LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES TRANSPORTS ET DES COMMUNICATIONS
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 28 septembre 2022
Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd’hui, à 18 h 46 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier la teneur du projet de loi C-11, Loi modifiant la Loi sur la radiodiffusion et apportant des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois.
Le sénateur Leo Housakos (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Honorables sénatrices et sénateurs, je déclare ouverte cette réunion du Comité sénatorial permanent des transports et des communications.
Je suis Leo Housakos, sénateur du Québec et président du comité. J’aimerais que les membres du comité qui participent à cette réunion se présentent, en commençant par ma gauche.
[Traduction]
Le sénateur Richards : David Richards, Nouveau-Brunswick.
La sénatrice Simons : Paula Simons, Alberta, territoire du Traité no 6.
La sénatrice Miville-Dechêne : Julie Miville-Dechêne, Québec.
Le sénateur Cormier : René Cormier, Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Quinn : Jim Quinn, Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Plett : Donald Plett, Manitoba.
Le sénateur Manning : Fabian Manning, Terre-Neuve-et-Labrador.
La sénatrice Sorensen : Karen Sorensen, Alberta.
La sénatrice Clement : Bernadette Clement, Ontario.
La sénatrice Wallin : Pamela Wallin, Saskatchewan.
La sénatrice Dasko : Donna Dasko, Ontario.
Le sénateur Dawson : Dennis Dawson, Québec.
Le président : Merci, honorables sénateurs. Au nom de tous mes collègues de ce comité, je voudrais souhaiter un joyeux anniversaire à notre ami et collègue, le sénateur Dawson.
Le sénateur Dawson : Où est le gâteau?
Le président : Nous nous réunissons pour poursuivre notre étude de la teneur du projet de loi C-11, Loi modifiant la Loi sur la radiodiffusion et apportant des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois.
Notre premier groupe d’experts de la soirée est composé de Scott Benzie, de Digital First Canada; de Morghan Fortier, copropriétaire et présidente-directrice générale chez Skyship Entertainment; et d’Oorbee Roy, créatrice de contenu et skateboardeuse, qui se joint à nous par vidéoconférence et à titre personnel. Soyez les bienvenus. Chacun de vous dispose de cinq minutes pour nous livrer sa déclaration liminaire. Viendront ensuite les questions des membres du comité.
Scott Benzie, directeur général, Digital First Canada : Honorables sénateurs, je vous remercie de m’accorder du temps et de me permettre de parler du projet de loi C-11. Je suis ici pour représenter Digital First Canada, un nouveau groupe de défense des créateurs en ligne. Digital First Canada est un organisme citoyen indépendant que j’ai fondé, et nous sommes reconnaissants de recevoir le soutien de partenaires de l’industrie qui valorisent les créateurs, notamment YouTube, TikTok et Henry’s. J’aimerais aborder ce projet de loi en quatre temps : le bon, le mauvais, le laid, puis le scénario catastrophe.
Tout d’abord, le bon côté. Cette mesure législative oblige les plateformes en ligne à contribuer financièrement et de manière significative au secteur culturel canadien, et c’est une bonne chose. Nous soutiendrons les efforts visant à assurer la transparence des algorithmes, à trouver des solutions à l’épuisement des créateurs et à ramener le financement des plateformes numériques vers les créateurs responsables de leur succès. Enfin, les intentions de ce projet de loi sont bonnes.
Le problème, c’est que ces intentions ne sont tout simplement pas prises en compte dans le projet de loi actuel, ce qui crée de sérieux problèmes pour les créateurs numériques. Laissez-moi vous expliquer pourquoi. À l’échelle macroscopique, le projet de loi C-11 regarde en arrière et applique les solutions d’hier concernant les problèmes de la radiodiffusion au succès retentissant que connaît actuellement la diffusion numérique. Ce faisant, il soulève un certain nombre de préoccupations.
Premièrement, il y a la question de savoir quelles voix seront entendues. Le projet de loi, tel qu’il est actuellement rédigé, signifie que c’est le CRTC qui décidera quel contenu mérite d’être en tête de liste, et non les Canadiens. Il crée une approche où certains créateurs sont favorisés par rapport à d’autres. Les plateformes sont binaires. La promotion de l’un signifie la rétrogradation d’un autre. En cherchant à promouvoir le contenu canadien de cette manière, ces mesures législatives vont en fait dresser un type de créateur canadien contre un autre.
Cela crée également certaines inquiétudes en matière d’équité. Les créateurs seront confrontés à un fardeau réglementaire insensé pour obtenir le statut officiel de CanCon. N’oubliez pas que ce système de certification doit être respecté pour chaque élément de contenu. Il ne s’agit pas simplement d’une question de nationalité du créateur. Pour un vlogueur quotidien, un diffuseur en continu Twitch ou un créateur de tendances TikTok, c’est pratiquement impossible. Cela les désavantage énormément par rapport à Bell Media et Rogers, qui ont des équipes entières qui font cela tous les jours.
Honorables sénateurs, il est important ici de noter qu’à l’heure où l’on se parle, c’est la presque totalité des créateurs numériques qui ne sont pas admissibles et qui n’ont reçu aucun financement public.
En clair, le projet de loi C-11 demande aux plateformes numériques de contribuer à un système auquel les créateurs qui utilisent ces plateformes n’ont pas accès. Qu’est-ce que cela signifie en pratique? Les voix émergentes perdront les règles du jeu équitables dont elles dépendent aujourd’hui, et les grandes entreprises médiatiques bénéficieront d’un avantage à leurs dépens.
Nous avons entendu dire que les créateurs ne réussiront pas s’ils ne réussissent pas d’abord chez eux. Il n’existe pas de plus grande désinformation. Les moyens de subsistance des créateurs, leurs entreprises et leur avenir risquent d’être étouffés par l’application d’anciennes approches à l’économie florissante des créateurs d’aujourd’hui.
Le laid, parce que c’est vraiment devenu affreux : les créateurs numériques sont littéralement sacrifiés. Je travaille avec des créateurs numériques depuis 10 ans parce que je suis passionné par les contenus qu’ils créent. Lorsque le projet de loi C-10 a été modifié au dernier moment, nous nous sommes prononcés contre. On nous a dit qu’il fallait nous organiser pour faire entendre notre voix, alors j’ai créé Digital First Canada, ou DFC. Depuis ce temps, DFC et les créateurs individuels ont subi des attaques de la part des députés et ont fait l’objet de coups de gueule dans la presse. Nos pairs des médias traditionnels nous ont dit que nous n’avions aucun pouvoir. Ils tentent de nous discréditer et de nous enlever notre légitimité parce que notre point de vue est différent du leur.
Lors du sommet des arts, de la culture et du patrimoine organisé par le gouvernement, lorsque le sujet des créateurs numériques a été abordé, un participant a crié : « Ce n’est pas de l’art », ce qui lui a valu une salve d’applaudissements. Nos efforts ont été qualifiés de désinformation, bien que des experts juridiques, des organismes comme le Forum for Research and Policy in Communications, l’Internet Society, OpenMedia, le Centre pour la défense de l’intérêt public et, surtout, le président du CRTC lui-même ont confirmé exactement ce que nous disons depuis le début.
Les créateurs numériques ne sont pas les pions des plateformes. Ils ne travaillent pas pour elles. Ce sont des entrepreneurs créatifs, et ils ne méritent pas de se faire voler leur place sur les plateformes ouvertes par des acteurs culturels traditionnels qui pensent avoir droit à la première place. Pendant trop longtemps, les créateurs numériques ont été rejetés par les groupes culturels établis au Canada, et maintenant nous sommes attaqués pour avoir demandé voix au chapitre concernant une mesure législative qui risque de détruire nos entreprises.
Comment pouvons-nous aller de l’avant? Nous voilà au Sénat, la Chambre de second examen objectif. J’espère que vous écouterez les arguments que nous présentons. Notre demande est simple : il faut que l’article 4.2 exprime en termes clairs ce qui est visé et ce qui ne l’est pas, car pour le moment, il inclut l’ensemble de l’Internet. On ne peut pas laisser le CRTC s’occuper d’un sujet aussi crucial. L’article 9.1 doit indiquer clairement que les modifications dynamiques des algorithmes sont exclues, car les modifier, c’est compromettre les entreprises canadiennes et l’accès à leur public.
Avant de conclure, nous devons nous pencher sur le pire des scénarios, celui de l’apocalypse. Si le Canada adopte cette approche à l’égard du contenu produit par les utilisateurs, il ne peut s’attendre à un traitement juste et équitable à l’étranger. Si des lois similaires sont adoptées dans d’autres pays, le Canada sera responsable d’avoir jeté les bases qui ont détruit les entreprises de centaines de milliers de créateurs canadiens. L’accès aux marchés mondiaux n’est pas une « bonne chose à avoir », mais bien un impératif. J’espère que vous comprenez tous la gravité de ce scénario. Vous pouvez ne pas m’aimer, vous pouvez même me trouver désagréable, mais les préoccupations dont je vous fais part sont très réelles et ont une incidence sur les Canadiens à l’échelle du pays.
J’ai ici une lettre, que je ferai circuler plus tard, signée par un groupe de créateurs qui partagent nos préoccupations. Cette petite lettre représente plus de 200 millions d’abonnés et des dizaines de milliards de vues mondiales par an. Il s’agit d’un petit groupe de 30 créateurs. Allez-vous les écouter?
Je vous remercie de votre temps, et j’ai hâte de répondre à vos questions.
Le président : Merci, monsieur Benzie.
Morghan Fortier, copropriétaire et présidente-directrice générale, Skyship Entertainment : Bonsoir. Mon entreprise, Skyship Entertainment, a été fondée en 2015 dans le but de créer du contenu éducatif de haute qualité pour les enfants afin d’aider les parents, les enseignants et les puériculteurs dans leur vie quotidienne. Depuis 2015, nous avons constitué une audience mondiale qui, invariablement, atteint jusqu’à 30 millions de familles, de salles de classe et de garderies. Cela inclut une bonne partie de ce million de familles et plus, ici au Canada, qui ont des enfants d’âge préscolaire à la maison.
Nous fournissons la majorité de ce contenu gratuitement sur la plateforme YouTube. Je considère YouTube comme une plateforme. Il ne s’agit pas d’un diffuseur. Un diffuseur prend des propositions et donne son feu vert à des émissions, il donne des notes créatives et, surtout, il paie les coûts de production. YouTube ne fait rien de cela. C’est parce qu’il s’agit d’une plateforme. Si vous cherchez un diffuseur des temps modernes, je pense que vous devez vous tourner vers Netflix, Disney+, HBO Max et Crave. Ils reçoivent des propositions, donnent des notes et, le cas échéant, financent la production.
Le projet de loi C-11 est un danger non seulement pour mon entreprise, mais aussi pour des milliers de créateurs de contenu canadien qui ont bâti cette industrie avec rien de plus que leur voix bien à eux et leur travail acharné. Leur contenu est apprécié par des millions de Canadiens ici au pays et par plusieurs millions de personnes à l’étranger. Ils font tout cela sans l’aide de l’État et sans que le gouvernement n’impose aux gens la manipulation de faux algorithmes.
La sénatrice Simons a correctement décrit l’article 4.2 comme étant l’« enfant à problèmes » de ce projet de loi. Je suis sûr que nous en reparlerons, comme nous reparlerons de ce qui est de savoir si le projet de loi englobe le contenu produit par les utilisateurs. Quoi qu’il en soit, indépendamment de tout cela, le CRTC nous a déjà donné son interprétation du projet de loi. Il a dit très clairement que le contenu produit par les utilisateurs est inclus dans la portée du projet de loi et qu’il obligerait les plateformes à manipuler artificiellement leurs algorithmes, de sorte que nous savons comment le gouvernement et le CRTC ont l’intention d’utiliser le projet de loi. S’ils font cela, d’autres pays suivront, et ce sera une énorme gaffe économique de la part du gouvernement.
Le 14 septembre, John Lawford était assis ici même où je suis aujourd’hui, et il a laissé entendre que mon entreprise gagnait entre 25 et 50 millions de dollars grâce aux vues canadiennes. En 2021, ces vues canadiennes ne nous ont en fait rapporté qu’environ 370 000 $. Ce qui est étonnant, c’est que cela illustre l’avantage unique que représente le contenu numérique pour l’économie canadienne. Alors que nous n’avons gagné que 370 000 $ ici au pays, nous avons payé 3,1 millions de dollars en impôts canadiens. Cela s’explique par le fait que nous sommes imposés sur nos revenus mondiaux et que la majorité de nos vues et de nos revenus proviennent de l’extérieur du Canada, comme c’est le cas pour la plupart des créateurs de contenu numérique. Si vous tenez compte des salaires que nous versons à nos 35 employés à temps plein, du loyer de notre studio à Toronto et des autres entreprises que nous soutenons ici au Canada, notre entreprise a réinjecté 6,5 millions de dollars dans l’économie canadienne en 2021. Cela signifie que notre contribution équivaut à 17 fois ce que nous prenons. À l’exception du tourisme, je ne connais pas d’autre industrie qui apporte un pourcentage aussi élevé de capitaux étrangers par rapport aux capitaux nationaux. Selon un rapport d’Oxford Economics et sur la base des seuls revenus de YouTube, en 2021, les créateurs de contenu numérique ont contribué à hauteur de 1,1 milliard de dollars au PIB du Canada.
Mais surtout, et c’est peut-être le plus important, nous exportons le contenu et la culture canadiens dans le reste du monde. J’aimerais que nous le fassions beaucoup plus. J’aimerais que les diffuseurs traditionnels le fassent. J’aimerais que CBC/Radio-Canada soit aussi regardée dans le monde entier que la BBC. C’est peut-être ce qui est le plus décourageant dans le projet de loi C-11. Il est prêt à sacrifier la portée mondiale de toutes ces voix canadiennes uniques en leur genre au nom d’une réglementation et d’une intervention gouvernementale accrues. Qui plus est, il pourrait finir par sacrifier tous ces revenus mondiaux à un moment où notre économie est déjà en difficulté.
Nous avons l’occasion de corriger ce projet de loi, et je pense qu’il est très important que nous le fassions. Je vous remercie de votre temps et j’ai hâte de répondre à vos questions.
Le président : Merci beaucoup.
Oorbee Roy, créatrice de contenu et skateboardeuse, à titre personnel : Bonjour à tous. Je m’appelle Oorbee Roy, mais je suis aussi connue sous le nom de Aunty Skates. J’ai trouvé une certaine célébrité sur TikTok après y avoir exposé mon parcours de skateboardeuse. Un an plus tard, je gagne ma vie en tant que mère sud-asiatique de 40 ans qui fait du skateboard, ici au Canada. N’est-ce pas génial? Le mois dernier, mes enfants, ma mère et moi roulions sur l’autoroute Gardiner, et ma fille a crié : « Regarde, maman, tu es sur un panneau d’affichage. » Et bien sûr, une photo de moi faisant de la planche à roulettes dans un sari était affichée sur le panneau de BMO Field. Merci, TikTok.
