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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES SOCIALES, DES SCIENCES ET DE LA TECHNOLOGIE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 9 mai 2024

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd’hui, à 11 h 37 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi S-249, Loi concernant l’élaboration d’une stratégie nationale pour la prévention de la violence conjugale.

La sénatrice Ratna Omidvar (présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La présidente : Je m’appelle Ratna Omidvar et je suis une sénatrice de l’Ontario.

[Traduction]

Je suis la présidente du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

Avant de commencer, je voudrais rappeler à tous les sénateurs et aux autres participants à la réunion les importantes mesures de prévention suivantes. Afin d’éviter les larsens perturbateurs et potentiellement dommageables qui pourraient causer des blessures pendant la réunion, nous rappelons à tous ceux qui participent en personne de bien vouloir tenir leurs oreillettes éloignées des micros en tout temps.

Comme l’indique le Communiqué du Président adressé à tous les sénateurs le lundi 29 avril, les mesures suivantes ont été prises pour prévenir les incidents acoustiques dus aux larsens. Toutes les oreillettes ont été remplacées par un modèle qui réduit de beaucoup la probabilité de larsens. Les nouvelles oreillettes sont noires alors que les anciennes étaient grises. Veuillez n’utiliser que les oreillettes noires approuvées. Par défaut, toutes les oreillettes inutilisées seront débranchées au début de la réunion. Lorsque vous n’utilisez pas votre oreillette, veuillez la placer face contre l’autocollant qui se trouve sur la table devant vous, là où cela est indiqué. Veuillez consulter les directives de la carte qui se trouve sur la table afin d’éviter les effets Larsen. Veuillez vous asseoir de façon à élargir l’écart entre les microphones. Les participants doivent brancher leur oreillette uniquement dans la console située directement devant eux. Ces mesures ont été mises en place pour éviter d’avoir à interrompre nos travaux et pour protéger la santé et la sécurité de tous les participants, y compris celle des interprètes. Je vous remercie vivement de votre coopération.

Avant d’accueillir nos témoins, j’aimerais faire une mise en garde pour la réunion. Aujourd’hui, notre comité poursuit son étude du projet de loi S-249, Loi concernant l’élaboration d’une stratégie nationale pour la prévention de la violence conjugale. En plus de la violence conjugale, d’autres sujets sensibles, y compris la violence fondée sur le sexe, le suicide et la consommation et l’abus de substances, peuvent être abordés. Cela peut être un déclencheur pour les personnes présentes dans la salle ainsi que pour celles qui regardent et écoutent la transmission. Un service de soutien en santé mentale est offert à tous les Canadiens par téléphone et par messagerie texte; il suffit de composer le 988. Nous rappelons également aux sénatrices et aux employés parlementaires que le programme d’aide aux employés et à leur famille du Sénat est à leur disposition et offre des services de counselling à court terme concernant les soucis personnels et professionnels ainsi que des services de consultation d’urgence.

Avant de commencer, j’aimerais faire un tour de table pour que les sénatrices puissent se présenter à nos témoins et au public, en commençant par la vice-présidente du comité, la sénatrice Cordy.

La sénatrice Cordy : Merci, madame la présidente. Je suis Jane Cordy, sénatrice de la Nouvelle-Écosse. Je vous souhaite la bienvenue à notre comité.

La sénatrice Osler : Je suis Gigi Osler, sénatrice du Manitoba.

La sénatrice Burey : Bonjour. Je suis Sharon Burey, sénatrice de l’Ontario.

La sénatrice Kingston : Je suis Joan Kingston, sénatrice du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Moodie : Rosemary Moodie, de l’Ontario.

La sénatrice McBean : Je m’appelle Marnie McBean, sénatrice de l’Ontario.

[Français]

La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, du Québec.

La sénatrice Seidman : Judith Seidman, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Dasko : Donna Dasko, sénatrice de l’Ontario.

La présidente : Je vous remercie, chers collègues.

Nous accueillons aujourd’hui, pour le premier groupe de témoins, le directeur Francis Lanouette, coprésident du Comité sur la prévention du crime, la sécurité, et le mieux-être des collectivités, à l’Association canadienne des chefs de police; Dre Kari Sampsel, membre du Comité des affaires publiques de l’Association canadienne des médecins d’urgence; Dre Donna Stewart, membre de l’Association des psychiatres du Canada, qui se joint à nous par vidéoconférence; et Doris Grinspun, directrice générale de l’Association des infirmières et infirmiers autorisés de l’Ontario, qui comparaît également par vidéoconférence. Je vous remercie tous de vous être joints à nous aujourd’hui.

Je vais d’abord inviter le représentant de l’Association canadienne des chefs de police à faire son discours d’ouverture, puis ce sera au tour des représentantes de l’Association canadienne des médecins d’urgence, de l’Association des psychiatres du Canada et de l’Association des infirmières et infirmiers autorisés de l’Ontario. Chaque témoin disposera de cinq minutes pour faire ses remarques, qui seront suivies de questions de la part des sénateurs. Directeur Lanouette, veuillez procéder.

[Français]

Directeur Francis Lanouette, Comité sur la prévention du crime, la sécurité et le mieux-être des collectivités, Association canadienne des chefs de police : Merci.

Distingués membres de ce comité, je suis heureux de faire des commentaires sur le projet de loi S-249 au nom de l’Association canadienne des chefs de police (ACCP), à titre de coprésident du Comité sur la prévention du crime, la sécurité et le mieux-être des collectivités.

L’ACCP s’engage depuis plusieurs années dans la lutte contre la violence entre partenaires intimes, ou VPI, et soutient fermement toutes les initiatives visant à la prévenir et à soutenir les victimes et leurs familles. Nous nous engageons à adopter une approche centrée sur la victime en tenant compte des traumatismes dans l’ensemble de notre travail, et en particulier lorsque nous répondons à des appels de service impliquant la VPI et la violence familiale.

Le projet de loi S-249 propose de créer une stratégie nationale pour prévenir la VPI, y compris des dispositions qui rendraient obligatoire, pour les établissements de soins de santé, les médecins et les infirmiers praticiens, de signaler à la police qu’ils soupçonnent qu’un patient est victime de VPI et de donner aux patients des renseignements sur l’accès à l’aide juridique.

En ce qui concerne la déclaration obligatoire, l’ACCP encourage toutes les personnes ayant subi de la violence de la part d’un partenaire intime à contacter la police pour signaler les actes de violence conjugale et obtenir les services de soutien dont elles ont besoin. Cependant, les victimes et les organismes d’aide nous ont informés que certaines victimes craignent les conséquences de l’intervention du système de justice pénale.

Ainsi, le fait que les établissements et professionnels de soins de santé soient tenus de signaler à la police les cas présumés de VPI peut inciter les victimes à ne pas demander d’assistance médicale. De plus, les approches centrées sur la victime soulignent l’importance pour ces dernières de garder le contrôle sur leur propre parcours dans cette situation très difficile. La déclaration obligatoire leur enlève ce contrôle.

Pour ces raisons, l’ACCP ne soutient pas le signalement obligatoire à la police par les professionnels de la santé dans des cas présumés de VPI. Nous croyons à l’efficacité du signalement volontaire. Toutefois, si on allait de l’avant, il faudrait le faire uniquement dans des situations à risque élevé, qui présentent un danger et une menace pour la vie et la sécurité d’un patient, de sa famille et de sa communauté. De plus, il serait nécessaire d’offrir une formation au personnel de la santé afin qu’il soit en mesure d’évaluer le risque et de prendre une décision sans courir de risques personnels.

En ce qui concerne les contraintes sur l’échange d’information en raison des lois sur la protection de la vie privée, à l’heure actuelle, les lois canadiennes rendent difficile l’adoption d’une approche préventive de la VPI. Dans plusieurs régions du Canada, la législation provinciale empêche les professionnels de la santé de divulguer des informations personnelles à la police sur les préoccupations qu’ils pourraient avoir au sujet d’un patient.

Ces lois prévoient généralement une exception au devoir de confidentialité dans les situations où il y a un risque important de préjudice corporel grave pour une personne ou un groupe de personnes. Malgré cette exception, de nombreux professionnels de la santé demeurent réticents, car ils craignent des conséquences légales.

Bien que les dirigeants policiers respectent le droit des Canadiens à leur vie privée, nous croyons fermement que les situations à risque élevé qui menacent la vie et la sécurité des individus devraient prévaloir sur le droit à la vie privée.

L’évaluation des risques fait partie intégrante des professions de la santé et de l’application de la loi. Pour cette raison, l’ACCP se concentre à présent sur l’élaboration de normes et d’outils permettant d’évaluer le risque des personnes impliquées dans des situations de VPI.

Les processus et les pratiques de prévention et d’intervention précoces sont plus efficaces lorsque les services de santé et les services policiers peuvent collaborer.

Ainsi, l’ACCP suggère que la Loi sur la protection des renseignements personnels soit modifiée de manière à ce que le signalement à la police par les professionnels de la santé de renseignements pertinents dans l’intérêt de la victime ne représente plus un délit, afin que les conséquences et les répercussions liées au signalement des cas de VPI à risque élevé soient éliminées.

Pour ce qui est de l’obligation de fournir aux patients des informations sur l’accès à l’aide juridique, l’ACCP soutient la disposition qui rendrait obligatoire la communication aux patients d’informations sur l’accès à l’aide juridique. Cependant, nous pensons que cette disposition est trop restrictive et devrait être élargie pour inclure des renseignements sur tous les services sociaux, de santé, communautaires, de police et de justice disponibles dans la communauté où résident les victimes.

L’ACCP soutient également les objectifs associés à la création d’une stratégie nationale pour prévenir la VPI, mais se demande en quoi une telle stratégie serait différente du Plan d’action national pour mettre fin à la violence fondée sur le sexe lancé par le gouvernement fédéral en novembre 2022. Ce plan d’action est axé sur la question de l’accès fiable et rapide à des services de protection et de soutien culturellement adaptés pour toute personne confrontée à la violence fondée sur le sexe. Plutôt que de créer une nouvelle stratégie nationale distincte pour prévenir la VPI, l’ACCP propose que le projet de loi S-249 soit aligné sur le Plan d’action national pour mettre fin à la violence fondée sur le sexe.

