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TRCM - Comité permanent

Transports et communications


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES TRANSPORTS ET DES COMMUNICATIONS

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mardi 1er novembre 2022

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd’hui, à 9 heures (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi C-11, Loi modifiant la Loi sur la radiodiffusion et apportant des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois.

Le sénateur Leo Housakos (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Bonjour, honorables sénateurs. Je suis Leo Housakos, sénateur du Québec et président de ce comité. J’invite mes collègues à se présenter.

[Traduction]

La sénatrice Simons : Paula Simons, sénatrice indépendante de l’Alberta, territoire du Traité no 6.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Julie Miville-Dechêne, du Québec.

Le sénateur Cormier : René Cormier, du Nouveau-Brunswick.

[Traduction]

Le sénateur Klyne : Bonjour. Marty Klyne, sénateur de la Saskatchewan, territoire du Traité no 4.

[Français]

La sénatrice Gagné : Raymonde Gagné, du Manitoba.

Le sénateur Dawson : Dennis Dawson, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Manning : Fabian Manning, Terre-Neuve-et-Labrador.

Le sénateur Quinn : Jim Quinn, sénateur du Nouveau-Brunswick.

[Français]

La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de l’Ontario.

[Traduction]

La sénatrice Dasko : Donna Dasko, sénatrice de l’Ontario.

La sénatrice Wallin : Pamela Wallin, sénatrice de la Saskatchewan.

Le président : Honorables sénateurs, nous nous réunissons pour poursuivre l’étude du projet de loi C-11, Loi modifiant la Loi sur la radiodiffusion et apportant des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois. Je suis heureux de vous présenter notre premier groupe de témoins : Randy Kitt, directeur du secteur des médias, Unifor; Neal McDougall, codirecteur exécutif par intérim, directeur des politiques, Writers Guild of Canada; Alex Levine, président, Writers Guild of Canada; et John Welsman, président, Guilde des compositeurs canadiens de musique à l’image. Je vous souhaite la bienvenue au comité et je vous remercie d’être avec nous ce matin.

Chaque organisme fera une déclaration liminaire de cinq minutes, et nous passerons ensuite aux questions des sénateurs.

Comme il semble que nous ayons des problèmes techniques avec M. Kitt et M. Levine, je vais céder la parole à M. Welsman. Je vous souhaite la bienvenue.

John Welsman, président, Guilde des compositeurs canadiens de musique à l’image : Je vous remercie, monsieur le président, et mesdames et messieurs les sénateurs. Je m’appelle John Welsman et je suis le président de la Guilde des compositeurs canadiens de musique à l’image, ou GCCMI. Je suis honoré de pouvoir m’adresser à vous aujourd’hui.

Les membres de la GCCMI créent de la musique originale pour des productions audiovisuelles, et le rôle de « compositeur de musique à l’image » est l’un des principaux rôles de créateur qui détermine si une production est admissible à titre de contenu canadien aux fins de la réglementation du CRTC et aux fins du crédit d’impôt du Bureau de certification des produits audiovisuels canadiens, ou BCPAC.

La GCCMI appuie fermement les objectifs du projet de loi C-11 et demande respectueusement au Sénat de veiller à ce qu’il soit rapidement adopté. Nous, les compositeurs, sommes des membres actifs de la Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, ou SOCAN, et de la Coalition pour la diversité des expressions culturelles, ou CDEC, et notre position aujourd’hui reflète leurs analyses et leurs recommandations au sujet du projet de loi C-11.

J’aimerais utiliser le temps qui m’est accordé aujourd’hui pour aborder l’un des thèmes clés du travail de votre comité sur le projet de loi C-11, un thème qui influencera également les prochaines étapes du processus et celles qui les suivront, soit ce qu’on entend par « contenu canadien » dans le contexte des politiques.

Selon nous, l’art canadien est créé par des artistes canadiens et le contenu canadien est créé par des créateurs canadiens. Ce n’est pas une idéologie, c’est une question de bon sens. Comme Netflix vous l’a dit il y a quelques semaines, c’est une question de droits d’auteur, une autre façon de dire que c’est une question de propriété. Il s’agit de savoir qui possède le droit d’être rémunéré pour les utilisations futures d’une œuvre.

Nous sommes d’avis que le projet de loi C-11, en particulier son éventuel cadre réglementaire, devrait consacrer deux principes clés : premièrement, le contenu canadien est un contenu créé par des créateurs canadiens; et deuxièmement, les créateurs canadiens ne devraient pas être forcés de renoncer à leurs droits légaux sur le contenu qu’ils créent comme condition d’engagement.

La grande majorité des études et des rapports gouvernementaux de la dernière décennie ont conclu que le succès d’une politique culturelle ou économique dépend de qui possède et contrôle la propriété intellectuelle, ou PI. Si cela est vrai pour les politiques d’innovation ou le design industriel, c’est également vrai pour les politiques culturelles ou la création de contenu.

Les amendements au projet de loi C-11 visant à exempter les entreprises en ligne de la Loi sur le statut de l’artiste et à diluer l’importance du contenu produit de façon indépendante dans le système rendent la question des droits de PI et des paramètres de négociation encore plus cruciale. Nous sommes d’accord avec ceux qui ont demandé un retour au libellé original du projet de loi C-11 sur ces deux fronts, mais ce qui importe ultimement dans les définitions et les lignes directrices qui seront adoptées, c’est de ne pas perdre de vue le facteur humain le plus important : le contenu canadien est créé et détenu par des Canadiens.

Les géants mondiaux du contenu ne produisent pas des films et des émissions de télévision ici par patriotisme pour le Canada. Ils produisent ici en raison des généreux crédits d’impôt, du taux de change favorable et, surtout, de nos créateurs de classe mondiale — scénaristes, réalisateurs, concepteurs, acteurs et compositeurs — qui ont atteint ce niveau grâce au système de points axé sur les créateurs canadiens, le même système dont ils recommandent l’abandon, même s’ils utilisent le mot « modernisé ».

J’ai regardé leurs témoignages, et la Motion Picture Association et d’autres ont recommandé que le contenu canadien soit un contenu réalisé « par les Canadiens, avec eux ou à leur sujet », ajoutant qu’aucun de ces trois critères ne devrait avoir plus de poids que les autres. En d’autres termes, les plus grandes sociétés de production médiatique du monde recommandent qu’un personnage canadien fictif nommé John Welsman ait le même statut en vertu de la loi canadienne sur la radiodiffusion qu’un créateur réel nommé John Welsman. En tant que créateur canadien nommé John Welsman, je suis respectueusement en désaccord, car « par les Canadiens » est plus important que « à leur sujet ».

Parlant au nom des créateurs canadiens, je crois que toute définition du contenu canadien doit accorder la priorité à l’utilisation continue des talents canadiens. Le contenu créé et détenu par des Canadiens devrait avoir plus de poids dans le cadre juridique qu’un contenu qui se trouve à parler des Canadiens. Nous, les créateurs, demandons que les Canadiens restent au cœur de toute définition du contenu canadien et que les créateurs canadiens conservent le droit d’être rémunérés pour le travail et la propriété intellectuelle qu’ils créent.

Le projet de loi C-11 est une occasion unique d’insister sur le fait que la culture et la souveraineté canadiennes sont plus importantes que ce que signifie « assez canadien » pour les entreprises étrangères quand elles demandent des crédits d’impôt.

Je vous remercie de nous avoir donné l’occasion de vous faire part de notre point de vue, et je serai heureux de répondre à vos questions.

Le président : Je vous remercie, monsieur.

Je pense que nos problèmes techniques sont maintenant réglés. Nous allons donc passer à M. Kitt pendant cinq minutes. Monsieur Kitt, vous avez la parole.

Randy Kitt, directeur du secteur des médias, Unifor : Je vous remercie.

Unifor est le plus grand syndicat du secteur privé au Canada, avec plus de 310 000 membres, et nous représentons plus de 10 000 travailleurs des médias, dont 5 000 membres dans les industries de la radiodiffusion et du cinéma.

En 2009, Red Deer a perdu sa station de télévision, ce qui en fait la plus grande ville du Canada ne se trouvant pas près d’un centre métropolitain à ne pas avoir de station de télévision. Depuis lors, l’emploi dans le secteur de la télévision conventionnelle privée a chuté de plus de 30 %.

Les nouvelles locales, dans leur rôle qui consiste à demander des comptes aux dirigeants, à renforcer la démocratie et à développer l’esprit communautaire, n’ont jamais été aussi importantes. Les médias sociaux ont prouvé qu’ils nous divisaient, en dressant les voisins les uns contre les autres. Nous sommes plus polarisés que jamais, mais des médias canadiens solides peuvent renforcer les communautés.

C’est également en 2009 que le Fonds pour l’amélioration de la programmation locale, le FAPL, a été créé. Le problème était évident, et le CRTC a bien fait les choses : créer un fonds pour soutenir les nouvelles locales. En 2014, cependant, la politique du CRTC a changé, et il a déclaré que nous n’avions plus besoin de financer les nouvelles locales parce que la publicité était de retour. Il s’est trompé. S’en sont suivies huit années de déclin pendant lesquelles nous avons vu notre sentiment d’appartenance à la communauté s’effriter, et vu apparaître ce que nous craignions depuis de nombreuses années : la domination dans nos salons des médias américains pour qui les nouvelles locales n’ont aucun intérêt.

C’est pourquoi nous ne pouvons tout simplement pas laisser cela au CRTC. Nous avons besoin d’un amendement au projet de loi C-11 pour garantir que les nouvelles locales bénéficient d’une source de revenus réservée. À cette fin, Unifor appuie l’adoption du projet de loi C-11 et recommande de modifier le paragraphe 11.1(1) ainsi :

Le Conseil peut prendre des règlements concernant les dépenses à effectuer aux fins ci-après par les exploitants d’entreprises de radiodiffusion

d) la conception, le financement, la production ou la promotion de nouvelles locales et d’émissions d’information, notamment par des contributions faites par des entreprises de distribution à une entreprise de programmation connexe, ou par des entreprises de distribution ou des entreprises en ligne à un fonds indépendant. En établissant des règlements pour la distribution de ces contributions, le Conseil doit tenir compte de la présence locale et de la dotation en personnel de diffusion de l’entreprise de programmation.

Nous croyons que lier le financement des nouvelles locales aux niveaux réels de dotation en personnel local est la mesure la plus fiable pour s’assurer que les fonds de l’industrie sont dépensés exclusivement pour des nouvelles locales pertinentes et opportunes sur lesquelles les Canadiens comptent.

La Loi sur la radiodiffusion et le CRTC ont empêché les radiodiffuseurs étrangers de pénétrer notre marché pendant des décennies, ce qui a permis à l’industrie des médias de prospérer en soutenant fortement les nouvelles locales. Si le projet de loi C-11 est une mise à jour — une modernisation, si on veut —, nous aurons besoin de cet amendement, car les nouvelles locales ont été durement ébranlées et nécessitent une attention particulière ici.

Depuis 2012, la télévision conventionnelle privée a été déficitaire pendant neuf années consécutives, tant pour les médias indépendants que pour les grandes entreprises médiatiques. En 2019, la dernière année complète avant la pandémie, le taux de profit de la télévision conventionnelle était de -7 %. En 2020, il était de -18,6 %, et l’année dernière, il était de -12,4 %. Ces pertes sont réelles pour nos membres. Entre 2017 et 2021, l’emploi dans la radiodiffusion a diminué de 16 %. Bell, Rogers, Shaw et Québecor sont des entreprises que nous aimons détester, mais elles ne sont pas riches au point qu’on doit simplement présumer qu’elles continueront à financer les nouvelles locales en perdant toujours de l’argent.

N’oublions pas que nos radiodiffuseurs, y compris CBC/Radio-Canada, ont dépensé 3 milliards de dollars par année pour le contenu canadien, dont 970 millions de dollars pour les nouvelles — des nouvelles qui sont déficitaires.

Ce projet de loi modifie également la Loi sur la radiodiffusion afin d’accorder aux radiodiffuseurs un allégement de 120 millions de dollars des droits prévus à la partie II. L’Association canadienne des radiodiffuseurs a mentionné au comité du patrimoine canadien qu’elle s’attendait à ce que les radiodiffuseurs consacrent cet argent aux nouvelles locales, mais ce n’est pas contraignant.

Notre amendement garantirait trois choses : s’assurer que les 120 millions de dollars sont dépensés pour les nouvelles locales, créer un interfinancement du câble à la radiodiffusion pour les nouvelles seulement, comme celui que nous avions avec le FAPL, le Fonds pour l’amélioration de la programmation locale, et donner au CRTC des instructions pour diriger une partie des contributions pour le contenu canadien des entreprises en ligne vers les nouvelles locales.

Pour résumer, les nouvelles locales sont en crise. Les nouvelles locales sont essentielles au bien public, et nous savons qu’un fonds pour les nouvelles locales administré par le CRTC peut fonctionner, car il l’a déjà fait avec succès.

