LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES SOCIALES, DES SCIENCES ET DE LA TECHNOLOGIE
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 14 décembre 2023
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd’hui, avec vidéoconférence, à 11 h 31 [HE], pour examiner, afin d’en faire rapport, les questions qui pourraient survenir concernant les affaires sociales, la science et la technologie en général.
La sénatrice Ratna Omidvar(présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Je m’appelle Ratna Omidvar et je suis sénatrice de l’Ontario et présidente du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie. J’aimerais d’abord souhaiter la bienvenue aux membres du comité, à nos témoins et aux membres du public qui regardent nos délibérations.
Aujourd’hui, nous avons le privilège d’entendre la vérificatrice générale du Canada au sujet des récents rapports de son bureau qui ont été déposés au Parlement le 19 octobre 2023. Nous accueillons, du Bureau du vérificateur général du Canada, Karen Hogan, vérificatrice générale du Canada; Markirit Armutlu, directrice principale; Carey Agnew, directrice principale; Carol McCalla, directrice principale; et Jean Goulet, directeur principal.
Merci de prendre le temps de vous joindre à nous durant cette semaine qui, nous l’espérons, sera la dernière de la session, mais cela reste à voir.
Il n’y a qu’un point à l’ordre du jour, et nous avons hâte d’entendre Mme Hogan nous parler de ces rapports. Avant que je vous donne la parole, je vais demander rapidement aux sénateurs de se présenter, en commençant par la vice-présidente du comité, la sénatrice Cordy.
La sénatrice Cordy : Je souhaite la bienvenue à la vérificatrice générale et aux fonctionnaires. C’est fantastique de vous avoir parmi nous aujourd’hui. Je vous remercie à l’avance pour l’information que vous allez nous fournir.
Je m’appelle Jane Cordy et je suis sénatrice de la Nouvelle-Écosse.
[Français]
Le sénateur Cormier : Bonjour et bienvenue. Je m’appelle René Cormier, sénateur du Nouveau-Brunswick.
[Traduction]
La sénatrice Osler : Gigi Osler, sénatrice du Manitoba.
La sénatrice Burey : Je vous souhaite la bienvenue. Sharon Burey, sénatrice de l’Ontario.
La sénatrice McPhedran : Je vous remercie de prendre le temps de comparaître devant nous. Je suis la sénatrice Marilou McPhedran du Manitoba.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Merci d’être parmi nous. Chantal Petitclerc, du Québec.
[Traduction]
La sénatrice Dasko : Donna Dasko, sénatrice de l’Ontario.
[Français]
La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, sénatrice du Québec.
[Traduction]
La présidente : Je vous remercie beaucoup, chers collègues.
Madame Hogan, la parole est à vous pour votre déclaration liminaire. Je ne vais pas surveiller le temps de très près comme je le fais habituellement, mais je tiens à dire que votre exposé sera suivi d’une période de questions de la part des sénateurs.
Karen Hogan, vérificatrice générale du Canada, Bureau du vérificateur général du Canada : Merci beaucoup, madame la présidente. Je vous suis reconnaissante de prolonger le temps imparti. Il est difficile de parler de cinq rapports en cinq minutes, alors je vais dépasser un peu le temps prévu. Mon exposé durera probablement 10 ou 12 minutes. Merci.
La présidente : Prenez votre temps.
Mme Hogan : Je suis très heureuse d’être ici aujourd’hui pour discuter des cinq rapports qui ont été déposés au Parlement le 19 octobre dernier. Je tiens à souligner que nous nous trouvons sur le territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin anishinaabe. Je suis accompagnée des directeurs principaux qui étaient responsables de ces cinq audits.
Deux points ressortent de ces rapports pour moi. Le premier concerne les données. La faiblesse ou la sous-utilisation des données nuit souvent à la capacité des ministères et des organismes de prendre des décisions éclairées, de surveiller les résultats et d’en faire rapport, et d’évaluer l’efficacité de leurs décisions. Au bout du compte, ces angles morts, qui reviennent dans tous les rapports, réduisent la capacité de la fonction publique d’offrir des programmes et des services qui répondent aux besoins des gens.
[Français]
Deuxièmement, je tiens à souligner l’importance d’agir en temps opportun et les conséquences lorsque cela n’arrive pas. Ce thème revient dans tous les rapports, qu’il s’agisse des progrès limités en ce qui concerne la résistance aux antimicrobiens, que l’Organisation mondiale de la santé a qualifiée de pandémie silencieuse l’an dernier, ou du vieillissement des systèmes informatiques, un problème que le gouvernement reconnaît depuis environ 24 ans. Il est inacceptable que les progrès se mesurent en années, sinon en décennies, alors que des gens risquent d’arrêter de recevoir les prestations sur lesquelles ils comptent ou qu’ils sont privés des médicaments dont ils ont besoin.
Je vais d’abord parler de notre audit sur la résistance aux antimicrobiens, un sujet que mon bureau a examiné pour la dernière fois en 2015. Lorsqu’il est question de santé publique, la récente pandémie de COVID-19 a montré que le coût d’une mauvaise préparation se mesure en nombre de vies perdues. C’est pourquoi la résistance aux antimicrobiens est inquiétante. Le taux de résistance aux antibiotiques de première ligne au Canada a été estimé à 26 % en 2018, et on s’attend à ce qu’il atteigne 40 % d’ici 2050.
[Traduction]
Nous avons constaté que, dans l’ensemble, le gouvernement fédéral a fait trop peu d’efforts pour contrer ce problème. Même si l’Agence de la santé publique du Canada a publié un plan d’action pancanadien sur la résistance aux antimicrobiens en juin 2023, je suis préoccupée par le fait qu’il manque à ce plan des éléments essentiels, comme des résultats attendus substantiels, des échéanciers, des méthodes pour mesurer les progrès, ainsi que des rôles et responsabilités clairement définis pour chaque niveau de gouvernement. Sans ces éléments, il est peu probable que ce plan aboutisse au moindre progrès.
Nous avons constaté que l’Agence de la santé publique et Santé Canada ont été lents à mettre en œuvre des changements, comme des mesures incitatives économiques, qui pourraient améliorer l’accès des Canadiennes et Canadiens aux antibiotiques de dernier recours. Seulement 2 des 13 nouveaux antibiotiques utilisés pour traiter les infections résistantes aux médicaments étaient disponibles au Canada, tandis que les 13 l’étaient aux États-Unis. Pour lutter efficacement contre la résistance aux antimicrobiens, le Canada doit avoir un portrait d’ensemble de l’utilisation des antimicrobiens et de la résistance aux antimicrobiens à l’échelle du pays, ainsi qu’un plan robuste pour s’assurer que les bons antimicrobiens soient disponibles en vue d’une utilisation appropriée pour protéger la santé des Canadiennes et des Canadiens.
Passons maintenant à nos deux prochains audits, qui sont étroitement liés. Le premier a examiné l’approche globale du gouvernement en ce qui concerne la modernisation des systèmes de technologie de l’information. Le deuxième a porté sur un seul programme qui vise à moderniser comment plus de 10 millions de Canadiennes et de Canadiens reçoivent leurs prestations de la Sécurité de la vieillesse, du Régime de pensions du Canada et de l’assurance-emploi.
Dans le premier audit, nous avons constaté qu’environ les deux tiers des quelque 7 500 applications logicielles en usage au gouvernement étaient en mauvais état. Ce chiffre comprend 562 applications essentielles pour la santé, la sûreté, la sécurité ou le bien-être économique de la population canadienne.
Nous avons constaté que plusieurs facteurs avaient contribué à des retards et à l’augmentation des coûts, y compris un manque de surveillance et de leadership centralisés, une pénurie de personnes qualifiées pour exécuter les travaux requis et une approche de financement rigide. Plus ces systèmes tardent à être modernisés, plus il y a un risque qu’ils tombent en panne et que la population canadienne perde l’accès à des services essentiels.
[Français]
Les constatations du second audit, portant sur le programme de Modernisation du versement des prestations, font écho à celles du premier. Les progrès relatifs à la modernisation des systèmes assurant le versement de prestations à la population canadienne ont été entravés par des retards, des augmentations de coûts et des problèmes de dotation. Le programme est à mi-parcours de son calendrier de 13 ans et le versement de toutes les prestations est encore assuré au moyen de systèmes vieux de 20 à 60 ans.
