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TRCM - Comité permanent

Transports et communications


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES TRANSPORTS ET DES COMMUNICATIONS

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mardi 20 septembre 2022

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd’hui par vidéoconférence à 9 heures (HE) pour examiner la teneur du projet de loi C-11, Loi modifiant la Loi sur la radiodiffusion et apportant des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois.

Le sénateur Leo Housakos (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Je suis le sénateur Leo Housakos du Québec; je suis le président de ce comité, et j’aimerais que mes collègues se présentent brièvement.

Le sénateur Dawson : Sénateur Dennis Dawson, Québec.

La sénatrice Miville-Dechêne : Sénatrice Julie Miville-Dechêne, Québec.

Le sénateur Loffreda : Sénateur Tony Loffreda, Québec.

Le sénateur Cormier : Sénateur René Cormier, Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Simons : Sénatrice Paula Simons, Alberta, territoire du Traité n° 6.

Le sénateur Quinn : Sénateur Jim Quinn, Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Clement : Sénatrice Bernadette Clement, Ontario.

Le sénateur Wells : Sénateur David Wells, Terre-Neuve-et-Labrador.

Le sénateur Klyne : Bonjour, sénateur Marty Klyne, Saskatchewan.

La sénatrice Dasko : Sénatrice Donna Dasko, représentant l’Ontario.

Le président : Chers collègues, nous sommes réunis pour poursuivre notre étude de la teneur du projet de loi C-11, Loi modifiant la Loi sur la radiodiffusion et apportant des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois.

[Français]

Pour notre premier groupe de témoins, nous avons le plaisir d’accueillir, du Réseau de télévision des peuples autochtones, Mme Monika Ille, cheffe de la direction. Nous accueillons également, de la Fédération culturelle canadienne-française, Mme Nancy Juneau, présidente du conseil d’administration, et Mme Marie-Christine Morin, directrice générale.

[Traduction]

Nous avons également avec nous Brad Danks, président-directeur général d’OUTtv, qui se joint à nous par téléconférence.

Nous allons accorder cinq minutes à chacun des groupes présents. Je cède maintenant la parole à Mme Ille.

[Français]

Madame Ille, la parole est à vous.

[Traduction]

Monika Ille, cheffe de la direction, Réseau de télévision des peuples autochtones : Monsieur le président et honorables sénateurs, [La témoin s’exprime en langue autochtone].

Bonjour, je m’appelle Monika Ille. Je suis une Abénakise de la communauté d’Odanak. Je suis la présidente-directrice générale du Réseau de télévision des peuples autochtones, APTN en anglais, et je tiens à vous remercier de me donner l’occasion de comparaître devant vous aujourd’hui. J’aimerais commencer par reconnaître que le territoire sur lequel nous sommes réunis est le territoire traditionnel et non cédé de la Nation algonquine Anishinaabe, et nous la remercions de son hospitalité.

APTN est un réseau de télévision national détenu et exploité par des Autochtones. Nous offrons aux Canadiens une gamme complète de programmes en anglais, en français et, régulièrement, dans plus de 15 langues autochtones. APTN a été le premier réseau national de télévision autochtone au monde, et il existe maintenant depuis 23 ans. Il a transformé la façon dont les peuples autochtones du Canada sont représentés à la télévision et la façon dont nous travaillons avec l’ensemble du secteur de la radiodiffusion. APTN est notre propre service, créé par et pour nos peuples, et nous nous adressons à tous les Canadiens avec nos voix authentiques.

[Français]

Sans la Loi sur la radiodiffusion, et si le CRTC n’exerçait pas son pouvoir en vertu de l’alinéa 9(1)h), APTN n’existerait pas. Notre objectif est de nous assurer que le projet de loi C-11 continue de donner au CRTC l’autorité dont il aura besoin à l’avenir pour soutenir l’ambition des peuples autochtones et notre droit d’exploiter nos propres services.

Nous appuyons le projet de loi C-11. Nous devons mettre à jour la Loi sur la radiodiffusion afin de refléter la technologie moderne et de profiter des occasions de l’ère Internet.

[Traduction]

La Loi sur la radiodiffusion doit également mieux refléter les peuples autochtones du Canada d’aujourd’hui. Beaucoup de choses ont changé depuis 1991, notamment l’adoption de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Le nouvel alinéa 3(1)o) proposé de la Loi sur la radiodiffusion reconnaît pour la première fois que les programmes autochtones représentant les cultures et les langues autochtones devraient être fournis par des entreprises de radiodiffusion exploitées par des Autochtones. Il s’agit d’une modification essentielle de la loi qui s’inspire de l’article 16 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

Le projet de loi contient également des références supplémentaires quant au soutien des programmes en langue autochtone. La section sur la politique réglementaire de l’alinéa 5(2)a) de la Loi sur la radiodiffusion exigera du CRTC qu’il tienne compte des différentes caractéristiques de la radiodiffusion en français, en anglais et en langue autochtone ainsi que des besoins et des intérêts des peuples autochtones. C’est la première fois que le contenu en langue autochtone est placé sur un pied d’égalité avec le contenu en langues anglaise et française dans la loi.

Toutefois, le projet de loi C-11 présente une lacune grave et dommageable en ce qui concerne la distribution en ligne d’APTN et de certains autres services importants. Les politiques et les objectifs les plus remarquables n’ont pas beaucoup de sens s’ils ne peuvent être mis en œuvre.

[Français]

En 1999, lorsque APTN a obtenu sa première licence, le CRTC a exigé que le réseau soit distribué par des entreprises de câblodistribution et de diffusion par satellite, et le CRTC a fixé un prix global raisonnable. En vertu du projet de loi C-11, le CRTC pourrait, en théorie, ordonner à certains distributeurs en ligne qui offrent les services de programmation d’autres entités de distribuer APTN, mais le CRTC ne pourra pas fixer les conditions de distribution.

Ces conditions feraient plutôt l’objet de négociations de bonne foi avec les plateformes numériques. Quelles seraient ces plateformes numériques? Elles pourraient être des gens du monde numérique que vous connaissez déjà, et même inclure les EDR par câble et par IP (IPTV) au Canada qui passent maintenant à la distribution en ligne.

[Traduction]

Nous craignons fortement que l’exigence de tenir des négociations de bonne foi n’aboutisse pas à un soutien significatif pour APTN à l’avenir et constitue à coup sûr une voie vers le déclin de notre réseau. Ce dernier n’a pas le pouvoir nécessaire sur le marché pour mener des négociations significatives avec les puissants distributeurs en ligne, et son mandat n’est pas axé sur le marché. En définitive, si un distributeur n’agit pas de bonne foi, quel serait notre recours? Dans l’état actuel des choses, le CRTC ne pourrait toujours pas fixer les conditions de distribution d’APTN. Il faut remédier à cette lacune.

[Français]

APTN est membre de l’Independent Broadcast Group, ou Groupe de diffuseurs indépendants. Ce groupe a proposé des amendements au projet de loi C-11 qui visent à remédier à cette lacune. Ces changements sont semblables à ce qu’a proposé le président du CRTC lorsqu’il a témoigné devant vous en juin dernier.

[Traduction]

Je vous remercie. Je me ferai maintenant un plaisir de répondre à vos questions.

[Français]

Le président : Merci beaucoup.

Madame Juneau, vous avez la parole.

Nancy Juneau, présidente du conseil d’administration, Fédération culturelle canadienne-française : Monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du comité, bonjour. Je vous remercie de votre invitation à comparaître pour discuter du projet de loi C-11 et de son importance pour la francophonie canadienne et acadienne.

Je suis Nancy Juneau, présidente de la Fédération culturelle canadienne-française, et je suis accompagnée de notre directrice générale, Marie-Christine Morin.

Le système canadien de radiodiffusion se trouve à un moment charnière où toutes ses composantes doivent incarner, avec encore plus de vigueur, le principe fondamental qui en constitue l’essence. Les ondes, qu’elles soient hertziennes ou numériques, sont un bien public. L’accès que le législateur accorde aux créateurs, producteurs, diffuseurs et distributeurs est un privilège. La contrepartie est une obligation de participer à la nation en lui redonnant une partie des revenus qu’ils en tirent.

Avec la mainmise grandissante des géants du Web, il y a un risque d’érosion de ce principe fondamental. Cette érosion est encore plus troublante en ce qui a trait à la francophonie, pour qui l’accès à toutes les formes d’écran représente un défi, une lutte, en même temps qu’une condition fondamentale à son existence et à son épanouissement.

Sachant que rien n’est jamais vraiment acquis pour la francophonie canadienne, la Fédération culturelle canadienne-française soutient que les grandes politiques publiques, notamment la Loi canadienne sur la radiodiffusion, doivent, tels les fils de notre tissu social, concrétiser les principes fondamentaux et les garanties constitutionnelles de notre pays que sont l’égalité linguistique, le respect des minorités, la diversité culturelle et la Loi sur les langues officielles.

En ce sens, le projet de loi C-11 représente une avancée importante, et nous l’appuyons vigoureusement dans sa forme actuelle. Je cède maintenant la parole à Marie-Christine Morin.

Marie-Christine Morin, directrice générale, Fédération culturelle canadienne-française : Il est essentiel de réitérer la nécessité de préserver les acquis du travail effectué jusqu’ici dans la révision de cette loi, plus précisément pour protéger et maintenir l’amendement prévu au paragraphe 5.2(1) du projet de loi C-11, portant sur l’obligation de consulter les CLOSM.

Nous sommes déçues et fort inquiètes de la demande unilatérale du CRTC de radier l’article 5.2. Cette modification a été adoptée tant dans le projet de loi C-10 que dans le projet de loi C-11 par le Comité permanent du patrimoine canadien. Cependant, elle est essentielle à la participation équitable des CLOSM au système canadien de la radiodiffusion.

Jusqu’à présent, l’expérience vécue par les communautés de langue officielle en situation minoritaire dans les processus de consultation et de décision du CRTC est insatisfaisante. Nos petits organismes font face à des limites importantes du côté des ressources et des capacités. L’article 5.2, qui traite de l’obligation de consulter et de la manière de le faire, nous apparaît essentiel.

Le CRTC est une institution fédérale régie par la Loi sur les langues officielles, et plus particulièrement par la partie VII de la loi. En tant que tel, il doit prendre des mesures adaptées dans ses processus publics de consultation pour veiller à engager et à protéger les CLOSM. Le CRTC doit, par exemple, se préoccuper de pallier l’asymétrie entre les groupes représentant nos milieux francophones en situation minoritaire et les géants de l’industrie, sans parler de ceux du Web.

Nous faisons directement appel à votre mandat particulier en tant que sénateurs en ce qui a trait à la protection des minorités en vous demandant de veiller à maintenir l’article 5.2 dans sa forme actuelle. Cet amendement assure la protection des CLOSM, notamment pour faire face aux aléas potentiels associés aux changements politiques et organisationnels du CRTC.

La formulation de l’article 5.2 s’appuie directement sur la jurisprudence de la Cour suprême, qui définit ce que constitue une consultation importante.

Le besoin de consultations authentiques auprès de nos communautés devra impérativement se retrouver aussi dans le projet de loi C-13 visant à moderniser la Loi sur les langues officielles. Je suis en mesure de vous confirmer l’intention ferme de la FCFA, et celle de nos réseaux en francophonie canadienne, de nous en assurer.

Je vous remercie de m’avoir écoutée et je suis disponible pour répondre à vos questions.

[Traduction]

Brad Danks, président-directeur général, OUTtv : Mesdames et messieurs les sénateurs, bonjour. Je vous remercie de m’avoir permis de comparaître aujourd’hui. Je m’appelle Brad Danks et je suis président-directeur général d’OUTtv, qui est à la fois une chaîne de télévision linéaire réglementée au Canada et une plateforme de diffusion en continu en ligne au Canada et dans le monde entier. Je travaille dans l’industrie du divertissement au Canada depuis près de 30 ans. J’ai d’abord été avocat en droit du divertissement, avant de devenir cadre dans le domaine de la radiodiffusion. À titre de cadre, j’ai négocié de nombreuses ententes de distribution de diffusion en continu en ligne au Canada et dans le monde, notamment avec Amazon, Apple, Roku et Comcast.

Bien que nous soyons un service de niche de petite taille axé sur la communauté LGBTQ2+, OUTtv est l’un des chefs de file de la diffusion en continu en ligne au Canada. L’arrivée des plateformes de diffusion en continu des studios au Canada, comme Disney+, et la croissance des agrégateurs de chaînes comme Amazon, Roku et Apple TV ont changé à jamais l’industrie du contenu au Canada. Nous sommes en train de nous adapter à cette réalité. Les entreprises canadiennes doivent investir massivement dans des programmes originaux pour rester compétitives. Cette démarche est coûteuse et risquée. Cependant, elle crée également des possibilités d’exportation à l’échelle mondiale. Il y a cinq ans, environ 35 % du contenu d’OUTtv était constitué de programmes originaux; l’an prochain, la part de ces programmes atteindra près de 90 %.