Le projet de loi C-11 est une mise à jour nécessaire de la Loi sur la radiodiffusion qui permettra de garantir que les Canadiens ont accès à une programmation locale canadienne, chose qui ne sera pas possible si nous laissons nos médias tomber sous la domination des géants de l’Internet. Ne nous laissons pas distraire par l’accessoire. Adoptons le projet de loi C-11 avec ce petit amendement pour assurer un avenir durable aux nouvelles locales.

Imaginez un monde sans nouvelles. Imaginez le vide. Imaginez maintenant que vous avez le pouvoir de changer les choses. Merci.

Le président : Monsieur Levine, vous avez la parole. Allez-y, s’il vous plaît.

Alex Levine, président, Writers Guild of Canada : Neal McDougall, codirecteur exécutif par intérim de la Writers Guild of Canada fera la première partie de notre exposé.

Neal McDougall, codirecteur exécutif par intérim, directeur des politiques, Writers Guild of Canada : Je m’appelle Neal McDougall, codirecteur exécutif par intérim de la Writers Guild of Canada, ou WGC, et je suis accompagné d’Alex Levine, président de la WGC et scénariste professionnel. Nous sommes l’association nationale qui représente 2 500 scénaristes professionnels travaillant pour le cinéma, la télévision, la radio et les médias numériques de langue anglaise au Canada.

Il y a près de trois ans, un groupe d’experts indépendants en communications, le Groupe d’examen du cadre législatif en matière de radiodiffusion et de télécommunications, a publié son rapport final intitulé L’avenir des communications au Canada : le temps d’agir. L’urgence était évidente dans le titre même. Ce rapport n’est qu’un des nombreux rapports publiés au cours des dernières années. Chacun d’eux arrive aux mêmes conclusions, à savoir que le système canadien de radiodiffusion doit être réglementé pour pouvoir exister, que la Loi sur la radiodiffusion actuelle doit être mise à jour, et que nous devons veiller à ce que les principaux services de diffusion en continu en ligne fassent partie de ce cadre réglementaire si nous voulons soutenir le contenu canadien dans des genres clés comme les émissions dramatiques, les émissions pour enfants et les documentaires. Ces faits n’ont pas changé. Nous avons besoin de cette réglementation, et nous en avons besoin maintenant. Il est temps d’agir.

M. Levine : Bonjour. Comme l’a dit M. McDougall, je suis un scénariste canadien professionnel, mais comme beaucoup de mes collègues, j’avais l’habitude de travailler beaucoup plus. Le fait est que l’industrie télévisuelle nationale canadienne est en déclin. En fait, le volume de la production nationale de langue anglaise a atteint son plus bas niveau en huit ans. Les droits de licence des radiodiffuseurs privés pour la production télévisuelle canadienne de langue anglaise ont chuté drastiquement de près de 75 %, passant de 456 millions de dollars en 2013 à seulement 116 millions de dollars en 2021.

Il ne faut donc pas se leurrer. Il s’agit d’une question existentielle pour nous, scénaristes. Nos emplois sont en train de disparaître. Les scénaristes canadiens qui le peuvent partent en masse aux États-Unis, à la recherche de travail. Nous risquons de perdre toute une génération de conteurs.

Je pense que tout le monde sera d’accord pour dire que la télévision scénarisée est le média culturel dominant de notre époque. C’est par le truchement de la télévision que les histoires atteignent de vastes auditoires, que les valeurs sont promues et que la culture est célébrée. Le point de départ de toute série télévisée à succès est le scénariste — souvent appelé « coordonnateur de plateau » dans le monde de la télévision sérieuse — qui dirige une équipe composée d’autres scénaristes et veille à ce que les scénarios reflètent la vision créative du coordonnateur de plateau. C’est pourquoi on dit de la télévision qu’elle est un média d’écrivains. Les scénarios sont les plans des épisodes, qu’il s’agisse des décors, des accessoires, des costumes, des dialogues et même des scènes que dirige le réalisateur : tout est dans le scénario. Il s’ensuit que, pour préserver notre culture et raconter nos propres histoires canadiennes, nous devons veiller à ce que la télévision canadienne puisse s’épanouir. Il faut donc veiller à ce que le cadre réglementaire continue à promouvoir une quantité importante d’émissions de télévision canadiennes écrites par des scénaristes canadiens.

La WGC appuie le projet de loi C-11. Il s’attaque fondamentalement au déclin de la production nationale canadienne en établissant clairement que les services de diffusion en continu en ligne comme Netflix, Disney+ et Amazon Prime sont couverts par la Loi sur la radiodiffusion, et en donnant au CRTC les outils nécessaires pour les réglementer afin qu’ils contribuent de façon appropriée à notre industrie nationale. C’est l’élément central de ce que le projet de loi C-11 est censé faire, et c’est ce qu’il fait.

M. McDougall : Le projet de loi C-11 peut toutefois être amélioré, et nous avons deux amendements qui, selon nous, sont essentiels pour garantir que les voix canadiennes sont au cœur du système.

Premièrement, l’art est le fait des artistes, et l’art canadien est le fait des artistes canadiens. Nous ne pouvons pas avoir une industrie créative canadienne sans accorder une place centrale aux créateurs canadiens. À cette fin, nous avons une proposition détaillée sur la modification de l’alinéa 3(1)f), qui parle de l’utilisation maximale et au moins de manière prédominante des ressources créatives canadiennes.

Le projet de loi C-11, dans sa forme actuelle, créera un système à deux vitesses dans lequel les entreprises en ligne étrangères jouiront d’une norme moins stricte pour l’utilisation des ressources créatives canadiennes. Étant donné que les services de diffusion en continu étrangers pourraient bientôt dominer notre système, on ne peut pas permettre cela.

Notre proposition est la même que celle de la Coalition pour la diversité des expressions culturelles et est soutenue par l’ensemble du secteur de la production, en plus d’avoir été proposée par le NPD et le Bloc québécois.

Deuxièmement, le projet de loi C-11 exclut actuellement les entreprises en ligne de la Loi sur le statut de l’artiste. Cela représente une menace sérieuse pour la capacité des créateurs canadiens à négocier collectivement, car cela permet aux services de diffusion en continu de faire fi de la certification de la guilde et de refuser tout simplement de traiter avec nous ou avec toute autre guilde. Il n’y a aucune raison valable qui justifie cet amendement de dernière minute. Nous avons obtenu un avis juridique démontrant que le gouvernement fédéral a toute compétence pour légiférer dans ce domaine et, en fait, l’amendement peut être inconstitutionnel compte tenu que la Charte des droits et libertés protège la liberté d’association. Par conséquent, nous vous demandons d’annuler cet amendement irréfléchi et de rétablir l’application normale des droits de négociation pour les entreprises en ligne sous réglementation fédérale.

Nous vous remercions de votre temps et nous serons heureux de répondre à vos questions.

Le président : Je vous remercie de votre exposé. Ma question s’adresse aux témoins de la Writers Guild of Canada. Vous avez appuyé fermement le projet de loi C-11, et vous avez accusé ceux qui s’y opposaient ou s’opposaient à des mesures législatives similaires de s’opposer par le fait même à la transparence des entreprises et à un processus transparent pour certaines grandes plateformes dans le monde. Vous avez fait valoir que les détracteurs du projet de loi ne proposent pas de solutions de rechange.

La vérité est que Konrad von Finckenstein, ancien président du CRTC, a dit :

Je pense qu’il aurait été préférable d’avoir des mesures législatives plus ciblées pour s’attaquer au problème précis des services de diffusion en continu, plutôt que d’englober potentiellement la transmission de musique ou de vidéos, ou les deux, via l’Internet.

Michael Geist a dit que critiquer le projet de loi ne revient pas à critiquer l’aide à la culture ou encore la réglementation des entreprises de technologie.

Messieurs, n’est-il pas possible de parvenir à un équilibre entre veiller à ce que les grandes plateformes fassent leur juste part et s’assurer de ne pas donner de vastes pouvoirs incontrôlés au gouvernement et au CRTC? N’est-il pas légitime d’être préoccupés par ces deux éléments à la fois?

Je sais qu’il est très facile de diaboliser ces plateformes de diffusion en ligne étrangères. On voit ça beaucoup. Nous en avons entendu parler un peu plus tôt. Cependant, des personnes très bien informées nous ont parlé du manque de transparence du processus décisionnel du CRTC. L’ancien vice-président du CRTC, Peter Menzies, a clairement dit que le projet de loi C-11 donne trop de pouvoir au CRTC. Devrions-nous tout simplement ignorer les conseils de ces personnes?

M. McDougall : Il y a beaucoup de choses là-dedans. Bien entendu, il faut trouver un équilibre. Or, dans sa forme actuelle, le projet de loi s’approche vraiment de cet équilibre, même qu’il l’atteint très bien. Le fait est qu’il y a du contenu professionnel sur les médias sociaux. À l’heure actuelle, vous pouvez aller sur YouTube et regarder un film hollywoodien ou écouter de la musique faite par des professionnels. Toutes ces choses sont sur ces plateformes.

En particulier, je pense que je soulignerais l’alinéa 5(2)h), qui demande vraiment au CRTC de trouver cet équilibre, d’éviter d’imposer des obligations réglementaires lorsque cela n’est pas nécessaire. Je pense donc que le projet de loi atteint déjà cet équilibre.

Le président : Monsieur Levine, avez-vous des observations à formuler?

M. Levine : Non, je suis d’accord avec mon collègue, M. McDougall. Merci.

Le président : Et que faisons-nous des innombrables témoins qui ont comparu devant nous pour dire que le CRTC n’a pas toujours été très transparent et qu’il n’est pas nécessairement l’organisme idéal pour mener cela à bien et veiller à ce que le processus réglementaire soit mis en place de façon juste et équilibrée? Nous avons entendu cela de la part d’un certain nombre de personnes, dont deux anciens présidents du CRTC eux-mêmes.

M. McDougall : Eh bien, je ne suis pas sûr que la norme soit idéale. Je pense que la norme est ce qui va fonctionner le mieux dans les circonstances, et je pense que nous devons comparer cela à ce qui se passerait s’il n’y avait pas de réglementation dans ce domaine, c’est-à-dire si le contrôle de ces plateformes était laissé aux mains des sociétés.

S’il y a des amendements ou des propositions pour améliorer la transparence du CRTC, à la bonne heure! Examinons-les. Je pense qu’il y a déjà quelque chose de prévu à cette fin. Il y a un processus d’appel. Il y a une révision judiciaire. Il y a un processus d’audiences publiques ouvertes. Toutes ces choses existent pour le CRTC, mais pas pour YouTube ou TikTok.

Nous devons comparer le genre de transparence que nous obtiendrons à l’égard de la présente situation grâce au projet de loi C-11 — qui, à mon avis, est une amélioration — avec le genre de mainmise des sociétés et le manque de transparence qui prévalent actuellement.

M. Levine : Et j’ajouterais simplement que le CRTC a fait ses preuves pour ce qui est de protéger et de promouvoir les industries culturelles canadiennes qu’il est censé soutenir. Il est malheureux que ces anciens présidents du CRTC soient négatifs quant à leurs antécédents, mais du point de vue de notre industrie, le conseil a réussi à créer une industrie canadienne qui aurait échoué, n’eut été l’organisme efficace qu’il est et l’existence d’une Loi sur la radiodiffusion elle aussi efficace. Et notre industrie est maintenant confrontée à des transformations sans précédent. Il est temps que la Loi sur la radiodiffusion soit refaite.

C’est la raison pour laquelle nous sommes tous ici aujourd’hui. Nous savons que la réglementation et les mesures législatives actuelles nous laissent tomber, nous et nos industries créatives. Je suis convaincu que le CRTC sera en mesure de trouver un équilibre avec les nouveaux outils qui lui seront donnés pour lui permettre de gérer l’avenir des industries médiatiques. C’est la raison pour laquelle nous sommes ici.

La sénatrice Simons : Monsieur Kitt, ayant passé 30 ans de ma vie professionnelle en tant que journaliste, j’aime sans réserve l’argument que vous avancez. Ma première question est la suivante : le problème que vous envisagez ne sera-t-il pas traité d’une manière ou d’une autre par le projet de loi C-18?

Deuxièmement, je pense que nous avons assisté à un bouleversement énorme du modèle médiatique qui était en place depuis fort longtemps. Les gens ne regardent plus les nouvelles à la télévision. Certains Canadiens plus âgés le font encore, mais je ne regarde plus jamais les nouvelles à la télévision, et les nouvelles étaient ma vie. Je vais chercher mes nouvelles sur des plateformes numériques.

Donc, même avec tout l’argent du monde, pensez-vous qu’il est possible de revenir à cette pratique, à cette habitude qu’avaient les gens de regarder le téléjournal ou les nouvelles locales de 18 heures sur un téléviseur?