Ce second audit illustre aussi que le mécanisme de financement du gouvernement convient mal aux grands projets de technologies de l’information. Lorsque le programme de Modernisation du versement des prestations a été lancé en 2017, Emploi et Développement social Canada avait estimé qu’il coûterait 1,75 milliard de dollars. Le montant a été révisé deux fois depuis et il a atteint 2,5 milliards de dollars en avril 2022. Il changera probablement encore lorsque d’autres retards et difficultés surviendront. Ces révisions représentent une hausse de 43 % par rapport à 2017, et pourtant, aucun programme de prestations n’a encore migré vers la nouvelle plateforme.
[Traduction]
Nous avons constaté qu’Emploi et Développement social Canada avait modifié sa façon de traiter les retards et autres obstacles liés au programme de modernisation du versement des prestations. Par exemple, le ministère a fait passer le programme de la Sécurité de la vieillesse, soit le plus vieux des trois systèmes et celui qui risque le plus de tomber en panne, avant celui de l’assurance-emploi dans le calendrier de migration.
Bien que la décision d’Emploi et Développement social Canada de procéder d’abord à la migration des systèmes donne à juste titre la priorité au maintien du versement des prestations, je suis préoccupée par le fait que si les difficultés et les retards persistent, il pourrait être décidé d’éliminer certains aspects de la transformation ou de prendre des raccourcis pour respecter les échéanciers ou le budget, comme dans le cas du système de paye Phénix. Le programme de modernisation du versement des prestations risquerait alors d’aboutir à un produit final qui ne répondrait pas aux besoins des divers groupes de clients vulnérables, notamment les personnes âgées, les personnes vivant dans des régions éloignées, les Autochtones et les personnes réfugiées.
Notre quatrième audit a examiné le traitement des demandes de résidence permanente. Nous avons constaté des retards, des arriérés et des inefficiences qui ont des répercussions sur la vie des personnes qui souhaitent s’établir en permanence au Canada, la plus grande étant l’incidence sur les personnes qui soumettent une demande dans le cadre des programmes pour les réfugiés.
Bien qu’en 2022, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada a de façon générale réduit le temps de traitement des demandes et le nombre de dossiers accumulés, le ministère n’a pas respecté le délai fixé par ses normes de service pour le traitement des demandes dans les huit programmes que nous avons examinés. Les personnes présentant une demande au titre des programmes pour les réfugiés ont attendu le plus longtemps, soit en moyenne trois ans.
À la fin de 2022, environ 99 000 personnes réfugiées attendaient encore une décision concernant leur demande et, dans le contexte de traitement actuel, bon nombre de ces personnes attendront pendant des années.
Même si le gouvernement établit la cible du nombre de résidentes et de résidents permanents pouvant être admis au Canada pendant une année donnée, nous avons constaté que la plupart des retards et des arriérés étaient causés par les pratiques de travail du ministère. À titre d’exemple, le ministère ne traitait pas toujours les demandes selon l’ordre dans lequel elles étaient reçues, de sorte que les demandes plus anciennes continuaient de s’accumuler, et il ne tenait pas compte de la capacité de ses bureaux lorsqu’il transmettait les demandes à traiter.
[Français]
De plus, le ministère n’avait pas évalué si son outil automatisé d’évaluation de la recevabilité avait réduit le temps de traitement global pour tous les types de demandes, comme il le devait. Par ailleurs, il n’avait pas évalué ni éliminé les écarts non intentionnels dans les résultats pour les personnes qui présentaient une demande.
Le ministère doit analyser son accumulation de demandes pour comprendre les causes profondes des écarts dans les résultats. Il doit aussi s’assurer que les outils qu’il met en œuvre ne contribuent pas à ces écarts, et il doit faire correspondre les charges de travail avec les ressources disponibles dans ses bureaux, afin d’améliorer les temps de traitement.
Notre dernier audit a examiné les mesures prises par six organisations fédérales pour favoriser une culture organisationnelle inclusive et corriger les désavantages que connaissent les personnes racisées en milieu de travail.
Nous avons constaté que les six organisations avaient toutes établi des plans d’action en matière d’équité, de diversité et d’inclusion et qu’elles avaient pris certaines mesures, mais elles n’avaient pas évalué le progrès quant aux résultats et n’en avaient pas rendu compte de manière exhaustive.
Nous avons aussi constaté que les organisations n’établissaient pas toujours des ententes de rendement avec les cadres, les gestionnaires et les superviseurs en vue d’instaurer une responsabilisation afin d’appuyer l’inclusion et le changement. Les membres du personnel racisé qui ont participé volontairement à des entrevues dans le cadre de cet audit ont indiqué qu’ils percevaient cet écart et d’autres écarts, comme un manque d’engagement véritable à l’égard de l’équité, de la diversité et de l’inclusion.
[Traduction]
Même si les six organisations que nous avons auditées avaient mis leurs efforts à constituer un effectif représentatif de la société canadienne, il ne s’agit là que de la première étape. Elle ne suffit pas à propulser le changement requis pour créer un milieu de travail réellement inclusif. Pour qu’un réel changement se produise, les ministères doivent mobiliser activement les membres du personnel racisé, ils doivent utiliser de manière significative les données dont ils disposent pour éclairer la prise de décisions, et ils doivent tenir les cadres de direction responsables de concrétiser le changement.
Ces enjeux ne sont pas nouveaux. Si la COVID-19 nous a appris quelque chose, c’est qu’une préparation adéquate et une intervention rapide coûtent moins cher et donnent de meilleurs résultats. Je l’ai dit en mars 2021 et je le répète aujourd’hui: il ne devrait pas falloir qu’une crise éclate pour que le gouvernement saisisse l’importance d’agir promptement.
Madame la présidente, je termine ainsi ma déclaration d’ouverture. Nous serons heureux de répondre aux questions des membres du comité. Merci.
La présidente : Merci beaucoup, madame Hogan. Je vous remercie, ainsi que votre équipe, pour votre travail sur ces importants rapports.
Ces rapports que vous avez déposés recoupent le travail de nombreux comités, non seulement le nôtre. Je suis certaine que mes collègues qui siègent à d’autres comités poseront des questions avec ce point de vue en tête.
Si je puis me permettre, je vais y aller en premier. Je suis très préoccupée par l’absence de progrès en ce qui a trait à la modernisation des systèmes de technologie de l’information servant au versement des prestations aux Canadiens. Le ministère avait estimé que le programme de modernisation coûterait 1,75 milliard de dollars, mais ce montant a gonflé pour atteindre 2,5 milliards de dollars. Il est probablement juste de dire que si nous ne progressons pas maintenant, nous allons payer plus tard.
Pouvez-vous me dire quelle a été la réponse du gouvernement à ces rapports et quelles mesures il est en train de mettre en œuvre?
Mme Hogan : Nous avons effectué en même temps ces deux audits sur les systèmes de technologie de l’information pour contribuer à donner au gouvernement une bonne idée de la situation. Le premier audit visait à examiner l’ensemble de la stratégie et des systèmes du gouvernement, et le deuxième visait à examiner en profondeur un projet de modernisation, à savoir le programme de modernisation du versement des prestations.
Nous avons travaillé en étroite collaboration avec la dirigeante principale de l’information du Canada, le Conseil du Trésor et Services partagés Canada. Les réactions ont été excellentes. Ils se sont dits très reconnaissants de notre travail et nous ont remerciés d’avoir porté à leur attention certaines des préoccupations soulevées par les dirigeants principaux de l’information que nous avons sondés dans l’ensemble du gouvernement. Le fait est que nous avons un mécanisme de financement qui n’évolue pas au même rythme que la modernisation des systèmes de technologie de l’information du gouvernement. Il est lent et lourd et il manque de souplesse.
Les réactions ont été positives. On juge l’arbre à ses fruits, comme on dit, alors il faudra voir les mesures qui seront prises, car il a été décevant de constater que le problème a été soulevé il y a 24 ans — les systèmes de TI vieillissants constituaient une préoccupation à ce moment-là — et qu’on a observé très peu de progrès au cours des 24 dernières années.
La présidente : Je suis curieuse de voir si on observera des progrès étant donné que les ministères ont reçu la directive du Conseil du Trésor de réduire les dépenses. Nous avons donc hâte de voir les résultats des examens que vous effectuerez ultérieurement.
La sénatrice Cordy : Je vais poser deux questions en même temps.
La présidente : C’est une bonne stratégie.
La sénatrice Cordy : Je vous remercie beaucoup d’être parmi nous. Vos observations sont très utiles. Merci pour les détails que vous nous avez fournis au sujet de quelques-unes des études que vous avez effectuées.
Mes questions sont d’ordre général. Il y a d’excellents fonctionnaires brillants au sein de la fonction publique, et pourtant, il semble y avoir des problèmes. Les choses semblent s’enliser et paraissent désorganisées. De notre côté — je veux parler des sénateurs — lorsque nous essayons d’obtenir de l’information, nous nous demandons pourquoi nous devons parfois attendre six mois avant d’obtenir de l’information concernant un sujet d’actualité.