Pour justifier ces investissements dans des programmes originaux, nous devons mettre en place la distribution nécessaire pour les vendre au public. Par « distribution », j’entends l’accès réel aux téléspectateurs par le biais de plateformes d’agrégation de chaînes, comme Amazon, Apple TV et Roku, et des plateformes vidéo nationales du Canada, qui se tournent également vers la diffusion en continu. Cependant, les plateformes de contenu payant comme celles-ci ne vous permettent pas de simplement télécharger votre service; vous devez négocier vos contrats de distribution. Elles sont les nouvelles gardiennes du système.

Les marchés de la distribution en ligne mûrissent rapidement aux États-Unis, où de grandes entreprises, notamment des studios comme Disney et Netflix et des géants de la technologie comme Amazon, Apple et Google, ainsi que des fabricants d’équipement comme Huawei, Samsung et LG, se disputent les parts de marché. Les signes indiquent clairement que le marché américain se resserre. Il devient plus difficile de lancer de nouveaux services. Certaines plateformes ont même supprimé des services, puis limité le nombre de services sur leur plateforme. Étant donné qu’aucune de ces plateformes n’est tenue d’offrir des services canadiens au Canada, il est à craindre que de nombreux services canadiens soient exclus de notre propre marché. C’est particulièrement préoccupant à long terme, car le marché américain est beaucoup plus vaste et plus développé que le marché canadien.

Toute personne ayant une expérience de la distribution dans le domaine de la radiodiffusion sait qu’il existe de nombreuses raisons pour lesquelles une plateforme peut choisir de ne pas distribuer un service. hOne est un contenu. Les plateformes en ligne peuvent s’opposer à la diversité canadienne ou ne pas s’en soucier. En tant que service LGBTQ2+, nous nous sommes déjà vu refuser plus d’une fois l’accès à des plateformes en dehors du Canada, simplement en raison de l’orientation de notre contenu.

Il y a également la question de la concurrence. Les plateformes en ligne peuvent ne pas vouloir de services canadiens qu’elles considèrent comme concurrents des leurs. Une autre pratique regrettable, mais courante, est le principe consistant à payer pour faire diffuser des programmes. Les contrats de distribution seront négociés non seulement aux États-Unis, mais aussi à Séoul, à Pékin et dans d’autres capitales. De nombreux services, comme la chaîne russe RT, fonctionnent sur la base de contrats de distribution payants. Ces ententes faussent le marché et tentent souvent de bloquer d’autres services en exigeant l’exclusivité. Bien que le Canada ne puisse pas contrôler ces partenariats mondiaux, en veillant à ce que les services canadiens bénéficient d’un accès et de conditions de marché équitables au Canada, nous pouvons au moins prévenir une partie des répercussions de ces abus dans notre propre pays.

Enfin, il existe des partenariats, ou ce que nous appelons des « accords de marchandage », dans le cadre desquels différentes plateformes échangent du contenu et des accords privilégiés afin que chacune d’entre elles puisse distribuer son contenu sur la plateforme de l’autre. Cela s’est produit régulièrement dans le système canadien au cours de la dernière décennie. Ces tentatives, ainsi que d’autres visant à privilégier certains contenus par rapport à d’autres, sont monnaie courante dans le système traditionnel. La distribution en ligne ressemble chaque jour davantage à la télévision traditionnelle.

Le CRTC devrait avoir la capacité de s’assurer que les services canadiens sont offerts au Canada et traités de façon équitable. Il s’agit d’une exigence simple visant à assurer notre autonomie culturelle ainsi que la propriété et le contrôle par le Canada du système de radiodiffusion, ce qui est le premier objectif stratégique de la Loi sur la radiodiffusion. Malheureusement, le projet de loi C-11 ampute l’autorité du CRTC dans ce domaine. Un petit nombre de changements ciblés contribuerait grandement à régler ce problème.

OUTtv est membre du Groupe de diffuseurs indépendants. Nous sommes d’accord avec les observations faites par ce groupe au comité et avec celles faites aujourd’hui par ma collègue d’APTN, Mme Ille, et nous appuyons les modifications proposées, notamment les changements visant à soutenir la distribution des services canadiens et la capacité du CRTC à régler les différends. C’est ce que le CRTC fait depuis des années. Il a de l’expertise dans ce domaine et, oui, il peut le faire. Je vous remercie de m’avoir permis de comparaître aujourd’hui. Je serai heureux de répondre à toutes vos questions.

[Français]

Le président : J’ai une question pour Mme Juneau ou Mme Morin. Votre organisation a plaidé pour que les joueurs de l’industrie culturelle participent au financement et à la découvrabilité de ce que vous qualifiez de contenu canadien de grande qualité. Vous me permettrez de dire qu’en réalité, dans la présente ère numérique, les créateurs canadiens de contenu sur YouTube sont parmi les plus grands exportateurs de contenu culturel au monde. Environ 90 % de leur auditoire provient de l’étranger. La semaine dernière, les représentants de Spotify nous ont indiqué qu’ils avaient un bassin de 2 millions d’auditeurs de musique francophone.

Cependant, aucun autre pays n’impose d’obligations de découvrabilité ou de provenance. Alors, que se passera-t-il si le projet de loi C-11 est adopté tel quel et si les autres pays répliquent? Par exemple, comment réagiront les créateurs canadiens si la France impose les mêmes exigences de découvrabilité et de contenu local et que les créateurs canadiens deviennent soudainement invisibles? N’est-ce pas un danger qui est lié à l’étroitesse relative du marché canadien, notamment le marché francophone? Quel est votre avis à ce sujet?

Mme Juneau : Je vais laisser Mme Morin répondre à la question.

Mme Morin : Mme Juneau pourra compléter ma réponse. Évidemment, nous appuyons sans réserve les propos de notre membre de l’Alliance des producteurs francophones du Canada qui a comparu devant vous la semaine dernière et qui a parlé de la production indépendante francophone et de la découvrabilité. Donc, nous appuyons les propos de notre membre.

En ce qui concerne la découvrabilité, il est clair qu’il y a des enjeux. On doit s’assurer de la découvrabilité de ces contenus et se pencher sur la notion et la définition même de contenu canadien. Il est clair que ce projet de loi nous interpelle directement sur cette question. Il faudra s’assurer que tout est en place dans cette définition pour que les contenus proposés soient découvrables et qu’ils contribuent à faire vivre et à développer tant nos auditeurs et nos créateurs que les artisans du milieu.

Mme Juneau : Je crois que Mme Morin a très bien répondu à votre question, monsieur le sénateur.

Le président : J’ai une question complémentaire : n’êtes-vous pas d’accord pour dire qu’un tel projet de loi réduirait la capacité des plateformes comme YouTube ou d’autres plateformes d’offrir des occasions à nos artistes de promouvoir leur œuvre à l’échelle internationale? N’y a-t-il pas un risque que d’autres pays répliquent?

Par exemple, si la France se ferme en raison de l’effet que ce projet de loi aura sur les marchés canadiens, ne croyez-vous pas qu’il y aura un impact négatif pour nos artistes qui tentent d’exploiter le marché international, ce qu’on est en mesure de faire aujourd’hui en utilisant les nouvelles plateformes qui sont offertes?

Mme Morin : Je pense que, du côté des algorithmes, il y aura du travail à faire. Nous devrons imposer certains algorithmes qui permettront la découvrabilité des contenus francophones, au pays et à l’étranger.

Je pense que le projet de loi doit inclure des dispositions qui nous permettront d’agir sur ces algorithmes, qui, comme on le sait très bien, nous dirigent vers certains contenus parfois bien malgré nous.

Le président : Merci.

[Traduction]

La sénatrice Simons : Monsieur Danks, vous avez évoqué une nouvelle facette très intéressante de la distribution dont je ne pense pas que nous ayons encore parlé au sein de ce comité. Je pense que cela montre à quel point l’écosystème évolue rapidement, car je crois que lorsque le projet de loi C-10 a été rédigé, le type d’agrégateurs de chaînes que vous décrivez n’existait pas encore. Mme Ille et vous-même pourriez peut-être parler de cette question, car elle touche vos deux systèmes de programmation. Souhaitez-vous que le CRTC négocie une distribution obligatoire de l’ensemble de votre réseau ou qu’il conclue plutôt des ententes avec Amazon ou Disney pour qu’ils achètent certains de vos programmes?

M. Danks : Merci, madame la sénatrice. Ce que nous voulons, c’est qu’ils proposent l’ensemble de nos services, et c’est déjà le cas. Nous avons une entente avec Amazon; ils distribuent tout. Nous avons une entente avec Apple TV au Canada; ils distribuent tout. Nous avons également des ententes avec Amazon et Apple TV à l’extérieur du Canada.

Je pense que l’une des choses importantes à retenir ici est que la capacité de distribution de ces sociétés est pratiquement illimitée. La diffusion des chaînes est réellement basée sur la largeur de bande et cette dernière ne pose plus problème au sein de l’industrie depuis près de 15 ans. Ce n’est donc vraiment pas un problème. En ce qui concerne le service d’abonnement vidéo sur demande, ils cherchent en fait à développer les services d’abonnement au Canada. Ils aimeraient en ajouter d’autres. La clé est de parvenir à distribuer les programmes sur ces services au Canada, puis à l’extérieur, dans le monde entier.

Il y a un domaine de services très nouveau, les chaînes de diffusion en continu gratuites financées par la publicité. Je les appelle le retour de la télévision des années 1980, car il s’agit d’un service gratuit et linéaire qui n’est financé que par la publicité. Ces services ont décollé très rapidement aux États-Unis. Les chefs de file de ce marché sont Roku, Samsung et Pluto TV, qui arrivent tous les trois au Canada. Ce marché mûrit très rapidement aux États-Unis. L’une de mes craintes concerne le long terme. Pour l’instant, Pluto TV est à la recherche de chaînes et de services canadiens linéaires à ajouter. Ils ont dit qu’ils allaient probablement se lancer, je crois, en décembre ou en janvier; ils sont très ouverts et veulent ajouter notre chaîne et APTN.

Ce qui m’inquiète vraiment, c’est le long terme. En observant l’évolution des marchés ces dernières années, on constate qu’au fil du temps, on est évincé du système et on finit par ne plus y avoir accès; ou même si on y a accès, on n’a pas accès à des conditions équitables.

Je pense que nous devrions simplement dire : « Écoutez, plateforme, vous voulez venir au Canada? Distribuez les services canadiens. Proposez-les. » Les ententes sont fondées sur le partage des recettes, alors ce n’est pas comme si elles allaient perdre de l’argent. Elles ont une capacité illimitée. Nous ne nous préoccuperons pas de ce qui se passe dans le reste du monde, mais au Canada, nous voulons nous assurer que nos services sont disponibles, point final. J’estime que ce n’est pas difficile pour eux de le faire, et cela ne leur coûterait rien, alors je ne comprends pas pourquoi tout le monde pense que c’est une grosse demande.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Ma question s’adresse à Mme Morin et s’inscrit dans la même veine que celle du président au sujet des algorithmes. Vous avez dit que le gouvernement devrait s’en préoccuper. Ce qui est clair dans ce projet de loi, c’est que le gouvernement n’interviendra pas directement sur les algorithmes, étant donné la controverse que tout cela a provoquée.

Je veux vous poser une question très spécifique, parce qu’on fait face à un paradoxe. Prenons par exemple une œuvre francophone — au Québec ou à l’extérieur du Québec, cela a peu d’importance — qui est recommandée par un algorithme et que plusieurs usagers écartent cette œuvre parce qu’ils habitent à X, Y, Z et ne veulent rien savoir du contenu francophone. Cela fera reculer cette œuvre dans les algorithmes, et cela pourrait donc avoir un effet paradoxal, en ce sens que cela pourrait fonctionner à un certain point au Canada, mais qu’il pourrait y avoir une diminution de l’écoute. Il n’est donc pas simple de faire participer des plateformes comme YouTube ou Spotify à ce contenu, particulièrement quand ce n’est pas Charlotte Cardin. On parle de voix moins connues.

Comment vous réconciliez-vous avec le fait qu’il faut que cela passe par là, étant donné les risques que représente une voix qui n’a jamais été entendue sur ces plateformes? Vous savez, c’est sans précédent.

Mme Morin : C’est une excellente question. Il est certain qu’il y a un paradoxe, comme vous venez de le dire. Est-ce qu’on peut vraiment passer à côté? Est-ce qu’on peut vraiment écarter... Je comprends que le projet de loi ne permet pas d’y aller directement ou d’imposer des algorithmes. Est-ce qu’on peut mettre en place des paramètres de façon à ce que ces contenus puissent circuler?

J’entendais mes collègues parler de distribution obligatoire et de contenu canadien. Est-ce qu’il n’y a pas là quelque chose qui doit être couvert par des paramètres? Peut-être que cela ne se retrouve pas dans le projet de loi; peut-être que cela se retrouvera dans le décret qui devra être mis en place par le CRTC.

Je suis d’accord avec vous. C’est un grand paradoxe auquel on doit faire face, et cela présente un risque certain.

