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TRCM - Comité permanent

Transports et communications


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES TRANSPORTS ET DES COMMUNICATIONS

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mardi 25 octobre 2022

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd’hui, à 9 heures (HE), avec vidéoconférence, pour étudier la teneur du projet de loi C-11, Loi modifiant la Loi sur la radiodiffusion et apportant des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois.

Le sénateur Leo Housakos (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Bonjour chers collègues. Je m’appelle Leo Housakos, je suis président du Comité sénatorial permanent des transports et des communications. J’aimerais demander à mes collègues de se présenter.

[Traduction]

Le sénateur Richards : Je suis le sénateur David Richards, du Nouveau-Brunswick.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Julie Miville-Dechêne, du Québec.

Le sénateur Cormier : René Cormier, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Gagné : Raymonde Gagné, du Manitoba.

Le sénateur Dawson : Dennis Dawson, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Klyne : Bonjour. Marty Klyne, du territoire visé par le Traité no 4, en Saskatchewan.

Le sénateur Manning : Fabian Manning, de Terre-Neuve-et-Labrador.

La sénatrice Sorensen : Karen Sorensen, de l’Alberta.

La sénatrice Simons : Paula Simons, du territoire visé par le Traité no 6, en Alberta.

[Français]

La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de l’Ontario.

[Traduction]

La sénatrice Dasko : Donna Dasko, de l’Ontario.

La sénatrice Wallin : Pamela Wallin, de la Saskatchewan.

Le président : Merci, chers collègues. Nous nous réunissons aujourd’hui pour poursuivre notre examen du projet de loi C-11, Loi modifiant la Loi sur la radiodiffusion et apportant des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois.

Ce matin, dans la première partie de notre réunion, nous accueillons David Coletto, chef de la direction d’Abacus Data.

[Français]

Nous recevons également ce matin Martin Lavallée, conseiller juridique principal, Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique. Il se joint à nous par vidéoconférence.

[Traduction]

Avant de poursuivre, chers collègues, j’aimerais demander aux sénateurs et aux témoins de ne pas trop se pencher sur leur microphone ou d’enlever leur oreillette s’ils s’apprêtent à le faire. Nous éviterons ainsi tout effet acoustique pouvant avoir des répercussions néfastes pour le personnel du comité dans la salle et pour nos interprètes. Je vous prie de faire attention à cela, car il s’est produit un incident malheureux à cause de ce problème.

Je vais demander à nos témoins de commencer par une déclaration liminaire de cinq minutes. Ensuite, nous passerons à la période des questions et réponses. Nous allons d’abord entendre M. David Coletto, d’Abacus Data. Monsieur, vous avez la parole.

David Coletto, chef de la direction, Abacus Data : Bonjour, monsieur le président et honorables sénateurs. Je vous remercie de me donner l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui. Je suis le fondateur et le chef de la direction d’Abacus Data, une entreprise offrant des services complets en matière d’étude de marché et d’opinion publique et ayant des bureaux à Ottawa et à Toronto. Je comparais aujourd’hui à titre personnel et en tant qu’expert en recherche sur l’opinion publique, et non au nom d’un client ou d’une organisation.

Depuis plus de 16 ans, j’étudie les opinions des Canadiens, le comportement des consommateurs et des employés et les politiques publiques canadiennes à travers les yeux des Canadiens. Comme la sénatrice Dasko, j’ai eu le privilège de poser des questions à des milliers de Canadiens et d’écouter ce qui leur tient à cœur, ce qui les inquiète et d’observer leur comportement.

Au cours de ma carrière, j’ai cherché à comprendre l’incidence de deux forces dans notre monde : les changements générationnels et technologiques. Ces deux forces ont des répercussions majeures sur les marchés de la consommation et du travail, ainsi que sur le milieu politique au Canada et dans le monde entier.

Je suis ce que le New York Times qualifie de millénarial gériatrique. Né en 1981 — je sais que j’ai l’air très jeune —, j’ai grandi, comme des millions d’enfants du millénaire, dans un monde plus structuré, moins hiérarchisé, plus numérique et en évolution plus rapide qu’à n’importe quelle autre époque de l’histoire. Nous étions la génération la plus diversifiée, la plus technophile et la plus instruite de l’histoire — du moins, jusqu’à l’arrivée de la génération Z. Les millénariaux représentent aujourd’hui la génération la plus importante sur les marchés de la consommation et du travail.

Au moment même où le Canada connaissait un changement rapide de génération, les technologies ont évolué à tel point qu’elles ont fondamentalement modifié la façon dont nous communiquons, apprenons, nous divertissons, travaillons, établissons des liens avec notre communauté et prenons des décisions. En tant que chercheur, j’ai été fasciné par les répercussions des changements technologiques sur tous les aspects de notre vie et j’ai passé beaucoup de temps au cours des 12 dernières années à étudier et à observer ces forces.

Nous vivons dans un monde où les consommateurs ne s’attendent plus à devoir patienter avant d’obtenir ce qu’ils veulent. Nous vivons dans un environnement sur demande où le contenu, les biens et les services dont nous avons besoin et que nous souhaitons sont livrés parfois instantanément. De plus, nous vivons dans un monde mobile où toutes les choses que nous voulons ou dont nous avons besoin peuvent être consultées ou commandées n’importe où, à n’importe quel moment de la journée.

Monsieur le président, je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de prendre la parole. Je serai heureux de répondre aux questions des sénateurs.

Le président : Merci, monsieur.

[Français]

Martin Lavallée, conseiller juridique principal, Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique : Merci, honorables sénateurs. Je m’appelle Martin Lavallée et je suis conseiller juridique principal à la Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SOCAN). Je suis heureux de me présenter devant vous pour appuyer le projet de loi C-11.

Nous sommes heureux que cette importante législation ait été adoptée à la Chambre des communes sous sa forme actuelle. Ce projet de loi respecte la promesse du ministre de réglementer les services de diffusion en ligne tout en excluant son application aux créateurs de contenu individuels.

Dans la forme où il est présenté, nous croyons que le projet de loi est un grand pas dans la bonne direction pour la contribution et la promotion des œuvres musicales et des créateurs canadiens tout en évitant des conséquences involontaires. À ce titre, nous demandons au Sénat d’adopter le projet de loi sans autre modification.

Comme beaucoup d’entre vous le savent, Internet est maintenant la plateforme dominante pour la diffusion de la musique. La dissémination de contenus en ligne a connu une croissance exponentielle au cours des dernières années.

La SOCAN elle-même a connu une croissance considérable des revenus provenant de l’écoute en ligne. En 2021, la SOCAN a perçu 416 millions de dollars pour le compte de titulaires de droits canadiens et étrangers, dont 100 millions de dollars provenaient des plateformes numériques. Les perceptions de la SOCAN provenant de ces plateformes pourraient bientôt dépasser les perceptions provenant de sources plus traditionnelles, comme la radio et la télévision.

Toutefois, les auteurs et compositeurs canadiens ne bénéficient pas ou ne reçoivent pas leur juste part de cette croissance. Cette iniquité est attribuable en grande partie au fait que les services de diffusion numérique étrangers qui ont largement profité de leur présence au Canada ne sont pas tenus de soutenir ou de promouvoir les créateurs canadiens auprès du public canadien.

Seule une fraction des revenus tirés des licences numériques de la SOCAN reste au Canada. Pour chaque dollar généré par les diffuseurs canadiens de télévision et de radio, environ 0,34 $ est distribué aux auteurs et compositeurs canadiens. Cependant, des revenus générés par les services d’écoute en ligne, seulement 0,10 $ est distribué aux Canadiens.

La situation est encore plus désastreuse pour les auteurs et compositeurs francophones qui ne reçoivent que 0,018 $ par dollar généré par les services numériques, contre 0,074 $ pour les diffuseurs traditionnels canadiens.

Il va de soi que ces plateformes en ligne, qui bénéficient d’un accès sans entraves au public canadien, devraient soutenir notre communauté culturelle et la prochaine génération d’auteurs et de compositeurs canadiens. C’est vital pour la survie de notre culture et de notre souveraineté culturelle.

Le choix du consommateur ne suffit plus. Les plateformes en ligne décident déjà qui promouvoir et qui rétrograder sur leurs services. Elles jouent déjà ces rôles de curateur en effectuant des choix éditoriaux. Or, elles devraient remplir ces rôles en mettant en valeur les Canadiens pour les Canadiens.

Les auteurs et compositeurs canadiens ne seront pas les seuls à en bénéficier. Les auditeurs aussi. Nous sommes tous gagnants lorsque nos politiques culturelles reflètent et encouragent l’expérience canadienne, ainsi que la création et la diffusion d’histoires et de chansons canadiennes.

Nous implorons le gouvernement d’exiger que les services de diffusion numérique jouent leur rôle en facilitant la recherche de chansons et d’histoires canadiennes sur les plateformes en ligne au Canada.

La SOCAN ne propose aucun amendement au projet de loi C-11. Le projet de loi doit rester suffisamment large afin de pouvoir s’adapter aux futurs services en ligne, dont les modèles de diffusion de contenu ne sont pas encore connus. Un projet de loi qui serait adapté uniquement aux services que l’on connaît aujourd’hui ou qui exclurait certains services particuliers tels qu’ils existent sous leur forme actuelle, ne serait pas assez flexible ou n’aurait pas la force nécessaire pour l’avenir de la diffusion en ligne.

Nous demandons donc aux parlementaires de toute allégeance et, en fait, des deux Chambres, d’adopter cette loi dès que possible et telle quelle, afin de fournir le cadre législatif nécessaire au succès culturel et commercial de nos formidables créateurs de chansons canadiens.

Merci de votre attention. C’est avec plaisir que je répondrai à vos questions.

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci, messieurs les témoins. Ma question s’adresse à M. Lavallée et ne touche pas votre témoignage, que je comprends. C’est beaucoup plus une question technique au sujet de la fameuse question des identifiants uniques.

Donc, dans le cadre de mes différentes recherches sur le projet de loi, j’ai rencontré des gens de l’industrie qui m’ont dit que les identifiants uniques ne sont pas au point, que c’est un travail en progression et qu’il manque d’information.

Si toute l’idée est d’aller chercher les créateurs canadiens, les musiciens canadiens et les différentes formes de chanson, selon ce que j’ai su, il y a encore beaucoup de travail à faire quant au fameux chiffre magique qui rend possible la reconnaissance de telle œuvre plutôt que telle autre, et qui permet d’avoir suffisamment d’information sur ladite œuvre pour pouvoir la découvrir.

J’aimerais que vous nous disiez où nous en sommes dans tout cela, si mes informations sont justes, et ce que vous faites pour savoir d’où vient la musique, de quel type de musique il s’agit, et tout ce qui est nécessaire pour faire de la découvrabilité.

M. Lavallée : Je vous remercie de votre question. Vous faites allusion à un identifiant unique, celui par lequel il est possible d’identifier une œuvre et de la distinguer d’une autre. Comme vous pouvez vous en douter, dans le domaine musical ou dans plusieurs domaines, différentes œuvres ont exactement le même titre. C’est au cœur de ce qu’une société de gestion collective comme la nôtre s’efforce de distinguer. Les cas dont vous faites mention, ce sont des ISRC ou des ISWC (International Standard Recording Code ou International Standard Musical Work Code), soit des œuvres audio ou audiovisuelles.

Lorsque vous dites qu’il y a encore beaucoup de travail à faire, c’est en ce qui a trait aux métadonnées, c’est-à-dire les données associées au numéro de l’œuvre. Est-ce que nous avons le nom de l’auteur, le nom de l’éditeur? Est-ce que nous avons le nom de l’album, l’année de production? Est-ce qu’il s’agit d’une œuvre francophone ou anglophone? Ces données doivent absolument être saisies à la source, au moment de la création de l’œuvre.

Il y a beaucoup d’initiatives, entre autres au Québec, pour créer un répertoire unique et s’assurer que, avant même qu’une œuvre soit diffusée, toutes ces informations se trouvent dans ce répertoire unique et que cette base de données peut être partagée. Les sociétés de gestion collective font d’ailleurs du partage de bases de données communes dans le but d’avoir la totalité des informations auprès du répertoire mondial.

La sénatrice Miville-Dechêne : Monsieur Lavallée, est-ce que je me trompe si je dis que ces bases de données ne sont pas encore au point et qu’il persiste un certain flou dans tout cela?

M. Lavallée : Évidemment, pour nous, elles sont suffisamment au point pour nous permettre de faire du jumelage et de répartir les sommes auprès de nos ayants droit. Si des informations sont manquantes, nous retournons à la source pour les compléter. Une fois complétées, elles sont cristallisées dans nos bases de données. De cette façon, lorsque l’œuvre revient, le travail n’est pas à refaire.

C’est un travail continu, parce que des œuvres, il y en a beaucoup. Pour répondre à votre question, je dirais que nous n’aurons jamais l’information intégrale qu’on aimerait avoir. Dans le processus de saisie des informations, il serait important d’ajouter des champs qui permettraient de qualifier une œuvre. Par exemple, est-ce une œuvre canadienne, une œuvre francophone?

La sénatrice Miville-Dechêne : Dans l’état actuel des choses, les plateformes peuvent-elles faire de la découvrabilité au moyen des métadonnées qui sont disponibles?

M. Lavallée : Dans certains cas, oui. Comme je vous l’expliquais, il y a une variation de données, tout dépendant du répertoire. Vous pouvez vous imaginer que les œuvres les plus actives et les plus connues ont une information assez complète. Pour rejoindre ce que vous dites, mon inquiétude se situe dans le domaine des œuvres qui sont peut-être moins connues, pour lesquelles les données sous-jacentes ne seront peut-être pas aussi complètes.

Je dois dire que je ne suis pas un spécialiste, mais je vous fais part de mon expérience.

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci.

Le sénateur Cormier : Ma question donne suite à celle de la sénatrice Miville-Dechêne. D’abord, merci aux témoins d’être ici aujourd’hui.

Monsieur Lavallée, pour déterminer si un média social devrait être assujetti à la loi, le CRTC devra évaluer des émissions qui sont téléversées selon trois critères, qui auront pour but de déterminer leur valeur commerciale. Vous avez certainement pris connaissance de ces trois critères. À votre avis, ces critères sont-ils adéquats pour déterminer la valeur commerciale d’une œuvre?

M. Lavallée : Ce serait tentant de répondre par oui ou par non, mais s’il faut répondre simplement, je vous dirais que oui.

En effet, je suis au fait des trois critères, je les ai devant moi en ce moment. La nuance que j’aimerais apporter est celle-ci : en ce moment, la loi permet d’avoir un débat au moment de se présenter devant le CRTC. Nous, à la SOCAN, ce qu’on véhicule comme message et qu’on apprécie dans le projet de loi actuel, c’est que, d’une part, le projet de loi est suffisamment large pour pouvoir s’adapter aux changements technologiques par la suite et essayer de s’adapter au modèle d’affaires.

