LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES TRANSPORTS ET DES COMMUNICATIONS
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 30 octobre 2024
Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd’hui, à 18 h 46 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier toute question concernant les transports et les communications en général.
La sénatrice Julie Miville-Dechêne (vice-présidente) occupe le fauteuil.
[Français]
La vice-présidente : Honorables sénatrices et sénateurs, je m’appelle Julie Miville-Dechêne, je suis une sénatrice du Québec et je suis vice-présidente de ce comité. Ce soir, j’assume la présidence en l’absence du sénateur Housakos.
[Traduction]
J’invite à présent mes collègues à se présenter.
La sénatrice Simons : Bonjour, je suis la sénatrice Paula Simons. Je viens de l’Alberta et du territoire visé par le Traité no 6.
Le sénateur Fridhandler : Sénateur Daryl Fridhandler, de l’Alberta.
La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de l’Ontario.
La sénatrice Dasko : Sénatrice Donna Dasko, de l’Ontario.
[Français]
La vice-présidente : Merci, chers collègues.
Ce soir, nous poursuivons notre étude des services locaux et régionaux de la SRC/Radio-Canada. Le comité accueille des témoins par vidéoconférence.
[Traduction]
Nous accueillons April Lindgren, professeure à l’École de journalisme de l’Université Toronto Metropolitan; Marla Boltman, directrice générale et Sarah Andrews, directrice, Relations gouvernementales et avec les médias des Amis des médias canadiens; et Derrick Gray, chef de la recherche et des opérations de Numeris.
Soyez les bienvenus et merci de votre présence. Nous écouterons d’abord vos observations préliminaires, pour lesquelles vous disposerez de cinq minutes chacun, et nous commencerons par la professeure Lindgren, puis ce sera le tour de Mme Boltman et, enfin, de M. Gray. Les observations préliminaires seront suivies de questions et réponses. Professeure Lindgren, vous avez la parole.
April Lindgren, professeure, École de journalisme, Université de Toronto Metropolitan, à titre personnel : Je vous remercie, et je remercie le comité de m’avoir invitée aujourd’hui.
Je dirige le Local News Research Project de l’École de journalisme de l’Université de Toronto Metropolitan, l’ancienne Ryerson. La Local News Map est une de nos initiatives. Il s’agit d’une ressource en ligne qui suit où et quand un journal, une émission ou une source de nouvelles locales en ligne disparaît, quand il s’en lance une et si les services augmentent ou diminuent. Nous avons des données qui remontent jusqu’à 2008. J’utiliserai ces données aujourd’hui pour montrer que la CBC a un rôle important à jouer pour ce qui est de répondre aux besoins d’information de collectivités à un moment où beaucoup de gens ont de moins en moins accès à des nouvelles locales.
Aux fins de notre projet, un média local est un média qui maintient son indépendance par rapport à ses sources éloignées des personnes qu’il couvre, qui démontre un attachement à l’exactitude et à la transparence des méthodes de reportage et qui se consacre principalement à rapporter et à diffuser en temps opportun des nouvelles produites de son chef sur des personnes, des lieux, des enjeux et des événements dans une zone géographique définie.
Nous produisons tous les deux mois un rapport sommaire de la Local News Map. J’en ai communiqué un exemplaire au comité à l’avance, mais je ne sais pas si vous l’avez déjà reçu. Les dernières données montrent que, depuis 2008, 521 médias locaux ont fermé dans 347 collectivités du Canada. Il s’agissait, dans les trois quarts des cas, de journaux communautaires qui comptaient moins de 5 éditions par semaine, mais depuis les 18 derniers mois environ, les nouvelles radiodiffusées sont également touchées. CBC/Radio-Canada et Global ont annulé des bulletins de nouvelles locaux et fermé des stations de radio. Par rapport à ce que je disais plus tôt, j’ai vérifié récemment et 37 stations de radio locales ont disparu depuis 2008, mais un tiers d’entre elles, soit environ 11, ont fermé au cours des 18 derniers mois. Évidemment, des médias locaux ont également été créés depuis 2008, mais il s’en est ouvert moitié moins qu’il n’en est disparu, ce qui signifie que nous avons une perte nette.
Au printemps, nous avons examiné de plus près ce qui représente maintenant 15 années de données sur cette carte, et je pense que les résultats montrent qu’il est nécessaire qu’un radiodiffuseur public joue un rôle encore plus grand à l’avenir pour combler les vides en matière de nouvelles locales causés par le départ de médias commerciaux.
Entre 2008 et avril de cette année, qui est le moment où nous avons examiné les données, près de la moitié des fermetures se sont produites dans des localités comptant moins de 20 000 habitants. En comparaison, il n’y a eu qu’environ 75 lancements dans ces petites collectivités. Il me semble justifié qu’un radiodiffuseur public joue un rôle pour que ces petites localités aient accès aux nouvelles et à l’information, au même titre que les habitants de régions plus peuplées.
Depuis 2014, les fermetures sont aussi de plus en plus concentrées dans des localités à faible revenu où les gens ont probablement moins les moyens de payer pour avoir des nouvelles locales, et ils ont besoin d’une source gratuite comme CBC/Radio-Canada. Entre 2019 et 2024, par exemple, environ les deux tiers des fermetures sont intervenues dans des localités où le revenu est inférieur au revenu médian national.
Il est évident que des médias ouvrent et ferment au fil du temps dans les collectivités. Par conséquent, nous voulions voir s’il y avait des gagnants dans le temps. Nous n’en avons pas trouvé beaucoup. Cependant, dans l’ensemble, nous avons constaté que dans 239 collectivités, le nombre de fermetures dépassait celui des lancements. Autrement dit, la population a accès à moins de sources de nouvelles locales. En comparaison, seuls 76 médias sont apparus. Je veux dire par là que le nombre de nouveaux arrivants au fil du temps dans ces collectivités est supérieur au nombre de fermetures.
On me demande souvent si les nouveaux médias locaux indépendants et principalement numériques qui arrivent peuvent prendre le relais. Ils sont certainement importants, et ils produisent souvent un bon journalisme, mais ils demeurent relativement petits et limités en nombre. Je peux donner plus de détails par la suite, si vous le souhaitez.
Je dirai pour terminer que les Canadiens sont conscients qu’il y a un problème. Des données recueillies dernièrement venant d’une étude de l’Université McGill montrent que seulement la moitié des habitants des villes sont relativement satisfaits ou satisfaits de la couverture des nouvelles locales. Ce taux de satisfaction descend à 40 % dans la population rurale.
Mon temps de parole est écoulé. Je dirai pour conclure qu’à mon avis, à un moment où, dans de nombreuses collectivités, les médias du secteur privé ne sont pas en mesure de fournir aux gens les nouvelles et l’information nécessaires à la vie quotidienne, le radiodiffuseur public, en particulier CBC/Radio-Canada en ligne et CBC Radio, a un rôle de plus en plus important à jouer si l’on veut répondre à ces besoins.
La vice-présidente : Je vous remercie de toutes ces données, madame Lindgren. La parole est maintenant à Mme Marla Boltman et à Mme Sarah Andrews. Vous disposez de cinq minutes que vous pouvez partager comme vous voulez.
Marla Boltman, directrice générale, Les Amis des médias canadiens : Bonsoir. Je vous remercie, honorables sénateurs, de m’avoir invitée à comparaître devant vous ce soir. Je m’appelle Marla Boltman et je suis directrice générale des Amis des médias canadiens. Nous sommes un mouvement citoyen non partisan et à but non lucratif qui défend la voix des Canadiens dans les médias canadiens. Nous nous attachons à protéger et à défendre la richesse culturelle souveraine du Canada et, de ce fait, la santé de sa démocratie. Je suis accompagnée de Sarah Andrews, notre directrice des Relations gouvernementales et avec les médias, qui conclura nos observations préliminaires en français. Ensemble, en anglais et en français, nous sommes porteuses d’un message simple et sans équivoque : nous n’avons jamais eu autant besoin des nouvelles locales et, pourtant, elles n’ont jamais été aussi menacées.
Il est pratiquement impossible de dire combien les nouvelles locales sont importantes, c’est-à-dire des nouvelles crédibles, vérifiables et soumises à un contrôle éditorial rigoureux. Les nouvelles locales nous relient au sein de nos collectivités et entre collectivités. Elles nous informent et nous rendent moins vulnérables face à ceux qui cherchent à nous désinformer. Ce faisant, elle nous aide à rester unis.
Les nouvelles locales constituent aussi un frein à l’autorité en remettant en question les personnes en position de pouvoir, en créant une obligation de rendre des comptes et en luttant contre la corruption. En tant que parlementaires de notre chambre haute — qui, vous-mêmes, remplissez une fonction de remise en question —, vous serez certainement d’accord avec ce devoir important. C’est pour toutes ces raisons que nous déclarons très sérieusement que la santé de notre démocratie dépend en grande partie de la santé des nouvelles locales.
Malheureusement, cependant, comme vous le savez, les nouvelles locales sont en crise. Les coupes budgétaires, combinées à des tentatives incohérentes visant à recréer les modèles financiers et de distribution que les technologies en ligne ont bouleversés, placent les organismes de presse locaux dans une situation difficile. Il arrive qu’une jeune entreprise sur Internet comble certains vides en diffusant des bulletins et des informations ou des opinions non éditées et non vérifiées, mais cela ne remplace pas les nouvelles locales. Ces entreprises n’ont ni l’envergure ni le poids voulu et elles n’inspirent pas la confiance nécessaire pour apporter une fraction de ce qui est perdu.
[Français]
Sarah Andrews, directrice, Relations gouvernementales et avec les médias, Les Amis des médias canadiens : Nous avons vu des médias privés vendre des stations de radio et centraliser la télévision. Nous avons vu des dizaines de quotidiens et d’hebdomadaires être rachetés et fermés. Ce n’est pas exagéré de dire qu’en ce qui concerne les médias locaux, comme pour les médias nationaux, nous assistons à une défaillance flagrante du marché.
C’est ce qui rend CBC/Radio-Canada si vitale. Elle continue de desservir tout le pays. CBC/Radio-Canada constitue une source de collecte d’informations et de reportages locaux sur laquelle s’appuie presque tout le monde. Au Québec, dans le Nord, dans les communautés rurales et ailleurs, c’est vers CBC/Radio-Canada que les gens se tournent pour obtenir de l’information et des nouvelles.
Mais malgré cela, certaines personnes veulent que notre radiodiffuseur public national soit définancé.
Les dommages que de tels gestes pourraient causer à nos communautés, à notre capacité de contrer la désinformation et à notre santé démocratique sont presque impossibles à mesurer.
En conclusion, nous avons quelques recommandations à faire au comité.
Premièrement, il faut soutenir davantage la création et la diffusion des nouvelles locales pour CBC/Radio-Canada en veillant à ce qu’elles soient adéquatement financées.
Deuxièmement, il faut veiller à ce que les nouvelles locales soient correctement priorisées grâce à un mandat actualisé pour CBC/Radio-Canada.
Enfin, il ne faut pas ignorer ce que les sondages ne cessent de nous dire : les Canadiens veulent et ont besoin d’une version améliorée de CBC/Radio-Canada.
Merci beaucoup. C’est avec plaisir que nous répondrons à vos questions.
La vice-présidente : Merci, mesdames, de votre concision. C’est très apprécié.
[Traduction]
Je cède maintenant la parole à M. Derrick Gray pour cinq minutes.
Derrick Gray, chef de la recherche et des opérations, Numeris : Je vous remercie, madame la présidente. Bonsoir sénateurs. Je vous remercie de m’avoir invité. Je m’appelle Derrick Gray. Je suis chef de la recherche et des opérations à Numeris, qui est un comité mixte de l’industrie à but non lucratif chargé de fournir des estimations sur les auditoires audio et vidéo en appui à l’industrie canadienne des médias.
On m’a demandé d’examiner la performance de CBC et de la SRC au cours des 10 dernières années par rapport à d’autres chaînes et stations à but lucratif ou privées.
Prenons les données relatives à la télévision — je commencerai par la télévision et passerai ensuite à la radio. Nous constatons pour toutes les chaînes de télévision une tendance à la baisse du nombre de téléspectateurs au cours des 10 dernières années. Le réseau CBC/Radio-Canada lui-même enregistre une baisse plus marquée que les réseaux privés, sauf dans l’Ouest du Canada — c’est-à-dire au Manitoba, en Saskatchewan, en Alberta et en Colombie-Britannique —, où deux grands réseaux privés affichent une baisse d’auditoire beaucoup plus importante que celle de CBC/Radio-Canada. Si nous prenons la SRC, nous voyons que son auditoire est relativement stable dans la plupart des régions. Toutefois, au Québec, où se trouvent la majorité de ses téléspectateurs, elle enregistre une baisse, mais celle-ci est moins importante que celle de certaines autres chaînes privées françaises.
Cette tendance se confirme généralement chez les enfants âgés de 2 ans et plus, les adultes de 18 ans et plus, ainsi que les adultes de 25 à 54 ans. Nous constatons que le déclin tient à ce que l’on appelle la couverture, c’est-à-dire le nombre de personnes qui regardent CBC ou Radio-Canada, par opposition au temps qu’ils y consacrent. Il y a moins de téléspectateurs, mais en général, ceux qui existent regardent ces chaînes pratiquement autant qu’avant.
