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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES SOCIALES, DES SCIENCES ET DE LA TECHNOLOGIE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 15 février 2024

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd’hui, à 11 h 30 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi S-252, Loi instituant la Semaine d’appréciation de la fonction de juré.

La sénatrice Ratna Omidvar (présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La présidente : Honorables sénateurs, je m’appelle Ratna Omidvar, je suis une sénatrice de l’Ontario.

[Traduction]

Je suis la présidente du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

J’aimerais d’abord souhaiter la bienvenue aux membres du comité, aux témoins et aux membres du public qui suivent nos délibérations. Avant d’aller plus loin, faisons rapidement un tour de table pour nous présenter à tour de rôle, en commençant par la vice-présidente, la sénatrice Cordy.

La sénatrice Cordy : Bonjour. Je suis la sénatrice Jane Cordy, de la Nouvelle-Écosse. Je vous souhaite la bienvenue.

[Français]

Le sénateur Cormier : René Cormier, du Nouveau-Brunswick.

[Traduction]

La sénatrice McPhedran : Marilou McPhedran, sénatrice du Manitoba.

La sénatrice Dasko : Donna Dasko, sénatrice de l’Ontario.

[Français]

La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Osler : Je suis la sénatrice Gigi Osler, du Manitoba.

La présidente : Merci, chers collègues. Nous poursuivons l’étude du projet de loi S-252, Loi instituant la Semaine d’appréciation de la fonction de juré. Nous avons des témoins qui comparaissent en personne et par vidéoconférence. Tout d’abord, nous accueillons M. Dan Cozine en présentiel. Merci beaucoup d’être venu nous honorer de votre présence. Ensuite, nous recevons M. Patrick Fleming par vidéoconférence. Merci à tous les deux d’être des nôtres aujourd’hui. Nous commencerons par la déclaration préliminaire de M. Cozine, suivie de celle de M. Fleming. Vous disposerez chacun de cinq minutes pour faire votre exposé, après quoi les membres du comité vous poseront des questions. Monsieur Cozine, vous avez la parole.

Dan Cozine, à titre personnel : Bonjour. Je tiens à exprimer ma sincère gratitude au Sénat du Canada, et en particulier au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, pour m’avoir invité ici aujourd’hui. Je viens de Regina, en Saskatchewan, sur le territoire visé par le Traité no 4, la terre ancestrale des Métis.

Le parcours qui m’amène à témoigner devant votre comité aujourd’hui a débuté dans une salle d’audience à Regina, le 18 janvier 2016. Le procès des deux accusés portait sur le meurtre d’une fillette de 4 ans et la tentative de meurtre de sa sœur de 2 ans. Au bout de trois semaines incroyablement difficiles, et immédiatement après les instructions du juge pour les délibérations, on m’a laissé partir parce qu’il y avait plus de 12 jurés. Je n’ai donc pas pu participer aux délibérations. Après un très bref remerciement du juge, j’ai été escorté jusqu’à la porte arrière du palais de justice. Ces trois semaines n’ont servi à rien.

Il s’en est suivi des mois de thérapie, au cours desquels j’ai reçu un diagnostic de trouble de stress post-traumatique. J’ai communiqué avec une personne que je ne connaissais pas jusque-là, M. Mark Farrant. C’est ainsi que j’ai commencé à défendre cette cause en écrivant des lettres à M. Ralph Goodale, alors député de ma circonscription de Regina-Wascana et ministre de la Sécurité publique, ainsi qu’à la Dre Jane Philpott, alors ministre de la Santé, et à Jody Wilson-Raybould, alors ministre de la Justice. Tous se sont montrés sensibles au sort des jurés, mais ont déclaré — à juste titre — que la justice étant administrée par les provinces, ils ne pouvaient être d’aucune aide.

En ce qui concerne le sujet d’aujourd’hui, soit le projet de loi S-252, Loi instituant la Semaine d’appréciation de la fonction de juré, je dois vous dire que ma première conversation téléphonique avec le shérif principal de la province — la personne qui s’occupe de constituer les jurys — m’a laissé pantois. J’ai posé une question simple : quel soutien les jurés reçoivent-ils après le procès? Il m’a répondu : « Je n’y ai jamais pensé. » Si le responsable des jurys de la province n’y a pas pensé, quel serait le degré de connaissance et d’appréciation du grand public? En plaidant pour cette cause, avec l’aide de M. Farrant, je suis fier d’avoir joué un rôle clé dans la création du programme d’assistance et de soutien aux jurés de la Saskatchewan, qui a débuté le 1er décembre 2017, près de deux ans après ce procès.

Ma lettre faisait partie des « 12 lettres de colère » mentionnées par l’honorable sénatrice Lucie Moncion, elle-même ancienne jurée, dans son discours du 30 novembre 2022, plaidant en faveur d’une stratégie nationale pour le soutien aux jurés. Elle a parlé avec passion de son expérience en tant qu’ancienne jurée et de la nécessité de reconnaître le rôle des jurés au Canada.

Des milliers de citoyens partout au Canada participent en tant que jurés et jouent un rôle essentiel dans le système de justice. Ces gens devraient être fiers de ce service, et certains le sont. Cependant, beaucoup, comme moi, ont été traumatisés et peuvent se sentir oubliés. Ils n’oublient pas leur expérience. Même longtemps après la fin d’un procès, lorsque des appels sont interjetés ou que les peines sont purgées par les personnes condamnées, toutes ces journées passées au banc des jurés nous reviennent en mémoire.

C’est pourquoi je demande respectueusement à votre comité de déclarer la deuxième semaine de mai de chaque année Semaine d’appréciation de la fonction de juré. Cela redonnera à de nombreuses personnes un sentiment de fierté, de reconnaissance et de gratitude bien méritées, ce qui, comme le savent les professionnels de la santé mentale, joue un rôle essentiel pour faire face à un traumatisme et s’en remettre.

J’œuvre dans le domaine de l’éducation depuis près de 25 ans et je viens d’une famille d’éducateurs. En tant que directeur et leader de mon école, je cherche constamment des moyens de reconnaître le bon travail du personnel et des élèves. Je suis conscient du pouvoir qu’un simple geste d’appréciation peut exercer sur un enfant ou un enseignant. Cela peut insuffler la positivité et la détermination nécessaires pour les amener à travailler fort et à atteindre leurs objectifs. C’est l’un des aspects visés ici. L’autre avantage fonctionnel de la Semaine d’appréciation de la fonction de juré est la sensibilisation.

J’ai pris place au banc des jurés sans avoir la moindre idée de ce qui m’attendait. J’ai beaucoup appris sur le système de justice et les professionnels au sein des tribunaux, qu’il s’agisse des policiers, des avocats, des médecins, des coroners et même du juge. À ce titre, cette expérience a été très enrichissante. Or, le public a un point de vue très négatif de la fonction de juré. En instituant une telle semaine, on a la possibilité de changer cette perception. On peut ainsi mettre en évidence le fait que, même si la fonction de juré est une tâche difficile, elle peut s’avérer gratifiante : c’est une fonction au service du pays et du système de justice, ainsi qu’une expérience d’apprentissage. La semaine d’appréciation peut également sensibiliser les employeurs qui n’aident pas ou, dans certains cas, ne peuvent pas aider leurs employés qui sont appelés à faire partie d’un jury sur le plan de la rémunération, des avantages sociaux et des congés, notamment en leur accordant un congé après le procès pour leur permettre de se rétablir. Le projet de loi dont nous discutons aujourd’hui sera très utile pour le système de justice, car il permettra de diffuser davantage d’informations sur les jurés, leur fonction et leur importance.

J’avais l’impression d’être seul; je sais maintenant que je ne l’étais pas. En rendant hommage aux jurés pendant une semaine en mai, des milliers de citoyens de tout le pays sauront qu’ils ne sont pas seuls, mais qu’ils sont au contraire soutenus et valorisés par les citoyens canadiens et le gouvernement du Canada. Je suis ravi de voir que nous commençons à mettre en valeur et à soutenir les jurés et à reconnaître que la fonction de juré est importante et qu’il faut en être fier.

Je vous remercie du temps que vous m’avez accordé aujourd’hui et je répondrai volontiers à vos questions.

La présidente : Merci beaucoup, monsieur Cozine. Monsieur Fleming, vous avez la parole.

Patrick Fleming, à titre personnel : Bonjour et merci, madame la présidente. Je vous remercie, honorables sénateurs, de m’avoir invité ici aujourd’hui pour parler de mon expérience en tant que juré et pour expliquer pourquoi j’estime que la Semaine d’appréciation de la fonction de juré est nécessaire. Je vous suis reconnaissant de l’occasion qui m’est donnée.

Il y a 9 ans, j’ai fait partie d’un jury dans un procès qui a occupé ma vie pendant plus de 10 mois. Il s’agissait d’un procès pour meurtre au premier degré mettant en cause une jeune femme qui avait engagé quatre complices pour assassiner ses parents dans la résidence familiale. Je suis toujours hanté par des souvenirs de ce crime, même après toutes ces années.

Les preuves que j’ai vues et entendues étaient vraiment horribles, mais je ne veux pas exposer ces détails au Sénat parce qu’ils sont trop graphiques. Les preuves vidéo, les images et l’horrible appel au 911 me hantent encore aujourd’hui.

Je me vois et je m’entends encore, en tant que président du jury, lire les verdicts de culpabilité à tous les accusés. Les coupables ont reçu les verdicts qu’ils méritaient pour leurs actes horribles, mais j’entends encore les hurlements des membres de la famille et des amis des accusés entassés dans la salle d’audience bondée alors que je lisais leurs verdicts de culpabilité.

Les jurés prennent leurs responsabilités au sérieux et rendent des verdicts qui ont des répercussions à la fois sur la victime et sur l’accusé, mais ils doivent également vivre avec ces verdicts.

J’ai passé près d’un an de ma vie au tribunal, en plus du temps passé en isolement pour les délibérations. Après un bref remerciement de la part du juge, je suis rentré chez moi. Cependant, il y avait quelque chose de différent en moi. Quelque chose semblait clocher. Je pensais qu’en rentrant chez moi, je me sentirais soulagé et que je trouverais la paix, mais ce n’était pas le cas.

Cette expérience m’a fait sentir très seul. Je me sentais isolé même lorsque j’étais entouré de mes proches. Je me suis éloigné de ma femme, de ma famille et de mes amis pendant et après le procès. Je n’arrivais pas à trouver les mots pour exprimer ce que je vivais émotionnellement. J’ai éprouvé beaucoup de sentiments confus et accablants. Aujourd’hui encore, des éléments de la vie quotidienne me font revivre le traumatisme lié à ce procès.

J’ai dû me préparer à reprendre le travail dès le lendemain. Je savais que ce serait difficile, car mes collègues considéraient mon absence comme des vacances. Ils n’avaient aucune idée de ce que je traversais et ne ils n’en souciaient guère. Malheureusement, j’ai manqué une promotion et plusieurs séances de formation pendant que j’étais juré. J’ai eu du mal à me concentrer sur mon travail. Je savais que j’avais besoin d’aide, mais à l’époque, les tribunaux ne proposaient aucune assistance. Je sentais que j’avais désespérément besoin de parler à un professionnel, quelqu’un qui pourrait m’aider à apaiser mes pensées et mes émotions. Encouragé par ma femme, j’ai fini par demander de l’aide, et ce, à mes frais.

Les jurés sont des civils qui n’ont pas choisi d’emprunter cette voie et qui ne sont pas formés pour faire face à ce genre de situation. Être juré est une tâche monumentale qui a eu des répercussions profondes sur ma vie et celle de ma famille. Je crois fermement que les jurés devraient être salués et valorisés pour les sacrifices qu’ils font dans l’exercice de leurs fonctions civiques.

Je reste fier d’avoir été juré, malgré l’impact que cela a eu sur moi. Je suis fier d’avoir donné de mon temps pour sensibiliser les gens à la santé mentale des jurés et à la nécessité de les soutenir. Je suis extrêmement fier de rendre à ma communauté ce qu’elle m’a donné à titre de pair aidant, qui soutient des jurés comme moi. J’espère que ce programme sera mis à la disposition des jurés de tout le Canada.