Récemment, j’ai fait une entrevue avec un grand média en Inde, et mon intervieweur m’a dit : « Je ne crois pas que tu réalises le mouvement que tu as lancé ici, Oorbee. Regarder une femme faire du skateboard en sari donne du pouvoir aux gens dans tout le pays. » J’ai eu des contrats de marque assez incroyables avec des entreprises internationales, dont un que j’ai obtenu par l’intermédiaire de Scott Benzie, un grand défenseur des créateurs numériques comme moi. J’ai même été appelé par un grand talk-show aux États-Unis, mais ne vous emballez pas trop. J’ai raté l’interview préalable, alors vous ne me verrez pas dans ce talk-show.
Ce sont des ouvertures à l’échelle mondiale. C’est vraiment excitant. Je me taille une vie à plein temps en tant que créatrice relativement petite. Je n’ai pas des millions d’adeptes. Je ne gagne pas des millions de dollars. C’est vraiment un voyage avec des hauts et des bas. Ma fille est celle qui me filme, et parfois elle fait la grasse matinée le samedi matin et ne filme pas, alors je n’ai pas de contenu à mettre en ligne. Si je publie des vidéos et qu’elles ne sont pas bien accueillies au Canada ou dans le monde, les marques potentielles ou les talk-shows éventuels ne les voient pas. Je n’obtiendrai pas la visibilité dont j’ai besoin et, par conséquent, je n’obtiendrai pas ces contrats. Je me démène vraiment pour gagner ma vie dans ce domaine et, franchement, j’aurais besoin d’aide.
Je crois comprendre que le projet de loi C-11 vise à faire en sorte que les géants du Web paient leur juste part pour mettre en valeur les talents canadiens. J’ai vraiment, vraiment du mal à comprendre comment ce projet de loi, dans sa forme actuelle, va m’aider en tant que talent canadien dans l’espace de contenu généré par l’utilisateur. Lors d’une séance parlementaire en juin, le député Champoux a demandé au ministre Rodriguez si les créateurs numériques comme moi — en fait, comme moi en particulier — seront admissibles au contenu canadien. Le ministre a répondu par des mots très aimables avant d’ajouter qu’il vaudrait la peine, à l’avenir, d’en découvrir davantage sur les personnes comme moi. Quoi? C’est inquiétant pour moi. Pourquoi ce projet de loi repousse-t-il les créateurs de contenu numérique canadien dans l’avenir, mais inclut-il maintenant les plateformes de contenu généré par les utilisateurs? Ne sommes-nous pas les personnes que ce projet de loi est censé aider?
Est-ce que l’argent versé par TikTok à des créateurs comme moi pour des campagnes d’affichage ira plutôt dans un système qui ne me permettra plus d’en voir la couleur parce qu’il sera remis aux géants des médias et aux grandes équipes du contenu canadien approuvé par le CRTC? Supposons que je sois considérée comme créatrice de contenu canadien. Qu’est-ce que cela signifie? Dois-je embaucher mon fils de dix ans pour m’aider à soumettre pour approbation chaque élément de contenu de planche à roulettes à titre de contenu canadien? On me dit que c’est une démarche fort fastidieuse. Vais-je perdre du temps de diffusion au profit de personnes et d’organisations qui peuvent être reconnues comme offrant du contenu canadien, ce qui forcerait les Canadiens à regarder ce contenu même s’ils veulent plutôt que je leur enseigne à faire un demi-tour sur place? Justement, à propos du temps de diffusion, le contenu canadien approuvé et financé par les fonds publics va essentiellement bénéficier de la plage de 20 heures du jeudi soir, où l’écoute est grande, tandis que je serai reléguée, comme des milliers d’autres créateurs de contenu numérique qui se démènent pour gagner leur vie, à 21 heures, le vendredi soir, véritable cimetière télévisuel. J’ai témoigné devant le Comité du patrimoine à plusieurs reprises, et j’ai essayé de lui faire comprendre l’incidence que le projet de loi aura sur des créateurs comme moi. On m’a dit à maintes reprises que je ne serai pas touchée, que ce seront seulement les résultats qui seront affectés. Mais, dans les faits, je vais être touchée. Quelqu’un doit céder sa place, et si nous sommes présentés plus tard, celui qui perd sa place, c’est nous.
Le métier de créateur de contenu numérique n’est pas encore pleinement défini, et nous avançons tous à tâtons, certains avec plus de succès que d’autres. Toutefois, si quelqu’un comme moi, modeste créatrice, peut gagner sa vie ainsi, ne devrait-on pas l’accepter, le promouvoir et en être fiers? Ne nous éliminez pas pour aider d’autres acteurs que vous jugez admissibles. Clarifions l’article 4.2 et progressons ensemble. Facilitez l’accès à la reconnaissance à titre de contenu canadien ou créez une catégorie pour les créateurs de contenu numérique. Assurez la représentation des créateurs de contenu numérique au sein du CRTC ou leur collaboration avec les plateformes pour établir ce qui est bel et bien du contenu canadien sans que nous ayons à passer par une bureaucratie fastidieuse ou de la réglementation gouvernementale. Veillez à ce qu’une part de l’argent versé dans ces fonds par les plateformes revienne aux créateurs de contenu numérique afin que l’on puisse voir plus de gens comme moi sur des panneaux d’affichage.
Merci. Je serai heureuse de répondre à vos questions.
Le président : Merci beaucoup.
En tant que président, je vais lancer la période de questions avant de céder la parole à mes collègues. Monsieur Benzie, j’ai écouté votre déclaration liminaire avec grand intérêt. Bien sûr, ce n’est pas la première fois que nous entendons des créateurs de contenu numérique à propos d’un projet de loi conçu pour établir quel contenu est regardé et lequel ne l’est pas. Semaine après semaine, au fil de notre étude, nous constatons les lacunes de ce projet de loi. Il y a diverses choses qui ressortent.
Mais quelque chose me perturbe. Il était question d’attaques et d’un travail de sape dans le Globe and Mail d’aujourd’hui. J’ai suivi les échanges sur les médias sociaux là-dessus, et vous y avez aussi fait brièvement allusion. Je vais vous poser une question bien précise, car je suis très préoccupé. C’est une chose pour le gouvernement de viser l’adoption d’une loi établissant ce que nous regardons, ce que nous affichons et ce que nous entendons, mais c’en est une autre d’entendre un témoin qui comparaît devant un comité sénatorial souligner qu’il a été en quelque sorte intimidé ou attaqué dans le cadre d’un processus parlementaire. D’après les allégations qui ont fait surface aujourd’hui, les attaques à votre endroit semblent être venues d’un député qui était directement associé au gouvernement, soit le secrétaire parlementaire de nul autre que le ministre du Patrimoine. Pourriez-vous nous expliquer un peu de quoi il retourne s’il vous plaît? En tant que parlementaire, cela me perturbe énormément.
M. Benzie : Merci, monsieur le président. Je serais heureux de vous fournir de brèves précisions. Je ne veux vraiment pas consacrer beaucoup de temps à cela. Mmes Roy et Fortier m’inspirent et j’aimerais les entendre davantage.
C’est la deuxième fois que je comparais devant un comité. J’ai d’abord témoigné à la Chambre, puis maintenant au Sénat. Avant ces deux comparutions, j’ai dû gérer le travail de sape effectué à mon endroit dans les médias. Les créateurs de contenu doivent constamment gérer la remise en question de leur pertinence par les organisations. L’article en question dans le Globe and Mail affirme que je ne respectais pas les règles du lobbying. La première fois que la question a été soulevée, j’ai communiqué avec le groupe sur le lobbying. Je l’ai fait à maintes reprises. Le groupe m’a confirmé par courriel que, aux fins de la loi, je suis conforme au registre. Donc, je ne comprends pas. Dire que le moment choisi pour publier cet article m’est apparu suspect relève de l’euphémisme. Cela dit, je préfère que nous consacrions notre temps à la tâche qui nous occupe.
Le président : Je vous comprends. Cela dit, en tant que parlementaires, la transparence et la reddition de comptes sont des processus très importants pour nous. Vous affirmez avoir communiqué avec les responsables qui ont confirmé que les accusations formulées à votre endroit sont sans fondement. À qui vous êtes-vous adressé?
M. Benzie : Oui. La question et les accusations ici ont trait à la divulgation de renseignements financiers par l’industrie privée, ce que je n’ai jamais caché, en passant. On l’a mentionné dans quatre publications différentes jusqu’à maintenant, et l’information a été reprise à grande échelle. Cela n’est pas de la nouvelle. Nous recevons des fonds des plateformes partenaires.
Le groupe sur le lobbying m’a répondu aujourd’hui, car j’ai demandé une réponse écrite après quelques appels.
Monsieur, nous avons bien reçu votre courriel de suivi. Merci. Comme je l’ai dit dans ma réponse précédente, la Loi exige uniquement la divulgation de fonds publics pour les fins du registre. N’hésitez pas à communiquer avec nous si vous avez d’autres questions.
Je n’ai pas reçu un sou de fonds publics.
Le président : La lettre à laquelle vous faites référence vient-elle de la commissaire au lobbying?
M. Benzie : Elle vient d’info@lobbycanada.gc.ca.
Le président : Accepteriez-vous de la remettre au comité?
M. Benzie : Bien sûr. Je peux absolument le faire.
Le président : Ce serait très gentil de votre part.
J’ai une dernière question avant de céder la parole à mes collègues : au cours du processus à la Chambre des communes, vous êtes-vous senti intimidé, bâillonné ou brimé par qui que ce soit de quelque façon que ce soit?
M. Benzie : Oh, on peut revoir la vidéo. Vous pouvez regarder ma comparution à la séance du comité de la Chambre. On m’a attaqué et d’autres aussi. On s’en est pris aux créateurs de contenu numérique d’une façon que nous n’avions jamais vue jusque là, au point où, permettez-moi de vous le dire, beaucoup de créateurs de contenu numérique ont refusé de prendre la parole, car ils voient bien le traitement qu’on leur réserve. On a menti sur mon compte à la séance d’un comité.
Le président : À part vous, y a-t-il d’autres créateurs de contenu numérique qui se seraient sentis intimidés ou auraient eu l’impression qu’un parlementaire tentait de les censurer ou de les faire taire?
M. Benzie : Oui. Je ne veux pas parler en leur nom, mais vous pouvez jeter un coup d’œil au témoignage de Darcy Michael sur la Loi sur le statut de l’artiste, où il a dû marquer une pause et a déclaré se sentir intimidé en plein milieu de son témoignage, avec des questions qui ne sont pas posées à nos pairs.
Le président : Merci, monsieur Benzie.
Le sénateur Cormier : Ma question s’adresse à M. Benzie. Je voudrais mieux comprendre la relation entre les créateurs et les plateformes technologiques. Serait-il juste de dire que les créateurs que vous représentez dépendent de ces plateformes pour héberger leur contenu? J’aimerais connaître le pouvoir de négociation des créateurs par rapport à ces plateformes. Mais surtout, je voudrais savoir ce que ces plateformes devraient améliorer afin de mieux soutenir les créateurs canadiens de contenu numérique, donc pas ce qu’elles font actuellement, mais plutôt ce qu’elles pourraient améliorer.
M. Benzie : C’est une excellente question. Merci, sénateur. Mmes Roy et Fortier sont là et peuvent mieux vous renseigner que moi sur cette relation.
Ce que je peux dire, c’est que l’idée erronée voulant que les créateurs travaillent pour une plateforme en particulier est très répandue. Ce n’est pas le cas. Les plateformes fournissent un service. Elles fournissent un mode de distribution et partagent les revenus avec les créateurs. Donc, il n’y a aucune relation. Rien ne nous oblige à y recourir. Nous ne sommes pas dans l’ancien univers de la diffusion où une seule plateforme, voire trois ou quatre entreprises, ont le contrôle. Aucun créateur prospère n’est attaché à une plateforme. Les créateurs utilisent différentes plateformes de diverses façons et créent des communautés. Les plateformes sont un mode de distribution.
Le sénateur Cormier : Je ne veux pas vous interrompre. Je comprends cela, mais elles font beaucoup d’argent. Ce que je veux comprendre, c’est ce qu’en tirent les créateurs. Quelle est la relation? Que peuvent-elles améliorer? Car elles font beaucoup d’argent.
M. Benzie : Bien sûr.
Le sénateur Cormier : Je m’inquiète pour les créateurs. Je veux vous entendre là-dessus et, évidemment, Mme Roy pourra aussi nous donner son point de vue.
M. Benzie : Elles peuvent faire bien plus. Selon moi, il faudrait non seulement prélever tout l’argent que vous demandez aux plateformes numériques, mais en quadrupler la somme. Elles devraient investir davantage dans l’économie de création, ici même, au Canada, mais en concentrant les efforts sur l’approvisionnement. Elles devraient faire découvrir de nouveaux créateurs, offrir plus de programmes de financement et plus de programmes pour rémunérer les créateurs, mais aussi concevoir de la formation sur l’utilisation de l’éclairage, des caméras et des microphones, sur le développement commercial et sur la vente de marchandises. Elles devraient investir de cette façon pour aider les créateurs à établir leurs activités commerciales. C’est ce qui permet à un créateur de prospérer.
Mme Roy : J’allais pour ainsi dire formuler les mêmes remarques que M. Benzie. Je suis surtout présente sur la plateforme TikTok. À titre d’exemple, TikTok a payé pour l’énorme panneau d’affichage sur lequel je figurais. TikTok nous offre, à moi et à d’autres créateurs canadiens, beaucoup d’occasions de se faire connaître. J’ai parlé de création de contenu au Buffer Festival et j’ai beaucoup d’occasions d’affaires. Je ne suis d’ailleurs pas la seule.
Évidemment, TikTok pourrait m’aider davantage. Parfois, je demande aux responsables s’ils ne pourraient pas m’aider davantage. Je leur pose des questions. J’ai vraiment l’impression qu’ils sont à l’écoute. Nous avons une conversation soutenue, je trouve. J’aimerais recevoir plus de formation au fil de mon exploration de cet espace, peut-être à propos de la gestion des contrats avec les marques et sur l’établissement de ma valeur, afin que je comprenne bien ce qu’elle est. Un aspect important dont je parle est la capacité de travailler avec d’autres créateurs de contenu. La création de contenu numérique est un domaine où on se sent très seul. Beaucoup de créateurs de contenu numérique ressentent cette solitude. Donc, oui, les plateformes nous aident et elles pourraient en faire encore plus.
