LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES TRANSPORTS ET DES COMMUNICATIONS
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mardi 27 septembre 2022
Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd’hui, à 9 heures (HE), avec vidéoconférence, pour étudier la teneur du projet de loi C-11, Loi modifiant la Loi sur la radiodiffusion et apportant des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois.
Le sénateur Leo Housakos (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bienvenue au Comité sénatorial permanent des transports et des communications. Je suis le sénateur Leo Housakos, du Québec, et président du Comité des transports et des communications. J’aimerais inviter mes collègues à se présenter brièvement.
Le sénateur Dawson : Le sénateur Dennis Dawson, du Québec.
La sénatrice Simons : La sénatrice Paula Simons, de l’Alberta, du territoire du traité no 6.
Le sénateur Cormier : Le sénateur Cormier, du Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Manning : Le sénateur Fabian Manning, de Terre-Neuve-et-Labrador.
La sénatrice Sorensen : La sénatrice Karen Sorensen, de l’Alberta.
La sénatrice Miville-Dechêne : La sénatrice Julie Miville-Dechêne, du Québec.
La sénatrice Dasko : Donna Dasko, sénatrice de l’Ontario.
La sénatrice Clement : La sénatrice Clement, de l’Ontario.
Le président : Nous nous réunissons afin de poursuivre notre examen de la teneur du projet de loi C-11, Loi modifiant la Loi sur la radiodiffusion et apportant des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois.
Pour le premier groupe de témoins, je suis ravi de présenter et d’accueillir Me Monica Auer, directrice générale du Forum for Research and Policy in Communications, et elle est ici avec nous aujourd’hui; Pierre Trudel, professeur, Faculté de droit, Université de Montréal, qui se joint à nous par vidéoconférence; et Irene Berkowitz, agrégée supérieure de recherche en politique, Laboratoire multimédia de l’École de la créativité, Toronto Metropolitan University, qui est aussi présente par téléconférence.
Bienvenue au Sénat. Merci de vous joindre à nous ce matin. Chacun d’entre vous aura une brève période de cinq minutes pour présenter sa déclaration liminaire, puis nous céderons la parole à mes collègues pour une période de questions et de réponses. Nous commencerons par la déclaration de Me Auer.
Me Monica Auer, directrice générale, Forum for Research and Policy in Communications : Merci, monsieur le président et honorables sénateurs et sénatrices.
Le FRPC est une organisation sans but lucratif qui effectue des analyses stratégiques et juridiques empiriques des communications canadiennes. Nous sommes favorables à l’adoption du projet de loi C-11 par le Sénat, s’il est modifié. Nos commentaires concernent la raison d’être des lois sur la radiodiffusion du Canada et les améliorations et les problèmes du projet de loi C-11.
De nombreuses personnes croient que les lois sur la radiodiffusion sont obsolètes, parce que l’Internet a réglé le problème de la rareté du spectre, mais les lois sur la radiodiffusion du Canada ont également permis de câbler le pays, de protéger la sécurité nationale durant deux guerres mondiales, de limiter les diffusions nuisibles et de garantir des alertes de radiodiffusion en cas d’urgences locales. Elles ont réduit l’incidence déstabilisatrice des radiodiffuseurs étrangers sur les radiodiffuseurs canadiens en échange de leur production de programmes importants comme les nouvelles canadiennes. Le projet de loi C-11 s’appuie sur ces principes. Ses changements les plus utiles se trouvent à la partie II de la Loi sur la radiodiffusion. Ils clarifient les pouvoirs qu’exerce le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes sur les radiodiffuseurs individuels et l’habilitent à imposer des amendes en cas de non-conformité.
Malheureusement, le projet de loi C-11 est aussi incohérent, comporte des erreurs et crée des lacunes. Les lois claires et cohérentes énoncent l’intention du Parlement et sont facilement comprises par le public, mais le projet de loi C-11 n’est pas cohérent et n’est pas facilement compris. Alors que le Parlement a déclaré que les radiodiffuseurs devaient être réglementés, le projet de loi C-11 habilite le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, ou le CRTC, à réglementer le contenu téléversé par les utilisateurs et, par ricochet, à réglementer les utilisateurs, directement et indirectement. Nous proposons l’abandon complet des articles 4.1 et 4.2 proposés. Les activités des radiodiffuseurs, et non celles des utilisateurs de l’Internet, devraient être réglementées.
Le projet de loi C-11 contredit également la déclaration du Parlement selon laquelle une seule autorité publique indépendante réglemente les radiodiffuseurs en donnant au Cabinet le dernier mot sur presque toutes les décisions du CRTC. Par rapport à la loi actuelle, la repolitisation de la réglementation de la radiodiffusion par le projet de loi C-11 érodera davantage la confiance des Canadiens envers le gouvernement et les médias de radiodiffusion, ainsi que la responsabilisation.
Ensuite, les ajouts proposés des paragraphes 7(7) et 10(1.2) et de l’article 34.995 devraient être supprimés.
Le projet de loi C-11 réaffirme que les radiodiffuseurs jouissent de la liberté d’expression et que les Canadiens ont le droit d’avoir des points de vue différents sur des questions d’intérêt public. Un ajout tardif par le Comité du patrimoine canadien durant ses modifications du projet de loi C-11, non disponible pour les témoins comme nous-mêmes qui avons témoigné devant ce comité, devrait maintenant permettre au CRTC de lutter contre la désinformation et d’élargir grandement son autorité sur le discours radiodiffusé.
Par ailleurs, l’ajout proposé des sous-alinéas 3(1)s)(v), 3(1)d)(iii.4), 3(1)i)(ii.1) et 3(1)i)(iv) devrait être abandonné.
Pour ce qui est des erreurs, le projet de loi C-11 n’utilise pas la bonne définition du mot « décision ». Cette définition figure déjà dans la Loi sur les télécommunications et devrait être conforme à la Loi sur la radiodiffusion.
Enfin, le projet de loi C-11 oblige le CRTC à communiquer ses preuves et ses idées, mais seulement à certaines collectivités que ses décisions toucheraient de manière négative.
Le paragraphe 5.2(1) proposé devrait procurer à tous les Canadiens une transparence et une responsabilisation dans toutes les procédures du CRTC.
Et même s’il s’agit peut-être moins d’une erreur que d’un choix, l’utilisation du mot « devrait » au lieu du mot « doit » dans 33 des 39 clauses de la politique sur la radiodiffusion les rend facultatives et les laisse à la discrétion du CRTC. Il est difficile de mesurer cela de façon empirique, car le CRTC ne publie pas les données utiles dont vous auriez besoin pour le faire, mais l’utilisation du mot « devrait » dans la loi de 1991 par rapport aux possibilités d’emploi a apparemment permis au CRTC de faire fi de la perte d’un emploi sur cinq dans le secteur de la radiodiffusion et de la télévision de 1991 à 2019.
En faisant fi de l’emploi, le CRTC a littéralement recréé la licence de Baron Thompson d’imprimer de l’argent. En 2019, 50 services discrétionnaires qui gagnent chacun plus de 1 million de dollars n’employaient absolument personne. Si le Parlement veut que des objectifs comme l’emploi soient atteints, il devrait utiliser le mot « doit », et non pas « devrait » ou « pourrait ».
Enfin, le projet de loi C-11 comporte des lacunes. Il explique l’octroi de licences, mais ne dit rien sur la portée, le fonctionnement ou l’application de l’enregistrement. Il tolère les prises de décision intempestives. Même si le budget et les dépenses du CRTC ont augmenté de 52 % en termes réels depuis 1991, et sa dotation en personnel, de 21 %, il a fallu plus de six mois pour clore plus du tiers des 180 litiges qu’il a arbitrés entre 2016 et 2021. La radiodiffusion est une entreprise, nous le savons. Les retards coûtent de l’argent et débouchent sur des occasions perdues et désavantagent les petits diffuseurs en particulier.
J’en suis à ma conclusion, donc je vais rapidement clore mon propos. Cela ne changera rien si vous modifiez le projet de loi C-11 et que le CRTC peut continuer de faire abstraction de la loi. Il tient maintenant des audiences sans témoins. Il ne tient pas les audiences qui sont requises pour les ordonnances obligatoires. Il ne publie pas toutes les demandes qu’il reçoit, et il cache à jamais certaines décisions au public.
Il n’a pas déposé de rapports obligatoires au sujet de la non-conformité de CBC/SRC depuis 22 ans, et évidemment, le Cabinet a convenu qu’il s’agissait d’un problème, en raison du décret en conseil de la semaine dernière. Nous vous demandons respectueusement de vous assurer que, en mettant à jour cette loi pour le 21e siècle, vous mettiez à jour son approche en matière de normes de rédaction cohérentes, de transparence, de reddition de comptes et de respect des délais. J’ai sauté trois paragraphes cruciaux pour respecter le temps.
Le président : Merci, maître Auer. Avec un peu de chance, vous aurez l’occasion de les présenter durant la période de questions et de réponses.
[Français]
Pierre Trudel, professeur, Faculté de droit, Université de Montréal, à titre personnel : Bonjour monsieur le président, messieurs et mesdames les membres du comité. C’est un plaisir d’être avec vous ce matin.
Le projet de loi C-11 vise à faire en sorte que l’ensemble des entreprises qui se livrent à des activités de diffusion ou de distribution d’émissions, notamment au moyen d’Internet, fonctionnent en harmonie avec les exigences de la politique canadienne de radiodiffusion énoncées à l’article 3 de l’actuelle Loi sur la radiodiffusion, et que le projet de loi propose de modifier de façon substantielle.
En procédant à cette mise à jour trop longtemps reportée de la Loi sur la radiodiffusion, le Parlement effectuera un rattrapage nécessaire et essentiel dans la mise en place du cadre législatif des activités de diffusion et de création audiovisuelle, qui sont de plus en plus tributaires des environnements en ligne. Cette mise à niveau est essentielle pour assurer que notre système de communication fonctionne de manière à procurer aux Canadiens la possibilité réelle de choisir des émissions, y compris des émissions qui procèdent ou résultent de la créativité canadienne et qui reflètent la richesse et la diversité du pays et surtout l’existence des langues officielles et des langues des Premières Nations du Canada.
Depuis 1991, la Loi sur la radiodiffusion comporte des dispositions très claires interdisant au CRTC de prendre des décisions qui contreviennent à la liberté d’expression. C’est pour cette raison qu’il me semble que les craintes parfois exprimées à l’égard des possibles dangers pour la liberté d’expression que pourrait recéler le projet de loi C-11 me paraissent mal fondées.
De même, le paragraphe 9(4) de l’actuelle Loi sur la radiodiffusion autorise déjà le CRTC à exempter de l’application de la loi les entreprises dont l’activité ne présente pas d’enjeu significatif au regard de l’application de la politique canadienne de radiodiffusion. C’est pourquoi les multiples exclusions introduites dans le projet de loi C-11 ne font que rendre la loi inutilement complexe et ne font que compliquer inutilement un texte qui a pourtant tellement d’importance pour l’ensemble des Canadiens.
Il faut toutefois saluer l’ajout proposé des alinéas 3(1)q) et r) que propose l’article 4 du projet de loi C-11 afin de prévoir explicitement la nécessité, pour le CRTC, de promouvoir la découvrabilité des œuvres canadiennes.
Contrairement à ce qui a été dit, les algorithmes ne sont pas des objets techniques neutres. Ce sont souvent des objets qui jouent contre certains types de production, notamment contre les productions émanant de producteurs francophones ou des Premières Nations. Par contre, l’alinéa 8 de l’article 9.1 de la Loi sur la radiodiffusion, qui serait introduit par le biais du projet de loi C-11 à l’article 10, propose une exclusion malheureuse, inutile et dangereuse : l’alinéa viendrait retrancher ou interdire au CRTC la possibilité d’exiger l’utilisation d’un algorithme informatique ou d’un code source particulier. Cette exclusion ne repose sur aucune justification.
En retranchant cette capacité du CRTC d’imposer le recours à des instruments technologiques conséquents avec les modes de fonctionnement des environnements en ligne, on vient paralyser l’action du régulateur. En somme, on lui impose de se limiter à des outils du passé pour encadrer des situations technologiques d’avenir.
Voilà mes principales remarques au sujet du projet de loi C-11. Je serai ravi de répondre aux questions et d’interagir avec les membres si vous le souhaitez. Merci, monsieur le président.
Le président : Merci, monsieur Trudel.
[Traduction]
Irene Berkowitz, agrégée supérieure de recherche en politique, Laboratoire multimédia de l’École de la créativité, Université métropolitaine de Toronto, à titre personnel : Bonjour, mesdames et messieurs les sénateurs. Merci de m’avoir invitée, chers collègues. Mes points de vue sont les miens; ils ne représentent pas ceux de l'Université métropolitaine de Toronto ni de l’Internet Society Canada, où j’ai récemment été élue directrice. J’ai longtemps eu pour passion d’aider les médias canadiens à s’adapter à l’ère mondiale en ligne. Mon doctorat a inspiré un livre sur les médias traditionnels, et j’ai dirigé une étude révolutionnaire sur YouTube.
Les politiques publiques devraient régler les problèmes que le marché ne peut pas régler. Sénatrice Simons, merci d’avoir demandé la semaine dernière : « Quel problème le projet de loi C-11 règle-t-il? » Ironiquement, comme d’autres l’ont laissé entendre, une partie du libellé du projet de loi C-11 ne règle pas des problèmes; plutôt, il en cause pour les consommateurs et les producteurs. J’expliquerai pourquoi et je proposerai une solution.
Pour les consommateurs, les recherches confirment que les Canadiens ne veulent pas que le gouvernement intervienne dans notre expérience en ligne, et avec le projet de loi C-11, il le fera. En ce qui concerne les producteurs, grâce à la diffusion en continu, l’économie créative du Canada est en plein essor. Dans le système existant, il y a plus d’emplois et de contenu que jamais. Le problème tient à des politiques dépassées. Il faut décrocher nos producteurs de la diffusion linéaire. Ils méritent un financement indépendant de la plateforme d’accès des producteurs, ce qui exige de repenser les contributions d’accès et le contenu canadien. Merci, monsieur le président, d’avoir demandé si une vedette du sport financée par Nike est moins canadienne. Mon livre propose une matrice indépendante de la plateforme d’accès des producteurs qui pourrait aider à relancer le contenu canadien.