La Semaine d’appréciation de la fonction de juré peut, à coup sûr, jeter un éclairage positif sur le service des jurés. Toutes les expériences des jurés ne sont pas nécessairement négatives. Un certain nombre de jurés à qui j’ai parlé au fil des ans ont eu une expérience positive. Être juré est un processus intéressant. On a l’occasion de jeter un coup d’œil sur notre système de justice et de se rendre compte de l’importance de son rôle dans ce processus. Je pense que la Semaine d’appréciation de la fonction de juré est nécessaire, non seulement pour sensibiliser les gens à la fonction de juré et aux activités connexes, mais aussi pour saluer et célébrer ceux qui ont déjà servi.

L’expérience d’être juré ne vous quitte jamais, pas plus que la reconnaissance de la part du gouvernement. La fonction de juré est le dernier et le seul devoir civique obligatoire qui reste au Canada. Je suis très fier d’avoir été juré et j’encourage les autres à participer au processus.

Je vous remercie, madame la présidente et honorables sénateurs, de m’avoir donné l’occasion de vous faire part de mon expérience. J’espère de tout cœur que vous appuierez le projet de loi S-252, Loi instituant la Semaine d’appréciation de la fonction de juré. Je vous remercie.

La présidente : Merci, monsieur Cozine et monsieur Fleming. Je pense parler au nom de tout le comité en vous remerciant pour le service que vous avez rendu à notre pays.

La sénatrice Cordy : Je vous remercie beaucoup d’être des nôtres aujourd’hui. Sachez, monsieur Cozine, que j’étais enseignante à l’école primaire pendant de nombreuses années avant de venir au Sénat. C’est un travail formidable.

Je vous remercie de nous avoir fait part de votre expérience, car je n’ai jamais été jurée. Je connais des gens qui l’ont été, mais jamais personne ne leur demande : « Comment vous êtes-vous sentis après coup? » Vous avez tous les deux parlé du fait qu’une fois le procès terminé, on vous remercie de votre service, et le tour est joué; tout le monde part dans des directions différentes. Vous n’avez même pas une journée de suivi pour parler ensemble de ce qui s’est passé.

Si le projet de loi est adopté, quelle incidence aura-t-il sur les futurs jurés — les gens susceptibles d’être appelés à faire partie d’un jury? Pensez-vous qu’ils seront mieux préparés? Pensez-vous que cela aura un effet?

M. Cozine : Je vous remercie de votre question. Il s’agit d’une situation où un citoyen peut être choisi au hasard, et il n’y a vraiment aucune préparation. Lors du procès auquel j’ai participé, la sélection des membres du jury s’est achevée à 11 h 30. Le procès a commencé à 13 h 30 le jour même. Aucun des 14 jurés n’avait la moindre idée de ce qui les attendait.

Il y a des gens qui disent à des jurés comme moi, comme M. Fleming et comme d’autres qu’ils feraient tout pour se défiler.

Je pense que c’est parce qu’ils ne savent pas de quoi il s’agit. Je crois qu’ils ont peur, peut-être à cause des traumatismes à venir, mais aussi parce qu’ils ignorent carrément ce qui va se passer dans les semaines ou les mois à venir. Une semaine comme celle qui est proposée, accompagnée de renseignements sur le rôle des jurés et sur certains processus mis en œuvre lorsqu’on fait partie d’un jury, pourrait donc atténuer l’incertitude générale sur ce qui se passe lorsqu’on est sélectionné pour faire partie d’un jury. La sélection des jurés est, en soi, un processus intéressant. Elle peut différer légèrement d’un endroit à l’autre, mais une certaine préparation à ce qui va se passer pourrait s’avérer utile : lorsqu’une personne reçoit une assignation de juré, on devrait lui expliquer comment le tout va se dérouler, au lieu d’envoyer une note au verso de laquelle il est écrit : « Si vous ne vous présentez pas à la sélection des jurés, vous serez condamné à une amende de 5 000 $ et passible d’une peine de prison. » C’est une menace que la plupart des gens ne veulent pas recevoir. Si l’on prépare les gens au devoir de juré, ils seront peut-être plus enclins à l’accepter avec un esprit ouvert, en connaissant certains des faits qui s’y rattachent.

La sénatrice Cordy : Monsieur Fleming, dans le même ordre d’idées, je sais que vous pouvez intervenir au sujet de la question que je viens de poser, mais vous avez également parlé du fait que les jurés ne sont pas formés et que, dans votre cas, vous êtes retourné au travail dès le lendemain. Premièrement, est-ce qu’il devrait y avoir une période de formation et d’explication après la sélection des jurés? C’est alors trop tard, car ils font déjà partie du jury, mais au moins les jurés auraient une idée de ce à quoi ils peuvent faire face. Deuxièmement, d’autres personnes nous ont dit que lorsqu’elles avaient besoin d’une aide psychologique après un procès, elles devaient payer ces services à même leur propre argent. Certaines personnes ont la chance d’avoir un régime de soins de santé qui couvre ces frais, mais ce n’est certainement pas le cas de tout le monde.

Selon vous, quelles mesures pourraient être prises pour atténuer certaines des circonstances dans lesquelles vous vous êtes retrouvés après le procès?

M. Fleming : Je vous remercie de votre question. Je pense que la sensibilisation du public jouera un rôle crucial. Les jurés n’ont aucune idée de ce qui les attend. Ils n’ont aucune idée de la manière dont ils doivent s’habiller ou se comporter. Je pense que, grâce à la sensibilisation, nous pouvons faire savoir aux citoyens comment se préparer à ce type de service. Il s’agit d’un service obligatoire, et nous devrions être en mesure de sensibiliser les gens qui vont devenir jurés. Je crois sincèrement que, grâce à la sensibilisation, nous obtiendrons des résultats plus positifs émanant de la fonction de juré. Selon moi, il devrait y avoir une courte séance d’information après qu’un jury s’est prononcé sur une affaire; ce serait là une autre mesure très utile.

La sénatrice Cordy : Serait-il également utile que les jurés puissent se parler entre eux? Le fait est qu’à l’issue d’un procès, vous partez tous dans des directions différentes. Vous avez tous deux constaté qu’à la fin d’un procès, tous les membres du jury n’ont pas nécessairement les mêmes sentiments, mais ils ressentent tous quelque chose.

M. Cozine : Après un procès, on ne sait pas si on peut communiquer avec un membre du jury ou parler de ce qui a été dit. Il se trouve que l’un des jurés avait un enfant qui allait à l’école où je travaillais l’année suivante. Je l’ai vu entrer avec son jeune enfant l’un des premiers jours d’école. Nous nous sommes reconnus et avons dit : « Hé, comment ça va? » Puis, un silence gênant s’est installé en raison du contexte dans lequel nous avions fait connaissance, mais nous ne pouvions rien dire à ce sujet. Il y a donc lieu d’offrir une séance d’information d’une journée après le procès, une fois que tout est dit et fait. Ainsi, le lendemain, les 12 ou 14 jurés pourraient être réunis dans une salle. Ils pourraient parler un peu de ce qu’ils peuvent dire et ne pas dire, ou donner leur avis sur certains des éléments discutés pendant les délibérations. Ils pourraient même se permettre une pointe d’humour en posant des questions comme : « Pouvez-vous croire que telle ou telle chose a été dite? » En faisant partie de la même cohorte, ils pourraient être en mesure de guérir ensemble. Même si ce n’est qu’une séance d’une journée ou d’une matinée, ce serait l’occasion de peut-être dire aux personnes avec qui on était assis : « Eh bien, c’était vraiment difficile. » Quand j’ai vu ce père entrer avec son enfant, notre échange était amical. C’était bien. Je suis directeur de l’école que fréquente son enfant. C’est formidable. Il est un bon parent. Toutefois, nous nous connaissons d’une manière inhabituelle et nous ne pouvons pas en parler, ce qui est difficile.

M. Fleming : Je vous remercie. Je trouve qu’il est très difficile pour les jurés de se confier. Le processus de délibération est très difficile. Vous ne serez pas nécessairement en contact avec les personnes qui ont fait partie du jury avec vous. Il est très difficile de discuter de ce que l’on ressent avec des personnes qui ont vécu exactement la même chose. Je pense qu’il faut du temps pour s’ouvrir. Vous n’avez pas forcément besoin de parler à un juré qui a participé à la même affaire que vous; il est possible de parler à d’autres jurés dans d’autres affaires. Ce n’est pas parce que vous avez pris part au même procès que vous éprouvez tous les mêmes sentiments. Vous ne voulez pas nécessairement exposer vos faiblesses à vos pairs dans la même salle.

La sénatrice Osler : Je vous remercie tous les deux de votre comparution aujourd’hui et de votre service.

Dans le domaine de la santé mentale, on utilise une expression appelée « traumatisme vicariant ». Je ne sais pas si vous en avez entendu parler, mais c’est ce que je décèle en vous écoutant tous les deux. Le traumatisme vicariant est défini comme le résidu émotionnel d’une exposition aux histoires et expériences traumatisantes d’autrui dans le cadre de son travail.

Ma question s’adresse à vous deux. Commençons peut-être par M. Fleming. Depuis votre fonction de juré, avez-vous constaté des améliorations en matière de soutien à la santé mentale des jurés avant et après le procès?

M. Fleming : Je vous remercie de votre question. Il existe un petit programme qui permet aux jurés de suivre quatre séances. Il est accessible à tous les jurés, et c’est très utile. Le devoir de juré touche la personne au plus profond de son âme, en révélant ses faiblesses et en s’y accrochant. Il est très difficile de se défaire de ces sentiments. On ne sait jamais quand ils referont surface. Vous pouvez avoir l’impression d’en être à l’abri, mais ils vous prennent quand même au dépourvu dans un moment de faiblesse.

La sénatrice Osler : Je vous remercie. Monsieur Cozine, avez-vous quelque chose à ajouter?

M. Cozine : La préparation au procès a légèrement changé en Saskatchewan. Par exemple, un jour, j’ai eu la chance de recevoir par hasard une deuxième assignation de juré par la poste. Vous pouvez imaginer ce que j’ai éprouvé lorsque je l’ai vue. Je n’ai pas eu à participer à ce procès, en passant, mais j’ai été légèrement encouragé lorsque j’ai ouvert la lettre et que j’ai découvert qu’elle contenait un dépliant de la Saskatchewan sur le soutien aux jurés après le procès. Même cette petite chose est utile. La réception de cette lettre provoque immédiatement de l’anxiété. Elles sont envoyées à des centaines de personnes. Il est donc utile d’inclure ce dépliant, car les personnes savent que si elles font partie des 12 personnes chanceuses — ou des 14 personnes, dans mon cas —, un soutien est offert pour les aider après le procès.

C’était certainement une amélioration, du moins dans la province de la Saskatchewan.

Pour revenir sur le point soulevé par M. Fleming, même des événements comme celui d’aujourd’hui peuvent être liés à notre discussion sur le traumatisme vicariant. Je sais que c’est mon cas lorsque j’entends l’histoire de M. Fleming. Comme il l’a souligné, les jurés des différents procès peuvent partager leurs expériences. Même s’ils n’ont pas participé au même procès, ils ont des expériences communes, même dans des situations comme la réunion d’aujourd’hui qui, je l’espère, contribuera à son processus de guérison.

Encore une fois, je vous remercie de nous avoir accueillis et je remercie également M. Fleming d’être ici aujourd’hui.

La sénatrice Osler : Je vous remercie les deux témoins.

Le sénateur Cormier : C’est à mon tour de vous remercier et de vous exprimer ma profonde gratitude pour le courage dont vous avez fait preuve en acceptant de témoigner devant nous aujourd’hui. Je ne veux pas vous faire revivre ces expériences, mais je comprends que vous avez été laissés à vous-même, sans soutien.

Vous avez déjà répondu en partie à ma question, mais comment auriez-vous aimé être accompagnés, de façon concrète, avant et après votre expérience traumatisante? Pouvez-vous nous dire quels types d’actions, d’approches et de soutiens le système judiciaire aurait dû vous apporter pour vous aider à vous préparer à cette tâche et à surmonter l’impact du procès? Comment ce projet de loi aidera-t-il les jurés qui feront face aux mêmes défis que vous? La question s’adresse aux deux témoins. Monsieur Fleming, vous pouvez répondre en premier.

