LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES TRANSPORTS ET DES COMMUNICATIONS
TÉMOIGNAGES
Ottawa, le mercredi 2 novembre 2022
Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd’hui, à 18 h 46 (HE), avec vidéoconférence, pour examiner le projet de loi C-11, Loi modifiant la Loi sur la radiodiffusion et apportant des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois.
Le sénateur Leo Housakos (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, je m’appelle Leo Housakos. Je suis sénateur du Québec et président du comité. J’aimerais inviter mes collègues à se présenter eux-mêmes.
La sénatrice Simons : Bonsoir. Je suis la sénatrice Paula Simons du territoire visé par le Traité no 6, en Alberta.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Julie Miville-Dechêne, du Québec.
La sénatrice Gagné : Raymonde Gagné, du Manitoba.
Le sénateur Cormier : René Cormier, du Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Dalphond : Pierre Dalphond, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Klyne : Bonsoir. Je suis Marty Klyne, du territoire visé par le Traité no 4, en Saskatchewan.
Le sénateur Manning : Fabian Manning, de Terre-Neuve-et-Labrador.
La sénatrice Sorensen : Karen Sorensen, de l’Alberta.
[Français]
Le sénateur Dawson : Dennis Dawson, du Québec.
La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de l’Ontario.
[Traduction]
La sénatrice Dasko : Donna Dasko, de l’Ontario.
La sénatrice Wallin : Pamela Wallin, de la Saskatchewan.
[Français]
Le président : Honorables sénatrices et sénateurs, nous nous réunissons pour poursuivre notre étude du projet de loi C-11, Loi modifiant la Loi sur la radiodiffusion et apportant des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois.
Pour notre premier panel ce soir, nous avons le plaisir d’accueillir, par vidéoconférence, de l’Association des réalisateurs et réalisatrices du Québec, M. Gabriel Pelletier, président, et Mme Mylène Cyr, directrice générale. De la Société des auteurs de radio, télévision et cinéma, Mme Pauline Halpern, directrice générale; par vidéoconférence, M. Luc Thériault, trésorier et M. Robert Armstrong, conseiller.
[Traduction]
Je vous souhaite tous la bienvenue ce soir. Nous allons commencer les observations liminaires de ce groupe de témoins par Gabriel Pelletier, qui sera suivi de Pauline Halpern puis de Jay Goldberg, qui est directeur de l’Ontario à la Fédération canadienne des contribuables. Bienvenue, monsieur Goldberg.
Vous avez chacun cinq minutes pour faire vos observations liminaires, et nous passerons ensuite aux questions et aux réponses.
[Français]
Gabriel Pelletier, président, Association des réalisateurs et réalisatrices du Québec : Honorables sénateurs et sénatrices, je vous remercie pour cette occasion donnée à l’Association des réalisateurs et réalisatrices du Québec (ARRQ) de s’exprimer devant vous aujourd’hui.
Mon nom est Gabriel Pelletier, je suis président de l’ARRQ, qui est une association d’artistes et un syndicat professionnel. Notre association a été accréditée et reconnue légalement en vertu des lois sur le statut de l’artiste tant à l’échelle provinciale que fédérale afin de représenter et défendre les intérêts de tous les réalisateurs et réalisatrices qui œuvrent au Québec, en français ou en toute autre langue que l’anglais, dans les domaines du cinéma, de la télévision, du Web et de l’animation. Notre association compte plus de 850 membres et fêtera son 50e anniversaire l’an prochain.
L’étude du projet de loi C-11 interpelle directement les réalisateurs et les réalisatrices puisqu’elle régit notamment les licences et les obligations des diffuseurs grâce auxquels nos œuvres sont diffusées. Elle est à la base de notre souveraineté culturelle, en plus d’en assurer le financement.
Il s’agit d’une loi structurante pour notre secteur et qui sera déterminante pour l’avenir de notre culture et de nos créateurs culturels canadiens. Dans un univers numérique dominé actuellement par un oligopole d’entreprises étrangères, nous faisons face à des menaces réelles et immédiates quant à la survie de la production audiovisuelle francophone. Nos différents publics délaissent de plus en plus la télévision traditionnelle, en particulier la jeune génération qui se nourrit majoritairement de propositions audiovisuelles par le biais de plateformes étrangères.
Le projet de Loi-C-11 est l’occasion de protéger notre souveraineté culturelle en s’assurant de renforcer l’écosystème de la production audiovisuelle canadienne. Il est important et urgent d’adopter ce projet de loi, auquel nous sommes très favorables, en y apportant cependant quelques modifications que nous proposons et qui nous apparaissent essentielles dans le contexte.
À l’alinéa 3(1)f), le recours aux ressources créatives canadiennes au maximum et de façon prédominante pour la création, la production et la présentation de la programmation canadienne nous semble être une des clés essentielles pour assurer la pérennité de notre secteur.
Afin de maintenir et de solidifier un équilibre dans notre écosystème, nous sommes d’avis que toutes les entreprises, canadiennes ou étrangères, devraient être sous la portée de la loi, et ce, de façon équivalente. Les entreprises de plateformes étrangères devraient donc faire face aux mêmes obligations que les entreprises canadiennes lorsqu’il est question de ressources humaines.
En conséquence, nous proposons que le texte de l’alinéa 3(1)f) renvoie à « toutes les entreprises » plutôt que de faire une distinction entre les entreprises canadiennes et étrangères. Je cède maintenant la parole à Mme Mylène Cyr.
Mylène Cyr, directrice générale, Association des réalisateurs et réalisatrices du Québec : Merci, Gabriel. Monsieur le président, honorables sénateurs et sénatrices, membres du comité, je vous remercie de me donner cette possibilité d’exprimer nos recommandations quant à d’éventuelles modifications au projet de loi C-11. Mon nom est Mylène Cyr et je suis la directrice générale de l’ARRQ.
Un amendement a été introduit en dernière lecture à la Chambre des communes à l’article 31.1. Il a comme conséquences de soustraire toutes les entreprises en ligne, tant canadiennes qu’étrangères, à l’application de la Loi sur le statut de l’artiste fédérale.
Nous nous questionnons sur la portée et l’objectif de cet amendement. S’il a été introduit afin de protéger le partage des sphères de compétence législatives, l’état du droit et la jurisprudence démontrent qu’il est superflu. Par contre, ses effets sont grandement néfastes sur des conditions de travail déjà établies et à venir, particulièrement pour des secteurs où celles-ci peuvent s’avérer précaires. Il est essentiel de pérenniser les acquis en matière de conditions de travail et de salaire pour les artistes et faire en sorte que celles-ci ne soient pas réservées aux entreprises de radiodiffusion qui ne sont pas en ligne.
Pour ces raisons, nous demandons le retrait de l’article 31.1 afin d’éviter les effets dévastateurs qu’aurait cet amendement sur les conditions d’engagement des artistes.
L’adoption du projet de loi C-11 amènera son lot de défis face à une nouvelle dynamique, compte tenu de l’entrée de nouveaux acteurs. Le CRTC aura un rôle prédominant dans la nouvelle application de celle-ci. Nous croyons donc qu’il est essentiel de maintenir des processus qui permettent au public d’intervenir en amont des décisions, mais également d’être en mesure d’en appeler de celles-ci.
