LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES TRANSPORTS ET DES COMMUNICATIONS
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mardi 4 octobre 2022
Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd’hui, à 9 heures (HE), avec vidéoconférence, pour étudier la teneur du projet de loi C-11, Loi modifiant la Loi sur la radiodiffusion et apportant des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois.
Le sénateur Leo Housakos (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour. Je m’appelle Leo Housakos, je suis un sénateur du Québec et le président du Comité sénatorial permanent des transports et des communications. J’aimerais maintenant que mes collègues se présentent brièvement.
La sénatrice Simons : Je suis Paula Simons, de l’Alberta, sur le territoire du Traité no 6.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Julie Miville-Dechêne, sénatrice du Québec.
Le sénateur Cormier : René Cormier, sénateur du Nouveau-Brunswick.
[Traduction]
Le sénateur Quinn : Je suis le sénateur Jim Quinn, du Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Klyne : Je m’appelle Marty Klyne, sénateur de la Saskatchewan, sur le territoire du Traité no 4.
La sénatrice Sorensen : Je suis Karen Sorensen, sénatrice de l’Alberta.
Le sénateur Woo : Je suis Yuen Pau Woo, je viens de la Colombie-Britannique.
[Français]
La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de l’Ontario.
[Traduction]
Le sénateur Manning : Je suis Fabian Manning, je représente Terre-Neuve-et-Labrador.
Le président : Bienvenue à tous.
Nous continuons aujourd’hui notre étude du projet de loi C-11, Loi modifiant la Loi sur la radiodiffusion et apportant des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois.
Pour la première heure, ce matin, j’ai le plaisir d’accueillir Michael MacMillan, cofondateur et directeur général de Blue Ant Media, qui est parmi nous par vidéoconférence. Nous accueillons également Frédéric Bastien Forrest, chroniqueur et producteur de contenu, qui comparaît à titre personnel. Je vous souhaite la bienvenue au comité. Merci de vous joindre à nous pour cette étude importante.
Vous disposerez tous deux de cinq minutes pour vos déclarations liminaires, après quoi je laisserai la parole à mes collègues pour les questions.
Monsieur MacMillan, vous avez la parole.
Michael MacMillan, cofondateur et directeur général, Blue Ant Media : Merci. Je suis heureux de pouvoir m’adresser au comité aujourd’hui.
J’exhorte le comité et le Sénat à approuver le projet de loi C-11. Il s’agit d’une mesure que notre gouvernement aurait dû prendre il y a longtemps déjà, et je l’appuie avec enthousiasme.
Mon contexte est le suivant : je travaille dans l’industrie canadienne du cinéma et de la télévision depuis 1978. Depuis 44 ans, j’observe l’évolution de notre industrie, en tant que producteur, distributeur, radiodiffuseur et diffuseur en continu, j’ai vu les technologies passer, j’ai vu les décideurs passer. Je suis convaincu que l’objectif de cette politique, même dans sa version actuelle, est tout à fait conforme à l’orientation générale de notre gouvernement depuis 1982. Il s’agit non pas de tenter d’écarter les producteurs ou les signaux internationaux, mais plutôt de pouvoir compter sur un financement adéquat pour soutenir la production d’émissions canadiennes. Cette loi s’inscrit donc dans la continuité de 40 ans de politique fructueuse.
Nous n’avons jamais voulu exclure les producteurs internationaux, les grandes chaînes américaines ou les diffuseurs en continu. En fait, notre politique vise plutôt à les attirer chez nous. Nous sommes ravis qu’aujourd’hui, dans l’industrie de la production canadienne, la plus grande partie du travail découle de projets internationaux, principalement de productions des géants américains, auxquels nous offrons des centaines de millions de dollars de financement depuis le Trésor fédéral en crédits d’impôt sur les services, tandis que les producteurs bénéficient également du cours avantageux du dollar canadien et d’excellentes équipes canadiennes.
Nous ne réclamons donc pas que les Américains s’en aillent. Nous voulons que les diffuseurs en continu restent. Nous encourageons les grands géants de l’industrie à rester ici. C’est très bon pour tout le monde. Ce que nous disons, cependant, c’est qu’il faut soutenir la partie canadienne de l’industrie.
Nous vous demandons donc instamment d’adopter ce projet de loi.
J’ai remarqué qu’il y a eu beaucoup de conversations, ces dernières semaines, sur la définition de ce que serait une « émission canadienne admissible ». Je suis fermement convaincu qu’une « émission canadienne admissible » est une émission produite par des Canadiens. Qui crée l’émission et qui en est propriétaire? Est-ce un contenu créé par des Canadiens — des acteurs, des scénaristes, des réalisateurs, des producteurs, des monteurs, des cinéastes — et appartenant à des Canadiens, dont les droits d’auteur et les droits d’utilisation appartiennent à des Canadiens? Telles devraient être les principales lignes directrices. C’est l’essence même de la façon dont nous définissons avec succès ce qu’est une émission canadienne depuis longtemps.
Je presse le Sénat de ne pas se laisser distraire par de curieuses discussions parallèles qui semblent avoir lieu et qui laissent entendre que la définition d’une « émission à contenu canadien » devrait être basée sur un sujet précis. Ce n’est pas le rôle du gouvernement de décider si une histoire porte bien sur une petite fille rousse avec des tresses ou si un documentaire porte bien sur les champs de blé. Ce n’est pas là l’objectif du soutien gouvernemental à l’industrie. Nous croyons fermement qu’une émission canadienne devrait être une émission réalisée par des Canadiens et dont les droits d’auteur sont détenus par des Canadiens.
Le CRTC est bien placé pour régler les détails à ce sujet. Bien que je ne sois pas d’accord avec toutes les décisions prises par le CRTC au cours des 44 dernières années, dans l’ensemble, il a pris la bonne direction et il est bien placé pour s’occuper des détails liés à cette définition.
Au sujet de l’admissibilité d’une émission, je continue de croire que tous les Canadiens devraient être considérés comme des producteurs admissibles, peu importe non seulement l’endroit où ils se trouvent au pays, mais aussi s’il s’agit, comme dans le cas de Blue Ant Media, de producteurs affiliés à un diffuseur. Blue Ant est un producteur et un distributeur, mais nous possédons également une poignée de petites chaînes de télévision canadiennes. Nous soutenons que les entreprises comme la nôtre ne devraient pas être inadmissibles simplement parce que nous possédons aussi quelques chaînes de télévision et de diffusion en continu.
En résumé, je presse les membres du comité et du Sénat d’emboîter le pas à leurs collègues de la Chambre des communes pour approuver le projet de loi C-11.
Le président : Je vous remercie beaucoup.
[Français]
Monsieur Bastien Forrest, vous avez la parole.
Frédéric Bastien Forrest, chroniqueur et producteur de contenu, à titre personnel : Honorables sénateurs, bonjour.
Quel honneur et quel bonheur d’être ici aujourd’hui! Plusieurs Canadiens et Canadiennes aimeraient avoir ce privilège d’être écoutés par les membres d’une institution démocratique patrimoniale comme le Sénat.
[Traduction]
Oui, beaucoup de Canadiens aimeraient dire « Je suis au Sénat ». Aujourd’hui, c’est mon tour. Je suis touché et honoré d’être ici. J’avais peu de chances de me retrouver ici un jour. Je ne suis qu’un youtubeur, mais je suis également membre du conseil d’administration de l’UDA, l’Union des artistes, un syndicat d’artistes représentant plus de 10 000 membres. De plus, je participe chaque semaine, sur les ondes de Radio-Canada, à une émission radiophonique sur les tendances technologiques qui est diffusée d’un océan à l’autre.
Maintenant, remontons un peu dans le temps. J’ai commencé ma carrière à MusiquePlus il y a environ 13 ans. C’était la version franco-canado-québécoise de MuchMusic. À peu près à la même époque, mon auditoire sur Internet a augmenté. Je devenais un créateur de contenu numérique avant même que le terme n’existe.
Depuis lors, j’ai toujours gardé un pied dans les médias traditionnels et un pied dans les médias numériques. J’essaie de jeter des ponts entre les cultures.
Au sujet de la culture, 90 % des jeunes Canadiens dans la vingtaine regardent YouTube, et beaucoup d’entre eux regardent des créateurs canadiens — des créateurs du Manitoba, de l’Ontario, de l’Alberta, du Québec et de la francophonie canadienne.
[Français]
Cette semaine, j’ai regardé un vidéoclip du rappeur franco-saskatchewanais Shawn Jobin sur YouTube; certaines de ses vidéos ont été vues plus de 100 000 fois. Ça, c’est notre culture francophone qui vit, qui circule, qui s’exporte. Ma chaîne YouTube à moi est en français, elle est suivie par plus de 30 000 personnes. La grande majorité des visionnements de ma chaîne proviennent du Québec et du Canada francophone. Environ 20 à 30 % de mes visionnements viennent de l’Europe, de la France et de la Belgique. Tous les jours, sur ma chaîne YouTube, un Européen consomme de la culture québécoise. À titre informatif, ma chaîne engendre entre 4 000 et 100 000 visionnements par mois. Pour plusieurs, ces chiffres sont minimes, mais pour nous au Québec, c’est suffisant pour en faire un métier. Oui, moi, un artiste autoproduit et autogéré, je peux faire du rap en français sur YouTube. Je peux filmer des expériences, comme courir un marathon pas entraîné pour voir si c’est possible, et les Canadiens l’écoutent. J’imagine que vous aussi vous avez envie de le regarder maintenant.
Plusieurs de mes vidéos se situent à la frontière entre l’éducation et le divertissement, et comme plusieurs de mes collègues sur les plateformes numériques, j’essaie de redonner à notre société et d’y contribuer; pour chacune de mes vidéos qui deviennent virales, c’est un morceau de notre culture canadienne qui s’exporte. Cette culture, je l’ai pensée, écrite, filmée, montée, exportée et publiée moi-même, mais je suis loin d’être le seul.
Chaque jour, des milliers de Canadiens et Canadiennes sont inspirés par les vidéos de Cam Grande Brune, Émile Roy, Thomas Gauthier, Jessica Prudencio, Ryan George, Lysandre Nadeau et Nabil Lahrech. Tous ces créateurs et pionniers populaires mériteraient d’être nommés ici aujourd’hui, mais on manquerait de temps tant il y en a.
Ces plateformes Web qui permettent aux usagers de créer leur propre contenu nous ont permis de nous émanciper créativement et de rejoindre un public sans devoir attendre qu’un producteur nous dise oui.
Parfois, il est sain de créer sans gate keepers. Cela nous permet d’être 100 % nous-mêmes, peu importe nos différences. Cela nous permet de rejoindre un auditoire qui nous ressemble. Toutes ces victoires n’enlèvent rien aux médias traditionnels. Je chéris toutes les fois où j’ai le bonheur de travailler avec une plus grosse équipe comme à la radio ou à la télévision. Seuls, on va plus vite; ensemble, on va plus loin.
J’aimerais bien travailler avec une équipe sur ma chaîne YouTube, mais on doit mieux financer la culture numérique pour ce faire, celle que les Canadiens et Canadiennes consomment vraiment sur YouTube, TikTok, Instagram, Twitter et Twitch. Imposons des taxes à ces plateformes et subventionnons leurs créateurs. Nous faisons déjà cela pour d’autres industries. Imposons des taxes à ces plateformes et créons de nouvelles cultures parapubliques qui permettront à nos créateurs numériques, partout au Canada, d’aller plus loin.
Il est absurde qu’un youtubeur voulant engager une camérawoman ou une recherchiste doive payer de sa poche 30 à 50 % plus d’argent que la station de télévision voisine pour le même service. C’est pourtant le cas, puisque ces médias traditionnels ont accès à des subventions et des remboursements d’impôt qui n’existent pas pour les créateurs numériques.
Autrement dit, nos fonds publics nuisent à l’économie canadienne puisqu’on subventionne une industrie vieillissante qui ralentit plutôt que de former des travailleurs comprenant les codes de la création Web.
J’ai entendu des collègues de l’industrie culturelle se demander si c’était une bonne idée d’engager l’opinion publique dans le débat entourant le projet de loi C-11. S’il le faut, just watch me.
[Traduction]
En ce moment, je m’adresse à tous les politiciens d’Ottawa, de Vancouver, de Toronto, de St. John’s, de Winnipeg, de Montréal et de Québec. Aidez-nous à renforcer la créativité dans l’univers numérique, parce qu’un créateur est une petite entreprise. Les petites entreprises sont l’épine dorsale de notre économie, et les plateformes Internet permettent aux petites entreprises de créateurs de prospérer. Si nous devons taxer les géants de la technologie, assurons-nous de subventionner les créateurs locaux sur Internet avec cet argent. Ne ratons pas cette occasion de renforcer les créateurs et l’économie. Plus précisément, en ce qui concerne le projet de loi C-11, il faut modifier l’article 4.2 et exclure le contenu généré par les utilisateurs de toute application des règles de découvrabilité.
[Français]
Merci de m’avoir écouté.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Bastien Forrest.
[Traduction]
J’aimerais commencer, comme je le fais habituellement, par poser une question, et elle s’adresse à M. MacMillan.
Monsieur MacMillan, si je comprends bien, si nous produisons un film ou une émission qui a été écrit par un Canadien, qui raconte une histoire canadienne, qui est située et filmée dans une ville canadienne, avec des réalisateurs, des acteurs et des artistes canadiens, mais que cette émission est la propriété d’un étranger, elle ne correspond pas à notre définition de contenu canadien. Par contre, si nous avons un écrivain américain qui raconte une histoire américaine, tournée dans une ville américaine, avec des réalisateurs et des acteurs américains, mais que cette émission est la propriété d’un financier canadien de Toronto, alors elle est considérée comme du contenu canadien. Ne trouvez-vous pas cela un peu difficile à comprendre si nous sommes ici pour promouvoir la culture canadienne?
