défi, mais avec l’aide du projet de loi, le gouvernement souligne son engagement à long terme pour appuyer cette main-d’œuvre par l’entremise de son travail avec les provinces et les territoires.
La sénatrice Burey : Merci.
La sénatrice Greenwood : Bonjour, madame la ministre. Merci de vous être jointe à nous. Je m’appelle Margo Greenwood. Je viens de la Colombie-Britannique. Je remplace aujourd’hui une sénatrice qui ne pouvait pas se joindre à nous. C’est ce qui explique ma présence ici.
J’ai beaucoup de questions, mais je vais essayer de me limiter. Je suis peut-être passée à côté — et il est possible que ce soit dans les accords bilatéraux —, mais je ne vois pas la définition d’« apprentissage et garde des jeunes enfants ». Je sais de quoi il s’agit. En ce qui me concerne, et je pense que c’est la même chose pour tout le monde ici, je comprends le sens de « petite enfance », mais je ne vois pas de définition. Excusez-moi si je parle de quelque chose qui existe déjà. C’est peut-être dans la mise en œuvre des accords bilatéraux. Je le signale pour que nous soyons tous sur la même longueur d’onde.
Je veux parler un peu de la qualité des services et de deux ou trois autres choses. Je sais que nous avons une Loi sur les langues officielles, mais je sais aussi que nous avons beaucoup d’autres langues maternelles, des langues autochtones, au pays. Comment pouvons-nous leur accorder la même reconnaissance, plus particulièrement lorsque nous parlons de la vie et de l’identité d’enfants? Notre langue fait partie de nous. J’ai cette question, et je sais que des passages du projet de loi proprement dit portent là-dessus. Peut-on les renforcer? Vous êtes peut-être disposée à apporter des amendements à cette fin.
Cela m’amène à ma question qui porte sur la qualité. Il est question ici de collaborer avec les gouvernements provinciaux — mais aussi avec des corps dirigeants autochtones — pour ce qui est des normes et de la réglementation. Depuis un certain temps déjà, je ne sais plus très bien ce qui se passe, donc je ne sais pas s’il existe des corps dirigeants autochtones qui disposent de normes et de règlements en matière d’apprentissage et de garde des jeunes enfants. Je sais toutefois que bon nombre de gens adhèrent aux normes et à la réglementation établies par les gouvernements provinciaux. Comment pouvons-nous assurer la qualité? Je me demande comment vous allez contrôler cela, car il s’agit de partenariats, n’est-ce pas?
Mme Sudds : Puisque nous n’avons pas beaucoup de temps, me permettriez-vous de demander à Mme Reddin de répondre à cette question pendant que je participe à mon dernier vote?
La présidente : Vous pouvez aussi nous envoyer votre réponse par écrit.
Mme Reddin : Je suis heureuse de répondre à cette question, du moins pour ce qui est de nos partenaires autochtones. En ce qui concerne la qualité en contexte autochtone — d’après ce qu’on m’a dit —, il s’agira de normes provinciales et territoriales Plus. Les communautés autochtones vont utiliser les normes provinciales et territoriales, mais en plus de cela, bon nombre d’entre elles aimeraient atteindre un seuil culturel. C’est-à-dire qu’elles aimeraient recourir à des éducateurs formés qui pourront les aider à transmettre leur culture et soutenir leurs intérêts de revitalisation linguistique.
Les normes provinciales et territoriales Plus ne sont pas inscrites dans le projet de loi, mais nous offrons un financement fondé sur des propositions, et avons des projets d’amélioration de la qualité, qui visent réellement à fournir des avenues qui permettront d’apporter des innovations dans le secteur. Nous avons financé certains projets afin d’essayer de faire avancer cette question que vous avez soulevée, madame la sénatrice, de la définir et d’être en mesure d’évaluer un système et de pouvoir dire s’il répond aux normes provinciales et territoriales Plus.
La sénatrice Greenwood : Je vous remercie.
La présidente : Sénatrice Greenwood, vous avez posé plusieurs questions. Souhaitez-vous obtenir les réponses à vos autres questions par écrit, ou devrais-je me laisser convaincre de vous accorder plus de temps?
La sénatrice Greenwood : Non, non, tout le monde a besoin de plus de temps. Je serais heureuse de recevoir une réponse par écrit. Ce serait très bien. Merci beaucoup.
La présidente : Je vous remercie. Madame la ministre, la mise en place d’un système national de garde d’enfants au Canada nécessite de nombreux éléments. L’argent en fait partie, tout comme les accords. Mais c’est la main-d’œuvre qui donnera vie à ce projet. Les normes en matière de salaires sont très différentes, allant de 20 000 $ comme point de départ dans certaines régions de l’Ontario à, peut-être, 40 000 $ dans certaines régions de la Colombie-Britannique. Quels sont les leviers dont vous disposez pour garantir non seulement des services de garde d’enfants de qualité, mais aussi une main‑d’œuvre de qualité qui est bien rémunérée?
Mme Sudds : Je vous remercie de cette question. Comme je l’ai déjà dit, je crois que ce projet de loi, le projet de loi C-35, souligne, en tant que principe, la nécessité pour le gouvernement fédéral de soutenir un programme d’apprentissage et de garde des jeunes enfants de haute qualité en ayant recours à des éducateurs de la petite enfance qualifiés qui bénéficient d’un soutien adéquat.
Les membres du comité HUMA ont adopté un amendement qui renforce les dispositions qui ont trait aux travailleurs de la petite enfance afin de reconnaître le lien intrinsèque, pour ainsi dire, qui existe entre de bonnes conditions de travail et la prestation de services de haute qualité à nos enfants dans le cadre de ces programmes.
Alors que nous mettons ce système en place, il est certainement essentiel de disposer d’une main-d’œuvre bien soutenue et bien rémunérée. Je peux vous dire qu’il s’agit d’une priorité à la table des ministres fédéral, provinciaux et territoriaux qui sont les plus engagés dans le dossier de l’apprentissage et de la garde des jeunes enfants. Nous travaillons ensemble sur une stratégie en matière de main‑d’œuvre. Évidemment, les éducateurs de la petite enfance relèvent de la compétence des provinces et des territoires. Le gouvernement fédéral ne peut pas réglementer leur salaire.
Cela dit, nous enregistrons des progrès intéressants grâce au travail que nous abattons à la table fédérale-provinciale-territoriale et à la négociation des plans d’action. Nous commençons à constater des progrès dans certaines provinces quant aux grilles salariales, aux avantages sociaux et aux régimes de retraite. Nous sommes absolument convaincus que ces éléments sont essentiels. Sans travailleurs de la petite enfance bien soutenus et bien formés, nous ne pourrons pas créer ce système. Les provinces et les territoires le savent également, évidemment. Je constate qu’ils s’engagent à travailler de concert avec nous à cet égard.