Les choses sont légèrement différentes pour la radio. Là aussi, il y a une pression à la baisse sur la radio canadienne. Le nombre d’auditeurs des stations de radio est en baisse. Cependant, l’auditoire des stations de radio de CBC et de la SRC demeure assez stable depuis 10 ans. La tendance à long terme va d’une augmentation d’environ 1 % à une baisse de 1 %, et cela reste dans les limites des erreurs relatives — l’auditoire est relativement stable —, alors que l’auditoire des stations de radio commerciales est généralement en baisse. Cette tendance se confirme dans les six métropoles mesurées, à savoir le Montréal francophone, le Montréal anglophone, Toronto, Calgary, Edmonton et Vancouver. Elle se confirme aussi chez les enfants de 2 ans et plus, les adultes de 18 ans et plus et les adultes de 25 à 54 ans. Dans le cas de la radio de CBC et de la SRC, la couverture et le temps d’écoute révèlent des tendances similaires et sont relativement stables depuis 10 ans.
Voilà qui conclut ce que disent mes données.
La vice-présidente : Je vous remercie.
Je poserai la première question.
La sénatrice Simons : Vous êtes la présidente.
La vice-présidente : Oui, je peux le faire.
[Français]
Madame Andrews, ma question porte sur le mandat de CBC/Radio-Canada. Nous avons reçu des invités lors de nos dernières séances et évidemment, le CRTC a dit ce que l’on savait déjà. On a entendu notamment que, dans le mandat de CBC/Radio-Canada, il n’y a pas d’obligations quant au nombre de stations et à la présence régionale. On dit qu’il doit y avoir une présence régionale en fonction des moyens financiers de CBC/Radio-Canada. Donc, c’est relativement vague.
Est-ce que vous souhaitez un mandat plus contraignant? Et est‑ce que Radio-Canada a la liberté de décider où elle met son argent, puisque c’est une société d’État qui a une indépendance? Est-ce que vous souhaitez que le diffuseur public ne soit plus indépendant pour ce qui est de l’allocation des fonds?
Mme Andrews : Tout d’abord, je vais tenter de répondre à votre première question au sujet du mandat, parce qu’à mon avis, c’est important.
Lors des dernières séances, on a beaucoup parlé des conditions de licence de CBC/Radio-Canada. Il est vrai que le mandat actuel établi dans la Loi sur la radiodiffusion parle uniquement de régions, et non de radiodiffusion locale. Par contre, on en parle dans les conditions de licence, ce qui fait que CBC/Radio-Canada doit fournir des nouvelles locales.
Le problème que nous soulevons en tant qu’organisation, c’est que dans les conditions actuelles, en matière de nouvelles locales, il n’y a pas de minimum de dépenses pour CBC/Radio-Canada. C’est quelque chose de nouveau que le CRTC a intégré dans les dernières licences, et c’est le motif de notre appel auprès du Cabinet afin que le CRTC revoie la décision.
Comme vous le savez, le CRTC n’a pas encore traité le renvoi de la décision et on s’attend à ce qu’il le fasse d’ici un an, avant l’expiration des licences actuelles pour CBC/Radio-Canada. Pour nous, une première étape serait d’établir un minimum de dépenses pour les nouvelles locales. L’argument du CRTC, c’est que CBC/Radio-Canada a toujours respecté ses obligations, mais ce n’est pas une raison pour ne pas établir un minimum de dépenses.
En ce qui concerne le mandat — la question plus importante —, je dirais que pour l’instant, le mandat de CBC/Radio-Canada est plutôt vague. Comme vous l’avez dit, ce mandat est de divertir et d’informer les Canadiens et Canadiennes. Ce sera une discussion très intéressante. Nous avons fait appel à nos supporteurs dans la dernière année pour leur demander ce qu’ils veulent de la part de CBC/Radio-Canada.
On a surtout parlé d’informations locales. Je pense que tout ce qui est local est très important pour les Canadiens. On a beaucoup parlé des productions originales, des histoires d’ici. La radio est aussi quelque chose de très important pour nos supporteurs.
[Traduction]
La sénatrice Simons : Ma première question est pour M. Gray.
Je dois vous dire que, pour avoir été pendant six ans productrice à CBC Radio à Edmonton et à Toronto, vos chiffres me réjouissent beaucoup, parce que je suis ensuite allée travailler dans des journaux. Je sais, comme l’a dit Mme Lindgren, que tous les types de médias classiques de ce pays connaissent un déclin marqué. Le fait que CBC Radio se maintienne ou même augmente légèrement son auditoire donne à penser qu’elle s’en sort mieux que presque toutes les autres, n’est-ce pas?
M. Gray : En vérité, j’ai examiné CBC comme étant une seule entité, toutes les stations de CBC Radio combinées, et les stations privées comme étant une seule entité. C’est une moyenne. Je compare deux moyennes.
Certaines stations, ou peut-être des stations de radio privées, s’en sortent mieux que CBC, mais en tant que groupe, elles affichent une baisse. Vous avez tout à fait raison. CBC reste généralement stable depuis 10 ans.
La sénatrice Simons : Vous parlez de la radio, pas de la télévision.
M. Gray : C’est exact.
La sénatrice Simons : C’est très intéressant. Je suppose que la vraie question, madame Lindgren, quand vous examinez les fermetures, vous avez mentionné des fermetures concernant CBC/Radio-Canada... Pouvez-vous nous dire où elles ont eu lieu?
Mme Lindgren : Non, je n’ai pas parlé de fermetures à CBC/Radio-Canada. J’ai dit que des stations de radio ont fermé, mais il s’agit de stations de radio privées et communautaires. Ce sont surtout des stations de radio privées et communautaires qui ont fermé. Il y en a eu 37, je crois, depuis 2008, mais 18 depuis peu.
La sénatrice Simons : Vous ne pourrez probablement pas nous le dire, même si j’aimerais le savoir, mais à l’heure actuelle, combien de collectivités dépendent presque entièrement de CBC/Radio-Canada pour leurs nouvelles?
Mme Lindgren : C’est l’un des dilemmes auxquels nous sommes confrontés au Canada. Nous n’avons pas un portrait fidèle des soi-disant déserts d’information, c’est-à-dire les endroits où il n’y a aucune couverture de l’actualité locale. Nous n’avons aucune idée de la couverture des différentes collectivités, celles qui bénéficient d’une meilleure couverture et celles qui sont plus mal couvertes. La réponse est que je ne connais pas la réponse. CBC/Radio-Canada pourrait probablement répondre à cette question. Je pense que le manque de renseignements est en soi un problème lorsque nous réfléchissons au rôle du radiodiffuseur, car il est évident que nous voulons qu’il soit présent là où les autres diffuseurs sont peu nombreux ou carrément absents — s’il y a peu ou pas d’autres options dans le secteur privé, c’est de plus en plus important dans ces endroits.
J’ajouterai que je pense que la présence de CBC/Radio-Canada est de plus en plus importante dans ces endroits à une époque où les conditions météorologiques, les urgences, les inondations et les incendies sont de plus en plus imprévisibles. La radio reste un élément très important de la notification et de la transmission d’informations aux personnes se trouvant dans des situations très difficiles. Ce n’est pas une coïncidence si les trousses d’urgence que l’on recommande aux gens d’avoir en cas d’incendie ou d’inondation contiennent une radio à manivelle.
La sénatrice Simons : J’ai des questions pour tout le monde. Je reviens à M. Gray pour une minute.
L’un des défis est que nous regardons les chiffres de la télévision en sachant que beaucoup moins de gens regardent la programmation télévisuelle, quelle qu’elle soit, pas seulement les journaux télévisés. Ils ne regardent pas la télévision conventionnelle. Bien des jeunes de moins de 30 ans ne possèdent pas de téléviseur. Suivez-vous les téléchargements ou les clics sur les pages Web de CBC/Radio-Canada ou des radios privées? Je pense que c’est ainsi que beaucoup de gens consomment leurs actualités, même si elles sont produites par des radiodiffuseurs conventionnels qui sont passés au numérique.
M. Gray : Nous suivons la vidéo. Nous ne mesurons pas les clics sur une page Web. En revanche, nous saisissons la diffusion en continu de CBC Gem, soit sur un téléviseur connecté, soit sur un téléphone intelligent.
L’étalon utilisé pour les échanges à l’heure actuelle, et c’est ce à quoi j’ai fait référence dans l’ensemble de données que j’ai examiné, est celui de la télévision conventionnelle, car c’est ainsi que les publicités sont achetées et vendues au Canada à l’heure actuelle.
Nous disposons d’un service qui mesure la vidéo en fonction de la diffusion en continu de sociétés non diversifiées, la vidéo à la demande des diffuseurs et le reste en Ontario et au Québec. L’industrie des médias a accès à ces données. D’ici l’été, nous espérons pouvoir déployer ce service à l’échelle nationale. Il appartiendra ensuite à l’industrie de décider à quel moment elle souhaite adopter cet étalon.
Comme je l’ai dit, les clics sur les sites Web et les bannières ne relèvent pas de notre service de mesure. Nous nous occupons de l’audio et de la vidéo.
La sénatrice Simons : J’ai travaillé dans le secteur de la radiodiffusion pendant des années, dans des radios privées avant de travailler à CBC. Les cotes d’écoute étaient importantes parce que c’est ainsi que l’on vendait les publicités.
M. Gray : C’est exact.
La sénatrice Simons : Un point épineux pour de nombreuses publications écrites tient au fait que CBC/Radio-Canada vend de la publicité sur ses sites Web. Est-ce que cela a quelque chose à voir avec vos classements, ou est-ce que cela repose entièrement sur l’information que la société génère, où elle dit à ses annonceurs qu’ils obtiennent « x » nombre de clics parce que Google le lui dit?
M. Gray : En ce qui concerne la publicité sur les sites Web et l’imprimé, cela relève de Vividata, qui est une organisation différente. Ce sont eux qui fournissent les mesures pour le numérique et l’imprimé.
La sénatrice Simons : Intéressant. Merci à tous les témoins.
La sénatrice Dasko : Merci à tous d’être venus.
Monsieur Gray, pourriez-vous décrire la méthodologie que vous utilisez pour mesurer l’écoute et le visionnement? Quelle technologie utilisez-vous?
M. Gray : Nous utilisons sous licence l’audimètre portable de Neilsen. Il s’agit d’un petit appareil qui ressemble beaucoup à un téléavertisseur. Nous avons environ 5 000 foyers canadiens, ce qui équivaut à environ 11 000 personnes, qui portent ce téléavertisseur.
Dans le flux audio des stations de radio et de télévision, un code inaudible en filigrane est capté par ce compteur. Lorsqu’une personne portant l’un de nos compteurs est exposée à la station de radio ou à la chaîne de télévision, le compteur reconnaît ce filigrane et nous transmet l’information. À partir de là, nous procédons à une estimation à l’aide de méthodes statistiques et produisons une estimation de l’auditoire.
Nous suivons les lignes directrices mondiales. Nous avons été audités par le Media Rating Council aux États-Unis et notre méthodologie est conforme aux normes internationales.
La sénatrice Dasko : Vous demandez donc à des personnes de porter un appareil qui vous permet de savoir si c’est la personne X ou Y qui consomme le média en question.
M. Gray : Oui.
La sénatrice Dasko : Pour ce qui est de vos constatations, vous devez être en mesure de distinguer les différentes catégories d’émissions que les gens écoutent ou n’écoutent pas et de déterminer si leurs auditoires augmentent ou diminuent. Je pense que vous nous avez parlé du déclin important de la télévision en général, un déclin moins marqué pour CBC et Radio-Canada dont l’auditoire est stable. La radio est stable. Est‑ce que cela vaut pour toutes les catégories d’émissions ou est-ce que nous constatons une forte baisse de la consommation des actualités par rapport au divertissement, à la musique ou à d’autres catégories, aux émissions spéciales?
M. Gray : Malheureusement, avec la radio, nous ne mesurons pas le type de contenu. Les données pour la radio sont collectées par tranches horaires, par moments de la journée. Je peux regarder les tranches horaires du trajet au travail le matin et du retour à la maison l’après-midi et vous donner des chiffres. La télévision, elle, le fait. Nous avons des cotes d’écoute selon le contenu pour la télévision. Nous pourrions certainement examiner le type de contenu. Bien sûr, CBC/Radio-Canada diffuse des sports, des nouvelles et d’autres choses, et nous pourrions examiner certaines tendances sous ce rapport. Il faudrait que je vous fournisse l’information plus tard. Je n’ai pas les données sous la main.
La sénatrice Dasko : CBC/Radio-Canada produit évidemment divers types d’émissions. Il est très intéressant et utile de savoir ce qui est consommé et surtout ce qui est en hausse ou en baisse.
Madame Lindgren, j’ai quelques questions. Vous avez donné des chiffres sur les médias d’information qui ont fermé et sur la perte nette de médias d’information locaux. Savons-nous ce que font les personnes qui ont perdu leur média? Je pense au déplacement. Ont-ils trouvé d’autres sources d’information en ligne ou ailleurs? Ou peut-être ne cherchent-elles pas vraiment d’autres sources d’information. Je sais que lorsque vous parlez de l’ouverture et de la fermeture de médias d’information, vous ne parlez pas de la perte subie par les personnes qui pouvaient suivre un média d’information qui a fermé ses portes. Que font ces personnes? Je sais que c’est très difficile à mesurer, mais en avez-vous une idée?
Mme Lindgren : La seule impression que j’ai est anecdotique. Si l’environnement médiatique local est relativement riche, en cas de fermeture d’un média, vous devriez idéalement avoir accès à d’autres sources dans votre collectivité pour obtenir des nouvelles locales fiables, ou avoir la possibilité de le faire.
Le problème, c’est qu’en plus des fermetures de médias d’information, beaucoup de médias plus conventionnels qui survivent ont vraiment réduit la quantité d’actualités qu’ils produisent. C’est ainsi que l’on parle en particulier de journaux fantômes ou zombies, qui continuent de paraître, mais qui ne contiennent qu’un ou deux articles.