En conclusion, le mandat principal de la police est de réduire les méfaits et la victimisation et de prévenir la criminalité. L’ACCP estime que l’intervention en cas de VPI est une responsabilité partagée entre la police, la santé publique et les organismes sociaux et communautaires, et que la santé et la sécurité de la collectivité peuvent être favorisées par une collaboration intersectorielle.

Notre association est convaincue que toute disposition législative relative à la divulgation et au signalement de cas présumés de VPI doit s’appuyer sur les recommandations de ceux et celles que nous nous efforçons de soutenir et de protéger.

Merci.

[Traduction]

La présidente : Merci beaucoup, directeur Lanouette.

Dre Kari Sampsel, membre, Comité des affaires publiques, Association canadienne des médecins d’urgence : J’ai l’honneur de m’adresser à vous aujourd’hui au nom de l’Association canadienne des médecins d’urgence, ou ACMU, au sujet d’une question cruciale qui transcende les classes socioéconomiques, les ethnies, le sexe et l’orientation sexuelle, à savoir la violence conjugale, ou VC.

On ne saurait trop insister sur la gravité de ce problème, qui touche une femme sur trois dans le monde, selon l’Organisation mondiale de la santé. Rien qu’au Canada, la VC représentait un crime sur quatre déclarés par la police en 2011, selon une enquête nationale, ce qui démontre son omniprésence dans notre société. Ce chiffre n’a fait qu’augmenter depuis, selon les données provinciales. La pandémie de COVID-19 a exacerbé la prévalence de la VC, les ordonnances de confinement créant les conditions idéales pour les mauvais traitements, ce qui a entraîné une augmentation des appels à l’aide et une diminution de la reconnaissance des cas dans les services d’urgence. Il est alarmant de constater que 44 % des femmes assassinées par leur partenaire intime s’étaient rendues dans un service d’urgence au cours de l’année précédente, alors que seulement 5 % des cas de VC ont été décelés par les urgentologues.

La VC ne se limite pas à la violence physique. Elle englobe toute une série de comportements, notamment le harcèlement, les menaces, le sabotage sur le lieu de travail, le contrôle financier et le chantage. En outre, les survivants présentent souvent des syndromes de douleur chronique, des problèmes de santé mentale et des toxicomanies, ce qui souligne la nécessité de privilégier une approche holistique pour leurs soins, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du service d’urgence. Bien franchement, cela revient à trouver des aiguilles dans une botte de foin dans un service d’urgence qui déborde.

Les répercussions économiques de la VC sont stupéfiantes. On les estime à 7,4 milliards de dollars rien qu’au Canada, soit l’équivalent du PIB des Bermudes. Pourtant, malgré sa forte prévalence et ses coûts sociétaux considérables, la VC reste méconnue et sous-déclarée, puisque seulement 22 % des victimes signalent les incidents à la police ou à toute autre source d’aide.

Pour résoudre ce problème urgent, l’ACMU propose les quatre recommandations suivantes, qui étaient présentées dans la prise de position que nous avons publiée récemment.

Premièrement, il faut un dépistage universel dans les services d’urgence. Le dépistage de la VC devrait être une pratique courante dans les services d’urgence, car il s’agit d’un point d’entrée crucial du système de soins de santé pour de nombreux survivants. Nous sommes un refuge en cas de tempête qui est ouvert 24 heures sur 24, sept jours sur sept. Des études ont montré que le dépistage est bénéfique, qu’il présente peu de risques et qu’il peut augmenter de manière significative le repérage des cas de VC. De plus, les victimes de violence aiment qu’on leur pose la question. Elles n’en ont pas peur.

Deuxièmement, il faut offrir des soins médicaux convenables. Les blessures doivent être évaluées et traitées de la manière habituelle, avec des examens tenant compte des traumatismes. C’est vrai pour tous les membres de l’équipe soignante du service d’urgence.

Troisièmement, il faut orienter la personne vers des centres de soins spécialisés. Les survivants doivent être dirigés vers des installations qui se spécialisent dans le traitement de la VC, où ils peuvent recevoir des soins privés, confidentiels et tenant compte des traumatismes, qui sont adaptés à leurs besoins complexes. Ces centres proposent souvent une approche multidisciplinaire qui comprend les aspects sociaux, médico‑légaux, psychologiques et sécuritaires des soins.

Enfin, il faut une documentation complète. Les dossiers médicaux doivent décrire avec précision les incidents de VC, en utilisant des mots clairs et factuels. Cela permet non seulement de mieux soigner les patients, mais aussi de disposer d’informations cruciales pour les procédures judiciaires, le cas échéant. En outre, c’est l’indicateur qui permet de connaître l’ampleur du fardeau que la VC représente pour notre système de soins de santé, car les gens y ont souvent accès par le service d’urgence. Si ce n’est pas documenté, rien n’est fait.

En conclusion, la VC est un problème de santé publique omniprésent qui exige une attention urgente au moyen d’une stratégie de sensibilisation et de soins durables. En mettant en place un dépistage universel dans les services d’urgence, en fournissant des soins médicaux appropriés, en orientant les survivants vers des centres de soins spécialisés et en améliorant les pratiques de documentation, nous pouvons mieux soutenir les survivants et combattre l’épidémie de VC dans nos milieux.

Je vous remercie de l’attention que vous portez à cette question importante, et je me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions.

La présidente : Merci beaucoup, docteure Sampsel.

Dre Donna Stewart, membre, Association des psychiatres du Canada : Je vous remercie d’avoir invité l’Association des psychiatres du Canada, ou APC, à donner son avis sur le projet de loi S-249.

Pour mettre ma déclaration en contexte, j’aimerais vous donner un aperçu de mon travail sur la violence conjugale. En plus d’être l’auteure principale de l’exposé de position de l’APC qui s’intitule « Recognizing and Responding to Intimate Partner Violence », je suis également l’auteure principale du programme d’études de l’Association mondiale de psychiatrie sur la violence conjugale, qui a été traduit en 10 langues et dont l’utilisation est très répandue.

Je suis professeure à l’Université de Toronto et première titulaire de la Chaire sur la santé des femmes. Aujourd’hui, je m’exprime au nom de l’APC, qui est la voix nationale des psychiatres et de ceux en formation du Canada.

L’APC soutient fermement la création d’une stratégie nationale afin de prévenir la violence conjugale. Comme vous venez de l’entendre, la VC est un problème méconnu qui a un impact énorme sur la santé et le bien-être des enfants, des jeunes et des adultes. Il s’agit d’un problème social et de santé publique majeur à l’échelle mondiale, qui entraîne des coûts personnels, sanitaires, économiques et sociaux considérables.

Quels sont les éléments clés d’une stratégie nationale? Il est impératif que les stratégies qui sous-tendent l’initiative nationale soient fondées sur des données probantes. L’APC recommande que ce concept soit expressément mentionné à l’alinéa 3(2)a) du projet de loi, qui exige d’évaluer le caractère adéquat des traitements, des services et des stratégies actuels visant à prévenir la VC ainsi qu’à protéger et à aider les victimes de VC. Lorsqu’il manque de preuves, comme c’est parfois le cas, la stratégie nationale devrait viser à cerner les lacunes dans les connaissances sur la VC afin d’établir un programme de recherche solide avec des priorités à court, à moyen et à long terme.

Nous sommes particulièrement préoccupés par la proposition du projet de loi visant à obliger de signaler à la police les cas de VC impliquant des adultes. L’APC recommande fortement de ne pas adopter cette approche. La recherche n’indique pas qu’il s’agit d’une stratégie de prévention efficace, et il existe un sérieux risque de préjudice possible. Nous devrions cependant prioriser la recherche sur les facteurs qui préservent la sécurité d’un enfant ou d’un adulte qui en est victime.

Il faut également mener plus de recherches pour déterminer quelles sont les interventions efficaces en matière de prévention et de traitement tant pour les victimes que pour les auteurs de violence. Par exemple, alors que certains préconisent un dépistage universel, des études menées au Canada, en Nouvelle-Zélande et aux États-Unis ont montré que cette approche ne réduisait pas la VC et n’améliorait pas les résultats en matière de santé. Par « dépistage », j’entends un questionnaire normalisé. Je pense qu’il est recommandé de poser des questions sur la sécurité personnelle à la maison et avec le partenaire intime, ce qui devrait être fait, mais les questionnaires normalisés ne sont pas utiles. Il est fortement recommandé d’être attentif aux signes et aux symptômes et de poser des questions lorsque c’est sécuritaire et indiqué.

Nous devons en savoir plus sur les personnes qui subissent la VC et qui posent ces gestes. Quelles sont les personnes les plus exposées au risque? Les femmes autochtones, les minorités sexuelles et de genre, les personnes handicapées, les personnes souffrant de troubles liés à l’alcoolisme et à la toxicomanie, les personnes à faible revenu, les patients psychiatriques et les femmes vivant dans des zones rurales font partie des populations les plus à risque. Les stratégies nationales doivent prévoir des stratégies ciblées pour atteindre les personnes à risque et d’autres populations particulières. La consultation devrait être élargie aux secteurs de la santé publique et de l’éducation. Idéalement, une stratégie nationale comprendrait une campagne de santé publique coordonnée, pancanadienne et fondée sur des données probantes, dans le cadre de laquelle les partenariats avec la santé publique seraient essentiels.

Pour ce qui est de l’éducation, la formation des prestataires de services sociaux et de santé qui soutiennent les victimes de VC est essentielle. Le projet VEGA sur la violence, les éléments factuels, la guidance et l’action, de l’Université McMaster, est financé par l’Agence de la santé publique du Canada et a été lancé en 2020. L’initiative a créé une ressource d’orientation et de sensibilisation fondée sur des données probantes pour aider les prestataires de soins de santé et de services sociaux à déceler la VC et la maltraitance des enfants, et à y répondre en toute sécurité. Les ressources du projet VEGA sont disponibles gratuitement en ligne dans les deux langues, et elles sont reconnues. Elles peuvent remédier au fait qu’il y a actuellement très peu de contenu sur la VC dans le cursus médical canadien ou dans celui des professionnels paramédicaux tels que le personnel infirmier et les travailleurs sociaux.