M. MacMillan : En effet, car ce n’est pas du tout ce que je disais — loin de là. Je dis qu’une émission créée par des Américains, avec des scénaristes, des producteurs, des réalisateurs et des cinéastes américains, n’est pas un projet canadien. Ce n’est pas ce que j’ai dit. Si j’ai donné cette impression, je devrais reformuler mes propos.
Là où je voulais en venir, c’est qu’une émission canadienne doit répondre à deux critères : être réalisée par des Canadiens et appartenir à des Canadiens. Si elle est seulement réalisée par des Canadiens, sans pour autant appartenir à des Canadiens, nous courons le risque de devenir des coupeurs de bois et des porteurs d’eau, comme ce fut le cas dans d’autres industries pendant une bonne partie de l’histoire de notre pays. Je soutiens que, pour le développement industriel de notre pays, pour le bien de notre économie, un plus grand nombre d’émissions doivent rester entre les mains de ceux qui les créent réellement et qui prennent un risque afin de produire chaque émission. Bref, pour que les choses soient bien claires, je ne voulais pas laisser entendre qu’une émission tournée aux États-Unis, avec des talents américains, peut être qualifiée de contenu canadien.
Le président : Vous avez cependant dit — et vous venez de le répéter — qu’un produit réalisé par des Canadiens et appartenant à des Canadiens est un contenu canadien, ce qui correspond à la définition même de ce concept. C’est la définition que nous appliquons au pays depuis 40 ans.
Dans le monde d’aujourd’hui, un monde où les investissements sont d’une grande importance pour soutenir nos arts et notre culture, n’est-il pas impératif d’élargir notre définition de contenu canadien afin de donner à nos artistes la possibilité d’obtenir les revenus dont ils ont besoin pour pouvoir atteindre leur plein potentiel? Le projet de loi ne devrait-il pas aborder également la définition de contenu canadien pour l’assouplir un peu afin que les artistes canadiens puissent profiter de leurs investissements financiers? Je ne dis pas que vous avez inventé ce concept. C’est une idée qui correspond au contenu canadien défini par nos gouvernements depuis des années. J’ai l’impression que vous êtes d’accord là-dessus. Au fond, ce que je cherche à faire valoir est ceci : ne serait-il pas beaucoup plus prudent d’élargir ce concept? Ce n’est pas la personne qui investit dans le projet qui compte, mais bien celle qui dirige le projet, selon moi.
M. MacMillan : Je suis en profond désaccord sur ce que vous dites. Vous décrivez bien le débat qui nous occupe; c’est exact. Par contre, je ne suis pas d’accord avec vous. À mon avis, il est très important que la propriété et le contrôle économiques soient détenus par des Canadiens, et il devrait y avoir un avantage à ce qu’un diffuseur, un distributeur ou un producteur canadien participe au projet et en soit propriétaire.
On trouve déjà, au Canada, d’énormes subventions pour des émissions qui ne répondent pas aux critères de contenu canadien. Par exemple, le crédit pour la taxe sur les services, dont se prévalent les productions non canadiennes au pays, constitue une mesure fiscale considérable. Nous accordons tout bonnement des centaines de millions de dollars à ces projets qui, vous avez raison, appuient indirectement ou directement des équipes et des artistes canadiens. Je parle plutôt de la nécessité de privilégier les émissions appartenant à des Canadiens afin que l’industrie canadienne de la radiodiffusion et de la distribution à l’étranger ait une meilleure chance de survivre et de croître.
Le président : Ne pensez-vous pas comme moi que nos artistes et nos communautés culturelles s’épanouiraient et prospéreraient s’ils avaient accès à plus de capitaux?
M. MacMillan : C’est probablement vrai pour de nombreuses industries. Une des sources les plus logiques de capitaux serait les sociétés de production et les producteurs canadiens. Pour avoir des capitaux à investir, ceux-ci doivent notamment être en mesure de détenir la propriété intellectuelle des projets qu’ils créent. C’est probablement leur source la plus logique de capitaux autogénérés. Je suis donc d’accord. J’espère qu’avec le temps, nos enfants et petits-enfants auront plus d’occasions de travailler sur des projets qui ont été développés et produits par une société de production canadienne qui dispose en partie de ces ressources parce qu’elle a pu bénéficier de leur travail et de leurs projets antérieurs.
[Français]
Le sénateur Cormier : Merci, monsieur MacMillan, pour vos explications très claires. Mes questions s’adressent à M. Bastien Forrest. Bienvenue, je suis heureux de pouvoir discuter avec un youtubeur francophone. Vous avez fait un plaidoyer assez éloquent sur l’importance des plateformes pour vous permettre de créer.
Je voudrais revenir au projet de loi comme tel. J’aimerais vous entendre sur votre compréhension de l’exception de 4.2 dans le projet de loi. Compte tenu de cela, de quelle manière des artistes sont-ils inquiets et pensent-ils qu’ils seront assujettis à la loi? Il y a une compréhension qu’il s’agit plutôt des plateformes qui y seraient assujetties. Pouvez-vous nous dire ce que vous en pensez et où vous vous situez?
M. Bastien Forrest : C’est très intéressant. Pour plusieurs usagers, la plateforme, c’est nous. Par exemple, si on veut réguler la plateforme YouTube — plusieurs autres algorithmes fonctionnent de la même manière — cela aura un impact sur la manière dont je dépose du contenu sur la plateforme et la façon dont ce contenu sera recommandé par la suite. Au moment où on se parle, je vois mon travail de créateur ainsi : faire la meilleure vidéo possible. Je vois le travail de YouTube comme cela : rejoindre les personnes qui veulent l’écouter. C’est un incitatif qui fonctionne bien pour YouTube et pour moi.
Si on change artificiellement cette relation, cela a un impact potentiellement négatif sur ma capacité de rejoindre les francophones qui m’écoutent déjà.
J’ai eu l’énorme plaisir de discuter avec M. Rodriguez, il y a quelques mois, avec d’autres youtubeurs. Il disait que dans l’esprit de la loi, les créations des usagers étaient exclues. C’est super dans l’esprit de la loi, mais dans la disposition 4.2 de la loi, on parle d’appliquer cela à tous les gens qui ont un revenu direct et indirect issu d’Internet. Un revenu direct et indirect issu d’Internet, c’est tout le monde et son cousin.
Le sénateur Cormier : Il y a trois critères. Il n’y a pas que le revenu direct et indirect. Il y a aussi la question à savoir si votre contenu est ailleurs sur des plateformes qui sont assujetties à la loi. Il y a aussi le critère à savoir si le contenu est associé à un code source, un enregistrement officiel. Il y a trois critères et il faut que l’entreprise puisse y être assujettie, mais en fonction des trois critères. Je veux comprendre la préoccupation des artistes quand on parle de ces trois critères.
M. Bastien Forrest : Je vous parle de mes craintes aussi, parce que j’ai l’espoir que cette loi sera pérenne et qu’elle favorisera autant l’industrie dite traditionnelle que l’industrie nouvelle, numérique. Nos craintes, en tant que créateurs, c’est qu’on a rarement ou peu été écoutés par nos gouvernements. Justement, on essaie de s’organiser davantage. Je m’inspire du modèle de l’Union des artistes (UDA) des années 1970 ou 1980 pour essayer de regrouper des youtubeurs, pour avoir une plus grande incidence lorsqu’on parle à des politiciens, mais aussi au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC). D’un point de vue historique, bien que je reconnaisse l’importance du CRTC, je n’ai pas l’impression que c’est une institution qui est en faveur des nouveautés et en mesure de comprendre ces nouvelles plateformes et les possibilités positives qu’on y retrouve.
Effectivement, il y a d’autres dispositions, et l’idée que dans l’esprit de la loi, on sorte les usagers de celles-ci — on dormirait tous mieux la nuit, nous, les créateurs, si c’était clair dans le mandat de la loi, avant même que ça se rende au CRTC. De toute façon, on sait qu’on va devoir recommencer le processus quand on ira devant le CRTC, parce que c’est lui qui appliquera la loi.
J’espère que ça vous éclaire un peu plus sur nos réticences. Parfois, les craintes ne sont pas toujours rationnelles, mais je pense que ça vaut la peine de les considérer.
Le sénateur Cormier : D’accord, merci. Je reviendrai au deuxième tour si possible.
La sénatrice Miville-Dechêne : Merci à nos deux témoins. Je m’adresse aussi à Fred Bastien. D’abord, merci pour votre exposé, pour votre flamme et tout cela. C’est la première fois qu’on reçoit un youtubeur francophone ici, donc c’est important pour moi. Je ne doute pas de votre succès, vous semblez être en montée avec 30 000 personnes qui vous écoutent.
M. Bastien Forrest : On pourrait dire que depuis quelques années, ça ralentit.
La sénatrice Miville-Dechêne : Savez-vous où sont ces 30 000 personnes qui vous écoutent? Deuxièmement, j’aimerais que vous pensiez avec une perspective un peu plus large que votre propre chaîne YouTube, c’est-à-dire à la culture québécoise, parce qu’avec votre chaîne francophone, vous faites partie de cette culture québécoise nouvelle. Comment la qualifieriez-vous en ce qui concerne le nombre?
Vous m’avez nommé une poignée de youtubeurs francophones. On sait bien qu’on est dans un monde nord-américain plutôt anglophone, on est une minorité. Vous arrivez à vous en tirer, mais cette idée que — pas vous personnellement — l’idée qu’on devrait recommander aux auditeurs d’écouter un peu plus de culture francophone est-elle à ce point négative pour vous?
Donc je voudrais que vous voyiez un peu plus largement que votre propre expérience et nous dire d’où vient votre écoute.
M. Bastien Forrest : Avec plaisir. En général, environ 80 % de mes visionnements proviennent du Canada francophone. Je devine que c’est beaucoup du Québec, mais il est impossible de le savoir. Je sais qu’il s’agit de Canadiens francophones. C’est super, je suis très heureux parce qu’il y a des gens au Nouveau-Brunswick qui me regardent et des gens de partout qui commentent. Je suis très heureux de ça. Environ 20 % à 30 % de mes visionnements viennent de l’Europe — la France et la Belgique, comme je le disais — et quelques petits points de pourcentage d’ailleurs dans le monde — probablement des gens en voyage. Voilà à quoi ça ressemble.
Chaque vidéo est différente, il y a des vidéos que je fais qui dépassent largement mon propre auditoire, par exemple j’ai nommé le marathon — la vidéo est rendue à 100 000 visionnements et plus de gens ailleurs dans le monde ont vu celle-là que d’autres de mes vidéos beaucoup plus locales, si on peut dire.
En ce qui concerne la culture francophone, je pense que je n’ai pas le choix de parler un peu du concept de la découvrabilité sur les plateformes numériques. Quand on demande à une station de radio de diffuser plus de contenu francophone, c’est facile, parce qu’il y a 24 heures dans une journée et un nombre limité de chansons que l’on peut faire jouer. On peut donc dire : 20 % de plus de culture locale. Voici comment fonctionne YouTube. On a souvent le réflexe de penser, même en tant que créateur, que notre rôle, c’est de faire une vidéo et que YouTube va nous trouver des paires d’yeux pour le proposer; c’est le travail de YouTube de nous le montrer, mais c’est plutôt l’inverse. YouTube pense au consommateur en premier en se disant : quelle pizza de contenu est-ce que je vais leur présenter aujourd’hui pour avoir plus de chances qu’ils cliquent sur l’un des contenus proposés?
Pour le robot qu’est YouTube, chaque minute, il y a des centaines de milliers d’heures de contenu téléversé, et d’autres plateformes algorithmiques fonctionnent de façon semblable, mais celle que je connais le mieux, c’est YouTube. J’ai eu la chance de parler à des ingénieurs de YouTube au fil de ma carrière, de parler à des gens qui sont spécialisés dans ce domaine...
La sénatrice Miville-Dechêne : Puis-je vous interrompre une seconde? Vous dites que vous êtes à l’aise de laisser ce robot — cet algorithme — décider de tout en matière de visibilité de la culture francophone.
M. Bastien Forrest : J’aimerais bien terminer. Je crois vraiment qu’on pourrait mieux comprendre les deux fonctionnements. Si on pense à The medium is the message, de Marshall McLuhan, il y a quelque chose dans la technique qui a un effet sur la manière de créer, pour ces plateformes. Le robot qui reçoit des milliers d’heures de contenu chaque minute veut savoir ce qui est intéressant dans ce contenu, et pour qui. Sa seule mesure pour le savoir, c’est le temps que ce type de personnes passe devant la vidéo.
Par conséquent, oui, je suis un fier partisan de la culture francophone québécoise. Je considère que les youtubeurs sont de la culture, les gens qui m’arrêtent dans la rue pour me parler de mes vidéos me ressemblent beaucoup, les gars comme les filles : blouson en jeans, chandail de groupe de musique, fan des superhéros, fan de la Guerre des étoiles; ils ont entre 18 et 40 ans. Si, artificiellement, on propose à YouTube de montrer mon contenu à des francophones qui ne sont pas intéressés par ce que je viens de nommer, l’algorithme verra qu’on propose mon contenu, mais les gens ne le regarderont pas ou le regarderont deux secondes au moment de quitter le site Web. YouTube en déduira donc que mon contenu n’est pas intéressant, alors que si on le montre seulement aux gens intéressés par ce contenu, comme c’est le cas actuellement — parce qu’il s’agit d’un incitatif autant pour les créateurs que pour la plateforme —, j’ai beaucoup plus de chances de rejoindre mon public sans que ma vidéo soit affectée négativement par des gens qui, on le pense, seraient intéressés par cette vidéo, mais ne le sont pas nécessairement.
La sénatrice Miville-Dechêne : Je crois que j’ai pris assez de temps. Je vous remercie de cette explication.
Le président : Moi aussi j’aime la Guerre des étoiles et je suis habillé comme ça, parce que je n’ai pas le choix. C’est la règle. J’aimerais plus être habillé comme vous, je peux vous l’assurer, monsieur Bastien Forrest!
[Traduction]
Le sénateur Manning : Je remercie nos témoins de leur présence parmi nous ce matin.