Il en va de même pour les stations de radio et les chaînes de télévision, qui subissent elles aussi des réductions significatives de leur contenu local. Je viens d’examiner la situation à Kingston, en Ontario, par exemple. Le Kingston Whig Standard, un journal réputé, a été considérablement réduit, au point où il reste moins d’une demi-douzaine de personnes dans sa salle de rédaction.
Au début de l’été, la station locale de Global Television a subi d’importantes compressions. Tout le personnel d’antenne a été licencié. Le journal télévisé a été réduit à une demi-heure. Aujourd’hui, le présentateur est à Peterborough et le choix des sujets se fait à Toronto. J’ai cherché à savoir ce que les gens faisaient à Kingston. Il existe une source d’information numérique en ligne, le Kingstonist.com, et les gens se tournent vers elle, mais encore une fois, il s’agit d’une petite opération, quatre ou cinq personnes, comparativement à un journal comme le Kingston Whig Standard, qui comptait avant plus de 50 personnes.
Je suppose que dans un endroit où il y a des options, les gens les recherchent, mais les nouvelles sont aussi de plus en plus difficiles à trouver. Il faut faire beaucoup plus d’efforts qu’avant pour trouver des nouvelles locales à cause de l’interdiction de Meta, de l’interdiction de Facebook visant les nouvelles locales par suite de l’adoption de la Loi sur les nouvelles en ligne, ou en réaction à cette loi. Ce n’est pas si évident pour les personnes qui avaient l’habitude de voir les nouvelles publiées sur leur fil Facebook et qui pouvaient consommer passivement les nouvelles qui leur parvenaient ainsi. Cela ne se produit pas du tout sur Meta, à moins que quelqu’un ne fasse une capture d’écran, auquel cas il faut aller sur le site et cela demande plus d’efforts. Les gens doivent travailler beaucoup plus fort pour trouver des solutions de rechange aux nouvelles locales, si tant est qu’elles existent. Ce n’est pas une très bonne réponse, mais c’est le mieux que je puisse faire.
Le sénateur Cuzner : Je remercie les témoins ici présents.
Tout d’abord, les sénateurs Simons et Fridhandler doivent connaître le groupe OK Radio dans l’Ouest canadien. Lorsque je vivais à Fort McMurray à la fin des années 1980, je travaillais de temps en temps avec CJOK et CKYX 98. Ils étaient à l’aube de la station de radio numérique. Il n’y avait personne sur place le week-end. Tout se faisait en ligne. Je suis revenu au Cap-Breton, où nous sommes plus lents à prendre le virage, je l’admets. C’était encore très analogique. Dans notre station de radio principale, deux personnes étaient chargées des sports et le service des nouvelles comptait probablement quatre ou cinq personnes, puis il y avait les personnalités en ondes, les DJ, etc. Le mouvement a gagné Fort McMurray. La station a été décimée. Il n’y a plus qu’un seul journaliste à la fois. Tout ce qui arrive à la salle de rédaction est mis hors ligne, mais il y a très peu de nouvelles locales.
Vous pouvez suivre le nombre de stations de radio qui ont fermé. Êtes-vous en mesure de suivre la diminution ou l’atrophie des salles de rédaction locales? Dans beaucoup de stations locales, personne ne sort de la station. Elles comptent sur les gens de l’endroit. Existe-t-il un moyen de suivre cette tendance?
Mme Lindgren : Il n’y a pas de suivi fiable. Nous en entendons parler lorsqu’il y a une série de licenciements. Nous en entendons parler si quelqu’un prend le temps de s’y attarder et d’examiner et d’étudier l’environnement de l’information locale dans une collectivité donnée.
Une partie du problème réside dans le fait que, pour être franche, les médias d’information ne sont pas très enclins à dire aux gens : « Oh oui, continuez à vous abonner à mon journal ou à acheter de la publicité sur ma station, mais nous venons de réduire la couverture de cinq personnes à une seule, ce qui signifie que nous allons en donner moins aux gens pour leur argent, ou que vous allez joindre votre clientèle cible au compte‑gouttes parce qu’il y aura moins de contenu intéressant et que moins de gens seront attirés par ce que nous faisons, ou qu’il y aura moins d’articles dans le journal ».
Cela s’explique en partie par le fait que les salles de rédaction des médias n’ont pas envie d’admettre qu’elles ont tout coupé jusqu’à l’os. Ensuite, les médias sont exploités par le secteur privé et ils ne sont donc pas obligés d’offrir ce service. Troisièmement, personne n’a vraiment essayé à cause de ces difficultés.
Selon les données de Statistique Canada, le nombre de journalistes est resté assez stable au Canada. En revanche, ces données indiquent une explosion du nombre de chargés des relations publiques, un domaine où de nombreux journalistes aboutissent. Comme il y a moins de salles de presse dans les communautés, c’est clair que les journalistes sont moins nombreux à surveiller les faits et gestes des politiciens, à raconter des histoires qui permettent aux gens de mieux se connaître entre eux, à attirer l’attention sur des enjeux difficiles et à proposer des reportages sur des solutions adoptées à d’autres endroits afin de favoriser un dialogue sur des façons d’aller de l’avant.
Nous n’avons malheureusement pas de chiffres précis à cet égard. Les seuls que nous avons concernent une communauté, une station ou un média d’information en particulier.
Le sénateur Cuzner : Monsieur Gray, la perte de Hockey Night in Canada a-t-elle joué pour beaucoup dans le fort déclin du réseau de télévision CBC? Je vous le demande parce que le réseau a perdu le contrat de télédiffusion il y a 10 ans.
M. Gray : Je n’ai pas les données sous les yeux, mais c’est tout à fait possible que cela a joué un rôle. Cela dit, ce n’est certainement pas l’unique facteur.
Le sénateur Cuzner : Concernant CBC, est-ce qu’il est possible de ventiler les chiffres entre la programmation nationale et la programmation locale? Nous avons deux personnalités d’antenne au Cap-Breton, qui ont chacune leur auditoire. J’écoute cette station toutes les fins de semaine. Une partie du public n’écoute jamais les émissions nationales comme The Debaters ou Because News. Ces émissions sont des incontournables pour moi le samedi matin, ce qui en dit long sur ma vie sociale passionnante. Y a-t-il un suivi des chiffres locaux par rapport aux chiffres nationaux?
M. Gray : Nous avons ces données pour la télévision. Nous avons des métadonnées pour la télévision que nous pouvons utiliser pour ces analyses. Toutefois, comme je l’ai expliqué, les achats et les ventes pour la radio se font essentiellement en fonction des blocs horaires. Comme il n’y a pas de métadonnées recueillies sur le contenu, nous ne pouvons pas faire ce genre d’analyses pour la radio.
La vice-présidente : Merci. Les données ventilées entre les émissions d’information nationales et locales de CBC/Radio-Canada pourraient avoir un intérêt pour nous. Pourriez-vous nous les transmettre?
M. Gray : Oui, volontiers.
La vice-présidente : Sénateur Fridhandler, bienvenue au comité.
Le sénateur Fridhandler : Merci.
Les questions que j’ai préparées portent sur des sujets qui ont déjà été évoqués. Je crois que nous avons parlé des exploitants locaux. En fait, j’aimerais savoir si cela intéresse les téléspectateurs. Est-ce que le mandat que nous allons donner et les sommes que nous allons y consacrer peuvent vraiment changer quelque chose? Ce que j’entends, c’est que la situation est stable du côté de la radio, ce qui est une bonne nouvelle. Mais allons-nous vraiment avoir un impact? Existe-t-il des données probantes qui indiquent que l’argent ou la nature du mandat vont influencer les habitudes des téléspectateurs?
La vice-présidente : Madame Boltman, pouvez-vous répondre à cette question?
Mme Boltman : Oui, je peux y répondre, mais j’aimerais tout d’abord présenter les choses sous un angle différent. Il est beaucoup question de statistiques, mais nous oublions les conséquences pour les communautés, ce que signifie vraiment pour elles la disparition des nouvelles qui les concernent. Je vais mentionner deux éléments avant de répondre directement à la question. Le vide laissé par la perte des nouvelles locales, comme nous l’avons appris, est rempli de deux façons. Premièrement, il est rempli par les nouvelles nationales qui, c’est bien connu, font la part belle à des voix dominantes et à des discours plus clivants que les nouvelles locales en général. C’est un des facteurs qui expliquent l’ampleur du phénomène de l’évitement des nouvelles. C’est aussi lié à votre question. Avons-nous perdu des téléspectateurs? Vont-ils revenir après avoir été rebutés par le contenu des nouvelles ou ont-ils choisi de s’informer ailleurs? Si on combine tout cela à la surexposition à la désinformation dans les médias sociaux, nous nous retrouvons avec une société sans cesse plus divisée et plus méfiante à l’égard des institutions et des processus démocratiques. Ce sont les conséquences de cette perte.
Quant à la question de savoir si on pourra regagner la faveur du public et si la situation l’intéresse, la réponse est oui. Du moins je pense. Si vous me le permettez, je peux vous parler de nos consultations auprès d’un bon nombre de nos sympathisants au fil des ans, et surtout récemment, pour connaître leur opinion au sujet de CBC/Radio-Canada, de l’étude menée par la ministre du Patrimoine canadien ou de la constitution d’un comité consultatif sur CBC/Radio-Canada. Nous leur avons demandé ce qu’ils pensent de tout cela, et j’aimerais citer quelques-uns d’entre eux.
La vice-présidente : Madame Boltman, faites-vous référence à des sondages? Quand vous parlez de vos sympathisants, faites‑vous référence à des études? De quoi parlez-vous au juste?
Mme Boltman : Nous avons fait énormément de choses. Nous avons notamment réalisé un sondage en novembre dernier au sujet de la confiance à l’égard des nouvelles. Au Canada anglais, les répondants ont placé CBC au premier rang au chapitre de la confiance et de la fiabilité des nouvelles. Radio-Canada occupait le deuxième rang au Canada français. Ce dont je parle, c’est la manière dont nous communiquons avec nos sympathisants. Nous leur avons donné la parole pour recueillir leurs points de vue sur CBC/Radio-Canada et les changements à apporter. Près de 10 000 personnes ont participé à cette campagne. C’est à cela que je fais référence quand je parle du sentiment des gens à l’égard des nouvelles locales et de l’importance qu’elles revêtent pour eux.
Si vous me le permettez, je vais citer deux de nos sympathisantes. La première est Judy, du Manitoba :
Tous les matins, il n’y a rien de mieux que les nouvelles locales de CBC pour me mettre en contact avec ma communauté. J’y trouve beaucoup plus que de simples comptes rendus. Ces nouvelles me donnent le pouls de la vie chez nous. C’est un service essentiel, surtout dans les régions où tous les autres médias locaux ont disparu. Le travail dévoué de CBC/Radio-Canada pour nous présenter des histoires locales nous garde informés, mais, et c’est le plus important, il renforce les liens au sein de notre communauté.
Je vais vous lire un autre témoignage parce que je pense que c’est toujours formidable d’avoir le point de vue des gens. Nous pouvons parler en leur nom et les représenter, mais c’est fondamental d’entendre leurs points de vue. Voici ce que Janet, de la Nouvelle-Écosse, nous a écrit :
Les reportages locaux de CBC font plus que nous informer. Ils jouent un rôle central pour notre ville. Tous les ans, j’ai peur que ce lien vital disparaisse. Le déclin des médias locaux est inquiétant. Nous ne pouvons pas laisser CBC subir le même sort. Il faut redoubler d’efforts pour que CBC reste une voix forte, qui nourrit notre unité et qui nous informe sur les nuances au sein de notre communauté.
J’espère avoir répondu à vos questions sur la pertinence de donner un mandat, ses conséquences et la capacité d’attirer un auditoire. Ce que nos sympathisants nous répètent sans cesse, c’est que les nouvelles locales sont extrêmement importantes pour eux et qu’ils ne conçoivent absolument pas qu’elles puissent disparaître.
Le sénateur Fridhandler : Je veux bien, mais ces gens sont ceux qui sont encore à l’écoute. Ceux qui ont cessé de le faire... Par exemple, quand je parle à des professionnels, à des gens instruits dans la trentaine ou la quarantaine, ils me disent que cela ne les intéresse plus. Ils utilisent leurs appareils pour consulter telle ou telle source, et se soucient très peu de ces questions. Je pense qu’il serait plus utile d’avoir l’avis de ceux qui ne font pas partie de l’auditoire actuel et de savoir s’il est possible de les intéresser à nouveau à ces contenus.
Mme Boltman : Je crois qu’ils sont à l’écoute, à la différence qu’ils utilisent d’autres sources. Toutefois, tous ces nouveaux médias n’ont pas la même portée et la même capacité d’atteindre un auditoire aussi large, et ils n’ont pas non plus les responsabilités réglementaires de CBC/Radio-Canada quant à la rigueur des pratiques journalistiques et de l’information. Ces autres médias offrent du contenu qui est en bonne partie fondé sur des opinions, tout simplement parce que la collecte de faits coûte cher. La production de nouvelles locales coûte cher, et c’est pourquoi les médias privés retirent leurs billes. Ils arrêtent de produire des nouvelles, surtout locales, à cause de leurs difficultés financières croissantes. Je suis consciente qu’il ne faut pas mettre des mots dans la bouche de ceux qui restent silencieux, mais on ne peut pas affirmer que ces gens ne sont pas là. Tout simplement, on leur a offert d’autres options.