L’absence de données constitue également une grande préoccupation lorsque nous effectuons des études. Je vais parler précisément des pêches, car j’arrive d’une réunion du Comité des pêches. Les données dont nous disposons ne sont pas solides, elles semblent sous-utilisées et elles sont très vieilles.
Je vais vous donner un exemple précis. Nous étudions la chasse aux phoques, et nous savons qu’il y a plus de 30 ans, en 1992, on a imposé un moratoire sur la pêche à la morue. On pensait qu’en imposant un moratoire, les stocks de poisson augmenteraient et que tout serait beau, mais ce n’est pas ce qui s’est produit.
Est-ce que la surabondance de phoques est à l’origine du problème? Nous ne le savons pas. Nous ne pouvons pas obtenir cette information. C’est très frustrant. Je vous parle d’un cas précis, mais c’est un problème général. Nous croyons que nous pouvons communiquer avec un ministère pour lui demander de nous fournir des données précises, et nous nous attendons à recevoir des données qui remontent à il y a deux ou trois ans tout au plus.
L’autre préoccupation exprimée par de nombreuses personnes, des Canadiens, concerne les délais. Les gens présentent des demandes, et les délais de réponse sont longs. Lorsqu’ils effectuent une demande, ils veulent obtenir une réponse assez rapidement, et il en va de même pour les sénateurs. C’est ce que veulent les Canadiens qui appellent pour obtenir de l’information ou qui essaient de trouver de l’information en ligne.
Comment pouvons-nous assurer aux Canadiens que les données qu’ils obtiendront d’un ministère seront raisonnablement récentes? Je sais que les données ne remonteront pas à il y a quelques mois et je sais que vous prenez votre temps pour examiner divers ministères, mais pouvons-nous garantir que les données ne seront pas inutiles tellement elles sont obsolètes?
En outre, comment pouvons-nous améliorer les délais de réponse pour les Canadiens ainsi que pour les sénateurs et les députés qui cherchent à obtenir de l’information aux fins de leurs rapports?
Mme Hogan : Je souhaiterais avoir la bonne réponse à cette question pour vous permettre d’obtenir plus rapidement l’information que vous demandez. Je ne suis pas la seule au sein de mon bureau à souhaiter cela.
Vous avez soulevé de nombreux problèmes, et j’aimerais revenir à certains éléments fondamentaux. Premièrement, je crois qu’il n’y a pas beaucoup d’organisations qui comprennent les données qu’elles possèdent ou qui savent quelles données elles doivent posséder pour être en mesure de prendre de bonnes décisions. C’est l’un des points faibles.
Ensuite, nous observons souvent que les organisations recueillent beaucoup de données, mais qu’elles ne s’en servent pas pour guider leurs décisions. Au cours des dernières années, toutes les entités ont dû élaborer une stratégie en matière de données, ce qui devrait contribuer à améliorer les choses à cet égard. Cet exercice devrait les avoir forcées à réfléchir aux données qu’elles détiennent ou aux données dont elles ont besoin.
Cependant, trop souvent, lorsque nous menons un audit, nous constatons que certaines choses n’ont pas été mûrement réfléchies, alors nous adoptons une approche différente. Nous demandons aux entités de nous fournir les données dont elles disposent. Si elles n’ont pas analysé ces données, nous pouvons peut-être alors les analyser pour les aider et les mettre sur la bonne voie.
Je crois que nous ne faisons pas suffisamment appel à Statistique Canada. Ce ministère ne sera peut-être pas d’accord avec moi, car ses employés sont probablement fort occupés, mais nous avons vraiment essayé de collaborer avec lui dans le cadre de certains audits parce qu’il a accès à beaucoup d’informations, qu’il peut établir de nombreux liens et qu’il dispose, contrairement à de nombreux ministères, de l’expertise nécessaire en matière d’analyse de données.
Je crois que le problème concerne en partie les données, l’accès aux données et la connaissance du type de données qu’il faut recueillir, mais il faut aussi les compétences nécessaires pour utiliser et analyser les données, ou même la volonté de les utiliser et de les analyser. C’est ce que nous avons observé dans bien des cas.
En ce qui a trait aux délais, c’est un problème différent. Les ministères reçoivent de nombreuses demandes de toutes sortes, qu’il s’agisse de demandes d’accès à l’information et de protection des renseignements personnels ou de demandes internes exigeant de démontrer qu’ils respectent les exigences des politiques et des programmes. Il y a aussi des demandes dans le cadre d’audits et toutes les demandes des comités. Les demandes sont nombreuses, et souvent, elles sont adressées en même temps au même ministère, et il y a des limites à ce que les fonctionnaires sont en mesure d’absorber.
Vous avez commencé en disant que les fonctionnaires souhaitent vivement bien servir les Canadiens. Nous devons simplement parfois leur donner le temps nécessaire pour être en mesure de le faire, mais nous devons les encourager à remettre en question les anciennes façons de faire, car l’efficacité fait vraiment défaut, et nous observons l’absence de bons outils de TI pour appuyer la prise de décisions, car c’est à cela que servent les outils de TI. Ces outils devraient appuyer la prise de décisions, et non la remplacer.
La présidente : Merci beaucoup.
La sénatrice Osler : Je vous remercie tous pour votre présence aujourd’hui. Ma question porte précisément sur le Rapport 5, intitulé L’inclusion en milieu de travail pour le personnel racisé. Je voudrais creuser un peu la question de l’inclusion. On dit que la diversité, c’est être invité à la fête et que l’inclusion, c’est être invité à danser. J’ajouterais que cela signifie être vu, entendu et valorisé.
J’ai réfléchi aux données que les six organisations évaluent et je me suis demandé si les initiatives en matière d’équité, de diversité et d’inclusion constituent à leurs yeux une case à cocher pour démontrer qu’elles obtiennent des résultats sur les plans de l’équité et de la diversité.
Avez-vous trouvé que les organisations disposaient de suffisamment de données pour mesurer l’inclusion et faire un suivi à cet égard? Pensez-vous que vos recommandations suffiront à forcer les six organisations à rendre leurs milieux de travail plus inclusifs?
Mme Hogan : Je peux répondre en un seul mot à la première question, mais je vais en dire plus long. Ma réponse serait non, les organisations ne se sont pas donné les moyens de recueillir l’information et de mesurer l’inclusion.
Je pense toutefois qu’on aurait tort — et je vais répondre partiellement à la deuxième question du même coup — de simplement penser que nous devons obliger ces six organisations à faire mieux. Nous le faisons, mais elles n’étaient qu’un échantillon de la fonction publique fédéral. J’aurais pu en choisir six au hasard. J’en ai choisi six dans un portefeuille parce qu’elles représentaient un groupe important de fonctionnaires. J’espérais peut-être voir des occasions de tirer parti de pratiques exemplaires puisqu’elles étaient dans le même portefeuille.
Ce qui a vraiment été mis au jour, c’est que chaque organisation a sa propre culture, est très unique et peut avoir différents défis à relever. Nous avons vu du progrès et des activités partout, et je pense que nous verrions la même chose dans l’ensemble de la fonction publique.
J’espère que ce rapport sonne l’alarme pour l’ensemble de la fonction publique et que chaque administrateur général se dit qu’il doit examiner ces recommandations et se demander ce qu’il doit faire différemment ou mieux. Car il n’est pas uniquement question des six organisations que nous avons auditées. Il faut que ce soit dans l’ensemble de la fonction publique.
Ce que beaucoup d’organisations nous ont dit, c’est qu’elles avaient besoin d’un soutien central et d’une orientation centrale, ce qui explique pourquoi certaines de nos recommandations ont été transmises au Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada, où se trouve le Bureau du dirigeant principal des ressources humaines du Canada.
Il y a un petit manque de compétences quant à la façon de mesurer les résultats ou l’inclusion, et j’admets que ce n’est pas simple. Même pour déterminer dans quelle mesure les comportements ont changé, il faudra du temps.
À cette fin, les ministères ont besoin de directives d’un expert en ressources humaines, mais ils doivent aussi assumer leurs responsabilités en recueillant les données dont ils ont besoin afin de les utiliser, de les analyser et d’essayer d’établir des liens. J’espère que cela entraînera des changements dans ces six organisations, mais mon objectif, c’est que cela ait plus de poids au bout du compte si tout le monde dans la fonction publique y prête attention.
La sénatrice Osler : Merci.