Dans un mémoire que YouTube a remis au Comité du patrimoine canadien de la Chambre des communes, on fait valoir que le projet de loi C-11, dans sa forme actuelle, mettra en péril le gagne-pain de dizaines de milliers de créateurs canadiens sur YouTube. D’autres créateurs qui ont témoigné devant notre comité la semaine dernière ont dit craindre que le projet de loi C-11 les amène à cesser leurs activités.
J’aimerais demander à nos deux témoins s’ils partagent ces préoccupations. Je sais que cela a un lien avec l’article 4.2, dont vous avez parlé tout à l’heure. Je m’interroge sur les inquiétudes liées à l’éventualité de laisser des milliers de personnes sans emploi et de mettre en péril leur gagne-pain.
M. Bastien Forrest : On peut parler de scénarios alarmistes à longueur de journée. Je préfère, pour ma part, me concentrer sur des solutions et des scénarios où tous pourraient y gagner. Cela fait peur, j’en conviens. Certes, on a l’impression que les politiciens derrière cette loi sont bien intentionnés et qu’ils veulent promouvoir notre culture, ce qui est formidable, mais les effets secondaires de la loi pourraient causer des dégâts. C’est ce qui est effrayant dans le modèle d’affaires que nous avons déjà, à savoir le fait que beaucoup de gens supposent que les médias numériques fonctionnent comme les médias traditionnels, selon une approche du haut vers le bas, mais c’est plus une affaire de simples citoyens. Il faut donc des moyens distincts pour répondre aux besoins de ces deux industries.
Le sénateur Manning : Notre autre témoin souhaite-t-il intervenir?
M. MacMillan : Nous participons, nous aussi, à l’écosystème de YouTube, de Snapchat et d’autres plateformes.
J’ai l’impression que, dans sa forme actuelle, le projet de loi ne vise pas les créateurs sur YouTube et les plateformes similaires. Je ne crois pas qu’il le fasse et, en ce qui concerne les directives que le gouvernement donnera au CRTC pour s’assurer que c’est le cas, je ne m’inquiète pas trop de la possibilité que le projet de loi aille trop loin, comme certains l’ont dit. Je suis satisfait de la façon dont il est rédigé.
Le sénateur Manning : En ce qui concerne l’article 4.2 du projet de loi, pensez-vous qu’il faut le préciser pour exclure le contenu généré par les utilisateurs?
M. MacMillan : Cela dépend de la façon dont le contenu est coproduit. Il pourrait être présenté d’une manière dite professionnelle. Il pourrait faire partie d’une offre plus large. Je suppose que cela dépend. Encore une fois, le libellé ne m’inquiète pas outre mesure.
M. Bastien Forrest : Pour moi, ce n’est pas la même chose que de demander à Netflix de produire plus de contenu canadien et d’influer sur la découvrabilité des youtubeurs. Chez Netflix, ce sont des gens en costume qui décident de ce que tout le monde regarde. Cela ressemble plus à un modèle traditionnel qu’à un contenu généré par les utilisateurs. Pour répondre à votre question, nous devrions absolument préciser que le contenu généré par les utilisateurs — en termes très simples — est exclu de cette loi.
Le sénateur Manning : Sachez que ce sont des gens en costume qui finiront également par déterminer cette loi. Voilà qui pourrait être tout aussi effrayant.
Si d’autres pays comme les États-Unis, ou différents pays d’Europe, décident d’adopter des lois semblables à ce que nous avons ici aux termes du projet de loi C-11, vous inquiétez-vous de ce que l’avenir nous réserve?
M. MacMillan : Cela ne m’inquiète pas. Nous en avons l’habitude. Nous sommes habitués à ce que de nombreux pays dans le monde disposent de vastes systèmes de soutien pour leurs propres industries créatives. Nous le voyons en France, dans l’Union européenne, au Royaume-Uni, en Australie, au Brésil et dans beaucoup d’autres pays. Nous y sommes habitués et nous y sommes favorables. En fait, le Canada a la chance d’avoir des traités de coproduction avec de nombreux pays sur les principaux marchés, notamment le Royaume-Uni, l’Allemagne, la France, Israël, l’Australie, etc. En vertu de ces traités, les ressortissants de chaque pays peuvent se réunir et créer conjointement une émission qui est considérée comme locale dans chacun des pays d’origine.
Je respecte et encourage les mesures prises par les Européens, les Français et les autres. C’est un acte de courage pour un pays que de soutenir ses propres créateurs et d’encourager, dans certains cas, sa propre langue, sa culture et les industries qui l’appuient. Je ne m’inquiète donc pas de la résistance de ces pays à l’égard de nos créations.
Cela rejoint ce que j’ai dit tout à l’heure dans ma réponse à une autre question. Pour Blue Ant Media, les ventes internationales — c’est-à-dire les accords de licence que nous concluons pour louer nos émissions à des utilisateurs à l’extérieur du Canada — représentent un revenu supérieur à celui que nous générons en accordant des licences pour l’utilisation de nos émissions au Canada, ce qui nous ramène à l’importance d’être propriétaire de ce que l’on produit. Les revenus que nous générons à l’extérieur du Canada sont supérieurs aux revenus que nous générons au Canada. Voilà pourquoi c’est essentiel non seulement pour notre réussite et notre croissance soutenues, mais aussi pour celles de l’industrie. Cela dit, je ne suis pas inquiet parce que je respecte totalement le besoin, le droit et la logique invoqués par d’autres industries, d’autres pays et d’autres régions pour appuyer de la même manière leurs propres créateurs.
M. Bastien Forrest : Il se peut que d’autres pays nous imitent. De plus, à titre de pays très avancé sur le plan numérique, le Canada est souvent considéré comme un exemple à l’échelle mondiale, tant pour le secteur privé que pour le secteur public, en matière de tendances technologiques. Le monde entier nous observe.
La sénatrice Simons : Monsieur MacMillan, le slogan de Blue Ant dit qu’il n’y a rien de mieux qu’une bonne histoire pour rassembler les gens. On nous répète sans cesse que nous avons besoin du projet de loi C-11 pour, entre autres, encourager la création d’histoires canadiennes. Or, quand je regarde le répertoire de Blue Ant, je vois des émissions comme 9/11 Kids, qui n’est pas canadien; Searching for Secrets, dont le sujet n’est pas canadien; un documentaire à venir sur la vie sexuelle du prince Andrew; un dessin animé appelé DOOMLANDS, qui se déroule, semble-t-il, aux États du Sud après l’apocalypse.
J’essaie de comprendre. Vous affirmez qu’une émission ne devrait pas être considérée comme canadienne simplement parce qu’elle a un contenu canadien, mais vous avez un portefeuille entier de productions qui sont jugées canadiennes parce que leur financement et leur réalisation proviennent du Canada, et pourtant, elles ne font rien pour raconter des histoires canadiennes.
J’ai du mal à comprendre. Demandez-vous un régime réglementaire qui encourage les entreprises canadiennes ou qui soutient la culture canadienne?
M. MacMillan : Les émissions que vous venez de citer, vous les qualifiez à tort de contenu canadien. Nous produisons également des émissions qui ne sont pas qualifiées de contenu canadien. L’émission sur le prince Andrew, par exemple, n’avait rien à voir avec le Canada. Nous l’avons réalisée ailleurs. Elle n’a pas été qualifiée de canadienne et n’a probablement pas été associée à un pays d’origine particulier. Nous réalisons des émissions, dont certaines peuvent être qualifiées de canadiennes et beaucoup d’autres non. Seules certaines d’entre elles pourraient être qualifiées de la sorte.
Loin de nous l’idée de suggérer que les émissions que nous produisons, comme Orangutan Jungle School, que nous tournons en Asie du Sud-Est, pourraient être qualifiées de canadiennes, pas plus que l’émission sur le prince Andrew que vous avez mentionnée.
La sénatrice Simons : Même si la propriété intellectuelle est canadienne?
M. MacMillan : C’est exact. Il s’agit d’une propriété intellectuelle canadienne, mais l’émission n’est pas entièrement réalisée par des Canadiens. Elle ne peut donc pas être qualifiée de canadienne. Nous ne cherchons pas à ce qu’elle le soit. Elle ne remplit pas ce critère. Malgré tout, nous sommes en mesure de la produire. En l’occurrence, nous l’avons tournée aux États-Unis et au Royaume-Uni. L’émission Orangutan Jungle School, quant à elle, a été tournée à Singapour et en Indonésie. Il n’y a pas de mal à cela. Ce ne sont pas des séries canadiennes. Elles ne sont pas d’une nationalité particulière. Elles ne bénéficient pas de ces subventions. Notre entreprise ne se contente pas de produire du contenu canadien, mais elle ne reçoit la subvention que pour les émissions qui remplissent les conditions requises.
La sénatrice Simons : Qu’en est-il de l’émission Canada’s Drag Race, que j’aime bien regarder durant mes vols de retour ces derniers temps? Nous la devons, à la base, à une société de production américaine, soit la société RuPaul. Vous avez transposé une création culturelle américaine et confié ces rôles à des Canadiens. Cela représente-t-il un contenu canadien?
M. MacMillan : Oui. Évidemment, ce n’est pas nous qui l’avons inventée au départ. C’est une adaptation d’une émission inventée ailleurs. Cependant, elle est faite par des Canadiens, et il se trouve que nous en sommes les propriétaires. Nous diffusons l’émission sur Crave, et elle remplit tout de même les critères. Je pense que les thèmes, les espoirs, les aspirations et les défis palpitants de Canada’s Drag Race correspondent parfaitement aux valeurs de notre pays, et c’est ce qui explique la grande popularité de cette émission sur Crave.
La sénatrice Simons : Le sénateur Housakos et moi ne sommes pas d’accord sur grand-chose la plupart du temps, mais je pense que nous nous entendons sur ce point. Il me semble que la définition de contenu canadien et l’impératif de raconter des histoires canadiennes — ce que j’appuie, étant moi-même écrivaine — sont confondus ici avec le soutien à l’industrie canadienne de la production. Je comprends votre point de vue selon lequel nous devons éviter d’être simplement une économie de services où nous ne faisons que produire des films à la Hallmark et à la Disney. Toutefois, lorsque vous dites que le contenu d’une émission ne devrait avoir aucune influence sur la question de savoir si elle est canadienne ou non et qu’une émission n’est pas obligée de ressembler à Anne... la maison aux pignons verts pour être canadienne, alors nous ne faisons rien, me semble-t-il, pour encourager la production de récits canadiens. Je ne veux certainement pas que nous nous contentions de soutenir des gens qui racontent des histoires américaines avec l’argent de producteurs canadiens.
M. MacMillan : J’affirme néanmoins qu’on s’engage sur une pente très glissante lorsqu’un organisme gouvernemental intervient dans la définition précise de ce qui est canadien. Par exemple, cela pourrait signifier qu’un documentaire d’opinion réalisé par un cinéaste canadien sur les changements climatiques à l’extérieur du Canada ne serait pas considéré comme un point de vue canadien. Les émissions de science-fiction ou la plupart des projets d’animation ne pourraient pas non plus être qualifiés de canadiens parce qu’ils ne se déroulent pas dans un temps et un lieu précis que l’on peut reconnaître.
Il existe de nombreux types de créations audiovisuelles dont le caractère canadien ou francophone est difficile à cerner. C’est d’autant plus vrai que le Canada partage une langue et une culture, à bien des égards, avec ses merveilleux voisins, les États-Unis. Ce n’est pas évident.
J’insiste pour que nous ne nous engagions pas dans cette voie difficile, car nous pourrions nous retrouver dans une situation que nous ne souhaitons pas.
La sénatrice Simons : Je vous remercie, monsieur Forrest, de nous avoir donné une des meilleures explications sur la façon dont fonctionne l’algorithme.
Le sénateur Klyne : Je souhaite la bienvenue à nos invités, et je les remercie énormément de leurs observations. Ma question s’adresse à M. MacMillan, mais M. Bastien Forrest peut également intervenir. J’aimerais aussi poser une deuxième série de questions.
Monsieur MacMillan, vous avez eu une très longue et fructueuse carrière dans le domaine de la télédiffusion, et vous semblez également connaître du succès dans le domaine de la diffusion en ligne, ce qui vous donne une perspective quelque peu unique. Étant à la tête d’une société qui mène des activités à la fois dans le domaine de la radiodiffusion et dans celui de la diffusion continue en ligne, pensez-vous qu’il serait logique que le gouvernement du Canada assujettisse la diffusion continue en ligne à la Loi sur la radiodiffusion et que le projet de loi rende le contenu canadien plus facile à découvrir ou plus recherché qu’il ne l’est actuellement? Les revenus qui en découleront contribueront-ils à financer la production d’un plus grand nombre de bons contenus canadiens afin d’en optimiser le potentiel? En même temps, est-ce que cela va épauler les créateurs numériques ou plutôt leur nuire?
M. MacMillan : À mon avis, cela apportera des fonds supplémentaires pour la production, la découvrabilité et la consommation, l’utilisation ou le visionnement d’émissions canadiennes. Il en résultera donc plus de possibilités d’emploi dans le domaine de la création pour les créateurs canadiens. La réponse est donc « oui ».
Je crois que, dans l’ensemble, le projet de loi comporte son lot d’avantages, et je pense qu’il aurait dû être adopté il y a longtemps. On ne demande pas la lune; on veut simplement que les entreprises qui participent à la vie canadienne, qui contribuent à l’impôt sur le revenu, qui paient la TVH ou qui contribuent autrement puissent bénéficier d’une sorte de mécanisme de financement pour aider à la production continue de produits culturels canadiens — films, émissions de télévision et produits numériques.
J’estime que cela profitera non seulement à l’industrie, mais aussi aux utilisateurs et aux téléspectateurs canadiens. Je pense que les créateurs numériques et les consommateurs de contenu numérique pourraient également tirer leur épingle du jeu.