Je pense vraiment que nous comprenons mal le rapport des Canadiens avec l’information et les sources qu’ils utilisent pour s’informer. Nous avons l’impression que tout le monde s’informe dans les médias sociaux. Pourtant, ce n’est pas ce que révèlent les sondages et les études. Les nouvelles provenant des médias sociaux sont celles auxquelles les gens font le moins confiance. J’ai déjà dit que CBC est la source qui suscite le plus de confiance. Il faut bien regarder ce qui est offert, quelles sources les gens consultent pour s’informer et les responsabilités auxquelles elles sont tenues de diffuser des nouvelles rigoureuses, vérifiables et crédibles plutôt que, comme je l’ai dit, du contenu d’opinion. Les Canadiens sont de plus en plus nombreux à se dire exaspérés par la désinformation qui circule sur les médias sociaux et à chercher des sources d’information plus fiables. Je suis convaincue que les Canadiens pensent que les nouvelles locales peuvent leur offrir cette fiabilité.
La sénatrice Clement : Merci à tous de votre participation.
J’ai été conseillère municipale et mairesse durant l’ère jurassique où de vrais journalistes suivaient les travaux du conseil et devaient donc assister à des réunions de quatre à six heures pour en rendre compte à la communauté. Nous n’étions pas toujours contents quand ils déformaient nos propos ou quand il y avait des désaccords sur divers enjeux, mais l’important était que toute la communauté avait accès à leurs comptes rendus dans les diverses sources accessibles et qu’il y avait des discussions sérieuses et profondes entre nous. Les gens n’étaient pas toujours d’accord avec nous, mais ils avaient l’assurance que le conseil agissait de manière transparente, et que les comptes rendus sur les travaux provenaient de journalistes qu’ils côtoyaient à l’épicerie.
Une voix : Un journal?
La sénatrice Clement : Exactement, un journal... Nous avons encore un journal, mais le journaliste doit couvrir 20 événements par jour et il est toujours à la course à cause des compressions de personnel.
Pouvez-vous me dire — je lance la question à la cantonade — ce qui fonctionne le mieux? Je crois avoir entendu certains d’entre vous affirmer que des médias d’information arrivent à tirer leur épingle du jeu. Quels sont les points communs entre ceux qui ont réussi à survivre? Quels sont leurs atouts?
J’aimerais aussi vous entendre au sujet des médias communautaires ou dirigés par des Autochtones et des personnes de diverses identités. Ont-ils réussi à accroître leur notoriété et à susciter la confiance dans l’information qu’ils diffusent?
Madame Lindgren?
Mme Lindgren : Oui. Il y a beaucoup...
En premier lieu, pour ce qui concerne le rétablissement de la confiance, les recherches indiquent qu’un des facteurs déterminants tient à la présence des journalistes sur le terrain. Le fait de les côtoyer à l’épicerie, pour reprendre votre exemple, joue un grand rôle dans la confiance accordée aux médias locaux. Les gens ont ainsi le sentiment que les journalistes connaissent la communauté et ses enjeux, qu’ils n’ont pas été parachutés chez eux et qu’ils ne partiront pas après deux heures une fois leur reportage bouclé. La présence sur le terrain me semble très importante, et c’est quelque chose que les journalistes de CBC/Radio-Canada... Il ne faut pas perdre de vue que cette présence joue un immense rôle dans leur travail, qui ne serait pas possible s’ils venaient seulement de temps en temps. C’est la première chose.
L’autre constat qui devient de plus en plus évident, c’est que le contenu est au cœur de la survie des médias locaux. La publicité est devenue un enjeu très complexe et les gens ne se fient plus nécessairement aux stations de radio ou de télévision, ou aux journaux locaux pour les annonces publicitaires. La publicité est partout dans Internet et ils peuvent y trouver exactement ce qu’ils cherchent pour faire leurs achats. Les gens se tournent vers d’autres sources pour les annonces publicitaires et l’horaire des émissions de télévision — il n’y en a plus vraiment —, et ils ne font plus non les mots croisés des journaux locaux. Alors pourquoi les consultent-ils? Ils les consultent à cause du contenu, pour avoir de l’information qui leur est utile au quotidien. Le contenu peut aussi être divertissant et amusant, donner des nouvelles sportives ou sur les activités d’autres personnes. Ce qui compte, c’est que le contenu ait un intérêt pour les gens. C’est fondamental de pouvoir produire ce genre de contenu.
Il faut aussi entretenir les liens avec la communauté. On constate de plus en plus clairement que les organes d’information ne peuvent pas mettre trop d’accent sur l’aspect transactionnel. Ils ne peuvent pas se contenter de dire aux lecteurs que le journal va être livré à leur porte ou qu’ils auront accès au site de nouvelles moyennant tel ou tel montant. Pour faire partie de la communauté et faire preuve d’engagement à son égard, ces organes doivent être à l’écoute de ses points de vue et s’assurer que l’information diffusée tient compte de la diversité au sein de la communauté. Il faut aussi que cette diversité soit représentée dans la salle de presse. Les médias ont encore énormément de chemin à faire en matière de diversité, mais c’est aussi important.
Ce sont deux facteurs déterminants de la survie. Pour les convaincre de les soutenir en s’abonnant, en faisant un don ou en devenant membres, les gens doivent croire en ce que font les organes d’information. Ils doivent leur offrir quelque chose de tangible en quoi croire. C’est un tout autre modèle que celui qui consiste à produire une publication et à s’enrichir grâce à la publicité. C’est fini le temps où une publication pouvait avoir l’exclusivité et attirer des lecteurs parce qu’ils n’avaient pas d’autre choix pour s’informer, consulter les annonces des épiceries, faire les mots croisés et regarder les petites annonces. Ce modèle n’existe plus. De nos jours, il faut trois ou quatre sources de revenus pour survivre. Et pour cela, il faut accorder la priorité au contenu et aux liens avec la communauté, faire du journalisme qui sert l’intérêt public et pour lequel les gens sont prêts à payer d’une façon quelconque.
La sénatrice Clement : Est-ce que quelqu’un souhaite ajouter quelque chose au sujet des médias dirigés par des Autochtones ou dans diverses langues?
La vice-présidente : Je vous demanderais de donner des réponses un peu plus courtes pour que nous puissions passer à d’autres questions.
Mme Boltman : Mme Lindgren a fait un très bon résumé, et je ne vais pas en rajouter. Je vais me contenter de dire que je suis tout à fait d’accord avec elle concernant la manière d’assurer la survie de l’information locale. C’est parce que tout cela a disparu... Auparavant, quand les gens ouvraient le journal, ils pouvaient lire la rubrique culturelle, la rubrique sociale, les nouvelles locales, les bandes dessinées. Ils avaient toutes ces autres raisons de lire le journal. La une jouait peut-être un rôle, mais, dans beaucoup de médias grand public qui ont renoncé à publier des nouvelles locales, on trouve seulement des nouvelles percutantes et clivantes qui intéressent les mordus de politique. Il n’y a plus rien de pertinent pour la vie communautaire ou quotidienne. C’est pourquoi, comme je l’ai dit précédemment, de moins en moins de gens écoutent ou lisent les informations. Ils se sont désintéressés et ils ont éteint leurs appareils parce que le contenu ne leur plaît pas. Ils n’aiment pas ce qu’ils entendent.
Pour survivre, il faudra revenir à l’idée que l’information locale, à ce qui suscite la confiance... Comme il a été dit, la confiance se gagne localement, à l’épicerie par exemple. Les gens doivent se sentir en pays de connaissance, pouvoir s’identifier à quelqu’un qui fait partie de la communauté. C’est la seule manière de survivre et de réintéresser les gens aux nouvelles, de contrer la polarisation, la division et, bien entendu, la désinformation.
La vice-présidente : Si vous me le permettez, j’aurais une question qui porte précisément sur CBC/Radio-Canada, parce que je constate que nous nous sommes éloignés du sujet.
J’aimerais savoir, très brièvement — la question s’adresse à vous deux ou à l’ensemble des témoins —, si CBC/Radio-Canada en fait suffisamment en matière de nouvelles locales et régionales. Qu’en pensez-vous? Est-ce que la couverture est suffisante? Est-ce que le financement de la société assure une présence à l’échelle locale? Nous avons parlé du contexte général, et c’est très intéressant. Vous avez répété à quelques reprises, madame Lindgren, que c’est pour cette raison que CBC/Radio-Canada doit être présente, mais est-ce qu’elle est présente? Est-ce suffisant? Mme Boltman aurait peut-être quelque chose à dire également. J’aimerais que vous me donniez toutes les deux une réponse brève.
Mme Andrews : Pour répondre très rapidement à votre question, CBC/Radio-Canada diffuse des nouvelles locales essentielles aux Canadiens.
[Français]
Est-ce qu’ils peuvent en faire plus? Absolument. Comme je le mentionnais plus tôt, en ce qui concerne les conditions de licence, il devrait y avoir un minimum de dépenses sur le plan des services locaux pour CBC/Radio-Canada. Cependant, on sait que dans les communautés où CBC/Radio-Canada n’est pas présente, on peut en faire plus. Est-ce une question d’argent? Fort probablement. On demande beaucoup à CBC/Radio-Canada, alors que le financement est de 33 $ par personne par année.
Pour nous, la question du financement est la base. On va attendre de voir ce que la ministre va nous annoncer au cours des prochaines semaines et de voir quelle sera sa proposition sur le modèle de financement. On s’attend à ce qu’elle parle de l’importance des nouvelles locales dans le cadre d’une CBC/Radio-Canada revue et améliorée.
[Traduction]
La vice-présidente : Qu’en pensez-vous, madame Lindgren?
Mme Lindgren : Je pense que CBC/Radio-Canada pourrait en faire davantage pour ce qui est de la diffusion de nouvelles locales aux communautés. Je crois aussi qu’il devrait y avoir davantage de collaboration. Dans une communauté où il y a un ou deux journalistes de CBC/Radio-Canada, une petite station de radio et un petit journal, ils pourraient collaborer à des projets et se pencher ensemble sur divers problèmes auxquels la communauté fait face afin de chercher des solutions et d’offrir un lieu de dialogue. Je pense que la société pourrait et devrait en faire davantage.
La sénatrice Clement : J’aimerais revenir sur les données concernant les médias d’information dirigés par des Autochtones ou qui diffusent de l’information destinée à des communautés en particulier. Faites-vous un suivi de ces médias? Est-ce que les résultats sont concluants?
Mme Lindgren : Le service de programmation autochtone de CBC/Radio-Canada remporte un bon succès et l’offre est abondante. Je crois que c’est important.
Je n’ai pas de données précises sur les bureaux existants dans des régions éloignées. Je sais qu’une station de CBC/Radio-Canada comme celle de Thunder Bay couvre une vaste région dans le Nord et de nombreuses communautés. J’ai grandi dans cette ville, et je peux dire que ces communautés sont beaucoup mieux servies par CBC/Radio-Canada actuellement. Cela dit, c’est une question de priorités. Est-ce que CBC/Radio-Canada estime qu’il est plus important d’ajouter un journaliste sur la Colline du Parlement ou d’autres journalistes dans de petites communautés qui ont perdu leurs médias d’information locaux ou qui, dans le cas des communautés nordiques ou éloignées, n’en ont jamais eu?
La vice-présidente : Pensez-vous qu’il devrait y avoir moins de journalistes sur la Colline du Parlement et davantage dans les communautés? Vous avez posé la question, mais vous n’y avez pas répondu, et nous sommes ici pour entendre des points de vue.
Mme Lindgren : Je ne pense pas forcément qu’il faut réduire le nombre de journalistes sur la Colline. Ce que je souhaite, c’est qu’il y en ait davantage à l’échelon local, qu’on augmente les ressources à ces endroits.
La sénatrice Simons : La question du sénateur Fridhandler m’a plongée dans une crise existentielle. J’ai travaillé dans les médias sociaux. En 1999, si je publiais une grosse nouvelle en première page du Edmonton Journal, j’étais certaine que 250 000 personnes la liraient. Mais toute cette étude part de l’hypothèse que CBC/Radio-Canada devrait élargir sa couverture locale parce que c’est important.
Dans un monde où tout le monde écoute Call Her Daddy et Joe Rogan, jamais les nouvelles locales, comment parviendrons‑nous à convaincre les gens d’oublier un moment la déferlante de nouvelles qui viennent de partout dans le monde, y compris le vaudeville qui se déroule actuellement au sud de la frontière, et de s’intéresser aux nouvelles locales? Suis-je en train d’essayer de persuader les gens de manger malgré eux du chou frisé et de l’avoine?
La vice-présidente : Comme la question est assez simple, je vous inviterais à donner une réponse succincte. Nous devrons nous arrêter bientôt. Merci de donner des réponses brèves.
Mme Boltman : Tout d’abord, permettez-moi de dire que j’aime le chou frisé et l’avoine, et que je suis loin d’être la seule.
On entend toujours qu’il n’y a pas de public, que les gens ne sont pas à l’écoute. Pourtant, selon l’étude de l’Université McGill qui a été citée tout à l’heure, environ 78 % des Canadiens souhaitent le maintien de CBC/Radio-Canada reste et de son financement. Il y a des critiques, et on peut penser que 78 % des Canadiens souhaitent également que ce qui les dérange soit réglé. Je ne crois pas que l’effritement de l’auditoire soit le vrai problème, surtout pour ce qui est des bulletins d’information de CBC/Radio-Canada. Tout semble très bien aller du côté de ces bulletins de nouvelles. Les difficultés liées aux auditoires et aux chiffres concernent davantage les émissions de divertissement, et elles touchent tous les télédiffuseurs, qui doivent se battre contre la domination américaine des plateformes de diffusion en continu de contenus étrangers.
Les gens qui écoutent les bulletins d’information restent fidèles, et je crois qu’ils seraient à l’écoute si on leur offrait davantage de nouvelles locales. C’est ce qui explique pourquoi les gens sont si préoccupés actuellement par la crise des nouvelles locales.
La sénatrice Simons : Les nouvelles locales... La question porte sur les nouvelles locales.