[Français]
La sénatrice Mégie : Merci aux témoins d’être avec nous. J’aimerais vous poser une question concernant la résistance aux antibiotiques. Le rapport mentionne, et je cite :
[…] les Canadiennes et les Canadiens n’avaient pas accès à 19 antibiotiques sur les 29 que l’Organisation mondiale de la Santé avait classés comme antibiotiques de réserve […]
Est-ce parce que les autres antibiotiques n’ont pas encore été homologués par Santé Canada, ou bien ils ont été homologués, mais personne ne les utilise?
Mme Hogan : Je vais me retourner pour m’assurer d’avoir donné la bonne réponse lorsque j’aurai terminé, parce que la directrice principale responsable de l’étude est derrière moi.
Plusieurs antibiotiques ont été approuvés pour utilisation au pays. L’approbation de Santé Canada est là, mais la demande n’y est pas, donc les fournisseurs ne les offrent pas au Canada. Il s’agit de 19 antibiotiques parmi les 29 qui sont de dernier recours; plus important encore, le Canada a accès à seulement 2 des 13 antibiotiques qui sont nouveaux sur le marché. Ce qui est important par rapport à ces nouveaux antibiotiques, c’est que les virus changent très rapidement, et il est essentiel de toujours avoir accès à la nouvelle technologie.
Puisque le Canada n’a pas de capacité pour produire des vaccins au pays, il doit donc avoir accès à des vaccins disponibles dans d’autres pays. Je vais me retourner pour m’assurer que j’ai donné la bonne réponse. Oui.
La sénatrice Mégie : En consultant un tableau des différentes sociétés d’État et des différents audits qui ont été faits de ces sociétés, je remarque qu’il y a une différence notable dans le coût de certains d’entre eux.
Est-ce que la différence s’explique parce que les audits ont été faits par des entreprises privées ou des sociétés d’État? Qu’est-ce qui explique cette différence de coûts?
Mme Hogan : Parlez-vous de la section de notre rapport où l’on fait état des coûts des audits des sociétés d’État?
La sénatrice Mégie : C’est cela.
Mme Hogan : Oui, il y a plusieurs raisons. Parfois, nous avons travaillé avec une autre équipe du secteur privé, et il s’agissait alors d’un audit mixte; on réalise la moitié de l’audit et une entreprise du secteur privé se charge de l’autre moitié.
Toutes les sociétés d’État ne sont pas identiques; parfois, les audits représentent des centaines d’heures de travail, alors que d’autres se chiffrent en dizaines de millions d’heures. Cela dépend des risques que prend la société d’État, de sa taille et de la complexité des états financiers. Par exemple, une société d’État qui fait beaucoup d’investissements est beaucoup plus complexe qu’un musée. Cela dépend donc des enjeux de l’audit, qui peuvent parfois faire augmenter le nombre d’heures nécessaires; de plus, au cours d’une année donnée, il peut y avoir de nouvelles normes de comptabilité à mettre en œuvre.
Cette année, beaucoup de sociétés d’État ont dû mettre en place de nouvelles normes comptables; cela peut aussi faire augmenter le nombre d’heures d’une année à l’autre.
La sénatrice Mégie : Merci beaucoup.
Le sénateur Cormier : Merci d’être ici. J’ai lu l’essentiel de vos rapports et je suis absolument impressionné et troublé par leur contenu. Je me sens très interpellé par certains rapports, et je crois qu’ils devraient nous accompagner dans tous nos travaux. Il s’agit d’informations absolument pertinentes.
Mes questions porteront sur le rapport n° 5. S’il y a un deuxième tour de questions, je poserai des questions sur le rapport n° 9.
On est tous d’accord pour dire que la fonction publique doit refléter la population canadienne, et la Loi sur l’équité en matière d’emploi a justement été adoptée pour cette raison. Au sens de cette loi, les femmes, les Autochtones, les personnes handicapées et les personnes qui font partie des minorités visibles sont visées par des mesures d’équité. Est-ce que je comprends bien que les communautés 2ELGBTQI+ ne sont pas visées comme un groupe en quête d’équité au sein de la fonction publique? Si oui, mes questions sont les suivantes. Est-ce que le fait que ces communautés sont exclues du cadre de cette loi vous empêche, vous et votre bureau, de mener des enquêtes comme vous l’avez fait pour le personnel racisé, par exemple?
Ma deuxième question concerne votre rapport. Nous savons que l’identité queer et transgenre est souvent à l’intersection d’autres groupes minoritaires. Est-ce que les institutions fédérales que vous avez étudiées dans le cadre de ce rapport compilent ce genre de données, font de la promotion et sont sensibilisées à la discrimination envers cette diversité intersectionnelle?
Mme Hogan : Merci de nous dire que vous aimez les sujets et qu’ils sont pertinents. Nous tentons de choisir des audits qui apporteront une valeur ajoutée et seront pertinents. Nous avons fait ces choix d’audits il y a quelques années et nous réévaluons toujours nos choix. Merci beaucoup de cette rétroaction.
Vous parlez de la politique d’équité en matière de diversité. Vous avez parlé des quatre groupes qui sont représentés; il s’agissait là d’une situation problématique dans notre audit, et c’est un problème qui se pose dans la fonction publique. Le groupe des minorités visibles comprend une variété d’autres groupes minoritaires. Le gouvernement fédéral ne dispose pas d’informations ventilées à ce sujet actuellement. Je sais qu’il existe un plan visant à modifier l’auto-identification, mais sans cette information, il est très difficile pour un ministère de consolider les résultats.
En 2020, lorsque j’ai commencé à occuper mes fonctions, c’était l’une des questions que j’avais posées. Je pouvais voir le nombre de minorités visibles embauchées dans mon bureau, mais j’ai demandé que l’on me parle des différentes ethnies et autres caractéristiques. Nous ne disposions pas de cette information. Nous avons pu changer notre formulaire, parce que nous sommes un employeur indépendant, et nous l’avons fait l’an dernier. Cependant, ces informations ne sont pas disponibles au sein du gouvernement fédéral.
Pour la communauté 2ELGBTQI+, si l’information n’est pas collectée ou exigée, on ne peut pas la consulter.
Le sénateur Cormier : Vous ne pouvez donc pas l’indiquer dans votre formulaire ou faire une enquête?
Mme Hogan : Nous n’avons pas mené d’enquête sur les fonctionnaires. Nous nous contentons d’examiner l’information collectée par les ministères et de voir quelles informations sont à leur disposition pour étayer leurs décisions. Cette information est manquante.
Nous avons aussi produit un autre rapport sur l’analyse ACS+, et j’ai comparu à ce sujet devant votre comité pour discuter de ce rapport. Il s’agissait de l’une de nos constatations, soit qu’il y avait un manque d’informations sur les données démographiques des individus afin de pouvoir détailler davantage les réponses et les approches, ainsi que pour identifier les obstacles.
Nous avons fait des recommandations visant à améliorer la collecte de données, mais sans informations détaillées, c’est très difficile.
[Traduction]
La sénatrice McPhedran : Merci beaucoup. J’ai un certain nombre de questions, mais une chose m’intrigue en particulier, et je veux m’assurer d’avoir bien compris vos observations, madame la vérificatrice générale. Vous avez vraiment mis l’accent sur les résultats et le fait que vous n’avez pas trouvé d’approche systémique ou de systèmes en place pour faire un suivi et mesurer les résultats. Je pense que vous avez parlé de comparer l’information disponible à ce qui se faisait. Je pense que vous avez utilisé le terme « résultats ».
Ce que je veux savoir — pour revenir à certains des autres points abordés —, c’est pourquoi nous avons cette lacune. Je dirais que c’est plutôt méthodique depuis très longtemps, depuis que le Canada a commencé il y a des dizaines d’années à prendre les devants en matière d’équité, de diversité et d’inclusion, et nous entendons maintenant parler d’un suivi ou d’une lacune dans la mise en œuvre.
Y a-t-il une méthode que votre équipe envisage et sur laquelle vous vous êtes entendu quant à la façon de faire rapport, d’apporter des changements et d’utiliser l’information pour réaliser les objectifs qui sont maintenant établis depuis longtemps? Il y a la collecte d’information dont vous avez parlé, puis l’utilisation de l’information et la mesure des changements apportés ou des résultats.
Mme Hogan : Je suppose que vous faites allusion à notre méthode d’audit sur l’inclusion dans le milieu de travail.
La sénatrice McPhedran : Merci.
Mme Hogan : D’accord. Je vais voir si Mme Agnew veut ajouter quelque chose, car elle s’y connaît beaucoup plus que moi dans le domaine.
