LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES TRANSPORTS ET DES COMMUNICATIONS
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 26 octobre 2022
Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd’hui, à 18 h 45 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi C-11, Loi modifiant la Loi sur la radiodiffusion et apportant des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois.
[Traduction]
Le sénateur Leo Housakos (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Bonsoir à tous.
Je m’appelle Leo Housakos, je suis un sénateur du Québec et je suis le président du Comité sénatorial permanent des transports et des communications.
[Traduction]
Je vais maintenant demander à mes collègues de se présenter.
La sénatrice Simons : La sénatrice Paula Simons, de l’Alberta, dans le territoire du Traité no 6.
[Français]
Le sénateur Cormier : Sénateur René Cormier, du Nouveau-Brunswick.
La sénatrice Gagné : Raymonde Gagné, sénatrice du Manitoba.
Le sénateur Dawson : Dennis Dawson, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Klyne : Bonsoir. Marty Klyne, sénateur de la Saskatchewan, dans le territoire du Traité no 4.
Le sénateur Tannas : Scott Tannas de l’Alberta.
La sénatrice Sorensen : Karen Sorensen, sénatrice pour l’Alberta.
Le sénateur Plett : Don Plett, Manitoba.
[Français]
La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de l’Ontario.
[Traduction]
La sénatrice Dasko : Donna Dasko, sénatrice pour l’Ontario.
La sénatrice Wallin : Pamela Wallin, sénatrice de la Saskatchewan.
Le président : Chers collègues, j’aimerais faire un rappel : avant de poser des questions et d’y répondre, les membres et les témoins présents dans la salle doivent s’abstenir de se pencher trop près du microphone ou retirer leur oreillette, lorsqu’ils le font. Cela permettra d’éviter tout retour sonore qui pourrait avoir un impact négatif sur le personnel du comité dans la salle.
[Français]
Honorables sénateurs, hier soir, le projet de loi C-11 a été renvoyé au Comité sénatorial permanent des transports et des communications.
[Traduction]
Aujourd’hui, nous nous réunissons pour étudier le projet de loi C-11, Loi sur la diffusion en ligne. Il a été adopté en deuxième lecture, et nous procédons donc à l’étude complète. Nous accueillons notre premier groupe de témoins. Nous recevons par vidéoconférence M. Robert Fenton, président du conseil d’administration, de l’Institut national canadien pour les aveugles; Jean-Christophe Lamontagne, président et fondateur de h264; et Sam Norouzi, vice-président principal et directeur général d’ICI Télévision.
Bienvenue à vous tous. Chaque témoin du groupe aura cinq minutes pour présenter sa déclaration liminaire, puis nous passerons à la période de questions et de réponses avec mes collègues. Nous allons commencer par l’Institut national canadien pour les aveugles. Monsieur Fenton, vous avez la parole. Bienvenue.
Robert Fenton, président du conseil d’administration, Institut national canadien pour les aveugles : Merci, monsieur le président. Je suis heureux de prendre la parole aujourd’hui au nom de l’INCA, l’un des plus importants groupes au Canada qui travaille auprès des personnes aveugles, malvoyantes et sourdes et aveugles.
L’un de nos mandats lorsque nous traitons avec ces populations, est de travailler avec le reste de la société pour éliminer les barrières existantes et prévenir la création de nouvelles barrières. Le projet de loi C-11 nous fait avancer dans cette voie en éliminant de nombreux obstacles au système de radiodiffusion actuel. Nous aimerions remercier le gouvernement canadien d’avoir entrepris cette démarche.
Cependant, nous ne sommes pas allés assez loin. Je vais vous parler de quelques améliorations que nous pouvons apporter pour faire en sorte que ce projet de loi profite encore plus aux personnes aveugles et malvoyantes.
Comme vous le savez, l’accès aux médias est un élément important de la culture canadienne, car il nous permet de débattre d’enjeux dans des discussions informelles ou sur des tribunes publiques. Cela nous permet de discuter des dernières victoires de nos équipes sportives préférées, eh oui, cela nous permet même d’être en désaccord avec les journalistes que nous aimons, respectons et parfois que nous n’aimons pas.
En même temps, il est également important que les personnes aveugles puissent avoir accès à l’information de façon plus concrète afin que nous puissions participer au discours public.
Le projet de loi C-11 ouvre la porte à une modification de la portée de la compétence du CRTC de manière à ce qu’il soit plus représentatif et plus accueillant pour les personnes handicapées. Mais nous voulons que vous alliez plus loin.
Premièrement, il faut souligner que le système de radiodiffusion doit être plus accessible. Oui, il existe des boîtiers décodeurs qui parlent, mais ils ne parlent qu’après qu’une personne voyante les a activés pour ceux d’entre nous qui ne peuvent pas voir. Nous devons avoir une technologie que nous pouvons faire fonctionner dès que nous la sortons de la boîte, sans avoir à recourir à l’aide d’une personne voyante.
Ensuite, nous devons nous assurer que les applications et les menus des boîtes nous parlent afin que nous puissions choisir les programmes appropriés ou accéder aux sites appropriés auxquels nous aimerions accéder.
Troisièmement, bien que la vidéodescription soit disponible quatre heures par jour aux heures de grande écoute, nous pensons qu’il ne devrait pas y avoir d’exceptions pour les nouvelles et les émissions sportives. Il existe des moyens de rendre ces émissions plus accessibles, et nous croyons que, en tant qu’objectif à long terme, chaque programme diffusé sur le système de radiodiffusion ou sur Internet par Prime, Netflix ou tout autre service devrait avoir un contenu décrit.
Le dernier point important que je veux soulever, c’est que la Loi sur la radiodiffusion ne réglemente que les organismes de réglementation de la câblodistribution. Nous devons également nous assurer de bien comprendre que les entreprises assujetties à la Loi sur les télécommunications ont également accès à Internet. Le projet de loi C-11 doit prévoir que, lorsque les gens accèdent à Internet, il devrait y avoir une seule loi commune afin que tous les transporteurs soient liés par les mêmes règles d’accessibilité et toutes les autres règles d’accès au système.
Enfin, nous devons également parler de l’accessibilité au contenu imprimé. Comme vous le savez, Internet et la technologie changent rapidement, et l’accès à l’information en format numérique devient de plus en plus important au fil du temps. À ce titre, nous devons nous assurer que les personnes aveugles et malvoyantes ne sont pas laissées pour compte et qu’elles ont les mêmes possibilités d’accéder à tous les documents imprimés, comme nous le demandons pour les médias de radiodiffusion. Bien que cela dépasse la portée du projet de loi C-11 en soi, nous exhortons le Sénat et d’autres secteurs du gouvernement à étudier comment la compétence du CRTC pourrait être accrue pour traiter des questions de droit d’auteur liées à la littérature imprimée diffusée sur Internet, afin que les personnes aveugles et malvoyantes puissent avoir accès à ce matériel.
Après avoir examiné les autres exposés qui ont été présentés au comité, l’INCA est également tout à fait préparé à appuyer publiquement les mémoires présentés par l’Alliance pour l’égalité des personnes aveugles du Canada. Ce groupe représente les points de vue de l’INCA en ce qui concerne la vidéodescription, et nous sommes heureux d’appuyer ces mémoires. Voilà ce que j’avais à dire avant de répondre aux questions du Sénat. Merci beaucoup.
Le président : Merci, monsieur Fenton.
[Français]
Jean-Christophe J. Lamontagne, président et fondateur, h264 : Merci beaucoup. Bonsoir tout le monde. Merci de m’avoir donné la chance de m’adresser à vous ce soir. Je suis président et fondateur de la société h264. Nous sommes une société basée à Montréal, fondée en 2015, qui exerce des activités de distribution et d’agrégation.
Je voudrais prendre quelques instants pour expliquer la mécanique de l’agrégation, qui est intrinsèquement liée à l’émergence des plateformes numériques. Au début des années 2000, lorsque les grandes plateformes ont lancé iTunes Store et tous les autres, les géants du Web ont compris l’importance d’octroyer des permis à certaines entreprises afin qu’elles agissent à titre d’intermédiaires entre les plateformes numériques et les ayants droit —qu’ils soient producteurs, distributeurs ou autres —, juste pour simplifier le processus de mise en ligne et pour s’assurer que les contenus étaient conformes du point de vue du contenu, mais principalement technique.
Il y a sept ans, quand nous avons lancé la boîte, on s’est rendu compte qu’il n’existait pratiquement aucun, voire qu’une poignée d’agrégateurs canadiens, et c’est pour cette raison que nous avons décidé de devenir agrégateur. Nous nous sommes procuré les différents permis et depuis 2019, nous sommes ce fameux gatekeeper entre les ayants droit principalement indépendants. C’est vraiment sur ce créneau que je vais parler des producteurs distributeurs indépendants. On agit donc à titre de gatekeeper entre eux et les plateformes numériques. On travaille principalement avec des plateformes comme Apple, Amazon, Google et Netflix.
Pour nous, dès qu’on est devenu agrégateur, les enjeux de découvrabilité se sont présentés comme un enjeu d’importance capitale non seulement pour l’industrie cinématographique et audiovisuelle, mais aussi pour le développement économique de nos activités. Pourquoi? Parce que c’est un véritable enjeu pour nous.
Imaginons qu’on puisse avoir accès à tous les films québécois et qu’on les rende disponibles sur toutes les plateformes numériques. Si à la fin de l’année on nous parle d’une dizaine de visionnements, c’est un beau coup d’épée dans l’eau. La notion de découvrabilité s’est présentée chez nous comme un élément incontournable dans le développement de nos activités.
On a donc assisté à moult conférences, panels et webinaires sur les définitions de la découvrabilité. Nous avons essayé de développer et de comprendre comment l’appliquer concrètement sur le terrain, de voir comment cette pratique peut percoler au sein de l’industrie pour qu’on puisse vraisemblablement poser des actions et des gestes qui vont influencer les fameux algorithmes des plateformes numériques et favoriser un placement optimal.
Par exemple, lorsque vous entrez dans une librairie comme Chapters ou Renaud Bray, il y a beaucoup plus de chances que vous achetiez un livre qui est dans le présentoir à l’entrée ou dans la section « coups de cœur » du magasin que dans le fin fond à droite dans la section A à Z. C’est exactement cet enjeu auquel notre industrie fait face; on n’est plus du tout dans une dynamique de simple mise en ligne et de présence sur le Web. On fait vraiment face à un problème d’amélioration des contenus et de la découvrabilité des contenus canadiens et francophones sur le Web.
On a développé une expertise pour répondre à la question suivante : qu’est-ce que je fais le lundi matin, moi, mon équipe et toute notre industrie, lorsqu’on doit faire de la découvrabilité. On a tenté de comprendre comment fonctionnent les algorithmes, comment peut-on améliorer le placement de nos contenus sur le Web? Bien sûr, le fait d’entretenir un lien étroit avec les plateformes joue un rôle primordial dans le positionnement de nos contenus sur ces plateformes.
On travaille avec ces plateformes pas uniquement au Canada, mais aussi à l’international. C’est un autre enjeu auquel on fait face, soit l’exportation de nos contenus. La découvrabilité des contenus est aussi un défi encore plus grand à l’international. On a aussi l’occasion de rencontrer ces acteurs dans le cadre de marchés et de festivals, et on perçoit souvent l’intérêt marqué pour les contenus canadiens et francophones, mais malheureusement, souvent, cela ne se concrétise pas sur le terrain.
Bon an mal an, le Box office des films québecois représente environ 10 % des recettes totales. La représentativité de nos contenus ne représente pas 10 % de tous les films et séries télé qui se trouvent sur le Web et c’est là le défi de la pérennité de notre culture.
J’invite le comité à se pencher sur les différentes recommandations qui sont faites, mais je crois fondamentalement qu’il faut inclure les plateformes numériques dans les paramètres de la loi, les inviter à participer et à financer la production de contenus canadiens, s’assurer d’un minimum de découvrabilité autant à l’intérieur des algorithmes qui sont hermétiques et auxquels nous n’avons pas accès, mais aussi tout en outillant l’industrie canadienne pour développer cette expertise en matière de découvrabilité et enfin, explorer les avenues de quotas, comme cela se fait en France, qui ont permis de protéger la place du cinéma français sur les plateformes.
Je suis ici ce soir en tant que distributeur numérique ou d’agrégateur. Je vous remercie de m’avoir accordé du temps et je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Lamontagne. Monsieur Nourouzi, vous avez la parole.
Sam Norouzi, vice-président principal et directeur général, ICI Télévision : Bonsoir, monsieur le président et honorables sénateurs et sénatrices. Je vous remercie de l’invitation de discuter avec vous du projet de loi C-11.
Mon nom est Sam Norouzi, et je suis présent ce soir pour représenter ICI Télévision.
ICI est une station de télévision indépendante multiethnique basée à Montréal qui offre une programmation originale en 15 langues, desservant plus de 18 communautés ethnoculturelles. ICI est offerte sur tous les services de base de câble et de satellite, en plus d’être offerte sur les ondes hertziennes dans le Grand Montréal.
Depuis le 1er septembre 2017, en partenariat avec OMNI Regional, ICI est offerte sur tous les services de base partout au Québec. Pour de nombreuses communautés ethnoculturelles, ICI Télévision est la seule source d’émissions télévisées développées localement et offertes dans leur langue, et ce, à peu ou pas de frais.
Nos programmes sont développés par un réseau de producteurs indépendants locaux qui ont des liens profonds avec leurs communautés et des dizaines d’années d’expérience dans la production d’émissions de télévision de qualité.