M. Fleming : Je vous remercie de votre question. Je crois que la préparation est un élément essentiel de la solution. Nous éprouvons tous des difficultés lorsque nous sommes jurés, mais si nous recevions certains renseignements avant le procès, cela nous permettrait de gérer peu à peu certaines de nos émotions. Nous ne serions pas aussi stressés ou aussi anxieux. Si les tribunaux nous accompagnaient davantage au fil des procès, cela nous aiderait énormément.

On pourrait peut-être aussi offrir une séance d’information plus complète après l’annonce des dates d’audience. Une Semaine d’appréciation de la fonction de juré nous aiderait certainement à nous sentir beaucoup mieux, car nous saurions que notre rôle est très important pour le gouvernement et que nos services sont véritablement nécessaires.

M. Cozine : Je vous remercie de votre question. Je reprendrai là où M. Fleming s’est arrêté. Une Semaine d’appréciation de la fonction de juré organisée par le gouvernement du Canada serait certainement une bonne chose pour de nombreux jurés.

Comme je l’ai dit, dans mon cas, la sélection des jurés s’est terminée à 11 h 30 et le procès devait commencer à 13 h 30. Nous avons essentiellement dû utiliser l’heure du dîner pour déterminer comment nous absenter de notre travail et comment nous organiser. Nous avons dû téléphoner à notre conjoint en quittant le palais de justice et nous rendre directement au travail pour voir comment nous pouvions nous organiser pour prendre un congé prolongé dans un délai très court.

Les choses auraient-elles pu se passer différemment? L’après-midi peut commencer à 13 h 30, mais de 13 h 30 à 16 h 30, le shérif ou l’huissier pourrait expliquer aux jurés certains des processus qui se dérouleront au cours du procès. Par exemple, il pourrait expliquer à quoi ressemblera la première semaine et donner des exemples, et faire la même chose pour la deuxième et la troisième semaine, et ainsi de suite. Il pourrait montrer où l’accusé se trouvera dans la salle d’audience et expliquer ce qui arrivera s’il y a du grabuge dans la salle, par exemple, parce que certains membres de la famille de la victime sont mécontents. Cela s’est produit lors de notre procès et toute la procédure s’est immédiatement arrêtée. La juge a frappé son maillet, l’huissier a ordonné à des gens de sortir de la salle, mais les jurés ne savaient pas ce qu’ils devaient faire. Lorsque nous sommes prévenus de certaines choses, nous sommes un peu moins anxieux, comme l’a dit M. Fleming, à l’égard de ce qui pourrait se passer pendant le procès.

Bien entendu, ils peuvent aussi nous dire que nous verrons sûrement des choses horribles au cours du procès, mais nous expliquer quelques-uns des processus qui seront suivis, afin de réduire notre anxiété à cet égard.

Le sénateur Cormier : J’ai une autre question pour les deux témoins. Je suis troublé par le fait qu’on ne mène aucune évaluation de la capacité psychologique des jurés. Il n’y a pas d’évaluation ou de services pour cela. Le système judiciaire ne devrait-il pas avoir pour priorité d’évaluer la capacité des jurés à vivre cette expérience et de les aider par la suite? Si oui, quels types de services devraient être offerts?

M. Cozine : J’ai souvent eu cette conversation avec les membres de ma famille et avec ma femme. Les gens sont choisis au hasard à l’aide de leur numéro de carte de santé pour le processus de sélection des jurés. Ils se présentent au processus et si les deux avocats sont d’accord, ils font partie du jury. C’est tout. Qu’en est-il de la personne qui a des problèmes liés à un traumatisme ou qui souffre d’autres maladies mentales qui ne sont pas apparentes? Je pense que c’est en partie la raison pour laquelle ils ont choisi 14 jurés pour notre jury, car ils avaient prévu une certaine attrition. Je pense qu’ils le savaient dès le départ. Ils auraient pu toutefois nous le dire à l’avance.

Je ne sais pas comment on pourrait faire cela. Je ne sais pas comment il serait possible de choisir les candidats, les évaluer, déterminer que six d’entre eux, par exemple, ne peuvent pas participer au jury et procéder à une nouvelle sélection des jurés. Ce serait merveilleux si c’était possible. Je ne sais pas comment cela pourrait retarder le système judiciaire, le procès, les dates d’audience et les choses de ce genre. Je n’en suis pas tout à fait sûr.

Le sénateur Cormier : Avez-vous quelque chose à ajouter, monsieur Fleming?

M. Fleming : Je pense qu’il serait utile d’avoir accès à un soutien continu en matière de santé mentale à la fin de chaque procès. Il serait essentiel d’informer les jurés qu’ils pourront avoir accès à des services de santé mentale par la suite et que s’ils éprouvent des problèmes qui nécessitent une aide professionnelle, les tribunaux et le gouvernement leur fourniront cette aide.

C’est une question très complexe. Cela dépasse peut-être mes compétences, mais les soutiens en matière de santé mentale et la sensibilisation de notre gouvernement sont des éléments essentiels dans ce cas-ci.

Le sénateur Cormier : Je vous remercie.

La sénatrice Burey : Je vous remercie beaucoup d’être ici aujourd’hui et de nous faire part de vos témoignages convaincants. Je suis pédiatre, et je comprends peut-être un peu mieux votre expérience. La semaine dernière, j’ai parlé d’un système de justice culturelle qui tient compte des traumatismes. Je pense que ce projet de loi nous met sur la voie d’une véritable reconnaissance mutuelle.

Au cours de ce processus, nous avons abordé certains des défis, des obstacles et des problèmes liés à des éléments tels que la diversité au sein des jurys. Dans certains de vos commentaires, vous avez mentionné les gens qui ont réussi à se soustraire à la sélection. En médecine, nous menons des études ethnographiques dans lesquelles nous suivons une personne et nous tentons de déterminer, à chaque étape du processus, comment nous pouvons améliorer ce processus. Pourriez-vous tous les deux nous parler des façons d’améliorer le processus, afin d’avoir un groupe de jurés plus inclusif, de sorte que les gens n’essaient pas de trouver des moyens de se soustraire à la sélection?

M. Fleming : Je vous remercie de votre question. Au cours du processus pendant lequel j’ai été sélectionné à titre de juré, j’ai passé deux mois à entendre probablement plus de 1 100 excuses pour expliquer pourquoi des gens ne pouvaient pas être jurés. Les raisons allaient d’un bout à l’autre du spectre. Si on préparait mieux les gens à ce processus, je pense qu’on pourrait avoir un groupe de jurés plus diversifié et que les gens ne voudraient pas se soustraire à la fonction de juré. Ils seraient peut-être aussi plus enthousiastes à l’idée de participer au système judiciaire.

M. Cozine : Je vous remercie de votre question. C’est une question importante lorsqu’on parle de jurys et de la représentation au sein des jurys.

Notre jury était composé de 14 personnes, dont une personne autochtone. Les deux accusés et les victimes étaient également autochtones. Dans notre système, je ne pense pas que c’était un jury représentatif ou un exemple de « jury de pairs ».

La représentation est importante. Dans nos écoles, nous voyons constamment un personnel enseignant essentiellement blanc avec de nombreux élèves autochtones et de nombreux enfants nouvellement arrivés d’autres pays. Cette situation commence à changer un peu, mais cet exemple se prête à une discussion sur le système judiciaire, dans lequel le caractère aléatoire de la sélection des jurés peut parfois se traduire par un jury moins représentatif qu’il devrait l’être.

Ce que j’essaie de faire comprendre aux gens à propos de la participation à un jury, c’est qu’il faut de bonnes personnes pour prendre de bonnes décisions. Cela revient à la question précédente sur la santé mentale, mais aussi aux bonnes personnes qui prennent de bonnes décisions et qui ne tentent pas par tous les moyens de se soustraire à cette tâche. Comme vient de le mentionner M. Fleming, une semaine comme celle qui est proposée est importante pour les efforts de sensibilisation et pour convaincre les gens de faire partie d’un jury. Nous avons besoin de bonnes personnes dans les jurys. Nous avons besoin de jurys représentatifs. Notre premier réflexe ne devrait pas être de tenter de nous soustraire à cette responsabilité.

On nous a dit que le caractère aléatoire de la procédure est attribuable au fait qu’elle est fondée sur le numéro de notre carte d’assurance-maladie. N’importe qui peut être choisi. Une semaine comme celle qui est proposée permettrait-elle aux avocats d’être plus conscients de la représentation et de ce genre de choses lors de la sélection des jurés? Une telle semaine pourrait même sensibiliser les avocats et les tribunaux à l’importance de constituer des jurys plus représentatifs.

La présidente : Je vous remercie.

La sénatrice McPhedran : Je vous remercie beaucoup. J’aimerais revenir à la notion de traumatisme vicariant qui a été soulevée par la sénatrice Osler, qui est médecin, car j’aimerais approfondir cette notion. Dans la mesure où vous vous sentez à l’aise de nous en parler — je suis consciente qu’il peut y avoir certaines limites dans ce cas-ci —, que pouvez-vous nous dire au sujet des familles des jurés? Bien entendu, vous avez vécu des expériences individuelles que vous avez généreusement partagées avec nous. Mais qu’en est-il des familles? Devrait-on en faire davantage pour anticiper l’impact sur les personnes qui entourent les jurés ou qui vivent avec eux?

M. Cozine : Je vous remercie. C’est une question très astucieuse, car ma femme, même si elle est extraordinaire et brillante, ne devrait pas être la personne qui sert de thérapeute à son mari tous les jours lorsqu’il rentre à la maison. Elle n’a pas la formation nécessaire pour faire cela. Elle est là pour me soutenir et c’est ce qu’elle a fait à chaque étape. Cependant, lorsque l’affaire a été terminée, la première chose qu’elle m’a demandée, c’est où je devais m’adresser pour obtenir du soutien. Elle voulait dire non seulement pour moi, car cela change une personne, mais aussi pour elle, afin qu’elle n’ait pas à s’occuper seule de mes problèmes à ce moment-là.

En ce qui concerne le traumatisme vicariant, je rentrais chez moi après avoir vu et entendu des choses assez horribles. Toutefois, puisque j’étais juré, je ne pouvais pas dire à ma femme ce que je venais de voir et d’entendre, mais j’avais besoin de son aide. Cette situation crée beaucoup de stress chez les membres de la famille. À l’époque, je n’avais pas d’enfants. Aujourd’hui, j’ai une fille de cinq ans. Si je faisais partie d’un jury aujourd’hui dans le cadre d’un procès pour meurtre d’une enfant de 4 ans et de tentative de meurtre de sa sœur de 2 ans, à titre de père, je pense que cela serait très difficile pour moi, mais je devrais ensuite rentrer chez moi et m’occuper de mes propres enfants. À l’école, j’ai commencé à me méfier de tout ce qui concernait les blessures subies par les enfants. Si un enfant arrivait à l’école un jour avec une brosse au genou, je voulais savoir ce qui s’était passé. Il avait une bosse au genou. Le personnel et les enfants de l’école me disent que j’ai changé après avoir été juré. Ils ne devraient pas avoir à vivre avec les conséquences de cette expérience. Il s’ensuit que le traumatisme vicariant et l’aide aux familles sont des choses importantes, mais je ne sais pas comment ce soutien aux jurés pourrait s’étendre aux familles. Cette question n’en est qu’à ses balbutiements. Les familles font de leur mieux pour soutenir les jurés.

Si un soutien adéquat était offert aux jurés, on peut espérer que la famille n’aurait plus à subir les conséquences de cette expérience. Mais ces trois semaines et les nombreux mois qui ont suivi cette expérience ont effectivement été très difficiles. Je vous remercie de votre question.

La sénatrice McPhedran : Je vous remercie.