La présidente : Je vous remercie. Je ne crois pas que vous avez répondu à la question de la sénatrice Greenwood qui portait sur les définitions. Vous pourriez peut-être y répondre, madame la ministre? Dans la section « Définitions », vous avez défini certaines parties prenantes, mais vous ne fournissez pas vraiment de définition de ce que vous entendez par « apprentissage et garde des jeunes enfants ».
C’était bien cela, sénatrice Greenwood? Il s’agissait de votre question?
La sénatrice Greenwood : C’était ma question. Elle est importante. Je sais aussi à quel point elle est complexe, car j’ai déjà été dans cette situation. Peut-être que cela a trait à la mise en œuvre, mais je n’en suis pas sûre. Je n’ai pas d’expérience en la matière.
Mme Sudds : Je comprends. C’est une excellente question, et je vais demander à Mme Lattimore d’y répondre. Merci.
Mme Lattimore : Je vous remercie de la question. Vous avez raison. Le projet de loi en soi ne définit pas l’expression « apprentissage et garde des jeunes enfants ». On retrouve trois définitions au début, mais l’expression « apprentissage et garde des jeunes enfants » n’en fait pas partie.
Cependant, le préambule permet une certaine souplesse dans la façon d’interpréter la loi elle-même et ce qui pourrait être considéré comme faisant partie du champ d’application. Par exemple, les accords actuels et les promesses de financement témoignent de l’engagement pris par le gouvernement du Canada envers les enfants de 0 à 5 ans. C’est vraiment dans les plans d’action et les accords que vous trouverez le libellé qui donne les détails sur le travail qui sera accompli avec les provinces et les territoires pour atteindre les objectifs en matière d’abordabilité et d’accessibilité.
Nous savons et comprenons tous que les enfants ne cessent pas d’avoir besoin de services de garde lorsqu’ils atteignent l’âge de 6 ans. D’ailleurs, entre les provinces et les territoires, il n’existe pas de norme quant à l’âge auquel les enfants vont à la prématernelle ou à la maternelle. Les programmes de maternelle ne sont pas uniformes d’un bout à l’autre du pays. Dans une certaine mesure, le fait de ne pas inclure une définition très précise nous donne la souplesse nécessaire pour travailler avec les provinces et les territoires dans le cadre de leurs accords pancanadiens et déterminer qui nous ciblerons avec ce financement précis et qui en bénéficiera le plus.
Le préambule du projet de loi évoque les services de garde avant et après l’école. Ces services ciblent un groupe plus âgé : les enfants d’âge scolaire. Bien qu’il n’y ait pas encore de financement expressément affecté aux services de garde d’enfants avant ou après l’école, les provinces et les territoires disposent d’une certaine marge de manœuvre pour investir dans ce domaine, et le gouvernement du Canada continuera de travailler avec eux pour examiner ce qui pourrait être fait à l’avenir.
La présidente : Merci beaucoup, madame Lattimore. Chers collègues, c’est tout le temps que nous avions avec la ministre et ses fonctionnaires. Nous vous remercions infiniment, madame la ministre et mesdames et messieurs les fonctionnaires, de vous être joints à nous aujourd’hui. Bien sûr, nous pourrions vous garder ici encore longtemps, mais ce ne serait pas juste, ni pour vous ni pour notre prochain groupe de témoins.
À ce propos, nous accueillons aujourd’hui, par vidéoconférence, M. Gordon Cleveland, professeur agrégé d’économie émérite, au Département de la gestion de l’Université de Toronto Scarborough; Mme Jessica Lue, vice‑présidente, représentation et relations gouvernementales chez YMCA Canada; et Mme Kerry McCuaig, chercheuse principale en politique de la petite enfance, au Atkinson Centre for Society and Child Development de l’Institut d’études pédagogiques de l’Ontario à l’Université de Toronto. Je vous remercie de vous joindre à nous aujourd’hui.
Je rappelle aux témoins qu’ils disposeront de cinq minutes chacun pour prononcer leur déclaration préliminaire. Nous passerons ensuite aux questions des membres du Comité. Nous allons commencer avec M. Cleveland, qui sera suivi de Mme Lue puis de Mme McCuaig. La parole est à vous.
Gordon Cleveland, professeur agrégé d’économie émérite, Département de la gestion, Université de Toronto Scarborough, à titre personnel : Merci beaucoup, madame la présidente.
Je suis économiste et professeur agrégé d’économie émérite. J’ai enseigné à l’Université de Toronto pendant près de 25 ans. Mon domaine de recherche était l’économie et les questions politiques liées à l’éducation de la petite enfance.
J’ai été conseiller auprès de gouvernements conservateurs et libéraux, et auprès de députés néo-démocrates de différentes assemblées législatives provinciales. Je siège actuellement au Conseil consultatif national sur l’apprentissage et la garde des jeunes enfants, qui fournit des conseils à la ministre Sudds, avec qui vous venez de vous entretenir.
À ma connaissance, ce projet de loi contient quatre grands éléments. Premièrement, il garantit que le gouvernement fédéral sera un partenaire financier fiable et important pour les provinces et les territoires dans la mise en place d’un système qui transformera l’apprentissage et la garde des jeunes enfants.
Deuxièmement, il présente ce à quoi ressemblera ce système d’apprentissage et de garde des jeunes enfants. Il sera abordable, accessible, de grande qualité et axé sur la communauté, ce qui signifie qu’il sera principalement sans but lucratif et public plutôt que dominé par des fournisseurs de services à but lucratif.
Troisièmement, il déclare que les plans de mise en œuvre de ce système seront élaborés en collaboration avec les provinces et les territoires au moyen d’accords qui seront mis à jour au fil du temps.
Quatrièmement, il crée un conseil consultatif national composé de gens qui connaissent bien le secteur et ses principaux enjeux politiques. Il fournira des conseils à la ministre, donnera des renseignements aux membres de la collectivité et recueillera des renseignements auprès d’eux afin d’influencer les décisions et les orientations du gouvernement.
Toutes ces choses sont bonnes. Dans son ensemble, je pense que le projet de loi devrait recevoir l’approbation du Sénat.
Je ferai des commentaires sur une question qui pourrait susciter la controverse, à savoir le rôle des fournisseurs de services de garde d’enfants à but lucratif dans la mise sur pied de ce système qui transformera l’apprentissage et la garde des jeunes enfants.
Je serai très bref. Dans l’ensemble du Canada, la majorité des services de garde sont sans but lucratif et publics, mais il existe beaucoup d’exploitants à but lucratif. Nous ne voulons pas que les décisions prises à propos les services de garde qui seront offerts aux enfants reposent sur la quête du profit. C’est pourquoi nous créons un système de services de garde d’enfants géré par l’État, dans lequel 80 à 90 % des revenus proviendront des gouvernements. Les décisions concernant les frais et les salaires versés, les qualifications requises du personnel, l’emplacement des centres, les enfants qui y ont accès — en particulier en cas de pénurie — et les caractéristiques des services de garde d’enfants seront désormais des décisions gérées par l’État, et non des décisions prises par les parties prenantes du secteur privé.
