LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES SOCIALES, DES SCIENCES ET DE LA TECHNOLOGIE
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 2 mai 2024
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd’hui, à 11 h 30 (HE), avec vidéoconférence, afin d’étudier le projet de loi S-249, Loi concernant l’élaboration d’une stratégie nationale pour la prévention de la violence conjugale.
La sénatrice Ratna Omidvar (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Chers collègues, avant de commencer, j’aimerais rappeler à tous les sénateurs et aux autres participants à la réunion les importantes mesures de prévention suivantes.
Afin d’empêcher les rétroactions acoustiques perturbatrices et potentiellement dommageables qui pourraient causer des blessures pendant notre réunion, nous rappelons à tous les participants en personne de garder leurs oreillettes loin de leur microphone en tout temps. Comme l’indique le Communiqué du président adressé à tous les sénateurs le lundi 29 avril, les mesures suivantes ont été prises pour aider à prévenir les rétroactions acoustiques :
Toutes les oreillettes ont été remplacées par un nouveau modèle qui permet de réduire grandement la probabilité de rétroaction acoustique. Les nouvelles oreillettes sont noires, alors que les anciennes étaient grises. J’espère que tout le monde utilise l’oreillette noire.
Par défaut, toutes les oreillettes inutilisées seront débranchées au début de la réunion. Lorsque vous n’utilisez pas votre oreillette, veuillez la placer face vers le bas au milieu de l’autocollant rond que vous voyez devant vous sur la table, à l’endroit indiqué.
Veuillez consulter la carte à l’arrière pour obtenir des directives sur la façon d’empêcher les rétroactions acoustiques.
Veuillez vous asseoir de manière à augmenter la distance entre les microphones.
Les participants doivent brancher leurs oreillettes uniquement dans la console située directement devant eux.
Ces mesures sont en place pour que nous puissions mener nos travaux sans interruption et protéger la santé et la sécurité de tous les participants, y compris les interprètes. Merci beaucoup de votre coopération.
[Français]
Je m’appelle Ratna Omidvar et je suis une sénatrice de l’Ontario.
[Traduction]
Je suis la présidente du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.
Avant d’accueillir nos témoins aujourd’hui, j’aimerais faire une mise en garde pour la réunion. Aujourd’hui, notre comité poursuit son étude du projet de loi S-249, Loi concernant l’élaboration d’une stratégie nationale pour la prévention de la violence conjugale. En plus de la violence entre partenaires intimes, d’autres sujets sensibles, y compris la violence fondée sur le sexe, le suicide et la consommation et l’abus de substances, peuvent être abordés. Cela peut être un déclencheur pour les personnes présentes dans la salle ainsi que pour celles qui regardent et écoutent la transmission.
Un service de soutien en santé mentale est offert à tous les Canadiens par téléphone et par messagerie texte; il suffit de taper le 988. Nous rappelons également aux sénateurs et aux employés parlementaires que le programme d’aide aux employés et à leur famille du Sénat est à leur disposition et offre des services de counselling à court terme concernant les soucis personnels et professionnels ainsi que des services de consultation d’urgence.
Avant de commencer, j’aimerais faire un tour de table pour que les sénateurs puissent se présenter à nos témoins et au public, en commençant par la vice-présidente du comité, la sénatrice Cordy.
La sénatrice Cordy : Bonjour et bienvenue, je suis Jane Cordy, sénatrice de la Nouvelle-Écosse.
[Français]
Le sénateur Cormier : Bonjour. Je suis René Cormier, du Nouveau-Brunswick.
La sénatrice Oudar : Bonjour. Manuelle Oudar, du Québec.
[Traduction]
La sénatrice Burey : Bonjour et bienvenue, Sharon Burey, sénatrice de l’Ontario.
La sénatrice McPhedran : Bonjour et bienvenue, Marilou McPhedran, sénatrice indépendante du Manitoba.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Bonjour. Chantal Petitclerc, du Québec. Merci d’être là.
[Traduction]
La sénatrice Bernard : Je suis Wanda Thomas Bernard, sénatrice de la Nouvelle-Écosse, où se trouve le territoire des Mi’kmaqs.
[Français]
La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, du Québec.
[Traduction]
La sénatrice Seidman : Bonjour, Judith Seidman de Montréal, au Québec.
La sénatrice Dasko : Donna Dasko, sénatrice de l’Ontario.
La présidente : Nous accueillons aujourd’hui pour le premier groupe de témoins Justin Trottier, directeur exécutif national du Centre canadien pour les hommes et les familles; Craig Thompson, qui est assis à l’arrière, est directeur exécutif d’Ottawa du Centre canadien pour les hommes et les familles; Nicole Taylor, directrice de programme de WomenatthecentrE; Gifty Asare, directrice de la recherche et de l’impact communautaire, WomenatthecentrE; et Benjamin Roebuck, ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels.
Merci beaucoup de vous joindre à nous en personne aujourd’hui. Je vais d’abord inviter le Centre canadien pour les hommes et les familles à présenter sa déclaration liminaire, suivie de WomenatthecentrE puis de M. Roebuck. Chaque organisation aura cinq minutes pour présenter sa déclaration, parce que nous voulons avoir beaucoup de temps pour vous poser des questions et que vous puissiez nous éclairer par vos réponses.
Commençons par M. Trottier.
Justin Trottier, directeur exécutif national, Centre canadien pour les hommes et les familles : Bonjour à tous. Je suis Justin Trottier, du Centre canadien pour les hommes et les familles. Notre organisme de bienfaisance soutient les familles en crise. En 2021, nous avons ouvert le premier centre d’hébergement de l’Ontario pour les pères et les enfants fuyant la violence familiale, où nous avons accueilli plus de 200 familles.
Appuyés par un conseil consultatif composé principalement de femmes, nous travaillons avec la Ville de Toronto, le Service de police de Toronto et le Programme d’intervention rapide pour les victimes de l’Ontario. Notre centre d’hébergement est un service communautaire essentiel pour lequel nous recevons des demandes des services d’aide aux victimes, des services d’aide à l’enfance et des hôpitaux.
On doit élargir les programmes complets pour garantir aux femmes une vie sans violence. En même temps, les hommes souffrent également de grave maltraitance, et cela entraîne de sérieuses conséquences pour eux et leurs enfants. En faisant la moyenne des données recueillies par Statistique Canada entre 1999 et 2019, nous avons constaté que 5,92 % des femmes et 5,12 % des hommes avaient été victimes de violence entre partenaires intimes, ou VPI. Par ailleurs, il n’existe presque aucun service pour les hommes.
À mesure que les niveaux de gravité de la VPI augmentent, les hommes continuent de représenter un pourcentage significatif des victimes, souffrant de conséquences qui vont du trouble de stress post-traumatique, ou TSPT, à des troubles liés à la consommation de substances. Pour ce qui est des homicides, nous constatons une asymétrie, les femmes victimes représentant entre 75 et 80 %. C’est pourquoi les ressources doivent augmenter pour protéger toutes les femmes.
Cependant, nous devrions également nous pencher sur les autres 20 à 25 %. Les femmes tuent des hommes. Plus tôt cette année, Deeanna Charrion a assassiné son fiancé, Gerrard Martin, à Toronto. Les voisins savaient qu’elle était violente, or ils ont dit aux journalistes qu’ils ne craignaient pas pour lui parce qu’il était un homme.
Les femmes tuent des enfants. En Colombie-Britannique, Kaela Janine Mehl a assassiné son bambin pendant une rupture familiale. Il y a aussi les cas de Lisa Batstone, d’Astrid Margaret Literski et de Laurine Marie Aune. Ces tragédies sont aussi évitables, si nous adoptons une approche inclusive et fondée sur l’égalité des genres. Les familles composées d’un père monoparental sont la forme familiale à croissance la plus rapide, mais en 2024, les pères font toujours face à une décision impossible : laisser les enfants derrière ou rester dans une relation violente.
La lutte contre la violence familiale à partir d’un cadre inclusif et fondé sur les genres est dans l’intérêt supérieur des femmes et des filles. De nombreux cas de violence familiale concernent des couples mutuellement violents, et les effets intergénérationnels de la violence familiale débouchent souvent sur la victimisation des femmes et des hommes. Les programmes d’intervention qui soutiennent les victimes peu importe leur sexe sont le plus à même de rompre ces cycles.
En 2020, la fondation Prairieaction a étudié les expériences des victimes masculines. Elle a découvert que les hommes choisissent régulièrement de rester dans des situations peu sécuritaires pour protéger leurs enfants ou par crainte de perdre la garde de leurs enfants. Le rapport du gouvernement de 2018 intitulé Les établissements d’hébergement canadiens pour les victimes de violence a conclu à l’existence d’un déséquilibre important dans l’affectation des ressources, les victimes masculines ayant besoin d’accéder au type de logement offert aux femmes, mais n’y ayant pas accès. Le rapport marquant intitulé Survivants masculins de la violence conjugale au Canada, préparé pour l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels, a étudié la Charte canadienne des droits des victimes et conclu que les hommes victimes avaient besoin d’établissements réservés à la violence conjugale, ou VC.
Enfin, un changement s’effectue maintenant. Il existe trois refuges pour femmes en Alberta qui ont ouvert des espaces pour les pères et les enfants. Il pourrait y en avoir d’autres dont nous ne sommes pas au courant. Parallèlement, Shelter 2.0, rédigé par plusieurs agences de femmes de l’Alberta, a recommandé que les refuges élargissent leur clientèle pour inclure les hommes. Le Royaume-Uni a réservé 1 million de livres aux hommes victimes de VC, et en 2022, la Corée du Sud a annoncé ses plans d’ouvrir son premier refuge du pays pour les hommes victimes de violence.
Voici d’autres recommandations. Premièrement, nous avons besoin de refuges réservés aux pères et aux enfants victimes de VC. Notre établissement de Toronto repose sur un modèle qui a fait ses preuves, est entièrement ouvert aux hommes homosexuels, bisexuels et trans, accueille les enfants de tous genres, même les grand-mères et les grands-pères; offre une ligne de crise accessible 24 heures sur 24, sept jours sur sept pour les garçons et les hommes, qui équivaut à la ligne d’aide Assaulted Women’s Helpline; offre une éducation transversale, y compris en santé, en droit et en protection des enfants, et en particulier, la police. Des centaines d’hommes disent appeler la police pour obtenir de l’aide et ne pas être crus, être ridiculisés et même arrêtés. Il s’agit d’une forme sérieuse et, franchement, scandaleuse de revictimisation. Nous avons besoin de financement fondé sur des données probantes et l’élaboration de politiques. L’an dernier, le gouvernement fédéral a investi 150 millions de dollars dans un fonds de lutte contre la violence fondée sur le sexe, ou VFS, mais toutes les recherches sur les hommes victimes ont été réputées « non admissibles ». Nous avons besoin d’une recherche consacrée aux expériences de cette population.
Personne ne laisse entendre que la moitié des ressources devrait être mise à la disposition des hommes et des garçons, mais j’espère que nous pouvons convenir que n’importe quel montant supérieur à la somme actuelle d’à peu près zéro serait approprié. Nous proposons une approche progressiste pour réagir aux problèmes de la violence familiale, qui va au-delà de l’approche binaire actuelle fondée sur le sexe.
Le refus de prendre la victimisation masculine au sérieux donne lieu à quelques occasions ratées incroyables : la possibilité de rompre les cycles de violence au sein des couples mutuellement violents et entre les générations; la possibilité de rompre le cycle de l’itinérance en s’attaquant à l’une des principales causes systémiques de l’itinérance chez les hommes; et la possibilité d’éviter de séparer un enfant d’un parent aimant, si un père et son enfant doivent sortir d’un foyer violent.
S’il vous plaît, je vous demande de ne pas laisser les préjugés ou la politique se mettre en travers de ce qui est dans l’intérêt supérieur de toutes les parties. Je vous remercie de votre temps et de m’avoir fourni la possibilité de m’exprimer.
La présidente : Merci, monsieur Trottier.
Nicole Taylor, directrice de programme, WomenatthecentrE : Bonjour et merci de nous inviter à comparaître pour vous présenter notre mémoire. Nous voulons tout d’abord reconnaître que nous nous trouvons sur des terres autochtones, le territoire traditionnel de la Première Nation algonquine Anishinaabeg. Nous faisons notre travail en solidarité avec les peuples autochtones afin de mettre fin à la violence et au colonialisme continu sous toutes ses formes, dont le racisme, le sexisme et les interventions policières excessives qui touchent les femmes, les filles et les personnes bispirituelles autochtones de manière démesurée.
Nous nous nommons Gifty Asare et Nicole Taylor, et nous sommes les directrices de notre organisme, Women’s Centre for Social Justice, mieux connu sous le nom WomenatthecentrE, un organisme non gouvernemental pancanadien unique dirigé par des survivantes qui travaillent à l’élimination de toutes formes de violence faite aux femmes, aux personnes bispirituelles et aux personnes de diverses identités de genre en faisant des plaidoyers tant personnels que sociaux.
La raison d’être de notre mémoire est de présenter des preuves à l’appui de l’adoption du projet de loi S-249 ainsi que de faire nos recommandations afin d’assurer l’élaboration d’une stratégie nationale qui inclut les divers groupes de survivantes, dont les Noires, les Autochtones, les personnes de couleur, les survivantes vivant en situation de handicap, les survivantes des communautés rurales et les survivantes de la communauté 2ELGBTQQIA+. Nous invitons le comité à examiner les recommandations suivantes lors des lectures du projet de loi S-249.