En conséquence, le projet de loi C-11 devrait permettre de maintenir la tenue d’audiences publiques lorsque le CRTC accorde des licences, mais devrait également être prévu dans le cas des ordonnances aux radiodiffuseurs et aux plateformes numériques puisque les conditions de celles-ci ont un impact sur le financement et la mise en valeur des contenus canadiens. La même logique s’applique pour l’appel au gouverneur en conseil, pour permettre aux Canadiens de contester une décision où ces mêmes conditions sont en cause.
Nous croyons que ces espaces de discussions et de débats seront plus que nécessaires dans ce contexte de changements de paradigmes.
En conclusion, nous maintenons notre appui au projet de Loi C-11 et vous demandons d’y apporter ces quelques amendements essentiels à la protection de nos créateurs et de notre culture canadienne.
Nous vous remercions de votre attention et nous serons heureux de répondre à vos questions. Merci.
Le président : Merci beaucoup. C’est maintenant au tour de Pauline Halpern, qui a la parole pour cinq minutes.
Pauline Halpern, directrice générale, Société des auteurs de radio, télévision et cinéma : En fait, je vais laisser la parole à M. Thériault pour cette allocution.
Luc Thériault, trésorier, Société des auteurs de radio, télévision et cinéma : Bonsoir. Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, merci de prendre le temps de nous écouter. Je m’appelle Luc Thériault, je suis trésorier de la Société des auteurs de radio, télévision et cinéma, la SARTEC. Je suis accompagné de Mme Pauline Halpern, directrice générale, et de Robert Armstrong, notre consultant dans ce dossier. Nous représentons les scénaristes de langue française et nous comptons environ 1 600 membres. Nous avons des accréditations provinciales et fédérales et administrons plusieurs ententes collectives qui encadrent notamment les activités de Radio-Canada, TVA et l’ONF.
Le projet de loi C-11 est une avancée importante, nous le soutenons pour la protection accrue de la culture canadienne qu’il représente. Néanmoins, la version actuelle pose des différences de traitement préoccupantes entre les entreprises en ligne et les radiodiffuseurs canadiens.
À titre de membre de la Coalition pour la diversité des expressions culturelles (CDEC), la SARTEC appuie ses revendications.
De plus, les paragraphes 7(7), 10(1.2) et 34.995 donnent au Conseil des ministres le pouvoir de donner des directives très pointues au CRTC, ce qui représenterait une politisation potentielle des décisions du conseil. Nous vous demandons donc respectueusement de soutenir le retrait de ces paragraphes et la rétention du libellé de la loi actuelle afin de maintenir l’indépendance du CRTC.
Cela dit, nous souhaitons concentrer notre intervention sur un autre sujet qui nous préoccupe particulièrement. L’article 31.1 du projet de loi C-11 exclut les entreprises en ligne du champ d’application de la Loi sur le statut de l’artiste. Or, la Loi sur le statut de l’artiste donne aux associations d’artistes un pouvoir de négociation pour les activités de production exercées par certaines institutions fédérales et par les entreprises de radiodiffusion relevant de la compétence du CRTC.
Dans un premier temps, nous nous sommes demandé ce qui avait pu motiver cet article. On nous a répondu, de façon informelle, que l’amendement répondait à une question de partage des compétences selon la loi constitutionnelle.
Cependant, la radiodiffusion a été reconnue par la Cour suprême comme étant de compétence fédérale. Donc, si l’activité principale d’une entreprise de radiodiffusion ou d’un groupe est de compétence fédérale, l’activité accessoire, la production, l’est également. La loi sur le statut de l’artiste québécoise n’est donc pas applicable.
Bien sûr, nous ne réclamons pas l’encadrement universel des productions des entreprises en ligne, car la Loi sur le statut de l’artiste fédérale n’a pas de portée extraterritoriale. Cependant, lorsqu’une entreprise en ligne, canadienne ou étrangère, utilise les services d’un artiste canadien ou d’un résident permanent pour une production canadienne, la Loi sur le statut de l’artiste devrait permettre à l’association de cet artiste de négocier pour lui des conditions minimales.
Or, l’article 31.1 du projet de loi C-11 n’impose pas le respect d’un partage de compétences quelconque et n’exclut pas non plus du champ d’application de la Loi sur le statut de l’artiste les seules productions étrangères. Il exclut du champ d’application de la Loi sur le statut de l’artiste toutes les productions, canadiennes ou non, produites par des entreprises en ligne — TOU.TV, CBC Gem, comme Netflix.
Si cet article était maintenu, les entreprises en ligne et les diffuseurs canadiens de télévision autorisés par licence pour leurs activités en ligne n’auraient aucune obligation de s’asseoir aux tables de négociation avec les associations d’artistes. Il n’y aurait pas de médiation gouvernementale possible en cas d’impasse. Les entreprises en ligne pourraient en toute impunité intimider nos membres, ou leur refuser des contrats pour la seule raison qu’ils sont membres. Enfin, si jamais une entente était conclue avec une entreprise en ligne, son champ d’application serait limité aux membres de l’association d’artistes concernée.
C’est pourquoi l’application de la Loi sur le statut de l’artiste aux entreprises en ligne est essentielle. Nous avons besoin des moyens de pression qu’elle nous octroie pour parvenir à négocier des conditions minimales pour nos artistes, avec des entreprises internationales puissantes qui ne négocieront pas avec nous si elles n’y sont pas obligées et dont les pratiques contractuelles actuelles sont très éloignées de nos bonnes pratiques.
Nous vous demandons donc, respectueusement, de soutenir le retrait de l’article 31.1 du projet de loi C-11. Je vous remercie de votre attention et c’est avec plaisir que nous répondrons à toutes les questions que vous souhaitez nous poser.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Thériault.
[Traduction]
Jay Goldberg, directeur de l’Ontario, Fédération canadienne des contribuables : Merci beaucoup de m’accueillir.
Je veux d’abord remercier le comité de faire un examen approfondi du projet de loi C-11. Je suis ravi de voir que cette mesure législative est étudiée attentivement au Sénat, contrairement à ce qui s’est fait à la Chambre des communes.
Je suis reconnaissant d’être ici pour parler au nom de dizaines de milliers de Canadiens. En fait, plus de 100 000 Canadiens ont signé notre pétition qui demande au gouvernement de ne pas donner suite au projet de loi C-11.
La Fédération canadienne des contribuables est préoccupée par ce projet de loi pour trois principales raisons. Premièrement, l’approche du gouvernement qui consiste à accorder des pouvoirs maintenant au CRTC et à lui donner des lignes directrices plus tard soulève de grandes préoccupations en matière de reddition de comptes. De nombreux Canadiens — j’ai discuté avec beaucoup d’entre eux — se demandent pourquoi le gouvernement essaie de donner ces pouvoirs sans précédent à une entité comme le CRTC sans d’abord indiquer à la population la portée précise de ces pouvoirs ni exactement sur quoi il se fonde pour procéder ainsi.