[Traduction]
Je suis ici pour parler d’une lacune importante du projet de loi C-11 qui met gravement en danger la télévision d’intérêt public canadienne si cette lacune n’est pas comblée. Vous avez entendu certaines de ces chaînes, comme APTN et AMI-tv. J’ai suivi attentivement vos délibérations, et j’aimerais me concentrer sur trois domaines où une clarification peut être utile. Le premier est la question de la distribution obligatoire et de la capacité du CRTC de fixer des conditions; le deuxième est de savoir qui pourrait être soumis à ces conditions; et le troisième est la question du risque commercial avec les États-Unis.
En ce qui concerne la question de la distribution obligatoire, vous avez entendu dire que le CRTC joue un rôle essentiel dans le soutien de la télévision d’intérêt public canadienne. Ce soutien prend la forme d’ordonnances en vertu de l’alinéa 9(1)h) qui obligent les câblodistributeurs et les distributeurs par satellite à transmettre certaines chaînes : c’est la partie sur la distribution obligatoire. Ces ordonnances prises en vertu de l’alinéa 9(1)h) fixent également les conditions, qui couvrent des éléments comme le paiement. La façon dont ces conditions sont fixées est essentielle.
Le projet de loi C-11 prévoit la distribution obligatoire, mais il ne permet pas au CRTC de fixer les conditions concernant la diffusion en continu en ligne. Les questions comme le paiement seront plutôt laissées à des négociations de bonne foi. La télévision d’intérêt public est un service public pour les Canadiens. Il ne s’agit pas d’une programmation commerciale. Les géants mondiaux du Web comme Amazon, Google et Apple savent qu’ils ne feront pas d’argent avec notre contenu. Ils n’ont aucun intérêt réel à négocier. Et nous ne pouvons pas rivaliser avec leurs services juridiques. Ils pourraient faire durer ces négociations jusqu’à ce que nous devions cesser nos activités. C’est pourquoi nous avons besoin du CRTC comme filet de sécurité. Lorsque le président du CRTC Ian Scott a comparu devant vous, il a recommandé que vous modifiiez le projet de loi C-11 afin que le CRTC puisse fixer ces conditions. Nous vous encourageons vivement à apporter cet amendement.
La deuxième question que je veux souligner est de savoir qui pourrait être couvert par ces conditions. Ce changement n’est pas seulement nécessaire pour intégrer les services de diffusion en continu internationaux. Les entreprises canadiennes de distribution de radiodiffusion déplacent leurs services en ligne, où ils seront soumis à moins de règles en vertu du projet de loi C-11. Nous avons besoin de cet amendement du projet de loi C-11 de sorte que le CRTC puisse continuer de fixer les conditions pour les entreprises de distribution de radiodiffusion canadiennes.
La troisième question que je veux aborder est l’idée que le fait de permettre au CRTC d’établir des conditions augmentera le risque commercial du Canada avec les États-Unis. Nous croyons que cette question est une échappatoire. Rien dans l’ACEUM ne vous empêche de modifier le projet de loi C-11 pour permettre au CRTC de fixer des conditions. L’amendement ne présente aucun risque commercial évident. Mais si vous ne modifiez pas le projet de loi, vous mettez en péril l’avenir de la télévision d’intérêt public canadienne.
Le fait de permettre au CRTC de fixer les conditions est nécessaire pour aider APTN à continuer de raconter des histoires autochtones avec des voix autochtones. Il est nécessaire d’aider la Chaîne d’affaires publiques par câble, ou CPAC, à demeurer en activité pour que les Canadiens puissent suivre le travail du Sénat et regarder les réunions de comités comme celle-ci. AMI-tv en a besoin pour offrir une programmation accessible aux Canadiens vivant avec un handicap et pour aider les communautés racialisées et marginalisées qui dépendent d’ICI Télévision.
[Français]
Merci. Je répondrai avec plaisir à vos questions.
[Traduction]
Le président : Ma question s’adresse à vous, monsieur Norouzi. Bienvenue à notre comité. Je vous remercie de votre témoignage. Si j’ai bien compris, vous soutenez ce que le projet de loi essaie de faire, mais vous dites essentiellement qu’il ne permet pas vraiment d’y arriver.
M. Norouzi : Nous appuyons de tout cœur le projet de loi C-11, mais il y a une lacune importante pour les télévisions d’intérêt public comme la nôtre, et nous soulevons cette lacune afin qu’elle puisse être comblée par un amendement et nous assurer un avenir.
Le président : Les conditions dont vous parlez — et je me mets lentement au courant de la Loi sur la radiodiffusion, l’étude m’a beaucoup aidé — sont déjà du ressort du CRTC, n’est-ce pas?
M. Norouzi : Oui.
Le président : Elles déterminent sur quel cadran vos programmes atterrissent, exact?
M. Norouzi : Pas exactement sur quel cadran, mais elles obligent les... J’hésite à les appeler des entreprises de distribution par câble ou par satellite, parce qu’essentiellement, il n’y a plus rien qui passe par le câble. Je viens du Québec, alors les deux grands joueurs sont Bell et Vidéotron. Leurs services, essentiellement, sont basés sur l’IP via Internet. Ainsi, Bell Fibe et Vidéotron Helix sont des services de diffusion en continu sur Internet, essentiellement.
En ce moment, on oblige ces transporteurs à nous distribuer et on fixe également les modalités de paiement de ces chaînes.
Le président : C’est la question. Je suis très favorable à votre produit, parce que ma défunte mère avait l’habitude de regarder ses émissions helléniques sur votre produit. Rien que pour cela, j’ai beaucoup d’empathie. La question que je vous pose concerne les conditions actuelles. Est-ce que le montant que vous recevez du câblodistributeur est déterminé par le CRTC ou bien négociez-vous avec votre câblodistributeur?
M. Norouzi : La façon dont cela fonctionne, essentiellement, c’est que, à la première étape, si vous demandez une licence en vertu de l’alinéa 9(1)h) ou tout renouvellement d’une licence devant le CRTC, le radiodiffuseur propose des frais fixes, mais il revient au CRTC de déterminer si ces frais sont appropriés ou non et, sinon, de les modifier.
Le président : Comment les diffuseurs de contenu en ligne et les nouveaux joueurs du numérique composent-ils avec votre produit? J’essaie de comprendre cela.
M. Norouzi : L’effet est que, comme de plus en plus de gens coupent les cordons ou le câble, si vous voulez voir les choses ainsi, et passent aux diffuseurs de contenu en ligne, nous voulons pouvoir être disponibles sur ces plateformes de diffusion de contenu en ligne. De plus, nous demandons que les diffuseurs paient leur juste part dans le système canadien, parce qu’ils font des affaires ici et qu’ils tirent des revenus d’ici. Nous croyons simplement qu’il est juste qu’ils contribuent au système canadien de radiodiffusion de la même manière que le font les entreprises de distribution canadiennes.
L’autre menace que nous constatons, comme je l’ai mentionné dans ma déclaration liminaire, c’est que beaucoup de ces entreprises de distribution de radiodiffusion canadiennes sont passées à la distribution sur Internet. Ainsi, à l’avenir, elles pourront dire : nous sommes maintenant un diffuseur en continu et nous n’avons pas besoin de nous conformer aux règles et aux règlements du CRTC qui s’appliquent aux distributions conventionnelles. Nous sommes des diffuseurs de contenu en ligne.
Le président : Vous touchez maintenant exactement à ma préoccupation. Ces câblodistributeurs, qu’il s’agisse de la Canadian Broadcasting Corporation, de Radio-Canada, de CTV ou de Bell, passent tous au numérique. Ils semblent se tourner de plus en plus vers le numérique. Donc, si votre modèle ne se transforme pas aussi bien, il me semble que si vous ne concluez pas d’entente avec ces diffuseurs, ne serez-vous pas laissés pour compte?
M. Norouzi : Je pense que le projet de loi C-11 traite déjà en ce moment de la question de la distribution. La question est déjà là. Et notre service est déjà disponible numériquement en ce qui concerne ICI Télévision; vous pouvez le diffuser en continu n’importe où sur notre site Web. Le seul problème que nous avons concerne la détermination des conditions dans lesquelles nous pouvons être distribués, et aussi être disponibles, pour être repérables et pour que ces services de diffusion en continu paient leur juste part dans le système canadien.
Le président : Maintenant que vous diffusez en continu, vos revenus ont-ils augmenté?
M. Norouzi : Non.
Le président : Pourquoi pas? C’est essentiellement ma dernière question.
M. Norouzi : Nous sommes essentiellement un service gratuit. Qu’il s’agisse de diffusion en continu en ligne... C’est la clé. Notre service doit être le plus accessible possible. Dans la grande région de Montréal, les gens n’ont même pas besoin d’être abonnés au câble. Ils peuvent simplement avoir une antenne numérique et recevoir notre signal gratuitement.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Je remercie nos témoins pour leur témoignage. Ma question s’adresse à M. Lamontagne, parce que c’est la première fois que j’entends parler d’agrégateur canadien; je trouve cela très intéressant.
Monsieur Lamontagne, j’aimerais que vous nous donniez plus d’informations. Vous avez mentionné qu’à titre d’agrégateur, vous parlez aux plateformes pour vous assurer qu’il y ait une certaine découvrabilité grâce, entre autres, aux algorithmes. Avez-vous un pouvoir, avez-vous de l’influence? Que réussissez-vous à faire, étant donné ce que l’on sait concernant le visionnement de films canadiens ou québécois sur les plateformes?
M. Lamontagne : Je vous remercie pour votre question.
Oui, on a un certain pouvoir d’influence; on fait un travail de lobbying auprès des plateformes. Il est important de comprendre le modèle d’affaires des plateformes.
Je vais faire une petite parenthèse. Il y a des plateformes numériques comme Apple TV, iTunes et Google Play, où le permis que l’on possède et que certaines autres entreprises possèdent, nous permet de mettre du contenu sans barrière éditoriale, parce que ces contenus sont consommés à la pièce. Vous louez ou achetez un film, il n’y a pas de licence qui intervient entre la plateforme et vous, alors que sur des plateformes comme Netflix ou Crave ont acheté une licence pour une durée donnée et ensuite l’œuvre, n’est pas achetée ou louée.
Donc, notre influence se situe sur les plateformes que l’on appelle TVOD transactionnel, où des films peuvent être loués ou achetés à la pièce. Oui, il y a tout un travail de lobbying et d’influence qui doit être fait. C’est probablement l’action en découvrabilité qui a le plus grand impact sur le rayonnement de nos œuvres. Si vous faites des recherches sur ce qu’est la découvrabilité, il sera beaucoup question de Web sémantique et de référencement. C’est un des piliers de la découvrabilité. Le véritable enjeu, comme vous le savez, est la façon dont on consomme le contenu. On s’installe devant notre téléviseur ou notre ordinateur, on ouvre la plateforme et c’est probablement ce qui nous est présenté que l’on va visionner.
Lorsqu’on met un film en ligne sur iTune ou AppleTV, on entretient un dialogue courriel-téléphone avec la plateforme où on explique la pertinence de l’œuvre. C’est pourquoi on est devenu agrégateur. Avant que h264 devienne agrégateur, il n’existait presque aucun agrégateur canadien. Cela voulait dire que l’ayant droit qui voulait mettre un film en ligne sur une plateforme devait passer par des sociétés étrangères. Pour ce travail de lobbying et de représentation, la société américaine n’aurait peut-être pas la sensibilité pour défendre les contenus. Le contenu serait alors dans un algorithme.
Je vous donne un dernier exemple en terminant. On a mis en ligne un documentaire sur André Forcier. On a expliqué à Apple l’importance du cinéaste André Forcier pour la cinématographie nationale. Au-delà de la mise en ligne du film, Apple a créé une section complète qui mettait André Forcier à l’honneur. Ainsi, une dizaine d’autres films canadiens ont été mis de l’avant dans l’algorithme sur la page d’accueil. C’est un des exemples de l’influence que l’on peut avoir lorsqu’on a un lien étroit avec la plateforme.
La sénatrice Miville-Dechêne : Je comprends que ce que vous dites ne s’applique pas à des plateformes qui achètent et diffusent, comme Netflix, parce que c’est un peu différent.
Vous avez dit en toute fin de présentation qu’en France il y a des quotas. Ces quotas, me semble-t-il, sont là pour qu’il y ait production d’œuvres françaises. Y a-t-il aussi des quotas sur ce qu’on peut voir comme œuvres françaises ou nationales, en France?
M. Lamontagne : Certaines plateformes avec lesquelles nous travaillons en Europe nous disent qu’il y a deux types de quotas. Il y a des quotas de contenu francophone et des quotas de contenu de l’Union européenne. On ne parle pas de productions, mais d’acquisitions. Un des enjeux est lié au fait que les plateformes en ce moment investissent beaucoup dans la création de contenu original. Toutefois, en ce moment, les acquisitions d’œuvres indépendantes sont en chute libre, voire inexistantes.
La sénatrice Miville-Dechêne : Vous nous dites qu’il y a des quotas pour avoir un certain nombre d’œuvres françaises sur des plateformes comme Netflix. Est-ce exact?
M. Lamontagne : Oui, c’est exact. Je ne peux me prononcer au nom de Netflix, mais je parle des plateformes avec lesquelles on a discuté, comme UniversCiné, et ces quotas sont bien en place actuellement.
La sénatrice Miville-Dechêne : Merci.
[Traduction]
La sénatrice Simons : Ma première question s’adresse à M. Fenton.
Je veux comprendre comment le nombre d’émissions avec vidéodescription dans l’univers canadien se compare à ce qui se passe réellement chez les diffuseurs américains. Quelqu’un m’a dit que les Américains sont peut-être en avance sur nous dans ce domaine. Est-ce ce que vous avez observé?
M. Fenton : C’est exactement ce que j’ai observé, madame la sénatrice. Une grande partie du contenu que l’on voit aux heures de grande écoute à la télévision canadienne et qui est décrit est en fait un flux repris des États-Unis.
