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TRCM - Comité permanent

Transports et communications


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES TRANSPORTS ET DES COMMUNICATIONS

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 27 avril 2022

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd’hui, à 18 h 30 (HE), avec vidéoconférence, pour l’étude sur l’incidence des changements climatiques sur les infrastructures essentielles dans les secteurs des transports et des communications et les répercussions corrélatives sur leurs interdépendances.

La sénatrice Julie Miville-Dechêne (vice-présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La vice-présidente : Je suis Julie Miville-Dechêne, sénatrice du Québec et vice-présidente de ce comité.

[Traduction]

Permettez-moi de vous présenter les membres du comité qui participent à la réunion : le sénateur Cormier, du Nouveau-Brunswick; la sénatrice Busson, de la Colombie-Britannique; le sénateur Dawson, du Québec; le sénateur Klyne, de la Saskatchewan; le sénateur Manning, de Terre-Neuve-et-Labrador; le sénateur Forest, du Québec; le sénateur Quinn, du Nouveau-Brunswick, la sénatrice Simons, de l’Alberta et la sénatrice Sorensen, de l’Alberta.

[Français]

Nous nous réunissons pour continuer notre étude sur l’incidence des changements climatiques sur les infrastructures essentielles dans le secteur des transports et des communications et les répercussions corrélatives sur leurs interdépendances.

[Traduction]

Pour notre premier groupe de témoins ce soir, nous avons le plaisir d’accueillir Matt Gemmel, directeur, Politiques et recherches, de la Fédération canadienne des municipalités. Nous débutons la séance par l’allocution préliminaire de M. Gemmel et nous passerons ensuite aux questions des sénateurs. Monsieur, vous avez 10 minutes à votre disposition.

Matt Gemmel, directeur, Politiques et recherches, Fédération canadienne des municipalités : Honorables sénateurs, mesdames et messieurs, bonsoir. Je suis ravi d’être parmi vous.

Permettez-moi d’abord de vous dire que je me joins à vous du siège social de la FCM à Ottawa. Je tiens également à souligner que nos bureaux sont situés sur les terres non cédées des Algonquins Anishinaabes.

Je suis heureux de m’adresser à vous au nom de notre présidente, la mairesse Joanne Vanderheyden, et de la cheffe de la direction de la fédération, Carole Saab, qui n’ont pas pu être présentes ce soir. Je m’adresse également à vous au nom des 2 000 municipalités membres de la Fédération canadienne des municipalités, qui représentent un peu plus de 90 % de la population canadienne.

Je vais d’abord prononcer mon allocution préliminaire, mais je suis impatient de répondre à vos questions qui nous permettront, j’en suis certain, d’approfondir ces sujets. J’ai hâte d’entendre vos questions.

Malgré tout ce qui se passe actuellement dans le monde, la crise climatique demeure le principal défi de notre époque. Ce l’est certainement pour les municipalités du Canada. La FCM se réjouit de l’engagement de votre comité à mieux comprendre l’incidence des changements climatiques sur les infrastructures essentielles en général, et sur les secteurs des transports et des communications en particulier.

Comme les sénateurs le savent, le renforcement de notre résilience aux changements climatiques n’est pas un luxe facultatif, mais une urgente nécessité. Nulle part ailleurs cette urgence n’est plus évidente que dans nos villes et nos villages.

[Français]

Les municipalités sont des gouvernements de proximité. Elles connaissent les effets dévastateurs de la crise climatique, parce qu’elles sont en première ligne et qu’elles doivent composer avec ses répercussions au quotidien. Mesdames et messieurs les sénateurs, vous vous souviendrez sans doute de l’incendie qui a détruit la majorité du village de Lytton, en Colombie-Britannique, l’été dernier.

[Traduction]

Bien que Lytton soit peut-être l’exemple récent le plus frappant, n’oublions pas qu’au cours de la dernière année, de nombreux centres locaux d’opérations d’urgence de la Colombie-Britannique sont restés ouverts plus de 200 jours en raison d’une combinaison de facteurs comme la chaleur extrême, les feux de forêt, les inondations et les glissements de terrain qui ont ravagé des rues, des routes et plusieurs corridors ferroviaires reliant les ports du Pacifique au reste du Canada. Comme vous le savez, toutes les régions du pays ont connu des défis semblables au cours des récentes années. Pensons aux inondations à Ottawa-Gatineau et à Montréal, aux tempêtes et aux ouragans qui ont frappé la région atlantique et à la fonte du pergélisol qui menace les routes et les pistes d’atterrissage du Nord canadien. La liste est interminable.

Les Canadiens subissent déjà les contrecoups de la crise climatique et s’attendent à ce que leurs gouvernements travaillent ensemble à la recherche de solutions. À cet égard, je tiens à souligner l’étroite collaboration qu’ont entretenue la FCM et le groupe de travail municipal-sénatorial, dirigé par la sénatrice Paula Simons. Je constate la présence aujourd’hui de plusieurs anciens élus municipaux, ce qui est extraordinaire. Il est clair que le Sénat comprend le rôle essentiel joué par l’ordre de gouvernement municipal et nous sommes impatients de poursuivre notre travail au sein du groupe de travail afin d’explorer de nouveaux mécanismes améliorés de coopération intergouvernementale.

En plus d’être les premières à subir les répercussions des changements climatiques, les municipalités sont aussi à l’avant-garde pour la recherche de solutions pratiques et rentables d’atténuation des risques climatiques. Les administrations municipales prennent les devants pour évaluer les risques climatiques locaux et régionaux et y répondre en conséquence. Je vais vous donner quelques exemples.

La petite ville de Kenora, dans le Nord-Ouest de l’Ontario, vient de terminer une étude sur la résilience et l’adaptation aux changements climatiques et de se doter d’un cadre d’évaluation des risques liés aux changements climatiques qui éclairera les futures décisions relatives à l’emplacement, la construction et l’entretien des infrastructures. La ville d’Edmonton a opté pour une approche panmunicipale d’adaptation aux changements climatiques dans le cadre de sa stratégie de résilience et d’adaptation. La ville de Montréal est en train d’aménager sa première place publique de stockage d’eau, qui a reçu une grande attention de la part du public. Ce projet réduira les risques d’inondation en ralentissant le ruissellement de l’eau, tout en offrant un espace public apprécié.

Les municipalités mettent en œuvre des plans, des politiques et des projets favorisant la création de collectivités résilientes à la grandeur du Canada, et elles ont bien raison. Comme vous le savez, dans son rapport de 2019 portant sur les principaux risques climatiques du Canada, le Conseil des académies canadiennes classe les infrastructures physiques en tête de la liste des 12 domaines prioritaires pour le Canada. En tant que propriétaires de 60 % des infrastructures publiques du Canada, les municipalités sont directement concernées par l’évaluation et l’atténuation des risques qui menacent nos infrastructures publiques.

Ce qui est clair, c’est que pour réagir efficacement à ces risques, les différents ordres de gouvernement doivent mieux coordonner leurs efforts et renforcer leur collaboration. C’est pourquoi la FCM se réjouit du leadership exercé par le gouvernement fédéral en matière d’adaptation, grâce à sa Stratégie nationale d’adaptation. Nous savons pertinemment que l’élaboration et la mise en œuvre de cette stratégie sont un exercice complexe et difficile parce que les solutions adaptées à chacune des collectivités devront tenir compte de facteurs régionaux et locaux propres à chaque région. C’est justement là que la FCM et ses membres peuvent jouer un rôle important et essentiel pour réduire les risques qui menacent les infrastructures essentielles au Canada. Nous avons été ravis de contribuer directement à l’élaboration de la Stratégie nationale d’adaptation par l’entremise de différentes tables de travail, et en tant que membre de la coalition Un Canada résistant au climat. Nous espérons poursuivre ce partenariat avec le gouvernement fédéral et le Parlement au cours des années à venir. Dans cet esprit et compte tenu du temps qui m’est imparti aujourd’hui, je vais donc mettre l’accent sur quatre recommandations que la FCM propose pour la Stratégie nationale d’adaptation.

Premièrement, les collectivités ont besoin de données fiables leur permettant de construire des infrastructures essentielles et de protéger les communautés. Nous devons continuer à investir dans les données climatiques et les évaluations des vulnérabilités et des risques climatiques locaux et régionaux. Cela signifie que nous devons financer la mise à jour de la modélisation climatique et de la cartographie des risques, en plus de financer la conduite d’évaluations locales des risques qui tiennent compte des critères d’équité et du savoir autochtone. La FCM espère que la Stratégie nationale d’adaptation prévoira une structure de coordination pour évaluer les risques régionaux et locaux de manière systémique à travers le pays, de même que de nouveaux investissements dans l’évaluation des risques locaux et régionaux, tout en fournissant aux dirigeants locaux l’information dont ils ont besoin pour protéger les Canadiens.

Deuxièmement, nous recommandons l’intégration des risques dans le processus décisionnel du secteur public. La FCM a constaté que l’une des pistes les plus prometteuses d’adaptation climatique à l’échelle locale, c’est lorsque les municipalités intègrent les enjeux climatiques à leurs processus de planification, de conception, de budgétisation et d’acquisition des infrastructures. Il ne s’agit pas d’une stratégie climatique isolée relevant de la responsabilité d’une seule personne ou d’un seul groupe de personnes au sein d’une municipalité, mais d’une stratégie directement intégrée aux processus opérationnels de l’ensemble des services, s’il s’agit d’une grande municipalité, ou de l’ensemble du personnel, s’il s’agit d’une petite.

La FCM offre actuellement le populaire Programme de gestion des actifs municipaux, financé par Infrastructure Canada, qui aide les municipalités à intégrer les risques climatiques à leur planification de la gestion de leurs actifs. Nous avons élaboré une proposition détaillée visant à améliorer et à étendre ce programme afin d’aider les municipalités, toutes tailles confondues, à intégrer les changements climatiques dans leur planification de la gestion de leurs actifs.

La troisième recommandation concerne la nécessité de renforcer les infrastructures naturelles et d’investir dans des solutions axées sur la nature. En aidant les municipalités et d’autres organisations locales à acquérir des forêts, des terres humides ou des espaces verts pour aménager de nouveaux parcs et agrandir les zones protégées, nous pouvons améliorer les mesures locales de conservation de la nature, tout en élargissant l’accès à la nature et en nous protégeant contre divers aléas climatiques.

Je tiens à souligner que les 780 millions de dollars annoncés dans le récent budget fédéral constituent un autre pas important dans cette direction. C’est un signal clair que le gouvernement fédéral reconnaît le rôle que peuvent jouer les infrastructures naturelles.