Premièrement, nous proposons de redéfinir et de renommer le projet de loi S-249 et de le renommer « Loi concernant le Plan d’action national pour mettre fin à la violence fondée sur le sexe ». Le projet de loi S-249 devrait se fonder sur le Plan d’action national pour mettre fin à la violence fondée sur le sexe du gouvernement fédéral afin d’éviter de dupliquer le travail important que les survivantes, les organismes de VFS et les autres intervenants ont accompli afin d’étayer le plan du Canada. Entre 2019 et 2021, Femmes et Égalité des genres Canada a consulté WomenatthecentrE afin de mener des recherches qui ont révélé que la collaboration des hommes et des garçons est essentielle à l’éradication du patriarcat toxique. De plus, on a aussi souligné l’éducation et la formation des professionnels de la santé et des fournisseurs de services en matière de VFS, d’intersectionnalité et de soins tenant compte des traumatismes et centrés sur les survivantes.
Le Plan d’action national consiste en cinq piliers, et nous pouvons voir que le travail entrepris dans le cadre du « deuxième pilier : Prévention » traite de bon nombre des consultations et des plans relatifs à la stratégie décrits dans le projet de loi S-249. À ce titre, le projet de loi S-249 devrait servir de mécanisme servant à tenir les gouvernements provinciaux et territoriaux et le gouvernement fédéral responsables du plan d’action national tel qu’il a été approuvé dans la Déclaration commune pour un Canada sans violence fondée sur le sexe.
De plus, le projet de loi S-249 devrait utiliser le terme « violence fondée sur le sexe » ou « violence interpersonnelle » plutôt que « violence conjugale » à des fins d’inclusion. Ce changement de libellé nous permet d’englober diverses formes de violence qui peuvent ne pas s’aligner sur les façons restrictives dont la violence conjugale est actuellement conceptualisée dans les politiques et la pratique.
[Français]
Gifty Asare, directrice de la recherche et de l’impact communautaire, WomenatthecentrE : Deuxièmement, nous proposons qu’une perspective intersectionnelle et antiraciste soit utilisée pour tenir compte des expériences de violence uniques qui dépendent de la manière dont d’autres identités interagissent avec le genre, reflétant ainsi la diversité de la population canadienne, afin de nous assurer de ne pas être complices dans la reproduction involontaire de la suprématie blanche, du colonialisme et de l’impérialisme.
Nous reconnaissons que le fait de présenter les récits des survivantes devant le Parlement peut créer un sentiment d’urgence à répondre à la violence basée sur le genre (VBG). Bien que nous soyons conscientes du pouvoir de mettre un nom derrière un projet de loi, nous savons également qu’il court, comme le souligne l’universitaire nigériane Chimamanda Ngozi Adichie, le « danger d’une seule histoire », en excluant les nombreuses expériences différentes de violence basée sur le genre en raison des identités croisées. Alors que les systèmes étaient censés prévenir les meurtres de Daniella Mallia, Latonya Anderson, Chantel Moore et plusieurs autres femmes noires et autochtones, ils montrent bien qu’ils ne font pas que perpétrer la violence contre la communauté des personnes noires, autochtones et de couleur (PANDC), mais qu’ils rendent aussi la violence elle-même légitime, et donc invisible. Il est donc essentiel d’incorporer le cadre intersectionnel de la Dre Kimberlé Crenshaw dans tous les aspects du projet de loi proposé pour mettre fin à cette violence au Canada.
Troisièmement, malgré la reconnaissance de la violence basée sur le genre comme étant une épidémie, seulement une victime sur dix signale la violence. La recherche existante a montré les graves impacts de la dénonciation de la violence basée sur le genre aux forces de l’ordre et aux agences de protection de l’enfance, en particulier pour les survivantes PANDC. Pour ces raisons, la déclaration obligatoire de la VBG ne devrait pas être discutée comme faisant partie d’une stratégie de prévention. Des normes de responsabilités et de soins de prestataires des services, y compris les professionnels de la santé, devraient plutôt être mises de l’avant. Cela contribuera à garantir que les survivantes sont soutenues en toute sécurité, avec gentillesse et compassion.
Tout récemment, à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi S-249, l’honorable Fabian Manning a noté que ce projet de loi amènerait tous les acteurs à la table. De la façon dont le projet de loi S-249 est rédigé actuellement, les survivantes sont exclues de toutes les étapes. En tant qu’organisation dirigée par des survivantes, nous valorisons l’expérience vécue comme expertise et nous exhortons le comité à veiller à ce que nous, les survivantes, ne soyons pas seulement à la table, mais que nous menions activement ce travail.
Merci beaucoup.
[Traduction]
La présidente : Merci.
Benjamin Roebuck, ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels, Bureau de l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels : Honorables sénateurs et sénatrices, merci de m’avoir invité. Je m’appelle Ben. Mes pronoms sont il/lui. Je vous suis reconnaissant de la façon dont vous avez permis la tenue de cette conversation sur la violence entre partenaires intimes. J’ai été très heureux de voir votre compassion envers Mme McGrath et le sénateur Manning. À Mme McGrath et aux autres survivants, vous n’êtes pas seuls. Nous sommes à l’écoute.
Nous sommes sur le territoire non cédé de la nation algonquine anishinabe. Lors d’une réunion récente avec l’Association des femmes autochtones de l’Ontario, j’ai appris que le colonialisme ciblait le pouvoir des femmes autochtones. Je tiens à rendre hommage au leadership d’organismes dirigés par des femmes autochtones qui utilisent leur pouvoir pour transformer la communauté.
Chaque jour, des survivants communiquent avec notre bureau pour en savoir plus sur leurs droits, sur les services qui leur sont offerts, pour demander de l’aide lorsqu’un organisme fédéral ne les traite pas équitablement ou pour nous faire part de leurs préoccupations au sujet des lacunes du Code criminel qui les laissent sans protection. En 2023, on nous a contactés plus de 100 fois en raison de violence conjugale. Les survivantes étaient préoccupées par la façon dont elles étaient traitées en demandant de l’aide et par les décisions prises par la police, les procureurs de la Couronne et les juges qui leur causaient d’autres préjudices. Certaines survivantes qui ont demandé des mises à jour n’ont pas été tenues informées de l’état d’une enquête, ce qui est une violation de leurs droits à l’information et à la protection en vertu de la Charte canadienne des droits des victimes. La Commission des pertes massives et l’Enquête du comté de Renfrew ont conclu que la violence conjugale est une épidémie au Canada. Ce que Mme McGrath a décrit se produit tous les jours.
L’Enquête sur les décès de Desmond et les fournisseurs de services de partout au Canada réclament une meilleure coordination et un meilleur partage d’information, y compris des données sur les soins de santé. Lorsque je jouais mon ancien rôle de chercheur, nous avons constaté que les survivants de violence au Canada sont plus susceptibles d’avoir accès à des soins de santé qu’à des services aux victimes. Les survivantes et survivants se heurtent à des obstacles intersectionnels à la justice fondés sur la race, la géographie, le revenu, l’accès au logement, l’identité de genre, l’orientation sexuelle, l’âge et les capacités. Les femmes subissent les taux les plus élevés de blessures causées par la violence conjugale, et la violence misogyne mène au féminicide. Cela se produit beaucoup trop souvent. Les enfants subissent des dommages collatéraux, et lorsque les hommes sont maltraités, il peut être difficile de trouver de l’aide ou d’être cru. J’encourage le comité à tenir également compte des besoins des intervenants en matière de violence fondée sur le sexe.
Deux rapports de l’Association canadienne pour mettre fin à la violence et d’Hébergement femmes Canada mettent en lumière la crise du financement durable dans le secteur de la violence fondée sur le sexe. Il est clair que nous avons besoin d’une stratégie nationale. Vous avez entendu parler des investissements gouvernementaux et du Plan d’action national pour mettre fin à la violence fondée sur le sexe. Je crois que le projet de loi est complémentaire au plan d’action national, qui est limité dans le temps. Un amendement du projet de loi pourrait être fait pour exiger une stratégie nationale permanente.
Nous devons mobiliser le secteur des soins de santé. J’appuie l’offre active d’information sur l’aide juridique et les services aux victimes lorsque les fournisseurs de soins de santé soupçonnent que leur patient est victime de violence conjugale. Je serais prudent quant à l’obligation de signalement par contre, car cela pourrait dissuader les survivants d’accéder aux soins et les exposer à un risque accru.
Nous avons besoin d’interventions novatrices et perturbatrices. À Toronto, l’organisation WomenACT mène un projet appelé « Safe at Home », qui vise à faire progresser le droit d’une survivante de rester chez elle ou d’emménager dans un logement permanent lorsqu’elle quitte une relation violente. Des pratiques exemplaires ont été cernées telles que des ordonnances d’exclusion, qui obligent l’agresseur à quitter le domicile, ou des dispositions en matière de logement où l’on considère la violence conjugale comme une violation d’un contrat de bail, ce qui permet l’expulsion d’un agresseur sans pour autant expulser la victime.
Enfin, nous devons renforcer la reddition de comptes. Le Royaume-Uni dispose d’un commissaire aux victimes et d’un commissaire à la violence domestique qui est une voix indépendante pour les victimes de violence conjugale. En tant qu’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels, je reconnais l’importance de l’indépendance pour promouvoir les intérêts des survivants. Bon nombre des outils pour lutter contre la violence conjugale au Canada relèvent de la compétence des provinces et des territoires, mais le fédéral a un important rôle de leadership à jouer.
Plutôt que de créer une organisation supplémentaire, il serait plus rentable de renforcer l’ombudsman fédéral. En faire un commissaire fédéral aux droits des victimes et des survivants, avec un sous-commissaire axé sur la violence conjugale, serait une approche efficace, permettant d’éviter la duplication d’effort, d’améliorer la saisie des données, de renforcer le plaidoyer en faveur des droits des victimes et de réduire les coûts administratifs. Par ailleurs, notre bureau a déjà la compétence de fournir des conseils aux ministres et d’examiner les plaintes des victimes d’actes criminels. En février 2024, nous avons lancé une enquête systémique nationale sur les expériences vécues par les survivantes d’agression sexuelle dans le système de justice pénale. Nous pourrions mener, au cours de la prochaine année, un examen indépendant similaire sur la violence conjugale. Encore une fois, je tiens à remercier le sénateur Manning et Mme McGrath.
La présidente : Merci beaucoup, monsieur Roebuck. Nous allons passer aux questions. Je vais limiter les questions et les réponses à quatre minutes chacune.
La sénatrice Cordy : Merci beaucoup d’avoir apporté vos voix au Sénat du Canada, parce que ce sont des voix que nous n’avons pas nécessairement entendues ou écoutées depuis longtemps. Merci beaucoup. Trois d’entre vous ont mentionné le plan d’action national. Madame Asare, vous avez dit qu’il permettra de réunir des gens à la table; madame Taylor, vous en avez parlé, tout comme vous, monsieur Roebuck.
Pourriez-vous nous dire comment ce projet de loi pourrait fonctionner en collaboration avec le plan d’action national, qui est le plan fédéral, même si toutes les provinces l’ont approuvé? Pourriez-vous nous fournir un peu plus de détails sur la façon dont cela fonctionnerait, et nous dire si des changements devraient être apportés à ce texte de loi pour que cela fonctionne de manière plus efficace?
Mme Taylor : Dans notre mémoire, nous avons parlé de reformuler le projet de loi afin d’inclure non seulement la mise en œuvre du plan d’action national, mais aussi un texte de loi qui donnerait le droit de mettre en œuvre le plan dans tout le pays. En ce moment, il n’y a rien en place — il n’y a pas de projet de loi en place — qui stipule que le plan d’action national doit rester en place à l’avenir. Si un nouveau gouvernement est élu, rien ne garantit qu’il demeurera, et rien ne tient le gouvernement responsable de le mettre en œuvre.
Nous proposons de renommer le projet de loi pour qu’il ne s’agisse pas seulement de prévention de la violence conjugale, mais pour qu’il intègre la violence fondée sur le sexe et l’éradication d’une telle violence, en plus d’intégrer la prévention comme pilier distinct.
La sénatrice Cordy : Monsieur Roebuck a la parole, puis ce sera madame Asare.
M. Roebuck : Je suis d’accord avec vous. Je pense que le projet de loi a été introduit avant la mise en œuvre du plan d’action national. À cet égard, c’est un gain assez facile pour le gouvernement et les survivants. Le gouvernement a déjà engagé la stratégie, les ressources et l’argent, qui a déjà été envoyé aux provinces et aux territoires. L’objet du projet de loi était d’avoir une stratégie nationale, et je pense que renforcer l’approche existante, s’assurer qu’elle est durable et obliger le gouvernement à mettre en place une stratégie est une chose positive.
La sénatrice Cordy : Madame Asare, aimeriez-vous ajouter autre chose?
[Français]
Mme Asare : Je suis d’accord avec mes collègues. Dans l’annexe A de ce plan, il y avait une déclaration conjointe des ministres, qui indiquaient qu’ils allaient soutenir ce plan d’action. On recherche cette responsabilité, et on souhaite qu’on prenne des mesures pour voir ce qui a été fait conformément au plan et s’il y a des contraintes ou des lacunes. C’est ce qu’on cherche à faire au moyen du projet de loi S-242, soit avoir une loi qui va soutenir tout cela.
[Traduction]
La sénatrice Seidman : Merci beaucoup d’être avec nous ce matin. Je pense que je vais commencer par vous, monsieur Roebuck. Vous avez écrit au sujet de la victimologie, dans un manuel publié récemment en 2022, et expliqué — et je vous cite — que « ... La décision de signaler ou non un acte criminel dépend d’un certain nombre de facteurs... » Je devrais également dire que, très récemment, nous avons reçu à notre comité un mémoire de l’Association canadienne des chefs de police, qui a écrit ceci:
... le fait que les établissements de soins de santé et les professionnels de la santé soient tenus de signaler à la police les cas présumés de VPI peut inciter les victimes à ne pas demander d’assistance médicale.
