LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES SOCIALES, DES SCIENCES ET DE LA TECHNOLOGIE
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 26 octobre 2023
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd’hui, à 11 h 31 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi C-35, Loi relative à l’apprentissage et à la garde des jeunes enfants au Canada.
La sénatrice Ratna Omidvar (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Honorables sénateurs, je voudrais commencer par souhaiter la bienvenue aux membres du comité, aux témoins et aux membres du public qui suivent nos délibérations. Je m’appelle Ratna Omidvar, et je suis la présidente du comité.
Avant de commencer, j’aimerais faire un tour de table et présenter les sénateurs aux témoins et au public.
La sénatrice Osler : Bonjour. Gigi Osler, sénatrice du Manitoba.
[Français]
Le sénateur Cormier : Bonjour. Sénateur René Cormier, du Nouveau-Brunswick. Bienvenue.
[Traduction]
La sénatrice Bernard : Wanda Thomas Bernard, de la Nouvelle-Écosse.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Bonjour. Sénatrice Chantal Petitclerc, du Québec.
[Traduction]
La sénatrice Moodie : Rosemary Moodie, de l’Ontario.
La sénatrice Seidman : Bonjour, Judith Seidman, de Montréal, au Québec.
[Français]
La sénatrice Mégie : Bonjour. Marie-Françoise Mégie, de Montréal, au Québec.
[Traduction]
La présidente : Je vous remercie, chers collègues.
Notre premier groupe de témoins est en ligne. Nous vous souhaitons à tous la bienvenue. Merci de prendre le temps de nous faire part de vos points de vue. Nous accueillons Mme Hélène Gosselin, présidente du conseil d’administration de l’Association québécoise des centres de la petite enfance, Mme Sylvia Martin-Laforge, directrice générale du Quebec Community Groups Network, et Mme Élise Bonneville, directrice du Collectif petite enfance. Merci de vous joindre à nous aujourd’hui. Vous disposerez de cinq minutes pour faire votre déclaration préliminaire, après quoi les membres du comité vous poseront des questions.
[Français]
Hélène Gosselin, présidente du conseil d’administration, Association québécoise des centres de la petite enfance : Bonjour. Je m’appelle Hélène Gosselin et je suis présidente du conseil d’administration de l’Association québécoise des centres de la petite enfance (AQCPE).
À titre d’experte en petite enfance, l’AQCPE exerce un leadership dans la représentation, le rayonnement et l’accompagnement d’un réseau éducatif de CPE/BC de qualité pour les enfants de 0 à 5 ans.
Nous vous remercions de nous avoir invités à témoigner de l’expérience québécoise.
Deux ans après l’annonce du gouvernement fédéral, les enjeux sont toujours d’actualité, alors que le Québec et le reste du Canada sont aux prises avec un manque criant de places en garderie et une pénurie de main-d’œuvre. Il est, plus que jamais, important de ne pas céder à la tentation de faire trop vite au détriment de la qualité.
Pourquoi mettre autant l’accent sur la qualité des services? Parce qu’il s’agit bien plus que d’une mesure de conciliation travail-famille. Les services éducatifs à l’enfance ne sont pas une extension de la maison. Les objectifs dépassent largement la simple assurance selon laquelle les tout-petits sont occupés et en sécurité.
C’est un véritable tissu social que l’on place autour de l’enfant et de sa famille. C’est surmonter un retard de langage en amont de l’école. C’est permettre à une famille de briser le cycle de la pauvreté. Il y a autant d’exemples qu’il y a de témoignages, mais chaque histoire a une incidence sur notre société.
Cela exige des professionnels du développement de l’enfant, qui sont capables de capter les infinies nuances et d’être en mesure d’agir au bon moment. Cela exige une formation adaptée, des compétences et des aptitudes particulières. Cela demande aussi ce qu’on appelle la « qualité structurelle » : les lieux, le matériel, une gestion qui accompagne et soutient le personnel éducateur, des liens avec des organismes communautaires et le réseau de la santé et des services sociaux.
Nous sommes d’ailleurs heureux de voir les précisions qui ont été ajoutées à la suite de l’étude en comité parlementaire dans le but de spécifier l’importance d’avoir des services de haute qualité et des pratiques basées sur des données probantes. De même, nous apprécions les précisions concernant les clientèles vulnérables, qui sont celles qui bénéficient le plus de la fréquentation de milieux de qualité.
Ces amendements viennent appuyer les principes directeurs qui ont mené à la création du réseau des CPE, soit l’accessibilité, l’universalité et la qualité. Pour atteindre ces objectifs, l’expérience nous a montré qu’un seul modèle est en mesure de remplir ce mandat.
Le réseau des centres de la petite enfance s’est bâti sur les garderies populaires, à but non lucratif. C’est un modèle pour et par la communauté, géré par des conseils d’administration composés en majorité de parents-utilisateurs et détachés de la logique pécuniaire. Cette structure a une incidence directe sur le niveau de qualité. Avec l’évaluation obligatoire de la qualité, nous sommes en mesure de situer les différents modèles. Il en ressort une nette différence entre les modèles à but lucratif et le modèle des CPE. Même avec un financement identique, comme c’est actuellement le cas entre les CPE et les garderies privées subventionnées, l’écart est de 30 % en faveur des CPE.
Le réseau a toutefois été tributaire des tendances politiques et son développement s’est fait de façon chaotique. Cela a engendré la multiplication des modèles et cela a, par le fait même, atténué les retombées positives.
Ainsi, nous nous adressons à nos homologues des autres provinces : vous avez l’occasion de choisir dès aujourd’hui le modèle qui vous permettra d’atteindre vos objectifs avec efficience. Cette décision se doit d’être claire, fondée sur des bases scientifiques et imperméable aux orientations politiques.
En ce sens, nous voyons d’un bon œil la création d’un comité consultatif national et l’introduction d’un rapport annuel qui pourront étoffer les réflexions à l’égard de l’apprentissage des jeunes enfants. Être en mesure de suivre l’évolution du déploiement du réseau et de ses effets tombe sous le sens pour éviter de prendre des décisions basées sur des perceptions.
De même, la volonté de sécuriser les investissements en petite enfance est, selon nous, une reconnaissance de l’importance qu’ils revêtent pour la population. Dans le respect des compétences des provinces, nous voyons dans ce projet de loi un rempart contre les aléas économiques et politiques.
L’expérience du Québec et les nombreuses études nationales et internationales parlent d’une même voix : c’est tout à fait gagnant pour une société d’investir en petite enfance. Nous espérons que vous, sénateurs, irez en ce sens.
Je vous remercie de votre attention.
[Traduction]
La présidente : Merci beaucoup, madame Gosselin.
Sylvia Martin-Laforge, directrice générale, Quebec Community Groups Network : Bonjour, sénatrice Omidvar, sénatrice Cordy et honorables membres du comité. Il y a des visages familiers qui siègent. Je suis ravie de voir la sénatrice Seidman, qui est une grande championne du Québec anglophone à la Chambre, et le sénateur Cormier, président du Comité des langues officielles, qui a fait preuve d’un engagement personnel à en apprendre davantage sur notre communauté et dont la porte nous est toujours ouverte. Je suis également heureuse de participer aux discussions avec ces expertes du secteur québécois de l’apprentissage et de la garde des jeunes enfants, ou AGJE. Bonjour, mesdames.
C’est la première fois que notre organisation comparait devant le comité, alors permettez-moi de vous la présenter brièvement, ainsi que la communauté que nous servons.
Le Quebec Community Groups Network, ou QCGN, est un organisme sans but lucratif qui a été fondé en 1995 et qui relie les groupes et les gens anglophones de partout au Québec. La minorité anglophone du Canada, qu’on appelle collectivement la communauté anglophone du Québec, comptait 1,2 million de membres au moment du dernier recensement; c’est plus de la moitié des Canadiens qui vivent dans une communauté de langue officielle en situation minoritaire.
En tant que centre d’expertise fondée sur des données probantes et d’action collective, le QCGN cerne, étudie et règle les problèmes stratégiques qui touchent le développement et la vitalité de la communauté anglophone du Québec. Nous offrons également un soutien de base à un processus de développement communautaire qui établit des priorités communes et aide la communauté à progresser vers leur réalisation. Nous travaillons bien — dans la plupart des cas — avec tous les ordres de gouvernement et les aidons à comprendre ces priorités pour qu’ils puissent prendre des mesures positives qui répondent à nos besoins uniques.
Normalement, le QCGN travaille au niveau de la politique stratégique. Cependant, le Québec anglophone n’a pas d’organisme communautaire de défense des droits spécialisé dans le secteur de l’apprentissage et de la garde des jeunes enfants, et c’est pourquoi nous avons accepté avec plaisir votre invitation à comparaître aujourd’hui. Nous soulignons le précieux soutien à la recherche fourni par le Réseau communautaire de santé et de services sociaux — le RCSSS — dans la préparation de ce mémoire, et nous précisons que ces gens travaillent également avec Mmes Gosselin et Bonneville.
Permettez-moi de vous assurer que de nombreux organismes de notre réseau, comme la Fédération québécoise des associations foyers-écoles et l’English Parents’ Committee Association, souhaitent particulièrement voir des progrès dans ce dossier.
Le mémoire que nous avons présenté à l’appui de votre étude donne un aperçu des défis que doivent relever les Québécois anglophones pour avoir accès à des services d’apprentissage et de garde des jeunes enfants en anglais au Québec. Il fournit également la preuve que les effets de ces défis sont surtout ressentis par les femmes vivant sous le seuil de la pauvreté.
Le mémoire aborde en détail les nouveaux engagements du gouvernement du Canada au titre de la Loi sur les langues officielles qui a récemment été modifiée, lesquels, en raison de sa nature quasi constitutionnelle, influeront sur la mise en œuvre du projet de loi C-35. Ce projet de loi fait expressément référence à cette obligation à l’article 7.
Sous le régime de la Loi sur les langues officielles, le gouvernement du Canada a de nouvelles obligations en matière de consultation et de prise des mesures positives plus clairement définies pour favoriser l’épanouissement du Québec anglophone. Ces nouvelles obligations s’appliquent aux accords intergouvernementaux portant sur le pouvoir fédéral de dépenser. Les obligations fédérales sont liées à l’argent des contribuables fédéraux.
Le Québec est un fier chef de file national et international en matière d’apprentissage et de garde des jeunes enfants. Il a démontré les avantages sociétaux de la prestation de services abordables.
Cependant, ce ne sont pas tous les segments de la société québécoise qui bénéficient également de ces programmes. Les Québécois anglophones, en particulier ceux qui peuvent le moins se le permettre, ont encore de la difficulté à accéder à des programmes et à des services d’apprentissage et de garde des jeunes enfants inclusifs et de grande qualité, peu importe où ils vivent. Le gouvernement du Canada a la responsabilité d’aider le Québec à combler ces lacunes, surtout en ce qui concerne les communautés d’intérêts identifiées dans les principes directeurs du projet de loi C-35, notamment la communauté anglophone du Québec.
Il faut des ressources importantes pour que les communautés d’intérêts puissent participer à des mécanismes de consultation comme le Conseil consultatif national sur l’apprentissage et la garde des jeunes enfants. Le partenaire fédéral devrait offrir une compensation afin de s’assurer que les collectivités, non seulement au Québec, mais aussi dans d’autres provinces, ont la capacité politique nécessaire pour participer à des discussions fondées sur des données probantes. De plus, la gouvernance des mécanismes de consultation doit partager le pouvoir, et non renforcer davantage l’immense pouvoir de l’exécutif.