Alors que le projet de loi propose que les représentants des établissements de soins de santé, les médecins et les infirmières praticiennes aient l’obligation de donner aux patients qui, à leur avis, pourraient avoir été victimes de VC des renseignements sur l’accès à de l’aide juridique, l’APC recommande plutôt que les cliniciens reçoivent une formation obligatoire sur la façon d’orienter les patients vers des services de défense d’intérêts qui comprennent un logement, une aide financière et des services juridiques.

L’APC recommande en outre que les consultations prévues au projet de loi comprennent des partenariats avec les écoles, le milieu juridique et les organisations autochtones, en plus des groupes que vous avez déjà énumérés, comme les services de police, les établissements de soins de santé, les groupes de défense d’intérêts et les refuges, afin de prévenir la VC et de protéger les victimes. Il est essentiel d’accorder une attention particulière au caractère adéquat des stratégies de prévention, des traitements et des services qui ciblent les populations qui, comme je viens de l’indiquer, sont les plus exposées. De même, il est très important d’évaluer l’adéquation de la formation des personnes qui fournissent des services en cas de VC.

Je vous remercie, et je répondrai volontiers à vos questions.

La présidente : Je vous remercie.

Notre dernière témoin est Mme Doris Grinspun, de l’Association des infirmières et infirmiers autorisés de l’Ontario. Vous êtes la bienvenue, mais cette semaine, vous l’êtes doublement, car c’est la Semaine nationale des soins infirmiers.

Doris Grinspun, directrice générale, Association des infirmières et infirmiers autorisés de l’Ontario : Merci beaucoup, madame la présidente. Je remercie les sénateurs. Je m’appelle Doris Grinspun, et je suis la fière directrice générale de l’Association des infirmières et infirmiers autorisés de l’Ontario, ou AIIAO.

L’AIIAO représente 52 000 infirmières et infirmiers praticiens, autorisés et étudiants en soins infirmiers en Ontario. Nous sommes heureux de soutenir votre travail sur cette question et de partager avec vous le point de vue de l’AIIAO sur le projet de loi S-249, à la lumière de notre expérience et de notre expertise en matière de violence conjugale, ou VC. Vous aurez pris connaissance de notre mémoire et de nos lignes directrices fondées sur des données probantes — de renommée mondiale, s’inspirant de 20 pays et de l’ensemble du Canada, bien entendu. Les preuves qui étayent mon exposé se trouvent dans ce document et celui sur les meilleures pratiques.

Notre mémoire présente huit recommandations fondées sur trois points fondamentaux.

Premièrement, nous soutenons le projet de loi, ce qui ne fait aucun doute. Nous reconnaissons la nécessité et l’urgence d’avoir une stratégie nationale sur la VC accompagnée du financement requis. Nous sommes d’accord avec la première recommandation du jury dans l’enquête du coroner de l’Ontario sur les meurtres de Carol Culleton, d’Anastasia Kuzyk et de Nathalie Warmerdam : la VC doit être considérée comme une épidémie.

Deuxièmement, le processus de consultation prévu au projet de loi doit mieux intégrer ce que nous savons déjà sur la VC. En effet, il existe des groupes démographiques et socioéconomiques qui sont plus vulnérables. Il s’agit des femmes — principalement les jeunes femmes, les femmes économiquement défavorisées, les femmes handicapées et les femmes autochtones. Il y a aussi la communauté 2SLGBTQ+. Il faut leur donner la priorité dans le processus de consultation, qui doit être élargi pour inclure tous ces groupes, au moins. Par ailleurs, nous savons que c’est dans les établissements de santé qu’une grande partie de la VC peut être repérée et prévenue. Tout le personnel infirmier, y compris les infirmières praticiennes, les infirmières autorisées et les infirmières qui surveillent les patients à distance, peut, avec les bons outils, jouer un rôle essentiel dans la détection et la prévention de la VC.

Mon troisième point est le suivant : nous ne pouvons pas attendre les résultats d’un processus de consultation pour agir contre la VC. Nous devons commencer à donner suite à ce que nous savons aujourd’hui afin de prévenir des dommages dévastateurs. Nous devons immédiatement soutenir la mise en œuvre d’une norme nationale pour le dépistage universel.

En 2005, l’AIIAO a élaboré une ligne directrice sur les pratiques exemplaires pour favoriser le dépistage universel de routine par les infirmières dans tous les cadres de pratique, un document qui a été mis à jour en 2012. Nous travaillons actuellement à la prochaine édition de la ligne directrice sur les pratiques exemplaires de l’AIIAO sur la VC, et nous recommandons qu’elle devienne une norme nationale.

Je vous prie de soutenir immédiatement la mise en œuvre d’une norme nationale afin d’intégrer les soins primaires et les services sociaux, et aussi de mettre en place des intervenants pivots au sein du système de santé qui soutiendraient la VC.

Un dépistage universel efficace dans les établissements de santé comprend l’intégration des services et l’accès à une gamme de services sociaux culturellement sûrs, notamment en matière de logement et de garde d’enfants. Une intégration plus étroite des services sociaux et de santé est primordiale pour traiter tous les déterminants sociaux de la santé et veiller à ce que toute personne jouisse d’un accès opportun aux services appropriés.

En outre, il est nécessaire de planifier un transfert fédéral ciblé pour appuyer les programmes de santé publique dédiés à la prévention, à la divulgation et à l’intervention concernant la VPI — à divulgation volontaire. Un exemple probant est le programme de Santé publique Ontario, « Bébés en santé, enfants en santé », qui propose un dépistage universel des risques pour les familles et les enfants, la VPI inclus, depuis la grossesse jusqu’à l’âge scolaire. Ce programme a prouvé son efficacité dans la détection et la prévention de la VPI grâce aux visites à domicile, et il a récemment bénéficié d’un financement supplémentaire. Il s’agit d’une initiative que nous soutenons et souhaitons voir se multiplier.

Pour conclure, nous savons que vous reconnaissez que de nombreuses personnes au Canada vivent ou perçoivent la santé, la justice et les services sociaux comme des systèmes de violence. Cela doit changer. C’est compréhensible, étant donné le colonialisme historique et actuel, le racisme systémique, la discrimination et les préjugés liés au genre et à l’identité de genre qui continuent à poser des obstacles pour tant de personnes. Toute stratégie nationale doit garantir des voies culturellement sûres pour prévenir et répondre à la VPI, ainsi que des approches tenant compte des traumatismes.

Au nom de l’AIIAO et des infirmières et infirmiers de l’Ontario et du Canada, je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.

La présidente : Merci beaucoup, madame Grinspun.

Je vous remercie tous de vos remarques liminaires. Nous allons passer aux questions des membres du comité. Comme nous sommes à court de temps, je vais limiter les questions et les réponses à trois minutes pour chaque intervenant. Cela me permettra de donner la parole à toutes les personnes qui figurent sur ma liste.

La sénatrice Cordy : Je vous remercie profondément d’avoir pris le temps de venir devant ce comité pour parler d’un problème horrible, qui est bien trop répandu dans notre société.

Chef Lanouette, vous avez suggéré que seuls les cas à haut risque soient signalés. Madame Stewart, vous avez suggéré une meilleure formation et un signalement obligatoire. L’auteur du projet de loi s’est appuyé sur le fait qu’aucun signalement n’est effectué pendant de nombreuses années et que, lorsqu’un cas est finalement signalé, il semble s’agir d’une première infraction et la peine est très légère. Comment pouvons-nous faire la part des choses? Une partie de moi a envie de dire, « Signalons l’infraction et aidons la victime », mais si cela ne fait qu’empirer les choses pour les victimes, alors ne signalons pas l’infraction. Mais on se retrouve alors dans une sorte d’incertitude. Je me demande si vous pouvez nous en dire plus à ce sujet.

[Français]

M. Lanouette : Dans les faits, nous disons que l’on peut faire un signalement. Nous sommes en désaccord sur l’obligation de faire un signalement, pour les raisons que j’ai évoquées précédemment. Les victimes, que j’ai moi-même rencontrées à une certaine époque, que mes collègues rencontrent et avec qui les maisons d’hébergement font affaire régulièrement, ont souvent mentionné que si les hôpitaux, les médecins et les infirmiers avaient l’obligation de signaler les cas de violence conjugale, ils décideraient peut-être de ne pas demander de soins. Nous croyons qu’il y a un travail de sensibilisation à faire auprès des médecins, infirmiers et infirmières.

Dans plusieurs provinces canadiennes, dès qu’un cas de VPI est signalé aux policiers, il y a une obligation d’agir. Cependant, la victime a décidé de rencontrer les policiers et elle est consciente d’entrer dans le système de justice dans ce contexte. Elle a fait ce choix, car elle est prête à agir ainsi. Si elle va à l’hôpital, si elle dénonce une situation de violation conjugale et si on la dirige immédiatement vers la police sans qu’elle soit prête, elle ne voudra plus collaborer et témoigner. Au final, on ne sera pas en mesure de l’aider. C’est la raison pour laquelle on préconise plutôt le volet de la sensibilisation et de l’information; s’il y a une prise en charge adéquate qui se fait par les soins hospitaliers, ce sera encore mieux.

[Traduction]

La présidente : Merci.

La sénatrice Seidman : Merci à tous de votre présence parmi nous.

Chef Lanouette, vous avez décrit l’évaluation des risques comme étant un élément très important, et docteure Sampsel, vous avez parlé du dépistage universel. Ces deux notions exigent des données et nécessitent un outil de dépistage ainsi qu’un protocole afin d’effectuer l’évaluation. L’évaluation des risques fait partie du développement du dépistage universel. Si je comprends bien, c’est ainsi que cela fonctionne. J’aimerais savoir si le développement de votre méthode de dépistage universel va bon train. À quel point est-il facile de recueillir des données? Y a-t-il des données? Peut-être pas. Je suis certaine que c’est très difficile. Je pense que je vais commencer par vous, madame Sampsel, et s’il me reste du temps, je vais passer au chef Lanouette. Merci.

Dre Sampsel : Je vous remercie, sénatrice Seidman.

Comme Mme Grinspun l’a dit plus tôt, il existe beaucoup d’outils pour le dépistage universel. Cependant, les documents font trois ou quatre pages. Comme vous en conviendrez si vous êtes déjà allés à l’urgence, ce n’est pas très efficace.