N’oublions pas que la Loi sur la radiodiffusion est restée inchangée pendant 30 ans. Il est probable d’imaginer que la loi actuelle ne sera pas nécessairement revisitée avant longtemps. C’est pourquoi il est important de garder cette grande flexibilité et cette grande souplesse.

Les critères sont des indications dont il faut tenir compte, ce qui, selon mon expérience, n’empêcherait pas le CRTC d’avoir un véritable débat avec toutes les parties concernées qui voudront se prononcer. Pour répondre simplement à votre question, la réponse c’est que oui, les critères sont suffisamment larges. Ils peuvent sembler vagues ou trop larges, mais c’est exactement le but de notre intervention. Plus la loi permet une grande souplesse, plus elle bénéficiera d’une grande pérennité.

Le sénateur Cormier : Merci beaucoup pour cette réponse. Vous disiez aussi que vos membres auteurs-compositeurs récoltent 34 % des redevances perçues sur les médias traditionnels, alors qu’ils reçoivent à peine 10 % sur les médias numériques. Ce sont des chiffres assez troublants. Comment rétablir l’équilibre pour assurer le succès des créateurs canadiens sur les plateformes? Évidemment, je pense notamment aux créateurs francophones. Que pouvez-vous répondre à cela?

M. Lavallée : Pour les créateurs francophones, le ratio est encore plus...

Le sénateur Cormier : Il est encore plus catastrophique.

M. Lavallée : C’est intéressant, parce que la réponse simple à votre question est d’adopter la loi le plus rapidement possible et sans amendements. Cela faisait partie de mon message. Plus précisément, il est intéressant de constater que les plateformes en ligne existent et sont en service depuis une vingtaine d’années au Canada, et que nous voyons déjà les effets de la non-découvrabilité et de la non-promotion du contenu canadien par une diminution drastique des revenus.

Alors, sans forcer qui que ce soit, il faut permettre au répertoire canadien d’être visible. Il est là, mais il n’est simplement pas visible, il est noyé, et nous croyons que le projet de loi C-11 ouvre la porte à cette découvrabilité.

Au Québec, je pense que l’ADISQ et l’APEM se sont présentées devant vous et leur message rejoint le nôtre. Lorsqu’on présente des artistes francophones d’ici, le Québec a tendance à les apprécier et à les écouter davantage, et cela vient rééquilibrer la distribution des revenus.

Le sénateur Cormier : Merci.

[Traduction]

Le président : Bonjour, monsieur Coletto, et merci d’être des nôtres. Ma question s’adresse à vous et, de toute évidence, vous avez le privilège de travailler avec une organisation qui recueille des données. Pouvez-vous nous faire part des données dont vous disposez sur ce que les Canadiens — et, plus particulièrement, ceux de la génération du millénaire — pensent du projet de loi C-11 et de cette mesure législative en général?

De plus, avez-vous des données à nous communiquer sur les attentes et les préférences des millénariaux quant à la façon dont ils consomment le contenu culturel?

Enfin, avez-vous des données que vous pouvez nous présenter sur ce que nous devons faire, en tant que société, pour amener les enfants du millénaire à consommer davantage de contenu canadien?

Je pense que ce sont là trois questions succinctes. Je ne sais pas s’il existe des données que vous pouvez nous communiquer.

M. Coletto : Merci beaucoup, monsieur le président. D’abord, permettez-moi de dire que je n’ai pas de données accessibles au public sur le projet de loi en question, mais j’ai la permission de confirmer que j’ai travaillé là-dessus. J’ai mené une étude sur le projet de loi pour YouTube Canada. Cependant, ces résultats n’ont pas été rendus publics. Il faudrait donc demander aux représentants de YouTube s’ils vous permettraient de consulter ces résultats et s’ils seraient disposés à les présenter au comité.

Je suis ici pour parler longuement des enfants du millénaire, mais sachez que nous faisons des recherches auprès de tous les Canadiens. Au cours des deux dernières années et demie, l’écart technologique dans la façon dont les Canadiens consomment de l’information et du contenu s’est beaucoup creusé. Pendant la pandémie, alors que nous étions tous coincés à la maison, à court de contenu et en mode d’attente, nous cherchions de quoi écouter, regarder ou lire. Cet écart a donc changé.

Toutefois, d’après les recherches, nous savons, par exemple, qu’une grande majorité de jeunes Canadiens, en particulier, se fient à différentes plateformes et s’en servent quotidiennement pour accéder à du contenu.

Je vais vous donner un exemple. Nous produisons un rapport sur les millénariaux canadiens. Tous les 6 mois, nous effectuons un sondage auprès de 2 000 millénariaux canadiens. Nous le faisons depuis plus de quatre ans, et nous avons donc recueilli des données sur des tendances très intéressantes. Prenons les balados, à titre d’exemple. En 2018, lorsque nous avons mené notre première enquête, environ 17 % des millénariaux affirmaient écouter un balado tous les jours. Aujourd’hui, selon notre plus récente enquête, ce chiffre est passé à 33 %, soit presque le double du nombre de personnes qui comptent sur ce type de contenu pour se divertir et s’informer. Ce n’est là qu’un exemple de la croissance dans ce domaine.

Lorsque vous demandez ce qu’il faut prendre en considération, en tant que personne qui place l’utilisateur, le consommateur ou le citoyen au centre de son travail, je vous dirais toujours de commencer par ce que l’utilisateur veut et ce à quoi il s’attend. Quand on examine les clivages entre les générations ou les âges, les gens de ma génération, celle du millénaire, sont souvent décrits comme des natifs du numérique; ils ont grandi en ayant accès à de l’information, selon des modalités qu’on ne pouvait qu’imaginer au cours des générations précédentes. Comme je l’ai dit dans ma déclaration liminaire, nous nous attendons à pouvoir obtenir ce contenu quand nous le voulons, d’une manière facile d’accès. Nous nous attendons également à ce qu’il soit abordable.

Peu importe la plateforme — et il existe des versions aussi bien payantes que gratuites —, la possibilité d’accéder au contenu à un prix abordable figure en tête de liste. C’est particulièrement vrai dans le contexte économique actuel, où les ménages, toutes générations confondues, sont mis à rude épreuve. C’est un élément à prendre en compte.

Mais, au bout du compte, je vous conseillerais d’examiner l’expérience des utilisateurs et la façon dont cette mesure législative et les règlements futurs pourraient avoir des répercussions à cet égard.

Le président : Merci, monsieur.

Le sénateur Manning : Je remercie nos témoins. J’ai une question ce matin pour le représentant de la Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, ou SOCAN.

Un thème que nous avons souvent entendu à maintes reprises, c’est que le projet de loi C-11 est important parce qu’il fait en sorte que les plateformes de diffusion continue en ligne fournissent leur juste part à l’écosystème culturel du Canada. Cependant, l’Association cinématographique a déclaré à notre comité que des sociétés comme Disney, NBC, Universal, Netflix, Paramount, Sony et d’autres avaient dépensé plus de 5 milliards de dollars au Canada en 2021. Cela représente plus de la moitié de toute la production au Canada et 90 % de la croissance du secteur au cours de la dernière décennie.

Pourquoi estimez-vous qu’elles ne paient pas leur juste part? Combien devraient-elles payer, d’après vous? Comment devrions-nous nous y prendre?

[Français]

M. Lavallée : Merci beaucoup de la question.

C’est formidable de voir le soutien à la culture canadienne sous toutes ses formes, mais cela ne change rien au fait qu’une décennie d’exception a permis à des services de diffusion numérique de tirer profit du marché canadien sans aucune obligation, comme nous en imposons actuellement à notre secteur de la radiodiffusion nationale.

Nous savons que, malgré les contributions financières dont vous faites mention, une réglementation demeure nécessaire, et cela répond à la dernière partie de votre question, car l’argent ne revient pas aux créateurs canadiens, c’est l’essentiel de notre représentation. Malgré ces contributions de production, il semble, néanmoins, qu’il y a ce ratio entre 30 % et 17 % et de 7 % à 1 % qui est essentiellement remis au créateur canadien. Nous pensons que les créateurs canadiens ont besoin de soutien pour continuer à développer la musique dans le monde numérique qui, bientôt, va dépasser complètement, sur le plan des revenus, les milieux traditionnels.

Par rapport à ce que mon collègue vient de dire, nous avons mandaté la firme de sondage Léger pour mener une étude en janvier 2022. Il y a eu 400 000 répondants et deux tiers d’entre eux ont répondu qu’il était important que les entreprises étrangères et les médias sociaux fassent la promotion du contenu canadien du divertissement et y contribuent. Voilà ma réponse.

[Traduction]

Le sénateur Manning : Je vous remercie.

Monsieur Coletto, nous recevons beaucoup de commentaires de la part de parties intéressées au sujet du projet de loi à l’étude. Les Canadiens ordinaires qui utilisent les diverses plateformes sont ceux qui seront touchés de bien des façons par cette mesure législative. Je ne sais pas combien d’entre eux sont même conscients de ce que nous faisons ici dans bien des cas. Pour vous donner un exemple bien concret, la semaine dernière, un camion garé de l’autre côté de la rue ici portait une enseigne lumineuse avec la mention « Adoptez le projet de loi C-11 », suivie de quelques raisons. Je suis passé par là et j’ai demandé au conducteur ce qu’était le projet de loi C-11. Il ne le savait pas.

Je me demande ce qu’en pensent les Canadiens. À votre connaissance, votre entreprise recueille-t-elle des données qui pourraient nous donner un aperçu de l’opinion des Canadiens au sujet de cette mesure législative?

M. Coletto : Je vous remercie de votre question, sénateur. Comme je l’ai expliqué au président, YouTube Canada a réalisé une étude. Je ne peux pas en divulguer les résultats, mais je vous encourage à communiquer avec YouTube.

Je vais peut-être parler de façon plus générale en tant que personne qui étudie l’opinion des Canadiens et la fréquence à laquelle ils suivent ce qui se passe ici, à Ottawa. Voici mon hypothèse : beaucoup de gens ne suivent pas de près ces délibérations ou ce qui s’est passé à la Chambre des communes, mais cela ne veut pas dire qu’ils ne se soucient pas des conséquences de toute mesure législative qui est adoptée.

C’est pourquoi je reviens sur ce que j’ai dit plus tôt : tenez compte des répercussions sur les utilisateurs, ainsi que sur les autres intervenants concernés.

Lorsque je travaille avec une organisation qui est en contact direct avec les consommateurs et qui envisage d’apporter un changement important, disons, à la façon dont un service est offert ou à la façon dont un produit est conçu, si le tout se fait de manière inattendue, cela finit souvent par créer des frictions avec ses propres clients.

Ce serait donc mon seul conseil, mais je ne peux pas parler des détails du projet de loi C-11 pour ce qui est de savoir si les Canadiens suivent ce dossier de près.

Le sénateur Manning : Votre propre entreprise a-t-elle l’intention de le faire?

M. Coletto : Je n’en ai pas l’intention.

Le sénateur Manning : D’accord, merci.

La sénatrice Wallin : Monsieur Coletto, puisque vous publiez un rapport sur les millénariaux canadiens, j’aimerais vous transmettre un message que nous avons entendu haut et fort la semaine dernière de la part de certains de nos témoins. Parmi tous les problèmes techniques que leur pose le projet de loi C-11, sans compter les messages contradictoires et tout le reste, l’aspect qui les préoccupe surtout — et l’un d’eux en a parlé précisément —, c’est l’incidence psychologique. Ils ne veulent pas être placés dans la même catégorie que le « contenu canadien » qui sera imposé à un public, car ils préfèrent que les auditeurs et les téléspectateurs choisissent leur contenu parce que ceux-ci le trouvent bon, et non parce que leur contenu apparaît en haut de la liste, du seul fait qu’il répond à une exigence de contenu canadien.

Ils ne veulent pas de réglementation gouvernementale. Ils ne veulent pas d’aide gouvernementale. Ils ne veulent pas de subventions gouvernementales. Ce sont des entrepreneurs, et ils croient qu’ils peuvent se débrouiller seuls.

Cette mentalité est-elle propre aux millénariaux ou aux « millénariaux gériatriques » qui travaillent dans ce domaine — ce sont des youtubeurs ou des tiktokeurs —, ou est-ce un état d’esprit plus général chez les personnes de la génération du millénaire?

M. Coletto : Je vous remercie, sénatrice, de votre question. Je ne peux parler d’aucune recherche que j’ai effectuée et qui pourrait confirmer ou infirmer cette affirmation précise, mais je peux dire que le contenu est roi. Nous avons tous traversé cette période de pandémie. Notre appétit insatiable pour du bon contenu s’est manifesté très clairement.

J’ai moi-même un balado et je crée du contenu tous les jours avec mes collègues d’Abacus, que ce soit par l’entremise des sondages que nous réalisons ou des entrevues que nous menons auprès de sénateurs pour parler de leur carrière. À ce titre, je veux certes que le plus grand nombre possible de gens puissent avoir accès à notre contenu. Encore une fois, je ne peux pas dire si tous les créateurs partagent mon point de vue, mais je pense que les consommateurs recherchent un contenu qui les intéressera, qui leur sera utile et, dans certains cas, qui les divertira.

La sénatrice Wallin : Je vous remercie. Je vais donc poser la même question à M. Lavallée. Ayant entendu ce message à maintes reprises, je sais que vous avez fait valoir que si les gens regardaient plus de contenu canadien, les créateurs gagneraient plus d’argent. À part cela, il s’agit d’une industrie qui repose entièrement sur le choix du consommateur. Si je regarde certains films ou si j’écoute certaines chansons, c’est parce que les diffuseurs en ligne ont enregistré mes comportements, mes goûts et mes aversions. Si vous voulez changer cela, ne risquez-vous pas de voir les gens se plaindre du fait qu’ils n’ont pas demandé tel ou tel contenu, qu’ils n’aiment pas ce qui leur est proposé et qu’ils vous ont déjà indiqué leurs préférences? Par ailleurs, pouvez-vous dire quelques mots sur l’incidence psychologique dont les créateurs de contenu eux-mêmes ont parlé?

[Français]

M. Lavallée : Merci beaucoup, madame la sénatrice.

Ce qui me frappe dans votre question et dans ce que les autres personnes dont vous faites mention ont dit, c’est qu’actuellement, les plateformes, les services de musique en ligne et les réseaux sociaux choisissent déjà des critères qui déterminent les contenus mis de l’avant. Il existe déjà un effort de curation qui va au-delà du choix du consommateur et sur lequel notre compréhension est que nous n’avons aucune idée, aucune transparence quant à la façon dont ces choix éditoriaux sont faits par les agglomérats étrangers ici, au Canada.