Je pourrais peut-être vous revenir avec une réflexion plus approfondie sur ce propos, parce que c’est vrai qu’il y a une situation problématique. C’est important.

La sénatrice Miville-Dechêne : C’est vrai que c’est compliqué. J’ai une brève question complémentaire à poser à Mme Ille. Nous nous sommes déjà rencontrées.

Vous demandez que les conditions de distribution soient imposées et négociées par le CRTC. Toutefois, on a entendu dire que cela posait des problèmes en ce qui a trait à l’ACEUM, l’accord de libre-échange. Est-ce que l’idée d’un fonds qui vous permettrait de survivre financièrement, qui serait financé par on ne sait qui encore... Est-ce qu’il y a une solution alternative à cette idée d’imposer des conditions de distribution aux géants étrangers pour que vous ayez suffisamment d’argent pour survivre?

Mme Ille : C’est une excellente question. Je privilégie le fait que le CRTC puisse établir les conditions. Je pense que c’est ce qu’il y a de plus simple; il le fait actuellement et cela fonctionne très bien.

Pour ce qui est du fonds, ils devront obtenir plus d’information sur ce qu’est ce fonds, combien d’argent y sera investi, qui y aura accès, comment l’argent sera distribué et quelles seront les conditions dans lesquelles il le sera. On ajoute une autre couche d’administration et de planification, et ce sera extrêmement exigeant.

Tant qu’on n’a pas plus d’information, je privilégie ce qui existe, ce qui fonctionne très bien pour le moment. Le CRTC n’abuse pas, il prend de bonnes décisions. De plus, comme je le disais, c’est grâce au CRTC que nous sommes là aujourd’hui. Quel sera le pourcentage de ce fonds? Est-ce que les fonds seront suffisants pour qu’APTN puisse survivre? J’ai des doutes, parce que je n’ai pas assez d’information.

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci.

Le sénateur Cormier : Ma question s’adresse à la Fédération culturelle canadienne-française.

Je voudrais tout d’abord vous féliciter et vous remercier pour tout le travail que vous faites pour les arts et la culture au Canada français et en Acadie.

Je voudrais vous ramener à la question de l’article 5.2. Vous avez parlé de l’importance de maintenir cet article. J’aimerais mieux comprendre quel est l’état actuel des relations en matière de consultation entre la FCCF et ses organismes membres et le CRTC. Qu’est-ce qui pose problème et qu’est-ce qui fait en sorte qu’on a besoin de cet article 5.2?

Mme Morin : Merci de votre question, monsieur le sénateur.

D’entrée de jeu, je pense qu’il faut insister sur le fait que, pour nos organismes, c’est un fardeau de participer au processus du CRTC. Sur le plan des ressources humaines, on ne peut pas compter, au sein de nos équipes, sur des juristes en résidence dans nos organisations. Sur le plan financier, on doit investir des sommes importantes pour avoir accès à des spécialistes de la radiodiffusion pour bien comprendre les enjeux en présence, ainsi que pour mesurer leur incidence dans l’industrie.

Ensuite, il faut traduire tout ce qu’on entend sur le terrain au sujet des conditions de licence. Le concept « Conditions de licence » n’est pas un langage que nous connaissons très bien, donc nous devons aller chercher des appuis spécialisés sur ce plan.

Je peux vous donner un exemple récent. La FCCF a participé au renouvellement de licences de Radio-Canada. C’est un processus très fastidieux, c’est-à-dire qu’il faut un nombre incalculable d’heures pour suivre les travaux, et ce, à toutes les étapes du processus. Il faut étudier les rapports qui sont fournis par le radiodiffuseur, analyser des écarts possibles, compiler les données que l’on reçoit sur le terrain, générer des données et des recherches pour lesquelles on n’a pas nécessairement de données probantes; c’est donc difficile à ce point de vue.

Si vous multipliez cet effort par le nombre de licences qui doivent être renouvelées et qui ont le potentiel de nous toucher, le mandat est pratiquement impossible pour nous. Avec le processus qui existe actuellement, on tient pour acquis qu’on a les ressources nécessaires, qu’on est en mesure d’anticiper les risques et les effets dans nos communautés et d’effectuer la recherche — comme je disais tout à l’heure — pour participer activement et de façon équitable au processus.

Donc, l’article 5.2 viendrait spécifier la façon dont on doit nous consulter. Entre nous, cela ferait vraiment toute la différence.

Le sénateur Cormier : J’ai une question pour M. Danks.

Vous dites qu’OUTtv se heurte à des obstacles auprès de certains distributeurs étrangers en raison de son orientation communautaire, c’est-à-dire tout le travail qui se fait autour de la communauté LGBT.

Pouvez-vous nous donner des exemples plus précis des obstacles que vous rencontrez, pour que l’on comprenne mieux l’importance que le CRTC aura pour vous soutenir dans ce travail?

[Traduction]

M. Danks : Excusez-moi. La traduction ne me parvient pas et mon français n’est pas assez bon pour saisir l’intégralité de votre question.

Le sénateur Cormier : Vous avez mentionné que vous faisiez face à des obstacles lorsque vous traitiez avec certains distributeurs en raison du contenu LGBTQ. Pouvez-vous nous donner des exemples concrets afin que nous puissions mieux comprendre quel rôle le CRTC pourrait jouer pour vous aider à cet égard?

M. Danks : Je ne suis pas sûr de vouloir citer des noms publiquement, mais un grand service aux États-Unis — qui n’est pas une plateforme technologique — a tout simplement refusé en disant qu’il ne voulait pas de cela. Deux autres étaient situés en Asie. Je les appellerais des entreprises de fabrication d’équipement. Vous pouvez deviner de qui il s’agit, mais ils ont simplement dit qu’ils n’accepteraient pas du tout ce type de contenu, point final. Ils ne se soucient pas de savoir s’il existe un public pour ce type de contenu. Ce n’est tout simplement pas quelque chose dont ils veulent. Je vous communiquerai ces renseignements de façon confidentielle, mais je ne veux pas les fournir publiquement.

Le sénateur Cormier : Merci.

Le sénateur Loffreda : Ma question concerne APTN. Vous avez fait part de vos préoccupations concernant l’état actuel du projet de loi C-11. Pourriez-vous nous en dire plus sur ces préoccupations et sur les mesures correctives à prendre? À quel point est-il important de répondre à ces préoccupations, et quelles seraient les répercussions si l’on n’y donnait pas suite ou si l’on y donnait suite correctement?

Mme Ille : La télévision linéaire disparaît lentement et les gens se tournent vers Internet. Il est essentiel qu’APTN ait cette présence en ligne, il est donc important que le CRTC réglemente le service d’APTN sur les distributeurs en ligne. Le fait qu’il puisse fixer des conditions et régler les différends signifie que nous devons négocier avec ces grands distributeurs en ligne. Étant donné que nous ne sommes pas axés sur le marché, nous desservons un public qui est mal desservi. Notre mandat n’est pas d’avoir des cotes d’écoute et de vendre de la publicité. Cela fait partie de nos activités, mais ce n’est pas ce que nous faisons. Notre but est de soutenir les voix autochtones et de faire connaître nos histoires. La population autochtone canadienne est peu nombreuse, mais elle a besoin d’être desservie. L’année dernière, nous avons commandé plus de 450 heures de programmes originaux. Sur celles-ci, 147 heures ont été produites dans différentes langues autochtones. Environ 90 % de ces programmes ont été produits par des producteurs indépendants, pour la plupart autochtones.

APTN fait partie de cette communauté de production autochtone florissante. Que va-t-il se passer à l’avenir si tout se passe en ligne? Le CRTC ne pourra pas aider à résoudre un différend ou à fixer des conditions. Nous allons négocier, peut-être obtenir quelques sous ici et là, si nous sommes chanceux, mais cela va peser sur nos opérations et nous devrons limiter les histoires que nous pourrons diffuser. D’un point de vue autochtone, les radiodiffuseurs autochtones disparaîtront complètement, donc tout ce que nous avons construit ces 23 dernières années va lentement disparaître. Je pense que c’est inacceptable.

Je pense que le CRTC croyait vraiment en l’importance de ce que fait APTN, et je pense qu’il y croit encore aujourd’hui. Il n’a pas abusé de son pouvoir de la manière dont la Loi sur la radiodiffusion est actuellement rédigée, alors pourquoi ne pouvons-nous pas lui donner l’autorité nécessaire pour résoudre les différends et fixer les conditions dans les années à venir? Je ne pense pas seulement à court terme, mais aussi à moyen et à long terme. J’espère que nous ne réviserons pas la Loi sur la radiodiffusion dans 30 ans. Nous la réviserons avant, car les choses évoluent, mais nous devons donner au CRTC la souplesse nécessaire pour le faire.

La sénatrice Dasko : Comme l’a dit la sénatrice Simons, nous creusons de plus en plus et nous en apprenons de plus en plus sur cet incroyable écosystème qui se développe sur ce marché. Je voudrais donc vous demander, monsieur Danks et madame Ille, de bien vouloir préciser un peu ce que vous attendez du CRTC et ce que vous lui demandez de faire.

Monsieur Danks, au début de votre intervention vous avez dit que vous vouliez que le CRTC soit en mesure de négocier. Cependant, il semble que vous demandiez au CRTC de fixer des conditions pour les modalités que vous allez négocier avec les diffuseurs en ligne potentiels.

Pourriez-vous préciser exactement ce que vous demandez, ce que vous espérez que le CRTC fasse et quel genre de libellé vous souhaitez inclure dans le projet de loi C-11? Je veux approfondir un peu plus ce que vous voulez qu’il fasse. Peut-être pourriez-vous même l’illustrer avec un exemple. Ce serait très utile. Je vous remercie.

M. Danks : Je pense que c’est assez simple, madame la sénatrice. Nous ne demandons pas au CRTC de négocier les ententes pour nous. Nous voulons savoir qu’il nous soutient. Nous voulons que les plateformes sachent que si elles viennent au Canada et que les conditions ne sont pas équitables et qu’il n’y a pas de contrats de distribution, le CRTC pourrait intervenir et fixer ces conditions. Nous voulons qu’il serve de filet de sécurité. C’est ce qu’il fait actuellement dans le système de radiodiffusion.

Un bon exemple serait une situation dans laquelle nous nous adresserions à un service et il nous dirait : « Nous ne voulons pas diffuser votre contenu. » Je répondrais : « Eh bien, le CRTC peut ordonner sa diffusion. » Ils diraient alors : « Oh, c’est vrai. Nous allons diffuser votre contenu, mais nous ne voulons rien vous payer. » Nous nous adresserions donc au CRTC et dirions, par exemple, que les ententes de partage des recettes sur ces plateformes constituent un partage à peu près égal ou plus avantageux pour le fournisseur de contenu. Le CRTC pourrait peut-être établir une règle stipulant que le partage des recettes ne peut être inférieur à un partage à parts égales entre les parties, ce qui est actuellement la norme au sein de l’industrie. J’aimerais beaucoup que le CRTC établisse une telle règle à long terme. Ce qui se passe parfois actuellement, c’est que si vous vous adressez à une plateforme et que vous lui dites que vous aimeriez qu’elle diffuse vos programmes, elle vous répond : « Nous allons les diffuser, mais nous ne voulons pas vous payer. Nous allons diffuser vos programmes, et ensuite vous vous débrouillerez ».

Voilà le genre de choses que nous attendons. D’abord et avant tout, il s’agit de savoir qu’il peut établir des règles raisonnables au sein du système et deuxièmement, qu’il assure nos arrières. S’il y a un problème, il interviendra, et nous aurons un différend.

Pour répondre à la remarque de Mme Ille, il pourrait régler ce différend en rendant une ordonnance, alors que dans l’environnement actuel, il ne le peut pas. À part utiliser des termes durs, il n’y a pas grand-chose que nous puissions faire s’ils décident de ne pas travailler avec nous.

La sénatrice Dasko : Cela se ferait-il de façon ponctuelle, ou fixerait-il une règle qui couvrirait un éventail d’entreprises? Interviendrait-il lorsque vous concluez des ententes? Lui demanderiez-vous d’intervenir à ce niveau, ou de fixer des règles applicables à l’ensemble des entreprises?

M. Danks : Nous ne lui demanderions assurément pas d’intervenir dans le cadre d’une négociation. Je pense que ce qui se passera, c’est qu’il établira des règles de base au sein du système. C’est ce qu’il fait actuellement. Il a établi des règles sur la durée et le commerce, ainsi que sur les codes de vente en gros, qui obligent les parties à travailler ensemble. Il crée une structure autour de laquelle les parties peuvent négocier elles-mêmes et, si ces négociations échouent, il dispose d’une série de systèmes de médiation et d’arbitrage. C’est ce qu’il fait au quotidien.