M. Fleming : Je vous remercie de votre question.

Il est très difficile de vivre avec un juré. Ma femme pourrait vous le confirmer. Le procès auquel j’ai participé a duré presque 11 mois. Ma famille et mes amis ne savaient plus comment me parler. Tout ce qu’ils voyaient, c’est que je m’isolais de plus en plus. Je pense que si les jurés étaient mieux formés à leur tâche, ils pourraient transférer cette formation à leur famille et à leurs amis et possiblement être en mesure de discuter de ce sujet un jour.

Les jurés dissimulent leur expérience. Ils ne révèlent rien. Ils n’en parlent pas spontanément. Ils ne veulent pas admettre qu’ils ont peut-être un problème. Personne n’aime admettre qu’il pourrait avoir un problème de santé mentale. C’est à la famille et aux amis de s’en rendre compte. Peut-être qu’en sensibilisant les familles et les amis dans le cadre de la Semaine d’appréciation de la fonction de juré, nous pourrons jeter un nouvel éclairage sur cette situation. Les gens pourront être sensibilisés et ils pourront apprendre comment agir avec des jurés qui ont dû traiter des affaires très explicites et troublantes.

La sénatrice McPhedran : Je tiens à vous remercier. Je sais qu’on vous a déjà remerciés, mais j’aimerais également lier votre service au renforcement de notre démocratie et ajouter cela à mes remerciements.

La sénatrice Dasko : Je remercie nos témoins d’être venus nous parler aujourd’hui. J’ai écouté la discussion. Lorsque nous parlons de la Semaine d’appréciation de la fonction de juré, nous parlons d’une initiative publique. En même temps, nous entendons des expériences vécues par des jurés individuels, et ces expériences sont distinctes de l’initiative publique.

Je sais à quel point il peut être compliqué de sensibiliser le public à quelque chose. Cela dépend souvent de la quantité de ressources consacrées aux campagnes publiques. Je ne sais pas exactement quelles ressources seront nécessaires dans le cadre de cette initiative. Ce n’est qu’un commentaire contextuel de ma part.

Monsieur Fleming, vous avez parlé de la nécessité de sensibiliser la population, etc. Quels sont, selon vous, les messages essentiels à envoyer au public? Au-delà de l’appréciation des jurés, qui est un objectif merveilleux, devrions-nous communiquer au public à quel point cette tâche est difficile? Cela pourrait mener les gens à tenter de s’y soustraire. Devrions-nous plutôt présenter une image positive qui, en fait, pourrait être contre-productive si les gens se présentaient et découvraient ensuite à quel point c’est difficile?

Selon vous, quels messages devraient être adressés à la population? J’entends dire à quel point le rôle de juré est difficile. Devrions-nous dire cela aux Canadiens? C’est ce que j’aimerais savoir. Selon vous, quels messages essentiels devraient être communiqués dans le cadre de cette initiative? Avez-vous des idées?

M. Fleming : Il est essentiel d’envoyer un message positif aux citoyens, parce que personne n’a envie de faire quelque chose de dur. Nous pouvons aussi présenter ce rôle de façon positive. Nous pouvons mieux sensibiliser les citoyens et leur dire que de l’aide existe et que le gouvernement leur est reconnaissant de s’acquitter de leur devoir civique.

Une partie du problème réside dans le fait que la population canadienne n’a pas vraiment l’impression que notre gouvernement soutient les jurés. Nous pouvons changer cela. Nous pouvons présenter cette fonction sous un nouveau jour, car il y a une certaine négativité qui l’entoure. Nous pouvons parler de la rémunération, des services de protection et de sécurité, et peut-être même des services de garde qui sont offerts aux jurés. Toutes ces choses peuvent changer la donne. En présentant cette fonction de façon positive, nous serons peut-être en mesure d’éliminer une part de négativité.

M. Cozine : C’est une excellente question, et je peux y répondre de différentes façons. Il faut adopter une approche équilibrée et parler de ce qui est positif dans la fonction de juré, de tout ce qu’elle a de bon, de tout l’apprentissage et toute la croissance que l’on peut en retirer, tout en étant très honnête et en reconnaissant à quel point cette fonction peut être difficile. Quel équilibre faut-il assurer?

Une Semaine d’appréciation de la fonction de juré doit mettre davantage l’accent sur les éléments positifs. Les gens sont déjà bien au fait des diverses raisons pour lesquelles il peut être difficile de faire partie d’un jury. Il peut s’agir de la nature du procès lui-même, ou de toutes les incertitudes qui l’accompagnent. Ces faits circulent déjà, mais peut-être pas de la bonne façon. Nous pouvons changer le récit. Nous pouvons admettre que certains aspects de la fonction de juré sont difficiles, tout en insistant sur les nombreux aspects positifs de ce rôle et sur le service que les gens apportent. C’est un devoir civique que bon nombre de gens n’auront jamais la chance de remplir. Je dis qu’ils ont une chance et non un devoir.

Il existe bien d’autres façons de servir son pays. Si je pouvais revenir en arrière, à l’année de mes 18 ans, et que je pouvais devenir agent de la GRC, je le ferais peut-être. Il y a d’autres façons de servir son pays. Cependant, pour la grande majorité des citoyens, c’est en exerçant la fonction de juré qu’ils pourront servir leur pays. Une Semaine de l’appréciation de la fonction de juré peut enjoliver — je vais utiliser le mot « enjoliver » — ce devoir, et le rendre plus attrayant. Il s’agit d’une importante mesure de sensibilisation.

La présidente : Je vous remercie. La marraine du projet de loi, la sénatrice Moncion, va poser une dernière question. Elle aura le mot de la fin, alors je vais poser ma petite question maintenant.

Monsieur Cozine, je vous ai entendu dire que vous aviez servi comme juré pendant trois semaines. Monsieur Fleming, vous avez été juré pendant 10 mois. J’aimerais que vous nous expliquiez comment vos employeurs ont réagi à votre absence du travail. Leurs politiques de ressources humaines prévoyaient-elles le versement de vos salaires pendant que vous exerciez vos fonctions de juré?

M. Cozine : Mon employeur est une division scolaire qui œuvre au service des enfants et des gens, comme le veut l’enseignement. Mon employeur a été exceptionnellement bon avec moi. Comme je l’ai dit, après la sélection des jurés, j’ai pris ma voiture et je me suis tout de suite rendu au bureau du conseil scolaire. Je suis entré et j’ai dit : « J’ai été sélectionné. Qu’est-ce que je fais? » La responsable des ressources humaines m’a fait entrer dans son bureau et m’a expliqué ce qu’elle allait faire, et m’a dit comment les choses allaient se dérouler. Notre contrat prévoit un congé à des fins judiciaires, et ce congé est entièrement payé. Bon nombre d’employeurs n’offrent pas ce congé, mais j’ai eu la chance de pouvoir m’en prévaloir.

Je ne me souviens plus quel sénateur a posé une question à propos des mesures de soutien. Certains régimes d’assurance-maladie peuvent aider. Notre régime d’assurance-maladie rembourse quelques services de counselling. Par contre, comme il y a des thérapeutes qui facturent 150 $ par heure, certains régimes ne vous permettront pas d’aller très loin. J’ai quand même pu bénéficier d’une assurance.

Le procès a été très médiatisé à Regina, cette affaire a fait couler beaucoup d’encre. Lorsque je suis revenu au travail, mes collègues — des enseignants qui travaillent auprès d’enfants tous les jours — m’ont tout de suite demandé comment s’était passé le procès et ce que j’en pensais. Ce n’est pas ce dont les jurés ont besoin. Comme M. Fleming l’a dit, nous voulons reprendre une vie normale.

Il est parfois difficile de trouver la force nécessaire pour répondre à ces questions et de ne pas être de mauvaise humeur avec ses collègues. Je pense sincèrement que mes collègues s’intéressaient à mon expérience, qu’ils avaient une curiosité de bonne foi et qu’ils voulaient m’aider. Ils ne s’étaient pas dit : « Posons une foule de questions à M. Cozine pour voir comment il va réagir. » Cela n’a jamais été le cas. Mon employeur a été très bon avec moi et m’a beaucoup soutenu. J’ai eu beaucoup de chance. Bon nombre de gens n’ont pas cette chance. Après le procès, j’ai également eu accès à des services de counselling.

La présidente : Monsieur Fleming, lors d’une autre réunion, une personne qui a fait partie d’un jury nous a dit que ses collègues avaient en quelque sorte insinué qu’il s’était absenté du travail pour prendre des vacances. Étant donné que vous avez été absent pendant très longtemps, que prévoyaient les ressources humaines de votre employeur, et qu’est-ce que vos collègues ont pensé de votre absence?

M. Fleming : Je vous remercie de la question. Oui, j’ai été absent pendant 10 à 11 mois. C’était très long. Au départ, il s’agissait d’un procès qui allait durer de cinq à six mois. Puis, au fur et à mesure qu’il avançait, je devais constamment me rendre au bureau des ressources humaines pour leur remettre une nouvelle lettre qui annonçait la prolongation du procès. C’était très gênant. J’ai eu de la chance, car mon employeur a continué à me verser mon salaire complet — je travaillais pour une municipalité —, c’était formidable.

Mais pour être honnête, je pense qu’on avait hâte de savoir quand j’allais revenir. On ne m’a pas posé trop de questions. J’avais l’impression d’être un nouvel employé, car j’avais été absent pendant si longtemps. Mes collègues ne m’ont pas beaucoup soutenu. Comme je l’ai dit plus tôt, ils pensaient que j’avais pris des vacances. Je suis revenu au travail, et ma charge de travail était énorme, parce que j’étais parti en vacances pendant presque un an. Il a ensuite été très difficile de demander d’autres vacances.

Mon employeur offrait du soutien en santé mentale, et j’admets que je m’en suis prévalu. Mais il a fallu que j’attende 24 heures avant que quelqu’un communique avec moi, et la personne qui l’a fait ne savait pas comment gérer la situation. Le soutien en santé mentale fourni par mon employeur ne m’a donc pas beaucoup aidé. J’ai dû chercher de l’aide ailleurs.

La présidente : Merci, monsieur Fleming.

La sénatrice Moncion : Merci. J’invite mes collègues à lire le préambule du projet de loi S-252. Vous verrez que toutes les questions sur lesquelles le projet de loi repose ont été soulevées par nos deux témoins aujourd’hui.

Ma question porte sur le rapport de la Chambre des communes Mieux soutenir les jurés au Canada. Le rapport a été publié en 2018, et je pense que vous avez tous deux participé à son élaboration en tant que témoins. C’était la première fois que le Parlement abordait cette question.

À votre avis, pourquoi les parlementaires ne se sont-ils pas penchés sur la question du bien-être des jurés plus tôt? Quelles sont, selon vous, les conséquences de la prise de conscience tardive des parlementaires à propos de ces questions? Quelles sont les répercussions de ce retard sur le système judiciaire?

M. Cozine : Je vous remercie. Il s’agit de questions importantes.

Je repense à mon appel téléphonique avec l’agent qui m’a dit qu’il n’y avait jamais pensé — la personne qui était responsable des jurés ne s’était jamais dit qu’il fallait aider les jurés après le procès —, et je ne peux vraiment pas jeter le blâme sur les parlementaires, car, à moins d’avoir eux-mêmes exercé la fonction de juré, comme vous, ils ne pouvaient pas savoir.

D’après le peu de choses que je connais de la politique, je pense qu’il est tout à fait normal que de nouveaux sujets surgissent et que les gouvernements changent. On propose un projet de loi, puis le gouvernement change, ou le ministre change, et une question perd de son importance.

Je n’ai aucun moyen de savoir si cette question a déjà été soulevée. Cependant, je suis en train de témoigner au sujet de cette question au Parlement, et je lis une expression de réelle stupéfaction sur les visages des parlementaires. J’ai eu plus de temps pour parler, ce qui m’a permis de donner plus de détails sur ce qui s’est passé. Les parlementaires étaient tout à fait étonnés durant mon témoignage, alors j’en conclus que même s’il y a des politiciens instruits et intelligents au sein du gouvernement, il y a un manque de connaissances dans bien des domaines. La plupart des politiciens ne savent pas ce en quoi la fonction de juré consiste, et ne connaissent pas les répercussions qui en découlent.