La vice-présidente : C’est ici que se conclut notre discussion avec ce groupe de témoins. Merci beaucoup. Ce fut fort intéressant.
Madame Boltman, pouvez-vous nous transmettre l’étude de l’Université McGill? Je ne crois pas que nous l’avons reçue. Ce serait intéressant. Allez-vous être en mesure de faire cela pour nous?
Mme Boltman : Absolument. Nous allons vous l’envoyer.
La vice-présidente : Merci beaucoup à vous tous d’avoir été aussi généreux.
[Français]
Honorables sénatrices et sénateurs, nous nous réunissons maintenant pour poursuivre notre étude des services locaux fournis par la SRC.
Pour notre deuxième groupe de témoins ce soir, nous accueillons en présentiel Kevin Desjardins, président de l’Association canadienne des radiodiffuseurs.
[Traduction]
Le comité accueille en outre M. Matthew Hatfield, directeur exécutif chez OpenMedia, ainsi que M. Kirk LaPointe, journaliste et professeur agrégé de journalisme à l’Université de la Colombie-Britannique. Tous les deux comparaîtront par vidéoconférence.
Bienvenue, et merci de vous joindre à nous. Nous allons commencer par vos déclarations liminaires, pour lesquelles vous disposez de cinq minutes chacun. M. Desjardins aura la parole en premier, suivi de MM. Hatfield et LaPointe. Nous passerons ensuite à la période des questions et réponses. Monsieur Desjardins, vous avez la parole pour cinq minutes.
Kevin Desjardins, président, Association canadienne des radiodiffuseurs : Madame la présidente, distingués membres du comité, merci de me recevoir à nouveau.
[Français]
Merci de nous donner l’occasion de partager avec vous le point de vue des radiodiffuseurs privés dans cette discussion importante.
C’est toujours un plaisir pour moi de comparaître devant ce comité, puisque je représente plus de 700 stations et services privés qui forment l’Association canadienne des radiodiffuseurs.
[Traduction]
De toute évidence, le comité a eu de multiples possibilités de discuter de l’industrie canadienne de la radiodiffusion ces dernières années, et nous vous sommes reconnaissants de reprendre l’examen de la question précise du rôle du radiodiffuseur public dans le système canadien de radiodiffusion.
Les membres de l’Association canadienne des radiodiffuseurs peuvent certes avoir différentes opinions quant au rôle de CBC/Radio-Canada, mais la légitimité du rôle que la Loi sur la radiodiffusion confère au radiodiffuseur public fait généralement l’unanimité. Cependant, nous croyons fermement que ce rôle doit être dicté par un mandat et non par le marché.
Le rôle du radiodiffuseur public devrait être complémentaire à celui des radiodiffuseurs privés. En conséquence, nous estimons que le radiodiffuseur public ne devrait pas concurrencer les radiodiffuseurs privés dans trois domaines névralgiques : la publicité; les droits de diffusion et le recrutement de talents. C’est à notre avis primordial dans un environnement mondial en constante évolution, où, du jour au lendemain, les géants du numérique ont envahi le marché de la publicité et sont devenus des joueurs dominants. La présence économique d’un radiodiffuseur public qui bénéficie d’importantes subventions d’exploitation annuelles et qui concurrence directement les radiodiffuseurs privés dans ces trois domaines névralgiques a des répercussions négatives. En plus, la course aux revenus publicitaires et à la programmation populaire détourne CBC/Radio-Canada de son mandat de service public.
Dans le domaine de la publicité, la présence de CBC/Radio-Canada fausse les lois du marché. En effet, pour ce concurrent de taille, la publicité représente une source secondaire de revenus, alors que c’est le nerf de la guerre pour les diffuseurs privés. Chaque dollar que CBC/Radio-Canada empoche pour des annonces publicitaires sur les plateformes de radiodiffusion réduit la part de moins en moins importante de l’assiette publicitaire destinée à la télévision et à la radio. Comme la publicité est une source secondaire de revenus, CBC/Radio-Canada a plus de latitude et peut faire baisser les tarifs au détriment de l’ensemble de l’industrie.
Nous voyons un lien direct entre l’éloignement de son mandat et les possibilités de la société en matière de publicité. Si la société CBC/Radio-Canada avait des limites à respecter relativement à la publicité, elle n’aurait aucune raison de concurrencer les radiodiffuseurs privés sur le plan des contenus. Actuellement, pour attirer les annonceurs, le radiodiffuseur public fait la course aux cotes d’écoute et fait ainsi grimper le prix des droits de diffusion du contenu populaire étranger ou canadien.
[Français]
Il faudrait aussi noter que la discussion sur le rôle de Radio‑Canada comme perturbateur du marché, notamment au Québec, mérite un certain examen. Alors que CBC est malheureusement un concurrent trop commercial au Canada, Radio-Canada fait ouvertement concurrence au Québec. Dans une certaine mesure, cette concentration sur les intérêts commerciaux dans cette province pourrait miner son rôle et son mandat, qui est de servir les communautés de langue officielle en situation minoritaire partout au pays.
[Traduction]
Il est également important d’examiner la manière dont le radiodiffuseur national exploite ses canaux numériques en constante évolution pour adopter une approche plus ouvertement commerciale. Il n’y a aucune publicité sur les ondes des stations de radio de CBC/Radio-Canada, mais des annonces publicitaires sont maintenant diffusées sur certaines des extensions numériques de ces stations. Quand le format d’une émission de radio est rafraîchi pour en faire un balado, des annonces publicitaires peuvent y être intégrées. Et sur le site Web, des bannières publicitaires sont ajoutées aux publications.
Les services de diffusion en continu Gem et ICI TOU.TV ne donnent pas seulement un accès numérique au catalogue du radiodiffuseur. Pour financer ces services numériques de diffusion en continu, CBC/Radio-Canada vend des espaces publicitaires ou perçoit des droits d’abonnement, et elle obtient les droits d’un éventail beaucoup plus large d’émissions internationales plus populaires pour inciter les Canadiens à se connecter à ses plateformes.
L’orientation résolument commerciale des extensions numériques de la société CBC/Radio-Canada nous donne une très bonne idée de l’orientation générale qui sera privilégiée par le radiodiffuseur s’il n’est pas explicitement enjoint à se concentrer sur son mandat de service public. Durant la période des questions, je pourrai parler plus en détail du recrutement de talents et de son rôle dans ce domaine.
La vice-présidente : Merci beaucoup. Nous allons maintenant entendre Matt Hatfield.
Matthew Hatfield, directeur exécutif, OpenMedia : Bonsoir. Je m’appelle Matt Hatfield et je suis directeur exécutif d’OpenMedia, une communauté populaire non partisane de plus de 250 000 personnes au Canada qui travaillent pour un Internet ouvert, abordable et sans surveillance.
Je me joins à vous aujourd’hui depuis le territoire de la nation huronne-wendat, des Sénécas, des Haudenosaunee et des Mississaugas de Credit.
J’ai quatre points à vous présenter ce soir : les raisons pour lesquelles le projet de loi C-18 est raté, les arguments pour un journalisme local financé par des fonds publics, un point sur la valeur de l’information et des pistes de solution au problème du journalisme local.
Le projet de loi C-18 a été une perte nette pour le journalisme canadien. Google fournira finalement 100 millions de dollars de financement, mais si l’on soustrait le financement antérieur de Google et si l’on tient compte des énormes pertes de trafic causées par le retrait de Meta, le projet de loi C-18 est déficitaire pour la plupart des organes de presse canadiens. Il est incontestablement déficitaire pour les petits médias locaux, dont beaucoup ont perdu 50 % ou plus de leur public du jour au lendemain.
Le projet de loi C-18 a mal compris le problème de l’information à deux égards essentiels. Tout d’abord, il est erroné de penser que la diffusion des actualités avait une énorme valeur financière que Meta s’appropriait. Comme le CRTC vous l’a dit hier, les actualités sont en fait un produit d’appel. Elles n’ont été rentables que lorsqu’elles servaient à attirer les lecteurs vers un ensemble de produits non liés aux actualités. Aujourd’hui, la plupart des Canadiens consultent les petites annonces et les nouvelles des mondes du sport et du spectacle ailleurs sur Internet. Cela ne changera pas, peu importe les lois que nous adopterons.
Mais plus fondamentalement, le projet de loi C-18 fait fausse route en rendant coûteuse la diffusion d’un journalisme de qualité. En effet, le gouvernement taxe les plateformes qui permettent la diffusion du bon journalisme, alors que la mésinformation reste exonérée d’impôt. C’est comme si nous essayions de taxer les légumes alors que la bière et les cigarettes n’étaient pas taxées. Les résultats parlent d’eux-mêmes.
C’est précisément parce que la production des actualités n’est pas rentable que les pouvoirs publics ont tout intérêt à la financer. Cela signifie probablement qu’il faut mettre de l’ordre dans la toile opaque des subventions que le gouvernement a créée pour financer l’information privée et la remplacer par un système simple et plus permanent que le public canadien puisse comprendre. Par contre, comme nous avons un radiodiffuseur public établi, sa priorité absolue devrait être de mettre fin à tous les déserts de l’information canadiens que le secteur privé ne peut pas alimenter.
Plus tôt dans cette séance, on nous a rappelé que CBC/Radio-Canada a pour mission d’informer, d’éclairer et de divertir, mais il est certain que lorsqu’un pilier aussi fondamental pour la démocratie que le fait d’informer les Canadiens est si profondément menacé, combler cette lacune devrait être la priorité absolue de CBC/Radio-Canada parmi les trois citées, et non pas une priorité égale.
Plusieurs d’entre vous ont demandé aux témoins précédents comment mesurer la valeur des actualités. Je ne sais pas si vous avez trouvé leurs réponses satisfaisantes. Pas moi. La valeur des actualités ne consiste pas à cocher des cases dans la Loi sur la radiodiffusion. Elle ne se résume pas aux bureaux d’information ou aux stations de radio, ni au nombre d’heures qualifiées de programmation régionale. L’information est un bien social, ayant une valeur à la fois directe et indirecte. La valeur du journalisme d’enquête qui met au jour la corruption dans le bureau du maire de ma localité n’est pas déterminée par le fait que j’ai ouvert mon poste tous les soirs pour entendre l’histoire de première main. L’existence de journalistes d’enquête couvrant les actions des administrations et des entreprises locales profite à tous les membres de la collectivité, ceux qui les suivent de près comme ceux qui ne les suivent pas. C’est pourquoi il est essentiel que chaque collectivité canadienne, quelle que soit sa taille, dispose de journalistes d’enquête à temps plein qui passent leur journée à rédiger des articles d’intérêt sur leur collectivité locale, et non à mettre un mince vernis sur une couverture nationale.
La sénatrice Simons m’a incité à faire quelques calculs approximatifs sur ce que coûterait l’affectation de journalistes locaux spécialisés dans les baladodiffusions dans chaque désert d’information. Quelle que soit la façon dont j’ai fait les calculs, c’est extraordinairement peu par rapport au budget global de CBC/Radio-Canada.
Comme je vous l’ai déjà dit, nous avons plus que jamais besoin d’un système journalistique largement distribué et fiable à l’échelle locale. Notre démocratie est sur les rails face à un train de mésinformation crédible créée par l’IA qui ne fait que prendre de l’ampleur et de la vitesse. Pourtant, si l’on se fie aux témoignages entendus ici jusqu’à présent, au lieu de travailler ensemble pour nous éloigner des rails, les principales institutions canadiennes sont occupées à se disputer pour savoir à qui revient la tâche de faire démarrer le véhicule.
J’ai quatre recommandations à vous faire. Premièrement, il faut donner au secteur privé la meilleure chance possible de combler le vide en augmentant le crédit d’impôt pour les médias canadiens, qui passerait d’un taux insignifiant de 15 % à un taux plus substantiel de 70 %. Nous pouvons également aider CBC/Radio-Canada en la sortant complètement du secteur de la publicité, le gouvernement comblant les déficits budgétaires qui en résulteraient. Si CBC/Radio-Canada ne s’engage pas volontairement à mettre fin à la publicité et à financer l’affectation de journalistes dans chaque désert d’information, je vous encourage à modifier la Loi sur la radiodiffusion pour qu’elle n’ait pas d’autre choix que de faire les deux.
Enfin, je vous ai dit que le projet de loi C-18 avait fait fausse route en rendant le journalisme de qualité coûteux alors que la mésinformation est bon marché. Nous pouvons faire en sorte que le journalisme canadien de qualité soit encore moins cher à diffuser que la bouillie la moins chère de l’IA en exigeant des licences Creative Commons pour tous les contenus d’information de CBC/Radio-Canada. Les Canadiens paient déjà une fois pour le contenu de CBC/Radio-Canada; il nous appartient déjà., mais à titre de mesure structurelle, les licences Creative Commons favoriseraient la diffusion du contenu de qualité de CBC/Radio-Canada bien au-delà du Web canadien, en informant les Canadiens et en aidant le secteur privé à couvrir des sujets qu’il n’a pas les moyens de couvrir autrement.
Je vous remercie de votre attention et je suis impatient de répondre à vos questions.
La vice-présidente : Merci beaucoup.
Avant d’entendre M. Kirk LaPointe, je tiens à préciser, dans un souci de transparence, que nous avons tous deux été ombudsmans. M. LaPointe était l’ombudsman de CBC tandis que j’ai joué ce rôle à Radio-Canada, donc nous nous connaissons, mais nous avons un lien avec CBC/Radio-Canada.
Monsieur LaPointe, nous vous écoutons.
Kirk LaPointe, journaliste, professeur agrégé de journalisme, Université de la Colombie-Britannique, à titre personnel : Merci, madame la présidente, et merci de m’offrir la chance de m’adresser au comité sur le sujet important de l’avenir de notre radiodiffuseur public.
