LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES TRANSPORTS ET DES COMMUNICATIONS
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 14 septembre 2022.
Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd’hui, à 14 heures (HE), avec vidéoconférence, pour étudier la teneur du projet de loi C-11, Loi modifiant la Loi sur la radiodiffusion et apportant des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois; et à huis clos, pour étudier un projet d’ordre du jour (travaux futurs).
Le sénateur Leo Housakos (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bienvenue à tous. J’espère que vous avez passé un bel été. Je suis très heureux de voir tout le monde ici, en personne, au Sénat du Canada, après tant de mois à se voir sur des écrans et des ordinateurs. Je suis ravi d’être ici.
[Français]
Je suis Leo Housakos, sénateur du Québec et président de ce comité. J’aimerais vous présenter, à ma gauche, la vice-présidente du comité, ainsi que tous mes collègues qui participent à cette réunion.
La sénatrice Miville-Dechêne : Julie Miville-Dechêne, sénatrice du Québec.
Le sénateur Dawson : Dennis Dawson, sénateur du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Harder : Peter Harder, sénateur de l’Ontario.
Le sénateur Oh : Sénateur Oh de l’Ontario.
La sénatrice Simons : Sénatrice Paula Simons de l’Alberta, territoire du Traité no 6.
La sénatrice Sorensen : Sénatrice Sorensen, de l’Alberta.
Le sénateur Quinn : Jim Quinn, sénateur du Nouveau-Brunswick.
[Français]
La sénatrice Clement : Bernadette Clement, sénatrice de l’Ontario.
[Traduction]
La sénatrice Dasko : Donna Dasko, sénatrice de l’Ontario.
La sénatrice Wallin : Pamela Wallin, sénatrice de la Saskatchewan.
Le président : Sénateurs et sénatrices, c’est avec une extraordinaire tristesse que nous avons appris la semaine dernière le décès de Sa Majesté la Reine Elizabeth II, après de nombreuses décennies de service dévoué envers le Commonwealth et notre pays.
[Français]
En tant que membres du Sénat du Canada, nous offrons nos sincères condoléances à Sa Majesté le roi Charles III et à tous les membres de la famille royale.
[Traduction]
Honorables sénatrices et sénateurs, veuillez vous joindre à moi pour observer un moment de silence.
( Les sénateurs présents observent un moment de silence.)
Le président : Merci. Chers collègues. Nous nous réunissons pour poursuivre notre examen de la teneur du projet de loi C-11, Loi modifiant la Loi sur la radiodiffusion et apportant des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois.
[Français]
Nous nous réunissons pour poursuivre notre examen de la teneur du projet de loi C-11, Loi modifiant la Loi sur la radiodiffusion et apportant des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois.
Pour notre premier groupe de témoins, nous avons le plaisir d’accueillir Philippe Dufresne, commissaire à la protection de la vie privée du Canada. Nous accueillons également Brent Homan, sous-commissaire, Secteur de la conformité, Commissariat à la protection de la vie privée du Canada.
Philippe Dufresne, commissaire à la protection de la vie privée du Canada, Commissariat à la protection de la vie privée du Canada : Honorables sénateurs, merci de votre invitation.
Avant de commencer, j’aimerais offrir, au nom de mon bureau, nos condoléances à l’occasion du décès de Sa Majesté la reine Elizabeth II. Je suis heureux d’être ici aujourd’hui pour aider le comité dans son étude du projet de loi C-11, Loi sur la diffusion continue en ligne. Je suis accompagné de mon collègue Brent Homan, sous-commissaire, Secteur de la conformité.
Comme vous le savez, en tant que commissaire à la protection de la vie privée du Canada, je suis responsable de la protection et de la promotion du droit à la vie privée des Canadiens dans les secteurs public et privé. Pour ce faire, le commissariat fait enquête sur les plaintes, fournit des conseils aux institutions fédérales et aux organisations du secteur privé, publie des rapports sur la conformité aux lois sur la protection des renseignements personnels et sensibilise la population aux enjeux touchant la protection de la vie privée.
[Traduction]
Lorsque j’ai comparu devant le Sénat en juin pour discuter de ma candidature proposée au poste de commissaire à la protection de la vie privée, j’ai indiqué que ma vision comporterait les trois éléments suivants : la protection de la vie privée en tant que droit fondamental; la protection de la vie privée à l’appui de l’intérêt public; et la protection de la vie privée comme un moyen pour accentuer la confiance des Canadiens envers leurs institutions et en tant que citoyens de la société numérique. C’est sur ces principes que s’appuieront mes observations sur le projet de loi C-11, lequel modifierait la Loi sur la radiodiffusion de façon à ajouter les entreprises en ligne à son champ d’application et à modifier le mandat et les pouvoirs du CRTC dans ce contexte.
Ce projet de loi conférerait au CRTC le pouvoir d’imposer des conditions concernant la découvrabilité des émissions canadiennes et des services de programmation canadiens. Bien que, à cet égard, le projet de loi n’autorise pas le CRTC à exiger l’utilisation d’un algorithme informatique ou d’un code source particulier, il reste néanmoins que pour remplir les conditions de découvrabilité, il pourrait potentiellement être requis d’adapter des algorithmes existants qui se fondent sur des renseignements personnels, ou sur l’analyse de renseignements personnels, afin d’établir si le contenu généré par l’utilisateur est canadien.
Les répercussions potentielles sur la vie privée dépendraient alors des circonstances de chaque situation, ainsi que de la manière dont ces pouvoirs sont exercés par le CRTC et de la manière dont les entités réglementées répondent aux nouvelles obligations dans leur collecte et leur analyse des renseignements personnels. Dans ce contexte, il sera important de pleinement évaluer et atténuer ces répercussions avant l’imposition de ces conditions par le CRTC.
[Français]
Soulignons que le projet de loi comprend une exigence selon laquelle les exploitants d’entreprises de radiodiffusion et autres intéressés se verront accorder la possibilité de présenter au CRTC leurs observations à l’égard de tout projet d’ordonnance. Le commissariat voudra s’en prévaloir dans les situations qui s’y prêtent et demeurera à la disposition des entreprises et du CRTC pour offrir son expertise réglementaire sur des questions ayant trait à la protection de la vie privée dans ce contexte.
Par ailleurs, bien que le projet de loi accorde au CRTC le pouvoir d’exiger des diffuseurs de fournir des renseignements relatifs à la mesure de l’audience, il y est précisé que les renseignements qui permettraient d’identifier un individu faisant partie de cette audience en seraient exclus. Ici aussi, dans la mise en œuvre du projet de loi, il sera essentiel de s’assurer que les renseignements exigés sont dépersonnalisés ou anonymisés. Le commissariat est prêt à fournir les conseils et l’orientation nécessaires à ce sujet.
Compte tenu de ce qui précède et de l’importance fondamentale de la protection de la vie privée, le comité pourrait envisager une modification à l’article 3 de la Loi sur la radiodiffusion, afin d’y ajouter la protection de la vie privée des personnes en tant qu’objectif de la politique à cet égard dans la loi. Cette approche serait semblable à celle qui a été adoptée dans la Loi sur les télécommunications. Elle permettrait de s’assurer que la protection de la vie privée est pleinement prise en compte dans l’interprétation et la mise en œuvre du projet de loi, tant par le CRTC que par les entités réglementées et les tribunaux.
[Traduction]
Je tiens aussi à attirer l’attention du Comité sur la Loi sur les services numériques de l’Union européenne, qui a été adoptée en juillet dernier par le Parlement européen et qui entrera en vigueur en 2024. Cette loi exigera que les principales plateformes en ligne offrent aux personnes la possibilité de désactiver les recommandations fondées sur le profilage individuel. Une fois entrée en vigueur, elle offrira un autre moyen de réduire la collecte et l’utilisation potentielles de renseignements personnels.
Enfin, je tiens à recommander de nouveau que la préparation en temps opportun par les institutions publiques d’évaluations des facteurs relatifs à la vie privée devrait être une obligation juridique dans la version modernisée de la Loi sur la protection des renseignements personnels.
J’espère que mes observations seront utiles aux membres du comité. Je me ferai maintenant un plaisir de répondre à vos questions.
Le président : Merci beaucoup, monsieur le commissaire. Avant de donner la parole à mes collègues, j’ai quelques questions à vous poser.
Le gouvernement a déclaré qu’il n’avait pas l’intention de réglementer le contenu généré par les utilisateurs, mais il s’agit clairement d’une manœuvre politique, car lorsque le commissaire du CRTC a comparu devant notre comité en juin dernier, la sénatrice Wallin lui a demandé si le projet de loi C-11 ne réglementait pas indirectement le contenu généré par les utilisateurs en obligeant les plateformes à le faire. À cette question précise, le commissaire a répondu à la sénatrice Wallin qu’elle avait raison.
Ce fait vous préoccupe-t-il, monsieur le commissaire, et pensez-vous que cette réglementation indirecte du contenu généré par les utilisateurs aura des répercussions sur la protection de la vie privée?
M. Dufresne : Le projet de loi confère au commissaire certains pouvoirs, notamment celui de gérer la découvrabilité et la façon dont les algorithmes et les systèmes favoriseront certains types de contenu. Ces algorithmes pourraient utiliser des renseignements personnels, et c’est pourquoi j’ai déclaré qu’il sera important, dans la façon dont le CRTC exercera ces pouvoirs, que ces considérations relatives à la protection de la vie privée soient prises en compte avant que ces ordonnances soient rendues.
Je constate que la loi prévoit la possibilité de rendre publiques les ordonnances du commissaire du CRTC et de permettre aux personnes intéressées de présenter des observations. Nous suivrons de près cette question, afin de nous prévaloir de cette possibilité dans les cas pertinents.
Le président : Voici ma dernière question pour ce tour. L’un des principes clés de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques est qu’un organisme ne peut recueillir, utiliser ou communiquer des renseignements personnels qu’aux fins qu’une personne raisonnable estimerait acceptables dans les circonstances. Cependant, les paragraphes 4.2(1) et (2) du projet de loi C-11 donnent au CRTC la possibilité de définir la portée du contenu généré par l’utilisateur final à son gré. Ainsi, les entreprises en ligne devront recueillir ces renseignements auprès de tous les types d’utilisateurs, et non seulement auprès des grandes maisons de disques et des artistes.
Le commissaire du CRTC a confirmé que la réglementation du contenu généré par les utilisateurs relève de cette loi.
Êtes-vous d’avis, monsieur le commissaire, qu’une personne raisonnable jugerait la collecte de ces renseignements acceptable? Et quels sont selon vous les risques pour la protection de la vie privée des Canadiens qui en découlent?
M. Dufresne : En ce qui concerne la collecte de renseignements, le projet de loi prévoit que le CRTC peut demander des renseignements, mais il précise que ces derniers ne doivent pas permettre d’identifier les utilisateurs.
Il y a aussi, comme vous le notez, les sections sur les utilisateurs, et le projet de loi contient des précisions quant à certains des facteurs que la commission doit prendre en compte dans l’élaboration de ces règlements, notamment la génération de revenus.
Pour nous, il sera important de savoir comment ces pouvoirs seront utilisés. La loi précise que les renseignements fournis au CRTC ne doivent pas permettre d’identifier des personnes. Cela renvoie selon nous aux notions de dépersonnalisation et d’anonymisation. Il sera important de le faire correctement, en utilisant les techniques et les moyens adaptés.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Bienvenue, monsieur Dufresne.
Tout d’abord, c’est vous qui en avez parlé, mais êtes-vous favorable à l’idée que justement, en Europe, on puisse donner la possibilité aux abonnés ou aux clients de désactiver les recommandations fondées sur le profilage individuel sur les plateformes dans les entreprises en ligne?
Je vous pose la question parce que le projet de loi C-11 s’occupe justement de réglementer ces plateformes. Au même moment, comme il va y avoir beaucoup de renseignements personnels en jeu, est-ce qu’on ne devrait pas donner le pouvoir aux usagers de se débrancher et de ne pas faire partie du profilage individuel?
M. Dufresne : C’est l’approche qui a été adoptée par l’Union européenne. C’est sûr qu’il s’agit d’une approche qui favorise la vie privée, en autorisant ce genre de méthode et en disant que nous n’allons pas recevoir des recommandations basées sur nos pratiques ou basées sur ce que nous écoutons. À mon commissariat, nous avons financé une recherche qui indiquait que les Canadiens se sentent souvent observés quand ils écoutent des émissions. Donc, l’approche européenne est une approche possible.
La sénatrice Miville-Dechêne : Qu’est-ce que vous en pensez?
M. Dufresne : C’est une approche qui vient favoriser la protection de la vie privée par rapport à cette information. Il y a d’autres approches, notamment la désidentification de l’information, le fait que cette information soit fournie de façon plus anonyme. Il sera important de considérer toutes les options possibles, mais celle-ci en est certainement une que nous avons portée à l’attention du comité.
La sénatrice Miville-Dechêne : Nous avons beaucoup parlé de la protection des renseignements personnels, qui est une question très importante. Quand Ian Scott est venu témoigner devant notre comité, il a dit que ce qu’il veut, c’est une obligation d’obtenir des résultats. Il a même dit que, pour atteindre cet objectif, il faut que les entreprises en ligne modifient leurs algorithmes.