Je pense que ces plateformes sont, à bien des égards, beaucoup plus faciles à réglementer que le système de radiodiffusion actuel, car les ententes sont vraiment très simples : Nous allons distribuer vos programmes, nous allons prendre votre contenu et nous allons vous verser une part des recettes. Je pense qu’à certains égards, c’est beaucoup plus facile, alors que dans le système actuel, il y a beaucoup de querelles à propos du groupage d’émissions et de questions de ce genre, qui sont beaucoup plus compliquées à résoudre.

Je pense que l’avenir sera, à bien des égards, plus facile à réglementer. Il y a plus de nouvelles questions compliquées, comme les algorithmes et ainsi de suite, mais dans l’ensemble, le fonctionnement des nouvelles plateformes est très simple.

Mme Ille : J’aimerais ajouter qu’APTN bénéficie d’une distribution obligatoire au Canada, ce qui signifie que nous recevons 35 cents par abonné par mois, ce qui représente environ 90 % de nos recettes. Étant donné que les programmes sont de plus en plus diffusés en ligne, nous espérons que le CRTC sera en mesure de fixer des conditions de ce type, assorties d’un taux fixe, dans le cas de l’alinéa 9(1)h) de la Loi sur la radiodiffusion et de la distribution obligatoire.

[Français]

La sénatrice Clement : Bonjour et merci aux témoins. Ma première question s’adresse aux témoins de la Fédération culturelle canadienne-française. Nous nous trouvons dans un contexte de malaise, étant donné les résultats du dernier recensement, surtout en tant que francophones en contexte minoritaire. À part l’article 5.2, êtes-vous satisfaite du projet de loi C-11 dans sa forme actuelle pour remédier à ce malaise?

[Traduction]

Ma deuxième question est pour Mme Ille. Contrairement à certains intervenants, vous exprimez votre confiance dans le CRTC. Pourriez-vous expliquer un peu plus en détail pourquoi vous avez ce sentiment à l’égard du CRTC et peut-être si le CRTC devrait disposer de capacités supplémentaires pour traiter certains des problèmes que vous avez soulevés?

[Français]

Mme Morin : Je vais laisser ma collègue répondre à cette première question.

Mme Juneau : Merci, madame la sénatrice. Comme je l’ai dit dans mes remarques d’ouverture, la Fédération culturelle canadienne-française est très satisfaite du projet de loi C-11 dans sa forme actuelle. Nous considérons qu’il s’agit quand même d’une avancée importante en ce qui a trait aux enjeux d’un système canadien qui reflète beaucoup mieux la réalité de notre pays tel qu’il est aujourd’hui et qui permet aux géants du Web de commencer à contribuer beaucoup plus activement à la production et à la diffusion de ce contenu canadien.

Notre seul souci est d’assurer que l’amendement visant à ce que le CRTC doive consulter nos communautés soit préservé. Comme l’a dit ma collègue Mme Morin, participer à ces audiences pour les organismes que nous représentons est fastidieux, et on n’a pas toujours les moyens d’y participer avec toute la force et la vigueur que l’on souhaiterait. Alors, oui, nous sommes satisfaits. Évidemment, des décrets ministériels vont accompagner tout cela, notamment sur la définition plus étroite du contenu canadien ou sur les mesures à prendre pour assurer une découvrabilité. Cela reste à venir, mais on a bon espoir qu’avec cette base, nous avons ce qu’il faut pour s’attaquer à ces enjeux.

La sénatrice Clement : Merci, madame Juneau.

[Traduction]

Mme Ille : Le CRTC joue un rôle essentiel dans l’existence du APTN. Ce dernier est le premier radiodiffuseur autochtone national au monde et est devenu un modèle pour les autres radiodiffuseurs autochtones à l’échelle internationale. Le CRTC croit en ce que nous faisons, appuie notre mission et nous écoute. Il sait que l’industrie est axée sur le marché, mais parfois, nous offrons des services qui sont nécessaires. Il y a des voix qui doivent s’exprimer, se faire entendre et disposer d’une place qui leur est réservée, et le CRTC soutient toutes ces voix.

La diversité fait partie de l’industrie, et si nous, OUTtv, AMI-tv et d’autres acteurs n’étions pas là, le paysage serait assez terne. Nous faisons bouger les choses dans l’industrie. Nous sommes peut-être petits, mais nous sommes puissants.

Pour répondre à votre question à savoir si le CRTC dispose des ressources nécessaires, je pense qu’il possède l’expertise et le savoir qu’il lui faut, et il accomplit ce travail depuis des années. Ce n’est pas une mince tâche que de réglementer l’industrie, et il le fait avec brio. Il aura probablement besoin de ressources supplémentaires, mais je pense que c’est une question qu’il faut examiner plus en profondeur. Je ne suis pas experte en la matière, mais je suis sûre qu’il a ce qu’il lui faut. Comme je l’ai indiqué, il possède l’expertise et le savoir pour agir.

La sénatrice Simons : J’entends parfaitement ce que les représentants d’OUTtv et du APTN disent quant au fait qu’ils ne veulent pas être exclus des marchés canadiens. Je suis toutefois quelque peu préoccupée. Vous êtes deux services établis et bien considérés qui ont fait leurs preuves. Si le CRTC exigeait que tous les grands regroupeurs de diffuseurs fournissent tous les réseaux du Canada, à quel point pourraient-ils répliquer : « Non, désolé. C’est un choix inadapté à notre marché. Le contenu n’est pas assez bon »? Cela ne s’applique pas à vous, mais cela pourrait s’appliquer à quelqu’un d’autre dans l’avenir. Comment les balises devraient-elles fonctionner pour que ces entreprises ne soient peut-être pas forcées de diffuser du contenu dont elles ne veulent pas et qui ne convient pas à leur marché?

M. Danks : C’est une excellente question, sénatrice. C’est quelque chose à laquelle je réfléchis également. Très peu, voire aucun, nouveau service a été lancé au Canada au cours de la dernière décennie. Je dirais simplement qu’à un moment donné, le CRTC devra prendre des décisions censées à cet égard. Étant une marque importante sur le plan de la diversité, nous pouvons nous faire diffuser, mais il existe d’autres marques commerciales qui cherchent à le faire. Il existe des moyens pour elles de le faire. Elles peuvent utiliser YouTube et d’autres services pour démontrer qu’elles ont un auditoire potentiel.

C’est une bonne question. À un moment donné, les services n’iront pas aussi bien au Canada, et ce sera un problème. Nous devrons décider jusqu’où nous allons.

Je ne sais pas s’il y a plus à dire à ce sujet. Il pourrait arriver que le CRTC doive décider que 25 ou 30 services sont essentiels, mais qu’en ce qui le concerne, les autres peuvent négocier à partir de là. Cela pourrait bien se produire dans l’avenir.

Mme Ille : Quand on pense à l’alinéa 9(1)h), la fourniture obligatoire ne s’applique pas à tous les réseaux. Le CRTC peut choisir ceux qui seraient obligatoires. Je pense que cette approche réfléchie devrait s’appliquer en ligne également.

La sénatrice Simons : C’est une excellente observation. Les stations visées par l’alinéa 9(1)h) sont le APTN, OMNI, Météomédia, CPAC, qui ont été jugés bénéfiques pour l’ensemble du paysage culturel canadien.

Mme Ille : Oui, exactement.

La sénatrice Simons : Il n’est toutefois pas logique d’exiger qu’un regroupeur américain diffuse la météo canadienne, quoique c’est peut-être logique, car les Canadiens voudraient connaître le temps qu’il fait, mais d’autres canaux ne conviendraient peut-être pas.

Mme Ille : Mais ils fournissent des canaux, et vous avez parlé de marque et de leur marché. Si ces regroupeurs servent le marché canadien, je présume que leur offre devrait comprendre des canaux canadiens. Cette question va au-delà de ce qu’ils offrent pour que nous nous reconnaissions, que nous voyions notre culture et que nous entendions nos diverses langues. C’est une question d’identité et de référence. Je pense que cela va au-delà de la marque du distributeur américain. Je considère qu’ils doivent être respectueux et considérer le marché qu’ils servent.

La sénatrice Simons : Je suppose que l’offre pourrait inclure des services en français.

Mme Ille : Il le faudrait certainement.

M. Danks : Sénatrice, c’est intéressant. La semaine dernière, Sony a annoncé qu’il offrait 1 600 services dans différents pays; la capacité est donc considérable. Vous avez raison : à un moment donné, c’est trop. On ne peut pas offrir un million de services; c’est insensé. Mais si le service intéresse les Canadiens, alors on peut décider de l’inclure; s’il n’a pas d’intérêt commercial et qu’il ne correspond pas aux critères de la fourniture obligatoire ou à d’autres exigences, alors il doit faire avec les conditions commerciales, et c’est tout.

[Français]

Le sénateur Cormier : Ma question s’adresse à M. Danks et à Mme Ille. J’aimerais revenir aux modalités de distribution des services de programmation. L’amendement adopté par la Chambre des communes, au paragraphe 9.1(1), vient-il répondre aux préoccupations entourant les enjeux liés à la distribution vis-à-vis les plateformes étrangères en ligne?

[Traduction]

Mme Ille : Oui, le CRTC pourrait exiger qu’un distributeur en ligne fournisse un service de programmation. C’est excellent et formidable; nous nous en réjouissons. Mais, une fois encore, que se passe-t-il par la suite? Comme M. Danks le disait, c’est quand il faut établir des conditions ou résoudre un différend que le problème se pose. C’est là qu’il faut combler une lacune. À titre de petits diffuseurs indépendants, nous n’avons pas le pouvoir de marché pour le faire. Voilà pourquoi nous avons besoin de l’intervention du CRTC pour soutenir nos demandes.

M. Danks : J’abonde dans le même sens et j’ajouterais que tous les services canadiens sont maintenant indépendants. Pas un service canadien — qu’importe s’il appartient à Bell ou à Rogers — n’est suffisamment gros pour négocier avec les grandes entreprises technologiques. Nous négocions avec les plus grandes entreprises technologiques du monde, et il importe d’admettre que sans l’appui de l’organisme de réglementation, il nous sera très difficile de maintenir un système de radiodiffusion si nous n’avons pas d’appui en place.

Le sénateur Cormier : Je vous remercie tous les deux.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Je vous entends, monsieur Danks. Toutefois, le fait de demander au CRTC de négocier les ententes représente ultimement un changement fort important au projet de loi C-11. Cela signifie qu’un organisme réglementaire s’infiltre dans les négociations. Il est vrai que c’est le cas au Canada, mais on parle de compagnies étrangères. C’est mon premier point.

Madame Ille, j’ai de la difficulté à voir comment on peut mettre en pratique cette idée d’obliger les plateformes étrangères de diffusion et les Roku de ce monde à distribuer 25 chaînes de services publics. Je ne vous dis pas que je suis en désaccord avec cela, mais j’essaie de comprendre comment on va les choisir. Dans deux ans, sera-t-il important de compter, parmi toutes ces chaînes, une qui offre par exemple les prévisions météorologiques, alors que les gens peuvent trouver la météo un peu partout? Ce ne sont pas des données difficiles à trouver.

J’ai l’impression que tout cela devra évoluer et va évoluer. La difficulté est que l’on risque de figer tous ces enjeux dans une réforme assez lourde qui, à terme, ne fonctionnera pas. À vous entendre, on peut se demander si les gens seront intéressés à ces plateformes. Je ne veux pas me faire l’avocate du diable, mais j’essaie de voir comment tout cela va fonctionner et j’ai un peu de difficulté.

Mme Ille : C’est une excellente question et, comme le disait M. Danks, nous y réfléchissons également. Il faut tout de même s’assurer que les petits diffuseurs indépendants ont une place, peu importe leur mission et leur mandat. Nous sommes tous différents et nous nous complétons.

Il est probable que de nouveaux joueurs verront le jour à l’avenir, et je l’espère. Il reste à voir ce qu’ils offriront. Répondront-ils à un besoin national ou travailleront-ils à une échelle plus locale ou régionale? Mériteront-ils de se trouver sur une plateforme numérique? Le CRTC doit quand même avoir la possibilité de prendre ces décisions. En théorie, il peut maintenant demander que l’on soit disponible.

Je crois, en effet, qu’il faut faire plus de recherche, mais il faut avoir cette flexibilité. Il faut que le CRTC ait cette autorité et cette flexibilité.

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci.

[Traduction]

La sénatrice Dasko : Ma question s’adresse à Mme Morin et porte sur les algorithmes. Dans votre allocution, vous vous êtes dite très favorable à la capacité de modifier et de moduler les algorithmes pour assurer la découvrabilité, et avez parlé de la manière dont on pourrait procéder, mais le recours aux algorithmes rencontre beaucoup de résistance. Le projet de loi lui-même indique que le CRTC ne peut rien exiger de tel, bien que j’admette que le président du CRTC a brouillé un peu les cartes lorsqu’il a témoigné devant notre comité il y a quelques semaines, quand nous avons commencé notre étude en juin. Le projet de loi indique qu’on ne peut modifier les algorithmes.

Je voulais également vous interroger sur la possibilité d’utiliser des solutions non algorithmiques pour assurer la découvrabilité. Pensez-vous qu’on puisse assurer la découvrabilité ainsi au lieu de jouer avec les algorithmes?