La quatrième et dernière recommandation porte sur l’urgence d’accroître les investissements dans les infrastructures publiques. Comme je l’ai dit, les municipalités travaillent fort pour bâtir des collectivités plus résilientes et l’un des principaux outils de financement à leur disposition est le Fonds d’atténuation et d’adaptation en matière de catastrophes, ou FAAC, mis en œuvre par Infrastructure Canada. Ce nouveau programme est en place depuis quelques années, mais la demande est trop forte. Le gouvernement s’est engagé à y investir des fonds supplémentaires, pas dans le plus récent budget, mais plutôt celui de 2021, mais il en faudrait beaucoup plus pour protéger les Canadiens contre les changements climatiques. C’est pourquoi la FCM demande au gouvernement fédéral d’élargir rapidement ce programme et de s’engager à fournir un financement à long terme, par le biais de ce programme ou d’un autre, afin que les municipalités, les provinces et le secteur privé puissent compter sur des fonds fédéraux prévisibles pour faire leur planification. Nous croyons que la Stratégie nationale d’adaptation offre un potentiel extraordinaire pour déterminer les besoins financiers à long terme et pour intégrer un plan d’investissement à cette stratégie.

Je constate que l’adaptation aux changements climatiques n’est qu’un volet de votre étude et que vous vous penchez également, à juste titre, sur les moyens de réduire les émissions de gaz à effet de serre dans les secteurs des transports et des communications. Je vous exposerai volontiers le point de vue de la FCM à ce sujet en réponse à vos questions.

Je vais terminer par une dernière réflexion. Pour aider les collectivités à demeurer résilientes face aux catastrophes climatiques, il faudra que tous les ordres de gouvernement travaillent en étroite collaboration. La FCM et les municipalités de tout le pays sont extrêmement fières des solides partenariats qu’elles entretiennent de longue date avec le gouvernement fédéral et qui contribuent directement à l’amélioration de la qualité de vie de millions de Canadiens. Le Fonds municipal vert est un exemple et il produit des résultats depuis sa création par le gouvernement fédéral, il y a 20 ans. Grâce à ce partenariat, les municipalités ont mis en œuvre plus de 1 300 projets de développement durable à l’échelle locale, ce qui a permis d’assainir l’eau potable, de multiplier les systèmes de recyclage, d’offrir un plus grand choix de modes de transport écologique actif et de renforcer la résilience des collectivités.

La vice-présidente : Monsieur Gemmel, je dois vous demander de conclure. Vous avez dépassé un peu les 10 minutes à votre disposition, et nous avons beaucoup de questions à vous poser.

M. Gemmel : Je suis heureux de conclure en soulignant que le Fonds municipal vert est exactement le genre de partenariat dont nous pourrions nous inspirer et que nous pourrions reproduire.

Merci encore d’avoir invité la Fédération canadienne des municipalités à contribuer à votre étude et j’attends vos questions avec intérêt.

La vice-présidente : Je vous remercie, monsieur Gemmel. Comme je viens de le dire, nous passons maintenant aux questions.

[Français]

Le sénateur Dawson : Je suis un peu jaloux, parce qu’il y a beaucoup de monde au comité qui a eu une carrière municipale beaucoup plus importante que la mienne; je n’en ai pas eu.

Monsieur Gemmel, il y a une chose claire, et ce, particulièrement au Québec : les municipalités sont des créatures des provinces. Si on établit des cibles de financement pour répondre à vos quatre priorités, comment peut-on collaborer avec vous, ou comment peut-on s’assurer que l’argent se rendra là où le gouvernement fédéral veut l’investir? Je rends pour exemple le Québec, car cela fait longtemps que je vois des conflits dans les relations entre les municipalités, et chaque fois le Québec nous fait la remarque suivante : « Ce sont des créatures de la province et vous devez passer par nous. »

Je vous demande cela parce que vous avez étudié cette question à la fédération et parce que nous allons faire des recommandations sur le soutien à l’infrastructure canadienne pour soutenir les changements climatiques : pouvez-vous nous dire de quelle façon on peut contourner l’obstacle des provinces?

[Traduction]

M. Gemmel : Je vous remercie, sénateur Dawson.

Il s’agit certes là d’une question que nous posent nos membres du Québec qui veulent savoir comment les fonds fédéraux arriveront jusqu’à eux, soit directement, soit par le biais de la province.

Nous avons des modèles qui semblent plutôt efficaces pour distribuer aux municipalités du Québec les fonds fédéraux destinés aux infrastructures. Un exemple est ce qui a longtemps été appelé le Fonds de la taxe sur l’essence, devenu aujourd’hui le Fonds pour le développement des collectivités du Canada. Comme vous le savez probablement, l’argent est transféré par le biais d’une société du Québec, la Société de financement des infrastructures locales ou SOFIL. De toute évidence, ce modèle semble répondre assez bien aux priorités municipales. L’argent est réparti entre les municipalités au prorata de leur population. C’est un modèle qui semble fonctionner et qui pourrait être reproduit dans d’autres domaines.

Dans le cadre d’autres programmes fédéraux de financement des infrastructures, par exemple, le plan d’infrastructure Investir au Canada, l’argent est transféré à la province qui le distribue. Ce système s’applique à toutes les provinces, pas seulement au Québec. Nous avons constaté qu’il a fallu attendre quelques années avant que ces fonds arrivent à destination.

La fédération est d’avis que nous devons nous tourner davantage vers des modèles comme le Fonds de la taxe sur l’essence ou le Fonds pour le développement des collectivités du Canada parce qu’il a été démontré que l’argent est distribué plus rapidement et directement. Il est clair que nous devons éviter de perdre du temps en disputes de compétences au sujet du financement. Les besoins sont énormes. Selon nos estimations, nous avons besoin d’investir au moins 5 milliards de dollars par année dans les infrastructures municipales pour lutter contre les changements climatiques et nous savons que nous devons agir dès maintenant. Collectivement, tous les paliers de gouvernement doivent éviter à tout prix que les désaccords au sujet des compétences nous empêchent de diriger les fonds là où ils sont nécessaires pour profiter aux Canadiens et les protéger.

Le sénateur Dawson : Comme vous allez certainement suivre nos débats, je vous demanderais, si cela est possible, de nous faire des recommandations tout au long de notre étude sur la manière d’aborder cet enjeu. Nous devrons prendre une décision, parce que le temps sera un facteur clé dans la lutte contre les changements climatiques. Ceci n’est pas vraiment une question, mais un commentaire : nous vous prions de suivre nos travaux et de nous faire des recommandations afin que nous puissions prendre des décisions plus rapidement.

La sénatrice Simons : Merci beaucoup, monsieur Gemmel.

Comme nous sommes le Comité des transports et des communications et que notre étude porte surtout sur les transports, j’aimerais que vous nous parliez du recoupement entre les infrastructures de transport et les infrastructures municipales. En plus des milliers de kilomètres de routes municipales, les villes sont des carrefours de réseaux de transport et sont traversées par des trains de marchandises et des trains de passagers qui vont vers les ports et ces réseaux font partie de l’infrastructure municipale. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur la nature des liens entre les municipalités et la nécessité de faire en sorte que ces infrastructures importantes, qui ne relèvent pas directement de vous, mais qui ont un impact direct sur la vie et la sécurité de vos résidants, soient correctement entretenues et suffisamment résilientes?

M. Gemmel : C’est une excellente question, je vous en remercie, sénatrice Simons.

Concernant le rôle des municipalités, il est important de ne pas oublier que diverses municipalités de toutes les tailles, en particulier les grandes villes des régions métropolitaines, ont commencé et continuent à évaluer leur vulnérabilité aux changements climatiques et à faire des études sur les dangers qui planent sur leur région respective. Ces évaluations ne portent pas seulement sur les infrastructures municipales. Il incombe aux municipalités de planifier la gestion de leurs actifs, mais les évaluations des vulnérabilités et des risques portent sur la collectivité dans son ensemble et sur les risques posés aux infrastructures essentielles, qu’elles soient privées ou publiques, ainsi que sur les risques pour les différents quartiers, les entreprises et ce, au moyen des meilleures données climatiques disponibles. Je signale d’ailleurs que le gouvernement fédéral a pris des mesures très importantes ces récentes années pour améliorer la qualité des données climatiques utilisées pour ces études. Ces évaluations locales et régionales constituent le meilleur plan d’action pour déterminer où sont les priorités et où investir. Il est important de déterminer ces priorités parce que les fonds sont limités et que nous ne pouvons pas agir partout en même temps.

Je vais vous donner un exemple. Vous alliez aborder le sujet en parlant de l’interconnexion. Même si les municipalités ne sont pas propriétaires de l’infrastructure ferroviaire ou portuaire, des mesures doivent toutefois être prises collectivement pour protéger cette infrastructure, éventuellement en investissant dans leur renouvellement. Il peut s’agir d’une nouvelle digue pour empêcher les inondations ou d’un nouveau dispositif d’atténuation des catastrophes. Les municipalités sont également directement responsables ou propriétaires de leurs propres infrastructures de contrôle des niveaux d’eau. Même s’il n’est pas question de nouveaux investissements, elles sont responsables de l’entretien et du remplacement de ces infrastructures pour s’assurer qu’elles pourront résister aux catastrophes, ou encore de leur modernisation en fonction des nouvelles réalités. Les municipalités possèdent et exploitent directement des infrastructures qui ont une incidence sur le reste du transport. Je pense qu’il est important de le souligner également.

La sénatrice Simons : Merci beaucoup.

Le président : C’est maintenant au tour d’une ex-mairesse, la sénatrice Sorensen.

La sénatrice Sorensen : Merci de votre présence. Compte tenu de mon expérience passée, je suis une grande admiratrice de la Fédération canadienne des municipalités, ou FCM. J’apprécie beaucoup tout le travail que cette organisation accomplit pour l’ensemble des municipalités du Canada. Ma propre municipalité en a grandement bénéficié au fil des ans sur le plan des infrastructures et, comme de nombreuses autres villes, j’en suis certaine, elle a obtenu un soutien pour la gestion de ses actifs. C’est un élément tellement important du travail des municipalités actuellement, si elles veulent avoir une pleine compréhension de leur infrastructure.

La sénatrice Simons a soulevé un excellent point. Nous sommes le Comité des transports et des communications, et c’est probablement sur ces thèmes que nous devrions nous concentrer, mais je vais m’en écarter un peu. Les quatre priorités que vous avez énoncées pour la FCM, le gouvernement fédéral et les municipalités ont retenu mon attention, en particulier la troisième, soit le renforcement de l’infrastructure naturelle. C’est une excellente idée et c’est la première fois que j’entends parler de cela.

Je suis curieuse de savoir si, dans le cadre de l’un ou l’autre des modèles de financement, il est reconnu que le coût lié à l’exploitation et à l’entretien de cette infrastructure naturelle est très élevé. Je vais vous donner un exemple. Il y a plusieurs années, nous avons présenté une demande de financement à la province pour notre forêt urbaine, que nous considérions comme un actif. Mais comme ce n’était pas une infrastructure de briques et de mortier, elle n’a pas été jugée admissible à une subvention. Depuis ce temps, y a-t-il eu des progrès à cet égard? Existe-t-il des modèles de financement de l’infrastructure naturelle? A-t-on réfléchi au coût d’exploitation? Il est extrêmement difficile de maintenir une forêt urbaine en bon état, et, étant donné que j'habite dans un parc national, il est probablement moins difficile ici que dans bien d’autres endroits. Je vous laisse là-dessus.

M. Gemmel : Merci beaucoup, sénatrice Sorensen ou ex-mairesse Sorensen, pour cette excellente question. C’est une bonne chose que d’anciens édiles participent à cette étude parce que, de toute évidence, ils sont bien conscients des détails.

