LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES SOCIALES, DES SCIENCES ET DE LA TECHNOLOGIE
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 7 février 2024
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd’hui, à 16 h 15 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi S-235, Loi modifiant la Loi sur la citoyenneté et la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.
La sénatrice Ratna Omidvar (présidente) occupe le fauteuil.
[Français]
La présidente : Je m’appelle Ratna Omidvar, je suis une sénatrice de l’Ontario et je suis présidente du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.
[Traduction]
J’aimerais tout d’abord souhaiter la bienvenue à nos témoins ainsi qu’à tous ceux qui regardent nos délibérations.
Avant que nous entreprenions notre étude, nous devrions peut-être faire un tour de table pour permettre aux sénateurs de se présenter, en commençant par la vice-présidente du comité, la sénatrice Cordy.
La sénatrice Cordy : Je m’appelle Jane Cordy. Je suis la vice-présidente du comité, et je représente la Nouvelle-Écosse.
La sénatrice Dasko : Donna Dasko, sénatrice de l’Ontario.
[Français]
Le sénateur Cormier : René Cormier, du Nouveau-Brunswick.
[Traduction]
La sénatrice Burey : Sharon Burey, sénatrice de l’Ontario.
Le sénateur McNair : John McNair, sénateur du Nouveau-Brunswick.
La sénatrice McPhedran : Marilou McPhedran, sénatrice indépendante du Manitoba.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Chantal Petitclerc, du Québec.
La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, du Québec.
[Traduction]
La sénatrice Jaffer : Je vous souhaite la bienvenue. Mobina Jaffer, de la Colombie-Britannique.
La sénatrice Seidman : Bonjour. Judith Seidman, de Montréal, au Québec.
La présidente : Nous avons le plaisir d’accueillir ici même aujourd’hui Me Kate Webster, vice-présidente de l’Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés; et Me Tamara Mosher-Kuczer, membre de l’Association canadienne des avocats en immigration. Encore une fois, je vous remercie beaucoup d’avoir fait le déplacement pour venir témoigner devant nous.
Nous allons d’abord entendre les observations préliminaires de Me Webster, après quoi Me Mosher-Kuczer enchaînera. Vous disposez de cinq minutes chacune — et nous apprécions que le temps imparti soit respecté —, après quoi mes collègues vous poseront leurs questions, car c’est un peu pour cela que nous sommes tous réunis.
Maître Webster, vous avez la parole.
Me Kate Webster, vice-présidente, Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés : Je vous remercie, madame la présidente, de me donner l’occasion de témoigner devant le comité aujourd’hui.
Je suis ici en ma qualité de vice-présidente de l’Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés. Nous sommes une organisation nationale qui mise sur la défense des intérêts, les litiges stratégiques et la sensibilisation afin de promouvoir et de défendre les droits des réfugiés et des immigrants au Canada. Je pratique également à temps plein à titre d’avocate en droit des réfugiés. Dans ce rôle, je représente de nombreux jeunes vulnérables et d’autres immigrants pour faire cheminer leur demande de statut de réfugié, leur éviter l’expulsion et piloter d’autres demandes de nature humanitaire. Même si je suis ici en tant que représentante de notre association, mon témoignage d’aujourd’hui s’inspire également de mon expérience auprès de cette clientèle.
L’Association est membre de la coalition connue sous le nom d’OCOSOR — acronyme anglais pour « nos enfants, notre système, notre responsabilité ». Nous souscrivons aux mémoires écrits soumis par cette coalition. Nous appuyons le projet de loi S-235. Nous encourageons le comité à l’adopter, sous réserve de plusieurs amendements clés qui doivent y être apportés.
J’aimerais d’abord m’attarder un moment sur les enjeux que soulève le projet de loi S-235, et la transformation cruciale qui pourrait en découler pour un groupe trop souvent oublié de jeunes peu nombreux, mais très vulnérables et fortement marginalisés.
Ceux qui pourraient obtenir leur citoyenneté grâce au projet de loi S-235 figurent parmi les jeunes les plus vulnérables au Canada. Ils sont arrivés dans notre pays alors qu’ils étaient encore des enfants — voire des nourrissons — pour se retrouver dans des circonstances qui ont amené les autorités à décider qu’ils devaient être pris en charge par une agence de protection de l’enfance. La nature, la portée et la période de prise en charge peuvent varier, mais il y a un facteur qui est commun à tous ces enfants. Ils souffraient tous à un point tel que l’intervention de l’État a été jugée nécessaire. Pour des raisons indépendantes de leur volonté, ces enfants se sont retrouvés dans un réseau d’aide à l’enfance au sein duquel ils ont été marginalisés encore davantage, ils ont vécu divers traumatismes et ils ont souffert de l’absence d’un sentiment d’appartenance.
Le Canada s’est engagé à protéger ces enfants, à veiller à leur bien-être et à assumer le rôle de parent ou de tuteur à la place de ceux et celles qui ne pouvaient pas le faire, mais nous avons laissé tomber ces enfants. L’incapacité à obtenir le statut d’immigrant permanent pour ces enfants, comme leurs parents et leurs tuteurs l’auraient normalement fait, a eu des conséquences désastreuses. Ainsi, plusieurs n’ont aucune idée de leur statut d’immigration lorsqu’ils atteignent l’âge limite pour la prise en charge, et bon nombre d’entre eux sont maintenant menacés d’expulsion.
Des témoins précédents vous ont décrit la voie directe qui mène de la protection de l’enfance à l’incarcération. Avec les traumatismes et la marginalisation, la surreprésentation des enfants racisés au sein du réseau de protection de l’enfance et la surveillance policière excessive des communautés racisées, toutes les conditions sont réunies pour que ces enfants finissent par avoir des démêlés avec la justice. Certains développent de graves problèmes de santé mentale, alors que d’autres se tournent vers la consommation de drogues pour se soigner eux-mêmes. Et, comme ils n’ont pas obtenu la citoyenneté à laquelle ils auraient eu droit alors qu’ils étaient enfants, ils sont maintenant nombreux à risquer l’expulsion du Canada — le seul pays d’appartenance qu’ils ont jamais connu. Je veux que vous me compreniez bien : les enjeux sont de taille.
Il est important de noter que le gouvernement a reconnu que ce groupe de personnes vulnérables a besoin d’un soutien significatif sans tarder. C’est ainsi qu’en juillet 2023, des directives ministérielles ont été émises relativement à la délivrance de permis de séjour temporaire pour les personnes aujourd’hui visées par le projet de loi S-235. Le 22 janvier 2024, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, ou IRCC, a annoncé une nouvelle voie d’accès à la résidence permanente pour de nombreux membres de ce groupe. Bien que ces permis de séjour temporaire et cette nouvelle voie d’accès vers la résidence permanente soient des mesures palliatives essentielles pour protéger ces personnes vulnérables le temps que la modification de la Loi sur la citoyenneté franchisse toutes les étapes du processus législatif, elles n’en demeurent pas moins rien d’autre que des solutions provisoires. Ces mesures ne permettent pas de corriger toutes les lacunes que le projet de loi S-235 permettrait de combler.
L’octroi du permis de séjour temporaire est entièrement discrétionnaire, et, bien que le statut de résident permanent vous rapproche nettement de la citoyenneté, il n’en demeure pas moins révocable. Sans la citoyenneté, ces personnes vulnérables risquent sans cesse l’expulsion. En outre, les résidents permanents n’ont pas le droit de participer au processus démocratique, que ce soit en votant ou en exerçant une fonction politique. C’est particulièrement problématique du fait que les membres des groupes racisés comptent pour la vaste majorité de la population touchée. Qui plus est, sans voie d’accès à la citoyenneté, le problème fondamental que nous cherchons à régler persiste. Ce sont nos enfants; c’est notre système qui les a laissé tomber, et il nous incombe de remédier à cette injustice.
Pour faire en sorte que cette problématique puisse être solutionnée adéquatement, notre coalition propose plusieurs amendements visant à rendre les dispositions du projet de loi S-235 plus efficaces et plus accessibles pour les bénéficiaires visés. Vous trouverez tous les détails de ces propositions dans notre mémoire. Je vais me limiter à souligner pour l’instant la nécessité de définir les types de prise en charge admissibles, de préciser la durée de prise en charge requise, de prévoir une certaine marge de manœuvre de telle sorte que les personnes exclues par inadvertance puissent tout de même bénéficier de ces mesures, à la discrétion du ministre, et de permettre un sursis temporaire au renvoi pour les personnes dont la demande est en suspens en vertu de ces nouvelles dispositions.