Mme Morin : Il faudrait que je vous réponde plus tard, une fois que j’aurais mieux compris quels genres de solutions non algorithmiques pourraient être utilisées.

[Français]

Je peux m’engager à vous revenir avec une réflexion plus informée sur cette question.

[Traduction]

La sénatrice Dasko : Je vous remercie.

M. Danks : Sénatrice, je peux traiter brièvement de la question.

Je dirai deux choses très brièvement. Oui, la découvrabilité englobe beaucoup plus que les algorithmes. En fait, je pense que le débat autour des algorithmes a pris une ampleur insensée dans toute cette étude.

La sénatrice Dasko : En effet.

M. Danks : La découvrabilité vise à assurer un traitement équitable; je crois aux principes de neutralité du réseau. Quand nous transmettons nos émissions à ces plateformes, nous leur fournissons des quantités considérables de métadonnées qui décrivent nos émissions, des données qu’elles utilisent et lient à d’autres émissions. Je suis contre les préférences de contenu proposées grâce aux algorithmes.

Je pense qu’on a tort de tenter de dire que tout tourne autour des algorithmes et qu’ils sont importants. Si on présente des recommandations aux consommateurs, ils ne cliqueront tout simplement pas sur les liens. Je pense que tout ce débat n’est qu’une perte de temps, car même si on tente le coup, je ne pense pas que cela fonctionnera. J’ai dit ce qui suit aux fonctionnaires du CRTC et à d’autres personnes : arrêtez d’en parler, car cela ne fonctionnera jamais.

Soit dit en passant, les youtubeurs ne tomberont pas dans le panneau. Les gens ne cliqueront tout simplement pas sur les liens. Ce n’est même pas aussi dérangeant que d’afficher une publicité sous le nez de quelqu’un.

Je pense que nous devons faire attention pour que les algorithmes et les plateformes n’affichent pas de préférence pour le contenu de la plateforme ou celui d’autres personnes. C’est toujours quelque chose qu’on voit utiliser à mauvais escient dans le système de radiodiffusion quand les gens paient pour faire miroiter leurs produits devant d’autres personnes.

Il faudrait que le réseau soit neutre et équitable en ce qui concerne le contenu que les gens veulent regarder sur les plateformes.

Je pense simplement que cela ne fonctionnera pas, et le débat a accaparé beaucoup trop de temps. C’est ce que j’ai à dire pour aujourd’hui.

La sénatrice Dasko : Je suis d’accord avec vous.

Le président : Il ne nous reste qu’une minute, honorables collègues, et je veux poser une brève question avant de conclure.

Je dirais à la cheffe de la direction du APTN que nous convenons tous manifestement que votre organisation est importante et que les voix et les cultures autochtones doivent être mises en valeur et protégées. Le gouvernement a-t-il consulté votre organisation au sujet du projet de loi C-11 avant de le déposer?

Mme Ille : Il nous a consultés. Quand c’était le projet de loi C-10, nous avons été consultés. Nous avons tenu de nombreuses réunions avec Patrimoine canadien afin de lui faire part de nos préoccupations et de nos observations. Nous n’avons malheureusement pas été conviés à l’audience que le Comité du patrimoine canadien de la Chambre des communes a tenue sur le projet de loi C-11, mais nous sommes ravis d’être ici aujourd’hui.

Le président : Je vous remercie d’avoir témoigné. Honorables collègues, je vous remercie tous d’avoir été succincts en posant vos questions. Je tiens à remercier tous les témoins de s’être également montrés succincts et limpides dans leurs réponses. Nous avons passé bien des questions et des réponses en à peine 45 minutes. Je vous remercie beaucoup d’avoir comparu.

Honorables sénateurs, nous accueillons notre deuxième groupe de témoins, qui comprend Aldo Di Felice, cofondateur et président de TLN Media Group Inc., et Madeline Ziniak, cofondatrice et présidente de l’Association canadienne des médias ethniques, de la Coalition canadienne des médias ethnoculturels, qui témoignent par vidéoconférence. Nous recevons également Joan Jenkinson, directrice exécutive du Bureau de l’écran des Noirs, et Lisa Valencia-Svensson, directrice générale de Racial Equity Media Collective.

Bienvenue et merci de vous joindre à nous virtuellement ce matin. Nous commencerons par l’allocution d’ouverture de Mme Ziniak, puis entendrons Mme Jenkinson et le Racial Equity Media Collective.

Madeline Ziniak, cofondatrice et présidente, Association canadienne des médias ethniques,Coalition canadienne des médias ethnoculturels : [La témoin prononce quelques mots en biélorusse et en russe.] Bonjour. Je vous ai salués et dit bonjour dans ma langue première et ma langue maternelle, soit le biélorusse et le russe.

Bonjour, sénateurs. Je vous remercie beaucoup de nous recevoir aujourd’hui. Je suis accompagnée de mon collègue Aldo Di Felice, président et directeur associé de la Coalition canadienne des médias ethnoculturels, ou CCME.

La CCME a été formée au début de l’année dernière en réaction à la version précédente du projet de loi C-11. Notre groupe initial a pris de l’ampleur et inclut maintenant des organisations comptant des membres et des activités dans toutes les régions du pays. Il s’agit des producteurs et des diffuseurs indépendants de contenu médiatique ethnique les plus actifs, y compris des radiodiffuseurs.

Aldo Di Felice, cofondateur et président, TLN Media Group Inc., Coalition canadienne des médias ethnoculturels : Nous avons formé la CCME dans le but précis de favoriser une meilleure inclusion des diverses communautés et des émissions ethniques dans nos lois et les programmes de soutien de l’industrie. Nous cherchons à participer pleinement au système de radiodiffusion du pays, car nous pensons que les quatre piliers de la société canadienne devraient y être représentés, reflétés et soutenus, et y participer à part entière. Ces quatre piliers, ce sont les cultures fondatrices française et anglaise; les communautés autochtones; et les diverses communautés et minorités ethniques du Canada, y compris les communautés racisées.

Mme Ziniak : Jusqu’à maintenant, la création de contenu multiculturel et les médias canadiens d’appartenance ethnique ont été marginalisés et mal soutenus par les organismes de réglementation et les institutions culturelles comme le Fonds des médias du Canada et Téléfilm Canada. Nous sommes toutefois enchantés de déclarer aujourd’hui que la présente version du projet de loi prévoit, au paragraphe 3(3), de nouvelles dispositions qui ont le potentiel d’enfin démarginaliser la création et la diffusion de contenu multiculturel pour les accueillir au sein de la société canadienne.

M. Di Felice : Comme le Canada est le premier pays du monde à adopter une politique officielle en matière de multiculturalisme, il y a un demi-siècle, cette avancée ne s’était que trop fait attendre, et le pays est très friand de contenu multiculturel canadien. Plus de 11 millions de Canadiens — soit un sur trois — se déclarent comme Canadien d’origine ethnique. Et un Canadien sur quatre, ou 9,4 millions de Canadiens en tout, parlent au moins une langue à part l’anglais ou le français.

Mme Ziniak : Les canaux étrangers ne peuvent à eux seuls satisfaire le goût du Canada multiculturel pour l’information, les opinions et le divertissement de toutes sortes, car ils ne mettent pas l’accent sur le Canada, et quand ils le font, ils servent invariablement leurs propres intérêts culturels, politiques et économiques dans les diasporas vivant au Canada. Notre pays doit assurer la représentation des informations, des occasions et des valeurs canadiennes, et des histoires des immigrants dans le système de radiodiffusion. Ce n’est que si nos voix sont entendues que notre nation pourra s’édifier.

M. Di Felice : Enfin, nous voulons souligner que même si la teneur de ces dispositions promet de réelles possibilités d’amélioration et de croissance de la création et de la distribution de contenu ethnique conçu au Canada, cette promesse devra être tenue. Ainsi, quand le projet de loi sera promulgué, la mise en œuvre des priorités enchâssées dans ces dispositions ne devrait pas tarder. Pour être plus précis, nous espérons que la directive écrite initiale que Patrimoine canadien fera parvenir au CRTC accélérera l’examen et la modernisation de la Politique relative à la radiodiffusion à caractère ethnique du CRTC, qui date maintenant de 24 ans.

En outre, Patrimoine canadien, dans le cadre de sa surveillance des institutions de soutien de l’industrie comme Téléfilm Canada et le Fonds des médias du Canada, devrait veiller à ce que ces organisations s’occupent également des priorités législatives dans leurs programmes et services. En terminant, nous devrions faire remarquer que, comme OUTtv et le APTN, qui viennent de témoigner devant vous, plusieurs de nos membres sont également membres du Groupe des diffuseurs indépendants, ou GDI. Nous sommes d’accord avec le mémoire du GDI et appuyons les amendements qu’il a proposés afin de conférer au CRTC la capacité d’assurer la distribution de services canadiens dans un monde en ligne.

Mme Ziniak : Nous vous remercions de nous avoir offert l’occasion de témoigner aujourd’hui. Nous répondrons à vos questions avec plaisir.

Le président : Je vous remercie.

Joan Jenkinson, directrice exécutive, Bureau de l’écran des Noirs : Bonjour. Je suis directrice exécutive du Bureau de l’écran des Noirs, ou BEN, une association de défense des droits non partisan dont la mission consiste à rendre les industries cinématographiques du Canada équitables et dépourvues de racisme envers les Noirs, et à épauler les Canadiens noirs œuvrant dans ces industries pour qu’ils réussissent et partagent leurs histoires.

Le Bureau de l’écran des Noirs a été fondé à l’automne 2020 alors que les Canadiens prenaient de plus en plus conscience du besoin d’agir contre le racisme envers les Noirs partout où il se manifeste. Nous convenons avec de nombreux collègues de l’industrie qu’il est plus que temps de moderniser la Loi sur la radiodiffusion et de veiller à ce que tous les acteurs qui travaillent dans le système de radiodiffusion canadien, qui cherchent à attirer les auditoires canadiens et gagnent ainsi des revenus, participent à cet effort. En établissant des conditions équitables, on s’assure que quand les audiences migrent vers de nouvelles plateformes, elles conservent leur capacité à choisir du contenu canadien de grande qualité et adéquatement financé.

La Loi sur la radiodiffusion a toujours contenu des passages faisant référence au besoin, pour le système de radiodiffusion canadien, de rendre compte du « caractère multiculturel et multiracial de la société canadienne ». Cependant, cela n’a pas suffi pour que les Canadiens noirs, les Autochtones et les personnes de couleur aient un accès équitable à des émissions témoignant de leur vécu et aient la capacité de créer ces émissions.

Les modifications contenues dans le projet de loi C-11 qui font référence à la représentation des Canadiens racisés dans le système de radiodiffusion canadien iront plus loin en accordant la priorité à une équité et à une inclusion plus grandes dans ce système.

Nous nous réjouissons de ces mentions dans le projet de loi C-11 pour répondre aux besoins et aux intérêts des Canadiens racisés. Chaque fois que l’expression « communautés racisées » est utilisée, nous demandons toutefois de la remplacer par l’expression « membres des communautés noires ou d’autres communautés racisées ». Nous demandons cet amendement puisque l’oppression subie et les obstacles à l’inclusion ont toujours été plus importants pour les Canadiens noirs que pour les autres Canadiens racisés.

À titre d’exemple, dans une enquête menée par Statistique Canada en 2019, 45 % des Canadiens noirs ont affirmé avoir vécu de la discrimination au cours des cinq dernières années comparativement à 27 % pour les autres minorités visibles. Cette discrimination peut survenir dans le milieu de l’éducation, dans le système de santé, sur le marché de l’emploi, dans le secteur du logement et, en effet, dans les industries canadiennes du cinéma et de la télévision.

En mettant les Canadiens noirs dans la même catégorie que les autres Canadiens racisés, les politiques et la réglementation risquent de ne pas tenir compte des besoins et des défis particuliers des communautés noires. Par conséquent, le Bureau de l’écran des Noirs a proposé au comité du patrimoine canadien de remplacer les 10 occurrences de l’expression « communautés racisées » par « communautés noires ou d’autres communautés racisées ». Pour des raisons inconnues, le comité du patrimoine canadien a décidé de modifier 4 des 10 occurrences de l’expression. Cette approche aléatoire pour améliorer le projet de loi risque malheureusement de causer des problèmes d’interprétation s’il est adopté ainsi.

Le CRTC n’a peut-être pas reçu de directives claires pour adopter des politiques et une réglementation qui ciblent un contenu canadien créé par des personnes noires de talent pour un public noir. Cette situation pourrait amener des intervenants à soutenir devant les tribunaux que des circonstances particulières permettent de répondre aux besoins des Canadiens noirs ou qu’ils sont jumelés à d’autres groupes racisés. Les Canadiens noirs ont accès à du contenu créé aux États-Unis et au Royaume-Uni par des scénaristes, des réalisateurs et des producteurs noirs, mais ce contenu ne correspond pas à l’expérience des Noirs au Canada. Il est important de le noter.