Le sénateur Cormier : J’ai cru comprendre que TikTok a annoncé que les créateurs canadiens auraient accès à son fonds de création en janvier 2022. Est-ce que les créateurs de contenu numérique canadiens ont aujourd’hui accès au fonds pour les créateurs de TikTok? Si non, pourquoi? À quoi est dû ce retard? Pouvez-vous nous en dire plus là-dessus?
Mme Roy : Je ne travaille pas pour TikTok, donc je ne peux pas vous répondre. Je n’ai pas accès au fonds pour les créateurs. Je ne suis pas certaine de la réponse à votre question. Pour être franche, je crois que c’est prévu, mais je ne sais pas exactement à quelle date. Je ne peux pas parler au nom de TikTok.
M. Benzie : Si je peux intervenir un instant, les créateurs canadiens sur TikTok devraient tout à fait avoir accès à un fonds pour les créateurs de TikTok. Et le plus tôt sera le mieux. Si c’était inscrit dans ce texte législatif, nous l’appuierions avec enthousiasme.
Le sénateur Cormier : Merci.
Mme Roy : Nous le leur demandons constamment, donc, oui, je suis d’accord. J’adorerais en faire partie.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : J’aimerais poursuivre sur cette question du contenu canadien, plus particulièrement du contenu canadien minoritaire francophone. Je vous ai entendu parler avec beaucoup d’énergie de vos contenus respectifs et je suis en admiration devant vous tous.
Toutefois, la question est plus large. Comment peut-on s’assurer que le contenu francophone, sur un continent plutôt anglophone, soit écouté et entendu seulement avec les forces du marché? Avez-vous réfléchi à cette question en particulier? Oui pour la culture majoritaire, oui pour le contenu canadien en général, mais quand on essaie de faire vivre la culture québécoise et francophone, encore faut-il que les Québécois et les francophones canadiens entendent cette culture et cette musique. J’aimerais vous entendre à ce sujet.
[Traduction]
M. Benzie : Est-ce une question pour moi, sénatrice?
La sénatrice Miville-Dechêne : Pourquoi pas?
M. Benzie : Super. En ce qui concerne le Québec et nos créateurs québécois, j’aimerais attirer votre attention sur quelques points, vu que le Québec a des défis uniques qui ne concernent pas une bonne partie du pays. Emma Verde, marty Ba, Lysandre Nadeau, Jessie Poo, Rosalie Lessard, Pierre-Luc Cloutier, Emma Bass, Émile Roy, Polo et Fred Bastien sont d’excellents créateurs de contenu numérique qui ont établi des entreprises et une carrière en ligne. Et c’est à grande échelle. C’est leur travail à temps plein. La question est d’établir si nous voulons les classer avec les médias traditionnels approuvés. Je vous invite à discuter avec eux. Je serais heureux de faire les présentations. Je sais que Fred Bastien sera ici la semaine prochaine. J’ai hâte que vous en discutiez avec lui. Il y a un sous-groupe de créateurs de contenu numérique au Québec qui connaît une belle réussite. L’idée et la difficulté, bref, ce que nous essayons de promouvoir, c’est de protéger ces créateurs de sorte à ne pas favoriser les médias traditionnels à leurs dépens.
La sénatrice Miville-Dechêne : Qui plus est, sont-ils entendus au Québec? Ont-ils un public au Québec? Est-ce que l’on écoute la musique francophone au Québec quand elle y est diffusée? C’est le bout difficile. Oui, vous êtes des créateurs et vous concevez du contenu qui est vu sur la planète, mais il doit aussi être vu au Canada afin de contribuer à la culture francophone.
M. Benzie : Toutes les personnes que j’ai nommées sont avant tout des créateurs francophones du Québec. Leur public principal est au Québec dans tous les cas.
La sénatrice Miville-Dechêne : Avez-vous quelque chose à ajouter?
Mme Fortier : Je verse de temps à autre dans la consultation comme à-côté. Dans la majorité des cas, je travaille avec des sociétés de production qui produisent probablement du contenu numérique pour les diffuseurs, et elles font leur grande entrée dans le monde numérique. C’est quelque peu anecdotique, mais je vais en venir à mon point. La première question qu’elles me posent toutes systématiquement est : « Qui dois-je appeler à YouTube pour les aviser que je télécharge mon contenu? » C’est une question tout à fait raisonnable dans une industrie qui met tant l’accent sur le modèle de distribution des diffuseurs. L’expérience m’a montré qu’il y a un retard en matière d’éducation. Les créateurs de contenu, surtout au Canada, bénéficieraient énormément d’une campagne de sensibilisation. Je crois que c’est la sénatrice Clement qui a soulevé la question de l’éducation il y a quelques semaines. L’idée de sensibiliser la population canadienne me paraît porteuse.
Quelqu’un d’autre se souvient-il de la campagne « I am Canadian » (je suis canadien)? Était-ce pour une bière? Je ne m’en souviens pas. Tout ce dont je me souviens, c’est de la campagne. Nous, les Canadiens, avons une très grande fierté nationale. Nous vivons assez loin les uns des autres. Il s’agit d’une industrie relativement nouvelle au Canada. Il y a un manque d’éducation en matière de soutien et de développement des créateurs de contenu de toutes les langues et de tous les domaines de l’industrie. Nous ne sommes pas une anomalie ou une bizarrerie. Nous sommes un exemple des résultats qui peuvent être obtenus lorsque ces efforts sont soutenus.
J’aime l’idée d’organiser une véritable campagne publicitaire à l’échelle nationale, une campagne que les plateformes soutiendraient avec l’aide de Patrimoine Canada. C’est très romantique, mais j’aime cette idée — une campagne « Je suis canadien » pour les créateurs. Lorsque nous rencontrons des parents d’enfants d’âge préscolaire et que nous leur faisons savoir que nous sommes les créateurs de Super Simple Songs, le fait que nous soyons canadiens est comme la cerise sur le sundae. La fierté est là. Le public nous écoutera. Il suffit de trouver le contenu qui convient, mais on ne peut pas forcer les choses.
Le président : Merci, madame Fortier. Je suis le contrôleur du temps, et le temps de parole de la sénatrice Miville-Dechêne est écoulé.
Le sénateur Manning : Je souhaite la bienvenue aux témoins qui se joignent à nous ce soir.
J’adresse ma question à Mme Fortier, mais tous les autres témoins peuvent intervenir si le temps le permet. Les promoteurs de ce projet de loi ne cessent de parler de l’élimination des obstacles pour les artistes, et plus particulièrement pour les Autochtones, les personnes noires et de couleur, et les Canadiens francophones. Cependant, deux autres témoins nous ont dit plus tôt que la réglementation du contenu généré par les utilisateurs, comme le fera le projet de loi C-11, aura l’effet contraire et créera des obstacles là où il n’y en a pas en ce moment. Pourriez‑vous nous en dire davantage sur les obstacles créés involontairement par le projet de loi C-11 auxquels se heurteraient les communautés potentiellement vulnérables, et pourriez-vous peut-être comparer les possibilités peu restrictives qu’Internet offre de nos jours aux créateurs avec celles qui étaient offertes par la radiodiffusion traditionnelle avant l’avènement d’Internet?
Mme Fortier : Commençons par la radiodiffusion traditionnelle. Le nombre de radiodiffuseurs est limité, et il n’y a qu’un nombre limité d’heures dans une journée de diffusion. Il n’y a donc qu’un nombre limité d’occasions pour le contenu canadien d’être transmis par un diffuseur terrestre — un diffuseur traditionnel.
En ce qui concerne les médias numériques, il n’y a jamais eu d’époque comme la nôtre. Pourvu que vous disposiez d’une caméra et d’un microphone convenables, vous pouvez créer du contenu. L’obstacle à la participation en matière de création de contenu numérique est aujourd’hui quasi inexistant, dans la mesure où l’inspiration, la détermination, le dévouement et l’ardeur existent, car malheureusement, le travail ne se limite pas à 12 épisodes. Mme Roy sera probablement en mesure d’en parler. Notre public est un peu différent; il s’agit d’enfants d’âge préscolaire. Leur taux de renouvellement du visionnement n’est pas aussi élevé que celui du public pour lequel il faut télécharger des vidéos sept fois par jour, sept jours par semaine, et 365 jours par année. Toutefois, Mme Roy exerce ses activités dans ce milieu, qui exige une tonne de détermination et de ressources. Cependant, même si vous prenez la totalité des risques, vous récoltez la totalité des bénéfices si vous réussissez réellement à pénétrer ce milieu, à commencer à manœuvrer, à apprendre, à vous développer, à comprendre comment votre contenu se comporte, quelle est votre communauté et quels sont les autres créateurs de contenu, et que vous élargissez les services que vous offrez à cette communauté. Pour reprendre l’argument de Mme Roy, c’est une industrie solitaire. Nous n’avons pas l’occasion de nous fréquenter parce que nous sommes tous tellement occupés à réaliser le travail nécessaire.
Il n’y a pas de feu vert. Il n’y a pas de présentation à faire. Il n’est pas nécessaire d’appeler qui que ce soit chez YouTube pour l’informer de l’arrivée de votre contenu. La seule porte d’entrée, aussi romantique que cela puisse paraître, c’est l’inspiration nécessaire pour faire le travail et le courage d’aller de l’avant. Le défi consiste à évaluer les coûts et l’ampleur du travail nécessaire. Il n’arrive jamais que les créateurs de contenu qui pénètrent dans ce milieu quittent leur emploi à temps plein pour se consacrer entièrement à la création de contenu. Cela prend des années. Nous constatons qu’il faut probablement de trois à quatre ans avant qu’une de nos chaînes soit lancée et entre dans le système. Mais nous sommes constamment en train d’entreprendre de nouveaux projets. Nous apprenons constamment et comprenons constamment les besoins de notre communauté. Cette croissance et les informations que nous recueillons, qu’elles proviennent des commentaires, des parents, des enseignants ou de ce que nous apprenons en examinant nos analyses rétrospectives, font toutes partie du processus de travail.
En ce qui concerne l’accès d’un point de vue en quelque sorte mondial, le Canada représente 0,5 % de la population mondiale et environ 2,5 % de notre public mondial. Je pense que ces chiffres sont relativement répandus pour beaucoup de créateurs de contenu, dont le principal public est probablement les États-Unis, suivis du Royaume-Uni. Il y a quelques pays à courtiser. Ils dépendent principalement de la taille de la population et du pourcentage qui utilise activement la plateforme. Dans certains pays, il y a moins de gens qui regardent YouTube. Notre cote d’écoute fluctue certainement tout au long de l’année. Les vacances d’été sont plutôt calmes, mais cela s’explique, étant donné que nos auditeurs ne sont pas assis devant leur écran.
Madame Roy, vous pouvez également intervenir, car vous avez un point de vue différent.
Mme Roy : Bien sûr. Ma principale plateforme est TikTok, et je pense que la meilleure façon de s’assurer que le contenu francophone et celui des personnes noires et de couleur sont protégés et continuent d’être visionnés consiste à profiter de cette occasion pour éduquer ces créateurs sur la façon de concevoir un bon contenu. On ne peut pas se lancer dans un domaine, devenir un expert et occuper une place de premier plan tout de suite. Il faut y travailler. Il faut s’améliorer. Comme Mme Fortier l’a dit plus tôt, je pense que l’éducation est vraiment la clé du succès. Je crois que des plateformes comme TikTok ont mis en place des programmes accélérés pour venir en aide aux personnes noires et de couleur et peut-être aussi aux francophones, afin de s’assurer que ces communautés sont éduquées et secondées.
La sénatrice Wallin : Je dirais d’abord que vous avez tous les trois été une source d’inspiration. Je vous remercie d’avoir expliqué aussi directement la différence entre un radiodiffuseur et une plateforme. Ces services ne sont pas les mêmes.
Je voudrais revenir à M. Benzie afin de parler de la question de la transparence des algorithmes, car c’est aussi l’un de mes chevaux de bataille. Je pense que ce sujet est important et que la transparence permettrait de résoudre certains problèmes. Pouvez‑vous nous parler brièvement de la manière dont cela pourrait se produire? Que devrait révéler une plateforme pour que je la juge transparente?
M. Benzie : Premièrement, les algorithmes donnent lieu à de nombreuses idées fausses. Il ne s’agit pas vraiment d’une licorne sacrée indestructible, ou d’une situation dans laquelle un type derrière un rideau choisit comme par magie le contenu que nous voyons tous. Chaque personne a une sorte d’identité, et le contenu est adapté à chacun.
Je pense qu’il serait bon de faire preuve de transparence en ce qui concerne la manière dont le contenu est choisi. Le problème, c’est que cela ne figure nulle part dans ce projet de loi. La transparence n’est pas mentionnée. La clarté pour les créateurs est une notion que nous défendons toujours. La clarté est difficile à atteindre lorsque les règles changent rapidement ou lorsque quelque chose se passe sans qu’on le sache, mais je pense qu’en ce qui concerne YouTube, la plupart des créateurs savent que l’utilisation partagée, la qualité du contenu et la durée de visionnement sont les trois principaux facteurs qui les aideront à tirer parti de l’algorithme.
M. De Eyre, le représentant de TikTok, était ici la semaine dernière, je crois, et il a mentionné que TikTok exposait ses algorithmes à une certaine étude. Je pense que toutes les plateformes devraient suivre cet exemple. Nous passons beaucoup de temps à parler de YouTube, TikTok, Twitch et Spotify, mais il y a tellement de plateformes que nous n’avons même pas encore exploré la surface de ce dont nous parlons.
Je tiens à avertir tout le monde que les algorithmes ne sont pas une panacée qui réglera les problèmes de chaque personne une fois que nous aurons découvert comment ils fonctionnent. Mais pour ce qui est de la transparence de leur fonctionnement, des moyens d’assurer cette transparence et de la mesure législative qui permettrait de réaliser cet objectif, j’approuve totalement cette intention.
La sénatrice Wallin : Je soulève cette question parce que le président du CRTC nous a fait part de ce point précis. Il a dit ce qui suit : « Nous n’allons pas censurer ou contrôler le contenu; nous allons obliger les plateformes à le faire en modifiant leurs algorithmes ». Est-ce un processus simple, parce que même la tâche de définir comment ils les modifieraient pour atteindre ces objectifs dépasse...
M. Benzie : Non. Merci, sénatrice. Il est vraiment dément d’essayer de réfléchir à la façon d’accomplir cette tâche.
La sénatrice Wallin : « Dément » est-il un terme technique?