Je me réjouis à la perspective de pouvoir discuter de ces questions avec vous et vous faire part de nos autres recommandations. Merci.
La présidente : Merci, maître Webster. Vous avez la parole, maître Mosher-Kuczer.
Me Tamara Mosher-Kuczer, membre, Association canadienne des avocats en immigration : Merci et bonjour à tous. Je m’adresse à vous aujourd’hui en ma qualité de membre de l’Association canadienne des avocats en immigration. Je vous remercie de me donner l’occasion de vous faire part de nos observations concernant le projet de loi S-235. On m’a demandé de prendre la parole au nom de l’association en raison de mon expérience de la représentation des enfants — alors pris en charge par l’État — aux fins de leurs demandes en matière d’immigration. Nous souscrivons à l’intention de ce projet de loi qui vise à conférer aux enfants qui ont été pris en charge la citoyenneté de plein droit. Sans la citoyenneté, ces enfants courent un grand risque d’être expulsés s’ils perdent leur statut d’immigrant ou s’ils sont impliqués dans des activités criminelles, et ce, même si ce n’est pas de façon intentionnelle.
Ces enfants sont les pupilles de l’État et du Canada, et ils méritent la sécurité et la protection offerte par leur parent adoptif, le Canada. Nous avons certaines réserves au sujet du projet de loi dans sa forme actuelle, et nous voudrions donc recommander quelques amendements.
La protection des enfants est régie par des lois provinciales en vertu desquelles les enfants peuvent cesser d’être pris en charge à un âge qui peut aller de 18 à 25 ans. Dans sa forme actuelle, le projet de loi limite l’admissibilité aux personnes qui ont cessé d’être prises en charge lorsqu’elles avaient 17 ans ou moins. Il y a toutefois très peu de gens qui satisfont à ce critère. Nous recommandons que soit retirée du projet de loi l’exigence suivant laquelle une personne devait être d’âge mineur au moment où elle a cessé d’être prise en charge.
En outre, le projet de loi ne limite pas l’admissibilité aux personnes qui étaient prises en charge par l’État et sous sa protection. Nous recommandons que ce soit précisé clairement. De plus, les termes « résidait » et « à la charge » ne sont pas définis dans la disposition proposée à ce sujet, pas plus qu’ailleurs dans la Loi sur la citoyenneté. Il n’y a pas de durée minimale pendant laquelle une personne doit avoir résidé dans l’un des établissements énumérés, pour autant qu’elle a été prise en charge par un ministère ou un organisme gouvernemental. Comme aucun des deux termes n’est défini, on pourrait conclure qu’une personne qui, alors qu’elle était mineure, a bénéficié du soutien d’une province et a été prise en charge, même brièvement, dans un établissement, y compris dans un centre de traitement de la toxicomanie en application d’une sanction pénale, se verrait accorder la citoyenneté de plein droit. Il n’aurait pas été nécessaire que cette personne ait été prise en charge par les services à l’enfance et à la famille. Je veux que les choses soient bien claires. Nous recommandons seulement que la terminologie soit précisée; il ne s’agit pas d’un amendement de fond à ce projet de loi.
Le projet de loi n’exigerait pas non plus qu’une personne fournisse une preuve de son admissibilité autre qu’une déclaration écrite du demandeur. Les enfants pris en charge au Canada devraient pouvoir obtenir des organismes de protection de l’enfance une attestation quelconque, comme une lettre, confirmant leur prise en charge. Nous souhaiterions que le projet de loi soit modifié de telle sorte que le ministre puisse prendre en considération une déclaration écrite uniquement dans les cas où il est impossible pour le demandeur de fournir la preuve de sa prise en charge par l’État.
Lorsque les dispositions de ce projet seront connues du public, un petit nombre de parents pourraient être incités à abandonner leurs enfants au Canada, afin de leur permettre de bénéficier un jour du droit automatique à la citoyenneté. Je peux d’ailleurs vous confirmer que certains des enfants que j’ai représentés ont été abandonnés au Canada par une famille qui savait qu’ils seraient pris en charge dans notre pays. Toutefois, bien que cela puisse rendre certains enfants plus vulnérables, nous ne pensons pas que le risque soit suffisamment important pour supplanter les avantages de ce projet de loi pour les enfants qui ont été pris en charge. Il serait punitif de ne pas permettre à des enfants de profiter de la stabilité que leur offre le Canada en les exposant à un renvoi dans un pays avec lequel ils n’ont aucun lien ou dont ils ne parlent pas la langue, sous prétexte qu’il existe un risque que la protection ainsi dispensée incite certains parents à envoyer leurs enfants au Canada afin qu’ils soient pris en charge.
En janvier dernier, IRCC a annoncé deux nouvelles politiques temporaires pour les ressortissants étrangers auparavant pris en charge par l’État. Il est fort louable d’offrir ainsi une protection supplémentaire à ces personnes, mais ces politiques ne vont malheureusement pas assez loin. Sans la citoyenneté, ces anciens pupilles de l’État risquent encore l’expulsion et font toujours face à un avenir incertain au Canada, ce qui accroît d’autant leur vulnérabilité. Il est en outre possible qu’ils n’aient jamais accès à la citoyenneté en raison des difficultés associées au processus de demande.
Même si nous appuyons ce projet de loi, nous recommandons qu’il soit modifié afin que les critères d’admissibilité soient plus faciles à comprendre et plus clairement définis. Au nom de l’Association canadienne des avocats de l’immigration, je serai ravie de répondre à toutes vos questions. Je vous remercie de nous permettre de nous exprimer au sujet de ce projet de loi.
La présidente : Merveilleux. Merci. Vous avez toutes les deux respecté le temps imparti. Je voudrais bien que nous puissions accueillir un plus grand nombre de témoins comme vous dans le cadre de nos études à venir.
Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs. Chers collègues, vous savez que vous disposez de quatre minutes chacun, ce qui comprend vos questions et les réponses de nos témoins.
Permettez-moi de poser rapidement une question à Me Webster. Vous avez recommandé que l’on passe de la citoyenneté de plein droit à la citoyenneté par attribution. Qui déciderait alors d’attribuer ou non la citoyenneté? Qui pourrait demander qu’on lui attribue ainsi la citoyenneté? Nous avons un système en vertu duquel les enfants pris en charge pourraient obtenir la citoyenneté, mais sont plutôt laissés pour compte parce que personne ne présente une demande en leur nom. Je ne sais pas trop en fait qui devrait jouer ce rôle, et je voudrais savoir quelles pistes de solution vous entrevoyez.
Me Webster : Je vous remercie de votre question, sénatrice. Nous parlons ici de personnes qui ne sont plus prises en charge — notamment parce qu’elles ont atteint l’âge limite. La proposition visant à faire passer les dispositions du projet de loi de l’article 3, conférant la citoyenneté de plein droit, à l’article 5 obligerait ces personnes à soumettre une demande de citoyenneté. C’est une demande que ces personnes présenteraient par elles-mêmes. Ces gens-là ont dépassé l’âge de la prise en charge. Ce ne sont plus des mineurs, et ils sont tout à fait capables de présenter une telle demande.
J’ai beaucoup insisté sur leur vulnérabilité et leur marginalisation. Ce sont là des problèmes de taille qui exigeront le déploiement de ressources, notamment pour appuyer le travail des organismes d’aide à l’établissement et de soutien aux immigrants. Il faudra de plus communiquer l’information afin que les personnes qui pourraient bénéficier de ces dispositions soient en mesure d’y avoir accès. Ce n’est peut-être pas une tâche facile, mais ce n’est pas non plus une mission impossible.
Nous pouvons compter sur un impressionnant réseau de prestataires de services juridiques et sociaux qui peuvent mettre l’épaule à la roue. J’estime que le passage de l’article 3 à l’article 5 répond aux préoccupations soulevées par certains de nos collègues du gouvernement — en ce qui concerne notamment la rétroactivité et le consentement à la citoyenneté. Bien que, en principe, la citoyenneté de plein droit me semble être une avancée importante, je ne pense pas que cela fonctionne dans la pratique.