Donc, si les fournisseurs de services de garde d’enfants à but lucratif existants sont prêts à accepter les nouvelles règles du jeu dans un système géré par l’État, je pense qu’ils devraient être les bienvenus. Cependant, ceux qui insistent sur le fait que la garde d’enfants est une façon de générer des profits importants, qui ne veulent s’occuper que des enfants qui sont les plus faciles à garder, qui veulent facturer des frais supplémentaires partout où ils le peuvent, qui ne veulent s’installer que dans les zones aisées et qui veulent devenir de grandes entreprises qui reçoivent des fonds publics pour acheter des biens immobiliers, sont des exploitants à but lucratif qui ne sont pas prêts à accepter les nouvelles règles du jeu.
À mon avis, ils ne devraient pas être accueillis dans notre système de garderies à 10 $ par jour. Merci.
La présidente : Merci beaucoup. Madame Lue, vous avez la parole.
Jessica Lue, vice-présidente, Représentation et relations gouvernementales, YMCA Canada : Bonsoir. Je vous remercie de me donner l’occasion de comparaître devant vous pour vous parler de cette importante mesure législative.
Le YMCA est l’un des organismes de bienfaisance les plus anciens du Canada et un important fournisseur de services d’apprentissage et de garde des jeunes enfants sans but lucratif et de grande qualité. Les programmes d’apprentissage et de garde des jeunes enfants du YMCA favorisent le développement de plus de 61 000 enfants de tous les milieux et de toutes les capacités, et soutiennent des milliers de familles chaque année. Dans l’ensemble du pays, le YMCA emploie plus de 9 000 éducateurs de la petite enfance et autres employés.
Avec plus de 50 ans d’expérience dans la construction de nouveaux centres et dans la prestation de services de garde d’enfants au Canada, nous savons très bien que la prestation de services de garde d’enfants de haute qualité favorise le développement et le bien-être des enfants, la participation des femmes au marché du travail, la réduction de la pauvreté, la vigueur de notre économie canadienne, en plus d’aider les familles à vivre dans de meilleures conditions.
Le système d’apprentissage et de garde des jeunes enfants à l’échelle du Canada, une fois pleinement mis en œuvre, aura une incidence transformationnelle sur les enfants, les familles et les collectivités. C’est pourquoi les YMCA du Canada sont fiers d’appuyer ce plan pancanadien audacieux et l’adoption du projet de loi C-35.
Ma déclaration d’aujourd’hui portera sur quatre éléments importants. Le premier est la nécessité de rémunérer équitablement et de soutenir les travailleurs de la petite enfance. Une main-d’œuvre composée d’éducateurs professionnels de la petite enfance mieux soutenus et bien rémunérés sera le pilier d’un système de grande qualité. Compte tenu des objectifs ambitieux fixés dans tout le Canada, il nous faut recruter des dizaines de milliers de nouveaux éducateurs de toute urgence. Nos propres chiffres indiquent qu’en Ontario, le YMCA compte à lui seul près de 400 postes vacants d’éducateurs de la petite enfance agréés et qu’il lui faudrait près de 3 500 éducateurs de la petite enfance pour augmenter sa capacité actuelle de 20 %. Sans une main-d’œuvre en éducation de la petite enfance bien soutenue et bien rémunérée, le Canada ne pourra pas répondre aux demandes actuelles ni atteindre les objectifs de croissance énoncés dans les accords provinciaux.
Nous accueillons favorablement les changements apportés au projet de loi C-35 pour renforcer les dispositions relatives aux travailleurs essentiels de la petite enfance et reconnaître le rôle du gouvernement fédéral dans le soutien qui leur est offert. Nous croyons que ces dispositions devraient aller plus loin et inclure des engagements en matière d’élaboration et de mise en œuvre d’une stratégie multilatérale sur la main-d’œuvre axée sur le recrutement, la rétention et la reconnaissance.
Ensuite, nous accueillons favorablement la référence aux conditions de travail qui ont une incidence sur la prestation des programmes et des services. Nous recommanderions de préciser cette partie afin de faire clairement référence à la rémunération et à la formation professionnelle qui, ensemble, ont une incidence sur la prestation de ces programmes et services, et de souligner l’importance de ces deux éléments pour soutenir la main‑d’œuvre.
Mon deuxième point concerne la nécessité d’apporter un financement constant et prévisible. Le YMCA se réjouit des engagements pris par le gouvernement fédéral dans le projet de loi en faveur d’un financement soutenu et continu. Nous recommanderions en outre de préciser, dans le projet de loi C-35, que le financement sera annuel, lié aux services de garde d’enfants agréés, réglementés et sans but lucratif, et reflétera les coûts réels de la prestation de services de garde de haute qualité.
Partout au Canada, le YMCA est confronté à des problèmes de financement insuffisant en raison du gel des tarifs, de l’impact de l’inflation, des coûts administratifs plus élevés pour les exploitants qui gèrent plusieurs grandes garderies, et des méthodes de financement inégales dans l’ensemble du pays. Des mécanismes garantissant un financement des services de garde prévisible, durable, suffisant et qui reflète le coût réel des services de garde de grande qualité permettraient aux fournisseurs de services de garde sans but lucratif de maintenir une stabilité financière aujourd’hui et d’améliorer leurs programmes à l’avenir.
Le troisième point concerne la nécessité de respecter les principes d’équité et d’inclusion. Le YMCA appuie les déclarations et les principes directeurs du projet de loi C-35 qui traitent de l’équité, de l’inclusion et de l’accessibilité. Il est impératif que la croissance soit encouragée de manière équitable afin que toutes les familles qui ont besoin de services de garde y aient accès, quel que soit leur lieu de résidence ou leur situation socioéconomique. Cela signifie également que tous les enfants peuvent bénéficier de services de garde adéquats, quels que soient leurs origines, leurs besoins ou leurs capacités. Nous vous pressons de mettre l’équité et l’inclusion au centre de toute décision relative à la croissance et à la prestation des services d’apprentissage et de garde des jeunes enfants.
Quatrièmement, la reddition de comptes et la production de rapports publics sont essentielles. Le YMCA se réjouit des engagements en ce sens prévus au projet de loi de même que des modifications qui apportent des précisions sur l’échéancier lié au rapport annuel et sur les informations importantes que celui-ci doit renfermer.
Nous recommandons aussi d’établir, d’une part, des indicateurs clés de rendement qui permettront de mesurer le rendement actuel du système par rapport aux résultats escomptés, et d’autre part, un engagement à soutenir la recherche menée au Canada sur l’éducation préscolaire et les services de garde.
Avant de terminer, j’aimerais souligner que l’apprentissage et le développement ne s’arrêtent pas à l’âge de 6 ans et que les familles ont besoin d’aide pour payer les coûts des services de garde avant et après les heures de classe pour les enfants de moins de 12 ans. Nous nous réjouissons de la marge de manœuvre octroyée dans le projet de loi, et nous encourageons le gouvernement fédéral à soutenir les enfants âgés de 6 à 12 ans en rendant plus abordables et plus accessibles les programmes offerts avant et après les heures de classe.