Ce que j’enseigne en matière de dépistage — et je l’enseigne depuis 20 ans à tous ceux qui veulent bien m’écouter —, et ce que bon nombre de personnes ont développé à leur manière, sont deux questions toutes simples et rapides : « Vous sentez-vous en sécurité à la maison? Quelqu’un vous a-t-il fait du mal? » Voilà les questions que nous posons, car le langage est accessible. Les gens ne vont pas toujours penser qu’ils sont victimes d’agressions. Si vous utilisez le terme « agression », quelqu’un risque de passer entre les mailles du filet.

Quel est le degré de réussite de la mise en œuvre du dépistage universel, et comment analysons-nous ces chiffres? Est-ce pratiquement impossible? Je le répète, je travaille dans ce domaine depuis 20 ans, et tout dépend de ce qui se trouve dans le dossier médical et de ce que l’on peut extraire d’un dossier médical. Il existe d’importantes contraintes, pour une foule de raisons, comme le manque de temps, la documentation et la crainte de qualifier quelqu’un d’une façon ou d’une autre. Que se passe-t-il si vous êtes inscrit comme étant une victime de violence conjugale et que l’agresseur a accès au dossier? Le risque de décès est multiplié par huit une fois que cette information est divulguée.

La sénatrice Seidman : Je vous remercie.

Monsieur Lanouette, comment évaluez-vous les risques?

[Français]

M. Lanouette : Plusieurs outils existent au Canada pour évaluer le risque dans les cas de violence conjugale pour les policiers. Actuellement, la faiblesse de l’évaluation des risques, c’est qu’elle se fait surtout sur le volet physique. On travaille avec l’association pour créer un outil qui serait davantage lié au dépistage du contrôle coercitif, donc beaucoup plus large que le volet physique. Nos partenaires en Angleterre ont développé des outils de cette nature.

La sénatrice Seidman : Merci beaucoup.

La sénatrice Mégie : Ma question s’adresse à M. Lanouette. Considérant l’épidémie de féminicides au Québec, en plus du dépistage — je ne sais pas si ce volet est bien ficelé —, y a-t-il des outils ou des règlements que vous aimeriez voir inclure dans ce projet de loi pour donner aux corps policiers des moyens d’intervention plus efficaces?

M. Lanouette : Il faut poursuivre la sensibilisation et la prévention et dans ce contexte, c’est nécessaire. Je suis d’accord à 150 % avec tous ceux qui sont ici pour dire que la violence conjugale est un problème national et qu’on doit tout faire pour y mettre fin. Il faut surtout faciliter la communication entre les institutions. C’est notamment ce que l’on mentionne dans notre mémoire lorsqu’on parle de la Loi sur la protection des renseignements personnels qui, dans certains cas, devient un obstacle pour échanger de l’information entre les policiers, le système de santé et le système d’éducation. Oui, il y a des voies de passage, mais elles sont très limitées. Il faudrait être en mesure d’élargir ces voies de passage; ce serait un élément intéressant.

La sénatrice Mégie : Merci.

[Traduction]

La présidente : Je vous remercie.

Chers collègues, n’oubliez pas que nous avons également des témoins en vidéoconférence.

La sénatrice Moodie : J’aimerais approfondir quelque peu l’une des suggestions de Dre Sampsel au sujet des centres spécialisés dans la lutte contre la violence conjugale. Le modèle existe en Ontario, pour les enfants. Si l’on soupçonne qu’un enfant est victime de violence ou de négligence, le Hospital for Sick Children établit la liaison. D’abord, il fournit des soins et procède à une évaluation. Ensuite, il vous met en contact avec des organismes communautaires, la police, les organismes chargés du dépistage, et cetera. Le modèle existe. Les données peuvent y être conservées. Elles peuvent être partagées, si nécessaire, à l’avenir, si cette situation se reproduit encore et encore. Elles peuvent être conservées à titre privé, de sorte que ces données n’ont pas à être divulguées la première fois que l’on se retrouve dans le système judiciaire. Si nous voulions mettre en place ces centres, comment devrions-nous le faire, à votre avis? De quel modèle devrions-nous nous inspirer? Où devraient se trouver ces centres? Comment pourrions-nous mettre ce modèle sur pied dans les différentes régions à l’échelle provinciale?

Dre Sampsel : Je vous remercie, sénatrice Moodie.

En Ontario, il existe également des centres destinés aux adultes. C’est là que je travaille. Il s’agit du réseau ontarien des centres d’aide aux victimes d’agressions sexuelles et de violence conjugale, qui compte 38 centres dans la province. Ces centres sont situés de manière à desservir les collectivités rurales et éloignées ainsi que les collectivités urbaines de l’Ontario. Ailleurs au Canada, ce genre de programme se fait un peu plus rare. L’Ontario possède probablement le réseau le plus structuré à ce jour, et il remplit les mêmes fonctions que les services de protection de l’enfance.

À Ottawa — c’est là que je travaille —, j’ai dirigé ce programme, pour les adultes, pendant 16 ans. Nous considérions le programme du Centre hospitalier pour enfants de l’est de l’Ontario comme notre programme jumeau. Il fonctionne exactement de la même manière. Il offre les mêmes soins holistiques et établit les mêmes liens avec les services sociaux, les services d’aide au logement, la police, et cetera. Il existe une base de données où les renseignements sont conservés en toute sécurité, dans un établissement de soins de santé.

La sénatrice Moodie : L’un des problèmes avec ce modèle est qu’il est très limité. Il s’agit d’un problème touchant les soins de courte durée dans les hôpitaux.

Dre Sampsel : Vous avez raison.

La sénatrice Moodie : À votre avis, y a-t-il un moyen de mettre cela en place dans les collectivités de manière à ce qu’une visite chez un médecin dans un centre ne devienne pas un signal d’alarme pour l’hôpital ou le service d’urgence?

Dre Sampsel : C’est un véritable défi, étant donné que chacun fonctionne avec ses propres systèmes et ses propres dossiers médicaux électroniques. Il est presque impossible de les fusionner.

Nous accueillons des médecins communautaires, car nous disposons de nombreuses infrastructures au sein de l’hôpital. Cette situation peut faire en sorte que les gens éviteront de venir à l’hôpital, car, comme certains l’ont mentionné, cela peut être une source de traumatisme, et c’est éprouvant. Nous disposons cependant de services de sécurité et d’autres services qu’un bureau de particulier ne peut peut-être pas offrir. Il est très difficile de mettre ce modèle sur pied dans les collectivités. L’idéal serait d’avoir accès à ces services partout, mais je pense qu’il serait difficile de les mettre en œuvre.

La sénatrice Moodie : Je vous remercie.

La sénatrice Dasko : Je remercie tous les témoins de leur présence aujourd’hui.

Nous étudions le projet de loi S-249. Nous devons nous prononcer sur ce projet de loi. Que devrions-nous faire? Mes questions sont précises. Devrions-nous adopter le projet de loi tel quel? Devrions-nous attendre que des changements y soient apportés avant de l’adopter? Ou encore, devrions-nous ne pas l’adopter, tout simplement? Je dis cela, car le gouvernement fédéral a un important plan d’action pour mettre fin à la violence fondée sur le sexe. Il a investi 800 millions de dollars dans ce plan, dont une partie a été dépensée, et une autre non.

Docteure Sampsel, je vous soumets ces trois questions. Selon vous, que devrions-nous faire avec ce projet de loi?

Dre Sampsel : Je pense qu’il faut changer le mot « obligation », là où l’on parle du signalement.

La sénatrice Dasko : Vous ne changeriez qu’un seul mot.

Dre Sampsel : Plus précisément, le signalement obligatoire représente un énorme défi, et ce, pour toutes les raisons que les témoins ici présents ont évoquées. Les victimes de violence seront quand même en danger. Pour l’heure, aucun système n’existe qui puisse garantir la sécurité de leur vie et la sécurité — nous parlons de morbidité — de leur logement, à l’école, de leurs enfants et de leurs animaux. Ce système n’existe pas. Si nous rendons le signalement obligatoire — et nous, à titre de médecins, sommes habitués à utiliser le signalement obligatoire dans certaines circonstances —, la situation deviendra plus dangereuse pour les victimes. Le signalement obligatoire n’a pas nécessairement pour effet d’empêcher que des actes violents ne soient commis. Il peut, en réalité, empirer la situation. C’est l’aspect du projet de loi qui me pose problème.

La sénatrice Dasko : Je vous remercie.

Monsieur Lanouette, dans vos commentaires, vous avez dit qu’il faudrait arrimer le projet de loi au plan d’action. Pouvez‑vous, brièvement, nous dire pourquoi et comment le faire?

[Français]

M. Lanouette : Il faut assurer une harmonie entre ce qu’on est en train de faire et cette stratégie nationale. Le projet de loi et la stratégie doivent être liés l’un à l’autre. Je suis d’accord avec les premiers propos qui ont été tenus selon lesquels on devrait supprimer cette obligation, mais personnellement, je crois qu’il est important d’aligner le projet de loi sur le plan national.

[Traduction]

La sénatrice Dasko : Il faudrait donc l’intégrer au plan d’action national. Est-ce bien ce que vous dites?

[Français]

M. Lanouette : Il y a plusieurs options. Au minimum, il faudrait s’assurer que la stratégie répond aux éléments du plan national. Des éléments sont inclus dans le plan national. J’imagine que cette stratégie vient répondre aux points A, B et C du plan national, par exemple. Minimalement, il faut faire un lien.

[Traduction]

La sénatrice Dasko : Docteure Stewart...

La présidente : Je suis désolée, sénatrice Dasko, mais votre temps est écoulé. C’est une question importante. J’aimerais que nos témoins en vidéoconférence puissent également y répondre. Ils auront peut-être la chance de le faire plus tard.

La sénatrice Osler : Je voudrais demander à trois des quatre représentants d’organismes de fournir une réponse écrite à mes questions, que je lirai aux fins du compte rendu. Je poserai ensuite une question à la représentante de l’AIIAO, si vous me le permettez.