Il y a encore beaucoup de personnes vulnérables qui pourraient bénéficier de ce projet de loi. Si nous passons à l’article 5, nous allons devoir faire le nécessaire pour nous assurer que ces personnes aient accès à la citoyenneté.
La présidente : Merci beaucoup.
La sénatrice Cordy : Merci beaucoup à toutes les deux. Vos exposés nous ont donné amplement matière à réflexion.
Depuis que nous avons commencé l’étude de ce projet de loi, et c’était la même chose avec d’autres qui l’ont précédé, je constate que nous n’en avons pas terminé avec les querelles de compétence. Les enfants pris en charge relèvent de la compétence des provinces, mais c’est au gouvernement fédéral qu’il incombe de déterminer s’ils peuvent obtenir la citoyenneté ou même la résidence permanente. Comment pouvons-nous concilier tout cela? L’expérience m’a appris que les gouvernements défendent jalousement leurs attributions. Comment pouvons-nous travailler dans un tel contexte? Pouvez-vous me dire si les différents gouvernements — et il y en a beaucoup quand on pense aux provinces et aux territoires — parviennent à conjuguer efficacement leurs efforts?
Me Webster : C’est avec grand plaisir que je vais vous parler de la propension des gouvernements à défendre leurs sphères de compétence respectives.
Nous pouvons certes nous souvenir que ce n’est pas la première fois — et ce ne sera pas la dernière — où on voit des chevauchements de compétence entre les différents ordres de gouvernement. Ce n’est même pas une première dans le domaine de la citoyenneté pour les enfants pris en charge par l’État. Ainsi, dans le cadre des modifications apportées à la Loi sur la citoyenneté avec le projet de loi C-6 en 2017, on a ajouté une disposition suivant laquelle les agences de protection de l’enfance pouvaient présenter une demande de citoyenneté au nom des enfants dont ils ont la garde légale.
Il est vrai que les choses se compliquent du fait que l’immigration est de compétence fédérale alors que la protection de l’enfance relève des provinces, sans compter toute la gamme des administrations municipales et des agences régionales. Quoiqu’il en soit, nous parvenons lentement à nous y retrouver. Je pense que ce serait la même chose avec la disposition proposée. Dans ma pratique, j’interagis régulièrement avec les agences de protection de l’enfance, les tribunaux de la famille et les différents ordres de gouvernement, autant d’instances ayant des intérêts distincts qui entrent en jeu aussi bien dans les dossiers de mes clients que dans ce contexte des compétences qui se chevauchent. Même si c’est un défi, je ne pense pas que l’obstacle soit insurmontable.
Il pourrait être bénéfique que votre comité recommande vigoureusement le déploiement de ressources suffisantes pour veiller à ce que les agences provinciales et municipales puissent donner suite aux dispositions qui se retrouveront en fin de compte dans la loi.
Me Mosher-Kuczer : Il n’existe actuellement aucun mécanisme pour faciliter les interactions entre les agences provinciales et IRCC. J’estime toutefois que cela serait parfaitement envisageable. Comme IRCC a déjà mis en place un canal spécial pour aider les employeurs à traiter avec le ministère, je pense qu’il lui serait tout à fait possible de créer un poste d’agent de liaison avec les provinces. Je crois que l’on aiderait ainsi un grand nombre d’enfants à obtenir les documents d’identité dont ils ont besoin, l’une des principales difficultés auxquelles se heurtent bon nombre de ceux qui présentent une demande d’immigration. Dans bien des cas, le ministère a déjà ces documents en sa possession, parce qu’ils lui ont été fournis à l’arrivée de l’enfant au Canada. Malgré cela, l’enfant doit soumettre une demande d’accès à l’information, attendre pendant un bon moment avant que le ministère lui remette les documents d’identité requis, puis les renvoyer à IRCC afin d’étayer sa demande d’immigration.
Je pense qu’il serait possible pour IRCC de créer un tel poste d’agent de liaison. Je ne crois pas qu’il s’agisse là d’une recommandation complètement farfelue.
Je voulais clarifier ce point. Pour que les enfants pris en charge puissent demander la citoyenneté en vertu de la loi actuelle, ils devaient d’abord être des résidents permanents. Or, beaucoup de ceux dont je me suis occupée n’avaient aucun statut lorsqu’ils sont arrivés. J’ai aidé des enfants avant la création du Centre d’excellence de l’Ontario, de sorte qu’un grand nombre d’entre eux étaient pris en charge pendant des années et n’avaient aucun statut — rien du tout. Ils n’étaient pas des visiteurs. Ils n’avaient aucun statut. Il n’y avait pas de voie d’accès à la citoyenneté pour eux, car ils devaient d’abord obtenir un statut, puis espérer trouver une voie d’accès à la résidence permanente et enfin espérer obtenir la citoyenneté. Ces démarches n’ont jamais lieu au moment où ils sont pris en charge. Il faut des années pour franchir ces étapes, s’ils y parviennent.
La sénatrice Seidman : Merci beaucoup pour vos exposés, qui expliquent vraiment bien la situation et sont fort utiles. Voici les questions que je souhaite vous poser à la lumière des événements récents.
La sous-ministre adjointe de la Citoyenneté et des Passeports à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada a témoigné devant notre comité au sujet de ce projet de loi à la fin de novembre. Elle a expliqué qu’une personne est automatiquement citoyenne canadienne si elle est la première génération à naître à l’étranger d’un parent canadien. Elle dit craindre que cette législation ait une conséquence non voulue et que l’enfant né à l’étranger de personnes qui étaient auparavant prises en charge au Canada puisse également obtenir automatiquement la citoyenneté s’il appartient à la première génération née à l’étranger.
La situation est d’autant plus complexe que, le 19 décembre 2023, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a déclaré que la limite de première génération pour les personnes nées à l’étranger était inconstitutionnelle. Le 22 janvier 2024, le ministre Miller a déclaré que le Canada ne fera pas appel de cette décision. Il a ajouté que le gouvernement continuera d’évaluer les incidences de la décision sur la législation existante et confirmera les prochaines étapes dès que possible.
Vous qui étudiez les conséquences non voulues, quelles sont les répercussions de la décision de la Cour supérieure de l’Ontario sur ce projet de loi, selon vous? Est-il préférable de s’arrêter un instant jusqu’à ce que nous en comprenions mieux l’incidence?
Me Webster : Tout d’abord, je vous remercie infiniment de cette question. Comme pour toute nouvelle affaire judiciaire, nous sommes tous en train de réfléchir aux conséquences exactes de cette décision.
Je voudrais revenir brièvement sur le témoignage qui a été présenté à votre comité en décembre et sur les recommandations que la coalition a soumises au comité — dont l’Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés, ou ACAADR, est membre. Nous avons notamment suggéré de déplacer les dispositions du projet de loi de l’article 3 de la Loi sur la citoyenneté, qui concerne le droit à la citoyenneté, à l’article 5, qui porte sur l’attribution de la citoyenneté.
Il y a toutes sortes de distinctions entre les deux articles, mais celle qui me semble la plus pertinente à votre question, madame la sénatrice, se rapporte au consentement, ce qui a également été soulevé par la représentante du gouvernement. Il peut s’agir d’une conséquence non voulue, ou d’une personne qui veut réellement avoir la citoyenneté canadienne. On peut se demander à quel moment cela se produit, et si cela se produit techniquement de plein droit lorsque la personne a atteint l’âge limite de prise en charge et a ensuite eu des enfants. Est-ce que ces enfants obtiennent automatiquement la citoyenneté? Il ne s’agit plus de rétroactivité, mais il est très facile de savoir quand une personne obtient la citoyenneté. C’est après qu’elle fait une demande et que le ministre l’accepte. La ligne est mince quant au moment où une personne acquiert la citoyenneté et ce que cela signifie.