En ce qui concerne le contenu généré par l’utilisateur, ou CGU, ce jeune secteur ajoute 1,1 milliard de dollars à notre PIB, 34 000 emplois et est en croissance, et il est diversifié sans intervention ni fonds publics. Il n’est pas brisé. Il est additif et complémentaire aux médias réglementés, plutôt que de leur faire concurrence.
Comme on l’a mentionné, le projet de loi C-11 frappe peut-être involontairement le cœur du modèle économique du CGU, qui consiste à créer des audiences. J.J. McCullough, que vous aurez la chance de rencontrer prochainement, a souligné le faux pas du projet de loi C-11 : « voir cette réussite comme un problème à résoudre est absurde et déconcertant... »
Hitesh Sharma « Tesher » chante en perse, en hindi et en anglais, et il a dit que si le contenu est stimulant, il trouve un public : « Pour un jeune Indien autodidacte de la Saskatchewan qui n’a aucun lien avec l’industrie, TikTok a changé la donne. »
Le CGU offre à des milliers d’entrepreneurs canadiens une exportation mondiale gratuite, sans papier et instantanée. Je serai heureuse de vous faire part d’autres données sur le temps de visionnement et d’histoires inspirantes, comme la façon dont la youtubeuse « The Icing Artist » a bâti son auditoire, mais mon message principal aujourd’hui est de limiter le projet de loi C-11 aux plateformes à accès restreint. Supprimez proprement le CGU du champ d’application pour éviter les contestations et les audiences massives du CRTC qui seront accablantes et retarderont les avantages pour les producteurs traditionnels. Le simple fait d’entendre parler de cette paperasserie pourrait inciter les producteurs de CGU à se précipiter de l’autre côté de la frontière pour téléverser du contenu. Sans la modification, les consommateurs, les producteurs de contenu traditionnel et les producteurs de contenu électronique sont perdants.
Il n’y a aucune raison de réglementer le CGU plus que les jeux vidéos ou les livres. Nous devons harmoniser les données pour l’ensemble du secteur des médias. Je ne comprends pas pourquoi les libéraux protègent les gros joueurs au détriment des petits. J’étais dans la salle lorsque Creative Canada, qui a promis de ne pas protéger les vieux modèles, a reçu une ovation. Dans le passé, on prétendait le contraire, mais la réglementation a embrassé les géants américains des médias — je parle maintenant d’ABC, de CBS et de NBC — pour enflammer notre propre industrie. Cela a fonctionné. Personne n’a empêché les Canadiens d’inventer Netflix, Spotify ou TikTok, dont les racines américaines, suédoises et chinoises reflètent l’ère mondiale d’aujourd’hui.
Avec le recul, quel était le problème de notre 20e siècle? La construction de l’industrie. Nous l’avons fait. Notre problème au 21e siècle? La création d’un public. Et voilà le truc, la protection sert à construire une industrie. Nous l’avons fait. La compétition sert à créer un public. Alors que les créateurs canadiens sont déjà en tête de tous les genres de CGU, YouTube et TikTok annoncent des initiatives pour aider les nouveaux créateurs à créer plus de publics.
Pour terminer, le mot « patrimoine » signifie de préserver les valeurs positives, et non pas des idées ou des modèles d’affaires désuets. Autrement, l’Université métropolitaine de Toronto serait toujours Ryerson, le projet de loi C-11 n’aurait pas toutes ses nouvelles dispositions sur la diversité et je ne serais pas ici aujourd’hui sur Zoom. La façon dont nous avons toujours procédé n’est pas synonyme de gouvernance sage. Donc mon titre pour le débat sur le projet de loi C-11, qui, je le sais, tire à sa fin, est le suivant : le passé ou l’avenir : que choisirons-nous? Merci. Je suis très honorée d’être ici et j’ai vraiment hâte de répondre à toutes vos questions.
Le président : Merci beaucoup.
Ma question s’adresse à M. Trudel. Vous avez déclaré que vous croyez que le CRTC devrait explicitement avoir un pouvoir sur le contenu généré par l’utilisateur et les codes sources des algorithmes qui dictent la découvrabilité. Vous avez également dit que le projet de loi C-11 fournit aux Canadiens une réelle possibilité de choisir des programmes ou de produire des programmes de radiodiffusion qui reflètent la riche diversité de notre société et l’existence des langues officielles du Canada et des langues de nos peuples autochtones. Que dites-vous aux témoins qui ont comparu devant le comité et ont dit que le fait de forcer des plateformes à établir des algorithmes sur quoi que ce soit d’autre que le propre comportement et les propres préférences du consommateur, ce que fait le projet de loi C-11 et ce que vous défendez, aura une incidence défavorable sur le choix des consommateurs, ce qui érodera la confiance des consommateurs au point où ils se détourneront du contenu et même des plateformes? Cela va à l’encontre de ce que vous dites sur le choix du consommateur, n’est-ce pas, monsieur Trudel?
[Français]
M. Trudel : Premièrement, pour que les consommateurs aient vraiment le choix, il faut qu’il y ait de la production accessible. Le système canadien de radiodiffusion fonctionne de manière à assurer le soutien à la production, non seulement à la production dominante anglophone, mais aussi à celle émanant de l’autre langue officielle et des langues autochtones. Pour faire cela, il faut s’assurer que les acteurs majeurs du système investissent dans la production d’œuvres canadiennes et y contribuent. C’est comme cela que les consommateurs auraient véritablement un choix. Sinon, le seul choix, c’est ce que l’industrie internationale des émissions audiovisuelles leur propose. C’est un choix partiel qui exclut beaucoup de productions, notamment celles en provenance des milieux minoritaires canadiens.
Deuxièmement, les craintes à propos du contenu généré par l’utilisateur me paraissent mal fondées. Depuis 1991, la Loi sur la radiodiffusion non seulement permet, mais commande au CRTC de ne viser que les entreprises dont l’activité a un impact significatif sur l’accomplissement de la politique canadienne de radiodiffusion. L’allégation selon laquelle la loi ferait en sorte que le CRTC se mettrait à régir les contenus générés par les utilisateurs me paraît, au minimum, grossièrement exagérée. Le CRTC, selon toute vraisemblance et selon ce que la loi permet, est tenu de s’en tenir uniquement aux activités d’entreprises qui ont un impact significatif sur la réalisation de la politique canadienne de radiodiffusion.
Il y a deux choses. Premièrement, soit que le contenu généré par les utilisateurs a un impact majeur et important au regard de la réalisation de la politique de radiodiffusion, comme prévu à l’article 3, et à ce moment-là, je ne vois pas pourquoi on exclurait le contenu généré par les utilisateurs de la réglementation; soit, deuxièmement, comme on le prétend, ce contenu est essentiellement le fait d’entreprises de petite taille ou de personnes qui réalisent des activités et entrent dans le marché de la production et de la création, et à ce moment-là, s’il n’y a pas d’impact significatif sur la réalisation de la politique de radiodiffusion; cela ne sera pas réglementé. Voilà pourquoi il me semble que les allégations voulant que le projet de loi C-11 vise les contenus générés par les utilisateurs me paraissent absolument sans fondement.
Le président : Merci, monsieur Trudel.
Le sénateur Cormier : Bienvenue à notre comité, chers témoins. Monsieur Trudel, dans l’état actuel du projet de loi, les ordonnances que prend le CRTC en vertu de l’article 9.1 ne sont pas assujetties à des audiences publiques. Quelques témoins nous ont dit qu’il serait nécessaire de rectifier le tir afin que le CRTC tienne des audiences avant la prise d’ordonnances, et que cela soit codifié dans la loi. Qu’en pensez-vous?
M. Trudel : Je suis tout à fait d’accord avec cela. La force du système de réglementation canadien de la radiodiffusion réside dans sa capacité à être ouvert au public et aux différents points de vue qui peuvent exister. Effectivement, il me semble que c’est un oubli. Selon ma lecture de la loi, le CRTC a toujours la possibilité de tenir des audiences, mais il serait probablement plus avisé d’obliger le CRTC à tenir des audiences publiques avant l’adoption d’une ordonnance pouvant avoir un impact significatif.
Il faut comprendre que le CRTC est parfois appelé à prendre des ordonnances qui visent un nombre très limité d’entreprises. On ne peut pas espérer des audiences nationales pour ces situations limitées. Il faut laisser une marge de flexibilité au CRTC. Cela dit, le principe devrait être que les ordonnances soient précédées d’une audience publique au cours de laquelle chaque groupe d’intérêt peut être entendu.
Le sénateur Cormier : Vous avez parlé tout à l’heure de la liberté d’expression. J’aimerais vous entendre sur les préoccupations qu’ont les artistes. Est-ce que selon votre compréhension de la loi, le CRTC aurait le pouvoir de régir les créateurs directement?
M. Trudel : Selon ma compréhension de la Loi sur la radiodiffusion, il me semble que le CRTC n’a pas ce pouvoir, mais plutôt celui de régir les entreprises de radiodiffusion. Le CRTC peut édicter des ordonnances, des conditions de licence ou des règlements qui s’appliquent aux entreprises et non pas aux créateurs directement. C’est donc fait de façon indirecte.
De plus, lorsque le CRTC prend de telles décisions, il doit tenir compte des dispositions qui existent déjà dans la Loi sur la radiodiffusion et que le projet de loi propose de renforcer, c’est-à-dire des dispositions qui commandent d’interpréter et d’appliquer la loi dans le respect de la liberté d’expression. Par conséquent, le CRTC a une obligation de s’assurer que ses décisions sont compatibles avec la liberté d’expression telle qu’elle est reconnue au Canada, notamment par les tribunaux, qui ont le dernier mot dans l’interprétation des droits fondamentaux.
[Traduction]
Le sénateur Manning : Bienvenue, et merci à nos témoins. Ma question ce matin s’adresse à Me Auer.
Vous avez écrit qu’un problème potentiel avec le projet de loi C-11 est ce que vous décrivez comme le niveau exceptionnel de pouvoir discrétionnaire que le projet de loi conférera au CRTC. Vous vous opposez — tout comme moi — à la position selon laquelle les Canadiens devraient simplement faire confiance au CRTC, en signalant le fait que le CRTC a déjà limité les exigences redditionnelles et la transparence dans son processus de décision, comme il en a été question.
Monsieur Trudel a déclaré qu’il ne croit pas que le projet de loi C-11 aille assez loin pour fournir au CRTC un pouvoir sur le contenu et les algorithmes générés par l’utilisateur. Comment répondez-vous à cette déclaration? Est-ce inévitable? Que peut-on faire dans la loi pour clarifier la question d’une manière ou d’une autre?
Me Auer : Je suggère que l’on abandonne les articles 4.1 et 4.2 proposés pour retirer les utilisateurs de leur portée et le pouvoir du CRTC. La Loi sur la radiodiffusion s’appelle ainsi parce qu’elle vise les radiodiffuseurs. Dans ce cas, pourquoi proposerions-nous de réglementer tout type d’utilisateur? De plus, il y a une incohérence entre l’article 4.1 proposé et le pouvoir d’exemption prévu au paragraphe 9(4). Soit nous gardons tout le monde et nous les enregistrons, disons en tant qu’utilisateurs, soit nous les exemptons parce qu’ils ne sont pas en mesure d’atteindre un seuil particulier de contribution importante. Les articles 4.1 et 4.2 proposés et le paragraphe 9(4) ne vont pas bien ensemble.
Pour ce qui est de la responsabilisation et de la transparence, le problème en ce moment avec le CRTC, c’est qu’il ne rend pas ses décisions publiques. Chaque année, il publie des dizaines de décisions que vous ne pouvez pas voir parce qu’il n’y a pas d’hyperlien et qu’il ne publie pas. Lorsque nous disons que le CRTC est transparent, ce n’est tout simplement pas le cas. Il tient des audiences publiques sans témoins. Je suis désolée — vous avez été très aimables de m’inviter —, mais le CRTC choisit de ne pas inviter qui que ce soit à certaines audiences, y compris les transferts de propriété. Je comprends donc que vous puissiez dire : « Écoutez, il s’agit d’un système de câblodistribution à Iqaluit. Il dessert 10 personnes. Nous n’avons pas besoin de tenir une audience publique. » Cependant, lorsque vous parlez du transfert de propriété de la moitié des stations radiophoniques de la Colombie-Britannique dans le cadre d’une décision administrative et sans audience publique, je pense que je remettrais en question la notion selon laquelle le CRTC est a) transparent, b) ouvert et c) responsable. Il ne l’est pas.
Désolée. Cela semblait vraiment catégorique. Je suis vraiment quelqu’un de gentil. Je veux juste que vous le sachiez.
Le sénateur Manning : Nous aimons entendre ce que vous ressentez, comme nous le faisons avec tous les témoins.
Me Auer : C’était ma façon d’être calme.
Le sénateur Manning : Nous traitons d’une mesure législative très importante.
Si le projet de loi C-11 n’est pas modifié, d’après le dossier historique tel que vous le voyez, comment envisagez-vous que le CRTC mette en œuvre les dispositions du projet de loi C-11?
Me Auer : De la façon qu’il l’entend. Je ne sais pas si vous voulez plus que cela, mais le paragraphe 5(2) de la loi procure au conseil une énorme souplesse. Il prévoit que la réglementation devrait être souple. C’est fantastique, mais ensuite nous nous retournons et disons que vous devez suivre le paragraphe 3(1). Mais le CRTC — au cours des 30 dernières années, en ce qui concerne les possibilités d’emploi pour lesquelles nous avons des données — n’a pas du tout abordé cette question. Je ne sais pas comment vous pouvez dire qu’il met en œuvre l’exigence de possibilités d’emploi quand un emploi sur cinq dans la radio et la télévision a disparu. Peut-être que ces emplois ont fui vers le monde en ligne. Si c’est le cas, formidable, mais pourquoi le CRTC a-t-il choisi de ne pas recueillir des données sur ces questions il y a 15 ans? Nous disons que le paragraphe 9(4) fonctionne à merveille. Eh bien, le critère du paragraphe 9(4) est la contribution importante. Comment se fait-il alors que le CRTC, qui a été saisi de demandes — au moins quatre à ma connaissance — lui demandant de revoir l’exemption prévue au paragraphe 9(4) pour l’appliquer aux médias numériques a-t-il refusé de même publier les demandes ou de les examiner? Nous n’arrivons pas à amener le CRTC à appliquer correctement le paragraphe 9(4).
Le sénateur Manning : Je vous remercie. Que pensez-vous réellement de la performance passée du CRTC?