Le sénateur Klyne : Prévoyez-vous que la mise à jour de la Loi sur la radiodiffusion pour inclure les créateurs numériques et les diffuseurs en ligne sera bénéfique pour les radiodiffuseurs, les créateurs numériques et les diffuseurs en ligne canadiens, ou pensez-vous plutôt qu’elle créera des difficultés et nuira aux créateurs numériques et aux diffuseurs en ligne?
M. Bastien Forrest : Je crois que cela créerait beaucoup de difficultés pour les deux industries. Le scénario idéal est de mettre l’accent sur le financement de l’offre afin de promouvoir la culture. Nous devrions taxer la plateforme, mais il faut utiliser une bonne partie de cet argent pour subventionner les petits créateurs, les petites équipes et les artistes indépendants.
Le Québec en regorge. Au Québec, les industries du théâtre, du cinéma et de la musique sont subventionnées, et ce, pour de bonnes raisons. La démographie de la France, des États-Unis leur permet d’étendre leurs activités.
J’ai rencontré Cyprien, qui est un grand youtubeur en France, et il fait des vidéos humoristiques comme moi. Après lui avoir parlé, je me suis rendu compte qu’il avait 80 employés. Je n’en ai qu’un, et c’est moi. La France a donc une démographie qui lui permet d’élargir son auditoire beaucoup plus rapidement que moi, et la France est beaucoup plus favorable aux youtubeurs dans le cadre de ses programmes publics.
La meilleure chose que nous puissions faire en taxant ces plateformes, c’est de nous assurer qu’une grande part du gâteau va aux utilisateurs de ces plateformes qui créent le contenu que les Canadiens regardent.
M. MacMillan : Je suis d’accord là-dessus, et cela correspond à l’idée de canaliser le financement provenant de diverses sources — crédits d’impôt ou autres contributions des distributeurs de signaux — pour le mettre entre les mains des créateurs. On peut les définir comme des créateurs numériques particuliers ou comme des sociétés de production, mais dans les deux cas, il s’agit de la même notion. Je partage donc ce point de vue.
Le sénateur Klyne : Tout à l’heure, vous avez dit qu’il faut modifier l’article 4.2. Qu’entendez-vous par là?
M. Bastien Forrest : Comme je l’ai expliqué plus tôt, beaucoup de créateurs que je connais sont un peu effrayés par l’article 4.2, parce que, selon l’esprit de la loi, le contenu généré par les utilisateurs n’est pas visé, mais l’article 4.2 semble inclure toute personne qui tire un revenu direct ou indirect d’Internet. Si je vends des t-shirts sur Internet, je tombe sous le coup de cette disposition. Il en va de même si je reçois un petit paiement de YouTube.
Cela nous rassurerait si le libellé précisait clairement, en termes simples, que le contenu généré par les utilisateurs — les youtubeurs et les tiktokeurs — est absolument exclu de toute application du principe de découvrabilité.
Le sénateur Klyne : Je vous remercie.
Le sénateur Quinn : Merci, monsieur MacMillan et monsieur Bastien Forrest, d’être ici aujourd’hui. Je vous remercie d’avoir dit essayer d’être un pont. Cela me réjouit, car moi aussi, j’essaie de comprendre les deux côtés.
Ma question revient sur ce que le sénateur Manning a abordé. C’est un aspect que j’aimerais approfondir un peu. Nous avons entendu différentes choses de la part de différentes personnes ayant des points de vue différents. Par exemple, nous avons entendu que les plateformes et les générateurs de contenu ne sont pas visés. Les algorithmes ne seront pas modifiés par le CRTC, mais ils pourraient être réglementés. Les plateformes pourraient avoir à faire quelque chose au sujet de leurs algorithmes.
Pour moi, il y a beaucoup de confusion sur qui vient en premier dans tout cela.
Ma question s’adresse à vous deux, car vous avez de l’expérience dans ce domaine. Dans un pays comme le Canada, ne devrions-nous pas adopter des lois plus claires afin que ceux qui élaborent les règlements soient mieux guidés et qu’il y ait moins d’interprétation sur ce que dit la loi par rapport à ce que sont leurs pouvoirs? Ne devrions-nous pas appuyer les modifications apportées à cette loi pour atteindre ce résultat? J’aimerais vous entendre tous les deux à ce sujet.
M. Bastien Forrest : Bien entendu, je suis toujours pour qu’il y ait moins de jargon juridique. Il y a cette loi, puis il y a le CRTC et puis il y a l’application. Cela fait beaucoup de couches dont il faut tenir compte. Si l’idée est de simplifier le texte et de faire en sorte que les créateurs numériques aient leur mot à dire sur la façon dont cela va se dérouler, ce sera une victoire pour toute l’industrie et pour tous les Canadiens.
M. MacMillan : Le libellé actuel me semble clair. Toutefois, s’il ne l’est pas — et apparemment, il ne l’est pas pour certains —, faites en sorte qu’il le soit.
Le sénateur Quinn : Monsieur MacMillan, vous seriez favorable aux amendements proposés pour obtenir cette clarté?
M. MacMillan : Oui, si c’est là leur seule fonction et qu’ils ne sont pas des faux-fuyants ou des dispositions servant un autre but connexe qui viendrait miner l’objectif central du projet de loi.
L’une des choses qui me préoccupent, c’est le fait que nous cherchions seulement à clarifier, comme nous en discutons maintenant, sans essayer d’inclure le cas d’un youtubeur particulier ou quelque chose comme ça, c’est-à-dire un créateur numérique individuel, comme quelqu’un qui vendrait des t-shirts ou tout autre exemple de ce type. Parfait, que ce soit clair.
Il y a un risque que certaines plateformes, qui fournissent actuellement surtout du contenu généré par les utilisateurs, se lancent également dans la fourniture professionnelle de toute une bibliothèque de programmes avec de la publicité. Vous pouvez voir où cela pourrait entrer dans une zone grise, mais si c’est simplement pour clarifier que ce ne sont pas les vendeurs de t-shirts ou les créateurs individuels, bien sûr, faites en sorte que cela soit clair.
[Français]
La sénatrice Clement : J’aimerais remercier les deux témoins. Mes questions s’adressent à M. Bastien Forrest. J’aimerais explorer la réponse que vous avez donnée à la sénatrice Miville-Dechêne en ce qui concerne la découvrabilité. Vous avez dit dans vos commentaires que les gens qui vous suivent vous ressemblent.
Je ne vous ressemble pas, mais je suis une grande fan de Marvel, je suis une super geek, mais je suis de la génération qui connaît MusiquePlus comme étant le studio vitré sur la rue Sainte-Catherine. Je ne suis pas de votre génération. Cependant, j’aimerais découvrir votre contenu. Je ne fais pas nécessairement confiance aux algorithmes de YouTube. J’aimerais savoir quelles sont les solutions pour sortir les Canadiens de leur habitude? Faites-vous plus confiance à YouTube qu’au CRTC? Vous fiez-vous aux algorithmes? Je ne les comprends pas, car je n’ai pas assez d’informations sur la façon dont cela fonctionne.
M. Bastien Forrest : Dans le cas précis de la découvrabilité des contenus des usagers, oui, je me fie davantage à YouTube qu’au CRTC.
La sénatrice Clement : Pourquoi?
M. Bastien Forrest : Parce que selon mon expérience et de celles des créateurs que je connais depuis une dizaine d’années au Québec et qui travaillent sur Internet, si on a un produit unique dans lequel on met un effort constant et régulier, on va finir par rejoindre des gens.
Lorsque je dis que les gens de mon auditoire me ressemblent, je ne parle pas du point de vue physique, je parle de la culture, c’est-à-dire nos choix de films préférés, de musique préférée, de sports préférés et de sujets de discussion préférés. Vous êtes la bienvenue sur ma chaîne, évidemment.
Comment sortir les Canadiens de leurs ornières? Pour ma part, ce serait en finançant l’offre et en se concentrant sur l’offre, dans un contexte d’offre et de demande. Ce n’est pas en ajoutant une loi et des règlements, puis des cerceaux dans lesquels sauter qu’on va permettre à d’autres Québécois de me découvrir; c’est plutôt en me donnant la possibilité de faire concurrence, par exemple, avec le youtubeur Cyprien, en France, qui a 80 employés, puis avec d’autres youtubeurs américains qui ont beaucoup plus de moyens financiers que moi.
Donc, si on veut vraiment prioriser la culture d’ici — québécoise, canadienne, montréalaise et francophone —, je me concentrerais à permettre à ceux qui utilisent déjà ces plateformes de devenir meilleurs et d’avoir plus de valeur de production à l’antenne.
Il est difficile de sortir les gens de leurs ornières. J’avais une discussion récemment avec quelqu’un qui me disait que ce serait génial que le Canada anglophone écoute davantage de youtubeurs francophones.
La sénatrice Clement : Exactement!
M. Bastien Forrest : J’en rêve, mais partout au Canada, il y a des chaînes de Radio-Canada, puis il y a peu d’anglophones qui les écoutent.
L’argument est le suivant : ce n’est pas en répétant les modèles du passé qu’on va résoudre cette énigme, puis c’est justement aux créateurs eux-mêmes de faire des ponts.
J’ai récemment rencontré J.J. McCullough qui est un youtubeur de l’ouest du Canada qui est très critique envers les Québécois et qui a des opinions tranchées, mais fascinantes. On a eu de bonnes discussions ensemble, et j’ai l’impression qu’il comprend un peu mieux les Québécois francophones et que j’ai un peu mieux compris son point de vue. Il n’y a pas d’organisme ou de loi qui nous a forcés à nous rapprocher.
Je donne l’exemple de M. McCullough, mais il y a aussi Thomas Gauthier qui est un youtubeur québécois extrêmement populaire, beaucoup plus que moi, et qui a un énorme auditoire en Europe. Il a réussi à obtenir un auditoire majoritairement européen et minoritairement canadien, alors que moi, c’est l’inverse — je pense que mon accent québécois est plus prononcé que le sien, entre autres. Il a déjà invité M. McCullough sur sa chaîne et vice-versa pour faire une collaboration de frenemies, et cela est arrivé parce qu’ils se sont connus sur YouTube. Ce sont des amateurs de YouTube, ils contribuent à créer des vidéos pour YouTube, mais ils consomment également des vidéos sur YouTube; c’est là qu’ils se sont découverts et c’est comme cela qu’ils ont commencé à collaborer.
Par conséquent, j’espère prêcher par l’exemple et continuer à m’intéresser au reste du Canada pour que le reste du Canada s’intéresse à nous. La meilleure chose qu’on peut faire, selon moi, dans le cadre de la loi, est de donner du pouvoir à ceux qui ont cette mentalité plutôt que de mettre davantage de barrières.
La sénatrice Clement : Merci.
Le président : C’est bien dit, monsieur Forrest. Je suis d’accord : il y a beaucoup de gens qui rêvent du passé, comme moi qui rêve des belles années où les Canadiens de Montréal gagnaient la coupe Stanley et que chaque mois de mai, on avait la grande parade de la Coupe Stanley à Montréal, mais avec le temps, les choses changent.
M. Bastien Forrest : J’y crois encore.
Le président : Moi aussi. On va leur rester fidèles, mais on doit rêver de l’avenir et non du passé.
[Traduction]
Je voudrais remercier nos témoins d’être ici avec nous. Nous apprécions beaucoup vos témoignages.
Pour notre deuxième groupe d’experts, nous avons le plaisir d’accueillir, de Netflix, Stéphane Cardin, directeur, Politique publique; de l’Association cinématographique du Canada, Wendy Noss, présidente; et de l’Association canadienne des distributeurs et exportateurs de films, Noah Segal, président, qui est avec nous par vidéoconférence, et Justin Rebelo, directeur, qui est aussi avec nous par vidéoconférence. Soyez les bienvenus et merci de vous joindre à nous. Comme c’est la norme avec notre comité, les trois intervenants auront chacun cinq minutes pour livrer leur déclaration liminaire, puis nous passerons aux questions de nos membres.
[Français]
Monsieur Cardin, vous avez la parole.
Stéphane Cardin, directeur, Politique publique, Netflix : Monsieur le président, honorables sénatrices et sénateurs, merci de me donner l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui.
Netflix continue d’investir au Canada et d’y accroître sa présence. L’automne dernier, nous avons ouvert des bureaux à Toronto et embauché nos premières cadres responsables des contenus. Depuis, elles ont voyagé partout au pays et assisté à plus de 400 rencontres avec le milieu de la création pour trouver les prochaines histoires que nous ferons rayonner dans le monde entier. Nous sommes heureux d’affirmer que nous travaillons activement au développement de plusieurs projets.
[Traduction]
Nous avons continué à faire tourner les caméras dans les studios et sur des lieux de tournage partout au pays et avons collaboré année après année sur plusieurs projets avec des studios d’animation de premier plan. De nombreuses sociétés d’effets spéciaux de renom ont apporté leur touche de magie à nos séries et nos films, et en novembre dernier, nous avons fait l’acquisition de Scanline VFX, qui compte plus de 600 employés au Canada, entre Vancouver et Montréal. Le même mois, nous avons également lancé notre première sélection de jeux mobiles, qui comprend plusieurs jeux produits par des studios canadiens.
Tous ces investissements font que le Canada reste l’un de nos principaux pays de production à l’échelle mondiale. En fait, depuis 2017, nous avons investi plus de 3,5 milliards de dollars au Canada dans des films et des séries qui ont été lancés sur Netflix. Cela comprend nos propres titres, nos collaborations avec des producteurs et des diffuseurs indépendants canadiens, de même que nos nombreuses acquisitions de séries et de films classiques et nouveaux, en anglais et en français. Chacun de ces modèles contribue au système.
Nous avons également fait la promotion active du Canada, de ses lieux de tournage à couper le souffle et de plus de 30 de nos titres canadiens par l’intermédiaire de notre site Netflix chez vous, qui vient de fêter son premier anniversaire, attirant ainsi des visiteurs étrangers dans nos villes et villages. Nous faisons également la promotion de nos titres canadiens par le truchement d’activités de lancement et de participations à des colloques organisés par l’industrie. Nous veillons aussi à promouvoir notre service à l’aide de collections thématiques, comme notre collection associée à la Journée du cinéma canadien.