Pour les enfants nés à l’étranger, il y a donc une ligne de démarcation claire quant au moment où leur parent est considéré ou non comme un citoyen canadien, et aux conséquences législatives qui en découlent — c’est déjà ainsi. Dans la mesure où le paysage changerait pour les gens de la deuxième génération qui sont nés à l’étranger — à la suite de la décision de la Cour supérieure de l’Ontario —, nous savons clairement à quel moment le citoyen initial a obtenu la citoyenneté, et les conséquences qui en découlent.
Nous savons que le gouvernement ne fera pas appel de la décision. Nous verrons ce qu’il adviendra de la législation. Il est en quelque sorte impossible de se prononcer là-dessus. Cependant, je pense vraiment que le passage à l’article 5 résout un grand nombre de ces questions parce qu’il ne s’agit pas d’une attribution rétroactive.
La sénatrice Seidman : Ne pensez-vous donc pas que c’est incertain étant donné que la législation crée trop de confusion sur ses implications réelles?
Me Webster : Je ne le crois pas. Je pense que cette législation — à condition qu’elle modifie l’article 5 — fournira simplement une voie très étroite vers la citoyenneté à un petit groupe de personnes précis. Les personnes admissibles peuvent choisir de demander la citoyenneté en vertu de ces dispositions et, si ces demandes sont acceptées, elles deviendront citoyennes à partir de cette date, et les conséquences seront les mêmes que dans d’autres situations.
Je ne vois pas d’incertitude sans borne ici — en tout cas pas suffisamment pour justifier, à mon avis, de suspendre la législation. Je pense que les avantages l’emportent largement sur les préoccupations.
La sénatrice Seidman : Je vous remercie. Je crois que mon temps de parole est écoulé.
La présidente : C’est une question importante. Permettez-moi de la reformuler. Supposons qu’une personne était prise en charge, atteint 18 ans, demande la citoyenneté, l’obtient, puis décide de quitter le Canada et a des enfants à l’étranger. En vertu de la nouvelle décision de la cour, ces enfants auraient également droit à la citoyenneté. Sinon, devront-ils également demander la citoyenneté? Je vous prie d’éclairer notre lanterne.
Me Mosher-Kuczer : Ils devront demander une preuve de citoyenneté.
Je pense qu’il faut avant tout tenir compte de notre responsabilité à l’égard de ces enfants. Voulons-nous dire que les enfants de Canadiens ne devraient pas avoir la citoyenneté s’ils se trouvent à l’étranger? À mon avis, ces enfants sont les enfants du Canada. Ils ont bel et bien été adoptés par le pays. Par conséquent, pourquoi refuserions-nous la citoyenneté à leurs enfants s’ils naissent à l’étranger? Avec le changement que Me Webster propose, si c’était déplacé de façon à refléter la disposition relative à l’adoption — ce qui, je dois le dire, est une belle solution —, l’enfant né à l’étranger demanderait une preuve de citoyenneté afin d’obtenir un passeport pour venir au Canada.
La présidente : Chers collègues, n’hésitez pas à poursuivre sur cette ligne de question ou sur tout autre sujet.
La sénatrice Jaffer : J’ai beaucoup de questions, mais j’aimerais obtenir rapidement une réponse à celle-ci. La sénatrice Seidman parle d’un petit groupe de personnes, et qui ne sont même pas ici, alors que l’essentiel de ce projet de loi concerne les enfants qui sont au pays.
Par ailleurs, vous avez toutes les deux parlé de « nos enfants ».
En quelques phrases, pouvez-vous — j’ai beaucoup de questions — répondre d’abord à ma question concernant le point soulevé par la sénatrice Seidman? Et qu’entendez-vous par « nos enfants »? Ce ne sont pas nos enfants. Ce sont des réfugiés. Ce sont des immigrants. Qu’entendez-vous par là? Vous avez toutes les deux utilisé ce terme.
Me Mosher-Kuczer : Ce sont des enfants que le Canada — les agences provinciales — a choisi de retirer à leurs parents et de ne pas leur rendre. Ensuite, le Canada, les provinces et les agences provinciales ont élevé ces enfants. Ils sont allés à l’école avec nos enfants. Ils ont vécu ici toute leur vie. Ils n’ont aucun lien nulle part ailleurs, et beaucoup d’entre eux n’ont aucun rapport avec leur propre famille. Les familles d’un grand nombre d’enfants dont je me suis occupée ne sont plus au Canada. Si elles sont au pays, elles ont d’importants problèmes de santé mentale et d’autres problèmes de taille. Ces enfants ont été élevés dans des foyers canadiens et des institutions canadiennes. Ce sont nos enfants, et peut-être que les choses ont mal tourné pour eux, mais c’est ce que nous avons fait. Ils étaient sous notre responsabilité. Nous avons donné pour mandat à ces agences de s’occuper d’eux.
La sénatrice Jaffer : Avez-vous quelque chose d’autre à ajouter? Sinon, j’aimerais que vous répondiez à ma question sur le point que la sénatrice Seidman a soulevé.
Me Webster : Je suis tout à fait d’accord avec Me Mosher-Kuczer. Ce sont nos enfants. Ces enfants vont à l’école avec vos enfants et vos petits-enfants. Ce sont les enfants du Canada.
La sénatrice Jaffer : Mais la prise en charge ne tient-elle pas lieu de parent? L’État est le parent de ces enfants. Les tribunaux n’ont-ils pas dit qu’il joue le rôle de parents?
Me Webster : C’est tout à fait vrai. L’État canadien assume effectivement le rôle de parent.
La sénatrice Jaffer : L’une d’entre vous peut-elle répondre à la question de la sénatrice Seidman?
Me Webster : Est-ce qu’elle porte sur le très petit nombre de personnes visées?
La sénatrice Jaffer : Nous parlons vraiment des enfants qui sont ici.
Me Webster : C’est absolument le cas. Le projet de loi vise expressément les personnes qui ont vécu au Canada, qui ont atteint l’âge limite de prise en charge et qui se trouvent pour la plupart au pays. Il se peut qu’un très petit nombre d’entre elles aient été renvoyées du Canada. Je pense que ce nombre représente une infime minorité. Le passage à l’article 5 crée un obstacle en exigeant une demande de citoyenneté. Je serais surprise si nous recevions des demandes de personnes à l’étranger.
La sénatrice Jaffer : Ai-je épuisé mon temps de parole?
La présidente : C’est votre projet de loi, sénatrice Jaffer.
La sénatrice Jaffer : Maître Webster, vous suggérez que nous appliquions le projet de loi à l’article 5 plutôt qu’à l’article 3. Comme la présidente l’a dit, on passerait ainsi d’un droit à une attribution. C’est ce que vous proposez. La rétroactivité ne serait donc plus nécessaire, n’est-ce pas?
Me Webster : C’est exact, en effet.
La sénatrice Jaffer : La proposition permet aussi de surmonter les difficultés dont le gouvernement a parlé en matière de rétroactivité — tout le monde obtient la citoyenneté, ou qui y a droit. C’est maintenant encadré, et les gens doivent en faire la demande. Êtes-vous d’accord?
Me Webster : Oui, c’est juste.
La sénatrice Jaffer : Ce sont les questions que je souhaitais poser pour l’instant. J’attendrai plus tard.
La sénatrice McPhedran : Je vous remercie toutes les deux de votre présence et de vos recommandations fort utiles, claires et productives. Nous constatons des changements assez importants par rapport à ce que nous avions examiné auparavant.
Je sais que vous avez déjà abordé la question, mais j’aimerais revenir sur les préoccupations qui ont été soulevées entourant l’utilisation d’enfants à des fins de passeport — c’est le terme que certains fonctionnaires ont employé — au Canada, où ils sont essentiellement sacrifiés à un processus de citoyenneté ultime.
Vous nous avez dit, maître Mosher-Kuczer, qu’il s’agit d’un nombre de personnes très limité, voire nul. Cependant, pour poursuivre dans la même veine, diriez-vous que vos changements recommandés ont une probabilité maximale de minimiser ce phénomène? Par ailleurs, est-ce que le transfert de l’initiative à l’individu offre une protection supplémentaire contre la menace — il s’agit peut-être d’une menace imaginaire, mais c’est néanmoins préoccupant?