M. Kitt : Merci de ces questions. Je vais commencer par ce qui est de regarder les nouvelles. Votre dernier point est exactement ce dont nous parlons ici, c’est-à-dire que nous ne faisons plus les choses de la même façon que nous les avons toujours faites. La Loi sur la radiodiffusion a été conçue sans égard pour les plateformes, afin que nous puissions évoluer avec le temps. Lorsque la Loi sur la radiodiffusion a été adoptée, elle n’envisageait pas l’arrivée de l’Internet. Elle n’envisageait même pas la télévision par satellite ou la télévision par câble, et pourtant le CRTC s’est arrogé le pouvoir de réglementer ces technologies. En 1999, le CRTC a choisi de ne pas réglementer Internet, et elle a fait le même choix en 2009.

La dernière question qui a été posée, à savoir si le CRTC est le bon organisme ou si cette législation peut donner trop de pouvoir au CRTC, je dirais ceci : le CRTC a toujours eu le pouvoir de réglementer Internet et il a choisi de ne pas le faire. C’est pour cette raison que ce projet de loi est nécessaire. Il est dommage que l’on ne regarde plus les nouvelles à la télévision, car les habitudes des gens changent avec la technologie. C’est ce que ce projet de loi nous permettra de faire, c’est-à-dire mettre à jour la Loi sur la radiodiffusion afin d’inclure ces technologies. Bien sûr, nous regardons sur TikTok et sur ces autres plateformes, mais il reste que les Canadiens ne peuvent pas se permettre de faire des nouvelles pour les Canadiens si le modèle d’affaires a été radicalement changé.

J’en viens à votre première question sur le projet de loi C-18. Oui, le projet de loi C-18 aborde certains des problèmes liés aux nouvelles locales. Le projet de loi C-18 a été conçu à l’origine, je pense, pour la presse écrite, mais il a également été rendu agnostique sur le plan des plateformes, ce dont nous félicitons le gouvernement, car cela inclut la radiodiffusion, la baladodiffusion et la presse écrite.

Nous sommes en train de changer l’usage que nous faisons des médias et notre façon de consommer les nouvelles. Le projet de loi C-18 n’est pas la solution unique à notre dilemme en matière de nouvelles locales. C’est une pièce du puzzle.

Le projet de loi C-18 traite de Facebook et de Google, qui ont radicalement changé le modèle publicitaire. Deux énormes monopoles américains ont accaparé le marché de la publicité et ont fait disparaître une colonne importante de l’édifice des nouvelles locales et des médias canadiens.

Cependant, le CRTC n’a pas permis aux radiodiffuseurs américains d’entrer dans le domaine de la radiodiffusion canadienne. Si le CRTC avait permis à ABC, NBC et CBS de diffuser bon gré mal gré dans ce pays depuis les années 1970, il ne resterait absolument aucun contenu canadien. Or, il a empêché ces radiodiffuseurs d’entrer dans notre pays et il a créé un système de licences qui permet aux acteurs et aux scénaristes de conserver leur emploi. Ce modèle de licence a en outre permis aux diffuseurs canadiens de financer les nouvelles locales.

Si nous autorisons les diffuseurs américains à entrer dans notre pays, nous devons exiger qu’ils contribuent aux nouvelles locales ainsi qu’au contenu canadien. Je pense que le projet de loi C-18 est une pièce du puzzle. Il est dommage que vous ne regardiez plus les nouvelles télévisées, mais qu’adviendra-t-il des nouvelles canadiennes? Elles se retrouveront sur Internet, qui doit être réglementé, et nous avons besoin d’un modèle de financement pour le faire.

La sénatrice Simons : Monsieur Levine, je vais vous poser une question très similaire.

CTV, Rogers et Global ne commandent plus autant d’émissions de télévision parce que les gens ne regardent pas la télévision. Lorsque je consomme du contenu télévisuel canadien, je l’obtiens par l’intermédiaire d’un tiers, comme Netflix.

Je me demande à nouveau si ce que vous proposez n’est pas basé sur un paradigme. On peut se lamenter autant qu’on veut, mais l’époque où les gens avaient une télévision à horaires fixes et s’asseyaient pour regarder un téléroman ou un drame fait au Canada sur une chaîne de télévision canadienne est révolue, révolue, révolue. Au lieu d’essayer de recréer quelque chose qui ne reviendra pas, ne devrions-nous pas chercher des moyens souples de nous assurer que le meilleur contenu canadien est vu par les Canadiens là où ceux-ci posent les yeux?

M. Levine : Merci de cette question. CBC, Bell et tous les diffuseurs canadiens sont déjà sur Internet. Ils ont tous leur propre service de diffusion en ligne. Ainsi, soit ils vendent à un service d’abonnement de diffusion en ligne avec lequel ils sont en partenariat, soit ils ont leur propre service, comme la CBC qui a ses propres capacités de diffusion en continu sur Gem.

La sénatrice Simons : Les gens regardent Gem.

M. Levine : Oui. La question est de savoir comment nous sommes financés. Comment finance-t-on la télévision canadienne? Nous ne pouvons pas le faire si nous n’avons pas de clientèle. La plupart des gens regardent Netflix et Disney+ et délaissent les entreprises canadiennes. Par conséquent, les sommes que les câblodistributeurs canadiens versent au Fonds des médias du Canada, ou FMC, pour produire des émissions canadiennes diminuent. Nous ne disposons donc pas d’assez d’argent pour créer des émissions canadiennes pouvant concurrencer celles que diffusent Amazon, Netflix et Disney+.

La question n’est pas de savoir où, mais bien de créer un produit que les gens voudront suffisamment regarder et de créer assez de contenu bien produit avec une voix canadienne, écrit par un scénariste canadien, réalisé par un réalisateur canadien et racontant une histoire canadienne.

Si nous permettons aux géants des médias américains d’accaparer toute la clientèle sans verser d’argent pour financer la production canadienne, nous ne pouvons leur faire concurrence. Nous ne pouvons raconter nos propres histoires. Il importe peu de savoir où. Il n’est pas question d’entreprises de radiodiffusion traditionnelles ici, mais de création de contenu.

La seconde question, c’est celle de la découvrabilité.

M. McDougall : J’ajouterais que M. Levine a absolument raison. Le projet de loi C-11 vise essentiellement à élargir la réglementation aux médias que les gens regardent, et ce sont les médias en ligne.

La sénatrice Simons : Je vous remercie beaucoup.

[Français]

Le sénateur Cormier : Merci aux témoins de leur présence. J’ai une question pour M. Kitt, puis une question pour M. Levine et M. Welsman. Monsieur, pour faire suite à la question de la sénatrice Simons concernant votre amendement et les effets que cet amendement aurait — en fait, ce que le projet de loi C-18 apportera comme complément —, pourquoi les entreprises étrangères en ligne comme Netflix et Spotify, qui ne diffusent aucune programmation locale, devraient-elles contribuer à l’amélioration de la programmation locale? Voilà ma question pour vous.

Monsieur le président, j’aimerais poser tout de suite mes questions aux deux autres témoins, MM. Levine et Welsman; j’aimerais d’abord les entendre davantage sur l’exemption de la Loi sur le statut de l’artiste pour les entreprises en ligne, puisqu’il faut reconnaître qu’elles peuvent être étrangères et canadiennes. Il y a des entreprises en ligne canadiennes. Comment le fait d’exempter des entreprises en ligne de la Loi sur le statut de l’artiste créera-t-il un défi pour les négociations que vous tiendrez comme concepteurs?

J’ai une question complémentaire à celle-là : pouvez-vous faire un commentaire sur les obligations différentes en matière d’utilisation des ressources humaines créatrices canadiennes que l’on impose aux entreprises de radiodiffusion canadiennes et aux entreprises étrangères en ligne, puisqu’il y a une distinction entre les deux? Monsieur Kitt, s’il vous plaît.

[Traduction]

M. Kitt : Je vous remercie. J’y ai fait allusion plus tôt, mais pour récapituler, la Loi sur la radiodiffusion a toujours été là pour établir des structures pour les nouvelles locales. Ainsi, dans les années 1970, les entreprises de radiodiffusion américaines ne pouvaient pas tout simplement contourner le système de radiodiffusion canadien; elles devaient passer par l’entremise d’entreprises de radiodiffusion canadiennes, lesquelles utilisaient les droits de licence et les revenus publicitaires pour créer et financer les nouvelles locales. C’est ainsi que tout le système était conçu.

Or, on autorise les Netflix, Amazon et Apple de ce monde à contourner le système depuis 20 ans. Voilà pourquoi nous sommes dans cette situation déplorable. Le coût de faire des affaires au pays, selon moi, c’est de contribuer au contenu canadien, comme les scénaristes et les acteurs le réclament, mais aussi aux nouvelles locales. Notre système a été conçu ainsi. S’il en était autrement, il n’y aurait pas de contenu canadien ou de nouvelles locales.

La Loi sur la radiodiffusion a été d’abord et avant tout instaurée pour protéger la culture canadienne, y compris les nouvelles canadiennes. Les entreprises de radiodiffusion étrangères, que j’appellerai Netflix, Amazon et Apple, devraient pouvoir faire des affaires au Canada à condition de contribuer au contenu canadien et aux émissions et aux nouvelles locales.

M. Levine : Je renverrai la question à Neal McDougall, notre expert en politiques. Il pourra mieux répondre à votre question. Je vous remercie.

M. McDougall : Je vous remercie. Je traiterai d’abord de l’alinéa 3(1)f), qui porte sur l’obligation « d’employer des ressources humaines — créatrices et autres — canadiennes et de faire appel à celles-ci au maximum, et dans tous les cas au moins de manière prédominante ».

Notre proposition concerne exclusivement les émissions canadiennes, et pas les prétendus services à la production, un terme utilisé quand un studio d’Hollywood ou une entreprise de diffusion en continu étrangère vient au Canada pour produire ses propres émissions, filmées ici avec des équipes canadiennes au Canada, mais créées ailleurs.

Nous parlons d’émissions et de contenu canadien. Ce sont eux qui sont réellement au cœur du projet de loi.

Votre comité a discuté à l’occasion des services à la production étrangère, alors que cela ne concerne pas vraiment le projet de loi C-11. C’est quelque chose de complètement distinct. Ces entreprises sont ici pour utiliser les services à la production étrangère en profitant de la faiblesse de notre dollar et de nos crédits fiscaux. Cela ne concerne en rien la radiodiffusion.

Quand il est question de contenu canadien, la norme doit être la même pour tous; il ne devrait pas y avoir de système à deux vitesses. Si les entreprises de diffusion en continu, dont nous voulons qu’elles contribuent aux objectifs de la loi, produisent des émissions canadiennes, elles doivent utiliser les ressources créatives canadiennes au maximum et au moins de manière prédominante. Elles en sont entièrement capables, puisqu’elles clament qu’elles utilisent des créateurs canadiens tout le temps. Il n’existe aucun obstacle à cet égard. Voilà ce que nous proposons.

En ce qui concerne la Loi sur le statut de l’artiste, quand une entreprise étrangère vient au Canada, elle ne doit pas et ne devrait pas être assujettie à des normes en matière de main-d’œuvre inférieures à celles que doivent respecter les entreprises canadiennes. Les travailleurs et les créateurs canadiens et les Canadiens en tout genre ont le droit de bénéficier du même degré de protection, qu’il s’agisse de mesures de protection de la main-d’œuvre ou d’autre chose, qu’ils travaillent pour une entreprise étrangère ou canadienne.

Nous voulons qu’il y ait un statu quo dans la Loi sur le statut de l’artiste pour que les entreprises de diffusion en continu soient traitées comme les radiodiffuseurs, ce qu’elles sont censées faire actuellement en vertu de la Loi sur la radiodiffusion, neutre sur le plan technologique.

M. Welsman : Si vous me permettez de parler de la modification à la Loi sur le statut de l’artiste, je dirais qu’elle a fait perdre à nos membres le droit légal de négocier des conventions collectives avec les entreprises de diffusion en ligne à l’échelle fédérale, alors que ces entreprises constituent la plus importante source d’emplois de notre secteur.

Comme nous l’expliquons dans le mémoire écrit que nous avons remis au comité, cette modification fait en sorte qu’il est plus difficile pour les créateurs canadiens de protéger leurs droits et leurs revenus quand ils font affaire avec des plateformes de contenu internationales. Nous partageons l’avis des entreprises qui ont demandé pourquoi cette modification de dernière minute était nécessaire. Nous considérons qu’il s’agit d’une solution à la recherche d’un problème.

Quand le ministère comparaîtra devant le comité, il pourra peut-être expliquer la nécessité de cette modification, mais entretemps, nous appuyons ceux et celles qui réclament le rétablissement du libellé initial du projet de loi.