L’admissibilité des actifs naturels au financement fédéral ou leur traitement comme actifs matériels fixes ont fait couler beaucoup d’encre dans le passé. Nous constatons des progrès dans ce dossier. Le gouvernement fédéral, et c’est tout à son honneur, finance désormais l’infrastructure naturelle comme il n’avait pas l’habitude de le faire, et c’est fantastique. Il reste encore quelques limites. Nous faisons notre apprentissage ensemble, à cet égard. Des collègues étrangers engagés dans l’élaboration de politiques municipales de lutte contre les changements climatiques me disent que le Canada est considéré comme un chef de file mondial dans ce domaine. Cela fait plaisir à entendre. Nous sommes un peu en avance, mais nous continuons à apprendre.

Il y a trois choses que nous sommes encore en train de déterminer. La première est le coût d’exploitation dont vous avez parlé. Le gouvernement fédéral ne finance pas ces dépenses pour le moment. Des études intéressantes ont été menées récemment sur l’investissement direct dans les actifs naturels. Un exemple consisterait à protéger et à préserver les terres humides, peut-être de les améliorer, ce qui permettrait de stocker plus d’eau et de réduire le ruissellement lors de futurs événements de pluies abondantes. Cet investissement en amont pourrait coûter moins cher qu’un investissement dans la modernisation de toutes nos conduites ou d’autres éléments structurels. Nous devons toutefois gérer ces terres humides comme un élément actif de notre infrastructure. Les coûts liés à la formation, à l’acquisition de compétences et au recrutement des employés chargés d’exécuter ce travail seraient considérés comme des dépenses courantes qui seraient assumées directement par les municipalités.

Un autre obstacle est le coût d’acquisition des terres. Les municipalités pourraient sans doute obtenir des fonds pour la plantation d’arbres, par exemple, mais le coût d’achat d’une terre qu’elles protégeraient à perpétuité n’est pas admissible en vertu de l’ensemble des programmes fédéraux. Ce coût est toutefois admissible dans le cadre de certains nouveaux programmes, ce qui est fantastique.

Le troisième point concerne les règles comptables. Le Conseil sur la comptabilité dans le secteur public prend des mesures importantes, que la FCM appuie, pour orienter l’industrie comptable sur la prise en compte des actifs naturels. Si vous n’avez pas accès à ces conseils, il vous sera difficile d’inclure ces dépenses dans le budget, de faire des investissements et de déterminer leur rendement. C’est là un autre changement important.

La sénatrice Sorensen : Merci beaucoup. Je n’ai pas d’autres questions.

[Français]

Le sénateur Cormier : Je comprends qu’il y a des enjeux d’investissement, des enjeux liés aux données et des enjeux liés aux compétences des municipalités d’être en mesure de s’adapter aux changements climatiques. Je m’intéresse particulièrement aux petites régions rurales et aux petites municipalités. La mienne, par exemple, celle où je vis est plus ou moins responsable du port local. Je sais que la fédération offre des formations et des ressources pour aider à bâtir une meilleure résilience. Ma question est la suivante : pouvez-vous nous indiquer si les municipalités, et particulièrement celles qui se trouvent dans les petites régions, ont des données climatiques fiables sur lesquelles elles peuvent s’appuyer? Est-ce qu’elles ont les compétences requises pour s’attaquer aux changements climatiques? On a un besoin d’efficacité dans ce domaine actuellement. Quel est le rôle de votre fédération? Travaillez-vous avec les associations, par exemple l’Association francophone des municipalités du Nouveau-Brunswick? Comment vous assurez-vous que les formations que vous donnez sont efficaces et rejoignent ces petites municipalités? Comment le gouvernement fédéral contribue-t-il à cette séquence qui est importante afin de s’assurer que les municipalités sont bien équipées?

M. Gemmel : Merci beaucoup pour la question, sénateur Cormier.

[Traduction]

Même si vous n’avez jamais été maire, je suis très heureux de répondre à cette excellente question.

J’ai dit que la FCM comptait 2 000 municipalités membres. Nous représentons les municipalités de toutes les tailles, de l’ensemble des provinces, territoires et régions. Nous travaillons directement avec les petites municipalités rurales dans le cadre de nos programmes.

Pour répondre à votre question au sujet des données, je dirais que la situation s’améliore. Comme je l’ai dit, le gouvernement fédéral a pris des mesures pour fournir un plus gros volume de données. Je pense à l’excellent Centre canadien des services climatiques, mis en place sous l’égide d’Environnement et Changement climatique Canada. Sa mission est de rendre les données climatiques plus accessibles, plus faciles à comprendre, en utilisant des données cartographiques. Ainsi, si vous êtes responsable de la gestion des routes dans une petite municipalité, vous n’avez pas besoin d’avoir un diplôme en météorologie pour comprendre les données. Je pense que c’est un travail évolutif, mais je constate une grande amélioration quant au volume de données maintenant disponibles.

Une grande partie du travail consiste à former et à informer les élus municipaux pour qu’ils sachent comment utiliser les données et comment elles peuvent éclairer leurs décisions relativement à la taille des ponceaux, en fait toutes les décisions qu’ils doivent prendre. C’est ce que nous faisons dans le cadre de certains de nos programmes. J’ai déjà parlé de notre Programme de gestion des actifs municipaux. Nous avons un autre programme qui doit bientôt prendre fin et qui était financé par le gouvernement, le programme Municipalités pour l’innovation climatique. Ces deux programmes ont fourni aux municipalités des ressources et des ateliers de formation et d’apprentissage.

Comme de nombreuses petites municipalités ne comptent qu’un petit nombre d’employés, il est important de travailler et d’offrir une formation à l’échelle régionale. En collaboration avec des partenaires régionaux, nous offrons une formation à l’échelle régionale — parfois provinciale, dans les petites provinces — pour former les bonnes personnes et bâtir une expertise dans la région. Il n’est pas réaliste de s’attendre à ce qu’une petite municipalité d’à peine une centaine d’habitants et comptant un seul employé devienne experte en matière de répercussions climatiques. Elle doit pouvoir tirer profit des ressources régionales.

Le sénateur Cormier : Je vous remercie.

[Français]

Le sénateur Forest : Vous comprendrez que c’est un sujet qui me préoccupe tout particulièrement. Quand on parle de changements climatiques et d’événements climatiques, les municipalités sont toujours les premiers répondants. C’est toujours aux conseils municipaux de s’occuper des érosions ou des inondations. De plus, les municipalités ont la propriété de 60 % de toutes les infrastructures publiques au Canada.

Au Québec, les municipalités et le gouvernement fédéral ont un lien légitime et nulle part les municipalités ne sont reconnues dans la Confédération.

D’une part, monsieur Gemmel, il y a des programmes très intéressants et ils se seraient améliorés. Avant, on prenait un programme, comme celui de l’infrastructure ou le Fonds vert, et on déterminait les grandes balises de ce programme de façon passablement autoritaire et sans vraiment consulter les municipalités. Cela a-t-il changé? Pourtant, les municipalités paient une grande partie des coûts lorsqu’elles participent à ces programmes.

Ma deuxième question est la suivante. Quand on regarde les programmes — vous avez donné l’exemple du Fonds vert —, il s’agit de programmes ponctuels. L’une des initiatives les plus intéressantes est celle de l’ancienne taxe d’accise sur l’essence. D’ailleurs, pour faire plaisir à notre collègue le sénateur Dawson, ce programme avait été lancé par Paul Martin et permettait d’assurer une prévisibilité importante pour les municipalités. Comme il y avait un financement au prorata, les municipalités étaient capables de budgétiser les coûts, mais il y avait des contraintes et le gouvernement souhaitait qu’on intervienne.

Mon dernier point concerne les infrastructures. Soixante-dix pour cent des revenus des municipalités reposent sur la taxe foncière, donc les biens immobiliers. Comme citoyens, quand on a une propriété foncière, on paie 100 % de la valeur foncière de la taxe, ce qui n’est pas le cas des gouvernements.

Dans un premier temps, les gouvernements devraient assumer leur responsabilité de citoyen corporatif et assumer pleinement leurs taxes. Deuxièmement, dans les plus petites municipalités, le gouvernement fédéral laisse, par exemple, les petits ports de pêche se dégrader et il ne les entretient généralement pas. Il ne s’en est pas préoccupé. Cela pose des problèmes aux municipalités sur le plan de l’érosion ou lorsqu’il y a des tempêtes. Il y a deux responsabilités que le gouvernement fédéral devrait assumer : d’abord, payer pleinement la valeur de ces immobilisations foncières et ensuite, entretenir les immobilisations en question. Ça en fait beaucoup, mais c’est parce que le temps de parole est limité. Je suis désolé.

La vice-présidente : Sénateur Forest, vous avez tout dit. Monsieur Gemmel, si vous voulez répondre à la question, allez-vous faire la leçon au gouvernement fédéral?

[Traduction]

M. Gemmel : Je vais faire mon possible. Sénateur Forest, je vous remercie non seulement à titre d’ancien maire, mais à titre d’ancien président d’une association municipale. J’espère bien visiter les Jardins de Métis cet été, dans la région de Rimouski. Je le souhaite vraiment.

Pour répondre à votre première question concernant le rôle et la participation des municipalités dans la conception du programme fédéral sur les infrastructures, cela préoccupe vivement la FCM et je vous avoue clairement que nous devons améliorer notre façon de faire. C’est un sujet que nous pourrions aborder avec le groupe de travail municipal. Nous avons des programmes, comme Investir dans le Canada ainsi que le Fonds vert que nous avez mentionné. Cela représente près de 30 milliards de dollars sur 10 ans, c’est donc un programme d’envergure. Plus de la moitié de l’argent sera versé aux municipalités, en fonction de notre part des actifs d’infrastructure. Quant aux modalités et aux conditions, elles sont en grande partie établies par les provinces, les territoires et le gouvernement fédéral dans le cadre d’ententes FPT.

La FCM a une très bonne relation de travail avec le gouvernement fédéral et Infrastructure Canada, mais cette structure de gouvernance de base ne correspond pas à la réalité des municipalités qui sont propriétaires des infrastructures, qui en assument la gestion et qui contribuent au tiers de leur financement. Nous avons des recommandations à faire pour améliorer cela et nous aurons des possibilités de le faire dès l’an prochain. Parallèlement au Fonds de la taxe sur l’essence, que vous avez également mentionné, sénateur Forest, les ententes sur 10 ans arrivent à expiration et le gouvernement fédéral et les provinces vont les renégocier cette année. Les associations municipales de deux provinces — la Colombie-Britannique et l’Ontario — sont signataires de ces ententes et participent aux discussions, mais le point de départ est surtout l’entente fédérale-provinciale-territoriale classique. Nous croyons vraiment qu’il est possible de développer ce modèle et d’explorer de nouvelles formes de gouvernance.