Nous avons en outre fourni un soutien de taille et d’importantes occasions favorables aux créateurs canadiens. Nous avons contribué à ce que des talents canadiens de la relève et de la diversité, comme Maitreyi Ramakrishnan, vedette de la série Mes premières fois, obtiennent une reconnaissance internationale. Et nous nous sommes associés à une vingtaine d’organismes canadiens, dont le Bureau de l’écran autochtone, la Fondation Fabienne Colas et Inside Out pour soutenir l’avancement professionnel de plus de 1 000 créateurs de toutes les provinces et de tous les territoires en mettant l’accent sur les créateurs des groupes sous-représentés.
[Français]
Netflix s’est donc investi au Canada. Dans la mesure où le projet de loi C-11 vise à créer un cadre flexible qui permettra au CRTC de reconnaître les multiples contributions des services numériques, d’adapter les conditions de service appliquées aux entreprises en ligne et de moderniser la définition du contenu canadien, nous estimons que la démarche est judicieuse.
[Traduction]
Nous restons toutefois préoccupés par toute proposition qui aboutirait à une approche plus rigide, notamment en transposant les exigences réglementaires actuelles des groupes de radiodiffusion canadiens aux services de diffusion en continu en ligne ou en maintenant la définition vieille de plusieurs décennies de ce qui est considéré comme « contenu canadien ». Selon cette définition, les titres que nous produisons et finançons en totalité ne pourraient toujours pas se qualifier, même lorsque la majorité — voire la totalité — des postes clés créatifs sont occupés par des Canadiens.
Nous estimons que le nouveau cadre législatif devrait reconnaître que les services de diffusion en continu offrent une fenêtre sans égal pour promouvoir nos histoires auprès des auditoires du monde entier. Le succès phénoménal d’œuvres comme Lupin, Schitt’s Creek et Jusqu’au déclin illustre bien que les histoires de qualité ne connaissent pas de frontières.
En tant que membre de l’Association cinématographique du Canada, nous appuyons les recommandations, y compris les amendements proposés au projet de loi formulés par cette association et décrits dans nos mémoires respectifs.
[Français]
Lorsque le gouvernement a initialement entrepris de moderniser la Loi sur la radiodiffusion, il a clairement indiqué son ambition de créer un secteur des communications de classe mondiale en énonçant trois objectifs : favoriser et promouvoir la culture canadienne, contribuer à la croissance économique et protéger les intérêts des consommateurs canadiens, notamment le choix et l’abordabilité.
Pour concrétiser cette ambition, le Canada doit établir un modèle équilibré, ouvert sur l’avenir, qui reconnaît la contribution singulière de chacun des participants au système.
[Traduction]
Merci, monsieur le président. Je serai ravi de répondre à vos questions.
Wendy Noss, présidente, Association cinématographique du Canada : Je suis heureuse d’avoir l’occasion de présenter le point de vue des studios et des diffuseurs mondiaux représentés par l’Association cinématographique du Canada, dont font partie Disney, NBCUniversal, Netflix, Paramount, Sony et Warner Bros. Discovery.
Nous embauchons, formons et offrons des possibilités professionnelles à quelque 200 000 créateurs canadiens des plus doués.
Les studios mondiaux ont dépensé plus de 5 milliards de dollars au Canada en 2021, ce qui équivaut désormais à plus de la moitié de toute la production de l’ensemble du pays et à 90 % de la croissance de la dernière décennie.
Ce faisant, ils ont bonifié leurs investissements dans les productions de propriété canadienne au point où ils dépassent aujourd’hui ceux de l’ensemble des autres acteurs au Canada, y compris CBC/Radio-Canada, Téléfilm et le Fonds des médias du Canada.
Nous contribuons au financement de nouvelles infrastructures et de boîtes d’animation et d’effets spéciaux, ce qui, rien que l’année dernière, touchait 47 000 entreprises canadiennes. Nous nous associons avec fierté aux organismes culturels canadiens, nous luttons pour l’équité et la diversité devant et derrière l’écran, nous donnons une voix aux groupes sous-représentés et nous permettons à des histoires inédites de se faire connaître.
Nous offrons gratuitement un large éventail de services de diffusion en ligne sur abonnement et financés par la publicité à travers le Canada, nommément les productions originales mondiales diffusées sur Netflix, les marques fort appréciées de Disney+ et Paramount+, Pluto TV de Paramount, le format consacré entièrement à la téléréalité de NBCUniversal sur Hayu, le meilleur des animés japonais sur Crunchyroll de Sony, et le contenu le plus populaire de Bollywood sur SonyLIV.
Nous appuyons l’idée centrale du projet de loi C-11, c’est-à-dire de moderniser la politique de radiodiffusion pour créer un cadre souple qui permettra aux services de diffusion en continu mondiaux de donner le meilleur d’eux-mêmes. Alors que le projet de loi C-11 arrive au Sénat, nous sommes heureux d’être là en tant que partenaires constructifs du comité, lequel joue un rôle névralgique pour assurer que le projet de loi C-11 puisse réaliser son ambition centrale.
Notre mémoire contient trois grandes recommandations : assurer la mise en place d’une politique de radiodiffusion moderne et souple; appuyer les amendements apportés par la Chambre qui ont permis de corriger le libellé et d’éviter des conséquences imprévues, notamment en ce qui concerne la gouvernance provinciale des relations de travail dans la production; clarifier les impératifs politiques relatifs à la découvrabilité.
Compte tenu du temps limité dont nous disposons, je vais mettre l’accent sur la section initiale concernant les articles 10, 3 et 5.
Premièrement, le CRTC devra être à même de créer une définition moderne et souple de ce qu’est une émission canadienne afin de multiplier les possibilités offertes aux créateurs canadiens, promouvoir le contenu réalisé par les Canadiens, avec eux ou à leur sujet, et faire connaître le contenu canadien dans le monde entier. Nous proposons donc un amendement à l’article 10 pour assurer qu’« aucun facteur particulier ne soit déterminant » lorsque l’organisme de réglementation examinera l’ensemble des objectifs stratégiques pour établir une nouvelle approche quant à la définition de ce qui constitue une émission canadienne.
Deuxièmement, les objectifs de la politique de radiodiffusion de l’article 3 doivent être suffisamment souples pour permettre à chaque service de diffusion en continu de donner le meilleur de lui-même. Pour atteindre ce résultat, nous exhortons le comité à adopter un amendement qui reconnaît que les entreprises mondiales sont maintenant incluses dans le système de réglementation canadien et à maintenir le libellé de l’alinéa 3(1)f.1) qui est nécessaire pour favoriser des exigences équitables pour les entreprises en ligne qui œuvrent à l’international.
Cette approche reconnaît les différences fondamentales en matière de stratégies de contenu entre les services de diffusion en continu dont les modèles d’affaires particuliers sont en concurrence dans le monde entier, et les radiodiffuseurs canadiens qui n’opèrent que dans un marché national fermé leur donnant accès à des avantages et protections cautionnés par la loi et la réglementation.
Dans ce secteur en évolution rapide, les Canadiens seront mieux servis si le comité rejette les appels à regarder en arrière en imposant les mêmes obligations aux diffuseurs en continu mondiaux qu’aux groupes de radiodiffusion canadiens, ou en inscrivant dans la loi des approches rigides, vieilles de plusieurs décennies, pour définir le contenu canadien.
Enfin, nous proposons des amendements à la politique de réglementation décrite à l’article 5 afin d’assurer que le CRTC encourage la concurrence, l’innovation et favorise le choix et l’abordabilité pour les consommateurs canadiens. Les anciennes politiques conçues pour prescrire ce qui était offert aux téléspectateurs avaient leur place autrefois — lorsque les plateformes de distribution et les choix étaient limités — en tant que moyen d’atteindre des objectifs culturels ou économiques. Pour atteindre ces mêmes objectifs aujourd’hui, il faut une nouvelle approche qui reconnaît les différentes façons dont chaque acteur peut donner le meilleur de lui-même.
Nous demandons au comité de soutenir une politique qui s’appuie sur une définition moderne de la créativité, qui offre aux acteurs mondiaux une certaine souplesse et une vision plus large afin de créer plus de possibilités pour les créateurs canadiens et plus de choix pour les consommateurs.
Les Canadiens talentueux qui veulent rester au Canada, développer leurs compétences et aider à créer des contenus qui toucheront des publics du monde entier ont besoin que cette politique soit souple et adaptable. Pour que les téléspectateurs puissent consommer le meilleur des productions canadiennes et du monde entier, cette politique doit se tourner vers l’avenir et être favorable aux consommateurs.
Je vous remercie et je suis impatiente de répondre à vos questions.
Le président : Merci, madame Noss.
La parole est maintenant à Noah Segal.
Noah Segal, président, Association canadienne des distributeurs et exportateurs de films : Mesdames et messieurs, merci de votre invitation. Comme on l’a dit, je suis Noah Segal, coprésident de Elevation Pictures, le plus grand distributeur de longs métrages au pays. Je suis également le président de l’ACDEF, l’Association canadienne des distributeurs et exportateurs de films. Je suis ici avec mon collègue Justin Rebelo, qui est président-directeur général de Vortex Media.
Nous sommes ici pour vous donner un aperçu de l’industrie et vous expliquer pourquoi le projet de loi C-11 est si opportun et essentiel pour l’industrie canadienne du film et de la télévision. Notre point de vue phare, c’est que le projet de loi C-11 doit être adopté sans délai. L’industrie cinématographique canadienne est en crise. L’évolution de l’industrie et la mondialisation de l’activité, principalement provoquée par l’avènement de la diffusion en continu ou de la radiodiffusion par satellite, se sont accentuées à vitesse grand V. L’arrivée de la pandémie de COVID-19 a fait que nous sommes maintenant en difficulté.
La bonne nouvelle, c’est que tout changement majeur fait en sorte que le consommateur se retrouve avec de nouveaux choix tout à fait emballants. La mauvaise nouvelle, c’est que le consommateur ne peut pas voir l’envers de la correction du marché qui est en train de se produire, laquelle précipite déjà la concentration des médias et, en particulier, la concentration des choix de visionnement canadiens à l’extérieur de nos frontières, notamment aux États-Unis.
Essentiellement, les Canadiens verront leurs choix contrôlés et possédés par des entreprises dont le siège social est à l’extérieur du champ d’application des compétences canadiennes. Cela n’est pas bon pour le tissu social du pays et, qui plus est, pour l’ensemble de l’industrie cinématographique canadienne, tant du côté anglais que du côté français.
De plus, ce projet de loi doit être adopté maintenant pour aider à lancer une bouée de sauvetage non seulement aux distributeurs, mais aussi aux producteurs, aux cinéastes et aux talents canadiens d’un océan à l’autre, dans toutes les langues et de tous les horizons. Nous ne pouvons pas nous permettre de tergiverser sur des détails qui peuvent être gérés après l’adoption du projet de loi, notamment par l’intermédiaire du CRTC et d’autres directives stratégiques.
Pour ce qui est de la facilitation, il y a de bonnes nouvelles. Les entreprises de diffusion en continu de propriété étrangère les plus touchées par ce projet de loi sont des conservateurs décents, axés sur le marché, qui entendent vraiment faire un important profit en offrant leurs services sur le marché canadien. Cela dit, si ces entreprises sont laissées à elles-mêmes — comme c’est le cas de celles, nombreuses, qui fonctionnent sans règles ni règlements —, elles pourraient bien vite renoncer à l’idée de soutenir une culture saine et dynamique, ainsi qu’une industrie du divertissement bien de chez nous au Canada.
L’avenir culturel de notre pays et le maintien d’une importante entreprise d’exportation axée sur l’avenir pour le Canada dépendent de ce projet de loi et de son adoption rapide. Si nous ne poussons pas la communauté internationale de la diffusion en continu à devenir de véritables partenaires de nos contenus dès maintenant, nous courons le risque très réel qu’elle ignore nos intérêts dans les négociations ou que les producteurs et distributeurs canadiens ratent cet essor névralgique de la diffusion en continu, qui est sans doute la plus grande stimulation que la production mondiale ait jamais connue.
Il est toujours possible d’améliorer le projet de loi, notamment en ce qui concerne la définition du contenu canadien et la propriété des droits d’auteur, mais la plupart de ces points peuvent être précisés aux termes de directives stratégiques. Les modifications législatives proposées dans ce projet de loi ne sauraient être retardées plus longtemps.
Nous sommes sûrs que les réunions des comités de la Chambre et du Sénat, avec un si grand nombre d’intervenants, ont donné aux cabinets des ministres beaucoup de choses à prendre en considération qui peuvent être intégrées à de telles directives. L’Association canadienne des distributeurs et exportateurs de films encourage l’adoption rapide de ce projet de loi par le Sénat et croit que nos recommandations peuvent être incorporées dans les directives stratégiques que le gouvernement donnera au CRTC.
Justin Rebelo, directeur, Association canadienne des distributeurs et exportateurs de films : Merci au Sénat.
Comme M. Segal l’a dit, l’Association canadienne des distributeurs et exportateurs de films encourage l’adoption rapide de ce projet de loi par le Sénat et croit que nos recommandations peuvent être incorporées aux directives stratégiques que le gouvernement donnera au CRTC.
J’ai travaillé dans le secteur de la radiodiffusion, de la production et de la distribution de longs métrages et d’émissions de télévision pendant plus de 20 ans, partageant ce temps en tant qu’employé dans chacun de ces trois domaines. Je suis actuellement président-directeur général de Vortex Media, un petit studio qui produit, distribue et vend des longs métrages et des téléfilms au Canada et à l’étranger. Nous développons, produisons, vendons et possédons nos propres productions. Je suis ici au nom de l’ACDEF pour dire que nous avons un système qui, de façon générale, fonctionne.