Me Auer : Je pense que le CRTC est une institution critique visant à servir l’intérêt public. Je pense que la surveillance est impossible, parce qu’il ne dit pas ce qu’il fait. Par exemple, il a pris l’accès à...
Le président : Je m’excuse de vous interrompre, mais le temps du sénateur Manning est écoulé. Je vais céder la parole à la sénatrice Miville-Dechêne, puis à la sénatrice Dasko.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : J’ai une question pour le professeur Trudel. Je veux vous entendre sur les algorithmes en particulier, parce que vous êtes un expert de la question d’Internet depuis des années. Vous dites que le gouvernement aurait dû garder son pouvoir d’intervenir sur les algorithmes. Or, le gouvernement, dans sa dernière mouture, s’est retiré de ce champ de compétences et a laissé le champ libre aux plateformes pour toucher ou non à leurs algorithmes, pour arriver à des résultats attendus.
Ne pensez-vous pas qu’en ne modifiant que les recommandations statiques, c’est-à-dire en ne touchant pas à leurs algorithmes, les plateformes réussiront à mettre de l’avant des contenus que l’on voit moins, c’est-à-dire minoritaires, francophones, autochtones?
Est-ce qu’il est possible, sur le plan technique, étant donné la façon dont les gens écoutent la musique, de faire une place certaine à l’écoute de musique francophone ou autochtone sans toucher aux algorithmes?
M. Trudel : Ce qu’il faut, en fait, c’est une réglementation qui permet à l’autorité régulatrice du CRTC d’exiger des comptes, éventuellement d’exiger que les algorithmes utilisés par les plateformes qui jouent un rôle significatif dans l’espace canadien — on s’entend—, d’exiger des expertises sur le fonctionnement de ces dispositifs techniques complexes, d’exiger des audits et des évaluations de façon à vérifier si l’offre de contenu qui est proposée aux Canadiens reflète les exigences et les objectifs qui sont énoncés dans la Loi sur la radiodiffusion, c’est-à-dire assurer la promotion et la découvrabilité des œuvres canadiennes. Cela se fait par différents types d’approche réglementaire. Il ne s’agit pas de dire que le CRTC devrait lui-même se mettre à programmer les algorithmes; je ne crois pas que ce soit la bonne approche. Par contre, les algorithmes sont des objets complexes qui doivent être examinés comme n’importe quel dispositif servant à acheminer de la programmation aux Canadiens.
On aurait tort de s’imaginer que les outils que sont les algorithmes sont des outils neutres. Ce sont des outils qui sont actuellement proclamés pour correspondre aux objectifs commerciaux des entreprises, et c’est très bien ainsi. Cependant, il est tout à fait légitime que la loi exige que ces algorithmes tiennent également compte des objectifs prévus par la loi, notamment pour assurer la disponibilité de la programmation canadienne sur les plateformes qui souvent, par défaut, présentent toutes sortes de choses et ont tendance à sous-valoriser les productions, notamment celles émanant des cultures minoritaires.
La sénatrice Miville-Dechêne : Les représentants des plateformes qui sont venus témoigner à notre comité nous ont dit d’être prudents, car mettre du contenu minoritaire, qu’il soit francophone ou autochtone, dans notre recette des algorithmes, défavoriserait ces contenus qui n’ont pas été choisis par l’auditeur.
On nous dit donc que si on touche aux algorithmes et qu’on change la recette, cela va plutôt défavoriser les contenus minoritaires, car si l’auditeur ne clique pas sur ces contenus, ils vont descendre dans la liste de recommandations. Je dirais que c’est l’argument le plus important. Que répondez-vous à cela?
M. Trudel : Dire cela revient à dire que les algorithmes sont par définition neutres et non biaisés. Or, ils sont carrément biaisés finalement. Ils postulent que les choix que font les consommateurs faisant partie des majorités sont plus importants que les autres.
Le président : Monsieur Trudel, malheureusement, le temps de la sénatrice Miville-Dechêne est écoulé.
[Traduction]
La sénatrice Dasko : Je suis très tentée par ce sujet des algorithmes, mais je vais résister pour l’instant. J’y reviendrai peut-être.
Mes questions s’adressent à Me Auer. Vous avez parlé de désinformation. C’est un sujet dont nous n’avons pas beaucoup entendu parler concernant le projet de loi C-11. Pourriez-vous préciser ce à quoi vous faisiez référence en ce qui concerne le contenu du projet de loi et ce que vous recherchez?
J’ai une autre question à vous poser au sujet de ce que vous disiez sur les pertes d’emploi. D’après ce que je comprends, le CRTC n’est pas responsable d’exiger que les entreprises emploient un nombre X de personnes parce qu’elles agissent dans un marché concurrentiel, même si le marché des radiodiffuseurs canadiens est très fortement réglementé. Bien sûr, vous ne dites pas qu’elles devraient être tenues d’embaucher et de garder un nombre X de personnes. Elles doivent fonctionner dans un environnement où elles ne peuvent pas garder tous les gens qu’elles ont pu garder dans le passé. Pourriez-vous nous parler de ces deux choses?
Me Auer : La désinformation a été une surprise pour moi, parce que cela ne figurait pas dans le projet de loi présenté à la Chambre. Le projet de loi C-11. Bien sûr, cela n’était pas du tout dans le projet de loi C-10. Ce n’était pas dans le projet de loi C-11-1 ni dans son sommaire. Ce n’était pas dans le projet de loi C-11-2. Cela vient d’apparaître au dernier jour des audiences, et soudainement, nous avons un tout nouveau rôle majeur pour les radiodiffuseurs communautaires. La loi fait référence, par exemple, à un élément communautaire. Cet élément a été l’un de trois éléments depuis 1991 : le communautaire, le public et le privé. Cependant, il n’y a eu aucune discussion au cours des témoignages ou des séances d’information concernant le nouveau rôle que les radiodiffuseurs communautaires joueraient. Un seul de ces rôles consiste à soutenir d’une manière ou d’une autre ce que nous voulons faire en matière de désinformation. En inscrivant la désinformation dans l’article 3, vous demandez maintenant au CRTC de prendre des décisions sur ce qui est et n’est pas de la désinformation et sur le rôle approprié des radiodiffuseurs communautaires.
Il y a une bonne raison pour laquelle les radiodiffuseurs communautaires sont là, et elle est historique. En 1968, nous avons dû intégrer la télévision par câble dans la Loi sur la radiodiffusion, et nous avons dû en faire des entreprises de programmation. C’est pourquoi nous avons des chaînes communautaires.
Maintenant, nous voulons donner au CRTC un rôle énorme, nouveau et vaste, en ce qui concerne non seulement la désinformation, mais aussi les nouvelles locales.
Vous avez parlé également des possibilités d’emploi. Cela se trouve à l’alinéa 3(1)d) de la loi de 1991. On le trouve aussi ailleurs dans la loi, si l’on s’attache aux ressources utilisées pour créer et diffuser des programmes canadiens. Il est vrai que le CRTC n’est pas responsable des possibilités d’emploi et de s’assurer qu’elles sont égales ou équitables. Nous disposons de tribunaux des droits de la personne et de commissions de l’emploi pour cela. Mais la loi et le législateur ont parlé de la notion de s’assurer que les Canadiens ont des possibilités d’emploi dans leur système de radiodiffusion, et ils ont perdu 20 % de ces possibilités dans le secteur de la programmation. Peut-être qu’ils sont dans le monde en ligne. Nous n’en savons rien. C’est donc cela qui nous préoccupe. Ce n’est pas qu’ils devraient dire : « Vous devez embaucher 15 personnes », mais de là à ne pas demander du tout?
La sénatrice Dasko : Je vois, d’accord.
Me reste-t-il du temps?
Le président : Oui.
La sénatrice Dasko : J’ai une question pour Mme Berkowitz. De toute évidence, notre système canadien de radiodiffusion est réglementé en ce qui concerne le contenu canadien. Pensez-vous que nous devrions abandonner tous les règlements que nous avons concernant le contenu canadien dans notre système canadien de radiodiffusion?
Mme Berkowitz : Merci beaucoup, madame la sénatrice, de cette question vraiment excellente. Ce que je veux dire, c’est qu’il s’agit d’une question super compliquée et que la suppression de la CGU ne permettra que d’examiner cette question en profondeur. Mon livre s’ouvre sur la question suivante : « Quels sont les trois mots les plus importants dans les médias? » La réponse est « public, public, public ». Nous n’avons pas intégré cela dans la notion de contenu canadien, et nous pouvons le faire. Nous devons intégrer un système d’accès aux producteurs qui soit indépendant de la plateforme.
Donc, non, je ne pense pas que nous devrions abandonner les règlements liés au contenu canadien. De nombreux pays dans le monde les ont fait évoluer pour en faire des incitatifs plus en prise sur le secteur. En fait, de nombreux pays en ont.
Le président : Le temps est écoulé, et je dois passer à la sénatrice Simons. Je vous remercie.
La sénatrice Simons : Shana Tovah à tous ceux qui célèbrent.
Ma question s’adresse à Me Auer. J’aimerais revenir au point sur la désinformation, mais je veux vraiment en venir à votre déclaration très audacieuse sur les articles 4.1 et 4.2 proposés. De nombreuses personnes nous ont signalé qu’il s’agissait d’un sujet de préoccupation et ont proposé divers amendements visant à modifier et à transformer ces articles. Vous avez suggéré quelque chose d’assez audacieux, qui consiste à les éliminer complètement. Je suis captivée par la clarté de cette notion.
Le gouvernement nous a dit qu’il avait besoin de ces articles pour inclure les diffuseurs très commerciaux, comme Warner Bros., Sony et les grandes maisons de disques, qui utilisent YouTube comme concurrent de Spotify. Ils disent que s’ils ne peuvent pas inclure ce type de contenu très commercial et extrêmement rentable sur YouTube, cela place Spotify dans une situation de désavantage concurrentiel et ne permet pas à YouTube d’être en quelque sorte forcé de contribuer au système.
Bien que je sois enchantée en ce moment par l’idée de se débarrasser des articles 4.1 et 4.2 proposés, je me demande ce que vous répondriez à la préoccupation du gouvernement qui craint que cela n’élimine des parties importantes de YouTube qui sont extrêmement lucratives et qui font de YouTube une plateforme différente des autres médias sociaux.
Me Auer : Je suppose que la question, c’est que lorsque la personne moyenne lit les articles 4.1 et 4.2, elle les lit d’une manière particulière et elle ne peut pas comprendre l’intention du gouvernement. À un certain moment, les tribunaux devront s’en occuper. Les tribunaux seront-ils en mesure de comprendre l’intention des articles 4.1 et 4.2 proposés, compte tenu de la contradiction inhérente entre les articles 4.1 et 4.2 et le paragraphe 9(4)?
La sénatrice Simons : Et l’article 2.1.
Me Auer : Exact. J’avais entendu au départ quelqu’un au Sénat dire qu’ils cherchent des solutions pratiques. Vous pouvez bricoler chaque mot du projet de loi C-11, et il ne sera jamais parfait. Il ne devrait pas l’être non plus, car l’humanité ne peut pas être parfaite. Cependant, les articles 4.1 et 4.2 proposés donnent un incroyable pouvoir au conseil sur les programmes individuels. Je veux être claire : je suis consciente du fait que cela réglemente non pas les utilisateurs, mais leurs programmes. La question est la suivante : pourquoi réglementer les programmes des utilisateurs? Si vous voulez vous attaquer aux grands services de médias sociaux, incluez-les expressément dans le projet de loi C-11 et réglementez leurs activités. Je ne comprends pas pourquoi nous traiterions un utilisateur comme faisant en quelque sorte partie du système de radiodiffusion alors que nous n’avons jamais traité les producteurs indépendants comme faisant partie du système de la Loi sur la radiodiffusion de 1991.
La sénatrice Simons : Je vais me faire l’avocat du diable : ce que le gouvernement dirait, c’est qu’il doit inclure les 50 % de YouTube qui fonctionnent comme un diffuseur en ligne. Une partie est constituée de contenu généré par l’utilisateur, mais il y a une tout autre partie, selon le gouvernement, qui s’apparente directement à Spotify, en ce sens qu’elle est utilisée comme une chaîne musicale.
Ce n’est pas mon argument, c’est le sien. Je me demande quel serait le contrepoids à cela.
Y a-t-il un moyen d’éliminer les articles 4.1 et 4.2 — ce qui est de plus en plus tentant chaque fois que je prononce ces mots — tout en nous permettant de comprendre qu’une partie de ce que fait YouTube ressemble beaucoup plus à ce que fait Spotify qu’à une simple plateforme de distribution pour les utilisateurs de médias sociaux?
Me Auer : Je pense que vous avez mis le doigt dessus. Vous avez fait référence maintenant trois fois à YouTube. Réglementez YouTube, mais n’utilisez pas les articles 4.1 et 4.2 pour prétendre réglementer les programmes téléchargés sur YouTube.
Je m’empresse d’ajouter que, s’il y a des problèmes d’infractions au droit d’auteur, reportez-vous à la Loi sur le droit d’auteur; s’il y a des menaces de mort ou d’autres problèmes graves, il faut s’en remettre au Code criminel. Mais la Loi sur la radiodiffusion devrait s’appliquer aux médias largement disponibles — et je ne veux pas utiliser le mot, mais je n’ai rien en tête — aux fournisseurs. Ceux qui fournissent le contenu devraient, et j’hésite à dire « en être responsables », car cela introduit de nouvelles difficultés juridiques. Un utilisateur unique ne devrait pas avoir à craindre d’avoir à s’inscrire auprès du CRTC. C’est ce que je veux dire.
Les articles 4.1 et 4.2 sont rédigés de manière si peu claire que personne ne les comprend. Si vous introduisez un libellé peu clair dans une loi, je vous garantis que vous donnerez à de nombreux avocats une vie très prospère, et pas seulement quelques emplois, mais cela durera éternellement. Je suis avocate, et je pense que les avocats ont besoin de beaucoup d’emplois, c’est vrai.
La sénatrice Sorensen : Je vais continuer de m’adresser à Me Auer et je vais revenir au sujet du CRTC.
Vous avez exprimé de sérieuses préoccupations au sujet des pouvoirs conférés au CRTC, mais elles concernent peut-être davantage le comportement ou la performance du CRTC.