Concernant les infrastructures fédérales, même si les municipalités possèdent près de 60 % des infrastructures publiques, le gouvernement est propriétaire de nombreux biens immobiliers et éléments d’infrastructure, comme vous l’avez fait remarquer, à la grandeur du pays. Je sais que le gouvernement fédéral se penche sur les risques climatiques qui menacent les infrastructures de défense, les ports et les aéroports, par exemple. Vous avez tout à fait raison de dire qu’il a la responsabilité d’investir dans la mise à niveau de ces éléments d’infrastructure essentiels afin de les rendre plus résilients aux changements climatiques.

La question de la taxe est un peu plus complexe. Il y a plusieurs décennies, la FCM a participé à l’élaboration du programme des paiements versés en remplacement d’impôts, ou PERI, et nous avons de nouvelles recommandations à faire au gouvernement fédéral, ne serait-ce que pour accroître la transparence du processus décisionnel relatif à la valeur des biens. Nous pourrions poursuivre cette conversation, sénateur Forest, parce que nous croyons qu’il serait possible d’améliorer ce mécanisme.

Le sénateur Quinn : Je vous remercie pour votre excellent exposé et les réponses que vous avez données à mes collègues. Ces échanges sont vraiment instructifs et je vous en remercie. Cela m’oblige à modifier les questions que j’allais vous poser.

Le premier point que je voulais soulever, suivi d’un deuxième, c’est que j’ai eu l’occasion, la semaine dernière, de me rendre à divers endroits du Nouveau-Brunswick, notamment dans la région de Memramcook, dans les marais, où les digues sont en si mauvais état que cela pose un risque imminent d’inondation, ce qui mettrait en danger les collectivités et couperait les principaux corridors de transport. La tension intergouvernementale, si je peux m’exprimer ainsi, est palpable, et comme quelqu’un l’a mentionné, nous n’avons pas de temps à consacrer à ces disputes. Nous devons agir.

Selon vous, quel rôle le secteur privé peut-il jouer, étant donné qu’il profite des mesures correctives? Dans ce marais, par exemple, la Transcanadienne et la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada assurent des services en provenance et à destination de la Nouvelle-Écosse, ce qui est très important pour l’économie canadienne. Les entreprises qui bénéficient des mesures correctives prises dans des situations semblables doivent-elles jouer un rôle et apporter leur soutien?

Mon deuxième point concerne la situation intergouvernementale. Devrions-nous confier à une entité distincte la responsabilité d’évaluer cette relation? Comme vous l’avez dit, votre organisation représente 90 % des Canadiens. Nous avons besoin de ces Canadiens et nous avons tous besoin que ces relations soient harmonieuses afin de bien coordonner les interventions requises dans ces régions en cas d’urgence.

J’aimerais connaître votre avis sur ces deux points.

M. Gemmel : Je vous remercie, sénateur Quinn, pour ces excellentes questions.

L’un des résultats que nous espérons voir émerger de la Stratégie nationale d’adaptation, c’est un plan d’investissement jumelé à une stratégie d’investissement conséquente. Les divers groupes et associations qui s’intéressent au déploiement de cette stratégie sont de plus en plus nombreux à dire qu’un plan sur papier sans engagement financier et une stratégie d’investissement ne seront pas très utiles.

Je suis peut-être en train de renvoyer la balle, mais je pense que la distinction entre l’investissement privé et l’investissement public doit être bien claire dans le cadre de cette stratégie. De toute évidence, le secteur privé devra investir pour protéger les actifs privés. La FCM est d’avis que l’investissement public a certes un rôle à jouer dans le financement de l’infrastructure publique et l’infrastructure publique-privée, comme les chemins de fer, les ports et les aéroports qui procurent un avantage essentiel à la population. Pour chaque actif de chaque région, le financement sera réparti entre le secteur privé et public. Au bout du compte, ce sont les Canadiens qui devront payer pour protéger le pays contre les aléas climatiques, et nous devons établir un plan d’investissement à cette fin.

Il ne faut surtout pas oublier — et je suis certain que cela fait partie de votre étude — qu’il est largement démontré que les investissements en amont réduisent les coûts en aval, et que ce sont là des coûts pour l’économie en général. Je parle notamment des coûts liés aux réclamations d’assurance et, bien entendu, des coûts imposés aux contribuables par le biais d’une assurance publique comme le programme des Accords d’aide financière en cas de catastrophe (AAFCC). Nous devons avoir un amalgame d’investissements publics et privés, de même qu’une stratégie nationale d’adaptation pouvant contribuer à déterminer comment les fonds seront répartis.

Je signale également une autre initiative, qui ne suit pas le même échéancier que la Stratégie nationale d’adaptation. Il s’agit de l’Évaluation nationale des infrastructures entreprise par Infrastructure Canada. Lancé sous la gouverne de l’ex-ministre de l’Infrastructure, Mme McKenna, ce programme visait, entre autres, à évaluer les répercussions des changements climatiques sur les infrastructures et à examiner comment nous pouvons réduire les émissions en investissant dans les infrastructures. C’est peut-être là une autre piste d’investissement à examiner.

Concernant les interventions d’urgence conjointes, je dirais que c’est essentiel et nous en avons d’ailleurs déjà parlé avec M. Blair dans les mois qui ont suivi les multiples catastrophes en Colombie-Britannique. Les provinces ont une grande responsabilité en matière de coordination, mais il existe des lacunes évidentes. Nous sommes déterminés à en discuter pour trouver un moyen de mieux aligner et coordonner nos interventions respectives. Il n’est pas approprié de refiler ces responsabilités à une administration locale, dont le budget est limité et qui n’a pas les ressources financières et humaines, ni la formation, ni l’équipement pour intervenir. Parallèlement, une intervention imposée par les hautes instances sera difficile à coordonner à l’échelle nationale et même provinciale. Les municipalités et les premiers répondants doivent jouer un rôle approprié. La coordination est en grande partie assurée par les provinces, mais je sais qu’il s’agit d’une priorité pour le ministre Blair et pour le ministère de la Protection civile.

Le sénateur Quinn : Je vous remercie.

La sénatrice Busson : Je remplace aujourd’hui la sénatrice Dasko. Je suis très heureuse d’avoir l’occasion de participer à cette discussion sur un sujet aussi important. Je remercie M. Gemmel de partager avec nous son impressionnante expertise en la matière.

Étant originaire de la Colombie-Britannique, je dirais que les incendies de forêt et les inondations que nous avons connus l’année dernière et les années précédentes ont fait prendre conscience à la plupart des gens des enjeux liés aux changements climatiques. C’est un sujet d’une importance extrême à tous les niveaux.

Vos quatre recommandations concernant les infrastructures essentielles sont à juste titre proactives. Je vous pose une question sous un angle différent et j’aimerais savoir ce que vous en pensez. C’est peut-être davantage un commentaire qu’une question, mais c’est sûrement quelque chose qui préoccupe les Britanno-Colombiens et l’ensemble des Canadiens.

La dernière inondation s’est produite sur l’autoroute Coquihalla et, bien entendu, à Chilliwack, une ville située à l’intérieur les terres loin de la mer, mais nous savons tous que la hausse du niveau des océans représente un terrible défi pour l’avenir. Comme d’autres villes de l’Ouest canadien, Richmond est située sous le niveau de la mer ou au même niveau. D’après les données dont vous disposez et compte tenu du risque imminent que représente une hausse minime du niveau de la mer pour certaines municipalités — non seulement pour les infrastructures aéroportuaires, portuaires et ferroviaires, mais pour les villes elles-mêmes —, quel pourcentage de votre temps ou de votre planification stratégique consacrez-vous aux dommages que subiront les villes en général advenant une hausse du niveau de la mer dans un très proche avenir, comparativement à l’attention que vous portez aux digues qui retiennent les rivières et aux problèmes liés aux ponts et à d’autres infrastructures à l’intérieur des terres?

M. Gemmel : Je vous remercie, madame la sénatrice.

Cela m’amène à deux ou trois autres points que je voulais soulever. Le premier, c’est qu’il y a une différence entre les risques et les impacts chroniques et les risques et les impacts aigus. Autrement dit, de nombreux risques climatiques auxquels sont exposées nos infrastructures publiques, y compris les infrastructures essentielles, sont comparables à un tsunami qui progresse lentement. Il existe beaucoup plus de risques plus courants comme les cycles de gel et de dégel qui ont des répercussions sur les infrastructures routières et de transport. Au fil du temps, ces risques font grimper les coûts d’entretien et influencent la manière dont ils sont gérés. Le principal risque, ce sont les catastrophes naturelles. Nous constatons que des catastrophes naturelles sont causées par le climat.

L’élévation du niveau de la mer pose en quelque sorte les deux genres de risque. L’élévation progressive du niveau de la mer accélère l’érosion. Nous constatons ce phénomène dans les villes côtières. Récemment, j’ai vu ces chiffres étonnants provenant de l’Île-du-Prince-Édouard sur la proportion du rivage perdu et le nombre de bâtiments qui doivent être déplacés vers l’intérieur. Quand le niveau de la mer monte, les dommages causés lors d’une tempête ou tout autre événement extrême sont évidemment beaucoup plus graves. C’est donc une combinaison des deux. Nous devons avoir cela à l’esprit lorsque nous réfléchissons à notre façon de gérer les risques climatiques pour l’infrastructure essentielle. Nous nous préoccupons certes de la hausse du niveau de la mer.

Il y a environ trois ans et demi, nous avons mené une étude avec le Bureau d’assurance du Canada dans le but d’évaluer la nécessité d’investir annuellement dans les infrastructures municipales afin de protéger les Canadiens. La méthodologie que nous avons utilisée consistait à examiner les évaluations des vulnérabilités locales et régionales dont j’ai parlé en réponse aux questions de la sénatrice Simons, de déterminer le coût associé à ces vulnérabilités et de l’appliquer à l’échelle nationale en pourcentage de notre économie. Nous en sommes arrivés à un total de 5 milliards de dollars, un chiffre sûrement conservateur. Nous avons examiné où le coût était le plus élevé et nous avons constaté que c’est dans les agglomérations côtières menacées par la hausse du niveau de la mer et dans les collectivités du Nord, en fonction de leur taille et de leur économie, que les impacts et les coûts étaient les plus élevés.

Mon dernier commentaire à ce sujet, c’est que l’une des forces de la Stratégie nationale d’adaptation, et certainement l’un des objectifs énoncés par les ministres Wilkinson et Guilbeault, c’est d’établir et de classer les priorités nationales en matière d’investissement. La hausse du niveau de la mer illustre bien où doit aller l’argent; il est important d’examiner la situation à l’échelle nationale. L’envers de la médaille, et l’un des points que j’ai cherché à souligner dans mon allocution préliminaire, c’est que nous ne pouvons pas seulement tenir compte des risques climatiques à l’échelle nationale, comme la hausse du niveau de la mer et les incendies de forêt. Nous devons aussi porter attention aux impacts à l’échelle locale. C’est pourquoi il est important d’investir dans les évaluations des vulnérabilités locales et régionales. Concernant la hausse du niveau de la mer, il faut investir dans les deux types d’évaluation.

La sénatrice Busson : Je vous remercie.

Le sénateur Klyne : Monsieur Gemmel, je vous souhaite la bienvenue et je vous remercie de votre engagement. J’ai deux questions.