Me Webster : Je suis certainement d’accord pour dire que la proposition éloigne encore plus cette menace. Tout d’abord — comme Me Mosher-Kuczer l’a mentionné dans ses remarques liminaires —, je suis tout à fait d’accord pour dire que tout risque potentiel est extrêmement faible ou franchement inexistant.
Je sais qu’un témoin de l’Agence des services frontaliers du Canada, ou ASFC, a comparu devant le comité et a exprimé une réelle inquiétude quant au fait que ce projet de loi pourrait inciter les parents à envoyer leurs enfants au Canada pour leur assurer d’obtenir un statut plus tard. Ils n’ont pas été en mesure de fournir la moindre donnée pour justifier cette allégation.
Dans la mesure où il existe une préoccupation réelle à cet égard, je dirais qu’il est déplacé de l’alléguer dans le cadre de ce projet de loi. Elle aurait pu être soulevée lors d’un amendement précédent à la Loi sur la citoyenneté. C’est le texte auquel j’ai fait référence précédemment — le projet de loi C-6 —, qui a également été étudié par le comité et a reçu la sanction royale en juin 2017. Parmi les modifications apportées, l’une permettait aux organismes de protection de l’enfance ayant la garde légale du mineur de présenter une demande de citoyenneté en son nom. Cette disposition est désormais inscrite dans la loi au paragraphe 5(1.04) de la Loi sur la citoyenneté.
Ces supposés enfants passeport ont théoriquement déjà une façon d’obtenir la citoyenneté, ou une voie d’accès — qui est franchement beaucoup plus directe et ne nécessite pas que l’organisme d’État responsable omette de faire une demande pour eux, que les enfants ne soient plus pris en charge en raison de leur âge puis qu’ils soumettent ensuite une demande de citoyenneté. Pourtant, même si la disposition est loi depuis plus de six ans et demi, l’ASFC n’est pas en mesure de citer un seul cas où cette situation se serait supposément produite. Dans le cas du projet de loi S-235, le risque présumé de fraude est encore plus faible.
Je crois fermement que ces mises en garde sont non fondées et injustifiées. Même s’il y avait un ou deux cas — ce qui n’est pas prouvé —, je dirais que nous ne devrions pas créer une loi pour une infime minorité. Nous ne devrions pas limiter l’accès à un droit fondamental en raison d’allégations non fondées sur une personne qui pourrait essayer d’exploiter une voie d’accès à ce droit dans un certain nombre d’années.
La sénatrice McPhedran : Merci beaucoup.
Me Mosher-Kuczer : J’ajouterai qu’il est très difficile pour la grande majorité des gens de venir au Canada à quelque titre que ce soit. La plupart des personnes qui ne sont pas originaires de ce que j’appelle les pays occidentaux ont besoin d’un visa de résident temporaire, ou VRT, ce qui nécessite de soumettre une demande à IRCC et prend une éternité. Elles doivent ensuite se rendre à l’aéroport. Des agents de l’ASFC sont là pour décider si elles peuvent monter à bord de l’avion. Ces personnes ont déjà rencontré deux obstacles pour venir ici. Il est donc déjà très difficile pour les gens d’arriver ici.
Faire venir un enfant par ses propres moyens pour qu’il soit pris en charge par l’État — la possibilité est infime. Même dans le cas que j’ai vu, l’enfant avait traversé la frontière américaine. C’était sa seule façon d’entrer au Canada, car personne n’aurait pu lui accorder un VRT pour venir ici. Cela n’aurait jamais été possible.
La présidente : Je vous remercie de vos réponses. Je pense que les membres du comité sont préoccupés par certains acteurs malveillants dans ce domaine. Je doute que nous puissions en nier l’existence, mais je suis fondamentalement d’accord avec vous, maître Webster, pour dire que nous ne pouvons pas légiférer pour contrer des risques minimes en périphérie. Nous devons nous attaquer au système dans son ensemble avec votre proposition de modifier l’article 5 plutôt que 3.
[Français]
Le sénateur Cormier : Ma première question s’adresse à Me Mosher-Kuczer. Au Nouveau-Brunswick, la province que je représente, l’âge de la majorité est de 19 ans. Vous recommandez qu’il y ait un changement dans la proposition afin que l’âge de la majorité soit augmenté. Pouvez-vous nous expliquer plus en détail les avantages et les désavantages que pourrait avoir un tel amendement sur la population?
[Traduction]
Me Mosher-Kuczer : Je ne recommande pas de l’augmenter. Je propose de supprimer le mot « mineur » parce qu’en Ontario, par exemple, même si les enfants cessent d’être pris en charge à l’âge de 18 ans, il est possible de conclure des ententes de prise en charge et de garde avec la province jusqu’à 25 ans. Le libellé actuel du projet de loi comporte le terme « mineur » — qui désigne une personne de moins de 18 ans en vertu de la Loi sur la citoyenneté — et limiterait le champ d’application aux personnes qui ont cessé d’être prises en charge à l’âge de 17 ans, ce qui n’est pas le cas en réalité. C’est pourquoi je recommande de supprimer complètement ce terme afin d’élargir le champ d’application à tous les enfants qui ont été pris en charge au Canada.
[Français]
Le sénateur Cormier : Merci. Vous avez raison; en fait, je faisais plutôt référence au mémoire que nous avons reçu de l’Association du Barreau canadien, qui suggérait 19 ans.
Ma deuxième question concerne la clarté du projet de loi, c’est-à-dire le langage qui est utilisé. C’est d’autant plus important si des changements peuvent être apportés afin que les jeunes individus puissent déposer eux-mêmes une candidature.
L’Association du Barreau canadien demande de réécrire la modification proposée à la Loi sur la citoyenneté en langage clair, considérant que la loi aura une incidence particulière sur les jeunes, notamment ceux dont l’anglais ou le français n’est pas la langue maternelle. Le Guide pour favoriser la lisibilité des textes législatifs de Justice Canada prévoit que la lisibilité des textes législatifs profite à tout le monde. Sur le plan démocratique, tous les citoyens ont intérêt à bien en saisir la portée.
Alors, que pensez-vous de cette recommandation? Est-ce que vous jugez que le langage est clair? Est-ce qu’il aurait besoin d’être modifié? Pourriez-vous faire des commentaires sur les recommandations du mémoire qui a été déposé par l’Association du Barreau canadien?
[Traduction]
Me Mosher-Kuczer : Je ne trouve pas que ce soit clair du tout. Je pense que le libellé du projet de loi doit être révisé pour clarifier exactement qui est le public visé. Trop souvent, la législation en matière d’immigration est opaque et difficile à comprendre. Il faut lire quatre dispositions différentes en même temps à l’écran, les recouper et essayer de comprendre ce qu’elles signifient exactement. Je soutiens bel et bien la recommandation de l’Association du Barreau Canadien, qui propose de nettoyer le libellé et d’indiquer clairement qui est inclus et exclu du projet de loi, parce que des personnes sont visées par inadvertance dans sa forme actuelle.
[Français]
Me Webster : Merci beaucoup pour la question.
Je suis désolée, mais je ne peux pas y répondre complètement en français.
[Traduction]
Je trouve qu’il est justifié d’épurer le libellé. La loi est un exercice de précision où les définitions sont importantes. Je pense que différents témoins l’ont dit au comité, et que des suggestions très pratiques peuvent apporter de petits changements au texte du projet de loi tout en préservant son intention — ce ne sont pas des ajustements difficiles, et ils permettraient de conserver l’intention.
Je reconnais, comme les représentants de l’Association du Barreau canadien, qu’un texte législatif rédigé en langage clair est plus accessible. Il est intéressant qu’ils aient soulevé cette question dans le contexte de la Loi sur la citoyenneté. En tant qu’avocate qui pratique le droit de l’immigration et des réfugiés, et qui a également exercé le droit aux États-Unis où la législation est encore plus vaste, je suis d’avis que la Loi sur la citoyenneté est l’une des lois les plus denses et les plus impossibles à interpréter qui soit. Je suis certaine que l’intention de ce comité n’est pas de réécrire cette loi dans son intégralité, et je n’envie certainement pas ceux qui essaieraient de le faire. Même si j’aime l’idée qu’un mineur qui est sur le point d’atteindre l’âge limite de prise en charge et qui pourrait bénéficier de ces dispositions plonge dans le texte législatif, je ne pense pas que ce soit ce dont nous parlons ici. Nous parlons plutôt de ressources et du fait qu’il faut s’assurer que les agences provinciales et municipales compétentes comprennent le contexte et peuvent aider les gens à avoir accès à la citoyenneté. Comme ma collègue l’a souligné, je pense également qu’il serait utile d’épurer légèrement certaines définitions pour que l’intention du projet de loi soit bien claire.