Croyez-vous que le CRTC n’est pas l’organisme approprié pour réglementer le projet de loi C-11 ou pensez-vous que son pouvoir devrait être plus limité? N’hésitez pas à préciser ce qu’il doit faire différemment s’il veut être chargé de la réglementation du projet de loi C-11. Si ce n’est pas lui, alors qui? Lorsque nous entendons des critiques du CRTC liées à ce projet de loi, je me demande qui d’autre devrait être responsable de la réglementation.
Me Auer : Je pense que le Canada a besoin d’une autorité de réglementation indépendante, sans lien de dépendance. Heureusement, vous avez le CRTC, qui compte entre 400 et 500 personnes. Je pense que ce serait une mauvaise utilisation des fonds publics que de le réinventer, mais il devrait être tenu de rendre compte clairement de ce qu’il fait réellement.
J’ai étudié chacun des rapports de surveillance publiés depuis 1997. Savez-vous qu’il a cessé de rendre compte de la quantité de contenu canadien diffusé par type de programme, à la radio et à la télévision, en 2005? Depuis ce temps-là, il fournit un bulletin financier sur les radiodiffuseurs. Je crois que l’un des sénateurs a mentionné plus tôt qu’il s’était occupé de la question des registres de programmation. Pourquoi ne communique-t-il jamais ces données? Si le paragraphe 3(1) concerne la programmation, pourquoi ne savons-nous pas ce qui est diffusé ou combien de nouvelles originales il y a? Je pense que c’est un problème sérieux.
En ce qui concerne le fait de savoir s’il devrait y avoir quelqu’un d’autre, je pense que ce serait une utilisation inefficace des fonds publics. Je pense que vous pouvez corriger cela grâce à cette loi en exigeant la transparence et la responsabilisation, et cetera.
Le sénateur Klyne : Bienvenue à nos invités. Ma question s’adresse à Mme Berkowitz. J’espère pouvoir poser quelques questions, alors je cherche des réponses lapidaires et pertinentes.
Dans votre témoignage devant le Comité permanent du patrimoine canadien de la Chambre des communes, vous avez déclaré : « ... je crains fort que le projet de loi C-11 ne freine l’innovation dans les médias canadiens. » Vous avez aussi mentionné que : « ... le projet de loi C-11 ne soutient pas les récits canadiens. Il soutient les anciennes méthodes qui définissent et diffusent nos histoires. »
Certains des critiques du projet de loi laissent entendre qu’il est utilisé pour tenter de protéger ou de soutenir les entreprises médiatiques traditionnelles comme les chaînes de télévision par câble ou les stations de radio. Vous approuveriez apparemment cette évaluation, du moins en partie.
Il me semble raisonnable que le gouvernement doive mettre à jour la Loi sur la radiodiffusion après 31 ans s’il souhaite que les plateformes en ligne et les services de diffusion en continu relèvent de la Loi sur la radiodiffusion, mais que pourrait-il faire différemment pour atténuer les préoccupations que nous avons entendues de la part des responsables des plateformes numériques et des créateurs de contenu?
Mme Berkowitz : Merci beaucoup. C’est une excellente question. Je pense que la réponse peut être concise. Je suis d’accord avec ma collègue, Me Auer. Ce que l’on peut faire, c’est de supprimer proprement les créateurs de CGU dans le projet de loi. Si c’est acceptable en principe, un certain nombre de parties du projet de loi — les articles 2, 3, 4, 9 et 10 — pourraient être clarifiées en ce sens.
En vérité, il s’agit d’une sorte de cadeau complémentaire, additif et non concurrentiel de l’Internet. Cela témoigne de la différence entre la radiodiffusion et l’Internet. Les données montrent que, en fait, ce secteur est déjà aussi — et dans certains cas, plus — diversifié que les chiffres communiqués par Statistique Canada, sans intervention ni fonds publics. Je pense que c’est une distraction inutile que d’essayer de réparer quelque chose qui n’est pas brisé.
Le sénateur Klyne : Juste un petit suivi sur les deux citations. Lorsque vous dites : « je crains fort que le projet de loi C-11 ne freine l’innovation dans les médias canadiens », qu’est-ce qui vous a amenée à faire cette déclaration?
Mme Berkowitz : Merci. Encore une fois, ces clarifications sont vraiment importantes, et je conviens que le projet de loi a besoin de plus de clarté. En raison de la confusion entourant l’inclusion des créateurs de CGU et de la logique tordue abondamment mentionnée de l’article 4.2 proposé, je pense que les créateurs de CGU, surtout dans l’étude dans laquelle nous avons approfondi YouTube — ils ne font pas de paperasse. Si l’on évoque même un système d’enregistrement compliqué, ils opteront simplement pour une option plus facile : se rendre à Buffalo ou utiliser un VPN. Nous perdrons l’apport florissant de ce secteur créatif extrêmement dynamique et exubérant qui produit des contenus bien plus proches des jeux vidéos ou des livres. Il ne s’apparente pas à la radiodiffusion. Et je ne sais pas si tout le monde a bien compris cela, mais je ne veux pas abuser de mon temps de parole, mais je pense que ce sera...
Le sénateur Klyne : D’accord, et je ne veux pas que vous monopolisiez mon temps non plus. Merci.
J’aimerais vous poser une question au sujet de votre autre déclaration : « Le projet de loi C-11 ne soutient pas les récits canadiens. Il soutient les anciennes façons de définir et de diffuser nos histoires. » Comment cela se fait-il maintenant, et sur quelles plateformes ou quels services de diffusion en continu? Et en quoi le projet de loi n’appuie-t-il pas les récits?
Mme Berkowitz : Je pense que le projet de loi soutient les récits qui sont racontés à l’ancienne pour ce qui est de la réglementation du contenu canadien applicable à la radiodiffusion linéaire, mais il y a beaucoup d’autres histoires canadiennes qui sont maintenant racontées, comme vous l’avez entendu de Netflix et de Disney, et il y a des centaines de milliers d’histoires qui sont racontées dans le secteur du CGU.
Nous sommes en train de définir les récits canadiens de façon trop étroite, et c’est quelque chose qui nécessite vraiment beaucoup de réflexion et de remaniement. Évidemment, il faut redéfinir l’accès et les contributions. Mais cela doit être fait. C’est un travail gigantesque, et j’aimerais que le projet de loi permette au CRTC de le faire.
La sénatrice Clement : Merci aux témoins. J’ai bien aimé la conversation entre la sénatrice Miville-Dechêne et M. Trudel, alors j’aimerais poser cette question à Mme Berkowitz et à Me Auer.
Nous savons tous que les personnes noires, racialisées et marginalisées peinent à se voir représentées en tout lieu et dans toutes les salles. De façon générale, elles ont soutenu ce projet de loi, et je me demande ce que nous pourrions leur dire. Je vous ai entendue dire, madame Berkowitz, que tout est question de public; mais les publics, je dirais, se retrouvent dans des silos confortables où ils écoutent exactement ce qu’ils veulent entendre de la part de personnes qui leur ressemblent et qui parlent exactement la même langue qu’eux.
Que diriez-vous à ces intervenants?
Mme Berkowitz : Moi en premier?
La sénatrice Clement : Oui, je vous prie.
Mme Berkowitz : Merci beaucoup. C’est une question vraiment importante. Nous avons été fascinés de constater de façon remarquable, dans le cadre de notre recherche sur YouTube, que sans quotas, YouTube finit par être plus, ou du moins tout aussi diversifié — et très aimé comme tel par les consommateurs — comme le reflètent les chiffres de Statistique Canada.
Il faut s’y prendre de haut en bas et de bas en haut. J’examinais hier le rapport annuel du Fonds des médias du Canada, en fait. Ils ont un ensemble de programmes formidables pour financer les programmes de beaucoup de groupes en quête d’équité qui sont incroyablement importants. Je pense qu’en plus du libellé sur la diversité dans le projet de loi C-11, c’est une caractéristique formidable de notre pays que nous soyons diversifiés et que nous en soyons fiers. Je pense que nous sommes un chef de file mondial dans ce domaine.
Je ne pense pas qu’il y ait une quelconque preuve que le CGU doit obtenir l’aval du gouvernement pour que les publics du contenu de CGU adoptent ce contenu, car les données montrent qu’ils le font.
Vous pouvez examiner le nombre de créateurs. Nous n’avons pas le temps d’entrer dans les détails, mais il y a des créateurs comme Lilly Singh, VanossGaming, NotoriousCree et des milliers d’autres.
Je pense que les publics sont authentiquement attirés par les bonnes histoires bien racontées et le contenu authentique. Mais nous devons rester vigilants et nous assurer qu’il existe des ressources pour tous les groupes en quête d’équité. Je pense que c’est une facette très précieuse de notre pays, c’est-à-dire le leadership mondial, et nous ne voulons pas mettre tout cela en péril.
Me Auer : En 1984 et en 1989, le CRTC a effectué des analyses de contenu des émissions de radio et de télévision dans tout le Canada pour connaître le pourcentage de femmes à l’antenne et a constaté qu’il y en avait très peu. Il a adopté des directives d’autoréglementation, et, tout à coup, il y a eu plus de femmes à l’antenne et dans la programmation.
Si nous voulons nous assurer que le Canada est vraiment reflété correctement, il appartient à l’autorité réglementaire canadienne de savoir combien et quels types de personnes sont reflétées dans la radiodiffusion, et s’il y a des préoccupations, elle doit y répondre. Ces préoccupations peuvent être abordées. Je ne crois pas que le CRTC suive même à l’heure actuelle, par exemple, l’emploi. Et même s’il recueille des données sur le nombre de personnes dans la programmation, la technique, l’administration et d’autres choses, il ne fait pas de distinction entre les groupes clés qui, selon nous, devraient être pris en considération aujourd’hui. Pourquoi? Pourquoi ne le fait-il pas? Il pourrait le faire.
La sénatrice Clement : Merci.
Le président : Il ne nous reste que quelques minutes pour le deuxième tour, mais j’ai une question très succincte et peut-être que je peux obtenir une réponse succincte.
Il me semble qu’il y a deux camps dans ce débat. Il y a ceux qui disent que le projet de loi C-11 protège et favorise les arts et la culture canadiens, et il y a ceux qui disent que le projet de loi C-11 protège et favorise les radiodiffuseurs traditionnels. À votre avis, lequel des deux fait-il?
Me Auer : Puis-je répondre en premier?
Le président : Bien sûr.
Me Auer : C’est une question à deux volets. En vertu de l’article 3, je pense que le Conseil doit répondre à des exigences qui tiennent compte de l’aspect culturel, mais il ne faut pas oublier non plus l’aspect politique des critères touchant les nouvelles et, en vertu de la Loi électorale du Canada, la disponibilité de l’information sur les nouvelles.
Il y a l’existence des radiodiffuseurs en tant que tels. Le CRTC a fait le choix conscient en 1997 — depuis 1993 en fait — d’encourager la propriété hautement concentrée de médias parce qu’une plus grande entreprise ferait plus et mieux, mais ce n’a pas été le cas. C’est la faute du CRTC. Ce n’est pas un problème lié à la loi. Le projet de loi peut donc faire les deux. Je pense que l’objectif devrait non pas être de protéger un seul radiodiffuseur, même si nous devons nous assurer que les radiodiffuseurs peuvent jouer dans le même bac à sable. C’est pourquoi nous pensons toujours à David et Goliath. C’est la valeur que nous promouvons. Vous devez tuer les grands oligopoles. Nous n’avons jamais d’histoires selon lesquelles la façon de travailler avec le grand oligopole consiste à avoir un commerce équitable, des mesures justes et des discussions équitables.
[Français]
M. Trudel : Je dirais qu’il faut faire une distinction. Je pense que tout le monde convient que le CRTC est dysfonctionnel depuis une décennie et ne joue pas adéquatement son rôle. Cela dit, ma compréhension d’un projet de loi comme C-11 est justement de changer le cadre législatif de manière à ce que le CRTC soit équipé pour assurer la transformation du système de radiodiffusion d’un environnement traditionnel à un environnement de plus en plus fondé sur les plateformes en ligne. Voilà le véritable rôle d’un projet de loi comme C-11.
Je veux en profiter pour parler de 4.1 et 4.2. On n’avait pas besoin d’introduire ces dispositions dans le projet de loi. Il y a déjà une disposition dans la loi actuelle sur la radiodiffusion qui permet au CRTC d’exclure de la réglementation ce qui n’a pas d’incidence sur la politique canadienne de radiodiffusion. Je ne comprends pas pourquoi on a introduit ces articles 4.1 et 4.2 dont on a dit, à juste titre, qu’ils apportent beaucoup de confusion.
[Traduction]
Le président : Madame Berkowitz, vous avez les 30 dernières secondes du groupe de témoins.
Mme Berkowitz : Le projet de loi a du mal à embrasser l’ère en ligne. L’Internet a réglé notre problème des petits publics, et nous devons découvrir ce que sont les nouveaux problèmes. Dans l’ensemble, le projet de loi tente de repousser l’Internet dans la radiodiffusion plutôt que de repartir à zéro et de se demander : « Qu’est-ce que cette perturbation qui ne se produit qu’une fois tous les 600 ans nous apporte, et où sont les nouveaux problèmes? »
Le président : Merci à tous les membres du groupe de témoins d’être venus et de nous avoir fait part de leurs points de vue ce matin.
Pour notre deuxième groupe de témoins, nous avons le plaisir d’accueillir M. Justin Tomchuk, cinéaste indépendant; J.J. McCullough, youtubeur et chroniqueur; et Wyatt Sharpe, animateur du Wyatt Sharpe Show. Merci de vous joindre à nous ce matin. Chaque intervenant aura une brève période de cinq minutes pour se présenter et prononcer sa déclaration. Nous passerons ensuite à la période de questions et de réponses avec mes collègues du Sénat. Monsieur Tomchuk, la parole est à vous pour commencer.
Justin Tomchuk, cinéaste indépendant, à titre personnel : Sur YouTube, on me connaît comme l’« umami ». Je suis cinéaste, musicien et animateur à Montréal. J’ai produit et autodistribué un long métrage d’animation. La semaine dernière, ma nouvelle série animée « Safe Mode » a remporté une mention honorable au Festival international d’animation d’Ottawa. Mes efforts ont été financés de manière indépendante grâce à des supporters et des fans en ligne, dont 97 % vivent à l’extérieur du Canada. L’alinéa 4.2(2)a) proposé par le projet de loi C-11 indique clairement que mon entreprise sera visée par les directives du CRTC, puisque je tire un revenu direct et indirect de mes efforts artistiques.