Dans cette perspective, pensez-vous qu’il y a cette obligation d’obtenir des résultats, et que les futurs usagers de plateformes comme YouTube vont donner des informations liées à leur nationalité ou à leur localisation géographique pour qu’on puisse mesurer d’où viennent les œuvres qui sont consultées? Si oui, est-ce que cela fait partie des choses que vous trouvez risquées ou non?
M. Dufresne : Je pense que cela va faire partie des considérations que devra examiner le CRTC et des représentations à faire au CRTC en ce qui a trait aux conditions qu’il faut imposer et aux façons de le faire. Du point de vue de la vie privée, nous regardons des éléments de nécessité et de proportionnalité. Quel objectif le Parlement veut-il atteindre en favorisant certains contenus canadiens et autres? Est-ce qu’on va chercher trop d’informations pour atteindre cet objectif? Est-ce qu’on est capable de le faire avec de l’information anonymisée? À quel point est-ce qu’on va aller chercher de l’information sur les Canadiens?
Je note que le projet de loi indique que cette information sur les cotes d’écoute ne devrait pas identifier les Canadiens. C’est l’approche que nous prenons dans ce genre de situation, soit d’observer la technologie et le plan et de donner nos recommandations, à savoir recueillir le moins d’information possible pour atteindre le but que le gouvernement aura déterminé.
[Traduction]
La sénatrice Simons : Comme bien souvent, la sénatrice Miville-Dechêne a, en grande partie, anticipé ce que je voulais dire.
Je suis écrivaine, dramaturge et journaliste. J’aime à penser que la culture est une chose que nous consommons pour ses propres mérites. Mais je pense que nous devons reconnaître que pour certaines de ces grandes plateformes — je pense en particulier à Google et Prime —, la programmation est quasiment un produit d’appel pour la collecte de données. Ces entreprises existent pour extraire des données afin de mieux nous vendre des choses, et elles nous fournissent les programmes en vue d’obtenir ces données.
Pensez-vous que le projet de loi C-11 comporte suffisamment de garanties pour nous protéger contre les répercussions de la quantité extraordinaire de données que ces plateformes sont en mesure de recueillir sur nous en fonction de nos habitudes de visionnement et de ce que nous aimons et n’aimons pas, ce qui leur permet ensuite d’établir un profil en fonction de tous nos clics et du temps que nous passons sur les plateformes pour mieux nous vendre leurs produits?
M. Dufresne : Le projet de loi fait référence à la protection de la vie privée. La notion de non-identification des utilisateurs canadiens est présente dans d’autres sections concernant le partage de renseignements par le CRTC avec le Bureau de la concurrence. Il contient une disposition selon laquelle ce partage doit se faire dans le respect de la vie privée des Canadiens. Étant donné que ces décisions dépendront de la façon dont la loi sera mise en œuvre et interprétée, nous proposons l’inclusion d’une clause visant à intégrer dans la politique sur la radiodiffusion la protection de la vie privée des personnes.
Ce principe figure dans la Loi sur les télécommunications. Nous estimons qu’il s’agit d’une mesure utile dans le cadre des débats visant à déterminer si la protection de la vie privée est un facteur fondamental de cette loi. Nous pensons qu’elle devrait en être un.
La sénatrice Simons : Pouvez-vous nous communiquer une ébauche de libellé ou s’agit-il plutôt d’une suggestion?
M. Dufresne : Nous avons fait référence au libellé figurant dans la Loi sur les télécommunications, qui inclurait, à l’article 3 de cette loi, dans la politique sur la diffusion, la protection de la vie privée. Il pourrait y avoir d’autres façons de faire, mais nous avons choisi celle-ci parce qu’il y a déjà un précédent dans la Loi sur les télécommunications.
La sénatrice Simons : Je voulais revenir sur le point soulevé par la sénatrice Miville-Dechêne. Vous avez parlé du projet de l’Union européenne de disposer d’une clause d’exemption afin que les gens ne soient pas obligés d’accepter les recommandations. Personnellement, je trouve cette idée très séduisante. Je me demande souvent pourquoi Netflix pense que je veux regarder ceci ou pourquoi Prime pense que je veux regarder cela.
Cependant, il me semble que cela va à l’encontre du projet de loi C-11, car si nous disposons d’un protocole de découvrabilité qui privilégie le contenu canadien, mais que je souhaite désactiver les recommandations qui entraveront tout effort de collecte de données — évidemment, le projet de loi C-11 ne prévoit pas la possibilité de désactiver les recommandations —, serait-ce l’endroit approprié pour insérer une telle clause? Si nous le faisions, ne saperions-nous pas l’ensemble du concept de découvrabilité?
M. Dufresne : Voilà l’évaluation que vous et le Parlement devrez faire. L’objectif particulier de cette loi est assorti de circonstances différentes de celles de l’Union européenne.
Il s’agit d’un exemple d’outil de protection de la vie privée existant. Il n’est peut-être pas adapté dans ce cas, comme vous le suggérez. C’est pourquoi nous mettons en avant d’autres mesures de protection de la vie privée, en veillant à ce que les renseignements soient dépersonnalisés et à ce que la collecte de renseignements soit aussi limitée que possible pour atteindre les objectifs du Parlement, si telle est sa décision.
La sénatrice Simons : Merci beaucoup.
La sénatrice Wallin : Merci beaucoup d’être présent aujourd’hui.
Pour poursuivre sur ce point, pensez-vous que le libellé tel qu’il figure dans la Loi sur les télécommunications — car nous allons y jeter un coup d’œil — pourrait être repris tel quel et transposé dans ce projet de loi?
M. Dufresne : Je pense que ce serait un moyen simple de le faire, car nous aurions un modèle. Ce serait simple.
La sénatrice Wallin : Lorsque nous avons parlé au commissaire du CRTC de toutes ces questions — et il y avait évidemment des contradictions entre lui et les ministres, et cetera — il a essentiellement dit qu’il confierait aux plateformes la tâche de surveiller, de censurer et peut-être même de supprimer le contenu. L’inscription d’une disposition dans le projet de loi C-11 est une chose, mais comment ces mêmes règles de protection de la vie privée pourraient-elles avoir une incidence sur leurs activités? Et je voudrais ensuite ajouter quelque chose sur cette question.
M. Dufresne : Les dispositions du projet de loi C-11 régiront ce que le CRTC peut demander, ce qu’il peut obtenir, ce qu’il peut partager et ainsi de suite. Les organismes seront régis par les conditions établies par le CRTC et par les mesures de protection de la vie privée que nous souhaitons y voir figurer. Mais ils resteront régis par la LPRPDE, la loi qui s’applique aux organismes du secteur privé.
La sénatrice Wallin : Si vous êtes un petit producteur, un producteur de contenu YouTube, qui veut ou ne veut pas être découvert en tant que contenu canadien — certains disent qu’il sera très difficile pour eux de continuer à produire du contenu — qui effectuera ce genre d’évaluation? Et puis, plus important encore, à qui le producteur pourra-t-il s’adresser s’il n’est pas d’accord?
M. Dufresne : Le processus d’établissement de ces conditions est mené par le CRTC, mais une disposition prévoit que les entités réglementées et les personnes intéressées auront la possibilité de voir les conditions proposées et de faire des observations sur cette base.
La sénatrice Wallin : Mais nous avons entendu des ministres et d’autres personnes dire qu’ils pourraient vouloir supprimer certains contenus. Il s’agirait d’une définition beaucoup plus large que celle du contenu canadien; il s’agirait du contenu avec lequel ils pourraient être en désaccord. Comment cette question est-elle arbitrée?
M. Dufresne : Je crois comprendre que cela passerait par le CRTC, qui déciderait des conditions à imposer. Il y aurait la possibilité de soumettre des observations au CRTC...
La sénatrice Wallin : C’est la « police » qui décide si oui ou non la « police » a fait ce qu’il fallait?
M. Dufresne : Si je comprends bien, il y a des dispositions...
La sénatrice Wallin : Le CRTC étant la « police », pour que ce soit clair.
M. Dufresne : Encore une fois, le CRTC serait mieux placé pour discuter de ces questions. Je comprends qu’il existe un processus permettant au Cabinet d’examiner certaines décisions du CRTC, mais je m’en remettrais au CRTC à ce sujet...
La sénatrice Wallin : Cette question vous inspire-t-elle des préoccupations particulières?
M. Dufresne : Nos observations sont les suivantes : nous voulons que la protection des renseignements personnels soit prise en compte et que les répercussions sur la vie privée soient limitées au minimum.
Il y a donc des objectifs, et il est important, lors de l’adoption de toute utilisation d’une technologie, de toute utilisation d’un outil, par des institutions publiques ou privées, de s’assurer que les répercussions sur la vie privée seront cernées. C’est ce que j’appelle l’évaluation des répercussions sur la vie privée ou la protection de la vie privée dès la conception. Le projet de loi prévoit un processus qui nous permet de présenter des observations au CRTC, et c’est ce que nous ferons. Nous recommandons que ce principe d’interprétation soit inscrit dans la loi et que la protection de la vie privée fasse partie de l’objectif, afin que le CRTC puisse l’appliquer.
La sénatrice Wallin : Mais si je ne fais pas confiance à la « police » pour s’autosurveiller, existe-t-il un mécanisme qui me permette de passer par vous en tant que commissaire à la protection de la vie privée, si je savais qu’on me fait cela?
M. Dufresne : Si les activités des institutions publiques ou privées suscitent des préoccupations particulières quant à la protection de la vie privée, les dispositions législatives sur la protection de la vie privée prévoient un processus.
La sénatrice Wallin : Merci.
Le sénateur Oh : Je vous remercie de votre présence, monsieur le commissaire. Selon un article publié par le Centre pour l’innovation dans la gouvernance internationale, étant donné que les boîtiers décodeurs, les téléviseurs intelligents et les applications recueillent des données au sujet de leurs utilisateurs, on devrait ajouter, dans le cadre du projet de loi C-11, une disposition sur la protection de la vie privée à la politique de radiodiffusion énoncée au paragraphe 3(1) de la Loi sur la radiodiffusion.
Quel type de données les boîtiers décodeurs, les téléviseurs intelligents et les applications de diffusion en continu recueillent-ils au sujet de leurs utilisateurs?
M. Dufresne : Mon collègue, le sous-commissaire Homan, pourrait peut-être fournir plus de détails à ce sujet, mais c’est le genre de discussions qui ont lieu concernant la dépersonnalisation, l’anonymisation des renseignements. Ces programmes examineront les habitudes de visionnement. Nous avons participé à des discussions sur certaines de ces initiatives. Ce que nous avons recommandé, du point de vue de la protection de la vie privée, c’est qu’il faut s’assurer que ces renseignements sont dépersonnalisés, qu’on utilise les bonnes techniques pour obtenir des données agrégées qui ne permettent pas d’identifier les individus.
Le sous-commissaire a-t-il quelque chose à ajouter?
Brent Homan, sous-commissaire, Secteur de la conformité, Commissariat à la protection de la vie privée du Canada : Pas grand-chose mis à part que, en effet, nous avons en quelque sorte collaboré avec le groupe de travail sur les boîtiers décodeurs entre 2015 et 2020 afin de lui fournir des conseils. Nous avons eu une série de réunions avec ce groupe. Nous lui avons écrit en septembre 2020 pour insister sur l’importance de veiller à ce que des pratiques de dépersonnalisation, des garanties et le consentement valable soient intégrés dans les systèmes.
Nous n’avons pas eu l’occasion d’examiner une évaluation des facteurs relatifs à la vie privée pour voir le résultat final, mais nous lui avons communiqué nos recommandations et nos conseils à cet égard.
Le sénateur Oh : Est-ce que l’information serait recueillie et transmise à ceux qui font la collecte de mégadonnées? Aujourd’hui, ils rassemblent tous les renseignements, toutes les données, pour analyser les habitudes des utilisateurs et déterminer ce qu’ils veulent. Est-ce que ces données sont recueillies puis fournies à ceux qui font la collecte de mégadonnées?
M. Dufresne : Eh bien, il nous faudrait examiner un cas particulier pour voir si ce type d’utilisation et de collecte a lieu, mais nous sommes d’avis que la collecte du nombre minimum d’utilisations à cette fin et la communication de renseignements à des tiers doivent être réglementées rigoureusement.
Le sénateur Oh : Merci.
[Français]
La sénatrice Clement : Bonjour à vous deux et merci de votre présence aujourd’hui.
[Traduction]
Monsieur le commissaire, je tiens tout d’abord à vous remercier d’avoir réitéré votre énoncé de mission, le troisième élément étant la confiance dans les institutions publiques. Je pense qu’il s’agit là d’un élément crucial, et je vous remercie de le réaffirmer ici.
Comme de nombreux Canadiens, j’ai passé plusieurs heures dans un aéroport à attendre un vol. J’étais assise derrière un adolescent qui faisait défiler son fil de médias sociaux. Je pense que je portais probablement atteinte à sa vie privée en regardant, mais puisqu’il ne cachait pas son écran, je l’ai regardé. Tous les gens sur son fil lui ressemblaient — des adolescents jeunes, blancs, de sexe masculin. Je m’inquiète davantage des gens qui ne veulent pas désactiver les recommandations, non? Ils les gardent peut-être parce qu’ils aiment l’expérience personnalisée qui crée ce type de cloisonnement.