[Français]

Le sénateur Cormier : Lorsque l’on songe aux entreprises en ligne, il y a des entreprises étrangères, mais aussi des entreprises canadiennes. Est-ce que cet amendement a été créé pour tenir compte de cette réalité que sont les entreprises en ligne canadiennes qui voudraient être exemptées, elles aussi, de la Loi sur le statut de l’artiste? Le pouvoir de négociation entre les créateurs canadiens et les entreprises en ligne canadiennes ne pourrait-il pas devenir problématique dans ce contexte, si elles sont exemptées elles aussi de la Loi sur le statut de l’artiste?

[Traduction]

M. Welsman : Oui. Les entreprises en ligne sont des entreprises en ligne, qu’elles soient canadiennes ou étrangères. Nous éprouverons avec les entreprises canadiennes les mêmes difficultés qu’avec les entreprises américaines quand nous tenterons de négocier une convention collective équitable pour les créateurs.

Le sénateur Manning : Ma première question s’adresse au témoin d’Unifor.

Vous recommandez d’amender le paragraphe 11.1(1) pour permettre au conseil de prendre des règlements afin de concevoir, de financer, de produire ou de promouvoir des nouvelles ou des informations locales. D’après ce que je comprends, l’objectif essentiel consisterait à faire en sorte que les entreprises de radiodiffusion soutiennent les nouvelles locales, dont vous dites qu’elles disparaissent dans de nombreuses régions du pays. Je me sens vieux après votre dernière remarque, car je regarde encore un peu les nouvelles à la télévision.

Avez-vous présenté cette proposition au gouvernement et avez-vous reçu une réponse?

M. Kitt : Oui, nous soulevons la question depuis plus de 20 ans auprès du gouvernement, puisque nous avons vu les nouvelles locales diffusées dans les imprimés et les journaux disparaître au profit d’Internet, qui était initialement conçu principalement pour les caractères et les images.

Quand à titre de travailleur du secteur de la télévision — je suis monteur vidéo de métier —, je me suis joint au syndicat et je suis devenu président de mon syndicat local en 2008, j’ai indiqué qu’Internet allait réellement prendre son envol et que le CRTC devait commencer à le réglementer, car ce qui s’était passé avec les journaux allait se produire avec la télévision au cours des 10 prochaines années.

Le CTRC ne l’a pas fait. Il a constitué le Fonds pour l’amélioration de la programmation locale, qu’il a toutefois aboli en 2014. C’est ainsi que nous avons vu apparaître au pays des déserts sans nouvelles locales, comme dans l’exemple de Red Deer dont j’ai parlé dans mon témoignage.

Il existe quelques exemples. Red Deer n’est pas la seule ville à avoir perdu ses nouvelles; quand on vit au Nouveau-Brunswick, la plupart des nouvelles viennent d’Halifax ou de Toronto. Notre conseil des médias s’est réuni la semaine dernière et a discuté d’exemples comme celui de Lethbridge. Global Lethbridge a modifié la teneur de son bulletin d’information de 23 heures pour réutiliser le contenu de tous les autres bulletins de la journée; il n’y aura donc aucune nouvelle originale diffusée au bulletin de 23 heures à Lethbridge.

C’est un réel problème qu’il faut résoudre.

Cet amendement est donc nécessaire. Le fonds réservé aux nouvelles locales que nous réclamons doit servir aux entreprises canadiennes intégrées verticalement, comme Bell et Rogers, pour qu’elles y versent les revenus tirés de leurs activités rentables sur le câble et Internet afin de financer les nouvelles locales. Les entreprises de diffusion en continu et sur Internet, qu’elles soient canadiennes ou étrangères, pourront également contribuer au contenu canadien et aux nouvelles locales.

Cela a déjà été fait et devrait être refait parce que les nouvelles locales sont en crise. Et comme les autres témoins vous l’ont également indiqué, les travailleurs de l’industrie des médias du pays souffrent. J’ignore combien de Canadiens Netflix, Apple TV et Amazon emploient, mais je vous garantis qu’ils leur donnent des miettes.

C’est également une attaque contre les travailleurs canadiens qui créent notre culture, nos émissions et nos nouvelles locales.

Le sénateur Manning : Je vous remercie.

Monsieur Welsman ou monsieur Kitt, vous nous avez tous les deux indiqué ce matin qu’il n’y a pas assez d’argent investi dans les productions canadiennes et que des Canadiens perdent leur emploi et sont au chômage actuellement.

D’autres témoins nous ont pourtant affirmé le contraire. Pour ma part, je vous dirais que comme nous l’avons dit plus tôt, nous tentons de concilier tout cela. Nous avons entendu d’autres témoins dire que l’argent est là, mais qu’il ne va tout simplement pas au Fonds des médias du Canada et que les tierces parties doivent recevoir leur part.

Comment pouvons-nous concilier le fait que certains affirment qu’il faut faire en sorte que l’argent aille là où il doit aller et soit distribué équitablement, alors que d’autres disent qu’il n’y a pas d’argent? Il semble que certains témoins nous disent qu’il y a de l’argent, alors que d’autres, comme vous, affirment qu’il n’y en a pas.

Je tente de trouver une réponse claire à cet égard.

M. Kitt : Monsieur McDougall, voulez-vous répondre à cette question?

M. McDougall : Bien sûr.

Il y a tellement d’éléments différents dans notre système que pour être franc, sénateur, je ne sais pas à quoi vous faites référence exactement. Le Fonds des médias du Canada n’a certainement rien à voir avec les nouvelles, et je ne suis pas certain que votre question porte sur le sujet.

Le Fonds des médias du Canada est financé en grande partie par les services de câblodistribution et de diffusion par satellite, qui sont en déclin. C’est un segment dans lequel les gens mettent fin à leur abonnement. Le public ne regarde plus de contenu ainsi. Il s’agissait d’un mécanisme destiné expressément au FMC, et il est assurément en déclin.

Le thème du projet de loi C-11, c’est que le système est en évolution. L’auditoire migre du système traditionnel au système en ligne, et l’argent ne suit pas nécessairement le mouvement. Le projet de loi C-11 vise donc essentiellement à s’adapter à une transformation qui bouleverse le système de radiodiffusion en entier et à faire en sorte que les entreprises de diffusion en continu et les acteurs en ligne contribuent à la création de contenu culturel canadien, au même titre que les radiodiffuseurs traditionnels.

La sénatrice Wallin : Je vous remercie. Je commencerai par M. Kitt.

Vous vous êtes dit préoccupé par l’argent pour financer le contenu canadien, surtout les nouvelles et les nouvelles locales en particulier. Je voudrais connaître votre réponse au sujet d’un exemple autre qu’une fermeture de station de nouvelles locale.

Radio-Canada reçoit 1,4 ou 1,6 milliard de dollars par an — je ne suis pas certaine du montant en ce moment — directement des contribuables. Elle fait concurrence au secteur privé au chapitre des revenus publicitaires sur tous les marchés, y compris pendant les bulletins d’information locaux. Elle a également utilisé une partie de l’argent des contribuables pour établir ses propres services de diffusion en continu afin de faire concurrence aux autres acteurs dans ce segment. Les services qu’elle finance attirent un très faible auditoire, mais cela prive quand même le secteur privé de revenus potentiels.

Pensez-vous que Radio-Canada devrait continuer d’agir ainsi?

M. Kitt : Unifor ne prend pas position pour dire si Radio-Canada devrait continuer ou non, mais nous considérons qu’elle devrait être adéquatement financée. Les revenus publicitaires en général sont en baisse. Aucune entreprise ne peut assurer sa viabilité avec les revenus publicitaires; ce n’est certainement pas le cas pour les nouvelles locales. Cet argument n’est donc plus pertinent.

Ce qu’il faut, c’est financer adéquatement Radio-Canada. Puisque ce sont les médias numériques qui attirent les gens, comme les autres témoins l’ont souligné, le modèle de financement doit également passer au numérique. Cela signifie que Google, Netflix, Amazon, Facebook et le reste des entreprises en ligne constituent une pièce du casse-tête, que ce soit dans le projet de loi C-18 ou dans celui-ci. Le projet de loi C-11 en est une autre. Nous reviendrons dans un ou deux ans pour parler de l’Initiative de journalisme local, qui entre également dans la composition du casse-tête. Toutes ces pièces doivent s’unir pour financer les nouvelles locales et les émissions canadiennes.

Je tiens à préciser que nous ne demandons pas de fonds publics. Ce qu’il faut, c’est que l’argent de l’industrie soit réacheminé vers l’industrie canadienne, comme il l’était par le passé, afin de lui permettre de prospérer de nouveau, comme d’autres témoins l’ont proposé.

La sénatrice Wallin : D’accord. J’ai toutefois encore besoin que vous répondiez à la question suivante : si Radio-Canada utilise des fonds publics pour faire concurrence aux entreprises privées qui offrent des services de nouvelles locales dont vous dites qu’ils doivent être protégés, est-ce la bonne manière de procéder? Radio-Canada leur fait concurrence au chapitre des revenus publicitaires, réduisant ainsi l’accès aux fonds privés des publicitaires pour créer le contenu que vous dites nécessaire.

M. Kitt : En effet, mais je ne suis pas certain que le projet de loi C-11 ait quelque chose à voir avec la concurrence relative aux revenus publicitaires.

La sénatrice Wallin : La question est de savoir qui, des services de diffusion en continu ou des contribuables, financera le contenu local. Le gouvernement subventionne déjà la plupart des médias imprimés et des radiodiffuseurs traditionnels sous une forme ou une autre. Cela revient à une question d’argent.

M. Kitt : Si c’est une question d’argent, le gouvernement pourrait mieux financer Radio-Canada. Si cette dernière a besoin de revenus publicitaires pour créer des nouvelles et si nous voulons l’en empêcher, alors le gouvernement devra la financer davantage.

Nous devons diffuser plus de nouvelles locales, et ce sont Radio-Canada et les radiodiffuseurs privés qui peuvent le faire. Si c’est une question de financement, je ne pense pas que le projet de loi C-11 porte sur la question. Il vise plutôt à utiliser l’argent de l’industrie pour financer les nouvelles locales traditionnelles privées.

La sénatrice Wallin : Voici une dernière question. Vous voulez simplement maintenir une combinaison de fonds privés et publics pour financer des organisations qui semblent attirer de moins en moins de monde?

M. Kitt : Eh bien, ce n’est pas nécessairement vrai, mais l’auditoire migre vers un segment différent, dans lequel nous tentons tous de savoir comment agir. Le projet de loi C-11 propose justement d’investir l’argent dans le segment de l’industrie qui attire les gens.

La sénatrice Wallin : Monsieur McDougall, vous avez indiqué que la découvrabilité — soit la capacité des Canadiens de trouver le contenu qu’ils aiment — vient en second après la nécessité d’avoir plus d’argent pour continuer de créer un produit que les gens regarderont sous diverses formes. Vous ai-je bien compris?

M. McDougall : Non. Je pense que c’est M. Levine qui a formulé cette remarque. Je ne suis pas certain qu’il voulait dire que cela vient en second.

La sénatrice Wallin : J’interrogerai M. Levine, alors. Quelqu’un a dit que la découvrabilité vient en second.

M. Levine : Non. J’ai dit que c’était la seconde question. La première question, c’est de savoir comment financer le contenu, et la seconde, de savoir comment le trouver.

La sénatrice Wallin : D’accord. Je vous interrogerai donc de nouveau sur le financement. Je vous demanderais de répondre brièvement à la question suivante. Êtes-vous à l’aise avec le fait que le gouvernement subventionne non seulement la production de contenu canadien, mais également les nouvelles, les journalistes et les organes de presse qui couvrent les activités du gouvernement?

M. McDougall : Nous ne sommes pas un organisme journalistique. Nous n’avons pas de position étayée sur le journalisme. Vous avez mentionné tout à l’heure que Radio-Canada recevait un financement de 1 milliard de dollars. Par contre, la BBC, au Royaume-Uni, qui ne fonctionne que dans une langue, reçoit un financement de 6 milliards de dollars. Radio-Canada est donc sous-financée selon les normes internationales. Si vous ne voulez voir aucune publicité à Radio-Canada, il faut la financer en conséquence.

Le président : Nous devrions peut-être comparer les cotes d’écoute de la BBC avec celles de Radio-Canada, mais ce serait le sujet d’un autre débat.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Bonjour, messieurs. Tout d’abord, évidemment, je suis assez d’accord sur l’idée que la culture canadienne est une question existentielle, mais j’ai trouvé un peu radicale la différenciation que vous avez faite entre la production canadienne et la production de services, étant donné que, depuis le début de cette session, vous parlez des emplois et de l’importance d’employer des Canadiens dans les productions de services. À ce que je sache, on emploie aussi des techniciens canadiens et des talents canadiens, même si je crois comprendre que, normalement, les droits d’auteur sont souvent détenus à l’étranger. Est-ce que cela ne vaut rien, cette production de services? Cela signifie quand même beaucoup d’emplois, mais, à vos yeux, cela semble très, très mineur par rapport à tout le reste. Est-ce le cas? Peut-être M. Welsman pourrait-il répondre?