L’ACDEF recommande que la réglementation reste la même dans une vaste mesure, comme le reflètent les règles et lignes directrices du Bureau de certification des produits audiovisuels canadiens et du téléphone pour les productions à contenu canadien et les coproductions officielles régies par traités. Ces règles et lignes directrices garantissent que les postes clés d’acteurs, de producteurs et de personnel de production sont occupés par des Canadiens et que les entreprises canadiennes possèdent et contrôlent leurs productions.
À titre d’exemple, comme beaucoup de Canadiens, j’ai apprécié avec ma famille le film Alerte rouge de Disney, une histoire locale canadienne racontée et détenue par l’une des sociétés et marques les plus prospères du monde, et qui est basée aux États-Unis. Ce film n’était pas considéré comme du contenu canadien, car il ne répondait pas aux exigences de propriété ou de main-d’œuvre engagée au Canada, que ce soit à l’écran ou en coulisses.
S’il avait été réalisé en tant que contenu canadien, le droit d’auteur sous-jacent aurait échu au Canada, garantissant qu’ultimement, les gains auraient un lien juridique avec un propriétaire dans notre pays. Cela aurait permis d’employer un nombre important de travailleurs à l’intérieur des frontières canadiennes pour la réalisation d’un long métrage sur une histoire canadienne « locale », qui a été apprécié de par le monde et qui a généré d’importants revenus. Or, ce droit d’auteur est détenu à l’extérieur de nos frontières et ces emplois se sont matérialisés ailleurs.
Il est important que le Canada ne devienne pas une industrie de production uniquement axée sur les services et que notre système protège la propriété, la création d’emplois et la représentation culturelle.
Afin de soutenir une production de contenu cinématographique et télévisuel qui met en valeur des histoires diversifiées et propres aux réalités canadiennes dans les deux langues officielles et dans les langues autochtones, l’ACDEF recommande que toute la télévision par contournement et tous les services de diffusion autorisés offerts au Canada soient tenus de contribuer à hauteur de 30 % des revenus bruts générés par les abonnements et la publicité au Canada pour financer le préachat, l’acquisition et la production de contenu canadien provenant de producteurs canadiens indépendants. Cette mesure est conforme aux précédents historiques de la Loi sur la radiodiffusion. De cette exigence de contribution à même les revenus bruts générés par les abonnements et la publicité au Canada, nous recommandons qu’un minimum de 5 % soit affecté en propre aux longs métrages destinés aux salles de cinéma.
Nous recommandons également qu’une mesure incitative soit mise en place pour la production de longs métrages avant le début des prises de vues principales au stade du préachat aux termes de laquelle un crédit de 125 à 150 % serait appliqué à chaque dollar investi. Cette mesure incitative permettrait d’aider les producteurs à obtenir du soutien, avant la production, au moment où ils en ont vraiment besoin pour réaliser leurs films, mais elle aiderait également les services de télévision par contournement et les diffuseurs autorisés à réduire leurs exigences en matière d’investissement global dans le contenu canadien, ce qui leur donnerait un coup de pouce sur le plan financier.
Le président : Si vous pouvez conclure, monsieur Rebelo, vous avez largement dépassé vos cinq minutes.
M. Rebelo : En plus d’encourager la production de contenu canadien, il est impératif que nous nous dotions de politiques culturelles pour veiller à ce que ce contenu puisse être vu et découvert sur ces plateformes. Nous recommandons 30 % de découvrabilité à l’antenne, que ce soit dans les carrousels ou par l’intermédiaire des moteurs de recommandation.
Afin d’inciter les titulaires de licence à investir dans le cinéma canadien...
Le président : Monsieur Rebelo, je vous remercie. Je vais devoir vous interrompre. Vous avez largement dépassé les cinq minutes qui vous étaient allouées à vous et à M. Segal. Vous pourrez peut-être intégrer vos observations à vos réponses.
M. Rebelo : Je vous remercie.
Le président : En écoutant les témoignages d’aujourd’hui, j’essaie de me faire une idée sur un certain nombre de choses. Tout d’abord, je ne cesse d’entendre parler de la nécessité de protéger notre culture canadienne.
Je ne crois pas que nous soyons revenus dans les années 1980, lorsque nous n’étions qu’une petite nation et que nous nous inquiétions d’être dépassés par la culture américaine et par d’autres qui sont plus puissants et plus forts que nous. Je crois que le Canada est fort. Nos artistes sont forts. Tous nos secteurs sont forts.
Les secteurs qui rivalisent avec le monde — et nous vivons dans un environnement planétaire — sont ceux qui s’associent à ce monde global, peu importe qu’il s’agisse d’investissements ou de partenariats conjoints. Le Canada est un pays du G7, et nous avons réussi dans un large éventail de domaines grâce aux partenariats. Nous avons adopté les marchés mondiaux. Il y a des années, nous avions l’habitude de parler du libre-échange comme d’un anathème, comme si cela allait nous faire perdre notre identité canadienne. Nous allions être achetés et avalés par les Américains. Eh bien, vous savez quoi? Nous nous sommes plutôt bien débrouillés avec le libre-échange. Nous avons dominé le monde en devenant partenaires commerciaux de nos voisins et d’autres pays.
D’après ce que j’ai vu, grâce à la diffusion en continu et au numérique, un tout nouveau monde s’ouvre à nos artistes et à nos communautés culturelles.
Vous avez fait allusion au choix et à la concurrence. Si d’autres pays emboîtent le pas au Canada avec des mesures semblables au projet de loi C-11 présumément pour empêcher la concurrence — et c’est ce que fait le projet de loi C-11 selon moi —, quelles seraient les répercussions sur les investissements, les possibilités d’emplois et la création de revenus au sein de l’industrie culturelle canadienne, sachant que nous avons tout cela aujourd’hui? N’importe qui peut répondre à cette question.
M. Segal : D’abord, je crois que vous confondez investissements et rentabilité, comme vous l’avez fait dans votre discussion avec M. MacMillan et compagnie. Soyons parfaitement clairs : les services mondiaux de diffusion en continu sont une nouvelle technologie qui déferle sur l’ensemble de l’industrie du divertissement et connaît un grand succès. Ce n’est pas l’investissement dans le contenu qui pose problème, mais le partage et la rentabilité. Leurs représentants nous disent : « Nous allons financer la création d’une émission. Nous détiendrons tous les droits à perpétuité ».
Si un créateur canadien réalise une émission, il peut obtenir du financement et un salaire ce mois-ci, mais il n’y a aucune valeur complémentaire pour le pays. C’est l’équivalent de voir notre bois d’œuvre expédié partout dans le monde, être transformé à l’étranger, pour ultérieurement être vendu le double du prix aux Canadiens. Soyons clairs : personne n’essaie d’imposer des frontières aux services de diffusion en continu. Nous les trouvons merveilleux. Si les Canadiens ont réussi à tirer leur épingle du jeu, peu importe les restrictions, et que nous avons un contenu canadien qui nous permet de vivre, nous pourrions peut-être faire passer le volume du public canadien consommant du contenu canadien de 5 % à 9 %. Nous constituons 8 ou 9 % du marché nord-américain.
Ce que vous semblez dire, c’est que nous allons devenir des parias alors que nous n’en sommes pas. La majorité des autres pays vont de l’avant avec ce que nous proposons. Ils agissent en ce sens. Les Canadiens sont les plus polis. La France, l’Australie, le Royaume-Uni et l’Union européenne, de même que d’autres territoires, fournissent tout à fait ce type de critères et prospèrent.
Bref, vous dites que cela ouvre les portes à du contenu canadien. Bienvenue à Schitt’s Creek est l’une des émissions canadiennes connaissant le plus de succès ces dernières années. Qui a payé pour cette émission? Les Canadiens. Qui a gardé les profits de cette émission? Netflix, une société américaine.
Donc, permettez-moi de vous demander ceci : Si tout est si libre, pourquoi ces sociétés ne partagent-elles pas les profits avec les Canadiens? Elles ne le font pas parce qu’elles aiment les profits. Nous ne voulons pas les profits de leurs émissions. Nous voulons que les Canadiens gardent ceux des émissions canadiennes. C’est tout. Je ne crois pas que ce soit trop demandé.
Vous parlez de libre marché et de mondialisation, mais quand vous évoluez au sein d’un marché, les règles du jeu ne sont pas équitables. Prenez simplement le nombre de ces sociétés, aux États-Unis, et leurs revenus nets. C’est colossal. Les producteurs canadiens n’ont pas le choix. C’est carrément David contre Goliath. Vous devez vendre votre âme.
Le président : Merci, monsieur Segal.
En passant, pour rectifier les faits, le Royaume-Uni a explicitement choisi de ne pas imposer la moindre obligation en matière d’investissement aux services mondiaux de diffusion en continu.
M. Segal : Non, mais il compte les taxer.
Le président : C’est ce que nous faisons ici, n’est-ce pas?
Deuxièmement, je ne veux pas m’insérer dans le débat, mais je suis d’accord avec vous : ce que vous soulignez est exactement le but de cette discussion. La question est d’établir de quelle façon nous pouvons prendre les profits d’un groupe pour les remettre à un autre qui n’est pas rentable.
J’accorde quelques secondes aux autres pour se prononcer là-dessus avant de poursuivre.
M. Cardin : En ce qui a trait à l’exemple de Bienvenue à Schitt’s Creek, les droits de cette émission appartiennent à une société de production indépendante. Les premières saisons de l’émission ont extrêmement bien fait sur les ondes de CBC, mais quand l’émission a ensuite été diffusée aux États-Unis, puis mise en ligne sur Netflix, et que le reste du monde y a eu accès, même la direction de CBC/Radio-Canada a admis que cela avait contribué à la réussite des saisons subséquentes de l’émission, pas uniquement dans le reste du monde, mais au Canada également. Vu la concurrence féroce sur le marché, les droits de Bienvenue à Schitt’s Creek aux États-Unis ont été perdus, et ils appartiennent désormais à un autre service.
Selon moi, c’est un excellent exemple d’une situation qui peut être gagnant-gagnant pour les producteurs indépendants canadiens, les diffuseurs canadiens et les services étrangers de diffusion en continu. Merci d’avoir soulevé cet exemple, monsieur Segal.
D’un point de vue plus global, je vous dirais que, pour nous, les producteurs indépendants et les diffuseurs canadiens demeurent des partenaires importants. Il est impossible pour Netflix de devenir propriétaire de chaque émission qu’elle produit au Canada. En fait, la majorité des émissions que nous offrons font l’objet d’une licence. Nous n’en sommes pas propriétaires. Nous jouons un rôle complémentaire de celui des diffuseurs et des bailleurs de fonds canadiens.
Je le répète : notre mandat est de dénicher des histoires canadiennes à offrir au reste du monde.
À cet égard, nous ne cherchons pas à supplanter le système actuel, mais plutôt à l’enrichir. Dans certains cas, l’industrie cinématographique et télévisuelle a des règles complexes quant au développement et au financement d’émissions. Nous estimons qu’il est légitime, quand nous avons entièrement soutenu le développement et la production d’une émission, et que nous en avons donc assumé tous les risques financiers, que nous en détenions les droits.
Si vous me le permettez, j’aimerais revenir à la discussion que vous avez eue avec M. MacMillan, du groupe de témoins précédent. C’est pour cette raison que nous jugeons que, si nous employons des créateurs canadiens pour raconter une histoire canadienne, mais que nous en détenons les droits d’auteur, il est tout à fait légitime que cette émission soit qualifiée de contenu canadien au même titre que si elle appartenait à un diffuseur canadien, une société de production affiliée à un diffuseur canadien ou un producteur indépendant. Je pourrais donner plusieurs exemples au comité. Je vais vous en donner un, soit notre long métrage Jusqu’au déclin, tourné dans les Laurentides, au Québec. Ce film a été écrit et réalisé par des Québécois et sa distribution était entièrement québécoise. Pas un sou du budget n’a été dépensé à l’extérieur de la province. Ce n’est toutefois pas vu comme du contenu canadien ni une œuvre québécoise parce que nous en possédons les droits.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Je vais adresser mes questions à M. Cardin.
J’ai fait quelques calculs avant la réunion du comité, en regardant votre plateforme, et j’ai calculé environ une douzaine d’œuvres qu’on qualifie de canadiennes-fraçaises et une quarantaine d’œuvres qui sont canadiennes. Donc, j’ai trouvé ces œuvres en pianotant sur votre petit clavier de lettres, ce qui a pris beaucoup de temps.
Au-delà de la découvrabilité, qui me semble un peu moyenne, je voudrais savoir par combien de Québécois et de Canadiens sont regardées ces œuvres, comparativement à ce qu’on écoute au total sur Netflix au Canada? Avez-vous des chiffres?
À vrai dire, cela semble pour l’instant assez peu, de mon point de vue, parce que maintenant, on sait que des plateformes comme les vôtres sont ce que les Québécois, notamment, consomment. Vous l’avez vu pour la première fois, il y a plus de Québécois abonnés à vos plateformes anglophones, de multiples langues, mais dominées par l’anglais, que d’abonnements à la télévision. Donc le paradigme change, mais il me semble qu’en regardant Netflix, je ne vois pas cette découvrabilité; vous n’avez pas particulièrement de bannière, je n’ai rien vu qui permettait de trouver ce contenu canadien.
Donc, je voudrais avoir des chiffres pour savoir qui regarde cette petite quantité de contenu et combien de personnes le font, et quel pourcentage cela représente dans toute votre collection?
M. Cardin : Il y a beaucoup d’éléments dans votre question, alors je vais tenter de les prendre un à un.
D’abord, selon nos calculs, en matière de production canadienne, selon les définitions actuelles...
La sénatrice Miville-Dechêne : Bien, ce n’est pas cela, ce que vous présentez. Vous avez classé Jusqu’au déclin dans vos productions québécoises, alors parlez-moi de cela.
M. Cardin : Ce que je dis, c’est que parmi nos productions certifiées canadiennes, il y en a déjà plus de 300 en anglais et en français. Selon moi, le chiffre que vous avez cité concernant les productions francophones est un peu sous-estimé, parce que récemment, nous avons acquis plus de 25 longs métrages québécois de la société Les Films Séville, qui sont toujours disponibles. Aussi, il y a quelques semaines, nous avons ajouté à peu près une douzaine de nouvelles séries francophones.