Bien sûr, quand j’ai ouvert mon fil de médias sociaux, des chats et des femmes noires et autochtones sont apparus, et c’est super, mais ce n’est pas tout ce que je veux voir.
Je m’interroge sur le rôle que vous jouez en tant que commissaire à la protection de la vie privée concernant les gens qui ne se soucient pas de leur vie privée et ce que cela signifie de façon générale.
M. Dufresne : C’est un aspect au sujet duquel je souhaite travailler au cours de mon mandat de commissaire à la protection de la vie privée, à savoir accroître la sensibilisation à l’importance de la vie privée. Nous vivons dans un monde où la technologie est partout. L’utilisation de la technologie crée des situations dans lesquelles des individus vont communiquer une grande partie de leurs renseignements, peut-être sans penser aux répercussions, à leur utilisation à d’autres fins, etc. Il faut parler de l’importance de s’assurer qu’il y a des objectifs et des avantages liés à cette technologie, mais nous ne devrions pas le faire au détriment de nos droits fondamentaux en ce qui concerne la vie privée. Nous devrions connaître les outils qui peuvent nous protéger.
La sénatrice Clement : Si les gens ne désactivent pas leurs recommandations, ou si nous ne suivons pas la voie de l’Union européenne, vous parlez d’anonymisation. Avons-nous la technologie pour le faire? Cela vous convient-il? Je sais que votre collègue en a parlé un peu, mais en sommes-nous là?
M. Dufresne : Il existe différents outils, et il y a un débat quant à savoir si l’on pourra un jour rendre la repersonnalisation d’une information impossible. C’est un élément important. C’est quelque chose qui se trouve dans le projet de loi C-27, qui est actuellement à l’étude à l’autre endroit. De notre point de vue, il est question de renseignements dépersonnalisés ou anonymisés.
Nous fournissons une expertise à l’industrie et aux institutions gouvernementales quant aux outils qui existent et à la manière de les mettre en œuvre afin que le risque de repersonnalisation soit aussi faible que possible, voire inexistant.
M. Homan : J’ajouterais quelque chose concernant l’un des principes dont il a été question plus tôt, c’est-à-dire que lorsqu’on pense à des choses comme les algorithmes, il peut y avoir un objectif, mais il y a la mesure dans laquelle, à notre avis, nous voudrions que l’utilisation des renseignements personnels recueillis soit réduite au minimum. Je pense que c’est l’un des objectifs qui ont été soulignés, un des objectifs sous-jacents de la protection de la vie privée.
Cela dit, j’ajouterais simplement qu’en ce qui concerne la décision de communiquer des renseignements ou non, la vie privée est parfois considérée comme quelque chose de secret, alors qu’il peut s’agir en réalité d’une question de contrôle. Une personne peut être très soucieuse de sa vie privée, mais prendre quand même la décision de communiquer des renseignements ou de bénéficier ou non de ce retour. C’est une question de contrôle pour l’individu.
La sénatrice Clement : Je vous remercie.
La sénatrice Dasko : Je vous remercie d’être ici aujourd’hui. Lorsque je travaillais dans le monde de la recherche, j’ai souvent cherché à accroître l’utilisation des données plutôt que de la rendre plus difficile.
J’ai deux ou trois questions à poser. L’une concerne vos observations sur la mesure de l’audience et l’utilisation des données et leur collecte par le CRTC. Le projet de loi lui accorderait le pouvoir d’exiger des diffuseurs de fournir des renseignements relatifs à la mesure de l’audience.
Eh bien, à mon avis, il recueille déjà une énorme quantité de données à cet égard. Chaque année, le CRTC publie un rapport, qui est assez détaillé. Il donne des détails sur l’audience, les mesures de l’audience partout au pays dans les marchés, les petits marchés de radio, les marchés de télévision. De nombreuses données y sont présentées. Il publie ce rapport chaque année. Il vient de publier les données de 2021, au cours de l’été.
Qu’est-ce qui est différent dans ce projet de loi concernant sa capacité à collecter et à utiliser les données? Qu’est-ce qui est différent, et qu’est-ce qui manque? Il me semble que vous dites qu’il manque quelque chose dans sa capacité à le faire ou à régler les questions liées à la protection de la vie privée. De toute évidence, les données sont toujours anonymisées. Qu’est-ce qui fait défaut? Qu’est-ce qui est différent ici?
M. Dufresne : En ce qui concerne l’utilisation des données pour l’intérêt public ou à des fins valables, j’en conviens. C’est le deuxième élément de ma vision, à savoir que la vie privée n’est pas un obstacle à l’intérêt public, à l’innovation, mais il y a une façon de faire les choses en protégeant la vie privée.
Ce qui est différent ici, c’est que le projet de loi donne le pouvoir au CRTC d’exiger que certaines choses soient faites en ce qui concerne la découvrabilité des émissions canadiennes. Cela amène donc la notion d’algorithmes. Le projet de loi précise que le CRTC ne peut pas exiger un algorithme spécifique. Il précise également que lorsqu’il demande des renseignements relatifs à la mesure de l’audience, il ne doit pas s’agir de renseignements qui permettraient d’identifier un individu qui fait partie de cette audience.
Ce que je veux dire ici, c’est que la mise en œuvre de ces principes sera importante pour que, en fait, lorsque des outils particuliers sont utilisés, ils réussissent à dépersonnaliser et à anonymiser les données, et que lorsque ces conditions sont adoptées, elles le soient de manière à protéger la vie privée.
Je souligne également que le projet de loi prévoit la possibilité pour les intéressés de présenter au CRTC leurs observations. C’est une chose que j’ai préconisée et que mon bureau a préconisée pour que mon bureau ait l’occasion de faire des observations lorsqu’il y a des outils qui sont nouveaux ou qui pourraient avoir des répercussions sur la protection de la vie privée afin qu’il puisse partager son expertise et faire des recommandations. J’ai ciblé ce processus dans le projet de loi qui nous donnera peut-être l’occasion de présenter ces observations.
S’il y a une question à débattre ou de l’ambiguïté, j’ai suggéré d’ajouter cette notion de protection de la vie privée comme l’un des objectifs de la politique de radiodiffusion, en soulignant le fait qu’une telle chose existe déjà dans la Loi sur les télécommunications. C’est peut-être déjà compris de cette façon, mais cela rendrait le tout plus clair.
La sénatrice Dasko : Je vois. Donc, essentiellement, ce qui vous préoccupe, ce sont les éléments qui concernent la découvrabilité et la façon dont cela s’ajouterait à ce que le CRTC ferait en vertu de cette loi?
M. Dufresne : La découvrabilité, l’utilisation d’algorithmes et l’utilisation...
La sénatrice Dasko : Oui, ce qui est lié à la découvrabilité. Ce n’est pas le seul élément, mais c’en est un parmi d’autres.
M. Dufresne : En effet.
La sénatrice Dasko : Vous avez parlé du libellé de la loi de l’Union européenne concernant la vie privée. En quoi cela diffère-t-il du fait qu’à l’heure actuelle, les Canadiens peuvent dire qu’ils ne veulent pas recevoir du matériel de marketing de la part d’entreprises privées? N’est-ce pas un peu la même chose que le marketing, comme lorsque les plateformes utilisent vos renseignements pour vous envoyer des choses, pour vous informer de certaines choses, pour faire la promotion de quelque chose auprès de vous? N’est-ce pas le même principe que nous avons déjà intégré dans les lois de ce pays selon lequel les gens peuvent refuser de recevoir du matériel de marketing de la part de qui que ce soit, comme de leur banque?
M. Dufresne : Oui. Il y a la loi antipourriel — soit la Loi canadienne antipourriel — qui réglemente cela. Elle fait en sorte qu’on ne peut le faire si les individus ne veulent pas recevoir ce matériel. En fait, il en est question dans le projet de loi C-11 aussi pour ce qui est de l’application de cela à la diffusion continue en ligne. Cela existe donc.
Nous parlons ici de la découvrabilité en ce qui concerne les algorithmes — pas tant de la publicité, mais d’algorithmes qui utilisent des renseignements pour faire des recommandations ou pour faire un suivi sur des recommandations afin de déterminer si ces mécanismes de découvrabilité sont efficaces.
La sénatrice Dasko : Merci.
La sénatrice Pate : Merci à nos témoins. Je vous remercie de votre travail. Je suis curieuse de savoir si vous avez examiné les répercussions et effectué une analyse pour déterminer quelles entreprises s’opposent le plus à ce genre d’approche, particulièrement du point de vue de la recherche de profits. Présentent-elles le tout comme une question de protection de la vie privée ou indiquent-elles clairement que leur préoccupation est liée au marketing et aux profits?
M. Dufresne : Je pourrais demander à M. Homan de répondre à la question. Plus précisément, il s’agit de nommer des tendances en ce qui concerne certaines entreprises. Ce que je peux dire, c’est que nous avons fourni des observations quant à l’approche en général concernant la mesure de l’audience, mais au-delà de cela, je vais demander au sous-commissaire de répondre.
M. Homan : Je soulignerais simplement qu’en ce qui concerne les entreprises en ligne, il s’agit manifestement d’entreprises commerciales, et dans cette mesure, les entreprises commerciales sont visées par la LPRPDE. En ce qui concerne les activités des entreprises commerciales, comme l’indique la LPRPDE, nous avons compétence lorsqu’il s’agit d’une activité commerciale. Donc, tout ce que je dirais, c’est que ces entreprises seraient toujours visées. Cela dit, c’est évidemment dans le contexte de ce qui est prévu dans le projet de loi C-11.
La sénatrice Pate : Vous faites des analyses concernant une partie de ce que le gouvernement propose en matière de droit de la concurrence. Avez-vous fait une comparaison entre une mesure législative comme le projet de loi C-11 et les politiques de concurrence qui sont mises en place et examiné quelles entreprises soulèvent des problèmes par rapport aux deux textes?
M. Homan : Nous n’avons pas fait l’analyse dont vous parlez, mais je pense pouvoir faire un commentaire général. Ce que nous avons constaté à l’échelle globale, c’est qu’il y a un recoupement croissant des sphères réglementaires entre la protection de la vie privée, la protection des consommateurs et la concurrence. Il existe donc de plus en plus une possibilité, en fait, une possibilité préconisée de collaboration entre ces entités réglementaires afin de garantir un résultat plus holistique pour les Canadiens.
La sénatrice Pate : Merci.
[Français]
Le sénateur Dawson : Merci, monsieur Dufresne. Est-ce que vous faites la distinction entre l’information que l’on recueille sur des abonnements comme Amazon et Netflix, par rapport aux plateformes qui sont basées sur la publicité, comme TikTok et YouTube?
Est-ce que vous faites une distinction sur l’utilisation et la collecte de cette information? Ce sont deux systèmes qui cherchent de l’information pour deux raisons différentes. Quand on s’abonne à un service, on comprend qu’il y a toujours une petite ligne pointillée qui dit que l’on accepte telle ou telle condition. Il y a des services auxquels on s’inscrit après avoir vu de la publicité. Y a-t-il une distinction dans la façon dont votre commissariat étudie ces données?
M. Dufresne : L’approche que l’on applique de façon générale est la nécessité et la proportionnalité pour ce qui est d’utiliser le moins d’information possible pour atteindre ces objectifs. Il peut y avoir des situations où le consentement sera obtenu, mais on a des préoccupations en ce qui a trait à la nature du consentement. Ces dispositions sont souvent opaques. Encore là, le projet de loi de loi C-27, qu’étudie la Chambre, parle aussi de ces éléments. Nous examinons l’utilisation des algorithmes ici et nous appliquerions la même approche, à savoir qu’il faut que cette information soit dépersonnalisée et anonymisée. Il ne faut pas qu’on puisse aller chercher de l’information par l’intermédiaire de ces organismes.
Le sénateur Dawson : Merci.
[Traduction]
Le président : Monsieur le commissaire, j’ai deux ou trois préoccupations. Premièrement, pourquoi les législateurs donneraient-ils le bénéfice du doute au CRTC et au Cabinet lorsqu’il s’agit de renforcer les aspects de ce projet de loi qui sont relatifs à la protection de la vie privée?
Deuxièmement, que devons-nous faire, à votre avis, pour rendre le projet de loi invulnérable en ce qui concerne la protection de la vie privée des citoyens canadiens?
Troisièmement, avez-vous des préoccupations concernant le projet de loi, la façon dont les algorithmes sont utilisés et toutes ces nouvelles données, le doxxing, soit la divulgation de données personnelles, par exemple, et tous ces nouveaux termes que je découvre dans le cadre de cette étude? Comment pouvons-nous nous assurer que la sécurité des Canadiens marginalisés ne sera pas mise en danger par toute l’extraction qui se fait sur diverses plateformes?