[Traduction]

M. Welsman : Je pense que nos membres font du très bon travail. Nous valorisons beaucoup les services de production au Canada. C’est une catégorie différente. Il faut un score de six points sur dix pour avoir droit aux incitatifs fiscaux. Nous ne critiquons pas cette exigence.

Pour parler au nom de mes membres, nous travaillons à la post-production. Nous sommes embauchés très tôt dans le processus, souvent au stade du scénario. Notre travail débute parfois pendant le tournage, mais il commence réellement à la post-production.

Il manque d’incitatifs dans le système en ce moment; nous en avons parlé au Bureau de certification des produits audiovisuels canadiens. Ce serait merveilleux de prévoir des incitatifs pour que la post-production se fasse au Canada.

Je vais généraliser un peu, mais les producteurs américains font habituellement leur post-production chez eux, ce qui n’aide pas nos membres.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci pour cette réponse. Monsieur McDougall, c’est vous, je crois, qui avez été le plus tranchant sur cette question.

[Traduction]

M. McDougall : Merci, sénatrice. Je ne voulais pas banaliser l’impact des services de production sur les emplois. Cette question ne fait pas partie du projet de loi C-11. Les services de production sont soutenus par une série de politiques distinctes, notamment le crédit d’impôt pour services de production, qui fait partie du régime fiscal, et non du système de radiodiffusion.

Des facteurs tels que la faiblesse du dollar et les travailleurs qualifiés au pays attirent ce type de production. Par contre, nous devons nous concentrer sur l’objet du projet de loi C-11, qui n’est pas, disons-le, cette production-là, mais plutôt la production canadienne.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : J’ai une brève question pour M. Kitt. J’avais de la difficulté à suivre votre raisonnement. D’abord, il me semble évident que ce que vous demandez participe beaucoup plus au prochain projet de loi C-18, qui est déjà à l’étude à la Chambre des communes. De plus, évidemment, je suis une ancienne journaliste et je comprends les problèmes liés aux nouvelles régionales, qui n’ont pas assez d’argent. Toutefois, avec le projet de loi C-18, selon le directeur parlementaire du budget, les grands réseaux de télévision auront la plus grosse part des subventions et des fonds. N’est-ce pas donc rassurant pour vos membres, pour vos syndiqués?

[Traduction]

M. Kitt : Mes membres vont trouver rassurant que nous parlions de nouvelles locales.

Le projet de loi C-18 est un morceau du casse-tête. Les chiffres qui sont sortis selon lesquels les radiodiffuseurs allaient recevoir la part du lion de ce financement ne sont peut-être pas exacts, puisque le projet de loi C-18 met en place un processus permettant aux entreprises de négocier entre elles.

Quiconque chiffrerait la valeur de ces ententes mettrait la charrue devant les bœufs parce que les entreprises doivent d’abord négocier les ententes pour connaître leur valeur. Ces chiffres reposent sur des données australiennes qui n’ont rien à voir, car les radiodiffuseurs ne sont pas inclus, si je ne m’abuse, dans le modèle australien.

Nous n’avons aucune idée de ce que ces ententes vont valoir. Le projet de loi C-18 est un morceau du casse-tête avec Facebook et Google, et nous ne pouvons pas mettre tous nos œufs chez ces deux géants. Le projet de loi C-11 parle de Netflix, d’Amazon et d’Apple et de la façon dont le modèle de radiodiffusion canadien a été chamboulé parce que ces diffuseurs en ligne étrangers ont été autorisés à diffuser au pays. Nous n’avons permis à NBC, à CBS et à ABC de diffuser au pays que s’ils le faisaient par l’entremise de radiodiffuseurs canadiens. Alors, pourquoi permet-on à Netflix, à Amazon et à Apple de le faire sans condition? S’ils veulent diffuser leurs émissions au pays, ils devraient payer et contribuer au contenu canadien et aux nouvelles locales comme les radiodiffuseurs américains étaient tenus de le faire dans le passé.

La sénatrice Dasko : Ma première question s’adresse à monsieur Kitt. Vous nous avez parlé du déclin des nouvelles locales. Vous avez surtout parlé de la télévision. Nous avons beaucoup parlé des téléspectateurs en nous demandant où ils allaient aller. Mais qu’en est-il de la radio? Je sais que je fais vieille école. Nous sommes censés dire « audio », et non pas « radio », mais c’est ma terminologie.

Je n’ai pas vu les données sur les consommateurs, mais je suppose que l’audio, ou la radio, est encore une source importante de nouvelles locales. Établissez-vous une distinction entre les deux?

M. Kitt : Traditionnellement, la radio ne dépense pas autant d’argent que la télévision pour les nouvelles locales, ce qui ne l’empêche pas d’être une plateforme importante pour ce type de nouvelles. En fait, la baladodiffusion est actuellement une source formidable — et émergente — de nouvelles locales. Ce sont ces types de plateformes qui ont besoin de financement.

Le journalisme coûte cher. Je pense surtout au journalisme local et au journalisme d’enquête. À Toronto, CBC est encore le seul radiodiffuseur à présenter du bon journalisme d’enquête aux bulletins de nouvelles locales à la radio. Je ne connais pas d’autres stations de radio qui font ce type de journalisme, qui est coûteux et qui nécessite du financement gouvernemental.

Comme je l’ai dit, le projet de loi C-18 s’applique à toutes les plateformes. C’est formidable. Par contre, le projet de loi C-11 doit obliger les diffuseurs en ligne à payer leur juste part pour soutenir le contenu canadien, la programmation locale et les nouvelles locales au pays. Pour les géants du Web, la contribution aux nouvelles locales représente une somme ridicule par rapport aux profits qu’ils engrangent. Il nous faut cette contribution pour ne pas perdre les nouvelles locales.

La sénatrice Dasko : J’aimerais revenir à ma question sur l’audio. Si les gens ne regardent pas les nouvelles locales à la télévision, pourquoi même réfléchir à la question? Concentrons-nous plutôt sur les médias où les gens s’informent — et si c’est l’audio et la radio, intégrons-les à notre étude. Pourquoi conserver les bulletins de nouvelles locales télévisés si les gens ne les regardent plus?

M. Kitt : Nous suivons le comportement des auditeurs. Les travailleurs de la radio et de la télévision font des balados. Ils publient leurs bulletins de nouvelles sur Twitter, YouTube et TikTok. Nous suivons ce que font les auditeurs. Pour sa part, le comité a pour tâche de suivre l’argent, qui doit venir des diffuseurs en ligne et être investi dans l’industrie canadienne. Ensuite, peu importe où se tournent les auditeurs, ils écouteront les nouvelles locales. Vous l’avez dit vous-même, tout comme les autres sénateurs : s’ils ne les regardent pas à la télévision, les gens vont les regarder sur telle ou telle plateforme. Faute de financement pour les nouvelles ou la programmation locale, les auditeurs n’auront nulle part où se tourner. Voilà en substance le contenu des témoignages d’aujourd’hui.

La sénatrice Dasko : Merci.

Le président : Chers collègues, nous avons écoulé le temps qui nous était alloué. J’aimerais remercier les témoins de leur présence aujourd’hui. L’échange a été visiblement très fructueux, car il a suscité bon nombre de questions. Il y a encore plusieurs sénateurs qui veulent intervenir lors de la deuxième série de questions.

Merci de votre participation.

[Français]

Chers collègues, pour notre deuxième groupe de témoins, nous avons le plaisir d’accueillir, par vidéoconférence, Tulsa Valin-Landry, président du Conseil provincial du secteur des communications, Conseil provincial du secteur des communications du Syndicat canadien de la fonction publique. Nous accueillons également, par vidéoconférence, Nathalie Blais, conseillère à la recherche, Syndicat canadien de la fonction publique, Conseil provincial du secteur des communications du Syndicat canadien de la fonction publique, et Wojtek Gwiazda, porte-parole du Comité d’action de Radio Canada International. Chaque organisation aura cinq minutes. Nous allons commencer avec M. Valin-Landry. Monsieur Valin-Landry, vous avez la parole.

Tulsa Valin-Landry, président, Conseil provincial du secteur des communications, Conseil provincial du secteur des communications du Syndicat canadien de la fonction publique : Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, merci de nous recevoir pour discuter du projet de loi C-11. Je m’appelle Tulsa Valin-Landry. Je suis président du Conseil provincial du secteur des communications du SCFP Québec. Je suis accompagné de Nathalie Blais, conseillère à la recherche du SCFP. Nos commentaires porteront principalement sur le marché de langue française.

Le Conseil provincial du secteur des communications (CPSC) représente près de 6 700 travailleuses et travailleurs du secteur de la radiodiffusion au Québec. Nos membres travaillent dans tous les types d’entreprises de radiodiffusion, que ce soit en distribution, en radio, en télévision locale spécialisée et communautaire ainsi que sur Internet. Ils participent activement à la démocratie en produisant des nouvelles fiables qui contribuent à lutter contre la désinformation.

Nos membres sont également impliqués dans la production d’émissions de divertissement. C’est là une particularité québécoise sur laquelle nous souhaitons attirer votre attention, car les équipes qui se consacrent à ces émissions chez les radiodiffuseurs ont pratiquement disparu au cours des 30 dernières années en raison du sous-alinéa 3(1)i)(v) de la Loi sur la radiodiffusion. Cette dernière a, sans contredit, permis au secteur de la production indépendante de se développer, d’obtenir du financement public et de contribuer à diversifier avec brio les émissions offertes à la télévision. Toutefois, cela s’est fait au détriment des travailleuses et des travailleurs des radiodiffuseurs. Nous appuyons donc la modification de cette disposition, mais nous souhaitons qu’elle soit précisée pour confirmer que le libellé inclut bel et bien les radiodiffuseurs eux-mêmes.

Le CPSC appuie le projet de loi C-11. Pour les télédiffuseurs traditionnels, qui sont déficitaires depuis 2012 au Canada, il est minuit moins une. Il faut établir un contexte concurrentiel plus sain avec les entreprises en ligne multinationales qui agissent comme un rouleau compresseur en n’ayant aucune obligation réglementaire. Le projet de loi doit donc mettre tous les acteurs de l’industrie sur un pied d’égalité, afin de protéger notre souveraineté culturelle et les quelque 50 000 emplois que procurent les radiodiffuseurs canadiens.

Le projet de loi C-11 doit être vu comme un remède à l’inaction des gouvernements, qui ont laissé les entreprises en ligne étrangères innover dans le marché canadien pendant une décennie. Dix ans plus tard, les géants américains de la diffusion en ligne dominent le marché de la vidéo sur demande par abonnement. Comme si cela n’était pas assez, voilà que Netflix et Disney+ s’apprêtent à entrer dans le marché publicitaire canadien, ce qui viendra encore augmenter la pression sur les télédiffuseurs canadiens.

Malgré leurs imperfections et leurs difficultés, les entreprises de radiodiffusion canadiennes demeurent les grands investisseurs dans la programmation canadienne du marché francophone. Les acteurs étrangers en ligne qui se targuent d’être les seconds plus importants contributeurs au contenu canadien, avec 15 % de la totalité des investissements au pays, injectent seulement 1 % de ces mêmes dépenses dans le marché de langue française. En contrepartie, les télédiffuseurs canadiens sont à l’origine de 49 % du financement des émissions canadiennes en français. Ce sont des acteurs essentiels à la programmation de langue française qu’il faut soutenir avec un projet de loi clair qui ne sera pas contesté devant les tribunaux à la première occasion.

Nathalie Blais, conseillère à la recherche, Syndicat canadien de la fonction publique, Conseil provincial du secteur des communications du Syndicat canadien de la fonction publique : Pour y arriver, nous croyons que le projet de loi C-11 doit encore être modifié à plusieurs égards. D’abord, la portée du projet de loi doit se limiter à inclure les entreprises en ligne étrangères dans la réglementation canadienne, et non l’ensemble des entreprises de radiodiffusion, comme le prévoit actuellement l’alinéa 3(1)a) proposé. Ensuite, il faut s’assurer de la symétrie réglementaire et de la neutralité technologique du projet de loi. Pour ce faire, le législateur doit donner au CRTC le pouvoir de mettre en œuvre les objectifs de la politique canadienne de radiodiffusion auprès de toutes les entreprises de radiodiffusion linéaires et en ligne, ce qui n’est pas le cas actuellement.

Sur le plan de l’emploi, l’alinéa 3(1)f) doit être renforcé pour garantir que le système canadien de radiodiffusion a des retombées positives pour les Canadiennes et les Canadiens. Il est par ailleurs nécessaire de mentionner les nouvelles locales et l’élément communautaire en plus de la production indépendante au paragraphe 11.1(1), qui porte sur les dépenses en émissions canadiennes. Le mandat de la radiodiffusion communautaire est grandement rehaussé par le projet de loi C-11, et l’information de qualité est plus essentielle que jamais à notre démocratie. Le législateur doit donc envoyer un message clair sur l’importance de financer ces types de programmation sans les mettre en concurrence.