En conclusion, le YMCA appuie totalement le projet de loi C-35 et continue à collaborer activement à la mise en œuvre d’un système pancanadien d’éducation préscolaire et de services de garde. Merci beaucoup.
Kerry McCuaig, agrégée supérieure en politiques de la petite enfance, Atkinson Centre for Society and Child Development, Institut d’études pédagogiques de l’Ontario, Université de Toronto (à titre personnel) :
Merci de m’avoir invitée à témoigner devant le comité. Mes remarques porteront surtout sur l’alinéa 7(1)a) du projet de loi et sur la nécessité de renforcer le libellé sur la prestation de services de garde publics et à but non lucratif.
La version actuelle du projet de loi ne semble pas fournir aux parties prenantes de recours juridiques pour contester la croissance et la domination des services de garde commerciaux. Les provinces ont déjà inscrit d’importantes concessions dans les accords sur les services de garde en élargissant le financement fédéral aux services à but lucratif. On vous a probablement dit que tous les exploitants de services de garde devraient avoir le même traitement étant donné que les provinces surveillent les marges de profit et que les installations de services de garde sont régies par les mêmes règles, mais les accords ont modifié ces paramètres. Les gouvernements financeront 80 % de leurs coûts de fonctionnement, ou plus, et dans certains cas, la majeure partie de leurs acquisitions d’immobilisations. Les installations seront financées par les fonds publics, mais demeureront la propriété d’intérêts privés. Si la gestion de ces systèmes de services revenait aux provinces, ce serait une chose, mais à l’heure actuelle, ce sont les exploitants qui choisissent leur clientèle et leur emplacement géographique. Ils peuvent tout aussi bien réduire leurs services ou fermer leur centre, puis partir avec les biens immobiliers. Autrement dit, les décisions qui concernent de près la population sont prises sans tenir compte des besoins des communautés.
Étant donné les nombreux centres qui ouvrent et qui ferment chaque année, cette préoccupation n’est pas hypothétique. Rénover un centre pour le revendre est une stratégie très lucrative comme le sont les acquisitions de sociétés. Malgré le soutien apporté aux entrepreneuses, des données probantes canadiennes et internationales démontrent que l’augmentation du financement gouvernemental va de pair avec l’acquisition de petits services de garde par des chaînes de garderies privées.
Un fonds de couverture détenu par le Régime de retraite des enseignantes et des enseignants de l’Ontario est aujourd’hui le plus grand fournisseur de services de garde privé au Canada. Ce fournisseur est coté en bourse dans 10 pays. De fait, le domaine est tellement lucratif que des maisons de courtage canadiennes se consacrent exclusivement à l’achat et à la vente de garderies.
Nous découvrons que ceux qui investissent dans l’éducation préscolaire préfèrent acheter plutôt que bâtir. Les financiers hésitent à mettre sur pied de nouveaux centres, particulièrement là où les besoins sont les plus grands, et les grandes entreprises avalent les petits exploitants et les petites chaînes de garderies sans bonifier pour autant l’offre de services de façon perceptible. Une analyse réalisée au Royaume-Uni a examiné l’évolution des services de garde privés par rapport à l’augmentation du financement public. Le marché au Royaume-Uni, qui ressemblait beaucoup au nôtre il y a 10 ans, est aujourd’hui dominé par les chaînes privées. Les modalités des services utilisés par le public devraient être déterminées par les citoyens, et non par des investisseurs. En déléguant la garde de jeunes enfants au marché, l’État abdique ses responsabilités. Que ce soit les soins de longue durée, les foyers collectifs ou les écoles privées, il est vain de vouloir réglementer le marché dans le domaine de la prestation de soins. Quelle que soit l’énergie que le gouvernement consacrera à la rédaction, au suivi et à l’application des règlements, ce ne sera jamais suffisant.
En raison des conditions dangereuses qui règnent dans leurs services de garde, ce sont les plus grandes sociétés qui accumulent les amendes les plus salées. Le contrôle de la qualité suscite des préoccupations. L’influence des sociétés auprès du gouvernement s’accroît au même rythme que leur influence dans le secteur des services de garde.
Les accords exigent que les provinces suivent les activités des services à but lucratif, et non pas leur influence. Si nous persistons à fermer les yeux sur ce phénomène, les services de garde privés continueront à étendre leur emprise sur le système. Une fois implantées, ces structures sont difficiles à déloger.
Je vous exhorte à insérer dans la loi des mesures de contrôle concrètes pour limiter la génération de profits sur le dos des jeunes enfants. Merci.
La présidente : Merci, madame McCuaig. Nous amorçons la première série de questions. Je vais peut-être lancer le bal.
Pendant la première heure de la séance, nous avons demandé à la ministre de nous expliquer le rôle des centres à but lucratif dans un système financé par des fonds publics. La ministre nous a assuré que le ratio de 70 % des services à but non lucratif et de 30 % de services à but lucratif serait préservé. Elle nous a dit que même si le gouvernement fédéral en venait à financer les centres à but lucratif, les fonds en question ne dépasseraient pas ce ratio le 30 % du financement total des provinces.
Que pensez-vous de ces commentaires?
Mme McCuaig : Ce ratio fait partie de l’accord conclu avec l’Ontario, et non pas avec d’autres provinces, dont l’Alberta et le Nouveau-Brunswick, qui soutiennent la croissance des services de garde à but lucratif. Par exemple, le Nouveau-Brunswick finance les acquisitions d’immobilisations du secteur à but lucratif au même taux que celles du secteur à but non lucratif.
Une partie de notre travail consiste à faire le bilan des tendances dans les services de garde partout au Canada tous les trois ans. Notre rapport le plus récent a été publié en mars 2020. Notre prochain le sera en 2023. Dans chaque province qui alloue des fonds publics au secteur à but lucratif, on a observé un élargissement des services de garde à but lucratif, mais rien de tel n’a été observé dans le secteur à but non lucratif.
En toute déférence, nous voulons que le projet de loi survive au gouvernement actuel et à ses bonnes intentions. Actuellement, des centres sont mis sur pied par des financiers qui chercheront à changer les règles lors du prochain changement de gouvernement.
La présidente : Merci.
La sénatrice Cordy : Merci beaucoup à tous les témoins. Vous êtes sans conteste des experts dans le domaine. Les différentes perspectives que vous apportez sont toutes très intéressantes.
Ma première question s’adresse à vous, monsieur Cleveland. J’ai examiné les accords conclus avec les provinces et les territoires et le financement qui y est associé. Moi qui siège au Sénat depuis longtemps, j’ai vu défiler bon nombre d’accords provinciaux et territoriaux. Souvent, les provinces et les territoires se sentent offusqués lorsque le gouvernement fédéral leur dit comment dépenser les fonds.