Je vous remercie, et je serai heureuse de répondre à vos questions.
La présidente : Merci beaucoup. Madame Bonneville, vous avez la parole.
[Français]
Elise Bonneville, directrice, Collectif petite enfance : Merci. Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je tiens d’abord à vous remercier de m’accueillir aujourd’hui à titre de représentante du Collectif petite enfance.
Le Collectif petite enfance regroupe 23 membres nationaux sur le territoire du Québec qui rallient des milliers de personnes qui œuvrent pour la petite enfance et leurs familles. Ensemble, nous avons un objectif commun, soit de faire de la petite enfance une priorité sociétale.
Le collectif se positionne comme le porte-voix des tout-petits du Québec et vise la mise en place des conditions de succès assurant leur plein développement, leur bien-être et leur avenir, du début de la grossesse jusqu’à l’âge de 5 ans.
Les membres du collectif viennent de différents réseaux au Québec et ont différentes expertises. Les milieux communautaires, associatifs, périnataux, de la recherche, municipaux, les communautés des Premières Nations, ainsi que celles issues de l’immigration sont des membres du Collectif petite enfance.
Nous sommes flattés de l’invitation que vous nous avez faite et nous espérons humblement que la mise en commun des expertises diverses et variées des membres du collectif pourront ajouter une pierre aux réflexions supplémentaires quant au projet de loi qui fait l’objet des travaux d’aujourd’hui, soit le projet de loi C-35, Loi relative à l’apprentissage et à la garde des jeunes enfants au Canada.
Avant de commencer la réflexion, je tiens à préciser que le Collectif petite enfance ne peut être considéré comme un expert en matière de déploiement du réseau des services de garde éducatifs à l’enfance du Québec. On peut penser que certaines des questions pourront être adressées directement à des membres plus spécialisés. D’ailleurs, certains membres du collectif ont participé aux consultations et ont été entendus par la Chambre. On en voit aujourd’hui un bon exemple. C’était important pour moi de le mentionner.
Quant à nos observations sur le texte de loi proposé, je dois vous dire d’emblée que nous avons été heureux d’y retrouver plusieurs termes qui sont très importants lorsqu’il est question de services offerts aux enfants et, par extension, à leurs parents. Si vous me le permettez, j’aimerais faire quelques commentaires au sujet de certains de ces termes que nous avons soulignés et qui sont fondamentaux pour nous.
Il y a d’abord le terme « haute qualité ». Il est très intéressant que le législateur décide d’insister sur cette notion. On l’a souligné d’emblée dans les autres allocutions qui ont été prononcées avant la nôtre. En effet, la qualité des services à l’enfance est primordiale si l’on souhaite que cet investissement — parce qu’il s’agit réellement d’investir dans la société de demain — soit efficace, pertinent, voire rentable.
Je ne vous apprendrai rien en vous disant que beaucoup de choses se jouent dans la période entre 0 et 5 ans. Cette période exceptionnellement propice au développement du plein potentiel des enfants commence à ce moment précis et c’est donc aussi là qu’il nous faut agir, sur le front sociétal, pour favoriser la mobilité sociale et contrer les inégalités. À titre de stratégie de prévention, tous domaines confondus, rien ne peut égaler ces investissements.
Évidemment, l’atteinte de cette haute qualité qui est ciblée exige des moyens conséquents qui viseront notamment la formation d’environnements sains et favorables au bien-être des tout-petits; l’établissement d’un niveau de conditions d’exercices et de formations des intervenants et des éducatrices hautement compétitif; le financement de la recherche appliquée à ces milieux; le déploiement d’initiatives de partage des connaissances entre les différents gouvernements et prestataires; la mise sur pied d’indicateurs de suivi des programmes et activités liés à la petite enfance par les gouvernements concernés.
Ensuite, il y a les termes « accessible » ou « accès équitable ». Ces termes sont intrinsèquement liés à d’autres termes importants que l’on retrouve aussi dans le projet de loi. Je pense aux termes « collectivités rurales et éloignées » ou « familles à faible revenu ». La corrélation est importante. Il faut nécessairement réfléchir à l’accès aux services en gardant en tête les groupes les plus défavorisés du point de vue matériel, mais aussi social.
D’abord, étant donné les faibles revenus disponibles, même un coût minime pour avoir accès à un service devient potentiellement un frein. Il faut ainsi toujours viser l’élargissement de la gratuité des services.
De plus, on sait que les localités où les indices de défavorisation sont les plus élevés sont aussi, proportionnellement et tristement, celles où l’on retrouve le moins de services de grande qualité. Il faut donc porter une attention particulière aux modèles de déploiement des services dans les quartiers et les régions les plus défavorisés. Les modèles de l’économie sociale semblent apporter de belles solutions à ce problème.
D’ailleurs, les modèles d’économie sociale garantissent que chaque dollar investi par les gouvernements est dirigé uniquement vers l’augmentation de l’accès et de la qualité des services. Nous avons bien saisi que cette notion se trouve aussi au sein des principes directeurs proposés par le législateur.
L’accessibilité est aussi liée à d’autres termes qui apparaissent à différents endroits du projet de loi, soit l’« inclusion » et les « groupes systématiquement marginalisés ». Les conditions d’inclusion doivent précéder les demandes individuelles, sans quoi plusieurs familles ne verront tout simplement pas la possibilité que leur enfant soit inclus.
Chaque enfant, qu’il ait des besoins de soutien particuliers ou non, doit pouvoir compter sur un ensemble d’intervenants, tant étatiques que communautaires. La notion d’inclusion implique nécessairement des réflexions sur les meilleures façons d’améliorer ou de rendre possible le travail concerté de cette diversité d’acteurs.
[Traduction]
La présidente : Je vous remercie, madame Bonneville. Je suis certaine que vous pourrez aborder le reste de votre déclaration en répondant aux questions qui vous seront posées.
Chers collègues, nous allons passer aux questions des sénateurs. Comme d’habitude, vous disposerez de quatre minutes pour votre question et votre réponse. Nous allons commencer par la sénatrice Cordy, vice-présidente du comité.
La sénatrice Cordy : Ma première question s’adresse à Mme Gosselin. Merci beaucoup à vous trois. La discussion a été très intéressante.
Madame Gosselin, vous avez dit que c’était une bonne idée d’établir un comité consultatif national. Pouvez-vous nous dire quels seraient les avantages pour votre organisation et pour l’ensemble des services de garde du Québec?
[Français]
Mme Gosselin : Pour ce qui est du conseil consultatif national, nous voyons sa création d’un bon œil. Les connaissances sur le plan de la qualité des services de garde et de son effet sur les jeunes enfants et les connaissances sur le développement des jeunes enfants se sont énormément développées au cours des 30 ou 40 dernières années. Beaucoup de découvertes ont été faites.
Avoir un conseil national qui se tiendra au courant de tous ces développements et qui veillera à ce que l’organisation et la dispensation des services partout au pays se fassent de façon équitable... Il est aussi très important d’aviser les clientèles, comme le disait Mme Bonneville, qui en ont le plus besoin, c’est-à-dire les clientèles de jeunes enfants qui vivent dans des milieux socioéconomiques plus difficiles et plus défavorables pour eux... Les études ont bien montré que ce sont ces enfants qui bénéficient le plus de services de garde de haute qualité.
Le conseil national pourrait être, si l’on veut, un chien de garde de tout ce qui se fait sur le plan des services de garde et du développement des services de garde au Canada et il pourrait s’assurer que le Canada soit à la fine pointe de la recherche scientifique sur le développement des jeunes enfants.
[Traduction]
La sénatrice Cordy : Merci beaucoup de cette réponse.
Ma deuxième question s’adresse à Mme Martin-Laforge. Vous avez dit que les Anglo-Québécois avaient de la difficulté à accéder à des places en garderie, et vous avez fait du bon travail à cet égard.
Vous avez abordé brièvement les défis que doivent relever les néo-Canadiens qui ne parlent peut-être ni le français ni l’anglais. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet?
Mme Martin-Laforge : Étant donné que l’on ne fait pas autant de recherche que nous le voudrions pour les Québécois anglophones, certaines des réponses que nous vous donnerions à ce sujet devraient faire l’objet de recherches plus poussées. Nous devrions probablement compter sur des experts et des gens du secteur, comme Mmes Gosselin et Bonneville, pour qu’ils nous aident à comprendre exactement la situation, certainement celle des nouveaux immigrants.
Dans notre mémoire, nous vous avons parlé de l’incidence des statistiques pour les Québécois anglophones. À ma connaissance, on ne travaille pas autant sur les répercussions pour les immigrants québécois.
Je terminerai en disant que l’équité d’accès et l’inclusion sont extrêmement importantes. Tout travail que nous pourrions faire devrait inclure toutes les personnes du Québec qui se considèrent comme des Québécois anglophones.
La sénatrice Cordy : Merci beaucoup.
La sénatrice Osler : Je remercie les témoins de comparaître aujourd’hui. Ma demande s’adresse à Mme Gosselin.
Lors de votre comparution devant le Comité permanent des ressources humaines, du développement des compétences, du développement social et de la condition des personnes handicapées de la Chambre des communes, le 21 mars 2023, vous avez dit :
Pourquoi offrir des services de haute qualité? Ces services permettent la détection précoce des défis en matière de développement et d’intervenir avant que ces défis ne deviennent un réel problème. Les services à but non lucratif sont soutenus par les intervenants en santé, en services sociaux et en protection de la jeunesse, ce qui nous permet d’offrir une réelle égalité des chances aux enfants pour que ceux-ci puissent, par la suite, réussir leur parcours scolaire. La qualité est donc un élément primordial pour le développement des enfants.
La recherche du Québec porte-t-elle sur les résultats en matière de développement en ce qui concerne un système à but non lucratif, accessible et inclusif? Pourriez-vous également nous en dire davantage sur le modèle sans but lucratif du point de vue des résultats en ce qui a trait au développement des enfants?
[Français]
Mme Gosselin : Merci de votre question.
Premièrement, dans les centres de la petite enfance, il y a des collaborations étroites avec le secteur de la santé et des services sociaux. Dès qu’il y a des défis qui sont dépistés chez des enfants, on peut avoir la collaboration de travailleurs professionnels de la santé pour aider justement à offrir un bon soutien et un suivi pour que l’enfant arrive à l’école avec le moins de retard de développement possible pour favoriser sa réussite scolaire. Ce sont des partenariats que nous opérons au quotidien avec les enfants que nous accueillons. Ce sont des ententes de partenariat qui se font de manière encadrée et très efficiente.
Il y a un volet de votre question qui portait sur les services de garde à but non lucratif et sur leur qualité. Au Québec, il y a un système d’évaluation de la qualité des services de garde qui est en place depuis quelques années. Ces évaluations de la qualité sur le terrain et de la qualité des soins offerts par les éducateurs et éducatrices de la petite enfance ont montré que les services de garde à but non lucratif, donc ceux qui sont offerts dans les CPE, sont de plus grande qualité que ceux qui sont offerts dans les services de garde à but lucratif.
C’est un écart de pourcentage de 30 % de plus de qualité dans les services de garde à but non lucratif. Ce qui peut peut-être expliquer ces facteurs, c’est notamment la gouvernance dans les CPE. Dans les centres à but non lucratif, ce sont les parents-usagers qui siègent au conseil d’administration. Ce sont eux qui décident des orientations pour offrir des services de qualité aux enfants, à leurs enfants. Évidemment, il n’y a aucune économie qui se fait par rapport à la qualité des services et à la formation du personnel — le personnel qualifié étant rémunéré de façon plus importante — ou sur la qualité de l’alimentation. Les rapports d’évaluation de la qualité qui sont produits au Québec montrent très clairement qu’il y a une plus grande qualité dans les services à but non lucratif, probablement parce qu’on ne cherche pas à faire des profits. Tout l’argent qui est investi dans le service va à la qualité des services aux enfants.