Le gouvernement ne cesse de répéter que des instructions et des directives suivront, mais à notre avis, c’est une approche rétrograde pour ce qui est de la reddition de comptes. Le gouvernement devrait publier les règles qu’il prévoit mettre en œuvre ainsi que des instructions relativement au mandat complet du CRTC avant l’examen et l’approbation du projet de loi C-11, pas après.
Deuxièmement, contrairement à ce que le gouvernement a affirmé, le CRTC a établi qu’il réglementera lui-même le contenu généré par les utilisateurs en vertu du projet de loi C-11 et grâce à une réglementation de la diffusion. Le professeur Michael Geist a dit qu’aucun autre pays dans le monde ne cherche à réglementer le contenu de cette façon et que c’est une menace à la liberté individuelle. Je répète que de nombreux Canadiens se demandent pourquoi le gouvernement veut donner au CRTC le pouvoir de réglementer le contenu généré par les utilisateurs tout en leur disant que ce n’est pas ce qu’il fait.
Je tiens également à souligner, avant de passer au troisième point, que M. Scott, le président du CRTC, a dit au comité de la Chambre des communes que « l’article 4.2 proposé permet au CRTC de prévoir, par règlement, le contenu téléversé par l’utilisateur qui sera assujetti à la Loi suivant des critères très explicites. »
Je crois que le simple fait que le contenu généré par les utilisateurs serait pris en considération prouve que ce projet de loi ne porte pas seulement sur la culture canadienne, comme le ministre et d’autres personnes l’ont laissé entendre.
Troisièmement, nous pensons que cela créerait un dangereux précédent pour l’avenir. Cette nouvelle machine réglementaire du gouvernement est actuellement créée pour filtrer le contenu en fonction de ce que le gouvernement considère comme du contenu canadien, mais elle pourrait servir à d’autres fins à l’avenir. Certaines personnes pourraient s’inquiéter de l’impossibilité de tenir le CRTC responsable lorsqu’il détermine ce qui constitue du contenu canadien et ce qui n’en est pas, mais il est encore plus préoccupant de ne pas pouvoir le tenir responsable dans d’autres dossiers à venir, par exemple celui de la cohésion sociale, comme le ministre Mendicino y a fait allusion dans la discussion sur les préjudices en ligne. Si le gouvernement donne aux bureaucrates le pouvoir de filtrer ce que nous pouvons voir en ligne pour une raison donnée, un changement d’orientation dans d’autres dossiers est très facile à prévoir.
Il y a aussi de vives inquiétudes au sujet du processus de cette mesure législative, du manque de débat à la Chambre des communes et du fait que le gouvernement n’écoute pas vraiment les Canadiens. Nous avons assisté à l’adoption de plus de 100 amendements en une seule journée sans que les politiciens aient eu l’occasion de bien les comprendre. Notre liberté d’expression doit être sacrée, et nous ne devrions pas avoir de situation comme celle que nous avons vue lorsque le projet de loi a été adopté à toute vapeur à la Chambre des communes, avec un débat très limité et très peu de temps pour examiner les amendements. Je suis heureux de voir que ce n’est pas le cas ici.
Pour terminer, j’aimerais parler de l’objet du projet de loi. Le gouvernement prétend que le projet de loi C-11 est nécessaire pour protéger et promouvoir les intérêts des créateurs de contenu canadien, mais des dizaines de groupes qui représentent des créateurs de contenu, y compris plus de 400 à Digital First Canada, ont dit que ce projet de loi nuirait à leurs intérêts. Lorsque la représentante de YouTube a comparu devant votre comité, elle vous a prévenus que les gens à l’extérieur du Canada allaient voir moins de contenu canadien, ce qui est exactement le contraire de ce que le gouvernement affirme vouloir faire. Si une proportion de 90 % des consommateurs de contenu canadien se trouve à l’étranger sur des plateformes comme YouTube, comme on nous l’a dit, cette mesure rend le marché étranger moins accessible et nuira à la carrière de certaines personnes.
Ce qu’il faut retenir, c’est que le gouvernement n’a pas vraiment d’argument valable. Le projet de loi favorise la censure et le contrôle gouvernemental sans vraiment régler les problèmes que ses rédacteurs sont censés essayer de régler. J’implore donc les sénateurs de ne pas donner suite au projet de loi. Il est dangereux, il menace notre capacité à tenir le gouvernement responsable à long terme et il pourrait permettre d’élargir grandement le pouvoir des bureaucrates en matière de réglementation.
Je vous remercie tous de me permettre de comparaître devant vous, et je suis impatient de répondre aux questions.
Le président : Merci, monsieur.
Ma question est pour M. Goldberg, et vous avez exprimé des préoccupations qui font écho à ce que plusieurs autres témoins ont dit au comité à propos du contenu généré par les utilisateurs et plus précisément du paragraphe 4.1(2), et le débat se poursuit. Le gouvernement continue d’insister pour dire que ce projet de loi ne touchera pas le contenu généré par les utilisateurs, et nous avons entendu des gens dire qu’il n’y aura aucune tentative de manipulation des algorithmes. Pourtant, comme vous l’avez affirmé dans votre témoignage, nous avons entendu le président du CRTC, et il avait une interprétation très différente de la question. Nous avons également vu du côté de la Chambre, au moment d’amender le projet de loi, que le gouvernement n’était pas disposé à modifier le paragraphe 4.1(2), ou à vraiment mettre fin au débat en ajoutant un article qui exclut clairement le contenu généré par les utilisateurs, pour pouvoir ensuite passer à autre chose.
À votre avis, pourquoi les responsables au gouvernement ne veulent-ils tout simplement pas être plus clairs à ce sujet? Pensent-ils que personne ne s’en rendra compte? C’est ma première question. Deuxièmement, quel est selon vous le lien entre le projet de loi C-11 et le projet de loi C-18, dont la Chambre est actuellement saisie, et le projet de loi sur les préjudices en ligne, qui est certainement en voie d’être adopté. J’ai des préoccupations, et j’aimerais connaître votre point de vue.
M. Goldberg : Je vous remercie pour ces questions.
Fondamentalement, nous devons écouter les personnes à qui ce projet de loi accordera des pouvoirs s’il est adopté. Le gouvernement répète sans cesse que le contenu généré par les utilisateurs ne sera pas réglementé, mais puisque M. Scott est la personne qui dirige l’organisation qui réglementera ce contenu, nous devons le prendre très au sérieux. Au bout du compte, le refus répété du gouvernement de le reconnaître, malgré le fait que M. Scott dit que ce sera réglementé, indique que le gouvernement veut réglementer le contenu généré par les utilisateurs. Il pourrait très simplement et très facilement, comme vous l’avez dit, faire un amendement et supprimer l’article, s’il décidait de procéder ainsi à un moment donné. Le gouvernement insiste toutefois pour le garder. C’est préoccupant en ce qui a trait au contrôle gouvernemental.
Comme vous l’avez mentionné, le projet de loi C-11 fait partie d’un grand nombre de projets de loi présentés par le gouvernement, dont le projet de loi C-18, la Loi sur les nouvelles en ligne, et nous verrons un projet de loi sur les préjudices en ligne. Je pense que ce n’est pas d’hier que le gouvernement présente des mesures législatives mal conçues, qui ne donnent pas suite aux préoccupations des Canadiens concernant l’autonomie en ligne et l’ingérence du gouvernement dans leur capacité à avoir accès à certains contenus en ligne sans qu’on filtre ce qu’ils peuvent et ne peuvent pas voir. Le projet de loi C-18 est également très préoccupant.