L’un des objectifs du projet de loi C-11 est de donner la priorité au contenu canadien pour les Canadiens par l’entremise de mesures de découvrabilité. Il semble y avoir un malentendu dans les audiences que vous tenez, à savoir que la discussion sur les algorithmes n’est pas une préoccupation et qu’elle prend trop de temps. Le président du CRTC, Ian Scott, a décrit les choses très clairement : « Je ne veux pas manipuler votre algorithme. Je veux que vous le manipuliez pour produire un résultat particulier. » Le CRTC ne fournira pas de code pour obtenir les résultats souhaités; il ne se soucie que du résultat final.
En tant que personne ayant construit une entreprise grâce à ces plateformes, je peux dire en toute confiance que ces plateformes sont des algorithmes. Vous ne pouvez pas, de manière réaliste, exiger des résultats en matière de découvrabilité sans forcer les plateformes à modifier leurs algorithmes. Pour aller plus loin, toute forme de promotion non axée sur les algorithmes continue à déplacer le contenu et à occuper l’espace de l’écran. Quel que soit le nom que vous lui donnez, les résultats donneront la priorité au contenu canadien et en déplaceront d’autres, point final.
Cela aura des conséquences énormes non seulement pour mon entreprise artistique, mais aussi pour tous les producteurs de biens manufacturés, les promoteurs, les commerçants ou les exportateurs canadiens qui utilisent les plateformes de médias sociaux pour rejoindre un public international. Si le projet de loi est adopté, les médias sociaux et les plateformes de diffusion en continu déclasseront le contenu canadien au profit d’un public international. Le contenu canadien aurait un désavantage injuste à l’échelle mondiale, et les plateformes seront donc forcées de réduire à zéro leurs performances en dehors de nos frontières. Le contenu canadien aura de mauvaises performances sur les plateformes, parce que l’auditoire n’y trouvera pas son intérêt. Vous pouvez forcer quelqu’un à présenter une vidéo, mais vous ne pouvez pas forcer les gens à la regarder. Les Canadiens cliqueront ailleurs et apprendront à éviter activement le contenu canadien. Cela expose le Canada à une responsabilité en violant potentiellement l’accord États-Unis-Mexique-Canada, et nous pouvons nous attendre à des mesures de représailles de la part des États-Unis et de l’Union européenne. Cela crée également un précédent pour d’autres pays, qui pourraient imposer des lois similaires, aggravant ainsi le problème et créant des bulles de contenu nationalistes plutôt qu’un libre-échange de culture.
Disons que vous possédez une entreprise au Canada et exportez des biens manufacturés. Le projet de loi C-11 va réduire la priorité de vos publications sur les médias sociaux visant des acheteurs étrangers potentiellement lucratifs. Si vous travaillez dans le tourisme, vos séries Web sur les destinations maritimes incontournables seront présentées non pas aux touristes, mais aux gens qui y vivent déjà. Si vous êtes un musicien au Canada, le projet de loi C-11 fera en sorte que vous ne recevrez pas la visibilité mondiale nécessaire pour justifier une tournée internationale.
Pablo Rodriguez a déclaré que le projet de loi sur la diffusion en continu en ligne rapportera 1 milliard de dollars au secteur, mais en 2021, l’écosystème créatif de YouTube a contribué à lui seul à hauteur de 1,1 milliard de dollars au PIB du Canada et a créé plus de 34 000 emplois. Nous faisons déjà en sorte que ces plateformes fonctionnent pour nous, et ce ne sont pas les médias traditionnels. Si le projet de loi C-11 nuit à la découvrabilité des créateurs canadiens à l’échelle mondiale, je peux imaginer un scénario où certaines...
Le président : Monsieur Tomchuk, pouvez-vous un peu ralentir votre exposé? Les interprètes ont du mal à vous suivre.
M. Tomchuk : Désolé, j’essaie de respecter la limite des cinq minutes. J’ai beaucoup de choses à dire.
Si le projet de loi C-11 nuit à la découvrabilité des créateurs canadiens à l’échelle mondiale, je peux imaginer un scénario où certaines entreprises ayant peu de liens physiques quitteront le pays purement et simplement afin de pouvoir continuer de travailler sans être gênées par ces obligations agressives.
Un autre problème flagrant du projet de loi C-11, c’est qu’il n’y a pas de seuil de revenu pour les entreprises en ligne. À l’exception des entreprises énoncées dans le paragraphe 2(3) proposé, tous les sites Web qui diffusent des vidéos aux Canadiens pourraient être soumis aux exigences du CRTC, y compris moi-même si je décidais un jour d’héberger et de promouvoir mes propres vidéos et ma musique, puisque cela devient chaque jour de moins en moins cher. Le fait de ne pas le faire entraînerait des amendes scandaleuses. C’est profondément anticoncurrentiel et anticonsommateur et cela étoufferait toute forme d’innovation canadienne dans le domaine de la diffusion en continu, ce qui justifie une tout autre discussion.
Toutes les obligations en matière de découvrabilité doivent être retirées du projet de loi C-11. Les Canadiens ont déjà le choix de regarder les émissions présentant du contenu canadien. Il n’y a pas de limites de programmation, comme c’est le cas avec la radio ou la télévision. En fin de compte, le projet de loi C-11 ne fera rien pour populariser le contenu canadien. Il ne fera que soutenir les sociétés médiatiques traditionnelles multimilliardaires qui reçoivent déjà la part du lion des subventions et des aides et qui ne sont pas injustement ciblées par les plateformes de diffusion en continu. Elles n’ont tout simplement pas réussi à démontrer leur compréhension des désirs de leur public. Le projet de loi C-11 ne réglera pas ce problème. Je vous remercie.
J.J. McCullough, youtubeur et chroniqueur, à titre personnel : Bonjour chers amis du Sénat. Je m’appelle J.J. McCullough et je suis un youtubeur professionnel. Je dirige une chaîne qui compte environ 840 000 abonnés, ce qui peut sembler beaucoup, mais comme je l’ai dit au comité de la Chambre lorsque j’ai témoigné il y a quelques mois, j’ai à peine réussi à décrocher une place dans les 400 meilleurs youtubeurs au Canada.
Si je suis ici aujourd’hui, c’est parce que, au cours des derniers mois, j’ai eu l’honneur de participer à la lutte contre le projet de loi C-11 au nom d’une communauté importante et florissante de youtubeurs canadiens. Peu après mon intervention à la Chambre, la vidéo de mon témoignage est devenue virale et a été visionnée plus d’un demi-million de fois, ce qui, je pense que nous pouvons tous en convenir, n’est pas un mince exploit pour une audience d’un comité parlementaire canadien et témoigne de la profondeur de l’intérêt pour cette question. Grâce à cette vidéo et à plusieurs autres que j’ai réalisées au sujet du projet de loi C-11, je suis souvent arrêté dans la rue par des inconnus qui s’inquiètent de cette loi. Lorsque je marche sur le trottoir, il arrive même que des gens arrêtent dans leur voiture à côté de moi et me crient : « N’êtes-vous pas le gars du projet de loi C-11? Est-ce que c’est aussi mauvais qu’on le dit? » Et à l’avenir, ma réponse dépendra beaucoup de ce que le comité choisira de faire.
Je veux mettre une chose au clair : les créateurs de contenu et les consommateurs ne considèrent pas simplement que le projet de loi C-11 est mal écrit — bien qu’il le soit, et je pense que M. Tomchuk a clairement expliqué pourquoi — de nombreuses personnes pensent que le projet de loi est foncièrement mal motivé. Parmi les dizaines de créateurs et de spectateurs de vidéos en ligne que j’ai entendus, tous ont été très clairs : ils n’ont aucune envie de vivre sous la botte d’un gouvernement qui a le pouvoir de forcer des plateformes comme YouTube à prôner, à promouvoir, à suggérer ou autrement à encourager certains types de contenus canadiens auprès de Canadiens qui n’ont pas choisi librement de le voir. Les arguments selon lesquels une telle mesure améliorerait d’une manière ou d’une autre le patriotisme, le nationalisme ou la souveraineté culturelle du Canada, pour reprendre les mots du ministre, ne sont pas convaincants. La liberté des créateurs de vidéos canadiens de faire ce qu’ils veulent et de réussir ou d’échouer uniquement en fonction de la mesure dans laquelle leur contenu est aimé par un public, national ou étranger, est considérée comme un statu quo qui fonctionne bien et que peu de Canadiens veulent renverser. Dans son état actuel non réglementé, YouTube a produit d’extraordinaires réussites canadiennes et a offert aux téléspectateurs canadiens d’innombrables heures de contenu enrichissant. Penser qu’il s’agit d’un problème à régler relève de l’inconscience politique.
Cela dit, je sais comment le gouvernement canadien fonctionne et je suis sensible au rôle constitutionnel unique du Sénat. Je sais que, à ce stade du processus législatif, les gens comme moi doivent espérer un compromis plutôt qu’une victoire parfaite. Il est également important de reconnaître que les partisans du projet de loi au sein de l’industrie canadienne des médias sont animés d’un désir sincère d’équité. Les youtubeurs canadiens et les membres de leur public auxquels j’ai parlé sont certainement très favorables à l’idée que les grandes entreprises technologiques devraient payer les mêmes impôts et taxes que toute autre entreprise médiatique faisant des affaires dans ce pays. YouTube a laissé entendre à son tour que si des coûts plus élevés lui sont imposés, ceux-ci pourraient être refilés aux créateurs canadiens et aux utilisateurs sous la forme de plus de publicités, de frais plus élevés ou même d’une baisse des revenus pour les créateurs comme nous, mais je pense que c’est un prix que de nombreux Canadiens seraient littéralement prêts à payer. Si on leur donnait le choix, je pense que la plupart des créateurs et leurs publics feraient un modeste sacrifice financier si cela signifiait que le gouvernement ne chercherait plus à influencer les types de vidéos qu’ils croient que les Canadiens devraient regarder ou réaliser.
Un autre compromis raisonnable qui respecterait les désirs d’équité consisterait simplement à réduire les obligations existantes en matière de diffusion de contenu canadien sur les anciens médias plutôt que de répartir le fardeau sur les nouveaux médias. Après tout, les radiodiffuseurs traditionnels n’ont pas tort de croire que les diffuseurs Internet ont reçu un traitement spécial dans le passé. Durant les années 1990, le gouvernement Chrétien a pris la décision éclairée de ne pas accorder explicitement au CRTC le pouvoir sur le contenu en ligne, croyant qu’un Internet non réglementé serait le meilleur moyen de laisser les créateurs canadiens prospérer. Cette prédiction s’est plus que réalisée, comme en témoigne le nombre énorme de Canadiens comme moi et mes amis qui gagnent maintenant leur vie en produisant du contenu généré par l’utilisateur pour des publics en ligne du monde entier.
J’espère que le Sénat fait tout en son pouvoir pour s’assurer que cette recette de succès éprouvée est préservée, et si elle est enviée, pourquoi ne pas accorder à tous les médias les mêmes privilèges? Après tout, c’est la liberté de choix et d’expression qui a toujours été le principal moteur de la culture canadienne, et non pas la main lourde du gouvernement qui dicte ce que les Canadiens devraient créer ou visionner. C’est la tradition de certains pays, mais pas du nôtre. Au Canada, la liberté ne devrait jamais être considérée comme un obstacle au patriotisme. Je vous remercie.
Wyatt Sharpe, animateur, The Wyatt Sharpe Show : Bonjour, mesdames et messieurs les sénateurs. Je suis reconnaissant d’avoir l’occasion de me joindre à vous aujourd’hui. Je m’appelle Wyatt Sharpe et je suis animateur de ma propre émission sur YouTube appelée « The Wyatt Sharpe Show ». Je suis probablement beaucoup plus jeune que votre témoin moyen qui comparaît devant votre comité. Je suis un journaliste de 13 ans et j’ai publié des articles notables dans le Toronto Star sur le site Web de Loonie Politics et dans d’autres publications également. On peut me voir sur certaines chaînes de nouvelles, y compris « Your Morning » sur CTV, Global News, CP24 et bien d’autres. J’utilise beaucoup de plateformes de médias sociaux différentes pour partager mes entrevues et ma couverture de certains des plus récents événements politiques avec les Canadiens et le monde. On peut également m’entendre à la radio SiriusXM « Canada Talks », à NEWSTALK 1010 et à la radio de la CBC.
Pour commencer, je veux me faire l’écho d’un bon ami à moi, que j’ai appris à connaître, et d’un bon ami de l’industrie canadienne du journalisme en général, Steve Paikin. Lorsqu’il a comparu devant le Comité de la sécurité publique et nationale de la Chambre des communes le 6 décembre 2010, il a rappelé l’importance pour le journalisme de rester neutre. Je veux m’en faire l’écho et j’espère que vous en tiendrez compte dans les questions que vous me poserez aujourd’hui. C’est mon objectif final, et je suis ici en tant qu’animateur de mon émission.
J’aimerais fournir des précisions sur ce que mon émission fait en particulier. J’ai interviewé de nombreuses personnes, y compris le premier ministre, le chef du NPD, l’ex-première ministre de la Finlande, les premiers ministres provinciaux et ministres canadiens et d’ex-représentants de la Maison-Blanche. L’animateur de talk-show américain David Pakman est une personne intéressante à qui j’ai parlé. J’ai parlé avec des journalistes de la Maison-Blanche et du Congrès, des correspondants et bien d’autres encore. Je diffuse une émission par semaine, du lundi au vendredi, à quelques rares exceptions près. Au cours du seul mois de septembre, j’interviewé le ministre de la Santé du Canada, Elizabeth May, Kathleen Wynne, l’honorable sénatrice Denise Batters, Andrew Scheer, Catherine Clark — la fille de l’ex-premier ministre —, le ministre associé des Finances du Canada, le leader du gouvernement à la Chambre et des députés. À l’étranger, alors que la guerre entre la Russie et l’Ukraine se poursuit, je me suis entretenu avec l’ancienne secrétaire de presse du président de l’Ukraine, Volodimir Zelenski.
Un élément important des médias en ligne est la diffusion en continu en direct. Le 19 septembre, j’ai animé une émission en direct de deux heures, de 5 heures à 7 heures, pour couvrir un moment historique : le décès de la reine Elizabeth II et ses funérailles officielles.