Je veux d’abord souligner qu’il s’est fait beaucoup de choses formidables dans la fonction publique en réponse à l’appel à l’action du greffier. Nous devons reconnaître que de nombreux ministères ont déployé beaucoup d’efforts. Le problème, c’est que l’accent était surtout mis sur l’atteinte des objectifs d’équité en matière d’emploi, pour changer le visage de la fonction publique de manière à ce qu’il reflète celui de la société canadienne, mais on ne s’est pas vraiment demandé si les employés racisés se sentaient valorisés ou inclus dans leur milieu de travail.
Il existe une méthode complète pour auditer la culture d’une organisation. Dans ce cas-ci, nous ne l’avons pas fait. Nous n’avons pas vérifié la culture. Nous avons seulement vérifié si les ministères s’étaient donné les moyens d’essayer de le faire eux-mêmes, et l’étape de base qui consiste à regarder au-delà des seuls chiffres n’avait pas été franchie. Il n’est pas simple de mesurer les résultats, l’inclusion ou un changement de comportement. Même dans mon organisation, je peux vous dire que tout le monde a suivi une formation sur les préjugés inconscients, mais j’admets que nous n’avons pas fait de suivi pour voir si le comportement de nos superviseurs a changé. Le supérieur immédiat a vraiment tous les jours une incidence sur la vie du fonctionnaire subalterne, et nous devons vraiment aborder la question sous cet angle. Entre autres choses, nous avons vérifié si cela faisait partie des objectifs. Essaie-t-on vraiment de mesurer le rendement d’une personne par rapport à l’objectif qui consiste à avoir une fonction publique plus inclusive?
Ce que nous avons constaté, c’est que même si c’était le cas chez les cadres supérieurs, cela ne se répercutait pas sur les échelons inférieurs. Il y a vraiment un fossé, car ce sont ces personnes qui ont tous les jours une incidence sur la vie des fonctionnaires.
Ce n’est pas simple. Vous m’avez demandé si nous avons utilisé une méthode, mais notre objectif n’était pas d’examiner la culture, mais il y a des façons de faire.
Je ne sais pas si Mme Agnew veut ajouter quelque chose.
Carey Agnew, directrice principale, Bureau du vérificateur général du Canada : Merci de la question. Je veux souligner l’importance dans ce domaine de la collecte de données qualitatives et de données quantitatives. Il est vrai que les données ne sont pas parfaites, et nous l’avons indiqué dans le rapport, mais ce sont les meilleures données que les ministères possèdent, et ils devraient s’en servir.
Il était important d’entendre les employés racisés parler de leurs expériences, et nous avons donc eu des entretiens privés avec des volontaires des communautés racisés et des réseaux de ces employeurs pour poser des questions de nature qualitative, ce qui a guidé nos travaux.
En ce qui concerne la méthode, c’était essentiel pour obtenir nos résultats et tirer nos conclusions. Les problèmes qui ont été soulevés étaient très graves : un manque de reddition de comptes, en particulier, ainsi que de graves conséquences pour la santé mentale. Ces conclusions nous ont aidés à orienter notre engagement dans le cadre de cet exercice.
La sénatrice Burey : Merci beaucoup d’être ici. Ce sont des renseignements précieux. Merci de votre travail, madame la vérificatrice générale.
Je voulais regarder la situation dans son ensemble. L’un des rôles de nos institutions consiste à faire les rapprochements qui permettent d’expliquer pourquoi c’est important. Ma question vise à faire des rapprochements entre tout ce que vous avez dit et le manque de reddition de comptes relativement aux résultats.
Quelle est l’incidence sur la confiance envers les institutions canadiennes, qui sont le fondement de notre démocratie, et peut-être même sur la prolifération de la mésinformation et de la désinformation? C’est une question plus vaste à propos des données désagrégées, des indicateurs, de la modernisation des programmes. Lorsque cette confiance est érodée, quelles sont les répercussions sur notre société?
Mme Hogan : Je répondrais de deux façons. Lorsque j’examine l’inclusion au sein de la fonction publique, et c’est ce que nous avons fait, je pense que la notion de confiance est importante, et cela ne se limite pas à la confiance des Canadiens envers leur fonction publique et leurs gouvernements. C’est réciproque. Les gens doivent être disposés à nous communiquer des renseignements personnels, puis à faire confiance aux décideurs pour qu’ils s’en servent correctement.
Il a fallu des dizaines d’années pour que la fonction publique en arrive là où elle en est. On ne peut toutefois pas attendre aussi longtemps avant que cela change, avant de vraiment avoir une fonction publique inclusive.
La confiance est nécessaire dans les deux sens, et je pense que les décideurs doivent utiliser ce qu’ils ont à leur disposition pour montrer aux employés racisés qu’ils pensent ce qu’ils disent, que ce n’est pas tout simplement un appel à l’action et une réponse, qu’ils veulent vraiment changer la culture dans l’ensemble de la fonction publique. Pour ce faire, je pense que les gestes sont beaucoup plus éloquents que les paroles.
En brossant un tableau plus vaste des conséquences au pays des systèmes de TI vieillissants et de la difficulté que pourraient avoir les Canadiens à interagir avec le gouvernement, je vois l’érosion de la confiance. Le problème perpétuel dans la fonction publique est le diktat du long terme. Elle doit adopter une approche intergénérationnelle, mais elle est soumise en même temps à une pression politique assortie d’une vision à très court terme. Les gouvernements sont au pouvoir pendant quatre ans. Pendant cette période relativement courte, les gouvernements peuvent changer, de même que les priorités. Cette lutte entre les deux visions est constante, mais la fonction publique doit s’efforcer de se concentrer sur le long terme.
À mon avis, cela explique en partie pourquoi les investissements dans l’infrastructure des TI sont toujours reportés. J’admets que la promesse de dépenser des milliards de dollars pour mettre à jour un système de TI que personne ne voit n’est pas très séduisante, surtout sur une plateforme électorale. Nous avons constaté à maintes reprises le rôle crucial que jouent les systèmes de TI lorsque vient le temps de verser rapidement aux Canadiens des prestations dont le montant n’est pas erroné. La pandémie a fait ressortir l’importance d’investir dans des choses que l’on ne voit pas.
Malgré les pressions exercées pour resserrer les cordons de la bourse et réduire les dépenses, il faut continuer à investir dans les moyens d’améliorer la prestation de services aux Canadiens.
Une des grandes préoccupations soulevées lors de l’audit sur les TI est la nécessité de ne pas perdre de vue, au nom des économies et des échéanciers, des facteurs tels que la transformation, la nécessité d’élargir l’accès aux prestations de même que l’accroissement de la convivialité des systèmes qui permettent de toucher ces prestations et d’interagir avec le gouvernement. Il faut continuer à dépenser prudemment et judicieusement, mais en tenant compte également que dans le domaine des TI, plus on attend pour investir, plus les coûts seront exponentiels.
Je vais faire une brève analogie. Vous roulez dans une voiture rutilante de 50 ans, qui est pratiquement une pièce de collection, mais qui coûte très cher à entretenir et à réparer et qui n’est peut-être pas aussi fiable qu’une voiture neuve. À un moment donné, une analyse coûts-avantages devra être effectuée pour déterminer s’il vaut mieux conserver la vieille voiture ou en acheter — ou en louer — une nouvelle. Cette décision devra être prise tôt ou tard.
À propos des systèmes que nous avons examinés dans l’audit du programme de Modernisation du versement des prestations, presque tous les Canadiens reçoivent au cours de leur vie des prestations par l’entremise d’un de ces systèmes. Les décisions prises aujourd’hui auront une incidence sur les prochaines générations de Canadiens. Il ne faut donc pas se tromper.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Merci beaucoup d’être là; c’est très intéressant, autant comme lecture que comme étude du comité.
J’ai une question sur la section qui concerne l’efficacité des antimicrobiens. Je vais mettre ma question en contexte. Je lisais les recommandations, et vous avez parlé de certains progrès, de collectes de données, de préserver l’efficacité et d’améliorer l’accès. Il y a une chose que je n’ai pas vue, mais cela figure peut-être quelque part : est-ce que, d’une façon ou d’une autre, vous avez un avis sur l’importance de la question ou sur le temps que l’Agence de la santé publique — et je sais qu’il s’agit de compétences partagées — a passé à examiner la cause de cette résistance?
Je vais vous dire pourquoi je pose cette question. Je sais que certaines communautés, comme les blessés médullaires, les personnes en situation de handicap qui ont subi des blessures médullaires, ont cette résistance, de façon un peu disproportionnée. La cause, c’est qu’il y a eu de la surprescription et de l’automédication à une certaine époque. Avez-vous constaté qu’on s’occupe du problème en essayant de faire de la sensibilisation et d’avoir un impact là-dessus? Est-ce qu’on s’occupe de ce qui se passe aujourd’hui?