M. Benzie : Oui. Prenez-le en note. En fait, au début de mon témoignage et de ce processus relatif au projet de loi, j’ai déclaré que la seule façon d’obtenir les résultats dont ils parlent est la manipulation algorithmique. C’est vraiment le cas. Ils disent, « Eh bien, nous allons juste avoir un onglet pour le Canada quelque part, ou nous allons juste faire ceci ou cela ». Toutes les plateformes sont différentes. Cette approche ne fonctionne pas sur TikTok ou sur Instagram. Il n’y a aucun endroit à l’écran pour réaliser cela. La manipulation algorithmique est la seule façon d’accomplir cette tâche. Une fois que vous commencez à choisir les gagnants et les perdants dans ce domaine, les gens comme Mme Roy ou Mme Fortier en souffrent. Des gens comme les créateurs avec lesquels nous travaillons quotidiennement en souffrent. Le CRTC est littéralement en train de choisir les gagnants et les perdants en ce moment, et cela ne va pas fonctionner. Voilà la vérité.
La sénatrice Wallin : Il s’agit d’un modèle très ancien, car nous avons constaté qu’ils avaient tenté de le faire fonctionner dans le secteur de la radiodiffusion. Cette sélection des gagnants et des perdants n’a pas fonctionné non plus dans ce contexte.
Madame Fortier, je tiens à vous remercier pour les précisions que vous avez apportées au sujet de ce modèle. J’ai travaillé toute ma vie dans ce secteur, où vous téléphonez à un radiodiffuseur et lui dites, « Voici une idée géniale », et vous passez en revue le processus en entier. Ce n’est tout simplement pas ce qui est en jeu en ce moment. Vous devez juste avoir le courage et l’inspiration pour créer le contenu.
Mme Fortier : Si cela peut vous aider, j’ai une anecdote à vous raconter. Nous exerçons nos activités dans le volet « enfants et famille ». Les éléments que nous avons à notre disposition comme outils sur YouTube sont maintenant différents, en raison de la conformité à la Children’s Online Privacy Protection Act (COPPA) qui a été mise en œuvre au début de 2020. Toutefois, cette anecdote remonte à 2019. Un problème est survenu du côté de l’algorithme de YouTube qu’ils auraient modifié en 2019. Je crois que l’objectif ou la tentative était d’obtenir un contenu de qualité pour les enfants et les familles sur la plateforme, afin que les parents puissent le trouver facilement. Eh bien, ce qui s’est passé, c’est que tous ceux qui regardaient quoi que ce soit sur YouTube ont commencé à recevoir des recommandations liées à des contenus pour les enfants et les familles, et la majorité de ces contenus n’étaient pas en anglais. Ils provenaient en fait d’autres pays. Sur Twitter, Facebook et les forums Reddit, les gens essayaient de comprendre pourquoi on leur recommandait des contenus pour les enfants et les familles, surtout s’ils n’avaient pas d’enfant dans leur vie. Il était brutal d’être relié à ce volet, car l’opinion populaire ou l’impression était que YouTube imposait du contenu aux gens, ce qui suscitait une certaine méfiance à l’égard de la plateforme. On avait le sentiment que des gens cherchaient à faire de l’argent en faisant la promotion de contenus pour les enfants et pour les familles, ce qui n’est pas une bonne chose quand on essaie d’avoir un contenu de qualité et digne de confiance. Les gens avaient vraiment l’impression qu’on portait atteinte à leurs habitudes d’écoute, car le contenu leur était soudainement imposé, peu importe ce qu’ils regardaient ou faisaient sur la plateforme. Ce problème a pris fin un jour ou deux plus tard, après un rajustement de l’algorithme. Ces recommandations se sont arrêtées, et tout est revenu à la normale.
Le président : Merci, madame Fortier. Le temps de parole de la sénatrice Wallin est écoulé.
La sénatrice Simons : Madame Fortier, j’ai eu le plaisir de parler avec vous en ligne. Puisque vous comparaissez devant le groupe en entier, je me demande si vous pourriez expliquer un peu votre modèle d’affaires pour les personnes qui ne le connaissent pas. Nous avons entendu un grand nombre de producteurs en quelque sorte autonomes, de personnes qui créent du contenu. Je ne veux pas utiliser l’expression « industrie artisanale » de manière péjorative, mais vous comprenez ce que je veux dire; ils exploitent une petite entreprise. Votre entreprise n’est pas une petite. Elle est internationale, et elle réalise plusieurs millions de dollars, bien que vous diffusiez gratuitement votre contenu. Pour les personnes qui ne connaissent pas votre entreprise, pouvez-vous expliquer ce que vous produisez exactement, comment vous monétisez vos produits, et quelle est la taille de votre entreprise?
Mme Fortier : Tout d’abord, je commencerai par dire — et je le dis sincèrement — que je vous invite tous à venir visiter notre studio à Toronto. Il y a des marionnettes là-bas, et tout le monde adore jouer avec des marionnettes. Il y a aussi des animateurs fantastiques, et il est toujours amusant de voir quelqu’un animer une émission.
Lorsque les créateurs de contenu YouTube commencent à développer leurs services sur la plateforme, il est très fréquent qu’ils se lancent dans d’autres activités ou d’autres exploitations. Je ne suis pas économiste, mais de la même manière que vous ne voulez probablement pas investir dans une seule action, vous ne voulez pas non plus choisir une seule plateforme pour exercer vos activités. Tôt ou tard, votre objectif consistera à tirer parti de votre réussite sur une plateforme — dans notre cas, il s’agit de YouTube — pour étendre vos activités dans d’autres secteurs. On voit les créateurs de contenu s’adonner à cela tout le temps. Il y a beaucoup de créateurs de contenu lié à des marques de style de vie qui se tournent vers l’édition de livres. Il n’est pas rare que des artistes qui font leurs débuts dans des vidéos musicales développent vraiment leur musique en continu. Leur réussite et la portée de leur auditoire sur une plateforme les aident à développer ces autres agrégats.
Nous exerçons nos activités sur plusieurs fronts différents. Nous possédons vraiment un studio d’animation, et c’est ce que vous voyez lorsque vous franchissez les portes de notre studio. C’est vraiment le travail que nous faisons. Toutefois, il se trouve que nous distribuons nos produits nous-mêmes. Nous les autofinançons. Notre entreprise est axée sur la rentabilité. Nos revenus sont fondés exclusivement sur AdSense. Nous ne négocions pas de contrats avec des marques, parce que la situation est un peu différente lorsque l’on a affaire à des enfants d’âge préscolaire. Nous réinvestissons ces revenus dans du contenu d’animation. Nous produisons des vidéos musicales et des séries animées.
Pas plus tard que cette année, nous avons commencé à élargir ces possibilités. Par exemple, Scholastic va devenir notre éditeur mondial de livres, et nos produits feront partie des Scholastic Book Clubs, qui m’ont fait passer certains des moments les plus heureux de mon enfance. Je suis ravie qu’ils en fassent partie. Nous travaillons également avec Warner Chappell Music, qui nous aide à distribuer notre musique en ligne. Le succès de cette musique est certainement lié à notre communauté sur YouTube.
Nous commençons lentement à commercialiser des produits de consommation, et nous essayons de comprendre ce que cela signifie. À chaque étape, nous apprenons des concepts, et nous essayons de comprendre ce que cela signifie pour nous et ce que cela signifie pour notre communauté. Tout revient à cette sensibilité de base. Cette démarche est progressive, et nous avançons à petits pas. Cette évolution ne se fait pas du jour au lendemain.
La sénatrice Simons : Lorsque l’on examine le paragraphe 4.2(2) proposé, qui exempte le contenu généré par des utilisateurs à moins que telle ou telle condition soit remplie, il me semble assez clair que les contenus de Mme Roy seraient exemptés. Il est assez clair que les contenus de Wyatt Sharpe, qui est venu nous parler hier, seraient également exemptés. Vous appartenez à une catégorie exponentiellement différente. Quelles sont vos préoccupations au sujet du paragraphe 4.2(2) et de son incidence sur une entreprise comme la vôtre?
Mme Fortier : Je sais qu’on dit que nos activités s’apparentent beaucoup à celles d’un diffuseur, mais nous n’avons pas de contrôle sur ce qui se passe sur la plateforme sur laquelle nous distribuons notre contenu. Nous ne négocions pas les revenus publicitaires que génère notre contenu. Nous n’accordons pas de licence pour la propriété intellectuelle d’autrui. Nous ne distribuons pas le contenu d’autres personnes. Les activités que nous menons sont très différentes. Nous sommes un studio de production qui distribue son contenu. Ce modèle existe dans le secteur traditionnel de l’industrie.
J’ai quelques inquiétudes concernant l’article 4.2. La première en particulier, c’est que je ne comprends pas très bien pourquoi une loi sur la radiodiffusion qui s’applique aux radiodiffuseurs s’appliquerait maintenant jusque là, jusqu’à la production. Cela m’inquiète parce que, pour être honnête, presque tous les studios de production au Canada font du numérique. Sinon, ils en feront bientôt parce que les radiodiffuseurs participent à cela. Vous avez entendu des témoins plus tôt cette semaine et la semaine dernière vous parler de diffuseurs qui représentent des studios de production. Tout aboutit au même endroit. Ils ne sont pas assujettis à la Loi sur la radiodiffusion pour l’instant, mais pourquoi est-ce qu’on parle de les inclure à ce stade-ci? Cela me semble très étrange. Je le sais parce que je vous observe depuis plusieurs semaines et vous êtes très dévoués.
Le président : Merci, madame Fortier.
La sénatrice Dasko : J’adore le thème des algorithmes, alors je veux y revenir, surtout avec M. Benzie. Pour moi, la question n’est pas tant celle de la transparence des algorithmes, aussi intéressant cela soit-il, puisqu’il est toujours intéressant de savoir quels facteurs entrent en jeu et comment ils fluctuent, entre autres, donc il serait très bien de comprendre tout cela, mais pour moi, la question est de savoir comment le public les utilise.
J’essaie de comprendre le problème. Il est écrit dans le projet de loi que le CRTC ne peut pas obliger les plateformes à utiliser un algorithme. Ainsi, il exempte les plateformes de l’obligation de changer leurs algorithmes. Voudriez-vous que nous améliorions le libellé du projet de loi en ce qui concerne les algorithmes, ou êtes-vous satisfait du libellé actuel? Bien sûr, il faut préciser que lorsque le président du CRTC a comparu devant nous, il a brouillé les pistes. Est-ce que le libellé du projet de loi est bon ou pas, selon votre point de vue?
M. Benzie : Merci, sénatrice.
Pour répondre rapidement à la question de la sénatrice Simons, d’abord, le paragraphe 4.2(2) s’applique tout à fait à Oorbee et Wyatt. Je serai heureux d’en rediscuter avec vous à la prochaine occasion. Il n’en sont pas exclus.
Pour ce qui est des algorithmes et de l’article 9.1, non, ce libellé n’est pas bon. On prend YouTube sur une plateforme X et l’on dit qu’on n’extrapolera pas la situation à toutes les plateformes numériques. Ce n’est pas conforme à la réalité. Ce que la loi dicte, en fait, c’est qu’on n’imposera pas d’algorithme particulier. Le CRTC n’ira donc pas obliger YouTube et TikTok à utiliser tel ou tel algorithme. Il leur indiquera plutôt que ce qu’il veut qu’ils fassent. Dans bien des cas, l’unique solution sera d’utiliser un algorithme. TikTok, par exemple, n’a pas d’espace écran. C’est la même chose pour Instagram. Pour quiconque regarde YouTube sur un mobile, il n’y a pas assez d’espace écran pour faire autrement. Le seul moyen d’atteindre nos objectifs est la manipulation algorithmique. Le président du CRTC l’a pratiquement confirmé devant nous. Ce n’est pas un secret. J’ai eu des conversations avec des gens de Patrimoine canadien. J’ai eu des conversations des gens des comités. Je le répète ad nauseam. Tout le monde le sait. [Difficultés techniques]
La sénatrice Dasko : Vous dites que le libellé du projet de loi sur les algorithmes n’est pas bon, mais vous ne proposez rien de concret, est-ce que je me trompe? Pour exclure la possibilité de manipuler les algorithmes. Proposez-vous quelque chose pour cela? Cela résoudrait le problème, n’est-ce pas?
M. Benzie : En théorie, oui, mais cela créerait un autre problème. Dans un esprit de compromis, je pense que la piste de la découverte statique plutôt que dynamique est intéressante. Si nous devons prescrire quelque chose, la voie de la découverte statique serait sûrement la plus prometteuse, mais cela soulève une autre question, sur CanCon, parce qu’il y a encore la question de l’espace d’écran ici, et que nous nous trouverions encore à privilégier d’autres acteurs à Oorbee pour cet espace d’écran, ce qui n’est pas correct. Bref, il y a la question de CanCon qui se pose juste après.
La sénatrice Dasko : Oui. Il y a des solutions non algorithmiques que nous pouvons appliquer à ce problème. Quel que soit le libellé choisi, la voie statique, dynamique ou autre, des solutions existent. Les plateformes peuvent utiliser des « listes d’affichage », des « listes de lecture », des « listes d’artistes » et ainsi de suite. Je le vois dans Apple Music. Il existe toutes sortes d’outils. Elles peuvent créer des listes et les présenter, et elles peuvent le faire en dehors des algorithmes qu’elles utilisent pour s’adresser au public.
M. Benzie : Bien sûr. Mais de qui font-elles la promotion? Quels Canadiens ces plateformes privilégient-elles?
La sénatrice Dasko : Eh bien, elles en font vraisemblablement la promotion de la même manière qu’elles font la promotion des artistes en général avec l’algorithme principal, sauf qu’elles ont un sous-ensemble de Canadiens ou une liste de lecture particulière, quelque chose du genre.
M. Benzie : Le défi, sénatrice, c’est la définition de « canadien ». À l’heure actuelle, elle ne s’applique pas à Oorbee.
La sénatrice Dasko : Voici ce qui risque d’arriver : après la mise en œuvre du projet de loi, les entreprises présenteront leurs propositions au CRTC sur la façon dont le contenu canadien sera découvert ou présenté, puis le CRTC déterminera si cela semble bien ou il proposera ceci ou cela.
M. Benzie : Avec tout le respect que je vous dois, sénatrice, nous parlons ici de dizaines de milliers de créateurs, qui ont tous des besoins et des désirs concurrents, et beaucoup d’entre eux sont des particuliers. Si vous pensez qu’Oorbee peut prendre le temps de venir parler aux gens du CRTC, vous vous trompez. Ensuite, quand nous essayons de nous organiser, eh bien, je ne sais pas si le CRTC va m’écouter. C’est un véritable défi, et c’est vraiment un problème qu’il faut régler. Nous parlons ici de particuliers sans représentation, sans avocat.