Je dirais que c’est le premier projet de loi d’une série de projets de loi que nous allons voir, et il montre clairement que le gouvernement est très pressé, qu’il ne tient pas correctement compte de la façon dont les gens, les Canadiens, veulent avoir librement accès au contenu sans ingérence du gouvernement. Je pense qu’il faut prendre ces préoccupations très au sérieux.
La sénatrice Simons : Monsieur Armstrong, je suis ravie de vous revoir parmi nous, et sans vouloir être impolie, je veux profiter de votre présence ici pour revenir à la question que vous avez soulevée à propos du paragraphe 7(7) lors de votre dernière comparution.
Comprendre les répercussions de ce paragraphe est un peu comme jouer au jeu des serpents et des échelles. Il faut partir de là dans la mesure législative pour ensuite passer aux articles 9, 10 et 11.
Comme vous êtes de retour parmi nous, j’espère que vous pourrez nous aider à démêler tout cela. Que ferait exactement le paragraphe 7(7) par rapport à ce qui se trouve déjà dans la Loi sur la radiodiffusion, et que se produirait-il s’il était retiré du projet de loi?
Robert Armstrong, conseiller, Société des auteurs de radio, télévision et cinéma : À l’heure actuelle, la Loi sur la radiodiffusion donne au gouvernement — essentiellement le Cabinet — le pouvoir de donner des directives sur des questions générales d’orientation, et c’est tout. Les paragraphes 7(7), 10(1) et 10(2) ainsi que l’article 34.995 reprennent essentiellement tous les pouvoirs que le projet de loi donnerait au CRTC et les rendent vulnérables aux orientations politiques. C’est une liste très détaillée d’ordres ou d’ordonnances pour la réglementation, une liste très précise. Le paragraphe 7(7) et les deux autres paragraphes permettraient au gouvernement d’essentiellement orienter le CRTC dans un très grand nombre de dossiers.
Ce que je vois dans ce projet de loi, c’est un énorme transfert de pouvoir du CRTC au Cabinet, et le Cabinet pourrait alors orienter le CRTC dans un très grand nombre de dossiers très précis. L’élimination de cette mesure nous ferait revenir à ce que la loi prévoit actuellement, c’est-à-dire la possibilité de donner des directives sur des questions générales d’orientation.
La sénatrice Simons : Le paragraphe 7(7) permet-il concrètement au gouvernement de donner des directives relativement aux services de diffusion en continu ou lui donnerait-il, à vrai dire, plus de pouvoir à l’égard de toutes les personnes visées par la Loi sur la radiodiffusion?
M. Armstrong : Il lui donne plus d’emprise sur tout le monde, plus particulièrement en ce qui a trait aux ordonnances. D’après ce que je comprends, les ordonnances viseront d’abord les services de radiodiffusion en continu, mais rien n’empêcherait ensuite le CRTC — et c’est ce à quoi je m’attendrais — de passer, à moyen ou à long terme, à un régime d’ordonnances pour toutes les entreprises de radiodiffusion. Le projet de loi donnerait au gouvernement le pouvoir de prendre des ordonnances et des règlements dans ces domaines.
La sénatrice Simons : Avez-vous l’impression que cela nuit à l’autorité et à l’autonomie du CRTC en le rendant plus vulnérable aux changements politiques, ou la reddition de comptes dans le système en est-elle renforcée puisqu’on donne aux gens un lien vers un élu plutôt qu’un organisme nommé?
M. Armstrong : Je pense qu’il donne trop de pouvoirs au Cabinet. À mon avis, les pouvoirs que lui donne actuellement la loi sont adéquats. Ils permettent de prendre des ordonnances et de donner des directives dans des dossiers stratégiques d’ordre général, comme la définition d’entreprise de radiodiffusion étrangère, la radiodiffusion canadienne et ainsi de suite. C’est ce qu’il a déjà fait. Il s’est servi de ce pouvoir de manière utile, et je pense qu’il doit avoir le pouvoir de donner des directives. Ces trois paragraphes vont trop loin en permettant au Cabinet d’orienter le CRTC dans des dossiers stratégiques très précis.
La sénatrice Simons : Je suis heureuse d’avoir pu discuter de la question encore une fois avec vous. Je vous en suis reconnaissante.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Ma question s’adresse à la fois à l’Association des réalisateurs et réalisatrices du Québec et à la Société des auteurs de radio, télévision et cinéma. Je ne vous parlerai pas de vos demandes d’amendement et de vos revendications, parce que nous les avons entendues plusieurs fois. Nous les connaissons bien, étant donné que la Coalition pour la diversité des expressions culturelles et plusieurs organismes sont venus depuis plusieurs semaines nous les dire et redire. Il y a de toute évidence un grand consensus chez les acteurs francophones sur cette question.
Je veux vous amener sur un autre terrain, un peu plus difficile. Vous êtes unis dans vos revendications. Or, il y a deux fractures relativement au projet de loi C-11 : il y a une fracture de génération, certains d’entre vous sont plus jeunes que moi, mais d’autres ont à peu près mon âge. On remarque que chez les jeunes, cette idée de choix absolu de ne pas avoir de contenu recommandé est très populaire. C’est une question de génération, mais je le remarque même au Québec, il semble y avoir une fracture générationnelle sur cette question.
Il y a aussi une fracture au Canada, c’est-à-dire qu’il y a beaucoup plus d’appuis au projet de loi C-11 au Québec et dans la francophonie que dans le reste du Canada. Ce n’est pas scientifique, mais c’est ce qu’on observe. Je veux vous entendre sur ces deux phénomènes, au-delà de vos revendications, qui sont claires. Je veux voir comment vous voyez cela, de votre point de vue.
M. Pelletier : Je crois que la fracture générationnelle témoigne d’une certaine incompréhension de la Loi sur la radiodiffusion. Si c’est une fracture générationnelle, c’est parce qu’il y a une méconnaissance des bienfaits de ce que nous a apporté jusqu’ici cette loi. S’il y a, aujourd’hui, une industrie florissante regroupant 255 000 travailleurs dans le domaine de la radiodiffusion, des créateurs, et qu’on est capable d’avoir une industrie qui crée des émissions canadiennes avec autant de talent et de créativité, c’est parce que la Loi sur la radiodiffusion a permis un financement récurrent et adéquat et a permis à notre industrie créative de s’épanouir. Ce qu’on fait aujourd’hui, c’est prolonger l’effet et inclure de nouveaux acteurs dans cette loi.
Il n’y a pas de changement majeur en ce qui concerne les intentions de la loi. Si les jeunes ne le comprennent pas, c’est qu’ils ne l’ont pas vécu. Je pense que cela ne sera pas une entrave à la créativité des jeunes sur YouTube et d’autres plateformes. Au contraire, il s’agit encore une fois de favoriser du contenu canadien.
La sénatrice Miville-Dechêne : Est-ce que quelqu’un d’autre a quelque chose à ajouter?