Mme Hogan : Il y a vraiment plusieurs enjeux et les rôles et responsabilités se chevauchent. Le gouvernement fédéral a un rôle à jouer, mais la santé est gérée par les provinces. De plus, les médecins sont autorégulés. Donc oui, on a constaté qu’il y avait un besoin d’information sur les prescriptions. En fait, on a vu une amélioration du côté vétérinaire, parce qu’il faut aussi penser que ce problème ne touche pas que les humains. Il y a une approche unique de la santé qui comprend la nourriture, les animaux, l’environnement et les humains; il y a donc toute une approche à considérer.
On a vu qu’il y avait des améliorations par rapport aux prescriptions vétérinaires. Les animaux qui deviennent des animaux de consommation, qu’est-ce qu’on leur donne et quelle incidence cela a-t-il sur les humains? En effet, s’il y a des antibiotiques dans leur nourriture, les humains les consomment eux aussi. La surprescription est un enjeu que l’Agence de la santé publique du Canada connaît bien. C’est l’une de nos recommandations, soit évaluer la source et les causes profondes, puis travailler avec les partenaires pour savoir où sont les antibiotiques. Sont-ils surprescrits, sont-ils trop utilisés? En effet, on a constaté que les antibiotiques de première ligne fonctionnaient de moins en moins. Nos corps sont habitués et les antibiotiques ne sont pas efficaces. Cela faisait partie de nos recommandations, et c’est un enjeu un peu caché dont on a parlé avec les deux ministères.
La sénatrice Petitclerc : Merci beaucoup; je suis consciente que cette question avait trait à plusieurs dossiers et je vous remercie de la réponse.
[Traduction]
La sénatrice Dasko : Merci d’être des nôtres aujourd’hui. Je suis ravie de vous revoir, madame Hogan. Vous expliquez tellement bien les choses. C’est un réel plaisir de vous écouter.
J’ai beaucoup de questions sur les données. Nous avons entendu parler de données qui seraient sous-utilisées. La sénatrice Cordy l’a mentionné, et vous avez aussi parlé de la sous-utilisation. Vous avez dit également que certaines personnes ne comprennent pas les données, ce qui laisse entendre une sous-utilisation ou une mauvaise utilisation. On rapporte souvent au comité des problèmes liés à des données manquantes.
Les études que vous avez menées ont-elles fait ressortir des problèmes de données systématiques qui touchent plusieurs dossiers? Y a-t-il un élément qui ressort ou y a-t-il une multitude d’éléments hétérogènes? Avez-vous noté des problèmes systématiques répandus dans toutes les organisations?
Mme Hogan : Mes collaborateurs pourront ajouter quelque chose s’ils le souhaitent, mais je pencherais pour la deuxième possibilité, car les situations varient beaucoup. Il est nécessaire d’acquérir une bonne compréhension du monde des TI au gouvernement. Or, la dirigeante principale de l’information du Canada ne possède pas toutes les données nécessaires. Il faudrait que chaque ministère fournisse des informations sur les applications telles que l’âge des applications en question et leur utilité, et préciser si celles-ci sont essentielles à sa mission.
Il manque de données dans ce domaine. Les ministères ne fournissent pas ces informations et ne les tiennent pas à jour parce que les choses évoluent constamment. Un des enjeux communs serait le caractère exhaustif et l’obtention en temps utile des données.
À propos des données sur les employés racisés, certaines sont déjà accessibles. Nous n’avons qu’à penser aux données sur les cotes de rendement des employés et aux informations sur les promotions. Il faudrait par contre que ces deux ensembles soient colligés, puis analysés selon le groupe démographique. La division des données en sous-groupes permettrait de se pencher sur les personnes racisées en situation de handicap, par exemple.
Certaines données sont accessibles, mais elles ne sont pas appariées de cette manière. Comme je l’ai mentionné plus tôt, il manque beaucoup de données dans ce domaine. Étant donné le caractère homogène du groupe des personnes racisées, il est impossible de dégager des sous-groupes tant que les informations ne sont pas regroupées.
Nous constatons invariablement que les données ne sont pas suffisamment désagrégées. Elles ne sont pas toujours complètes et accessibles en temps utile, car les efforts à déployer pour dresser un portrait pangouvernemental nécessitent la contribution de nombreux partis. Pour ce faire, les ministères doivent travailler individuellement et mettre ensuite en commun les données. Quelqu’un voudrait-il ajouter quelque chose? Je crois que tout le monde est satisfait de ma réponse.
La sénatrice Dasko : Vous avez réalisé de nombreuses études de cas. Pouvez-vous nous donner des exemples tirés de ces études de situations vraiment problématiques concernant les données? Pour vous éviter de pointer une organisation en particulier, je vais donner une tournure positive à ma question. Nous aurons alors les deux points de vue. Dans les études que vous avez menées, y a-t-il une organisation qui se distingue par sa bonne gestion des données?
Mme Hogan : Je vais fournir quelques observations, mais je voudrais aussi apporter une précision. Je vais parler des six organisations visées par l’audit sur les lieux de travail inclusifs, mais je rappelle à tout le monde que cet échantillon peut s’appliquer n’importe où ailleurs dans la fonction publique. Le nom des organisations est parfaitement interchangeable.
Dans l’audit, nous avons constaté que Justice Canada était un chef de file dans l’art de mobiliser les employés et d’essayer de comprendre leur expérience au moyen de données quantitatives et qualitatives. Le ministère ne possède pas pour autant toutes les données nécessaires. En effet, il lui manque encore des données, puisque les déclarations volontaires ne comportent que quatre groupes désignés pour l’équité en matière d’emploi. Il y a encore des lacunes. Le ministère n’est pas encore passé maître en ce qui concerne les données.
La sénatrice Dasko : Ces groupes ne sont pas encore suffisamment pris en compte?
Mme Hogan : Non. La GRC est probablement l’organisation qui utilise le moins ses données, même si elle possède les mêmes données que n’importe quelle autre organisation. Sont-ils pires que les autres? La même chose s’observe partout ailleurs dans la fonction publique. Au cours de l’audit, nous avons beaucoup appris, au bureau, sur notre propre utilisation des données, car nous avons analysé notre travail selon les mêmes critères. Il nous arrive à nous aussi de ne pas utiliser les données comme nous le devrions.
Voilà pourquoi chaque ministère devrait examiner le rapport et réfléchir aux moyens à prendre pour apporter des améliorations.
La sénatrice Dasko : Merci.
La sénatrice Moodie : Merci, madame Hogan, de vos réponses réfléchies, détaillées et substantielles. Vous abattez une somme de travail impressionnante. Je tiens à vous féliciter, vous et votre équipe.
Je suis médecin et je sais que les antimicrobiens perdent de leur efficacité au fil du temps, ce qui complique la tâche de soigner les infections qui résistent à un grand nombre de médicaments. Pour contrer ce problème qui perdure depuis longtemps, un nouveau domaine d’étude, la gestion des antimicrobiens, a été établi. Nous avons acquis en outre une meilleure compréhension des variables multifactorielles en jeu, que vous avez mentionnées dans votre rapport.
Votre rapport indique que d’ici 2050, au Canada, un taux alarmant de 40 % des infections ne pourraient ne plus répondre aux antimicrobiens de première ligne. Étant donné que la mise en marché des médicaments dépend largement des sociétés pharmaceutiques, qui elles, répondent à la demande, et que le marché au Canada est petit, notre accès aux médicaments est tributaire des interventions du gouvernement.
À votre avis, le gouvernement en fait-il assez pour améliorer l’accès du marché canadien aux médicaments antimicrobiens — les nouveaux dont nous avons parlé — et à certaines avancées scientifiques...
Mme Hogan : Nous avons conclu notamment que le gouvernement n’en faisait pas assez pour contrer les problèmes connus concernant la résistance aux antimicrobiens. Vous avez raison de dire que le phénomène n’est pas nouveau.
Malheureusement, en 2018, un peu plus de 5 000 décès étaient attribués ou liés à la résistance aux antimicrobiens. Ce qui est triste, c’est que le médicament qui aurait — peut-être — pu aider ces personnes existait, mais n’était pas offert au Canada.
Si nous comparons le Canada à d’autres pays, nous voyons que des mesures réglementaires ou des mesures incitatives économiques sont en place pour pousser les sociétés pharmaceutiques à élargir l’accès aux médicaments au Canada. Le Canada est un petit marché et les progrès dans ce domaine sont minimes. Lorsque nous avons cherché des réponses — à ce problème qui n’est pas nouveau —, nous avons constaté que pour la première fois, très récemment, des fonds avaient été alloués à la lutte contre la résistance antimicrobienne. Jusqu’à présent, les fonds — prévus dans le budget de deux ministères — étaient davantage destinés à l’avancement de la recherche qu’à la question plus grave de l’accès aux médicaments.