La sénatrice Dasko : Je comprends votre point de vue, mais je pense qu’il est possible — et j’ai tendance à être optimiste — de trouver une façon d’y arriver sans toucher aux algorithmes. Les algorithmes pourraient continuer de fonctionner comme à l’heure actuelle pendant que d’autres mesures seraient mises en place pour accroître la découvrabilité.
M. Benzie : Je dirais que ce serait un meilleur point de départ que ce que nous avons aujourd’hui, mais que cela ne sera pas sans défis.
La sénatrice Dasko : C’est certain. Merci.
Le sénateur Plett : Permettez-moi d’être tout à fait transparent, monsieur le président. Je ne suis pas officiellement membre de ce comité, bien que j’en sois membre d’office. Je suis là ce soir en raison de ce que j’ai lu et entendu ce matin; M. Benzie a bien expliqué la situation. Je ne m’étendrai pas sur le sujet, si ce n’est pour exprimer ma frustration absolue et, franchement, mon dégoût devant ce qu’a fait le secrétaire parlementaire du ministre, Chris Bittle, et le fait que des témoins ont été intimidés au comité de l’autre Chambre. Je suis profondément désolé pour tous les témoins qui ont été intimidés d’une façon ou d’une autre. C’est une bonne illustration, encore une fois, de ce que fait ce gouvernement néo-démocrate–libéral lorsqu’il veut que les choses fonctionnent comme il l’entend et qu’elles avancent sans que personne ne pose de questions.
J’ai une très brève question à poser, puis je céderai le temps qu’il me reste aux sénateurs qui sont membres réguliers du comité. Monsieur Benzie, pour l’instant, il ne semble pas que l’article 4.2 sera supprimé. Il ne semble pas que le gouvernement ait l’intention d’accepter de véritables amendements à ce projet de loi. Donc si l’article 4.2 n’est pas retiré du projet de loi, cela confirmerait-il, selon vous, qu’il a en fait l’intention que le CRTC réglemente le contenu généré par les utilisateurs, et quelles en seront les conséquences, d’après vous? Comment les créateurs réagiront-ils?
M. Benzie : Je pense que si l’article 4.2 reste inchangé, nous aurons adopté une loi qui s’applique à Internet dans son ensemble. Je serai heureux de vous en parler plus en détail, mais c’est la situation. Rien ne me convaincra du contraire. Je pense que cela met en péril le moyen de subsistance des créateurs. Nous avons entendu à maintes reprises qu’il ne s’agit pas d’empêcher les vidéos de chats ni de nuire aux créateurs. Je ne pense même pas que le gouvernement ait pensé à nous lorsqu’il a rédigé ce projet de loi, mais nous existons, nous sommes là, les chaînes d’Oorbee et de Morghan ont de la valeur, et leurs moyens de subsistance comptent. Je pense que c’est une erreur que de laisser tout cela au bon vouloir d’un organisme bureaucratique composé de responsables non élus.
Le sénateur Plett : Madame Roy, vous avez levé la main quand j’ai posé ma question. Voulez-vous y répondre?
Mme Roy : En tant que créatrice de contenu numérique, j’ai l’impression que si l’article 4.2 entre en vigueur tel quel, je devrai me chercher un emploi à temps plein. C’est déprimant pour moi de voir que mon contenu sera mis de côté. Je viens juste d’obtenir cette plateforme. Je ne suis pas jeune, j’ai presque 50 ans, et j’ai travaillé très dur pour arriver à faire quelque chose comme cela. Je n’ai pas eu beaucoup d’aide. Qu’on puisse me mettre de côté et décider à ma place de ce que mon public veut voir, je ne peux pas lutter contre ça. Je suis vraiment découragée. C’est comme cela que je me sens.
Le sénateur Plett : Merci à vous trois de prendre le temps de comparaître ici. Nous vous sommes vraiment reconnaissants d’oser tenir tête à ce gouvernement intimidateur. Merci beaucoup.
Le sénateur Klyne : Je suis un sénateur de la Saskatchewan. J’ai une brève question à poser, après quoi je céderai mon temps à M. Benzie et à Mme Roy, s’ils veulent terminer ce qu’ils allaient dire en réponse à la question de la sénatrice Simons.
Vous avez dit que nous avions l’occasion de corriger ce projet de loi, que vous considérez, je suppose, comme un grand perturbateur dans votre modèle de revenus. Avons-nous bien parlé de la possibilité de corriger ce projet de loi, ou avez-vous besoin d’un petit clip de 30 secondes à ce sujet?
Mme Fortier : Ce qui me tient éveillée la nuit, à propos de ce projet de loi, c’est le risque qu’on interdise du contenu jugé non canadien, à l’entrée ou à l’intérieur du pays. Si d’autres pays prennent des mesures de représailles contre nous, si ce projet de loi est adopté, nous sommes faits. Je ne parle pas de mon entreprise. Je veux dire que nous n’avons même plus besoin de parler de ce projet de loi parce que c’est terminé. Ses effets se feront sentir sur les créateurs de contenu régional, les petits créateurs de contenu comme les grands créateurs de contenu. Le monde nous regarde. L’Australie et le Royaume-Uni suivront. Si les États-Unis décidaient de ce qui est juste, cela changerait complètement la donne, et personne ne semble en parler : cela me fait peur. Il y a un risque très réel ici. Il y a des raisons pour lesquelles Internet est si libre et ouvert. Il est exceptionnellement problématique de tenter de mettre en place un projet de loi qui permette au gouvernement d’imposer les comportements qu’il veut et de bloquer intentionnellement les contenus d’une certaine nature.
Pour répondre à votre question précédente, nous devrons nous assurer d’être exclus de tout cela, que ce soit par un moyen aussi simple qu’un VPN ou en trouvant le moyen d’ouvrir des bureaux en Irlande. Je ne sais pas quelles sont les options, mais nous devrons nous assurer d’être, d’une manière ou d’une autre, hors du champ d’application de cette loi, qui est probablement le pire investissement qu’on puisse faire pour renouveler une industrie. C’est contre-productif. Si les Canadiens veulent voir du contenu canadien, ne devrions-nous pas créer un environnement dans lequel ils peuvent le créer au lieu de créer un tel environnement hostile, dans lequel les créateurs de contenu sont dénigrés? Je suis abasourdie par la situation. Merci d’avoir posé la question.
Le sénateur Klyne : J’aimerais que Mme Roy et M. Benzie aient l’occasion de terminer ce qu’ils voulaient dire.
Mme Roy : J’ai bien peur de ne pas être en mesure de faire concurrence aux grands médias dans cet espace. Comme je l’ai dit, ce n’est que ma fille et moi, quand elle a envie de se lever le matin. Je me démène vraiment pour publier mon contenu. J’ai le sentiment, personnellement, que mon contenu sera supprimé et que je ne pourrai pas être concurrentielle dans cet espace.
De manière plus générale, j’estime très dangereux de commencer à réglementer Internet de quelque façon que ce soit. Je pense que si l’on force les gens à regarder du contenu qui ne correspond pas à ce qu’ils veulent regarder, ce sera néfaste pour ces plateformes aussi. Je pense que cela va faire boule de neige. Comme Morghan l’a dit, que va-t-il se passer si les États-Unis ripostent? Environ 70 % de mon public, de mes abonnés, des gens qui regardent mon contenu se trouvent aux États-Unis. Que se passera-t-il si les États-Unis décident de promouvoir le contenu américain au détriment du mien? Je n’aurai alors plus seulement de problèmes au Canada, mais aux États-Unis aussi. Je suppose que je devrai aller rendre visite à ma mère à New York — elle sera contente — et produire mon contenu là-bas.
Nous entrons en terrain très glissant, et je pense que c’est bien mal comprendre les besoins. Peut-être y a-t-il une solution temporaire, et nous nous en occuperons plus tard, mais cela va coûter très cher.
M. Benzie : Je pense que l’article 4.2 témoigne d’une mauvaise compréhension. On ne parle pas d’un petit bac à sable qui n’inclut pas certains revenus très directs ou indirects ou d’autres plateformes. On parle d’Internet. Par définition, Internet génère toujours divers revenus directs ou indirects. Le contenu génère toujours des revenus quelque part. Si Oorbee utilise une chanson dans sa vidéo, elle sera absolument assujettie à cet article, et si Wyatt montre un clip de la CBC, il y sera assujetti aussi, donc l’article 4.2 pose problème, il faut en réduire la portée.
La sénatrice Clement : Merci beaucoup à tous les témoins d’être ici. C’est passionnant d’entendre l’anecdote de Mme Roy sur l’autoroute Gardiner et d’entendre Mme Fortier dire que lorsque les gens découvrent qu’elle est canadienne, c’est comme la cerise sur le sundae. Je veux dire par là qu’il faut supposer que les Canadiens veulent consommer du contenu canadien, et pas le contraire.
Nous avons entendu parler aujourd’hui des dangers inhérents à la manipulation d’algorithmes, mais ce danger existe déjà actuellement, et le pouvoir est entre les mains des entreprises privées qui les manipulent. Comment les Canadiens font-ils la part des choses? Ne devraient-ils pas pouvoir faire confiance à un organisme public pour essayer de contrebalancer le fait que les entreprises privées ont autant de pouvoir de manipulation des algorithmes?
Pour revenir à ce que vous disiez, monsieur Benzie, concernant le manque de transparence sur le fonctionnement des algorithmes : du point de vue d’un Canadien ordinaire, que peut-on faire, individuellement? Les Canadiens veulent trouver le contenu de Mme Roy, mais ils ne comprennent pas comment les algorithmes fonctionnent, parce que nous ne parlons pas d’éducation sur leur fonctionnement. Vous comprenez ce que je veux dire?
M. Benzie : Oui. Je vous ai entendue en parler avec éloquence. Je comprends que vous vouliez sortir de votre bulle. C’est exactement la même chose pour moi. Le défi, ici, c’est que nous parlons d’entreprises canadiennes qui ont besoin d’avoir accès au public et que les algorithmes les y associent en fonction de critères de niche et de ce qu’ils prévoient que la prochaine personne va aimer. Nous ne parlons pas simplement ici de donner accès à du contenu à quelqu’un parce que cela devrait lui plaire. Nous parlons de gens qui pourront gagner leur vie s’ils peuvent s’adresser au bon public. Oui, ces plateformes en tirent des revenus, mais tout dépend de leur aptitude à capter l’attention du public et à le retenir. C’est ainsi que les créateurs gagnent de l’argent. Oorbee veut être exposée au plus grand nombre de personnes susceptibles d’aimer son contenu. Bien qu’en principe, je sois d’accord avec tout ce que vous dites, le fait est que nous ne pouvons pas accepter qu’on nuise ainsi aux affaires de Canadiens. Nous devons veiller à ce qu’ils atteignent les bons publics pour toucher des revenus en conséquence.
Mme Fortier : Ce qui m’inquiète quand on parle de manipuler les algorithmes, c’est ce qui se passe ensuite. Nous avons manipulé un algorithme, mais que fait-on ensuite du contenu qui a été manipulé? Ce créateur de contenu continue-t-il à dépendre de la manipulation de l’algorithme, ou y a-t-il une incitation à investir pour aider le créateur de contenu à se débrouiller seul et à continuer de créer du contenu, à évoluer et à se développer? Le problème de la manipulation de l’algorithme est que les créateurs ne reçoivent pas de renseignements sur la nature de leur contenu et sur la façon dont celui-ci s’insère naturellement sur le marché. Cela reviendrait à ne pas permettre à un radiodiffuseur d’avoir accès aux audiences et de savoir si son contenu trouve un écho favorable auprès de la communauté. Ou, si une vidéo obtient une mauvaise audience, la manipulation en est-elle la cause? Ils ont besoin de ces renseignements pour élaborer une stratégie adéquate pour leur contenu. Cela vaut aussi bien pour un créateur de contenu débutant que pour un créateur de contenu chevronné qui pourrait disposer d’une infrastructure plus importante, comme c’est notre cas.
La manipulation des algorithmes n’est même pas une solution provisoire. Elle ne comprend pas de processus de solution, car elle n’offre pas de possibilité d’investissement ou de croissance par la suite. Elle limite l’information. Le créateur de contenu se trouve privé de la possibilité d’évoluer et d’apprendre par lui‑même. Voilà ce qui me pose problème. Que se passe-t-il ensuite? Comment les choses évoluent-elles? Comment vont-ils se débrouiller seuls? Il existe des exemples de créateurs de contenu dans le monde entier qui ne disposent pas de cette manipulation et qui réussissent, quelle que soit la niche de leur contenu. Il en existe des exemples partout. C’est réalisable. C’est faisable. Voilà ce qui me pose problème, en dehors des préoccupations que m’inspirent les algorithmes en général. À quoi bon, en fin de compte, si nous ne parlons pas d’investir et de développer ce secteur? Imaginez les réussites que nous pourrions obtenir si les créateurs de contenu pouvaient s’élever en disposant d’un autre modèle de distribution en dehors du secteur de la radiodiffusion, parallèle au secteur de la radiodiffusion, en établissant des liens avec lui? Je pense que nous avons une opportunité incroyable de réaliser cette vision.
Le président : Sur ce, je voudrais remercier les témoins d’être présents aujourd’hui. Je suis désolé pour les petites difficultés techniques qui nous ont fait prendre du retard. Je vous remercie de votre patience.
[Français]
Chers collègues, nous reprenons notre étude préalable du projet de loi C-11.
[Traduction]
Pour notre deuxième groupe de témoins, nous avons le plaisir d’accueillir, du Conseil québécois de la production de langue anglaise, M. Michael Prupas, membre du conseil d’administration et président-directeur de Muse Entertainment; et M. Michael Solomon, président et président de Les Films Band With Pictures Inc. De Dadan Sivunivut, nous avons M. Jean LaRose, président et chef de la direction. De Accessible Media Inc., nous avons David Errington, président et chef de la direction; et Kevin J. Goldstein, conseiller externe en matière de réglementation.
Bienvenue à tous. Nous vous remercions de vous joindre à nous ce soir. Chaque intervenant aura cinq minutes pour formuler ses observations, puis nous passerons aux questions et réponses. Nous allons commencer par les observations liminaires de M. Michael Prupas.
[Français]
Michael Prupas, membre du conseil d’administration et président-directeur général de Muse Entertainment, Conseil québécois de la production de langue anglaise : Merci beaucoup de me donner l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui. J’aimerais souligner que je partagerai mon temps de parole avec mon collègue, M. Solomon.
[Traduction]
Comme le sénateur l’a indiqué, je suis président de Muse Entertainment, l’une des sociétés de production les plus importantes du Canada, et membre du conseil d’administration du Conseil québécois de la production de langue anglaise. J’ai été avocat au sein du cabinet de grand renom Heenan Blaikie, et je travaille dans ce domaine depuis de nombreuses années, depuis 1978.