M. Dufresne : Je vous remercie, sénateur Housakos. En ce qui a trait au dernier élément de votre question, c’est-à-dire l’utilisation de la technologie, de façon générale, je dirais que le projet de loi C-27 a été déposé à la Chambre et qu’il vise à moderniser les lois concernant la protection de la vie privée dans le secteur privé en général, et qu’il aborde, de manière générale, la question de l’intelligence artificielle.
Au sujet des recommandations relatives à ce projet de loi, j’ai mentionné qu’il existe un processus pour obtenir des renseignements. En effet, le projet de loi prévoit que cela doit être fait d’une manière qui n’identifie pas les utilisateurs, et il indique que des algorithmes précis ne peuvent pas être imposés et qu’il existe un processus pour se faire entendre.
J’ai suggéré qu’il serait avantageux, à des fins d’éclaircissements, d’ajouter une disposition interprétative ou une disposition relative à l’objet qui indiquerait que la protection de la vie privée représente l’un des objectifs en matière de radiodiffusion. Cela permettrait d’insister sur le fait que cette loi doit être interprétée et appliquée de manière à protéger la vie privée.
En ce qui concerne la première partie de votre question, à savoir la confiance qu’on peut accorder aux institutions, le Parlement adopte des lois et donne à divers organismes le mandat de les interpréter et de les mettre en œuvre, par exemple par l’intermédiaire de tribunaux administratifs et sous réserve d’examen par les tribunaux. Ce processus existe donc, et il fonctionnerait d’une façon semblable pour toute loi qui serait adoptée. Les parlementaires peuvent donc énoncer des orientations à cet égard dans le projet de loi lui-même.
La sénatrice Simons : J’ai une question relative à un type particulier de groupe vulnérable, à savoir les enfants qui sont de grands consommateurs de contenus en ligne.
En 2019, la FCC américaine a rendu une décision importante en vertu de la loi américaine sur la protection de la vie privée des enfants en ligne, c’est-à-dire la COPPA, en se penchant précisément sur la façon dont YouTube ciblait les enfants par l’entremise de ses pratiques — je ne veux pas les qualifier de « prédatrices », car c’est un si vilain mot —, mais on a conclu que YouTube ne prenait pas suffisamment de mesures pour protéger les données des enfants.
En septembre de l’an dernier, le Royaume-Uni a invoqué son code de conception de l’Internet en fonction de l’âge, c’est-à-dire le Age Appropriate Design Code, qui interdit notamment aux plateformes en ligne d’encourager les enfants à fournir toujours plus de données.
Je ne sais pas si le projet de loi C-11 est le document approprié pour discuter de questions qui sont mieux traitées dans le cadre des modifications apportées à la Loi sur la protection des renseignements personnels, mais selon vous, que pourrions-nous faire au sujet de la question précise des enfants, non seulement ceux qui ont moins de 18 ans, mais parfois ceux qui ont à peine 4, 5 ou 6 ans et qui utilisent ces plateformes sans bénéficier d’une supervision adulte appropriée?
M. Dufresne : Cet enjeu est abordé dans le projet de loi C-27 dans le cadre de la modernisation de la Loi sur la protection des renseignements personnels, qui vise notamment à accroître la protection des mineurs. Ce projet de loi a été présenté à l’autre endroit le 27 juin et il suit le processus habituel. Nous aurons donc l’occasion de l’examiner. Mais il est certainement important de veiller à ce que les enfants et les mineurs bénéficient d’une protection adéquate dans ce contexte.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : J’aimerais poursuivre dans la même veine que ma collègue la sénatrice Simons. J’avais une autre question en tête. Justement, si le projet de loi C-27 parle de la protection accrue des enfants, ne faudrait-il pas que le projet de loi C-11 — qui est le véhicule principal par lequel on compte réglementer les programmes — assure une protection accrue des enfants?
Je songe particulièrement à une question qui m’est chère et qui est déjà complètement réglée dans le monde ordinaire. Par exemple, la pornographie est réservée aux adultes; or, il n’y a absolument aucune réglementation pour protéger les enfants par rapport aux entreprises en ligne. Qu’en pensez-vous?
M. Dufresne : Ce sont des considérations que vous pouvez soulever à titre de parlementaires pour ce qui est de la protection des mineurs ou du traitement de la pornographie. Mes observations seraient plutôt axées sur les aspects liés à la vie privée en la matière et porteraient sur le fait qu’il importe d’utiliser le moins d’information possible pour des objectifs suffisamment importants. Si l’on traite de mineurs, il faut s’assurer que la protection de la vie privée des mineurs est interprétée et traitée de façon à tenir compte du fait qu’ils sont mineurs, notamment sur les plans du consentement et du rôle des parents. Peut-être qu’il y aurait une protection plus importante que pour les adultes.
La sénatrice Miville-Dechêne : Oui, mais elle n’est pas considérée en ce moment. Le fait est que la vie privée des enfants et leur consentement ne sont pas considérés en ce moment. Est-ce quelque chose qu’on devrait corriger?
M. Dufresne : C’est l’élément lié à la vie privée sur lequel nous faisons des observations aujourd’hui. Il s’agit, de façon générale, de limiter l’utilisation de l’information au-delà de ce qui est nécessaire et d’avoir cette disposition d’interprétation qui viendra reconnaître cela. À ce moment-là, cela peut être interprété de façon appropriée par rapport au contexte dans lequel ce problème est soulevé. Les représentations qui seraient faites pour des éléments qui touchent les mineurs seraient distinctes de celles qui touchent les adultes.
Pour nous, ce qui est important, c’est que, lorsque ces enjeux de vie privée se présentent dans les cas spécifiques auxquels on fait référence, les soumissions et les mécanismes appropriés soient mis en place.
La sénatrice Miville-Dechêne : Votre réponse reste très générale. Je comprends que vous soyez prudent, mais en même temps, ne faudrait-il pas connaître leur âge pour être en mesure de les protéger?
M. Dufresne : C’est une question sur laquelle il faut se pencher en ce qui a trait à l’obtention de cette information et aux façons de protéger la vie privée. On peut savoir si quelqu’un est mineur sans connaître sa date exacte d’anniversaire. Ce sont certainement des éléments à considérer de façon très large. Ils seront considérés dans le cadre des projets de loi C-27 et C-11. Ici, ce que nous mettons de l’avant, c’est la protection de la vie privée de façon plus large. Ce sera adapté au cas présent dans chaque instance.
La sénatrice Miville-Dechêne : Merci.
[Traduction]
La sénatrice Wallin : J’aimerais faire un suivi sur la question plus générale du sénateur Housakos, à savoir pourquoi vous faites confiance aux gouvernements ou aux organismes de réglementation du gouvernement lorsqu’il s’agit de surveiller et de réglementer le contenu, y compris le contenu généré par les utilisateurs.
Mark Zuckerberg a récemment admis publiquement que des intervenants du FBI étaient venus le voir aux États-Unis et qu’ils lui avaient dit qu’ils s’attendaient à une campagne russe. C’était avant les dernières élections, et il devait donc faire preuve d’une grande prudence à l’égard du contenu publié en ligne. M. Zuckerberg parle maintenant, après coup, de Hunter Biden et de tout cela, et c’est donc une question importante. Mais ils ont réagi en limitant le contenu sur le fondement de ces renseignements.
Êtes-vous préoccupés par cet enjeu ici lorsqu’il s’agit de la protection de la vie privée de ceux d’entre nous qui utilisent Internet et qui lisent des publications sur Internet face à ceux qui utilisent Internet à mauvais escient?
M. Dufresne : En ce qui concerne la question des institutions publiques, elles sont régies par la Loi sur la protection des renseignements personnels, et nous avons demandé la modernisation de cette loi pour qu’elle corresponde à la réalité actuelle.
J’ai récemment demandé à ce que la loi oblige les institutions publiques à mener des évaluations des facteurs relatifs à la vie privée avant d’utiliser de nouveaux outils. Nous voulons des règlements rigoureux en matière de protection de la vie privée pour le secteur public — et pour le secteur privé — et nous devons disposer d’un régime juridique solide et équitable pour réagir en cas de situations d’infraction, que cela concerne le secteur privé ou le public.
La sénatrice Wallin : L’un des experts américains avec qui j’ai discuté dans un autre contexte affirme que nous ne pouvons pas contrôler les algorithmes, car ils sont trop nombreux. C’est donc impossible, et le mieux que nous puissions faire à ce moment-ci, c’est d’opter pour la transparence. Nous devons nous assurer que nous comprenons le fonctionnement de chacune de ces choses et nous devons ensuite diffuser publiquement ces renseignements, ce qui permettra à chaque personne de décider si elle souhaite participer, si elle utilisera Google ou non ou n’importe lequel des autres services de diffusion en continu qui ont été mentionnés.
Pourrions-nous en arriver là?
M. Dufresne : Eh bien, la transparence — et, encore une fois, je ne veux pas trop parler du projet de loi C-27, car il en est encore aux premières étapes à l’autre endroit, mais il aborde la transparence…
La sénatrice Wallin : Cela s’applique ici.
M. Dufresne : … et il contient donc des dispositions sur la transparence, et il y a aussi la Loi sur l’intelligence artificielle et les données qui réglementerait la prise de décision par l’intelligence artificielle dans certains cas, lorsque les résultats sont substantiels. C’est une question qui fera l’objet d’un débat à la Chambre et qui, en fin de compte…
La sénatrice Wallin : Cependant, ma question s’inscrit également dans le contexte du projet de loi C-11. Nous avons besoin de ce type de transparence, car nous demandons ou nous acceptons que des organismes gouvernementaux prennent des règlements et des décisions à cet égard. Ils ont déclaré explicitement qu’ils demanderont aux plateformes d’utiliser leurs algorithmes pour leur fournir des renseignements.
M. Dufresne : Le projet de loi C-11 contient des dispositions sur la publication des ordonnances proposées par le CRTC. Des articles concernent la transmission de renseignements par le CRTC à Statistique Canada, ainsi qu’au ministre, et certains de ces renseignements doivent être rendus publics. Il y a également des restrictions liées aux renseignements confidentiels. Il est parfois dans l’intérêt du public de les diffuser ou il faut communiquer ces renseignements au Bureau de la concurrence, et certaines dispositions traitent donc de cette question.
Le sénateur Quinn : Je vous remercie d’être ici aujourd’hui. La discussion est très intéressante.
Pour revenir sur certains des commentaires formulés par mes collègues au sujet des processus d’appel, des préoccupations et d’autres enjeux, je crois comprendre, d’après ce que vous avez dit, que les gens peuvent passer par un processus de type cabinet, ce qui semble être un processus très coûteux dans le cas d’une question aussi vaste que celle de la radiodiffusion.
Ce n’est qu’une opinion, mais pensez-vous qu’il faudrait envisager la création d’un tribunal, comme on en trouve dans d’autres secteurs du gouvernement, afin que les personnes qui ont des préoccupations aient des recours et ne soient pas obligées de passer par l’entremise d’un organisme de réglementation qui semble détenir un grand pouvoir? Devrait-on même envisager, dans le cadre de cette initiative, de vous permettre de vous adresser vous-même au tribunal pour exprimer vos préoccupations en matière de protection de la vie privée?
M. Dufresne : Pour ce qui est d’exprimer nos préoccupations, nous profiterions certainement de l’occasion de présenter nos observations au CRTC. Nous l’avons déjà fait auparavant et nous le ferons à nouveau, si le projet de loi est adopté, dans le contexte des exigences proposées au sujet de la découvrabilité. Le processus qui nous permet de communiquer avec le CRTC, avec mon bureau et avec les tribunaux est donc déjà en place, et nous tirerons parti.
Les commentaires que nous aimerions formuler ici sont donc qu’il sera important que le CRTC tienne compte de la protection de la vie privée lorsqu’il prendra ses décisions et lorsqu’il nous entendra. Pour dissiper tout doute, nous proposons que ce principe de protection de la vie privée soit ajouté à la politique canadienne en matière de radiodiffusion.
Le sous-commissaire aimerait ajouter quelque chose.
M. Homan : Ce que j’aimerais ajouter, c’est que nous ne devons pas attendre après coup. Une bonne collaboration est déjà en cours, et le Commissariat à la protection de la vie privée dispose de services consultatifs du gouvernement qui favoriseront la participation et qui permettront de fournir des conseils sur les programmes proposés. Nous avons donc déjà eu l’occasion de collaborer avec le CRTC, qui a approché notre organisme. En vertu de la LCAP et grâce à elle, nous avons également la possibilité de collaborer et d’établir une relation avec le CRTC.
Je présume que ce que j’essaie de dire, c’est que nous aurons toujours la possibilité, si nos conseils et nos points de vue sont sollicités, de les communiquer au CRTC maintenant et à l’avenir.
Le président : J’aimerais poser une question très rapide avant de céder la parole à la sénatrice Miville-Dechêne pour la dernière intervention. Votre bureau a-t-il mené une évaluation pour déterminer comment le Canada se compare à d’autres démocraties dans le monde en ce qui concerne le projet de loi C-11?
M. Dufresne : Je ne suis pas au courant que nous ayons mené une telle analyse comparative.
Le président : Je vous remercie.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Pour éviter que j’aie à refaire une recherche que vous semblez avoir faite brillamment, pouvez-vous nous envoyer l’information que vous avez trouvée sur l’exemple européen? Ce serait vraiment intéressant d’avoir un peu plus d’information.