Je m’intéresse aux projets en PPP, ou partenariats publics-privés, qui sont une approche à long terme d’approvisionnement en infrastructures publiques. Dans le cadre de ces partenariats, le secteur privé assume une part importante des risques liés au financement et à la construction, de l’étape de la conception et de la planification jusqu’à celle de l’entretien à long terme. D’après ce que je comprends, l’un des avantages des PPP, c’est qu’ils permettent d’élargir la portée d’un projet, de la conception d’un actif jusqu’à la prestation d’un service. Cela comprend également l’entretien de l’actif pendant sa durée de vie utile. Cette approche à portée élargie incite le partenaire du secteur privé à concevoir et à construire de meilleurs actifs afin de réduire les coûts durant la totalité du cycle de vie, notamment les coûts de construction et d’exploitation.

Premièrement, pouvez-vous dire au comité, au nom des municipalités, si les projets PPP sont indiqués pour la construction ou le renouvellement d’infrastructures essentielles? Deuxièmement, avez-vous des recommandations à faire au nom des municipalités, concernant l’accès au financement gouvernemental pour une infrastructure, lorsqu’il faut harmoniser les spécifications prescrites par le gouvernement et celles d’une municipalité aux étapes de la conception et la construction?

M. Gemmel : Merci beaucoup pour cette question, sénateur Klyne.

Je peux certes répondre à la première partie, mais je ne suis pas certain de comprendre la deuxième partie de la question concernant les spécifications relatives à la conception. Voulez-vous dire pour un projet particulier?

Le sénateur Klyne : Je vais vous donner un exemple. Les témoins avec qui j’ai eu des discussions en marge de leur témoignage m’ont dit que lorsqu’ils demandent du financement pour une infrastructure quelconque, disons pour un pont, le gouvernement fédéral leur impose tout un éventail d’exigences pour la construction du pont, alors que la municipalité pourrait vouloir faire des économies en utilisant de longues billes de bois qui prolongent la durée de vie du pont pour la moitié du coût, tout en assurant l’intégrité de l’ouvrage et l’atteinte ou le dépassement des spécifications. Comment concilier tout cela? J’aimerais savoir si le gouvernement vous a fait des recommandations au sujet des infrastructures que vos municipalités essaient de réaliser, par exemple, lorsqu’elles souhaitent réaliser un projet correctement et que le gouvernement leur impose certaines spécifications qui font grimper les coûts de l’ouvrage et offrent une durée de vie moins longue.

M. Gemmel : Merci. C’est clair. Je vous remercie pour ces précisions.

La position de la FCM au sujet des PPP est la suivante. Dans notre énoncé de position à cet égard, nous disons qu’il s’agit d’un outil parmi d’autres dans notre coffre à outils. Bien entendu, nous reconnaissons le rôle qu’ils peuvent jouer, surtout pour les projets d’envergure. Depuis de nombreuses années, nous disons au gouvernement fédéral que les PPP ne sont pas indiqués dans toutes les circonstances et que les municipalités doivent pouvoir déterminer elles-mêmes si ce modèle répond à leurs besoins. De plus, une municipalité doit avoir beaucoup d’expertise juridique et financière pour conclure une entente satisfaisante de PPP. Nous maintenons que le PPP ne devrait pas être une condition pour obtenir un financement fédéral et qu’il revient à la municipalité de conclure ce genre d’entente.

Actuellement, la Banque de l’infrastructure du Canada est ce qui s’apparente le plus à un PPP. Certains projets entreraient dans la catégorie des infrastructures essentielles, par exemple, les structures de transport d’électricité et des installations portuaires. Ces projets sont financés par la Banque et ensuite par des investissements privés. Mais même dans ce modèle, les décisions concernant le rôle du secteur privé dans la conception, la construction, l’exploitation et l’entretien sont entièrement prises par la municipalité. Cela semble donc être un bon modèle.

La deuxième partie de votre question porte sur un sujet récurrent dans les discussions relatives aux conditions imposées par le gouvernement fédéral pour le financement. Les récents programmes fédéraux — par exemple le plan Investir dans le Canada — ont des objectifs plus larges de réduction des émissions et de résilience aux changements climatiques et la FCM et les municipalités les approuvent de façon générale. Le truc, c’est de les concevoir et de les mettre en œuvre de manière à ce que les municipalités puissent construire des ouvrages qui produisent le même résultat. Cette approche est davantage axée sur les résultats que sur des exigences strictes de construction. Je pense que le gouvernement fédéral évite de ralentir les projets d’infrastructure pour ces raisons.

Nous devons avoir une sérieuse discussion sur la difficulté de construire des infrastructures dans ce pays. C’est toujours pour de bonnes raisons, mais dans l’ensemble, il est très coûteux et très long d’entreprendre de grands projets de construction dans notre pays. Nous devons avoir une bonne discussion pour arriver à faire les investissements nécessaires dans les infrastructures afin de protéger les Canadiens contre les changements climatiques, tout en réalisant également d’autres objectifs d’ordre économique, social et environnemental. De plus, tout ce processus réglementaire et les modalités et conditions attachées au financement fédéral doivent faire partie de la discussion. C’est une bonne question à soulever.

Le sénateur Klyne : Je vous remercie.

La vice-présidente : Il ne reste que trois minutes, je vous demanderais d’être brefs.

La sénatrice Simons : Nous avons beaucoup parlé de la difficulté de traiter avec les gouvernements fédéral, provinciaux et municipaux, mais la FCM pourrait-elle jouer un rôle pour aider les municipalités d’une même région à travailler ensemble en collégialité sur certains projets qui nécessiteront une étroite collaboration entre les villes d’une même région? Cette alliance n’est pas toujours facile à bâtir. Selon vous, votre organisation ne pourrait-elle pas jouer un rôle de premier plan pour aider les municipalités à travailler ensemble dans le cadre de ces grands projets d’atténuation des risques?

M. Gemmel : Vous avez tout à fait raison de dire que, dans bien des cas, les solutions sont régionales et transcendent ou traversent les limites municipales existantes. Nous nous acquittons déjà de ce rôle en contribuant au renforcement des capacités des municipalités et en leur offrant des programmes. Ce rôle ne se limite pas à discuter avec une seule municipalité, mais à réunir plusieurs municipalités d’une même région, à leur offrir des programmes de formation et à examiner les enjeux globalement.

Jusqu’à maintenant, nous ne nous sommes jamais impliqués dans la gouvernance ou dans la mise en œuvre de projets dans une région. Il existe différents modèles pour cela. Par exemple, un bassin hydrographique nécessite beaucoup de coordination et de planification régionale. Je ne dis pas que nous nous acquittons de cette tâche aussi bien que nous le souhaiterions, mais dans certaines provinces, il existe des districts de conservation responsables du contrôle du niveau d’eau, de l’atténuation des inondations et de la planification des risques d’inondation à l’échelle de la région. Ce modèle semble fonctionner particulièrement bien dans certaines provinces et il pourrait être reproduit ailleurs. Il ne s’agit peut-être pas seulement de s’occuper du niveau d’eau et des inondations de surface, il faut se préoccuper d’un éventail de risques climatiques à l’échelle régionale au moyen de modèles de gouvernance semblables.

Pour la FCM, il est clair que l’approche régionale fonctionne bien. Nous avons d’ailleurs recommandé que les groupes de municipalités qui travaillent ensemble à l’échelle régionale soient admissibles au financement fédéral.

La sénatrice Simons : C’est fantastique. Merci beaucoup.

La vice-présidente : Merci beaucoup, monsieur Gemmel, de vous être joint à nous ce soir. J’ai une demande à vous faire. Le comité souhaite avoir le nom de quelques municipalités qui s’intéressent à notre étude pour une raison ou une autre. Nous ne voulons pas seulement connaître les réussites ou les échecs, mais des expériences qui, de votre point de vue, pourraient être intéressantes de connaître. Nous avons besoin d’avoir des exemples. Nous avons tous des exemples en tête parce que nous vivons dans une municipalité ou à proximité, mais comme vous avez un bon aperçu de 2 000 municipalités, vous pourriez sans doute nous donner des exemples que vous jugez intéressants.

Honorables sénateurs, nous allons maintenant accueillir notre prochain groupe de témoins. Nous entendrons Gerard McDonald, chef de la direction, Ingénieurs Canada, et Mary Van Buren, présidente, Association canadienne de la construction. Bienvenue à tous les deux et merci de vous joindre à nous. J’invite M. McDonald à prononcer son allocution préliminaire. Nous entendrons ensuite Mme Van Buren avant de passer aux questions.

Gerard McDonald, chef de la direction, Ingénieurs Canada : Honorables sénateurs, madame la vice-présidente, membres du Comité permanent des transports et des communications, je vous remercie de nous avoir invités aujourd’hui à contribuer à votre étude sur l’incidence des changements climatiques sur les infrastructures essentielles dans les secteurs des transports et des communications. Je m’appelle Gerard McDonald. Je suis ingénieur professionnel et chef de la direction d’Ingénieurs Canada, ici à Ottawa. Dans un esprit de décolonisation de ma langue et de mon sentiment d’appartenance, je souligne que je suis un visiteur sur les terres traditionnelles et non cédées des Anishinaabes.

Ingénieurs Canada est l’organisation nationale qui représente 12 organismes provinciaux et territoriaux de réglementation de la profession chargée de délivrer des permis d’exercice à plus de 300 000 ingénieurs du pays. Notre organisation travaille depuis longtemps en collaboration avec le gouvernement fédéral en contribuant à l’orientation et à l’élaboration de lois, de règlements et de politiques.

Ingénieurs Canada s’intéresse aux changements climatiques et aux phénomènes climatiques extrêmes depuis plus de 15 ans, en particulier à la vulnérabilité des infrastructures au climat et à l’évaluation des risques, et propose des politiques, des stratégies et des pratiques professionnelles d’adaptation pour renforcer la résilience. En août 2005 et juin 2012, Ingénieurs Canada, grâce à des fonds de Ressources naturelles Canada et en collaboration avec des partenaires de tous les ordres de gouvernement et d’autres secteurs, a siégé au sein du Comité sur la vulnérabilité de l’ingénierie des infrastructures publiques, mieux connu sous l’acronyme CVIIP. Ce comité a élaboré et validé le protocole du CVIIP, un outil utilisé pour les évaluations de la vulnérabilité de nos infrastructures.

En 2021, plus de 100 évaluations des risques liés aux infrastructures ont été réalisées en vertu du protocole du CVIIP pour un large éventail de systèmes d’infrastructure au Canada, notamment des bâtiments résidentiels, commerciaux et institutionnels, des systèmes d’eaux pluviales et d’eaux usées; des routes et des structures connexes, comme les ponts et les ponceaux, des systèmes de gestion et d’approvisionnement hydriques, la distribution d’électricité et l’infrastructure aéroportuaire. Le Protocole a également été appliqué à l’échelle internationale. Les expériences et les résultats de ces évaluations ont permis à la profession d’ingénieur de discuter avec les milieux de la politique et de l’approvisionnement au sujet des infrastructures liées au climat. L’Institute for Catastrophic Loss Reduction a pris en charge le programme du CVIIP en avril 2020.