Pourriez-vous s’il vous plaît m’aider à comprendre? C’est quelque chose que vous connaissez évidemment. Je peux commencer par vous, et puis peut-être passer au reste du groupe de témoins.
M. Roebuck : Merci. Au Canada, nous avons un système de soutien robuste, mais il n’est pas parfait. Quand quelqu’un choisit de faire un signalement, il pense à de nombreux facteurs, il y a souvent un plan de sécurité en place, il y a des mesures en place s’il y a des représailles, et tout est soutenu. Si quelqu’un fait un signalement sans que certains de ces éléments soient en place ou qu’il y a eu une obligation de faire un signalement, cela enlève une partie du pouvoir d’action des survivants de le faire selon leurs propres conditions, et il y a de grands facteurs compliqués, comme le risque de perdre l’accès aux enfants. Les conséquences sont grandes pour les survivants, et il est vraiment important de respecter leur pouvoir d’action.
Je pense qu’il est possible d’explorer ce à quoi pourrait ressembler un cadre de signalement de soutien, mais il ne devrait certainement pas y avoir d’obligation entière de signalement.
La sénatrice Seidman : Pas obligatoire.
M. Roebuck : Pas obligatoire.
La sénatrice Seidman : Madame Taylor, je vois que vous comprenez cela. Pouvez-vous s’il vous plaît continuer? Merci beaucoup, monsieur Roebuck.
Mme Taylor : Merci d’avoir posé la question. Oui, je suis du même avis. Dans notre mémoire, nous avons dit que seulement 1 femme sur 10 signalera la violence. C’est une statistique bien documentée. C’est même encore plus important pour les survivantes qui font partie des communautés noires, autochtones et racisées. Nos systèmes ne sont pas sûrs, et l’une des priorités absolues qui ont été recensées par les survivantes que nous avons consultées dans le cadre du plan d’action national était la sécurité. Si les systèmes ne sont actuellement pas sûrs, lors des signalements, les femmes, les personnes bispirituelles et les personnes aux diverses identités de genre mourront. Il s’agit en fait d’une menace à la vie d’une personne. C’est une menace de féminicide, et cela augmente le risque de violence. Nous ne sommes absolument pas favorables au signalement obligatoire, surtout si les systèmes actuellement en place sont jugés non sécuritaires. Je vous remercie.
La sénatrice Seidman : Merci. C’est utile. Monsieur Trottier?
M. Trottier : Brièvement, je vais me faire l’écho de ce que mes collègues ont dit. Dans le cas des hommes victimes de violence, c’est encore plus vrai que certains préjugés dans le système présentent des obstacles pour les hommes — en particulier les pères — qui veulent faire un signalement aux organismes d’application de la loi par crainte d’être considérés comme les auteurs de la violence et d’être retirés injustement d’une famille, et peut-être d’avoir un enfant laissé seul avec un parent violent. Nous savons que les hommes ne font pas tous les signalements même en ce qui concerne les femmes, et nous venons d’entendre que les femmes ne font pas suffisamment de signalements par rapport au nombre réel de victimes. Il y a donc beaucoup de sous-signalements, et je crains — je pense — que ce soit vrai pour tous les sexes.
Nous savons que les hommes sont plus susceptibles de demander de l’aide au professionnel de la santé — s’ils vont chercher de l’aide — plutôt qu’aux forces de l’ordre, et qu’ils sont même moins susceptibles d’en parler à des amis — un réseau de soutien informel pour les hommes — en raison des obstacles dans les établissements pour les hommes victimes. Donc, oui, je serais généralement favorable à ce que vous avez entendu mes collègues dire, mais je soulignerais les expériences uniques des hommes et ces obstacles que je viens de décrire.
La sénatrice Seidman : C’est très utile. Merci beaucoup.
[Français]
Le sénateur Cormier : Ma question s’adresse à M. Trottier. Le Conseil de recherche en sciences humaines affirme les mêmes choses que vous avez affirmées, c’est-à-dire qu’il a évoqué la faible allocation des ressources, la diversité limitée dans l’offre de services, la stigmatisation, les forces sociales ancrées dans le système d’homophobie, la transphobie et les facteurs communautaires. Ce sont autant d’obstacles qui empêchent les personnes 2ELGBTQI+ victimes de violence conjugale d’obtenir un soutien adéquat.
Quand on parle de cas de violence, on fait souvent référence aux couples hétérosexuels dans notre société. En ce qui concerne la violence au sein des couples de même sexe, je voudrais que vous nous disiez comment votre organisation appuie ce type de violence et ce type de couple. Quels sont les services que vous offrez? Avez-vous suffisamment de données qui vous permettent de dresser un portrait clair de la violence que subissent les couples de même sexe?
M. Trottier : Merci pour la question.
[Traduction]
Ma compréhension de votre langue est meilleure que mon vocabulaire, alors je vais devoir répondre dans ma langue, même si je pense que j’ai compris tout ce que vous avez dit. Je vous remercie beaucoup d’avoir posé la question.
Pour ce qui est du même sexe, en tant qu’organisation — et c’est vrai pour tous nos programmes —, nous participons à des choses comme la prévention du suicide, les programmes de soutien des pères lorsque les familles font face à une rupture ou à une séparation familiale, ainsi que certains programmes pour les jeunes hommes qui vivent ce que nous appelons des « échecs de la transition vers la vie adulte ». Ce n’est pas juste la violence conjugale. En particulier, le refuge et les autres services que nous fournissons dans ce domaine tiennent pleinement compte de quiconque s’identifie comme homme. Des hommes homosexuels, bisexuels et trans sont logés dans notre établissement avec leur famille.
Pour ce qui est de la recherche sur ce sujet, ce n’est pas nécessairement ma spécialité, mais d’après ce que j’ai vu, la violence conjugale ou la violence entre partenaires intimes est au moins aussi élevée, voire plus, selon beaucoup de recherches portant sur les relations homosexuelles dans l’ensemble du spectre des identités du genre. Cela doit faire l’objet de plus de recherche, tout comme les hommes victimes en général. Il s’agit d’un domaine très peu étudié et peu exploré dans le cadre d’études universitaires.
En ce qui concerne les contributions et les dons de charité pour ce que nous faisons, c’est assez limité. Dans mon exposé, j’ai dit que, souvent, le financement n’est pas disponible parce que les programmes destinés aux hommes et aux garçons ne sont pas admissibles. Nous ne sommes même pas invités à présenter une demande, encore moins à participer à un concours pour que notre candidature soit examinée par rapport à d’autres. Si nous voulons commencer quelque part et que nous voulons sérieusement adopter des approches qui reposent sur des données probantes pour lutter contre la violence fondée sur le genre, la violence sexiste, nous devrions commencer par être disposés à tenir compte des expériences des victimes masculines, à les étudier — peut-être au refuge que nous gérons parce que c’est l’un des rares qui existent — et voir ce qu’il en ressort. Les données de Statistique Canada et les recherches sociologiques donnent à penser qu’il pourrait valoir la peine de se pencher sur cette question touchant les hommes et les garçons. À mon avis, quel que soit le plan que nous mettons en place, il doit être inclusif et égalitaire entre les sexes et ne faire aucune hypothèse sur les résultats d’une recherche avant que celle-ci ait été réellement effectuée.
[Français]
Le sénateur Cormier : Merci. Je comprends donc qu’il faut plus de recherche et des données désagrégées pour comprendre la réalité de ces communautés. Le projet de loi n’inclut pas la question des groupes vulnérables. Jugez-vous qu’un amendement pourrait être apporté au projet de loi que nous étudions actuellement pour prendre en compte la question de la violence dans ces communautés vulnérables que sont les communautés 2ELGBTQ+? Est-ce qu’un amendement serait le bienvenu, à votre avis?
[Traduction]
M. Trottier : D’après ce que j’ai vu du projet de loi tel que proposé, je ne pense pas qu’il exclut cela. Il semble être rédigé en termes généraux. Ce qui me préoccupe, c’est que nous avons vu des lois qui semblent inclusives, mais selon la façon dont elles sont appliquées dans la pratique, elles désignent souvent des groupes particuliers pour la majorité, voire la totalité du financement et du soutien stratégique. Je ne sais pas si cela se fait à un niveau inférieur de la hiérarchie. Un libellé qui prévoit explicitement que tous ces groupes doivent être inclus dans la stratégie nationale pourrait être un moyen de bien préciser ce que veulent les décideurs politiques.
La présidente : Merci beaucoup.
[Français]
Le sénateur Cormier : Merci beaucoup, monsieur.
La sénatrice Mégie : Merci aux témoins d’être avec nous aujourd’hui.
J’ai vu que l’une de vos recommandations était de modifier le titre, Loi concernant l’élaboration d’une stratégie nationale pour la prévention de la violence conjugale. Comme il y a déjà des politiques gouvernementales dans toutes les provinces ou dans plusieurs d’entre elles, prennent-ils la dénomination familiale? Est-ce qu’ils ont d’autres dénominations, par exemple sur le sexe, sur la situation conjugale ou autre? Quel est l’impact de la dénomination dans la mise en place de ces lois? Est-ce que quand ils disent « familiale », cela change par rapport à celui qui dit « conjugale »?
Je ne sais pas qui veut répondre à la question. Elle s’adresse à tous.
Mme Asare : Je pense qu’on a fait aussi des recommandations par rapport au titre, c’est-à-dire qu’on a suggéré d’utiliser les mots « violence fondée sur le genre ou basée sur le genre » à la place des mots « violence conjugale » pour être plus inclusif et pour respecter le fait que ce n’est pas uniquement de la violence conjugale. Par exemple, il y a aussi la violence contre les êtres humains qui sont victimes de traite. Ce n’est pas nécessairement une violence conjugale dans ce cas, mais cela comprend quand même une violence contre les femmes qui s’identifient comme femmes.
Quand on parle de violence basée ou fondée sur le genre, on est plus inclusif. De plus, cela mène au fait que le langage est important et les gens peuvent se voir dans cette prévention, cette stratégie nationale et ce plan. Ce sont nos recommandations.
[Traduction]
M. Roebuck : Je pense que c’est une bonne question, car la façon dont quelque chose est défini a une incidence sur les mesures qui sont prises. Je pense que la violence fondée sur le genre constitue le cadre le plus large. L’expression inclut beaucoup de choses au-delà de la violence entre partenaires, mais elle attire l’attention sur la dynamique de pouvoir liée au genre, qui est un élément très important. À mon avis, si c’est bien fait, cela crée un espace pour inclure le débat sur des expériences fondées sur le genre que vivent des hommes quand ils tentent d’obtenir de l’aide en parlant à la police, quand on ne les croit pas et ce type de choses. Le genre est un cadre important, et je pense que c’est une définition utile.
M. Trottier : Je vais intervenir et dire que je suis en partie d’accord. Ce qui m’inquiète, c’est que parfois, lorsque nous utilisons des termes, nous pensons savoir ce que nous disons, mais d’autres personnes l’entendent différemment. La violence fondée sur le genre — je suis d’accord avec M. Roebuck — devrait concerner les expériences de tous les genres. L’expression est souvent utilisée pour désigner les expériences d’un seul genre. Tant que nous savons de quoi nous parlons... et s’il y a ambiguïté, nous devons peut-être réfléchir à un langage plus clair. J’aime « violence familiale ». Ce terme inclut la violence dont les enfants sont témoins ou victimes directement, ce qui constitue un élément important des expériences des pères que nous représentons. Je pense qu’il est important d’avoir un débat animé à ce sujet.
La présidente : Si je peux reprendre ces commentaires et approfondir un peu, la sénatrice Mégie fait valoir un bon argument. Le langage définit ce dont nous parlons. Il existe une différence entre la violence familiale, la violence domestique et la violence conjugale. Le projet de loi met l’accent sur la violence conjugale.
Je me demande si votre recommandation, madame Taylor, d’utiliser le terme plus large de « violence fondée sur le sexe » ou de « violence familiale », comme le suggère M. Trottier, détournerait ou réduirait l’accent mis sur l’intention précise du projet de loi, soit la violence conjugale. Comment pouvons-nous résoudre ce problème?
Mme Taylor : Je suis d’accord d’une certaine manière. Je pense que la violence conjugale est une conceptualisation très étroite. Peut-être devons-nous redéfinir ce que cela signifie. Des personnes survivantes peuvent être victimes de violence sexuelle, par exemple dans une relation antérieure avec un partenaire intime ou de la part de quelqu’un qu’elles connaissaient et dont la dynamique est très similaire à la violence conjugale, mais cela ne serait pas considéré comme de la violence conjugale parce qu’elles n’ont peut-être pas réellement entretenu de relation avec eux. Ou bien, si elles ont été victimes de harcèlement ou de violence sur le lieu de travail de la part d’un employé, d’un collègue ou d’un employeur, il existe une relation et une dynamique de pouvoir, mais cela ne serait pas considéré comme de la violence conjugale. Il existe des expériences très similaires au sein de ces différents types de violence dont la violence fondée sur le sexe pourrait tenir compte.
Je pense à ma propre expérience personnelle. Je pense aux expériences des personnes survivantes qui ont été amenées à l’organisation et dont le cas ne correspond pas nécessairement à la définition actuelle de la violence conjugale. Peut-être devrions-nous envisager d’élargir cela. Nous utilisons également le terme « violence interpersonnelle », qui peut être encore plus large que la violence fondée sur le sexe et intégrer également ce que M. Trottier a avancé.