Il faut aussi rééquilibrer les pouvoirs dans le projet de loi en balisant mieux ceux du gouvernement et en permettant au public de demander la révision de toute décision du CRTC qui ne va pas dans le sens de la politique canadienne de radiodiffusion. Enfin, le projet de loi C-11 doit prévoir le maintien du processus des audiences publiques pour le renouvellement des ordonnances et renforcer la reddition de comptes du CRTC.

Nous vous remercions de nous avoir écoutés et nous sommes disposés à répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup.

[Traduction]

Je cède la parole à monsieur Wojtek Gwiazda. Allez-y, s’il vous plaît.

Wojtek Gwiazda, porte-parole, Comité d’action de Radio Canada International : Merci. Je m’appelle Wojtek Gwiazda. Je suis porte-parole du Comité d’action de Radio-Canada International, ou RCI, qui représente les employés actuels et les anciens employés de RCI. Le comité est soutenu par le syndicat, qui représente les employés de RCI.

Je vais vous parler du paragraphe 46(2) de la Loi sur la radiodiffusion et des raisons pour lesquelles il devrait être modifié. Le paragraphe 46(2) exige que CBC/Radio-Canada fournisse des services internationaux, mais ne définit pas en quoi consistent exactement ces services. Comme cette disposition est la seule qui mentionne RCI, nous proposons de modifier le paragraphe 46(2) pour que soient inscrits clairement, dans la Loi sur la radiodiffusion, le rôle et le mandat de RCI en tant que service de calibre mondial. Ce rôle n’a jamais été aussi nécessaire et essentiel.

Depuis la première émission qu’elle a diffusée, en 1945, RCI remplit une mission unique au Canada et dans le monde en faisant connaître le Canada aux quatre coins du monde à des personnes qui en savent très peu ou qui ne savent rien du tout sur notre pays. Deux semaines après la place Tiananmen, nous avons commencé à diffuser des émissions en chinois en Chine. Lorsque les casques bleus canadiens déployés en Yougoslavie ont voulu avoir des nouvelles de leur famille au Canada, nous étions là. Chaque fois que les Canadiens ont voté pour un nouveau gouvernement, nous avons diffusé la soirée électorale en direct à l’étranger. Nous avons enregistré et vendu sur l’étiquette RCI des albums d’artistes comme Glen Gould, Oscar Peterson, Gilles Vigneault et Pauline Julien. Nous avons conçu des cours d’anglais et de français qui ont été diffusés dans des stations de radio un peu partout dans le monde. Nous avons présenté des conférences en diffusion internationale et nous avons rapidement adopté Internet et mis sur pied un site Web multilingue.

RCI était un radiodiffuseur international hautement respecté. Nous avions des auditeurs loyaux et un rayonnement qui transcendait les frontières.

Jusque dans les années 1990, la relation propriétaire-locataire entre Radio-Canada et RCI fonctionnait bien. La gestion de RCI et ses décisions éditoriales et journalistiques ont été mises entre les mains de son conseil d’administration, qui possédait une expertise sur la radiodiffusion internationale. Mais en 1990, Radio-Canada a utilisé le budget de RCI pour atténuer les répercussions des compressions budgétaires sur son service national. Dans les années suivantes, les difficultés budgétaires et financières persistantes ont poussé les dirigeants de CBC/Radio-Canada à prendre le contrôle du conseil d’administration de RCI, ce qui a produit des résultats désastreux.

Par exemple, l’an dernier, la programmation contextualisée dans les langues officielles du Canada a été éliminée à la suite de la fermeture des salles de rédaction anglaise et française. Les années antérieures avaient vu le démantèlement de la salle de nouvelles de même que l’élimination des sections ukrainienne et russe et des départements des relations avec le public et des enregistrements musicaux. L’an dernier, le remaniement du site Web de RCI a donné des résultats lamentables. Il est à présent utilisé pour promouvoir la programmation de CBC/Radio-Canada au pays.

Les priorités du diffuseur national ou les contraintes budgétaires ne devraient pourtant pas déterminer le rôle et le mandat de RCI. Les décisions en la matière doivent être prises par le Parlement. L’avenir de RCI ne doit pas être mis sur une voie de garage.

En cette ère de mésinformation, où un nombre croissant de grands médias imposent des frais aux consommateurs, nous avons besoin plus que jamais d’un service mondial fiable, gratuit et accessible. Si nous voulons la revitaliser, RCI doit devenir une organisation technologique et concurrentielle.

Chers sénateurs, il y a 28 ans, le comité a mené une enquête sur le mandat et le financement de RCI. J’avais été honoré de comparaître devant le comité et j’avais été impressionné par ses nombreuses recommandations importantes. Vous aviez alors conclu que RCI n’était pas suffisamment protégée pour accomplir son travail important.

Chers sénateurs, la balle est dans votre camp. Je vous exhorte à modifier le paragraphe 46(2) si, selon vous, il est important que le reste du monde connaisse le Canada, que les pays où les informations sont censurées obtiennent des nouvelles de l’extérieur, que nous assurions un accès impartial, gratuit et fiable aux nouvelles. Je vous demande de modifier cette disposition si, en somme, vous êtes fiers du Canada. Ce paragraphe ne vise pas Radio-Canada, mais bien RCI. Demandons-nous si le Canada mérite ou non un service international. Merci. Je répondrai avec plaisir à vos questions.

Le président : Merci, monsieur Gwiazda. Je vais commencer par ma collègue et coprésidente du comité, la sénatrice Miville‑Dechêne, que j’ai découverte jadis à Radio-Canada International.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Je veux commencer mon intervention en disant que j’ai été journaliste à Radio-Canada pendant 25 ans; j’ai également été ombudsman. Je déclare donc que je porte un grand intérêt à la télévision et à la radio publiques.

Ma première question s’adresse à M. Gwiazda. Je comprends tout à fait votre noble quête, mais, comme vous le savez, les décisions de Radio-Canada ont été prises à une époque de compressions budgétaires. Je sais que nous ne sommes pas tous d’accord sur celles-ci et sur leur importance, mais Radio-Canada a fait des choix de programmation nationale par opposition à son service étranger. Les services étrangers coûtent cher. La BBC a conservé son service à l’étranger. Vous connaissez ses sources de financement si on les compare aux nôtres. Elles n’ont rien à voir.

Le Comité du patrimoine de la Chambre des communes a déjà créé un amendement qui semble répondre à vos préoccupations, du moins à certains égards. Il s’agit d’un amendement disant que la société fournit des services de programmation destinés à l’étranger, conformément aux instructions que peut donner le gouverneur en conseil. Il semble faire le lien entre un éventuel financement précis de ce service et le fait même de le fournir. Quelle est votre position à ce sujet? Cela reste une question délicate pour un radiodiffuseur comme CBC/Radio-Canada, qui souhaite garder une certaine indépendance dans le choix de ses services, mais qui, je le comprends, est liée par la Loi sur les langues officielles, par exemple. J’aimerais vous entendre à ce sujet.

M. Gwiazda : En effet, le service national est destiné aux Canadiens. L’expertise internationale n’est pas là. Je serais la première personne à dire, en tant que journaliste, que je ne veux pas qu’un gouvernement me dise ce que je devrais faire et ce que devrait être mon choix éditorial, sauf que si un texte de loi dit que nous devons avoir un service mondial, il doit être respecté.

CBC/Radio-Canada ne respecte pas cela. Quand ils ont adopté leur dernière politique en décembre 2020, ils ont orienté la programmation vers les immigrants au Canada. Je n’ai rien contre cela si la Radio-Canada veut le faire, mais ce n’est pas le rôle d’un service mondial. Notre rôle est d’expliquer le Canada au monde, à l’extérieur de notre pays, à des gens qui, pour la plupart, ne sont pas Canadiens.

La sénatrice Miville-Dechêne : Où CBC/Radio-Canada devrait-elle couper pour financer ce service mondial?

M. Gwiazda : Je crois que c’est une drôle de façon de poser la question, parce que ce ne devrait pas être la responsabilité de Radio-Canada de financer un service mondial.

Pour faire une comparaison, vous avez parlé de la BBC. Le Royaume-Uni n’a même pas deux fois la population du Canada, mais il dépense 200 fois plus que nous pour son service mondial. Donc, si le Parlement, et non Radio-Canada, décide que nous ne voulons pas parler du Canada au monde, nous l’accepterons, mais ce n’est pas le problème.

Depuis 1945, il y a une volonté d’avoir un service mondial. Radio-Canada, jusqu’en 1990, a respecté le fait que le RCI avait le contrôle. Oui, il y a des questions budgétaires, mais nous devons avoir un contrôle très détaillé en vertu de la Loi sur la radiodiffusion à ce sujet, car sinon, RCI est très vulnérable. Nous en avons besoin, sinon ce n’est pas la peine d’avoir un service mondial.

En 2012, le gouvernement de l’époque a demandé à la Radio-Canada de couper 10 % de son budget, et Radio-Canada a décidé de couper par priorité. Ils ont coupé 80 % du budget de RCI. Sur les 16 000 coupes dans le secteur francophone, 10 000 provenaient de RCI. Comment peut-on s’attendre à ce qu’il y ait une certaine équité envers un service mondial au sein de Radio-Canada dans un contexte où il n’y a pas une certaine indépendance sur le plan du financement? En 1990, avant que Radio-Canada ne prenne notre argent, il y avait 20 millions de dollars par année qui étaient consacrés seulement à RCI.

La sénatrice Miville-Dechêne : Je vous comprends, merci.

Le sénateur Cormier : Merci aux témoins. Ma question s’adresse à M. Valin-Landry et à Mme Blais. D’abord, je vous remercie pour votre volumineux mémoire. Je concentrerai mes questions sur l’amendement que vous proposez au sous-alinéa 3(1)(i)(v), où l’on demande de faire appel au maximum aux producteurs canadiens, qu’ils soient indépendants ou affiliés ou qu’ils soient la propriété d’une entreprise de radiodiffusion, amendement auquel vous ajoutez les mots « ou une telle entreprise ».

Vous représentez 6 700 personnes au Québec. Combien de ces personnes travaillent-elles dans le domaine de la télévision? Ce serait important pour éclairer mes questions.

Mme Blais : Il y a à peu près 1 200 personnes qui travaillent en télévision parmi nos membres, mais chez les radiodiffuseurs, on parle de 6 700 personnes.

Le sénateur Cormier : Vous demandez une modification. On a entendu beaucoup de témoins d’ailleurs au Canada qui ont demandé de revenir à l’amendement initial des producteurs indépendants. Est-ce que je me trompe en disant que les diffuseurs comme Québecor et Bell Média, entre autres, ont une importante partie de leur production interne qui est liée à la question des bulletins de nouvelles et des émissions de sport et d’actualité, qui est orientée vers ces secteurs?

M. Valin-Landry : En ce moment, oui. Les émissions de divertissement ont considérablement diminué depuis les années 1990.

Le sénateur Cormier : Je sais que le Fonds des médias du Canada permet à ces diffuseurs de consacrer jusqu’à 25 % de leur enveloppe de rendement à de la production interne et à des producteurs affiliés en contenu jeunesse, séries dramatiques, documentaires et émissions de variétés. Est-ce qu’ils utilisent la totalité de ces fonds? Ont-ils de l’appétit pour créer du contenu jeunesse, des séries dramatiques, des documentaires et des émissions de variétés, ce que font les producteurs indépendants qui sont à l’avant-plan dans la création et la production de contenu canadien?

Mme Blais : On ne peut pas vous parler de l’appétit des radiodiffuseurs. Ce serait à eux de répondre. Par contre, c’est vrai qu’ils n’utilisent pas les 25 % de fonds du Fonds des médias du Canada qui leur sont octroyés, car ils n’ont pas droit au crédit d’impôt provincial au Québec. Cela fait en sorte que, dans la situation actuelle de décroissance, alors que depuis 2014 les radiodiffuseurs sont déficitaires au Québec, ils ne produisent plus rien à l’interne qui n’est pas subventionné.

Nous espérons, grâce à cet amendement, que les radiodiffuseurs auront plus de liberté pour utiliser les économies d’échelle qui sont possibles lorsqu’on a des équipes de production à l’interne. Actuellement, pratiquement toutes les équipes de production ont été détournées vers la production d’émissions de nouvelles ou de sport. C’est ce qui a empêché les pertes d’emplois, mais il y a encore des gens qui ont les connaissances requises pour faire ce travail.