Je tiens donc à vous remercier d’avoir présenté ce projet de loi, car, comme M. Fleming et moi-même l’avons dit, il ne faut pas seulement sensibiliser les gens qui sont susceptibles d’exercer la fonction de juré. Il importe aussi de sensibiliser les employeurs pour qu’ils sachent ce que les jurés feront, combien de temps ils pourraient être absents, et ce qu’ils peuvent faire pour les soutenir. Enfin, il faut sensibiliser les représentants du gouvernement et les parlementaires pour les aider à mieux comprendre ce en quoi consiste la fonction de juré et leur dire comment ils peuvent la soutenir de façon positive.

Comme je suis enseignant, je suis d’avis que l’éducation doit être au cœur de ce que vous faites. En sensibilisant les gens qui ne sont peut-être pas au courant de ces questions pour des raisons indépendantes de leur volonté, vous ferez œuvre utile.

La sénatrice Moncion : Il en est de même pour la fonction de sénateur : à moins d’avoir été à notre place, les gens ne savent pas ce que nous faisons. En fait, ils supposent que nous ne faisons rien.

M. Cozine : En venant ici aujourd’hui, je ne savais pas à quoi m’attendre. Mais je sais qu’une personne dans cette salle et une autre à l’écran savent ce que j’ai vécu. Je vous remercie.

La sénatrice Moncion : C’est bien. Monsieur Fleming, voulez-vous intervenir?

M. Fleming : Je vous remercie.

Je pense que si le gouvernement n’est pas au courant de la situation, il ne sera pas possible de changer quoi que ce soit. Nous avons fait campagne avec les « 12 lettres de colère ». Nous avons parlé aux sénateurs. Nous avons parlé à tant de gens. Nous avons donné beaucoup de notre temps — des heures et des années — pour améliorer la situation. Je pense que le gouvernement n’était tout simplement pas conscient de l’impact considérable et du lourd fardeau que ce devoir civique représente pour les citoyens.

Nous avons abordé ces questions, et le Parlement a compris. Les parlementaires ont réalisé que les citoyens fournissent un très bon et honnête service à notre collectivité, qu’ils servent très bien notre système judiciaire, mais que nous ne reconnaissons aucunement ce qu’ils vivent.

Le projet de loi permettra de sensibiliser la population à cet égard. Lorsque nous avons parlé aux représentants du gouvernement et mis au jour cette situation, nous leur avons ouvert les yeux. J’ai l’impression que le gouvernement ne comprenait pas à quel point cette fonction est une lourde responsabilité pour les citoyens canadiens.

La sénatrice Moncion : Le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes a publié un excellent rapport. Je vous ai entendu dans des groupes de discussion et j’ai lu vos commentaires dans le rapport. Je vous remercie.

La présidente : Je vous remercie, messieurs Fleming et Cozine, de nous avoir permis de nous mettre un peu à votre place. Une fois de plus, nous vous remercions de votre service, même s’il a eu de lourdes conséquences dans vos vies — nous le constatons. Nous espérons que ce témoignage et ces efforts traceront la voie vers un processus mieux adapté aux jurés.

Chers collègues, nous accueillons maintenant, en personne, Me Jolene Hansell, directrice, région d’Ottawa, de la Criminal Lawyers’ Association; et M. Patrick Baillie, psychologue. Merci de vous joindre à nous.

Nous allons commencer par la déclaration préliminaire de Me Hansell. Vous disposerez de cinq minutes. Nous entendrons ensuite M. Baillie, puis nous ferons un tour de table et les sénateurs vous poseront des questions. Maître Hansell, la parole est à vous.

Jolene Hansell, directrice, région d’Ottawa, Criminal Lawyers’ Association : Merci. Bonjour à toutes et à tous. C’est un honneur pour moi d’être ici pour représenter la Criminal Lawyers’ Association.

Les jurés jouent un rôle essentiel dans le système de justice pénale. Dans la plupart des cas, le défendeur a le choix d’avoir un procès devant un juge et un jury, mais pour les crimes les plus graves, comme les meurtres, les procès devant jury sont la règle.

Les jurés doivent établir les faits. Ils examinent des preuves matérielles, écoutent des témoignages et tirent des conclusions en s’appuyant sur ces preuves. Leur rôle est d’évaluer la crédibilité et la fiabilité des témoins qui comparaissent devant eux, ainsi que la vraisemblance des témoignages qu’ils entendent.

Après avoir examiné tous ces éléments de preuve, les jurés tirent des conclusions pour déterminer si le ministère public a prouvé la culpabilité hors de tout doute raisonnable et, en fonction des faits dans une cause, s’il existe des moyens de défense. L’identité de la personne a-t-elle été prouvée? L’accusé peut-il invoquer la légitime défense? Est-il criminellement responsable en raison d’un trouble mental? La contrainte peut-elle être invoquée? A-t-il agi sous la contrainte?

Dans le cadre de cette recherche des faits, les jurés doivent souvent tirer des conclusions sur le comportement humain fondées sur le bon sens. C’est pourquoi il est si important que nos jurys soient représentatifs de la population canadienne et des personnes qui se présentent devant les tribunaux. Les personnes noires, les Autochtones et les personnes de couleur sont surreprésentés dans le système de justice pénale, mais sont sous‑représentés au sein des jurys dans les causes qui impliquent ces défendeurs.

Il est extrêmement important que les jurés admissibles remplissent leur devoir civique. Ce projet de loi est une occasion de reconnaître le rôle essentiel que les jurés jouent dans le système judiciaire et de les remercier de leur participation. Il permet également de sensibiliser d’autres personnes à faire de même et, par conséquent, d’assurer une meilleure représentation de la population au sein des jurys. En soutenant les jurés qui participent à ce processus, nous pouvons contribuer à encourager d’autres personnes à continuer à jouer ce rôle essentiel dans notre démocratie.

Je vous remercie d’avoir écouté ma déclaration préliminaire cet après-midi.

La présidente : Je vous remercie, maître Hansell. Monsieur Baillie, la parole est à vous.

Patrick Baillie, psychologue, à titre personnel : Merci, et bonjour. Je remercie le comité de m’avoir invité à témoigner aujourd’hui.

Je voudrais commencer en établissant une petite analogie. En ma qualité de psychologue au niveau du doctorat, je peux vous dire que nous disposons d’études qui montrent que les gens ont de nombreuses craintes dans la vie. L’une des plus grandes craintes est de parler en public. D’ailleurs, les gens ont plus peur de parler en public que de mourir, d’où la blague que l’on raconte parfois et qui dit qu’à un enterrement, la plupart des gens préféreraient être dans le cercueil plutôt que de prononcer l’éloge funèbre. L’analogie avec un procès est que la fonction de juré provoque une anxiété semblable chez les gens, au point où certains préféreraient être à la place de l’accusé plutôt que de faire partie du jury.

Ce projet de loi propose simplement de reconnaître et de valoriser le rôle que les jurés jouent dans notre système judiciaire. Le gouvernement fédéral a un rôle relativement limité dans le processus de sélection des jurés, en dehors de ce qui est visé dans les dispositions applicables du Code criminel. Soit dit en passant, je tiens à exprimer ma reconnaissance pour les changements qui ont été apportés récemment et qui permettent aux jurés de discuter avec un professionnel de la santé mentale, même des délibérations. Cette possibilité n’existait pas avant. Je suis psychologue et un certain nombre de jurés sont venus me voir pour entamer une thérapie. Le fait qu’ils n’étaient pas autorisés à parler de cette partie particulièrement difficile du processus était toujours un obstacle.

À part ce qui est visé dans les dispositions applicables du Code criminel, le soutien et le bien-être des jurés relèvent des provinces. Le rapport déposé en 2018 par le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes — ce document a été mentionné à quelques reprises aujourd’hui — fait état de nombreuses failles du côté des provinces à cet égard. D’abord, les indemnisations sont insuffisantes. Dans certaines provinces, les jurés doivent servir pendant deux semaines pour y avoir droit. En Alberta, l’indemnisation quotidienne s’élève toujours à 50 $, montant auquel il faut soustraire les dépenses telles que le stationnement et les services de garde. Aucune indemnisation supplémentaire n’est versée pour les dépenses essentielles, ni même pour les repas. J’ai discuté récemment avec un ancien premier ministre et un ancien ministre de la justice. Ces derniers pensaient que les failles en question avaient été réglées, alors que ce n’est pas le cas. La reconnaissance des responsabilités rattachées à la fonction de juré serait un moyen efficace de rappeler aux gouvernements provinciaux et aux citoyens à l’échelle du pays les obligations qui leur échoient.

Comme je l’ai dit, certaines personnes sont venues me voir pour une consultation ou une thérapie après un procès. Le projet de loi ne permettra pas de changer quoi que ce soit à cet égard. Il permettra toutefois de sensibiliser le public. Dans la première partie de la réunion, les témoins — M. Fleming et M. Cozine — ont parlé de l’importance pour les membres du public de savoir dans quoi ils s’embarquent, et pour l’employeur, d’être au courant des responsabilités dont sera investi l’employé.

Les témoins ont souligné que les contrats des employés syndiqués renferment souvent une clause prévoyant le versement du salaire — parfois pendant une période fixe — lorsque les employés ne sont pas au travail. Par conséquent, les jurys finissent souvent par ne comporter que des pensionnés ou des employés syndiqués. Ils ne sont donc pas nécessairement représentatifs de la communauté. Voilà pourquoi il est important de rappeler aux employeurs leurs responsabilités concernant le bien-être de leurs employés, de faire connaître aux gouvernements les leurs et d’expliquer aux membres du public — aux anciens jurés, mais aussi aux autres — les responsabilités liées à la fonction de juré.

La plupart des Canadiens qui reçoivent une lettre leur demandant de se présenter au tribunal à une date déterminée auront comme première réaction de chercher un moyen de se défiler. Si la fonction de juré est mal comprise par le public, les procès ne seront pas représentatifs de la population et les jurys ne compteront aucun membre dans la même situation sociale que l’intimé. Une multitude de problèmes vont apparaître dans le système.

J’appuie le projet de loi, mais j’espère que le gouvernement compte aller plus loin. Le rapport de 2018 recommandait plusieurs initiatives que le gouvernement aurait pu mettre sur pied. La semaine dernière, Mme Daenzer et M. Farrant de la Commission canadienne des jurés — M. Fleming et moi collaborons aussi avec ce groupe — ont fait remarquer que les membres du comité des finances avaient recommandé à l’unanimité le versement de soutien financier pour le mandat actuel de la commission. La recommandation est restée lettre morte.

Le projet de loi à l’étude est symbolique. Il existe en fait une foule d’autres mesures qui permettraient de reconnaître de façon sincère la fonction de juré.

Merci de m’avoir donné l’occasion de témoigner aujourd’hui. Je vais répondre avec plaisir à vos questions.

La présidente : Monsieur Baillie, maître Hansell, merci beaucoup. Nous allons passer aux questions des sénateurs.

La sénatrice Cordy : Merci beaucoup à vous deux de nous apporter une nouvelle perspective. Nous avons entendu plusieurs anciens jurés, dont la marraine du projet de loi. Merci beaucoup de nous faire voir les choses sous un autre angle.

Maître Hansell, vous avez parlé de la nécessité de se pencher sur la sous-représentation des personnes noires et des Autochtones dans les jurys. Monsieur Baillie, vous avez également soulevé la question. Vous avez parlé aussi de certaines difficultés que nous ont signalées d’anciens jurés, notamment les collègues qui leur demandent si les vacances étaient agréables et les coûts des services de garde. Les dossiers impliquant des compétences provinciales et territoriales sont toujours complexes. Nous les examinons du point de vue du fédéral, mais les paramètres varient selon la province ou le territoire. Par exemple, les frais des services de garde peuvent facilement à eux seuls engloutir la totalité de l’indemnisation. Dans les grandes villes comme Halifax, Ottawa ou Toronto, les coûts de stationnement sont passablement élevés. Comme je l’ai dit tout à l’heure, les jurés ne reçoivent pas forcément de salaire.