Je trouve cet aspect inquiétant. Allons-nous avoir... Les accords sont en place et le modèle me semble très bien, mais j’ai cette inquiétude. Il y a quelques années, un hôpital avait acheté une tondeuse à gazon avec du financement destiné à l’acquisition d’équipements médicaux. À la rigueur, cet achat se défendrait peut-être, mais je ne pense pas que quiconque ait pu imaginer que les fonds en question seraient utilisés pour une tondeuse à gazon.
Ce que je trouve préoccupant — je pense à la notion de « contrôle », mais ce n’est peut-être pas le bon terme —, c’est de ne pas savoir dans quelle mesure le gouvernement fédéral aura son mot à dire sur la façon dont le financement est dépensé.
M. Cleveland : C’est une bonne question. La délimitation entre les champs de compétences fédérales, provinciales et territoriales au Canada est un monde fascinant. Les provinces ont bel et bien signé ces accords, mais ces derniers sont temporaires. Ils sont d’une durée de deux ans, puis ils sont renouvelés pour trois autres années. Que se passera-t-il après cela? Prenons le ratio 30-70 en Ontario. Il figure dans les accords en vigueur en ce moment. Ce ratio pourrait-il changer dans un accord ultérieur? La réponse est oui. Voilà la principale difficulté.
Fondamentalement, nous sommes protégés, car la population canadienne reconnaît que ce type de système est le bon. Les Canadiens comprennent collectivement qu’un système à but lucratif monopolisé et détenu par des intérêts privés offrirait des services de qualité inférieure et aurait en place moins de mesures de contrôle pour assurer le bien-être des enfants.
Je pourrais nommer plusieurs pays. Mme McCuaig a parlé du Royaume-Uni, mais nous pourrions parler de l’Australie ou de la Nouvelle-Zélande, voire de la Norvège. Dans ces pays, en seulement quelques années, le secteur à but lucratif est parvenu à dominer des aspects importants de la prestation des services de garde.
Pour ces raisons, l’ensemble de la population doit absolument comprendre que ce système n’est pas souhaitable. Nous voulons un système de services de garde public à but non lucratif, car c’est de ce système durable que les enfants ont besoin. La volonté collective est vraiment la seule garantie au bout du compte.
La sénatrice Cordy : La compréhension collective n’est jamais loin de la pression collective, dirions-nous.
Me reste-t-il assez de temps pour une autre question, madame la présidente?
La présidente : Malheureusement, nous n’avons pas vraiment le temps.
La sénatrice Cordy : D’accord.
La sénatrice Seidman : Merci beaucoup de vos déclarations.
Ma question s’adresse à Mme McCuaig. Voici un extrait du rapport publié par l’Atkinson Centre en 2020 :
La collecte de données, les mesures de surveillance et la production de rapports font partie des instruments de reddition de comptes propres aux démocraties. Ces instruments sont essentiels à la prise de décisions éclairées. Ils permettent aussi de s’assurer que les ressources sociétales sont mises en œuvre de manière productive et efficace, que ces ressources souvent limitées sont réparties équitablement et que les objectifs sociaux sont atteints.
Après avoir écouté vos commentaires, je suis très préoccupée par la collecte de données.
J’aimerais que vous disiez au comité à quel point il est important de recueillir des données comparables à l’échelle du Canada et à l’international. Pourriez-vous décrire les écueils qui freinent la collecte de données cohérentes, normalisées et comparables? Je trouve nécessaire de poser la question, surtout après que la ministre a mentionné que les seules données recueillies portent sur le nombre de places.
Mme McCuaig : Oui. Plusieurs accords établissent déjà de manière assez détaillée les méthodes de collecte de données. Dans le cadre de notre travail, nous étions plutôt fébriles lorsque nous avons su que des données cohérentes allaient être produites à l’échelle du pays.
Nous avons aussi obtenu la promesse que des rapports annuels allaient être publiés le 1er octobre chaque année. Très peu de provinces ont fait de cela une priorité. Cette posture pouvait s’expliquer par la COVID dans certains cas, mais ces lacunes existent encore.
M. Cleveland serait peut-être le mieux placé pour répondre à la question. Il siège au conseil consultatif dont la mission consiste entre autres à déterminer à quoi devraient ressembler les mécanismes de reddition de comptes et de collecte de données. Merci d’avoir lu le rapport, mais visiblement, il reste du travail à faire : nous ne savons pas à quoi ressemble la situation que ce soit à un très haut niveau ou sur le terrain.
Jessica Lue parlait de la main-d’œuvre. En ce moment, nous travaillons sur ce dossier avec les villes ontariennes. Nous constatons que certains endroits comptent 400 places où ne travaille aucune éducatrice de la petite enfance qualifiée. À d’autres endroits, la direction de certains centres autorise l’embauche d’éducatrices qui ne possèdent pas les qualifications exigées. Ces centres fonctionnent à 50 %.
Cela s’ajoute aux commentaires formulés par Mme Lue tout à l’heure. Des places sont créées, mais ces places se vident faute d’éducatrices. Merci.
La sénatrice Seidman : Monsieur Cleveland, voulez-vous répliquer? Ce problème se rapporte aussi aux partenariats public‑privé, que vous avez mentionnés dans votre déclaration à la Chambre des communes.
M. Cleveland : Oui. Je préside le groupe de travail sur les données et la recherche rattaché au conseil consultatif national. Nous prenons très au sérieux l’amélioration de la collecte de données.
Comme Mme McCuaig l’a indiqué, le problème, c’est que bon nombre de provinces et de territoires n’ont pas la capacité de faire la collecte des données ou n’ont pas rangé cette activité dans leurs priorités. Les rapports qu’ils produisent ne sont pas conformes à ce que prévoyaient les accords. Ils ne fournissent pas d’informations en temps opportun comme nous nous y attendions, et lorsqu’ils le font, il y a des problèmes majeurs de comparabilité.
Le groupe de travail a essayé de collaborer avec Statistique Canada à l’établissement d’un plan B pour la collecte de données provinciales et territoriales. Le gouvernement fédéral ne peut pas présumer que tout fonctionnera comme sur des roulettes avec les provinces et les territoires. Il nous a fallu d’abord analyser les données sur la main-d’œuvre. La ministre nous a demandé de considérer cette tâche comme une priorité. Statistique Canada travaille en ce moment sur un certain nombre de projets qui produiront pour nous des données...
La présidente : Monsieur Cleveland, je suis désolée, mais je dois vous interrompre.
La sénatrice Osler : Merci aux témoins d’être des nôtres aujourd’hui.
Ma question s’adresse à Mme McCuaig. Elle porte sur votre mémoire intitulé Nouvelles tendances dans le développement du plan pancanadien d’apprentissage et de garde des jeunes enfants, qui se penche sur l’élargissement du secteur de la garde d’enfants à but lucratif.