Les communautés noires du Canada sont beaucoup plus diversifiées que les communautés noires des États-Unis. À quelques exceptions près, par exemple la comédie de situation « Da Kink in My Hair », à propos d’un salon de coiffure canado-caribéen, et la série dramatique « Diggstown », sur une avocate néo-écossaise noire, les nombreuses situations vécues par ces différentes communautés ne sont pas racontées.

À quel endroit raconte-t-on ce que vivent les Haïtiens au Québec, les Africains à Lethbridge, en Alberta — il s’agit en passant d’une des communautés noires qui affichent la plus forte croissance au Canada — ou tout simplement l’histoire de Canadiens noirs ordinaires dans des comédies romantiques, des comédies de situation, des émissions de science-fiction, des émissions pour enfants et des documentaires? Certains soutiennent que YouTube et TikTok offrent de meilleures possibilités et présentent moins d’obstacles pour les Noirs et les autres personnes racisées de talent.

Beaucoup de personnes noires de talent et d’autres créateurs racisés vous diront que ces plateformes sont leurs terrains d’entraînement, et il leur arrive d’ailleurs souvent de se perfectionner et de faire leurs preuves sur ces plateformes, mais ils sont nombreux à vouloir passer à la diffusion en continu et à la radiodiffusion, qui peuvent leur donner accès au grand public et leur procurer des revenus prévisibles.

Une réglementation adéquate par le CRTC pourrait permettre aux Canadiens noirs et aux Canadiens de toutes origines d’avoir accès à un contenu canadien qui rend compte de ce que vivent les Canadiens noirs, et des personnes noires de talent auraient l’occasion de créer ce contenu.

Nous demandons donc respectueusement au Sénat de proposer à la Chambre des communes de modifier les six dernières occurrences de l’expression « communautés racisées » par « membres des communautés noires ou d’autres communautés racisées » dans le projet de loi C-11. Nous serons heureux de fournir dans notre mémoire une liste détaillée des passages à modifier.

Je vous remercie du temps que vous m’avez accordé. Je suis impatiente de répondre à vos questions.

Le président : Merci.

Lisa Valencia-Svensson, directrice générale, Racial Equity Media Collective : Merci. Monsieur le président, madame la vice-présidente et distingués membres du comité, bonjour. Je m’appelle Lisa Valencia-Svensson. Je suis directrice générale du Racial Equity Media Collective, ou REMC. Notre organisation nationale sans but lucratif, qui a été fondée en 2019, s’est engagée à assurer l’équité pour les personnes autochtones, noires et de couleur, les PANDC, qui créent du contenu dans les industries de la cinématographie, de la télédiffusion et des médias numériques.

Notre mission consiste à éliminer les obstacles à l’accès et à accroître la production, l’exportation et la viabilité du contenu créé par les PANDC et des entreprises de production dirigées par ces personnes. Nous sommes très reconnaissants d’avoir été invités à vous faire un exposé sur le projet de loi C-11.

Le REMC se réjouit des efforts du gouvernement pour rendre prioritaires l’équité et l’inclusion dans la nouvelle Loi sur la radiodiffusion. Au printemps de 2022, nous avons présenté au Comité permanent du patrimoine canadien de la Chambre des communes un mémoire sur le projet de loi C-11, que 18 autres organisations qui travaillent dans notre secteur ont cosigné, y compris le Bureau de l’écran autochtone et le Bureau de l’écran des Noirs, que vous venez tout juste d’entendre. Notre mémoire a également été remis à votre comité par la suite.

Nous étions particulièrement heureux de voir deux de vos amendements au libellé du projet de loi C-11 être adoptés à l’unanimité en juin 2022 par le comité permanent de la Chambre des communes. Ces amendements au libellé précisent l’objectif stratégique qui consiste à offrir des possibilités d’emploi et de programmation aux communautés noires et racisées au Canada.

Le REMC demeure toutefois préoccupé et ne pense pas qu’il suffit d’avoir de bonnes intentions. Les autres amendements que nous avons proposés pour mettre en place les principaux jalons d’un système de reddition de comptes afin d’assurer l’atteinte des objectifs du gouvernement en matière d’équité et d’inclusion n’ont malheureusement pas été retenus.

Nous serions donc reconnaissants envers le comité s’il recommandait clairement que la loi soit accompagnée de directives gouvernementales rigoureuses du ministère du Patrimoine canadien pour réaliser quatre objectifs précis : premièrement, assurer la collecte de données fondées sur la race en consultant les communautés de PANDC; deuxièmement, exiger que le conseil fasse régulièrement rapport aux ministres des progrès réalisés pour atteindre les objectifs de la loi en matière d’équité et d’inclusion; troisièmement, que des postes de cadre supérieur en matière d’équité soient créés dans les grandes institutions, comme le ministère du Patrimoine canadien et le CRTC, pour surveiller et évaluer les données; et, quatrièmement, que les communautés noires et racisées soient régulièrement consultées au sujet de la création de cibles et de balises pour mesurer les progrès réalisés en matière d’équité et d’inclusion.

Au-delà de notre demande visant à obtenir des directives gouvernementales rigoureuses, il existe de nombreuses autres organisations et associations de notre secteur au Canada pour qui la diversité de la programmation est aussi, heureusement, un important objectif stratégique. C’est la participation d’un grand nombre d’intervenants, pas d’un nombre négligeable, à la création d’un contenu canadien qui permet d’obtenir plus efficacement un cadre pour l’inclusion et la représentation dans la programmation canadienne, notamment pour les personnes noires, autochtones et racisées, ainsi que d’autres groupes sous-représentés.

Les producteurs indépendants canadiens rendent compte de ce que nous sommes en tant que Canadiens. Ils diffusent la diversité des voix et augmentent le nombre de voix sous-représentées dans notre système alors que des entreprises — grandes et petites — de communautés de partout au pays participent au processus de production créative; leur contribution doit être cernée et maintenue. La diversité de la programmation sera donc favorisée par une loi sur la radiodiffusion qui met particulièrement l’accent sur la contribution importante des producteurs indépendants canadiens.

Le REMC aimerait également attirer votre attention sur un déséquilibre qui persiste dans le projet de loi en ce qui a trait à l’obligation d’avoir recours à des créateurs canadiens de talent et à des producteurs indépendants canadiens. À l’instar d’autres organisations qui vous ont déjà remis des mémoires, y compris la Guilde canadienne des réalisateurs, l’Alliance des artistes canadiens du cinéma, de la télévision et de la radio, l’Association canadienne des producteurs médiatiques, l’Association québécoise de la production médiatique ainsi que la Coalition pour la diversité des expressions culturelles, nous ne voyons pas de raison valable pour établir différentes exigences pour les radiodiffuseurs nationaux et les diffuseurs en continu étrangers aux alinéas 3(1)f) et 3(1)f.1). Par conséquent, le REMC exhorte votre comité sénatorial à adopter un amendement commun à l’alinéa 3(1)f) et à supprimer l’alinéa 3(1)f.1), qui va à l’encontre de l’esprit de la loi.

Le REMC soutient également la proposition du Bureau de l’écran des Noirs en vue de remplacer dans la loi toutes les occurrences de l’expression « communautés racisées » par « communautés noires ou d’autres communautés racisées » pour les importantes raisons que Mme Jenkinson a fait valoir dans son exposé juste avant le nôtre.

Pour récapituler, le REMC exhorte votre comité sénatorial à recommander fermement au gouvernement de joindre à la loi des directives claires qui mettent l’accent sur la mise en place d’un système de reddition de comptes qui assurera ensuite l’entière réalisation des objectifs de la loi en matière d’équité et d’inclusion.

Je vous remercie du temps que vous m’avez accordé et je serai heureuse de répondre à vos questions.

Le président : Merci.

Le sénateur Wells : Je remercie les témoins pour les renseignements fournis aujourd’hui. Je vous suis également reconnaissant du travail que vous accomplissez et de votre travail de préparation pour aujourd’hui.

J’ai une question pour Mme Valencia-Svensson. Dans le mémoire sur le projet de loi C-11 que vous avez remis au comité du patrimoine canadien de la Chambre des communes, vous avez formulé un certain nombre de recommandations, y compris la collecte obligatoire par les radiodiffuseurs et les bailleurs de fonds de données fondées sur la race que les PANDC et tous les Canadiens pourront consulter afin de pouvoir mesurer l’équité dans le secteur. Vous vous en souvenez sûrement.

Êtes-vous préoccupée par les répercussions sur la vie privée d’une telle collecte obligatoire de données, et à quel point croyez-vous que les radiodiffuseurs peuvent gérer cette information de manière responsable et protéger les renseignements personnels?

Mme Valencia-Svensson : Tout à fait. Comme tout le monde, je serais préoccupée par la protection de mes renseignements personnels. Je pense que nous le sommes tous. Je crois toutefois que malgré nos préoccupations à cet égard, il faut recueillir les données. Nous devons essayer de déterminer comment le faire très efficacement, en mettant en place des mesures adéquates, tant sur le plan technologique que pour la conception du système, afin de protéger les données.

Dans d’autres pays, notamment en Australie et au Royaume-Uni, il y a déjà des systèmes de collecte de données rigoureux dans les secteurs du cinéma et de la télévision, et la protection des renseignements personnels fait partie intégrante du système afin qu’il n’y ait plus de problèmes. Notre organisation fait sans aucun doute des recherches pour déterminer ce qui serait nécessaire pour vraiment avoir dans notre secteur un système national rigoureux de collecte de données fondées sur la race et d’autres données, et nous allons réfléchir, de concert avec d’autres partenaires et conseillers, à la façon de respecter les exigences au pays de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans la conception de ce genre de système. Merci beaucoup. C’est une importante question que nous gardons tous à l’esprit.

Le sénateur Wells : Merci.

[Français]

Le sénateur Cormier : La semaine dernière, lors de leur témoignage devant notre comité, trois associations de producteurs indépendants ont fait un plaidoyer en faveur du retour du sous-alinéa 3(1)i)‍(v) tel qu’il était avant l’amendement adopté à la Chambre des communes. Cet article se lisait ainsi, et je cite :

i) la programmation offerte par le système canadien de radiodiffusion devrait à la fois : [...]

(v) faire appel de façon notable aux producteurs canadiens indépendants;

Comme plusieurs maisons de production indépendantes assurent la voix des communautés noires et racisées, que pensez-vous de cet amendement? J’aimerais rappeler que l’amendement adopté à la Chambre des communes dit ce qui suit, et je cite :

(v) faire appel au maximum aux producteurs canadiens, qu’ils soient indépendants, affiliés ou la propriété d’une entreprise de radiodiffusion;

Ma question s’adresse à nos trois témoins.

[Traduction]

Mme Valencia-Svensson : Je sais que les gens de l’Association québécoise de la production médiatique, l’AQPM, en ont parlé. Nous avons communiqué avec eux pour prendre connaissance de leurs préoccupations concernant cet article. C’est un article que nous connaissons moins bien, mais nous comprenons les préoccupations de l’AQPM, que partagent certainement d’autres organisations. Tout ce qui limitera la capacité du secteur canadien de la production indépendante à jouer un rôle important ainsi que la poursuite de son financement et du recours à ses services sera nuisible, non seulement pour le secteur canadien de la production indépendante, mais sans aucun doute aussi pour tous les groupes que nos différentes organisations représentent.

C’est donc très risqué. À ma connaissance, la principale raison d’être du CRTC et d’une loi comme la Loi sur la radiodiffusion est d’abord de protéger l’identité culturelle canadienne, y compris la myriade d’identités sous-jacentes. La meilleure façon d’y parvenir est d’avoir un solide secteur de la production indépendante qui prend ses propres décisions et qui est le mieux placé pour faire entendre le large éventail de voix dans notre pays. Plus nous érodons la capacité du secteur canadien de la production indépendante dans son ensemble à être fort et à croître, et plus nous empêchons les voix sous-représentées, comme celles de nos témoins aujourd’hui, à prendre une plus grande place dans le secteur de la production, plus notre pays tout entier risque de perde ses identités culturelles. Je pense que c’est un aspect central très important sur lequel nous devons vraiment nous pencher dans ce projet de loi.

Nous devrions insister très fort sur tout ce que le projet de loi prévoit pour contribuer à renforcer le secteur canadien de la production indépendante. J’espère que ce n’était pas trop long.

M. Di Felice : Si je peux me permettre, sénateur, je vais ajouter quelque chose à la réponse de Mme Valencia-Svensson. En ce qui concerne la production et la radiodiffusion de contenu ethnique, les producteurs et les radiodiffuseurs indépendants font essentiellement face aux mêmes défis. Nous évoluons dans un secteur de la radiodiffusion hautement regroupé. De bien des façons, certains estiment que ce projet de loi protège les grands acteurs médiatiques du Canada contre les plus grands acteurs du secteur à l’échelle mondiale. Et je crois qu’on s’efforce de ne pas oublier les acteurs indépendants, qu’il s’agisse des producteurs indépendants de contenu dans le secteur traditionnel, les radiodiffuseurs indépendants traditionnels ou les radiodiffuseurs indépendants ethniques — ils ressentent tous la pression exercée à la suite du regroupement qui a eu lieu, tant à l’échelle mondiale que nationale.