En ce qui concerne le projet de loi C-11 en particulier, je dirai qu’il a évidemment suscité beaucoup de débats et que de nombreuses opinions ont été présentées à son sujet. En tant que journaliste et en discutant avec diverses personnes, j’ai pu constater qu’il y a beaucoup de choses facilement acceptables. Lorsque vous regardez le sommaire officiel de la loi, il y a des choses qui peuvent sembler acceptables, comme l’alinéa a)(ii) du sommaire du projet de loi :
[...] offrir des possibilités aux Autochtones, une programmation en langues autochtones qui reflète les cultures autochtones ainsi qu’une programmation accessible aux personnes handicapées et exemptes d’obstacles;
Ce sont des choses sur lesquelles il peut être facile de s’entendre, compte tenu des caractéristiques différentes et des conditions différentes dans lesquelles fonctionnent les radiodiffuseurs qui fournissent des programmes en anglais, en français ou en langue autochtone. Encore une fois, en tant que journaliste, je pense qu’il est important que les programmes que nous créons soient disponibles pour les gens dans différentes langues, peu importe les obstacles auxquels ils peuvent être confrontés. Il y a certains éléments qui peuvent être acceptés ou non. Comme je l’ai dit au début, je participerai à ces conversations en tant que journaliste. Je ne considère pas que ce soit mon rôle de donner une opinion exacte, mais je suis tout de même impatient d’entendre vos questions. Merci beaucoup.
Le président : Merci beaucoup. Ma question pour commencer s’adresse à Justin Tomchuk. Bienvenue à notre comité.
Nous avons entendu devant le comité des témoignages selon lesquels il y a un risque que si d’autres administrations et pays dans le monde devaient proposer une législation semblable au projet de loi C-11, cela limiterait les occasions pour les fournisseurs de contenu canadien d’avoir accès à un grand marché international. Cependant, vous avez signalé qu’un autre des risques du projet de loi C-11 pour quelqu’un comme vous, c’est qu’il imposera votre contenu à des téléspectateurs canadiens qui n’ont peut-être aucun intérêt à l’égard de ce que vous produisez, ce qui créera donc un taux de rétention du public plus faible et fera baisser votre classement global. Le succès que vous obtenez semble être le genre de succès que nous devrions chercher à reproduire pour les autres et non pas à l’émousser, ce que fera le projet de loi C-11 s’il est adopté sans amendement. Il aura sur les créateurs canadiens et la promotion de la culture canadienne un effet contraire à ce que les partisans du gouvernement de ce projet de loi — comme notre témoin précédent, M. Trudel — prétendent qu’il aura.
Ma question est simple. De quoi aimeriez-vous que le projet de loi soit protégé? Quelles modifications du projet de loi aimeriez-vous voir apportées afin d’atteindre vos objectifs? Seriez-vous favorable à la découvrabilité passive?
M. Tomchuk : Je crois que toute forme d’obligation en matière de découvrabilité aura un effet préjudiciable sur les créateurs de contenu canadien comme moi-même, et non pas seulement moi-même, mais toute personne canadienne qui téléverse sur YouTube si elle en tire un revenu directement ou indirectement. Il n’y a pas de réel changement. Honnêtement, ma suggestion serait d’éliminer les obligations en matière de découvrabilité complètement du projet de loi, parce que c’est contraire à la radio et à la télévision, où il y a un nombre limité de créneaux. Il n’y a vraiment rien qui empêche quiconque de diffuser en ligne du contenu ou de rendre ses vidéos disponibles sur Internet, y compris les entreprises de médias traditionnelles. Elles peuvent créer leurs propres applications de diffusion, comme l’ont fait Netflix ou Amazon.
Le problème que le projet de loi C-11 tente de résoudre, qu’il a appliqué auparavant à la radio et à la télévision, c’est qu’il y avait des stations de radio régionales, par exemple, qui n’avaient que 24 heures dans une journée. Cependant, avec YouTube, vous pouvez essentiellement choisir ce que vous voulez, et il n’y a rien pour empêcher quiconque de le faire.
Le président : Est-il juste de dire que nous avons en ce moment une situation où les radiodiffuseurs traditionnels perdent des spectateurs, voient leurs taux d’audience baisser, leur modèle d’affaires ne fonctionne pas, et il semble pourtant y avoir une volonté de revenir à la case départ au lieu de se mettre au diapason des plateformes modernes d’aujourd’hui? Je vous regarde, vous et le groupe de témoins, et vous êtes l’avenir du pays. La vérité, c’est que l’avenir appartient aux jeunes, et la culture aujourd’hui au Canada, grâce aux diverses plateformes comme celles que vous utilisez, rejoint probablement plus de gens dans le monde que jamais auparavant.
Selon vous, ne devrions-nous pas libérer cette culture canadienne et utiliser cette technologie pour rejoindre le monde entier plutôt que d’essayer de défendre un modèle qui ne fonctionne de toute évidence pas sur le plan financier et qui ne fonctionne manifestement pas lorsque vous voyez les taux d’audience et d’écoute qu’ils obtiennent par rapport à ce que vous obtenez?
M. Tomchuk : Désolé, pourriez-vous simplifier la question?
Le président : Pour dire les choses simplement, vous avez aujourd’hui des médias traditionnels qui perdent des cotes d’écoute. Leur modèle d’affaires ne fonctionne pas, et pourtant, à mon avis, le gouvernement essaie de mettre en place une législation pour protéger ce modèle. Pendant ce temps, de l’autre côté, nous avons des plateformes comme celles que vous utilisez qui exposent notre culture et les artistes dans le monde entier à une fraction du prix et qui leur donnent des occasions de promouvoir notre culture.
M. Tomchuk : Je dirais oui, les médias traditionnels perdent des spectateurs, mais je ne crois pas que ce soit nécessairement à cause de la perturbation technologique. Pour ma part, je pense qu’ils ont mal compris les désirs de leurs publics. En particulier dans le secteur des médias traditionnels subventionnés, une grande partie du contenu est produite sans qu’il y ait de véritable public au départ. Leur échec n’est pas nécessairement dû au fait que les youtubeurs les perturbent. Ils n’ont pas réussi à rejoindre leurs propres publics en premier lieu. Ainsi, le public s’est déplacé sur YouTube. Il y a la technologie, et les jeunes publics sont plus susceptibles d’utiliser leurs téléphones et des sites Web comme YouTube, alors ils perdent un peu de leur envergure ou de leur importance en tant que fournisseurs culturels. Je ne dirais pas nécessairement que c’est à cause de YouTube qu’ils échouent, pour parler franchement.
Le sénateur Klyne : Bienvenue à nos invités et à nos témoins. Ma question s’adresse à M. McCullough. Durant votre témoignage devant le Comité du patrimoine canadien de la Chambre des communes, vous avez décrit le projet de loi C-11 comme suit :
[...] un projet de loi que nous n’avons pas demandé, dont nous n’avons pas besoin et qui menace le succès que nous avons déjà obtenu.
Le projet de loi vise à rendre le contenu canadien accessible et découvrable, et tout comme la radiodiffusion canadienne l’a fait pendant des décennies, le projet de loi exige que les services de diffusion en continu participent et contribuent à la programmation et à la production de manière équitable et juste.
J’ai quelques questions sur ce point. Comment cela menace-t-il YouTube et les services de diffusion en continu? Si vous pensez que cela réduirait la priorité du contenu canadien au profit d’un public international — comme M. Tomchuk y a fait allusion — cela ne va-t-il pas en même temps élargir votre portée auprès des téléspectateurs canadiens?
M. McCullough : Peut-être que ce serait le cas, mais le Canada est un pays relativement petit dans le contexte mondial. Nous comptons 38 millions de personnes dans un monde qui en compte des milliards, alors même si je maximise ma visibilité auprès de l’auditoire canadien, si ma visibilité internationale diminue, cela reste un résultat négatif net dans l’ensemble, parce que les chiffres internationaux sont beaucoup plus élevés. Le potentiel est tellement plus grand. Être un gros succès à l’échelle internationale sera toujours un prix beaucoup plus important que d’être le plus gros succès dans un contexte canadien.
Le sénateur Klyne : Comment serait-il dilué?
M. McCullough : Si l’exposition du contenu est cloisonnée, lorsque nous produirons des vidéos à l’avenir, si leur priorité est uniquement de les promouvoir auprès d’un auditoire national canadien, et si les téléspectateurs internationaux sont tenus à l’écart de ce contenu, cela entraînera de mauvaises choses pour nous, n’est-ce pas?
Nous voulons que le statu quo demeure tel qu’il est actuellement, c’est-à-dire promouvoir notre contenu de manière égale dans tous les pays du monde, pas exclusivement auprès d’un public canadien.
Le sénateur Klyne : Si j’ai bien compris votre point de vue, vous dites que le projet de loi cloisonnerait ce contenu et qu’il ne serait pas aussi accessible, découvrable ou recherché à l’extérieur de la frontière canadienne.
M. McCullough : C’est ce que je comprends du motif. Le motif est que le contenu canadien d’un certain type soit promu auprès des auditoires canadiens et que YouTube, en vertu de la réglementation future du CRTC, doive traiter les téléchargements canadiens de cette façon. Donc, lorsque moi ou n’importe lequel d’entre nous téléchargerons nos vidéos par l’intermédiaire du YouTube canadianisé à l’avenir, la priorité que YouTube devra respecter sur le plan juridique sera de s’assurer que ces vidéos sont vues par des publics canadiens et non...
Le sénateur Klyne : Où le projet de loi met-il à l’écart ces diffuseurs ou services en ligne qui sont attirés dans cette affaire? Où, en vertu de la Loi sur la radiodiffusion, ne fera-t-il pas la promotion ou la diffusion de contenu canadien à l’extérieur du Canada?
M. Tomchuk : Il n’est pas écrit expressément dans le projet de loi comment ni pourquoi ils devraient détourner les téléspectateurs. Cependant, par exemple, sur une plateforme mondiale... disons YouTube, car c’est là que je télécharge mon contenu. Si je reçois des vues supplémentaires à l’intérieur des frontières canadiennes et que vous regardez cela du point de vue d’une personne qui vit en Allemagne, elle dira que ce youtubeur reçoit beaucoup de vues supplémentaires dans son propre pays, mais qu’en plus, il reçoit aussi le nombre normal de vues de tous les autres sur la plateforme mondiale. Donc YouTube va regarder cela et dire que les producteurs de contenu canadien ont un avantage injuste sur cette plateforme. Ils vont devoir remettre les compteurs à zéro et retirer des vues à l’échelle internationale. C’est essentiellement comme cela que cela fonctionnerait.
Il y a deux problèmes différents à cela aussi. Pour répondre à la première question que vous avez posée à M. McCullough, oui, nous recevrions plus de téléspectateurs canadiens. Cependant, disons que vous êtes dans une catégorie de créneau. Au Canada, il y a un maximum de 30 000 personnes intéressées par ce créneau. C’est un créneau très précis, mais vous pouvez réellement faire carrière avec quelque chose de très petit. Au Canada, le plafond maximum pour ce créneau pourrait être de 30 000, mais à l’échelle mondiale, ce pourrait être de un million. Si vous montrez votre contenu canadien à l’intérieur des frontières canadiennes, vous limitez la portée maximale des membres du public potentiel qui pourraient être là. Si vous les montrez à un plus grand nombre de Canadiens, oui, vous obtenez plus de téléspectateurs canadiens, mais ceux-ci sont moins pertinents pour le contenu que vous produisez.
Le sénateur Klyne : Ce serait un bon moment pour avoir un tableau blanc. Merci.
La sénatrice Sorensen : Je souhaite la bienvenue aux invités. Je reconnais et respecte énormément la population représentée par nos témoins d’aujourd’hui.
Je vais poser à chacun d’entre vous une question, alors vos réponses devront peut-être être brèves. J’approuve le commentaire de M. McCullough selon lequel nous en sommes à l’étape des compromis pour ce qui est de savoir où nous nous situons dans le processus.
Y a-t-il quelque chose dans ce projet de loi qui serait utile, selon vous, aux créateurs canadiens si des amendements visant à protéger le CGU étaient apportés?
M. McCullough : Comme j’essayais de le dire dans mes commentaires, il y a évidemment une dimension financière au projet de loi. On insiste beaucoup — et à juste titre — sur l’aspect du contenu, mais il y a aussi l’idée de faire payer aux grandes sociétés technologiques leur juste part. Cet argent est ensuite versé dans des fonds comme le fonds de développement du contenu canadien qui sert à subventionner divers artistes.
Il y a une dimension particulière au Québec dans cette question qui est chère à beaucoup de Québécois, et avec raison. Je crois savoir que le Québec occupe un espace culturel unique au pays et qu’il dépend peut-être plus fortement de ces régimes de subventions que les créateurs comme nous dans le reste du pays, mais pas pour M. Tomchuk; je sais qu’il est au Québec aussi.
Le compromis que j’estimerais raisonnable, c’est que nous ayons une discussion davantage axée sur l’équité et l’égalité financières, qu’ils paient leur juste part, que l’on s’assure que les grandes plateformes comme YouTube contribuent à des choses comme le fonds de développement des créateurs de contenu canadien pour nous assurer que le régime de subvention, avec lequel les gens peuvent avoir des problèmes idéologiques... mais ce n’est pas le débat que nous avons en ce moment. Nous débattons de l’avenir des médias canadiens et des médias en ligne. S’il doit y avoir un régime de subvention robuste qui fait partie de cela et qui oblige les grandes sociétés technologiques à verser davantage que ce qu’elles versent actuellement, je pense que c’est un compromis raisonnable, si cela signifie que le gouvernement renonce à une partie de son ambition de dicter le type de contenu que les Canadiens devraient regarder ou réaliser.
M. Tomchuk : Je ne suis pas uniquement un créateur de contenu sur YouTube, disons, à titre personnel. Beaucoup d’entreprises ont aussi des chaînes YouTube. Pour certaines d’entre elles, cela représente des dizaines de milliers de dollars par mois, sinon plus que des centaines de milliers de dollars par mois. Une grande partie de cet argent est redonnée en impôt et au Fonds des médias du Canada.
Personnellement, c’est comme si j’aidais ces entreprises médiatiques traditionnelles en payant mes impôts, qui sont ensuite versés en subvention, pour financer les programmes qui ne me concernent absolument pas et auxquels je ne suis souvent même pas admissible.