Ma question renvoie précisément à la dernière phrase du mémoire. Vous dites espérer que le gouvernement fédéral tiendra compte de cette tendance et mettra en place des mesures de protection durables en ce qui concerne le secteur des services de garde à but non lucratif.
Madame McCuaig, pourriez-vous nous en dire plus sur les mesures de protection durables qui devraient s’appliquer au secteur à but non lucratif. Recommanderiez-vous des amendements au projet de loi?
Mme McCuaig : La Loi canadienne sur la santé renferme une disposition très intéressante sur la protection de la gestion des soins de santé fournis par le secteur à but non lucratif. Ce serait bien d’insérer l’équivalent dans le projet de loi. Les parties prenantes utilisent la Loi canadienne sur la santé pour négocier avec les gouvernements provinciaux. Je ne pense pas que la version actuelle du projet de loi nous permette de contester les mesures prises par un gouvernement provincial.
Ensuite, nous avons besoin de connaître la situation sur le terrain. Je ne veux pas seulement parler du nombre de places, car ces données ne veulent pas dire grand-chose. Les écoles comptent le nombre d’élèves. De notre côté, nous comptons le nombre de places. Nous avons plutôt besoin de données sur la situation de la main-d’œuvre dans le domaine de la petite enfance.
Les critères suivis par les provinces pour déterminer qui est une éducatrice qualifiée sont très étranges, mais en creusant un peu, nous trouvons autre chose derrière les données.
En résumé, sénatrice, je pense qu’il faut, d’une part, uniformiser le libellé avec la Loi canadienne sur la santé afin de protéger le bien public que nous sommes en train de bâtir, et d’autre part, établir un système robuste de collecte de données, notamment — et je vous exhorte à le faire — en recueillant des données sur les services de garde à but lucratif, mais aussi sur l’influence du secteur privé. Voilà le plus grand risque auquel nous nous exposons si nous ne protégeons pas suffisamment le financement public.
La sénatrice Osler : Je vais poser la même question à M. Cleveland, puis à Mme Lue. Si nous avons assez de temps, j’aimerais savoir ce que vous en pensez. Monsieur Cleveland, vous pouvez commencer.
M. Cleveland : Vous voulez notre avis sur les modifications à apporter au projet de loi pour régler la question des garderies sans but lucratif?
La sénatrice Osler : Je vous demande de nous présenter toute recommandation que vous avez. Mme McCuaig parlait des dispositions.
M. Cleveland : Oui. Je n’ai pas de dispositions particulières à ajouter au projet de loi, mais je suis d’accord avec Mme McCuaig.
La sénatrice Osler : Merci. Madame Lue, vous avez la parole.
Mme Lue : Merci pour la question. Je n’ai pas non plus de dispositions précises à proposer, mais en notre qualité de fournisseurs de services de garde d’enfants sans but lucratif, nous savons à quel point il est important de veiller à la gestion adéquate des deniers publics pour les garderies à but non lucratif. Le secteur sans but lucratif est réputé pour la qualité de ses services de garde; la recherche internationale le montre. À la lumière de notre propre expérience, nous savons que la demande pour des services de garde d’enfants à but non lucratif de haute qualité est élevée. Nous le voyons au sein de notre organisation : la liste d’attente est très longue pour les familles qui cherchent des places. Nous croyons, nous aussi, que la mesure législative doit reconnaître explicitement les fournisseurs de services de garde d’enfants publics et sans but lucratif.
La sénatrice Moodie : Je vais poursuivre dans la même veine que ma collègue. J’allais poser exactement la même question, mais j’aimerais aller plus loin.
Il y a une tension. Nous avons les pieds fermement plantés dans un champ de compétence provinciale. Le gouvernement fédéral met l’argent sur la table et il définit la politique. Le projet de loi établit les exigences à respecter pour recevoir l’argent.
Vous proposez d’ajouter une disposition semblable à celle qui se trouve dans la loi sur la santé. C’est mon domaine de compétence. Nous nous interrogeons quant aux conséquences. Quels comptes doivent être rendus lorsqu’il y a infraction à la Loi canadienne sur la santé?
Vous conviendrait-il que le gouvernement fédéral retire le financement aux provinces qui ne respectent pas les exigences? Voudriez-vous qu’un autre mécanisme soit mis en place? La question est pour Mme McCuaig. Je regardais aussi le document du centre Atkinson que vous nous avez fourni.
Mme McCuaig : Personnellement, il me conviendrait parfaitement que le gouvernement fédéral suspende le financement des provinces qui ne respectent par leurs obligations contractuelles. En fait, les termes employés dans certains accords sont très forts, notamment dans celui de l’Ontario. En vertu de cet accord, le gouvernement fédéral a le pouvoir de bloquer l’argent si l’Ontario ne met pas en place un cadre de contrôle des fonds pouvant être octroyés aux fournisseurs de services de garde à but lucratif.
La première version proposée par la province était très satisfaisante. Elle aurait donné des résultats concrets. Toutefois, dans l’espace de quelques semaines, elle a été modifiée en raison des pressions exercées par le secteur privé.
On peut parler de volonté politique, mais il faut aussi tenir compte de la volonté très forte des fournisseurs de services de garde à but lucratif.
Par ailleurs, vous pourriez également considérer la possibilité de tirer parti des nombreux accords conclus entre le gouvernement fédéral et les municipalités. Il y a d’autres pistes à suivre pour mobiliser les partenaires de bonne volonté, ceux qui veulent réellement régler les problèmes et trouver des solutions en vue de créer un système de garde d’enfants de calibre mondial.
[Français]
La sénatrice Mégie : Ma question s’adresse à M. Cleveland.
Professeur Cleveland, je présume que ce programme est inspiré de celui du Québec. Vous avez sûrement des données provenant de ce programme. Avez-vous fait des projections à partir de ce programme? Avez-vous des chiffres ou des analyses statistiques pour savoir comment le projet de loi C-35 affectera l’inflation pour les familles canadiennes?
[Traduction]
M. Cleveland : Je vous remercie pour la question. Il améliorera l’abordabilité. C’est sans contredit ce qui est arrivé au Québec. Le programme des garderies à 5 $ par jour a connu un énorme succès au Québec, précisément parce qu’il a rendu les services de garde d’enfants nettement plus abordables.
Je n’ai pas de chiffres qui montrent précisément quel effet il aura sur l’inflation, mais le modèle québécois est extrêmement intéressant. Le gouvernement fédéral doit absolument en tirer des leçons parce qu’il a fait face aux mêmes pénuries et il a tenté de les pallier, d’abord par d mesures d’expansion, puis par des innovations stratégiques, qui n’ont pas toutes fonctionné. Le système fédéral devra surmonter les mêmes difficultés.
[Français]
La sénatrice Mégie : Savez-vous si les personnes qui travaillent à le mettre en place ont utilisé les données du Québec pour faire des projections concernant ce nouveau programme?