Le système doit offrir la latitude nécessaire à une diversité de voix, ce qui signifie qu’on ne peut pas avoir trois ou quatre acteurs qui possèdent tout à l’échelle nationale ou mondiale. Toutes les dispositions visant à assurer ce degré de diversité en incluant des voix indépendantes — celles des Noirs, des autres personnes racisées, des PANDC et des minorités ethnoculturelles — dans un pays où un Canadien sur trois affirme ne pas appartenir à la culture anglophone ou francophone — un Canadien sur trois dit avoir une origine ethnique — sont importantes pour faire entendre des voix indépendantes. Nous souscrivons entièrement au concept de la promotion des voix indépendantes en tant que radiodiffuseurs ou producteurs.

La sénatrice Simons : Ma première question est pour M. Di Felice et Mme Ziniak. Tout juste avant que vous preniez la parole, nous avons entendu Brad Danks de OUTtv qui a parlé avec beaucoup d’éloquence de la difficulté de convaincre le CRTC à négocier, s’il n’y a pas de distribution obligatoire, en recourant alors à des ententes de distribution avec les stations en ligne qui choisissent des chaînes, plutôt que de diffuser leur propre contenu. Je suppose que ce serait semblable à l’entente de distribution que possède maintenant OMNI par l’entremise de l’alinéa 9(1)h) de la Loi sur la radiodiffusion. Est-ce une mesure que vous appuieriez ou seriez-vous plutôt favorable au genre de remaniement algorithmique que propose le CRTC?

M. Di Felice : Si je peux me permettre, je ne pense pas que M. Danks a dit que le CRTC devrait imposer les obligations de l’alinéa 9(1)h)...

La sénatrice Simons : Non, ce n’est pas ce que j’ai voulu dire.

M. Di Felice : Je pense que le concept de base est plutôt simple. Il faut essentiellement donner au CRTC le même pouvoir sur les agrégateurs de contenu en ligne que sur les EDR — les entreprises de distribution de radiodiffusion —, soit les plateformes qui proposent des chaînes et du contenu.

Le concept est simple : il faut veiller à ce que le CRTC ait au moins le pouvoir de s’assurer que les chaînes et le contenu sont offerts de manière équitable. Il lui reviendra de décider comment il exercera ce pouvoir, en s’appuyant sur la façon dont il l’a exercé de façon responsable pendant des dizaines d’années.

Pour ce qui est du contenu ethnique, le CRTC aurait le même pouvoir. C’est la raison pour laquelle nous appuyons totalement le Groupe de diffuseurs indépendants. APTN et OUTtv en sont membres, tout comme TLN Media Group et Ethnic Channels Group, qui fait partie de notre coalition. Un certain nombre de radiodiffuseurs ethniques et non ethniques appuient le même concept simple, c’est-à-dire donner au CRTC le même pouvoir en ligne que celui qu’il possède dans le domaine traditionnel de la radiodiffusion.

Comme M. Danks l’a clairement expliqué, cela s’applique aux agrégateurs de chaînes en ligne. Il pourrait s’agir de multinationales. Il y a aussi des entreprises établies au Canada qui regroupent des chaînes dans un environnement en ligne. C’est un chaînon manquant essentiel, et la façon dont le pouvoir est exercé dépendra surtout des décisions prises par le CRTC.

Mme Ziniak : Ce serait un outil utile pour garantir des règles du jeu équitables pour les producteurs indépendants, sur le plan multilingue, ethnique et ainsi de suite.

La sénatrice Simons : Examinons les choses par l’autre bout de la lorgnette. Certaines personnes m’ont dit qu’elles craignent que le projet de loi C-11, s’il était adopté, empêche les petits services internationaux de diffusion en continu qui desservent les communautés ethnoculturelles d’accéder au marché canadien. Si vous êtes un petit service de diffusion en continu, pendjabi ou tagalog par exemple, vous ne pourrez peut-être pas répondre aux normes établies dans le projet de loi C-11, auxquelles les services internationaux de diffusion en continu doivent satisfaire pour pouvoir contribuer à la programmation canadienne.

Vous qui desservez ce marché, avez-vous peur que les groupes ethnoculturels au Canada soient lésés par le projet de loi C-11 si les services de diffusion en continu qui rejoignent ce public n’ont pas accès à ce marché?

M. Di Felice : Premièrement, les services de diffusion en continu piratés qui viennent au Canada font partie des éléments problématiques.

La sénatrice Simons : Je ne parle pas des services piratés, qui, évidemment, ne sont pas réglementés.

Je parle des entreprises qui souhaiteraient desservir le marché canadien. Si le CRTC leur dit : « En tant que service international de diffusion en continu, vous devez faire ceci, ceci et ceci », ces entreprises vont répondre : « Aucun problème. Nous allons offrir nos services ailleurs. »

Mme Ziniak : Il est extrêmement important d’avoir un véhicule qui convoie une représentation du Canada. Ce l’est encore plus de s’assurer que les réalités et les valeurs sont mises de l’avant grâce aux services et aux chaînes multiculturelles canadiennes.

Pour voir le tout sous un autre angle, je dirais que nous avons toujours cherché l’occasion de donner libre cours aux différentes voix au Canada. Cela s’impose d’autant plus aujourd’hui, car les communautés veulent être représentées et exercer un leadership sur les plateformes.

La sénatrice Dasko : Ma question s’adresse à M. Di Felice et à Mme Ziniak. Vous avez réussi à faire adopter par la Chambre des communes les amendements que vous vouliez apporter au projet de loi C-11. C’est formidable. Félicitations. Je voudrais savoir quelles seront, selon vous, les répercussions de ces amendements sur la programmation multiculturelle et multilingue. Vous attendez-vous à une augmentation de la production de ce type de programmation? Comment cela se produira-t-il? D’où cela viendra-t-il? Comment ces changements facilitent-ils les choses?

M. Di Felice : Nous allons peut-être partager cette réponse. En ce qui nous concerne, il était plus que nécessaire pour les créateurs, les radiodiffuseurs et les consommateurs de médias ethniques que ces dispositions soient ajoutées à la version actuelle du projet de loi. La loi actuelle est assez silencieuse sur la nature multiculturelle et multiraciale du Canada. Elle met l’accent sur l’importance de mettre sur pied une programmation qui réponde aux besoins de ces Canadiens et d’inciter le système de radiodiffusion canadien à leur offrir des possibilités d’emploi. Elle ne précise pas que les Canadiens appartenant à ces communautés devraient être ceux qui produisent ces émissions ou qui travaillent pour les entreprises de radiodiffusion qui les diffusent.

Les sous-alinéas 3(1)d)iii.6) et iii.7) traitent expressément de ces questions. Ils prévoient la pleine participation de ces Canadiens au système de radiodiffusion canadien à la fois comme créateurs d’émissions pertinentes dans toutes les langues et comme propriétaires d’entreprises de radiodiffusion. Cette formule est avantageuse non seulement pour les producteurs et les radiodiffuseurs, mais aussi pour tous les Canadiens qui consomment des médias ethniques.

Nous avons parlé de l’importance des médias ethniques établis au Canada. Depuis trop longtemps — depuis les 15 dernières années —, les politiques réglementaires dans les médias ethniques se concentrent sur l’accroissement de l’offre de services en langues étrangères, en règle générale au détriment des services établis au Canada.

Nous pensons que le projet de loi donne le coup de gouvernail et met l’accent sur le contenu ethnique fait au Canada. Nous ne dirions pas, respectivement, aux publics anglophones et francophones : « Il y a plein d’émissions qui viennent des États-Unis, du Royaume-Uni ou d’autres pays anglo-saxons » ou « Il y a plein d’émissions en français provenant de pays étrangers francophones. Merveilleux, n’est-ce pas? » Nous ne devrions pas tenir des propos de la sorte aux publics multilingues au Canada.

La sénatrice Dasko : Seriez-vous en mesure de me dire quelle sera la source de financement pour la production? Je suis vraiment curieuse de le savoir.

M. Di Felice : Tout d’abord, la Loi sur la diffusion continue a promis, si je ne m’abuse, qu’il y aurait une uniformisation des règles du jeu relatives aux contributions des services en ligne aux fonds de production canadiens pour que ces mêmes fonds croissent. Par conséquent, la question devrait être : comment ces fonds sont-ils alloués?

Habituellement, les fonds alloués à la programmation multilingue au Canada se chiffrent à zéro ou à un montant symbolique. Par exemple, le Fonds des médias du Canada, seul programme qui, à ma connaissance, comporte un volet consacré aux investissements dans les programmes en langue tierce, ne consacre qu’environ 1,5 % de son financement total à ces programmes. Ce processus compétitif couvre toutes les langues au Canada. Il va sans dire que les émissions produites sont des émissions à petit budget. Ce processus ne fait donc que contribuer à la ghettoïsation systémique de ce genre d’émissions.

L’argent vient des contributions des participants au système, qui englobe désormais non plus seulement le système de radiodiffusion traditionnel, mais aussi le système en ligne. Les participants contribuent au système de la même manière que les radiodiffuseurs, c’est-à-dire en investissant dans les émissions à contenu canadien.

Mme Ziniak : Nous espérons que ces nouvelles sources de financement seront proportionnelles à la population ethnique au Canada. Selon moi, cet outil contribuerait sûrement à l’amélioration, au développement et à l’évolution des nombreuses voix au pays.

La sénatrice Dasko : Merci.

La sénatrice Miville-Dechêne : Voilà une question pour vous trois, qui m’est venue à l’esprit après avoir écouté les nombreux acteurs qui demandent ce que vous demandez.

Décelez-vous des problèmes dans ce qu’il y a sur la table, c’est-à-dire, premièrement, le pouvoir octroyé au CRTC d’imposer des modalités de distribution, et en quelque sorte, des quotas relatifs au contenu canadien, voire même des sous-quotas pour chaque groupe ethnique et pour les communautés autochtones, noires et de couleur? Ce contenu est très important, mais tout cela devient un système très compliqué et je me demande si c’est ce que veulent les Canadiens.

Je me rends compte que cette question est difficile. J’essaie seulement de creuser un peu plus pour voir comment nous pourrions mettre en œuvre ce que vous demandez.

Mme Jenkinson : Les Canadiens veulent voir une représentation d’eux-mêmes fidèle à la réalité, peu importe s’ils appartiennent à une grande ou à une petite communauté. Ils en ont le droit. Il y a plusieurs manières de concrétiser cela. Il y a d’abord les petits services tels que TikTok et YouTube, où les créateurs de contenu peuvent affiner leurs habiletés et développer leur art. Mais nous ne voulons pas être relégués à ces plateformes. Nous voulons être capables de générer du contenu grand public à partir de ces sources.

Il ne faudrait pas donner l’impression que nous sommes le problème. Nous faisons partie du tissu social du Canada et nous devons travailler en collaboration pour que toutes nos voix soient entendues.

Mme Valencia-Svensson : Depuis la fondation du CRTC, en 1968, le Canada semble avoir décidé, à notre place, que nous voulions donner un statut prioritaire à autre chose que les finances et les profits dans le secteur des écrans. Voilà pourquoi le CRTC a été établi avec pour mission de mettre en place des règles et des règlements pour déterminer quels contenus seraient diffusés aux Canadiens et pourquoi. En réalité, les services de diffusion continue, peu importe où ils sont établis, sont motivés par le profit, tout comme certains radiodiffuseurs au Canada. Or, les Canadiens ont d’autres objectifs, qui sont de renforcer notre propre voix, de favoriser encore plus la transmission de nos propres histoires auprès des Canadiens, ainsi que de partager ce contenu avec des publics à l’étranger. Comment faire pour conjuguer la recherche de profits avec les autres objectifs?

Nous allons avoir besoin du CRTC pour continuer à jouer ce rôle dans le marché. Sinon, notre voix sera ensevelie. Notre organisation ne connaît pas en détail les dispositions en question du projet de loi, mais je pense que nous devons absolument prêter attention à cette crainte généralisée de ne plus pouvoir préserver la force des voix canadiennes et la diversité au pays dans le contexte de l’imposant marché mondial et de la pression pour générer des profits.

À mon avis, le projet de loi donne une occasion unique de faire en sorte que la culture canadienne et les structures et systèmes culturels canadiens restent assez forts et agiles pour tenir tête à toutes ces menaces, parce qu’au fond, le projet de loi C-11 essaie de protéger les personnes et non pas seulement la rentabilité.

M. Di Felice : Le CRTC n’a jamais imposé de quotas sur les consommateurs. À mon avis, nous nous méprenons si nous pensons que le CRTC établit des listes d’écoute ou de visionnement obligatoires. Ce n’est pas ce qui se passe et ce n’est pas ce que nous demandons. Tout ce que le CRTC est capable de faire est d’appuyer le contenu et les services en les rendant disponibles, découvrables et abordables. Je pense que c’est ce que veulent les consommateurs. Ils veulent pouvoir choisir parmi des services de grande qualité, accessibles et à prix raisonnable.