Il existe des dynamiques de pouvoir précises dans ces types de relations qu’il est très important d’examiner pour comprendre ces expériences particulières.
La présidente : Merci beaucoup, madame Taylor.
La sénatrice McPhedran : Merci de vos exposés très réfléchis. Si je comprends bien, tous les témoins d’aujourd’hui appuient ce projet de loi. Ce qui semble plus évident peut-être, c’est que l’organisation WomenatthecentrE a signalé certains amendements que vous jugez très importants.
Si le projet de loi restait inchangé, que diriez-vous de son utilité, sous sa forme actuelle, pour le travail auquel chacun d’entre vous se consacre, de différentes manières?
Je suppose que ma question s’adresse à chaque témoin, s’il vous plaît.
Mme Taylor : Merci de la question.
Beaucoup de consultations sont actuellement en cours. Il y a une phase de consultation, et les personnes survivantes ne sont pas du tout incluses dans cette phase. Donc, dans l’état actuel des choses, je ferais très attention avant d’aller de l’avant avec le projet de loi, à moins que les personnes survivantes n’aient été consultées. Étant donné que les personnes survivantes subissent la violence, elles possèdent une expertise découlant de leurs propres expériences. Des thèmes généraux se dégagent des recherches menées auprès de la communauté. Par conséquent, je ferais très attention avant d’aller de l’avant avec le projet de loi sous sa forme actuelle.
Vous pouvez mener de nombreuses consultations. Il faudra des années pour mener des consultations inclusives et garantir que toutes les voix soient entendues à la table. C’est ce que nous avons fait dans le plan d’action national. J’hésiterais à le refaire. Je pense que nous avons consacré des années et énormément d’énergie aux personnes survivantes afin qu’elles partagent leurs histoires, leurs messages et leurs expériences, et continuer à le faire revient à reproduire le travail que nous avons déjà fait. Nous avons travaillé très fort en tant qu’organisation et partout au pays pour faire avancer les choses. C’est très important.
Pour le dire poliment, nous avons déjà fait énormément de travail. On en parle beaucoup, mais il n’y a pas vraiment de suite à ces plans. Par conséquent, j’ai l’impression que si nous allons de l’avant avec le projet de loi sous sa forme actuelle, nous allons simplement mener continuellement des consultations et parler davantage. Et ensuite? Des femmes meurent.
La présidente : Merci, madame Taylor. Nous voulons entendre tous les témoins. Monsieur Roebuck, je vous laisse la parole.
M. Roebuck : En pratique, soit on modifie le projet de loi, soit on change l’orientation du Plan d’action national pour mettre fin à la violence fondée sur le sexe en renommant certains aspects pour respecter les dispositions du projet de loi. Encore une fois, je pense que les ressources nécessaires sont là. On procède de manière très judicieuse, qui fonctionne très bien et avec de nombreuses consultations. C’est l’intention du projet de loi : cette consultation doit avoir lieu.
Je pense qu’il doit y avoir des amendements ou une reconnaissance du travail qui est déjà accompli ou en cours. Je reconnais que les personnes survivantes s’expriment clairement et se font entendre et que de nombreux messages n’ont pas changé. Elles attendent que le gouvernement agisse. C’est aussi ce que nous aimerions voir.
M. Trottier : Je proposerais seulement un petit nombre d’éléments à prendre en considération. Quand je lis le projet de loi, je ne remarque aucun accent mis sur l’éducation ou la sensibilisation du public. Je pense que le grand public doit être un partenaire dans cette démarche. Il y aurait peut-être moyen de diffuser des messages d’intérêt public — ou quelque chose du genre — qui sensibiliseraient les gens aux faits liés à la violence conjugale au sein de la famille, pour ainsi dire. De plus, si quelqu’un sait qu’un proche vit une telle situation, que fait-il? Comment intervient-il efficacement? Je pense qu’un programme public quelconque pourrait avoir beaucoup de sens ici. Il faudrait que je réfléchisse davantage à ce à quoi cela pourrait ressembler.
Selon moi, il faut mettre davantage l’accent sur la recherche. J’en ai parlé un peu plus tôt. Bien sûr, j’insisterai sur la recherche dans les domaines sous-explorés qui, à mon avis, sont largement liés aux hommes et aux garçons en tant que victimes et aux personnes qui se situent en dehors du binarisme de genre quant à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre. Ces éléments doivent également faire partie du programme de recherche.
Je pense que je vais en rester là avec ces deux idées.
La présidente : Merci.
Mme Asare : Tous les arguments avancés par M. Trottier sont de bons arguments. Essentiellement, dans l’état actuel des choses, l’accent est mis uniquement sur la prévention, et le plan d’action national envisage cette question de manière holistique. Nous insistons pour que la question soit examinée de manière holistique et qu’elle ne soit pas uniquement axée sur la prévention. De plus, comme ma collègue Mme Taylor vient de le mentionner, il ne faut pas trop reproduire le travail qui a déjà été fait.
La sénatrice Bernard : Merci à tous de vos témoignages et des échanges jusqu’à présent.
Ma première question s’adresse à Mme Asare. Vous avez fait référence aux personnes 2ELGBTQ dans votre déclaration liminaire. Je me demande si, selon vous, le comité pourrait améliorer la façon dont ce cadre pourrait protéger la communauté, en particulier les personnes qui vivent l’expérience de l’intersectionnalité.
Mme Asare : C’est une excellente question. Je vais maintenant passer à l’autre langue.
Je crois que notre organisation a toujours été fière de veiller à ce que les personnes survivantes soient au centre de nos travaux pour bénéficier de ce type de représentation. De la même manière, je pense que la présence de personnes 2ELGBTQQIA+ au sein de comités, et dans le cadre des plans, en plus d’entendre leurs points de vue et leur voix, est le meilleur moyen de recueillir réellement cette information. Je ne suis certainement pas moi-même une spécialiste, mais je pense que le meilleur moyen est de les réunir à la table et de les inclure à toutes les étapes et dans tous les aspects pour entendre exactement quels sont leurs défis particuliers.
L’autre partie est l’intersectionnalité. Nous savons que l’adoption d’une perspective unique ou l’accent mis uniquement sur une seule identité ne tient pas compte de bon nombre des difficultés socioéconomiques auxquelles font face les personnes qui sont victimes et/ou survivantes de violence fondée sur le genre ou de violence interpersonnelle. Ainsi, le fait de représenter également ces identités — et de noter ensuite les facteurs aggravants des répercussions socioéconomiques et des répercussions sur la santé, la sécurité et les relations dans le cas de la violence systémique, par exemple — aiderait, espérons-le, à garantir que le cadre inclut, englobe et aborde leurs problèmes.
La sénatrice Bernard : Merci. Vous avez répondu à ma deuxième question.
Chacun d’entre vous a parlé de l’intersectionnalité et du fait qu’elle n’est pas expressément mentionnée dans le projet de loi. Madame Asare, vous venez de souligner l’une des choses que je voulais soulever, à savoir les personnes qui se situent à l’intersection de plusieurs réalités.
Si l’un d’entre vous souhaite expliquer la façon dont on pourrait améliorer le projet de loi afin qu’il soit plus précis et davantage axé sur la question de l’intersectionnalité, j’aimerais entendre votre opinion.
M. Roebuck : À mon avis, il faudrait tenir compte de l’intersectionnalité à différents points du continuum de justice et avec différents systèmes. L’un des aspects intéressants du projet de loi est l’intersection de la justice et des soins de santé, où nous savons que les gens se heurtent à des obstacles intersectionnels dans ces deux systèmes. En voici un exemple : une personne survivante trans se retrouve dans le système de santé, où elle peut être mal comprise, et l’obligation de signaler peut déclencher une enquête visant à dénoncer une personne à un membre de sa famille. Il y a toutes sortes de répercussions sociales et de répercussions sur la sécurité. Mme Duhaney, de l’Université de Calgary, nous a dit que parfois les personnes survivantes noires hésitent à signaler la violence familiale par crainte d’interventions policières mortelles. Il y a beaucoup de choses à explorer.
M. Trottier : J’ai peu de choses à ajouter. En ce qui a trait à différentes communautés ethniques et à certains obstacles existants, il pourrait y avoir une stigmatisation particulière associée au signalement de tout ce qui concerne des problèmes de santé mentale ou de violence familiale. Dans certaines communautés, on considère que c’est du domaine privé; nous devrions donc être sensibles à ces défis uniques.
Comme d’autres l’ont dit, je suggérerais que l’on suive la façon dont une victime cherche de l’aide et navigue dans le système à toutes ces différentes intersections, en se demandant quels sont les obstacles. Pourquoi s’arrête-t-elle là alors qu’elle pourrait continuer et est-elle traitée de manière positive ou négative à chacune de ces interfaces?
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Madame Asare — et peut-être que d’autres témoins auront des réponses —, vous disiez dans votre présentation au départ que le projet de loi que nous étudions mentionne que tous les acteurs sont autour de la table, mais que les survivantes et les survivants n’y sont pas et que ce serait important qu’ils le soient. Vous en avez parlé quand vous avez répondu à la question de la sénatrice Bernard. Jusqu’à quel point est-ce important que les survivants soient au centre de toutes les étapes d’un processus comme la création d’un cadre? Est-ce si important que ça devrait l’être? En fait, cela n’est pas explicite dans le projet de loi. On parle notamment des autres personnes intéressées. Est-ce important que ce soit explicite dans le projet de loi? Qu’en pensez-vous?
Mme Asare : Je dirais que oui. Premièrement, j’aimerais remercier Mme McGrath, qui est elle-même survivante et qui a encouragé ce projet de loi. Quand on entend parler de ces expériences, c’est choquant et cela nous amène à agir et à réagir.
Je trouve que c’est d’une importance immense, car on voit que ces survivantes ont des voix et des expériences vécues qu’il nous est impossible d’imaginer.
C’est incontournable d’ajuster cela à toutes les étapes. Cela peut potentiellement rendre l’objectif plus difficile, mais en général, c’est vraiment incontournable. Cela devrait certainement être spécifié dans la loi que l’on considère ajouter leurs voix à toutes les étapes. Dans le plan d’action national, on a vu l’impact que cela a eu dans les mesures décrites pour que les ministres de toutes les provinces réagissent.
La sénatrice Petitclerc : Je ne sais pas si quelqu’un d’autre...
[Traduction]
M. Trottier : Si vous me le permettez, j’aimerais simplement reprendre les propos de Mme Asare. Je pense qu’il est essentiel que nous puissions voir et entendre les victimes elles-mêmes. Cela nous permet de nous libérer du stéréotype de ce qui pour nous constitue une victime. Je sais que ce serait peut-être troublant pour beaucoup d’entre vous ici autour de la table de rencontrer certains de nos clients — ces hommes grands et costauds que vous considérez comme étant très puissants. Pourquoi ne peuvent-ils pas faire face aux situations de violence familiale et se défendre ou défendre leurs enfants? Ce n’est pas aussi simple.
Beaucoup de ces hommes ne correspondent pas au stéréotype de ce que nous considérons comme une victime de violence fondée sur le genre ou de violence conjugale. Mais quand vous entendez leurs histoires, vous comprenez pourquoi ils se sont retrouvés dans la situation qui est la leur et ce qu’ils ont vécu lorsqu’ils ont essayé d’attirer l’attention de la police. Ce sont des hommes grands et forts physiquement, mais ils ont néanmoins été victimes d’une partenaire qui utilisait une arme, par exemple, pour compenser des différences de taille physique. Lorsque vous entendez les détails de ces histoires et que vous les entendez dans leurs propres mots, cela fait une énorme différence.
La sénatrice Petitclerc : Merci.
La sénatrice Pate : Merci à vous tous d’être ici. Je suis la critique bienveillante de ce projet de loi. Beaucoup d’entre nous participent à ce travail depuis plus de 50 ans. Je suis vieille. J’ai commencé à une époque où le viol conjugal n’était pas considéré comme un viol conjugal, et où la mise en accusation obligatoire faisait partie de ce que demandaient les femmes parce que la police ne venait pas lorsqu’on l’appelait.
Nous avons donc vu cette évolution. Mais au fond — et j’aimerais entendre vos commentaires à ce sujet — la raison pour laquelle nous revenons sans cesse sur le sujet est en partie parce qu’il s’agit vraiment de patriarcat, de privilèges et de pouvoir : qui a les privilèges et le pouvoir? Qui les utilise? Qui en abuse? Nous tournons autour du pot chaque fois que nous proposons une nouvelle stratégie. C’est notamment la raison pour laquelle je pense que l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées ne s’est pas contentée d’examiner ce genre de stratégies; elle a traité de santé économique, de logement, de sécurité sociale et de tout ce qui est nécessaire pour créer un point de départ véritablement égalitaire et important pour les gens, y compris les hommes et les personnes ayant diverses identités de genre, mais en particulier les femmes et les filles.
Je suis curieuse de savoir si vous voyez dans tout cela des éléments que nous pourrions renforcer pour faire avancer le projet de loi, car il me semble que, même si nous continuons de parler de violence conjugale et de sensibiliser à ce sujet, si les gens n’ont pas les moyens de sortir de ces situations, nous continuons de leur offrir le droit pénal au lieu de leur fournir ce dont ils ont besoin. Vous hochez la tête, monsieur Roebuck?
M. Roebuck : Je pense que vous avez raison. Nous pouvons revenir à la hiérarchie des besoins de Maslow. Les gens doivent voir leurs besoins fondamentaux satisfaits pour pouvoir montrer le meilleur d’eux-mêmes. Cela inclut la sécurité. Je suis entièrement d’accord avec les méfaits et la violence du patriarcat dans la vie des gens, l’oppression des femmes et des hommes non conformes au genre.