Mme Halpern : De notre côté, on rejoint les remarques de M. Pelletier et de son association. J’aimerais simplement vous demander de préciser votre question. Est-ce que vous parlez des contenus générés par les utilisateurs ou des recommandations qui seraient faites sur des plateformes?
La sénatrice Miville-Dechêne : Je parle des deux. J’ai été très générale, mais effectivement, ceux qui sont venus le plus critiquer le projet de loi sont des créateurs sur YouTube, à qui l’idée d’être recommandé pouvait nuire sur la scène internationale. Donc, c’est pour ça que je vous parle de fracture. C’est clair qu’il y a eu beaucoup plus de youtubeurs anglophones qui sont venus nous parler. Je voulais savoir si vous aviez un point de vue là-dessus.
M. Pelletier : J’ai entendu certains de ces témoignages. Ces acteurs-là travaillent en partenariat avec YouTube. Il y a un partage de profits. Il y a énormément de résistance de la part des plateformes comme YouTube à se voir imposer des règles. Leurs partenaires, ceux qui se considèrent comme des partenaires en affaires en se partageant des revenus directement avec eux, vont prendre le parti de YouTube et des autres plateformes.
Je pense que ces créateurs, pour YouTube, vont être favorisés par un système qui met de l’avant du contenu canadien. Les craintes — parce que ce sont uniquement des craintes — de se voir imposer des règles et de penser que c’est une entrave à la liberté d’expression ne sont pas fondées, de la même façon que YouTube, avec ses algorithmes, va recommander un certain type de production ou de créateur et va continuer à les recommander de la même façon.
Ils veulent que les utilisateurs, que les consommateurs soient là, de l’autre côté de l’écran, et qu’ils y demeurent. Ils vont donc recommander, tout simplement, d’offrir un choix plus varié de youtubeurs canadiens ou de mêmes types de production, des genres d’émissions qui sont déjà écoutées.
La sénatrice Miville-Dechêne : Merci.
Le sénateur Cormier : Mes questions s’adressent au représentant de l’ARRQ et de la SARTEC. Je dirais en introduction que s’il y a, semble-t-il, une fracture générationnelle, on pourrait dire qu’il y a également une fracture dans les types de pratiques artistiques et culturelles qui entraîne des perceptions différentes du projet de loi entre les uns et les autres.
Ma première question porte sur l’article 31.1, la présence de cet article, et sur l’exemption pour les entreprises canadiennes en ligne et les entreprises étrangères. Je comprends qu’il y a un vide juridique, à l’heure actuelle, à savoir que les entreprises canadiennes en ligne et les productions maison des entreprises en ligne étrangères s’y trouvent, car elles ne seraient régies ni par les lois provinciales ni par les lois fédérales dans leurs relations de travail avec les artistes. Est-ce que ma compréhension est juste?
Quelle est votre compréhension de ce que sont les productions maison, qu’est-ce qu’on entend par cela lorsqu’on parle des entreprises en ligne étrangères? Madame Halpern, madame Cyr, allez-y.
Mme Cyr : Vas-y, Pauline, j’irai par la suite.
Mme Halpern : Mylène, arrête-moi si tu n’es pas d’accord à tout moment. Je vous confirme que votre compréhension est juste. Si cet article est maintenu, nous n’aurons pas de Loi sur le statut de l’artiste applicable à nos relations avec les entreprises en ligne étrangères et les entreprises de radiodiffusion canadienne pour leurs activités en ligne. C’est effectivement le cas.
Pour votre deuxième question, pouvez-vous la reformuler?
Le sénateur Cormier : Quelle définition donnez-vous de « productions maison »? Qu’est-ce qu’on entend par cela, pour bien comprendre de quoi il s’agit?
Mme Halpern : Un diffuseur diffuse du contenu; le producteur est le maître d’œuvre en matière de production. Dans ce sens, le diffuseur a trois moyens de s’immiscer dans le contenu. Le premier est simplement d’acquérir la licence pour un contenu déjà produit; le deuxième est d’acquérir la licence pour un contenu en cours de production, de le soutenir financièrement durant la production; le troisième, que vous définissez comme production maison, consiste à être producteur de l’œuvre, c’est-à-dire que le diffuseur lui-même engage les artistes. C’est dans ce cadre que la Loi sur le statut de l’artiste fédérale trouve son application.
Si on se penche sur le deuxième cas, où on finance la production, mais qu’on acquiert une licence d’un producteur, dans ce cas-là, c’est avec le producteur qu’on aura des interactions, car c’est lui qui va engager les artistes.
Le sénateur Cormier : Pourquoi le type de production maison n’est-il pas assujetti aux lois provinciales?
Mme Halpern : C’est parce que l’activité principale, c’est la radiodiffusion, qui est de nature purement fédérale. On a beaucoup de jurisprudence qui nous le confirme. Je crois même que la Bibliothèque du Parlement en ligne le confirme également. Lorsque l’activité principale d’une entreprise est de nature fédérale, l’activité secondaire accessoire — donc de production — l’est également. Il ne peut pas y avoir de fracture dans ce cadre-là. Il y a plusieurs jurisprudences qui nous le confirment. Cela nous amène à la conclusion que cette activité est de juridiction fédérale.
J’irai même plus loin : c’est la raison même de l’existence de la Loi sur le statut de l’artiste fédérale. Au Québec, nous avons une telle loi, mais nous avons besoin de la Loi sur le statut de l’artiste fédérale pour négocier avec les diffuseurs canadiens soumis à une licence du CRTC et, bien sûr, les organismes fédéraux tels que l’ONF.
Le sénateur Cormier : Merci. Si le temps me le permet, j’ai une question sur les audiences publiques qui seraient, d’après les demandes, non seulement pour l’attribution des licences, mais pour les ordonnances. On nous a apporté des arguments pour nous convaincre qu’il serait trop lourd pour le CRTC de devoir tenir des audiences publiques pour les ordonnances, qu’il y a déjà une consultation sur le site Web et que c’est difficile d’amener des intervenants à comparaître dans le cadre d’audiences publiques ici, à Ottawa. J’aimerais vous entendre sur les défis réels, car ces arguments me semblent faibles pour défendre l’idée que des audiences ne devraient pas être attribuées aux ordonnances.
M. Pelletier : Si je peux me permettre, la démocratie prend du temps. Cela peut paraître lourd, mais c’est le prix à payer pour la démocratie. Pour nous et pour la société canadienne, C-11 n’est qu’un début. Il faudra entendre les parties prenantes de tout le système de radiodiffusion pour que le CRTC puisse prendre des décisions éclairées. Les audiences publiques nous permettent d’entendre les autres parties prenantes et de répondre aux interventions.
La lourdeur est un petit prix à payer pour, au fond, améliorer la compréhension de notre nouveau système de radiodiffusion, en y incluant les plateformes numériques pour le CRTC et pour l’ensemble de la société canadienne.
Mme Cyr : Si vous me permettez, j’aimerais renchérir là-dessus. C’est certainement une bonne façon de prendre en compte les différents points de vue, surtout étant donné que les intervenants n’ont pas tous la même expérience ou les mêmes outils. Intervenir en ligne, ce n’est pas donné à tout le monde de la même façon que les audiences publiques telles qu’elles existent déjà. Cela assure une place pour se battre à armes égales. C’est un autre des avantages des audiences publiques.