M. Dufresne : Absolument.
La sénatrice Miville-Dechêne : Merci.
Le président : J’aimerais remercier nos témoins, M. Dufresne et M. Homan, de leur participation et de leur témoignage fort apprécié.
Honorables sénateurs, pour notre étude préalable du projet de loi C-11, nous avons maintenant le plaisir d’accueillir notre deuxième groupe de témoins, composé de hauts fonctionnaires d’Affaires mondiales Canada et de Justice Canada.
[Traduction]
Nous accueillons maintenant Darren Smith, directeur général, Règlements et obstacles techniques, Nolan Wiebe — par vidéoconférence —, agent principal de politique commerciale, Direction de la politique commerciale sur les services, et Isabelle Ranger, directrice, Direction de la politique commerciale sur les services, d’Affaires mondiales Canada. Du ministère de la Justice Canada, nous accueillons M. Raymond MacCallum, avocat général, Section des droits de la personne et Tariq Qureshi, avocat-conseil principal, Services juridiques de Patrimoine canadien.
Nous sommes heureux de vous accueillir au comité. Je vais maintenant donner la parole à M. Smith, qui sera suivi de M. Qureshi, et nous passerons ensuite aux questions de nos collègues.
Darren Smith, directeur général, Règlements et obstacles techniques, Affaires mondiales Canada : Je vous remercie, monsieur le président et honorables sénateurs, d’avoir invité les représentants d’Affaires mondiales Canada à comparaître ici aujourd’hui dans le cadre de votre étude sur le projet de loi C-11 et je vous remercie de nous avoir présentés, moi et mes collègues.
[Français]
Nous croyons que le comité a demandé à Affaires mondiales Canada de comparaître à titre de témoin afin que nous puissions discuter de la question du commerce international par rapport aux changements proposés au régime national du Canada sur la diffusion en ligne, y compris dans le contexte du soutien accordé aux industries culturelles du Canada.
À cet égard, j’aurai le plaisir d’exposer le rôle de mon ministère dans l’élaboration de la proposition de la Loi sur la diffusion continue en ligne dirigée par le ministère du Patrimoine canadien et de répondre à toutes les questions que vous pourriez avoir sur des questions plus générales, comme la portée commerciale du projet de loi et le commerce numérique.
[Traduction]
À titre de principal ministère chargé d’entreprendre des négociations commerciales internationales, Affaires mondiales Canada s’appuie sur des décennies de travail avec ses partenaires du gouvernement fédéral et des gouvernements provinciaux et territoriaux, les intervenants de l’industrie et des syndicats, ainsi que la société civile, afin d’offrir des possibilités économiques accrues aux Canadiens. Le fondement de nos efforts actuels est la certitude et la prévisibilité générées par les règles forgées au niveau multilatéral, à savoir l’Organisation mondiale du commerce, ainsi que par les nombreux accords de libre-échange de haute qualité conclus avec plusieurs de nos principaux partenaires commerciaux.
Le passage d’une économie analogique à une économie numérique a fait en sorte que le Canada a davantage besoin de se trouver à l’avant-garde des nouveaux efforts visant à façonner les règles et les conditions d’accès aux marchés pour le commerce transfrontalier des produits numériques. Par conséquent, Affaires mondiales Canada participe à un effort sur plusieurs fronts pour promouvoir les intérêts de l’industrie et des consommateurs canadiens par l’entremise d’initiatives en cours à l’OMC et d’accords de libre-échange nouveaux ou modernisés, ainsi que, plus récemment, en explorant la promesse d’accords visant explicitement le commerce numérique tel que l’APEN, c’est-à-dire l’Accord de partenariat pour l’économie numérique. Ces efforts continuent de profiter des contributions et du soutien de nos collègues du gouvernement fédéral, notamment de Patrimoine canadien, des provinces et des territoires, de l’industrie, des syndicats et de la société civile.
Le programme du Canada à cet égard est tourné vers l’avenir et nous cherchons des moyens d’améliorer les conditions pour nos entreprises qui mènent leurs activités à l’étranger, en particulier nos petites et moyennes entreprises et celles qui sont le moteur de la transformation numérique dans les différents secteurs de notre économie.
Cela dit, nos efforts qui visent à éliminer les obstacles potentiels à l’accès aux marchés et à établir des règles pour faciliter le commerce numérique sont également enrichis par notre intérêt à obtenir des résultats qui renforcent la confiance des consommateurs à l’égard du commerce numérique, y compris la protection des renseignements personnels. Cette approche équilibrée que nous adoptons à la table de négociation avec nos partenaires commerciaux internationaux reflète également notre régime national.
Le Canada est une nation commerçante qui favorise la concurrence et encourage les investissements internationaux, tout en conservant sa capacité à réglementer dans l’intérêt du public. À ce titre, nos accords commerciaux internationaux, y compris nos nouvelles initiatives dans le contexte du commerce numérique, continueront de préserver l’espace de politique publique nécessaire, notamment en ce qui concerne la protection de nos impératifs en matière de politique culturelle.
[Français]
La réalisation des deux objectifs exige une approche cohérente du travail entrepris dans les contextes international et national. Il s’agit d’une condition préalable clairement reconnue par ce comité en vertu de l’invitation qui a été faite à Affaires mondiales Canada de comparaître ici aujourd’hui.
À cette fin, je crois qu’il est important de souligner au comité, alors qu’il étudie le projet de loi C-11, qu’Affaires mondiales Canada travaille en étroite collaboration avec Patrimoine canadien pour s’assurer que la dimension du commerce international a été pleinement prise en compte dans l’élaboration de ce projet de loi.
De plus, notre ministère continuera de contribuer à cette initiative nationale au fur et à mesure qu’elle passera à l’étape de l’élaboration de la réglementation, ainsi qu’à d’autres initiatives à venir qui touchent l’économie numérique d’une manière qui regroupe également le commerce international.
Encore une fois, je vous remercie de nous avoir invités à comparaître ici aujourd’hui. Je suis à votre disposition pour répondre à vos questions.
Le président : Merci, monsieur Smith.
[Traduction]
Tariq Qureshi, avocat-conseil principal, Services juridiques de Patrimoine canadien, ministère de la Justice Canada : Bonjour, monsieur le président et honorables sénateurs. Je m’appelle Tariq Qureshi et je suis avocat-conseil principal au ministère de la Justice, où je travaille dans l’unité des services juridiques de Patrimoine canadien. Je suis accompagné aujourd’hui de mon collègue Ray MacCallum, avocat général à la Section des droits de la personne du ministère de la Justice. Nous comprenons que le comité a invité le ministère de la Justice à comparaître en raison de l’énoncé concernant la Charte au sujet du projet de loi C-11, et nous vous remercions de cette occasion.
À titre de fonctionnaires du ministère de la Justice, M. MacCallum et moi-même sommes des conseillers juridiques du gouvernement du Canada. Nous fournissons des conseils juridiques aux ministères du gouvernement sur des questions de droit, ce qui comprend généralement des conseils sur l’élaboration de nouvelles lois. Bien que nous puissions fournir des informations sur la position du gouvernement au sujet des aspects juridiques, nous ne pouvons pas vous donner des conseils juridiques. En effet, cela entrerait en conflit avec notre rôle de conseillers juridiques du gouvernement et du ministère du Patrimoine canadien en particulier.
Chaque ministère client est généralement responsable de faire adopter au Parlement les lois parrainées par son ministre. À ce titre, le ministère du Patrimoine canadien est le mieux placé pour répondre aux questions que vous pourriez avoir au sujet de la politique qui sous-tend le projet de loi, pour expliquer le fonctionnement du projet de loi et décrire ses incidences. Le rôle du ministère de la Justice dans l’élaboration des projets de loi émanant du gouvernement consiste notamment à veiller à ce que ces lois ne soient pas incompatibles avec la Charte.
Le ministère de la Justice aide également le ministre dans ses tâches pour le dépôt d’un énoncé concernant la Charte pour les projets de loi émanant du gouvernement déposés au Parlement.
[Français]
J’aimerais brièvement discuter de l’obligation imposée au ministre de la Justice de préparer un énoncé concernant la Charte pour les projets de loi du gouvernement qui sont déposés ou présentés à la Chambre des communes, au Parlement.
[Traduction]
En 2019, l’entrée en vigueur de modifications apportées à la Loi sur le ministère de la Justice a fait obligation au ministre de la Justice de déposer au Parlement un tel énoncé pour chaque projet de loi émanant du gouvernement. Il s’agit d’une mesure de transparence visant à guider le débat public et le débat entre les parlementaires sur un projet de loi par une meilleure illustration de la Charte. Par cet énoncé, le ministre révèle certains des principaux éléments d’appréciation qui ont influé sur l’harmonisation du projet de loi avec la Charte.
L’énoncé précise les dispositions du projet de loi susceptibles d’influer sur la Charte des droits et libertés. Il explique succinctement l’objet et l’effet des dispositions et en quoi elles pourraient toucher des droits et libertés à prendre en considération. Il précise les éventuelles justifications des limites que le projet de loi pourrait imposer à la Charte. À cet égard, l’article 1 de la Charte précise que les droits et libertés ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. Il s’ensuit que le Parlement peut édicter des lois qui limitent les droits et libertés accordés par la Charte. Mais il faut soumettre ces limites à un examen rigoureux en tenant compte des valeurs communes de la société libre et démocratique propre au Canada. On n’enfreindra la Charte que dans l’impossibilité de démontrer la justification d’une limite dans une société libre et démocratique.
[Français]
Je profite de l’occasion pour préciser également ce qu’un énoncé concernant la Charte n’est pas. Ce n’est pas une analyse complète de toutes les considérations envisageables entourant la constitutionnalité d’un projet de loi. Ce n’est pas non plus un avis juridique concernant la constitutionnalité du projet de loi.
Comme l’indique l’énoncé concernant la charte, le cadre réglementaire instauré par le projet de loi C-11, assorti de sanctions en cas de non-conformité, pourrait mettre en jeu tout particulièrement l’alinéa 2b) de la Charte, qui garantit la liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression.
Les conditions suivantes plaident cependant en faveur de la compatibilité des exigences réglementaires proposées avec l’alinéa 2b) sur la liberté d’expression.
Tout d’abord, le projet de loi vise à établir un environnement concurrentiel équitable pour les services de radiodiffusion traditionnels et en ligne au Canada, afin de permettre que les radiodiffuseurs traditionnels demeurent une source viable et accessible d’information et de programmation pour les consommateurs canadiens.
Les modifications proposées ont également pour but de garantir que les entreprises de radiodiffusion contribuent équitablement à la mise en œuvre des objectifs de la politique canadienne de radiodiffusion, notamment les objectifs culturels de création de contenus canadiens diversifiés, représentatifs et informatifs, renforçant ainsi la participation des Canadiens dans la prise des décisions d’intérêt social et politique et, par le fait même, renforçant également les principes qui sous-tendent le droit à la liberté d’expression.
[Traduction]
De plus, le projet de loi maintient le rôle du CRTC et sa flexibilité dans la détermination des règles régissant, le cas échéant, les entreprises de radiodiffusion, compte tenu des objectifs stratégiques de la Loi sur la radiodiffusion et de ses règlements. Le CRTC est assujetti à la Charte. Il doit donc exercer ses pouvoirs discrétionnaires conformément à elle. Le projet de loi porte qu’il faut l’interpréter et l’appliquer dans le respect de la liberté d’expression. Dans ses décisions réglementaires, le CRTC doit concilier équitablement les objectifs du projet de loi et la protection de la liberté d’expression à la lumière de l’actualité. Ses décisions sur les questions de droit ou de compétence peuvent faire l’objet d’un contrôle judiciaire de la Cour fédérale d’appel.
Voilà qui met fin à ma déclaration préliminaire. Merci encore de votre invitation. Il nous tarde de répondre à vos questions.
Le président : Je remercie les deux ministères de s’être présentés. Je poserai les premières questions.
Affaires mondiales Canada reconnaîtra évidemment que l’exemption culturelle ne relève pas d’une position non consolidée dans l’accord Canada—États-Unis—Mexique, l’ACEUM, à la différence des autres accords commerciaux. L’ACEUM accorde aux États-Unis le droit de décréter des mesures de rétorsion d’un effet commercial équivalent en réaction aux mesures canadiennes qui, sinon, enfreindraient les dispositions de l’ACEUM concernant l’exemption culturelle.
Voici mes questions. D’abord : Comme le gouvernement réclame 1 milliard de dollars de contributions obligatoires aux plateformes étrangères — en majorité américaines, bien sûr — quel est, d’après les témoins, le risque de rétorsion?
Ensuite : Les témoins sont-ils au courant des motifs de préoccupation des autorités américaines suscitées par le projet de loi C-11?
Enfin : D’après vous, est-ce que ça mettrait en mauvaise posture divers autres secteurs de l’économie canadienne?