Allez-y, monsieur Solomon.
Michael Solomon, président et président de Les Films Band With Pictures Inc., Conseil québécois de la production de langue anglaise :
Je suis producteur de longs métrages et coprésident du CQPLA qui représente environ 3 000 créateurs et producteurs œuvrant dans la langue minoritaire dans l’industrie québécoise de la production cinématographique et télévisuelle.
Alors que nous, avec la CMPA, l’AQPM, l’APFC et la majeure partie de l’industrie, appuyons avec enthousiasme l’adoption du projet de loi C-11, un amendement de dernière minute a créé une menace à l’existence même de l’industrie canadienne de la production indépendante. Nous demandons que l’alinéa 3.1i)(v) du projet de loi soit supprimé et remplacé par le libellé préexistant. Pour nous, l’avenir de la capacité de raconter des histoires canadiennes faites par des Canadiens est en jeu.
La lutte des Canadiens pour contrôler leur système de radiodiffusion et pour raconter leurs histoires contre la pression écrasante des Américains dure depuis des décennies — depuis le rapport Aird, publié en 1929, la création de la SRC en 1936, l’Office national du film en 1939, Téléfilm Canada en 1967, et la législation fédérale et provinciale sur les crédits d’impôt depuis au moins 1972. En 2021, le volume de la production indépendante canadienne a atteint 2,75 milliards de dollars, et soutient plus de 83 000 emplois à temps plein bien rémunérés.
Le 15 juin 2022, lors de la dernière soirée de débat sur le projet de loi C-11 au Comité permanent du patrimoine canadien, cet amendement a été adopté par six voix contre cinq en moins de cinq minutes. Il n’avait jamais été abordé auparavant.
Le libellé préexistant : « (v) inclure une contribution importante du secteur canadien de la production indépendante » a été modifié et se lit désormais comme suit : « (v) inclure la plus grande contribution possible du secteur canadien de la production, qu’il soit indépendant ou affilié à ou appartenant à une entreprise de radiodiffusion; [...] ».
M. Prupas : Cela signifie que toute entreprise de radiodiffusion exploitée au Canada, qu’elle soit canadienne ou étrangère, est incluse dans le secteur de la production canadienne. Ces quelques mots mettent cette industrie, qui a été soutenue par des générations de législateurs et d’entrepreneurs canadiens, au risque de devenir une succursale, détenue et contrôlée par des géants américains de la technologie et des studios. Nous savons d’après nos entretiens avec les membres du comité de la Chambre, qu’ils n’avaient aucune idée des conséquences qu’aurait cet amendement.
Cet amendement permettra aux diffuseurs et aux diffuseurs sur le Web de développer et de posséder la propriété intellectuelle, d’engager des producteurs pour qu’ils les produisent et de conserver les bénéfices de la vente de ces émissions. De plus, le CRTC considère maintenant la quasi-totalité des diffuseurs internationaux comme Netflix et Disney+ comme faisant partie du secteur canadien de la production. Nous croyons donc qu’ils pourront utiliser le crédit d’impôt pour le contenu canadien au lieu du crédit d’impôt pour les services et seront en mesure d’accéder au Fonds des médias du Canada. Il en résultera à une augmentation d’au moins 50 %, et peut-être beaucoup plus, des subventions financières accordées par les contribuables canadiens à certaines des entreprises les plus importantes et les plus rentables au monde. Est-ce vraiment ce que veulent les contribuables canadiens?
De plus, la version anglaise du libellé est mal traduite et ouvre plus largement la porte à une industrie des succursales. Le texte français dit « producteurs canadiens ». La version anglaise fait référence au « secteur de la production canadienne » qui comprend à la fois les producteurs canadiens et les producteurs étrangers travaillant au Canada. Les producteurs canadiens ne peuvent survivre dans l’environnement actuel que s’ils sont en mesure de posséder ou de partager la possession de la propriété intellectuelle qu’ils produisent. Comme Disney, Netflix et d’autres vous l’ont dit, leur politique de production est inflexible : ils embaucheront des Canadiens pour faire de la programmation au Canada, mais ils conserveront 100 % de la propriété intellectuelle. En revanche, en France, la loi exige désormais que 20 à 25 % de la programmation de ces mêmes géants soit produite et détenue par des producteurs français indépendants. L’Australie, la Nouvelle-Zélande et le Royaume‑Uni soutiennent également fortement leurs industries de production indépendantes détenues localement. Si cet amendement est adopté, les producteurs canadiens devront travailler comme producteurs de services sur des projets développés par des compagnies américaines. Cela signifie que des décennies d’efforts pendant lesquels du sang, de la sueur et des larmes ont été versés pour établir une industrie de production détenue et contrôlée par des Canadiens prendront fin.
Il y a un deuxième problème que nous voulons porter à votre attention. Avec nos collègues de la minorité francophone, nous demandons que l’article 5.2 proposé du projet de loi C-11 exigeant la consultation par le CRTC des représentants des communautés de langue officielle en situation minoritaire soit maintenu tel quel. Cet article améliorera grandement la consultation entre les minorités de langue officielle et le CRTC. Il a été adopté par la Chambre à deux reprises et est extrêmement important pour la vitalité des minorités de langue officielle.
Le projet de loi C-11 donne au Canada l’occasion de tracer une voie claire et fructueuse pour l’industrie canadienne de la production. Mais pour assurer cette réussite, l’amendement proposé à l’alinéa 3.1(i)v) doit être rayé du projet de loi. Je vous remercie, mesdames et messieurs les sénateurs, pour l’attention que vous m’avez accordée, et je suis prêt à répondre à vos questions.
Le président : Merci.
[Français]
Maintenant, nous avons avec nous M. Jean LaRose, président et chef de la direction de Dadan Sivunivut.
Monsieur LaRose, la parole est à vous.
[Traduction]
Jean LaRose, président et chef de la direction, Dadan Sivunivut : Merci beaucoup, monsieur le président et honorables sénateurs, de nous donner l’occasion de donner notre point de vue sur le projet de loi C-11. Je tiens à souligner que nous sommes réunis sur le territoire non cédé de la nation algonquine. Je remercie la nation ainsi que ses ancêtres, qui nous accueillent sur leur territoire.
APTN a créé Dadan Sivunivut en 2019. « Dadan » signifie « nos peuples » en tutchone du Sud et « Sivunivut » signifie « notre avenir » en inuktitut. Dadan Sivunivut gère AnimikiSee, une société de production et de distribution de contenus télévisuels et numériques autochtones; First Peoples Radio, qui exploite des stations à Ottawa et à Toronto; Nagamo Music, une bibliothèque de musique autochtone et agence de compositeurs; ainsi que Red Music Rising, une agence de talents autochtones.
Sur le plan professionnel, ces 24 dernières années, j’ai vu les peuples autochtones se développer à la télévision, dans la production télévisuelle et dans d’autres médias. C’est un privilège et un honneur incroyable de pouvoir assister et participer à ce développement.
Dadan Sivunivut appuie le projet de loi C-11 et les objectifs importants du gouvernement dans le cadre de la mise à jour de la Loi sur la radiodiffusion, mais nous ne devons pas seulement penser à aujourd’hui et à l’année prochaine. Nous devons penser aux deux ou trois décennies à venir. C’est ce que les rédacteurs de l’actuelle Loi sur la radiodiffusion ont fait en 1991, et c’est ce que nous devrions faire maintenant. Dans 20 ou 30 ans, comment les peuples autochtones veulent-ils se positionner au Canada, dans nos médias et dans notre culture? Où devrions-nous nous situer? Ce sont les questions auxquelles je pense lorsque j’examine le projet de loi C-11.
Certaines parties du projet de loi C-11 sont tournées vers l’avenir et sont importantes pour les peuples autochtones. Tout d’abord, après de nombreuses années de tergiversations, le paragraphe 3.1(o) de la Loi sur la radiodiffusion va enfin être modifié de façon à supprimer le passage « au fur et à mesure de la disponibilité des moyens » concernant le soutien de la culture autochtone. Ce libellé est insultant et discriminatoire. Le rapport Lincoln de la Chambre des communes l’a reconnu en 2001. On règle enfin ce problème. Cependant, il fait toujours référence à la place particulière qu’occupent les peuples autochtones au Canada. Nous avons une place unique, et ce libellé refléterait mieux le souhait du Parlement de reconnaître dans la législation les principes de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.
Deuxièmement, la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones reconnaît que les peuples autochtones ont le droit d’établir leurs propres médias dans leur propre langue et d’avoir accès à toutes les formes de médias sans discrimination. Les paragraphes proposés 3.1(d) et 3.1(o) de la Loi sur la radiodiffusion reconnaîtront pour la première fois les entreprises de radiodiffusion qui sont détenues et exploitées par des peuples autochtones. Jusqu’à présent, la loi faisait référence à la programmation autochtone, mais ne contenait pas le fait qui nous ayons nos propres services que nous possédons et exploitons nous-mêmes. C’est l’objet de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.
Troisièmement, la loi reconnaîtra désormais mieux les langues autochtones. Le paragraphe 3.1(d) proposé reconnaîtra que les Autochtones devraient avoir la possibilité de produire du contenu en langue autochtone ainsi qu’en anglais et en français. L’article 5 proposé de la loi exige que la Commission tienne compte des différentes caractéristiques de la diffusion en anglais, en français et en langue autochtone. C’est la première fois que la radiodiffusion en langue autochtone est placée sur un pied d’égalité avec l’anglais et le français. Je suis seulement déçu que cette égalité n’ait pas été reflétée dans les nouveaux paragraphes 3.1(c) et 3.1(k) proposés.
Quelles sont les lacunes du projet de loi C-11? Mesdames et messieurs les sénateurs, je pense que vous connaissez déjà la réponse à cette question. Ma collègue, Monika Ille, l’actuelle cheffe de la direction d’APTN, a comparu devant ce comité la semaine dernière. Le CRTC doit avoir le pouvoir de fixer les conditions de distribution des services en ligne. Il doit avoir le pouvoir de prendre part à la résolution des conflits entre les diffuseurs en ligne, et il doit avoir le pouvoir de superviser la distribution en ligne des services et des applications. Si l’on pense aux 20 ou 30 prochaines années, il est difficile de comprendre pourquoi nous n’inclurions pas ces pouvoirs pour le CRTC dans la loi dès maintenant, pendant que nous en avons la possibilité. Cette loi doit aller le plus loin possible, afin que nous ne soyons pas confrontés à ces problèmes dans quelques années sans les outils législatifs pour y faire face. Sans APTN et sans l’intervention réglementaire du CRTC en 1989, les peuples autochtones du Canada seraient toujours invisibles sur les écrans. APTN a fait une énorme différence. On ne peut pas assez insister sur ce point. Tout a commencé avec la capacité de l’organisme de réglementation de faire quelque chose. Nous retirons cette capacité au CRTC à l’avenir — non seulement pour APTN et les peuples autochtones, mais pour tous les Canadiens. Le fait d’avoir le pouvoir d’agir, mais pas les outils pour faire respecter la loi ne fera qu’affaiblir le système. Notre objectif ici est de le renforcer.
Merci de m’avoir donné l’occasion de comparaître devant vous.
Le président : Merci, monsieur.
David Errington, président et chef de la direction, Accessible Media Inc. : Accessible Media Inc., ou AMI, tient à remercier le comité de l’occasion qui lui est donnée de se présenter devant vous ce soir pour vous faire part de son point de vue sur le projet de loi C-11. Je suis accompagné aujourd’hui de Kevin Goldstein de Goldstein Communications Law, le conseiller externe en réglementation d’AMI.
AMI est une entreprise médiatique à but non lucratif qui divertit, informe et habilite les Canadiens aveugles ou malvoyants. AMI exploite trois services de diffusion : AMI TV et AMI audio en anglais et AMI-télé en français. Chacun de ces services bénéficie d’une ordonnance de distribution obligatoire du CRTC. La vision d’AMI est d’établir et de soutenir une voix pour les Canadiens handicapés, en représentant leurs intérêts, leurs préoccupations et leurs valeurs grâce à des médias accessibles, à une réflexion et à une représentation.
AMI soutient pleinement les dispositions du projet de loi C-11 visant à améliorer la façon dont le système canadien de radiodiffusion sert les personnes handicapées. Plus précisément, le projet de loi modifie le sous-alinéa 3(1)d)(iii) de la Loi sur la radiodiffusion, pour que le système canadien de radiodiffusion grâce à sa programmation et aux possibilités d’emploi découlant de ses activités, répondre aux besoins et aux intérêts de tous les Canadiens, y compris des personnes handicapées.
Il modifie également le paragraphe 3.1(p) de la loi, de façon à supprimer le libellé qui précise que la programmation accessible sans obstacle aux personnes handicapées ne doit être offerte au sein du système canadien de radiodiffusion que lorsque l’on dispose des ressources nécessaires. En supprimant ce libellé, le gouvernement indique qu’il s’attend à ce que les Canadiens handicapés soient traités comme tous les autres citoyens aux fins de la politique de radiodiffusion.
Cependant, même si le projet de loi C-11 comporte des améliorations au bénéfice des personnes handicapées, AMI craint que certaines dispositions de la loi fassent en sorte qu’il deviendra très difficile pour le CRTC de mettre en œuvre des politiques en ce sens. De fait, la situation pourrait se détériorer par rapport à l’état actuel des choses.
En vertu de la loi en vigueur, le CRTC dispose d’un vaste pouvoir discrétionnaire lui permettant de réglementer les entreprises de distribution de radiodiffusion (EDR) et les fournisseurs de services de télévision par câble, par satellite et par IP. Le CRTC régit ainsi notamment les services de programmation qui sont offerts, la façon dont ces services sont distribués et les sommes qui doivent être payées pour cette distribution. Le marché des EDR est toutefois en pleine évolution. De plus en plus, les Canadiens se tournent vers des solutions de rechange sur Internet que l’on appelle des EDR virtuelles ou EDRV pour avoir accès aux services de programmation les plus populaires. Ces EDR virtuelles, qu’il s’agisse de fournisseurs étrangers comme Amazon ou canadiens comme Rogers SmartStream, offrent des services similaires à ceux des fournisseurs plus traditionnels de télévision par câble et par satellite en utilisant Internet ouvert pour proposer une programmation à leurs abonnés.