À mon avis, des ressources comme l’accès au logement... J’apprécie votre travail sur le revenu de base garanti car cela a une énorme répercussion sur l’égalité entre les genres. En outre, je pense qu’un élément manquant, qui n’est pas souvent pris en considération dans cette conversation — peut-être à cause du patriarcat — est le traumatisme et les expériences de victimisation des hommes et des garçons qui constituent un facteur de risque important pour la sécurité des femmes. Selon moi, c’est pourquoi une approche de la violence fondée sur le genre est utile, et elle devrait nous guider dans la réflexion sur les répercussions propres au genre, notamment le patriarcat et l’oppression. Il faut également se demander où chercher des pièces qui pourraient être pertinentes pour compléter le casse-tête.
Mme Taylor : Je peux donner des précisions. Je suis également d’accord. À mon avis, le logement, la pauvreté — les causes profondes de la violence fondée sur le genre — le patriarcat et les différents systèmes d’oppression sont extrêmement importants. Je pense que cela doit venir en grande partie de l’éducation. Il faut faire participer les hommes et les garçons à cette conversation. Il faut commencer à un jeune âge.
Personnellement, je n’ai entendu parler du patriarcat et des systèmes d’oppression qu’après le début de mes études postsecondaires. Cela doit commencer à un plus jeune âge. Le système d’éducation publique doit changer parce que nous devons avoir ces conversations plus tôt. Actuellement, nous les évitons parce que nous pensons ainsi réduire la violence sexiste dans la collectivité alors que, en fait, cet évitement y contribue. Nous devons intégrer l’éducation et la formation pour tous les âges dans les systèmes d’éducation publique et entre les systèmes. C’est la priorité numéro un.
Auparavant, j’ai parlé de la sécurité comme d’une priorité. Le logement est un problème majeur pour les personnes survivantes de violence fondée sur le genre, mais un logement accessible n’est pas synonyme d’un logement sûr. Oui, un certain travail a été accompli. L’accès au logement est très difficile, mais quand les gens en obtiennent un, il n’est pas sûr. Merci.
La sénatrice Dasko : Ma question fait suite à celle de la sénatrice McPhedran quant à votre point de vue sur le fait de laisser le projet de loi tel quel. Juste pour être sûre de bien comprendre, monsieur Trottier, vous pensez que le projet de loi ne devrait pas aller de l’avant s’il demeure tel quel. Est-ce exact? C’est ce que vous avez dit?
M. Trottier : J’avais quelques recommandations. Par exemple, je recommanderais qu’il mette un peu l’accent sur la sensibilisation du public et que des recherches soient réalisées concernant les domaines sous-explorés. Mais je ne sais pas précisément dans quelle mesure le fait de ne pas les inclure tuerait le projet de loi. Je pense simplement que cela le renforcerait considérablement.
La sénatrice Dasko : C’est vrai, mais que se passerait-il si aucun changement n’était apporté?
M. Trottier : Sans changement, le projet de loi serait plus faible.
La sénatrice Dasko : Madame Taylor et madame Asare, vous pensez que le projet de loi ne devrait pas aller de l’avant à moins qu’il n’y ait des changements?
Mme Taylor : Je serais prudente. Je pense qu’avoir quelque chose vaut mieux que rien, mais cela ne changera pas la donne. Cela n’empêchera pas complètement la violence de se produire, mais cela engendrera un certain changement. Nous devons cependant inclure les personnes survivantes dans ces consultations.
La sénatrice Dasko : Monsieur Roebuck, vous avez dit que vous considériez que le projet de loi était complémentaire aux activités actuelles. Selon mon interprétation, vous pensez donc qu’il devrait continuer tel quel?
M. Roebuck : Je pense qu’il devrait y avoir des changements très légers.
La sénatrice Dasko : Et s’il n’y avait aucun changement?
M. Roebuck : En l’absence de changement, je pense que le gouvernement devrait réorganiser certaines choses car il y a déjà des consultations en cours sur la stratégie pour contrer et prévenir la violence fondée sur le sexe, mais je pense que de très petits changements pourraient rendre le projet de loi plus utile et plus durable.
La sénatrice Dasko : Plus tôt dans la période de questions, nous avons demandé quelle pourrait être l’approche la plus durable. Le mot n’a pas été prononcé, mais je le dis dans ces termes. Quelle approche serait la plus permanente? On craint que, dans le cas d’un programme gouvernemental, il puisse être supprimé demain ou que cette approche puisse également être supprimée demain, à mesure que le monde change.
Selon vous, existe-t-il une approche plus durable pour résoudre ces problèmes? Existe-t-il une autre façon d’aborder la question? Cette législation va-t-elle contribuer à la pérennité de ces efforts? Il existe un plan d’action du gouvernement. Dans quelle mesure pensez-vous que cela soit durable? Je demande à tout le monde, s’il vous plaît.
Mme Asare : Je pense qu’actuellement, si rien ne change, nous risquons de reproduire une grande partie du travail qui a déjà été fait. Je pense que notre proposition visant à apporter ce changement durable et à susciter un changement permanent se concrétiserait par la mise en place de mesures de reddition de comptes. À l’heure actuelle, les ministres ont convenu d’utiliser ce plan d’action national. Mais l’utilisent-ils? De quelle façon l’utilisent-ils? Quelles sont les lacunes qui n’ont pas été cernées? Je pense que ce serait une excellente stratégie nationale — ou en plus de la stratégie nationale — d’examiner ce que nous faisons à l’égard du plan d’action national. Ce n’est pas seulement ce que nous disons; c’est ce que nous faisons. C’est mon point de vue sur la façon dont le projet de loi pourrait être durable.
M. Trottier : En 30 secondes, pour ce qui est d’évaluer l’efficacité de toute loi, je proposerais de mettre en place des mesures quantifiables. Obtenons-nous réellement le changement que nous souhaitons? Quels sont les changements que nous souhaitons? Existe-t-il des moyens mesurables de voir si cela fonctionne réellement? Il faut être ouvert à un changement d’orientation; il faut non pas continuer à suivre une seule voie parce que c’est toujours ainsi que les choses ont été faites, mais être prêts à changer et à essayer différentes approches si ces mesures d’évaluation montrent que nous n’allons pas là où nous voulons aller.
Est-ce que cela rend la législation plus durable? J’espère que cela supposerait que nous restons sur la bonne voie, revenons régulièrement à l’objectif de la législation et, si nécessaire, faisons participer différents ministères pour veiller à obtenir les résultats souhaités.
La présidente : Merci, chers collègues. Je suis désolée, mais cela nous amène à la fin de la période prévue pour ce groupe de témoins. Nous vous remercions sincèrement de votre présence, de votre sagesse et de vos réflexions qui nous ont aidés à naviguer dans ce projet de loi.
Chers collègues, pour notre prochain groupe de témoins, nous accueillons Sharon Mayne, directrice générale, Catholic Family Services Peel-Dufferin, Safe Centre of Peel; Shelina Jeshani, directrice des partenariats stratégiques et de la collaboration, Safe Centre of Peel; Louise Riendeau, coresponsable des dossiers politiques, Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale, qui se joint à nous par vidéoconférence; et Hayley Kennedy, directrice exécutive de PARTNERS Family Services, qui se joint également à nous par vidéoconférence.
Merci beaucoup d’être avec nous aujourd’hui. Nous commencerons par la déclaration liminaire du Safe Centre of Peel, suivie des observations de Mme Riendeau, puis de celles de Mme Kennedy. Vous avez cinq minutes chacune, s’il vous plaît.
Sharon Mayne, directrice générale, Catholic Family Services Peel-Dufferin, Safe Centre of Peel : Bonjour, mesdames et messieurs et distingués invités. Nous souhaitons exprimer notre gratitude pour cette invitation ainsi qu’aux personnes survivantes qui ont courageusement partagé leurs histoires dans l’espoir de créer un pays plus sûr pour toutes les filles et toutes les femmes. Je suis honorée de représenter nos partenaires communautaires qui composent le Safe Centre of Peel ainsi que les cinq autres centres établis en Ontario et tous ceux qui verront bientôt le jour dans l’ensemble du pays.
Nous savons que les données sur la prévalence de la violence conjugale dans notre pays sont accablantes et nous savons qu’il s’agit d’une expérience qui est sous-estimée. Le nombre de victimes est bien plus élevé que ce que nous pensons. L’éducation, l’intervention précoce et la prestation de services accessibles, adaptés et faciles à utiliser sont impératives si nous voulons réellement résoudre ce problème.
Le Safe Centre of Peel est un modèle de pratiques exemplaires innovateur et fondé sur des données probantes quant à la façon dont les membres d’une communauté diversifiée peuvent travailler ensemble pour intervenir et aider les victimes à trouver la sécurité. Le centre exerce ses activités depuis plus d’une décennie grâce à l’engagement de nos 20 partenaires communautaires, sous notre direction au sein des Catholic Family Services, qui fournissent ensemble un modèle de prestation de services en collaboration, intégrés, intersectoriels et adaptés sur le plan culturel et linguistique, le tout avec un financement durable limité et réservé.
Shelina Jeshani, directrice des Parteneriats stratégiques et de la Collaboration, Safe Centre of Peel : En 2008, nos partenaires communautaires ont amorcé la discussion selon laquelle nous devions répondre différemment à la VPI dans notre collectivité. Nous ne pouvions pas continuer à travailler en vase clos, à multiplier les services et à regarder les femmes vulnérables et leurs enfants tenter de naviguer dans les systèmes que nous avions créés.
Les survivantes nous ont dit qu’elles ne voulaient pas avoir à répéter leur histoire ad nauseam, qu’elles ne voulaient pas qu’on leur dise que leurs enfants ne pouvaient pas les accompagner dans ces différents services et qu’elles abandonnaient souvent en tentant d’obtenir l’aide dont elles avaient besoin... en essayant de se rendre d’un endroit à l’autre et de naviguer dans un système complexe qu’elles ne comprenaient pas. C’était particulièrement difficile pour les victimes qui ne parlaient pas la langue ou pour les nouveaux Canadiens qui avaient de jeunes enfants, peu ou pas de ressources financières et pratiquement aucun système de soutien.
Le modèle de notre Safe Centre est inspiré du modèle du centre de justice familiale de San Diego, qui est aujourd’hui reconnu comme une pratique exemplaire par le département de la Justice des États-Unis. Il y a aujourd’hui 300 centres dans 25 pays. Le Safe Centre of Peel, tout comme les modèles du centre de justice familiale reconnaît que la collaboration intersectorielle des services communautaires, comme les refuges, les services à la famille, la protection de l’enfance, la justice, les services juridiques, la santé, l’établissement, etc. sont essentiels pour répondre aux vastes besoins des victimes de VPI.
En 2022, nous avons eu le privilège de comparaître devant le Comité permanent de la condition féminine. Nous avons été cités dans la recommandation 17 de son rapport final comme un modèle de pratiques exemplaires nationales. Par conséquent, de nombreuses villes du pays ont communiqué avec nous pour en savoir davantage au sujet du modèle et de ce que nous faisons dans la collectivité.
Aider les professionnels dans tout le pays qui sont emballés par les possibilités qui s’offrent à leurs collectivités... c’est un travail difficile. Notre personnel veut vraiment changer les choses dans la vie des survivantes et de leurs enfants. Cette approche leur offre cette possibilité.
Mme Mayne : L’élaboration d’une stratégie nationale de prévention de la VPI permettra d’aborder les questions essentielles en allouant des ressources indispensables pour renforcer les services de soutien, favoriser la collaboration entre les secteurs, faire participer de manière gratifiante les survivantes, prioriser la prévention et l’intervention précoce et soutenir une collecte de données robustes qui permettra d’orienter les priorités et des stratégies nationales, provinciales et locales.
Nous souhaitons remercier le comité permanent de nous avoir donné la possibilité de partager notre travail. Au nom des responsables des autres modèles intégrés de lutte contre la violence entre partenaires intimes du pays et au nom des survivantes et de tout notre personnel, c’est un privilège d’être ici de parler de notre travail avec vous aujourd’hui.
La présidente : Merci beaucoup.
[Français]
Louise Riendeau, coresponsable des dossiers politiques, Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale : Bonjour. Je tiens d’abord à remercier le Sénat pour cette invitation. Elle me donne l’occasion d’exprimer la position du regroupement et de ses maisons membres sur le projet de loi S-249.
D’abord, le regroupement souhaite remercier l’honorable sénateur Manning pour le projet de loi et pour sa volonté de mettre de l’avant la problématique de la violence conjugale.
On sent, derrière ce projet de loi, toute l’intention du sénateur d’augmenter la coopération entre les différents professionnels gravitant autour des femmes victimes de violence conjugale et de mieux les protéger.
Toutefois, en prenant connaissance du projet de loi, plusieurs questionnements et réserves ont émergé quant aux mesures proposées, et ce, tant sur la création d’une stratégie nationale pour la prévention de la violence conjugale que sur l’obligation pour les professionnels de la santé de signaler les cas de violence conjugale.
Concernant la stratégie nationale pour la prévention de la violence conjugale, nous avons des difficultés à imaginer comment elle viendra s’articuler avec le Plan d’action national pour mettre fin à la violence fondée sur le sexe qui a été lancé en 2022.
La stratégie viendra-t-elle en soutien au plan national ou sera‑t-elle une stratégie parallèle? Est-ce qu’elle sera un outil supplémentaire pour le gouvernement fédéral pour piloter le plan national? Quelles ressources lui seront allouées?
Face à ces questionnements importants, il nous semble plus sage que le gouvernement fédéral concentre ses ressources humaines et financières sur le plan national.