Je suis journaliste depuis 45 ans. Je dirigeais CTV News le jour des attentats du 11 septembre. J’ai participé à la création du National Post en qualité de premier directeur général. J’ai été chef du bureau d’Ottawa de ce qui était alors une presse canadienne beaucoup plus importante. J’ai dirigé la salle de rédaction du Vancouver Sun, Southam Inc., et le Hamilton Spectator et, plus récemment, j’ai été éditeur et rédacteur en chef de la publication Business in Vancouver et vice-président de la rédaction de sa société mère, Glacier Media, la plus grande de tout l’Ouest canadien. J’enseigne l’éthique et le leadership à l’école de journalisme, de rédaction et des médias de l’UBC, où je travaille depuis 21 ans.
J’ai travaillé deux fois pour CBC, une fois comme animateur à Ottawa lors du lancement de CBC Newsworld, aujourd’hui appelé CBC News Network, et plus tard, comme madame la présidente l’a dit, j’ai été l’ombudsman de langue anglaise pour CBC. De toutes les périodes de ma carrière, celles que j’ai passées à CBC étaient les formes de service les plus authentiques, celles où nous tenions compte de nos obligations envers le public le plus large. Ce sont ces périodes qui ont pris la plus grande place dans mon cœur, c’est pourquoi cela me brise le cœur de voir où CBC est rendue.
Comme vos travaux portent sur les services locaux que CBC fournit, je vais concentrer ma déclaration liminaire sur ce point, bien que j’aie quelques idées sur la programmation. Les actualités locales traversent actuellement une crise existentielle — vous l’avez entendu régulièrement — et pas seulement chez le radiodiffuseur public.
Les actualités locales sont aujourd’hui confrontées à de vastes défis, car leur modèle économique traditionnel, qui consiste à subventionner les dépenses journalistiques ostensiblement grâce aux recettes publicitaires, a été bouleversé par les puissantes technologies de Google et Meta. Ces deux entreprises détiennent aujourd’hui 70 % de la part de la publicité numérique dans le pays, et cette part ne cesse de croître. Rien n’a remplacé, ou n’est prêt à remplacer, la perte de cette position sur le marché pour les services locaux et nous avons vu des organes de presse et des centaines, voire des milliers, d’emplois disparaître ou diminuer à cause du duopole.
Les nombreuses entreprises en démarrage n’ont pas l’envergure nécessaire pour placer les autorités devant leurs responsabilités. Même avec un afflux de subventions publiques — auquel je ne souscris pas particulièrement, mais que je comprends maintenant — les fonds ne sont que des pansements sur une plaie très ouverte pour le journalisme canadien.
Non seulement le journalisme se trouve aujourd’hui dans la situation économique la plus défavorable qu’il ait jamais connue, mais il n’a jamais eu aussi peu la confiance du public. Il y a de bonnes raisons à cela lorsque les médias ne parviennent pas à demander des comptes aux institutions ou commettent des erreurs d’omission ou de commission dans les histoires et les thèmes qu’ils couvrent.
CBC News a ses propres problèmes, car on attend davantage d’elle en tant que représentante de tous les Canadiens et pas seulement d’une partie du marché canadien. Je pense qu’elle a perdu une partie de sa stature parce qu’elle s’est un peu égarée en chemin. Elle n’a pas trouvé dans son journalisme la recette pour satisfaire le grand public canadien alors qu’elle relevait le défi important d’élargir sa représentation de notre pays. Elle semble avoir privilégié la diversité des images à la diversité des points de vue et, ce faisant, elle n’a fait qu’échanger une version antérieure de l’aliénation des auditoires contre une nouvelle version.
Cela a ouvert un flanc très vulnérable pour la société et a donné l’occasion à ses opposants de réclamer l’abolition de son financement. J’ai soutenu que CBC doit être réparée, et non supprimée, et que l’opinion de ses détracteurs selon laquelle elle sert de porte-parole au gouvernement fédéral est ridicule et mal informée. En tant que consommateur avide d’information, je peux attester que bon nombre des enquêtes les plus audacieuses sur ce gouvernement, et sur les gouvernements précédents de toutes allégeances proviennent de ses salles de rédaction, mais ses opposants n’ont pas tous tort, et CBC doit être plus ouverte pour répondre à leur critique selon laquelle ses services ne traitent pas de tous les points de vue en profondeur et ne représentent donc pas une optimisation suffisante des ressources.
Malgré les lacunes de CBC News, toute mesure visant à l’affaiblir sans résoudre d’abord le mystère du modèle commercial défaillant dans l’ensemble du journalisme serait une cruauté envers les collectivités canadiennes. CBC est parfois le dernier média présent. S’il est vrai que le journal télévisé de CBC n’est plus le plus populaire du pays depuis des décennies, les services fournis en particulier par la radio, où il n’y a pas d’acteurs viables dans le secteur privé, sont l’épine dorsale de l’information et des débats canadiens dans de nombreuses collectivités. Les responsables des journaux télévisés doivent mieux comprendre comment fournir ce que les gens veulent, et vite, parce que leurs défenseurs sont de moins en moins nombreux. Le problème n’est pas aussi criant du côté de la radio.
Si je peux ajouter un point à la discussion d’aujourd’hui, ce serait de vous exhorter à inciter CBC/Radio-Canada à revitaliser le mandat de ses ombudsmans francophone et anglophone. Ces mandats ont été modifiés à la hâte il y a une douzaine d’années et sont devenus parmi les plus faibles au monde pour ce qui est de représenter le public et de traiter ses plaintes. C’est au cœur des problèmes que le public vit avec le radiodiffuseur public. Bien que je respecte ceux qui ont occupé ces fonctions, leur pouvoir de demander des comptes à CBC et à Radio-Canada dans leurs salles de rédaction est illusoire dans les conditions actuelles. Si le radiodiffuseur public veut retrouver le chemin pour toucher les Canadiens, l’une des mesures qu’il doit prendre est d’être perçu comme plus responsable et plus accessible dans le traitement des plaintes sur son travail.
Je vous remercie de votre attention et je serai heureux de répondre à vos questions.
La vice-présidente : Merci à tous. Si vous le permettez, je vais poser une question.
La sénatrice Simons : Je pense qu’elle a été préparée pour vous.
La vice-présidente : Monsieur LaPointe, je suis très intéressée. Lorsque vous avez parlé de CBC, je ne sais pas si vous pensez que Radio-Canada s’est également égarée et qu’elle a confondu la diversité telle qu’elle la présente avec la diversité des points de vue. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet et nous donner des exemples? Cela concerne-t-il les actualités locales, ou est-ce une déclaration plus générale que vous faites sur CBC/Radio-Canada? Est-ce que cela inclut Radio-Canada ou seulement CBC?
M. LaPointe : Je vais limiter mes remarques à CBC, madame la présidente, parce que je n’écoute pas Radio-Canada à Vancouver.
Malgré tout le travail louable que fait CBC pour couvrir ses collectivités, je crois qu’elle s’est éloignée de façon mesurable de ce qui, selon les sondages d’opinion publique, serait aujourd’hui la pensée politique et idéologique la plus répandue au Canada, et donc la pensée dominante, sur certains enjeux.
Même si elle s’est grandement et intelligemment améliorée, à mon avis, je pense qu’elle n’a malheureusement pas réussi à apporter aux personnes qui la représentent à l’antenne, aux personnes qui la représentent dans les salles de rédaction à travers le pays, une diversité de points de vue suffisante pour satisfaire ce large public qui, selon les sondages d’opinion, entraînera un changement de gouvernement au cours de l’année prochaine. Je pense que, d’une certaine manière, elle s’est fait du tort en ne suivant pas les changements qui se produisaient dans le pays et en n’offrant pas un contenu satisfaisant, d’une manière ou d’une autre, sur les enjeux économiques ou, dans certains cas, sur les enjeux sociaux et en ne leur accordant pas une certaine crédibilité.
Je ne dis pas que CBC devrait commencer à nier les changements climatiques ou à rejeter l’importance de la réconciliation avec les Autochtones ou l’importance primordiale de faire venir plus de gens au Canada pour que, bien franchement, le pays en tire profit. Rien de tout cela n’est en cause. C’est le type de conservatisme budgétaire que la plupart des Canadiens défendent actuellement qui, selon les sondages, est l’une des principales raisons de l’insatisfaction envers ce gouvernement et de l’ouverture à une option plus tard l’année prochaine.
La vice-présidente : Très bien. Cela s’applique-t-il aussi aux actualités locales? Ce que vous suggérez?
M. LaPointe : Oui.
La vice-présidente : À tous les niveaux?
M. LaPointe : Je ne peux parler que pour les marchés de Vancouver, de Toronto et parfois d’Ottawa que j’écoute. En général, le point de départ du journalisme n’est pas de se faire l’écho de ce dont leurs auditeurs parlent, selon les sondages d’opinion publique — et pas seulement leurs auditeurs, mais leurs non-auditeurs en particulier — lorsqu’ils n’écoutent pas la radio à ce moment-là ou qu’ils ne regardent pas la télévision.
Je pense que cela fait maintenant une génération qu’on se plaint que CBC ne reflète pas les opinions modérées et conservatrices des Canadiens. Dans le cas présent, nous avons vu ces dernières années que les opinions des Canadiens modérés se sont durcies. Cela me brise le cœur d’entendre que lors des rassemblements du chef conservateur, il reçoit les applaudissements les plus nourris lorsqu’il évoque l’abolition du financement de CBC. L’argent rentre plus vite dans les caisses du parti. Ce n’est pas un bon signe lorsque votre radiodiffuseur public est perçu comme un radiodiffuseur d’État et lorsque vous ne programmez pas correctement vos bulletins d’information pour laisser de la place à ce genre de discussion avec des voix conservatrices ou aux reportages qui ont pour thème des préceptes conservateurs sur la façon dont l’économie et certains programmes sociaux devraient être construits.
La sénatrice Simons : J’aimerais revenir sur un point que MM. Desjardins et Hatfield ont soulevé, la question de la publicité à CBC/Radio-Canada, parce que c’est là notre dilemme. J’ai travaillé pendant 23 ans dans la salle de rédaction de l’Edmonton Journal. Nous sommes devenus de plus en plus agacés parce que CBC n’est pas seulement en concurrence avec Global et CTV. Elle est en concurrence avec les organes de la presse écrite, car tout le monde est passé au numérique. Elle était en concurrence directe avec le service publicitaire de notre journal pour les annonces. Il n’y a rien que je trouve plus ennuyeux que d’écouter mon balado de CBC/Radio-Canada et d’avoir une publicité au milieu, parfois une publicité qui entre en conflit avec le contenu du balado. Pourtant, comme M. LaPointe vient de le dire, le chef conservateur fait ses choux gras en promettant d’abolir le financement de CBC/Radio-Canada.
Si j’accepte l’argument que vous avez tous deux fait valoir, messieurs Desjardins et Hatfield, à savoir que CBC/Radio-Canada devrait moins dépendre de la publicité, voire ne pas en dépendre du tout, cela signifie nécessairement qu’elle aurait besoin d’une augmentation considérable de son financement public. Oh, oui, c’est vrai, parce que vous lui enlevez une grande partie de ses revenus, mais je suis d’accord pour dire que déshabiller Pierre pour habiller Paul ne nous mène à rien.
Je commencerai par M. Desjardins, puis M. Hatfield. Pensez-vous que CBC/Radio-Canada, pour se libérer de la publicité, devrait légitimement recevoir un afflux important de fonds afin de répondre aux besoins de son mandat local?
M. Desjardins : Merci, monsieur. Je suis heureux que nous revenions sur ce sujet.
Les crédits parlementaires accordés à CBC/Radio-Canada s’élèvent à environ 1,3 milliard de dollars. Elle gagne environ 300 millions de dollars en publicité. Elle dépense environ 75 millions de dollars pour réaliser ces 300 millions de dollars de publicité. Le trou dont vous parlez est d’environ 200 ou 225 millions de dollars. Encore une fois, s’agit-il d’un afflux massif qu’il faudrait injecter?
Je pense qu’avec les crédits parlementaires dont la société dispose, elle serait en mesure de les redéployer davantage vers les actualités locales et moins vers La guerre des clans ou peu importe, ce genre d’émissions qui entraînent des dépenses importantes, mais qui sont engagées pour attirer des téléspectateurs afin d’attirer des annonceurs. Vous sortez CBC/Radio-Canada du jeu de la publicité et elle peut alors se concentrer sur son mandat. Pour nous, c’est important. Encore une fois, je pense que le radiodiffuseur public a un rôle à jouer qui n’est pas de concurrencer les radiodiffuseurs privés. Il s’agit de compléter ce que les radiodiffuseurs privés sont capables de faire.
La sénatrice Simons : Monsieur Hatfield, vous avez parlé de partenariats vraiment complémentaires. Nous pourrions peut-être approfondir ce point.
M. Hatfield : Je suis sûr que si nous essayons de recréer toutes les salles de nouvelles télévisées et écrites qui ont existé, cela coûterait extraordinairement cher. Je me demande si c’est strictement nécessaire ou si c’est l’utilisation la plus efficace des fonds dans ce cas. Peut-être faudrait-il encourager CBC/Radio-Canada à se doter d’équipes plus légères, peut-être axées sur le numérique ou l’audio dans de nombreuses collectivités canadiennes et s’assurer qu’elles sont présentes dans toutes les collectivités canadiennes.