À notre sens, la nouvelle réglementation permettrait au CRTC, après des consultations, d’orienter ces recommandations dont vous faites mention, qui sont déjà préenregistrées, en exigeant que les plateformes tiennent compte des considérations culturelles canadiennes dans l’équation.

Il faut se rappeler que notre compréhension du projet de loi laisse aux plateformes toute la latitude pour décider de la manière de promouvoir le contenu canadien. Des listes de lecture, des bannières, des publicités, des hashtags pourraient être utilisés, également, pour venir influencer ces décisions éditoriales.

En bref, la différence entre les deux, c’est qu’actuellement, on n’a vraiment aucune idée de la façon dont les choix sont faits et dont les choix recommandés sont remis aux consommateurs. Notre compréhension est que 80 % des gens choisissent ce que la machine leur recommande. On aimerait que cette recommandation, comme le prévoit le projet de loi, tienne compte de la promotion du contenu canadien.

[Traduction]

Le sénateur Klyne : Je souhaite la bienvenue à nos invités. Si l’on met de côté YouTube et le projet de loi, je suis d’accord pour dire que le contenu est roi. Ma question s’adresse à M. Coletto. En ce qui concerne les données psychographiques, c’est-à-dire les préférences, les aversions, les valeurs et les comportements, les études d’opinion que vous avez menées révèlent-elles une préférence des Canadiens pour du contenu canadien? Si oui, savez-vous comment ils recherchent le contenu de manière proactive? Y a-t-il quelque chose de proactif dans leurs comportements ou, comme le suggère M. Lavallée, cela se fait-il par la promotion et tout le reste? Y a-t-il une quelconque proactivité de la part du public canadien?

M. Coletto : Malheureusement, je n’ai pas de données claires pour répondre à cette question. Je suis quelqu’un qui n’aime pas formuler des hypothèses sans avoir de bonnes données à l’appui.

Le sénateur Klyne : Vous n’avez donc pas fait de recherches psychographiques ou d’enquêtes d’opinion à ce sujet?

M. Coletto : Non.

Le sénateur Klyne : Monsieur Lavallée, nous avons entendu de nombreux groupes de l’industrie de la musique et des plateformes numériques, et il semble y avoir un fossé entre le point de vue des plateformes numériques et celui des artistes. Les représentants de plateformes ne sont généralement pas en faveur de cette mesure législative, alors que de nombreux artistes y sont favorables. Votre organisation estime que les artistes bénéficieront du projet de loi. Pouvez-vous nous expliquer quels en seront les avantages, d’après vous? Mesurerez-vous ces avantages en tenant compte de l’augmentation de la visibilité des artistes, de leurs revenus, de leur public ou d’une combinaison de tous ces facteurs?

[Français]

M. Lavallée : Merci beaucoup de la question. J’aurais tendance à répondre : toutes ces réponses. Fondamentalement, notre prétention se situe sur le plan des redevances que nous percevons et du constat que nous en tirons actuellement. Si on se compare à un monde où une réglementation exige un certain seuil de promotion du contenu canadien, les redevances qui arrivent dans la poche de nos membres — les auteurs, les compositeurs et les éditeurs — sont nettement plus importantes.

Je vous dirais que la retombée la plus évidente à laquelle on s’attend et qui expliquerait le soutien des artistes à l’égard de ce projet de loi serait qu’il y aurait plus d’argent provenant de ces plateformes pour nos membres canadiens.

La sénatrice Simons : Je vais essayer de poser mes questions en français à M. Lavallée, même si je ne suis pas vraiment bilingue.

Je comprends qu’il y a une grande anxiété au Québec et au Canada francophone au sujet de l’avenir de la langue française, de la culture française et de la musique française. Je sais que c’est pour cette raison que nous avons ce projet de loi devant nous.

J’avais posé une question à ma collègue, la sénatrice Miville-Dechêne, dans une baladodiffusion la semaine passée : ne serait-il pas plus simple de donner plus d’argent pour la commercialisation et la promotion au Québec, au Nouveau-Brunswick, en Nouvelle-Écosse et en Alberta, qui ont aussi des communautés francophones? Nous avons devant nous un projet de loi tellement compliqué. Ne serait-il pas plus simple de seulement donner de l’argent pour accomplir des choses et faire de la découvrabilité pour la musique française au Québec?

M. Lavallée : Tout d’abord, j’aimerais souligner que votre français est excellent.

La sénatrice Simons : Ce n’est pas facile, mais je vous remercie.

M. Lavallée : Je suis toujours sidéré par les personnes qui disent qu’elles ne sont pas vraiment bilingues alors qu’elles parlent un excellent français. Donc, je vous félicite et je vous remercie.

En réponse à votre question, je crois qu’on parle de deux choses distinctes. Je suis d’accord avec vous : pourquoi ne suffirait-il pas de remettre de l’argent pour augmenter la promotion? Je suis moins d’accord sur le fait que le projet de loi serait super compliqué. Fondamentalement, je crois que ce sont deux activités distinctes. Il y a énormément de programmes qui existent au Québec et partout ailleurs au Canada. Il y a des programmes de promotion et d’aide aux entreprises et toutes sortes de programmes gérés à l’échelle fédérale et provinciale qui aident à promouvoir la musique, en particulier la musique locale ou de quelque nature que ce soit.

Je crois que le débat, ici, aujourd’hui, porte fondamentalement sur la modernisation de la Loi sur la radiodiffusion. Comme je l’ai dit plus tôt, cela fait 30 ans que cette loi n’a pas évolué. J’écoutais les propos de M. Coletto, avec lesquels je suis tout à fait d’accord quant aux changements majeurs des habitudes de consommation, de la venue de la technologie dans nos vies. Cette évolution s’est accélérée pendant la pandémie, où on a été forcé de rester chez soi et de chercher du divertissement au moyen des plateformes numériques. Cette modernisation amène simplement la création d’un monde équitable. Actuellement, on a un monde à deux vitesses.

On a un monde plus traditionnel, qui a des règles de jeu qui lui sont propres, et un monde numérique qui, je reviens inlassablement à cette conclusion, malheureusement, a pour conséquence que les revenus générés ne reviennent pas aux ayants droit canadiens. Donc, c’est notre espoir et c’est notre requête répétée que ce projet de loi puisse voir le jour, rappelons-le, pour qu’on puisse avoir un vrai débat.

N’oubliez pas, c’est intéressant, car aujourd’hui on parle beaucoup des conséquences de la loi, mais le vrai débat va se jouer devant le CRTC, quand les politiques seront énoncées. Ce qu’on demande au gouvernement de toute allégeance, c’est de nous permettre d’aller mener ce débat, actuellement, ce que l’on ne peut pas faire et qui entraîne les conséquences financières que je vous ai présentées.

La sénatrice Simons : Merci.

La sénatrice Clement : Merci à nos deux témoins.

[Traduction]

J’ai une question pour M. Coletto, puis j’en aurai une autre pour M. Lavallée.

Je commentais hier soir l’élection municipale à Cornwall sur le réseau de télévision local, et j’étais tout à fait conscient que très peu d’enfants du millénaire me regardaient faire ce commentaire. La façon dont les différentes générations reçoivent l’information, même dans le cadre de notre processus démocratique, est importante. Je m’inquiète des expériences d’écoute confortable au cours desquelles nous écoutons des personnes qui nous ressemblent, qui parlent comme nous et qui font exactement la même chose que nous.

Vous nous avez dit plusieurs fois que vous n’aviez pas de données. Je suis certaine que vous ne parlez pas au nom de toute votre génération. Je suis une vieille de la génération X, et je ne parle pas au nom de nous tous.

Pourriez-vous formuler des commentaires sur le sentiment que le contenu canadien puisse perturber notre expérience d’écoute confortable? Je préférerais supposer que les jeunes Canadiens souhaitent entendre du contenu canadien et cherchent à en trouver. Cette question s’adresse à vous, monsieur Coletto.

[Français]

Pour M. Lavallée, votre point concernant le manque de transparence chez les plateformes, je l’ai bien compris. Si vous pouviez commenter sur le fait que — moi, j’aime le hip-hop, c’est vrai, donc moi, dans mes espaces, c’est ce qu’on m’offre parce que je préfère cette musique. Est-ce qu’il n’est pas déjà possible de m’offrir du hip-hop canadien? Avec les algorithmes, il me semble que les plateformes sont déjà assez sophistiquées pour me donner tout cela. Pourriez-vous donner vos commentaires là-dessus? On semble nous dire que c’est trop compliqué et que cela sera trop lourd de gérer le contenu canadien. Voilà ma question pour vous.

[Traduction]

M. Coletto : C’est une excellente question. Laissez-moi vous raconter une petite anecdote personnelle, car j’aime toujours quand les anecdotes rejoignent les données. Il y a quelques années, des tornades ont frappé Ottawa, et une vie a été perdue dans la partie ouest de la ville. J’étais ici et, heureusement, ma famille n’a pas été touchée. Ma sœur, qui a cinq ans de moins que moi, vit dans la région de Toronto. Je crois que les tornades ont eu lieu un vendredi, et le lundi, elle m’a envoyé un message texte qui disait : « Salut David, comment vas-tu? Je viens d’apprendre qu’il y a eu des tornades. Tout va bien? » Et j’ai répondu : « Merci, Stephanie. Tout va bien. Nous avons eu de la chance, beaucoup de chance, et nous n’avons perdu l’électricité que pendant quelques heures. » J’ai, alors, enfilé ma casquette de chercheur et je lui ai demandé : « Pourquoi as-tu mis quatre jours pour me contacter? Nous sommes assez proches. » Elle a 30 ans, elle est mariée et elle a des enfants. C’est une adulte, à tous points de vue. Elle a répondu : « Je ne suis abonnée à aucun journal. Je n’ai aucune application sur mon appareil qui aurait pu me prévenir. Je n’écoute pas la radio. Je n’ai pas parlé à maman cette fin de semaine, et tu n’as rien publié sur les médias sociaux. Alors, comment aurais-je pu en entendre parler? »

Votre remarque est donc importante. Malgré notre degré de connexion, nous avons tous la possibilité de nous isoler du monde et des choses qui nous plaisent ou non, et je crois que nous devons réfléchir à ce point. Mais je pense aussi que nous devons nous pencher sur la manière dont un utilisateur va rechercher certains contenus, sur le processus qu’il suit pour le faire. Le fait qu’on lui impose ou qu’on lui montre un contenu ne signifie pas nécessairement qu’il va le consommer.

D’un autre côté, si on ne lui montre pas ce contenu, il ne le verra peut-être jamais. Nous devons donc trouver un équilibre entre la nécessité d’exposer les gens à des choses dont ils ne connaissent peut-être même pas l’existence et celle de faire en sorte que l’expérience de l’utilisateur réponde à ses besoins, soit pratique pour lui et lui procure le contenu qu’il recherche.

La sénatrice Clement : Merci pour votre réponse, monsieur Lavallée.

[Français]

M. Lavallée : Merci beaucoup. Il y a plusieurs choses. La transparence et la difficulté pour les plateformes de faire découvrir de nouveaux produits — et j’aimerais poursuivre sur ce que M. Coletto vient de dire —, c’est un mot magique : la découvrabilité. Quand vous dites qu’on risque de perturber l’écoute confortable que l’on a actuellement et les habitudes que l’on a aujourd’hui — par exemple, une plateforme actuelle qui est québécoise que je ne nommerai pas. Moi, j’aime le jazz, comme style de musique. Il y avait cette page unique où il y avait du jazz. Voici tous les artistes de jazz canadiens et québécois. Je ne connaissais pas plus des trois quarts de ces derniers, puisque les Spotify et les Apple Music m’amènent presque essentiellement aux artistes américains. Pour moi, dans ce style musical, cela a été une grande découverte et cela a été très agréable, parce que quand on aime un style de musique, oui, on a des préférences quant aux artistes, mais c’est la musique qui nous retient premièrement.

Tout cela pour dire que cette découvrabilité, à mon avis, ne perturbera pas l’expérience du consommateur, mais au contraire, elle va l’enrichir pour lui permettre d’être exposé à autre chose que ce à quoi il est déjà actuellement exposé sans même le savoir. C’est un élément très important. Le manque de transparence est quelque chose qu’on ne répète pas assez.

Rapidement, pour répondre à la deuxième partie de la question, vous demandez si les plateformes sont en mesure de faire cela. Je vais répondre indirectement. Dans les années 2005, j’ai fait partie de l’équipe qui a exigé pour la première fois, qui s’est présentée devant un tribunal spécialisé, la Commission du droit d’auteur pour pouvoir imposer des tarifs concernant les services de musique en ligne. On était tout au début, c’était Apple qui permettait des téléchargements. Comme société de gestion, nous exigions des rapports de redevances. Les opposants, donc les services de musique en ligne, nous disaient que c’était impossible, qu’ils n’avaient pas cette information, que cela allait briser leur innovation, de demander à d’autres personnes, que c’était à nous de le faire, que leurs systèmes n’étaient pas tenus de le faire, qu’ils ne seraient jamais capables. On a démontré l’importance d’avoir ces informations pour pouvoir répartir équitablement les redevances à nos membres.

Parcourons 10 ans dans le temps. Aujourd’hui, c’est la norme. Aujourd’hui, tous les services de musique en ligne nous remettent lesdits rapports. Ce sont même des formats électroniques sur lesquels on s’est entendus, nos machines se parlent mutuellement, il y a du jumelage qui se fait. Pour reprendre la toute première question posée, cela vient enrichir nos bases de données qui se peuplent de plus en plus grâce à cet échange de données qui se fait entre systèmes. C’est intéressant aujourd’hui de dire que la machine va briser alors que la machine ne brise pas, et quant à moi, cela envoie le message selon lequel l’autoréglementation ne marche pas et une réglementation est nécessaire.

La sénatrice Clement : Merci.

[Traduction]

La sénatrice Sorensen : Je reviens sur les commentaires du président et du sénateur Manning au sujet de la recherche sur le projet de loi C-11, mais je vais maintenant parler de la recherche en général. J’ai été mairesse, alors pour moi, ce sont les données qui priment, plutôt que le contenu. Les êtres humains pensent que leur perception est la réalité. Dans le cadre de votre travail, comment mesurez-vous réellement et honnêtement — et je ne veux pas critiquer le secteur; je suis simplement très curieuse — l’exactitude et peut-être l’efficacité des données que vous recueillez sur la base des questions que vous posez, alors que les réponses sont souvent basées sur la perception des personnes et non sur la réalité?

M. Coletto : C’est une excellente question, madame la sénatrice.

Je dis toujours que je ne vis pas dans le monde de la réalité quand je travaille. Je vis dans le monde de la perception, car la perception dicte dans une large mesure les comportements. Je donne toujours l’exemple suivant : si j’allume la radio et que la météo annonce qu’il fait froid, je m’habille en conséquence, mais si je sors et qu’il fait 40 degrés, je vais être contrarié parce que ma perception ne correspondait pas à la réalité.