Le sénateur Cormier : Merci. Ce sera au deuxième tour.
[Traduction]
Le sénateur Manning : Je remercie nos témoins de s’être joints à nous ce soir. Je veux m’assurer d’avoir bien compris. Je crois que c’est M. Pelletier — si j’ai bien entendu la traduction — qui a dit que YouTube a conclu un partenariat avec les créateurs numériques. Vous ai-je bien entendu?
[Français]
M. Pelletier : Il y a un partage des profits et des revenus entre les youtubeurs et la plateforme elle-même. C’est dans ce sens-là que je dis qu’il y a une forme de partenariat, mais ils ne sont pas des partenaires en parts égales. C’est simplement un partage des revenus.
[Traduction]
Le sénateur Manning : Merci. Au cours des dernières semaines, nous avons entendu parler des efforts déployés par tout le monde pour que le travail des créateurs au Canada soit rémunéré. Donc, si les créateurs numériques sont payés par YouTube, en quoi est-ce différent du système actuel dans lequel tous les autres sont rémunérés?
[Français]
M. Pelletier : On parle de créateurs dans le système traditionnel, c’est-à-dire en ce qui a trait aux émissions dramatiques plutôt diffusées dans un système de plateformes numériques d’aujourd’hui comme Netflix ou ICI Tou.tv.
Ce qu’on veut protéger, au fond, c’est à la fois la mise en valeur de nos œuvres canadiennes et leur financement — parce que la télé traditionnelle est en perte de vitesse, et les revenus et le réinvestissement dans nos productions canadiennes consistent à inclure des plateformes telles qu’Amazon Prime et Disney+ — et cela va amener de l’eau au moulin en matière financière. Cela va donc amener plus de financement aux productions canadiennes et offrir un choix d’émissions qui sont faites par des Canadiens aux Canadiens. On va tout simplement offrir un plus grand choix de contenu canadien et cela n’entravera pas du tout la liberté d’expression d’autres créateurs comme les youtubeurs.
[Traduction]
Le sénateur Manning : Je veux être certain de comprendre. En quoi est-ce différent pour les personnes que vous représentez? En quoi leur rémunération diffère-t-elle de celle des créateurs payés par YouTube? J’essaie juste de comprendre.
[Français]
M. Pelletier : Oui, il y a une différence, c’est-à-dire que nous négocions des ententes collectives avec des producteurs indépendants, la plupart du temps, et parfois avec des diffuseurs qui font des produits maison, comme le sénateur Cormier le disait. Donc, il ne s’agit pas là d’un partage des revenus publicitaires directement avec le diffuseur, mais ce sont des contrats qui sont payés par des producteurs indépendants à qui on a commandé des œuvres qui seront diffusées soit sur des plateformes numériques, soit par des diffuseurs traditionnels.
La différence se situe sur le plan du financement des œuvres, c’est-à-dire que le système actuel fait en sorte que les entreprises de radiodiffusion réinvestissent dans le système et permettent ainsi la production d’œuvres originales canadiennes. C’est la seule différence, et c’est ce qu’on cherche à faire avec les plateformes numériques : les faire contribuer à notre système, que ce soit financièrement ou en mettant en valeur nos œuvres.
[Traduction]
Le sénateur Manning : L’important, c’est que nous voulons tous que les créateurs soient payés pour leur travail. Merci.
Ma prochaine question est pour M. Goldberg de la Fédération canadienne des contribuables. Plusieurs témoins ont brandi le spectre de représailles à cause des répercussions transfrontalières potentielles de ce projet de loi. À titre d’exemple, Konrad von Finckenstein a fait remarquer que contraindre les plateformes étrangères à payer pour des programmes dont elles ne tirent aucun profit sera probablement une violation de l’Accord Canada—États-Unis—Mexique, l’ACEUM. Je me demande si vous partagez cette préoccupation. Avez-vous une idée des secteurs susceptibles de subir les représailles américaines si le projet de loi C-11 est adopté dans sa forme actuelle?
M. Goldberg : Merci de poser la question. Je partage sans aucun doute cette préoccupation. Nous avons déjà entendu les Américains — des représentants de l’administration Biden et d’autres — dire qu’ils croient que cette mesure législative est dangereuse et qu’elle pourrait avoir des conséquences négatives pour la relation entre le Canada et les États-Unis, et que nous pourrions fort probablement voir des sanctions et que ces sanctions pourraient frapper aussi le secteur de la création.
Le sénateur Manning : Merci.
La sénatrice Wallin : Mes questions sont pour M. Armstrong. Je vais poursuivre dans la même veine que la sénatrice Simons.
Quand je regarde les changements proposés, le paragraphe 7(7) et les deux autres, je pense à la raison d’être du CRTC qui remonte à 1968. On voulait manifestement avoir un organisme de réglementation indépendant du gouvernement, et c’est la raison pour laquelle le CRTC a été créé, mais ces changements semblent éliminer ou compromettre l’indépendance de l’organisme, qui est fondamentale. Êtes-vous du même avis?
M. Armstrong : Je suis d’accord avec vous. Le CRTC a été établi en 1968 à titre d’organisme indépendant du gouvernement. Je pense que le projet de loi C-11 — dans les dispositions dont nous parlons, du moins — entraînerait un important transfert de pouvoir du conseil au Cabinet. Ces dispositions sont d’autant plus dangereuses qu’elles feraient en sorte que de nombreuses ordonnances — du moins toutes celles qui pourraient faire l’objet de directives — ne seraient pas soumises à des audiences publiques, comme le sont les licences, et d’appels au Cabinet, comme le sont les décisions relatives aux licences actuellement. Je pense que ces trois domaines fonctionnent de concert et que dans ces trois cas, ces passages devraient être éliminés ou amendés.
La sénatrice Wallin : J’ai également soulevé la question, car je voudrais connaître votre opinion sur le sujet. La question a soulevé bien des suppositions, mais pourquoi pensez-vous que le gouvernement tient tant à ces mesures? M. Thériault a indiqué qu’il s’agit d’une « politisation » de la question, et certainement, il y a énormément de gens qui ont laissé entendre que cela conférerait au Cabinet un contrôle politique sur les affaires de contenu. Pensez-vous que le gouvernement ne fait pas confiance au CRTC? Avec les personnes actuellement impliquées, certains se sont publiquement inquiétés de la relation entre le président et les fonctionnaires et les hautes instances aux droits acquis. Quelle est votre théorie?
M. Armstrong : Je ne dispose pas d’information d’initié sur les motifs du gouvernement, mais je pense qu’il se préoccupe fort de la relation avec les États-Unis. Il craint que le CRTC puisse commettre des erreurs en délivrant des ordonnances aux entreprises de radiodiffusion en ligne, risquant ainsi de susciter des problèmes entre le Canada et les États-Unis. Il veut donc être en mesure d’établir lui-même un cadre au chapitre des ordonnances.