Pour assurer son succès, le gouvernement aura déjà fort à faire : coordination et mobilisation des différents acteurs impliqués dans le plan, collecte de données, vérification que les fonds distribués aux provinces et territoires s’inscrivent bien dans les cinq piliers du plan national, examen de leurs rapports annuels, etc.
À cet égard, nous rappelons le travail important réalisé par Hébergement femmes Canada avec 40 autres organisations spécialisées dans les violences du genre. En 2021, elles ont déposé auprès du gouvernement fédéral un rapport visant à guider la mise en œuvre du Plan d’action national sur la violence faite aux femmes et la violence fondée sur le genre, rapport qui contient plus de 100 recommandations.
Notre autre réserve porte sur l’obligation pour les professionnels de la santé de signaler les cas de violence conjugale aux services de police. Si nous voyons, encore une fois, la bonne intention du législateur derrière cette proposition, nous ne pouvons la soutenir.
Nous craignons que la mise en place d’une obligation systématique de signalement vienne freiner, voire empêcher les femmes victimes de violence conjugale de demander des soins.
Certaines femmes ont besoin de plus de temps pour dénoncer; d’autres ne souhaiteront pas porter plainte contre leur conjoint ou ex-conjoint. En effet, certaines femmes à la croisée des oppressions ont pu avoir des expériences difficiles avec des policiers et elles sont méfiantes envers ces services. Selon nous, il est primordial de respecter la volonté des femmes. C’est un élément important dans leur trajectoire de reprise de pouvoir sur leur vie et il faut leur laisser le temps de cheminer sans les forcer.
Pour les situations posant des risques de blessures graves ou causant la mort, les professionnels au Québec ont déjà la possibilité de lever la confidentialité et de fournir des informations à la police ou à d’autres intervenants pour assurer la sécurité des personnes concernées. Nous imaginons que cette possibilité se retrouve aussi dans d’autres provinces ou territoires.
Par ailleurs, un signalement automatique réalisé sans évaluation des risques et sans la mise en place d’un filet de sécurité pourrait provoquer une escalade de violence et mettre encore plus en danger la femme et ses enfants. De plus, faire un signalement à la police n’est pas suffisant. Sans accompagnement et sans soutien adéquat, une femme livrée à elle-même peut, encore là, être en danger.
Pour ces différentes raisons, nous ne sommes pas favorables à une obligation de signalement.
Par contre, les professionnels de la santé sont des acteurs de première ligne dans la prise en charge des femmes et des enfants victimes de violence. Une intervention adaptée de leur part pourrait avoir des bénéfices certains. Toutefois, cela nécessite qu’ils soient formés sur la violence conjugale, le contrôle coercitif et la violence post-séparation et sur leurs impacts sur les femmes et les enfants, et ce, par des groupes spécialisés qui travaillent sur le terrain chaque jour et qui ont développé une longue expertise. Cela permettrait aussi de créer des liens directs entre ces professionnels et les ressources spécialisées de leur territoire; les professionnels seraient ainsi plus à l’aise d’en parler avec confiance avec les femmes qu’ils reçoivent.
Pour que ce travail se réalise, il faut que des sommes suffisantes soient allouées. Le gouvernement fédéral peut assurément jouer un rôle critique pour que ces sommes soient disponibles et pour encourager les provinces et territoires à rendre ces formations disponibles.
Vous l’aurez compris : nous estimons que le fait de donner priorité à la formation des professionnels pour mieux intervenir auprès des femmes et des enfants serait plus bénéfique qu’une obligation de signalement.
Merci.
[Traduction]
La présidente : Merci beaucoup. Enfin, c’est au tour de Hayley Kennedy.
Hayley Kennedy, directrice exécutive, PARTNERS Family Services : Je m’appelle Hayley Kennedy, et je me joins à vous depuis le territoire visé par le Traité no 4, les terres traditionnelles des Cris, des Saulteaux, des Dakotas, des Nakodas, des Lakotas ainsi que les terres ancestrales des Métis.
J’ai le privilège d’être la directrice exécutive de PARTNERS Family Services. Notre bureau principal est situé à Humboldt, en Saskatchewan, qui se trouve sur le territoire visé par le Traité no 6, les terres traditionnelles des Cris, des Saulteaux, des Stoneys, des Lakotas, des Dakotas et les terres ancestrales des Métis. Nous sommes fiers de travailler auprès de personnes, de familles et de collectivités qui appellent cette région rurale du centre de la Saskatchewan leur maison.
En tant qu’organisme engagé depuis longtemps pour mettre fin à la violence fondée sur le genre et qui possède une vaste expérience liée au soutien des personnes dans leur parcours de victimes à survivantes, nous sommes heureux d’offrir notre soutien à la stratégie nationale pour la prévention de la violence conjugale.
PARTNERS Family Services est né de la reconnaissance par les fournisseurs de services de santé mentale locaux du fait que la violence entre partenaires intimes était un problème croissant dans la collectivité et qu’il n’y avait pas suffisamment de soutien offert. En 1999, un projet de recherche a été réalisé avec le St. Peter’s College pour évaluer le contexte de la VPI et le soutien offert à ceux qui en avaient besoin. Cette étude a révélé qu’il n’existait pas de services de soutien dans la lutte contre la violence, et c’est à partir de ce moment que PARTNERS Family Services a été constitué sous le nom de PARTNERS for Rural Family Support en 2000.
En 2023, grâce à un investissement du gouvernement du Canada par le biais du fonds Renforçons nos communautés, nous avons lancé un autre projet visant à évaluer le contexte de la VPI et les services de soutien semblable à l’étude initiale menée en 1999.
Même si l’étude a été effectuée 24 ans plus tard, les conclusions étaient très similaires. La violence entre partenaires intimes reste un problème dans nos collectivités, et les ressources de soutien sont limitées. Les initiatives en matière de prévention sont souvent réduites ou n’existent pas, car les services peinent à répondre aux besoins des personnes touchées par la VPI. Souvent, les programmes de prévention sont financés en fonction de projets selon un modèle limité dans le temps, ce qui crée des programmes qui manquent d’uniformité, sont sous-financés et sont précaires.
Alors que le comité examine le projet de loi S-249, il est essentiel d’examiner le modèle dans lequel le gouvernement du Canada finance les initiatives de lutte contre la VPI et de passer d’un financement par projet à court terme à un modèle viable à long terme. L’incapacité de fournir des services de prévention efficaces, notamment l’éducation du public, perpétue le fardeau imposé aux services offerts aux victimes et aux survivantes.
Tout comme les initiatives de prévention, les modèles de financement pour le soutien aux victimes et aux survivantes sont souvent basés sur des projets et sont limités dans le temps, ce qui donne lieu à un soutien offert par la collectivité qui n’est pas uniforme ni viable. Cette approche disparate du financement des programmes laisse les organismes et les personnes qu’ils servent en proie à l’incertitude quant à l’accès aux ressources dont elles ont besoin pour lutter efficacement contre les répercussions de la violence.
Les personnes qui ont subi de la VPI ont besoin d’interventions différentielles qui leur permettent d’accéder aux services dont elles ont besoin et qui tiennent compte de leurs besoins uniques et de leur situation et elles doivent pouvoir le faire à court et à long terme.
Nous devons également nous assurer que les besoins des personnes soient pris en considération de façon prioritaire tout au long de leur parcours dans un système ou un modèle de soins, qu’il s’agisse du système de santé, du système judiciaire ou des organismes communautaires. Même si le signalement à la police peut être un élément important pour le rétablissement d’une personne, ça peut ne pas être le cas pour une autre. Dans certains cas, l’obligation systématique de signalement est essentielle pour garantir la sécurité comme dans les cas de violence faite aux enfants. Cependant, dans d’autres cas, le signalement obligatoire à la police peut causer beaucoup plus de préjudices à une personne. Toute intégration du signalement obligatoire de la VPI dans la stratégie nationale pour la prévention de la violence conjugale doit avant tout tenir compte des besoins et des droits de la personne. Cela doit faire l’objet d’une attention particulière lorsqu’il s’agit de signalement obligatoire par un professionnel de la santé.
La relation entre une personne et son prestataire de soins est extrêmement personnelle, et la confiance est essentielle pour la qualité des soins et l’obtention de résultats positifs en matière de santé. La loi doit respecter cette dynamique et veiller à ce que tout changement qui est apporté soit fait de façon à ce qu’il ne cause pas d’autres préjudices systémiques.
Je remercie le comité de m’avoir donné la possibilité de m’adresser à vous aujourd’hui et je vous remercie de votre engagement à entendre les divers intervenants dans le cadre de l’élaboration de la stratégie nationale et de sa mise en œuvre dans tout le pays.
La présidente : Merci, madame Kennedy. Nous passons aux questions des sénateurs. Chers collègues, vous disposez chacun de quatre minutes pour poser vos questions.
La sénatrice Cordy : Madame Kennedy, vous avez beaucoup parlé du signalement obligatoire et vous avez dit que cela peut ne pas avoir l’effet escompté, qu’il pouvait causer des problèmes importants.
Madame Mayne, madame Jeshani et madame Riendeau, pourriez-vous également nous parler du signalement obligatoire, des aspects positifs et négatifs, ou des deux aspects.
Mme Jeshani : L’obligation de signalement pour les professionnels de la santé peut être très problématique. Pour de nombreuses familles de nouveaux arrivants avec lesquelles nous travaillons, les deux endroits les plus fréquentés sont le lieu de culte ou le cabinet de leur professionnel de la santé. C’est à cet endroit qu’elles commencent à établir une relation qui leur permet de révéler ce qui se passe.
La meilleure façon consiste à intégrer les professionnels de la santé dans une collaboration intersectorielle où des aiguillages solides peuvent être faits et des transferts peuvent être effectués vers d’autres services afin de soutenir à tous égards la victime ou la survivante. Placer les professionnels de la santé dans une position où ils sont tenus de faire un signalement obligatoire commencera à inhiber les femmes qui se présentent et qui parlent aux personnes en qui elles ont le plus confiance.
Je pense qu’une formation est essentielle lorsqu’on pense aux professionnels de différents secteurs qui ont une expertise très variée et qui peuvent maintenant entendre des dénonciations de VPI. Par exemple, au Safe Center of Peel, le corps de police dispose sur place d’une unité spécialisée dans la violence entre partenaires intimes. Elle est spécialement formée pour les traumatismes et la violence entre partenaires intimes, et les agents portent des vêtements civils afin de réduire le facteur d’intimidation, mais l’unité est intégrée à notre équipe de sorte que, lorsque les femmes viennent nous voir, si elles sont prêtes à porter plainte, nous les transférons à nos collègues de la police qui sont alors en mesure de les aiguiller vers les étapes suivantes.
[Français]
Mme Riendeau : De notre côté, on est aussi inquiet à l’idée d’un signalement obligatoire, parce qu’on pense que certaines victimes qui auraient besoin de soins ne les demanderaient pas, par crainte que la situation soit signalée à la police. À l’heure actuelle, des professionnels qui connaissent bien la problématique et les dirigent vers les ressources d’aide pourront les amener à être prêtes à dénoncer ou pas. Je pense qu’il faut respecter la volonté des victimes, sinon elles seront encore plus isolées qu’elles ne le sont. C’est pourquoi nous nous opposons à cette obligation de signalement. Par ailleurs, on pense que le système de santé doit être plus proactif et doit connaître la problématique pour mieux aider les victimes et les diriger vers des ressources spécialisées qui pourront prendre le relais et leur offrir tout le soutien dont elles ont besoin.
[Traduction]
La présidente : Je ne veux pas intervenir et prendre du temps, mais je tiens à préciser que le projet de loi, tel qu’il est actuellement rédigé, ne prévoit pas de signalement obligatoire. Il prévoit une consultation avec des professionnels de la santé en vue de faire un signalement à la police. Cela se fait dans le cadre d’une consultation et non en raison d’une obligation systématique de signalement. Pour ainsi dire, nous tenons donc une consultation à ce sujet.
La sénatrice Seidman : Merci beaucoup à tous nos témoins d’être avec nous et de nous avoir fait part de leur expertise sur une question difficile.
Tout d’abord, j’aimerais m’adresser à Mme Riendeau, et j’aborderai ensuite les exigences en matière de signalement, car je pense que le Québec se trouve dans une position unique.
Madame Riendeau, vous avez dit que, en ce qui concerne les exigences en matière de signalement au Québec, si un professionnel du Québec croit qu’une personne court un risque imminent de mort ou de blessure grave, il peut révéler des renseignements personnels qui sont normalement protégés par le secret professionnel, et vous avez noté que vous craignez que la mise en place d’une exigence de signalement systématique freine, voire empêche les femmes victimes de violence conjugale de demander des soins.
On peut comprendre le désir de mettre en place une obligation de signalement systématique, car cela facilite la collecte de données lorsqu’on veut connaître la prévalence du problème.
La politique au Québec a-t-elle découragé ou empêché les femmes d’obtenir des soins? Le Québec se trouve dans une position unique en ce qui concerne les données, et s’il existe déjà une situation, comme telle que vous avez décrite, où un professionnel peut révéler des informations personnelles, cela a‑t-il freiné ou empêché des femmes de demander des soins à votre connaissance? Avons-nous des données à ce sujet?