La sénatrice Burey : Merci beaucoup, maître Webster et Mosher-Kuczer, de vos commentaires passionnés, réfléchis, judicieux... voyons si je peux trouver d’autres mots, car ce que vous avez dit est très important. Je vous remercie des précisions et des recommandations que vous avez formulées au sujet du passage à l’article 5. Ce que vous proposez rendrait les choses plus claires et plus précises.
Je me concentre toujours sur les données, et je pense qu’il est important d’examiner certaines observations à ce sujet. Vous avez dit qu’il n’y avait pas de chiffres précis. Ai-je bien compris? Ce sera l’une des préoccupations. Un très grand nombre d’enfants pourraient avoir accès à ces dispositions.
Pouvez-vous nous donner un chiffre approximatif? Vous ne le pouvez pas. Cela m’amène à ma prochaine question.
Me Webster : Je ne pense pas que nous ayons une idée précise, mais c’est une question qui nous a été posée à maintes reprises. Nous avons communiqué avec autant d’organismes partenaires et de fournisseurs de services que possible pour obtenir des renseignements. Selon la diligence raisonnable dont j’ai fait preuve, ma meilleure estimation serait que nous avons affaire à un nombre à trois chiffres, c’est-à-dire à des centaines de personnes. Je ne pense pas que nous atteindrons mille personnes.
La sénatrice Burey : D’accord, ce n’est que pour les données.
Me Webster : C’est ma meilleure estimation. Malheureusement, ceux qui ont recueilli ces données n’avaient peut-être pas à assumer cette responsabilité. Ils ont peut-être ces données, mais elles ne sont pas publiques. Cependant, j’ai des idées à propos de données qu’ils pourraient recueillir et diffuser et qui pourraient s’avérer utiles pour orienter l’élaboration des politiques à l’avenir.
La sénatrice Burey : C’est ma prochaine question. Comment peut-on améliorer la collecte et l’échange des données entre les différents niveaux, ministères et organismes gouvernementaux? Maître Mosher-Kuczer, vous avez parlé d’un agent de liaison, et je me demandais si vous pouviez nous en dire plus à ce sujet.
La deuxième partie de ma question — pour ne pas vous interrompre — est la suivante : quels facteurs désagrégés pourraient fournir une image plus complète de la population des mineurs non citoyens pris en charge par l’État?
Me Webster : Maître Mosher-Kuczer, je ne sais pas si vous voulez d’abord parler de l’agent de liaison, mais je peux me lancer et répondre aux questions sur les données. J’adore l’idée d’avoir un agent de liaison. Je n’y avais pas pensé avant aujourd’hui. Je vais réfléchir à cette recommandation. Je pense qu’elle est très utile.
En ce qui concerne les données qui pourraient être recueillies, nous savons tous que des données de qualité permettent d’élaborer de bonnes politiques et de fournir de bons services. Elles nous permettent de travailler avec ce qui se passe en temps réel et d’adapter les lois et les services en conséquence.
À cette fin, nous encourageons le comité à demander au gouvernement du Canada de recueillir et de partager des données avec les intervenants concernés; de les recueillir et de les partager avec les différents niveaux de gouvernement. La vice-présidente se demandait tout à l’heure comment les différents gouvernements pouvaient travailler ensemble. Je pense que des canaux de communication ouverts sont essentiels ici.
Pour ce qui est des données désagrégées, il faudrait obtenir les éléments suivants : le pays d’origine, la race du demandeur, le sexe du demandeur, l’âge du demandeur au moment de la demande, le statut d’immigration à la date de la demande et le lieu où se trouve le demandeur au moment de présenter la demande. Il peut s’agir d’un endroit au Canada — car, comme nous le savons, les provinces n’emploient pas toutes les mêmes critères d’admissibilité aux différents services de protection de l’enfance —, ou à l’étranger. À ce titre, toutefois, comme je l’ai dit plus tôt, je pense qu’il s’agira d’un nombre de personnes très limité, voire nul.
Si, toutefois, des personnes à l’extérieur du Canada présentaient des demandes, je voudrais connaître la durée de leur séjour à l’extérieur du Canada et les raisons pour lesquelles elles ont quitté le pays.
Me Mosher-Kuczer : Pourquoi n’a-t-on pas de données? C’est parce qu’on a confié aux agences provinciales la responsabilité de recueillir les données, qu’un grand nombre d’enfants visés par ce projet de loi ne sont plus en âge d’être pris en charge, et que ces agences provinciales n’ont même pas cherché à savoir si ces enfants avaient un statut ou non.
À plus petite échelle, au cours des six années pendant lesquelles j’ai travaillé dans ce domaine pour une agence de protection de l’enfance dans une assez grande ville canadienne, j’ai aidé environ 10 à 12 enfants avec leurs demandes. Ce n’est pas énorme.
La sénatrice Burey : Je vous remercie.
La présidente : C’est un petit nombre, c’est vrai. Je vous remercie d’avoir soulevé ce point.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Je vais poser ma question à Me Webster en français.
Un porte-parole qui a comparu devant le comité a affirmé que le projet de loi, comme il est rédigé actuellement, risque de faire en sorte que certains jeunes seront traités différemment en fonction des circonstances de leur enfance.
L’exemple qu’on nous a donné est celui des mineurs qui ont été sous la responsabilité du système de protection de l’enfance pendant un certain temps et qui ont ensuite été remis aux soins de leurs parents, par opposition à ceux qui n’ont jamais été sous la responsabilité du système de protection de l’enfance. Ces derniers n’obtiendraient pas automatiquement la citoyenneté et seraient à risque d’être expulsés du Canada s’il s’avérait qu’ils sont interdits de territoire.
Ma question comporte deux volets. Est-ce que ce risque de traitement différent existe vraiment? Surtout, votre recommandation de passer de l’article 3 à l’article 5 a-t-elle un impact? J’ai l’impression qu’il y aurait un impact sur le plan du traitement qui serait le même pour tous les enfants, peu importe les circonstances de leur enfance.
Me Webster : Je vous remercie de votre question et, encore une fois, je suis désolée de ne pas pouvoir y répondre en français.
[Traduction]
Je partage la préoccupation selon laquelle les jeunes enfants vulnérables pourraient être traités différemment en fonction des circonstances de leur prise en charge et de la nature de l’entente formelle, ou autre, conclue avec l’organisme d’État concerné.
Tel qu’il est actuellement rédigé, le projet de loi empêche certaines personnes vulnérables qui ont été prises en charge par des agences de protection de l’enfance d’obtenir la citoyenneté. En d’autres termes, on s’est suffisamment soucié de la sécurité ou du bien-être de ces enfants, les services de protection de l’enfance ont joué un rôle, mais ces enfants n’ont pas reçu toute la gamme de soins lorsqu’ils étaient pris en charge. Ils n’ont peut-être pas été retirés de leur foyer et placés dans un foyer d’accueil, mais les services de protection de l’enfance ont tout de même joué un rôle dans leur vie pendant des années. Les parents ont fait l’objet d’une ordonnance de surveillance, ou encore, les enfants ont été placés dans le foyer d’un membre de la famille et ont fait l’objet d’une supervision constante. Le tribunal de la famille a peut-être été impliqué.
Exclure les personnes qui ont pu bénéficier de ces arrangements informels plutôt que d’un placement en famille d’accueil en bonne et due forme pose problème, car ces personnes vulnérables étaient elles aussi considérées par les agences de protection de l’enfance comme ayant besoin d’un certain niveau de soutien et de supervision. Pourtant, ces agences n’ont pas réussi à leur obtenir la citoyenneté ou n’ont peut-être pas aidé un parent proche à le faire. S’il a été déterminé que ces personnes avaient besoin d’aide, de protection et de soins, nous estimons qu’elles devraient pouvoir bénéficier des dispositions incluses dans ce projet de loi.