Voilà ce qui est au cœur de nos discussions. Nous voulons conférer au CRTC le pouvoir de fournir cet appui sur les nouvelles plateformes comme il le fait déjà dans les systèmes de radiodiffusion traditionnels. Loin de nous l’idée de forcer les consommateurs à choisir tel ou tel contenu. Les consommateurs veulent du choix. Malheureusement, le choix est limité en ce moment.

Le sénateur Loffreda : Merci à tous les témoins d’être ici aujourd’hui. Ma question s’adresse à monsieur Aldo Di Felice et à madame Ziniak de la Coalition canadienne des médias ethnoculturels. Encore une fois, la politique relative à la radiodiffusion à caractère ethnique du CRTC a 24 ans. À quel point sa mise à jour est-elle urgente, en quoi consisterait-elle et de quelle manière serait-elle avantageuse pour les Canadiens? Pourriez-vous nous en dire plus?

Mme Ziniak : Je pense qu’une mise à jour fournirait à coup sûr, structurellement et stratégiquement, la possibilité pour les médias multilingues d’évoluer et de se développer au pays. La politique relative à la radiodiffusion à caractère ethnique a été révisée pour la dernière fois en 1999. Les immigrants ont continué à arriver au Canada en fonction du contexte mondial. J’estime que la diffusion d’informations dans les langues parlées par les Canadiens est d’une importance cruciale si nous voulons bâtir une société canadienne en santé. La révision de la politique permettra d’inscrire dans la loi des possibilités pour les Canadiens au bagage multiculturel, multilingue et ethnoculturel. Cet exercice favorisera également l’émancipation non seulement des Néo-Canadiens, mais aussi des immigrants de deuxième ou de troisième génération, et fournira à ces derniers des informations et des sujets à réflexion.

M. Di Felice : En prenant un peu de recul, je constate que nous parlons de la politique relative à la radiodiffusion à caractère ethnique de 1999 comme si elle était déjà en place et adéquate. En fait, elle n’est pas du tout adéquate. En 1999, il n’y avait pas de services en ligne, et la politique ne prévoyait la mise en œuvre de programmation ethnique que dans les stations de radio et à la télévision conventionnelle. Elle ne prévoyait même pas mettre en place des services ethniques qui s’adresseraient à des communautés ethniques en particulier au Canada. Il n’y était pas question non plus des médias numériques, car la première vague de services numériques n’est survenue que deux ans plus tard, c’est-à-dire en 2001. Donc, il n’y a pas de politique ethnique au Canada, ce que je trouve fort étrange pour un pays qui a mis en place une politique officielle sur le multiculturalisme il y a plus d’un demi-siècle.

À la place, nous avons une histoire. Moi qui suis là depuis 1998, j’ai été témoin du dépôt et de la publication de la politique relative à la radiodiffusion à caractère ethnique. Depuis 1999, nous avons droit à des décisions disparates prises ponctuellement par le CRTC en réaction aux différentes crises du milieu de la radiodiffusion à caractère ethnique, et en fonction des politiques générales sur la radiodiffusion au Canada.

Cette série de décisions ponctuelles prises par le CRTC n’a pas été précédée de consultations publiques, qui auraient permis de prendre du recul et de réfléchir à la manière dont le Canada devrait servir ses différents publics multilingues et ethniques. Eh bien, ces décisions hétéroclites se sont soldées par une diminution de la programmation ethnique au Canada.

Le CRTC se targue, sur son site Web, d’avoir accordé des licences à plus de 100 — je pense en fait que ce serait plutôt 200 — services ethniques au Canada. Le hic, c’est que d’accorder une licence à un service n’équivaut pas à le mettre sur pied. Les exploitants de ces services dotés d’une licence ne prennent jamais pour la plupart leur envol, car l’élément critique de ces services est la distribution, et la politique actuelle du CRTC ne garantit pas la distribution des services ethniques — à l’exception d’un seul, détenu par un géant des télécommunications — dans le système.

Donc, même les services que nous exploitons ne seront pas nécessairement distribués. Vous avez peut-être entendu parler de situations où les services, ethniques ou non, se plaignent au CRTC parce que les distributeurs menacent souvent de tout simplement les abandonner si les modalités de distribution ne sont pas à leur goût — même les services qui sont déjà distribués.

Par conséquent, élargir la disponibilité des services et améliorer leur découvrabilité pour que les gens n’aient pas à acheter un gros forfait pour obtenir le service qu’ils veulent et accroître l’abordabilité de ces services sont des concepts qui pourraient être explorés lors d’une révision de la politique relative à la radiodiffusion à caractère ethnique de 1999, que le CRTC, pour une raison ou une autre, n’a malheureusement pas placée parmi les dossiers prioritaires, la plupart du temps en raison d’autres crises à régler. La radiodiffusion à caractère ethnique et la création de contenu à caractère ethnique sont des secteurs en règle générale laissés pour compte.

Avec l’adoption tant espérée du nouveau libellé, nous encourageons le Sénat à inviter le gouvernement à mettre en œuvre, dans le cadre des directives initiales à l’intention du CRTC, les priorités décrites dans les dispositions dont nous parlons — essentiellement revoir leur politique relative à la radiodiffusion à caractère ethnique, permettre à tous les joueurs, consommateurs, créateurs de contenu et radiodiffuseurs de présenter des mémoires en vue de l’élaboration d’une nouvelle politique relative à la radiodiffusion qui s’avérera efficace.

Le président : Merci. Je vous rassure : nous nous efforçons constamment, d’une manière ou d’une autre, d’encourager le gouvernement à agir.

J’ai une question qui s’adresse à tous les témoins qui voudraient y répondre. Les créateurs canadiens comptent parmi les principaux exportateurs mondiaux de contenu culturel, particulièrement sur YouTube. Parmi ces créateurs, on dénombre les Autochtones, les membres des communautés autochtones, noires et de couleur, d’autres Canadiens marginalisés et tous les artistes au pays. Leurs voix ne sont pas tues avec Internet; elles sont plutôt exposées à des dizaines de millions d’internautes partout dans le monde.

Êtes-vous préoccupés du fait que le projet de loi C-11 renferme des dispositions inutiles visant à protéger les radiodiffuseurs traditionnels et, en fait, à limiter la taille du public des créateurs? Qu’arriverait-il si d’autres pays prenaient des mesures dans la foulée de ce texte et tentaient d’imiter notre réglementation? Les artistes canadiens conserveraient-ils la visibilité dont ils disposent déjà?

Mme Jenkinson : Quant à l’exportation de contenu, oui, nous exportons une tonne de contenus sur de petites plateformes numériques. Mais il faut garder en tête que le pourcentage de ces créateurs de contenu qui attirent de larges publics est minime, et que la majeure partie d’entre eux font moins de 10 000 $. Nous voulons que ces personnes ne soient pas considérées comme la seule source de contenu, mais que nous tenions compte également des émissions que les gens veulent regarder : drames policiers, histoires d’amour et toute une gamme de contenus à budget élevé.

La plupart des pays — probablement tous les pays — imposent des limites aux contenus qui franchissent leurs frontières. Le Canada n’est pas unique à cet égard. Certes, le Canada est un grand exportateur de contenu. À mon avis, personne ne cherche à imposer des limites à cet effet. Nous voulons seulement nous assurer que le système donne à tous des chances égales de concevoir ce contenu, et que les membres des communautés racisées et noires aient accès aux sources de financement afin que les contenus issus des communautés au Canada puissent voyager un peu partout dans le monde.

Mme Valencia-Svensson : Le Racial Equity Media Collective appuie assurément tout ce que Mme Jenkinson vient de dire. Je ne veux pas ajouter une note de cynisme. Cependant, si vous me le permettez, je dois dire que j’entends de nombreux diffuseurs en continu parler de leurs préoccupations au sujet du projet de loi C-11 depuis de nombreux mois maintenant, et je trouve intéressant que de très grandes sociétés qui, pour la plupart, ne sont pas basées au Canada, déclarent soudainement que les groupes sous-représentés doivent être entendus. Normalement, elles ne se préoccupent pas du tout de cette question qui nous touche et de nos opportunités. J’observe leurs messages lorsqu’elles disent que toutes ces voix sous-représentées vont perdre des opportunités. Elles utilisent ce message parce qu’elles savent que, de nos jours, il attirera l’attention de tous. Est-ce un vrai message?

Notre organisme ne le pense pas, et ce, pour les raisons que Mme Jenkinson vient d’expliquer. Nous voulons que toutes les voix sous-représentées aient accès à toutes les parties du système. Nous ne pensons pas que le projet de loi C-11 aura un effet aussi néfaste. Nous pensons que les diffuseurs en ligne ont fait passer ce message aux sénateurs, aux députés et aux membres du public parce que ce qu’ils souhaitent vraiment, c’est protéger leurs profits et ils ne veulent pas avoir à contribuer financièrement à notre système. Ils ne veulent pas le dire franchement, alors c’est ce qu’ils disent à la place. C’est ma réponse, qui comporte une part de cynisme, mais elle est logique si vous analysez ce qui peut être leur motivation profonde.

Le président : Ce ne sont pas les diffuseurs en continu qui parlent de la perte de la grande audience pour les artistes; ce sont les artistes eux-mêmes qui veulent s’assurer qu’ils peuvent, de façon indépendante, diffuser leurs productions par les diverses nouvelles plateformes qui existent.

Mme Valencia-Svensson : Et ils le feront. Je pense que ce qui s’est passé, c’est que beaucoup de diffuseurs en ligne ont rallié ces artistes, si l’on regarde ce qui se passe. Or, il y a beaucoup d’autres créateurs, comme le Bureau de l’écran des Noirs et le Racial Equity Media Collective, et il y a toutes les organisations que vous avez entendues aujourd’hui qui pourraient également le faire.

Le président : Merci.

La sénatrice Clement : Je remercie tous les témoins de leurs observations sur la mise à jour des politiques. L’établissement de directives et la collecte de données fondées sur la race sont des éléments très pertinents.

Ma question s’adresse à Mme Jenkinson. Je suis heureuse de vous voir. Je dois vous dire que pendant la majeure partie de ma carrière professionnelle, je me suis sentie seule, partout, et malheureusement, cela continue. Cependant, mes nièces, heureusement, sont beaucoup plus confiantes dans leur identité que je ne l’ai jamais été, alors les choses vont mieux.

Je veux que vous reveniez sur les commentaires que vous avez faits, soit qu’il ne faut pas mettre les Canadiens noirs dans la même catégorie que les autres Canadiens racisés et qu’il faut comprendre que tous ces gens ne constituent pas qu’un seul bloc. La réaction des Canadiens noirs à la mort de Sa Majesté est très intéressante et représente également une partie de cette diversité. Je me demande si vous pouvez nous expliquer pourquoi, à votre avis, le gouvernement a accepté 6 des 10 amendements. Comment pourrions-nous avancer à cet égard?

Mme Jenkinson : Commençons par la chose la plus simple : nous voulons que ce soit 10 sur 10 plutôt que 6 sur 10, car cela n’a aucun sens. Ce qui nous préoccupe, c’est que dans l’histoire de la télévision canadienne d’avant 2020, il n’y a eu que quatre séries réalisées par des Noirs et portant sur des Noirs sur les chaînes de télévision canadienne grand public. Cela montre bien qu’il y a un problème et un fossé énormes. En ce qui concerne les longs métrages, il faut entre 9 et 13 ans à un cinéaste noir pour réaliser un deuxième film. Il y a tellement de choses à faire et si peu de contenu.

Encore une fois, nous ne pouvons pas compter sur les émissions américaines pour combler ce vide. L’expérience canadienne est très différente de l’expérience américaine, et nous voulons nous assurer que nos voix sont entendues et que nos histoires sont racontées dans une perspective canadienne.

La sénatrice Clement : Pourquoi pensez-vous que le remplacement de toutes les 10 occurrences se traduirait par une meilleure interprétation? Vous avez parlé d’interprétation, et comment cela pourrait nuire à l’interprétation de la loi.

Mme Jenkinson : Cela n’a tout simplement aucun sens qu’on y fasse référence à certains endroits, mais pas à d’autres. Nous voulons nous assurer que, lorsqu’il s’agit d’établir des règlements et des politiques, il n’y a pas d’ambiguïté où l’on peut s’en remettre au fait qu’il n’est pas écrit communautés noires et communautés racisées à chaque endroit, de sorte que dans tel cas, on les regroupera, et dans un autre cas, si l’argument présenté est assez fort, on pourrait ne pas le faire.

La sénatrice Clement : Merci, madame Jenkinson.

Le président : Je remercie les témoins d’avoir comparu devant notre comité et d’avoir exprimé leurs points de vue. Nous sommes impatients de poursuivre nos délibérations sur cette étude.

(La séance est levée.)

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