L’un des problèmes que nous voyons dans l’espace décrit, c’est que plusieurs pays produisent le même contenu en même temps pour leurs propres téléspectateurs. Pour réduire le nombre de dédoublements dans le système, l’INCA aimerait notamment que les réseaux canadiens soient tenus d’obtenir les droits pour les descriptions produites dans d’autres pays également — d’autres pays francophones ou anglophones — afin d’éviter ces dédoublements. Sans ces dédoublements, nous pourrions en fait avoir accès à plus de contenu.
Votre observation est très valable et tout à fait juste.
La sénatrice Simons : Merci. Ma prochaine question s’adresse à M. Lamontagne et à M. Norouzi ensemble. Je pense que lorsque nous avons commencé à comprendre le projet de loi C-11, beaucoup d’entre nous pensaient à des services comme Netflix et Disney, qui affichent leur contenu exclusif. Ce qui s’est passé, même au cours de notre étude du projet de loi, c’est que nous avons constaté une augmentation du nombre de services regroupés offerts par des plateformes comme Prime et Apple, qui produisent une partie de leur propre contenu, mais qui diffusent aussi beaucoup de contenu de tous les autres.
Je demanderais à chacun d’entre vous de parler du changement qui se produit avec ces services de regroupement en ligne. Je ne sais pas, monsieur Lamontagne, si vous avez eu la même expérience que M. Norouzi, à qui on a dit que le fait d’avoir une sorte d’accord de distribution juste et équitable violait l’ACEUM. Parce que nous avons essayé. Nous avons fait venir des gens d’Affaires mondiales pour essayer de comprendre le problème lié à l’ACEUM, et je ne comprends toujours pas, malgré de nombreuses tentatives, ce qu’ils pensent être une violation.
M. Lamontagne : Merci de poser la question. Je ne suis pas sûr d’être au courant de l’effet de l’ACEUM. Je ne sais pas si j’ai bien compris. Vous pourriez peut-être nous en dire plus à ce sujet.
La sénatrice Simons : Lorsque nous avons écouté les propositions visant à imposer aux agrégateurs américains une obligation de distribution, qu’il s’agisse de contenu d’intérêt public — comme ICI, OMNI ou APTN — ou de ce dont vous parlez, c’est-à-dire des contenus en français que vous vendez à titre d’agent à ces services agrégés — le problème semble être que nous créerions une sorte d’avantage commercial injuste pour le Canada, je suppose. Mais mon personnel a eu une autre réunion avec les représentants de Patrimoine Canada cette semaine, et nous n’arrivons toujours pas à obtenir des éclaircissements sur ce que nous pensons être le point de friction de l’ACEUM.
M. Lamontagne : C’est une bonne question. Je pense que l’un des problèmes, c’est que les choses évoluent à un rythme très rapide. D’abord, il y a l’émergence de nouvelles plateformes et la mort d’autres; il y en a de nouvelles qui apparaissent chaque mois. Des plateformes fusionnent ou meurent chaque mois. C’est donc un problème.
Le deuxième problème, c’est leur stratégie de production ou d’acquisition. Il y a quelques années, il ne s’agissait que d’acquisition. Ensuite, ils sont passés à la production seulement. Ils se sont ensuite rendu compte que c’était trop cher et ils sont revenus à l’acquisition. Maintenant, ils passent aussi à un modèle de vidéo sur demande gratuit, les chaînes rapides.
Ils essaient tous de trouver ce qui fonctionne, et je ne pense pas que quiconque ait trouvé le bon filon encore. Ce que je peux dire d’après mon expérience, c’est que les responsables de toutes les plateformes que j’ai rencontrés étaient intéressés par le contenu canadien, mais je n’ai pas vu de résultats.
Je vais vous donner un exemple. L’an dernier, Amazon a décidé de cesser d’acheter des documentaires et des fictions courtes. C’est un exemple de cas où tous les documentaires que nous avions ont été retirés simultanément, tout d’un coup. Ils possèdent toujours tout, et ils choisissent ce qui passe sur la plateforme, ce qui crée des difficultés, surtout pour les producteurs et les distributeurs indépendants qui doivent essayer de suivre le rythme.
Pour terminer, j’ajouterai qu’il est également de plus en plus difficile de communiquer avec eux et d’essayer d’avoir au moins la possibilité non pas d’avoir votre film sur la plateforme, mais simplement d’avoir un canal de communication. Parce que la pandémie a fait en sorte que les gens cherchent maintenant une façon de faire de l’argent. Certains agents de vente internationaux ne vendaient pas aux distributeurs. Ils devaient vendre aux plateformes. Pour les petits acteurs indépendants, il est presque impossible d’atteindre ces plateformes. Ils acquièrent donc du contenu, mais il s’agit d’un contenu très médiatisé. Le contenu indépendant qui pourrait toucher des millions de personnes n’arrive pas sur la plateforme.
Je ne sais pas si j’ai pleinement répondu à votre question, mais c’est mon expérience.
La sénatrice Simons : Vous avez répondue à une bonne partie. M. Norouzi pourrait peut-être compléter.
M. Norouzi : Si vous me permettez de parler d’abord de l’ACEUM, madame la sénatrice, je ne sais pas quel est le problème. Je sais que la question a été soulevée pour la première fois par l’ancien secrétaire parlementaire lorsqu’il s’agissait du projet de loi C-10, mais on n’a pas vraiment expliqué de quoi il s’agissait.
Je sais que mes collègues de la Chaine d’affaires publiques par câble, ou CPAC, ont demandé un avis juridique à un grand cabinet d’avocats au Canada qui n’a pas trouvé de problème. Donc, cette question revient sans cesse, et ils disent qu’il y a des barrières commerciales, l’ACEUM, mais personne ne semble vouloir expliquer de quoi il s’agit, et lorsque nous avons expliqué qu’il n’y en avait pas, nous n’avons pas été plus loin. Nous ne savons vraiment pas quel est le problème.
Nous croyons fermement qu’il n’y a pas de problème. Mais pour une quelconque raison, la question revient sans cesse sur le tapis.
Ensuite, lorsque vous faites référence aux diffuseurs de contenu en ligne, nous avons été très précis dans l’amendement que nous présentons pour dire qu’il ne s’agit pas d’un amendement général qui couvre universellement tous les diffuseurs de contenu en ligne. Par exemple, vous avez mentionné Disney et Netflix. Disney et Netflix ne seraient pas touchés par cette disposition sur les diffuseurs en continu. Cela ne concerne que ce que l’on appelle les « entreprises de diffusion en ligne » qui fournissent les services d’autres entreprises de diffusion. Cela n’a rien à voir avec Netflix ou Disney. J’espère que cela répond à votre question.
La sénatrice Simons : Ce sont les agrégateurs qui fonctionnent selon un modèle très différent de celui que nous avions lorsque nous avons commencé notre étude du projet de loi C-10 il y a trois ou quatre ans. Je vous remercie.
La sénatrice Wallin : Je ne vais pas aborder la question du commerce, mais je pense qu’il s’agit d’assujettir les entreprises étrangères aux lois nationales, parce que nous avons vu cette lutte se dérouler sur de nombreux sujets.
J’ai une question rapide pour M. Norouzi. Le président du CRTC nous a dit ici, au sein du comité, qu’il exigera que les diffuseurs de contenu en ligne vous rendent découvrables. Donc, en fait, ce dont nous parlons, c’est de l’aspect financier. Vous voulez que l’argent que les diffuseurs sont tenus de verser soit versé dans vos poches par le CRTC.
M. Norouzi : Oui.
La sénatrice Wallin : Comment le jugeriez-vous? Parce que ce n’est pas la même chose que la contribution de Radio-Canada ou de CTV.
M. Norouzi : Ce n’est pas la même chose. Il est évident que les diffuseurs ont des plans d’affaires différents, donc ce n’est pas une couverture générale. Ce que nous demandons essentiellement, c’est que le CRTC ait la capacité de rendre cela obligatoire, pour qu’il puisse déterminer que votre modèle d’affaires est X, Y et Z, et que c’est ce que nous trouvions approprié que vous puissiez faire.
La sénatrice Wallin : Il s’agit presque d’une question distincte du projet de loi C-11. Il peut exiger la distribution de votre signal, mais il ne serait pas possible de forcer les diffuseurs à contribuer au financement de toute façon.
M. Norouzi : Je n’aime pas le mot « forcer ».
La sénatrice Wallin : Leur demander.
M. Norouzi : Il s’agit d’obliger les diffuseurs en continu à respecter les règles qui s’appliquent aux entreprises de radiodiffusion au Canada. Ils font des affaires au Canada, ils touchent des revenus au Canada. De la même manière, par exemple, Bell ou Vidéotron contribuent au système de radiodiffusion; ils devraient faire la même chose.
La sénatrice Wallin : Je comprends. C’est la question d’argent qui vous préoccupe.
M. Norouzi : Exactement.
La sénatrice Wallin : Alors ma prochaine question s’adresse à M. Lamontagne. Je crois qu’une partie de la confusion tient au fait que nous parlons d’agrégateurs et de plateformes. Vous vous qualifiez d’agrégateur, mais vous n’êtes pas une plateforme. Vous êtes en quelque sorte un service que les fournisseurs de contenu peuvent négocier avec les plateformes. Est-ce exact?
M. Lamontagne : Exactement. Le rôle d’un agrégateur, comme nous le faisons, est d’agir comme gardien entre les plateformes et les propriétaires de contenu, simplement pour simplifier le processus de téléchargement.
La sénatrice Wallin : Vous avez qualifié certaines des plateformes d’agrégateurs aussi, n’est-ce pas? C’est là que le langage devient confus.
Il y a différents types de plateformes. Évidemment, lorsque vous négociez avec Netflix, c’est très différent du fait de tenir une conversation avec YouTube. Ce sont deux créatures très différentes.
M. Lamontagne : Oui, à 100 %. Selon le modèle d’affaires de la plateforme, la façon dont nous allons négocier et interagir avec elle sera très différente. Si une plateforme a un modèle de vidéo sur demande transactionnelle, nous allons livrer le contenu sans avoir à négocier parce qu’elle n’acquiert pas le contenu. Les plateformes que nous appelons des plateformes de vidéo sur demande par abonnement, comme Netflix et Crave... nous leur présentons le contenu, mais c’est leur prérogative d’acquérir ou non le contenu.
La sénatrice Wallin : Mais pour tous ceux d’entre nous qui ont été des créateurs de contenu, c’est ce que nous avons toujours fait. Quel rôle voulez-vous que le gouvernement joue dans cette discussion que vous tenez avec des plateformes de toutes sortes pour obtenir un meilleur prix?
M. Lamontagne : Je ne pense pas que ce soit une question de prix. Je pense qu’il y a trois choses principales. Premièrement, il y a des plateformes qui ne travaillent pas directement avec les agrégateurs ou les propriétaires de contenu canadiens, ou qu’elles sont trop peu nombreuses.
Par exemple, nous avons essayé d’entrer en contact avec Google, qui a littéralement refusé de travailler avec nous et n’a fait référence qu’à des entreprises américaines. J’ai expliqué plus tôt l’importance d’avoir des représentants canadiens pour défendre le contenu et essayer de faire pression et de s’assurer que nous sommes bien placés sur les plateformes. Donc avoir des agrégateurs canadiens...
La sénatrice Wallin : C’est la distinction que je cherche. La question du placement sur les plateformes est différente. Vous voulez la découvrabilité et vous voulez que votre contenu soit mis de l’avant pour que les gens puissent le trouver plus facilement, mais c’est distinct de la question de l’argent.
M. Lamontagne : Exactement. C’est la première question. Et l’accessibilité à ces plateformes. Ce n’est pas juste une question de placement : il faut avoir la capacité de placer le contenu.
La sénatrice Wallin : D’accord, mais comment voulez-vous que le gouvernement fasse pour que vos négociations avec Google se passent mieux?
M. Lamontagne : En étant capable de communiquer avec eux. Ils refusent de travailler avec la plupart des entreprises canadiennes.
La sénatrice Wallin : Mais quelle loi? Que voudriez-vous que le gouvernement fasse? Téléphoner à Google et dire : « Vous devez parler à ces personnes et aux 500 ou 5 millions d’autres personnes au Canada qui sont des créateurs de contenu? »
M. Lamontagne : Non, je ne pense pas qu’il s’agisse de leur téléphoner. Je pense qu’il s’agit de s’assurer qu’ils sont capables de leur fournir du contenu. Je ne suis pas un législateur, malheureusement, mais je pense qu’il y a des moyens de faciliter la tâche aux entreprises canadiennes qui peuvent livrer du contenu à Google. Il y en a trop peu. Google est la deuxième plateforme transactionnelle en importance au Canada, alors je pense que ce serait très important.
La deuxième partie de votre question concernait la négociation. Je pense qu’il est très difficile de signer des licences avec de grandes plateformes. Je ne sais pas si les quotas sont la seule solution, mais nous constatons certainement que la plupart des ententes sont signées avec de très gros distributeurs. Les propriétaires de contenu indépendants, qui représentent une grande partie des créateurs du pays, ne sont pas représentés sur les plateformes, malheureusement, car aucun d’entre eux n’a accès à ces diffuseurs.
La sénatrice Wallin : Mais si vous voulez du contenu sur YouTube et du contenu en français, vous n’avez qu’à le mettre en ligne.
M. Lamontagne : Oui et non. Vous pouvez le mettre en ligne si vous le voulez gratuitement, mais sur la partie transactionnelle de YouTube, où vous pouvez louer ou acheter, vous ne pouvez pas le faire vous-mêmes. Vous devez devenir un agrégateur approuvé par Google.