M. Smith : Merci, monsieur le président.
En ce qui concerne le risque de rétorsion, je tiens d’abord à souligner que nous croyons que le projet de loi ne contrevient pas aux obligations du Canada en matière de commerce international, notamment aux engagements de notre pays dans l’ACEUM. On l’a rédigé de manière à éviter toute discrimination contre les fournisseurs étrangers de services.
Remarquons que le processus nous donne l’occasion de travailler de près avec les fonctionnaires américains, à mesure que le processus passe de l’étape législative à celle de la formulation de règlements précis. Nous avons l’habitude de dialoguer avec eux, du niveau de travail aux niveaux supérieurs, par exemple les hauts fonctionnaires ou les ambassadeurs, sur de telles orientations.
À cette fin, pour répondre à votre deuxième question, il y a bien eu des contacts entre fonctionnaires canadiens et américains sur cette question. Je dirais que les Américains s’intéressent en gros aux éléments processuels de l’adoption du projet de loi, pour comprendre les modalités de son étude à la Chambre puis au Sénat, et cetera, et ils veulent généralement être éclairés sur l’objet de ce projet de loi. Naturellement, ils cherchent à mieux le comprendre, pour les besoins de certitude et de prévisibilité de leurs administrés en la matière. Voilà comment on pourrait généralement décrire notre dialogue avec eux jusqu’à maintenant.
Quant au risque pour d’autres secteurs, je tiens encore à ne pas préjuger du résultat de cet effort sur le plan réglementaire. De fait, nous n’avons pas l’impression que les mesures de rétorsion dont on a à peu près discuté dans cet examen global se matérialiseront.
L’enseignement des 25 ou 30 dernières années sur nos rapports avec les Américains sur ces questions est que les États-Unis n’ont jamais fait allusion à d’éventuelles représailles contre des programmes canadiens de politique culturelle, et, d’après nous, le projet de loi C-11 n’en entraînera pas nécessairement. Entretemps, un certain nombre d’éléments modérateurs, dont je pourrais parler plus en détail, interviennent.
Le président : Je suppose donc, monsieur Smith, que, en juillet dernier, quand la représentante des États-Unis pour les questions commerciales internationales Katherine Tai a rencontré notre ministre Ng, et qu’elle a exprimé les craintes de son pays que cette loi n’enfreigne un certain nombre de clauses de notre accord commercial, c’était simplement la façon normale de dialoguer entre ces deux officielles. N’était-ce pas plutôt l’expression de grandes craintes devant un zèle perçu comme excessif par les Américains?
M. Smith : Il est raisonnable de dire que les Américains prêtent attention à cette initiative législative. À ce que je sache, ces discussions, sur cette question, ont été tout à fait amicales. Je ne crois pas que les États-Unis aient formulé de menace précise à ce sujet et, d’après ce que j’ai su de ces conversations, ils se sont dits sensibles aux assurances de notre ministre selon lesquelles nous continuerons à respecter nos obligations commerciales. Nous prenons la chose très au sérieux, bien sûr, parce que nous tenons également à la réciprocité pour nos administrés et leurs entreprises à l’étranger, y compris sur le marché états-unien.
La sénatrice Simons : Mes questions porteront elles aussi sur le commerce. En juin dernier, Konrad von Finckenstein est venu nous exprimer des craintes précises pour l’ACEUM relativement au Fonds des médias du Canada, qui gagnera beaucoup en importance au fil du temps sous le régime du projet de loi C-11. Ce fonds constituera une source importante de capitaux pour les cinéastes canadiens. M. Finckenstein craignait des problèmes pour l’ACEUM, parce que le fonds est précisément destiné aux producteurs canadiens. Y voyez-vous une éventuelle cause de frictions? Faudrait-il que le fonds soit accessible aux producteurs de l’étranger, même si, franchement, Disney ne se soucie pas de ce nain? Mais les autres producteurs, plus à l’international, pourraient-ils avoir besoin d’y accéder pour qu’il soit équitable?
M. Smith : Dans ce cas, je m’en remettrais peut-être à Patrimoine canadien pour répondre à des questions précises sur le fonctionnement du fonds même. Mais ce fonds, comme d’autres programmes de soutien qui s’adressent à des entités culturelles canadiennes, a fait l’objet d’une évaluation par nos homologues de Patrimoine canadien, en consultation avec nous, dans le cadre de ce processus global. Nous sommes très à l’aise pour dire que les droits et obligations prévues dans l’ACEUM et les clauses de cet accord ne contreviennent pas à nos obligations internationales en matière de commerce, y compris à celles qui découlent de l’ACEUM.
La sénatrice Simons : J’ai une question, qui fait un peu coq à l’âne, sur les radiodiffuseurs au sens de l’alinéa 9(1)h), par exemple OMNI, APTN, CPAC et Météomédia, dont la diffusion est obligatoire. Ils ont joui de ce privilège sous le régime traditionnel de radiodiffusion et du câble. Ils craignent beaucoup de le perdre à cause de la transition des radiodiffuseurs vers la diffusion en continu. Ils m’ont dit — et je les ai rencontrés à maintes reprises — avoir parlé aux fonctionnaires de Patrimoine canadien, qui leur ont répondu que, si on leur accordait des droits de diffusion obligatoire pour des services de diffusion en continu par contournement, ce serait une infraction à l’ACEUM.
Soyons clairs. Ils ne demandent pas la diffusion de CPAC par Netflix ni d’APTN par Disney, mais ils craignent que des services canadiens de diffusion en continu comme Global, Rogers ou Bell ne transitionnent vers une plateforme numérique. J’ai du mal à comprendre en quoi ça concerne l’ACEUM. Vous pourriez peut-être me l’expliquer.
M. Smith : Merci beaucoup. Je devrai consulter mes homologues de Patrimoine canadien, puisque, visiblement, ces renseignements proviennent de tiers. Pour le moment, il m’est impossible de vous répondre précisément. J’aimerais en savoir un peu plus sur ces entités canadiennes et savoir également ce que Patrimoine canadien a précisément dit dans ce contexte. Si vous permettez, je pourrais donner suite à votre question après la réunion, puis vous communiquer une réponse écrite.
La sénatrice Simons : Fantastique! Vous pouvez communiquer la réponse à mon bureau ou au comité. Ce sera parfait.
M. Smith : Je vous en prie.
La sénatrice Simons : Mais de rien.
La sénatrice Wallin : Certains d’entre nous ont l’âge qu’il faut pour avoir assisté aux négociations de l’Accord de libre-échange et à celles de l’ALENA et se rappeler un certain Jack Valenti et d’autres. Peu importe la façon de la considérer, la question est très importante pour les négociateurs commerciaux.
Voici une question qui a déjà été posée : Avez-vous fait une analyse comparative de ce projet de loi auprès de nos partenaires commerciaux, ceux du G7? Mondialement, où nous situons-nous sur cette question? Plus précisément, avez-vous examiné l’ALENA, l’accord instituant l’Organisation mondiale du commerce, l’Accord économique et commercial global et d’autres accords, précisément sur cette question?
M. Smith : Merci pour la question. En ce qui concerne une analyse comparative du système proposé dans le projet de loi C-11 et celui qu’on envisage dans d’autres pays, y compris chez nos partenaires commerciaux, il semble, d’après mes conversations avec eux, que mes homologues de Patrimoine canadien sont au courant de l’existence de différentes idées ou de différents systèmes établis ou envisagés. Il est certain que, dans le contexte canadien, on essaie de concilier nos impératifs commerciaux et nos obligations en matière de commerce international avec les impératifs de notre politique nationale, ce qui en fait un exercice en quelque sorte unique en son genre, qui ne nous autorise pas nécessairement à comparer l’ensemble de nos lois et règlements et notre régime intérieur à ceux d’autres pays. Il y a bien sûr des différences. Notre contexte culturel est très original. Mais, visiblement, d’autres pays essaient de répondre simultanément à ces questions, parfois un peu différemment.
Quand, en notre qualité de négociateurs d’un accord international, cette évolution est portée à notre connaissance, nous voulons bien sûr nous assurer que nos partenaires commerciaux se conforment à leurs obligations internationales, que ce soit pour un accord de libre-échange comme l’ACEUM ou l’Accord économique et commercial global. Bien sûr, des obligations à l’égard de l’Organisation mondiale du commerce entrent en jeu. Ma réponse est générale, mais je ne peux pas être plus précis.
Je tiens notamment à souligner que des enjeux intéressent certainement le monde de la diffusion continue en ligne et le point d’insertion des initiatives culturelles dans ce monde. Bien sûr, nous, à notre ministère, nous adoptons un point de vue encore plus « macroscopique » sur ces questions quand il s’agit des paysages du commerce numérique. Quelles règles s’appliquent aux transferts transfrontaliers de données? Existe-t-il des obligations pour la divulgation du code source, par exemple? Nous pouvons collaborer avec Patrimoine canadien sur des questions précises touchant la culture, mais, je le répète, notre ministère se donne également un point de vue panoramique en la matière.
La sénatrice Wallin : Eh bien, peu importe la grandeur des perspectives, voici une tentative par laquelle le Canada essaie de réglementer le contenu sur Internet, ce qui est une opération à l’échelle du globe. Dans votre évaluation de ce seul aspect, à un niveau très rudimentaire, des pays avec lesquels nous avons conclu des accords précis vous ont-ils répondu?
M. Smith : Cela se limitait aux questions liées à la demande d’explications quant à l’objectif de cette mesure législative et à des questions se rapportant davantage au processus. À cela s’ajoute, je pense, une prise de conscience du fait qu’il s’agit d’une initiative qui n’est pas encore entièrement terminée. Le processus doit encore passer par les étapes de la réglementation et de développement. À mon avis, nos partenaires commerciaux auront besoin de renseignements supplémentaires à cet égard, comme nous en aurions dans un scénario inverse.
La sénatrice Wallin : Je pense que nous devrons y revenir dans un autre point. J’ai une question pour Me Qureshi; j’espère que ma prononciation est bonne. Pouvez-vous nous dire, en termes simples, si vous avez informé le gouvernement qu’il y a des enjeux liés à la liberté de parole, ou à la liberté de pensée, de religion ou d’expression? Y a-t-il des signaux d’alarme? Êtes-vous allé jusque-là dans votre réponse à cette mesure législative lors de vos discussions avec le gouvernement?
Me Qureshi : Je vous remercie, sénatrice, de la question. Comme je l’avais indiqué dans ma déclaration préliminaire, notre rôle, en tant que fonctionnaires du ministère de la Justice, est de conseiller le gouvernement et les ministères. Donc, je ne peux donner de détails sur la nature des échanges ni des conseils juridiques qui ont été donnés au ministère du Patrimoine canadien ni par rapport à ce projet de loi précis.
Cela dit, la radiodiffusion est le moyen par lequel l’information est communiquée, et les Canadiens ont accès à l’information. Comme le ministre de la Justice l’a mentionné dans son énoncé relatif à la Charte, le projet de loi est susceptible de mettre en cause certains droits garantis par la Charte. L’énoncé de la Charte décrit certains des droits garantis par la Charte qui pourraient être touchés par certaines dispositions du projet de loi, et il souligne également certaines considérations à l’appui des valeurs de la Charte.
La sénatrice Wallin : Très bien. Nous lirons donc entre les lignes. Selon vous, qui serait le mieux placé pour comparaître au comité, étant donné notre rôle, en tant que sénateurs, d’évaluer les mesures législatives? Nous avons besoin d’un avis juridique à ce sujet. Y a-t-il quelqu’un, au sein de votre ministère, qui pourrait venir pour nous présenter une séance d’information sur de possibles signaux d’alarme, ou devons-nous faire appel à un cabinet d’avocats privé? Que devons-nous faire pour que quelqu’un vienne décrire ces problèmes potentiels au comité?
Me Qureshi : Les fonctionnaires du ministère ne pourront pas vous donner des conseils juridiques. Le ministère de la Justice ne vous fournira certainement pas de conseils juridiques.
Les fonctionnaires du ministère du Patrimoine canadien peuvent vous expliquer le fonctionnement du projet de loi, à savoir comment il fonctionne et quelles sont certaines de ses incidences.
Je crois savoir qu’il y a des avocats qui travaillent pour le Parlement. Ils peuvent peut-être vous aider.
La sénatrice Wallin : Cependant, vous travaillez aussi pour nous. Nous sommes ici, au nom des Canadiens, pour évaluer les lois. Il s’agit, littéralement, de la définition du rôle du Sénat. Fournir des observations et des renseignements aux ministères, c’est une chose, mais nous avons aussi besoin de ces renseignements.
Le président : Merci, sénatrice Wallin.
La sénatrice Wallin : Nous allons en rester là.
Le président : Et il ne faudrait surtout pas que notre ministère de la Justice puisse donner des conseils juridiques aux parlementaires.
Le sénateur Harder : Ce n’est pas leur rôle.
Le président : Ce n’est pas leur rôle? Oui, ce l’est. Le Parlement du Canada est l’autorité ultime, et cela incombe aux fonctionnaires. Ils ne rendent pas seulement des comptes au gouvernement. L’exécutif rend des comptes au législatif et les ministères relèvent du pouvoir exécutif, mais certains sont dans la fonction publique depuis beaucoup trop longtemps.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : J’ai vraiment beaucoup de questions. Je vais essayer de me limiter plus particulièrement à l’ACEUM, parce qu’on entend tout et son contraire en ce moment.