L’écosystème actuel des EDR réglementées est l’un des éléments importants pour l’atteinte des objectifs de politique publique plus généraux visés par la loi. En assurant une large distribution des services de programmation canadiens, les EDR contribuent à accroître la diversité au sein du système de radiodiffusion canadien et à assurer un financement stable pour la programmation canadienne. Malheureusement, des pressions se sont exercées sur ce régime au cours des dernières années alors qu’on a vu des Canadiens annuler leur abonnement auprès d’une EDR pour se tourner plutôt vers des options de diffusion dont le contenu n’est pas réglementé. On s’attend à ce que de plus en plus d’EDR virtuelles soient lancées, et on note déjà une diminution importante du nombre de Canadiens qui souscrivent à un abonnement auprès d’une EDR traditionnelle.
En vertu de la loi en vigueur, le CRTC peut ordonner aux EDR d’offrir certains services de programmation suivant les conditions qu’il juge appropriées. Ce pouvoir utilisé avec parcimonie a fait en sorte que des services de programmation, notamment au bénéfice de groupes d’intérêt spéciaux et contribuant à la réalisation des objectifs stratégiques de radiodiffusion pour le Canada, mais qui ne seraient pas commercialement viables sans cela, comme AMI, ont pu demeurer en exploitation et atteindre leur public cible. Bien que le projet de loi C-11 vise à suivre l’évolution du paysage médiatique en modernisant les outils réglementaires à la disposition du CRTC et à positionner le système de radiodiffusion canadien en prévision d’un avenir fructueux, il ne donne pas suite à la transformation de l’environnement des EDR que nous venons de décrire. Plus précisément, si le projet de loi est adopté dans sa forme actuelle, le CRTC sera grandement limité dans sa capacité de réglementer les EDR diffusant via Internet, qu’ils appartiennent à des intérêts canadiens ou étrangers. Si les pouvoirs du CRTC ne sont pas étendus aux EDR virtuelles, de nombreux services canadiens devront cesser leurs activités.
AMI propose des modifications bien précises au projet de loi C-11. Nous avons annexé aux présentes observations ces changements qui conféreraient au CRTC le pouvoir de réglementer ce qui serait normalement considéré comme une EDR, à la différence près qu’elle offre ses services via Internet. Nous notons que des diffuseurs indépendants comme APTN et OUTtv ont présenté des arguments dans le même sens à votre comité, et nous appuyons leurs démarches.
Nous tenons à remercier encore une fois le comité de nous avoir donné l’occasion de présenter nos observations et nous serons ravis de répondre à toutes vos questions.
Le président : Nous passons maintenant aux questions des sénateurs.
[Français]
Le sénateur Cormier : Merci pour vos témoignages. Ma question s’adresse à MM. Prupas et Solomon du Conseil québécois de la production de langue anglaise. Lorsqu’ils ont comparu devant le comité, l’Alliance des producteurs francophones du Canada et la Fédération culturelle canadienne-française ont témoigné de l’importance de conserver l’article 5.2 sur la consultation des communautés de langue officielle en situation minoritaire (CLOSM). Comment le CRTC votre consulte-t-il à l’heure actuelle? Quels sont les défis ou les écueils que vous rencontrez dans la consultation actuelle avec le CRTC et pourquoi le maintien de l’article 5.2 est-il important? Enfin, si cet article était supprimé, qu’est-ce que cela provoquerait chez vous?
M. Prupas : Je vais essayer de répondre au meilleur de mes connaissances. Je ne prends pas part de façon quotidienne aux consultations avec le CRTC, mais je peux dire que pour nous, la minorité anglophone du Québec, il est important d’avoir une oreille auprès du CRTC concernant toutes sortes de questions, comme la protection des réseaux de télévision et de radio, dans les districts minoritaires au Québec, par exemple. Pour nous, l’obligation qui devrait être imposée au CRTC est celle de nous consulter et de consulter la minorité francophone hors Québec, et l’artice 5.2 leur imposera une obligation de nous entendre sur des questions importantes quant à la disponibilité des services dans nos territoires distincts. Ai-je bien répondu à votre question?
Le sénateur Cormier : Oui, et évidemment, comme le CRTC a une responsabilité en vertu de la Loi sur les langues officielles, on peut comprendre. Est-ce que le contenu de l’article 5.2, tel qu’il est rédigé actuellement, vous convient?
M. Prupas : Absolument, mais il y avait une mention de la part du président du CRTC et des représentants du CRTC qui voulaient le faire enlever, alors c’est pourquoi nous voulions souligner notre appui envers cette clause.
Le sénateur Cormier : Merci beaucoup.
[Traduction]
Le sénateur Manning : Merci à nos témoins.
Je pose la question à quiconque voudra bien y répondre. Le débat au sujet du projet de loi C-11 a surtout porté sur la façon de définir ce qu’on entend par contenu canadien. On a maintes fois cité La servante écarlate et d’autres productions qui peuvent être créées par des Canadiens, mettre en vedette de nombreux Canadiens, employer des Canadiens et être tournées au Canada, et malgré tout ne pas être considérées comme du contenu canadien. Pensez-vous qu’il est possible que l’on puisse se montrer plus souple dans la définition du contenu canadien de telle sorte que les productions semblables puissent faire partie de cette catégorie?
M. Prupas : Si vous me permettez de répondre à cette question du fait que je produis aussi bien une programmation qui est considérée comme du contenu canadien qu’une programmation qui n’en est pas, je vous dirais que l’élément déterminant pour les producteurs canadiens réside dans la capacité de contrôler le processus de création et de production. La servante écarlate qui est en partie — mais pas entièrement — le fruit du travail d’auteurs et d’acteurs canadiens est l’exemple d’une émission réalisée au Canada qui, en fin de compte, ne bénéficie pas à des entrepreneurs canadiens. L’aide financière pouvant être octroyée par le gouvernement du Canada est une composante importante du financement d’une émission comme celle-là et de toute autre émission tournée au Canada.
Si l’on devait traiter sur le même pied la programmation qui n’est pas réalisée sous le contrôle de Canadiens, mais qui est produite au Canada, et celle qui est contrôlée par des Canadiens, on mettrait à mal toute l’industrie de la production indépendante dans ce pays. En élargissant cette définition pour qu’elle inclue certaines émissions comme l’ont demandé, par exemple, les Disney de ce monde lors de vos audiences de la semaine dernière, on couperait en quelque sorte l’herbe sous les pieds d’une industrie canadienne de la production qui, comme nous l’avons indiqué, s’est développée depuis près de 100 ans avec le soutien du Parlement canadien et des parlementaires, en la privant de tout avantage financier lié au maintien de ces émissions au Canada.
Chose peut-être plus importante encore, on perdrait la capacité de créer une programmation d’intérêt pour les Canadiens qui met en scène les communautés dans lesquelles ils évoluent. Il va de soi qu’une émission comme La servante écarlate, l’une des œuvres les plus réussies de l’une des grandes autrices canadiennes, peut être exportée et être très bien reçue à l’étranger, mais il en va autrement de la vaste majorité des émissions produites indépendamment au Canada qui doivent donc se distinguer par leur identité bien canadienne.
Pour répondre à votre question, sénateur, je m’opposerais vigoureusement à tout changement à la réglementation définissant ce qui constitue une émission à contenu canadien, surtout si cela devait exclure le contrôle de la propriété intellectuelle par des intérêts canadiens.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Ma question s’adresse à MM. Solomon et Prupas et porte sur la clause des producteurs canadiens indépendants.
Lorsque je la lis en français, je comprends qu’il n’est pas question d’entreprises étrangères; il est question de producteurs canadiens, qu’ils soient indépendants, affiliés ou la propriété d’une entreprise de radiodiffusion. De la façon dont je le comprenais, cela incluait les chaînes comme CTV et TVA, donc cela n’était pas seulement des producteurs indépendants, mais pouvait être des producteurs affiliés à des entreprises de radiodiffusion. C’est ma compréhension.
Quand vous lisez « [...] affiliés ou la propriété d’une entreprise de radiodiffusion; », pensez-vous qu’on parle de toutes les entreprises de radiodiffusion étrangère qui font affaire au Canada? Est-ce que c’est là, selon vous, la difficulté de cette phrase en français? Parce qu’à vrai dire, je l’interprète différemment.
[Traduction]
M. Prupas : Je dirais d’abord et avant tout qu’il y a surtout un problème avec la traduction de ce libellé en anglais. Dans la version anglaise, on parle de l’industrie canadienne de la production — Canadian production sector —, plutôt que des producteurs canadiens, comme en français. Je ne sais pas qui a fait la traduction de ce texte qui, je le suppose, a d’abord été rédigé en français, mais s’il avait été bien traduit du français vers l’anglais, mon opposition à ces dispositions serait moins vive. Cela améliorerait certes beaucoup les choses du point de vue de la définition. Je ne sais pas pourquoi on ne peut pas apporter ce changement en utilisant l’expression « Canadian producers », plutôt que « Canadian production sector ». En parlant ainsi de l’industrie canadienne de la production, on englobe toutes les entreprises produisant de la programmation au Canada. Des sociétés comme Amazon, Netflix et Disney ont été reconnues par le CRTC comme étant des entreprises produisant des émissions au Canada, et ces émissions ont été jugées aptes à être diffusées chez nous par le Bureau de certification des produits audiovisuels canadiens. C’est une programmation qui est accréditée.
La sénatrice Miville-Dechêne : D’autres témoins nous ont déjà signalé cette erreur de traduction que j’estime tout à fait flagrante, et nous en avons pris bonne note. Je crois effectivement qu’il y a un problème avec la traduction, et je suis tout à fait d’accord avec vous. Mais dois-je comprendre que vous jugez la version française satisfaisante?
M. Prupas : Eh bien, disons que je crois qu’il est approprié d’utiliser l’expression « producteurs canadiens ». C’est tout à fait le libellé qui convient selon moi.
Cette disposition est cependant aussi problématique du fait qu’elle permet aux sociétés affiliées aux entreprises de radiodiffusion de bénéficier du même avantage. Nous établissons ainsi que ces entreprises de radiodiffusion ne comprennent pas seulement les TVA, les Bell et les CBC de ce monde, mais également les autres entreprises ayant le droit de diffuser de la programmation au Canada, ce qui inclut tous les principaux diffuseurs de contenu en ligne. Je ne crois pas nécessaire de tous les mentionner. Je suis convaincu que vous savez de qui je parle.
La sénatrice Miville-Dechêne : Merci. Nous allons tenter de clarifier tout cela, car ce sont là d’excellentes questions.
M. Prupas : Je vous remercie.
La sénatrice Simons : J’ai une question que je voulais poser à M. LaRose ainsi qu’au représentant d’Accessible Media Inc.
Dans mon interprétation de ce qui était à l’époque le projet de loi C-10, je voyais une distinction entre les radiodiffuseurs qui étaient des Canadiens et les diffuseurs de contenu en ligne qui étaient des entités internationales. S’il y a une chose qui me semble devenue très claire au cours des 24 derniers mois, c’est que la plupart des radiodiffuseurs canadiens vont en venir un jour ou l’autre à abandonner toutes leurs activités de radiodiffusion; ils vont tous diffuser du contenu en ligne, car les gens vont cesser de syntoniser les stations de télévision conventionnelles. Comme vous l’avez souligné, c’est en vertu des licences de radiodiffusion actuelles que l’on peut répondre à bon nombre des besoins spéciaux des personnes ayant des problèmes d’accessibilité et des auditoires comme ceux visés par le Réseau de télévision des peuples autochtones (APTN). En faisant abstraction des diffuseurs de contenu étrangers, quelles mesures de protection doivent être mises en place pour s’assurer de continuer à répondre aux besoins cruciaux de ces groupes d’intérêt au fil de la transition des radiodiffuseurs conventionnels vers la diffusion continue en ligne?
M. Errington : Nous voulons que les politiques et les règlements actuellement en vigueur pour les EDR demeurent les mêmes lorsque la technologie les fera passer en mode virtuel alors que tout le monde diffusera du contenu en ligne et que ces entreprises deviendront des regroupeurs de chaînes, comme Rogers SmartStream. C’est ce que l’avenir réserve aux EDR canadiennes. Nous souhaitons être assujettis aux mêmes règles, notamment quant au soutien reçu, aux services à offrir et aux modes de distribution. C’est vraiment l’élément vital pour des chaînes comme AMI et APTN qui doivent pouvoir compter sur l’assurance d’un soutien financier adéquat et d’une diffusion à l’échelle nationale dans le cadre d’un forfait de base numérique. Selon le projet de loi dans sa forme actuelle, cela ne s’appliquerait qu’au système existant de radiodiffusion par les EDR. Lorsque ces entreprises vont toutes faire la transition — ce qui est inévitable, car c’est une meilleure technologie et c’est la solution d’avenir — pour devenir des EDR virtuelles, elles échapperont à la portée de ce projet de loi, et c’est exactement ce que nous voulons éviter.
M. LaRose : J’ajouterais que le projet de loi précise que des négociations doivent être menées si le CRTC détermine qu’une ordonnance de distribution obligatoire s’impose, autrement dit qu’une chaîne comme la nôtre doit être rendue accessible. Bien que je ne sois plus directeur général d’APTN, je pense être encore à même de voir où tout cela risque de nous mener. Le CRTC ne dispose pas des pouvoirs nécessaires pour déterminer dans quelle mesure des services comme le nôtre devraient être indemnisés.
Les coûts de production grimpent en flèche pour tout le monde, et il est absolument impossible qu’APTN puisse survivre si les négociations nous permettent uniquement d’obtenir une compensation financière très minime. Le rapport de force n’est vraiment pas en notre faveur. Si nous devions négocier avec un diffuseur important, nous ne pourrions assurément pas obtenir le soutien financier que nous jugeons nécessaire pour maintenir le service, mais surtout pour nous permettre de continuer en offrant à nos communautés la quantité et la qualité des productions auxquelles elles ont actuellement droit, des productions qui finissent souvent par être diffusées par d’autres réseaux et d’autres services, car il s’agit de contenu très intéressant pour d’autres plateformes également. Il deviendra impossible pour nous de continuer à créer un contenu semblable, et c’est ce qui nous préoccupe au plus haut point.
Le président : J’ai écouté avec beaucoup d’attention les échanges que nous avons eus jusqu’à maintenant et les témoignages que nous avons pu entendre encore ce soir, et je n’arrive pas à comprendre comment il se fait que nous nous penchions en 2022 sur une Loi sur la radiodiffusion qui n’apporte que des modifications mineures à la loi adoptée en 1991. En 1991, le Canada était un pays très différent. Le paysage de la radiodiffusion était aussi très différent. Nous n’avions pas alors de tablette ou de téléphone intelligent. Ces technologies n’en étaient qu’à leurs balbutiements. Nous, Canadiens, avons grandi à cette époque en craignant d’être avalés par la culture des États-Unis et de l’Europe et en pensant que nous n’étions pas assez forts pour défendre nos positions. Nous avons alors misé sur ce régime monopolistique et protectionniste qui est en place depuis 40 ans pour défendre notre milieu artistique et culturel. Nous avons créé ce fonds de dotation pour la radiodiffusion. Vous aviez raison, monsieur Prupas, d’indiquer d’entrée de jeu que ce sont les parlementaires qui ont créé ce système pour ensuite le soutenir et l’entretenir avec les budgets et les ressources nécessaires afin de protéger la culture canadienne.