La sénatrice Wallin : J’essaie simplement de comprendre ce que ce projet de loi ou un autre projet de loi pourrait faire exactement pour forcer les entreprises à négocier au sujet du contenu. Je ne vois pas comment cela pourrait se produire. Les plateformes peuvent choisir... pas YouTube, mais les autres plateformes peuvent choisir ce qu’elles publient, ce qu’elles achètent, ce dans quoi elles investissent et ce qu’elles diffusent. C’est leur modèle.
M. Lamontagne : Oui. Je pense que le fait d’avoir un minimum de représentation sur la plateforme — des quotas — serait une solution. Demander à Google d’acquérir du contenu canadien par l’entremise d’entreprises canadiennes serait la solution.
La sénatrice Wallin : Merci.
[Français]
Le sénateur Cormier : J’aimerais remercier nos trois témoins, mais mes questions vont s’adresser à M. Lamontagne.
J’aimerais mieux comprendre votre modèle d’affaires. C’est-à-dire que je comprends qu’il y a différents types de plateformes, mais je pensais que votre rôle était d’être un intermédiaire entre les artistes, les créateurs, les producteurs et ces plateformes.
Je voudrais mieux comprendre comment le modèle d’affaires fonctionne, il n’y a peut-être pas de modèle unique, mais comment les artistes et les producteurs trouvent-ils leur rémunération à l’intérieur du travail que vous faites? Comment vous-même, comme agrégateur, financez-vous votre activité? Quelle est la contribution des plateformes? Quel est ce modèle d’affaires? Est-ce que vous pouvez nous l’expliquer un peu mieux?
Enfin, je suis particulièrement préoccupé par les créateurs qui sont à la source du contenu, mais j’aimerais également vous entendre sur la question de la propriété intellectuelle dans un contexte d’agrégateur. Est-ce qu’il y a des enjeux qui se posent du point de vue de la propriété intellectuelle?
M. Lamontagne : Je vous remercie de votre question, monsieur le sénateur.
Premièrement, le fonctionnement du modèle d’affaires, tant pour nous que pour les créateurs, est très simple. Notre modèle d’affaires consiste à prendre une commission ou un pourcentage sur les ventes et les locations pour les plateformes transactionnelles, et une commission sur la licence globale lorsqu’on parle des plateformes qui fonctionnent par abonnement.
C’est un peu comme cela qu’on se rémunère et ensuite, le pourcentage majoritaire, le plus prépondérant, retourne à l’ayant droit, qu’il soit producteur ou distributeur, et parfois même au créateur lui-même.
Le sénateur Cormier : Si on parlait en matière de pourcentage, pouvez-vous nous dire à peu près quel est pourcentage cela représente dans la chaîne?
M. Lamontagne : Pour les plateformes transactionnelles, on parle d’environ 20 % pour l’agrégateur et 80 % pour les ayants droit; pour les licences en plateforme SVOD, on parle d’environ 30 % pour l’agrégateur et 70 % pour l’ayant droit.
Le sénateur Cormier : Quels sont les enjeux de la propriété intellectuelle qui se posent dans ces transactions, selon vous?
M. Lamontagne : Il n’y en a pas du tout, parce que d’une part, nous, on n’acquiert pas les droits. Donc les droits demeurent la propriété du producteur-distributeur, on est l’intermédiaire qui détient le mandat de représentation auprès des plateformes, donc les droits et la propriété intellectuelle restent auprès des créateurs.
Ensuite, pour ce qui est de la géolocalisation, c’est très facile de géobloquer, selon les ayants droit et les territoires disponibles. Il arrive parfois qu’un créateur a des droits canadiens seulement, ou parfois il a des droits à l’échelle du monde. Nous allons ensuite négocier avec la plateforme pour respecter les droits disponibles afin de nous assurer que la diffusion de l’œuvre est bien géobloquée aux endroits où les ayants droit n’ont pas de droits.
Le sénateur Cormier : Vous avez dit, au début, que vous travaillez avec la plateforme pour mieux comprendre comment fonctionnent les algorithmes, toujours dans un contexte de découvrabilité.
En fait, qu’avez-vous découvert dans vos recherches auprès de ces plateformes? Est-ce qu’il y a des choses que nous ne savons pas ici, autour de cette table? Pouvez-vous nous dire comment sont gérés les algorithmes, par exemple, et comment cela peut favoriser la découvrabilité? Y a-t-il quelque chose que vous pouvez nous dire à ce sujet?
M. Lamontagne : Absolument, je peux le faire en 30 secondes, parce que je pourrais en parler pendant deux heures.
Premièrement, je vous dirais que les algorithmes sont hermétiques. Donc, on ne peut pas comprendre exactement quels sont les mécanismes derrière l’algorithme de Netflix, de Disney ou d’Apple. Ils sont différents d’une plateforme à l’autre. On peut tenter de les comprendre et de les étudier, mais on n’y a pas accès.
Par contre, ce que l’on sait, c’est que ces algorithmes vont puiser des données dans des plateformes publiques. Par exemple, pour Amazon, on ne connaît pas entièrement les aléas de leurs algorithmes, mais leurs métadonnées, qui vont alimenter le robot qui génère l’algorithme, puisent leurs informations dans des bases de données comme Wikidata,Wikipédia, IMDb. Il y a un travail que nous, les créateurs, producteurs, distributeurs et agrégateurs, pouvons faire pour favoriser la découvrabilité de nos contenus, c’est de venir peupler ces bases de données numériques à partir desquelles les robots qui génèrent les algorithmes fonctionnent. C’est l’un des exemples de la façon dont on travaille sur le plan de la découvrabilité.
Un autre exemple très simple est qu’on essaie d’étudier les répercussions des métadonnées. On parle de métadonnées et des informations liées à un film. L’un des enjeux pour les films québécois est que le nom « Québec » n’est pas une métadonnée reconnue par les plateformes, étant donné que le Québec n’est pas un pays. La notion de recherche de films québécois sur les plateformes représente un enjeu, et le moyen de contourner cela est d’écrire le nom « Québec » dans le synopsis. Ainsi, quelqu’un qui est sur Amazon et qui fait une recherche de films québécois peut le trouver. J’ai des dizaines d’exemples comme ça. Nous essayons de comprendre.
Le sénateur Cormier : D’où l’importance d’avoir des agrégateurs canadiens dans le système, comme vous le dites.
Merci beaucoup, monsieur Lamontagne, pour vos réponses.
[Traduction]
La sénatrice Dasko : En fait, le sénateur Cormier a posé les deux questions que je voulais vous poser. J’aimerais approfondir la question des algorithmes. Vous avez dit que vous pourriez parler pendant des heures, alors je vais vous demander de parler du sujet pendant quatre minutes.
Vous avez dit que vous avez passé beaucoup de temps à essayer de comprendre comment ils fonctionnent. J’aimerais donc que vous nous en disiez un peu plus à ce sujet, en particulier, sur la façon dont ils pourraient différer les uns des autres. Comme, par exemple, Google Play, Apple, Disney et ainsi de suite. Dans le cadre du travail que vous avez réalisé sur les algorithmes, avez-vous constaté des différences entre les plateformes? Et veuillez nous dire ce que vous avez découvert. Cela m’intéresse vraiment.
M. Lamontagne : Nous avons découvert de nombreuses choses. Avant tout, notre travail consistait surtout à comprendre comment nous pouvons les influencer. Je ne pourrais donc pas, par exemple, faire un exposé sur la façon dont l’algorithme de Netflix fonctionne et sur la façon dont celui de Disney fonctionne. Ce que nous essayons de faire, c’est ce que nous pouvons faire avec les ressources dont nous disposons pour essayer d’influencer ces types d’algorithmes.
Une des choses que nous avons constatées, c’est ce que je j’ai mentionné précédemment, à savoir qu’il faut vraiment faire attention à toutes les données que vous allez mettre en ligne sur votre film, que ce soit sur le site Web officiel, sur Google, Wikidata, Wikipédia, IMDB et toutes ces plateformes. Elles sont constituées des bases des algorithmes.
Ce que nous avons fait, c’est que nous avons pris différents films. Par exemple, nous avons pris un film et nous l’avons mis en ligne au Canada, puis nous avons mis le même film en ligne en France. Nous avons activé notre action de découvrabilité pour essayer d’augmenter la référence sur les plateformes et sur Google, puis nous avons comparé les résultats. Ce que nous avons découvert, c’est que seule la base de données dans laquelle vous entrez les données a une sorte d’effet, mais aussi les médias avec lesquels vous travaillez, donc les médias externes qui donnent des critiques auront une influence sur la référence, non seulement dans les algorithmes, mais précisément sur les moteurs de recherche.
L’une des conclusions auxquelles nous sommes arrivés, c’est que vous pouvez les influencer. Vous pouvez augmenter vos chances d’être inclus dans cet algorithme, mais la réalité est que le plus gros outil que nous avons pour influencer l’algorithme est, encore une fois, le lobbying et l’appel téléphonique à la plateforme.
Malheureusement, la plupart des algorithmes sont fondés sur le genre. Donc si vous faites votre travail, que vous avez de bonnes métadonnées et que vous signez un accord avec la plateforme, vous aurez probablement un bon placement. Mais pour assurer un bon placement, il faut avoir un canal de communication avec les plateformes. Le plus gros problème auquel nous faisons face à l’heure actuelle, c’est que la communication directe avec les gros diffuseurs de contenu en ligne est extrêmement difficile à maintenir, même pour nous en tant qu’agrégateurs.
La sénatrice Dasko : C’est intéressant. Vous avez dit plus tôt que les algorithmes étaient hermétiques et maintenant vous dites que vous pouvez les influencer.
M. Lamontagne : D’une certaine façon. Pour vous assurer que votre film fait partie de l’algorithme, il y a des mesures que vous pouvez mettre en place pour augmenter vos chances, mais puis-je expliquer comment elles fonctionnent? C’est la différence. Mais il y a encore des mesures que vous pouvez prendre pour augmenter vos chances d’être bien proposé par les algorithmes. Mais vous ne pouvez toujours pas les comprendre, c’est comme un secret que ces entreprises ont et qui leur tient à cœur et qu’elles ne divulgueront pas, malheureusement.
La sénatrice Dasko : J’ai essayé d’étudier l’algorithme de Netflix, et l’une des choses qu’ils disent, c’est qu’ils n’utilisent pas de données démographiques. Avez-vous pu déterminer si d’autres utilisent des données démographiques, comme l’âge, le sexe, et cetera?
M. Lamontagne : Je n’ai pas été en mesure d’obtenir cette information, malheureusement.
La sénatrice Dasko : Merci.
Le sénateur Manning : Je remercie nos témoins. Ma question s’adresse à M. Lamontagne et à tout témoin qui aimerait y répondre.
Nous entendons constamment dire que les diffuseurs étrangers comme Netflix ne paient pas leur juste part, en particulier pour les productions francophones au Canada, certains estimant ce chiffre à seulement 0,3 %. Cependant, dans le mémoire que l’entreprise a présenté à notre comité il y a un certain temps, Netflix nous a dit que, depuis 2017, il avait investi plus de 3,5 milliards de dollars au Canada pour des films. Et « Jusqu’au déclin » a été tourné dans les Laurentides avec une distribution et une équipe entièrement québécoises, ce qui a entraîné un investissement direct de 5,8 millions de dollars dans la province de Québec. Le film aurait été vu par 21 millions d’abonnés dans les quatre premières semaines de sa sortie dans le monde entier.
Comment pensez-vous que l’investissement dans les films de langue française s’améliorera lorsque le projet de loi C-11 entrera en vigueur?
M. Lamontagne : Je vous remercie de poser la question. J’espère voir de plus en plus de ces productions. Le film que vous nous avez présenté est un bel exemple. Les diffuseurs en continu sont souvent considérés comme la grande menace et peuvent contribuer à une production plus diversifiée au Canada. J’espère voir un plus grand nombre de ces productions, qui représentent une solution de rechange au financement de contenu, alors j’accueille favorablement un nouveau projet de loi C-11 qui le mettra en application et offrira des incitatifs aux plateformes pour qu’elles continuent de le faire.
Le public et l’auditoire se connectent à ce genre de contenu, mais je ferais quand même une mise en garde : il est important de produire du contenu original, mais il est tout aussi important d’acquérir du contenu local qui a été produit ailleurs, parce que le contenu que les diffuseurs en continu produisent est conçu pour un public vraiment particulier et a un certain genre et une certaine signature.
Si vous regardez les différentes séries, elles ont certaines signatures qui sont similaires, mais pour avoir un contenu qui est fait et créé par des créateurs canadiens, vous devez avoir un équilibre et acquérir du contenu indépendant. Sinon, vous regardez les documentaires et les films à petit budget, qui représentent le pain et le beurre de notre culture. Si vous regardez les festivals dans le monde, c’est le contenu indépendant qui est l’une des plus grandes sources de fierté du Québec et du Canada. Malheureusement, tout ce contenu ne se retrouve pas sur ces plateformes.
Cette idée de produire du contenu est importante, mais n’oublions pas le séquençage du contenu. Peut-être que pour le contenu que nous produisons et diffusons dans les cinémas, et qui est ensuite diffusé à la télévision ou à CBC/Radio-Canada... est-il possible que ce contenu se retrouve aussi sur la plateforme? Je pense que cela doit augmenter.
J’ai mentionné plus tôt que le box-office des films québécois représente 10 % des recettes totales presque chaque année, et ces 10 % ne sont pas ce que vous voyez sur la plateforme. Vous ne pouvez pas obtenir ces 10 % en produisant uniquement du contenu original. Vous devez acquérir plus de contenu indépendant. Cela s’applique non seulement à Netflix, mais à tous les gros diffuseurs. Je pense que cela aura une énorme incidence sur notre industrie canadienne.