Les conditions météorologiques extrêmes et les changements rapides du climat canadien présentent un risque important pour la sécurité publique et la fiabilité des infrastructures du Canada. Les perturbations et les coûts pour l’économie canadienne qu’occasionne l’endommagement ou la destruction d’infrastructures à cause de phénomènes météorologiques extrêmes sont de plus en plus fréquents partout au pays. On estime qu’en 2020, les phénomènes météorologiques violents et les catastrophes liées au climat ont entraîné des dommages assurés de 2,4 milliards de dollars au Canada seulement.

Le Bureau d’assurance du Canada a déclaré que les inondations de novembre 2021 dans le sud de la Colombie-Britannique auraient causé 450 millions de dollars en dommages assurés, ce qui constitue l’événement météorologique violent le plus coûteux de l’histoire de la province. Les tempêtes ont entraîné des pertes de vie tragiques, des coulées de boue dévastatrices et l’inondation de maisons, de fermes et d’entreprises. Des infrastructures publiques, y compris des grands axes routiers, ont été détruites, ce qui a étranglé les chaînes d’approvisionnement et causé un état d’urgence. Un groupe d’experts d’ingénieurs a conclu qu’une meilleure prévision et une meilleure coordination pourraient aider à préparer la Colombie-Britannique aux catastrophes naturelles, mais a prévenu que le dégel printanier et la pluie pourraient aggraver les dommages causés par les récentes inondations.

Dans les collectivités du Nord comme Tuktoyaktuk, dans les Territoires du Nord-Ouest, le dégel du pergélisol menace régulièrement les maisons, les routes et les sites culturels importants, ainsi que les milieux marins et côtiers. Cela a un profond effet sur les traditions nordiques et autochtones, en particulier pour ceux qui dépendent de la terre, de la mer et de la glace pour leur subsistance.

Nous sommes certains que le climat change, mais la fréquence et l’ampleur des changements climatiques demeurent incertaines. Ce qui est clair, c’est que les ingénieurs agréés, les autres professionnels et les décideurs doivent tenir compte des changements climatiques et de leurs répercussions sur la sécurité et la qualité de vie des Canadiens, comme en témoignent les infrastructures publiques.

Ces préoccupations ne concernent pas seulement l’infrastructure des transports et des communications. Une infrastructure bien conçue, bien construite, régulièrement entretenue et fiable est essentielle à la sécurité publique, à la qualité de vie et à une économie concurrentielle. Par conséquent, une grande partie de l’infrastructure publique et privée de base du Canada exige des investissements immédiats et futurs importants pour en assurer la durabilité pendant tout son cycle de vie et de service. La construction de nouvelles infrastructures ou la remise en état des infrastructures existantes au Canada sans tenir compte des changements climatiques et des phénomènes météorologiques extrêmes pourrait causer des interruptions de service et des défaillances prématurées à l’avenir, ce qui aurait des répercussions négatives sur la sécurité publique. l’augmentation des perturbations commerciales et sociales et l’augmentation des coûts pour le gouvernement, le public et le secteur des affaires.

Je vais vous présenter aujourd’hui deux grandes recommandations. Premièrement, au moment où le gouvernement fédéral s’emploie à examiner les répercussions des phénomènes météorologiques extrêmes maintenant et à l’avenir, il est impératif que les ingénieurs soient consultés pour fournir des évaluations environnementales fondées sur des données probantes à l’appui de l’adaptation au climat, de l’atténuation et de la restauration des infrastructures publiques touchées par les répercussions climatiques. L’ingénierie est en première ligne dans la fourniture d’infrastructures à la société. Pour cette raison, les ingénieurs ont un rôle important à jouer dans la lutte contre les changements climatiques et leur intégration dans l’exercice du génie au Canada.

Deuxièmement, nous recommandons que le gouvernement fédéral élargisse les paramètres climatiques actuels pour adapter les infrastructures publiques. Un indice climatique fournit une quantité diagnostique qui sert à caractériser l’état ou les changements d’un système climatique, comme un modèle de circulation. On peut utiliser un éventail de méthodes pour obtenir divers indices, y compris des données moyennes classiques régionales, de stations sélectionnées ou de points de grille. La plupart des indices utilisent une seule variable, notamment la pression au niveau de la mer, la température à la surface de la mer ou la hauteur du géopotentiel, tandis que d’autres utilisent une combinaison de variables, soit la température et les précipitations. Chaque indice climatique comporte certains paramètres mesurables qui influent sur les propriétés d’un système climatique. Ingénieurs Canada recommande que le gouvernement fédéral collabore avec la profession d’ingénieur pour harmoniser les besoins en génie avec les projections climatiques afin d’inclure des paramètres climatiques précis qui vont au-delà des températures, de la pluie et des précipitations. L’inclusion de paramètres climatiques supplémentaires renforcera la confiance à l’égard des projections climatiques, appuiera des évaluations exactes des risques dans les environnements bâtis et fournira aux ingénieurs des données climatiques défendables et faisant autorité lorsqu’ils soutiennent des collectivités résilientes partout au Canada.

Plusieurs paramètres climatiques peuvent être inclus, comme la vitesse et la direction du vent, le brouillard, l’accumulation de neige, la durée et l’intensité de la neige, la pluie verglaçante et la grêle, les cycles de gel et de dégel et le suivi des rivières atmosphériques et des épisodes de pluie de longue durée. Le rôle de divers paramètres climatiques sur divers types d’infrastructures, y compris de transport et de communication, est d’une grande importance, et il faut prévoir les répercussions. Il est essentiel de comprendre les paramètres météorologiques et climatiques, comme la température, la variabilité locale, la neige abondante, le brouillard, et cetera, avant de concevoir et de construire des infrastructures matérielles au Canada. La combinaison de paramètres climatiques détaillés et d’indicateurs d’infrastructure fournit suffisamment de données pour que les professionnels puissent évaluer les réponses précises des infrastructures à une condition climatique déterminée.

De plus, il serait avantageux de disposer d’une base de données sur les répercussions climatiques attribuées aux paramètres climatiques, qui fournit des preuves judiciaires solides qui sont souvent nécessaires pour appuyer l’élaboration de nouvelles normes intégrées en matière de changements climatiques pour accroître la résilience climatique dans la prise de décisions. Par exemple, une base de données médico-légales sur le climat et les infrastructures qui permettrait de saisir les phénomènes climatiques à incidence élevée et les défaillances connexes de biens ou de services aiderait à éclairer de nombreuses normes, évaluations des risques, décisions et conceptions sur d’importants seuils climatiques au point de rupture.

Madame la présidente, honorables sénateurs, je vous remercie de permettre à Ingénieurs Canada de comparaître devant le comité aujourd’hui. Nous espérons que vous reconnaîtrez le rôle essentiel que jouent les ingénieurs dans les secteurs des transports et des communications au Canada. Je tiens à vous assurer que la profession est prête et disposée à veiller à ce que l’infrastructure essentielle du Canada soit résiliente, sécuritaire et continue d’être un catalyseur de l’économie.

Je serai heureux de répondre à vos questions ou à vos commentaires, madame la présidente.

La vice-présidente : Nous allons maintenant entendre Mme Mary Van Buren. La parole est à vous, madame.

Mary Van Buren, présidente, Association canadienne de la construction : Bonsoir, honorables sénateurs. Nos bureaux sont situés à Ottawa, mais je vous appelle des territoires traditionnels, ancestraux et non cédés des nations Musqueam, Squamish et Tsleil-Waututh à Vancouver.

Je représente aujourd’hui plus de 20 000 membres à l’échelle du Canada, dont 70 % sont des petites et moyennes entreprises. Ils sont entrepreneurs généraux, entrepreneurs spécialisés, civils, fabricants et fournisseurs de produits ou de services. Ensemble, ils font partie de l’industrie lourde de la construction civile, institutionnelle, commerciale et industrielle.

Avant de commencer mon exposé officiel, je souhaite prendre un moment pour vous remercier de me donner l’occasion de souligner certains des enjeux que nous observons en ce qui concerne l’incidence des changements climatiques sur les infrastructures et de souligner que nous avons une occasion unique de bâtir un Canada plus vert et durable.

Notre industrie emploie 1,4 million de Canadiens et génère une activité économique de près de 140 milliards de dollars par année, ce qui représente 7,5 % du PIB du pays.

Tous les aspects de notre vie sont touchés par les infrastructures conçues, construites et entretenues par notre secteur, c’est-à-dire les écoles que nos enfants fréquentent, les soins de santé que nous recevons, les systèmes qui maintiennent notre eau propre ainsi que nos maisons et nos entreprises chauffées et exploitées à l’électricité. Il a été question des routes dans des témoignages précédents. Non seulement nos infrastructures relient-elles nos collectivités, elles nous relient au marché mondial.

Nous sommes tous témoins des répercussions extrêmes de la dévastation qui s’est produite en Colombie-Britannique. Certains d’entre vous ou des membres de votre famille en ont fait l’expérience. À l’échelle locale, de nombreuses collectivités ont également été témoins des répercussions des inondations. Toute infrastructure que nous construisons doit tenir compte de ces phénomènes météorologiques extrêmes, car nous en verrons encore plus.

L’Association canadienne de la construction, l’ACC, a collaboré avec ses membres à la préparation d’un rapport intitulé Force, résilience et durabilité qui présentait nos recommandations sur la voie à suivre.

Il a été question plus tôt de l’élévation du niveau des mers et de ses répercussions extrêmes sur nos routes. Nous estimons que le coût de ces répercussions sera de l’ordre d’au moins 5,4 milliards par année. L’investissement précoce et l’adaptation peuvent réduire considérablement ces répercussions et le coût pour les infrastructures. Le message clé est le suivant : investir aujourd’hui et s’occuper des actifs au cours de leur vie permettra d’économiser de l’argent. C’est logique.

Nous nous réjouissons d’apprendre que le budget fédéral prévoit un investissement de 183 millions de dollars au cours des sept prochaines années pour des matériaux de construction novateurs et pour améliorer les normes de construction.

Un autre message à retenir est le suivant : nous avons besoin d’une stratégie d’investissement à long terme. Celle-ci devra être harmonisée avec les provinces, les municipalités et nos collectivités autochtones. Nous savons qu’il n’y a pas de solution universelle. Quand on regarde l’enveloppe d’investissements mise de côté, elle est logique à l’échelle nationale, mais le transport en commun n’est peut-être pas nécessaire dans toutes les petites collectivités du Canada. C’est là que nous constatons une certaine incohérence et qu’il faut davantage de consultations et une mobilisation précoce.

Nos infrastructures vieillissent. La plupart d’entre elles ont été construites il y a 50 ans, et nous n’investissons pas suffisamment dans les infrastructures pour garder ces routes en bon état. En fait, selon le bulletin de rendement des infrastructures canadiennes, près de 40 % de nos ponts et de nos routes sont soit dans un état passable, soit en très piètre état, et le coût de la remise en état s’élève à environ 90 milliards de dollars. Il y a urgence, et les investissements n’ont pas suivi le rythme de ce que nous devons faire.

Nous appuyons sans réserve l’évaluation nationale des infrastructures qui a été proposée. Nous croyons que c’est un pas dans la bonne direction.