La seule raison pour laquelle l’employeur n’a pas recours à nos membres pour ce type de production, c’est qu’il y a une forme de discrimination qui s’effectue pour le financement de la production. Nous souhaitons que l’ensemble des producteurs canadiens soient placés sur un pied d’égalité, que les radiodiffuseurs soient libres de choisir de produire avec un producteur indépendant, avec un producteur affilié ou à l’interne, compte tenu de leurs difficultés financières. Il faudrait davantage favoriser les producteurs canadiens dans leur ensemble.

Le sénateur Cormier : J’ai une question pour vous. Vous parlez d’égalité. Êtes-vous d’accord pour dire que cette réalité fait en sorte que les producteurs indépendants dépendent en fait des diffuseurs? Donc, par opposition aux diffuseurs qui produisent eux-mêmes et qui diffusent eux-mêmes, est-ce que ce déséquilibre ne devrait pas être pris en compte?

C’est pour cela qu’il y a tant de témoins qui demandent qu’on revienne à l’article de départ, qui touchait essentiellement les producteurs en donnant la priorité aux producteurs indépendants. Je voudrais avoir votre point de vue là-dessus, sur ce déséquilibre entre les producteurs indépendants qui sont laissés à eux-mêmes et qui dépendent des diffuseurs, et les diffuseurs qui sont eux-mêmes en mesure de produire et de diffuser.

Mme Blais : En fait, c’est clair que ce déséquilibre existe. Cependant, dans un nouvel environnement où les entreprises en ligne sont intégrées au système canadien de radiodiffusion, les producteurs indépendants auront beaucoup plus d’occasions de travailler pour d’autres diffuseurs en ligne que dans le système actuel, qui est davantage fermé. Théoriquement, si on demande aux diffuseurs en ligne d’avoir recours à la main-d’œuvre canadienne, de produire du contenu canadien, logiquement, ils devraient se tourner davantage vers les producteurs indépendants que vers les radiodiffuseurs. Nous croyons donc qu’il y aura une certaine forme d’équilibre qui s’établira de cette façon-là également.

Voilà, cela conclut ma réponse.

Le sénateur Cormier : J’ai une brève question pour M. Gwiazda. Êtes-vous en mesure de nous dire à quoi correspond l’auditoire de RCI? C’est une notion importante, je crois; c’est une donnée importante dans le contexte actuel. Voilà ma première question.

M. Gwiazda : En 1990, on disait qu’il y avait entre 6 et 11 millions d’auditeurs. C’est un chiffre qui ne représentait pas vraiment la réalité. C’était lorsque nous étions sur les ondes courtes et que nous étions une chaîne de radio. Actuellement, il y a seulement un site Web. Pour vous donner une idée, il ne faut pas... En anglais, on parle de silos. Il ne faut pas parler de radio par opposition à Internet. Si l’on parle des façons de communiquer le Canada au monde, on le faisait également en plaçant des programmes dans différents pays.

Un de nos programmes, qui était une coproduction avec la Chine, avait 200 millions d’auditeurs. Il y avait donc beaucoup d’auditeurs en fonction des moyens utilisés. Maintenant, avec le site Web, qui est vraiment mal conçu... Il n’y a même pas de fonction de recherche sur le site Web que Radio-Canada a mis en place depuis un an. J’ai de sérieux doutes sur le fonctionnement de ce site Web, contrairement à ce qui se passait avant. Est-ce que Radio-Canada a amélioré les choses? Je n’en ai aucune idée.

Il faut aussi se rendre compte que la situation est bien différente de celle de 1990, quand nous avions 200 personnes. On a coupé la moitié de notre personnel et de notre budget et, en 2012, on a coupé 80 personnes sur 100. Maintenant, on a coupé 10 personnes sur 20; donc, la voix du Canada, maintenant, c’est à peu près 10 personnes.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Gwiazda; le temps de parole du sénateur Cormier est écoulé.

[Traduction]

La sénatrice Simons : Merci.

Je vais poursuivre dans cette même veine. Si ma mémoire est bonne, RCI est née pendant la guerre froide. Elle était financée très libéralement par ce qui s’appelait à l’époque le ministère des Affaires extérieures ou le ministère des Affaires étrangères, peu importe. Les fonds ne provenaient pas seulement de Radio-Canada; la vaste part du financement était octroyé par le gouvernement. Je ne dirais pas que c’était un réseau propagandiste. Comme c’était notre propagande, c’était de la « bonne propagande ».

Une fois la guerre froide terminée, il n’y avait pratiquement plus de volonté politique pour financer RCI dans les gouvernements de l’époque. La plupart des tours émettrices à ondes courtes, comme nous le savons, avaient été en grande partie démolies. Nous avons donc à présent un outil qui pourrait être encore très utile dans le contexte politique actuel d’une grande complexité. Toutefois, Affaires mondiales Canada ne semble plus vouloir l’utiliser comme instrument politique. C’est par conséquent Radio-Canada qui se retrouve avec la note.

Une disposition du projet de loi énonce que Radio-Canada doit fournir un service international conformément aux instructions que le gouverneur en conseil peut donner.

Je ne sais pas si c’est le rôle du Comité permanent des transports et des communications de diriger Affaires mondiales. C’est au gouvernement de décider. Vous détestez peut-être la fonction de recherche du site Web — je ne l’ai pas essayée, mais je vous crois sur parole lorsque vous dites que cette fonction est terrible —, mais je ne pense pas que le comité puisse l’améliorer.

M. Gwiazda : Tout d’abord, on craignait que le réseau fasse de la propagande. À une certaine époque, nous aurions peut-être pu dire que c’était le cas. J’ai commencé à travailler à Radio-Canada comme employé en 1980, après avoir travaillé à RCI dans les années 1970. De 1980 à 2015, année de ma retraite, j’ai été témoin de tout ce dont nous avons parlé aujourd’hui. Notre politique journalistique était beaucoup plus rigoureuse que celle de Radio-Canada pour la simple raison que nous n’étions pas certains que les auditeurs seraient là le lendemain. Nous ne pouvions pas nous rétracter.

Au sujet de la question de la guerre froide, que vous avez soulevée, lorsque la décision a été prise de fermer les services en langues de l’Europe de l’Est en 1991, les auditeurs est-européens étaient bouleversés, car ils avaient besoin plus que jamais de connaître le fonctionnement des démocraties.

Je ne pense pas que vous devriez considérer RCI ou le service international de la BBC comme un instrument politique. Si vous le faites, vous retournez au temps de la guerre froide.

Ce que nous disons, c’est qu’en cette ère de la mésinformation et au moment où bon nombre des grands médias deviennent des services payants, il doit rester un endroit qui diffuse gratuitement des informations objectives. RCI peut offrir ce service, et c’est ce qu’elle est censée faire. En fait, Radio-Canada ne comprend pas — le concept même de service international est un concept incompris au Canada — que le contenu diffusé à l’extérieur du Canada ne peut pas être tiré tel quel des sites Web en anglais et en français de CBC/Radio-Canada. Si vous dites, par exemple, « aujourd’hui, au Québec », certains auditeurs étrangers n’auront aucune idée de ce dont vous parlez. À RCI, nous dirions « dans la province majoritairement francophone du Québec » pour donner toutes les chances aux auditeurs de comprendre.

Je vais vous donner un exemple de la résonance de RCI pour que vous compreniez l’importance d’être connue pour un pays qui fait des échanges commerciaux comme le Canada. Jusqu’à tout récemment, nous avions une très bonne réputation. La porte était déjà entrouverte.

Je vais vous raconter l’histoire d’un garçon de 11 ans qui vivait en Pennsylvanie dans les années 1970. Tout a commencé par un bulletin d’informations que le garçon a écouté à la radio sur le référendum de 1980 et l’accord du lac Meech. Ce garçon s’est tellement intéressé aux affaires canadiennes qu’il a entrepris des études en science politique. Il est venu à l’Université Laval pour faire une maîtrise, puis un doctorat en études canadiennes. Devenu politologue en études canadiennes, il a obtenu un poste d’agent des affaires étrangères à la tête d’un groupe chargé d’élaborer les politiques économiques avec le Canada au département américain des Affaires étrangères.

Pensez à toute l’influence que peut exercer cet homme sur de nombreuses facettes du profil et des échanges commerciaux du Canada et sur la perception des pays étrangers. Nous revenons au point soulevé par la sénatrice Miville-Dechêne, qui disait que Radio-Canada n’a pas les moyens de soutenir RCI.

Pensez-vous vraiment que Radio-Canada n’en a pas les moyens?

En 1990, notre budget était de 20 millions de dollars. Comme Radio-Canada a renoncé à la transparence au sujet des dépenses qu’il effectue avec notre argent, c’est probablement 1 ou 2 millions de dollars. En 1994, le comité a demandé au journaliste, radiodiffuseur, et à l’époque commissaire du CRTC, Keith Spicer combien RCI devrait recevoir comme financement. En 1994, il parlait de 45 ou 50 millions de dollars.

Chers sénateurs, vous devez dire au gouvernement que nous avons besoin d’un service international financé et protégé.

En 1991, le seul changement qui a été apporté au paragraphe 46(2) — celui que nous souhaitons voir modifié — était le remplacement des mots « la Société peut fournir » un service international par « fournit ». C’était après que CBC/Radio-Canada ait pris notre budget, essayé de nous faire fermer et dit au gouvernement que s’il voulait un service international, il n’avait qu’à le payer. À la fin des années 1990, il y a eu une accalmie, alors que CBC/Radio-Canada était soudainement très heureuse de nous avoir, car le gouvernement lui garantissait 15 millions de dollars par année, 5 millions de dollars d’investissements en capital. Dès que ce financement a pris fin, CBC/Radio-Canada a commencé à nous intégrer dans le système de Radio-Canada. Auparavant, nous avions des liens avec le siège social. En 2000, c’était le vice-président de la radio française.

Le président : Je déteste vous couper la parole, mais le temps de la sénatrice Simons est écoulé. J’ai essayé d’être le plus souple possible. Je peux inscrire la sénatrice Simons sur la liste pour le deuxième tour.

J’ai une brève question, suite à vos commentaires. Nous examinons la situation de CBC/Radio-Canada au fil des ans. Il me semble que le problème n’est pas que CBC/Radio-Canada n’a pas les moyens d’avoir Radio Canada International, mais qu’elle ne peut rien se permettre. La vérité, c’est que les cotes d’écoute sont en baisse. La Société dépend entièrement du financement de 1,4 milliard de dollars des contribuables, mais ses cotes d’écoute ne justifient pas un tel financement. Il s’agit d’une décision politique prise ici, à Ottawa, parce que nous pensons qu’il s’agit d’un bon produit.

Elle offre évidemment des services régionaux qui, selon moi, sont essentiels aux communautés. Elle est censée offrir un service de nouvelles locales dans de nombreuses régions du pays, mais a supprimé ce service il y a de nombreuses années. Il est vraiment à se demander en quoi consiste son mandat.

Il semble évident que les artistes, les journalistes, les journalistes indépendants et les fournisseurs de contenu indépendants canadiens tirent pleinement parti de l’émergence de nouvelles plateformes comme Google et YouTube. Le contenu canadien n’a jamais été aussi diffusé dans le monde entier, et il est diffusé gratuitement grâce à ces plateformes. Pourtant, ces journalistes canadiens indépendants, dont certains ont comparu devant ce comité, prospèrent. Ils utilisent ces plateformes et font de cela des entreprises qui génèrent des revenus, et cetera. En outre, cela a eu un effet d’entraînement dans notre industrie touristique, qui est en essor, ces derniers mois. C’était aussi le cas avant la pandémie. Nos agences touristiques considèrent que ces plateformes et l’exportation du canadianisme en sont pour quelque chose.

Pourquoi ne devrions-nous pas exploiter davantage les plateformes existantes pour obtenir l’effet souhaité dont vous avez parlé ce matin au lieu d’essayer de légiférer pour une ancienne méthodologie qui ne semble pas convenir au monde d’aujourd’hui?

M. Gwiazda : Je ne suis pas sûr de comprendre ce que vous entendez par « ancienne méthodologie ».

Le président : Ce que je veux dire, c’est qu’un câblodistributeur utilise l’argent des contribuables pour subventionner Radio-Canada International et sa plateforme qui n’attire manifestement pas le public, ne génère pas de revenus, et cetera, alors qu’une plateforme numérique est disponible. En passant, CBC/Radio-Canada, Bell et tous nos diffuseurs traditionnels font un virage vers cette plateforme numérique et dépensent collectivement des milliards de dollars — des centaines de millions de dollars dans l’industrie — pour le passage au numérique.

M. Gwiazda : Je pense que ce que je vous demande, honorables sénatrices et sénateurs, c’est de rêver un peu. Ne pensez pas à ce qu’il faut faire pour trouver de l’argent. Examinez la question sous l’angle inverse. Il faut prendre conscience qu’avec la technologie dont nous disposons aujourd’hui, il est possible, en un clic, de diffuser de l’information dans diverses applications, en diffusion en continu, en baladodiffusion, et cetera.