La sénatrice Osler : Merci.
[Traduction]
La sénatrice Seidman : Je remercie nos témoins d’être des nôtres aujourd’hui et de nous permettre d’étudier les perspectives des communautés de langue officielle en situation minoritaire. Me connaissant, c’est exactement là-dessus que porteront mes questions.
Madame Martin-Laforge, je vais commencer par vous.
Le paragraphe 7(3) du projet de loi énonce ce qui suit :
[...] les investissements fédéraux concernant les programmes et services d’apprentissage et de garde des jeunes enfants faisant l’objet d’un accord conclu avec une province sont guidés par les engagements énoncés dans la Loi sur les langues officielles.
Comment faudrait-il établir un système de surveillance et d’évaluation pour que l’on puisse évaluer la conformité des fournisseurs de services de garde avec la Loi sur les langues officielles? Quelles sont les complications qu’ajouterait la nécessité d’accords intergouvernementaux en éducation? Merci.
Mme Martin-Laforge : Sénatrice Seidman, c’est une question très importante et très complexe.
Le Canada a une obligation envers la minorité de langue officielle au Québec. Il est certain que la vulnérabilité des enfants anglophones préoccupe notre communauté. C’est une pierre angulaire pour elle.
Nous croyons que la création de ce comité national contribuera au renforcement de la responsabilité du gouvernement du Canada à l’égard de la communauté anglophone en lui permettant de comprendre la recherche, en veillant à ce que la communauté anglophone ait les moyens de mener des recherches appropriées sur cette question très importante... et pour en assurer l’accès.
Dans notre mémoire, nous parlons d’une enquête sur le développement de l’enfant à la maternelle, et vous verrez des statistiques assez alarmantes sur la situation de nos enfants qui ne réussissent pas aussi bien que les jeunes francophones de la province.
Grâce à ce comité national et au projet de loi C-35, la compréhension et la mise en œuvre des mesures de la partie VII de la Loi sur les langues officielles modernisée permettront de voir d’un angle approprié l’accès, l’inclusion, les bons programmes et la bonne formation... toutes les choses très importantes dont d’autres membres du comité ont parlé aujourd’hui qui visent à assurer la qualité des services de garde et d’apprentissage pour les jeunes enfants. Je crois que nous serions sur la bonne voie si, dans son rapport, le comité sénatorial insistait sur la nécessité de mieux comprendre la communauté anglophone du Québec et de ce que cette loi peut faire pour nous.
La sénatrice Seidman : Y a-t-il quelque chose de particulier dans le fait qu’il s’agit d’accords intergouvernementaux qui créeront des problèmes supplémentaires, notamment pour les communautés minoritaires, qu’il s’agisse des communautés anglophones du Québec ou des communautés francophones des autres provinces?
Mme Martin-Laforge : Les paiements de transfert suscitent toujours des préoccupations pour la communauté anglophone parce que le gouvernement provincial doit rendre des comptes et faire preuve de transparence pour veiller à ce que les fonds qui entrent soient pris en compte aux fins d’utilisation par la communauté anglophone ainsi que de protection et de promotion de cette communauté. Tout paiement de transfert — que le montant soit gros ou petit — devrait faire l’objet d’un examen, et il faudrait voir si, en fait, le gouvernement provincial a un plan d’action conçu expressément pour appuyer les priorités de notre communauté, qu’il s’agisse des aînés ou de la petite enfance.
La présidente : Merci beaucoup.
Mme Martin-Laforge : Merci.
La sénatrice Moodie : Je remercie les témoins de leur présence aujourd’hui. J’aimerais adopter une approche que j’ai déjà adoptée, c’est-à-dire mettre l’accent sur les avantages et les leçons tirés de l’élaboration d’un programme national entre les administrations, où une administration peut apprendre d’une autre. Plus précisément, compte tenu de votre expérience au Québec, je voudrais savoir ce que vous pourriez nous dire au sujet de la création d’une main-d’œuvre de la petite enfance durable. Quelles sont certaines des leçons tirées au Québec quant à la façon de procéder? Quelles ont été les occasions manquées, et qu’avez-vous mis en place qui pourrait être reproduit dans les autres administrations?
[Français]
Mme Gosselin : Merci.
Je ne suis pas certaine d’avoir bien compris la question. Je crois qu’il est question de la formation des éducatrices, des occasions ratées ou... Je ne suis pas sûre d’avoir bien compris la question.
[Traduction]
La sénatrice Moodie : Je suis certaine que, compte tenu de votre expérience, vous pouvez nommer les aspects sur lesquels vous avez dû vous concentrer et où il y avait des lacunes. Peut-être qu’au Québec, vous avez mis au point des pratiques exemplaires dont vous pourriez nous faire part relativement à la façon dont vous abordez certains des problèmes auxquels vous avez fait face, plus particulièrement en ce qui a trait aux travailleurs et à la création d’une main-d’œuvre de qualité qui est bien formée, qui touche un salaire approprié et qui a de bonnes conditions de travail.
[Français]
Mme Gosselin : Merci.
Pour ce qui est de l’expérience du Québec, pour œuvrer dans les centres de la petite enfance, ce qui est reconnu surtout, c’est le diplôme d’études collégiales, avec une technique en éducation à l’enfance. Ces personnes qui sont des techniciennes et qui interviennent et travaillent dans nos milieux sont donc hautement qualifiées pour travailler auprès des jeunes enfants et dépister certains besoins plus spécifiques sur le plan du développement des enfants.
Avec la pénurie de main-d’œuvre actuelle et avec le manque de reconnaissance du travail essentiel que font les éducatrices en petite enfance, il y a très peu de personnes qui se dirigent vers l’éducation à l’enfance au collégial.
Au Québec, le fait d’avoir développé cette technique qui forme des spécialistes dans le développement de la petite enfance est extraordinaire. Par contre, le manque de reconnaissance salariale et professionnelle de ces travailleuses fait qu’il y a très peu de personnes qui font ce genre d’études au collégial. C’est une lacune.
Il y a eu un rattrapage qui a été fait par le gouvernement du Québec aux dernières négociations pour rehausser le salaire du personnel éducateur. Cela arrive tardivement dans notre développement. La politique familiale a plus de 25 ans. Il y a vraiment un retard à rattraper, tant pour ce qui est de la reconnaissance que dans le fait d’inciter des gens à étudier dans ce domaine extraordinaire pour pallier une pénurie de main-d’œuvre majeure dans notre secteur. C’est un secteur formé surtout de femmes. C’est 97 ou 98 % de femmes qui sont techniciennes en éducation à l’enfance. Lorsqu’on dit « femmes », on parle aussi de manque d’équité salariale.
Les occasions ratées, c’est notamment de ne pas avoir eu plus rapidement une meilleure reconnaissance pour éviter un désengagement des étudiants vers ce secteur d’études. J’espère que je réponds bien à votre question.
[Traduction]
La présidente : Merci, madame Gosselin.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Je vais continuer un peu dans le même sens, mais peut-être cette fois avec une réponse de la part de Mme Bonneville.
J’ai l’impression que le Québec, pour certains aspects, a été un peu victime de son succès, dans le sens où les centres de la petite enfance ont offert ces services avec du personnel hautement qualifié.
Si le même phénomène se produit dans d’autres provinces et qu’on se retrouve avec une demande qui dépasse la capacité à fournir ce personnel hautement qualifié — car c’est ce que l’on veut et que vous avez toutes bien démontré qu’il est très important que le personnel soit hautement qualifié —, quels seraient les conseils du Québec sur les façons de s’assurer qu’on peut répondre à cette demande, pour qu’il n’y ait pas de compromis à faire pour les autres provinces? A-t-on ce genre de conseil? A-t-on des leçons du Québec que l’on pourrait partager?
Mme Bonneville : Merci pour la question.
Comme je le disais d’entrée de jeu, cela aurait été une question pour laquelle j’aurais pu donner un petit coup de pouce à ma collègue de l’AQCPE pour bien compléter sa réponse. Je pense que Mme Gosselin l’a bien commencée, cette réponse, et je lui repasserai la balle pour qu’elle complète la mienne. Avoir une offre salariale de haute qualité est une piste à ne pas négliger, puisqu’elle a terminé sa réponse avec cet élément fort et fondamental pour l’attraction et la rétention du personnel. C’est une pierre angulaire dans la réflexion qu’il ne faut pas abandonner trop rapidement pour la suite des choses. Ce serait vraiment ma première piste de réflexion.
Sinon, par rapport à d’autres pistes, peut-être que Mme Gosselin en connaît d’autres, parce qu’effectivement, je prendrais bien son expertise pour bien compléter ma réponse.
Mme Gosselin : La qualité des services, le principal vecteur des services de haute qualité, passe par la qualité du personnel et par la formation. Il faut des éducatrices qualifiées pour offrir des services de haute qualité.
Évidemment, au Québec, nous avons été des précurseurs dans le financement des services de garde par le gouvernement. Ce qui est important pour les autres provinces dans la mise en œuvre de ces services à tarif fixe pour favoriser plus d’accessibilité, c’est de ne pas négliger la rémunération du personnel à la hauteur de ses qualifications. Ce sont des techniciennes, et ces personnes ont fait trois ans d’études pour travailler auprès de jeunes enfants. Il faut que le salaire soit corollaire à cette formation, sinon on n’y arrivera pas.
Tant qu’il n’y aura pas une meilleure reconnaissance salariale du travail effectué par ces intervenantes, il n’y aura pas plus d’attraction, c’est-à-dire que les gens ne seront pas intéressés à étudier dans ce domaine.
La sénatrice Mégie : Ma question s’adresse à nos trois invitées, que je remercie d’être là ce matin.
Pensez-vous que le financement public devrait être exclusivement affecté aux services de garde publics? Pensez-vous que cela devrait être clairement établi dans le projet de loi? J’aimerais avoir l’opinion de chacune de vous.
Mme Gosselin : Je vais commencer, si cela vous convient.
Pour l’Association québécoise des centres de la petite enfance, il nous semble clair, étant donné les résultats des recherches et des évaluations de la qualité, que l’argent investi par l’État dans les services de garde offre un meilleur rendement dans les services à but non lucratif que dans les services privés. La réponse à cet effet est très claire.
Il ne devrait pas y avoir de notion de profits lorsqu’on s’occupe de l’éducation de jeunes enfants; il ne devrait pas y avoir de notion de profits associée aux services de garde de jeunes enfants.
Mme Martin-Laforge : Nous appuyons évidemment cette recommandation; en fait, on sait que le gouvernement a une obligation envers ces jeunes enfants et que la qualité et les mesures de rendement sont importantes, et c’est seulement avec cette idée, comme l’a dit Mme Gosselin, qu’on peut avancer avec assurance.
[Traduction]
Ces enfants seront ce que nous aurons besoin qu’ils soient dans l’avenir. Je pense que c’est assez évident. Madame Gosselin, je vous remercie de votre recommandation.
[Français]
La sénatrice Mégie : Merci. Madame Bonneville, voulez-vous compléter la réponse ou êtes-vous du même avis?
Mme Bonneville : Je suis du même avis; les recherches vont dans ce sens et les fonds publics investis doivent vraiment être réinvestis dans la qualité des services et l’accès.
La sénatrice Mégie : Merci.