Le sénateur Manning : Je sais qu’une grande partie de notre discussion ici consiste à essayer d’obtenir du contenu canadien, mais aussi du contenu en langue française. Cela semble être une préoccupation pour beaucoup de gens autour de la table. J’essaie simplement de savoir quel niveau d’investissement vous permettrait de conclure et de convenir que nous avons atteint un niveau suffisant de contenu en langue française? Comment pouvons-nous le mesurer? Vous venez de parler de 10 %. Je me demande s’il y a un pourcentage? Y a-t-il une valeur monétaire? Comment mesurons-nous cela pour atteindre un niveau suffisant qui serait au moins convenable pour vous et pour les autres personnes concernées?
M. Lamontagne : C’est une très bonne question. Pour ce qui est de savoir combien il faut investir pour le contenu original, je ne suis pas expert en production, alors je ne pourrai pas donner un chiffre en dollars.
Je pense que l’un des principaux problèmes tient simplement au nombre de titres. Si vous regardez combien de longs métrages sont produits en langue française, je pense qu’un ratio de ces longs métrages qui sont produits — je pense que nous parlons d’environ 30 par année — au moins 25 ou 30 % de ce contenu peut finir sur les plateformes des grands diffuseurs. Ce sont des chiffres approximatifs, et je pense que je m’arrangerais pour m’assurer que notre production se retrouve sur une grande plateforme, mais je ne suis pas en mesure de vous donner un chiffre en dollars, malheureusement. Nous ne signons pas encore d’ententes avec Netflix, alors nous ne savons pas combien ils paient pour certains contenus.
La sénatrice Clement : J’ai deux questions. L’une s’adresse à M. Fenton. Nous parlons de plus en plus de l’analyse comparative entre les sexes et de l’examen des lois sous cet angle. Je me demande si vous pouvez nous dire si nous disposons de ce type d’analyse pour l’accessibilité et si nous examinons le projet de loi C-11 sous cet angle.
[Français]
Ma deuxième question s’adresse à M. Lamontagne. Votre témoignage est époustouflant. En ce qui concerne les algorithmes, on nous dit qu’insérer du contenu canadien ne viendrait pas ruiner, mais plutôt affecter l’expérience des consommateurs dans leur zone d’écoute.
Qu’avez-vous observé? Vous faites du lobbying pour le contenu canadien. Lorsque le contenu est placé par les plateformes, est-ce que les gens aiment cela? Est-ce que les tendances sont bonnes ou est-ce vrai que les Canadiens ne veulent pas être forcés d’écouter du contenu canadien?
[Traduction]
M. Fenton : Merci, madame la sénatrice. Je dois vous dire qu’il n’y a pas d’angle officiel de l’accessibilité à examiner. On en parle depuis 1999 ou 2000, lorsque la ministre Bennett était responsable de l’Office des personnes handicapées, mais cela n’a pas pris son envol depuis.
Nous avions espéré que la Loi canadienne sur l’accessibilité puisse être utilisée, dans une certaine mesure, pour donner une certaine orientation aux rédacteurs législatifs et aux ministères au sujet des règles d’accessibilité, mais ce défi n’a pas encore été relevé. Si le Sénat voulait recommander que cet angle d’accessibilité soit exploré, nous vous soutiendrions avec enthousiasme, car cela aurait dû être fait depuis longtemps.
La sénatrice Clement : Bam! Merci, monsieur Fenton.
[Français]
Monsieur Lamontagne?
M. Lamontagne : Je vous remercie pour votre question. Je ne suis pas du tout d’accord avec l’affirmation de la personne que vous citez; je crois tout le contraire. Le public a besoin de voir du contenu canadien, cela améliorera son expérience.
Je vous dirais que les dernières années démontrent que le public est plus intelligent qu’on ne le pense. Si un film comme Parasite a remporté l’Oscar du meilleur film et que le public est capable d’accepter d’écouter du contenu sous-titré, c’est que désormais, les gens ont accès à une telle diversité de contenu que sa provenance, même si c’est sous-titré, n’est pas une variable dans l’équation. Le public canadien ne recherche pas nécessairement du contenu canadien.
Y a-t-il quelqu’un parmi nous qui s’est déjà installé devant sa télévision en se disant qu’il voulait écouter du contenu canadien? Ce n’est pas de cette façon que nous choisissons notre contenu. Ce qu’on veut choisir, c’est l’émotion qu’on a envie de vivre, ce qui nous a été recommandé par des amis ou bien ce qu’on a lu dans les médias qui nous a donné l’envie d’écouter tel ou tel contenu.
Quand j’arrive sur une plateforme, je dois avoir ce choix. C’est vrai pour les Canadiens et c’est vrai en ce qui concerne l’exportation internationale. Il ne faut plus penser que la consommation de contenu canadien est uniquement le fait de gens qui veulent du contenu canadien. Si le contenu est bon, il va être visionné, peu importe où il est produit.
L’enjeu est de s’assurer qu’il y a un minimum de représentativité des contenus, et je suis convaincu que cela améliorera l’expérience des Canadiens, mais aussi de n’importe quel abonné dans le monde.
On parlait tout à l’heure du film Jusqu’au déclin. C’est un film québécois qui a été sous-titré, qui a été vu dans des dizaines et des dizaines de pays et qui a obtenu des millions de visionnements. Je pense qu’il faut utiliser cela comme exemple et ne pas avoir peur de mettre de l’avant nos contenus.
La sénatrice Clement : Merci.
[Traduction]
La sénatrice Wallin : Je voulais juste revenir sur cette question avec M. Lamontagne. Vous dites que les gens recherchent les genres qu’ils veulent, les émotions qu’ils veulent, alors ils vont les choisir. Cela semble être ce qui motive les algorithmes, et pourtant, vous avez dit que vous consacrez la majeure partie de votre temps et de votre argent à l’effort de lobbying, qui est destiné aux plateformes, plutôt qu’à essayer de diriger le public, ce qui est ce qui dicte le fonctionnement des algorithmes. Ai-je bien compris?
M. Lamontagne : Je ne suis pas sûr de bien comprendre la question. Pourriez-vous peut-être la reformuler? Êtes-vous en train de demander si je travaille davantage pour le lobbying que je devrais probablement le faire pour le public? Est-ce bien ce que vous dites?
La sénatrice Wallin : Oui. Vous parlez de ce qui alimente les algorithmes, et ce sont les téléspectateurs, les consommateurs. Ils recherchent, pour reprendre vos propres mots, l’émotion ou le genre qu’ils aiment et auquel ils réagissent. Ils vont chercher cela, et ensuite l’algorithme leur envoie. La prochaine fois que je l’active, il me montre les films que je veux ou les drames, les séries policières, et cetera. Vous avez dit que le moyen le plus efficace d’influencer l’algorithme tient non pas aux téléspectateurs, mais au lobbying.
M. Lamontagne : Vous soulevez un très bon point, si je peux m’expliquer. Idéalement, j’axerais tous mes efforts sur les publics et les conduirais vers la plateforme là ou quel que soit l’endroit où se trouve notre contenu. En réalité, la mission que nous nous sommes donnée lorsque nous sommes devenus des agrégateurs, c’était de nous battre pour que notre contenu soit d’abord présent sur la plateforme, puis d’inciter le public à le choisir.
Le gros problème auquel nous sommes confrontés, c’est que cela fait maintenant deux ou trois ans que nous sommes en pourparlers avec les gros diffuseurs en continu, que nous leur présentons régulièrement du contenu chaque mois et qu’ils n’acquièrent rien sauf les grands films. C’est la mission que nous nous sommes donnée. Une fois que nous aurons suffisamment de contenu canadien sur ces plateformes, nous pourrons travailler moins sur la plateforme et nous essayerons probablement d’amener le public à regarder plus de contenu canadien. La première étape consiste à mettre en ligne le contenu.
Le président : Monsieur Lamontagne, monsieur Norouzi et monsieur Fenton, merci de votre présence au comité et de votre contribution à l’étude.
Pour notre deuxième groupe de témoins, nous accueillons Vanessa Herrick, directrice générale, English Language Arts Network, qui se joint à nous par vidéoconférence; et Jay Thomson, chef de la direction, de la Canadian Communication Systems Alliance. Nous allons commencer par Vanessa Herrick, de l’English Language Arts Network. Vous avez la parole.
Bienvenue à vous deux. Vous aurez tous les deux cinq minutes pour présenter votre déclaration liminaire, puis nous céderons la parole à mes collègues pour les questions et les réponses.
Vanessa Herrick, directrice générale, English Language Arts Network : Bonsoir. Merci beaucoup de m’avoir invitée et de me permettre de me joindre à vous par Zoom. Vous pouvez voir à ma voix, malheureusement, que je me bats contre la fin d’une infection à la COVID, donc j’ai été très heureuse de pouvoir me joindre à vous par Internet.
Je m’appelle Vanessa Herrick et je suis directrice générale de l’English Language Arts Network. Nous sommes un organisme à but non lucratif qui travaille au Québec pour soutenir les artistes anglophones et les aider à s’épanouir et à réussir dans cet environnement et dans la province. Nous travaillons avec des artistes issus de nombreuses disciplines différentes.
Ce projet de loi présente un intérêt particulier pour nous. Encore une fois, je tiens à vous remercier de m’avoir donné l’occasion d’exprimer pourquoi ce projet de loi est intéressant et important pour notre communauté. Je veux d’abord dire à quel point j’ai été heureuse d’apprendre que vous l’avez adopté en deuxième lecture. Ce sont des nouvelles très encourageantes et excellentes. C’est particulièrement important pour les artistes effectuant différents types de travail, car de nombreux artistes sont pluridisciplinaires; ils doivent l’être pour pouvoir vivre de leur travail.
Nombre de projets et de productions réalisés au Canada constituent une excellente source de revenus pour les artistes, ce qui leur permet de poursuivre leur travail dans des domaines qui connaissent souvent moins de succès commercial. Je pense à des choses comme les artistes visuels qui travaillent comme peintres scéniques ou comme concepteurs, par exemple.
Nous, en tant qu’organisation qui soutient une communauté de langue officielle minoritaire, avons un intérêt particulier à nous assurer que cet espace reste ouvert et disponible pour les artistes canadiens, les artistes québécois, et que les intérêts de la communauté de langue officielle minoritaire sont respectés au cours de ce processus.
Lors d’audiences antérieures du comité, il a été question d’une contestation de l’article 5.2 du projet de loi en question. J’aimerais exprimer mon extrême préoccupation quant au fait que les communautés de langue officielle en situation minoritaire au Canada perdent leur droit de consultation dans tout type de processus avec le CRTC en vertu du projet de loi C-11.
Je dispose de décisions antérieures de la Cour suprême du Canada qui réitéraient que l’égalité réelle est la norme appliquée aux droits linguistiques en droit canadien et que la Cour suprême a indiqué clairement que l’égalité exige que les minorités de langue officielle soient traitées différemment, au besoin, selon leur situation et leurs besoins particuliers. Je pourrais les citer. Je suis certaine que la question fera l’objet d’un débat et je devrais laisser les avocats s’en occuper, mais je tiens à rappeler à quel point cela est important pour notre communauté.
Il faut faire de la place pour le contenu canadien sur Internet. C’est l’objet du projet de loi. C’est pourquoi il est extrêmement important pour les gens que je représente et pour bien d’autres. Ensuite, à l’intérieur de cet espace, nous devons nous assurer qu’il y a de la place pour les communautés de langue officielle en situation minoritaire parce que, comme pour beaucoup d’autres communautés minoritaires, cet espace n’est pas garanti. C’est vraiment le message principal que je veux répéter.
Je veux également me faire l’écho de certaines choses qui ont été mentionnées par d’autres témoins. J’ai suivi certaines des audiences, alors je ne vais pas trop répéter ce que vous avez déjà entendu. Il est vraiment important de préciser ce qui constitue un contenu canadien.
Il est très important que la définition ou les lignes directrices soient élaborées avec la participation de la communauté — et par « communauté », j’entends les différents secteurs, d’autres parties prenantes — et qu’elles ne relèvent pas uniquement du Comité sénatorial ou du CRTC, mais qu’elles soient le fruit d’une collaboration.
Je comprends que ce n’est pas une chose simple à faire, mais je pense effectivement que la question de la représentation et de la création d’un espace pour ce qu’est le contenu canadien et des raisons pour lesquelles c’est une priorité pour les Canadiens se posera de nouveau. J’aimerais offrir notre expertise au moment de tenir cette conversation, pour y contribuer.
Encore une fois, je tiens à vous remercier de l’occasion qui m’est offerte. Je suis sûre que j’oublie quelque chose d’important, même si j’ai pris des notes. J’ai hâte d’avoir une discussion et d’entendre vos questions. Merci.
Le président : Merci.
Monsieur Thompson, vous avez la parole.
Jay Thomson, chef de la direction, Canadian Communication Systems Alliance : Merci, monsieur le président, et merci au comité de m’avoir invité à comparaître aujourd’hui. Je m’appelle Jay Thompson et je suis chef de la direction de la Canadian Communication Systems Alliance, ou CCSA. Nous sommes l’organisation nationale de plus de 100 fournisseurs canadiens indépendants de télévision par câble et de télévision sur IP, aussi appelés entreprises de distribution de radiodiffusion ou EDR. Je suis donc un gars du câble, peut-être le seul que vous allez entendre.
Jusqu’ici, dans les débats sur ce projet de loi et son prédécesseur, on a beaucoup parlé de l’incidence des diffuseurs de contenu en ligne sur les créateurs et les radiodiffuseurs. Mais on a accordé peu d’attention à l’incidence des diffuseurs de contenu en ligne sur les EDR et leurs clients, en particulier ceux situés à l’extérieur des centres urbains du Canada.
Et ce, malgré le rôle central que les EDR jouent pour atteindre les objectifs de la politique de radiodiffusion du Canada, tel qu’ils sont clairement identifiés dans la Loi sur la radiodiffusion actuelle et, en fait, renforcés dans le projet de loi C-11.