Sans financement, les plans d’action ne se soldent que par des progrès minimes. Nous espérons qu’à la suite de vos recommandations, conjuguées au financement octroyé récemment, les choses vont progresser.
La sénatrice Moodie : Je vais poser une question un peu inusitée. Je suis désolée. Pensez-vous que l’assurance-médicaments pourrait changer la donne sur le plan de l’accès, de la demande et du pouvoir d’achat?
Mme Hogan : Le propre des fonctions de vérificatrice générale est de ne pas faire de déclarations qui ne s’appuient pas sur des faits. Je ne peux pas spéculer...
La sénatrice Moodie : Je conclus que vous n’avez rien trouvé.
Mme Hogan : Non. Je ne peux pas prédire ce qui va arriver, mais je peux vous parler des données disponibles et des faits vérifiables.
La sénatrice Moodie : Les données dont vous disposez laissent-elles entendre que ce serait le cas?
Mme Hogan : J’aimerais bien avoir une boule de cristal.
La présidente : Merci, sénatrice Moodie. J’ai quelques questions pour vous, madame Hogan, sur les temps d’attente et les demandes en arriéré à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, dont vous faites état dans le rapport no 9. Le comité est souvent saisi du dossier de l’immigration. Nous recevons des projets de loi, que nous étudions. En Chambre, le ministre a parlé des arriérés et des nouvelles ressources mises en place pour les éponger. Pourtant, j’ai lu dans votre rapport que les réfugiés ont de la difficulté à accéder au processus de demandes en ligne. Ceux qui se trouvent à l’étranger n’ont toujours pas accès au portail. Ils doivent encore se résoudre à envoyer des courriels non protégés, ce qui peut être délicat, comme vous le savez.
J’ai été surprise — je devrais plutôt dire préoccupée — de lire que le temps d’attente moyen est de 13 mois pour les réfugiés parrainés par le secteur privé. À juste titre, le gouvernement vante régulièrement le programme sur la scène mondiale. C’est un programme formidable grâce auquel le Canada se démarque, mais l’examen approfondi que vous avez mené a mis au jour un certain nombre de problèmes.
Le gouvernement a accepté presque toutes les recommandations. Les responsables disent qu’ils continuent à travailler et déclinent les différentes mesures qu’ils mettent en place. Pouvez-vous déterminer si les interventions du gouvernement régleront les problèmes que vous avez relevés?
Mme Hogan : Nous avons noté un certain nombre de problèmes. Je vais commencer par le portail avant de parler de nos recommandations et des progrès réalisés.
Je voudrais mentionner aux sénateurs quelque chose dont ils pourront tenir compte lorsqu’ils rédigeront leur rapport ou effectueront leurs travaux à la suite de la réunion d’aujourd’hui. J’ai témoigné au Comité permanent des comptes publics de la Chambre des communes la semaine dernière en compagnie de l’administratrice générale d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada. Cette dernière a indiqué que les réfugiés participant à certains programmes avaient désormais accès au portail. Des progrès ont donc été réalisés depuis la présentation du rapport. Comme je ne peux pas dire de mémoire quelle est la nature des progrès, je vous inviterais à consulter le témoignage livré par l’administratrice générale lors de la réunion en question.
Dans le dossier de l’immigration, il est important d’établir une distinction entre les éléments que le ministère peut contrôler et ceux qui échappent à son contrôle. La deuxième catégorie comporte les niveaux d’immigration et les circonstances qui limitent dans certains pays l’accès aux documents. À propos des niveaux d’immigration, un plafond est fixé chaque année qui indique le nombre maximal de personnes qui peuvent entrer au Canada.
Notre rapport renferme un tableau qui montre que bon nombre des programmes que nous avons examinés — nous avons seulement examiné 8 des 50 programmes de résidence permanente — commencent l’année avec un nombre de demandes reçues ou un arriéré de demandes plus élevé que le niveau d’immigration établi pour l’année suivante, auquel s’ajouteront, évidemment, les nouvelles demandes.
La présidente : C’est l’offre et la demande.
Mme Hogan : Il y aura toujours un temps d’attente. Le ministère devrait donc déterminer comment réduire ces délais en agissant sur les éléments dont il a le contrôle. Nous avons relevé de nombreuses lacunes dans le traitement des demandes présentées. Voilà pourquoi la plupart de nos recommandations visaient les aspects que le ministère peut contrôler.
Un des principaux accrocs est l’engagement pris en 2018 concernant l’évaluation de la charge de travail par rapport aux capacités des bureaux. Le ministère s’engageait à déterminer combien de demandes chaque bureau pouvait traiter, puis à envoyer et à répartir le nombre de demandes en conséquence. Le Canada compte 87 bureaux qui traitent les demandes de résidence permanente.
Or, nous avons découvert que le ministère ne faisait pas cette évaluation. Les demandes étaient transmises dans les bureaux en fonction du pays de résidence du demandeur au moment où ce dernier présente la demande. Pour donner un exemple concret, nous avons examiné deux bureaux comptant environ le même nombre d’employés, dont un en Italie et un autre en Tanzanie. Nous avons constaté que la Tanzanie recevait cinq fois plus de demandes, avec un nombre égal d’employés. Les demandes qui sont acheminées au bureau de la Tanzanie restent donc dans la pile beaucoup plus longtemps que les demandes acheminées au bureau à Rome. La répartition se fait en fonction du lieu de résidence du demandeur.
C’est pourquoi bon nombre des recommandations que nous avons adressées au ministère visaient à éliminer les écarts non intentionnels dans les résultats, ceux sur lesquels il a une incidence, afin d’accélérer le processus, car il y a aussi des choses sur lesquelles il n’a pas d’incidence et qu’il ne peut pas accélérer. J’espère que la mise en œuvre de ces recommandations améliorera les temps d’attente, mais il y aura toujours un temps d’attente lorsque le volume de demandes dépasse le volume accepté.
La présidente : Merci, madame Hogan. J’aimerais avoir plus de temps pour parler de ce rapport, mais je n’en ai pas plus et je dois être juste envers mes collègues.
Le sénateur Cormier : Vous avez probablement déjà répondu à une partie des questions que je voulais poser. Elles vont dans la même veine.
[Français]
Dans le rapport no 9, vous faites valoir ceci :
[...] les délais de traitement des demandes présentées au titre des programmes de la catégorie des personnes réfugiées et protégées à titre humanitaire étaient restés longs : à la fin de 2022, les personnes présentant une demande attendaient presque trois ans avant qu’une décision ne soit rendue [...]
La situation des personnes réfugiées et protégées est critique. L’option du retour dans leur pays d’origine est inconcevable, car elles craignent d’être persécutées pour toutes sortes de raisons : religieuses, sociales, d’orientation sexuelle, d’expression de genre et d’identité de genre. Pouvez-vous expliquer si, dans votre enquête, vous avez constaté pourquoi ce délai est aussi long? Si oui, est-ce que les recommandations que vous proposez pourraient régler une partie du problème?
Mme Hogan : Je ne sais pas s’il y a une cause profonde plus spécifique pour les programmes de réfugiés que pour les autres programmes. Ce qui était préoccupant, c’est que les demandeurs réfugiés n’ont pas accès aux mêmes outils. Par exemple, il n’y avait pas de portail pour faire une demande automatisée. Il n’y a pas de normes de service pour plusieurs des programmes de réfugiés. Même si les normes sont inexistantes, il devrait quand même y avoir un objectif ou un but, mais il n’y en avait pas. Plusieurs éléments contribuent au fait que les programmes de réfugiés attendent si longtemps.
Je ne pourrais dire si c’est différent pour les autres programmes. Ce sont toutes les mêmes préoccupations, comme la gestion des demandes et l’endroit où elles sont envoyées. Quand il y a un délai d’un an ou deux, il faut remettre beaucoup de documents à jour, et c’est très difficile dans certains pays. Il y a beaucoup d’enjeux. Traiter les demandes plus régulièrement ou plus rapidement serait certainement préférable.
Le sénateur Cormier : Savez-vous si la manière d’avoir accès aux ressources est culturellement appropriée en fonction des endroits d’où viennent les réfugiés?
Mme Hogan : C’est intéressant, parce qu’on a étudié les approches que certains bureaux ont prises. Lors de la pandémie, lorsque les gens ne pouvaient plus voyager, on ne pouvait pas faire des entrevues face à face. Certains bureaux ont changé leur approche, mais ces meilleures pratiques ne sont pas partagées.