[Traduction]
Le sénateur Cormier : Madame Martin-Laforge, je tiens d’abord à vous remercier encore une fois pour tout le travail que vous faites. Je tiens à souligner au sein du comité la mesure dans laquelle votre organisation est essentielle à l’épanouissement des communautés anglophones du Québec. Elle a de l’importance.
Dans ma question, je vais me reporter directement au projet de loi. Je vais citer l’article 8, l’engagement financier. Comme vous l’avez dit, le pouvoir fédéral de dépenser comporte des obligations fédérales, notamment la Loi sur les langues officielles.
À votre avis, cet article du projet de loi C-35, qui prévoit l’engagement du gouvernement fédéral à « ... maintenir le financement à long terme des programmes et services d’apprentissage et de garde des jeunes enfants... », est-il suffisamment explicite pour les communautés de langue officielle en situation minoritaire? Comme vous pouvez le constater, il ne contient aucune mention des minorités linguistiques, qui parle d’engagement financier. Qu’en pensez-vous?
Mme Martin-Laforge : L’un des problèmes de la communauté anglophone tient au fait d’avoir cette reconnaissance, et ce n’est pas seulement la minorité de langue officielle du Québec. Il faut reconnaître dans toute la législation que les communautés de langue officielle en situation minoritaire sont importantes dans la prestation des services ou dans toute loi.
Pour ce qui est de la communauté anglophone du Québec, il est encore plus important qu’elle soit reconnue comme une minorité linguistique, et il importe d’accroître la vitalité des minorités francophones et anglophones.
S’il y a une marge de manœuvre dans la loi, les gens pourraient en profiter, alors il ne faut pas que le projet de loi C-35 ou toute autre loi laisse aux provinces une marge de manœuvre leur permettant de ne pas tenir compte de la contribution et du besoin des langues minoritaires.
Ai-je répondu à votre question, monsieur le sénateur?
Le sénateur Cormier : Oui, et est-ce que je comprends par vos propos qu’il y a un manque de cohérence ou de parallélisme entre le paragraphe 7(3), qui parle des obligations en matière de langues officielles, et l’article 8, qui n’en contient aucune mention?
Mme Martin-Laforge : Il y a une marge de manœuvre.
Le sénateur Cormier : Merci beaucoup.
Mme Martin-Laforge : Et je pense que votre question est très importante, et il est encore plus important d’y trouver une solution.
Le sénateur Cormier : Merci.
Je voulais simplement dire quelque chose à ce sujet, et il pourrait s’agir d’information et d’une question en même temps. Certains disent que les tribunaux pourraient considérer que le législateur excluait implicitement les minorités linguistiques dans son engagement à maintenir le financement à long terme, et ce, malgré le fait qu’il en soit fait mention au paragraphe 7(3). Voilà ce qui me préoccupe à cet égard, et je ne sais pas si mon inquiétude correspond à la vôtre, mais c’est ce que je vous demande.
Il s’agissait d’un commentaire et d’une question. C’est un oui ou un non. Qu’en pensez-vous?
Mme Martin-Laforge : Oui, je suis tout à fait d’accord avec vous.
Le sénateur Cormier : Merci. C’est clair. Merci infiniment.
Mme Martin-Laforge : Mon silence signifie que je suis d’accord.
La présidente : Merci. Permettez-moi de revenir rapidement sur la question du sénateur Cormier. Vous avez parlé de l’ambiguïté du projet de loi C-35 relativement au fait d’enchâsser les droits linguistiques des minorités dans l’article de l’accord portant sur le financement. Vous avez appelé cela une « marge de manœuvre ».
La marge de manœuvre est une idée intéressante et un terme intéressant. Elle peut être bonne ou mauvaise. À votre avis, et j’aimerais vous entendre… je crois vous l’avoir déjà entendu dire… de façon plus définitive, le comité sénatorial devrait-il s’assurer qu’il y a une certitude et une précision quant au financement des services de garde dans les communautés de langue officielle en situation minoritaire?
Mme Martin-Laforge : Oui, et je crois que mes collègues qui viendront après nous dans le prochain groupe de témoins diraient la même chose.
Je suis désolée si j’ai employé un mot un peu étrange, mais les législateurs doivent expliquer très clairement l’intention, certainement en ce qui a trait au financement.
La présidente : Merci.
La sénatrice Dasko : Je remercie les témoins de leur présence aujourd’hui.
Bien sûr, le Québec a lancé son système de services de garde en 1997, puis, en 2021, le gouvernement fédéral arrive avec une pile d’argent pour négocier avec les provinces afin de créer dans les autres provinces un système de financement des services de garde, mais le Québec, bien sûr, en avait un.
Et le gouvernement fédéral, bien sûr, avait assorti l’argent de conditions… ce n’était pas que de l’argent, mais aussi des conditions.
Tout d’abord, j’essaie d’avoir une vue d’ensemble. Pouvez-vous décrire l’effet qu’a eu l’argent fédéral au Québec? Y a-t-il eu des changements? A-t-il permis d’apporter des améliorations au système de services de garde de la province? Ou bien y a-t-il eu d’autres répercussions au Québec que l’argent fédéral et le gouvernement fédéral… vous savez, il est question des négociations que le gouvernement fédéral a engagées avec la province. Je veux simplement avoir une idée de l’effet qu’a eu cet argent fédéral pour ce qui est d’apporter des changements ou des améliorations ou d’avoir d’autres répercussions sur le Québec.
Ensuite, plus précisément, nous parlions tout à l’heure de la question du sénateur Cormier au sujet du projet de loi, mais, bien entendu, les négociations ont déjà eu lieu. Je voudrais demander à Mme Martin-Laforge, en guise de sous-question à ma question principale, si elles ont eu une incidence sur les services de langue anglaise également.
Je vais donc poser cette question à quiconque voudrait brosser ce tableau d’ensemble et décrire l’effet qu’a eu l’argent fédéral. Merci.
Mme Martin-Laforge : Je ne pourrai répondre qu’à la deuxième partie de votre question. Il est certain que je me fierais aux gens qui ont de l’expertise et qui travaillent quotidiennement avec le système.
[Français]
Madame Gosselin ou madame Bonneville, je ne suis vraiment pas à l’aise de répondre à la première partie de cette question.
Mme Gosselin : Je peux essayer de répondre, même si la question n’est pas facile. Il y a eu des ententes. Le premier ministre du Québec, monsieur Legault, lors de la signature de l’entente pour les services de garde et du transfert de fonds du gouvernement fédéral au gouvernement provincial, a dit qu’il était très heureux et qu’il se servirait de cet argent pour améliorer l’offre de service. Ce à quoi on a pu assister au Québec, qui est lié à l’injection de sommes supplémentaires du gouvernement fédéral, c’est une poussée sur le développement des services de garde. Comme vous le savez, nos services sont très recherchés, il n’y a pas assez de places pour tous les parents qui veulent des services et il y a une énorme liste d’attente. On a annoncé qu’il y avait des places supplémentaires en développement. Les appels d’offres se font actuellement pour développer de nouveaux services de garde. Cela devrait se réaliser au cours des deux ou trois prochaines années.
Il y a eu une amélioration de la rémunération du personnel lors des dernières négociations qui ont pris fin l’an dernier. Je ne voudrais pas prendre la place du gouvernement provincial et affirmer que c’est cet argent qui a permis d’augmenter les salaires du personnel. On peut croire que oui, mais je ne suis pas dans les officines gouvernementales québécoises. Je ne peux pas répondre parfaitement à cette question.
[Traduction]
La sénatrice Bernard : La question que voici pourrait s’adresser à n’importe lequel des témoins. Merci à tous d’être des nôtres aujourd’hui. J’aimerais aborder la question de l’accessibilité sous un angle différent. En 2020, le vérificateur général du Québec a noté que les enfants issus de milieux défavorisés étaient sous-représentés dans les centres de la petite enfance, ou CPE, et a recommandé au ministère de la Famille du Québec de :
… veiller à ce que les enfants qui vivent dans des conditions socioéconomiques précaires ou ceux qui ont des besoins spéciaux aient accès à des services de garde abordables qui répondent à leurs besoins.
Je voudrais savoir si vous pouvez nous dire quelles initiatives ont été prises au Québec pour relever ces défis et si vous croyez que le projet de loi C-35, dans son état actuel, réglerait les problèmes qui ont été soulevés dans la province. Merci.
[Français]
Mme Gosselin : Premièrement, c’est dans les CPE au Québec, malgré ce que l’on pourrait croire, que l’on accueille le plus d’enfants qui sont vulnérables, malgré tout. Par contre, on n’arrive pas à accueillir autant d’enfants vulnérables qu’on le voudrait en raison du manque de places. Dans le réseau des services de garde, le gouvernement estime de 35 000 à 50 000 les places manquantes.
Actuellement, l’accès aux places se fait au moyen d’une liste d’attente centralisée qui est assez complexe. Les parents n’ont pas nécessairement toute l’information requise pour inscrire leurs enfants. Les parents dont les enfants n’auraient plus besoin du service devraient laisser des places pour que les parents issus d’une clientèle vulnérable puissent inscrire leurs enfants sur cette liste et avoir un accès réel et rapide aux places. La liste d’attente centralisée au Québec sera bientôt modifiée et le projet de règlement a été déposé; cela se fera l’an prochain, à partir de 2024. On peut espérer que, grâce à la refonte du guichet d’accès, la clientèle vulnérable aura un meilleur accès aux places en service de garde. C’est ce qui est souhaitable.
[Traduction]
La sénatrice Bernard : Merci. Est-ce que d’autres témoins voudraient répondre à cette question?
Mme Martin-Laforge : J’aimerais dire que les Québécois anglophones se soucient de tous les enfants du Québec, qu’ils parlent l’anglais, le français ou une autre langue. Alors, il est important d’améliorer l’accès et d’accroître le financement.
Je voudrais revenir à une question qui a été posée plus tôt au sujet de la communauté anglophone. Nous l’avons déjà; nous sommes au milieu d’un accord. Il y en a un qui est actuellement signé pour la communauté anglophone, et nous vous demandons d’en tenir compte. Dans le cas du projet de loi C-35, nous misons sur le long terme… une disposition linguistique. Alors, pour revenir un peu aux réflexions du sénateur Cormier, les enfants anglophones doivent être pris en compte dans ce que vous donnez au Québec, afin que ce transfert soit envisagé dans un plan de travail, un plan pour les enfants anglophones dans le système.
Mais, comme je l’ai dit, il ne s’agit pas de nier ce qui nous inquiète en ce qui concerne les communautés vulnérables dans l’ensemble du système. Je pense que le projet de loi C-35 pourrait faire beaucoup pour assurer cette prise en compte.
La présidente : Merci. Je veux accorder une minute à la sénatrice Dasko parce qu’elle a été interrompue.
La sénatrice Seidman : Je voulais simplement faire un suivi. Je ne veux pas prendre de temps, et je comprends cela, mais je pense que nous sommes à deux doigts de quelque chose d’important qui repose sur le paragraphe 7(3), un suivi de l’article 8 et maintenant ce point. Alors, la question est de savoir si le projet de loi devrait être amendé de manière à mettre en œuvre le genre de disposition linguistique que vous demandez. Le paragraphe 7(3) et l’article 8 ne sont pas cohérents, et c’est là le problème, alors y a-t-il un amendement qui devrait être apporté?
La présidente : Sénatrice Seidman, je crois que nos prochains témoins pourront peut-être répondre à cette question, si vous êtes d’accord. Sinon, peut-être pourriez-vous demander aux témoins de soumettre leur réponse par écrit, s’il vous plaît.