Ma première question s’adresse au directeur de l’Association canadienne des chefs de police. Le projet de loi S-249 propose de rendre obligatoire le signalement à la police de cas présumés de violence conjugale. Aux yeux de certains, y compris les personnes racisées et les Autochtones, les services de police peuvent être une source de traumatisme. Quelle pourrait être, selon vous, l’incidence de cette disposition sur les victimes racisées et autochtones de violence conjugale?

Ensuite, j’ai une question pour les psychiatres et les médecins d’urgence. Dans vos spécialités, offre-t-on une formation et une évaluation obligatoires sur la violence fondée sur le sexe, y compris la violence conjugale et le contrôle coercitif, les soins tenant compte des traumatismes et les évaluations des risques et de la sécurité des patients soupçonnés d’être victimes de violence conjugale?

Enfin, ma question pour la représentante de l’AIIAO est la suivante. Le projet de loi S-249 ferait en sorte que les professionnels de la santé seraient tenus de signaler à la police tout soupçon qu’un patient est victime de violence conjugale. Quelle est la formation dispensée à l’heure actuelle, dans les écoles de sciences infirmières, pour veiller à ce que les infirmières et infirmiers puissent cerner les signes de violence conjugale? Madame Grinspun, auriez-vous l’obligeance de répondre?

Mme Grinspun : Merci beaucoup de la question.

Peu de formation est dispensée à cet égard. Cependant, la plupart des infirmières s’en servent. C’est pour cette raison que nous demandons que cette formation devienne au moins obligatoire. Dans les lignes directrices fondées sur des données probantes de l’AIIAO, le dépistage universel est obligatoire d’une manière plus souple que ce que nos collègues ont déjà dit à ce sujet, mais il n’y a pas d’obligation en matière de signalement. Je ne pense pas que vous entendrez un expert parler de signalement obligatoire.

Nous pensons également que cette formation doit s’appliquer aux soins primaires, et pas seulement aux soins hospitaliers. Chaque infirmière praticienne, chaque infirmière autorisée et chaque médecin en soins primaires doivent y avoir recours. Ils sont bien placés pour faire ce travail. C’est à ce niveau que l’on peut mieux se concentrer sur la prévention et l’amélioration de la situation, bien plus qu’aux urgences où il est déjà trop tard.

La sénatrice Osler : Je vous remercie.

La présidente : Merci. Nous vous serons reconnaissants des réponses que vous fournirez par écrit aux questions de la sénatrice Osler.

La sénatrice Burey : Je vous remercie de vos témoignages. Merci de prendre part à la discussion sur ce sujet très important.

J’ai participé à la création des centres d’intervention pour aider les enfants victimes d’agressions sexuelles dans ma collectivité, qui ont ensuite mené aux centres d’intervention pour aider les adultes. Les centres sont installés au même endroit. Merci encore de votre travail. Je sais qu’il y a un lien entre les deux.

Ma question s’adresse à tous les témoins, et elle revient à la question que la sénatrice Dasko a posée à propos de l’adéquation entre le Plan d’action national pour mettre fin à la violence fondée sur le sexe, qui existe déjà, et le projet de loi dont nous sommes saisis. Dans un mémoire présenté à notre comité, le Women’s Centre for Social Justice, connu sous le nom de WomenatthecentrE, nous recommande de renommer le projet de loi ainsi : Loi respectant le Plan d’action national pour mettre fin à la violence fondée sur le sexe. L’organisme soutient que l’on devrait se fonder sur le cadre du plan d’action national existant du gouvernement fédéral pour orienter le plan proposé dans le projet de loi S-249. Que pensez-vous de l’idée selon laquelle le projet de loi devrait être modifié pour inscrire le plan d’action national fédéral dans la loi?

La présidente : À quel témoin posez-vous votre question?

La sénatrice Burey : Je demanderais à M. Lanouette de répondre en premier, car il s’agit là de l’une de ses recommandations. Ensuite, n’importe qui pourra répondre.

[Français]

M. Lanouette : Dans notre cas, effectivement, c’est un peu comme je le mentionnais plus tôt. Il faudrait minimalement que cette stratégie s’insère dans le plan national et qu’elle réponde à certaines recommandations du plan national. C’est la recommandation du Comité sur la prévention du crime par rapport à ce projet de loi.

[Traduction]

La sénatrice Burey : Devrions-nous modifier le projet de loi pour y intégrer le plan d’action national?

[Français]

M. Lanouette : Tout à fait, oui.

[Traduction]

La sénatrice Burey : Y a-t-il d’autres commentaires?

Dre Stewart : Nous avons dit que certains aspects du projet de loi, dans sa forme actuelle, devaient être modifiés et il serait tout à fait logique qu’il soit en meilleure adéquation avec la stratégie nationale.

Mme Grinspun : Nous allons ajouter quelque chose à ce sujet.

Il faut au moins assurer une parfaite adéquation, voire une intégration au projet de loi, à condition de ne pas retarder l’adoption de mesures. Nous en savons déjà beaucoup sur la violence conjugale. Nous devons agir de toute urgence. Il s’agit d’une terrible épidémie et nous devons agir dans tous les secteurs de la santé, sans nous concentrer uniquement sur les hôpitaux, tout en faisant appel à un éventail plus large de professionnels, notamment des médecins, des travailleurs sociaux, des infirmières, des infirmières autorisées, des infirmières auxiliaires, et des infirmières praticiennes. Nous devons tous avoir les ressources nécessaires pour effectuer un dépistage universel et soutenir les victimes de violence conjugale.

Nous devons également élargir la portée du projet de loi aux groupes que nous avons mentionnés. Il doit inclure plus de groupes, en plus des femmes autochtones, comme les femmes appartenant à d’autres groupes vulnérables, y compris les femmes originaires de divers pays. Les nouvelles arrivantes, en particulier celles issues de groupes défavorisés sur le plan socio‑économique, doivent être soutenues, et ce, dès le départ.

La présidente : Je vous remercie, chers collègues.

Voilà qui met fin à notre premier groupe de témoins. Je tiens à remercier très sincèrement tous les témoins de leur participation en personne ou par vidéoconférence. Vous avez grandement contribué à notre compréhension de ce projet de loi et de son contexte.

Nous accueillons notre prochain groupe de témoins. Nous recevons, par vidéoconférence, Mme Katreena Scott, qui est collaboratrice et directrice académique au Centre for Research and Education on Violence Against Women and Children, et qui représente l’Initiative canadienne sur la prévention des homicides familiaux ; et Mme Patricia Duhaney, professeure adjointe à la Faculté de travail social à l’Université de Calgary. Je vous remercie toutes les deux de vous joindre à nous aujourd’hui. Nous allons commencer par la déclaration liminaire de Mme Scott, qui sera suivie par la déclaration liminaire de Mme Duhaney.

Katreena Louise Scott, collaboratrice, et directrice académique, Centre for Research and Education on Violence Against Women and Children (CREVAWC), Initiative canadienne sur la prévention des homicides familiaux : Merci beaucoup, honorable présidente et membres du comité. Comme vous l’avez dit, je m’appelle Katreena Scott et je suis la directrice académique du Centre for Research and Education on Violence Against Women and Children, qui est l’un des cinq centres de recherche sur la violence fondée sur le sexe au Canada. Ces cinq centres de recherche font partie d’une alliance qui a été créée, à l’époque, dans le contexte de la réponse au massacre de Montréal. Ces centres travaillent à l’échelle nationale et internationale pour améliorer et partager les connaissances sur la violence fondée sur le sexe qui relient la recherche, les politiques et la pratique et se concentrent sur les voix des survivants et leurs expériences.

On m’a demandé aujourd’hui de témoigner au sujet du travail du centre dans le cadre de la subvention de partenariat pluriannuelle financée par le CRSH et intitulée « L’Initiative canadienne sur la prévention des homicides familiaux au sein des populations vulnérables ». Ce projet s’est déroulé de 2015 à 2021, sous la direction de M. Jaffe, de Mme Dawson et de moi‑même, et nous avons collaboré avec d’autres chercheurs associés de partout au Canada. Nous nous sommes concentrés sur quatre populations vulnérables qui sont de plus en plus victimes de violence conjugale et d’homicides familiaux : les peuples autochtones, les immigrants et les réfugiés, les personnes qui vivent dans les collectivités rurales, éloignées et nordiques, et les enfants exposés à la violence conjugale.

Le projet a mis en évidence les taux inacceptables de violence conjugale et d’homicides familiaux au Canada et a exposé ce qui doit être fait pour opérer un changement. Comme l’ont souligné d’autres intervenants, les taux de violence conjugale sont trop élevés. Les homicides familiaux, en particulier, sont l’une des formes d’homicide les plus évitables et les plus prévisibles, et pourtant, sur une période de dix ans, l’on a recensé 718 homicides familiaux, faisant 815 victimes. Les femmes représentaient 79 % des victimes et les enfants 11 %. Dans un peu plus d’un quart des cas, il s’agissait d’homicides-suicides : les auteurs de ces crimes avaient tué leur partenaire avant de se suicider.

Ces données, comme d’autres, soulignent que la violence conjugale est étroitement liée aux systèmes d’oppression et qu’elle renforce et perpétue souvent les déséquilibres de pouvoir existants fondés sur des facteurs tels que le sexe, la race, la sexualité et le statut.

Je m’intéresse aux conversations au sujet de ce projet de loi. Permettez-moi d’y ajouter quelques commentaires.

Tout d’abord, ceux d’entre nous qui travaillent dans le domaine ont été très heureux d’apprendre que le gouvernement avait investi dans le Plan d’action national pour mettre fin à la violence fondée sur le sexe. Je pense qu’il est très important que le projet de loi S-249 complète et ajoute des éléments à ce plan. Il serait formidable qu’il puisse étoffer le travail déjà accompli ainsi que les conclusions des principaux examens et enquêtes tels que le rapport Redresser la barre ensemble de la Commission sur les pertes massives, le rapport sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées et d’autres examens et enquêtes d’envergure.

J’espère que ce sera possible de rendre le plan d’action national permanent et d’y greffer des mesures de reddition de comptes.