Jusqu’à présent, il semble que les rédacteurs et les gens qui débattent de ce projet de loi ont peut-être cru aux rumeurs de mort imminente de la télévision par câble et nous ont donc oubliés. Les données prouvent que ces rumeurs sont fausses. En fait, les données montrent que les deux tiers des Canadiens sont toujours abonnés à la télévision par câble. Elles montrent également que les Canadiens passent plus d’heures à regarder des émissions de télévision au moyen de l’abonnement à la télévision par câble que par la diffusion de contenu en ligne.
À la CCSA, nous connaissons une croissance sans précédent du nombre d’abonnés. Cela s’explique par le fait que de plus en plus de fournisseurs de services Internet, qui autrefois ne faisaient que cela, voient un avenir pour les services vidéo semblables à ceux de la câblodistribution et veulent notre aide pour se lancer dans cette activité.
La télévision par câble est donc loin d’être morte. C’est encore un service vital au sein du système canadien de radiodiffusion, et elle le restera pendant assez longtemps.
Vous avez beaucoup entendu parler de la nécessité d’uniformiser les règles du jeu entre les radiodiffuseurs canadiens et les diffuseurs de contenu en ligne, et il semble que ce projet de loi appuie cet objectif. Les EDR — en particulier, les petites EDR, qui desservent généralement les Canadiens à l’extérieur des grandes villes — ont également besoin que les règles du jeu soient égalisées, notamment entre ces petites EDR et les grandes EDR, en ce qui concerne l’accès équitable aux services de diffusion en continu.
Voici une histoire pour vous expliquer. La semaine dernière, j’étais à Toronto et j’ai séjourné dans un hôtel du centre-ville. Comme bien des gens, l’une des premières choses que j’ai faites après avoir déballé mes affaires, c’est allumer la télévision. J’ai parcouru le guide à l’écran pour voir quelles chaînes étaient offertes par le service de télévision par câble de l’hôtel. Je n’ai pas eu à faire défiler très longtemps la page vers le bas, et il y avait dans le guide la liste des chaînes Netflix. Ainsi, à l’aide du guide des chaînes et de ma télécommande, j’ai pu cliquer sur Netflix et y accéder de la même manière que sur n’importe quel autre service de média linéaire. C’est très facile et très convivial d’accéder à Netflix. Mais seulement si vous êtes dans un hôtel ou que vous vivez dans une grande ville comme Toronto.
Si j’étais un abonné d’Access Communications, qui dessert Regina et d’autres petites collectivités de la Saskatchewan, je ne pourrais pas avoir ce même accès facile et convivial à Netflix au moyen de mon abonnement au câble, à l’aide de ma télécommande et de mon guide des chaînes du câble.
Quelqu’un à Toronto peut avoir un accès facile, en un clic, à Netflix par l’intermédiaire de son abonnement au câble, parce que Netflix met son application à la disposition des grands câblodistributeurs qui desservent les grands marchés.
Mais Netflix refuse de mettre son application à la disposition des petits câblodistributeurs, parce qu’ils sont petits. Les petits câblodistributeurs desservent généralement les Canadiens qui vivent dans les petites collectivités. Par conséquent, le comportement de Netflix, qui ne travaille qu’avec les grandes villes et les gros câblodistributeurs tout en refusant de travailler avec les petites collectivités et les petits câblodistributeurs, est discriminatoire envers les Canadiens en fonction de leur lieu de résidence.
Une telle discrimination entre les grandes villes et les petites collectivités dans la prestation de services de radiodiffusion est contraire à la politique canadienne de radiodiffusion en vigueur depuis longtemps. Ainsi, comme le projet de loi C-11 vise à intégrer les diffuseurs de contenu en ligne dans le système canadien de radiodiffusion, il doit empêcher Netflix et d’autres diffuseurs d’adopter ce type de comportement discriminatoire.
Vous vous demandez peut-être pourquoi il est si important de s’assurer que les plateformes de diffusion en continu rendent leurs applications accessibles aux petites entreprises de câblodistribution, étant donné qu’il y a d’autres façons d’accéder à ces plateformes, que ce soit au moyen d’Internet, d’une télévision intelligente ou d’un appareil de connexion comme le Amazon Fire TV Stick? La raison est que, si vous faites partie des deux tiers des Canadiens qui sont abonnés au câble, il est potentiellement beaucoup plus avantageux d’accéder à ces plateformes de diffusion en continu au moyen de votre abonnement qu’au moyen de n’importe laquelle de ces autres méthodes, et les Canadiens des petits villages ont tout aussi droit à ces avantages que les habitants des grandes villes.
Comme je l’ai dit, l’un de ces avantages serait de pouvoir passer d’un service à un autre, par exemple, d’une chaîne du câble à une plateforme de diffusion en continu, simplement en appuyant sur un bouton de la télécommande. De plus, vous pourriez payer tous ces services en même temps sur une seule facture. Aussi, vous pourriez offrir à prix réduit diverses combinaisons de services. Vous pourriez rechercher une émission dans tout ce que comprend votre service — des chaînes du câble et des plateformes de diffusion en continu —, au moyen d’une seule interface.
Au Canada, les citadins abonnés au câble peuvent et vont faire toutes ces choses, mais les Canadiens des petites villes ne peuvent pas et ne pourront jamais le faire, à moins que vous ne modifiiez le projet de loi pour leur donner la possibilité. Nous avons donné quelques exemples de libellés qui permettraient d’atteindre ce but important. Merci. Je répondrai à vos questions avec plaisir.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Thompson.
Le sénateur Cormier : Ma question s’adresse à Mme Herrick. D’abord, merci de nous avoir présenté votre exposé. Je voudrais mieux comprendre l’historique de la relation que les artistes issus de la minorité anglophone du Québec et les producteurs entretiennent avec le CRTC. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet — compte tenu de l’article 5.2, mais aussi des autres dispositions du projet de loi? Pouvez-vous aussi nous dire comment ce projet de loi contribuera à cette relation afin que les besoins des artistes que vous représentez et des producteurs que vous pourriez représenter soient pris en considération par le CRTC?
Mme Herrick : Merci de la question. Je pense que c’est multidimensionnel. Je ne suis pas une experte en ce qui concerne l’historique de la relation avec le CRTC, mais je sais qu’on a soulevé des questions à l’égard d’un manque de communication et d’un manque de compréhension, et je crois que c’est peut-être pour cette raison que le projet de loi a été rédigé comme il l’a été en premier lieu.
Je pense en effet qu’il faut qu’il y ait une procédure à suivre une fois qu’on a accès au CRTC — et le projet de loi donne d’ailleurs au CRTC énormément de responsabilités, certains diraient même encore plus de responsabilités —, et que ces procédures et cet accès aux discussions et à la compréhension des répercussions sur les communautés de langue officielle en situation minoritaire soient respectés, et il faut que ce soit officiel, que cela figure quelque part pour que cette procédure ne puisse pas être remise en question et ne puisse pas être minimisée.
Comme je l’ai dit, c’est important parce que cela permet de donner une voix aux communautés de langue officielle en situation minoritaire, et je sais que de nombreux Canadiens s’en préoccupent beaucoup. Je parle tout autant pour mes collègues francophones du Canada que pour les anglophones du Québec. C’est crucial, parce que nous en sommes à un moment charnière pour la survie de nos cultures, de nos langues et de nos histoires; il faut leur accorder cet espace et faire en sorte que cet espace soit protégé et que les discussions soient assurées. Je vous remercie encore de votre question.
Le sénateur Cormier : Nous avons entendu beaucoup d’artistes francophones issus de la minorité francophone du Canada. Nous avons constaté à quel point il est difficile de trouver des productions francophones. Est-ce que la minorité anglophone du Québec a aussi de la difficulté à faire en sorte que ses productions puissent être retrouvées en ligne?
Mme Herrick : C’est un sujet qui revient très souvent sur le tapis quand il est question des communautés de langue officielle en situation minoritaire, et qu’on se demande quelle est la place des anglophones du Québec dans cette discussion, parce que leur langue elle-même n’est évidemment pas menacée. L’anglais est là pour rester. Il n’est pas menacé, quoique, aujourd’hui, à notre époque, au Québec, on se questionne sur son utilisation dans notre province.
Cela dit, cela ne veut pas dire que les histoires des anglophones du Québec — ce qu’ils peuvent apporter à la culture québécoise et à la culture canadienne — sont respectées et vues. On a beaucoup tendance à le négliger. Bien sûr, c’est compréhensible pour les Canadiens, parce que nous essayons de nous tailler une place alors que notre voisin d’à côté domine presque totalement en matière de production et de diffusion.
Les anglophones du Québec sont aux prises avec bon nombre des difficultés qu’affrontent les autres, de manière générale. Mais je pense que le fait que cette communauté particulière doive compétitionner à bien des échelons, dans notre province, crée des obstacles à l’accessibilité; nous devons compétitionner avec les producteurs francophones ainsi qu’avec les productions internationales et américaines. Les producteurs anglophones du Québec ou les créateurs de contenu anglophones au Québec se heurtent à énormément d’obstacles.
Le sénateur Cormier : Merci, et merci pour votre travail.
La sénatrice Simons : Merci beaucoup.
Mes questions s’adressent à M. Thomson. Je comprends pourquoi cela est préjudiciable à vos entreprises si vous ne pouvez pas grouper une appli Netflix avec un service câblé, mais j’ai un peu de difficulté à voir pourquoi ce serait une si grande perte pour les consommateurs, qui pourraient simplement « couper le cordon », comme on dit, et passer aux services de diffusion en continu à la place. J’ai une télévision intelligente Samsung, et je peux utiliser ma télécommande pour accéder instantanément à Netflix, à Amazon Prime et à YouTube, mais pas à Apple ou à Disney. Chaque technologie va avoir ses préférences, et je ne sais pas vraiment pourquoi vous pensez que, légalement, une entreprise comme Netflix devrait être obligée de vous laisser offrir son appli dans votre offre de services groupés.
M. Thomson : Il y a là deux ou trois questions, madame la sénatrice. Je vais commencer par votre deuxième point, à propos de l’obligation de rendre le service accessible.
Comme je l’ai dit dans ma déclaration préliminaire, il existe une politique de radiodiffusion bien établie voulant que, peu importe où vous vivez au Canada, vous avez un accès égal aux services de radiodiffusion. Donc, peu importe si vous vivez dans le Grand Nord — et c’est peut-être même plus difficile dans le Grand Nord —, dans une région rurale du Canada ou au centre-ville de Toronto, vous avez le même accès à CTV, à Radio-Canada et à leurs services spécialisés. Je le répète, peu importe où vous vivez.
Même si ce n’est présentement pas une exigence prévue par la loi, il existe quand même une politique bien établie qui exige que les Canadiens aient un accès équitable, peu importe où ils vivent. Cela devrait s’appliquer aussi aux plateformes de diffusion en continu, maintenant qu’elles sont intégrées au système de radiodiffusion.
Pour ce qui est de savoir quelle différence cela fera, je pense que nous avons déjà eu cette discussion : j’ai voulu expliquer qu’il est tellement plus pratique pour un abonné du câble d’utiliser son abonnement ou son système pour passer d’un service à un autre, qu’il s’agisse des chaînes traditionnelles ou des plateformes de diffusion. Je ne crois pas que vous puissiez faire cela avec votre télé intelligente. Vous pouvez accéder aux plateformes de diffusion en continu, mais vous ne pouvez pas passer directement d’une plateforme de diffusion en continu à Radio-Canada, par exemple, si vous en aviez envie. Vous ne pouvez pas faire une recherche sur Radio-Canada, sur CTV et sur les chaînes de Global en même temps que vous faites une recherche sur Netflix et sur Prime. Voilà ce que vous pouvez faire avec votre abonnement au câble.
La sénatrice Simons : Je ne regarde rien de tout cela sur la télévision. Voilà tout. La télévision, c’est une technologie. J’ai seulement le câble présentement parce que mon époux a besoin de regarder MSNBC. Il a besoin de savoir ce qui se passe avec Donald Trump à chaque instant. Si ce n’était pas de cela, on n’aurait pas le câble, parce qu’on ne regarde plus la télévision de cette façon de nos jours. Il a aussi besoin d’Al Jazeera. Ses goûts sont éclectiques.
Vous affirmez que les plateformes devraient vous permettre de regrouper leur produit avec les vôtres, parce que cela vous faciliterait la tâche pour vendre votre produit à un public de plus en plus réduit, n’est-ce pas?
M. Thomson : Nous voulons un traitement équitable, parce que, si les plateformes vendent leurs applis aux Rogers, Bell et Vidéotron de ce monde, alors elles devraient être obligées de les vendre à de petites entreprises comme CCAP près de Québec et Access, à Regina. C’est simplement une question d’équité, pas seulement pour nos membres, mais pour les clients que nos membres desservent. Ils offrent un service aux Canadiens abonnés au câble, et, si les Canadiens s’abonnent au câble, c’est parce qu’ils accordent de la valeur à ce service. Si nous voulons valoriser ce service, pour leur plus grand plaisir, il faut qu’il soit intégré dans les politiques.
La sénatrice Simons : Merci. Je doute de pouvoir obtenir une réponse différente, même si je pose la question d’une autre façon.
Le président : On ne sait jamais.
Le sénateur Manning : Ma question est pour Mme Herrick.
Dans votre déclaration, vous avez parlé de contenu canadien. Bien des témoins qui ont comparu devant notre comité ont demandé d’assouplir la définition de « contenu canadien », pour faire en sorte que plus d’un facteur entre en ligne de compte et qu’aucun facteur à lui seul, par exemple la propriété intellectuelle, ne soit déterminant.
Seriez-vous en faveur d’un amendement selon lequel, même si la propriété intellectuelle peut être prise en considération dans la pondération, elle ne devrait pas être un facteur déterminant qui fait que, automatiquement, quelque chose n’est pas canadien, d’entrée de jeu?