La sénatrice Seidman : Bien sûr, cela me conviendrait.
La présidente : C’est une question importante.
La sénatrice Dasko : Je voudrais simplement demander à Mme Martin-Laforge si l’argent a eu une incidence sur les négociations qui ont eu lieu et s’il y a entraîné des effets, des répercussions ou des améliorations pour le programme de langue anglaise au Québec.
Mme Martin-Laforge : À ma connaissance, nous avons encore de la difficulté à avoir un programme vraiment bon pour les enfants anglophones, et c’est probablement systémique. Je ne pense pas que quiconque le fasse exprès, mais il doit y avoir plus de structure et une compréhension plus systématique de ce dont nous avons besoin, des endroits où nous en avons besoin, de combien nous en avons besoin et du financement qui y sera consacré.
Je vous remercie d’avoir posé cette question. Je pense qu’il faudra effectuer plus de recherche et mettre en œuvre de façon plus systémique ce dont notre communauté a besoin.
La sénatrice Dasko : Je suppose que vous dites que vous n’avez observé aucun changement en conséquence des fonds fédéraux. Est-ce bien ce que vous affirmez?
Mme Martin-Laforge : Non, nous n’avons rien vu.
La sénatrice Dasko : Merci.
La présidente : Chers collègues, voilà qui nous amène à la fin de notre premier groupe de témoins. J’aimerais les remercier de leur temps et de leurs témoignages.
Chers collègues, le deuxième groupe de témoins que nous accueillons en personne — et c’est toujours un plaisir de voir des gens en personne — est formé de François Larocque, professeur à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa et avocat-conseil à Juristes Power, ainsi que de Nicole Arseneau Sluyter, présidente, et d’Ali Chaisson, directeur général de la Société acadienne du Nouveau-Brunswick de la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick. Nous accueillons également par vidéoconférence Jonathan Clavette, conseiller juridique de la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick, et Jean-Luc Racine, directeur général de la Commission nationale des parents francophones.
Merci de vous joindre à nous aujourd’hui. Les témoins disposeront de cinq minutes pour faire leur déclaration préliminaire, après quoi mes collègues leur poseront des questions.
[Français]
Me François Larocque, professeur, Faculté de droit, Université d’Ottawa; avocat-conseil, Juristes Power, à titre personnel : Madame la présidente, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je vous remercie beaucoup de l’invitation à comparaître devant ce comité pour vous faire part de mes réflexions sur le projet de loi C-35.
[Traduction]
Je crois que vous avez mes notes d’allocution et mes recommandations dans les deux langues officielles, mais je vais prononcer ma déclaration en français. Toutefois, comme toujours, je serai heureux de répondre aux questions dans la langue officielle de votre choix.
[Français]
Comme les autres organisations et individus qui ont témoigné devant vous sur ce projet de loi, je tiens à souligner l’importance de créer et de maintenir un système national d’apprentissage et de garde des jeunes enfants. Je salue également l’intention manifeste de ce projet de loi de faire en sorte que ce système soit durable, inclusif et adapté aux réalités particulières des communautés qu’il entend servir, notamment les peuples autochtones et les communautés de langue officielle en situation minoritaire (CLOSM).
En tant que professeur, chercheur universitaire et avocat œuvrant dans le domaine des droits linguistiques, j’étais très heureux de voir les modifications apportées au projet de loi C-35 à la Chambre des communes et en comité. Ces modifications font directement référence aux CLOSM en s’assurant que leurs droits et intérêts seront pris en compte dans la mise en œuvre éventuelle de cette loi.
Plus spécifiquement, la Chambre des communes a jugé utile de faire explicitement référence aux CLOSM à trois reprises dans le projet de loi, soit à l’alinéa 7(1)c) et aux paragraphes 7(3) et 11(1), qui portent sur le conseil consultatif.
Ces modifications sont bénéfiques, certes, mais elles sont malheureusement incomplètes dans la mesure où elles ne sont pas reconduites et reflétées dans le libellé de l’article 8 du projet de loi, soit la disposition qui codifie l’engagement fédéral d’assurer le financement à long terme des programmes et des services d’apprentissage et de garde des jeunes enfants.
L’article 8 du projet de loi C-35 devrait inclure une référence explicite aux communautés de langue officielle en situation minoritaire, comme je le propose dans ma recommandation à la page 2 du mémoire. C’est ce que recommandent également le commissaire aux langues officielles et la Commission nationale des parents francophones.
Sans la modification proposée à l’article 8, les communautés de langue officielle en situation minoritaire risquent de se voir privées du financement fédéral nécessaire au maintien à long terme de leurs programmes et services d’apprentissage et de garde des jeunes enfants.
J’ose croire que c’est par inadvertance que ces communautés ont été omises de l’article 8 et que le libellé actuel ne reflète pas l’intention réelle du Parlement. Heureusement, le Sénat est là pour corriger le tir et s’assurer que les droits et intérêts linguistiques des communautés de langue officielle en situation minoritaire ne soient pas relégués aux oubliettes. Cela a d’ailleurs été le rôle historique du Sénat.
Certaines personnes pourraient avancer l’argument selon lequel les modifications proposées ne sont pas nécessaires et que les changements effectués par la Chambre des communes suffisent pour garantir le financement à long terme. Respectueusement, ces personnes auraient tort.
À mon avis, un tribunal pourrait raisonnablement conclure que l’article 8, tel qu’il est rédigé à l’heure actuelle, engage uniquement le gouvernement fédéral à garantir le financement à long terme des programmes et services « destinés aux peuples autochtones ». Je dis cela pour deux raisons. D’abord, la jurisprudence de la Cour suprême du Canada.
La Cour suprême nous a montré que, en l’absence de directives claires du Parlement, les tribunaux ne devraient pas élargir la portée des droits linguistiques. Dans l’arrêt Caron c. Alberta, la Cour suprême a refusé de reconnaître l’existence de droits linguistiques en l’absence de garanties explicites dans les documents législatifs pertinents. Elle a dit : « La Cour doit donner une interprétation généreuse aux droits linguistiques constitutionnels; elle ne doit pas en créer de nouveaux. »
Elle renchérit plus loin : « […] lorsque le législateur a conféré des droits linguistiques […], il l’a fait de façon explicite […] ». J’étais avocat dans ce dossier. C’était une leçon durement apprise pour les communautés de langue officielle.
Par conséquent, si l’article 8 ne mentionne pas explicitement les programmes destinés aux communautés de langue officielle en situation minoritaire, il est plus que vraisemblable qu’un tribunal conclurait que le gouvernement n’est pas obligé de leur garantir un financement à long terme.
La deuxième raison relève des principes d’interprétation des lois. Il est bien établi au Canada que les tribunaux doivent :
[...] lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.
C’est un axiome en droit canadien.
Par conséquent, en interprétant l’article 8, il faut placer cette disposition dans l’ensemble de la loi. Or, un juge saisi de la question constaterait l’absence de référence aux communautés de langue officielle à l’article 8, alors que ces dernières sont mentionnées spécifiquement à l’alinéa 7(1)c) et aux paragraphes 7(3) et 11(1).
C’est dans ce contexte que le silence de l’article 8 à l’égard des CLOSM risque de donner l’impression qu’il s’agit d’un choix délibéré et intentionnel de la part du législateur.
Autrement dit, l’article 8 actuel permettrait au gouvernement de plaider devant les tribunaux...
[Traduction]
La présidente : Je suis vraiment désolée. Votre temps de parole est écoulé, mais vous nous avez remis votre mémoire dans les deux langues officielles. Je vous remercie au nom de mes collègues. Nous pourrons y revenir pendant la période de questions. Madame Arseneau Sluyter, vous avez la parole.
[Français]
Nicole Arseneau Sluyter, présidente, Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick : Mesdames et messieurs les distingués membres du comité sénatorial, c’est avec grand plaisir que je m’adresse à vous aujourd’hui. Je tiens à exprimer au comité ma reconnaissance pour l’occasion qui m’est donnée de représenter et d’exprimer les préoccupations du peuple acadien et francophone du Nouveau-Brunswick.
Je tiens également à prendre un moment pour remercier les délégués des organismes acadiens qui ont investi leur temps et leur énergie dans l’évaluation de la pleine gestion scolaire acadienne en vigueur au Nouveau-Brunswick.
Nous nous réunissons aujourd’hui pour aborder une question de haute importance : le projet de loi C-35 sur les garderies.
Mesdames et messieurs, rappelons-nous que l’éducation n’est pas une série d’étapes isolées, mais plutôt un chemin continu qui commence bien avant l’école primaire. Les garderies jouent un rôle essentiel dans ce parcours en préparant nos enfants à un apprentissage en français et en garantissant la vitalité de notre culture acadienne et francophone.
Lorsque nos petits commencent à fréquenter une garderie en français, ils acquièrent les bases de la langue et, donc, de leur identité. C’est à ce moment-là que naît l’amour pour la langue maternelle et la fondation sur laquelle tout leur parcours éducatif sera ensuite construit. Sans garderies offrant un environnement francophone dès la petite enfance, nous risquons de perdre cette base solide.
Notre principale inquiétude réside dans le paragraphe 16(2) et dans les articles 16.1 et 23 de la Charte canadienne des droits et libertés. Ces éléments de la Charte reconnaissent la spécificité du bilinguisme au Nouveau-Brunswick et l’accès à l’éducation dans la langue de la minorité. Nous insistons sur l’importance de bien articuler ces articles dans le projet de loi. En investissant dans des garderies en français, nous investissons dans la protection de notre identité et de notre langue. Nous façonnons un avenir solide et durable pour nos enfants. Le continuum en éducation commence tôt, et c’est la raison pour laquelle il est essentiel d’assurer l’accès à des garderies en français pour chaque enfant.
Permettez-moi de vous parler d’une expérience personnelle que je vis depuis que je suis à Saint-Jean et qui montre bien l’importance du continuum en éducation. Si on échoue par rapport à ce continuum, on contribue directement à l’assimilation à l’anglais. Il n’y a pas assez de garderies en français, et certains parents n’ont d’autre choix que d’inscrire leurs enfants dans des écoles anglophones. Résultat : leurs enfants finissent par perdre leur langue maternelle.
Une de mes amies de Saint-Jean, Acadienne francophone, n’a pas eu le choix d’inscrire ses enfants dans une école anglophone. Elle m’a dit : « Nicole, j’ai honte, mon enfant ne parle plus français. »
En tant que parents, nous pouvons faire de notre mieux et parler français à la maison, mais ce qui arrive parfois, c’est que les enfants passent plus de temps à l’école qu’avec nous. Je me souviens que quand je travaillais à temps plein, je n’avais pas le temps de parler avec ma fille non plus. Je finissais de travailler à 18 heures, et à 19 heures, ma fille était déjà endormie, puis on se préparait pour la journée suivante.
Cette expérience personnelle met en lumière l’importance du continuum en éducation. Si nous n’arrivons pas à offrir des services de garde en français dès la petite enfance, nous risquons de perdre notre langue. La situation de mon amie est malheureusement loin d’être unique, et c’est la raison pour laquelle nous devons insister sur la nécessité de garantir un accès équitable à des garderies francophones pour tous les enfants.
Nous demandons que la particularité constitutionnelle et linguistique du Nouveau-Brunswick soit prise en compte dans toutes les ententes. Cela signifie d’intégrer les obligations du régime provincial en matière de dualité linguistique et de respect des droits des minorités de langue officielle aux ententes avec le gouvernement fédéral et à leur cadre législatif.