En tant que chercheurs, nous comprenons implicitement que, selon la question et le sujet que nous voulons étudier, nous devons essayer de comprendre la différence entre ce que les gens pensent qu’il se passe et ce qu’il se passe réellement. Cette constatation est probablement plus vraie aujourd’hui qu’elle ne l’a été depuis longtemps. Le fossé se creuse — nous l’avons constaté tout au long de la pandémie — entre ce que les gens croient être la vérité et ce qui l’est réellement.

Pour comprendre ces perceptions, dans le cadre d’un vaste débat sur les politiques publiques, j’ai constaté au fil des ans que le grand public, sans égards aux clivages politiques, régionaux ou démographiques, se soucie beaucoup de ce qu’il pense être le motif des décisions prises ici à Ottawa, dans les capitales provinciales ou dans les municipalités. Ce fait influe sur leur perception. L’un des risques de toute politique publique est que si les consommateurs et les citoyens en général pensent que les motifs de l’adoption d’un texte législatif particulier ou de la prise d’une décision par le gouvernement sont erronés, ils peuvent réagir en conséquence.

En définitive, si l’on examine le comportement des consommateurs dans le contexte de la diffusion en continu et du monde en ligne, le fossé entre la perception et la réalité n’est pas si large. Les gens comprennent bien ce qu’ils veulent, et si vous utilisez régulièrement cette technologie, je pense que vous vous y habituez.

La sénatrice Sorensen : Merci.

Le président : Je sais que dans la réponse à une question que j’ai posée au début, monsieur Coletto, vous avez mentionné que YouTube était l’un de vos clients et que vous aviez effectué des recherches de données pour cette entreprise. Ils ont comparu devant le comité. Je vais prier le greffier de communiquer avec eux, et de leur demander de transmettre ces données au comité. Elles nous seraient utiles.

La sénatrice Dasko : Par souci de transparence, je tiens à préciser que j’ai été invitée à participer au podcast de M. Coletto. Nous n’avons pas parlé du projet de loi C-11.

Je voudrais dire un mot en faveur des enfants du baby boom, car nous sommes toujours là. Les plus âgés ont environ 75 ans et les plus jeunes sont au milieu de la cinquantaine. Nous sommes la grande génération, une génération qui compte énormément au Canada et au sein de la société canadienne. Bref, il s’agit là de mon commentaire éditorial.

J’ai une question d’ordre général à vous poser. Je vais d’abord citer quelques données d’un sondage réalisé par l’un de vos concurrents, qui était jadis également le mien. Nanos Research a réalisé un sondage pour le Globe and Mail, et leur rapport indique que deux Canadiens sur trois sont favorables à ce que les services de diffusion en continu soutiennent financièrement la création de contenu canadien, de la même manière que les diffuseurs canadiens soutiennent le contenu canadien. Ce n’est qu’un aspect mineur du projet de loi C-11; il y a bien sûr beaucoup d’autres aspects de ce projet de loi, mais c’est un prélude à la question que je veux poser.

Je veux vous poser une question générale de haut niveau. Beaucoup de témoins sont venus nous parler du contenu canadien, parfois de manière un peu désobligeante, surtout en ce qui concerne la réglementation de ce contenu. Notre pays a bien sûr vécu avec des règlements pendant des décennies et il introduit également une forme de contenu dans le projet de loi C-11 à mesure que nous progressons relativement à la question de la découvrabilité.

Étant donné que vous avez observé les consommateurs canadiens au fil des ans — et vous pourrez répondre à cette question comme vous le souhaitez —, comment ont-ils, selon vous, réagi à tout le contenu canadien — les règlements, le contenu canadien — que nous avons eu? C’est une question très vaste. Elle est très générale. Vous pouvez y répondre comme vous le souhaitez.

M. Coletto : Merci pour votre question.

Encore une fois, sans disposer de données claires et récentes sur lesquelles m’appuyer, ma réponse comportera deux volets. Tout d’abord, les Canadiens sont profondément fiers du contenu qui est créé et nous entendons de belles histoires à propos de la mondialisation de ce contenu. Pensez aux comédiens extraordinaires que le Canada a produits. Les Canadiens en sont très fiers. En revanche, ils ne connaissent probablement pas beaucoup de contenu canadien.

J’hésite à répondre, car j’aime toujours pouvoir dire que je peux vous donner un chiffre, madame la sénatrice, et dans ce cas-ci, je n’en ai pas.

L’une des choses qui me fascinent est le fossé entre les générations. Je pense à ma mère, qui fait partie des enfants du baby boom, dont vous avez parlé, et qui a grandi dans un monde où ce contenu était régulièrement disponible. Elle passe désormais beaucoup plus de temps sur son appareil mobile, à regarder en continu des heures de vidéos de crochet et de tricot et des vlogs. Je suis allé lui rendre visite il y a quelques semaines. J’étais assis dans la salle familiale, mon père regardait la télévision et ma mère était sur son iPad. Je lui ai demandé ce qu’elle regardait. Elle a dit qu’elle regardait un vlog. Je ne pouvais pas croire que ma mère utilise le mot « vlog ». Puis elle a décrit comment elle l’avait trouvé et comment elle avait trouvé le suivant.

Je ne sais pas si le contenu était canadien, honnêtement, je ne le lui ai pas demandé. Mais pour elle, je ne sais pas si cela aurait de l’importance tant qu’il s’agissait d’un contenu qu’elle voulait voir et qui répondait à un besoin. Serait-il préférable qu’il s’agisse de contenu canadien? Je vous laisse le soin d’en décider, mais, au bout du compte, les consommateurs veulent obtenir la meilleure version de ce qu’ils recherchent à un prix abordable. J’estime que c’est le principe qui guide les recherches que j’ai observées dans d’autres secteurs.

Le sénateur Richards : Monsieur Lavallée, merci d’être présent.

J’ai entendu dire que Spotify verse environ deux tiers de ses revenus musicaux aux ayants droit, soit 8,5 fois plus que la radio et 30 fois plus que les diffuseurs de vidéos musicales. Cela représente donc plus de 8,9 milliards de dollars. Ils font un peu plus que ce qui a pu être suggéré ici plus tôt ce matin.

[Français]

M. Lavallée : Voulez-vous que je commente cette affirmation?

[Traduction]

Le sénateur Richards : Oui, s’il vous plaît, j’aimerais que vous fassiez un commentaire à ce sujet. J’aurai ensuite une brève question complémentaire.

[Français]

M. Lavallée : Je vous remercie pour cette question. Il est normal que les revenus numériques en général, dont ceux de Spotify, augmentent. Comme on l’a mentionné, les revenus numériques deviennent la source de consommation principale. Ces revenus dépasseront bientôt les sources de revenus traditionnelles. Donc, il est normal que les revenus augmentent. Le problème n’est pas l’augmentation des revenus, mais plutôt la portion qui revient aux Canadiens.

Dans les revenus dont vous faites mention, on constate qu’une immense portion s’en va à l’étranger et dans une beaucoup plus grande proportion que dans le monde traditionnel. Dans le domaine traditionnel, 0,34 $ arrivait dans les poches des ayants droit canadiens; toutefois, dans le domaine numérique, au-delà du fait qu’il y a plus de revenus et que les revenus augmentent exponentiellement, ce montant n’est que de 0,10 $.

Donc, le projet de loi C-11 permettra un retour vers l’équilibre pour que les ayants droit canadiens et canadiennes puissent en profiter davantage.

[Traduction]

Le sénateur Richards : Je ne sais pas si on pourra répondre à ma question complémentaire, mais je la pose quand même. Pensez-vous qu’Anne Murray, Neil Young, Joni Mitchell, Gordon Lightfoot, Leonard Cohen, Drake, The Band, Robert Goulet ou Paul Anka seraient considérés comme des artistes canadiens? Ils sont assurément des artistes canadiens. D’une manière ou d’une autre, ils ont tous dû se rendre aux États-Unis pour être reconnus comme ils le sont aujourd’hui. Considérez-vous ces personnes comme des artistes canadiens ou américains? Comment cela fonctionne-t-il avec le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, ou CRTC, et la nouvelle refonte de notre politique?

[Français]

M. Lavallée : Je ne suis malheureusement pas en mesure de répondre à cela. Ce qu’il faut, c’est ouvrir la voie en adoptant ce projet de loi sans amendements et le plus rapidement possible afin que le CRTC et les parties concernées — dans un processus pleinement transparent et démocratique — puissent répondre de façon précise à cette question.

[Traduction]

Le sénateur Richards : Merci.

Le président : Merci, sénateur Richards. Excellent groupe de témoins.

[Français]

Le président : Je remercie nos témoins pour leur participation.

[Traduction]

Notre temps est malheureusement écoulé.

Honorables collègues, pour notre deuxième groupe de témoins, nous sommes très heureux d’avoir avec nous, à titre personnel, David Bussières, chanteur et producteur, qui nous rejoint par vidéoconférence, et de l’Association des documentaristes du Canada, Sarah Spring, directrice générale, qui nous rejoint également par vidéoconférence. Du Fonds des médias du Canada, nous accueillons Valerie Creighton, présidente et chef de la direction, et Mathieu Chantelois, premier vice-président, Marketing et affaires publiques. Bienvenue, et merci de vous joindre à nous. Chacun d’entre vous, monsieur Bussières, madame Spring et madame Creighton, disposera de cinq minutes pour se présenter. Nous passerons ensuite aux questions et réponses.

[Français]

Monsieur Bussières, la parole est à vous.

David Bussières, chanteur et producteur, à titre personnel : Monsieur le président, chers membres du Comité, je vous remercie de m’avoir invité à témoigner aujourd’hui et de l’attention que vous portez à la situation des artistes du secteur musical.

Je suis auteur-compositeur-interprète, également artiste producteur au sein de la formation Alfa Rococo, un duo de musique pop-rock francophone de Montréal. Nous sommes actifs depuis 2007, nous avons quatre albums à notre actif, bientôt un cinquième, qui se sont vendus à plus de 75 000 exemplaires et qui ont généré plus de 5 millions d’écoutes en ligne, et qui comprennent plusieurs extraits qui ont été des succès à la radio, dont quatre numéros 1 sur les palmarès québécois.

Parallèlement à mes activités artistiques, je suis également membre des conseils d’administration de l’Union des artistes, de la SOCAN et d’Artisti. Je suis également le porte-parole du RAM, le Regroupement des artisans de la musique, une organisation qui compte plus de 900 adhérents et que j’ai fondée en 2016 pour permettre aux artisans du secteur musical de s’exprimer d’une voix unie afin de définir un modèle économique plus équitable pour les artistes.

Comme nous le savons tous, les plateformes de musique en ligne détenues par de grandes compagnies étrangères sont une innovation importante qui a connu une croissance explosive au cours des dernières années. Elles utilisent une technologie de rupture d’une puissance incroyable et elles ont des avantages indéniables par rapport aux technologies qui les ont précédées. Qui ne voudrait pas avoir la musicothèque entière de la planète au bout de ses doigts pour une quinzaine de dollars par mois, et même dans certains cas, gratuitement?

Malheureusement, l’explosion de ce système de diffusion ne profite pas aux artistes canadiens, et encore moins aux artistes québécois et francophones de tout le pays. À ce titre, voici trois statistiques qui démontrent à quel point les artistes d’ici ne profitent pas de ces plateformes.

Premièrement, comme l’a dit M. Lavallée précédemment, seulement 10 % des sommes recouvrées au Canada par la SOCAN en provenance des diffuseurs numériques sont versées à des auteurs et compositeurs canadiens; le reste va à l’étranger.

Deuxièmement, la part de marché des artistes québécois sur les disques vendus a toujours avoisiné les 50 % au cours des dernières décennies, et leur part de marché sur les plateformes de musique en ligne est aujourd’hui de 8 %, soit une baisse de 84 %.

Troisièmement, pour chaque dollar provenant des diffuseurs traditionnels de télévision et de radio, environ 0,074 $ va aux auteurs-compositeurs francophones. Sur les plateformes de musique en ligne, ces mêmes auteurs-compositeurs reçoivent 0,018 $ par dollar généré, soit une baisse de 75 %.

Face à ces données plutôt choquantes, on peut se poser la question à savoir comment nous en sommes arrivés là. La réponse qui fait l’unanimité parmi les associations musicales au pays, c’est que le public canadien, en particulier les francophones, n’est pas assez exposé à sa musique locale. On ne peut donc pas la découvrir et l’apprécier à sa juste valeur, et les géants du Web qui gèrent les plateformes de musique en ligne, en fonction de leurs propres intérêts, ne voient aucun avantage à recommander et à mettre en valeur notre musique. Ils y vont donc de recommandations algorithmiques de musique à succès internationale, créant ainsi une chambre d’écho pour les auditeurs dans laquelle, malheureusement, les artistes d’ici peinent à s’immiscer.

Afin de pallier ce manque à gagner, le projet de loi C-11 doit être adopté afin que le CRTC puisse imposer son cadre réglementaire pour faire en sorte que les deux aspects suivants soient mis de l’avant.

Premièrement, que les services de musique en ligne, tout comme les diffuseurs traditionnels, contribuent à la création de la musique d’ici en participant à des programmes de soutien financier qui aident à favoriser la création par l’entremise de Musicaction pour la musique francophone et de Factor pour la musique anglophone. Soutenir les créateurs d’ici signifie qu’ils pourront avoir les moyens de continuer de produire du contenu de qualité et aussi les moyens de commercialiser leur musique afin de s’assurer de joindre et agrandir leur public.

Deuxièmement, que les services de musique en ligne, comme le font les diffuseurs traditionnels, participent à la promotion de la musique d’ici sur leurs plateformes. Le contenu canadien et québécois doit continuer à occuper une place de choix pour le public d’ici sur les plateformes de diffusion en continu. Quand ces plateformes poussent ou recommandent du contenu vers les utilisateurs, une portion de ce contenu doit être canadien, québécois, francophone, afin de favoriser la découvrabilité de nos artistes.

En somme, je suis ici pour dire que le public canadien, le public québécois, aime sa musique locale, mais on ne peut aimer que ce à quoi on est exposé. Il est du devoir des diffuseurs qui bénéficient d’un accès sans entrave à nos auditoires de faire en sorte que les citoyens canadiens puissent entendre leur musique sur les plateformes.

On doit agir maintenant et faire adopter ce projet de loi, car plus le temps passe, plus l’hégémonie de ce grand oligopole de la Big Tech fait en sorte que le public s’éloigne de la musique locale et en fin de compte, c’est la survie de notre identité culturelle qui est en jeu, avec toute la diversité qui la caractérise, les particularités qui la caractérisent, et le fait qu’elle abrite les seules communautés francophones en Amérique.