[Français]
Mme Riendeau : La différence se situe entre pouvoir dénoncer et devoir dénoncer. Au Québec, les professionnels ne peuvent pas briser la confidentialité, à moins qu’on soit dans une situation où il y a un risque de blessure grave ou de mort. Toutes les situations de violence conjugale ne comportent pas les mêmes risques à court terme pour les victimes. C’est donc dans ces situations que les professionnels peuvent le faire, mais la loi ne leur en donne pas l’obligation. Je pense que c’est ce qui fait aussi que les victimes savent que si elles s’adressent à un professionnel, à moins d’être dans une situation très dangereuse — et dans ces cas-là, en général, elles sont contentes que les professionnels puissent se parler —, la vie privée et la confidentialité seront respectées.
[Traduction]
La sénatrice Seidman : Avons-nous des données au Québec au sujet de ces questions?
[Français]
Mme Riendeau : Non, il n’y a pas de statistiques sur les situations de levée de confidentialité. Il y a maintenant à travers le Québec des cellules d’action concertée où plusieurs professionnels peuvent faire des plans d’action et se réunir quand ils sont face à des situations dangereuses, mais il n’y a pas de collecte de données pour le moment.
[Traduction]
La sénatrice Seidman : Merci.
La sénatrice Burey : Merci à tous de vos commentaires pertinents sur une question très complexe. C’est génial de pouvoir entendre des fournisseurs de services. En tant que prestataire de service moi-même, je suis convaincue que vous savez comment ça se passe et ce qu’il faut faire. Je vous remercie donc d’être ici et d’avoir souligné certaines des conséquences involontaires qui pourraient survenir, ce qui n’est pas ce que nous voulons. L’obligation systématique de signalement n’est qu’une d’entre elles.
Avec le groupe de témoins précédent, nous avons également parlé de l’importance de la terminologie et de la question de savoir si le simple fait d’utiliser le terme « partenaire intime », comme le prévoit la stratégie nationale, réduirait le travail qui a déjà été effectué par le Plan d’action national pour mettre fin à la violence fondée sur le sexe. J’aimerais connaître votre avis à ce sujet; pensez-vous que la terminologie que nous utilisons risque d’affaiblir l’excellent travail qui a déjà été accompli, vu la nécessité — comme nous l’avons entendu des témoins précédents — d’inscrire quelque chose dans la loi afin de nous assurer que nous continuons sur cette voie.
Merci.
Mme Mayne : Je fais ce travail depuis maintenant 40 ans et, pendant toute cette période, nous avons parlé de violence faite aux femmes, de violence conjugale et sommes passés à la violence fondée sur le genre ou violence sexiste. Je pense que la question à laquelle il faut maintenant répondre est de savoir comment trouver une terminologie et utiliser un langage qui englobe les personnes qui ne s’identifient pas à un genre précis ou dont le genre varie, par exemple. Comment tenons-nous compte de cela?
Nous devons également garder à l’esprit — dans la région de Peel, par exemple, où la collectivité est très diversifiée — que si nous voulons être en mesure de parler de cette question avec les nouveaux arrivants, les gens ne comprennent pas la violence fondée sur le genre contrairement à une relation avec un partenaire intime.
Je pense qu’il est compliqué de trouver un langage qui convient à la diversité présente au Canada. Dans notre région, nous avons adopté l’expression violence entre partenaires intimes pour tenter d’inclure tout le monde, mais aussi pour rendre cela accessible aux personnes pour qui le terme violence fondée sur le genre ou violence sexiste n’aurait aucun sens ou serait un obstacle.
Mes collègues souhaitent peut-être également prendre la parole.
[Français]
Mme Riendeau : Lorsqu’on parle du Plan d’action national pour mettre fin à la violence fondée sur le sexe, il y a eu beaucoup de discussions entre les différentes organisations qui combattent la violence conjugale, la violence entre partenaires intimes, mais aussi la violence sexuelle, l’exploitation sexuelle des femmes et la traite des personnes. On a voulu tenir compte du fait qu’il y avait beaucoup de similarités dans les causes et dans les conséquences de ces violences, qui sont souvent, encore maintenant, soutenues par toutes les inégalités qui existent entre les hommes et les femmes et toutes les inégalités sociales qu’on peut rencontrer.
Dans la mesure où il y a déjà un plan plus large, c’est pour cela que nous disons que nous devrions plutôt travailler à partir de ce plan.
Le groupe de témoins précédent a parlé de la possibilité d’amender le projet de loi pour faire en sorte que le plan d’action soit plus durable. C’est une voie intéressante pour faire en sorte qu’il y ait aussi une reddition de comptes sur les actions qui seront réalisées au moyen de ce plan par les différents gouvernements. Ce serait aussi une voie intéressante, plutôt que de créer quelque chose d’autre à côté qui vise seulement une partie des violences dont de nombreuses femmes sont victimes.
[Traduction]
La sénatrice McPhedran : Merci beaucoup. J’ai une question assez simple. Si ce projet de loi demeurait tel qu’il est aujourd’hui, que diriez-vous de son utilité pour ce qui est d’effectuer votre travail et de vous fournir plus de ressources?
Mme Mayne : Pouvoir en faire une priorité nationale, pouvoir affecter des ressources dans tout le pays de façon à permettre la création de partenariats intersectoriels et le rassemblement de collectivités est révolutionnaire. Il ne s’agit pas uniquement d’un problème qui touche les femmes, c’est un problème communautaire qui touche tous les secteurs. Posséder des ressources qui permettent aux collectivités de se rassembler pour réagir et intervenir beaucoup plus tôt, et posséder un plan de communication et d’éducation... en 40 ans d’expérience, c’est un moment fort. C’est un tournant pour notre pays.
Nous savons comment réagir. Nous disposons de l’expertise nécessaire. Nous avons la volonté, nous avons les partenariats de collaboration. Jamais auparavant nous n’avons travaillé en collaboration aussi étroite avec la police, les soins de santé et l’établissement dans tous les secteurs... l’emploi. Nous sommes prêts. Nous savons comment agir sur le terrain. Nous avons juste besoin d’une impulsion pour nous aider à avancer et à agir. Cette question est très complexe, et il est important de prêter attention à la terminologie, mais en fin de compte, je vous prie de nous donner des ressources pour nous aider à faire notre travail dans nos collectivités.
La sénatrice McPhedran : Merci.
Mme Jeshani : Je tiens juste à dire que c’est ce que les survivantes nous ont dit. Les survivantes nous ont dit à maintes reprises qu’elles ne voulaient pas devoir se rendre d’un endroit à l’autre et tenter de naviguer dans un système que les professionnels des services ont créé pour elles. Elles nous disent qu’elles ne savent pas où aller ni comment y arriver, qu’elles se trouvent dans la pire situation de leur vie et que nous les obligeons à se débrouiller. Les survivantes nous ont dit : Débrouillez-vous, apprenez à communiquer entre vous, apprenez à offrir un service complet et à travailler ensemble, parce que ce n’est pas à nous de faire le lien entre vous tous. C’est ce dont les survivantes ont besoin dans notre pays pour que nous puissions répondre à ces besoins très particuliers.
La sénatrice McPhedran : Merci. J’ai une autre brève question. Est-ce que votre organisme ou vous-même personnellement avez participé à l’une des consultations qui ont déjà eu lieu en lien avec le Plan d’action national pour mettre fin à la violence fondée sur le sexe?
Mme Jeshani : Nous avons eu la possibilité de témoigner devant le Comité permanent de la condition féminine en 2022, et c’était une excellente occasion de présenter le modèle et ce que nous avons réalisé ainsi que de faire entendre la voix des survivantes. Nous sommes cités dans la recommandation 17.
Nous avons également eu la possibilité de rencontrer de nombreuses personnes dans notre province qui examinent ces stratégies et qui tentent de trouver le meilleur mode d’action.
La sénatrice McPhedran : Merci.
[Français]
Le sénateur Cormier : Mes questions s’adressent à Mme Riendeau. Au centre que vous dirigez, est-ce que les femmes victimes de violence qui se présentent chez vous sont uniquement issues de couples hétérosexuels, ou y a-t-il des femmes issues de couples de même sexe? Le cas échéant, y a-t-il des services particuliers ou des stratégies particulières qui leur sont offerts? Comment cette stratégie nationale... Comment ce projet de loi s’assure-t-il, par son libellé, de prendre en compte les besoins des femmes victimes de violence dans les couples de même sexe?
Mme Riendeau : En fait, toutes les femmes qui s’identifient comme femmes peuvent recevoir des services des maisons qui sont membres de notre association. Il y a effectivement des femmes hétérosexuelles, des femmes lesbiennes, des femmes trans qui peuvent requérir des services. Chaque fois, les services tentent de s’adapter à la réalité que vivent chacune des femmes qui ont besoin de services afin d’avoir l’approche la plus globale et intersectionnelle possible.
Je ne me souviens plus de la deuxième partie de votre question.
Le sénateur Cormier : Je vous demandais s’il y a des services et des stratégies et si vous avez des données, mais je crois que vous avez déjà répondu à cette question sur les données qui permettent d’identifier ces catégories de personnes.
Mme Riendeau : Quand on a travaillé au sein du groupe qui a rédigé le Plan d’action national pour mettre fin à la violence fondée sur le sexe, ces éléments ont été pris en compte, parce qu’on souhaitait être le plus inclusif possible pour répondre à la réalité des femmes. Le plan couvre différentes sections. Dans les recommandations, on parle d’accès égalitaire à des services, de prévention, d’une adaptation du système de justice et du soutien adapté aux survivantes en fonction de leurs besoins spécifiques. Tout cela était prévu dans les recommandations qui ont été présentées au gouvernement.
Le sénateur Cormier : Vous avez parlé des défis d’arrimage entre ce plan d’action national et la stratégie proposée à l’intérieur du projet de loi S-249.
Est-ce qu’il y a des lacunes dans le plan d’action national que vous pensez qu’on peut régler au moyen de la stratégie nationale proposée ici?
Mme Riendeau : Je dirais, comme d’autres l’ont dit un peu plus tôt, qu’il y a toute la question de la responsabilité, de la reddition de comptes sur ce qui arrivera, sur les mesures prévues dans chacun des piliers — il y a un cinquième pilier sur l’adaptation aux besoins des femmes autochtones... Comment tout cela sera-t-il mis en place par les territoires, les provinces et le gouvernement fédéral lui-même?
C’est quelque chose qui pourrait être renforcé, ainsi que la durabilité d’un tel plan parce qu’effectivement, un prochain gouvernement pourrait décider de ne pas reconduire ce plan. Bon nombre de pays se sont dotés de lois sur la violence à l’égard des femmes ou la violence fondée sur le genre et peuvent ainsi donner une pérennité aux actions nécessaires, tant que les niveaux de violence seront tels qu’on les connaît maintenant.
Le sénateur Cormier : Merci beaucoup.
La sénatrice Mégie : Merci aux témoins d’être avec nous aujourd’hui.
Je voulais parler des expériences d’autres provinces et d’autres pays. Avez-vous accès à des données sur de bonnes pratiques des provinces canadiennes ou d’autres pays de l’OCDE qui auraient obtenu du succès soit sur le type d’intervention, soit sur le taux de dénonciation, et qui auraient déjà développé de bonnes pratiques? En connaissez-vous qui pourraient vous inspirer, ou il n’y en a pas?
Mme Riendeau : Je pourrais peut-être répondre. Sans vouloir être chauvine, on a au Québec des plans d’action et des politiques depuis plusieurs années. La première politique date de 1995 et la dernière est devenue une stratégie intégrée dans laquelle on a intégré la lutte contre la violence sexuelle et la violence conjugale. Grâce à cette stratégie, on pourra rebâtir la confiance dans le système de justice.
On remarque aussi qu’au fil des ans, le nombre de dénonciations a beaucoup augmenté.
À la fin des années 1980, il y avait 6 000 plaintes en matière de violence conjugale par année; il y en a maintenant 24 000. C’est une bonne nouvelle, car cela nous prouve que les victimes savent qu’elles ont des droits et des ressources pour les aider. Si on regarde le nombre de féminicides qui se produisent au Québec, on voit qu’il est plus bas que dans d’autres parties du pays. On pense que le fait qu’il y ait des ressources — il y a quand même une centaine de ressources d’hébergement pour les survivantes au Québec —, le fait que le système de justice ait été proactif, le fait qu’il y ait différentes mesures de prévention et des campagnes de sensibilisation, tout cela mis ensemble fait effectivement qu’on n’arrive pas encore à endiguer complètement le problème, mais on fait en sorte que les victimes demandent de l’aide, qu’elles sont mieux soutenues et, dans certains cas, on diminue le nombre de décès.
La sénatrice Mégie : Y a-t-il d’autres commentaires ou puis‑je passer à une deuxième question?
[Traduction]
Mme Jeshani : À San Diego, lorsque le Family Justice Center a ouvert les portes au début des années 2000, il avait un certain nombre de partenaires qui se sont réunis pour offrir des soins intégrés. Ils ont remarqué que les homicides au sein de la famille avaient chuté. Il y a des données à l’échelle des États‑Unis. Comme je l’ai mentionné, il y a 300 centres dans le monde. De nombreuses preuves montrent que, lorsque vous fournissez des soins collaboratifs intégrés dans tous les secteurs, vous pouvez sauver des vies.
Mme Mayne : Il y a eu tellement d’enquêtes et de rapports. C’est survenu très récemment dans le comté de Renfrew. Les données proviennent de l’horrible tragédie qui s’est déroulée en Nouvelle-Écosse... cette liste réitère à maintes reprises ce qu’il faut faire pour prévenir et intervenir auprès des victimes.
Ce qui fait défaut, c’est l’engagement du gouvernement à fournir des ressources adéquates et durables aux collectivités, aux secteurs de la santé et à la police afin que ceux-ci puissent agir. Il y a beaucoup de données. Il y a beaucoup de pratiques exemplaires. Je peux en parler de façon détaillée après 40 ans d’expérience.