[Traduction]
M. Cleveland : Je n’ai pas participé directement au travail de planification du gouvernement fédéral; je conseille la ministre. Je peux tout de même vous dire, pour répondre à votre question, que le meilleur outil qu’on peut utiliser pour faire des projections sur la demande de service de garde à 10 $ par jour au Canada, ce sont les données sur la demande actuelle au Québec parce que c’est très semblable.
Cela voudrait dire que pour les enfants de 0 à 5 ans, on peut s’attendre à ce qu’au moins 70 % des familles veuillent accéder à une place à 10 $ par jour dans une garderie agréée. Si vous faites les calculs, vous constaterez que les 250 000 places supplémentaires prévues à l’heure actuelle seront loin d’être suffisantes. Ce n’est pas un sprint, c’est un marathon.
La sénatrice Mégie : Je vous remercie.
Le sénateur Cardozo : La discussion est très intéressante. Je vous remercie pour votre témoignage, madame Lue. Je dois vous dire que j’ai de très bons souvenirs des programmes du YWCA‑YMCA offerts ici, à Ottawa. Mes enfants y ont participé, surtout au programme de garde après l’école. Je peux attester de la qualité des soins, des services d’éducation de la petite enfance et de l’attention qu’ils y recevaient, même durant le programme de garde après l’école. Les normes étaient toujours très élevées. À ce jour, le Y demeure l’un des endroits favoris de ma famille.
Ma question s’adresse à la professeure McCuaig. Je suis ravi de vous revoir. Au cours des 10 dernières années, quand j’étais au Centre Pearson, il nous est arrivé de travailler ensemble sur ce dossier. Je suis heureux de constater que nous avons fait beaucoup de chemin depuis.
Je tiens aussi à souligner le travail de l’honorable Margaret McCain, qui a œuvré dans ce domaine pendant de nombreuses années et qui a soutenu le mouvement et vos efforts par l’intermédiaire de la fondation de la famille McCain. Elle a accompli un travail remarquable et elle défend la cause depuis très longtemps.
Madame McCuaig, avez-vous une formulation à proposer pour le paragraphe 7(1)? Devrait-on insérer quelques mots dans les alinéas 7(1)a), b), c) ou d)? Devrait-on plutôt ajouter un alinéa e) à la fin du paragraphe? D’autres textes législatifs emploient le terme « principalement ». On pourrait parler de services de garde « principalement à but non lucratif ». À votre avis, faudrait-il inscrire le ratio de 70-30 dans la loi? J’aimerais savoir ce que vous en pensez. Si vous ou Mme Lue avez d’autres formulations à nous proposer, nous vous saurions gré de nous les envoyer dès que possible.
Mme McCuaig : Je ne sais pas si j’inscrirais quoi que ce soit dans l’article sur les principes. Le projet de loi prévoit trois mesures ayant force exécutoire : un comité consultatif doit être mis sur pied, le gouvernement fédéral doit maintenir un certain niveau de financement, et je suis désolée, mais le troisième m’échappe.
J’aimerais qu’il soit inscrit dans une disposition ayant force exécutoire que l’expansion doit se limiter aux fournisseurs de services de garde publics et sans but lucratif. Il y a une différence à faire. Je pense qu’il va sans dire qu’étant donné la structure des services de garde d’enfants au Canada, on ne peut pas empêcher les garderies à but lucratif de participer au programme de places à 10 $ par jour. Sinon, les parents se révolteront.
L’intention était d’ajouter des places dans les services de garde publics et sans but lucratif, mais ce n’est pas ce qui se produit. On revient sans cesse au ratio de l’Ontario, qui se situe aujourd’hui à 70-30. L’écart se creuse : il y a 3 ans, le ratio était de 75-25. Le secteur à but lucratif a pris beaucoup d’expansion en très peu de temps.
Nous avons réfléchi à la formulation avec des amis qui sont avocats en droit constitutionnel. Je pourrai vous envoyer des propositions après la réunion. Cela dit, c’est plus qu’une question de principe. Il y a trop d’argent sur la table, et les familles et les enfants canadiens ont trop à perdre pour qu’on se contente d’ajouter cet enjeu à une liste de souhaits.
Le sénateur Cardozo : À votre connaissance, l’accord conclu avec l’Ontario est le seul à comprendre une disposition à ce sujet?
Mme McCuaig : Non. En vertu des accords, le Nouveau-Brunswick est autorisé à développer le secteur à but lucratif, et l’Alberta aussi. On le voit également ailleurs. Par exemple, en Colombie-Britannique, le secteur à but lucratif a pris beaucoup d’expansion. C’est ce qui se produit, que ce soit autorisé ou non.
La présidente : Le comité gagnerait à avoir accès à de l’information comparant les accords conclus avec les provinces, ainsi que les engagements pris par le gouvernement fédéral sur le plan de la répartition des fonds entre les services de garde à but lucratif et les garderies publiques. Ces renseignements nous seraient utiles. Nous les avons demandés à la ministre. À ma connaissance, nous n’avons pas de document à ce sujet; nous devons donc nous fier aux intervenants. Nous aimerions recevoir de l’information claire sur les différences entre les dispositions des accords concernant le partage des deniers publics entre les garderies publiques et les services de garde à but lucratif. Si vous avez accès à ces renseignements, nous vous saurions gré de nous les envoyer.
[Français]
Le sénateur Cormier : Bonsoir aux témoins, bienvenue. Ma question s’adresse tant à Mme McCuaig qu’à M. Cleveland. Vous avez parlé de ce défi entre les garderies sans but lucratif et celles à but lucratif. Professeure McCuaig, vous avez parlé du Nouveau-Brunswick. Je suis du Nouveau-Brunswick. Il y a un réel déficit dans le nombre de garderies francophones comparativement aux garderies anglophones. Il y a des enjeux associés à la répartition du financement.
Comment le gouvernement fédéral peut-il s’assurer que tant les garderies sans but lucratif que celles qui sont à but lucratif peuvent respecter les obligations du gouvernement fédéral en matière de langues officielles? Je vous renvoie à l’article 7, puisqu’à l’intérieur de cet article — vous en avez parlé, madame —, il y a l’engagement en vertu de la Loi sur les langues officielles.
À l’article 8, dans l’engagement financier qui est assez précis, aucune mention n’est faite de l’importance de financer adéquatement les communautés de langue officielle en situation minoritaire. Est-ce que vous jugez qu’il serait pertinent d’ajouter cela pour contrer ce déséquilibre possible qui existe, notamment au Nouveau-Brunswick?
[Traduction]
La présidente : Votre question s’adresse-t-elle à...
Le sénateur Cormier : Ma question est pour Mme McCuaig.
Mme McCuaig : Merci. Je trouve très important d’ajouter une mention à cet effet pour les minorités francophones, les peuples autochtones et les communautés racisées. Pendant longtemps, les services de garde d’enfants seront une denrée rare. Il convient donc de se demander ce qu’on entend par « équitable ». Les programmes devraient être répartis de manière équitable entre les différents groupes.