Merci de votre attention. Je serai heureux de répondre à vos questions.

Le président : Merci, monsieur Bussières.

Madame Spring, à vous la parole.

[Traduction]

Sarah Spring, directrice générale, Association des documentaristes du Canada : Merci, monsieur le président et membres du comité, de m’avoir invitée à comparaître aujourd’hui dans le cadre de l’étude préalable du projet de loi C-11.

L’Association des documentaristes du Canada est le porte-parole collectif de nos créateurs de documentaires indépendants depuis 1983, et nous représentons 1 000 membres répartis dans six sections à travers le pays.

L’Association des documentaristes du Canada soutient l’adoption du projet de loi C-11. Cette importante législation est nécessaire et urgente pour garantir que notre secteur et les créateurs canadiens, y compris les documentaristes, puissent continuer de se développer et de prospérer dans un système de radiodiffusion moderne.

Le documentaire est un outil puissant pour atteindre nos objectifs culturels, économiques et sociaux, car il constitue une porte d’entrée. Pour de nombreux créateurs, le documentaire est leur premier point d’entrée dans la réalisation de films. Il est plus accessible à un plus grand nombre de créateurs issus de milieux socioéconomiques différents. Les cinéastes qui n’ont pas accès à une fortune personnelle ou héritée, ou à un réseau privilégié peuvent financer et financer provisoirement leurs productions. Le documentaire est plus accessible aux cinéastes qui se heurtent à des barrières historiques à l’entrée dans le domaine enracinées dans le racisme systémique, le colonialisme ou d’autres formes d’oppression. Près de la moitié des 1 000 membres de l’Association des documentaristes du Canada s’identifient comme autochtones, noirs ou racisés.

Les documentaristes sont aussi, par définition, des producteurs indépendants qui créent des petites et moyennes entreprises solides.

Le documentaire est également le champion des histoires et des conteurs canadiens. Les films documentaires canadiens sont constamment célébrés et vendus dans le monde entier. Ils mettent en lumière notre pays pendant des années après leur sortie initiale. Cette longévité est très importante pour assurer une forte empreinte de la culture canadienne dans le monde.

Cette année, la soumission officielle du Canada aux Oscars est un documentaire. Eternal Spring est non seulement le premier documentaire à être ainsi honoré, mais il est aussi le premier film en mandarin et le premier long métrage d’animation que le Canada soumettra aux Oscars. Il constitue un bon exemple de la raison pour laquelle les documentaires sont un outil clé pour montrer de façon authentique qui sont les Canadiens dans toute leur diversité.

De nombreux documentaires portent sur la famille et la communauté et montrent un point de vue typiquement canadien. Ensemble, ils représentent un acte évolutif de co-création de l’identité canadienne.

Si je vous dis cela, c’est parce que si les documentaires n’ont jamais été aussi populaires, le nombre de documentaires financés par nos systèmes de financement traditionnels diminue chaque année. Sans réglementation, ce secteur est en danger. Il s’agit d’un secteur de professionnels, dotés de compétences spécialisées dans la recherche, le tournage et le montage de films documentaires, qui sont tous ancrés dans les préoccupations éthiques et pratiques de la manière de raconter leur propre histoire et celle d’autrui.

Non seulement le projet de loi C-11 entraîne un financement accru du contenu canadien, mais nous avons bon espoir que des amendements ciblés feront du projet de loi C-11 un outil efficace pour assurer l’équité et la viabilité d’un secteur qui sera enrichi par le travail de conteurs professionnels.

Documentaristes du Canada appuie les amendements proposés par certains de nos collègues qui ont déjà remis leur mémoire, plus particulièrement la proposition du Racial Equity Media Collective et du Bureau de l’écran des Noirs d’employer les mots « noir et racisé » partout dans le projet de loi; la proposition du Racial Equity Media Collective de recueillir des données fondées sur la race à titre d’élément clé pour assurer une politique d’équité efficace; la proposition de la Canadian Media Producers Association et de l’Association québécoise de la production médiatique relative au sous-alinéa 3(1)i)(v) pour veiller à ce que le secteur canadien de la production indépendante verse une contribution importante afin de soutenir le contenu médiatique indépendant créé par un large éventail de conteurs canadiens; ainsi que la proposition de la Coalition pour la diversité des expressions culturelles d’amender l’alinéa 3.1f) pour veiller à ce que les entreprises étrangères fassent appel au maximum aux ressources canadiennes, au même titre que les entreprises de radiodiffusion canadiennes et les services en ligne sont tenus de le faire dans la loi.

Les directives relatives à ce projet de loi seront cruciales. Le projet de loi C-11 aura besoin de directives claires qui indiquent que le documentaire est un outil clé dans l’atteinte des objectifs du projet de loi. Les nouvelles directives du gouvernement devraient accorder une priorité manifeste au soutien du documentaire comme programme indépendant d’intérêt national et présenter le documentaire comme un genre clé qui contribuera à atteindre les objectifs d’équité et d’inclusion de la loi.

Dans notre élaboration de ce système moderne de radiodiffusion, nous ne devons pas oublier pourquoi la loi a d’abord été rédigée, soit célébrer et cultiver la réussite commerciale du Canada tout en gardant à l’esprit que tout le contenu que nous avons créé durant nombre d’années alimente la nouvelle génération de conteurs en plus d’être intrinsèquement lié à une compréhension plus poussée du Canada et des Canadiens. Cette longévité est l’une des visées centrales de la loi.

Je vous remercie de votre temps et j’ai hâte de répondre à vos questions.

Le président : Merci infiniment. Madame Creighton, vous avez la parole.

Valerie Creighton, présidente et chef de la direction, Fonds des médias du Canada : Je vous remercie de votre invitation à témoigner devant vous aujourd’hui au sujet du projet de loi C-11. Je suis accompagnée de Mathieu Chantelois, notre premier vice-président, Marketing et affaires publiques.

Le Fonds des médias du Canada, ou FMC, a pour mandat de favoriser, de promouvoir et de financer le contenu canadien, sur toutes les plateformes audiovisuelles, des drames aux comédies, en passant par les documentaires, les émissions jeunesse, les jeux et applications sur mobile, la réalité virtuelle, la réalité amplifiée et les séries Web. À titre de plus important fonds de contenu au pays, le FMC est là pour soutenir le contenu canadien. Il est donc fortement en faveur de l’adoption du projet de loi C-11.

La modernisation du système de radiodiffusion canadien s’impose depuis longtemps. Le pays est riche en innovations et créativité, mais la désuétude de notre système empêche notre secteur de raconter ces histoires.

Le FMC a posé des gestes importants pour s’adapter. Il se transforme graduellement en un fonds plus souple, davantage axé sur le contenu ainsi que sur le contenu international multiplateforme pour veiller à ce que le contenu et la propriété intellectuelle d’origine canadienne connaissent du succès au pays comme à l’étranger. Les mesures législatives en vigueur limitent les outils à sa disposition et ses ressources vont en diminuant. Vu la baisse de ses revenus tirés de la câblodistribution, le FMC voit régresser sa capacité d’investir dans l’industrie qu’il sert.

Le projet de loi C-11 est la clé qui permettra d’accéder à de nouvelles possibilités qui consolideront l’avenir d’histoires canadiennes diffusées sur tous les écrans en français, en anglais, en langues autochtones et dans bien d’autres encore.

Fort d’une compréhension inégalée de l’industrie et de la confiance de longue date de cette dernière, le FCM est bien placé pour verser de nouvelles contributions financières résultant de l’application du projet de loi C-11. Notre fonds modernisé appuierait le contenu canadien distribué sur toutes les plateformes, y compris les services étrangers de diffusion en continu. Le FMC finance directement le contenu canadien et les entreprises canadiennes qui le produisent plutôt que les diffuseurs, les maisons d’édition ou les services de diffusion en continu qui en font la commande.

La définition de « contenu canadien » est l’une des questions fondamentales explorées ici. En plus de l’assurance d’un traitement juste, cette définition est l’aspect crucial de la modernisation du système de radiodiffusion. Ainsi, le FMC a récemment mis en œuvre des consultations qui encadrent des conversations à l’échelle de l’industrie sur la définition future de notre contenu national, incluant tous les intervenants, y compris ceux de communautés en quête de souveraineté ou sous-représentées. Ces conversations importantes feront jaillir des idées sur la façon de définir le « contenu canadien » et viendront soutenir les histoires provenant de chez nous. Elles se concluront par la publication d’un rapport sur ce que nous avons entendu en prévision du prochain examen des politiques du CRTC.

Vu la complexité de la tâche et la nécessité d’avoir un échange à bâtons rompus dans les mois à venir, nous estimons que le comité devrait se méfier des amendements qui pourraient donner au CRTC des directives implicites d’édulcorer la définition. Il est nécessaire de faire preuve de souplesse pour concevoir une définition qui répond aux aspirations d’une industrie nationale à la fois en croissance, dynamique et plus inclusive.

La place occupée par les créateurs de contenu numérique est une autre question controversée. Ces personnes forment la prochaine génération de créateurs de contenu canadiens et font partie d’un système de création de contenu solide. Le FMC investit dans ces créateurs par l’intermédiaire d’un volet expérimental et appuie du contenu incroyablement novateur destiné au public de contenu numérique.

C’est la capacité du Canada à définir son identité nationale par l’intermédiaire de sa création de contenu qui est en jeu. Les productions étrangères montrent une remarquable croissance de 212 %, tandis que les productions nationales ont décliné de 9 % au cours de la dernière décennie.

Les productions étrangères ont une importance capitale pour notre industrie. Les entreprises étrangères permettent souvent à notre contenu de profiter de ressources considérables et d’une diffusion planétaire. Les équipes et les créatifs du Canada qui travaillent pour ces productions en bénéficient beaucoup et les entreprises comme telles ont accès à du soutien financier par l’intermédiaire du système de crédits d’impôt.

Ce modèle s’avère très bénéfique pour le pays, mais les propriétaires, qui décident ultimement de la façon dont une histoire canadienne sera racontée, sont étrangers.

La production de contenu canadien profite également du soutien d’organismes comme le FMC et Téléfilm Canada, de même que du système de crédits d’impôt, si elle y est admissible. Plus la production nationale décline et moins il y a d’avantages pour celle-ci.

Nous voulons des partenariats productifs avec les entreprises étrangères au Canada par l’intermédiaire de leur production de services et de leurs investissements dans le contenu canadien. Nous attendons du projet de loi C-11 qu’il énonce de façon claire et précise la volonté de soutenir l’industrie nationale de production de contenu ainsi qu’un rééquilibrage financier permettant à l’identité, à la voix et aux innovations du Canada de continuer à joindre et à toucher un public international dans les histoires qui sont racontées.

Merci de votre attention. Nous serons heureux de répondre à vos questions.

Le président : Merci. Je vais lancer ce tour de questions. Ma question s’adresse aux représentants du Fonds des médias du Canada, mais tous les témoins peuvent y répondre.

Le fait que les plateformes de diffusion en continu devraient verser leur juste part au système culturel canadien est un thème récurrent de nos séances sur le projet de loi C-11 et son importance. Évidemment, nous avons également constaté que des sociétés comme Disney, NBC, Universal, Netflix, Paramount, Sony, Warner Borthers et Discovery ont dépensé plus de 5 milliards de dollars partout au pays en 2021. Cette somme représente plus de la moitié de toutes les productions au Canada et 90 % de la croissance de l’industrie au cours de la dernière décennie. C’est majeur.

Pourquoi croyez-vous que ces sociétés ne paient pas leur juste part? Combien de plus devraient-elles payer?

Je comprends que l’argument portera sur la propriété. On semble toujours en revenir à cela. Souvent, c’est à propos de la propriété et de la production canadienne, mais ce devrait aussi être à propos d’emplois de grande qualité ou d’artistes de grand talent au pays et ailleurs. Ces plateformes ont embauché ou formé plus de 200 000 travailleurs et 47 000 entreprises bénéficient de leurs investissements. Leur empreinte est bien plus grande que celle de CBC/Radio-Canada, par exemple.

J’aimerais obtenir vos commentaires sur ces faits tels que présentés à ce comité au cours des dernières semaines.

Mme Creighton : Merci pour cette question, monsieur le président. Oui, vous avez raison, tous vos points sont valides. C’est pour cette raison que nous croyons que l’activité économique qu’apportent les entreprises étrangères au pays est cruciale. Elle crée des emplois et garde l’industrie bourdonnante d’activité.

Vous avez raison : il y a une différence entre la production de services et la propriété. Permettez-moi de vous donner un exemple tiré d’un autre secteur. J’ai le privilège de vivre en Saskatchewan où je possède et j’exploite un élevage de chevaux. Mon neveu est mon entraîneur, mais il influence les décisions prises par rapport aux bêtes qu’il entraîne. Il participe également à des compétitions. Comme vous pouvez l’imaginer, mon succès n’est pas retentissant dans le secteur professionnel de la capture au lasso au Canada. Cela dit, quand mon neveu participe à une compétition avec mes chevaux, je suis payée. J’en tire quelque chose. Dans ce cas, je partage avec lui les profits moitié-moitié, mais quand ce cheval a besoin d’une échographie, que ses dents sont flottantes ou qu’il a besoin de soins vétérinaires, je prends ces décisions en me fondant sur les conseils de mon neveu. Quand il a été nécessaire d’euthanasier le cheval, c’est moi qui ai pris cette décision douloureuse.

Il en va de même pour le contenu. Quand vous le faites pour quelqu’un d’autre, vous servez quelqu’un d’autre. Comme vous l’avez dit, l’équipe, le talent et tous ces éléments nécessaires à une production étrangère sont cruciaux. Ils doivent être célébrés et reconnus. La différence réside dans le fait que, si quelque chose ne se passe pas comme prévu, si vous n’aimez pas la façon dont l’émission se termine, par exemple...

Récemment, Neal McDougall, de la Writers Guild of Canada, a déclaré que, si vous n’avez pas aimé la façon dont la série Le trône de fer s’est terminée, ce n’est pas au créateur des costumes que vous allez vous en prendre, mais à l’auteur. Vous allez vous en prendre aux personnes qui ont eu une incidence directe sur les décisions prises par rapport à la façon de raconter l’histoire.

Il y a deux points importants ici : il nous paraît discutable de désigner comme contenu véritablement canadien la production de services, c’est-à-dire tout ce contenu que vous avez mentionné, les milliards que vous avez cités. Il s’agit de contenu crucial pour le pays. Il s’agit de contenu crucial pour l’industrie. Comme vous l’avez dit, il contribue énormément à l’offre d’emplois bien rémunérés.