Non, on n’a pas approché la question du côté culturel. Nous sommes plutôt allés à la base : « Savez-vous où sont toutes les demandes et comment pouvez-vous améliorer leur traitement? » À la base, il s’agit d’un traitement de feuilles d’inventaire et même de ce côté, il y avait beaucoup d’améliorations.
On a constaté que le ministère n’analysait pas les résultats différentiels de ce côté. Ils ne regardaient ni la race, ni le pays d’origine, ni le pays de résidence. On a recommandé de faire analyse pour identifier les obstacles et les lacunes dans la gestion des dossiers. Ils ont beaucoup de travail à faire de ce côté pour améliorer les processus, mais aussi pour identifier s’il y a des biais inconscients dont ils ne sont pas au fait dans le traitement des demandes.
Le sénateur Cormier : Merci.
[Traduction]
La sénatrice Osler : Ma question porte sur le rapport 6, Résistance aux antimicrobiens, dans lequel vous faites mention de l’approche « Un monde, une santé », qui tient compte de l’interrelation qui existe entre les humains, les animaux et l’environnement dans la résistance aux antimicrobiens.
Vous y rappelez qu’environ 80 % des antimicrobiens importants sur le plan médical qui sont utilisés au Canada sont administrés aux animaux destinés à l’alimentation. Ma question porte sur les efforts déployés pour régir l’utilisation d’antimicrobiens chez les humains plutôt que chez les animaux. Pouvez-vous nous dire si l’audit a révélé davantage de lacunes en matière de réglementation, de politique et de surveillance lorsque les antimicrobiens sont utilisés chez l’humain ou chez les animaux? Y a-t-il plus de lacunes d’un côté ou de l’autre?
Mme Hogan : Je viens de demander à ma collègue, Mme Armutlu, de se joindre à nous à la table pour compléter ma réponse à cette question.
C’est la deuxième fois que nous nous penchons sur la question, et nous avons observé certains progrès, notamment du côté des animaux, puisque des lignes directrices ont été ajoutées pour mieux rendre compte de ce qui se trouve dans les aliments pour animaux. Il y a aussi de nouvelles lignes directrices sur les antimicrobiens prescrits. Nous avons observé un peu plus de progrès, je dirais, en ce qui touche les aliments pour animaux qu’en ce qui touche l’utilisation chez les humains. Je vais voir si Mme Armutlu a quelque chose à ajouter.
Markirit Armutlu, directrice principale, Bureau du vérificateur général du Canada : Absolument. J’ajouterais que nous ne nous sommes pas penchés sur l’utilisation d’antibiotiques en médecine vétérinaire sans incidence sur la santé humaine. Nous nous sommes concentrés sur les antibiotiques importants pour la santé humaine. Même là, beaucoup d’antibiotiques sont utilisés en médecine vétérinaire, mais nous avons constaté de bonnes améliorations à cet égard, comme l’a dit Mme Hogan, même s’il reste encore beaucoup à faire, comme nous l’indiquons dans le rapport.
La sénatrice Osler : Très bien. Merci.
La sénatrice Burey : Je vous remercie encore une fois pour ces excellents renseignements. J’aimerais, madame la vérificatrice générale, que vous nous parliez davantage du rôle de Statistique Canada. Vous y avez fait allusion dans une réponse précédente. Comment le ministère pourrait-il améliorer la collecte et l’analyse des données, et peut-être même susciter un changement de culture cohérent dans l’ensemble du gouvernement?
Mme Hogan : Je ne pense pas que Statistique Canada doive améliorer la façon dont il collecte les données et les analyse, mais les ministères devraient faire davantage appel à ses services, l’alimenter en données et utiliser ses données, vous voyez?
Plus la fonction publique pourra mettre ses données en commun, le mieux ce sera. Cela dit, nos données de recensement mettent du temps à sortir et à être analysées, mais je pense que Statistique Canada est sous-utilisé. Je suis sûre que le statisticien en chef ne serait pas content de m’entendre. Il se peut que beaucoup de gens frappent à sa porte, mais nous avons vraiment renouvelé notre engagement auprès du ministère pour qu’il nous aide parfois, parce que nous savons que bien des gens ne savent tout simplement pas comment faire des liens entre les données, alors que les statisticiens sont vraiment des experts en la matière. Je pense qu’il faut surtout que tout le monde utilise leurs services.
La fonction publique a quelques difficultés à surmonter, comme celle de la confidentialité des informations. Lorsqu’on recueille des informations, il faut dire aux gens pourquoi on le fait et ce qu’on a l’intention d’en faire. Il faudrait sans doute revoir certaines habitudes et certaines façons de faire, et dire plus souvent que nous pourrions utiliser les informations recueillies à d’autres fins. Ce doit être la même chose partout dans le monde avant qu’une plus grande interaction et un plus grand partage des informations puissent avoir lieu au sein du gouvernement fédéral.
Cela peut sembler simple, mais ce n’est pas toujours facile à réaliser si l’on pense aux règles sur la protection de la vie privée, entre autres.
La sénatrice Burey : Merci.
La présidente : Merci, madame Hogan. C’est un véritable privilège de vous avoir avec nous, vous et votre équipe, et j’espère que nous pourrons répéter l’expérience, alors vous me pardonnerez si je m’écarte un peu du sujet, tout en restant sur le thème général de l’inclusion des employés racisés.
Vous avez votre propre équipe. Comment vous en tirez-vous à ce chapitre? Quelles mesures avez-vous prises qui se sont avérées efficaces ou qui seraient parmi les meilleures? Après tout, vous savez ce que c’est que de vivre dans des maisons de verre. Vous savez où cela mène.
Mme Hogan : Je connais très bien l’expression. Comment nous en tirons-nous? Nous faisons des progrès, mais nous avons encore fort à faire.
Je peux vous parler de nos propres objectifs d’équité en matière d’emploi. Nous les dépassons à certains endroits, mais nous ne les atteignons pas ailleurs, notamment en ce qui concerne la représentation des populations autochtones.
Si les minorités visibles sont largement représentées au sein de mon organisation, ce n’est pas le cas parmi les cadres supérieurs, dans l’équipe de direction, malgré tous mes efforts pour améliorer la situation. J’ai une petite équipe de direction, donc même s’il y a des améliorations, je ne peux pas en parler publiquement à cause des règles qui font qu’on ne peut pas vraiment en parler si une équipe ne compte pas au moins cinq personnes. Peut-être qu’un jour, je pourrai vous la montrer à tous.
Lorsque nous avons commencé notre audit sur le milieu de travail inclusif, je me suis arrêtée à mi-chemin, en me disant que nous ne pouvions pas faire de recommandations en ce sens sans réfléchir à ce que nous faisons nous-mêmes. J’ai donc demandé à l’équipe de faire l’exercice, avec les ressources humaines de notre bureau, de nous évaluer nous-mêmes en fonction des 11 critères que nous utilisions pour évaluer ces six ministères. Nos résultats n’étaient pas aussi bons que je l’espérais. Il y avait six des onze critères auxquels nous ne répondions pas, et nous répondions partiellement à cinq autres.
Après avoir rendu ce rapport public, nous avons partagé cette information avec l’ensemble de notre bureau et nous avons fait remarquer à notre équipe que nous avions beaucoup de travail à faire et que nous avions besoin de l’aide de chacun pour cela. Nous disposons d’un plan d’action, mais l’un des éléments pour lesquels nous n’étions pas à la hauteur était celui de la consultation de nos propres employés racisés. Nous devons donc nous améliorer à cet égard dans les années et les mois à venir.
Comme beaucoup de ministères, nous faisons le suivi des intrants, dans une certaine mesure, mais pas toujours celui des résultats, même si c’est quelque chose que nous disons à tout le monde. Je suis très heureuse de vous dire que nous avons un long chemin à parcourir, comme tout le monde dans la fonction publique, c’est pourquoi je vous dis que c’est une chose à laquelle tous les ministères devraient porter attention. Nous pouvons tous faire mieux.
La présidente : Merci d’avoir partagé tout cela avec nous, madame Hogan. Nous nous réjouissons de vous revoir. Votre travail nous inspire parfois des études ici même, ou nous donne envie de vous inviter à comparaître.
Je souhaite à tous mes collègues de très joyeuses Fêtes et une bonne année. C’est la dernière fois que nous nous voyons avant la reprise, en février, si tout se passe comme prévu. Merci encore à nos témoins, à nos collègues et à tout le personnel. Je vous souhaite de bonnes vacances.
(La séance est levée.)