À l’heure actuelle, nous faisons face à une pénurie de main-d’œuvre, comme c’est le cas dans de nombreux secteurs. Un flux de projets prévisible, à long terme aidera l’industrie et les collectivités à créer la main-d’œuvre dont nous avons besoin, c’est-à-dire les travailleurs hautement qualifiés : électriciens, plombiers, estimateurs et gestionnaires de projet. Il faut de cinq à sept ans de formation. De plus, nous devons les attirer dans notre industrie également, et nous sommes en concurrence avec d’autres.

Nous avons également besoin du soutien du gouvernement fédéral pour favoriser une concurrence juste et loyale, l’innovation et le partage des risques. En collaborant plus tôt avec les entrepreneurs, ceux-ci pourront présenter leurs meilleures idées et essayer de nouveaux processus et de nouveaux matériaux. Ce risque ne peut pas être assumé uniquement par les entrepreneurs. Il doit s’agir d’un partenariat entre les propriétaires, les investisseurs et les entrepreneurs qui fournissent ce service.

Il a aussi été mentionné que nous avons besoin de données climatiques fiables. Nous avons besoin de normes et de codes à jour pour nous guider, et nous devons veiller à avoir une chaîne d’approvisionnement solide qui puisse livrer les matériaux écologiques dont nous avons besoin.

Je voulais mentionner quelques éléments en ce qui concerne les infrastructures propices au commerce. Le Canada est passé de la 10e à la 32e place dans le classement mondial en ce qui concerne ses infrastructures commerciales. Nous sommes une nation commerçante. Environ 65 % de notre PIB provient du commerce. Nous devons investir dans les corridors commerciaux. C’est une chose à laquelle l’Association canadienne de la construction travaille en collaboration avec Exportation et développement Canada, les constructeurs de routes de l’Ouest canadien et d’autres intervenants pour veiller à ce que l’on investisse suffisamment dans les corridors commerciaux.

J’ai aussi parlé de la chaîne d’approvisionnement. Comme nous le savons, elle a été gravement éprouvée par la COVID. Nous devons nous assurer que les investissements dans les infrastructures appuient la chaîne d’approvisionnement et la diversification, et à ce qu’ils soient cohérents et prévisibles.

En résumé, pour bâtir des collectivités aujourd’hui et le Canada de demain, il faut planifier sur le plus long terme et apporter une plus grande attention à la collecte de données pour communiquer cette information. Cela rapportera des dividendes importants, accélérera une économie inclusive, créera plus d’emplois et offrira plus de diversité au secteur. Nous pouvons nous attaquer aux changements climatiques et soutenir la croissance et l’innovation.

Merci beaucoup de nous avoir donné l’occasion de nous adresser au Comité et de parler du rôle que la construction peut jouer dans la voie vers l’écologisation.

[Français]

La vice-présidente : Merci beaucoup, madame Van Buren et monsieur McDonald. J’aimerais que nous passions à la période de questions. Si vous me le permettez, chers collègues, je vais commencer par poser une courte question avant de vous donner la parole.

Ce qui m’a intéressée, Mme Van Buren, dans votre mémoire qui est fort long, ce sont les comparaisons que vous faites entre le Canada et l’Europe. Vous examinez aussi d’autres sphères de compétence, comme l’Australie. J’aimerais que vous m’expliquiez quelque chose : vous recommandez que le Canada, à l’instar de l’Europe, puisse profiter d’un règlement sur les produits de construction pour veiller à ce que les matériaux de construction soient durables et adaptés à une économie circulaire. Vous parlez de développer une liste de produits qui sont permis ou interdits dans la construction pour qu’on puisse bâtir plus vert. Est-ce que je comprends bien? Est-ce ce que l’Europe fait? Est-ce ce que vous recommanderiez? C’est quand même un cadre qui viendrait changer la donne en ce qui a trait à la liberté qui existe en ce moment.

Mme Van Buren : Merci beaucoup de la question.

[Traduction]

En général, pour ce qui est de l’approvisionnement, l’entrepreneur soumissionne pour la conception et souvent pour les matériaux qui ont été précisés, et c’est ce qu’il fournit ensuite. Quand des exigences ou des résultats accrus sont attendus en ce qui a trait à la lutte contre l’érosion climatique et aux enjeux connexes, les entrepreneurs doivent avoir l’assurance qu’ils fournissent des produits verts et que ces produits sont acceptés par le donneur d’ordres afin qu’il ait confiance et que le risque ne lui incombe pas. Si l’attente concerne la fourniture de produits verts, nous devons pouvoir nous appuyer sur une définition, et nous avons besoin d’une certification pour que l’entrepreneur soit assuré — s’il utilise ce matériau — que c’est la norme qui répond aux attentes canadiennes.

La vice-présidente : Merci beaucoup.

Le sénateur Klyne : Bienvenue à Mme Van Buren et à M. McDonald. Ma question s’adresse à Mme Van Buren. J’invite aussi M. McDonald à nous faire part de son point de vue, s’il le souhaite, compte tenu de son expérience dans les secteurs public et privé.

Je m’intéresse à l’une des recommandations de l’ACC, à savoir que l’évaluation nationale des infrastructures du gouvernement du Canada devrait fournir une vision nationale de la résilience des infrastructures. Je pense que ce serait une entreprise précieuse, mais pas facile. D’ailleurs, difficile ou facile n’a rien à voir avec la question. Un grand défi consistera à réunir les principales parties prenantes, y compris les constructeurs, les décideurs, les collectivités, les ordres supérieurs de gouvernement et les partenaires autochtones, et à parvenir à une compréhension commune avec tous ceux qui sont sur la même longueur d’onde à l’égard d’un cadre à partir duquel des solutions régionales et des approches sectorielles peuvent être élaborées, tout en cherchant ultimement à s’aligner et à s’entendre sur les priorités en matière d’infrastructure de tous les ordres de gouvernement, des partenaires autochtones et du secteur privé, puis à obtenir un engagement à agir immédiatement. Ma question est la suivante : comment envisagez-vous d’atteindre cet objectif, d’en arriver à une vision nationale commune et à un engagement ferme de la part de toutes les parties prenantes?

Mme Van Buren : Merci beaucoup de cette question.

L’une des recommandations est qu’une organisation indépendante fournisse des données et, en quelque sorte, un bulletin de notes, sur la façon dont le gouvernement s’en sort. La planification des infrastructures se fait sur le long terme. Nous pensons qu’il faudrait que l’horizon soit 25 ans, mais les cycles des gouvernements sont beaucoup plus courts. Il peut souvent être difficile de changer les choses. Nous pensons qu’il est vraiment important d’avoir un groupe indépendant qui aide à conseiller le gouvernement et à le tenir redevable.

Ensuite, nous pensons que le gouvernement fédéral devrait se concentrer sur des objectifs plus ambitieux et financer les programmes et non les projets. Il est souvent annoncé que le gouvernement fédéral a contribué à hauteur d’environ 10 000 $ à un programme de construction de trottoirs dans une collectivité locale. C’est excellent et cet argent est très bien accueilli, mais nous devons nous demander pourquoi le gouvernement fédéral consacre du temps à des projets aussi petits. Nous croyons que les provinces, les collectivités autochtones et les municipalités ont un plus grand rôle à jouer dans la planification. C’est ce qui serait financé par le gouvernement fédéral et non pas les projets un à la fois.

Le sénateur Klyne : C’est donc cette organisation qui réunit toutes les parties prenantes pour élaborer cette vision commune?

Mme Van Buren : Exactement. Il se fait déjà un excellent travail à cet égard. Je viens de passer les deux derniers jours à la conférence de la First Nations Major Projects Coalition sur l’atteinte de la carboneutralité. Si vous ne l’avez pas invitée à témoigner, elle est très inspirante. Elle est un chef de file de l’énergie verte et investit dans des projets. Il se fait déjà un excellent travail à cet égard en ce moment, et je pense qu’il s’agit simplement de relier les diverses organisations et collectivités qui font ce genre de travail.

Le sénateur Klyne : Merci. Monsieur McDonald, avez-vous quelque chose à ajouter?

M. McDonald : Pas vraiment. L’idée d’une vision nationale est certainement louable, et Ingénieurs Canada l’appuierait. Le seul inconvénient que je vois, c’est la quantité de travail et le temps qu’il faudrait pour réaliser cette vision.

[Français]

Le sénateur Cormier : Je vais poser ma question en français à M. McDonald. En 2015, votre association a créé la désignation de professionnels de la résilience des infrastructures (PRI) à l’intention des ingénieurs. Cette désignation fournit aux ingénieurs les connaissances et les compétences supplémentaires dont ils ont besoin pour planifier, concevoir et gérer des infrastructures résilientes. On sait que les infrastructures du domaine des transports et des communications sont souvent détenues par le secteur privé. Quels sont les défis auxquels font face vos ingénieurs, avec les formations particulières qu’ils ont reçues, face aux infrastructures qui sont détenues par le secteur privé? Est-ce que, par exemple, vous jugez que le secteur privé est généralement bien informé et avisé sur la question des changements climatiques? Est-ce que les ingénieurs que vous représentez ont la responsabilité de lever le drapeau quand l’infrastructure n’est pas adéquate ou ne tient pas compte de la question de la résilience? J’aimerais mieux comprendre les défis auxquels doivent faire face les ingénieurs qui ont reçu cette formation, quand on regarde les infrastructures canadiennes en matière de transports et de communications.

[Traduction]

M. McDonald : Merci beaucoup, sénateur.

Madame la présidente, en ce qui concerne la conception des infrastructures, qu’elles soient publiques ou privées, cela ne change rien pour l’ingénieur qui les conçoit. Il a la même obligation de s’assurer que la conception soit sécuritaire et qu’elle tienne compte des normes appropriées.

En ce qui concerne la conception en fonction du climat, il s’agit vraiment de s’assurer que les normes existantes sont utilisées de la bonne façon. Le véritable défi pour nous, à titre d’ingénieurs, dans la conception en fonction du climat, c’est la façon dont ces normes sont touchées par les changements climatiques. C’est pourquoi nous disons qu’il nous faut de meilleures données et un examen approfondi des données nécessaires pour pouvoir appliquer les facteurs de risque pertinents à tout ce qui est conçu, que ce soit pour des infrastructures de transport ou d’autres infrastructures partout au pays.

[Français]

Le sénateur Cormier : Merci.

[Traduction]

Le sénateur Quinn : Je souhaite la bienvenue aux témoins. Je vous remercie de votre présence et de vos exposés très intéressants.

Cela m’a amené à me poser à nouveau la question suivante : dans quelle mesure sommes-nous prêts à faire face aux effets des changements climatiques dans le cas des infrastructures au Canada? Il semble y avoir des initiatives à cet égard. Comment pouvons-nous les réunir? Par exemple, comment pouvons-nous réunir les ingénieurs et les gens de la construction pour nous assurer que les évaluations des risques sont bien faites ou que les protocoles pertinents sont en place? Comment s’assure-t-on d’avoir de la flexibilité lorsque des exigences sont énoncées pour un projet donné? Autrement dit, s’ils disent qu’ils ont besoin de ces matériaux, mais que les ingénieurs et les gens de la construction disent qu’il y a une autre option, comment gérez-vous tout cela, tout en respectant le processus de passation de marchés du gouvernement?