Je crois que certains des chiffres fournis comprennent plus que les productions américaines uniquement. Ils comprennent aussi la production européenne de contenu, tous les services étrangers en fait. Si l’on doit qualifier cela de canadien, le véritable problème vient du fait que la décision finale revient aux propriétaires de ce contenu, qui sont étrangers.

J’ai eu le privilège de voir un épisode d’une partie de ce contenu. C’est une histoire canadienne. La grande majorité de l’équipe est canadienne. Quand j’ai entendu les commentaires, je regardais un épisode qui n’avait pas encore été diffusé. C’était un premier montage. Dans ses commentaires, l’entité étrangère à qui appartient cette production a été généreuse. Toutefois, si la production avait connu des pépins et qu’un million de dollars de plus avaient été nécessaires, la décision n’aurait pas été prise par l’assistant réalisateur, mais bien par le propriétaire, puisqu’il a le contrôle des droits en échange des risques associés au financement.

Le problème est donc le suivant : si nous continuons de voir la production étrangère de services comme entièrement canadienne, tous les droits sont détenus par des sociétés étrangères et les revenus appartenant en majorité à cette production sortent du pays. Nos producteurs et créateurs de contenu deviennent une industrie de services pour les sociétés étrangères. Il faut trouver un juste équilibre. Ce ne peut pas être tout un ou tout l’autre.

Le président : Merci pour votre réponse. Il ne me reste que quelques secondes, mais je n’arrive pas à saisir cet argument. Je vais utiliser une analogie sportive. Si vous dites aux joueurs de hockey canadiens, et nous en avons un grand nombre dans ce pays, qu’ils ne peuvent jouer que pour des équipes de la LNH dont les propriétaires exploitants sont des Canadiens, ici, au Canada, que ferons-nous de tout le talent canadien? Mes exemples datent parce que je ne suis pas une jeunesse, mais Wayne Gretzky, Mario Lemieux et Bobby Orr ont gagné des millions de dollars en jouant pour des organisations américaines. Sont-ils moins Canadiens pour autant? Ne portaient-ils pas les couleurs du Canada aux Jeux olympiques? Devrait-on les considérer comme moins Canadiens parce qu’ils ont permis aux Kings de Los Angeles, aux Bruins de Boston ou aux Pingouins de Pittsburgh de faire de l’argent? Malheureusement, j’ai dépassé les cinq minutes prévues. J’espère pouvoir obtenir une réponse à ma question au deuxième tour.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Ma question s’adresse à M. Bussières. Vous faites partie d’un groupe très populaire, un groupe francophone, Alfa Rococo. Je comprends que vous préparez votre cinquième disque. Vous êtes pour la découvrabilité telle qu’elle est prévue dans le projet de loi C-11. Inversement, Fred Bastien, youtubeur francophone, qu’on a entendu aussi, qui fait de la vidéo plutôt que de la musique, est tout à fait contre l’idée qu’on impose ces vidéos à un public québécois. Il dit que si on l’impose en lecture et qu’on ne l’aime pas, il va descendre dans la priorité des algorithmes. Je parle ici des algorithmes de YouTube, mais ce n’est pas le seul.

J’aimerais comprendre comment deux créateurs québécois peuvent avoir une opinion aussi opposée sur cette question de la découvrabilité, de ses forces et de ses faiblesses.

M. Bussières : J’ai effectivement entendu le témoignage de M. Bastien, qui était très bon, d’ailleurs. Par contre, cet aspect de son allocution a créée une petite commotion dans le domaine de la musique, car nous sommes pour la découvrabilité. D’ailleurs, au Québec, le CRTC impose un quota aux radiodiffuseurs de 65 % aux heures de grande écoute, qui n’est malheureusement pas respecté. Il n’est respecté qu’à 50 %, selon les derniers chiffres de l’ADISQ. C’est prouvé que ces quotas ont fait découvrir et aimer la musique au public québécois. Cela a fait découvrir plein de nouveaux artistes, et il y a toute une série de conséquences qui s’ensuit : les gens achètent des billets et vont voir les spectacles; il y a une présence de ces artistes dans les grands festivals. Il y a une popularité qui est là à un point tel que, lorsqu’on est populaire dans son propre pays, on peut plus facilement s’exporter.

Comme je l’ai dit dans mon allocution, je considère que le public québécois, du moins, et le public canadien aussi, aime les référents culturels auxquels on renvoie lorsqu’on créé des œuvres musicales. Le public peut et veut adhérer à cela. Malheureusement, ce qui se passe aujourd’hui, c’est que le public n’est pas exposé à cela.

Je parle du secteur de la musique, ici. Le secteur des youtubeurs, je le connais peu, malheureusement. Je pense qu’on devrait adopter le projet de loi et s’il y a des distinctions à faire entre les différents secteurs, on laissera le CRTC décider ou tenir des audiences publiques pour régler cela.

La sénatrice Miville-Dechêne : Vous êtes youtubeur vous-même à travers Alfa Rococo. Vous avez une chaîne musicale, vous voyez le résultat des algorithmes. Le marché québécois de la radio dont vous parlez, c’est un marché captif, dans un sens. Je ne dis pas que je suis contre ou pour, mais lorsqu’on écoute la radio maintenant, cela a changé complètement. Ce sont des plateformes internationales. On ne connaît pas la recette des algorithmes, mais il est dit que si on rejette ladite chanson — cela pourrait être le cas pour Alfa Rococo — vous descendez dans les recommandations. Votre présence sur la scène internationale sera donc moins grande.

Est-ce que la différence, ici, est que vous êtes musicien et que Fred Bastien fait des contenus vidéo? Est-ce qu’on peut comprendre que les youtubeurs et la musique professionnelle sont différents sur YouTube?

M. Bussières : Vous dites que je suis un youtubeur, mais je ne me considère pas comme un youtubeur. Je ne connais pas la définition officielle de youtubeur.

C’est quelqu’un qui crée des vidéos sur des sujets donnés. Nous, en musique, on a souvent, — en fait, ce qui est présenté sur YouTube, c’est soit des vidéoclips, donc des œuvres d’art qui sont accolées à notre musique ou carrément juste une chanson avec une image de la pochette, par exemple. On fait beaucoup cela aujourd’hui. Donc, je ne suis pas sûr que c’est le même processus pour créer ladite œuvre.

Ensuite, on présume beaucoup que les gens n’aimeraient pas nos œuvres ou que si on présente nos œuvres, les gens diront : je n’aime pas ça, la musique québécoise. Je pense qu’on ne devrait pas présumer de cela. Comme je l’ai dit dans ma présentation, le public d’ici aime la musique et la chanson d’ici plus qu’il ne le pense, j’en suis convaincu.

J’ai fait référence aux quotas de la radio parce qu’il y a eu, par le passé, ces résultats : on a découvert plein d’artistes. Il y a plein d’artistes comme les Trois Accords, les Cowboys Fringants, des artistes majeurs qui font de grands festivals ici et ailleurs, à l’international, qui ont été découverts grâce à la radio. Oui, c’est une ancienne façon de faire et on est dans de nouveaux paradigmes, mais je pense qu’on peut avoir la même philosophie et faire découvrir nos artistes locaux au public d’ici pour l’agrandir à partir de ces prémisses.

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci beaucoup pour vos réponses très claires, monsieur Bussières.

[Traduction]

Le sénateur Klyne : Je souhaite la bienvenue aux témoins et les remercie pour leur déclaration liminaire.

J’ai trois questions qui s’adressent à Mme Creighton. Le Fonds des médias du Canada ratisse très large, puisque son mandat est de favoriser, de promouvoir et de financer le contenu canadien, sur toutes les plateformes audiovisuelles, des drames aux comédies, en passant par les documentaires, les émissions jeunesse, les jeux et applications sur mobile, la réalité virtuelle, la réalité amplifiée et les séries Web. En outre, le FMC est le plus important fonds de contenu au pays. On dit que le pays est riche en innovations et créativité, mais que la désuétude de notre système empêche notre secteur de raconter ces histoires. Nous sommes donc heureux d’apprendre que le FMC prend des mesures pour s’adapter et pour veiller à ce que le contenu et la propriété intellectuelle d’origine canadienne connaissent du succès au pays comme à l’étranger.

J’aimerais savoir comment on évalue les cotes d’écoute du contenu canadien. Bien que beaucoup de gens connaissent le système de classement Nielsen, qui mesure l’audience des émissions télévisées aux États-Unis, quel est l’équivalent de ce système au Canada? Que mesure-t-il? Est-ce que ce projet de loi nécessite une rectification quant à la façon dont nous mesurons l’audience du contenu canadien?

Mme Creighton : Merci pour votre question, sénateur Klyne. La mesure de l’audience est une question intéressante, car, en fin de compte, tout tourne autour du public. Peu importe qui ils sont, tous les créateurs veulent la même chose. Qu’ils travaillent à du contenu de longue ou de courte durée sur YouTube, ils veulent une bonne histoire, bien racontée, qui trouve son public.

Au FMC, nous sommes coincés dans un environnement où il se produit deux choses : d’abord, les créateurs et les producteurs qui viennent nous voir pour obtenir du soutien à partir de la majeure partie de nos fonds doivent encore avoir une licence de radiodiffusion. Comme vous le savez, nous ne vivons plus dans un monde strictement régi par les sociétés de radiodiffusion. Le public migre constamment vers les plateformes de diffusion en continu et d’autres sources pour accéder à du contenu.

Au Canada, nous utilisons Numeris, qui constitue la référence en raison de son système de vérification indépendante de la mesure de l’audience. Nous savons toutefois que nous ne mesurons pas quelque 30 % du contenu que nous finançons qui se trouve sur ces plateformes de diffusion en continu. C’est connu. Nous avons donc pris des mesures pour y remédier, et il s’agit de la première année d’une stratégie triennale de collecte d’information destinée à nous fournir les données qui nous aideront à mesurer le contenu que nous appuyons qui est déjà sur ces plateformes externes de diffusion en continu.

Je crois que cela répond en partie à votre question. Quelle en était la deuxième partie?

Le sénateur Klyne : Non, je me demandais simplement si nous devions faire davantage pour mesurer le contenu canadien.

Mme Creighton : Oui, nous devons en faire plus comme nation. Je ne crois pas que cela fasse partie du projet de loi. Une fois le projet de loi adopté et la réglementation en place au CRTC, nous aurons recours à la mesure de l’audience pour établir si ces mesures fonctionnent et si elles fonctionnent bien, de même que la façon dont le contenu migre et dont nous devons mesurer cela.

Le sénateur Klyne : Merci. Vous avez aussi dit que si les revenus du câble versés au Fonds des médias du Canada diminuent, il en va de même pour votre capacité à investir dans l’industrie que vous servez. Je crois qu’il a été mentionné que vos deux volets reçoivent plus de demandes qu’ils ne peuvent en prendre.

Mme Creighton : C’est exact.

Le sénateur Klyne : Ce projet de loi est-il normatif et fournit-il un remède dans sa forme actuelle? Faudrait-il y apporter certains ajustements?

Mme Creighton : Je pense que l’intention du projet de loi était simple au départ. Il s’agissait d’intégrer les diffuseurs en ligne au système et de faire en sorte qu’ils contribuent à la création de contenu canadien.

Ce qui s’est passé au cours des deux dernières années, c’est une polarisation extrême. Nous voilà maintenant dans une situation où il y a le « nous » d’un côté et le « eux » de l’autre. C’est le linéaire traditionnel ou le numérique; ce sont les sociétés étrangères qui font de la production de services par rapport aux sociétés canadiennes. C’est malheureux, car le système n’est pas comme cela. Les gens travaillent de part et d’autre du spectre. Nous ne demandons pas et nous ne laissons jamais entendre que nos joueurs de hockey canadiens devraient se limiter à jouer pour des équipes canadiennes. Ce serait ridicule. Non, le système ne fonctionne pas de cette façon. Les gens travaillent là où ils peuvent trouver un emploi. Parfois, c’est sur une production de service pour les diffuseurs en ligne, ce qui est fantastique. Parfois, c’est sur une émission indépendante, ce qui est également fantastique.

Je pense que le projet de loi doit se rappeler que c’était là son intention initiale et que, d’une manière ou d’une autre, nous nous sommes engagés dans ces débats sérieux et antagonistes. Je ne vous envie pas d’avoir eu à écouter tous les témoignages qui vous ont été présentés ces derniers temps sur la complexité et le dynamisme de cette industrie.

Bien sûr, nous nous concentrons sur les créateurs de contenu canadien. Les équipes qui travaillent sur les émissions étrangères diffusées en continu sont absolument canadiennes, tout comme les joueurs de hockey, cela ne fait aucun doute. Le problème, c’est qu’une fois que l’émission est réalisée, si nos entreprises canadiennes ne peuvent pas conserver une partie de leurs droits de propriété intellectuelle — et même pas cela; peu importe ce que vous possédez si vous ne pouvez pas le monétiser —, si les entreprises canadiennes ne peuvent pas monétiser ce contenu à l’extérieur du Canada, alors elles ne sont que des producteurs de services pour les entreprises étrangères. C’est la distinction qui doit être faite.

[Français]

Le sénateur Cormier : J’ai une question pour M. Bussières et Mme Creighton. Mes questions s’inscrivent dans l’objectif suivant de la Loi sur la radiodiffusion qui est de favoriser l’épanouissement de l’expression canadienne en proposant une très large programmation qui traduise des attitudes, des opinions, des idées, des valeurs et une créativité artistique canadiennes qui mettent en valeur des divertissements faisant appel à des artistes canadiens et qui fournissent de l’information et de l’analyse concernant le Canada et l’étranger, considérées d’un point de vue canadien.

C’est donc l’un des objectifs de la Loi sur la radiodiffusion. Mes questions sont dans cet esprit. Monsieur Bussières, je veux vous féliciter pour le travail que vous faites sur le plan artistique et sur le plan de votre travail pour les droits d’auteur. J’ai fortement apprécié vos vidéos au moment où nous étions en pandémie, cela a été une source de réjouissance pour moi et cela m’a aidé à traverser la pandémie. Je voudrais mieux comprendre les défis que vous rencontrez vous, avec votre chaîne YouTube. Comment rejoignez-vous votre public et quels sont les enjeux auxquels vous êtes confronté lorsque vous voulez joindre votre public sur le Web? J’aimerais mieux comprendre cela. Voilà ma question pour vous.

Ma question pour Mme Creighton est la suivante :

[Traduction]

Une grande partie du débat sur ce projet de loi a porté sur les répercussions potentielles que ces mesures allaient avoir sur les créateurs qui produisent du contenu qui doit être diffusé principalement sur des plateformes numériques et des médias sociaux. Est-ce un sujet que vous suivez? Le Fonds des médias du Canada fait-il du travail dans ce domaine? Certains témoins nous ont dit que le projet de loi C-11 demandera aux créateurs de cotiser à un fonds dont ils ne pourront pas bénéficier. En faites-vous la même lecture?