Il est essentiel également que plusieurs ministères participent au plan. Beaucoup trop souvent, le fardeau de protéger les femmes et de soutenir les victimes de violence et les enfants repose sur les épaules des travailleuses des refuges pour femmes, des défenseurs des droits des femmes, des femmes elles-mêmes, et de Femmes et Égalité des genres Canada dans le cas du projet de loi S-249. Cette responsabilité devrait en fait revenir à plusieurs ministères et organismes gouvernementaux, dont évidemment à Femmes et Égalité des genres Canada, mais aussi aux ministères de la Santé, de la Justice et du Travail entre autres.

Dans le domaine de la santé en particulier, les fournisseurs de soins de santé devraient être en mesure de reconnaître les signes de violence entre partenaires intimes et d’aiguiller les victimes vers d’autres services. Bon nombre de victimes d’homicide familial et d’auteurs de ces homicides entrent en contact avec des fournisseurs de soins de santé dans les semaines et les mois précédant le drame.

Des entrevues et des travaux menés partout au Canada ont révélé que dans le système de soins de santé en général, les évaluations et les interventions pour les cas de violence entre partenaires intimes sont rarement effectuées selon une approche uniforme appuyée par des données empiriques. La formation est essentielle. Nous avons aussi beaucoup parlé de mesures de dépistage. Il faudrait en outre favoriser la collaboration entre les organismes et mettre en place des mécanismes d’encadrement et des ententes de services multiples.

Finalement, je suis d’accord pour éliminer la notion d’obligation du projet de loi. Les survivantes ont répété ad nauseam qu’elles avaient besoin d’options à l’extérieur du système de justice. Il doit y avoir des services et des fournisseurs spécialisés en mesure d’intervenir auprès de ceux qui ont un comportement violent et qui causent des préjudices afin de favoriser le changement et la reddition de comptes chez les individus en question. Il faut aussi instaurer des services qui sauront reconnaître les expériences de violence vécues par des bambins, des enfants et des adolescents, et intervenir en conséquence.

Pour conclure, tous les Canadiens ont le droit de vivre en sécurité, y compris dans leurs relations amoureuses. Les fournisseurs de soins de santé et de services sociaux devraient être en mesure de reconnaître les facteurs de risque et les signaux d’alarme de la violence entre partenaires intimes ainsi que de comprendre la dynamique de la violence familiale et de diriger les victimes vers les services appropriés. Nous savons quoi faire. Il suffit d’avoir les ressources et la volonté de le faire.

Merci.

La présidente : Merci beaucoup, madame Scott.

Patrina Duhaney, professeure adjointe, Université de Calgary, à titre personnel : Madame la présidente, honorables sénateurs, bonjour. Je m’appelle Patrina Duhaney et je suis professeure adjointe à la Faculté de travail social de l’Université de Calgary, en Alberta. J’ai été invitée à fournir une expertise lors d’une séance sur la stratégie sur 10 ans mise sur pied par le gouvernement de l’Alberta pour mettre fin à la violence fondée sur le sexe. J’aimerais remercier le sénateur Manning de m’avoir présenté le projet de loi et toutes les personnes qui ont participé au processus. Je suis heureuse d’avoir l’occasion de faire part de mes connaissances dans le cadre de cette initiative nationale importante.

Mes recherches interdisciplinaires englobent la théorie critique du travail social, la criminologie, la théorie critique de la race, la théorie critique de la lutte contre le racisme et la pensée féministe noire. Mes travaux approfondissent plusieurs questions clés, notamment la race, le racisme, la racialisation, la violence familiale, le travail de la police et la criminalisation. Je mène des recherches depuis plus de 15 ans sur les expériences uniques des femmes noires victimes de violence familiale. Une bonne part de mes recherches analysent l’intersectionnalité entre la victimisation et la criminalisation. Par conséquent, les informations dont je vais vous faire part ne proviennent pas seulement de mes recherches, mais aussi d’un vaste ensemble de données canadiennes et américaines sur les expériences uniques des femmes noires victimes de violence familiale. Vu mon domaine d’expertise, je vais parler aujourd’hui de la réalité complexe des communautés noires en espérant contribuer à orienter la stratégie nationale à l’étude.

Souvent, les initiatives gouvernementales homogénéisent les expériences des femmes victimes de violence familiale sans tenir compte de l’intersectionnalité des facteurs identitaires, particulièrement la race et le racisme, dans la vie des femmes. Ce n’est que récemment que le gouvernement du Canada a publié des données désagrégées fondées sur la race qui portent sur les expériences des femmes racisées. Toutefois, la majeure partie des recherches menées au Canada et aux États-Unis se concentre encore sur les expériences des femmes blanches. Il manque donc tout un pan de connaissances sur le sujet.

Mes recherches et les travaux de la professeure Crenshaw et de la professeure West témoignent du caractère unique des vulnérabilités des femmes noires. La réalité de ces femmes aux prises avec la violence familiale est complexe en raison des multiples déclinaisons de la violence, notamment la violence raciale historique, la violence culturelle, la violence institutionnelle, la violence structurelle et la violence communautaire.

Les études démontrent que les femmes noires n’ont pas droit à la même protection que les femmes blanches. Leurs histoires sont souvent banalisées par leur interlocuteur qui pense souvent que ce qu’elles relatent est faux. Les femmes noires sont souvent stigmatisées comme colériques et la violence commise à leur endroit est considérée comme provoquée et nécessaire. À cause du racisme systémique envers les Noirs, elles sont souvent isolées lorsqu’elles vivent de la violence et n’ont accès qu’à des soutiens informels qui ne sont pas toujours adéquatement outillés pour les aider.

En raison de la criminalisation de la violence familiale, les femmes sont non seulement forcées d’assurer leur propre bien‑être, mais aussi de choisir entre leur sécurité et les besoins de leurs enfants. Elles sont souvent pénalisées parce qu’elles ne quittent pas leur partenaire violent. Malgré la violence qu’elles subissent, les femmes noires voient parfois la maison comme un refuge qui les protège des diverses formes de violence auxquelles elles sont souvent assujetties à l’extérieur.

Il y a plusieurs aspects dont il faut tenir compte. Je salue le gouvernement pour cette initiative importante. Toutefois, le signalement obligatoire continuera à causer du tort aux groupes déjà vulnérables. Les Noirs, les Autochtones et les autres groupes racisés font face à des obstacles systémiques majeurs lorsqu’ils recourent à des services.

Les membres des populations noires et autochtones sont surreprésentées dans le système de justice pénale et le système d’aide à l’enfance. Les services auxquels ils réussissent à accéder ne sont pas toujours appropriés culturellement et ne soutiennent pas toujours leur communauté. Les ressources destinées aux femmes noires sont particulièrement limitées. Les professionnels n’ont pas les connaissances et la formation adéquates pour soutenir ces communautés. Le financement versé aux organismes noirs de soutien aux victimes de violence familiale est limité également. Il faut donc du financement pour donner à ces organismes les ressources nécessaires pour venir en aide aux victimes de violence familiale dans les communautés noires.

Nous avons besoin en outre de données désagrégées fondées sur la face qui décrivent mieux les expériences uniques des femmes noires et racisées aux prises avec la violence familiale. Les services et les politiques doivent aller au-delà du système de justice pénale et tenir compte des expériences intersectionnelles des femmes victimes d’actes violents qui commettent elles aussi ces actes pour se protéger contre leur partenaire violent.

Les initiatives gouvernementales doivent aussi inclure des mesures qui incitent les hommes à participer. Davantage de stratégies préventives doivent être mises sur pied pour les jeunes enfants et les adolescents. Elles doivent aller au-delà du système de justice pénale, comme je l’ai mentionné tout à l’heure, et aider réellement les communautés les plus touchées. Pour maximiser l’efficacité, il faut mettre en place une approche coordonnée réunissant tous les niveaux de gouvernement de même que les joueurs clés du secteur de la santé et des systèmes de justice pénale, de protection de l’enfance et d’éducation.

Merci.

La présidente : Merci beaucoup, madame Duhaney.

Chers collègues, nous avons seulement deux témoins. Nous revenons donc à une gestion du temps moins serrée pour la période de questions. Vous avez chacun cinq minutes.

La sénatrice Kingston : Je pensais adresser ma question à Mme Grinspun, qui est aussi une infirmière, mais j’ai remarqué que Mme Scott avait parlé dans sa déclaration d’élargir ce que je considère comme l’accès aux soins de santé ou aux interventions des premiers répondants pour les victimes.

J’aurais espéré que le comité — dont je ne suis pas membre en titre — examine la possibilité de donner aux victimes un accès aux soins fournis par des infirmières en plus des soins fournis par des infirmières praticiennes. Je le souligne entre autres parce que la clinique où je travaillais, au centre de santé communautaire, offre un projet pilote financé par les Instituts de recherche en santé du Canada. Le Centre de santé communautaire du centre-ville de Fredericton fait partie des trois établissements au Canada à avoir mis en place le programme iHEAL, qui est déployé au moyen d’une application dirigée par des infirmières, qui en prime sont toutes des femmes. Les utilisatrices ont été dirigées vers l’application par des partenaires communautaires. Souvent, les femmes victimes de violence n’ont pas quitté leur partenaire. Ces femmes peuvent donc aller chercher au moyen de l’application des informations sur les ressources à leur disposition qui leur permettront d’entrer en contact avec des services en temps opportun. Le programme leur offre en quelque sorte un filet de sécurité dans la communauté.

Je demanderais peut-être à Mme Scott de parler de l’accès aux ressources. Comment les victimes de violence entre partenaires intimes peuvent-elles obtenir de l’aide lorsqu’elles en demandent?

Mme Scott : Oui. Je serais en mesure de souligner le premier point. En passant en revue les homicides familiaux et en regardant les enquêtes et les travaux passés, on relève qu’une des recommandations les plus fréquentes et les plus claires est de faire en sorte que les fournisseurs de soins de santé et de services sociaux — de tous les types et dans tous les contextes — soient en mesure de comprendre la dynamique de la violence familiale, de reconnaître les facteurs de risque clés et les signaux d’alarme de la violence familiale et d’orienter efficacement les victimes vers les services appropriés.