Plus précisément, je vous renvoie à la page 6 du projet de loi, aux alinéas 3(4)f) et 3(4)f.1), sur la question de l’utilisation des ressources canadiennes pour faire de la production canadienne.
Monsieur Smith, dans une de vos réponses précédentes, vous avez dit que l’important était de ne pas faire de discrimination entre les entreprises de radiodiffusion canadiennes et étrangères. Or, ici précisément, ce qu’on fait aux alinéas 3(4)f) et 3(4)f.1), c’est qu’on dit que oui, les Canadiens doivent embaucher un maximum de ressources canadiennes, mais que les étrangers, eux, ont plus de flexibilité. On crée donc deux régimes.
De toute évidence, ces amendements sont importants pour le gouvernement, puisqu’aucun d’eux n’a été adopté à la Chambre des communes.
Est-ce que vous considérez que le fait d’avoir un seul régime pour tous ne respecterait pas la disposition d’exemption culturelle, ou est-ce que vous jugez qu’il pourrait y avoir des représailles?
Je précise bien qu’on demande ici aux entreprises en ligne étrangères d’utiliser des ressources canadiennes uniquement pour faire de la programmation canadienne. Est-ce qu’on tente de faire peur, ou est-ce que vous avez réellement des inquiétudes quant à des représailles américaines sur un article qui serait équitable aux yeux de beaucoup de Canadiens?
[Traduction]
M. Smith : Je vous remercie beaucoup de la question. Encore une fois, nous ne pouvons spéculer sur le genre d’action ou de réaction possible des autorités américaines concernant ces dispositions de la mesure législative. Nous ignorons si ces éléments ou composantes de la mesure législative susciteront en soi des préoccupations quelconques.
Je soulignerais de nouveau — et je pense que certaines explications de certains de nos collègues du ministère du Patrimoine canadien l’ont également souligné —, qu’ils ont cherché des résultats liés au contexte national qui conviennent au type d’équilibre requis dans notre système.
Je dois m’en remettre à eux pour ce qui est d’explications plus détaillées sur la façon dont ils sont parvenus à ces conclusions et dont cela cadre avec le projet de loi dans sa forme actuelle.
Quant à la question fondamentale de savoir si la mesure est incompatible avec nos obligations inhérentes à l’Accord Canada-États-Unis-Mexique, la réponse est non.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Je vais me contenter de cette réponse, bien qu’on n’aille pas au fond des choses.
Ma prochaine question s’adresse au ministère de la Justice. Imaginons qu’un youtubeur qui génère des contenus — et qui serait donc touché par le paragraphe 4.2(2), l’exception de l’exception — émette des propos qui suscitent de la controverse, des messages prorusses, ou alors des messages misogynes, racistes ou blessants pour une communauté culturelle, religieuse ou linguistique. Est-ce que le CRTC aurait le pouvoir de sanctionner cet usager, malgré le fameux principe de liberté d’expression qui entrerait en jeu? Je sais qu’il y a un équilibre que l’on doit atteindre, mais est-ce que ce serait possible?
Me Qureshi : Je vous remercie de la question, sénatrice. Concernant le contenu qui apparaît sur les réseaux sociaux, le projet de loi est très clair. Il ne permet pas au CRTC de réglementer les usagers de la plateforme.
La sénatrice Miville-Dechêne : Je vous parle d’un youtubeur qui ferait du contenu commercial, qui aurait assez —
Me Qureshi : Le CRTC aurait réglementé...
La sénatrice Miville-Dechêne : — qui aurait assez de revenus pour tomber sous la coupe du CRTC. C’est pour cette raison que je parlais de YouTube.
Me Qureshi : Si l’on parle de cette disposition en particulier qui traite des médias sociaux, la disposition s’appliquerait si le CRTC décidait de réglementer ou de prescrire une catégorie de contenu d’utilisateur pour lequel le CRTC pourrait imposer une réglementation.
L’entité qui serait réglementée, ce serait la plateforme de médias sociaux. Le projet de loi ne permet pas au CRTC, même s’il réglementait cette plateforme, d’imposer des conditions concernant le contenu ou les quotas de contenu canadien.
La sénatrice Miville-Dechêne : Même du contenu inacceptable? Je vous le demande parce que, comme vous le savez, le CRTC vient de rendre une décision qui concerne Radio-Canada, justement sur du contenu — le mot qui commence en « N », pour ne pas le nommer — jugé inacceptable. Donc, est-ce que la même chose pourrait se faire avec des youtubeurs?
Me Qureshi : J’apprécie le fait que, justement, il y a eu cette décision du CRTC qui est actuellement devant les tribunaux. Je ne me prononcerai donc pas là-dessus. En ce qui concerne les médias sociaux en particulier, et le contenu qui apparaît sur une plateforme comme YouTube, par exemple, le CRTC n’aurait pas l’autorité requise pour réglementer le contenu qui figure sur la plateforme. Donc non, il n’aurait pas cette autorité.
La sénatrice Miville-Dechêne : Quel que soit le caractère offensant du contenu?
Me Qureshi : Justement, la façon — et je pense que les représentants du ministère du Patrimoine canadien avaient expliqué l’objectif de la politique... De manière générale, le contenu d’utilisateurs sur une plateforme de médias sociaux n’est pas réglementé, à moins que l’utilisateur ne soit affilié à la plateforme. Il y a des exceptions, justement, où le CRTC peut prescrire du contenu qui va être réglementé —
La sénatrice Miville-Dechêne : Exact.
Me Qureshi : — et encore une fois, je pense que les représentants du ministère du Patrimoine canadien ont expliqué l’objectif de la politique. Même si c’est le cas, l’entité qui serait réglementée, ce serait la plateforme de médias sociaux, dans votre exemple, ce serait YouTube, et le CRTC n’a pas l’autorité de réglementer le contenu ou les normes liées au contenu qui apparaît sur la plateforme.
La sénatrice Miville-Dechêne : Donc, si je vous comprends bien, le CRTC pourrait réglementer YouTube sur des propos offensants qui ont paru... Non.
Me Qureshi : Non.
La sénatrice Miville-Dechêne : Parfait, je vous ai compris.
[Traduction]
La sénatrice Sorensen : Mes questions s’adressent à Me Qureshi. Premièrement, pouvez-vous me parler du processus d’appel des décisions du CRTC? Ma deuxième question, à laquelle vous avez déjà répondu, je crois, porte sur les contestations judiciaires que vous anticipez par rapport au projet de loi C-11. Cela dit, je pense me trouver à répéter la question de la sénatrice Wallin, alors si vous avez quelque chose à ajouter, n’hésitez pas à le faire.
Me Qureshi : Je vous remercie de la question, sénatrice. Le processus d’appel d’une décision du CRTC dépend de la nature de la décision du CRTC. Le mécanisme habituel d’appel ou de révision d’une décision du CRTC consiste à interjeter appel auprès de la Cour d’appel fédérale. Il s’agit d’un processus d’appel prévu par la Loi sur la radiodiffusion, sur autorisation, ce qui signifie qu’une personne qui souhaite en appeler d’une décision du CRTC doit en demander l’autorisation à la Cour d’appel fédérale. Une fois l’autorisation accordée, la personne peut interjeter appel de la décision auprès de la Cour d’appel fédérale. Évidemment, il est possible de faire appel auprès de la Cour suprême, là encore avec permission, avec autorisation. Voilà le processus, essentiellement.
Concernant la deuxième question, je pourrais faire le même commentaire, mais j’ajouterais peut-être que l’énoncé de la Charte que le ministre de la Justice a présenté au Parlement donne un aperçu. Il ne s’agit pas d’un avis juridique quant à savoir si le projet de loi est conforme à la Charte ou non, mais il souligne certaines considérations et certains droits garantis par la Charte qui pourraient être touchés.
La sénatrice Wallin : J’ai une question complémentaire à ce sujet. Vous avez déjà fait référence à la Cour d’appel. C’est une chose s’il s’agit de CTV, CBC ou Global, mais comment un producteur de contenu indépendant peut-il y avoir accès? Y a-t-il une subvention qui leur permet de faire appel?
Me Qureshi : Je vous remercie, sénatrice. Juste pour que ce soit clair, vous voulez savoir s’il existe des mécanismes de financement pour leur permettre d’interjeter appel?
La sénatrice Wallin : Oui. Les grands radiodiffuseurs ou les plateformes qui veulent faire appel d’une décision du CRTC ont leur propre équipe d’avocats. Si vous êtes producteur de contenu sur TikTok et que vous n’êtes pas d’accord avec une décision, aller devant la Cour d’appel est une tout autre affaire.
Me Qureshi : C’est exact. J’en suis conscient, mais je dirais qu’il en est ainsi pour tout régime de réglementation dans lequel un particulier ou une société veut faire respecter ses droits. Malheureusement, les tribunaux sont habituellement le mécanisme par lequel passer pour les faire respecter.
Le sénateur Oh : Ma question portait sur la ministre Mary Ng et la représentante américaine au Commerce, Katherine Tai. Ma question a été volée par le président. Donc, je n’ai pas d’autres questions.
Le président : Je suis désolé, sénateur. Ce n’était pas intentionnel.
[Français]
La sénatrice Clement : Ma question s’adresse aux représentants de Justice Canada. Je vous remercie tous de votre présence ici aujourd’hui. Quelle est l’étendue des responsabilités du CRTC à l’égard de la consultation des communautés minoritaires de langue anglaise et française? Je fais référence à l’article 5.2 en particulier. Pour vous mettre en contexte, le président et l’avocate générale du CRTC ont comparu devant ce comité au mois de juin et ont émis des réserves sur l’article 5.2, qui prévoit que le CRTC doit consulter les communautés de langue officielle en situation minoritaire « lorsqu’il prend toute décision susceptible d’avoir sur elles un effet préjudiciable. »
Ils nous ont expliqué que l’article 5.2 irait à l’encontre de 50 ans de précédents et de principes juridiques bien établis, soit les principes d’équité procédurale et le secret du délibéré. Au ministère de la Justice, quelle est votre analyse de cette situation? Quelle est l’étendue des responsabilités du CRTC et quels sont vos commentaires à ce sujet?
Me Qureshi : Je vous remercie de votre question. J’ai effectivement entendu les explications qui ont été données par les représentants du CRTC. Encore une fois, je ne peux pas donner d’avis juridique ou interpréter des dispositions.
La sénatrice Clement : Je comprends, car vous avez très bien expliqué cela.
Me Qureshi : En ce qui concerne cette disposition particulière, je crois comprendre qu’il y a un historique. C’est une disposition qui a été présentée à la Chambre des communes lorsque le projet de loi C-10 a été débattu, et cette disposition se trouve toujours dans le projet de loi C-11.
Je peux dire qu’une disposition comme celle-là est un peu particulière. Comme les représentants du CRTC l’ont mentionné, de façon générale, il y a un grand nombre d’objectifs de politique publique qui sont contenus à l’article 3 de la Loi sur la radiodiffusion que le CRTC a la responsabilité de mettre en œuvre, et ce, typiquement en ce qui a trait aux intérêts de certaines communautés ou de certaines minorités. Le CRTC entreprend de toute façon des consultations afin de s’assurer que le régime réglementaire tient compte des particularités des communautés qui seraient affectées.
Ce n’est pas différent pour les communautés en situation minoritaire. Oui, il y a cet article qui semble imposer une obligation additionnelle ou une obligation précise de consulter. Cependant, en ce qui concerne la portée de cette disposition, je ne peux me prononcer là-dessus, car je rendrais un avis sur la question.
La sénatrice Clement : Donc, selon votre analyse, vous n’avez pas les mêmes réserves. Vous êtes d’accord pour dire que c’est particulier, mais vous n’avez pas de réserves?
Me Qureshi : C’est difficile pour moi de mentionner des réserves d’un point de vue juridique, parce que je ne peux pas me prononcer légalement tant sur l’interprétation de la disposition que sur ses effets légaux. Ce que je peux dire, c’est que le CRTC, d’un point de vue opérationnel, a certaines préoccupations par rapport à ces dispositions que je peux tout à fait comprendre.
La sénatrice Clement : Pouvez-vous vous prononcer sur les défis possibles par rapport à cet article, surtout sur le plan des 50 ans de précédents?
Me Qureshi : Encore une fois, je sais que les représentants du CRTC ont parlé de 50 ans de précédents. Je ne veux pas mettre de mots dans leur bouche; je vais juste parler de la pratique du CRTC lorsqu’il tient des audiences privées ou des audiences publiques. Lorsque le CRTC établit un cadre réglementaire, il tient des audiences pour s’assurer que le cadre réglementaire est pertinent, non seulement pour atteindre les objectifs de politique conformément à l’article 3 de la Loi sur la radiodiffusion, mais également quant aux effets par rapport aux autres intervenants. Donc, il y a des audiences publiques et, dans le contexte de ces audiences, le CRTC fait des consultations et entend des représentations de diverses communautés et de différents ayants droit, y compris les communautés de langue officielle en situation minoritaire.