La sénatrice Miville-Dechêne : J’ai pianoté « French Canadian movie » et j’ai utilisé votre algorithme pour trouver ces productions.
M. Cardin : En matière d’options disponibles pour découvrir ces films et ces séries, évidemment, il y a l’outil de recherche. Ensuite, nous avons plusieurs collections thématiques. Si vous allez dans votre menu déroulant, sous « séries » ou « films », vous voyez une collection Canada.
Vous parliez de chiffres d’auditoire. Comme je l’ai mentionné, notre rôle est de prendre des histoires d’ici et les amener au reste du monde. Évidemment, c’est aussi d’amener des histoires d’ailleurs et les amener aux Canadiens.
Il y a le succès très important de séries comme Squid Game ou La Casa de Papel qui fait en sorte que maintenant, les gens s’habituent à écouter des séries dans une langue autre que l’anglais, ce qui, je pense, est bon aussi dans le sens inverse, pour les contenus québécois que nous pouvons exporter.
La sénatrice Miville-Dechêne : D’accord, mais quels sont les chiffres sur les auditoires québécois et canadien qui regardent des œuvres québécoises et canadiennes?
M. Cardin : De façon générale, 90 % des auditoires de nos productions canadiennes sont à l’étranger et démographiquement, cela se tient. Donc encore une fois, selon nous, cela contribue à l’exportabilité et à la visibilité des contenus d’ici.
Si je reprends l’exemple particulier de Jusqu’au déclin, durant les 28 premiers jours où ce film a été sur notre plateforme, il a été visionné par 21 millions de personnes à travers le monde. À mon avis, c’est un niveau inégalé.
La sénatrice Miville-Dechêne : C’est formidable, mais la question que je vous pose est la suivante. Combien de personnes au Canada et au Québec regardent les productions canadiennes et québécoises que vous avez dans votre collection?
M. Cardin : Je n’ai pas le chiffre exact, mais je peux vous dire que cela représente à peu près 10 % du total des visionnements sur la plateforme, à l’échelle globale.
Le sénateur Cormier : J’ai une question pour M. Cardin et une autre pour Mme Noss, que je vais poser en français.
Je voudrais vous entendre au sujet de la propriété intellectuelle. On s’entend pour dire que la propriété intellectuelle regroupe la propriété industrielle, le droit d’auteur, les droits voisins liés aux logiciels, aux œuvres littéraires artistiques et au divertissement.
On parlait plus tôt de partage des revenus. Qui détient la propriété intellectuelle des projets que vous faites et qui sont réalisés sur le territoire canadien, par des créateurs canadiens?
M. Cardin : Nous n’avons pas de modèle unique. Comme je l’expliquais précédemment, la majorité de nos productions se font en collaboration avec des producteurs indépendants, et ce sont eux qui détiennent la propriété intellectuelle. Évidemment, je réponds à cette question de façon globale.
Il y a aussi des productions dont nous détenons nous-mêmes les droits. Tout cela est lié au modèle de financement qui détermine qui a pris les risques pour payer les différentes étapes de développement et la production. Dans certains cas où on a tout financé, on détient nous-mêmes les droits.
Dans d’autres cas, alors que le financement a peut-être été partagé avec d’autres partenaires, des fonds publics ou d’autres fonds privés, cela demeure la propriété du producteur indépendant.
Le sénateur Cormier : Voulez-vous dire que dans le contexte où vous avez tout financé, l’auteur, qui constitue la matière première de l’œuvre dont vous bénéficiez, perd la propriété intellectuelle?
M. Cardin : Je parlais du droit d’auteur sur la production. Évidemment, en ce qui concerne la rémunération des artistes engagés dans les productions, il y a des conventions collectives qui s’appliquent, et dans toutes nos productions, évidemment, nous respections les conventions collectives en vigueur au Canada.
Le sénateur Cormier : Je vous remercie. Je trouve tout de même assez troublant que vous gardiez la propriété intellectuelle de productions canadiennes, mais je comprends votre modèle d’affaires.
Madame Noss, j’aimerais mieux comprendre votre argumentaire au sujet du maintien du libellé de 3.1(f.1), lorsque vous mentionnez que l’approche reconnaît la différence entre le service de distribution Web concurrentielle à l’échelle mondiale et celle des radiodiffuseurs canadiens qui seraient actifs dans un marché national fermé. On sait que plusieurs radiodiffuseurs canadiens sont aussi des entreprises en ligne.
De plus, qu’entendez-vous par le fait que les radiodiffuseurs canadiens ont accès à une série d’avantages législatifs exclusifs et de protections réglementaires? Parlez-vous des crédits d’impôt? Si c’est le cas, il me semble que les sociétés de production étrangères sont aussi admissibles aux crédits d’impôt.
Je voudrais avoir des précisions à ce sujet.
[Traduction]
Mme Noss : Il y a deux articles distincts, bien qu’ils soient interreliés. Le premier est la norme à deux volets proposée à l’alinéa 3.1f) qui comporte les alinéas f) et f.1). La norme actuelle à l’alinéa f.1) a trait aux entreprises en ligne étrangères. Elles ont un modèle opérationnel différent. Leur production de contenu s’adresse au monde entier. Elles ne produisent pas de contenu strictement au Canada. En incluant ces services de diffusion en continu, il y a tellement plus de possibilités qui s’offrent aux créatifs canadiens, comme l’a souligné le sénateur Housakos. Toutefois, ces entreprises sont différentes des diffuseurs canadiens qui ne créent que du contenu canadien destiné au marché national. Leurs obligations en matière d’investissement, par exemple, sont accrues par ce qu’ils dépensent pour les informations et les sports. Les entreprises en ligne étrangères ne font pas cela. En ce qui concerne la production de contenu ici, elle comporte ces deux aspects dont j’ai parlé dans ma déclaration liminaire et auxquelles vous avez fait allusion. Chaque année, plus de 5 milliards de dollars vont à la production de ce que vous avez cité, soit les créations dont nous détenons les droits d’auteur. Dans ce cas, c’est le studio qui investit. Ces productions sont habituellement réalisées là où les personnes employées sont canadiennes dans plus de 98 % des cas. C’est tellement plus que les producteurs canadiens uniquement.
En outre, il y a actuellement des productions détenues par des intérêts canadiens pour lesquelles nos membres constituent la plus grande source unique de financement. Environ 15 % des investissements dans les productions détenues par des intérêts canadiens sont faits par les entreprises en ligne étrangères. Pour vous mettre en contexte, CBC/Radio-Canada correspond à 13 % de ces investissements, Téléfilm Canada en représente 1 % et le Fonds des médias du Canada, ou FMC, 9 %.
Contrairement à ce qu’on peut vous avoir dit plus tôt, les producteurs canadiens sont des partenaires essentiels aux entreprises en ligne étrangères sans la moindre réglementation à cet égard. Ils constituent des voies importantes pour joindre les publics locaux, puisque nous nous associons à eux dans le cadre d’un éventail de modèles opérationnels. Ce n’est pas juste une question de droits. Il y a tant d’excellents exemples : SkyMed et The Porter, une excellente émission à CBC, que je vous recommande chaudement. Elle a été financée grâce à une contribution de Paramount, qui possède BET et a permis à The Porter d’offrir une histoire canadienne à un public canadien, mais aussi de joindre un public américain...
Le président : Merci, madame Noss. Je suis désolé de vous interrompre, mais j’essaie de répartir équitablement le temps entre les sénateurs.
La sénatrice Simons : Ma question s’adresse à Mme Noss. Je voudrais jeter un coup d’œil aux amendements au paragraphe 10(1.1) que vous proposez. J’essaie simplement de comprendre la différence qu’apporte selon vous la précision « sans qu’aucun facteur particulier ne soit considéré comme déterminant ». Je trouve cet ajout redondant. N’est-ce pas déjà implicite quand vous énumérez la liste des facteurs?
Mme Noss : Merci pour cette question, sénatrice Simons. Nous essayons autant que possible de veiller à ce que le CRTC ne puisse pas établir un ensemble de politiques qui ne correspond pas à ce que nous estimons être l’intention du ministre et de ce texte législatif. Le ministre a été très clair quant à la nécessité d’adopter une définition moderne du « contenu canadien » qui englobe toute la gamme des talents créatifs que nous avons au pays, une définition qui leur est profitable plutôt qu’uniquement aux producteurs canadiens.
Cela dit, comme vous le savez, divers intervenants sont passés devant ce comité pour avancer que ce sont les producteurs canadiens qui doivent détenir les droits d’auteur. C’est pour cette raison que nous jugeons judicieux que le texte législatif établisse une série de normes claires pour le CRTC voulant qu’il ne puisse pas y avoir qu’un seul facteur déterminant.
La sénatrice Simons : Quand même, si vous fournissez une liste qui semble correspondre à ces facteurs, n’est-ce pas implicite?
Mme Noss : Comme je l’ai dit, plus le texte législatif est clair et plus cette politique fournira des occasions à toute la gamme des créateurs canadiens.
La sénatrice Simons : Dans un même ordre d’idées, je voudrais aborder les amendements que vous proposez aux alinéas 5(2)g), i), j) et k). Quand le projet de loi nous est venu de la Chambre, l’une des choses frustrantes pour moi était de constater que beaucoup d’intervenants de tout acabit y avaient ajouté ce que je qualifierais de « truismes », soit des pans de discours explicatif qui, au lieu de faciliter l’interprétation du projet de loi, viennent selon moi la compliquer.
C’est ce que m’inspirent les amendements que vous proposez ici, soit beaucoup de verbiage qui ne clarifie rien. Pourriez-vous m’expliquer tous ces mots sur les technologies efficaces et les forces du marché? Quel est leur effet concret?
Mme Noss : Bien sûr. Merci de m’en donner l’occasion.
Pour bien situer ce passage, il faut savoir que le principe voulant que le CRTC tienne compte de l’intérêt des consommateurs est déjà appliqué dans les télécommunications grâce à des instructions générales. Comme vous le savez, il est assez rare que l’on procède à la mise à jour de la Loi sur la radiodiffusion ou de la Loi sur les télécommunications. Donc, pour veiller à ce que le CRTC tienne compte du point de vue des consommateurs dans l’établissement de politiques en télécommunications, il y a des instructions générales qui exigent que le CRTC le fasse. C’est de là que vient une bonne partie du libellé sur le choix des consommateurs, les forces du marché et la concurrence. Le CRTC doit donc en tenir compte quand il établit des politiques relatives aux télécommunications. Nous estimons qu’il devrait en faire tout autant pour ces facteurs quand il établit des politiques en matière de radiodiffusion.
Ce texte législatif est d’une importance majeure et peut se traduire par tant d’avantages pour les consommateurs et la communauté créative du pays, mais nulle part ailleurs dans celui-ci il n’est question de l’intérêt des forces du marché, de la concurrence et du choix des consommateurs. J’ai entendu votre discours devant le Sénat au début du processus, quand vous avez parlé de l’incidence de la présence de créneaux de services thématiques plus petits offerts dans des langues tierces et de leur importance. Cet amendement vise à répondre à cela.
La sénatrice Simons : Comme je l’ai dit, je voudrais que le projet de loi soit plus clair. Les ajouts me préoccupent; ils viennent de diverses sources, et sûrement pas tous de vos membres. Je crois toutefois que vous comprenez mon point de vue, à savoir que des quelque 130 amendements adoptés du côté de la Chambre, beaucoup me semblent privilégier la forme au lieu du fond.
Mme Noss : Je suis entièrement d’accord, sénatrice. N’empêche que rien dans le projet de loi ne traite de l’intérêt des consommateurs, c’est-à-dire du choix des consommateurs, des forces du marché et de la concurrence, ce dont le CRTC doit tenir compte quand il entreprend cette étape fort importante de créer des politiques en matière de radiodiffusion.
Donc, en faisant abstraction du libellé, le principe voulant qu’il y ait dans le texte législatif un article sur les politiques en matière de radiodiffusion et les politiques de réglementation qui exige que le CRTC tienne compte des consommateurs canadiens représente un progrès notable pour nous.
Le président : Merci, madame Noss. Je n’aime pas interrompre les gens, mais cela vient malheureusement avec mon travail.
Le sénateur Manning : Je remercie nos témoins.
Madame Noss, pourriez-vous fournir des détails sur le contenu canadien et fournir des exemples de productions qui ne sont pas du contenu canadien uniquement en raison du détenteur de la propriété intellectuelle?
Mme Noss : Merci pour votre question.
J’ai écouté une grande part du débat qui a cours ici, et j’ai presque l’impression qu’on pense que la définition de « contenu canadien » a été gravée sur des tables dans le désert il y a fort longtemps et qu’elle est immuable. C’est loin d’être le cas. Il existe déjà diverses définitions de ce concept employées au Canada pour différentes raisons. Les producteurs canadiens bénéficient déjà d’une définition pour obtenir des fonds publics, comme ceux de Téléfilm Canada ou du FMC, ainsi que pour divers crédits d’impôt plus élevés. Cette définition ne reconnaît le contenu comme canadien que lorsqu’un producteur en détient les droits.
Nous avons une définition des programmes canadiens dans le cadre de la politique canadienne de radiodiffusion, et pour cette raison, quand vous vous associez à des sociétés et services en ligne étrangers qui créent du contenu pour le monde entier, il doit y avoir une approche globale fidèle à l’époque plutôt que de s’embourber dans une approche des années 1970.
Du côté des différents types d’histoires, il peut y en avoir qui se déroulent au Canada, comme Washington Black, de l’écrivaine Esi Edugyan. Il s’agit d’un roman fabuleux, lauréat du prix Giller, qui raconte l’histoire d’un esclave noir qui se rend en Nouvelle-Écosse. L’investissement dans le roman canadien, l’écrivaine canadienne et l’histoire canadienne est fait par Disney, et la série est filmée en Nouvelle-Écosse. Ce n’est toutefois pas considéré comme du contenu canadien.