Que TikTok ou YouTube — qui sont mes partenaires d’affaires — doivent payer davantage pour aider mes concurrents, cela me semble un peu injuste. Au fil du temps, nous allons de plus en plus voir ces grandes entreprises de télécommunication faire concurrence aux petits créateurs. Certains créateurs sur YouTube et sur Twitch gagnent 100 000 $ par mois, et certains gagnent même un million de dollars par mois. Dans 15 ans, nous allons atteindre un point où il n’y aura plus de distinction nette entre une grande entreprise médiatique et un simple créateur de contenu sur YouTube.
Je pense que de demander à YouTube et à TikTok de subventionner le contenu canadien... En passant, ces entreprises médiatiques traditionnelles n’ont pas du tout participé au développement ou à la croissance de YouTube ou de TikTok, et elles n’ont pas contribué à attirer le public sur ces plateformes, d’entrée de jeu, contrairement à moi-même et mes collègues ici présents... J’ai l’impression que c’est injuste de leur demander de contribuer aux systèmes.
M. Sharpe : M. McCullough et M. Tomchuk ont tous les deux effleuré la question, mais il y a beaucoup de groupes différents qui sont concernés. Comme M. McCullough l’a mentionné, il y a d’un côté les géants de la technologie, comme les sociétés d’information, puis de l’autre, vous avez des gens comme nous trois, tout bonnement des créateurs de contenu indépendants qui publient du contenu pour les gens. Je dirais donc rapidement, pour être bref, qu’il y a différents groupes qui sont concernés. Je crois que, d’une certaine façon, le projet de loi C-11 tient compte de la position de chacun et pourrait leur offrir différentes façons de les soutenir ou pas, dépendamment de leur position.
La sénatrice Sorensen : Il n’y a donc pas de solution universelle?
M. Sharpe : Non, je ne crois pas.
La sénatrice Miville-Dechêne : Merci beaucoup d’être ici pour parler au nom de nombreuses générations, quoiqu’elles soient toutes plus jeunes que moi. Je vous remercie chaleureusement.
J’ai une question pour M. Tomchuk et pour M. McCullough, mais aussi probablement pour vous tous.
Voudriez-vous qu’il y ait une option de non-participation pour les youtubeurs, relativement à la découvrabilité? Ce que je veux dire, c’est que les youtubeurs pourraient choisir de s’identifier eux-mêmes comme Canadiens pour tirer parti de cette découvrabilité — je suis certaine que certains le feraient — ou choisir de ne pas s’identifier comme Canadiens pour demeurer dans ce monde où chacun peut faire comme il l’entend, ce qui semble correspondre à vos ambitions?
M. Tomchuk : Je m’opposerais à cette idée, pour la seule raison que s’il y a un système de non-participation, cela ne va pas changer le fait que vous allez perdre contre le contenu canadien des sociétés médiatiques traditionnelles sur ces mêmes plateformes. Même si vous choisissez l’option de non-participation, vous êtes quand même désavantagé dans votre propre pays, parce que l’algorithme va vous remplacer par du contenu canadien, et si vous acceptez, vous êtes défavorisé à l’échelle mondiale, parce que vous êtes davantage accessible aux Canadiens, et moins sur la scène internationale. Donc, je ne crois pas qu’un système de non-participation serait avantageux pour des créateurs comme nous.
M. McCullough : J’aurais tendance à être d’accord avec ce que M. Tomchuk vient de dire. Je ne veux pas une situation où les créateurs de contenu canadien doivent choisir entre leur propre pays et la renommée internationale. Le statu quo leur a permis de réussir au Canada et à l’étranger.
L’un des problèmes avec la mentalité ou la motivation sous-jacente du projet de loi, c’est que ces deux objectifs sont considérés comme étant incompatibles, mais je ne pense pas qu’on a démontré que c’est le cas. Je pense que c’est tout à fait possible d’avoir énormément de réussite en créant du contenu canadien et d’avoir tout de même un attrait pour le public étranger. Je pense que c’est ce que je fais. Je produis une tonne de vidéos qui sont tout particulièrement axés sur le Canada, mais mon public est tout de même surtout international.
La sénatrice Miville-Dechêne : Vous avez beaucoup parlé du contenu canadien et de la liberté de le découvrir. Mais nous savons tous qu’il est difficile de découvrir du contenu minoritaire, canadien, québécois et francophone sur des plateformes comme YouTube.
La liberté que vous défendez est évidemment une bonne chose pour les youtubeurs qui réussissent, mais cela a des conséquences différentes pour les minorités. Je pense aux minorités francophones, mais aussi aux minorités autochtones et noires. C’est difficile. Comment trouve-t-on un juste équilibre? Je dis cela par rapport au contenu canadien.
M. Tomchuk : Je doute que les algorithmes et les grandes plateformes médiatiques fassent preuve de discrimination envers les minorités. Si vous êtes un créateur de contenu, rien n’empêche quiconque de télécharger quoi que ce soit sur YouTube. Je suis à moitié Indien et à moitié Ukrainien. Je ne me considère pas comme appartenant à une minorité, mais je ne crois pas non plus qu’on devrait me donner un avantage par rapport à une autre personne, parce que sur Internet, nous sommes sur un pied d’égalité.
Si vous voulez accroître l’accès ou peut-être la visibilité des cultures autochtones, je pense qu’une meilleure solution, plutôt que de fixer les résultats attendus, serait de fournir un meilleur accès à Internet dans certaines régions du Canada qui sont mal desservies.
La sénatrice Miville-Dechêne : Mais qu’arrive-t-il si personne ne regarde?
M. Tomchuk : C’est une autre chose : je pourrais créer une vidéo sur n’importe quoi. Si personne ne regarde, cela ne veut pas nécessairement dire que cela nuit au sujet de la vidéo. Cela veut tout simplement dire qu’il n’y a pas beaucoup de gens qui s’intéressent au contenu que je publie.
M. McCullough : Je crois que je suis d’accord. C’est important de ne pas évaluer la valeur du contenu, n’importe lequel, seulement en fonction de sa popularité. La popularité du contenu, c’est seulement la popularité du contenu. Cela ne sous-entend pas une sorte de valeur morale, et je pense que nous devrions tous en être conscients, si nous réfléchissons au genre de choses qui ont été populaires à la télévision ou sur Internet. Cela ne sous-entend pas que ce genre de contenu vaut plus qu’un autre. Tout de même, je soulignerais que les deux youtubeurs canadiens qui ont le plus réussi jusqu’ici sont Evan « Vanoss » Fong et Lilly Singh, et ce sont tous les deux des personnes racisées.
Une chose qui est merveilleuse avec un YouTube non réglementé, c’est que vous échouez ou vous réussissez exclusivement en fonction de la qualité ou de la popularité de votre contenu. Encore une fois, ça ne sous-entend aucune valeur morale, mais cela donne effectivement à penser que dans un YouTube non réglementé et axé sur le marché libre, le contenu éducatif et...
Le président : Je suis désolé de vous interrompre, mais je dois tenir compte du temps, et la sénatrice Miville-Dechêne a dépassé celui qui lui était imparti.
Le sénateur Manning : Merci à nos témoins. J’ai une question pour M. McCullough.
Dans le mémoire que YouTube a déposé à la Chambre des communes, il était avancé que le projet de loi C-11, tel que rédigé actuellement, mettrait en danger des dizaines de milliers de créateurs de contenu canadiens sur YouTube.
Nous ne savons pas exactement comment le CRTC va administrer le projet de loi à l’étude, en partie parce que le gouvernement refuse de publier la directive en matière de politique qu’il a envoyée au CRTC sur la mise en œuvre du projet de loi, et il ne le fera qu’une fois le projet de loi adopté, ce que nous trouvons préoccupant pour de nombreuses raisons.
Croyez-vous qu’il serait utile et important que la directive en matière de politique soit publiée dès maintenant? Dans le cas contraire, est-ce que cela alimente l’incertitude, pour vos collègues et vous?
M. McCullough : Oui, tout à fait. C’est vraiment une question importante. C’est quelque chose que je dois souvent expliquer, quand M. X et Mme Y me posent des questions sur le projet de loi C-11.
Si vous lisez le projet de loi C-11, peut-être que les choses qui nous préoccupent vont vous échapper, mais c’est en partie parce que le projet de loi C-11, comme apparemment beaucoup de projets de loi qui sont adoptés au pays de nos jours, délègue les pouvoirs à un organisme d’un quelconque organe exécutif, et c’est ensuite cet organisme qui sera responsable d’élaborer toutes les règles spécifiques relativement à la mise en œuvre quotidienne de la loi. Les politiciens adoptent des lois pour établir des lignes directrices et des objectifs généraux, mais au bout du compte, c’est l’organisme de l’organe exécutif, comme le CRTC, qui doit régler les détails.
C’est vrai que, jusqu’à ce qu’on puisse voir un document d’orientation, jusqu’à ce qu’on puisse voir les directives du CRTC quant à la façon dont il va utiliser ces pouvoirs... comment il va interpréter son mandat d’améliorer la découvrabilité, d’améliorer la promotion du contenu canadien, selon son évaluation de ce qui constitue, pour lui, du bon contenu canadien, et comment il va interpréter son mandat de promouvoir le contenu des communautés marginalisées, et ainsi de suite... tant que nous n’aurons pas une idée claire de la mise en œuvre effective et de la façon dont YouTube et les autres plateformes seront tenus par la loi de mettre cela en œuvre, tout ce que nous pouvons faire, c’est supposer.
Je pense que s’il y en a qui croient que les gens comme nous tenons des propos alarmistes ou quelque chose du genre, le CRTC pourrait aider à atténuer le problème, ou du moins nous donner une certaine certitude en publiant sa directive. Quoique, je sais aussi que le CRTC a son propre processus; il est en train de devenir une sorte de pseudoassemblée législative, avec des audiences et des procédures internes.
Mais vous avez raison. Jusqu’à ce que le CRTC s’adresse à nous directement, tout ce que nous pouvons faire, c’est en grande partie faire des suppositions. Tout de même, on pourrait défendre l’idée que c’est fondamentalement antidémocratique d’adopter une loi comme celle-ci pour donner autant de pouvoir à un organisme non élu, qui n’a pas à rendre de comptes, comme le CRTC.
Le sénateur Manning : Pour ce qui est de vos propres activités et de vos propres difficultés, quelles seraient les conséquences du projet de loi sur vos activités précisément, en l’absence de cette transparence?
M. McCullough : Quand vous parlez à des youtubeurs, comme je l’ai fait, vous constatez que l’avenir s’annonce extrêmement incertain. Nous ne savons vraiment pas à quoi ressemblera notre avenir. Nous ne savons pas quel genre de contenu nous allons devoir créer ni quelles répercussions cela aura sur nos revenus, sur notre découvrabilité et sur nos profits.
C’est notre gagne-pain. Le gouvernement ne nous aide pas en créant énormément d’incertitude pour l’avenir de ce domaine très vivant, dynamique et important de l’économie culturelle canadienne, à ce moment critique.
C’est pourquoi j’ai dit que c’est une solution qui se cherche un problème. Les choses avançaient très bien, pour être honnête. Comme je l’ai dit, je ne suis même pas au palmarès des 400 meilleurs youtubeurs canadiens. Il y a d’incroyables histoires de réussite, qui se sont rendues loin de nous, si vous pensez aux équipes et aux diverses personnes qui travaillent pour nos entreprises. Le fait de faire planer autant d’incertitude sur ces activités, c’est terriblement effrayant pour beaucoup de personnes dans notre position.
La sénatrice Simons : Comme j’ai travaillé pendant 30 ans en tant que journaliste, mes questions vont toutes s’adresser à M. Sharpe.
Quand j’ai commencé le journalisme, à l’école à l’âge de 13 ans, je devais utiliser une machine Gestetner pour publier mon journal, parce que nous n’avions pas de photocopieuse. Cela vous donne une idée de mon âge. Le problème, avec mon journal publié à la Gestetner, c’est que quand je le distribuais au terrain de jeu pendant la récréation, les gens étaient plus susceptibles de me donner un coup de poing que de le lire.
Pour moi, votre carrière montre que nous sommes à un moment béni de notre histoire sociale et culturelle, parce que vous avez pu lancer une chaîne de télévision et attirer un public.
J’aimerais que vous nous parliez de la façon dont vous avez pu tirer parti de YouTube pour cela, la trajectoire de votre parcours, de votre public actuel et du soutien que YouTube vous a fourni pour attirer votre public, le cas échéant.
M. Sharpe : Je dirais que les médias sociaux et le pouvoir des médias sociaux doivent avoir une influence et, au bout du compte, permettre aux gens d’exprimer leurs messages — et c’est ce que je fais, d’une certaine façon — et cela a évidemment pris de l’ampleur au cours des dernières années. Je dirais que quand j’ai commencé, en janvier 2021, même jusqu’à aujourd’hui, après avoir publié deux ou trois épisodes et entrevues pour mon programme, je ne m’attendais pas vraiment à pouvoir rejoindre autant de gens que maintenant. Un autre aspect intéressant, c’est que vous pouvez vraiment jauger le genre de sujets qui intéressent les gens. Si vous réalisez une entrevue sur un sujet et que vous n’obtenez qu’une petite centaine ou un petit millier de vues, et que vous faites ensuite une autre entrevue sur un autre sujet qui attire des dizaines de milliers de vues, c’est aussi une façon intéressante de jauger les sujets qui sont importants pour les gens.
La sénatrice Simons : Si je pose la question, c’est que j’ai une chaîne YouTube, et je n’obtiens pas autant de clics que vous. J’ai connu un plus grand succès avec mon balado. Je suis seulement curieuse, avez-vous un nombre moyen de personnes qui vous regardent, ou est-ce que cela dépend du sujet, du jour de la semaine, et d’autres choses du genre?
M. Sharpe : C’est comme je le disais tout à l’heure. Il n’y a pas de moyenne fixe. Cela monte et descend dépendamment des sujets qui intéressent les gens. Une entrevue pourrait avoir, au mieux, de 500 à 1 000 vues. Ce n’est pas beaucoup de vues. Puis, une autre entrevue pourrait obtenir des dizaines de milliers de vues, parce que c’est sur un sujet qui est important pour les gens.
Je dirais qu’il y a une tendance à la hausse ou à la baisse dépendamment des sujets sur lesquels les gens se concentrent, de la mesure dans laquelle ces sujets sont pertinents et de la façon dont ils s’inscrivent dans le cycle de nouvelles.