C’est pourquoi nous demandons que le préambule et l’objet du projet de loi C-35 soient modifiés comme nous l’avons présenté à l’annexe A. Nous sommes d’avis que ces changements législatifs permettront de créer des ententes fédérales-provinciales qui respecteront les droits des minorités linguistiques. Nous sommes également d’avis que ces changements respecteront la spécificité du bilinguisme au Nouveau-Brunswick, tel qu’il est reconnu dans la Charte canadienne des droits et libertés, qui est reproduite à l’annexe B.
Dans nos échanges avec le gouvernement du Nouveau-Brunswick, nous avons remarqué que la province ne s’oppose pas à une correction de l’incohérence entre le libellé du projet de loi C-35 et l’esprit de l’article 16.1 de la Charte. En d’autres termes, il semble qu’il y ait une ouverture pour ce qui est de remédier à cette incohérence.
Aujourd’hui, nous faisons appel à vous, mesdames et messieurs les sénateurs. Nous vous demandons de prendre des mesures concrètes, et nous sollicitons votre coopération et votre engagement. Nous vous demandons de travailler main dans la main pour préserver notre identité et notre culture acadienne et francophone, afin que nos enfants, nos petits-enfants et les générations à venir puissent continuer de s’épanouir dans la langue de leurs ancêtres.
Je vous remercie de votre attention.
[Traduction]
La présidente : Merci beaucoup, madame Arseneau Sluyter. Monsieur Racine, vous avez la parole.
[Français]
Jean-Luc Racine, directeur général, Commission nationale des parents francophones : Madame la présidente, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je vous remercie d’avoir invité la Commission nationale des parents francophones à témoigner aujourd’hui sur le projet de loi C-35. Nous sommes ici pour vous expliquer pourquoi il est essentiel d’apporter un amendement à l’article 8 du projet de loi.
En bref, nous voulons obtenir un financement à la hauteur de nos besoins pour l’apprentissage et la garde des jeunes enfants francophones en situation minoritaire.
La CNPF travaille activement auprès de 750 services de garde francophones en contexte minoritaire. Nous sommes donc bien placés pour comprendre les difficultés que rencontrent ces prestataires de service sur le terrain.
La situation est alarmante. Selon le dernier recensement, en 2021, 141 635 enfants de 0 à 4 ans ont droit à l’éducation en français à l’extérieur du Québec. Cependant, le nombre de places autorisées ne permet de servir que 20 % de ces enfants. Dans 80 % des cas, les parents doivent donc se tourner vers les garderies anglophones.
Nous avons entendu plusieurs témoignages déchirants de parents francophones qui constatent, après des années de fréquentation de garderies anglophones, que leurs enfants ne leur parlent désormais qu’en anglais.
Des parents font alors le choix d’inscrire leurs enfants à l’école anglophone. Pourquoi? Parce qu’ils ont peur que leurs enfants ne puissent pas réussir leurs études dans une école francophone. Malheureusement, ceci contribue à l’assimilation de la petite enfance, et ce, d’un océan à l’autre.
Pour remédier à cette situation, la Commission nationale des parents francophones demande que le projet de loi C-35 soit renforcé. À notre avis, il est important d’ajouter une disposition à l’article 8, qui porte sur l’engagement financier.
En résumé, nous demandons l’ajout suivant à l’article 8, qui dit ceci :
Le gouvernement du Canada s’engage à maintenir le financement à long terme des programmes et services d’apprentissage et de garde des jeunes enfants, notamment ceux destinés aux peuples autochtones.
Nous voudrions ajouter ce qui suit : « et aux communautés de langue officielle en situation minoritaire ».
Ce que nous voulons, dans le fond, c’est que le gouvernement fédéral s’assure d’un financement pour nos communautés dans le cadre d’ententes avec les provinces et les territoires ayant trait à la petite enfance.
À l’heure actuelle, le financement accordé aux provinces crée très peu de places dans les garderies francophones. Par exemple, en Alberta, seulement 19 des 1 500 nouvelles places en garderie iront à la communauté francophone. Au Nouveau-Brunswick, 300 des nouvelles places sur les 1 900 qui ont été créées seront en français. Dans les deux cas, il s’agit de quantités nettement inférieures à la proportion des francophones dans ces provinces.
À cette triste réalité, il faut ajouter un autre élément : les investissements des gouvernements provinciaux et territoriaux restent très timides par rapport à de nouvelles places en garderies francophones.
Tel qu’il est formulé actuellement, le projet de loi C-35 n’aidera pas les communautés francophones à obtenir davantage de places en garderie. Au contraire, tel qu’il est libellé, le projet de loi C-35 accroîtra les inégalités systémiques qui existent déjà.
C’est pourquoi, madame la présidente, nous voulons bonifier l’article 8. Avec l’amendement que nous proposons, nous estimons qu’il est possible d’améliorer les services à la petite enfance en milieu francophone minoritaire.
Merci encore pour l’attention que vous nous avez accordée. Nous serons heureux de répondre à vos questions.
[Traduction]
La présidente : Merci, monsieur Racine. Nous allons passer aux questions des sénateurs. Chacun disposera de quatre minutes pour poser sa question et entendre la réponse.
À titre de présidente, je voudrais vous poser ma première question, monsieur Larocque, et vous demander de reprendre là où vous vous êtes arrêté, c’est-à-dire à la page 5, section 11, je crois. Que suggère la jurisprudence au sujet de la codification des droits linguistiques?
M. Larocque : J’ai parlé très longtemps, et je ne méritais pas cette générosité.
La présidente : Pas du tout, mais vous n’aurez que quatre minutes.
M. Larocque : Le dernier point que je voulais soulever concerne moins la jurisprudence que les principes généraux d’interprétation législative, qui prévoient essentiellement que, lorsque le législateur est muet dans une partie de la loi, mais explicite dans d’autres, les tribunaux ont le droit d’en déduire qu’il s’agit d’un mutisme intentionnel.
Ainsi, il y a une maxime latine — expressio unius est exclusio alterius — qui signifie que le fait de préciser quelque chose à un endroit peut donner lieu à une conclusion selon laquelle son exclusion à un autre endroit était voulue, et vice versa. Tel est le risque créé par le silence de l’article 8.
[Français]
En ne mentionnant pas les communautés de langue officielle en situation minoritaire à l’article 8, on permet essentiellement à un tribunal de conclure éventuellement que c’était l’intention du législateur, puisqu’on inclut des mentions spécifiques ailleurs dans le projet de loi, mais qu’on a voulu être silencieux ici.
Or, je ne pense pas que ce soit l’intention du Parlement ni celle de cette Chambre. La compétence historique de cette Chambre était justement de venir corriger et colmater des erreurs et des oublis qui s’étaient peut-être glissés dans un projet de loi pour protéger les droits des communautés de langue officielle en situation minoritaire.
Cela met fin à l’argument que je voulais présenter.
[Traduction]
La présidente : Merci, monsieur Larocque. Dans votre mémoire, vous dites croire que la Chambre a omis « par inadvertance » d’harmoniser les deux articles du texte législatif.
N’y a-t-il pas eu de débat à ce sujet au sein du comité des ressources humaines ou à la Chambre des communes?
M. Larocque : Il y a eu un débat général sur cette question. Quant à la raison pour laquelle cela a été omis de l’article 8, je n’oserais pas m’avancer là-dessus.
La présidente : D’accord.
M. Larocque : Tout ce que nous savons, c’est que, à ce moment-ci, l’article 8 est muet, et qu’il créera une incohérence dans la loi s’il demeure ainsi.
La présidente : Merci, monsieur Larocque.
La sénatrice Cordy : Merci, monsieur Larocque. J’ai lu votre mémoire hier soir. Il est clair et concis, même pour un non-juriste. C’est un compliment, soit dit en passant.
Ma question s’adresse à Mme Arseneau Sluyter et à M. Racine. Vous avez présenté des renseignements très troublants. Je pense, en tant que parent, que le fait d’envoyer un enfant acadien dans une garderie anglophone et de lui faire perdre sa langue doit être déchirant pour un parent.
Je me demande si nous avons recueilli des données sur les droits des minorités ou les langues minoritaires dans des provinces comme la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick, qui comptent une importante population acadienne.
Si je m’intéresse à la collecte de données, c’est que, si les membres du Comité disent qu’ils ont obtenu des données empiriques… C’est plus facile si nous pouvons préciser le nombre exact de personnes qui, dans la région de l’Atlantique, au Nouveau-Brunswick ou en Nouvelle-Écosse, envoient leurs enfants dans des garderies anglophones alors que, dans les faits, ce n’est pas l’idéal.
Vous avez aussi fourni des chiffres effarants sur le pourcentage d’enfants : 20 % des enfants acadiens reçoivent les services.
Mme Arseneau Sluyter : À mon avis, si la province avait ces données, ce serait formidable. Si nous perdons un enfant, c’est un enfant de trop.
[Français]
J’ai travaillé à l’ARCf de Saint-Jean pendant plus de 19 ans; on avait plus de 350 enfants dans deux services de centre de la petite enfance et il y a des listes d’attente. Cela fait tellement longtemps que je vis à Saint-Jean que je rencontre presque tous les jours des gens dont les enfants ne sont pas dans un centre de la petite enfance.
Dans nos régions minoritaires, on voit de plus en plus de couples, comme le mien, dont un parent ne parle pas français et l’autre oui. Cela réduit beaucoup les moments où on peut parler en français à son enfant. De plus, comme vous le savez tous, l’influence d’Internet et de tout ce qui se passe à l’extérieur dans le monde entier ne nous aide pas à parler en français.
Selon moi, si on ne peut pas accepter nos enfants, nos bébés, dans nos services de garde, on contribue directement à les perdre. Les parents, quand les enfants arrivent à la maternelle, se sentent impuissants; ils se sentent vraiment mal et ont peur que leurs enfants ne réussissent pas à l’école.
Les chiffres sont importants, oui, mais nous sommes une province bilingue. Cela ne devrait pas être un problème d’envoyer nos enfants se faire éduquer en français, que ce soit à Saint-Jean, à Moncton, à Fredericton ou n’importe où dans la province.
M. Racine : Il est malheureusement très difficile de savoir combien on a de francophones dans les services de garde anglophones, parce qu’on n’a pas accès à ces données. Cependant, je peux vous dire qu’il y a des listes d’attente très importantes. Pour Charlottetown, il y a 120 jeunes sur les listes d’attente, juste pour cette ville, avec deux à trois ans d’attente pour avoir accès au service de garde. Au Petit Voilier, dans la région d’Halifax, en Nouvelle-Écosse, c’est près de 350 jeunes qui sont sur des listes d’attente de deux à trois ans pour avoir...
[Traduction]
La présidente : J’ai bien peur que votre temps soit écoulé. Il faudra revenir sur cette question.
La sénatrice Seidman : Je remercie les témoins de leurs témoignages extrêmement importants. Je le dis en tant que Québécoise anglophone.
Je vais aller droit au but, parce que cela s’inscrit dans le droit fil de notre discussion avec les témoins du groupe précédent. On s’inquiète de plus en plus de l’incohérence entre le paragraphe 7(3) et l’article 8: l’engagement énoncé dans la Loi sur les langues officielles, mais aucune mention des langues officielles pour ce qui est du financement à long terme.
Nous avons des communautés linguistiques en situation minoritaire : la communauté anglophone au Québec ainsi que les communautés francophones dans les autres provinces et territoires. Monsieur Larocque, à la page 2, vous formulez des recommandations d’amendements, car, de toute évidence, cela nous est communiqué haut et fort. Vous proposez un amendement à l’article 8 et au préambule.