CBC/Radio-Canada devrait peut-être bénéficier d’un financement public plus important pour faire de son contenu une ressource utilisable par tous les Canadiens. Si vous disposez d’une licence Creative Commons, cela signifie qu’en tant que Canadien, je peux faire toutes sortes de choses amusantes et intéressantes avec le contenu de CBC News. Cela signifie également qu’un petit radiodiffuseur privé pourrait remplir une partie de mon horaire en rediffusant le contenu de CBC et se concentrer ensuite sur mon contenu original là où j’apporte une valeur ajoutée unique.
M. LaPointe : Je vais mettre mon grain de sel et consacrer moins d’une minute à une idée que j’ai exposée dans une série d’articles au fil des ans. Je pense que CBC devrait être exempte de publicité à la télévision, mais qu’elle devrait également se retirer de la production d’émissions télévisées. Elle devrait être une vitrine pour ce que le secteur privé crée. Le secteur privé devrait utiliser les engagements qu’il a pris par l’intermédiaire du CRTC en matière de dépenses de contenu canadien et créer des émissions qui seront populaires auprès des Canadiens et les diffuser toutes sur CBC.
La sénatrice Simons : Monsieur LaPointe et monsieur Desjardins, nous nous concentrons ce soir sur la programmation locale, donc je pense que cela n’est pas aussi pertinent que la question que je voulais poser à M. Hatfield. Comment envisagez‑vous ces partenariats avec les journaux locaux et les stations de radio privées locales au-delà des licences Creative Commons pour reproduire le texte ou le son?
M. Hatfield : Je ne suis pas un professionnel de l’industrie, je ne veux donc pas m’écarter trop de mon champ de compétence pour me prononcer sur le fonctionnement éventuel des partenariats. Je pense que ce qui est formidable avec les licences Creative Commons, c’est que CBC/Radio-Canada et le CTRC n’ont pas à décider. Le contenu est disponible, et dans le cadre de paramètres assez larges. Je suis sûr que les médias locaux trouveraient des moyens intéressants et uniques de mettre en valeur le contenu de CBC/Radio-Canada et probablement de lui attirer des publics qu’il n’atteindrait jamais selon les paramètres de CBC/Radio-Canada.
La sénatrice Simons : Je suppose que la question touche également la formation, si vous travaillez avec des baladodiffuseurs locaux pour les former à faire des balados de meilleure qualité avec un son de meilleure qualité, si vous travaillez avec des communautés autochtones ou racisées locales pour leur donner les outils nécessaires pour faire de la baladodiffusion.
M. Hatfield : Oui, et le CRTC a certainement investi dans ce domaine. J’ai également encouragé CBC/Radio-Canada à embaucher certaines de ces personnes dans les collectivités locales. Dans certaines collectivités, il se peut qu’il n’y ait plus jamais d’arguments commerciaux suffisamment forts pour avoir un ou deux journalistes locaux. Le gouvernement devrait intervenir dans certains cas.
La sénatrice Simons : Merci beaucoup.
Le sénateur Cuzner : Merci beaucoup. Des points très intéressants ont été soulevés. J’essaie de m’en tenir à l’objet de l’étude.
La vice-présidente : L’objet de notre étude, c’est-à-dire les nouvelles locales.
Le sénateur Cuzner : Je vous remercie de m’avoir invité au sein de votre comité le jour où vous avez pris vos fonctions.
Vous avez dit « ne devrait pas être en concurrence ». Cela concerne davantage l’échelle nationale. Pourriez-vous nous expliquer comment la concurrence pour les annonceurs, les droits de diffusion et le recrutement de talents se déroulerait à l’échelle locale?
M. Desjardins : Je pense que c’est dans certains marchés de taille petite ou moyenne que la concurrence pour les talents se fait sentir, et que certaines petites stations de radio et de télévision n’ont pas forcément la capacité de proposer le même type d’offre concurrentielle que CBC/Radio-Canada lorsqu’elles décident de s’implanter dans un territoire. Cela s’est certainement produit à plusieurs reprises, lorsque nous avons entendu une belle histoire sur le fait que CBC/Radio-Canada investissait davantage dans certains endroits, mais lorsqu’elle le fait, cela signifie que le coût de l’embauche de journalistes dans ces endroits commence à augmenter.
La publicité qui est vendue sur plusieurs plateformes différentes, surtout numériques, est une publicité qui peut être locale. La publicité numérique est hyperlocale, et c’est l’un des défis que la radio doit relever, pour être honnête. Elle a perdu des annonceurs au profit du numérique parce que le numérique était une technologie de surveillance. Elle peut vous dire à quelle distance vous devez marcher pour arriver ici ce soir, et me proposer une publicité pour chaque endroit devant lequel je suis passé ou devant lequel je me suis arrêté, ce qui n’est pas une exagération.
À l’époque de la COVID, surtout lorsqu’il y a eu des fermetures à l’échelle locale, de nombreuses stations de radio ont perdu des annonceurs au profit du numérique, d’autant plus que les lieux n’étaient plus ouverts, mais faisaient des affaires en ligne et de manière numérique.
Pour en revenir à CBC/Radio-Canada, absolument, lorsqu’elle investit, mais seulement lorsqu’il y a une possibilité d’avantage commercial pour elle, ce qui a un effet délétère sur les radiodiffuseurs privés dans certaines de ces régions.
Le sénateur Cuzner : Je n’ai pas vu cela dans ma propre collectivité, mais j’ai vu M. Hatfield acquiescer au fait qu’il s’agissait d’une question locale en ce qui concerne la publicité. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet? Y a-t-il des exemples précis que vous pourriez nous donner, ou simplement des généralités?
M. Hatfield : Pas nécessairement. M. Desjardins a peut-être des exemples plus précis à ce sujet.
Il est certain qu’une grande partie de la publicité est fortement locale. Elle est ciblée géographiquement, et le numérique exerce donc une concurrence directe à l’échelle locale.
M. LaPointe : Le problème que présente une grande partie de cette publicité géociblée, c’est qu’elle est entre les mains de Google et de Meta, et pas tellement entre les mains des médias traditionnels.
Chez Glacier Media, ces formes de publicité programmatique et algorithmique nous ont causé bien des problèmes lorsqu’elles étaient bien utilisées. La pile technologique dans ces endroits est inégalée dans le monde, et je ne pense pas que les médias canadiens puissent faire quoi que ce soit à ce sujet.
Bien que je comprenne l’approche du gouvernement actuel, qui consiste à essayer de convaincre Google — et peut-être un jour Meta — de fournir quelques subventions, ces subventions ne représentent qu’une petite fraction de ce que cette plateforme a gagné en créant cette formidable pile technologique, en nous donnant accès à sa technologie pour nous permettre d’atteindre nos auditoires, mais sans recevoir en retour, vraiment, ce que nous pensons que ce service vaut.
Le sénateur Cuzner : Monsieur LaPointe, je n’avais rien de particulier à vous demander au sujet de votre exposé ou de votre témoignage, mais j’ai beaucoup aimé votre point de vue et votre perspicacité.
M. LaPointe : Je vous remercie.
La sénatrice Dasko : Eh bien, nos témoins nous donnent certainement bien de choses auxquelles penser d’aujourd’hui.
En ce qui concerne CBC/Radio-Canada et ses revenus publicitaires, il est évident que c’est une partie importante du flux de ses rentrées à l’heure actuelle. Il est vraiment difficile d’imaginer ce qu’elle ferait sans eux, mais c’est ce que je vais demander à tous les témoins. Si la télévision de CBC/Radio-Canada devait perdre ses recettes publicitaires et ne pas pouvoir faire augmenter ce qu’elle reçoit du gouvernement, que devrait‑elle faire? Quelles seraient ses priorités en l’occurrence — ce qui pourrait bien arriver, car je ne suis pas sûre que le public voit d’un bon œil une augmentation marquée des subventions accordées à CBC/Radio-Canada. J’ai tendance à voir les choses ainsi à l’heure actuelle. Qui sait? Dans l’éventualité qu’une telle situation se présente, que pense chacun d’entre vous que CBC/Radio-Canada devrait faire? Sur quoi devrait-elle se concentrer? Je vais commencer par M. Desjardins.
M. Desjardins : Comme je l’ai dit, pour renverser la perspective et contempler la question du point de vue de mes membres, ceux-ci verraient CBC/Radio-Canada commencer chaque année avec une avance de 1,3 milliard de dollars sur le reste de l’industrie, et le reste de l’industrie devra alors trouver le moyen de financer tout ce qu’elle doit faire. Au cours de la dernière décennie, la société a perdu de l’argent sur les programmes canadiens et les nouvelles. Les nouvelles, bien qu’elles soient toujours populaires, sont difficiles à monétiser.
La sénatrice Dasko : Les nouvelles sont populaires, c’est bien ce que vous venez de dire?
M. Desjardins : Oui. Si vous regardez les cotes d’écoute, surtout sur les chaînes linéaires, les choses qui attirent les gens sont les sports, les émissions de téléréalité et les nouvelles. Les nouvelles sont toujours populaires.
Il est parfois difficile de les monétiser, parce que les annonceurs ne veulent pas forcément que leur publicité soit associée à une histoire déplaisante ou autre chose du genre. C’est difficile. Je ne crois pas que cela ait toujours été le cas. C’est davantage le fait des annonceurs, je pense.
Mais 1,3 milliard de dollars, c’est tout de même une belle somme d’argent qu’ils peuvent utiliser. L’acquisition de propriétés étrangères et leur canadianisation ou l’acquisition de certains matériels — je pense à la quantité de contenu qui se trouve sur CBC Gem. Je ne suis pas sûr que l’intérêt public justifie la diffusion de Portlandia. Même si j’aime l’émission, je ne suis pas sûr qu’elle soit au cœur de la mission de service public.
La sénatrice Dasko : Monsieur LaPointe, que diriez-vous? Si je pouvais ajouter quelque chose — que j’aurais pu ajouter pour vous aussi — comme question partiellement distincte, étant donné que le sujet est local, quel rôle, le cas échéant, la programmation régionale et locale devrait-elle jouer dans ces scénarios futurs? Permettez-moi d’ajouter cela.
M. LaPointe : Tout d’abord, ce serait formidable que CBC/Radio-Canada diffuse plus d’émissions locales et régionales, parce que c’est un des domaines qu’elle a ostensiblement abandonnés au fur et à mesure que les conditions économiques se sont resserrées.
Je suis fortement d’avis qu’il faut renverser la situation. Je pense qu’il faut trouver un tout autre modèle, car ce qui s’est passé pour la presse imprimée et les journaux dans ce pays s’est également produit pour la télévision et, bien sûr, la radio privée. C’est pourquoi j’ai lancé l’idée que les engagements en matière de contenu canadien pour les programmes — pour les programmes autres que les nouvelles, en particulier — pris par le secteur privé devraient, d’une manière ou d’une autre, être... ces fonds devraient servir à produire du matériel qui sera ensuite diffusé sur CBC/Radio-Canada et non sur ces chaînes.
Ces chaînes devraient pouvoir laisser le marché décider de ce qu’elles vont diffuser, et si cela veut dire tous les programmes internationaux, c’est ce que ça veut dire, à l’exception des nouvelles. Je pense que les nouvelles doivent être protégées.
CBC/Radio-Canada devrait se retirer de la production directe. Elle devrait être, essentiellement, le présentateur, ce qui réduirait, bien sûr, ses coûts et sa programmation. Elle continuerait à veiller à ce que des émissions canadiennes soient produites, qu’elles soient bien conçues et qu’elles soient populaires. Il devrait être possible de créer des indicateurs qui permettraient l’orientation de tout cela.
Je crois que l’on aboutirait à un système beaucoup plus axé sur le marché, qui transférerait l’argent du secteur privé à CBC/Radio-Canada et lui permettrait d’épargner des fonds en présentant des programmes internationaux et d’avoir une meilleure chance d’être rentable dans les années à venir.
Je pense que nous sommes perdus en ce qui concerne cette question, parce que notre objectif tend à être beaucoup plus précis que le crédit parlementaire de 1,3 milliard de dollars que CBC/Radio-Canada reçoit. Nous concentrons notre attention sur la télévision de CBC/Radio-Canada et oublions le fait que sa radio fonctionne extrêmement bien dans ce pays. Les services du Nord fonctionnent très bien, Radio-Canada est respectée et n’a pas les mêmes problèmes que la télévision de CBC/Radio-Canada et que les nouvelles télévisées, en particulier, qui ne sont plus la source dominante du marché depuis très longtemps. Nous n’avons tout simplement pas rattrapé notre retard. Le secteur privé est bien en avance sur les nouvelles de CBC/Radio-Canada depuis une génération, et par « génération », j’entends 25 ou 30 ans.
La sénatrice Dasko : Dans ce scénario, qu’arrive-t-il aux émissions de nouvelles de CBC/Radio-Canada? Disparaissent‑elles?
M. LaPointe : Non. Elles ne devraient pas disparaître, mais elles doivent se remettre en état, comme je l’ai dit. Ce n’est pas seulement un problème d’auditoire, c’est aussi un problème d’absence d’auditoire, les personnes qui ont décidé de ne pas écouter les nouvelles, parce que celles-ci ne les intéressent pas.
Je reconnais que ma génération de dirigeants a très mal réussi à communiquer avec l’ensemble du Canada et qu’elle s’est concentrée sur un domaine très étroit. En conséquence, cela nous a coûté, je pense, de larges auditoires dans ce pays.
En tant que journalistes, nous avons une meilleure performance aujourd’hui en ayant des salles de rédaction diversifiées et en trouvant les sujets qui plaisent à un plus grand nombre de Canadiens, mais nous n’avons pas progressé parallèlement en étant également ouverts à la perspective qu’ont les gens des sujets et des thèmes qu’ils souhaitent voir abordés. Je crois que nous sommes à mi-chemin, et cela précise ce que CBC/Radio-Canada doit faire en particulier sur ses marchés.