Mme Herrick : C’est une question compliquée. Je ne pense pas que cela pose problème que ça fasse partie des facteurs pris en considération. Mais, pour ce qui est du poids à lui accorder ou de l’approche ou du point de vue à adopter, je pense que vous devriez demander à des gens qui ont plus d’expertise que moi de répondre.
Je comprends très bien à quel point cette discussion est complexe. On ne peut pas simplement dire : « Un nombre x de Canadiens se sont présentés au travail aujourd’hui, alors voilà, c’est du contenu canadien. » Mais je comprends effectivement ce que vous voulez dire, je dirais que oui, cela doit peser, jusqu’à un certain point, dans la discussion.
Le sénateur Manning : Je comprends que c’est compliqué. C’est d’ailleurs pourquoi beaucoup de mes questions aux autres témoins suivaient la même idée. J’essaie de comprendre comment nous, en tant que pays, ou comment les autorités compétentes déterminent le niveau du contenu canadien qui satisfait le gouvernement et les consommateurs. Comment faisons-nous pour déterminer cela? Est-ce que le fait qu’il y a une actrice ou un acteur canadien compte pour quelque chose? Et s’il y avait une maquilleuse ou un maquilleur sur le plateau? Faut-il tenir compte de la location de services immobiliers ici au Canada? Comment fait-on pour déterminer, a priori, ce qu’est du vrai « contenu canadien », et comment pouvons-nous mesurer cela? Comment pouvons-nous mesurer cela pour savoir quand nous avons atteint le seuil où nous sommes convaincus que nous avons le niveau de contenu canadien que nous voudrions avoir?
Mme Herrick : C’est compliqué.
Ce qui est demandé doit remplir de nombreuses fonctions différentes pour les Canadiens, de manière générale, et à différents égards. Est-ce qu’on veut fournir des emplois aux Canadiens? Absolument. Est-ce que le but est d’injecter de l’argent dans l’économie et d’en faire profiter tous les artistes, qu’ils ou elles soient producteurs, acteurs, concepteurs-créateurs, peu importe qui et ce qu’ils font? Oui, tout à fait.
Cependant, je pense que ce qui apporte énormément de valeur — et je pense que je le dis au nom de nombreux Canadiens —, c’est qu’il faut que cela vienne d’un endroit représentatif de l’expérience canadienne. C’est peut-être ce qui est le plus compliqué à mesurer, parce que ce n’est pas quelque chose qu’on peut compter en fonction des revenus générés ou du nombre d’emplois que nous avons attirés ou créés.
Peut-être qu’il s’agit d’une discussion plus large que nous devrions avoir lorsque nous aurons atteint le point où il faudra mettre les choses en bon ordre, parce qu’il y a tellement de choses différentes à prendre en considération.
Le sénateur Manning : Monsieur Thomson, avez-vous des commentaires? Je sais que les entreprises de câblodistribution diffusent aussi des émissions venant d’autres pays sur leurs chaînes. Je me demandais comment vous savez quand on atteint un niveau satisfaisant, où il y a suffisamment de contenu canadien sur nos écrans.
M. Thomson : C’est une question très subjective, parce qu’elle concerne la façon dont nous décidons que nous diffusons suffisamment de contenu canadien. Nous avons établi des règles pour veiller à ce qu’il y ait au moins une certaine quantité de contenu canadien. Mais pour ce qui est de la définition du « contenu canadien », c’est une autre question qui a été chaudement débattue ici. J’ai entendu Mme Creighton dire, hier, que cela relève du CRTC. Je crois que je suis d’accord avec elle. Je suis aussi d’accord pour dire que le rôle du CRTC est d’établir le niveau de contenu canadien qui devrait être rendu accessible pour notre système.
Le sénateur Manning : Est-ce que l’un ou l’autre de nos témoins est préoccupé à l’idée que nous allons adopter le projet de loi C-11, mais que son règlement sera appliqué plus tard, et que bien des choses dont nous avons discuté aujourd’hui seront laissées entre les mains du CRTC? Je pose la question aux témoins : êtes-vous à l’aise avec cela?
M. Thomson : C’est exactement ainsi que les choses devraient fonctionner. La loi devrait établir le cadre s’appliquant à un organisme de réglementation indépendant et spécialisé, lequel tiendra alors des consultations publiques pour entendre ce que des milliers de témoins de tous les horizons et de tous les secteurs de la création et de l’industrie ont à dire, pour ensuite rendre une décision, comme il l’a fait pendant toute son histoire.
Nous avons travaillé avec le CRTC en tant qu’industrie depuis nos débuts, et nous ne sommes pas toujours satisfaits des décisions qu’il rend. Malgré tout, c’est un bien meilleur processus, et au bout du compte, la décision est bien meilleure et beaucoup plus réfléchie que si elle avait été prise dans un contexte comme celui-ci, avec tout le respect que je vous dois.
Mme Herrick : Je pense que bien des gens seraient beaucoup plus à l’aise de laisser cela entre les mains du CRTC si le CRTC lui-même s’était montré moins réticent à l’idée de mener des consultations avec divers secteurs de la communauté, par exemple, les communautés de langue officielle en situation minoritaire. Je sais que je parle pour beaucoup de personnes de notre communauté qui ne verraient pas d’inconvénient à ce que le CRTC, bien évidemment, participe aux discussions ou les dirige, mais il s’agit d’une discussion plus large qui ne devrait pas incomber seulement au CRTC, pas plus qu’au Sénat, à mon avis.
La sénatrice Wallin : Je m’adresse au gars du câble : j’ai des préoccupations en ce qui concerne le service offert en région rurale, parce que c’est évidemment là que j’habite. C’est surtout une préoccupation qui concerne la fiabilité de l’accès au WiFi et à Internet. Tout le monde semble se tourner vers M. Musk, étant donné qu’il permet justement aux gens de conduire leurs tracteurs et leurs moissonneuses-batteuses. Mais j’aimerais revenir à la question des petites entreprises de distribution de radiodiffusion.
Corrigez-moi si je me trompe, mais est-ce qu’Access offre ses services partout en Saskatchewan?
M. Thomson : Non, Access dessert seulement les collectivités où l’entreprise a une autorisation et où il y a une infrastructure de câblodistribution.
La sénatrice Wallin : Je vois, donc c’est restreint, ça aussi. En ce qui concerne les plateformes qui refusent de négocier avec vous, de marchander ou même de vous donner accès pour que vous puissiez acheter leur appli, quel est le raisonnement derrière tout ça? Pourquoi verraient-elles Access comme une sorte de menace?
M. Thomson : D’après ce que je comprends, ce n’est pas parce qu’Access représente une menace, c’est parce que c’est une petite entreprise et que c’est beaucoup plus compliqué pour une grande entreprise comme Netflix de travailler avec un petit fournisseur qu’avec un gros fournisseur comptant des millions d’abonnés comme Rogers ou Bell.
La sénatrice Wallin : Donc, tout ce qui compte, c’est le nombre d’abonnés. Vous devez leur montrer que vous avez un public pour convaincre les plateformes que c’est aussi avantageux pour elles.
M. Thomson : C’est ainsi que nous voyons leur logique. Et cela, malgré que nos membres sont prêts à payer ce qu’il faut pour intégrer l’appli. Donc, le coût n’est pas nécessairement un facteur. Au bout du compte, je dirais que le facteur, c’est la portée de la distribution.
La sénatrice Wallin : J’essaie de comprendre. Si je suis à Fishing Lake, j’ai accès à Netflix, j’ai accès à CTV, à CBC et à d’autres chaînes câblées américaines. Pourquoi les plateformes se soucieraient-elles de la taille de l’entreprise, si elles n’ont aucun coût à débourser?
M. Thomson : Si des représentants de ces plateformes reviennent témoigner devant vous, vous pourriez leur poser la question, parce que nous ne le comprenons pas nous-mêmes. Nous leur offrons plus d’abonnés, et Netflix a vu ses actions chuter parce que l’entreprise a perdu des abonnés, alors on croirait qu’elle souhaiterait trouver n’importe quelle façon d’augmenter son nombre d’abonnés, mais ce n’est pas le cas.
La sénatrice Wallin : Que voudriez-vous, exactement, que le gouvernement fasse, ou qu’il fasse par l’intermédiaire du CRTC? Voulez-vous qu’on dise directement à Netflix : « Vous devez conclure une entente avec les petites entreprises de distribution de radiodiffusion? » J’ai utilisé Access comme exemple, parce que c’est l’entreprise que je connais dans ma province. Est-ce ce que vous voulez?
M. Thomson : Vous devez rendre votre appli accessible, sans discrimination, selon des modalités équitables, à tous les distributeurs du Canada qui veulent y avoir accès.
La sénatrice Wallin : Est-ce une proposition raisonnable? On en revient au projet de loi sur le commerce et aux enjeux connexes. Les plateformes ont un modèle d’affaires, elles ont un modèle organisationnel, et le gouvernement du Canada va leur dire qu’il veut qu’elles changent tout cela, peu importe si c’est dans leur intérêt financièrement ou si leur plan d’affaires ne prévoit pas d’accords avec les petits exploitants. L’idée que le gouvernement commence à ordonner à une entreprise étrangère avec qui elle doit faire des affaires, au lieu de lui dire quels clients elle doit servir me préoccupe.
M. Thomson : Je ne peux rien dire quant aux enjeux commerciaux, mais en ce qui concerne les enjeux stratégiques, c’est une obligation qu’on impose aux télédiffuseurs canadiens présentement. Les plateformes de diffusion en continu pénètrent dans l’écosystème de télédiffusion canadien. Une bonne partie du débat sur ce projet de loi vise à s’assurer que les télédiffuseurs canadiens et les plateformes de diffusion en continu étrangères sont sur un pied d’égalité, et ce serait une façon d’y arriver.
La sénatrice Wallin : Quand vous dites sur un pied d’égalité, vous voulez dire un pied d’égalité avec les grandes entreprises de distribution de radiodiffusion du Canada, et pas nécessairement avec les plateformes de diffusion en continu?
M. Thomson : C’est exact. C’est notre but ultime, que nos clients aient accès aux mêmes services et aux mêmes avantages que les gens des grandes villes, et que nos membres puissent compétitionner à armes égales, en offrant le même genre de services que les grandes entreprises. Pour cela, il faut imposer aux Netflix de ce monde l’obligation de rendre leurs services accessibles sans discrimination.
La sénatrice Wallin : Ou c’est une façon pour vous d’accroître votre audience, d’être moins petit. C’est un peu comme si, de façon détournée, on essayait d’obliger les gens à regarder quelque chose qu’ils ne choisiraient peut-être pas de regarder.
M. Thomson : Les entreprises de câblodistribution, de par leur nature, desservent divers marchés précis, et cela veut dire que leur capacité de croissance est limitée, en particulier lorsque le marché est plus petit et que c’est une petite population. C’est surtout une question d’offrir un service aux clients. C’est essentiellement, au bout du compte, être capable de fournir le même niveau de service. Nos membres veulent pouvoir offrir à leurs clients le même service qui est offert à leurs voisins dans les grandes villes. Voilà l’objectif, en fin de compte.
La sénatrice Wallin : Contribuez-vous d’une façon ou d’une autre aux divers fonds des médias canadiens ou à d’autres subventions versées aux producteurs et aux artistes? Est-ce que les petites entreprises sont tenues de faire cela, comme le font CBC/Radio-Canada et CTV?
M. Thomson : Les grandes entreprises de câblodistribution sont obligées de contribuer 5 % de leurs revenus au Fonds des médias du Canada ainsi qu’à d’autres fonds de production. Nos membres ont moins de 20 000, moins de 2 000 et parfois moins de 100 abonnés, et ils ne sont pas assujettis à la même obligation à cause de leur taille. Ils peuvent toutefois contribuer, et beaucoup d’entre eux ont aussi des chaînes communautaires et ils contribuent à la programmation canadienne et au développement des talents canadiens grâce à leurs chaînes communautaires.
La sénatrice Wallin : Donc, vous ne demandez pas un échange direct d’argent entre les plateformes de diffusion en continu et vous; vous voulez que cela se fasse par d’autres mécanismes de financement?
M. Thomson : Nous ne voulons pas l’argent des plateformes de diffusion. Nous voulons des plateformes de diffusion.
La sénatrice Wallin : Pour avoir l’accès, pour que l’accès vous soit fourni obligatoirement?
M. Thomson : Oui.
La sénatrice Wallin : Et vous payez la facture.
M. Thomson : Nous allons payer la facture, puis nous pourrons offrir le service à nos clients.
Le sénateur Tannas : Mes questions s’adressent à M. Thomson. De façon générale, quel pourcentage des abonnés aux services des entreprises que vous représentez ont à la fois le service Internet et le service de télévision par câble?
M. Thomson : Je n’ai pas le chiffre exact. Je dirais que ce serait la très grande majorité.
Le sénateur Tannas : Oui. Donc, si c’est la très grande majorité, je me suis dit que, si vous pouvez offrir le service de diffusion en continu avec le service de câblodiffusion, alors probablement, cela encouragera de nouveaux clients à choisir votre service Internet et cela vous permettra aussi probablement de renforcer d’une façon ou d’une autre vos défenses contre les fournisseurs Internet présents dans le marché ou qui veulent entrer dans le marché. Ai-je raison? Est-ce que cela fait partie des considérations? Parce que ma prochaine question porte sur les enjeux économiques.
Quel est le nœud du problème? Je sais que c’est une question de commodité pour les clients, mais est-ce que vous cherchez un autre avantage? Parce que je ne peux pas croire, vu le nombre de gens que cela représente, que ça puisse être si rentable que ça d’être un agent pour Netflix. Il faut que ce soit pour la commodité. Mais dans les grandes villes, ne croyez-vous pas qu’on cherche à préserver l’idée que l’on veut protéger nos activités avec les fournisseurs de services Internet, et que tout cela est une excellente façon de le faire? C’est un peu des deux. Ai-je raison, même en partie?