Nous sommes tous d’accord pour dire que des changements doivent être apportés, mais peuvent-ils l’être par le fédéral? Prenons le dossier presque similaire des soins de santé. Le fédéral verse beaucoup d’argent et les provinces prennent les décisions. Il y a aussi les services de garde, où le fédéral s’en tiendra avec un peu de chance... Toutes les provinces et tous les territoires ont appuyé le projet de loi, mais les champs de compétences compliquent et embrouillent toujours les choses. Comment faire pour démêler tout cela?

Me Hansell : La présence de deux niveaux de compétences complique toujours un peu les choses, mais il y a déjà eu de la collaboration. Le programme de services de garde est un bel exemple de partenariat entre le fédéral et les provinces. La façon classique de procéder pour le fédéral consiste à prévoir une enveloppe assortie de conditions indiquant aux provinces à quelles fins utiliser les fonds. Voilà une formule éprouvée.

Cela dit, ces dossiers sont difficiles à gérer. Je pense que vous avez frappé dans le mile en évoquant les coûts associés aux mesures proposées. Le juge va demander aux personnes faisant partie d’un bassin de candidats jurés si elles ont des raisons de ne pas pouvoir remplir la fonction de juré. Il y a aussi les obligations légales. Les juges peuvent ordonner la mise à l’écart d’un candidat juré si ce dernier risque de subir des inconvénients excessifs en raison de son emploi ou de ses obligations familiales ou si la candidate est une mère seule. Les juges vont alors considérer le candidat suivant. Dans l’intérêt de la justice, la finalité est de mettre sur pied un jury de 12 personnes qui veulent être là et participer au procès.

D’autres difficultés peuvent faire dérailler le procès, y compris l’horaire. Vous avez tout à fait raison lorsque vous dites que cette question complexe doit être réglée. Par contre, ce type de problème s’est déjà vu dans d’autres contextes.

La sénatrice Cordy : Monsieur Baillie, souhaitez-vous ajouter quelque chose?

M. Baillie : Je souscris aux commentaires de Me Hansell. Le gouvernement fédéral pourrait prendre des mesures incitatives à l’égard des provinces et instaurer, comme le recommandait le rapport de 2018, des normes nationales telles que le versement d’un salaire minimum aux jurés. Il existe des moyens d’inciter les provinces à agir ou de les cuisiner. Encore une fois, la Commission canadienne des jurés a reçu l’appui du comité des finances. Le comité a recommandé l’octroi d’un financement de 20 millions de dollars sur 10 ans qui permettrait à la commission de mettre en place un programme de soutien par les pairs et de former les shérifs et les huissiers de justice pour que ceux-ci apprennent à détecter et à signaler les problèmes de santé mentale qui pourraient intervenir. Il y aurait moyen de mettre en place des lignes directrices — voire peut-être quelque chose de plus fort — ainsi que d’encourager les provinces à s’impliquer, même si ce n’est pas dans le cadre d’ententes comme celles des services de garde ou des soins de santé.

La sénatrice Cordy : Comment faire pour que les gens ne soient pas apeurés à l’idée de faire partie d’un jury? J’ai écouté et j’ai lu les articles publiés dans les médias au sujet d’un procès qui se déroule dans ma province. Ma réaction est de me trouver chanceuse de ne pas faire partie du jury. Au cours des dernières réunions du comité, j’ai appris énormément sur la sélection des jurys et des jurés. Les personnes retournent au travail le lendemain du procès sans soutien psychologique. Elles se font demander si elles ont passé de belles vacances. Il arrive en outre que l’indemnisation ne couvre pas les dépenses liées au stationnement, aux repas et aux autres frais.

Comment faire comprendre aux membres du public l’importance de la fonction de juré sans les effrayer et les dissuader à jamais de faire partie d’un jury?

Me Hansell : Il faut d’abord brosser un portrait exact du rôle de juré. Le concept est flou pour ceux qui n’ont jamais rempli cette fonction. La majorité des gens savent que les jurés assistent au procès et entendent la preuve, mais vu la règle du secret des délibérations du jury qui empêche les jurés de parler de ce qu’ils font, il est difficile de se faire une idée concrète.

Cela dit, dans les éléments que j’ai décrits, certains principes de base permettent de bien cerner la fonction de juré. D’entrée de jeu, le simple fait d’entendre la preuve peut sembler incroyablement difficile et intimidant. Les jurés prennent une décision qui déterminera le sort d’un individu. C’est une responsabilité immense, mais fondamentalement, la tâche des jurés est d’entendre la preuve au fur et à mesure qu’elle est dévoilée, de poser sur celle-ci un regard critique et enfin d’évaluer si la personne assise en face d’eux dit la vérité en fonction des questions posées et des réponses fournies. Nous faisons certaines de ces choses quotidiennement dans nos communications avec les autres.

Les enjeux sont en effet très grands pour le défendeur. Les jurés doivent donc comprendre le concept de jury. Leur rôle est de dégager les faits, et non pas de comprendre tous les détails et toutes les nuances du droit. Le juge leur donne des instructions et les avocats les aident à se retrouver dans le dédale d’informations qui leur sont fournies de même qu’à déterminer les éléments qui méritent plus d’attention. Ce soutien peut les aider à comprendre la tâche dont ils doivent s’acquitter.

La sénatrice Cordy : Monsieur Baillie, souhaitez-vous ajouter quelque chose?

M. Baillie : Il y a dans cette question plusieurs strates qui m’incitent à revenir à une autre question qui a été posée à M. Cozine et à M. Fleming sur les méthodes de sensibilisation du public. Après avoir écouté les commentaires de ces deux témoins, je ne pense pas qu’il faille imprimer une connotation positive ou négative. Il faut tout simplement énoncer les faits. Les candidats jurés doivent se présenter à la date fixée et se soumettre à un processus de sélection. Certains sont parfois mis à l’écart du bassin de candidats au cours du processus. Les jurés retenus devront entendre la preuve — comme l’a dit Me Hansell — et l’évaluer au mieux de leur jugement. Pour ce faire, ils recevront des instructions du juge et d’autres formes de soutien par la suite.

Je ne pense pas qu’il faille embellir la réalité pour la rendre plus attrayante ou au contraire mettre l’accent sur les aspects rébarbatifs. Certaines personnes souhaitent faire partie d’un jury, mais je dirais que la majorité veut à tout prix éviter cette responsabilité. La sensibilisation du public doit adopter un ton neutre tout en étant instructive. Elle doit fournir une description précise de la fonction de juré.

L’élément crucial est de soutenir les jurés sur les plans financier et professionnel pendant qu’ils assurent leur rôle. Nous avons parlé le plus clair du temps — je m’inclus dans le lot — du contexte des travailleurs syndiqués, mais qu’advient-il des travailleurs autonomes qui font partie d’un jury?

Une personne qui avait été membre du jury dans un procès sur une affaire particulièrement horrible est venue me voir. Cette travailleuse autonome devait travailler jusqu’à 22 heures après sa journée de 9 heures à 15 heures au tribunal pour faire rouler son entreprise pendant la durée du procès.

Si nous ne fournissons pas d’informations précises aux gens sur ce qui les attend et que nous ne leur offrons pas de soutien, ne soyons pas surpris que l’aura négative qui entoure la fonction de juré ait un effet dissuasif.

La présidente : Merci, monsieur Baillie.

Sénatrice Osler, si vous le permettez, je vais céder la parole à la sénatrice Moncion, car elle doit partir plus tôt.

La sénatrice Moncion : J’ai une question pour M. Baillie et pour Me Hansell.

Monsieur Baillie, pourriez-vous me dire quelles particularités du rôle de juré font en sorte que la prestation de soins de santé et de services se fait différemment par rapport aux autres groupes?

M. Baillie : Merci de la question, sénatrice, et de votre soutien constant concernant les nombreux enjeux associés à la fonction de juré que nous avons porté à votre attention au cours des dernières années. Votre expérience personnelle vous aide visiblement à comprendre les préoccupations que nous soulevons.

Je vais revenir à l’un des points abordés précédemment si vous le permettez. La plupart des provinces ont en place du soutien à la santé mentale pour les jurés. Malheureusement, comme M. Fleming l’a indiqué pendant la première partie de la réunion, ce soutien se limite à quatre séances avec un thérapeute. Or, les traitements du trouble de stress post-traumatique sont beaucoup plus longs.

Avant tout, il faut trouver un psychologue ou un professionnel en santé mentale agréé doté des compétences pour traiter les traumatismes. Nous ne parlons pas de consultations pour résoudre des difficultés conjugales ou pour obtenir des conseils pour un adolescent problématique. Nous parlons de soutien à une personne qui a vécu une expérience traumatisante.

Les jurés ont vécu une expérience traumatisante très particulière. Ils n’ont pas été témoins de l’accident de voiture. Ils n’ont pas été témoins du crime. Ils ont plutôt vécu un traumatisme indirect. Vous avez d’ailleurs discuté de cette notion pendant la première partie de la réunion. Dans le contexte du système de justice, comment traiter le trouble de stress post-traumatique qui découle d’une exposition indirecte? Quels éléments puis-je aborder avec les jurés et quelles sont mes responsabilités à leur endroit? Il faut noter la difficulté d’accès au soutien approprié.

Les personnes qui ont fait appel à mes services viennent d’une province qui offre ce soutien à la santé mentale, mais elles aboutissent dans mon bureau parce que le professionnel qu’elles ont consulté n’avait jamais traité de cas comme le leur auparavant. D’autres me disent qu’elles ont appelé une ligne 1-800 pour se faire dire — plusieurs jours plus tard — que les séances se feraient au téléphone.

Les thérapies pour traiter les traumatismes ne se font pas au téléphone. Pour que le traitement réussisse, il faut développer une relation saine, positive et professionnelle dans le cadre d’un suivi soutenu avec le patient.

Encore une fois, malheureusement, l’Alberta a eu plus que sa part de procès liés à des affaires sordides au cours des dernières années. Certains des jurés sont restés en contact entre eux ou avec moi. Un traitement de quatre séances donné par un généraliste en santé mentale ne peut pas soigner ce type de traumatisme. Nous devons nous assurer que les ressources appropriées sont offertes en permanence.

La sénatrice Moncion : Merci, monsieur Baillie. Je sais que vous avez grandement contribué à l’avancement de ce dossier, alors je tiens à vous remercier du travail que vous faites.

Maître Hansell, vous avez dit que les jurés sont chargés d’établir les faits et d’examiner des preuves graphiques et des témoignages. Comment entrevoyez-vous l’équilibre entre la garantie de la santé mentale et du bien-être des jurés et la santé de notre système judiciaire et de notre démocratie? Pensez-vous que la profession juridique en fait assez pour reconnaître les contributions des jurés et pour leur faire comprendre ce qui les attend lorsqu’ils sont convoqués?

Me Hansell : Je veux m’assurer de bien comprendre votre question. Parlez-vous des contributions de la profession juridique envers les jurés ou de la nature des preuves que les jurés entendent dans la salle d’audience, ou les deux?

La sénatrice Moncion : Les deux, parce que les jurés sont exposés à des preuves graphiques. Comment travaillez-vous dans ce contexte? Quelle est la perception du système à cet égard?

Me Hansell : Beaucoup ignorent l’existence de poids et contrepoids. Il est possible de déposer des requêtes préalables au procès afin de filtrer certaines des informations transmises au jury. Les informations qui pourraient être très préjudiciables ou graphiques qui ne sont pas nécessaires au jury peuvent faire l’objet d’une telle requête. Il s’agit d’un mécanisme de filtrage interne.

Il est difficile d’en parler de façon générale, puisque chaque affaire comporte des faits précis, mais ce qui importe au système judiciaire, c’est de veiller à ce que le jury dispose de toutes les informations dont il a besoin pour statuer adéquatement sur l’affaire, mais pas d’informations qui pourraient le distraire de l’examen des questions centrales. Parfois, la nature du matériel est trop éloignée de ce dont le jury a besoin pour...

La sénatrice Moncion : Comment cela s’articule-t-il avec la prise de conscience du système judiciaire? Je parle ici du traumatisme que les jurés peuvent subir en regardant ces preuves. Quel est le niveau de prise de conscience de...

Me Hansell : Je crois qu’il y a une bonne prise de conscience à ce sujet. Les avocats qui s’occupent de ces dossiers et de ces documents peuvent sortir de ces procès traumatisés. Il est tout à fait naturel que cela soit également le cas des jurés.