Si je puis me permettre, j’ajouterais que certaines études que nous avons réalisées sur les fournisseurs de services sociaux et les fournisseurs de soins de santé généralistes ont révélé que dans plusieurs cas, les fournisseurs [difficultés techniques] et à comprendre les facteurs de risque et les signaux d’alarme. Le comité a discuté entre autres de la question de savoir quelle mesure de dépistage était la plus appropriée et comment poser la question de départ. La question initiale est liée à un tout autre ensemble de pratiques. Quelle que soit la première question que vous posez, elle sera suivie des questions suivantes : que faire avec les informations? Quel est le processus? Qui assurera la supervision? Comment accéder au [difficultés techniques]? Quel type de relation y a-t-il entre, d’une part, l’hôpital, la clinique, le bureau du médecin et les infirmières, et d’autre part, les services vers lesquels seront dirigées les survivantes? Dans quelle mesure les survivantes peuvent-elles accéder à ces services? Ces éléments sont eux aussi importants à prendre en compte.

Je mentionnerais également que lorsque nous avons examiné ce que font les fournisseurs de soins de santé et les fournisseurs de services sociaux généralistes au Canada, nous avons constaté que la capacité d’avoir une conversation sur les facteurs de risque et les signaux d’alarme avec une survivante de violence entre partenaires intimes était beaucoup plus élevée que la capacité d’avoir la même conversation avec l’individu soupçonné d’avoir eu le comportement violent. En fait, la conversation avec l’individu n’a tout simplement pas lieu.

La sénatrice Kingston : Merci.

[Français]

La sénatrice Mégie : Ma question s’adresse à Mme Duhaney.

Vous avez dit que les femmes noires étaient moins bien servies. À quel niveau est-ce le cas? Il y a différentes étapes : les soins médicaux et la prise en charge par une travailleuse sociale, puis l’appel aux policiers et le système de justice. À quel niveau la barrière est-elle plus haute pour ces femmes noires?

[Traduction]

Mme Duhaney : Merci énormément pour la question.

Lorsque nous pensons aux services auxquels font souvent appel les femmes noires, nous constatons qu’elles accèdent bel et bien aux services sociaux. Elles parlent à des conseillers et à d’autres ressources et elles appellent la police si elles ont besoin de soutien. Elles se butent toutefois à des obstacles considérables en recourant aux services en question. Par exemple, elles sont souvent désavantagées en raison du racisme systémique envers les Noirs. Elles sont nombreuses à ne pas appeler la police, car elles craignent que leur partenaire soit malmené par les policiers ou elles ont peur d’être elles-mêmes arrêtées. Voilà en soi un obstacle qui accroît la vulnérabilité et la victimisation des femmes noires.

Dans le cas de certains services sociaux, qui devraient pourtant être accessibles à toutes les femmes, les études — y compris les miennes — démontrent que les professionnels qui y travaillent ne possèdent pas nécessairement les compétences nécessaires pour soutenir les femmes noires. L’approche universelle n’est pas adaptée aux cas de violence familiale dans les communautés noires. Certains de mes travaux récents examinent le langage employé par les femmes pour parler de la violence familiale. Les femmes n’emploient pas de termes universels tels que « violence conjugale », « violence familiale » ou « violence entre partenaires intimes ». Leur vocabulaire est différent. Les professionnels qui ne sont pas formés pour avoir cette conversation ne perçoivent pas toujours certaines nuances essentielles sur l’expérience unique de ces femmes.

Quant au système de justice pénale, les femmes qui ont une expérience négative avec les forces de l’ordre auront moins tendance à appeler la police pour obtenir du soutien par la suite. Il en va de même si elles ont été elles-mêmes accusées. Voilà quelques aspects à améliorer dont je voulais vous faire part.

[Français]

La sénatrice Mégie : Merci, madame Duhaney.

[Traduction]

La présidente : J’ai une question pour Mme Duhaney. Merci d’avoir attiré notre attention sur le rôle des travailleurs sociaux dans ce contexte. Le projet de loi, qui est très court, exige du gouvernement qu’il mène des consultations auprès de divers intervenants, mais il ne mentionne pas les travailleurs sociaux. Recommanderiez-vous d’ajouter au projet de loi l’obligation de consulter les travailleurs sociaux?

Mme Duhaney : Je ferais certainement cette recommandation. Il est essentiel d’inclure les personnes qui travaillent sur le terrain, sur la ligne de front. Les travailleurs sociaux fournissent souvent du soutien thérapeutique aux personnes victimes de violence familiale, que ce soit dans un refuge ou dans un milieu de services sociaux. Cet élément est très important.

La présidente : Merci de votre réponse et des études que vous avez mentionnées.

À ma connaissance, le projet de loi ne renferme rien non plus sur la collecte de données. Recommanderiez-vous l’ajout d’un passage sur la collecte de données pour que nous disposions à l’avenir d’une plus grande quantité d’informations telles que des données désagrégées?

Mme Duhaney : Ce serait certainement une autre recommandation que je formulerais. Pour étayer mes propres travaux, j’ai dû utiliser des données provenant des États-Unis, qui sont assez difficiles à consulter. Il m’a fallu faire des comparaisons avec les femmes américaines, alors que nous possédons l’expertise au Canada pour mener cette recherche. La collecte de données qui tient compte du caractère unique des expériences devrait être obligatoire. En ce moment, les données portent surtout sur les femmes blanches et les femmes autochtones. Toutes les femmes racisées sont mises dans le même panier même si leurs expériences respectives sont uniques. Il faut absolument produire des données désagrégées fondées sur la race qui décrivent les expériences uniques des femmes victimes de violence familiale et la façon dont elles répondent à cette violence et dont elles assurent leur propre sécurité à l’intérieur et à l’extérieur de leur communauté.

La présidente : Merci beaucoup.

La sénatrice Cordy : Ma première question s’adresse à Mme Scott. Certains observateurs parlent d’une épidémie. La Commission des pertes massives en Nouvelle-Écosse a employé le même terme pour décrire le phénomène de la violence familiale dans la province et au Canada. Comment obtenir des chiffres qui prouveraient la prévalence de ce crime dans la société? Au fait, avons-nous ces chiffres? Madame Scott, vous avez dit que 79 % des victimes étaient des femmes, et 11 %, des enfants. Vous pourriez peut-être répondre en premier, et Mme Duhaney pourrait vous emboîter le pas.

Mme Scott : Oui. Quand j’ai dit que 79 % étaient des femmes et 11 % des enfants, je parlais des victimes directes d’homicides familiaux. C’est un fait établi que la violence conjugale est un enjeu fondé sur le sexe.

Les travaux réalisés par le gouvernement et Statistique Canada sur la sécurité dans les espaces publics et privés; l’Enquête sociale générale, qui rapporte les nombres de cas de violence conjugale signalés à la police au fil des années, nombres qui augmentent chaque année depuis sept ans; le rapport faisant état des taux d’homicides familiaux et de féminicides — amplement de données montrent que la violence conjugale atteint des proportions épidémiques. La violence conjugale devrait indubitablement être considérée comme un problème majeur au sein de la société canadienne. On pourrait ajouter à cela le pourcentage de temps consacré par le système de justice à la violence conjugale; le temps [difficultés techniques] les services de santé consacrés au traitement des blessures, des problèmes et des séquelles directement ou indirectement causés par la violence conjugale et la violence fondée sur le sexe; sans parler du recours aux services de santé mentale pour soigner les problèmes attribuables à la violence conjugale et à la violence fondée sur le sexe. Oui, les chiffres appuient cet argument.

La sénatrice Cordy : Madame Duhaney, vous avez dit qu’il fallait trouver d’autres solutions en dehors du système de justice. Pouvez-vous nous en dire plus là-dessus? Nous avons reçu d’autres témoins qui ont aussi abordé ce sujet.

Mme Duhaney : Certainement. Il existe d’excellents modèles dans les communautés autochtones. Il faut veiller à ce que les initiatives demeurent dans les communautés et à ce que les communautés se gouvernent elles-mêmes. Il faut absolument envisager des processus de justice réparatrice. Même dans mes travaux portant sur la criminalisation des individus, je constate que des détenus pourraient bénéficier de mesures de justice réparatrice. Les communautés disposent des outils nécessaires pour prendre des mesures de justice réparatrice, mais elles manquent de ressources pour le faire efficacement.

C’est vrai que la criminalisation de la violence conjugale a entraîné une réduction importante du nombre de cas de violence conjugale au fil des années. Toutefois, le problème, c’est que les gens font peut-être moins de déclarations à cause de la criminalisation.

Oui, je suis convaincue que cet élément est nécessaire, mais il faut aussi envisager d’autres approches que celles axées sur le système de justice pénale, qui continuent à causer des torts considérables aux communautés noires, racisées et autochtones.

La sénatrice Burey : Je remercie encore une fois les témoins de mettre leur grande expertise et leurs connaissances issues de la recherche à notre disposition.

J’aimerais parler de la partie du projet de loi qui porte sur les consultations. Elle exige de consulter des représentants de groupes qui fournissent des services aux victimes de violence conjugale ou qui défendent les intérêts de celles-ci. Maintenant, le rôle du Sénat — en ma qualité de nouvelle sénatrice, je suis en train d’apprendre mon rôle — consiste notamment à représenter les populations à risque, les groupes vulnérables, les minorités et les communautés racisées. La disposition devrait-elle être plus explicite? Madame Scott, vous avez parlé des populations à risque — les personnes handicapées, les Autochtones, les Noirs et les membres de la communauté LGBTQ. Ces populations devraient-elles être nommées dans le projet de loi pour assurer leur inclusion dans les consultations? La question s’adresse aux deux témoins.

Mme Scott : Je peux commencer, madame Duhaney.

Pour répondre à la question, je dirais qu’il faut réfléchir à la manière dont le projet de loi sera mis en adéquation avec le plan d’action national et les consultations qui ont déjà été faites. Il faut absolument agir de manière très stratégique et consulter les populations les plus touchées afin que la voix des survivants et des fournisseurs de services de nombreuses populations différentes et diverses du Canada soit entendue et mise en valeur. Une partie de ce travail a déjà été faite dans le cadre du Plan d’action national pour mettre fin à la violence fondée sur le sexe; il faut donc continuer à faire fond sur les recommandations déjà présentées.