À l’origine, la programmation destinée à l’étranger était enregistrée sur des disques vinyle longue durée. Ensuite, c’était sur des bandes magnétiques, puis des cassettes, et maintenant, il suffit d’un clic.

Je vous dirais — et c’est malheureusement un argument que CBC/Radio-Canada utilise par rapport à RCI — qu’il est temps de passer à l’ère du numérique et d’Internet. Nous étions sur Internet en même temps que CBC/Radio-Canada. En fait, nous étions sur Internet avant que le Web n’existe. Je le sais, car j’ai mis RCI sur le système Libertel de la Capitale nationale.

Il existe une multitude de façons de faire connaître la réalité canadienne aux gens. C’est compréhensible.

Un de nos services était le palmarès du mois. Il s’agissait des chansons canadiennes les plus populaires au Canada au cours du mois, et 250 stations dans le monde les diffusaient. Donc, avec tout le respect que je dois à Marshall McLuhan, dans le cas de RCI, le média n’est pas le message. Le message est le message. Tout est une question de contenu.

Le mode de diffusion dépend de l’endroit. Si nous voulons diffuser de l’information aux États-Unis ou en Europe, nous utilisons tout Internet. Nous n’avions pas de présence en Chine lorsque nos deux Canadiens étaient emprisonnés là-bas. Nous avions une présence auparavant, lorsque notre signal à ondes courtes y entrait. Notre capacité de pénétrer les sociétés fermées grâce aux ondes courtes est d’ailleurs l’une des choses que CBC/Radio-Canada a supprimées en 2012. Ce que je propose, c’est un modèle hybride adapté aux médias et au marché permettant de déterminer le public cible et le média le plus efficace pour atteindre ce public.

Le président : Merci, monsieur.

Le sénateur Manning : Ma question s’adresse à M. Wojtek Gwiazda. J’espère que ma prononciation est bonne malgré mon anglais de Terre-Neuve. Vous avez exprimé des préoccupations au sujet du paragraphe 46(2) de la Loi sur la radiodiffusion et demandé que cette disposition soit modifiée afin de protéger le rôle et le mandat international de Radio Canada International. Vous avez exprimé d’importantes préoccupations quant à la façon dont CBC/Radio-Canada a régi les activités et le rôle même de Radio Canada International, qu’elle n’a jamais appuyé.

Dans le passé, jusqu’au point où nous en sommes aujourd’hui, avez-vous eu des discussions avec le gouvernement au sujet de l’amendement que vous proposez? Si oui, que vous a-t-on répondu? Plus important encore, a-t-on compris votre position à cet égard?

M. Gwiazda : J’ai eu de nombreuses communications avec des conseillers du cabinet du ministre du Patrimoine canadien lorsque le projet de loi C-10 a été présenté. Ils m’ont assuré qu’ils étaient tous favorables à un service international, que Radio-Canada et CBC comprenaient parfaitement ce qu’était un service international, mais qu’ils n’étaient pas prêts à aller en ce sens dans le cadre de cette mesure législative. Vous comprendrez que nous avons trouvé cela préoccupant, étant donné que cette mesure législative a été modifiée pour la dernière fois en 1991. En toute honnêteté, si vous parlez d’auditoire et d’impact, RCI n’en fera pas partie.

À première vue, l’amendement que nous proposons peut sembler volumineux et long comparativement à ce qui a été accepté par le comité du patrimoine canadien de l’autre chambre. Toutefois, lorsqu’on l’examine, que disons-nous? Nous disons essentiellement que la programmation du service devrait principalement s’adresser aux non-Canadiens à l’extérieur du Canada, et ce, à tout le moins dans nos langues officielles. Radio France Internationale diffuse en français et la BBC le fait en anglais. Nous devrions certainement avoir une programmation en anglais et en français.

Nous disons qu’il faut optimiser l’utilisation de toutes les technologies disponibles. En outre, nous sommes d’avis que Radio Canada International devrait avoir un directeur général responsable de l’administration et des décisions éditoriales du service, précisément pour redonner à RCI la semi-autonomie qu’elle avait jusqu’en 1990. À l’époque, le directeur général de RCI était chargé de toutes les décisions, avec son administration, mais en consultation avec le ministère des Affaires étrangères.

Je suis d’accord pour que le ministère des Affaires mondiales joue un rôle, mais nous ne voulons pas être considérés comme les porte-parole d’Affaires mondiales Canada.

Personne ne dit que le BBC World Service est un organe de propagande du Royaume-Uni. Voilà où nous voulons être, mais nous ne pourrons pas y arriver avec un véhicule qui n’a ni pneus ni essence. Redonnez-nous de l’essence. Remettez les roues sur notre véhicule.

Vous savez, si vous nous donniez deux ou trois ans, nous pourrions facilement redresser la barre. Ce qui a manqué, c’est une compréhension de la fierté qui nous anime lorsque nous parlons du Canada, et ce, de façon à ce que les gens de l’extérieur de notre pays le comprennent.

Le sénateur Manning : Si l’amendement n’est pas adopté par le Sénat, puis appuyé par le gouvernement, quel est l’avenir de RCI, selon vous? Survivra-t-il?

M. Gwiazda : S’il est accepté?

Le sénateur Manning : Oui.

M. Gwiazda : Je pense que cela pourrait être remarquable.

Le sénateur Manning : Sinon, est-ce que RCI survivra?

M. Gwiazda : RCI n’est déjà plus que le pâle reflet de ce qu’elle était. En 1994, un des sénateurs du comité m’a expressément demandé si nous pourrions nous acquitter de notre mandat si nous perdions la moitié de notre personnel, ce à quoi j’ai alors répondu non, mais parmi les qualités remarquables du personnel de Radio Canada International, il y a que nous continuons de nous accrocher désespérément à nos auditoires même lorsqu’on nous enlève des ressources, et nous faisons toujours le meilleur travail possible.

Je dois toutefois admettre que si cela n’est pas adopté... Examinez la question du point de vue de la CBC. Elle a un service international qui représente un fardeau pour elle depuis 30 ans, car nous nous plaignons continuellement du sort qu’elle nous réserve.

C’est une mort à petit feu. Dans les années 1990, chaque mois de décembre, nous attendions de voir si nous recevrions un avis de licenciement comme cadeau de Noël. C’est arrivé trois fois dans les années 1990. C’est une situation horrible dans laquelle nous ne devrions pas être.

Le sénateur Manning : Merci.

La sénatrice Wallin : Je crois comprendre que la CBC — et peut-être Radio-Canada — a pris de l’argent qui, selon vous, vous appartient. Vous avez dit, je pense, que cet argent a été utilisé pour la programmation destinée aux immigrants au Canada. C’est l’un des rôles.

L’autre rôle est la diffusion de nouvelles pour les Canadiens à l’étranger. Les Canadiens à l’étranger ont maintenant accès à des centaines de services, soit une multitude de sites Web, les flux d’information et les services en ligne, de sorte que ce n’est plus un enjeu. Parce que s’il s’agit de Canadiens à l’étranger, ils comprendront ce qu’est le Québec et que c’est la province francophone.

Cela nous amène au troisième rôle, qui consiste à essayer d’atteindre les gens dans des pays où règne la censure. Pouvez-vous créer un modèle commercial autour de cela et offrir ce service unique? Les autres créneaux sont occupés.

M. Gwiazda : Je ne suis pas d’accord avec cela. Sans informations contextualisées, les gens peuvent certes avoir accès à CBC/Radio-Canada pour obtenir des informations, mais ils ne comprendront pas si...

La sénatrice Wallin : Non, s’il s’agit de Canadiens à l’étranger, ils n’ont pas besoin de cela.

M. Gwiazda : Cela n’a jamais vraiment fait partie de notre mandat. Toutes ces questions — les Canadiens à l’étranger, les immigrants, et cetera — servaient de prétexte à CBC/Radio-Canada pour essayer de justifier l’existence d’un service international. Parfois, même nos propres administrateurs, qui n’étaient pas appréciés à leur juste valeur année après année, se démenaient pour faire taire la critique et nous rendre acceptables et utiles, en quelque sorte, alors qu’il fallait simplement prendre du recul et dire qu’il faut une source pour informer les gens sur le Canada, comme le BBC World Service et ce qui existe dans de nombreux autres pays.

Je souligne en particulier que le Canada n’a pas l’équivalent de TIME, Newsweek ou CNN, qui est diffusée dans le monde entier.

La sénatrice Wallin : Toutefois, beaucoup de ces choses se trouvent en ligne. C’est ce que je dis. Un Canadien qui est à l’étranger peut trouver de l’information. Donc, j’essaie de comprendre en quoi ce que vous voulez faire est unique au point de justifier un financement distinct du gouvernement. Il s’agit peut-être d’une proposition commerciale dans le secteur privé.

Quelle solution envisagez-vous dans ce monde nouveau où les gens ont divers niveaux d’accès?

M. Gwiazda : Nous sommes dans ce monde nouveau depuis 1996, lorsque nous étions sur Internet et que nous utilisions tous les moyens technologiques disponibles. Comment le BBC World Service détermine-t-il son rôle? À mon avis, un de nos problèmes en Amérique du Nord est que nous ne comprenons pas l’importance du service international. Au Moyen-Orient, les gens écoutaient dans l’auto, avec des radios à ondes courtes. Je pourrais passer des heures à vous raconter des anecdotes sur la façon dont les gens ont entendu parler de leur propre réalité ou de la réalité canadienne dans les circonstances les plus remarquables.

La sénatrice Wallin : Ce que je dis et ce que nous essayons de comprendre, c’est que vous avez un problème avec vos patrons, avec la CBC.

M. Gwiazda : Non. Encore une fois, notre problème, c’est que le législateur a dit qu’il devrait y avoir un service international. Si vous ne voulez pas d’un service international, alors éliminez le paragraphe 46(2). Toutefois, si vous dites que vous en voulez, assurez-vous que ce sera véritablement un service international et n’essayez pas de trouver un créneau ici ou là, comme les immigrants au pays ou les Canadiens à l’étranger.

Ce que nous disons, c’est que nous voulons avoir un véritable service international. Par conséquent, vous devrez le définir parce que, malheureusement, ceux qui nous administrent... Oui.

La sénatrice Wallin : Mme Blais a dit quelque chose qui m’a frappé. Elle a parlé de la nécessité de la reddition de comptes du CRTC. Ce projet de loi donnera évidemment au CRTC des pouvoirs extraordinaires non seulement sur les radiodiffuseurs, mais aussi sur le monde en ligne, soit Internet et les diffuseurs en continu qui l’alimentent.

Brièvement, qu’en pensez-vous? Le CRTC devrait-il rendre des comptes à ce comité? Pensez-vous qu’il doit uniquement rendre des comptes au ministre en poste?

À qui souhaitez-vous que le CRTC rende des comptes?

[Français]

Mme Blais : Idéalement, nous voudrions que le CRTC soit responsable vis-à-vis de la Chambre des communes. Il pourrait aussi être responsable vis-à-vis d’un comité, mais le rapport qui est produit par l’intermédiaire du ministre donne actuellement très peu d’information sur l’atteinte des objectifs de la politique canadienne de radiodiffusion.

Je pense que c’est là qu’il faut recadrer la reddition de comptes du CRTC, non pas en fonction d’objectifs que se donne le CRTC, mais en fonction des objectifs qui sont inscrits dans la loi.

[Traduction]

La sénatrice Wallin : Je ne suis pas certaine de comprendre ce que vous dites.

Dans ce cas, faudrait-il que cette surveillance relève d’un autre organisme? Comment les comités de la Chambre des communes ou du Sénat pourraient-ils jouer ce rôle sans adopter un modèle de comité à l’américaine où les dirigeants seraient convoqués sur une base hebdomadaire ou mensuelle pour parler de leurs activités?

[Français]

Mme Blais : Vous allez beaucoup plus loin que notre propre réflexion quant à la forme que cela pourrait prendre. Cependant, ce que l’on souhaite, c’est que, peu importe le type de rapport que le CRTC présente, ce soit vraiment lié aux objectifs que le CRTC doit atteindre, conformément au paragraphe 3(1) de la loi. Actuellement, le CRTC collige toutes sortes d’informations avec la nouvelle version de la Loi sur la radiodiffusion que propose le projet de loi C-11. Il devra recueillir d’autres informations et faire état de ce qu’il est capable de réaliser. Par exemple, en matière d’accessibilité, il y a des obligations qui sont plus importantes maintenant qu’elles ne l’étaient qu’auparavant, mais le CRTC ne collige pas nécessairement les informations requises pour produire un rapport adéquat et complet.

[Traduction]

La sénatrice Wallin : Merci.

Le président : Merci, chers collègues. Il est maintenant 11 heures, et nous avons terminé notre travail avec notre deuxième groupe de témoins. Je remercie les témoins de leur présence aujourd’hui et de leur contribution à notre étude. Je vous remercie pour vos présentations.

(La séance est levée.)

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