M. Thomson : Il y a un enjeu compétitif, évidemment. Dans les marchés où il y a des entreprises concurrentes, la capacité d’offrir le même niveau de service que vos concurrents est essentielle si vous voulez rester en vie et faire un profit. Dans les petites collectivités, il n’y a pas nécessairement de concurrent. Dans ce cas-là, c’est vraiment une question d’offrir un service commode et équitable aux clients.
Le sénateur Tannas : Dans la plupart de vos collectivités, il n’y a pas d’autres fournisseurs Internet. Je suppose qu’il y aurait aussi le fournisseur de services téléphoniques, mais ce serait le seul.
M. Thomson : C’est souvent le cas, oui.
Le sénateur Tannas : Je vais peut-être vous poser une question difficile, par rapport au CRTC, mais je crois comprendre — et vous en avez d’ailleurs parlé — qu’il y a certains domaines dans lesquels le CRTC est très fort et a une grande expertise, et d’autres où il y a davantage de lourdeur administrative et où les choses bougent plus lentement, et cetera.
Vous avez fait l’éloge de ces personnes et les avez qualifiées d’experts. Je crois que vous avez raison. Vous avez dit que nous devons confier les décisions au CRTC plutôt que d’essayer, de notre côté, de tout régler nous-mêmes pour leur dire exactement quoi faire et pour envisager toute éventualité, même si, avouons-le, TikTok n’existait probablement même pas quand la rédaction du projet de loi a commencé. Personne ne savait que cela s’en venait, et maintenant, TikTok occupe la moitié de l’espace.
Si vous regardez la situation du haut de toutes vos années d’expérience, avez-vous des préoccupations quant à la façon dont le CRTC va gérer cet écosystème qui change tellement rapidement, en comparaison d’un système comme le vôtre, où les câbles ont été enfouis il y a 50 ans? En tant qu’expert, dans quelle mesure croyez-vous que le CRTC a la capacité de réagir rapidement, autant lorsqu’il fait une erreur en annulant quelque chose ou lorsqu’il voit quelque chose de bon qui sert l’intérêt des Canadiens et qu’il décide de l’encourager?
M. Thomson : Je pense encore une fois qu’il y a ici deux ou trois questions. Premièrement, le CRTC réagit-il rapidement? Nous avons bien vu que non, et c’est un problème. C’est un problème du côté des télécommunications, et c’est un problème du côté de la radiodiffusion. Du côté des télécommunications, on a proposé au conseil une orientation comprenant une disposition sur la rapidité de ses décisions. C’est un autre point que nous avons abordé dans notre mémoire. Du côté de la radiodiffusion, ce serait bien qu’il y ait dans le projet de loi C-11 quelque chose qui permettrait d’accélérer les décisions du conseil.
Deuxièmement, sommes-nous convaincus que le conseil a les ressources et l’expertise nécessaires pour s’adapter aux changements rapides dans l’industrie? Effectivement, nous avons des préoccupations quant à ses ressources, d’abord parce que non seulement de nouvelles responsabilités vont lui incomber en vertu de ce projet de loi, mais parce que d’autres projets de loi vont aussi proposer d’ajouter à sa charge de travail. Cependant, même si on prend du recul et qu’on se demande qui d’autre serait mieux placé pour le faire, personne ne nous vient à l’esprit.
Le sénateur Tannas : Donc, ce que vous voulez dire, c’est que le conseil va devoir être efficace, n’est-ce pas?
M. Thomson : Il va devoir rester efficace et s’améliorer.
Le président : Avant de commencer le deuxième tour, j’ai moi-même deux ou trois questions à poser.
J’aimerais poser ma question aux deux témoins. Premièrement, je pense que j’ai entendu l’un de vous ou peut-être vous deux dire que le CRTC devrait intervenir et se prononcer sur certains des enjeux qui doivent être examinés, par rapport au règlement et ainsi de suite.
Nous avons entendu beaucoup de témoins dire qu’ils étaient préoccupés par le fait que le CRTC se montre très flexible quand il s’agit des gros joueurs, des entreprises qui ont beaucoup d’influence ici, et qu’il est beaucoup moins réceptif aux producteurs de contenu et aux plateformes de diffusion en continu indépendantes qu’à certains géants. Dans quelle mesure croyez-vous que le CRTC va être transparent dans son processus de consultations publiques et est-ce qu’il saura régler les nombreux points de détail qui, invariablement, demeurent et que de nombreux témoins ont mentionnés à notre comité?
Monsieur Thomson ou madame Herrick, celui qui veut commencer.
M. Thomson : Nous sommes une petite organisation, et nous nous mesurons à de grosses entreprises qui veulent trouver des façons d’obtenir des décisions qui les avantagent, parfois à notre détriment. Nous nous sommes heurtés à cet obstacle durant toute notre existence, mais nous continuons de déployer des efforts.
Mais, au bout du compte, je ne fais pas partie du CRTC. Je n’essaie pas de vous le vendre, mais nous respectons l’organisation. Nous croyons qu’il agit avec intégrité et nous allons continuer de travailler le mieux possible avec lui. Nous croyons que ses processus sont ouverts, publics et transparents et qu’il donne à tous la possibilité de présenter leur position et d’être entendus.
Mme Herrick : Merci de la question. Le CRTC existe depuis longtemps, et je crois qu’il est intègre dans ses activités. Je crois sincèrement qu’il est important que certains aspects du projet de loi, comme l’article 5.2, soient conservés pour que les voix de tous les horizons de nos communautés se fassent entendre.
Même si je sais qu’on veut toujours que les choses se fassent rapidement et qu’il y a beaucoup de gens qui attendent une décision, je pense qu’il est tout aussi important, aux fins de la transparence et d’une représentation adéquate des Canadiens, d’encourager et d’officialiser les consultations et les discussions communautaires. Je pense qu’ainsi, le projet de loi C-11 pourrait réellement avoir du poids et faire en sorte que le CRTC soit tenu à une certaine norme en matière de consultation et d’ouverture au public lorsqu’il s’agit de questions importantes.
Le président : Est-ce que ce serait utile que notre comité — pas dans un amendement, mais plutôt dans une annexe au projet de loi — précise que les lignes directrices en matière de consultations publiques que le CRTC suit sont un peu plus spécifiques que ce que le projet de loi permet au CRTC actuellement, qui est un peu plus large?
Mme Herrick : N’importe quelle orientation que le Sénat pourrait donner au moyen de ce projet de loi serait avantageuse pour tout le monde. Je pense que le gouvernement veut davantage de transparence et d’inclusion. Il faudrait encourager le CRTC à aller dans la même direction. En tant que société, nous voulons promouvoir des discussions ouvertes sur l’équité, l’inclusion et tout cela. Bon nombre de ces questions vont être soulevées dans les projets de loi qui vont toucher de grands pans et de vastes secteurs de nos communautés.
Oui, j’encourage à 100 % le Sénat à fournir toute l’orientation qu’il souhaite.
Le président : D’après tout ce que j’ai entendu et vu par rapport à ce projet de loi, il me semble que les plateformes de diffusion en continu ainsi que toutes ces nouvelles plateformes ont énormément dynamisé les artistes, les producteurs canadiens et les producteurs de contenu du pays au cours des 10 dernières années.
Est-ce juste de dire que les artistes, les acteurs, les producteurs et l’industrie du cinéma au Canada n’ont jamais été dans une meilleure position au Canada que ces dernières années et que c’est en grande partie grâce à ces plateformes?
Après avoir écouté témoignage après témoignage — pendant des heures; le comité a été rigoureux dans son travail —, il me semble que, au bout du compte, le débat se résume essentiellement à la façon de « partager la tarte ». C’est-à-dire, qui va avoir quoi? J’ai l’impression qu’il y a un groupe de personnes qui sont devenues très prospères parce qu’elles ont eu une idée d’affaires novatrice, et qu’il y a un groupe de l’industrie qui n’arrive pas à tirer son épingle du jeu et qu’il dit au premier groupe qui s’en sort bien : « Nous devons continuer à faire ce que nous faisons, et nous voulons que vous payiez votre juste part. »
Est-ce bien ça? Dans le cas contraire, j’aimerais connaître votre point de vue, en une minute environ.
M. Thomson : J’ai un point de vue différent. Je pense que le projet de loi établit qui paie et combien, au lieu de dire qui va bénéficier de ces paiements.
Je pense que nous créons un système qui va établir des règles selon lesquelles tout le monde doit contribuer de façon équitable à la production et à la création d’émissions canadiennes, et c’est l’étape la plus importante. Ensuite, nous dirons combien cela devrait être. La prochaine décision visera à répartir l’argent équitablement. Je ne pense pas que cela va dans le sens inverse. Je ne pense pas qu’il faut se demander qui va pouvoir se partager la tarte, parce qu’il n’y a pas de tarte à partager pour l’instant.
Mme Herrick : De notre point de vue, c’est une question très intéressante. Je suis d’accord pour dire que nous vivons à une époque intéressante en ce qui concerne la création et la contribution artistiques. Je déteste le dire, mais je dirais que la pandémie a donné beaucoup d’indépendance aux artistes et leur a permis d’apprendre comment monétiser leur art sur Internet.
J’ai malgré tout des réserves quant à la surréglementation : nous devons nous assurer de créer et de protéger un espace pour les créateurs de contenu indépendant et l’expression individuelle par rapport à ces questions de réglementation.
Pour moi, ce n’est pas tant une question de financement et d’argent. Il y a d’autres experts qui peuvent se prononcer là-dessus. Je pense que l’important, c’est de trouver un équilibre pour faire en sorte que dans cette explosion de contenu et d’expression artistique, nous ne perdons pas le sentiment d’avoir une voix, en tant que Canadiens, pour communiquer ensemble et réserver un espace où nos différentes communautés peuvent se réunir — je parle des communautés autochtones et des communautés en quête d’équité... Nous devons embrasser et promouvoir l’incroyable explosion de créativité des Canadiens, des gens déjà incroyablement talentueux, comme nous l’avons vu et nous devons les encourager et leur permettre de prospérer.
La sénatrice Wallin : Pour que ce soit clair, je ne voulais pas vous manquer de respect quand je vous ai appelé « le gars du câble ». C’était une tentative d’humour ratée.
Monsieur Thomson, vous avez répondu à une question en disant que, d’après votre expérience, même si vous n’êtes pas toujours d’accord avec les décisions du CRTC qui ont des répercussions dans votre domaine, vous croyez que cette organisation a de l’expertise dans notre pays. Cependant, comme de nombreux témoins nous l’ont dit, le CRTC n’a pas suffisamment d’effectifs, de ressources en personnel. Il n’a pas les budgets nécessaires pour s’occuper de tout cela. Le CRTC va devoir se développer énormément s’il doit en plus surveiller Internet et toutes les plateformes, parce que son expertise vient des années qu’il a passées à surveiller et à réglementer les entreprises de distribution de radiodiffusion, l’industrie de la télévision et l’industrie radiophonique. Ces plateformes et Internet, ce ne sont pas des chaînes télévisées. Ce ne sont pas des entreprises de distribution de radiodiffusion. Donc, pourquoi êtes-vous convaincu qu’il aura l’expertise nécessaire pour s’occuper de tout cela?
M. Thomson : Je répondrai, encore une fois, qui d’autre? Le CRTC a ce qu’il faut pour développer l’expertise nécessaire pour l’avenir. Il va de soi que cela va être un défi, mais d’après ce que je comprends, si le projet de loi est adopté, il va créer un système pour intégrer les plateformes de diffusion en continu dans le système de radiodiffusion et pour faire en sorte qu’elles y contribuent, et quelqu’un va devoir administrer cela.
La sénatrice Wallin : Voilà où le bât blesse. Nous allons surveiller un nombre infini d’heures. Ce n’est pas comme une chaîne de télévision où il y a 24 heures par jour, sept jours par semaine, et c’est gérable. Internet, c’est infini, et vous allez demander au CRTC de surveiller tout ce qui est produit en matière de contenu canadien ou de surveiller la découvrabilité du contenu canadien? C’est une tâche épouvantable, et nous n’avons même pas, selon Mme Herrick et d’autres personnes — et je suis tout à fait d’accord —, une définition claire de ce qu’est le contenu canadien.
M. Thomson : Je pense que ce sera plus facile pour le conseil de surveiller et de faire appliquer les règles sur les obligations en matière de dépenses, mais pour d’autres aspects comme la découvrabilité, ce sera un véritable défi. Je suis tout à fait d’accord avec vous.
La sénatrice Wallin : Madame Herrick, avez-vous un commentaire à faire sur la capacité du CRTC à s’acquitter de cette charge de travail? Il n’est question ici que d’un seul projet de loi. Comme M. Thomson l’a dit, il y en a d’autres en route.
Mme Herrick : Absolument. Ce n’est pas une chose simple, bien sûr. Est-ce qu’on s’attend à ce que le CRTC puisse réglementer toutes les activités de tout le monde sur Internet? Non. On ne s’attend pas non plus à ce que la police soit capable de surveiller ce que tout le monde fait dans la société à tout moment.
Ce sera à nous et à vous, et au CRTC également, de veiller à définir clairement ce qui est permissible, admissible et canadien. Puis, il va devoir se rabattre, jusqu’à un certain point, sur un code d’honneur, parce que personne ne peut faire la police sur Internet. Dieu seul sait que je ne demanderais cela à personne. Je pense que ce que l’on doit espérer, c’est des paramètres clairs pour les activités.
Le président : Merci beaucoup à nos témoins. À la semaine prochaine.
(La séance est levée.)