La présidente : Merci. Je voudrais me tourner vers Mme Kennedy. Elle apporte un point de vue unique sur la Saskatchewan et les collectivités rurales. Madame Kennedy, comment pouvez-vous nous éclairer davantage?
Mme Kennedy : Merci. Il existe de nombreux modèles de pratiques exemplaires en Amérique du Nord et dans le monde entier. Beaucoup d’entre eux ont prouvé qu’il existe des interventions efficaces pour réduire les répercussions de la violence contre les femmes, les filles, les familles et les collectivités en général.
Je me ferai l’écho des propos de ma collègue pour dire qu’il est d’une importance vitale de donner suffisamment de ressources à ces initiatives, et non pas uniquement à court terme. Un bon nombre des enquêtes que nous avons menées dans le pays sur la violence fondée sur le genre ont mené à de multiples recommandations... Beaucoup se sont répétées au fil des décennies. Sans des ressources suffisantes, la participation et le suivi d’un cadre de responsabilisation pour tous les paliers du gouvernement, nous continuons à voir les mêmes problèmes.
Avec le plan d’action national, une bonne partie du travail a été effectuée. Ces pratiques exemplaires et ces nouvelles pratiques exemplaires ont été mises en place dans tout le pays. Cependant, il y a eu un manque continu de suivi d’un modèle viable à long terme nous permettant d’explorer les pratiques exemplaires et de les appliquer afin qu’elles puissent produire un changement systémique et écologique dans nos collectivités. Merci.
La présidente : Merci, madame Kennedy.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Je vais poser une question très simple. Madame, vous y avez déjà répondu un peu plus tôt. Je vais demander à Mme Riendeau son avis à ce sujet.
Je vous écoute toutes les quatre et on sent très bien l’expertise et la compétence que vous avez. Vous savez de qui et de quoi vous parlez.
Ma question très simple est la suivante : avez-vous vraiment besoin de plans d’action, de stratégies, ou bien avez-vous besoin de ressources, de financement ou de main-d’œuvre? Cela pourrait être les deux.
Madame Riendeau, que diriez-vous à ce sujet?
Mme Riendeau : Je dirais qu’on a besoin de tout cela, parce que nous n’arriverons pas à endiguer seules le problème de la violence conjugale. On a besoin de plus de ressources, mais on a aussi besoin que le système de justice réponde bien aux victimes et que les gens du secteur de la santé soient là quand les victimes se présentent.
Effectivement, un modèle comme celui de Peel est intéressant, car on facilite la navigation de la victime à travers les services. On a besoin de mesures de prévention et de logements pour que les victimes puissent sortir des maisons d’hébergement lorsqu’elles sont prêtes. Il faut une coordination de plusieurs secteurs gouvernementaux. Il faut que cela puisse durer dans le temps avec suffisamment d’intensité et suffisamment de ressources. C’est pour cette raison que les plans d’action sont importants si on veut arriver à des résultats. On ne peut pas y aller par projet ou dire qu’on va le faire pendant les cinq prochaines années. Le problème ne sera pas résolu.
Il faut une intensité, une durée dans le temps et une coordination.
La sénatrice Petitclerc : Merci. Cela m’aide beaucoup. Je vais continuer avec vous, madame Riendeau.
J’ai bien compris, en écoutant tous nos témoins, que cette obligation possible de signalement n’est pas souhaitée. Ce qu’on entend aussi, c’est que le nombre de cas rapportés est d’environ un sur dix. On espère que plus de victimes vont faire un signalement.
Comment équiper les gens? Comment s’assurer que les professionnels de la santé seront bien équipés pour accompagner les victimes? Comment voyez-vous tout cela?
Mme Riendeau : Je pense d’abord qu’il faut les aider à détecter les situations. Beaucoup de situations de violence conjugale passent sous le radar dans le système de santé. Il faut les aider à bien intervenir. Ils n’ont pas nécessairement à devenir eux-mêmes des travailleurs sociaux, mais ils doivent pouvoir orienter les victimes vers les ressources spécialisées qui pourront les aider, les soutenir, les aider à cheminer et éventuellement à dénoncer. Je pense que la formation de l’ensemble des professionnels est la clé. Pensons aux gens qui travaillent dans les salles d’urgence ou en périnatalité. Ce sont des gens qui voient des situations de violence conjugale, ou qui pourraient les voir et faire une différence dans la vie des victimes.
[Traduction]
La sénatrice Bernard : Merci à tous les témoins de leur présence aujourd’hui. Nous apprécions le temps que vous nous accordez et votre expertise. Je viens de la Nouvelle-Écosse. Je suis une travailleuse sociale dont le deuxième emploi est d’être sénatrice. Je travaille dans le domaine depuis plusieurs décennies.
Les personnes d’origine africaine sont présentes en Nouvelle-Écosse depuis les années 1700. Parmi ces personnes, beaucoup d’entre elles qui sont victimes ou survivantes de violence entre partenaires intimes, de violence domestique ou de violence familiale ne le signalent pas parce qu’elles craignent la façon dont leur famille ou elles-mêmes seront traitées par le système judiciaire.
Pensez-vous que ce projet de loi-cadre pourrait aider les personnes qui ont peur de porter plainte parce qu’elles craignent les autres problèmes qui surviendront dans le système de santé ainsi que dans le système judiciaire... et dans ce cas, s’agit-il d’une question de racisme? Voyez-vous ce genre de choses dans le Safe Center of Peel?
Mme Jeshani : C’est une excellente question.
Mme Mayne : L’une des forces de notre modèle dans la région de Peel est qu’une partie des services de soutien globaux est offerte par des organismes ciblés qui se concentrent sur un élément précis. Dans notre collectivité, nous avons Roots Community Services, qui sert la collectivité noire. C’est à cet organisme que les femmes peuvent s’adresser afin d’obtenir d’autres types de services.
L’unique chose qui manque à la conversation, c’est la façon dont nous faisons participer les hommes aux conversations afin de les inviter à changer. C’est une conversation importante, en particulier lorsque nous parlons avec nos collègues noirs, concernant l’importance d’être capable de faire participer les hommes à la conversation.
L’obligation de signalement à la police est très problématique. J’ai apprécié la précision apportée précédemment selon laquelle cela ne veut pas dire qu’il faut appeler la police. Cependant, je pense qu’il s’agit d’être capable d’établir un lien et de mettre les gens en contact avec la bonne personne. Nous devons avoir des personnes qui ressemblent à celles qui viennent nous voir. Nous trouvons cela dans tous les secteurs. Peel est diversifié, n’est-ce pas? Nous servons la collectivité en 16 langues. C’est absolument essentiel. Bon nombre de ces petites agences ethnospécifiques n’ont pas le financement nécessaire pour répondre aux besoins de leurs collectivités. C’est là où, une fois de plus, le projet de loi change les choses; il permet à ces collectivités d’obtenir les fonds nécessaires et aux agences de servir les collectivités contrairement aux grandes organisations.
Mme Jeshani : Cette stratégie nous fournit un langage commun pour parler de l’importance de la lutte contre la VPI dans nos collectivités. Toutes nos collectivités ont eu la possibilité d’entendre parler de nos stratégies de prévention et du fait que nous comprenons combien il est difficile de se trouver dans une situation de VPI, mais également quels sont les services et les soutiens disponibles.
Il est également essentiel que nous travaillions toujours avec la clientèle, l’individu, la personne qui se trouve en face de nous et que nous travaillions avec ce qu’elle est et ce qu’elle vit. Il ne s’agit pas de dire « Voici toutes les ressources, vous pouvez donc partir » parce qu’il y a beaucoup de personnes qui veulent rester, mais qui ont besoin d’aide et d’un plan de sécurité pour établir ce qui est le mieux pour elles et leur famille.
Ce projet de loi nous donne un langage commun dans tout le pays et nous permet d’ancrer nos stratégies locales et, bien sûr, nous fournit les ressources dont nous avons besoin pour effectuer ce travail.
La présidente : Merci beaucoup. La dernière question est la mienne heureusement. Je la poserai à chacune d’entre vous. Elle porte sur la conversation que nous avons eue au sujet du signalement obligatoire par les professionnels de la santé.
Compte tenu de ce que nous avons entendu aujourd’hui sur les problèmes associés à une telle orientation, pensez-vous que le gouvernement devrait tenir une consultation sur cette question? Sinon, est-ce que cet article du projet de loi selon lequel le gouvernement doit faire une consultation sur l’obligation pour les professionnels de la santé de signaler à la police les cas où ils soupçonnent que leur patient est victime de VPI... cet article doit-il être supprimé?
Mme Kennedy : Je suggère que cet article soit supprimé. Le groupe de témoins précédent ainsi que celui-ci ont clairement montré qu’il posait problème. Vous constaterez pendant les consultations ultérieures que le thème abordé par cet article en question reste problématique.
Il y a eu des discussions et des rétroactions très rigoureuses qui ont été présentées dans le cadre des groupes de témoins et qui, à mon avis, constitueraient un meilleur point de départ pour la consultation en cours. Je ne pense pas qu’une nouvelle consultation sur ce point changera la conversation jusqu’à présent.
[Français]
Mme Riendeau : Peut-être que ce sur quoi on pourrait consulter les professionnels, ce sont les obstacles auxquels ils sont confrontés dans des situations où ils devraient lever la confidentialité, parce qu’il y a des risques de mort ou de blessures graves.
Je disais qu’au Québec, ce frein n’existe plus. C’est possible de le faire. Est-ce qu’il y a d’autres administrations qui le font? Cela pourrait être intéressant, mais certainement pas un signalement obligatoire.
[Traduction]
Mme Mayne : Je dirais qu’il faut le supprimer. Nous avons déjà des dispositions, du moins en Ontario, qui nous permettent d’appeler la police dans des circonstances exceptionnelles où nous avons des inquiétudes sérieuses quant à la sécurité d’une femme. Cependant, rendre cela obligatoire enlève le pouvoir à une femme qui a déjà perdu beaucoup de contrôle dans sa relation, donc je dirais que cela n’est pas nécessaire.
Mme Jeshani : Je suis d’accord. Les professionnels de la santé doivent avoir la possibilité de faire part des incidents dont ils sont témoins, de la prévalence de ce qu’ils observent ainsi que de la quantité de formation dont ils ont besoin pour pouvoir mettre les gens en contact, évaluer les risques et fournir des plans de sécurité, qui sont absolument essentiels lorsqu’ils sont témoins pour la première fois de la situation.
La présidente : Merci beaucoup. Nous avons trois minutes. Sénatrice Moody, aviez-vous une question?
La sénatrice Moodie : Maintenant oui. J’allais intervenir sur la question de la consultation des professionnels de la santé. Je suis pédiatre. En ce qui concerne les enfants, lorsque nous sommes tenus de faire un signalement, j’ai un moyen d’intervenir. Des mesures immédiates peuvent être mises en place. L’enfant peut immédiatement être placé sous protection, et des mesures peuvent être prises afin d’assurer sa sécurité.
Ce qui me préoccupe dans le fait de confier un rôle aux fournisseurs de soins de santé, c’est que l’obligation de signalement pourrait mettre cette femme, comme vous l’avez souligné, dans une situation où elle rentrerait chez elle ce soir-là et qui, sans intervention adéquate, pourrait être explosive.
Mme Jeshani : Tout à fait. L’une des choses sur lesquelles nous en apprenons de plus en plus, ce sont les cas graves d’étranglement dans notre collectivité. Si les femmes ne reçoivent pas de soins médicaux après avoir révélé qu’elles ont été étranglées, elles sont davantage exposées au risque de mourir d’un accident vasculaire cérébral ou d’autres complications.
Les femmes de couleur n’ont pas nécessairement de marque sur le cou après avoir été étranglées. Souvent, il n’y a pas d’autres symptômes physiques et elles disent « Je vais bien ». Nous faisons beaucoup de formation dans tous nos secteurs sur la gravité de ce problème, et la police régionale de Peel nous a dit qu’elle enregistrait un étranglement par jour dans notre collectivité.
Notre collectivité sert 1,5 million de personnes. Nous savons que les cas signalés à la police sont sous-estimés. Si la police présente ces chiffres, nous savons qu’ils sont bien plus élevés. Si une femme ne peut pas consulter un professionnel de la santé parce qu’elle craint les conséquences, cela veut dire que nous faisons face à une autre crise en matière de santé.
La sénatrice Moodie : Souvent, les professionnels de la santé ont l’obligation d’agir, et il y a beaucoup d’incertitude quant à ce qu’il faut faire, car cela est différent d’une ville à l’autre, et il n’y a pas de normalisation à travers le pays.
Y a-t-il quelque chose que vous recommanderiez d’inclure dans ce projet de loi pour remédier à cela? Que devons-nous faire? Que font les professionnels de la santé mis à part appeler la police, ce qui est un choix évident, mais vous avez parlé de fournir des conseils, des services et toutes sortes de choses.
Mme Jeshani : Je pense que les professionnels de la santé ont besoin d’une formation obligatoire sur la détection de la VPI, la compréhension des ressources locales et la création d’un partenariat avec ces ressources. Ils doivent avoir une expertise en matière d’évaluation des risques et doivent poser les bonnes questions. C’est très important.
La sénatrice Moodie : [Difficultés techniques] mais le problème est de savoir quoi faire lorsque la femme est en face de nous.
La présidente : Nous devons explorer cette série de questions avec les futurs groupes de témoins. Ils sont prévus. Merci beaucoup à tous nos témoins, madame Mayne, madame Jeshani, madame Riendeau et madame Kennedy, vous nous avez beaucoup aidés à explorer les questions complexes que nous abordons.
(La séance est levée.)