Il existe des poids et contrepoids dans le système judiciaire, mais ce serait bien de fournir un soutien supplémentaire aux jurés par la suite, afin qu’ils se sentent en sécurité et aptes à accomplir leur travail de juré au tribunal. Il est dans l’intérêt de la justice que les jurés sachent qu’ils bénéficieront du soutien nécessaire pour accomplir le travail qui leur est demandé dans le cadre de leur devoir civique.

La sénatrice Moncion : La population est plus sensibilisée à la question du bien-être des jurés après leur service de nos jours qu’il y a 10 ou 20 ans. Les tribunaux sont-ils plus conscients des traumatismes résultant de procès de nos jours?

Me Hansell : Je ne peux pas parler en leur nom. Cela dit, je pense que les gens sont généralement plus sensibilisés aux enjeux de santé mentale, et que cela se ressent dans la profession juridique également dans ce contexte.

La sénatrice Moncion : Merci beaucoup.

La sénatrice Osler : Je remercie les deux témoins d’être des nôtres aujourd’hui. J’ai une question pour chacun d’entre vous, mais je commencerai par M. Baillie. Existe-t-il une approche ou un ensemble de pratiques cohérentes tenant compte des traumatismes liés au rôle de juré au Canada? Sinon, cela pourrait-il permettre aux jurés de mieux gérer les traumatismes vicariants?

Ma deuxième question s’adresse à Me Hansell, qui pourra répondre une fois que M. Baillie aura terminé. Comment envisagez-vous la contribution d’associations comme la vôtre à la Semaine d’appréciation de la fonction de juré proposée? Je vous écoute, monsieur Baillie.

M. Baillie : Merci, sénatrice Osler. Non, il n’existe pas de normes nationales, ce qui me ramène à la question de la qualité des services en santé mentale fournis aux jurés après le procès. Je crois que le gouvernement fédéral pourrait saisir l’occasion et élaborer des lignes directrices à ce sujet, de concert avec la Commission canadienne des jurés. Le traumatisme vicariant est une expérience différente.

Cela dit, le traumatisme peut devenir un peu plus que vicariant lorsqu’il s’agit d’événements horribles. Je fais souvent référence à un procès qui a eu lieu en Alberta. Les victimes d’un homicide avaient été pendues à un crochet, qui avait ensuite été distribué au jury pendant le procès. Cela dépasse l’écoute d’une simple histoire. Les choses deviennent tangibles. Sans des lignes directrices adéquates sur la façon de traiter les personnes traumatisées qui ont vécu cette expérience bizarre de manipulation d’une pièce à conviction qui a servi à commettre un homicide — Me Hansell a d’ailleurs mentionné les requêtes préalables au procès pour éviter ce genre de choses —, nous risquons de ne pas être en mesure de les aider adéquatement dans leur cheminement en thérapie.

Je suis favorable au changement que l’on vient d’apporter pour permettre aux jurés de parler des délibérations, parce qu’il est spécifiquement interdit d’en parler en dehors de la salle d’audience pour de nombreux jurés qui assistent à un procès et examinent des preuves pendant des semaines et des semaines. Ils ne peuvent pas en parler à leurs amis et à leur famille et ils ne peuvent même pas en parler aux autres jurés. Il se peut donc qu’un juré ait écouté un témoin et estimé qu’il ne croyait pas un mot de son témoignage et qu’il se rende compte que d’autres jurés ont une lecture très différente de ce témoin lors des délibérations. À ce moment-là, les jurés commencent à débattre des éléments de preuve qui seront acceptés et de ceux qui ne le seront pas. J’ai rencontré des jurés de procès qui ont passé 8 à 10 jours à délibérer. Ils soulèvent des arguments, ils débattent. Ce processus est tout aussi émotionnellement marquant que le procès en soi. Voilà pourquoi le fait de permettre aux jurés de parler de ces choses devient un élément important du traitement.

Cela dit, certains professionnels de la santé mentale n’ont pas eu vent de ce changement permettant aux jurés de parler de cette partie du processus. Il est important de sensibiliser le public à ces enjeux par l’entremise d’initiatives telles que la Semaine d’appréciation de la fonction de juré, mais il faut également veiller à fournir un soutien adéquat avec des professionnels formés.

Me Hansell : Les associations telles que la Criminal Lawyers’ Association peuvent vraiment contribuer au niveau de l’éducation. Nous disposons d’une valeur ajoutée unique pour aider le grand public à comprendre ce qu’implique généralement la fonction de juré. Voilà probablement l’essentiel de notre contribution. Il y a également l’enjeu de la formation sur les autres ressources disponibles pour les jurés.

La sénatrice Osler : Merci.

[Français]

Le sénateur Cormier : Je vais poser mes questions en français aux deux témoins, merci de votre présence et de vos présentations.

En fait, on entend énormément parler des enjeux entourant la santé mentale des jurés qui participent à des cours. Voici mes questions. Maître Hansell, d’une part, quels sont les critères que les avocats utilisent au moment de la sélection des jurés? D’autre part, pensez-vous que les avocats pourraient être mieux outillés au moment de faire des choix de jurés, pour détecter les défis liés à la santé mentale de ces jurés? Ce sont mes questions pour vous.

Voici ma question pour M. Baillie. On semble entendre que le système de justice n’est pas bien outillé ou en tout cas n’outille pas bien les jurés et le système de justice en général, afin de tenir compte d’enjeux possibles de santé mentale pour les jurés. À votre point de vue, les ordres de psychologues dans les provinces pourraient-ils ou devraient-ils être mieux sollicités ou plus sollicités par notre système de justice pour mieux développer des programmes qui pourraient aider les jurés?

Il semble que vous êtes sollicités au moment où le juré a besoin de services, mais ne devrait-il pas y avoir un travail de collaboration et de proximité plus grande entre l’ordre des psychologues et le système de justice dans les provinces?

[Traduction]

Me Hansell : Pour ce qui est des critères de sélection des jurés par les avocats, la procédure à cet égard est définie dans le Code criminel. Depuis l’abolition des récusations péremptoires, les avocats ont très peu de choix en ce qui concerne les jurés d’un point de vue individuel. Une fois le groupe de jurés potentiels rassemblé, les 12 à 14 premières personnes interpellées feront partie du jury, à moins qu’il n’y ait une raison d’exclure quelqu’un. Il peut y avoir des questions préparées pour voir s’il y a une récusation motivée. On pourrait poser une question précise à un juré pour déterminer s’il a des préjugés envers les Noirs ou les Autochtones, par exemple. C’est le juge qui décide ensuite s’il y a préjugé et qui les excuse sur la base de cette récusation. Le juge dispose également d’un pouvoir de réserve qu’il peut exercer pour excuser des jurés.

Sans cela, tant que les jurés répondent aux critères statutaires, les avocats ne peuvent pas vraiment décider s’ils devraient faire partie du jury ou non. Le cadre est inscrit dans la Loi et le processus est somme toute plutôt rapide.

Le sénateur Cormier : Qu’en est-il de la perception? Pensez-vous que l’avocat est influencé par la perception qu’il a d’une personne lorsqu’il lui parle pour lui demander de devenir juré? Comprenez-vous ce que je veux dire?

Me Hansell : Il faudrait qu’il y ait un motif précis pour les excuser du jury. Cela dit, les questions que les avocats posent aux jurés sont généralement très limitées, car on ne veut pas porter atteinte à leur vie privée. On peut avoir une idée générale de leur emploi, savoir qu’ils travaillent dans le domaine de l’éducation, par exemple. Parfois, s’ils disent faire partie des forces de l’ordre, on peut leur demander dans quelle branche ils travaillent. On leur demande généralement s’ils connaissent des témoins qui pourraient être appelés à comparaître, car cela constituerait un conflit. Cela dit, les interrogations sur les membres du jury sont très limitées. Au-delà de cela, elles sont proscrites par la Loi.

Le sénateur Cormier : D’accord, merci.

Monsieur Baillie, pour ce qui est de...

[Français]

— l’Ordre des psychologues.

M. Baillie : Merci, sénateur Cormier, pour votre question.

[Traduction]

J’aimerais pouvoir vous répondre en français, mais ma réponse soulève des questions d’ordre juridique.

D’un point de vue statutaire, comme vous le savez sans doute, il existe des organismes de réglementation des professions dans chaque province et des organismes collégiaux. Les organismes de réglementation se sont montrés réticents à prescrire une formation en particulier; leurs plaidoyers auprès du gouvernement sont donc limités. Ils considèrent que leur rôle consiste généralement à faire appliquer les lois existantes. En ce qui concerne les organismes collégiaux, il serait possible de mieux faire comprendre les responsabilités des jurés, mais il existe une distinction entre l’éducation et la réglementation. La plupart des provinces ont une exigence de formation professionnelle continue. Toutefois, les membres ne se font pas dicter les domaines qu’ils doivent étudier. Ils pourraient avoir à suivre des cours d’éthique, mais ils auraient le choix dans un menu de cours. Il n’y aurait pas de cours prescrit en particulier.

Si je puis me permettre, j’aimerais utiliser un peu de mon temps pour revenir sur une question que vous avez posée pendant la première heure à propos de la capacité à faire partie d’un jury — et Me Hansell voudra peut-être y répondre également —, car je pense que les témoins qui nous ont précédés ont soulevé des défis à cet égard. Cela m’amène à une question importante. Vous avez entendu M. Cozine dire qu’il avait eu une boule dans l’estomac en recevant sa deuxième convocation de juré. Il s’est dit : « vais-je revivre cela? » Je pense qu’il serait relativement facile de mettre en place un système de vérification de la santé mentale des jurés potentiels. Il existe des questionnaires largement reconnus et amplement validés que l’on pourrait utiliser. On pose déjà des questions aux jurés, notamment pour savoir s’ils connaissent des personnes impliquées dans le procès. Les jurés pourraient remplir ce questionnaire en cinq minutes. On pourrait alors voir s’ils ont une vulnérabilité précise et s’il serait préférable pour leur santé qu’ils ne participent pas à ce processus.

Je ne veux pas me lancer dans une analyse approfondie de la capacité intellectuelle d’un individu à comprendre les instructions juridiques, mais il faudrait être sensible aux vulnérabilités et à la situation de ceux qui ont vécu des traumatismes. On devrait leur permettre de se retirer du processus.

Le sénateur Cormier : Merci à vous deux.

La sénatrice Burey : Je vous remercie de votre travail et vous souhaite la bienvenue à notre comité.

Ma question porte sur l’amélioration de la diversité des jurés. Cela pourrait permettre aux gens d’avoir un meilleur accès à la justice. Ma question s’adresse aux deux témoins. Pensez-vous que ce projet de loi pourrait améliorer la diversité du groupe de jurés potentiels, et si oui, comment? Nous avons parlé de l’éducation et des obstacles financiers. On n’a pas de données complètes en raison de la règle du secret. Pensez-vous que la collecte de données supplémentaires et l’analyse des données relatives aux expériences pourraient améliorer la diversité du groupe de jurés potentiels? Cela vous permettrait-il d’obtenir des renseignements susceptibles d’améliorer la situation?

Me Hansell : Les données sont utiles, à tout le moins en ce qui concerne la composition du jury pour commencer. Sans données, mes commentaires seraient anecdotiques. Je raconterais ce que j’ai vu en matière de composition de jurys lorsque je me suis rendue dans des salles d’audience. Des intervenants qui ont comparu en Cour suprême dans diverses affaires ont parlé des problèmes de représentation, qui sont bien documentés. Cela dit, à moins d’être en mesure de voir ce qui se passe, on ne sait pas vraiment comment des choses telles que les récusations motivées ou les pouvoirs de réserve peuvent affecter la sélection des jurés. Je crains même que l’outil de sélection qui vient d’être proposé ne limite encore davantage le groupe de candidats. Nous devons nous armer d’une grande prudence et veiller à ce que le processus de sélection et d’élimination des jurés ne limite pas le groupe de candidats de sorte à perpétuer une représentation disproportionnée.