La sénatrice Miville-Dechêne : Comme vous le savez, il n’y aura pas d’audiences sur les ordonnances. Il y aura juste des audiences sur les licences dans le projet de loi tel qu’il est formulé. Donc, il y a une grande partie de la réalité où l’on ne consultera pas d’avance, publiquement ou en amont, les communautés minoritaires qui sont quand même relativement fragiles.
Me Qureshi : C’est possible. Je ne connais pas très bien le processus réglementaire du CRTC. Encore une fois, le CRTC est mieux placé pour expliquer ce processus. De façon générale, dans certaines situations où il y a des audiences publiques, on va tenir compte de ce genre de préoccupations. Les avocats ou les représentants du CRTC ont mentionné que ces dispositions ajouteraient une étape de plus. Normalement, après des audiences — s’il y avait des audiences —, le CRTC rendrait sa décision de politique par rapport au cadre réglementaire, puis cette décision serait mise en œuvre. Selon eux, cette disposition ajouterait une étape de plus au cadre réglementaire additionnelle une fois qu’ils ont établi leur cadre réglementaire, soit l’obligation de reconsulter certaines communautés.
La sénatrice Clement : Merci, maître Qureshi.
[Traduction]
La sénatrice Pate : Ma question s’adresse également aux représentants du ministère de la Justice. Merci beaucoup à tous d’être ici.
L’énoncé concernant la Charte pour le projet de loi C-11, dont vous avez parlé, met fortement l’accent sur les droits à l’égalité et la promotion des points de vue culturels des personnes les plus marginalisées, en particulier les Autochtones. J’aimerais savoir s’il existe, selon vous — en particulier à la lumière de ce projet de loi et de certaines modifications axées sur les questions linguistiques apportées par la Chambre, mais dans le contexte de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, de leurs recommandations et de l’engagement du gouvernement à l’égard de la réconciliation et de la mise en œuvre des appels à l’action de la Commission de vérité et de réconciliation —, un devoir de consulter ou d’autres considérations d’ordre juridique qui sont invoquées en raison de l’article 3.3, étant donné que nous évoquons l’inclusion des peuples autochtones dans cette question. Si oui, à votre connaissance, des mesures ont-elles été prises pour veiller au respect du devoir de consulter?
Me Qureshi : Je vous remercie de la question, sénatrice. Je crains de devoir commencer encore une fois par une réponse qui n’est pas très populaire en disant que je ne peux fournir de conseils juridiques.
Je vais aussi demander à Me MacCallum s’il veut intervenir.
Concernant les dispositions particulières du projet de loi, qui visent à assurer que le contenu est pertinent pour certaines communautés minoritaires, comme indiqué dans l’énoncé concernant la Charte, encore une fois, cela s’arrime certainement très bien avec les valeurs de certains droits garantis par la Charte, notamment le droit à la liberté d’expression, qui comprend le droit à l’accès à l’information, en particulier à l’information pertinente qui s’adresse à une communauté précise.
Raymond MacCallum, avocat général, Section des droits de la personne, ministère de la Justice Canada : J’ajouterais seulement, concernant la nature des consultations qui ont eu lieu, le cas échéant, au sujet de ces dispositions, qu’il serait peut-être plus approprié de poser la question au ministère responsable, le ministère du Patrimoine canadien. Nous n’avons pas cette information et nous ne pouvons évidemment pas donner de conseils sur les obligations pouvant découler ou non de la déclaration des Nations unies dans le contexte de cette réforme législative.
La sénatrice Pate : De manière générale, toutefois, il s’agit probablement d’aspects que vous examineriez lors de la préparation d’énoncés de la Charte pour des mesures législatives. Quel processus le ministère de la Justice utiliserait-il pour s’assurer que des consultations adéquates ont été menées?
Me MacCallum : Quant à l’énoncé concernant la Charte, notre responsabilité consiste à cerner les effets potentiels d’une mesure législative du gouvernement sur les droits et libertés énumérés dans la Charte. Par conséquent, nous n’avons pas l’obligation d’examiner, aux fins de l’énoncé concernant la Charte, les droits énumérés dans la déclaration des Nations unies qui ne chevauchent pas les droits garantis par la Charte. La déclaration représente une obligation juridique distincte. Le devoir du ministre relativement à l’énoncé concernant la Charte, qui consiste à cerner les droits et libertés susceptibles d’être touchés par un projet de loi du gouvernement, ne s’étend pas aux obligations découlant de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.
La sénatrice Pate : Donc, selon vous, l’article 15 n’englobe pas une partie de cela?
Me MacCallum : L’article 15 englobe le droit à l’égalité. Les effets potentiels d’un projet de loi du gouvernement, tant positifs que négatifs, seraient cernés dans un énoncé concernant la Charte pour ce projet de loi. Dans cet énoncé concernant la Charte, les droits à l’égalité vis-à-vis des peuples autochtones se limitent à l’effet positif que pourrait avoir l’exigence d’accroître la prise en compte de ces intérêts dans la mise en œuvre de la politique de radiodiffusion. Il ne s’agit pas de cerner les effets potentiellement négatifs des mesures proposées dans le projet de loi sur les peuples autochtones.
Le sénateur Quinn : J’aimerais revenir à certaines questions de mes collègues concernant l’évaluation des risques juridiques. Ma question s’adresse à Me Qureshi ainsi qu’à M. Smith. J’essaie d’aborder la question sous un autre angle, car je comprends que vous devez faire preuve de prudence dans vos observations.
La loi que nous modifions remonte à des décennies, et beaucoup de choses ont changé dans l’intervalle. La loi initiale traite des répercussions tant économiques, politiques, sociales que culturelles. Au cours de ces 39 années, nous avons conclu un certain nombre d’accords commerciaux avec divers pays. J’imagine qu’une évaluation des risques juridiques comprendrait un examen de cet aspect précis.
Pour ce qui est des défis possibles — sans vous demander de présenter votre évaluation des risques juridiques —, devons-nous nous attendre à des risques élevés, faibles ou moyens?
Me Qureshi : J’aimerais avoir une précision : lorsque vous parlez de défis, parlez-vous de défis à l’échelle internationale, nationale ou les deux?
Le sénateur Quinn : Je dirais les deux. Je pensais au volet international, mais je vais saisir l’occasion que vous m’offrez.
M. Smith : Je vous remercie de la question. Je pense que c’est une très bonne question. Comme je l’ai dit dans ma déclaration préliminaire, la nécessité d’assurer la cohérence entre les sphères internationale et nationale devient de plus en plus importante, car nous avons évidemment des interactions sur les plans politique, économique et social avec des personnes et des entités qui sont à l’extérieur de nos frontières. Dans un contexte commercial, en particulier, veiller à l’instauration de règles offrant une certitude et une prévisibilité accrues revêt de plus en plus d’importance pour les acteurs des différents domaines, notamment les domaines dont il est question relativement au projet de loi C-11.
Comme je l’ai dit au début, le fait que ce comité ait fait ces liens et que nous devons examiner ces questions démontre parfaitement que ce dont nous sommes saisis n’est pas tant une question de risque plus ou moins élevé, mais qu’il s’agit simplement d’une question plus complexe. Le contexte dans lequel nous devons examiner les questions de ce genre est beaucoup plus complexe, car nous devons examiner de façon beaucoup plus approfondie une multitude de facteurs sur la scène internationale qui découlent intrinsèquement des obligations juridiquement contraignantes que nous avons avec certains de nos principaux partenaires commerciaux étrangers.
Même du côté national, sans vouloir me prononcer pour mes collègues, nous devons prendre plus de facteurs en considération et nous en faisons plus, notamment l’analyse comparative entre les sexes ou l’impact environnemental de notre travail. Beaucoup plus d’aspects doivent être pris en considération, d’où la complexité. Voilà pourquoi nous devons travailler de façon intégrée au sein de l’appareil gouvernemental fédéral, entre différents ministères, pour veiller à ce que ces considérations soient mises au jour et examinées adéquatement. Nous pensons que c’est le cas par rapport au commerce, mais il y en a beaucoup.
En tant que parlementaires, vous devez maintenant examiner ces questions à travers des prismes différents qui n’existaient peut-être pas il y a 10 ou 15 ans. J’espère que notre travail à cet égard permettra d’améliorer les résultats du régime national canadien et que ces résultats se refléteront aussi sur la scène internationale.
Le sénateur Quinn : Comme pour tout ce qui touche au domaine législatif, peut-on s’attendre, dans le cas de ce projet de loi, à heurter des écueils à mesure que nous avançons?
M. Smith : Oui, dans le sens où nous devrons veiller à poser les bonnes questions, à la fois dans le cadre de processus internes et externes, pour garantir un résultat visant à atteindre l’ensemble des objectifs que nous avons établis au début de cette initiative législative.
Comme je l’ai mentionné, nous ne sommes pas encore au fil d’arrivée, bien entendu. Nous allons passer à l’étape suivante avec nos collègues, y compris ceux du ministère du Patrimoine canadien, pour nous assurer que le cadre réglementaire, lorsqu’il sera rédigé et mis en œuvre, tiendra compte de ces considérations. Nous devons aussi veiller à ce qu’il nous permette de recueillir les observations de nos partenaires commerciaux et d’en tenir compte afin d’avoir un régime nous donnant la capacité de satisfaire à ces impératifs de politique nationale, notamment en matière de culture, tout en permettant au Canada de maintenir son excellente réputation en veillant à ce qu’il demeure ouvert au commerce et aux investissements, avec la prospérité économique qui en découle.
La sénatrice Dasko : Ma question s’adresse à Me Qureshi. Dans votre déclaration préliminaire, vous avez parlé des objectifs du projet de loi C-11, que vous avez décrits comme compatibles avec les droits, le libellé et les valeurs de la Charte. Ces objectifs comprennent les questions de diversité, les thèmes relatifs à la diversité, les langues autochtones, les langues officielles et d’autres, ainsi que les règles du jeu équitables, des aspects qui, selon vous, sont compatibles avec les valeurs et le libellé de la Charte.
Le projet de loi lui-même — et le gouvernement, dans ses messages — utilise les thèmes de la diversité et traite de règles du jeu équitables, mais la mesure législative ne crée pas réellement de règles du jeu équitables. Elle comporte des niveaux, de sorte qu’à bien des égards, les exigences applicables aux diffuseurs canadiens demeureront différentes de celles des diffuseurs étrangers.
En fin de compte, l’absence de règles du jeu uniformes pour tous ainsi que le maintien de règles différentes entre les deux niveaux posent-ils problème pour le projet de loi?
Ceux qui considèrent que les règles du jeu ne sont pas équitables et que d’autres sont avantagés pourraient-ils recourir à des contestations judiciaires? Les exigences varient; elles sont plus élevées pour certains et plus faibles pour d’autres. Est-ce possible, ou toutes ces choses sont-elles liées à l’application du projet de loi, à des considérations politiques avec un « p » minuscule? Comment cela pourrait-il fonctionner?
Me Qureshi : Je vous remercie de la question, sénatrice. Vous avez raison; tout dépendra de la façon dont le CRTC mettra en œuvre le cadre réglementaire. Le projet de loi énonce certains objectifs stratégiques que le gouvernement considère comme importants et qui sont inclus, à l’article 3, dans la politique réglementaire de radiodiffusion pour le Canada. Le CRTC est chargé de la mise en œuvre de ces objectifs stratégiques, et le projet de loi fournit au CRTC certains instruments réglementaires à cette fin.
En outre, le projet de loi reconnaît qu’il existe différents acteurs. Trente ans se sont écoulés depuis la dernière modification de la Loi sur la radiodiffusion. De nouveaux acteurs sont arrivés. Je pense que l’on reconnaît que les divers acteurs ont différentes capacités de contribuer au système de radiodiffusion et à l’avancement de ces objectifs stratégiques.
Voilà ce que fait le projet de loi. Ensuite, il incombera au CRTC de mettre en place ce cadre réglementaire à l’aide des divers instruments prévus dans le projet de loi. Et c’est vraiment là où les choses vont se mettre en place.
La sénatrice Dasko : Je vois. Donc, certains des acteurs, des intervenants, ne pourraient pas porter la question des objectifs devant les tribunaux s’ils étaient traités différemment, et devraient défendre leur point de vue dans le cadre des mécanismes du CRTC. Est-ce bien cela?
Me Qureshi : Oui. Cela dit, comme toute mesure législative, le projet de loi est assujetti aux exigences liées à la Charte et à la Constitution, de sorte qu’il sera toujours possible de contester la mesure législative ou une disposition précise. En outre, comme je l’ai dit, il appartient aux tribunaux de déterminer si une disposition donnée est constitutionnelle ou non.
Le président : Il est passé 16 heures, et toute bonne chose a une fin. Je remercie les fonctionnaires du ministère de la Justice et du ministère des Affaires mondiales de leur présence au comité. Comme vous l’avez constaté grâce aux questions et aux réponses qui ont été entendues, les préoccupations et les enjeux sont nombreux, mais je remercie les représentants des deux ministères d’être venus. Ce fut un échange très fructueux.
Nous passons maintenant à huis clos pour nous occuper de travaux du comité.
(La séance se poursuit à huis clos.)