Vous avez beaucoup entendu parler d’Alerte rouge, dans lequel tout enfant d’immigrant qui a grandi au Canada, surtout à Toronto, peut se reconnaître. Là encore, il s’agit d’une histoire canadienne.
Les postes dans le milieu créatif canadien qui ne sont pas encore reconnus par cette définition sont légion. Un réalisateur mexicain comme Guillermo del Toro peut tourner tout son fabuleux contenu à Toronto, avec des équipes de créateurs primées ou nommées aux Oscar, par exemple des décorateurs, des directeurs artistiques, des créateurs de costumes et un producteur canadien, sauf que, si les droits appartiennent à Fox, ce n’est pas considéré comme du contenu canadien.
Je salue une fois de plus le ministre d’admettre l’importance de cela. Il a déclaré qu’il inclurait dans les instructions générales l’idée que la portée du « contenu canadien » doit être modernisée et adaptée au monde dans lequel nous vivons en 2022, monde où le talent canadien est célébré partout sur le globe. Nous devrions partir du principe qu’il est important de reconnaître cela.
Afin d’éviter que le sénateur Housakos ait à m’interrompre de nouveau, je terminerai sur les mots de John Lewis, directeur des affaires canadiennes de l’IATSE, le syndicat qui représente la grande majorité des travailleurs de l’industrie du divertissement, à propos de la radiodiffusion et des programmes canadiens :
La politique culturelle devrait soutenir l’investissement dans tous les créatifs canadiens et non profiter exclusivement aux sociétés de production canadiennes.
Le sénateur Manning : Les instructions générales viennent du ministre, mais la décision revient ultimement au CRTC. Donc, si l’un de vous avait l’occasion d’établir la priorité absolue dans l’amendement de ce texte législatif, tel qu’il est aujourd’hui, quelle serait-elle?
Mme Noss : Sommes-nous limités à une?
Le sénateur Manning : Non. Je me demande uniquement quelle est votre grande priorité. Je suis conscient que le temps est limité.
Mme Noss : Il ne s’agit pas nécessairement d’un amendement, mais je vous dirais qu’il est crucial de garder l’alinéa 3(1)f) qui reconnaît l’existence de différents modèles opérationnels et de différentes stratégies de contenu pour les entreprises et services en ligne étrangers, mais aussi de veiller à ce qu’il y ait une définition moderne de « contenu canadien » qui en élargit la portée afin que davantage d’histoires canadiennes puissent être offertes au Canada et au reste du monde.
Les amendements à l’article 5 apportent quant à eux le point de vue des consommateurs dans le processus décisionnel du CRTC.
M. Cardin : Si je devais en choisir une seule, ce serait la question de la possession des droits d’auteur. Quand Netflix produit une émission au Canada, d’après des histoires canadiennes, en recourant aux services de créateurs canadiens, ce devrait être reconnu comme une histoire canadienne. Pour nous, l’idée est d’éviter qu’il y ait d’autres amendements là-dessus.
La sénatrice Sorensen : Ma question s’adresse à M. Segal. Je vous prie de répondre assez succinctement, parce que j’ai une autre question.
On nous a dit à plusieurs reprises qu’il n’y a pas d’autre pays faisant quoi que ce soit du genre. Pouvez-vous nous fournir des détails sur ce que d’autres pays, comme le Royaume-Uni par exemple, font et qui vous paraît semblable au projet de loi C-11? J’aimerais aussi connaître l’effet de cette réglementation sur vous, au Canada.
M. Segal : Je serai bref, et je vais être très mesuré. En ce qui a trait à la France en particulier, elle a, évidemment, introduit cette notion que... Par exemple, Netflix aime proposer ses films le jour de leur sortie en salle, mais la France a une longue tradition d’offrir les films en salle, puis, après un certain temps, à partir de services de diffusion en continu. Elle a exercé de la pression sur tout le monde, déclarant qu’il fallait respecter cela. Donc, si vous investissez dans un film, il doit être projeté en salle pendant un certain temps avant d’être accessible en ligne. La France ajoute que vous devez acheter un certain nombre d’œuvres de contenu français ou européen pour votre catalogue, ainsi qu’un certain nombre de films nouveaux qui sont considérés comme du contenu français ou dont les droits appartiennent à des intérêts français. Tout cela n’a aucune incidence négative.
Je précise encore une fois que tout le contenu américain important que nos associés disent être en danger ne l’est pas. Tout le monde reçoit ce contenu. Ils disent simplement qu’une certaine partie doit être consacrée à ces aspects. Comme j’essayais d’y faire allusion plus tôt, le Royaume-Uni prévoit qu’un certain pourcentage doit être réinjecté dans l’économie, ce qui signifie qu’il soutient les créateurs de contenu locaux. Cela rejoint ce qu’a dit plus tôt le YouTuber du groupe de témoins précédent — et je comprends ce que soutiennent nos collègues et représentants des entreprises américaines ici présents — à savoir qu’il ne faut pas les mettre trop dans le pétrin et qu’il faut surtout leur laisser faire ce qu’ils veulent faire. Assurons-nous simplement qu’ils injectent suffisamment de capitaux pour soutenir la création de contenu.
La sénatrice Sorensen : Merci beaucoup. J’adresse ma prochaine question à M. Cardin. Madame Noss, vous pouvez aussi intervenir, si vous le souhaitez. Je vais essayer de combiner tout cela. Netflix a approuvé la proposition de l’Association cinématographique du Canada. Madame Noss, corrigez-moi si je me trompe, mais je crois que l’association s’oppose à ce que le CRTC s’ingère dans l’interface utilisateur des entreprises en ligne. Donc, monsieur Cardin, dites-vous que vous vous opposeriez à ce que l’on exige, par exemple, un onglet de contenu canadien sur la page d’accueil de Netflix?
De plus, l’ACTRA craint qu’en ne soumettant pas les entreprises en ligne à la Loi sur le statut de l’artiste, cela menace les droits des artistes. Cependant, l’Association cinématographique du Canada soutient la formulation actuelle du projet de loi. Partagez-vous cet avis? J’attends votre réponse, mais, madame Noss, si vous voulez clarifier quelque chose, n’hésitez pas à intervenir si le temps le permet.
M. Cardin : Je vais essayer d’être bref. Je pense qu’il est important, lorsque nous discutons des objectifs du projet de loi qui vise à soutenir la production et la promotion d’histoires canadiennes, d’examiner la question de la promotion d’une manière globale. Je comprends les préoccupations relatives à la découvrabilité, mais il faut aussi tenir compte des immenses efforts que nous déployons hors service pour promouvoir les histoires canadiennes.
Je vais vous donner quelques exemples, et je vais m’efforcer d’être bref. J’ai mentionné notre site Web Netflix chez vous, que nous avons créé de notre propre initiative il y a plus d’un an. Il renferme plus de 30 projets. Nous le mettons à jour tous les trimestres. Nous présentons les endroits et les lieux culturels d’intérêt qui ont été utilisés dans des films et des séries réalisés au Canada, ce qui, selon nos propres recherches, a des retombées économiques, car cela attire dans notre pays des touristes désireux de voir ces endroits.
La sénatrice Sorensen : Je vous remercie de la publicité concernant le tourisme. Je pense que cette mention m’était destinée.
M. Cardin : C’était tout à fait fortuit. De plus, il va sans dire que nos collègues des relations publiques, qui travaillent très dur pour promouvoir les premières des émissions canadiennes que nous présentons à Montréal, Toronto et Vancouver, participent régulièrement à des émissions-débats et accordent des entrevues aux médias. Nous participons à des groupes de discussion et à des conférences de l’industrie. Donc, à notre avis, ce serait une erreur de ne considérer que de façon très étroite la découvrabilité liée aux services.
Par ailleurs, toujours en ce qui concerne la découvrabilité liée aux services, je pense que M. Bastien Forrest, qui a comparu devant nous, l’a très bien expliqué. Nous pensons que les efforts de Netflix auprès de ses membres sont en grande partie couronnés de succès parce que nous leur facilitons la tâche lorsqu’il s’agit de trouver le contenu qu’ils veulent voir, et nous respectons leurs choix. En outre, les gens investissent beaucoup de temps dans l’établissement de leur profil de téléspectateur. Le mien est horrible parce que mes trois enfants s’en servent, mais pour la plupart des gens, le profil est utile.
Si, en cherchant à atteindre un objectif noble, vous créez une situation où vous imposez à un téléspectateur un certain choix en matière de contenu, et que ce type de contenu ne l’intéresse pas — par exemple, si c’est un film d’horreur canadien et que la personne n’aime que les comédies romantiques canadiennes —, ce film sera accueilli moins favorablement, et cela aura des répercussions.
La sénatrice Sorensen : Désolé de vous interrompre, mais je ne pense pas qu’un onglet de contenu intitulé « Contenu canadien » puisse avoir cet effet. Je comprends la découvrabilité qui est liée à l’algorithme, mais dans ma tête, je me demande ce que nous pouvons faire d’autre après cela.
M. Cardin : Je ne veux pas accaparer tout votre temps, mais j’ai mentionné des fonctions que nous offrons comme les collections, les rangées et les menus déroulants, et sous la rubrique « Série de films », vous trouverez la mention « Canadien ». Toutefois, je veux laisser un peu de temps à Mme Noss.
La sénatrice Sorensen : Comment est-ce que je me débrouille?
Le président : Nous avons largement dépassé le temps qui nous était imparti.
La sénatrice Sorensen : Merci. Vos réponses ont été très utiles.
Le président : Madame Noss, je vous présente vraiment mes excuses.
Le sénateur Klyne : J’aimerais poser quelques questions aux trois membres du groupe de témoins, à qui je souhaite la bienvenue. Les réponses pourraient peut-être être remises au greffier, si je parviens à toutes les poser. Tout d’abord, j’aimerais revenir à l’article 10(1.1) du projet de loi C-11, que la sénatrice Simons avait abordé. Vous avez proposé un amendement à cet article, qui traite de la définition de ce qui constitue du contenu canadien. Je crois comprendre que vous estimez que la définition devrait être élargie et plus souple. Il est important pour moi de comprendre pourquoi cela importe. J’aimerais savoir pourquoi il est important de l’élargir et de la rendre plus souple.
À cet égard, quel est l’amendement proposé qui, s’il est adopté, permettrait au CRTC de définir plus largement ce qu’est le contenu canadien? Voilà une question à laquelle vous pourriez peut-être répondre par écrit.
En outre, l’Association cinématographique — Canada estime que le CRTC devrait recevoir des instructions claires visant à l’empêcher de s’immiscer dans l’utilisation des algorithmes par la plateforme. Je ne comprends pas pourquoi ils auraient besoin de le faire, car vous devez présenter des résultats mesurables comme preuve que les algorithmes cadrent avec les buts et objectifs du projet de loi.
Donc, si en faisant votre suivi, vous vous apercevez que vous êtes un peu à la dérive, vous chercherez à atteindre ces buts et objectifs et peut-être à influencer ainsi vos propres algorithmes pour y parvenir. Ma vraie question est la suivante : quel article ou quelles dispositions donnent au CRTC la latitude de micro-gérer les algorithmes utilisés par les entreprises en ligne sur leurs plateformes? Vous pourriez répondre à cette question par écrit.
J’ai aussi une brève question à poser à MM. Segal et Rebelo. J’ai un peu de mal à accepter certains des points que vous avez soulevés, mais je crois que l’ACDEF est préoccupée par certaines des critiques publiques qui ont été formulées à l’encontre du projet de loi. J’aimerais savoir quelles sont vos réponses ou répliques à certaines de ces critiques. Malheureusement, nous n’avons pas le temps de les entendre. Vous pourriez donc nous les communiquer par écrit.
De plus, vous avez mentionné quelque chose à propos d’un achat anticipé de contenu canadien, et je n’ai pas bien saisi la raison d’être de ce contenu ou son utilité. Je n’ai pas compris cette allusion, et je tiens à savoir quels étaient les objectifs ou les intentions à cet égard.
Enfin, j’ai une petite question à poser à Netflix. En fait, j’en ai deux ou trois, mais je vais essayer de me concentrer sur un seul point ici. Il y a une référence qui indique ce qui suit :
... Netflix ne peut pas bénéficier de la souplesse actuelle de la réglementation du CRTC qui permet aux grands radiodiffuseurs du secteur privé du Canada de consacrer la majorité de leurs dépenses en contenu canadien à des émissions appartenant aux catégories des bulletins de nouvelles et des émissions sportives.
J’aimerais obtenir un autre commentaire concernant un autre point qui a été soulevé :
Les définitions actuelles du contenu canadien ne reconnaîtraient pas non plus les titres produits ou financés uniquement par Netflix, même si la majorité des rôles créatifs clés étaient tenus par des Canadiens.
Le fait d’attribuer des rôles créatifs clés à des Canadiens transforme-t-il la production en un contenu canadien, tel que défini dans le projet de loi? Et peut-être que le fait d’offrir un peu plus de souplesse à cet égard, comme l’énonce l’Association cinématographique — Canada, le permettrait? Vous pourriez peut-être formuler vos commentaires à ce sujet par écrit, s’il vous plaît.
Le président : Je remercie nos témoins d’avoir comparu devant nous. Comme vous pouvez le constater, chers témoins, les intervenants ont beaucoup de questions. Comme je peux le constater en consultant la liste des sénateurs qui ont encore des questions, nous n’avons pas eu suffisamment de temps pour aborder tous les sujets. Je m’excuse d’avoir, à quelques reprises, interrompu nos témoins. Je précise encore une fois que j’espère que le comité directeur tombera d’accord avec la présidence pour dire que vous méritez d’être convoqué dans les prochaines semaines pour un autre tour de table, car il y a encore un certain nombre de questions sans réponse qui doivent être résolues.
Nous avons dépassé le temps imparti ce matin. Je vous remercie d’avoir comparu devant nous. Enfin, merci à vous, chers collègues.
(La séance est levée.)