La sénatrice Wallin : L’autre question — que vous avez brièvement effleurée —, c’est que cela ferait en sorte que les décisions prises par le CRTC, ou par le Cabinet par son entremise, ne seraient pas soumises au processus d’appel, réduisant d’autant la reddition de comptes. Nous avons entendu dire que le processus d’appel des décisions du CRTC est déjà très onéreux et fort complexe. Il faut être prêt à aller en cour, à engager un avocat et à dépenser beaucoup d’argent. C’est un côté de l’affaire, mais il y a aussi la reddition de comptes publics. En dehors des élections qui ont lieu aux quatre ou cinq ans, comment signale-t-on à quelqu’un qu’on désapprouve ses décisions? Il me semble que si on tient des audiences publiques et permet aux gens d’y participer, c’est pour avoir une forme de reddition de comptes plus directe que la prise de décisions par le Cabinet.
M. Armstrong : Oui, j’en conviens. Je pense que les audiences publiques sont un outil très important pour le CRTC quand il prend des décisions et qu’elles rendent tout le processus de prise de décisions beaucoup plus ouvert. Par ailleurs, le CRTC peut commettre des erreurs de temps en temps, comme n’importe quel organisme. Il faut donc qu’il existe un processus d’appel.
À l’heure actuelle, il existe deux processus d’appel. L’un d’entre eux se déroule devant les tribunaux pour les questions de droit administratif. Si quelqu’un juge qu’une décision du CRTC enfreint le droit administratif, il s’adresse à la Cour fédérale. S’il s’agit plutôt d’un désaccord en matière de politiques au sujet d’une décision, cette dernière ne peut être portée en appel que devant le Cabinet fédéral. C’est ainsi que le système fonctionne. Par exemple, c’est devant le Cabinet qu’un certain nombre d’associations et de syndicats ont porté en appel la décision relative à CBC, et le Cabinet a accueilli l’appel et a renvoyé la décision relative au renouvellement de la licence de CBC au CRTC pour qu’il réentende l’affaire.
La sénatrice Wallin : Ce n’est toutefois pas une voie particulièrement facile à emprunter pour les producteurs de contenu généré par l’utilisateur et les personnes qui créent pour YouTube ou d’autres plateformes, puisqu’il s’agit de petites entités indépendantes.
M. Armstrong : Officiellement, le processus est ouvert à tous, mais bien entendu, le Cabinet du gouvernement ne veut pas examiner des décisions au quotidien et ne veut pas accepter les appels. Il en accepte donc très rarement. En fait, une liste de tous les appels est publiée sur le site Web de Patrimoine canadien, il me semble. La grande majorité des appels sont rejetés par le Cabinet, et je peux comprendre pourquoi. La tâche est tout simplement impossible.
Le président : Je vous remercie, monsieur Armstrong. Le temps est écoulé.
La sénatrice Wallin : Je vous remercie beaucoup.
La sénatrice Dasko : Je remercie les témoins.
Je suis, moi aussi, enchantée de revoir M. Armstrong, et je voudrais continuer dans la même veine que l’intervenante précédente.
Monsieur Armstrong, vous avez indiqué que certaines dispositions confèrent de plus grands pouvoirs au gouvernement et que vous souhaiteriez qu’elles soient éliminées. Certains représentants du gouvernement m’ont pourtant dit que cela ne modifie pas beaucoup leurs pouvoirs, mais laissons cela de côté.
Je me demande si vous pourriez me donner quelques exemples — ou beaucoup si vous le pouvez — de possibles décisions qui pourraient être renversées selon ce projet de loi, alors qu’elles ne pourraient pas l’être sans la disposition en question ou dans le cadre existant. Donnez-moi quelques exemples de ce que vous craignez le plus qui change, si vous le voulez bien. Approfondissez un peu plus la question, car j’essaie de comprendre cette affaire.
M. Armstrong : Votre utilisation du mot « renversé » me laisse légèrement perplexe. On ne renverserait rien. Nous parlons de deux choses distinctes ou c’est ce que nous avons fait jusqu’à maintenant.
D’une part, il y a le pouvoir que le Cabinet pourrait avoir de donner des directives au CRTC concernant des questions très pointues; ce n’est qu’un pouvoir potentiel qu’il pourrait choisir de ne pas exercer. D’autre part, il y a le pouvoir de porter une décision en appel, qu’on peut actuellement exercer à propos des décisions relatives aux licences du CRTC, mais qu’on ne pourrait pas exercer pour les ordonnances que le CRTC délivre aux entreprises de radiodiffusion en ligne, par exemple. Ces décisions, ces ordonnances du CRTC ne pourraient être portées en appel devant le Cabinet.
Voilà pourquoi je dis qu’il existe un processus par l’entremise duquel le Cabinet fédéral pourrait donner des directives au conseil, lequel pourrait alors délivrer des ordonnances aux entreprises de radiodiffusion en ligne. Ces ordonnances du conseil ne pourraient pas être portées en appel.
La sénatrice Dasko : Pouvez-vous me donner quelques exemples de ce qu’il pourrait se passer avec le projet de loi dans sa forme actuelle, vu la manière dont il est rédigé?
M. Armstrong : Je devrais effectuer quelques recherches pour vous donner des exemples très précis, mais essentiellement, on fait en sorte que tous les pouvoirs conférés au CRTC en matière d’ordonnances et de règlements puissent faire l’objet de directives du gouvernement.
J’ai écrit un article à ce sujet dans Options politiques, expliquant la question en détail. Cet article n’est publié qu’en français pour l’instant, mais si vous le traduisez avec Google Translate ou d’autres outils, vous verrez...
La sénatrice Dasko : Je lis très bien en français.
M. Armstrong : Vous pouvez le voir; il est sur le Web.
La sénatrice Dasko : D’accord, c’est excellent. Je vous remercie.
Le président : Monsieur Armstrong, si vous êtes disposé à remettre cet article au comité, je pense qu’il lui serait fort utile.
M. Armstrong : Je le ferai volontiers.
Le président : Je vous remercie.
La sénatrice Dasko : Ma prochaine question s’adresse à M. Pelletier.
Si les amendements que vous demandez ne sont pas apportés aux dispositions qui feraient en sorte que les entités étrangères soient traitées comme les entités canadiennes, quelles seraient les répercussions sur vos membres? Êtes-vous toujours favorable au projet de loi? Vous aide-t-il encore? Décrivez-moi ce qui arriverait si les amendements que vous souhaitez ne sont pas apportés?
M. Pelletier : La réponse brève est « oui ».
[Français]
Nous sommes pour l’adoption du projet de loi C-11.
Si les amendements qu’on demande n’étaient pas adoptés, c’est d’une part la transparence des décisions du CRTC, c’est-à-dire le fait d’avoir la possibilité d’en appeler des décisions du CRTC en ce qui a trait aux ordonnances. Les ordonnances vont s’appliquer particulièrement aux plateformes numériques. Ce qu’on veut voir, c’est une façon de renverser ou de réviser les décisions du CRTC. Donc, il s’agit de pouvoir en appeler des ordonnances, d’une part, mais aussi, en ce qui concerne les audiences publiques, on veut être capable d’intervenir en amont des décisions du CRTC pour que toutes les parties prenantes puissent s’exprimer en toute transparence.