Mme Van Buren : Je peux commencer par cette question. Je vous en remercie.

L’un des principes importants de l’économie circulaire est la collaboration et la participation précoce des entrepreneurs. De nombreux contrats et modèles d’approvisionnement suivent le cheminement de la conception, de la soumission et de la construction. Nous disons qu’il y a de nouveaux modèles qui pourraient être utilisés pour que les entrepreneurs, les concepteurs et les propriétaires soient tous à la table en même temps et qu’il y ait une meilleure harmonisation des objectifs globaux du projet et de la capacité d’influencer et d’essayer de nouvelles choses dès le départ. C’est vraiment difficile à faire quand quelque chose de ce genre est déjà préparé. Il est donc certain qu’il faut cette participation précoce.

La deuxième partie concerne le fait de ne pas retenir la soumission la plus basse, étant bien entendu que c’est vraiment difficile pour les municipalités. Si vous avez 1 milliard de dollars, vous avez 1 milliard de dollars, pas 1,1 milliard de dollars, mais cela limite la capacité à opter pour une approche axée sur le cycle de vie, et je pense que c’est vers cela que nous devons tous nous tourner dans les modèles d’approvisionnement.

Le sénateur Quinn : Si vous me le permettez, j’aimerais ajouter quelque chose à ce sujet. Je suis très heureux que vous ayez soulevé cette question, car d’après mon expérience dans le secteur privé et au gouvernement, nous choisissons toujours la soumission la plus basse, puis on se fait prendre avec des suppléments, et cetera. Sachant dès le départ qu’il y aura des suppléments, cela n’a aucun sens. Comment faites-vous face à ce problème? Quel autre modèle permet la souplesse dont vous venez de parler sans avoir les mains liées en ce qui concerne le financement du gouvernement et les soumissions les plus basses?

Mme Van Buren : Allez-y, monsieur McDonald, après quoi je donnerai un exemple de clause.

M. McDonald : Depuis un certain temps déjà, nous préconisons un processus de sélection fondé sur les qualifications dans le domaine de l’approvisionnement, qui donne au soumissionnaire la possibilité de présenter des solutions de rechange aux exigences de conception que le gouvernement pourrait juger nécessaires. Cela permet une plus grande créativité dans la conception et pourrait réduire les coûts dans l’ensemble. Il est essentiel de vous assurer de calculer le coût du cycle de vie plutôt que le coût le plus bas pour le produit fini.

Le sénateur Quinn : Merci.

Mme Van Buren : Permettez-moi de vous donner un autre exemple. À l’heure actuelle, nous faisons face à une pression inflationniste extrême sur les biens, les matériaux et aussi l’approvisionnement. Il est donc très difficile de terminer les projets à temps. Nous nous efforçons donc de faire preuve de souplesse auprès des propriétaires pour gérer ces coûts.

S’il y a des clauses qui permettent un remboursement équitable aux entrepreneurs, alors ils n’ont pas à inclure un facteur énorme pour gérer leur risque. Vous pouvez vous rapprocher de ce que devrait être la soumission, et c’est plus juste. Si vous connaissez le délai entre la demande de propositions et la soumission et que vous connaissez le prix réel des biens, alors le prix peut être établi de façon équitable. Il y a aussi différentes façons de traiter ces clauses contractuelles.

Le sénateur Quinn : Merci.

[Français]

Le sénateur Forest : Merci à nos invités de nous éclairer sur ces questions importantes.

Ce soir, je remplace la sénatrice Galvez. J’ai deux questions pour M. McDonald.

On fait face à un défi très important en matière de relève de la main-d’œuvre. Dans plusieurs professions, la reconnaissance des titres étrangers pose problème et cela entrave l’arrivée de personnel qualifié formé à l’étranger. Pour la profession d’ingénieur, est-ce que des efforts ont été déployés? Est-ce qu’on a été en mesure, au cours des dernières années, d’améliorer l’environnement d’accueil pour les ingénieurs et les personnes formées à l’étranger?

La sénatrice Galvez m’a dit qu’Ingénieurs Canada avait développé un logiciel appelé CVIIP, qui est utilisé pour modéliser l’impact des changements climatiques sur les infrastructures. Le logiciel est utilisé par Ressources naturelles Canada et d’autres organisations. Monsieur McDonald, pourriez-vous nous parler de cette heureuse initiative d’Ingénieurs Canada et du niveau d’accueil pour les ingénieurs formés à l’étranger?

[Traduction]

M. McDonald : Merci, sénateur.

En ce qui concerne les ingénieurs formés à l’étranger, nous avons adhéré à un certain nombre d’accords internationaux visant à déterminer comment nous pourrions accepter des ingénieurs étrangers pour nous assurer qu’ils ont des qualifications semblables à celles de ceux qui ont fait leurs études au Canada. Nous sommes membres de l’Accord de Washington, qui regroupe quelque 23 pays et qui reconnaît l’équivalence des exigences de formation universitaire pour les ingénieurs. Nous sommes également membres de l’International Engineering Alliance, qui amène 23 pays à examiner les qualifications professionnelles des ingénieurs dans le monde et à veiller à ce qu’ils possèdent les mêmes compétences afin que, lorsque ces ingénieurs viennent au Canada, ils puissent être évalués comme faisant partie de ce protocole. Leur admission dans la profession est ainsi beaucoup plus facile.

En ce qui concerne le protocole du CVIIP dont j’ai parlé plus tôt, il s’agit essentiellement d’un protocole élaboré par Ingénieurs Canada et qui est maintenant géré par l’Institut de prévention des sinistres catastrophiques. Il s’agit d’une norme utilisée pour évaluer les infrastructures, existantes ou nouvelles, évaluer le risque climatique sur ces infrastructures et permettre à l’ingénieur de concevoir la construction de façon appropriée afin de tenir compte des risques climatiques qui peuvent être liés à ces infrastructures, en fonction de l’endroit où elles se trouvent au Canada.

[Français]

La vice-présidente : Sénateur Forest, est-ce que vous avez une question complémentaire?

Le sénateur Forest : Non; merci de cette réponse.

[Traduction]

La sénatrice Simons : Madame Van Buren, vous avez parlé de la chaîne d’approvisionnement. Je me rends compte qu’une grande partie du travail de vos deux groupes ne porte pas sur la construction et l’ingénierie dans le secteur des transports, mais notre étude porte sur les corridors de transport. Je partage votre préoccupation, à savoir que si nous ne pouvons pas fournir des réseaux de transport fonctionnels, cela nuit vraiment à notre position concurrentielle à l’échelle internationale. Je me demande si je pourrais vous demander de vous concentrer sur la question de la construction des corridors de transport dont nous avons besoin et sur la façon dont, selon vous, votre organisation pourrait aider le Canada à construire précisément les infrastructures de transport dont il a besoin pour être résilient et pour avoir les mesures de sécurité dont nous avons besoin pour nous assurer que nos corridors de transport seront toujours fonctionnels dans 10 et 20 ans.

Mme Van Buren : Merci beaucoup de la question.

Notre industrie est très axée sur le secteur des transports. Nous avons des membres qui construisent des routes, des ports, des ponts et des aéroports et qui entretiennent également ces structures. C’est donc au cœur de ce que nous faisons. Nous travaillons en étroite collaboration avec les constructeurs de routes et les associations de construction lourde du Canada. C’est une chose à laquelle nous travaillons très fort avec le groupe de l’Ouest canadien pour nous assurer que ces corridors de commerce et de transport sont solides.

Les communications et la logistique qui s’y rattachent constituent un autre élément important. Lorsque nous examinons les chaînes d’approvisionnement, nous n’avons pas nécessairement une façon de savoir à l’échelle nationale où se trouve l’approvisionnement en question et quand il arrivera, et nous pensons qu’une occasion importante est de mieux suivre et comprendre les divers éléments de la chaîne d’approvisionnement et d’avoir des données à leur sujet.

L’ACC et ses associations partenaires préconisent très fortement l’investissement dans le transport. Comme il est mentionné dans notre rapport sur notre évaluation des infrastructures, elles ne sont pas dans un état acceptable, et il faut des investissements importants. Ce n’est pas seulement une question d’assurer la circulation des biens, des services et des personnes au Canada. Si nous examinons l’évolution de l’économie commerciale du Canada, l’Asie sera sur un pied d’égalité avec les États-Unis dans un avenir pas trop lointain. Nous devons acheminer nos biens et nos services du centre du Canada, nos aliments du Canada atlantique, et bien entendu nos minéraux, et cetera, des Prairies jusqu’en Asie, c’est-à-dire vers l’Ouest. C’est un aspect important de ce que nous faisons.

La sénatrice Simons : Merci beaucoup.

Le sénateur Quinn : Je m’adresse aux deux témoins. Je me demande quelles sont vos interactions avec les divers paliers de gouvernement et les défis auxquels ils font face en ce qui concerne leurs infrastructures. Y a-t-il une telle interaction, et en quoi cela influe-t-il sur les normes des diverses disciplines qui seront concernées?

Enfin, je crois, monsieur McDonald, que vous vous souviendrez qu’il y a des années, une association a joué un rôle de premier plan dans la création et l’élaboration du programme de construction navale au Canada. Y a-t-il de la place pour quelque chose de semblable, ou peut-être que vous le faites déjà en votre qualité d’association d’ingénieurs et d’association de la construction, pour fournir des conseils d’experts au gouvernement, alors que les compétences générales — non seulement au gouvernement, mais aussi dans le secteur privé — semblent en déclin. J’aimerais savoir s’il y a ce genre d’interaction.

M. McDonald : Je peux répondre à la dernière partie de votre question, sénateur Quinn.

En ce qui concerne l’interaction que nous avons avec les autres paliers de gouvernement, nous sommes l’organisation nationale. Nous n’avons donc pas d’interaction avec les gouvernements provinciaux. C’est habituellement fait par nos organismes de réglementation provinciaux membres.

Notre but premier est de réglementer la profession elle-même et pas nécessairement de donner des conseils au gouvernement. Cela dit, nous élaborons des normes d’exercice pour la profession d’ingénieur qui peuvent s’appliquer à ces situations.

Le sénateur Quinn : Merci.

Mme Van Buren : Comme l’ACC compte plus de 60 partenaires aux niveaux local et provincial, nous travaillons en étroite collaboration pour harmoniser nos messages, nos communications et nos activités de promotion. Nous échangeons des pratiques exemplaires. L’ACC sera invitée à appuyer une association locale ou provinciale sur diverses questions. L’une des choses que nous constatons, c’est que les pratiques en matière d’approvisionnement peuvent évoluer très rapidement d’une petite municipalité au niveau fédéral. Nous surveillons donc ce qui se passe aux niveaux local et fédéral afin de partager ces pratiques exemplaires et d’essayer d’optimiser les investissements du Canada dans les infrastructures.

Le sénateur Quinn : Merci.

La vice-présidente : Je remercie nos témoins de leur participation aujourd’hui. Merci beaucoup pour votre présence.

L’ordre du jour étant épuisé, je vous remercie tous.

(La séance est levée.)

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