La sénatrice Simons : En ce qui vous concerne, en tant que journaliste canadien sur YouTube, YouTube vous a-t-il fourni du soutien, d’une façon ou d’une autre, pour aider à attirer un public afin que votre émission soit visible à un plus grand nombre de personnes?
M. Sharpe : Je n’appellerais pas nécessairement cela du soutien, mais j’ai été traité de la même façon que n’importe quel autre créateur de contenu sur la plateforme. Par exemple, j’ai interviewé Mme Jeanette Patell, qui a aussi témoigné devant votre comité. Les gens dans les coulisses de YouTube appuient tous non seulement le travail que je fais, mais aussi le journalisme canadien, ils veillent à ce que le journalisme canadien puisse être vu et qu’il soit accessible au plus grand nombre de Canadiens possible, d’un océan à l’autre, du Nord au Sud et d’Est en Ouest.
La sénatrice Simons : J’imagine que c’est le nœud de la question, parce que l’algorithme, c’est toujours un peu comme le dieu dans la machine. On ne sait jamais exactement comment cela fonctionne.
Je vais beaucoup sur les médias sociaux. J’ai rencontré les gens de Facebook il y a deux ou trois semaines, et ils m’ont dit qu’ils allaient délaisser progressivement la mise en valeur de contenu d’information. J’ai certainement remarqué, dans mes propres publications, que le même genre de contenu qui, il y a trois ans, aurait attiré des milliers de vues sur Facebook ne semble plus mobiliser les gens de la même façon. Je ne pense pas que je sois la seule. Je ne suis pas plus ennuyante qu’avant.
Parfois, j’ai peur que nous ayons trop foi en l’algorithme pour ne tenir aucun compte de la plateforme. Je me demandais si vous vous dites parfois que ce serait une bonne chose que YouTube soit plus transparent, parce que cela vous aiderait à titre de producteur et de promoteur à comprendre comment communiquer avec cet oracle qu’est l’algorithme de YouTube.
M. Sharpe : Je pense que vous soulevez un point important. L’algorithme, c’est incontestablement la façon dont le contenu est partagé avec les gens, et, souvent, c’est grâce aux divers algorithmes que les Canadiens prennent conscience des nouvelles, mais comme vous l’avez mentionné, il y a certains algorithmes qui deviennent apparemment de moins en moins fiables.
Pour utiliser mon émission et moi-même à titre d’exemple, quand Pierre Poilievre a été élu chef de l’opposition, les entrevues sur le sujet attiraient des milliers de visionnements. Mais si vous faites une entrevue sur un sujet de moindre envergure ou sur un sujet qui n’a pas autant de pertinence, même si vous pouvez dire que l’entrevue est tout aussi importante, elle ne va pas nécessairement intéresser autant les gens, et elle va donc avoir moins de vues.
Je pense que l’algorithme, c’est un aspect important, mais je pense aussi que beaucoup de gens qui sont fervents de politique, les gens qui regardent les actualités régulièrement...
Le président : Merci, monsieur Sharpe. Le temps de la sénatrice Simons est écoulé.
Le sénateur Quinn : Merci, monsieur le président, et merci aux témoins. Tout cela est fascinant. J’écoute tout ce que vous dites aujourd’hui : depuis les machines Gestetner, jusqu’à des choses que je ne comprends pas, et les choses que vous dites qui m’échappent.
Mes questions ont évolué au fil du témoignage. La question à laquelle vous venez tout juste de finir de répondre, il y a deux ou trois questions, au sujet de l’incertitude et du fait qu’aucune directive en matière de politique n’a été publiée... À mesure que le CRTC va élaborer son régime réglementaire, le régime sera soumis au processus de la Gazette du Canada, et parfois il ne subit pas un examen aussi rigoureux que certaines personnes le souhaiteraient.
Y a-t-il quoi que ce soit qu’on puisse faire? Je veux en venir au processus d’appel. Quand une réglementation est proposée, et que quelqu’un dit « Non, ce n’est pas juste, ce n’est pas bien », il y a un processus d’appel qui, je crois savoir, peut faire intervenir les tribunaux et d’autres entités du genre.
Est-ce quelque chose que nous pourrions faire? Pourrions-nous modifier le système pour permettre à un groupe, comme le Sénat, un groupe comme notre comité, d’intervenir dans le processus réglementaire lorsque les utilisateurs soulèvent des préoccupations, afin que nous puissions avoir une certaine certitude quant à la nature de cette réglementation et de ses effets? Croyez-vous que cela pourrait être utile?
M. Tomchuk : Comme le groupe de témoins précédent l’a mentionné, on dirait que beaucoup de décisions du CRTC ne sont pas très transparentes en premier lieu.
Mais, oui, ce serait indubitablement utile de savoir quelles sont ses intentions, s’il publiait au moins une ébauche de directives, parce qu’actuellement, c’est une boîte noire, et on ne fait essentiellement qu’approuver ce qui sera révélé plus tard, et le moment venu, ce sera trop tard, parce que le CRTC aura le pouvoir de faire comme bon lui semble.
M. McCullough : Oui, c’est difficile. En ce qui me concerne, je trouve que c’est très étrange d’accorder ce genre de pouvoirs tout bonnement. Pour parler franchement, je pense que c’est purement et simplement de l’angoisse démocratique, cette idée qu’il va maintenant falloir refaire toutes ces démarches et composer avec les fonctions pseudolégislatives du CRTC, parce que les organes du pouvoir exécutif agissent maintenant comme de petites assemblées législatives internes, avec leurs propres audiences et leurs propres gazettes, comme vous l’avez dit.
Pour parler franchement, le processus que vous décrivez est la façon dont le système parlementaire est censé fonctionner, fondamentalement : si nous avons des préoccupations à l’égard d’un régime réglementaire, nous devrions pouvoir nous adresser à nos représentants élus ou à nos représentants au Sénat. Puis, des gens comme vous devraient éclaircir les modalités, les limites et la portée de la loi.
S’il y a des problèmes, on devrait pouvoir lancer un appel à nos députés et à nos sénateurs, pour qu’ils supervisent et peaufinent la loi de cette façon. Le public et les créateurs n’ont pas ce genre de relation avec les entités gouvernementales comme le CRTC, qui sont mystérieuses et qui n’ont pas à rendre de comptes.
Pour répondre à votre question, le Parlement doit s’affirmer davantage s’il a des angoisses quant à son autorité sur ce processus.
Le sénateur Quinn : Nous voulons faire en sorte que les choses soient plus accessibles et découvrables. Après avoir écouté certaines des discussions de ce matin, je me demandais s’il serait possible que, en essayant d’atteindre ce but, on cause tout à fait l’inverse? Ce qui me préoccupe, c’est que si nous essayons de forcer les gens à regarder du contenu canadien, par exemple, leur réaction pourrait être très simple : cliquer sur le bouton arrière, ce qui serait l’effet tout à fait opposé. Est-ce que cela devrait nous préoccuper?
M. Tomchuk : Oui, tout à fait. Contrairement à la radio — si vous n’aimez pas ce qui joue à la radio, vous êtes coincé sur votre siège et vous devez l’écouter —, sur YouTube, il suffit d’un clic pour disparaître.
Les gens vont commencer à mépriser le contenu s’il leur est imposé, et vous risquez de vous retrouver avec un public qui méprise le contenu que vous essayez de promouvoir. C’est bien l’effet contraire.
M. McCullough : Je pense que nous, comme Canadiens, avons tous déjà allumé la télévision pour voir que c’était une émission canadienne que nous ne voulons pas regarder qui jouait. Alors, on se demande : pourquoi est-ce qu’on nous montre cela? Personne ne regarde. Ce n’est clairement pas populaire. Vous commencez à mépriser l’émission. Vous méprisez le contenu canadien.
Le contenu canadien, dans certaines régions du pays, c’est un mot à bannir, ou une insulte, parce que c’est associé au mandat du CRTC qui consiste à imposer du contenu que les gens ne veulent pas vraiment voir sur les ondes et dans leurs téléviseurs. Je pense que la dernière chose qu’on veut, c’est que le même genre de mépris culturel émerge dans l’Internet à l’égard du contenu canadien.
Le sénateur Quinn : Ma dernière question s’adresse à M. Sharpe. Vous avez fondé une entreprise très impressionnante, à un si jeune âge. C’est incroyable de voir la diversité de personnes que vous interviewez. Parmi les gens auxquels vous parlez pour la production et dans vos émissions, et aussi à l’extérieur, y a-t-il des préoccupations précises à l’égard du projet de loi C-11? Est-ce que les gens vous disent que nous ne devrions pas faire ceci ou que nous ne devrions pas faire cela?
M. Sharpe : Je pense que tout le processus entourant le projet de loi C-11 a manifestement été, disons, énormément politisé. Par exemple, prenez le Parti conservateur : à l’époque où c’était le projet de loi C-10 et maintenant avec le projet de loi C-11 légèrement modifié, il affirme que, selon lui, c’est de la censure et que ce n’est pas une bonne chose. De l’autre côté, le gouvernement décrit cela évidemment comme un effort de promotion du contenu canadien. Peu importe la nuance qui existe entre ces deux points de vue, ce sont indéniablement les deux perspectives qui sont présentées, et les deux perspectives qui semblent être les plus populaires.
Le président : Merci beaucoup. Le temps est écoulé. Je dois donner la parole à la sénatrice Clement.
La sénatrice Clement : Bonjour à vous tous. C’est un plaisir de vous accueillir.
J’ai un commentaire à faire : ce n’est pas parce que Mme Singh a énormément et légitimement réussi qu’il n’y a pas d’autres communautés noires, racisées ou marginalisées qui ne sont pas confrontées à toute une panoplie d’obstacles, lorsqu’elles tentent de faire voir leur produit au public. Je voulais que ce soit dit.
Votre succès m’intéresse tout de même davantage, parce que je connais votre travail, à tous les trois. Je n’appartiens pas à votre public habituel. Je me demandais dans quelle mesure vous analysez les données analytiques liées à vos comptes. Quelle est la proportion de public canadien, par rapport au public étranger? Est-ce que vous regardez et modifiez votre travail quand vous voyez que les données montrent qu’il y a moins d’attrait pour certains types de contenu?
Une dernière chose : compte tenu du pouvoir des algorithmes et de votre réussite actuelle, pourquoi ne faites-vous pas confiance à ces plateformes au moment de s’assurer que le contenu canadien sera adapté aux intérêts des utilisateurs, comme pour le reste du contenu présentement?
M. Tomchuk : Une préoccupation valable tient au fait que, sur certaines de ces plateformes, nous ne comprenons pas vraiment comment fonctionnent les algorithmes. Par exemple, un problème est que le projet de loi ne fait rien pour corriger cela.
Il y a certains programmes comme YouTube qui changent leur algorithme toutes les semaines, tous les mois. D’après mes recherches, je crois qu’il y a environ des milliers de variables qui entrent en ligne de compte pour calculer le pointage interne de votre vidéo.
Personnellement, comme créateur de contenu, je ne pense pas trop à l’algorithme, parce qu’essentiellement, vous avez seulement à créer le contenu que vous voulez produire.
Excusez-moi, je pense que j’ai perdu le fil de ma pensée.
M. McCullough : Je pense qu’il y a deux types de créateurs, dans la sous-culture de YouTube. Il y a ceux qui, je pense, sont très créatifs et imaginatifs, comme M. Tomchuk, et qui sont convaincus que leur art sera ultimement récompensé et qui ont réussi en faisant justement cela.
Puis, il y a ceux qui sont vraiment obsédés par l’algorithme, par les données et les chiffres. Ce n’est pas non plus mon cas. Je sais hors de tout doute que ces gens existent. Combien de personnes regardent ce contenu? Pendant combien de temps le regardent-ils? Je dois m’assurer que la vidéo est assez intéressante pour éviter qu’ils ne cliquent ailleurs après les trente premières secondes. Les gens peuvent devenir vraiment obsessifs, voire fous. Ce n’est pas mon cas.
Je fais des vidéos parce que je pense qu’ils vont parler, de façon générale, à mon public, autant à l’étranger qu’au pays. Je fais beaucoup de vidéos sur des sujets canadiens, et mon public est surtout composé d’étrangers, la plupart des Américains, puis des Européens. Les Canadiens sont peut-être troisièmes, et dans certains cas, peut-être encore plus bas, et je pense que cela montre que le contenu canadien — même le contenu explicitement canadien comme la vidéo que je vais réaliser sur tout le processus ici — va parler tout autant au public étranger, parce qu’il y a beaucoup de gens qui s’intéressent au Canada. Beaucoup de gens pensent qu’ils n’en savent pas assez sur le Canada. Ils veulent en apprendre davantage sur notre pays. Il y a une faim, un appétit pour ce contenu.
Je pense qu’une partie du problème, c’est qu’on croit à tort que les créateurs de contenu canadiens sont de petits êtres délicats et fragiles, qui ont besoin de l’aide du gouvernement, parce qu’autrement, ils vont juste dépérir. Ce n’est pas vrai. Je ne pense pas que cela s’applique aux créateurs de contenu canadien racisés. Je ne pense pas que ce soit vrai pour les créateurs de contenu LGBT comme moi-même.
Le système n’est pas parfait. C’est un système axé sur le marché, et les systèmes axés sur le marché peuvent être corrompus ou pervertis de toutes sortes de façons, mais je pense que c’est un assez bon système, qui fonctionne pour beaucoup de Canadiens. C’est pour cette raison que nous devrions nous montrer sceptiques quand le gouvernement décide d’intervenir dans quelque chose qui fonctionne et, disons, de brasser la cage.
M. Sharpe : Parce que je suis très axé sur les nouvelles politiques canadiennes, à moins que je fasse un rapport ou que je couvre un événement sur quelque chose qui se passe à l’étranger ou dans un autre pays comme les États-Unis — les actualités américaines, par exemple —, je ne vais pas vraiment m’attarder aux données analytiques ou à l’algorithme. Plutôt, je m’intéresse aux questions qui sont les plus pertinentes et qui ont le plus de conséquences pour les gens, plus précisément pour mon public et les gens qui regardent mon émission.
Le président : Au nom de mes collègues, j’aimerais remercier nos témoins d’avoir témoigné devant nous aujourd’hui et d’avoir exprimé leurs commentaires et opinions sur le projet de loi C-11.
Chers collègues, il est 11 heures. Nous allons poursuivre notre étude du projet de loi C-11 plus tard cette semaine.
(La séance est levée.)