Je sais, monsieur Racine, que vous avez aussi présenté au comité des ressources humaines un amendement à l’article 8 pour ce qui est d’un engagement financier, que vous nous avez rappelé aujourd’hui.
J’aimerais que vous nous parliez brièvement de l’importance des deux amendements que vous nous proposez, monsieur Larocque, et que vous nous disiez si, en fait, ils constituent la voie à suivre.
M. Larocque : Je pense que ma recommandation est identique à celle de la CNPF. Le commissaire aux langues officielles a aussi fait une recommandation semblable, sinon identique, car, comme vous l’avez dit, sénatrice Seidman, il y a incohérence avec les autres articles du texte législatif.
Pour les raisons exposées dans mon mémoire, il y a un risque. Il y a un risque légal et juridique, soit essentiellement celui de porter atteinte aux communautés de langue officielle en situation minoritaire et de les priver de droits dont elles auraient pu bénéficier si le texte législatif avait été rédigé avec plus de soin. C’est maintenant l’occasion de remédier à ce problème.
Ma deuxième recommandation, c’est, comme on dit, de porter une ceinture et des bretelles. Si l’on ajoute au préambule le paragraphe que je propose à la page 2 de mon mémoire, on établit un lien entre le paragraphe 7(3) et les engagements énoncés dans la Loi sur les langues officielles quant à la prise de mesures positives en vue d’appuyer l’éducation dans la langue de la minorité, et ce, dès la garderie. C’est un engagement qui est énoncé explicitement dans la Loi sur les langues officielles, de sorte que, en le rappelant aux tribunaux dans le préambule, nous lions essentiellement tout ensemble, y compris le paragraphe 7(3) du projet de loi, l’article 8 et le préambule. J’aime que les choses soient claires et cohérentes, et cela, à mon avis, contribuerait grandement à faire en sorte que ce soit le cas.
La sénatrice Seidman : Il n’y a pas d’engagement relativement à la Loi sur les langues officielles dans le préambule. C’est intéressant. Je suis maintenant beaucoup plus consciente de ce fait.
M. Larocque : Il n’y a aucune mention de la Loi sur les langues officielles dans le préambule du projet de loi C-35.
La sénatrice Seidman : Merci d’avoir lié tout cela ensemble pour nous.
La sénatrice Osler : Je remercie les témoins d’être ici aujourd’hui. Ma question fait suite à celle de ma collègue, la sénatrice Seidman. Elle s’adresse à M. Racine et à M. Larocque.
Je représente la province du Manitoba, où quatre Franco-Manitobains sur cinq vivent à Winnipeg, mais contrairement au Nouveau-Brunswick, le Manitoba n’est pas une province officiellement bilingue. Selon les données de Statistique Canada, au cours des 10 dernières années, le poids démographique des Manitobains qui pouvaient parler français a diminué. Je comprends et je reconnais l’importance de la petite enfance, qui est une période cruciale du développement d’un enfant, plus particulièrement en ce qui concerne la langue.
Croyez-vous que les amendements que vous proposez renforceraient les ententes bilatérales entre les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux sur les services à la petite enfance en ce qui a trait aux engagements de financement envers les communautés de langue officielle en situation minoritaire partout au Canada?
[Français]
M. Racine : Oui, assurément. Il y a des ententes fédérales-provinciales-territoriales en ce moment. Dans les ententes, il y a des principes en ce qui concerne les langues officielles. On doit tenir compte des besoins des francophones.
Les ententes existent depuis 2017. Il n’y a aucun financement pour appuyer les francophones à l’Île-du-Prince-Édouard, en Nouvelle-Écosse, en Ontario, en Saskatchewan, en Colombie-Britannique, dans les Territoires du Nord-Ouest et au Nunavut. Cela se fait bien dans certaines provinces, dont le Manitoba, où il y a des engagements assez fermes.
Quand il n’y a pas d’engagement ferme sur le plan du financement, c’est ce qui arrive. On a de beaux principes, comme dans l’article 7 du projet de loi. Il faut vraiment un engagement financier. C’est là qu’on voit des résultats tangibles. Dans les plans d’action des provinces, comme au Manitoba, quand il y a eu un engagement ferme envers les francophones, avec un montant d’argent et un nombre de places, on a vu le résultat. Quand il s’agit d’un beau principe, c’est flou, on ne voit absolument pas de résultat. C’est important d’inscrire cela dans l’article 8 du projet de loi.
M. Larocque : Je vais « faire du pouce » sur les commentaires de mon collègue en rappelant l’importance, comme je le disais dans mes remarques préliminaires, d’être explicite dans les projets de loi. Lorsqu’il s’agit de droits linguistiques, et les tribunaux sont frileux. Ils ne veulent pas aller au-delà de ce que le législateur a dit sur papier. Il faut le spécifier sur papier si telle est l’intention.
Deuxièmement, je dis oui à la portée territoriale des ententes d’un océan à l’autre. Cela permettra de faire des engagements fermes. L’article 8 le dit, il y a aussi l’aspect temporel, le long terme. Ce n’est pas simplement géographique, mais temporel; c’est dans l’avenir. Les gouvernements changent, les lois restent. Il faut que la loi soit permanente et assure ce financement à long terme.
[Traduction]
La sénatrice Moodie : Je remercie nos témoins d’aujourd’hui. J’aimerais revenir sur un commentaire qui a été fait plus tôt concernant la discussion à la Chambre des communes à ce sujet. Une importante discussion a eu lieu à la Chambre sur la possibilité de modifier l’article 8, et il ne l’a pas été. En fait, aucun député n’a fait de proposition à cet égard. Il y a eu une importante discussion sur l’éducation pour les communautés de langue officielle en situation minoritaire, et il a été reconnu qu’il est essentiel de les protéger de l’assimilation afin de préserver la culture. Je pense que nous sommes tous très favorables à cela.
C’est l’objet de l’article 7. Il traite des critères de financement, et il précise que ces communautés doivent être incluses et que cela doit se refléter dans toutes les ententes. L’article 8 porte sur quelque chose de différent. Il traite des voies et des mécanismes par lesquels l’argent est distribué dans le cadre d’ententes avec les provinces, les territoires et les gouvernements autochtones, des voies et des mécanismes existants de distribution du financement.
Je tiens également à souligner que, lorsque j’ai demandé au gouvernement de modifier l’article 8 et d’inclure dans une version modifiée du projet de loi une nouvelle voie pour le financement direct des collectivités, ce qui n’est pas l’intention du projet de loi, je me suis fait dire — et je vais vous le dire sans détour — que le gouvernement du Canada entretenait depuis longtemps déjà des relations de financement avec les provinces, les territoires et les organismes autochtones, et qu’il s’agit de leur façon de distribuer l’argent. On m’a aussi dit que, bien franchement, on craignait que l’ajout de nouveaux engagements financiers ait une incidence négative sur ces relations, en particulier celles avec les peuples autochtones. Les nouvelles voies vers les communautés de langue officielle, ou vers quelque communauté particulière que ce soit, ne sont pas reconnues comme des voies de financement, mais comme une communauté. C’est par le truchement des partenaires ou des mécanismes de financement que l’argent sera distribué aux provinces, aux territoires et aux communautés autochtones en vue de la fourniture de services d’apprentissage et de garde des jeunes enfants sur leur territoire.
La question que je vous pose à tous est la suivante : que répondriez-vous à cela? C’est une affaire de mécanisme de financement, et non pas d’omission d’un groupe.
Ali Chaisson, directeur général, Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick : Nous disposons d’institutions dont la création a exigé une longue et dure bataille. Celles qui me viennent à l’esprit et qui répondent le mieux à la question que vous avez posée, sénatrice Moodie, ce sont nos conseils scolaires francophones, qui sont les seules institutions parapubliques, mises à part les municipalités dans certaines provinces, que nous contrôlons entièrement. Selon les lois provinciales, les conseils scolaires sont tenus de respecter toutes les obligations financières et les mesures de correction que leurs vérificateurs généraux respectifs prendront en temps opportun.
Pour ce qui est de la voie, il s’agirait d’une entité parapublique par rapport à une entité gouvernementale. En ce qui concerne les communautés francophones, elles constituent probablement la façon la plus facile d’adhérer et de créer une voie qui serait acceptable, par opposition à la création d’une situation et d’un système où les organismes sans but lucratif ou d’autres seraient responsables de ce niveau d’engagement.
Des institutions et des voies sont en place. J’ai toujours cru — j’ai comparu devant de nombreux comités au cours des dernières années et j’ai toujours fait valoir le même argument — que le temps était venu pour le gouvernement fédéral de favoriser des conversations directes avec les institutions de langue minoritaire, plus particulièrement, dans ce cas-ci, les conseils scolaires.
Les conseils scolaires pourraient, de leur propre initiative, créer des structures et mettre en place des mécanismes pour leurs organismes de prestation, et ce serait un palier de gouvernement de moins. Je pense que, si nous pouvions avoir un accès direct aux choses concrètes, il s’agirait d’une mesure corrective intéressante.
La sénatrice Moodie : Quelqu’un d’autre veut-il faire un commentaire?
La présidente : Vous n’avez pas le temps, mais je vais permettre à quelqu’un d’autre de répondre. Je ne suis pas certaine d’avoir entendu une réponse directe à votre question, alors peut-être pourrions-nous l’obtenir de quelqu’un d’autre?
[Français]
M. Racine : Juste pour être très clair, on ne demande pas un nouveau mécanisme de financement; on veut juste s’assurer que, dans le cadre des ententes fédérales-provinciales, on tient compte des besoins des communautés francophones en situation minoritaire.
On comprend très bien qu’il y a deux mécanismes de financement, mais dans le mécanisme qui touche les provinces et les territoires, il faut que ce soit très clair que l’on doit tenir compte des besoins des francophones et que cela ne se fait pas juste sur le plan des principes, mais de l’engagement financier.
M. Larocque : Si on me le permet, j’aimerais renchérir.
L’article 8, par ailleurs, spécifie que le financement est transmis dans le cadre d’ententes entre le fédéral, les provinces et les territoires, et pas directement aux communautés, et ce n’est pas ce qui est demandé et reflété dans les amendements suggérés.
Donc, ce n’est pas un nouveau mécanisme qui est proposé ici, mais tout simplement, comme le suggère mon collègue, la prise en compte des droits linguistiques des communautés de langue officielle en situation minoritaire dans l’engagement ferme à long terme.
Le sénateur Cormier : Ma première question ira à M. Larocque, puis j’aurai une question pour la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick.
Si j’ai bien compris, compte tenu de la jurisprudence, l’importance de l’inclusion des communautés de langue officielle en situation minoritaire dans l’article 8 est essentielle à la cohésion du projet de loi dans son ensemble et à l’interprétation qu’en ferait une cour, si cela se retrouvait devant les tribunaux.
M. Larocque : Vous avez bien compris.
Le sénateur Cormier : Deuxième élément : si j’ai bien compris, à l’article 8, si l’on inclut les communautés de langue officielle en situation minoritaire, cela n’implique pas que le gouvernement fédéral doit négocier directement avec les communautés comme telles; est-ce que j’ai bien compris?
M. Larocque : Je partage votre lecture. C’est d’ailleurs ce que prévoit l’article 8. Le financement doit être accordé principalement dans le cadre d’accords avec les gouvernements provinciaux, pas avec les communautés, pas avec le CNPF ou la FCFA, ou peu importe, mais directement avec les gouvernements. C’est comme cela que se font les transferts fédéraux. L’article 8 ne change rien à ces façons de faire.