[Français]

M. Bussières : Merci beaucoup, sénateur Cormier, pour les commentaires. Je vais répondre en disant que vous savez qu’ici, au Canada, et particulièrement au Québec, d’un point de vue global, on est un petit marché, on est un marché de niche. Donc, le problème se situe à deux niveaux. Premièrement, vous savez que la rémunération, les redevances qu’on obtient en tant que créateur et interprète, sur les plateformes de musique en ligne, sont très petites. Cela concerne une autre loi qui est la Loi sur le droit d’auteur qui sera éventuellement, peut-être, modernisée et adaptée. C’est une chose.

L’autre chose qui nous concerne, ici, c’est qu’étant donné qu’on est un petit marché, on génère peu de rotation. Donc, peu de rotation à petit prix, c’est une catastrophe.

Le sénateur Cormier : Qu’est-ce que cela veut dire, peu de rotation?

M. Bussières : Comme l’a dit mon collègue, M. Lavallée, vous le savez, plus de 80 % du contenu est poussé vers l’utilisateur sur YouTube et il s’agit d’un contenu qui n’est majoritairement pas de la musique locale. On vise à stimuler l’adoption et les rotations, sur les plateformes de musique en ligne, de notre musique locale, pour que notre musique locale soit proposée et que les gens l’adoptent et l’écoutent davantage, donc pour qu’on ait plus de streams. C’est à cela que sert la découvrabilité. Si les gens nous découvrent, on réussit à entrer dans la chambre d’écho des gens. Comme je l’ai dit dans mon allocution, la chambre d’écho est le fonctionnement des plateformes de musique en ligne; elles t’offrent ce que tu écoutes. Plus tu écoutes quelque chose, plus on te propose cette chose-là. Il faut réussir à immiscer la musique locale, notre musique, dans cette chambre d’écho pour que les gens l’écoutent et qu’il y ait plus de cette musique qui leur soit proposée, dans le but d’avoir plus de rotation sur les services de musique en ligne, qui seront éventuellement payés davantage et qui réussiront à faire survivre notre écosystème.

[Traduction]

Mme Creighton : Nous ne nous contentons pas de suivre : nous finançons maintenant concrètement le contenu des créateurs d’abord numériques par le truchement des séries Web et du volet expérimental. Nous avons un partenariat avec le Shaw Rocket Fund pour les créateurs numériques d’animation. Une productrice a récemment déclaré que sans les 450 000 $ reçus de ce programme pour le développement, elle n’aurait jamais pu élaborer son contenu. Elle a dit que cela lui avait permis de se retrouver sur les plateformes numériques, certes, mais aussi que cela avait donné à son produit une force d’adhésion en raison du processus de développement robuste qu’elle avait été en mesure de mettre au point.

D’après ce que j’ai compris, et notre ministre l’a dit à plusieurs reprises, les créateurs de contenu numérique ne sont pas visés par le projet de loi. Les plateformes sont visées par le projet de loi au chapitre de la participation financière. C’est ainsi que je comprends la question que vous avez posée.

Nous travaillons également avec YouTube et TikTok. Nous avons eu des discussions préliminaires avec eux. Nous avons une chaîne sur YouTube appelée Encore+. Il s’agit d’un ancien catalogue de contenu créé il y a plusieurs années. La plateforme permet au contenu de ce catalogue d’avoir un succès plus étendu. YouTube a été un excellent partenaire.

Nous discutons actuellement avec YouTube et TikTok pour comprendre les besoins des créateurs numériques. Nombre d’entre eux mettent en ligne des milliers de réalisations, mais ces réalisations vont-elles retenir l’attention, rester et se pérenniser? Je crois qu’il s’agit d’enjeux dont il serait important de discuter, et nous cherchons des moyens de nous associer avec eux pour soutenir ces créateurs du numérique de façon plus soutenue.

La sénatrice Simons : J’ai une question sur la distribution que je voulais adresser à Mme Spring et à Mme Creighton.

Le film dont vous venez de parler, Eternal Spring, semble phénoménal. Je n’en ai entendu parler pour la première fois que lorsque vous l’avez mentionné, et pendant que vous parliez, je l’ai cherché dans Google. Maintenant, j’ai vraiment envie de le voir.

Voici le problème : les producteurs canadiens créent souvent de l’excellent contenu canadien. Ils ont de la difficulté à trouver des façons de le distribuer. Parfois, le contenu reste bloqué sur CBC Gem, que personne ne regarde, ce qui est navrant.

Que devons-nous faire pour nous assurer que le contenu canadien est effectivement regardé par les Canadiens?

Mme Spring : Merci de la question. C’est un enjeu de découvrabilité. Nous devons être enthousiastes à l’idée de la découvrabilité. Nous devons aider les créateurs canadiens à diffuser leur contenu au pays et de par le monde. Dans ce passage des heures de grande écoute à tout ce qui est offert en ligne, la crainte que nous avons, c’est de trouver une façon de nous assurer que nos histoires canadiennes hors du commun peuvent non seulement être découvertes, mais aussi résister à l’épreuve du temps. C’est ce dont je parlais lorsque j’évoquais la longévité. Nous voulons que ces films soient disponibles pendant des années parce que les gens s’y intéresseront pendant des années.

Nous devons adopter le projet de loi C-11, et nous devons avoir une conversation longue et sérieuse sur la découvrabilité et la façon d’aider les gens à accéder au contenu à long terme. C’est là que les directives politiques seront en place et que les conversations avec les parties prenantes seront vraiment essentielles. Il reste que la première chose à faire, c’est d’adopter le projet de loi C-11.

La sénatrice Simons : Je vous remercie.

Maintenant, je veux passer à Mme Creighton, parce qu’il me semble que ce n’est pas seulement une question de découvrabilité. Il vous faut quelqu’un qui va fournir la plateforme pour votre émission. Vous expliquiez comment le Fonds des médias du Canada fonctionne actuellement, mais vous ne pouvez avancer l’argent que si un producteur obtient une licence de radiodiffusion, et il n’y a que quatre diffuseurs principaux, en incluant APTN.

Il me semble que si nous ne mettons pas au point un système qui permettra aux grands diffuseurs internationaux d’accéder à notre contenu sur une base concurrentielle, nous allons condamner les cinéastes et les réalisateurs de télévision canadiens à voir leurs œuvres ghettoïsées par des diffuseurs canadiens qui ne leur offrent pas suffisamment d’occasions de les présenter.

Savez-vous comment il serait possible de créer un système qui permettrait de maximiser le financement pour que les gens qui produisent du contenu puissent effectivement le faire voir, qu’il s’agisse de passer par le Fonds des médias du Canada, Téléfilm, l’Office national du film, etc.? Pour dire vrai, les gens ne regardent pas ce contenu sur CTV ou Global.

Mme Creighton : La première chose à faire est de s’assurer qu’il existe des ressources pour créer ce contenu. Je ne suis pas particulièrement entichée du mot « découvrabilité ». Je sais quelle en est l’intention, mais si vous avez un développement fort et convaincant qui n’est pas limité par, disons, un horaire de diffusion, et que vous donnez aux créateurs suffisamment de temps et de ressources pour créer, ils auront une meilleure chance de percer le marché. Qu’il s’agisse de la CBC/Radio-Canada, de Gem, de Netflix, de Hulu ou d’une autre plateforme, le contenu aura plus de chances d’être repris, produit, financé et distribué dans le monde entier, c’est certain.

Nous sommes dans un secteur d’amplitude mondiale. Nous ne pouvons pas nous permettre de rester sur le 49e parallèle et de regarder vers le haut. DOC en est un bon exemple. Chaque semaine, des producteurs de documentaires m’appellent encore pour me dire : « Valérie, je suis 10 sur 10 selon le système de points actuel. Je suis un producteur canadien. Mon sujet est la rivière Churchill, cette rivière qui se trouve dans le nord du pays. Je ne peux pas obtenir de licence de diffusion au Canada parce qu’il s’agit d’une série documentaire ponctuelle de type POV, ou “point de vue”, mais ce n’est pas un problème. Il y a ZDF en Allemagne et la RTF en France. Pourquoi n’ai-je pas accès au Fonds des médias du Canada? » C’est une question parfaitement légitime et valable.

Ce qu’il faut, c’est de la souplesse. Il n’y a pas une seule et unique façon d’envisager ce système. Avant d’arriver à ce qu’il sera, nous devons avoir une discussion approfondie sur la définition du contenu et sur la manière de diffuser un bon contenu. Il n’y aura pas une seule réponse; il y aura différentes réponses pour différentes approches.

La sénatrice Simons : Je suis vraiment préoccupée. Ce n’est pas tant...

Le président : Malheureusement, nous n’avons plus de temps.

La sénatrice Simons : D’accord. Je vais garder mes préoccupations pour moi.

Le sénateur Manning : Merci. Ma question s’adresse à Mme Creighton.

Tout à l’heure, lorsqu’on vous a posé des questions sur la propriété, vous avez fait de grands commentaires sur le fait que la prise de décisions devait rester entre les mains des propriétaires du contenu et qu’il était important que ce soient les créateurs eux-mêmes. Cependant, dans le cadre du système actuel, l’organisation supervise un système où les créateurs de contenu comme Darcy Michael, un humoriste que nous avons entendu la semaine dernière, ne sont pas propriétaires du contenu qu’ils ont produit à la télévision conventionnelle. Il nous a dit que c’est Bell Media qui en est propriétaire. En revanche, il est propriétaire du contenu qu’il affiche en ligne.

Alors pourquoi ne préconisez-vous pas un système qui donne aux créateurs de contenu l’entière propriété de ce qu’ils créent, au lieu que ce soit Bell Media, Rogers ou quelqu’un d’autre qui l’ait? J’essaie de comprendre comment cela fonctionne.

Mme Creighton : Vous avez tout à fait raison. Beaucoup de diffuseurs se comportent maintenant comme des diffuseurs en ligne. Ils essaient d’obtenir tous les droits pour distribuer ce contenu, mais beaucoup d’entre eux ne distribuent pas en dehors du Canada.

Donc, encore une fois, nous avons besoin d’un système qui soit équitable, accessible à tous et équilibré. Cela ne signifie pas qu’une personne doit tout posséder ou que Bell doit tout posséder, bien que nous les Canadiens soyons tombés dans ce piège à bien des égards. En ce qui concerne la propriété du récit, l’important, c’est la question de la paternité. Qui est le créateur? Bell Média n’est pas le créateur. C’est cet individu qui est le créateur de cette propriété intellectuelle originale. Nous sommes donc d’avis que les créateurs ont besoin d’un espace protégé à l’intérieur de cet environnement pour qu’ils puissent continuer à créer ce contenu. Je ne dis pas que les diffuseurs ne créent pas de contenu. Ils en créent. Sauf que les producteurs indépendants, les auteurs indépendants, si vous voulez, apportent à ce système des voix diversifiées et des points de vue indépendants par rapport au mode de pensée des entreprises.

Si nous voulons continuer à avoir une création de contenu vraiment dynamique au Canada, nous avons besoin de tout cela. Nous avons besoin de différents modèles où parfois les diffuseurs ou les diffuseurs en ligne pourraient être propriétaires. Or, comme je l’ai dit, le contenu national diminue à l’heure actuelle et les productions étrangères sont en augmentation. Je pense qu’il faut un rééquilibrage. Il ne s’agit pas de choisir entre une voie ou l’autre, mais bien de viser l’amalgame.

Le sénateur Manning : Pensez-vous que cela se produira avec le projet de loi C-11? Dans ce cas particulier, l’artiste nous a dit la semaine dernière que Bell est propriétaire de son contenu à 100 %. Même lorsqu’il a essayé d’accéder à une partie de ce contenu, il n’a pas pu le faire parce que Bell en est propriétaire. Le projet de loi C-11 va-t-il lui donner la possibilité d’être propriétaire du contenu qu’il produit?

Mme Creighton : Eh bien, le projet de loi C-11 pourrait donner la possibilité de posséder une plus grande partie du contenu si le rôle de la communauté indépendante et du producteur canadien indépendant continue d’être important et reconnu dans la partie appropriée du projet de loi. Je pense que cette possibilité existe. Et laissez-moi vous dire que la même chose se produit souvent avec l’Office national du film, qui possède les droits sur le contenu qu’il produit. Souvent, les producteurs qui travaillent avec l’ONF ne peuvent pas récupérer leur contenu lorsqu’ils veulent l’exploiter ou si ce contenu suscite de l’intérêt quelque part au pays. Bref, notre système a besoin d’être modifié de plusieurs façons et à plusieurs égards.

Le sénateur Manning : Comment les fonds que votre organisme recueille sont-ils versés aux artistes et dans quelle proportion?

Mme Creighton : Notre fonds est principalement contrôlé en marge de notre pouvoir de décision. Qui reçoit le gros de cet argent est déterminé lorsque les radiodiffuseurs prennent une décision sur ce qu’ils veulent autoriser. Nous ne finançons pas le radiodiffuseur. Si un producteur a un contenu qu’il veut réaliser et diffuser dans le système canadien — qu’il s’agisse de CBC Gem ou de TOU.TV ou de n’importe quel autre diffuseur —, il doit nous présenter cette licence.

Nous restons vraiment en retrait de cette prise de décisions subjective. C’est le marché qui décide, le radiodiffuseur, en fin de compte. Une fois que le producteur a obtenu cette licence, il peut s’adresser à nous, et l’argent va dans la production. Il ne tombe pas entre les mains du radiodiffuseur. Il sert à financer cette production. Et, bien sûr, à cause de la concurrence internationale, le contenu est de plus en plus cher à produire. Les prix augmentent. La COVID a eu d’importantes répercussions. Notre rôle est donc de nous assurer que nous avons assez de ressources pour maintenir le système canadien en bonne santé et continuer à produire ces histoires et ces idées géniales.

Le marché est le marché. Le marché sera toujours diversifié. Il n’est pas seulement canadien, il n’est pas seulement étranger. Il sera un mélange des deux.

Le sénateur Manning : Est-ce qu’une partie de ce fonds revient aux artistes?

Mme Creighton : Eh bien, par le biais des droits qu’ils perçoivent dans l’exposition, oui. S’ils sont propriétaires de l’œuvre, ils doivent la vendre à l’extérieur du Canada pour pouvoir en tirer un revenu réel en plus de leurs honoraires.

[Français]

La sénatrice Clement : J’ai beaucoup apprécié votre réponse, monsieur Bussières, à la question de la sénatrice Miville-Dechêne.

[Traduction]

Mes questions s’adressent à Mme Spring et à Mme Creighton.

Madame Creighton, vous avez parlé de la définition du contenu canadien, et vous en avez parlé en relation avec certains doutes que vous pouvez avoir au sujet du CRTC et de sa capacité à s’en occuper. Si vous pouviez nous en dire un peu plus à ce sujet, je vous en saurais gré.