Comme je l’ai dit, je peux parler de Vancouver. Je pourrais parler de Toronto. Je connais assez bien le marché de l’Alberta et d’Ottawa, mais je pense que c’est au cœur de la raison pour laquelle CBC/Radio-Canada en voit de toutes les couleurs actuellement sur le plan politique. Il ne lui reste plus beaucoup de temps pour se reprendre avant que la catastrophe n’arrive.
La vice-présidente : M. Hatfield a levé la main, nous allons donc le laisser parler de cette question.
M. Hatfield : Je crains que nous ne risquions d’essayer de résoudre un problème qui est impossible à résoudre et qui n’existe pas non plus. Si nous définissons le problème comme nous demandant si les gens reviendront pour regarder une heure de téléjournal de CBC/Radio-Canada tous les soirs, non, ils ne reviendront pas. Cela n’arrivera jamais, et aucune qualité de programmation, aussi magique soit-elle, n’y parviendra. Mais si nous définissons le problème comme nous demandant si nous soutenons suffisamment le journalisme de qualité pour qu’il puisse faire son travail au Canada, si ces journalistes sont répartis équitablement dans les collectivités canadiennes et si leur travail est accessible aux personnes qui en ont besoin, je pense que c’est un problème qui peut être résolu.
Les gens s’engagent beaucoup moins dans tous les types de médias. Ils sont beaucoup plus sélectifs. Ils prêtent attention aux choses lorsqu’elles leur parviennent de leurs réseaux sociaux et que des personnes qu’ils connaissent leur disent : « Hé, c’est vraiment important. Jetez-y un coup d’œil. » Ainsi, des histoires personnelles acquerront énormément d’attention de la part du public, mais cela ne se produit pas par l’écoute des nouvelles du jour ou du soir.
Je m’inquiète beaucoup moins de la manière dont les gens reçoivent les nouvelles, que du fait que le système lui-même comporte un nombre décent de reporters et que les gens puissent y avoir accès au bon moment.
Le sénateur Fridhandler : Je m’adresse d’abord à M. Desjardins, mais j’accueillerais volontiers les observations des autres.
Vous avez préconisé trois points que vous jugez nécessaires pour remédier à ce que fait CBC/Radio-Canada : supprimer la publicité, supprimer la concurrence en matière de contenu et supprimer la concurrence en matière de talents. Je comprends très bien le problème de la publicité, mais si nous l’envisageons à l’échelle locale, je ne vois pas très bien comment on peut limiter la concurrence pour le contenu quand c’est un contenu local. Peut-être que vous parlez d’un autre niveau, mais je vous laisse le soin de l’expliquer. En ce qui concerne les talents, avez‑vous les mains liées et êtes-vous contraints à prendre les talents qui restent parce que vous ne pouvez pas attirer un bon diffuseur? Pouvez-vous nous expliquer comment vous envisagez ces restrictions, les deux dernières?
M. Desjardins : Oui. Il y a deux ou trois choses.
En ce qui concerne la concurrence pour le contenu, je tiens à dire que, oui, je travaille à l’échelon supérieur ou national, mais je comprends qu’il y a des décisions qui sont prises à l’interne, et comme je parle de redéploiement des fonds au sein de CBC/Radio-Canada, où la priorité est-elle placée? Est-elle accordée au contenu national ou au contenu local? À un certain échelon, ce n’est pas exactement un jeu à somme nulle, mais des décisions sont prises pour donner la priorité à certains par rapport à d’autres. Encore une fois, s’ils ne sont pas dans le jeu de la publicité, ils ne vont pas courir après les dollars publicitaires et ils peuvent alors redéployer ces fonds. Cela devrait aider, je l’espère, à expliquer un peu tout cela.
Même dans les endroits où ils investissent beaucoup à l’échelle locale, si vous prenez Toronto, cette ville est incroyablement bien desservie par les radiodiffuseurs privés en ce qui concerne les nouvelles, mais je me risquerais à dire que CBC/Radio-Canada dépense plus à Toronto et à Montréal que dans la plupart des provinces de cette Confédération pour les nouvelles. On peut donc se demander si elle a sa place sur des marchés où elle est en concurrence. Elle est en concurrence avec un certain nombre d’acteurs privés pour des budgets publicitaires dans les journaux télévisés du soir.
Cela nous amène à la question du talent. Le talent ne se limite pas aux personnes qui se trouvent devant le micro ou à l’antenne. Franchement, j’ai entendu parler de cas où des personnes qui travaillaient dans les ventes pour un radiodiffuseur privé ont été incitées à aller travailler dans les ventes pour le radiodiffuseur public.
Le sénateur Fridhandler : Il n’y a plus de vente.
M. Desjardins : Il n’y a pas de vente, mais il y a tout de même d’autres façons d’acquérir des talents parce que CBC/Radio-Canada peut arriver sur un marché et payer plus que ce qui est généralement payé sur ce marché. Il y a certains endroits où elle serait la brute du quartier. Pour être franc avec vous, dans toute la province de Québec, je dirais que c’est un défi; Radio‑Canada est le tyran du bloc au Québec et peut aller attirer des talents auprès des radiodiffuseurs privés.
Le sénateur Fridhandler : S’ils ne sont pas en concurrence pour les dollars publicitaires, une grande partie de cette situation se répercuterait sur les deux autres facteurs principaux.
M. Desjardins : Exactement. C’est le cœur du problème. L’argent de la publicité est au cœur d’une grande partie de nos débats, non seulement sur ce projet de loi, non seulement sur le projet de loi C-18, mais aussi sur le projet de loi C-11. Comme l’argent de la publicité continue de quitter le pays, il n’y a pas d’argent pour soutenir un grand nombre de ces obligations ou les choses que les radiodiffuseurs veulent faire.
La sénatrice Clement : Merci à tous d’être ici et d’être toujours prêts à venir parler aux comités du Sénat. Nous vous en sommes reconnaissants.
Je ne sais vraiment pas quoi demander. Je ne sais pas, et je ne suis généralement pas désemparée, mais je le suis.
Pouvez-vous nous expliquer pourquoi le journalisme local est essentiel à une démocratie saine?
Monsieur Hatfield, vous avez dit que les gens n’allaient plus regarder les nouvelles comme avant. C’est fait, c’est mort. Que doit faire CBC/Radio-Canada alors? La sénatrice Dasko y a fait allusion dans sa question, alors je vais y revenir. Que doit faire CBC/Radio-Canada? Je crois, monsieur Hatfield, que vous avez parlé de partenariat avec le secteur privé. À quoi cela ressemblerait-il?
Aidez-moi à expliquer pourquoi le journalisme local est essentiel à une démocratie saine.
M. LaPointe : Permettez-moi de commencer par cette question, parce que mon dernier rôle était celui de vice-président de la rédaction pour la chaîne de publications de l’Ouest canadien Glacier Media — c’est la plus grande — et j’ai révisé des journaux locaux, et j’écris encore chaque semaine pour eux.
Je dirais qu’il y a, à l’échelle locale, un lien palpable et tangible avec le public que le radiodiffuseur ou journaliste national n’a pas. On me répond immédiatement lorsque j’écris une chronique ou un article qui a touché les gens, les a fait changer d’avis, les a incités à faire quelque chose, les a empêchés de faire quelque chose, ou les a incités à agir rapidement, car cette chronique ou cet article était pertinent. Il est bien sûr plus difficile de voir le terrain avec précision, plus on monte en altitude, et c’est là que les médias nationaux ont vraiment du mal à présenter les détails du sujet, bien qu’ils fassent parfois un travail majestueux sur de grandes questions.
Je crains que lorsque nous perdons cela, parce que nous sommes en train de le perdre — il ne fait aucun doute dans mon esprit que nous sommes en train de le perdre, et que nous créons des déserts d’informations causés par le modèle commercial brisé —, nous perdons notre identité au sein de notre collectivité. Nous n’avons pas de moyen commun de comprendre certaines des priorités, que ce soit au conseil municipal, au conseil d’administration de l’école, à l’événement sportif de l’école secondaire, ou à toute autre chose qui rythme la vie d’une collectivité. Je crois que CBC/Radio-Canada doit rester dans le jeu, et le rester très vigoureusement, parce que le secteur privé essaie encore de trouver le modèle commercial pour cela, s’il y en a un, en fait.
Je produis des balados tout le temps. J’en ai enregistré un aujourd’hui. Je comprends leur valeur. Je déteste le dire, mais il y a encore des centaines de milliers de personnes dans certaines collectivités, dont la mienne à Vancouver, qui se mettent devant le poste de télévision à 18 heures pour regarder le téléjournal local, ou qui, le matin, écoutent en masse la radio locale. Le fait même de ce genre de rendez-vous régule en quelque sorte leurs priorités collectives au cours d’une journée. C’est une chose importante.
Même si j’aime bien la fragmentation des médias en raison de leur diversité, cette fragmentation va à l’encontre de la cohésion de la collectivité à certains égards. C’est donc très précieux. Je ne saurais trop vous dire à quel point c’était important dans toutes les collectivités que j’ai visitées, où le journal local, le site Web local, la station de radio locale, la station de télévision locale sont les moyens par lesquels les gens mettent leur pendule psychologique à l’heure selon ce que la collectivité représente pour eux.
La sénatrice Clement : Monsieur Hatfield?
M. Hatfield : Je suis d’accord. Je dirais que les médias jouent un rôle crucial en montrant aux gens ce qui ne va pas dans nos sociétés, qui est à blâmer pour ce qui ne va pas et comment nous pouvons y remédier.
Souvent, il y a beaucoup de frustration et d’énergie indépendantes qui sont motivées par des choses valables. Les médias sont un élément important de l’écosystème qui canalise cette énergie dans des directions qui améliorent réellement les choses. Les universitaires et les groupes de pression comme le nôtre y contribuent également, mais les médias sont un élément indispensable de cet écosystème.
Au-delà de cela, je dirais que pour les médias locaux, la couverture médiatique locale est encore plus importante à bien des égards parce que personne d’autre que les médias locaux ne peut donner aux gens cette perspective sur les questions d’actualité dans leur collectivité immédiate. Le genre d’engagement des gens lorsque ceux-ci traitent de choses dans leur collectivité tend à être beaucoup moins polarisé, plus pratique et plus utile que le genre d’engagement que l’on voit à l’échelle nationale ou internationale.
Sénatrice Clement, nous avons déjà parlé de l’effet des médias sociaux. Personnellement, j’ai été attiré par des microdrames dans d’autres pays parce qu’ils se trouvaient dans l’excitation du jour des médias sociaux. Ce n’est ni utile ni productif pour moi. Ce n’est certainement pas dépolarisant. En revanche, lorsque les médias locaux abordent un sujet, je suis obligé de dialoguer avec mes voisins. En général, nous arrivons à faire quelque chose et nous avons une conversation moins polarisée à ce sujet.
M. Desjardins : Je serai aussi bref que possible.
La radio locale est une chose qui se perd un peu dans cette conversation. Nous avons tendance à penser aux médias sociaux mondiaux par rapport à la télévision, etc. La radio est hyperlocale et branchée sur les collectivités, surtout dans les cas d’incendie, d’inondation, d’ouragan, etc.
Je sais que mes membres travaillent très dur pour rester à l’antenne, ce qui m’inspire vraiment. Lorsque les réseaux de téléphonie mobile et de câblodistribution tombent en panne, ou quoi que ce soit d’autre, la radio est là. Comme l’a mentionné le groupe de témoins précédent, les trousses d’urgence des gens contiennent une radio à manivelle.
Ce n’est pas seulement dans ces cas-là. Si vous participez à des barbecues communautaires ou à d’autres événements du genre, les stations de radio diffusent toujours dans la collectivité l’information qui n’est pas toujours d’intérêt national ni même régional. C’est ce lien qu’elles établissent qui permet aux gens de savoir ce qui se passe dans leur collectivité.
M. LaPointe : J’ajouterais, en passant, qu’une chose ne nous manque qu’une fois qu’on l’a perdue. Tous les députés de la Chambre des communes s’ennuieraient des nouvelles locales de CBC/Radio-Canada s’il n’y en avait plus. Elles leur manqueraient.
La vice-présidente : À ce propos, monsieur LaPointe, vous avez dit que CBC/Radio-Canada avait abandonné — vous avez utilisé le mot « abandonné » — la programmation locale ou les nouvelles locales. C’est un terme très fort. Est-ce le bon terme?
M. LaPointe : Je ne me souviens pas d’avoir dit qu’elle avait « abandonné » les nouvelles locales.
La vice-présidente : Si, vous l’avez dit.
M. LaPointe : C’est vrai? Je perds la mémoire.
La sénatrice Simons : Il y a des journalistes dans la salle, monsieur.
M. LaPointe : Oui. Eh bien, je vais me reprendre. Ils n’abandonnent pas les nouvelles locales. Il y a de moins en moins de journalistes dans certaines salles de rédaction. Je pense que c’est vrai.
Le problème essentiel, à mon avis, est que la programmation locale, hors actualités, a été abandonnée par CBC/Radio-Canada. C’est une des choses qu’elle a commencé à réduire dans les années 1990. Elle a eu beaucoup de mal à réinvestir dans ce domaine, parce que le modèle commercial est beaucoup plus difficile à mettre en place. Des chaînes comme CHEK TV à Victoria prennent le relais de CBC/Radio-Canada et même de CTV, qui se sont retirées des programmes locaux autres que les nouvelles.
La vice-présidente : Sur ce, notre temps est écoulé. Je tiens à vous remercier tous les trois. Ce fut une conversation intéressante. De vraies choses ont été dites. C’est ce que j’aime. Je vous remercie. Je vous souhaite une bonne soirée.
(La séance est levée.)