Le sénateur Cormier : Ma question s’adresse à Mme Arseneau Sluyter et M. Chaisson — d’ailleurs, je veux vous féliciter pour votre élection à la présidence de la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick et pour le témoignage émouvant que vous nous avez livré sur les enjeux qui touchent la situation particulière du Nouveau-Brunswick.
Ce que j’aimerais savoir ou mieux comprendre avec vous, bien que j’aie une bonne idée de la situation, c’est que cette loi-cadre permet de créer des ententes avec des provinces. Il y a des ententes qui ont déjà été signées, comme l’a précisé la sénatrice Dasko, mais en fait, elles devront être renouvelées. Cette loi-cadre est donc très importante pour le renouvellement des ententes.
Pouvez-vous nous expliquer assez succinctement les défis actuels que vous rencontrez au Nouveau-Brunswick avec le gouvernement provincial dans la mise en œuvre de ces ententes, pour comprendre le sens que vous donnez aux amendements que vous proposez?
M. Chaisson : Actuellement, la province nous interpelle, elle est directement impliquée dans des négociations avec le fédéral, et à part les consultations — qu’on peut nommer des « consultations », parce qu’on doit les appeler ainsi —, il y a effectivement très peu de marge de manœuvre pour que la communauté influence la manière dont la province négocie, et donc la manière dont l’argent et les places seront distribués et comment cela va se faire sur le territoire.
Au Nouveau-Brunswick, c’est une situation particulière — vous le savez, monsieur le sénateur. Il y a un régime linguistique différent, et l’article 16.1 de la Charte donne une spécificité très organique au régime linguistique du Nouveau-Brunswick. Pour la sénatrice Moodie, à part les Autochtones, il n’y a que les Acadiens au Canada qui ont une reconnaissance de droits collectifs. Dans ce sens-là, il est très important pour nous d’avoir notre mot à dire dans les négociations fédérales-provinciales et d’être en mesure d’intervenir très tôt. Il faut nous assurer que notre proportion — je n’aime pas ce terme-là —, que la juste proportion soit capable de livrer des programmes dont on a besoin à l’intérieur des cadres existants.
Par contre, pour conclure, il y a une grande différence entre égalité et équité. Comme vous le savez très bien, certaines régions ont de la difficulté : main-d’œuvre, disponibilité d’espace, accessibilité. Donc, il y a un écart et j’ai l’impression qu’il y faudra penser sérieusement lors de ces négociations. Voilà pourquoi il est si important que ces communautés aient une place à la table des négociations, qu’elles aient leur mot à dire là-dedans, pour s’assurer que lorsque l’argent sera transféré du gouvernement fédéral vers les provinces, on sera en mesure de faire des ajustements pour éviter de poursuivre ce développement à deux phases.
Le sénateur Cormier : Merci.
[Traduction]
La présidente : Merci, monsieur Larocque.
[Français]
La sénatrice Mégie : Ma question porte sur l’alinéa 7(1)a) et s’adresse à M. Larocque; si on a du temps, je demanderai l’opinion des autres membres du groupe.
Si on regarde cet article, c’est comme si l’argent était réservé pour faciliter un accès équitable, notamment le service offert par des fournisseurs de services de garde d’enfants publics et à but non lucratif.
Ma question est la suivante : puisque vous avez dit qu’il fallait être explicite dans la loi pour éviter que l’interprétation trouve certains concepts flous, si on veut que les fonds publics financent exclusivement les services de garde publics, pensez-vous que ce libellé est correct ou serait-il sujet à interprétation? Dans le texte, on parle de « notamment ceux offerts par des fournisseurs de services de garde d’enfants publics et à but non lucratif ».
M. Larocque : Vous êtes à quelle disposition plus précisément?
La sénatrice Mégie : À l’alinéa 7(1)a).
M. Larocque : Le terme « notamment » prête justement à plusieurs interprétations. Parfois, il veut dire, comme le reflète la version anglaise, in particular, mais parfois, il veut dire including; ce sont deux nuances. Le terme rend parfois deux sens différents. C’est pour cela qu’on a un avantage au Canada : avec la corédaction des lois dans les deux langues, on peut faire l’interprétation croisée, et donc faire ressortir le sens partagé et commun. En regardant la version anglaise, on comprend que « notamment » veut dire in particular. Donc, on cherche à mettre l’accent là-dessus. Si c’était bien la question, j’espère y avoir bien répondu.
Alors, est-ce qu’il y a un flou? Personnellement, ce n’est pas là-dessus que je me suis attardé pour mon analyse, qui portait sur l’article 8. À la lumière des modifications apportées par la Chambre des communes au paragraphe 7(3) et à l’alinéa 7(1)c)... Disons que c’est le fonctionnement de ces trois dispositions ensemble qui créent un problème à l’article 8. Parce que l’article 8...
La sénatrice Mégie : Je ne voulais pas arriver à l’article 8; je voulais juste pour cela... En fait, on ne souhaite pas qu’ils aillent remplir les poches d’entreprises privées en matière de garde d’enfants.
M. Larocque : Je ne veux pas me hasarder sur ce terrain; je ne suis pas un expert de cet univers de fonctionnement sur le terrain.
L’interprétation des lois, c’est plus dans mes cordes.
La sénatrice Mégie : Que pensez-vous de prendre le financement public et de financer des centres privés de garde d’enfants? Est-ce qu’on devrait garder exclusivement cet argent pour les organismes publics?
M. Racine : En fait, c’est une grande question. Par principe, nous trouvons qu’il est important d’investir dans le système public, d’abord et avant tout. Vous savez, on est tellement en manque de services de garde... Loin de moi l’idée de discréditer les organismes, parce qu’on a des organismes francophones à but lucratif et on a besoin de tous les types de services pour réussir.
J’aimerais signaler une chose importante que l’on oublie souvent : dans notre secteur public sans but lucratif, il y a beaucoup d’entrepreneuriat social. Ce sont des gens très innovateurs, qui arrivent avec de nouvelles solutions. Le sens de l’entreprise, même dans le secteur public...
[Traduction]
La présidente : Merci, monsieur Racine.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Merci à nos invités; c’est une conversation très importante.
J’aurais une question pour M. Racine et Mme Arseneau Sluyter, si nous avons le temps d’avoir les deux réponses.
J’aimerais que vous nous aidiez à mettre en relief l’importance cruciale de l’accès à un service de garde en français en milieu minoritaire et, dans le contexte de ce que je pense, d’un possible effet boule de neige, d’un effet domino.
Vous l’avez illustré quelque peu tout à l’heure. Prenons l’exemple d’un jeune francophone : dans son milieu de service de garde anglophone, il ira possiblement dans une école primaire et secondaire en anglais, il se fera des amis anglophones; pouvons-nous même penser à un impact sur son engagement futur, sur sa participation à sa communauté et, par conséquent, à un impact potentiel sur la vitalité de cette communauté? Dans l’affirmative, est-ce documenté et quantifiable? Avons-nous des données à cet effet?
M. Racine : Je vous remercie de la question.
Dans mon témoignage, je parlais d’une famille francophone, soit une famille de l’Alberta avec deux parents francophones et leur petite fille de 4 ans qui comprenait le français, mais qui parlait toujours en anglais à ses parents. Ces parents, même s’ils étaient francophones, étaient tentés de croire que si la petite allait dans une école française, elle échouerait, donc elle irait dans une école anglaise. Notre expérience sur le terrain montre clairement que dès que les enfants entrent à l’école anglophone, c’est terminé, même en immersion. Dans le fond, tout se passe en anglais et souvent, c’est très difficile de ramener ces enfants. L’expérience sur le terrain montre que c’est très difficile.
Dès que les gens passent du côté anglophone, d’ici quelques années, ils oublient le français. Il y a des parents francophones qui s’adressent maintenant à leurs enfants en anglais, parce que le français est hors d’usage. Nous n’avons pas de données statistiques, car dès que les gens passent du côté anglophone, on les perd. Nous avons cependant des données statistiques qui montrent que le taux d’assimilation chez les francophones est bien réel. Selon nous, cela commence dès la petite enfance.
La sénatrice Petitclerc : Merci.
[Traduction]
La sénatrice Moodie : Je voulais simplement faire une dernière observation. La création de nouvelles voies de financement ne relève pas du mandat du comité et dépasse la portée du projet de loi. Je pense que nous sommes tous d’accord là-dessus.
Les provinces fourniraient aux conseils scolaires l’argent nécessaire pour soutenir les groupes linguistiques minoritaires. C’est la voie officielle qui existe actuellement pour les provinces et les territoires.
Certains fonds et investissements qui ont été consacrés à cela au fil des ans permettent assurément de penser que le Canada affecte régulièrement des fonds à cet égard, 14 millions de dollars sur cinq ans pour la formation des éducateurs des communautés de langue officielle, 50 millions de dollars sur cinq ans pour renforcer le secteur, et le Plan d’action pour les langues officielles est la voie pour cela.
Quels sont les contacts que vous avez eus, vous et les autres membres de votre communauté, avec les provinces et les municipalités, qui décident effectivement où vont les fonds une fois qu’ils parviennent aux mécanismes de financement existants? Il s’agit de la voie, n’est-ce pas?
M. Chaisson : Au fil des ans, les organismes ont produit beaucoup de rapports. Il y a plusieurs années, la Commission nationale des parents francophones a produit un rapport intitulé Où sont passés les milliards $?
Parfois, lorsque le gouvernement fédéral transfère des sommes dans les coffres des provinces — et j’ai moi-même fait l’exercice à maintes reprises —, il faut être un juricomptable très compétent pour comprendre où va l’argent. Je n’accuse personne de quoi que ce soit. Je dis simplement que, lorsque le gouvernement fédéral transfère 50 millions de dollars à Terre-Neuve pour l’éducation en français, lorsque 50 millions de dollars partent d’Ottawa, le gouvernement provincial devrait recevoir 50 millions de dollars, mais voilà que, soudainement, on ne voit plus 50 millions de dollars, mais 45 millions de dollars. Et deux ans plus tard, lorsque le rapport de la vérificatrice générale est publié, c’est tout à coup 32 millions de dollars. Il est extrêmement difficile de retracer l’argent.
Une fois que l’argent se trouve dans les coffres des provinces, il y a une multitude de frais connexes. Certaines provinces décident de payer leurs propres fonctionnaires avec l’argent du gouvernement fédéral alors que cet argent est censé parvenir aux communautés.
Je ne vais pas ouvrir une boîte de Pandore en disant que tout le monde est coupable de toutes sortes de choses. Tout ce que je dis, c’est que, bien souvent, il y a un écart entre ce que les communautés ont obtenu grâce à leur lobbying et ce qu’elles reçoivent au bout du compte.
La présidente : Cela m’amène à vous poser une dernière question, monsieur Chaisson. Est-ce que le fait d’apporter un amendement au projet de loi permettrait de corriger cela? Car la confusion quant à la façon dont l’argent circule demeure présente.
M. Chaisson : Si je suis assis à une table de négociation et que je suis d’accord pour que nous obtenions 250 millions de dollars sur cinq ans, je sais que nous sommes censés obtenir 250 millions de dollars sur cinq ans. Si je fais partie d’un comité ministériel et que je suis en mesure de suivre le cheminement de ces fonds au cours de la période visée par l’accord, je peux apporter des correctifs.
Si nous ne sommes jamais à la table et que nous n’avons aucune capacité de voir et de comprendre ce qui se passe, cela devient relativement nébuleux.
La présidente : Merci beaucoup à nos témoins. Cette conversation a été fascinante. Je vous remercie beaucoup de votre sagesse. Chers collègues, la séance est levée.
(La séance est levée.)