En ce qui concerne les avantages potentiels de ce projet de loi, le fait que les jurés sachent qu’ils bénéficieront d’un soutien en aval pourrait éliminer un obstacle en amont de leur fonction de juré. Si nous cherchons à éliminer certains de ces obstacles à la participation à la fonction de juré, qu’ils soient liés à l’emploi ou aux services de garde, nous pourrons augmenter le groupe de candidats. Les données des sciences sociales semblent indiquer que ces obstacles affectent également de façon disproportionnée certains groupes dans la société, surtout les Noirs, les Autochtones et les personnes de couleur.

La sénatrice Burey : Merci.

M. Baillie : Je suis fervent de données et j’aime l’idée d’obtenir davantage de renseignements afin de prendre des décisions fondées sur des données probantes. La collecte de données est importante si on désire faire de bons choix et instaurer des politiques judicieuses pour l’avenir.

Pour être franc, ce projet de loi est un premier pas. Il est important puisqu’il montre l’engagement du gouvernement fédéral à reconnaître les responsabilités liées à la fonction de juré. Toutefois, il ne s’agit que d’une petite partie de la révision globale qui devrait avoir lieu selon moi pour veiller à ce que les jurys continuent d’être représentatifs de la population, que les jurés soient soutenus tout au long du processus et après coup et, comme nous l’avons mentionné à plusieurs reprises, que le public, les employeurs et les gouvernements reçoivent une éducation continue sur la question.

Je ne crois pas que ce projet de loi conduira à un changement substantiel dans la composition des jurys, mais il s’agit d’un premier pas important dans cette direction.

La sénatrice Dasko : Merci. En fait, j’ai moi aussi une question sur les données — surprise. J’en ai également une autre. Je pense que Me Hansell est probablement la personne la mieux placée pour y répondre, mais nous verrons bien.

Lorsque les maisons de sondage interrogent des Canadiens au hasard, elles sont en mesure de déterminer, en posant une question aux personnes de l’échantillon, si elles ont fait partie d’un jury, de sorte que l’on peut dire « oui » ou « non ». Lorsqu’il s’agit de poser des questions à ces gens, à quel type de questions peuvent-ils répondre étant donné qu’à tout le moins un certain degré de secret est nécessaire concernant le procès en tant que tel? Sont-ils en mesure de répondre à des questions sur leur expérience en général, sur les difficultés qu’ils ont rencontrées ou sur n’importe quel aspect de leur expérience?

Me Hansell : J’hésite à donner une réponse ferme sans consulter le Code criminel — c’est une réponse de juriste par excellence, n’est-ce pas? Or, la règle du secret qui s’applique au jury est une règle absolue quant à toute communication sur des détails qui sont liés au procès. Pour des commentaires généraux, je crains... Ce serait difficile. Lorsque l’on pose une question directement, il peut être difficile de la formuler de manière à ce qu’elle ne suscite pas une réponse qui violerait la règle du secret applicable au jury.

La sénatrice Dasko : Donc, êtes-vous en train de dire qu’à votre avis, il est impossible de poser des questions — sans qu’on entre dans les détails du procès — sur la difficulté ou non d’être juré ou sur l’expérience de juré, de quelque manière que ce soit, sans que des détails soient fournis?

Me Hansell : Puisque je ne suis pas sondeuse, je ne sais pas exactement comment ces questions pourraient être formulées. Je craindrais que l’on obtienne une réponse non sollicitée qui enfreindrait la règle du secret.

La sénatrice Dasko : Or, si l’on donne aux gens des codes précis et qu’on leur demande de répondre par « oui », « non », « fortement d’accord » ou « plutôt d’accord »...

Me Hansell : Il faudrait poser la question à quelqu’un qui connaît mieux ce genre de sondage pour savoir si l’on peut ou non concilier les deux.

La sénatrice Dasko : Vous ne savez donc pas si, en fait, ils pourraient enfreindre une règle s’ils répondaient à une telle question.

Me Hansell : C’est cela.

La sénatrice Dasko : D’accord. Je ne cesse de réfléchir à de bonnes façons de recueillir des données sur les jurés. C’est une façon de le faire, si c’est possible.

J’ai également une autre question et je pense que M. Baillie y a déjà répondu en partie. Il s’agit d’une question générale sur les types de programmes qui sont offerts avant et après un procès dans l’ensemble du pays. Je crois que M. Baillie a compris que la plupart des provinces ont déjà des programmes pour aider les jurés qui ont éprouvé des difficultés en raison du procès. Je crois que c’est ce que vous avez dit tout à l’heure, monsieur Baillie.

Ma prochaine question s’adresse à vous, maître Hansell. Qu’en est-il des programmes offerts avant le procès? Je parle des programmes qui visent à fournir aux gens de l’information ainsi que des renseignements relatifs à la santé mentale avant qu’ils ne deviennent jurés. Dans quelle mesure leur donne-t-on les deux types d’information, c’est-à-dire de l’information sur le rôle d’un juré et toutes les choses dont vous avez parlé? Dans quelle mesure de tels programmes existent-ils au pays? Les jurés en apprennent-ils sur leur rôle de cette manière avant de faire partie d’un jury, y compris sur les problèmes de santé mentale qui pourraient survenir?

Me Hansell : Je ne peux pas parler des programmes préalables qui existent dans l’ensemble du pays. Cependant, je peux parler de ma propre expérience. Lorsque des jurés sont convoqués, on les informe qu’ils doivent se présenter au tribunal à telle heure et effectuer telle démarche de telle manière. L’information sur le déroulement des étapes du processus leur est communiquée au moment opportun, mais je pense qu’il y a deux éléments. Le premier consiste à expliquer aux jurés qui ont reçu la convocation le fonctionnement de l’ensemble du processus, du début à la fin.

La sénatrice Dasko : Oui.

Me Hansell : Je ne sais pas s’il existe un programme global à cet égard. Il se peut que certaines provinces procèdent de façon ponctuelle en quelque sorte pour ce genre de choses. Or, je pense que l’information doit être fournie un peu plus tôt, et à la population en général pour apprendre aux gens le rôle du juré avant qu’ils ne reçoivent la convocation et qu’ils ne se demandent comment ils peuvent se sortir de cette situation. Ils connaîtraient mieux le système.

J’enseigne le droit public et constitutionnel. Un cours d’éducation civique est offert dans les écoles secondaires de l’Ontario. Il couvre certains de ces aspects, mais il est insuffisant, car il ne dure qu’un demi-semestre et il couvre un large éventail de sujets. Lorsque les jeunes atteignent l’âge de 18 ans et qu’ils pourraient recevoir une convocation pour être membres d’un jury, ils n’ont plus aucune idée de la manière dont ces choses fonctionnent.

La sénatrice Dasko : Bien sûr. Je pense qu’il est difficile d’atteindre ce niveau de connaissance, mais je parle du moment où les gens reçoivent la convocation. Sont-ils informés non seulement du déroulement d’un procès, mais aussi des problèmes de santé mentale qu’il peut en découler?

Me Hansell : Je ne sais pas si cette information leur est donnée dès le départ. Dans leur convocation, on indique simplement la date à laquelle ils doivent se présenter au tribunal.

La sénatrice Dasko : Et lorsqu’ils se présentent?

Me Hansell : Je ne le sais pas. Il est possible que ce soit le cas dans certaines provinces, dans certains palais de justice.

La sénatrice Dasko : En fait, cela peut être le cas ou non.

Me Hansell : Oui. Je ne peux pas répondre à cette question.

La sénatrice Dasko : Merci. C’est bien.

La présidente : C’est moi qui poserai la dernière question. Le sujet des leviers d’intervention fédéraux m’intéresse. J’ai posé des questions sur les politiques de ressources humaines qui couvrent la rémunération des jurés. C’est beaucoup plus réalisable si au moins leurs salaires de base sont couverts.

Quelqu’un a-t-il pensé à la possibilité de recourir au régime d’assurance-emploi pour payer les jurés lorsque l’employeur n’est pas en mesure de le faire? Cela semble être une solution raisonnable à explorer. J’aimerais connaître vos réponses.

M. Baillie : C’est une idée intéressante. Merci, sénatrice. J’ai quelques inquiétudes au sujet du processus de demande, dans la mesure où la personne devra désormais indiquer qu’elle fera partie d’un jury, alors que le nom des personnes qui font partie d’un jury reste une information strictement confidentielle. Je suis certain qu’il existe un moyen de résoudre le problème. Bien sûr, il y a de nombreux retards dans le cadre du processus d’assurance-emploi. Il faudra donc procéder à des modifications législatives, par exemple, pour faire en sorte qu’une personne soit admissible dès le premier jour.

Je voudrais également souligner un problème qui se pose. À 84 ans, ma mère a reçu une convocation pour être membre d’un jury à Toronto. Elle s’est rendue au tribunal pendant cinq jours. Elle faisait partie du bassin de candidats pour un certain nombre de procès possibles, mais elle n’a jamais été convoquée au cours de ces cinq jours. En principe, elle n’a jamais fait partie d’un jury, mais si elle avait été une employée de 55 ans, elle aurait manqué cinq jours de travail. Comment pouvons-nous consigner cela? Là encore, il s’agit d’un problème dans le processus que nous pourrions probablement régler. Dans l’ensemble, je pense que c’est une suggestion intéressante pour les personnes admissibles. C’est certainement mieux que ce qui est offert dans bon nombre de provinces à l’heure actuelle.

La présidente : La Commission canadienne des jurés devrait peut-être élaborer une proposition à ce sujet.

M. Baillie : Merci. C’est une bonne suggestion.

Me Hansell : Il pourrait y avoir des problèmes d’ordre pratique si l’on recourait au régime d’assurance-emploi.

La présidente : Bien sûr.

Me Hansell : Notamment, en ce qui concerne l’objectif ultime consistant à avoir un bassin de jurés plus diversifié et un jury plus diversifié, il y aura différentes répercussions sur l’assurance-emploi pour les personnes qui y ont peut-être accès régulièrement, comme les travailleurs saisonniers ou les personnes qui prennent un congé de paternité ou de maternité. Tout provient de la même réserve d’argent. Je craindrais que ce mécanisme ait des conséquences imprévues sur le bassin de jurés. L’assurance-emploi est un régime pour lequel on cotise et on reçoit quelque chose en retour. Il faut donc y cotiser. Il pourrait également y avoir des conséquences directes quant à la constitution du système ou aux personnes qui pourraient avoir accès à l’argent par rapport à d’autres personnes. Je pense que c’est une bonne idée en général, mais je serais prudente pour ce qui est des limites possibles dans la représentation au sein du bassin de jurés.

La présidente : Tout ce qui a trait à l’assurance-emploi est fort complexe. Je le comprends. Cependant, j’ai également beaucoup d’empathie pour les personnes qui sont privées de leur salaire parce qu’elles accomplissent un devoir de citoyen. Des témoins nous ont dit précédemment qu’il s’agissait de la seule forme de devoir civique que nous sommes tenus d’accomplir, car nous n’avons pas de programme de service national pour les jeunes ou quoi que ce soit d’autre. C’est la seule chose que l’on réclame que les Canadiens fassent. Nous devrions pouvoir le faire avec fierté et avec un certain degré de confiance et de sécurité. C’est peut-être l’objet d’un autre projet de loi auquel il faut réfléchir.

Chers collègues, en votre nom, je tiens à remercier Me Hansell et M. Baillie d’avoir contribué à notre étude du projet de loi. C’est ainsi que se termine cette partie de la réunion ainsi que notre étude sur le projet de loi.

Je voudrais vous informer rapidement de ce qui se passera au retour de notre semaine de pause parlementaire à la fin du mois de février. Nous procéderons à l’étude article par article du projet de loi le 28 février. Veuillez préparer vos observations. Vous recevrez une note de Mme Barrette à ce sujet. Je suis sûre que des observations seront présentées.

Vous recevrez également, chers collègues, une copie du projet de rapport concernant notre étude sur la main-d’œuvre temporaire et migrante du Canada demain, et nous examinerons le projet de rapport au cours de nos réunions des 28 et 29 février. Ces travaux ont été menés avec cœur. Il s’agit d’un long rapport et je suis ravie que vous ayez une semaine de pause pour l’étudier, car nous voulons le publier.

(La séance est levée.)

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