Mme Duhaney : Je suis d’accord avec Mme Scott. Il faut trouver des moyens de mettre le projet de loi en adéquation avec le plan d’action national. Toutefois, si les choses ne sont pas consignées par écrit, il est possible que rien ne change et que les gens négligent de poser des questions très importantes, par exemple, qui devrait être consulté et quelles voix devraient être entendues. Quand je regarde les personnes réunies dans n’importe quelle salle, je dois voir une représentation visuelle de la diversité raciale. Les membres des diverses communautés les plus vulnérables doivent être représentés. Ces communautés doivent être représentées. S’il faut les nommer explicitement, qu’on les nomme explicitement, car sinon, la représentation continuera à se limiter aux groupes dominants.

La sénatrice McBean : J’ai écouté les deux groupes de témoins. De l’avis de tous, les déclarations obligatoires sont extrêmement problématiques, mais les témoins du groupe actuel ont aussi affirmé qu’il serait très utile de recueillir des données aux fins d’études. J’aimerais que vous m’aidiez à comprendre ce que vous dites au sujet des études. Comment sait-on qu’il s’agit d’une épidémie? Comment peut-on mener des études et théoriques et pratiques? La Dre Sampsel a déclaré que les questionnaires n’étaient nullement efficaces. Aux urgences, on a le temps de répondre à deux questions plutôt qu’à plusieurs pages de questions.

Je vais m’adresser d’abord à vous, madame Duhaney. Comment voudriez-vous qu’on recueille les données? Comment peut-on remplir le devoir de protéger les gens tout en respectant la vie privée? Comment peut-on obtenir tous les renseignements utiles sans faire peur aux gens et leur faire reconnaître le problème auquel ils font sans doute face?

Mme Duhaney : C’est une très bonne question. J’ai participé récemment à un groupe de discussion avec le gouvernement sur les moyens de recueillir des données désagrégées fondées sur la race. Là aussi, il était question de la manière de collecter ces renseignements.

Aux urgences, je ne sais pas à quel point les gens seraient prêts à fournir ce type de données, surtout puisqu’ils se trouvent déjà dans une situation de vulnérabilité. À mon avis, les données devraient être recueillies dans différents secteurs et par divers intervenants clés, par exemple dans les refuges ou les établissements de soins de santé. Je ne crois pas que les données devraient être recueillies dans un seul secteur.

Par rapport aux mesures prises par le gouvernement et aussi à certaines recommandations que j’ai présentées, je dirais qu’il faut travailler de manière transparente; il faut convoquer les intervenants clés pour leur demander : « Comment peut-on veiller à ce que notre volonté de collecter des données soit respectueuse et ne cause pas plus de tort? » À mes yeux, il ne suffit pas de recueillir les données. Même avant que les données soient recueillies, il faut discuter avec les intervenants et il faut leur demander d’inviter des membres importants de la communauté afin d’orienter la collecte de données, ainsi que d’assurer la transparence. Souvent, les projets manquent de transparence et les gens sont laissés dans l’ignorance. Ils fournissent des renseignements, mais ils ignorent à quoi ils serviront. Comment les renseignements les aideront-ils? Quelles en seront les répercussions? Quant à moi, la transparence est aussi un facteur essentiel.

La sénatrice McBean : Madame Scott, avez-vous quelque chose à dire sur les sources de données et le meilleur moyen de les recueillir?

Mme Scott : Je trouve un peu difficile de répondre à la question parce qu’il faut vraiment savoir ce que vous recherchez. La question est peut-être : les travailleurs de la santé reconnaissent-ils mieux les victimes et les survivants de la violence conjugale et interviennent-ils mieux auprès d’eux? Est‑ce bien cela? Est-ce la question que vous posez par rapport aux données?

La sénatrice McBean : Je suppose que oui. Les travailleurs de la santé ont-ils le droit de déclarer qu’il s’agit de violence conjugale sans l’aval de la personne qui la subit? Oui, je pense que c’est cela.

Mme Scott : Je vais revenir à ce que Mme Duhaney a dit au sujet de la valeur de l’ouverture et de l’examen des données par les communautés. Je pense au travail efficace accompli par des communautés sur les données provenant de la police, des services de soins de santé, des écoles et des refuges. Les membres de la communauté se rassemblent pour se pencher sur des questions telles que : « Comment se porte la protection de la jeunesse? Quelle est la situation dans les refuges? Qu’en est-il des services de police? Où sont les failles? Pourquoi les gens ne sont-ils pas aiguillés vers les services? » Si un établissement de soins de santé n’aiguille pas les gens vers les services, on sait qu’il faut faire plus de travail à cet endroit pour reconnaître les cas de violence conjugale et y réagir. On peut aussi déceler les failles importantes dans la collecte de données ou adopter une optique intersectionnelle pour voir si certaines populations reçoivent une attention particulière ou des services à certains endroits, mais pas à d’autres.

La sénatrice McBean : Merci.

La sénatrice Moodie : Ma question s’adresse à Mme Scott. Jusqu’à maintenant, nous nous sommes concentrés surtout sur les adultes. Or, nous savons, grâce à des études menées auprès d’enfants d’âge scolaire, qu’environ un sur trois des jeunes interrogés ont subi de la violence psychologique, de la cyberviolence ou de la violence physique au cours de la dernière année. D’après vous, le projet de loi tient-il adéquatement compte des expériences des jeunes? Faudrait-il y apporter des amendements afin de mieux soutenir les jeunes victimes de violence conjugale?

Je voudrais aussi savoir si le projet de loi devrait tenir compte des moyens particuliers d’intervenir auprès des jeunes qui ont été exposés à la violence conjugale.

Mme Scott : Permettez-moi de vous remercier chaleureusement de soulever la question des nourrissons, des enfants et des jeunes. Les résultats d’une vaste enquête montrent que l’exposition à la violence conjugale à la maison est l’une des épreuves les plus communes que subissent les enfants au Canada. Nous savons que c’est l’une des raisons principales pour lesquelles les enfants sont aiguillés vers les services de protection de la jeunesse au Canada. Pourtant, il y a un manque flagrant de services axés sur les effets de l’exposition à la violence conjugale sur les enfants. C’est sans parler des autres formes de violence fondée sur le sexe que vous venez de mentionner, comme l’exposition en ligne, les relations entre pairs et les relations à l’école.

Le projet de loi répond-il adéquatement aux besoins des nourrissons, des enfants et des jeunes qui sont exposés à la violence conjugale? Non, il ne tient pas compte de leurs expériences. Il faudrait les nommer. Il faudrait les inclure dans le plan. Tout plan d’action national visant à mettre fin à la violence fondée sur le sexe devrait être axé sur les mesures à prendre pour reconnaître les expériences vécues par les nourrissons, les enfants et les jeunes et pour les soutenir.

La sénatrice Moodie : Merci.

La sénatrice Osler : Je remercie les deux témoins de leur présence.

Ma question s’adresse à Mme Scott. Dans votre mémoire, vous dites que de nombreux agresseurs ont recours au système des tribunaux de la famille pour harceler et surveiller continuellement leur partenaire après la séparation. Quel effet la stratégie proposée dans le projet de loi S-249 pourrait-elle avoir sur de telles situations?

Mme Scott : Quand vous dites la stratégie proposée, parlez‑vous de l’aiguillage vers l’aide juridique? Vous avez raison de souligner que l’accès des victimes aux tribunaux de la famille suscite des préoccupations importantes. J’applaudis les modifications apportées à la Loi sur le divorce qui reconnaissent les effets de l’exposition à la violence et qui nomment le contrôle coercitif comme un facteur à prendre en considération. Ces modifications législatives sont positives; pourtant, à l’heure actuelle, environ la moitié des survivantes ou des femmes victimes de violence conjugale doivent se représenter elles-mêmes devant les tribunaux de la famille. Il y a un manque d’accès aux évaluations des répercussions de la violence conjugale sur les enfants, par exemple, ainsi que des facteurs devant être pris en compte dans l’élaboration des arrangements et des plans parentaux. Le manque de ressources et de représentation en justice renforce la capacité de l’agresseur de se servir du tribunal de la famille contre la victime.

La sénatrice Osler : Madame Scott, voulez-vous dire que dans les faits, la stratégie pourrait avoir des répercussions négatives en ce qui concerne le harcèlement et la surveillance?

Mme Scott : La stratégie relative à l’aiguillage des victimes vers l’aide juridique? Je ne sais pas si cette stratégie aura des répercussions négatives sur les victimes. Cependant, il y a un manque de services d’aide juridique vers lesquels les aiguiller.

La sénatrice Osler : Merci.

La présidente : Madame Scott, j’ai une question complémentaire à ce sujet. De toute évidence, les victimes doivent avoir accès à de l’aide juridique. C’est aussi évident que dans certaines régions, voire partout au pays, les services d’aide juridique sont inaccessibles ou inexistants. Quelles modifications apporteriez-vous à cette disposition? Serait-il préférable de la supprimer vu qu’elle est illusoire? Que nous conseillez-vous de faire?

Mme Scott : Je vais répéter ce que des témoins précédents ont dit : il faut mettre les victimes de violence conjugale en contact avec les fournisseurs de services spécialisés en violence fondée sur le sexe. Il ne s’agit pas d’un service unique ou d’un secteur unique. Je parle des personnes qui travaillent dans le milieu et qui peuvent aider les victimes à s’y retrouver dans les divers systèmes complexes avec lesquels elles doivent faire affaire. Cela comprend les services juridiques, la police, la protection de la jeunesse, les services sociaux et les soins de santé. Les refuges jouent souvent ce rôle de guide entre les différents services, mais ils ont besoin d’un meilleur soutien. Il faut investir plus de ressources dans la collaboration communautaire. On entend sans cesse parler de l’importance de la coordination et de la collaboration à l’échelle communautaire.

Je ne sais pas ce que je ferais de cette disposition si j’étais vous. Bien entendu, je suis aussi d’avis que les gens doivent avoir accès à l’aide juridique. L’organisme Luke’s Place fait de l’excellent travail pour aider les défenseurs à soutenir les victimes et pour faire la liaison entre les différents systèmes. C’est une très bonne initiative, mais là aussi, les ressources sont insuffisantes.

La présidente : Je remercie les deux témoins d’avoir été des nôtres aujourd’hui. La discussion a été fascinante et extrêmement utile.

Chères collègues, notre temps est écoulé.

(La séance est levée.)

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