Le passage à l’article 5 a une certaine incidence sur ce point, mais je pense que le changement doit porter sur la définition. Ma collègue a formulé quelques suggestions utiles sur la manière dont nous pourrions obtenir un libellé plus précis des termes « résider », « maintenir » et « services à l’enfance et à la famille ». J’ajouterais à cette liste d’amendements qu’il faut veiller à ce que les personnes qui bénéficient d’une prise en charge informelle — mais qui sont toujours en contact avec l’agence de protection de l’enfance — soient également incluses.
La sénatrice Petitclerc : J’aimerais avoir une meilleure idée de la situation. Pourriez-vous me dire si ces enfants représentent une minorité par rapport à l’autre groupe visé — que nous voulons aider — par ce projet de loi? S’agit-il d’un groupe assez important? J’essaie simplement de savoir qui ils sont et combien ils sont. C’est difficile à savoir.
Me Webster : Je le répète, il est difficile d’obtenir des données. Lorsque j’ai dit que je m’attendais à ce que les chiffres soient de l’ordre de trois chiffres — moins de 1 000 —, j’incluais les personnes qui se trouvent dans ces situations. Nous ne parlons pas d’une personne qui n’a reçu qu’une seule visite des services de protection de l’enfance, sans plus. Nous faisons allusion, par exemple, à une personne dont la situation a été jugée dangereuse et qui est suivie par les services de protection de l’enfance. Il se peut qu’elle vienne de déménager chez une tante, mais elle relève toujours d’une ordonnance. Il y a des documents officiels.
Nous n’ouvrons pas grand la porte. Nous reconnaissons simplement — et je peux le dire d’après mon expérience dans le domaine, et les agences de protection de l’enfance diraient la même chose — que la première option sera toujours d’essayer de placer l’enfant chez un proche parent. Dans la mesure du possible, on évite d’avoir à placer un enfant chez un étranger, surtout pour des raisons culturelles et linguistiques. Il est préférable de placer un enfant dans un environnement qu’il connaît bien. Dans ces cas-là, les services de protection de l’enfance jouent quand même un rôle, ils supervisent l’enfant et reconnaissent que l’enfant n’est pas en sécurité avec son tuteur légal. C’est la raison pour laquelle les dispositions devraient aussi s’appliquer à ces enfants.
La sénatrice Petitclerc : J’essaie d’aller plus loin. Diriez-vous que ces enfants vivent les mêmes difficultés et qu’ils sont tout aussi vulnérables, mais que, malheureusement, ils ne sont pas protégés par cette mesure législative?
Me Webster : Cela dépend des types de difficultés auxquelles vous pensez. Ils sont confrontés aux mêmes difficultés dans la mesure où les services de protection de l’enfance ont déterminé qu’ils étaient en danger et qu’ils avaient besoin d’une forme de protection et d’intervention de la part de l’État.
Peut-être sont-ils encore plus vulnérables parce qu’ils se trouvent dans une situation où ils sont laissés seuls un peu plus souvent, ce qui est presque plus dangereux. Essentiellement, ils sont vulnérables et l’esprit et le principe de base — où le Canada intervient pour assumer ce rôle parental en disant « Vous n’êtes pas en sécurité, et nous allons superviser les arrangements pour vos soins et nous assurer que vous êtes en sécurité » — s’appliquent ici. Ma meilleure estimation des chiffres inclut donc ce groupe.
La présidente : Je vous remercie toutes les deux de vos mémoires. Je les ai trouvés très intéressants. Maîtres Webster et Mosher-Kuczer, vous y présentez toutes deux un certain nombre d’amendements. Il s’agit presque d’une réécriture du projet de loi. Pouvez-vous nous dire — toutes les deux — quels amendements sont absolument nécessaires?
Me Webster : Nous fournirons peut-être des réponses différentes.
La présidente : Oui, je m’y attends, car vous avez des points de vue différents au sujet de ce projet de loi.
Me Webster : C’est juste. Mais je ne sais pas si à la base nous avons des points de vue différents.
La présidente : Non.
Me Webster : Nous appuyons toutes les deux l’objet du projet de loi, et nous souhaitons qu’il soit adopté. C’est un bon point de départ.
En ce qui concerne les modifications qui pourraient être apportées, d’un point de vue pratique, le passage à l’article 5 est essentiel et n’est pas du tout compliqué. Vous trouverez le libellé exact pour y arriver dans l’annexe. Je crois que le mémoire a été envoyé au Bureau de la traduction avant la réunion d’aujourd’hui, mais si ce n’est pas le cas, je vous inviterais à consulter la deuxième annexe où vous trouverez, en rouge, ligne par ligne, les modifications aux dispositions que nous proposons pour y parvenir.
La présidente : Je vous remercie. Vous nous dites que nous devons nous concentrer sur cet amendement-là — que c’est le plus important?
Me Webster : Je ne peux faire qu’une seule suggestion?
La présidente : Vous avez déposé un mémoire.
Me Webster : C’est tout un défi.
La présidente : J’aimerais m’adresser à Me Mosher-Kuczer. Maître Webster, nous pourrons revenir à vous plus tard, si vous le souhaitez, et si le temps nous le permet.
Me Mosher-Kuczer : Je vous remercie.
La présidente : Vous avez également proposé toute une gamme d’amendements.
Me Mosher-Kuczer : Oui. Pour ajouter à ce que Me Webster propose, si cette disposition passait à l’article 5, je vous recommanderais vivement d’annuler les frais, car les...
La présidente : Oui.
Me Mosher-Kuczer : ... frais de traitement de 630 $ seront un obstacle pour la plupart de ces enfants qui n’ont pas le droit de travailler.
La présidente : C’est un bon point.
Me Mosher-Kuczer : Je pense également qu’il est extrêmement important que les modalités du projet de loi soient mieux définies, car, si ce n’est pas le cas, comme je l’ai dit dans mon mémoire, il y a un risque de dérapages. Si les modalités ne sont pas clairement définies, une personne en prison pourrait, en théorie, relever du projet de loi, tel qu’il est actuellement rédigé. Encore une fois, il s’agit d’amendements qui ont trait au libellé, c’est tout.
La présidente : Merci beaucoup.
La sénatrice Jaffer : J’ai quelques brèves questions. Lorsque j’exerçais le droit, les personnes dont je m’occupais n’étaient pas mineures au sens où on l’entend; il s’agissait de personnes qui avaient atteint l’âge limite de prise en charge, qui avaient peut-être eu des ennuis et qui attendaient d’être expulsées. Je m’occupais de ces personnes. Est-ce votre cas également? Apportez-vous votre aide dans le cadre de ce processus?
Me Webster : Je représente des mineurs qui sont pris en charge par une agence de protection de l’enfance en ce moment. Je représente également des adultes, et la population adulte inclut des gens qui ont atteint l’âge limite de prise en charge.
La sénatrice Jaffer : Les mineurs viennent-ils vous voir de leur propre initiative, ou est-ce que ce sont les tuteurs légaux qui viennent vous voir pour vous demander de vous occuper de ces dossiers?
Me Webster : Je travaille à Toronto, et je sais que vous aviez une unité spécialisée — le Centre d’excellence en immigration pour la protection de l’enfance — à la Société d’aide à l’enfance de Peel. Dans le sud de l’Ontario, dans la région du Grand Toronto, on connaît de mieux en mieux la responsabilité et l’autorité légale dont disposent les agences de protection de l’enfance pour agir au nom des mineurs. Aujourd’hui, davantage de travailleurs de la protection de l’enfance nous demandent comment ils peuvent aider leurs clients qui n’ont pas de statut.
C’est encourageant lorsque nous pensons à ce projet de loi et au fait de le rendre plus accessible pour que les personnes vulnérables soient en mesure de présenter une demande.
La sénatrice Jaffer : Cela a aussi à voir avec le projet de loi dans lequel le gouvernement a dit qu’ils pourraient présenter une demande, n’est-ce pas?
Me Webster : C’est juste.
La sénatrice Jaffer : Il s’agit du projet de loi C-6, c’est bien cela?
Me Webster : Oui.