Et pour Mme Spring, je ne suis pas toujours à l’aise avec ces observations que j’ai entendues et qui allèguent que les Canadiens ne veulent que le meilleur dans leurs chambres d’écho. D’une certaine manière, on laisse entendre que le contenu canadien n’est pas de calibre. J’aimerais que vous parliez, si vous le pouvez, du fait qu’il y a beaucoup de « meilleurs », mais que les règles du jeu ne sont pas les mêmes pour tous. Les artistes et les créateurs ne sont pas tous confrontés aux mêmes obstacles. Je serais donc très heureuse de vous entendre davantage à ce sujet.

Commençons par Mme Creighton.

Mme Creighton : Bien sûr. Je ne doute pas de la capacité du CRTC à y arriver parce qu’il devra consulter la population et l’industrie, dans l’ensemble, pour le faire. Je crains toutefois que si le comité tente — ou si on tente par la voie législative ou réglementaire — de menotter la définition à ce stade... Je pense qu’il faut être très prudent parce que la discussion de fond très complexe qui est nécessaire aura de nombreuses répercussions sur l’ensemble du système.

Je conseillais de conserver une certaine souplesse dans le projet de loi. Nous ne voulons pas revenir ici dans cinq ans parce que tout a changé encore une fois. L’industrie évolue du jour au lendemain. Chaque jour, vous vous réveillez le matin et quelque chose de nouveau s’est produit ou un nouveau modèle d’affaires est apparu. La loi oriente, en termes très généraux, la politique publique, mais ne peut pas entrer dans les détails, car ce sont les détails qui nous feront trébucher si nous essayons de le faire à ce stade-ci.

J’ai pleinement confiance au CRTC. Il existe depuis longtemps. Il s’occupe de la réglementation depuis longtemps. Bien sûr, certaines personnes sont mécontentes. On ne peut jamais obtenir un consensus sur quoi que ce soit dans cette industrie, mais je pense que le CRTC est l’organisme tout désigné pour mener un débat approfondi sur certaines de ces questions très complexes et difficiles.

La sénatrice Clement : Je vous remercie de votre réponse, et j’attends avec impatience les résultats de la consultation que vous publierez, avant toute politique...

[Français]

Mathieu Chantelois, premier vice-président, Marketing et affaires publiques, Fonds des médias du Canada : J’ajouterais quelque chose eu égard à la consultation. Cela fait partie de l’ADN du Fonds des médias du Canada, car nous parlons environ à 500 ou 1000 personnes de l’industrie chaque année. Nous leur posons des questions et, depuis plusieurs années, une des questions essentielles est de savoir quand on passera à la redéfinition du contenu canadien? C’est une question qu’on se fait toujours poser et qui polarise énormément de gens.

Nous, au Fonds des médias du Canada, parce que nous faisons beaucoup de consultations, nous pensons que c’est important de commencer cette réflexion et peut-être d’amener des pistes de solutions au CRTC, au moment où il se penchera là-dessus.

Déjà, nous avons entendu des voix autochtones de producteurs, d’auteurs racisés, d’afrodescendants, qui ne se sentent pas du tout inclus dans la version actuelle. Si, au cours des prochains mois, nous pouvons faire notre petit bonhomme de chemin, notre part, et en arriver à un rapport, nous pourrons possiblement être en mesure de contribuer à cette réflexion très importante dans tout ce qu’on veut faire.

La sénatrice Clement : Merci, monsieur Chantelois.

[Traduction]

Mme Spring : Je vous remercie de la question. Il est important de dire que les règles du jeu ne sont pas équitables à l’heure actuelle. Je pense qu’il est vraiment important de le souligner. Nous avons besoin d’une réglementation gouvernementale parce que 30 ans après la Loi sur la radiodiffusion, nous avons un contenu créé en majorité par un groupe démographique très homogène et précis de la société canadienne qui ne reflète pas de façon adéquate qui nous sommes.

Il y a eu beaucoup de discussions sur les services de diffusion en continu étrangers qui investissent de l’argent dans le secteur, et on dit : « Permettons-leur de continuer à le faire sans réglementation. » Ce que cela signifie, c’est que nous ne nous approprions pas et ne contrôlons pas le contenu que nous voulons voir, la longévité de ce contenu, la façon de définir et de redéfinir constamment qui nous sommes et ce que nous voulons présenter au monde.

Je crois que le but de cette loi est de prendre le contrôle de la situation, d’affirmer que nous avons un système inéquitable. Nous avons besoin d’une réglementation. Nous voulons continuer à être aux commandes de ce que nous faisons pour que nos voix ne soient pas simplement subordonnées à la curation de la culture américaine dominante. Il est vraiment important de comprendre qu’il y a, au cœur même de ces discussions, le fait que les règles du jeu sont inéquitables. Il est de la responsabilité du gouvernement d’intervenir pour tenter de remédier à ce problème.

Au cours des deux dernières années, tous les établissements de financement au pays ont reconnu qu’ils finançaient inégalement les créateurs canadiens depuis leur tout début. Le gouvernement, par la voie de la réglementation, a pris des mesures pour rectifier la situation. Si des sociétés privées étaient seules chargées de financer notre système, elles n’auraient aucun intérêt à s’assurer que le Canada s’exprime d’une voix forte et diversifiée. Je pense que c’est une avenue très dangereuse à emprunter, en fait.

La sénatrice Clement : Je vous remercie, madame Spring.

Le sénateur Richards : Je remercie les témoins. Je vais poursuivre un peu sur ce que disait la sénatrice Clement. J’aimerais savoir qui décide du contenu canadien et ce que sont et ne sont pas des règles du jeu équitables. Est-ce le CRTC qui va le faire, ou le ministre du Patrimoine canadien? Le ministre du Patrimoine et moi avons probablement des idées très différentes de ce qu’est le patrimoine canadien. J’ai grandi dans une très petite ville du Nouveau-Brunswick. Est‑ce CBC/Radio‑Canada?

Je veux savoir qui décidera. Faites-vous la promotion du contenu canadien ou priorisez-vous votre idée de ce que devrait être le contenu canadien dans un marché ou un secteur plus vaste?

Je parle ici un peu d’expérience. Pendant les 20 premières années de ma vie d’écrivain, on me qualifiait de romancier régional. Une fois que j’ai été publié en Grande-Bretagne et aux États-Unis, on a abandonné ce terme. C’est un peu la suffisance de la culture canadienne à laquelle j’ai dû faire face en venant d’une petite ville du Nouveau-Brunswick. Je suis sûr que des centaines d’écrivains ont dû faire face à cela au cours de leur vie.

Qui décidera de ce qu’est le contenu canadien? S’agira-t-il d’un idéal centré sur les villes, ou est-ce que tout notre vaste pays aura son mot à dire?

Mme Creighton : Oui, vous avez raison. Il y a beaucoup de partialité dans le système. De l’avis du FMC — ou du mien, assurément —, personne n’a le monopole des bonnes idées. Si on regarde le contenu médiatique créé au Canada, il provient d’un bout à l’autre du pays. Dans la région circumpolaire, en particulier, le contenu autochtone en provenance de tout le Canada a pris le monde d’assaut. Historiquement, on utilisait pour le contenu le système de pointage 10 sur 10, établi par règlement par le CRTC. En fin de compte, c’est là où les changements peuvent se produire.

Au FMC, nous gardons constamment un œil sur les questions régionales. J’ai un parti pris pour les régions. Je viens de l’Ouest. Nos directives à l’interne sont 60 pour les villes, 40 pour les régions. Les chiffres se maintiennent assez bien. Le problème est différent de l’écriture. Lorsqu’on fait une production et qu’il y a d’excellents incitatifs fiscaux en Nouvelle-Écosse, la production s’y déplace. Une fois que la série est terminée et que l’Alberta offre maintenant des incitatifs plus intéressants, la production se déplacera vers l’Alberta.

Le système de financement du contenu dépend totalement d’un éventail d’idées provenant de tout le pays. Qui décide? En fin de compte, les grandes orientations de la politique publique devraient provenir de ce projet de loi. La politique publique viendra du gouvernement qui passera ensuite le flambeau au CRTC, et le CRTC écoutera à la fois l’industrie et la population. Ensuite, quelqu’un devra prendre la décision.

C’est pourquoi nous pensons vraiment que le débat sur l’importante question que vous posez doit faire l’objet d’une discussion approfondie. Cela ne peut pas être fait rapidement. Cela ne peut pas être fait sans clairvoyance. Cela doit être fait en tenant compte de l’avenir et de la façon dont nous nous assurons que notre voix, notre identité nationale, l’identité québécoise, résonne dans le contenu que nous produisons. Croyez-moi, le monde aime le contenu canadien. Notre contenu pour enfants se vend dans le monde entier. Nous exerçons un grand attrait. Nous avons un système au pays depuis 80 ans. Si on remonte à la création de l’ONF, on a construit un grand bâtiment en briques, on a embauché des gens, on leur a donné de bons emplois. L’ONF parle de notre identité nationale, de nos histoires et de nos idées au reste du monde. Nous exerçons beaucoup d’attrait maintenant. Nous ne pouvons pas perdre cela. Ce dont nous avons besoin, c’est d’un changement dans la structure et des bons outils, car le contenu et l’innovation ne sont pas le problème. Ce sont les obstacles et la structure qui le sont. Nous avons besoin des bons outils dans l’environnement actuel pour continuer à soutenir ces créateurs dans tout le pays.

Le sénateur Richards : Madame Spring, avez-vous quelque chose à ajouter, ou est-ce que tout a été dit?

Mme Spring : Il semble y avoir cette idée que si ce n’est pas considéré comme du contenu canadien à cent pour cent, cela ne pourra plus exister dans le système, que c’est tout ou rien. Nous avons une industrie de production de services très robuste pour les programmes qui ne sont pas entièrement définis comme contenu canadien pour ce qui est d’avoir accès aux fonds publics supplémentaires qui sont offerts pour faire croître les entreprises canadiennes. Soit il s’agit d’une production étrangère qui n’est pas définie comme étant à contenu cent pour cent canadien et elle reçoit de l’argent pour investir dans une équipe de production canadienne et produire son émission ici — ce qui correspond à la majorité des productions au Canada, comme on l’a déjà mentionné —, soit il s’agit d’une production à contenu entièrement canadien, 10 sur 10 selon le BCPAC, le Bureau de certification des produits audiovisuels canadiens, et elle a droit à des crédits d’impôt supplémentaires pour que l’entreprise prenne de l’expansion au Canada, continue à employer des Canadiens et fasse sa prochaine émission canadienne.

Il faut comprendre qu’on ne fait pas rien du tout si on n’obtient pas 10 sur 10 de contenu canadien. On ne fait pas croître une entreprise canadienne, tout simplement.

Le président : Sénatrice Dasko, vous avez le dernier mot.

La sénatrice Dasko : J’ai quelques questions pour Mme Creighton. Que pensez-vous que sera l’incidence du projet de loi C-11 sur le budget du FMC? Que pensez-vous que sera l’incidence sur les programmes multiculturels, multilingues et multiraciaux pour le FMC?

Mme Creighton : Nous espérons que l’incidence sur le budget sera positive et qu’à mesure que des fonds supplémentaires seront injectés dans le système, nous participerons au processus.

Comme il a été mentionné, le grand volet convergent reçoit environ 50 % plus de demandes qu’il ne peut en prendre, et le volet expérimental, où il y a des initiatives incroyablement intéressantes et diversifiées, en reçoit 80 % de plus.

Souvent, lorsque les gens se plaignent de ne pas pouvoir accéder au FMC, ce n’est pas une question d’accessibilité. Il s’agit du fait qu’il n’y a pas assez d’argent pour en faire plus. Comme je l’ai dit, c’est le marché qui décide principalement qui obtient l’argent dans le volet convergent. Comme l’a mentionné la sénatrice Simons, nous avons trois radiodiffuseurs solides, de grandes entreprises, dans le marché anglophone, et trois dans le marché francophone. L’environnement de la radiodiffusion se rétrécit. Nous espérons obtenir plus d’argent pour pouvoir faire plus.

Pour ce qui est de la deuxième partie de votre question, nous travaillons sur une stratégie de diversité. Nous l’appelons « croissance et inclusion », et non « équité et inclusion ». Pour nous, il s’agit de la croissance de la clientèle, des auditoires, du nombre d’histoires, du nombre d’idées, pour en fin de compte, apporter des revenus à ces créateurs de contenu. Nous en sommes à la deuxième année de notre stratégie triennale.

Le projet de loi C-11 apportera plus d’argent. On mentionne même au début que les communautés autochtones et sous-représentées sont des groupes importants qu’il vise à soutenir. Si le projet de loi C-11 est adopté — et cela fait 10 ans qu’on entend parler de l’urgence d’apporter des changements —, il devrait permettre d’atteindre les deux objectifs que vous avez mentionnés : plus d’argent pour les créateurs de contenu au pays, et une industrie plus inclusive, en croissance, avec des aspirations mondiales.

Le président : Comment va-t-il créer plus d’argent?

Mme Creighton : On crée plus d’argent en créant un bon contenu mondial. On ne peut pas forcer la consommation de contenu. On ne peut pas dire : « Regardez ce contenu en provenance de l’Australie, du Canada ou d’ailleurs; c’est bon pour vous. » Ce qu’on a fait au pays qui n’a pas été particulièrement utile a été de resserrer les règles d’un système pour répondre, bien souvent, aux exigences réglementaires imposées aux radiodiffuseurs. Les créateurs et les développeurs ont besoin de temps et de ressources pour développer du contenu solide pour le marché.

Je vais vous donner un exemple. Nous avons un petit programme international avec 12 partenaires dans le monde, d’agence à agence. Ce ne sont pas des coproductions conventionnelles qui sont administrées. Le Canada en a plus de 60. Ce sont de petites sommes d’argent, 200 000 $...

Le président : Désolé, mais comment le projet de loi C-11 crée-t-il plus de revenus?

Mme Creighton : Potentiellement, le but de ce projet de loi est d’amener les services de diffusion en continu dans le système pour qu’ils contribuent davantage à la création de contenu canadien, pas seulement les services de production, qu’ils présentent, je comprends, comme canadiens lorsqu’ils ont dépensé tout cet argent. Toutefois, quelle part de cet argent va réellement aux histoires, à l’innovation et aux idées canadiennes? En augmentant les revenus, on améliore le processus de développement et on obtient un contenu plus solide qui peut ensuite être présenté au marché, qu’il soit canadien ou étranger.

Le président : Je vous remercie, chers collègues, et je remercie aussi nos témoins. Les échanges ont été très inspirants. Je tiens à remercier tous les témoins de leur présence. Nous allons continuer notre étude mercredi.

(La séance est levée.)

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