Les garderies francophones ont un grand défi à relever sur le plan du maintien en poste : puisque leurs employés sont souvent les seules personnes bilingues, d’autres secteurs les recrutent, notamment la fonction publique, qui offre de plus gros salaires et de meilleures conditions de travail.
Rappelez-vous aussi que « équitable » n’est pas synonyme de « pareil ». Il faut déployer de réels efforts dans le but précis de répondre aux besoins de ces groupes, qui ont habituellement peu accès à des services. Les exemples ne sont pas nombreux, mais lorsque des services leur sont offerts, c’est par le secteur public.
L’accord avec le Nunavut commence par un paragraphe remarquable qui explique la mesure dans laquelle il est difficile pour un secteur communautaire formé de bénévoles et de conseils d’administration sans but lucratif de fournir un service essentiel, d’où l’importance de la participation du secteur public à la gestion, à l’élaboration et, dans certains cas, à la prestation de services publics. Il ne suffit pas de mettre de l’argent sur la table et d’espérer qu’il finisse à la bonne place.
[Français]
Le sénateur Cormier : Merci. Je ne sais pas si M. Cleveland a aussi une réponse à donner.
[Traduction]
M. Cleveland : Oui. Si vous le permettez, je vais aborder votre question sous un angle un peu différent.
Je ne connais pas très bien la situation de la communauté francophone du Nouveau-Brunswick. Je connais mieux celle de l’Ontario. Il y a un problème général en ce qui touche les fournisseurs de services à but lucratif et les groupes difficiles à servir, qu’il s’agisse des francophones, des familles à faible revenu ou autres. Souvent, le secteur à but lucratif ne sert pas bien les communautés francophones parce que c’est plus difficile à faire et parce qu’il doit employer une approche différente.
Je trouve important que les sénateurs sachent que de grands obstacles entravent l’expansion des services de garde d’enfants sans but lucratif au Canada. Rien ne permet encore de lever ces obstacles, ni les accords, ni aucune autre mesure.
J’attirerais votre attention sur deux éléments. Le premier, c’est le financement. Les bailleurs de fonds privés, les banques, les sociétés de fiducie, etc., sont-ils prêts à prêter de l’argent aux organismes sans but lucratif? En général, la réponse est non. Je peux vous donner de nombreux exemples de garderies sans but lucratif qui ont demandé des fonds à des institutions financières privées pour pouvoir offrir plus de places et qui ont essuyé des refus. Les garderies veulent bien créer de nouvelles places de qualité, mais elles n’arrivent pas à obtenir de financement.
Le deuxième élément, c’est l’infrastructure qui soutient l’expansion. La majorité des petits centres de garde d’enfants sans but lucratif n’ont pas la même capacité d’expansion que le YMCA et le YWCA. Les grands organismes ont des employés qui savent comment obtenir des prêts, comment engager des architectes et comment concevoir des plans; ce n’est pas le cas de la plupart des garderies sans but lucratif. Chaque province doit disposer d’une institution qui retire cette responsabilité aux garderies sans but lucratif et qui accomplit ce travail pour l’ensemble d’entre elles. Les fournisseurs de services de garde publics et sans but lucratif pourront alors mieux servir la communauté francophone du Nouveau-Brunswick.
La présidente : Notre temps tire à sa fin. Nous entendrons la sénatrice Greenwood, puis j’aurai une précision à donner.
La sénatrice Greenwood : Merci. Je serai très brève. Bonjour à toutes et à tous. Je suis Margo Greenwood. Je vous prie d’excuser mon absence durant les présentations. Monsieur Cleveland, je suis ravie de vous voir.
Quand je travaillais dans les collectivités des Premières Nations, le financement était lié aux normes et à la réglementation. C’est peut-être une solution. Chaque province et chaque territoire a ses propres normes et sa propre réglementation sur la garde des enfants. Souvent, les exigences se rapportent à l’âge des enfants, aux nombres d’heures et à d’autres éléments pareils. La langue pourrait aussi en faire partie. Le sénateur Cormier a posé une question sur les langues officielles. Est-ce une piste à suivre? Il pourrait aussi y avoir différentes exigences pour les garderies sans but lucratif et celles à but lucratif. Les accords bilatéraux pourraient-ils comprendre des exigences de la sorte?
Qu’en pensez-vous? C’est peut-être une fausse piste.
M. Cleveland : Je suis ravi de pouvoir vous appeler sénatrice Greenwood.
Il va sans dire qu’en général, le financement est lié à la volonté de respecter la réglementation. Certaines provinces réussissent mieux que d’autres. Par exemple, à l’Île-du-Prince-Édouard, il y a non seulement des centres de garde d’enfants, mais aussi des centres de la petite enfance, qui ont des normes plus élevées. On s’attend à une meilleure qualité de leur part. La province travaille bien avec eux.
Les provinces peuvent s’inspirer d’endroits comme l’Île-du-Prince-Édouard pour améliorer la qualité des services de garde d’enfants et pour favoriser la gestion publique de ces services. Le système de garde d’enfants de l’Île-du-Prince-Édouard est un système communautaire géré publiquement.
Nous avons beaucoup de travail à faire collectivement pour bâtir un système communautaire géré publiquement. La définition d’un système réellement géré publiquement reste à préciser. Oui, il faut suivre les normes et la réglementation, mais il faut faire beaucoup plus que cela.
Comment peut-on favoriser la création d’un tel système? Comment peut-on le financer? Peut-on concevoir des formules de financement pour viser les bonnes cibles? À ce jour, la majorité des provinces n’ont pas mis au point de formules de financement pour fournir les fonds et les incitatifs nécessaires pour offrir la sorte de services de garde d’enfants que nous voulons. Nous sommes loin d’avoir atteint nos objectifs en matière de garde d’enfants.
La présidente : Merci aux témoins.
Chers collègues, j’aimerais apporter une précision. J’ai dit que nous n’avions pas d’information sur les divers accords bilatéraux, mais en fait, nous en avons. Il est intéressant de constater que le libellé de chaque accord est complètement différent. Par exemple, le Manitoba et la Saskatchewan s’engagent à verser les fonds exclusivement aux fournisseurs de services de garde à but non lucratif. Différents termes sont employés, comme « principalement » et « inclusif ».
À l’heure actuelle, on ne sait pas quels renseignements contiendront les rapports préparés à la fin de la première année. J’espère examiner la question des rapports avec d’autres témoins. Je vous invite à consulter le mémoire de la Bibliothèque du Parlement. Vous y trouverez de l’information sur les accords bilatéraux. Comme chacun est unique, il faut vraiment réfléchir à l’influence du gouvernement fédéral dans ce dossier.
Merci beaucoup aux témoins. Merci pour votre temps, votre sagesse et vos connaissances. Nous avons encore beaucoup de questions, mais malheureusement, on va nous mettre à la porte dans un instant.
(La séance est levée.)