La sénatrice Jaffer : C’est récent. Le gouvernement a dit que les provinces pouvaient présenter une demande.
Ma dernière question est la suivante : l’Association du Barreau canadien préconise toujours l’utilisation d’un langage clair, n’est-ce pas? Ce n’est rien de nouveau. Êtes-vous toutes les deux d’accord avec moi? Je dirais qu’elle réclame l’emploi d’un langage clair depuis très longtemps, mais la plupart des projets de loi sont rédigés par le gouvernement et ils ne sont pas rédigés en langage clair. Êtes-vous d’accord? Je vous remercie.
Me Webster : Je suis d’accord avec vous.
Si je peux me permettre, très brièvement — car je n’ai parlé que de ma recommandation concernant le transfert de l’article 3 à l’article 5 —, je dirais que les prises en charge informelles sont aussi un élément crucial. Je ne dis pas « informelles » dans le sens où il n’y a pas de dossiers. On parle de jeunes qui ne sont pas exclusivement en familles d’accueil, mais aussi qui relèvent encore d’un organisme de protection de l’enfance.
Enfin, un élément dont nous n’avons pas parlé est la suspension temporaire de l’expulsion pour permettre le traitement des demandes. Si l’on reconnaît l’importance de cela et que l’on va de l’avant avec cette disposition, il faut donner au gouvernement un laps de temps pour traiter la demande au cours duquel le bénéficiaire potentiel n’est pas expulsé.
La présidente : Votre mémoire est très clair et très détaillé sur toutes ces questions. Nous n’avons pas parlé de tout, mais cela ne veut pas dire que nous n’avons pas lu le mémoire. Maître Webster et maître Mosher-Kuczer, je tiens à vous remercier des conseils très détaillés que vous nous avez donnés. Nous vous avons écouté attentivement, soyez-en assurées.
Chers collègues, la sénatrice Jaffer, la marraine du projet de loi S-235, est notre invitée et n’a besoin d’aucune présentation.
L’honorable Mobina S. B. Jaffer, marraine du projet de loi : Je vous remercie tous sincèrement. Il est très rare que quelqu’un ait une deuxième chance, et je vous suis très reconnaissante de m’accorder généreusement de votre temps pour me donner cette deuxième chance. Je vais clarifier les éléments mentionnés par Me Mosher-Kuczer. Comme vous le savez, nous ne rédigeons pas nos projets de loi. Je ne blâme personne, mais je vais m’assurer de travailler avec le bureau du légiste pour rendre le libellé plus clair et vous rassurer au sujet de ce que Me Mosher-Kuczer a mentionné.
À l’origine, j’ai demandé au légiste de rédiger ce projet de loi sous l’article 3 en raison des difficultés, comme vous l’avez dit, pour une jeune personne de remplir les formulaires et verser les frais 630 $. Ce sont toutes là des difficultés pour eux, et je me disais que ce n’était pas une bonne façon de procéder quand on veut aider les jeunes gens. Nous avons entendu le représentant du ministre et d’autres personnes, alors je vais apporter la modification pour faire le transfert de l’article 3, la citoyenneté de plein droit, à l’article 5, l’attribution de la citoyenneté. Je vais apporter ces modifications.
Je parlais déjà de 365 jours, mais beaucoup de gens étudient actuellement le projet de loi et m’en parlent. Selon certains intervenants, ce devrait être « 180 jours ». Je sais que pour le comité, et sans doute le Sénat, 180 jours ne sont pas suffisants. Des gens m’ont expliqué ce qui se passe : les jeunes sont placés pendant que la situation s’améliore à la maison; ils y retournent, mais la situation empire et ils reviennent. Dans mon nouveau projet de loi, je proposerai que le temps soit cumulatif. Évidemment, au bout du compte, c’est vous qui déciderez. Il s’agira d’un cumulatif de 365 jours.
Au sujet de toutes les suggestions faites par Me Mosher-Kuczer et Me Webster, je vais les apporter. Je vais apporter les modifications au sujet d’une prise en charge informelle avec ordonnance du tribunal. Lorsqu’un ministère ou organisme a confié la garde à une tante ou informellement à quelqu’un d’autre, le jeune est encore pris en charge, alors je vais apporter les modifications proposées par Me Webster.
Il arrive parfois que des demandes n’entrent dans aucune catégorie. Dans ce cas, le ministre examinera la demande pour des motifs humanitaires. Ce sont là les modifications que je vais apporter.
Je m’occupe des modifications dont il a été question la dernière fois. Je vais préparer ces modifications avec le légiste, mais ce ne sera pas en langage clair. Rédiger un projet de loi en langage clair est plus facile à dire qu’à faire. Je vais le proposer au légiste, mais ce n’est pas entre mes mains. Je n’ai pas vu beaucoup de projets de loi qui le sont, mais je sais, en tant qu’avocate, que c’est une question importante pour l’Association du Barreau canadien. C’est une bonne chose, et je vais le proposer au légiste.
La présidente : Je vous remercie, sénatrice Jaffer. Nous avons beaucoup de questions. J’aimerais vous en poser une au sujet des frais. Je suis plutôt d’accord avec ceux qui disent que 630 $ est un montant prohibitif pour un enfant. Selon vous, est-ce qu’il faudrait que ce soit dans les observations ou dans la loi? Est-ce que cela en fait un projet de loi de crédits?
La sénatrice Jaffer : Cela ferait partie des observations, et je l’espère, de la réglementation.
La présidente : D’accord.
La sénatrice Jaffer : C’est ce que j’avais en tête. Nous le mentionnerons dans les observations, pour que cela fasse partie du règlement, car autrement, il s’agirait d’un projet de loi de crédits.
La présidente : Je vous remercie. Chers collègues, avons-nous d’autres questions? Ce sera plus informel.
La sénatrice Cordy : Je prends beaucoup de notes, et il semble que j’ai trois ou quatre phrases dans chaque cas, pour essayer de rendre le tout cohérent.
La sénatrice Jaffer : Je suis désolée, aimeriez-vous que je répète quelque chose?
La sénatrice Cordy : Non. La recommandation que nous avons — et vous y avez fait allusion — était un cumulatif de 180 jours, et vous proposez que ce soit 365 jours.
La sénatrice Jaffer : En tout.
La sénatrice Cordy : C’est ce que vous entendez par « cumulatif », et cela peut s’échelonner sur une période de 10 ou 18 ans, ou peu importe?
La sénatrice Jaffer : Cela dépend. Cela peut être plus, mais un minimum de 365 jours, cumulatifs.
La sénatrice Cordy : D’accord. Cela inclut-il la prise en charge informelle?
La sénatrice Jaffer : Oui.
La sénatrice Cordy : Très bien.
Le sénateur Cormier : Je vous remercie, sénatrice Jaffer. Vous savez à quel point je suis obsédé par la langue. Vous l’avez sans doute remarqué, mais il y a une différence entre les termes utilisés en anglais et en français. Au paragraphe 1(1), on utilise le mot « parent » dans la version en français, et dans celle en anglais, on utilise « relative ». Pensez-vous qu’il serait important de clarifier cela? Est-ce que ces deux mots veulent dire la même chose?
La sénatrice Jaffer : Je ne saurais le dire à un spécialiste comme vous. J’ai posé la question — je m’en excuse si j’ai tort — et on m’a dit que « relative » signifie « parent » en français, mais je ne sais pas.
Le sénateur Cormier : Le sens n’est pas plus large?
[Français]
La sénatrice Petitclerc : C’est comme la parenté; c’est un parent, mais je comprends ce que vous voulez dire. Il faudrait faire vérifier ce mot.
[Traduction]
Le sénateur Cormier : Il faudrait simplement s’en assurer.
[Français]
La sénatrice Jaffer : Si vous relevez ce genre de choses, dites-le-moi et je vais modifier la terminologie. Lorsque je l’ai demandé, on m’a répondu qu’il s’agissait bien de la relation.
Le sénateur Cormier : D’accord. Merci, madame la présidente.
[Traduction]
La présidente : Je vous remercie.
Y a-t-il d’autres questions? Si c’est tout, je vous propose, chers collègues, que nous passions à huis clos pendant quelques minutes pour discuter de travaux futurs.
(La séance se poursuit à huis clos.)