À mon avis, les différentes plateformes nous offrent une occasion sans précédent de mettre en valeur la culture canadienne comme nous avons d’ailleurs déjà pu le constater. Les fournisseurs indépendants de contenu numérique et les diffuseurs en ligne forment ce qui est devenu une industrie d’importance au Canada, et voilà maintenant que les radiodiffuseurs conventionnels se plaignent en raison des succès obtenus sur ces plateformes qui génèrent des profits considérables et offrent une excellente vitrine, si j’en crois les témoignages entendus et les jeunes de la génération de mes enfants, permettant à la culture canadienne d’avoir accès à un prodigieux marché. J’entrevois l’avenir avec enthousiasme, car je nous crois capables de soutenir la concurrence partout dans le monde. Bien que je me pose des questions quant aux efforts à déployer pour protéger le caractère francophone du Canada au milieu d’un océan de culture anglophone, je considère que la diffusion en continu pourrait nous ouvrir de nouveaux marchés francophones un peu partout sur la planète en créant des débouchés qui ne s’offraient pas à nous auparavant.
Vous excuserez mon cynisme, mais j’ai l’impression que nous essayons d’appliquer une loi archaïque à des plateformes technologiques modernes. Ceci dit très respectueusement, les résultats obtenus par les radiodiffuseurs conventionnels au cours des deux dernières années me portent à croire que ce modèle a fait son temps. Ces entreprises essaient tant bien que mal de rattraper leur retard par rapport aux plateformes numériques et aux diffuseurs en ligne. La câblodistribution n’existe pour ainsi dire plus du tout. J’aimerais savoir ce que vous en pensez. C’est davantage une observation qu’une question, mais elle fait écho aux commentaires de nombreux jeunes Canadiens qui ont indiqué lors de nos audiences qu’il existait selon eux une nouvelle façon de diffuser de la programmation.
M. Prupas : Sénateur, je m’occupe beaucoup de production d’émissions comportant du contenu canadien ainsi que d’émissions réalisées au Canada par des entreprises dirigées par des Américains qui ont largement contribué à la croissance de notre industrie de la télévision et du cinéma au fil des 10 dernières années. Nous parlons ici d’investissements américains consentis au Canada en raison de la faiblesse de notre dollar, des subventions que nous offrons et, il faut bien le dire, du talent dont nous disposons dans ce pays. Il ne fait toutefois aucun doute que le contrôle sur le contenu, pour faire suite à une question que l’on m’a posée précédemment, est rapidement en train de passer de ces radiodiffuseurs conventionnels auxquels vous avez fait référence et qui perdent de l’argent, aux entreprises de diffusion en continu qui, pour l’instant, appartiennent entièrement à des intérêts étrangers. Peut-être pas entièrement, mais dans la vaste majorité des cas.
Selon mon interprétation de ce qui est proposé, ce projet de loi se démarque du fait qu’il prévoit l’obligation, pour ces entreprises qui réalisent des milliards de dollars de revenus chaque année auprès des consommateurs canadiens pour financer une programmation conçue en grande partie aux États-Unis, de confier une partie de cette programmation à des producteurs indépendants canadiens. Je n’y vois pas une contre-incitation à la production indépendante au Canada; on va plutôt l’encourager.
On peut parler de l’histoire ancienne en se demandant ce qui aurait pu se produire dans ce pays en l’absence de Radio-Canada. Il aurait alors été certes possible qu’une station de radio comme NBC en 1929 inonde le Canada avec toute sa programmation et prenne le contrôle de la totalité de notre marché. Nous sommes aujourd’hui confrontés à un problème du même ordre. Nous nous retrouvons dans une situation où des étrangers vont être en mesure de déterminer quel type de programmation à budget élevé nous sera offerte.
J’ai écouté le témoignage fort intéressant des créateurs de contenu numérique qui ont comparu plutôt dans cette séance. J’ai une grande admiration pour eux et j’apprécie beaucoup le genre de travail qu’ils accomplissent. Lorsqu’il s’agit toutefois de produire de la programmation — et j’en fais l’expérience au quotidien —, le coût horaire moyen de production d’une émission de télé pour les grands réseaux américains dépasse les 5 millions de dollars américains. Les émissions à plus gros budget produites en français au Québec coûtent environ 700 000 $ l’heure. Pour les émissions destinées à l’auditoire canadien-anglais, le coût est de quelque 2 millions de dollars l’heure. Le fait est que ces émissions qui sont aussi onéreuses à produire, les Game of Thrones et les autres du genre, sont celles qui vont intéresser les auditoires au Canada, si bien que les producteurs canadiens ne seront jamais en mesure d’amortir les coûts de leurs productions étant donné la taille de notre marché à ce niveau.
Ne vous imaginez pas que les émissions comportant du contenu canadien vont générer d’énormes sommes d’argent à l’étranger lorsqu’on y raconte une histoire canadienne. Je peux vous le dire d’après mon expérience, et j’ai vendu des émissions canadiennes à l’étranger. J’en ai vendu. J’en vends régulièrement aux États-Unis. Les acheteurs étrangers sont vraiment très peu disposés à prendre des histoires typiquement canadiennes. Il y a La servante écarlate, si l’on veut l’utiliser comme exemple, qui peut être exportée à l’étranger.
Je ne pense pas du tout que nous devions être gênés d’essayer de soutenir l’industrie de la production locale qui raconte des histoires d’ici qui intéressent les Canadiens. Je pense qu’il est important d’obliger ceux qui prennent de l’argent aux consommateurs canadiens à en réinvestir une certaine partie dans l’industrie de la production au pays, comme on a obligé les radiodiffuseurs conventionnels à le faire. Je suis désolé d’avoir parlé aussi longtemps, mais c’est un sujet auquel j’attache beaucoup d’importance.
Le président : Je vous remercie de cette réponse détaillée. Bien entendu, contrairement aux entreprises de diffusion en continu et à d’autres producteurs, les radiodiffuseurs conventionnels ont aussi accès à des fonds fédéraux. C’est également un avantage important qu’ils ont.
Le sénateur Quinn : J’ai écouté avec beaucoup d’intérêt les groupes de témoins précédents qui ont dit que l’avantage d’Internet, c’est qu’il permet de diffuser la culture et du contenu canadiens à une échelle beaucoup plus grande. Ce soir, on nous dit que la radiodiffusion traditionnelle est confrontée à des défis et qu’elle fera la transition, avec le temps, vers Internet, avec la diffusion en continu, si l’on veut.
Au bout du compte, n’est-ce pas le consommateur, en particulier la jeune génération, qui décidera de regarder ou non quelque chose? Il suffit d’un clic pour passer à autre chose. N’est-ce pas la qualité du contenu qui doit attirer les gens vers nos productions canadiennes? Je ne comprends pas pourquoi nous passons à côté de cette génération avec cette capacité de cliquer. Si le contenu n’est pas bon, ils vont cliquer sur autre chose. J’aimerais connaître votre point de vue.
M. Prupas : Je ne veux pas monopoliser la discussion, mais je pense que vous soulevez un point important. Cependant, comme je l’ai dit plus tôt, la qualité des émissions dépend en grande partie du montant du budget disponible pour ces productions. Oui, on peut créer du contenu numérique chez soi qui peut être diffusé sur Internet, mais lorsqu’il s’agit de produire du contenu de grande qualité qui va attirer des millions d’auditeurs, cela coûte des millions de dollars. Si cet argent n’est pas mis à la disposition des talents et des producteurs canadiens, il passera des poches des Canadiens aux mains de ceux qui contrôlent ce contenu. Comme je l’ai déjà dit, les budgets pour les émissions canadiennes sont habituellement nettement inférieurs aux budgets pour les émissions américaines que les Canadiens veulent regarder. Si aucun financement n’est accordé au contenu canadien, il disparaîtra. Je le crois sincèrement.
Le sénateur Quinn : Je crois comprendre que — et je ne suis pas un spécialiste du domaine — les entreprises de diffusion en continu seront visées par la loi, et les grandes entreprises se sont dites prêtes à contribuer au financement. J’espère que l’argent versé sera utilisé, en fait, pour un large éventail de créateurs de contenu canadien et traditionnels, peu importe. Cependant, il devrait être investi au Canada pour que nous puissions, en fait, améliorer la production. Je ne comprends pas bien.
M. Prupas : Si je peux me permettre, pour la vaste majorité du contenu qui est produit au Canada par les entreprises de diffusion en continu américaines il y a, en effet, des équipes et des acteurs canadiens dans une certaine mesure. C’est du contenu qui est créé et conçu aux États-Unis et qui est amené dans notre pays en raison du faible coût de production. Dans la grande majorité des cas, ce ne sont pas des émissions qui racontent des histoires sur les Canadiens, et il ne s’agit pas ici de création canadienne. En fin de compte, les profits de ce contenu sortent du Canada.
Toutes les principales entreprises de diffusion en continu ont indiqué très clairement — et c’est leur modèle d’affaires — que si elles ne détiennent pas la totalité des droits d’auteur des émissions, elles ne les produiront pas. C’est une dure réalité à laquelle nous devons faire face. Si on ne les oblige pas à permettre à des voix indépendantes du Canada de produire ces émissions et à leur donner de l’argent pour le faire à partir des revenus générés par ce réseau de diffusion en continu, il n’y aura pas d’émissions canadiennes à l’avenir, ou du moins d’émissions axées sur le Canada. Il se peut qu’on tourne des émissions au Canada, mais on ne racontera pas d’histoires canadiennes. C’est mon point de vue.
M. Errington : J’aimerais parler du point de vue du radiodiffuseur. Je fais partie du système canadien de radiodiffusion depuis 30 ans, du côté des radiodiffuseurs. J’ai grandement bénéficié de l’ancien système et j’ai vu d’excellentes émissions et d’excellents contenus être produits au fil du temps. Je peux vous dire ce qui est spécial au sujet du système canadien de radiodiffusion, à mon avis, et c’est le fait qu’il contribue à notre culture grâce à du contenu canadien, mais aussi qu’il permet à des chaînes comme la mienne, AMI, une chaîne dédiée aux personnes handicapées, ou à APTN d’exister. Des chaînes comme les nôtres n’existent nulle part ailleurs dans le monde, et c’est ce qui rend le système canadien de radiodiffusion unique et spécial.
C’est pourquoi nous insistons sur le fait que si une entreprise veut agir comme une EDR et être une EDR virtuelle, regrouper des chaînes et diffuser ces chaînes regroupées sur un système comme Amazon Prime ou, à l’avenir, avec Roku ou Pluto TV, les conditions qui s’appliquent aux EDR actuelles devraient s’appliquer à ces chaînes virtuelles. Cela ferait en sorte que les chaînes comme la mienne qui s’adressent à un groupe vraiment unique de notre société — les personnes handicapées représentent 22 % de la population canadienne, ce qui en fait un gros marché — auraient la possibilité d’avoir cette chaîne. C’est ce qui rend le système de radiodiffusion canadien unique et spécial. C’est pour cela que nous nous battons aujourd’hui, pour que les EDR virtuelles soient soumises aux mêmes règles que les EDR actuelles. Voilà où nous en sommes.
Le sénateur Quinn : Le groupe de témoins qui vous ont précédé et d’autres personnes nous ont dit que l’article 4.2, tel qu’il est rédigé, risque d’empêcher les petits créateurs — la personne qui fait le clip de 30 secondes pour raconter des anecdotes canadiennes, si je puis dire — de continuer à travailler dans cet espace. Ce sont les petits créateurs, et je crois savoir qu’il y en a des centaines, voire des milliers. Que pensez-vous de leur préoccupation?
M. Errington : Il y a un rôle pour chacun d’entre nous. Je prends moi aussi des extraits de notre contenu de programmation et je les diffuse sur TikTok, YouTube, etc. Nous jouons donc aussi dans ce cadre, mais lorsqu’on parle d’un large segment de la population canadienne, qu’il s’agisse de programmation autochtone ou de programmation pour les personnes handicapées, je pense que cela revêt davantage d’importance.
Ce que je demande aujourd’hui en tant que représentant d’AMI, c’est vraiment qu’on préserve ce que nous avons actuellement et cette grande chose que nous sommes en train de construire et qui fait l’envie du monde entier. C’est pourquoi le système canadien de radiodiffusion est spécial. Est-ce que je veux que les petits créateurs indépendants de TikTok disparaissent? Non. Je pense qu’ils sont importants et viables et qu’ils devraient participer au système. Tout ce que je demande, c’est que les règles qui s’appliquent actuellement aux entreprises de radiodiffusion et de distribution s’appliquent aussi à la radiodiffusion virtuelle. Cela règlerait notre problème et permettrait de conserver, par exemple, AMI ou APTN.
Le sénateur Quinn : Seriez-vous d’accord pour que nous envisagions d’apporter un amendement à l’article 4.2 pour répondre aux préoccupations de ces petits créateurs afin qu’ils puissent rester? Ils ont dit craindre d’avoir des difficultés à cet égard. Devrions-nous prendre en compte ce qu’ils proposent au sujet de l’article 4.2?
M. Errington : Je pense que plus il y a de contenu canadien, mieux c’est.
Kevin J. Goldstein, conseiller externe en matière de réglementation, Accessible Media Inc. : Il s’agit d’une question distincte de la nôtre. Les questions relatives au contenu généré par les utilisateurs et à la situation où quelqu’un fait quelque chose pour lui-même ou gagne sa vie et gravite ou passe au type de contenu que M. Prupas produit ou au type de contenu professionnel qu’un radiodiffuseur pourrait produire sont deux choses bien différentes. C’est vraiment une question distincte de celle qui nous préoccupe, à savoir que nous allons quitter un modèle dans lequel nous avons accordé un soutien important à certains types de chaînes et à certains types de contenu et que les personnes qui distribuent ce contenu sur ces plateformes dans le nouvel ordre mondial ne semblent pas relever de la compétence du CRTC. C’est notre question spécifique ce soir.
Le sénateur Quinn : Merci.
Le président : J’aimerais remercier les témoins de leur participation et de leur indulgence. Nous avons un peu dépassé le temps prévu ce soir en raison de quelques difficultés techniques, mais nous avons pu le rattraper en deuxième partie. Merci d’avoir été présents et de nous avoir donné vos points de vue.
(La séance est levée.)