Voilà deux des demandes que nous faisons et qui, selon nous, amélioreraient le projet de loi C-11, même si on continue de l’appuyer. L’autre, on en a parlé un peu plus tôt, il s’agit de l’article 31.1; c’est-à-dire qu’il ne faudrait pas exclure les entreprises en ligne de la Loi sur le statut de l’artiste fédérale.
Mme Cyr : En ce qui a trait à l’amendement de 31.1, le fait de laisser les amendements tels quels créerait notamment deux classes d’artistes : des artistes qui auraient droit à des cachets minimaux et à un filet social, alors que d’autres n’y auraient pas droit. Donc, on aurait deux types de producteurs, deux types d’entreprises. Selon nous, il faudrait absolument qu’il y ait une équivalence dans ce domaine. Pour nous, en fait, une autre conséquence serait d’affaiblir les acquis dont nous font bénéficier les 25 ans de la Loi sur le statut de l’artiste fédérale. Donc, il y a actuellement des ententes collectives qui pourraient, en fait, ne plus avoir d’assise juridique si cet amendement était laissé à 31.1. Cela affaiblirait la portée de la loi et cela empêcherait dorénavant des associations comme la nôtre de pouvoir envoyer des avis de négociation.
Comme le disait Mme Halpern, il est fort peu probable que les entreprises numériques qui ne seraient pas visées par la loi acceptent de s’asseoir avec nous pour négocier.
Le président : Merci beaucoup.
La sénatrice Clement : Merci à tous nos témoins. J’ai une petite question pour M. Pelletier. Vous avez répondu à une question de la sénatrice Miville-Dechêne, je crois. Vous avez dit que la méconnaissance de la loi actuelle nous amène maintenant à un discours qui est faux et qui ne reflète pas la réalité de ce que cette loi a permis. Comment en sommes-nous arrivés là? Que doit-on faire pour remédier à cette méconnaissance?
M. Pelletier : La première chose à faire, à mon avis, c’est d’éduquer les gens, d’aider à la compréhension de la loi, tout simplement.
Bien sûr, je pense qu’il y a eu une sorte de désinformation, d’une certaine façon. Cette loi ne vise pas à brimer la liberté d’expression, au contraire; elle vise à favoriser l’expression canadienne. Cela comprend autant les créateurs et les créatrices que nous représentons, que ce soit les scénaristes, les réalisateurs, mais aussi les youtubeurs. Ils font partie de l’expression canadienne et ils seraient aussi favorisés par cette loi.
Je pense qu’il y a des craintes chez ces gens-là, mais ces craintes ne sont pas fondées. La seule façon de renverser cela, c’est l’éducation, soit de comprendre notre système. On est ici, on discute du projet de loi, et nous-mêmes, il y a des articles qu’on doit se faire expliquer. Alors, imaginez pour le quidam, les gens ordinaires; c’est difficile à comprendre.
C’est une loi qui existe depuis 1968, justement pour favoriser l’expression créatrice canadienne, notre culture et notre souveraineté culturelle, face à des géants de l’époque qui s’appelaient ABC, CBS et d’autres. Aujourd’hui, il y a d’autres acteurs, mais c’est toujours la même partie qui se joue d’une certaine façon.
La sénatrice Clement : Merci.
Le président : Monsieur Pelletier, on a beaucoup de témoins qui sont venus témoigner au comité, ils sont des producteurs de contenu et ils sont très préoccupés. Or, il y a beaucoup de producteurs de contenu au Canada qui sont très préoccupés et ils sont tous Canadiens.
Vous avez dit vers la fin que pour YouTube et les autres plateformes, la préoccupation est le profit. Cependant, tout le monde est préoccupé par le profit, parce que sans argent, les artistes, le producteur, les acteurs, les chanteurs ne peuvent pas vivre; pour produire du contenu canadien et le promouvoir, il faut des profits.
À la fin de l’exercice, les plateformes comme YouTube font de l’argent quand les clients en font, et tous leurs clients, qui sont très préoccupés actuellement, ce sont des producteurs de contenu canadien, parce qu’ en ce moment, la plateforme part de l’idée que le consommateur décide de l’avenir du produit.
Vous proposez que quelqu’un d’autre décide comment les algorithmes vont être utilisés; ce sera un groupe de bureaucrates, des associations ou des gens du CRTC. En fin de compte, je suis très à l’aise quand le consommateur dirige les algorithmes, mais moins quand c’est le président du CRTC.
Qu’avez-vous à dire là-dessus?
M. Pelletier : Je suis comme vous, monsieur le président. Je crois aussi au profit et que les entreprises doivent être rentables pour exister, et que les gens qui travaillent avec ces entreprises doivent aussi faire de l’argent.
Cependant, il ne s’agit pas d’aller agir sur les algorithmes, c’est une obligation de résultat. Dans le fond, tout ce qu’on veut, c’est d’offrir au public canadien plus de choix et plus de choix canadiens; c’est tout simplement cela.
Le consommateur pourra toujours choisir ce qu’il veut, mais quand on produit du contenu canadien, bien, ce qu’on veut c’est qu’il soit mis en valeur, c’est-à-dire que le consommateur puisse avoir le choix et un éventail de choix variés selon le genre d’émissions qu’il veut écouter, tout simplement.
Donc, l’idée est d’offrir plus de choix, des choix que le consommateur va pouvoir faire et qui lui permettront toujours d’avoir la possibilité de regarder le type d’émissions qu’il aime regarder.
Le président : Merci beaucoup à nos témoins de ce soir. C’est évident que vos témoignages étaient très intéressants parce qu’on a dépassé 60 minutes, et j’ai encore en deuxième ronde quatre sénateurs qui aimeraient participer.
Encore une fois, merci infiniment à tous.
[Traduction]
Je vous remercie beaucoup d’avoir comparu. Monsieur Armstrong, vous qui témoignez pour la deuxième fois, je vous remercie particulièrement de votre patience et de votre participation.
Honorables collègues, nous reprenons maintenant notre étude du projet de loi C-11, Loi sur la diffusion continue en ligne. Nous recevons maintenant notre deuxième groupe de témoins. J’ai le plaisir de souhaiter la bienvenue à M. Alan Willaert, vice-président pour le Canada, de la Fédération canadienne des musiciens, qui témoigne par vidéoconférence; M. Luc Fortin, président de la Guilde des musiciens et musiciennes du Québec; et M. Alexandre Alonso, directeur général de la Société professionnelle des auteurs et des compositeurs du Québec.
[Français]
Bienvenue et merci de vous joindre à nous ce soir.
[Traduction]
Monsieur Willaert, à vous la parole.
Alan Willaert, vice-président pour le Canada, American Federation of Musicians, Fédération canadienne des musiciens : Bonjour à tous. Je m’appelle Alan Willaert et je suis vice-président pour le Canada de la Fédération des musiciens des États-Unis et du Canada. Je vous remercie de me donner l’occasion de prendre la parole devant ce comité.
J’aimerais commencer par énoncer l’évidence, des choses que vous savez déjà. La Loi sur la radiodiffusion a vu le jour en 1936, en partie pour reconnaître et atténuer l’influence écrasante de la radio diffusée au Canada depuis les États-Unis; 86 ans plus tard, nous voilà confrontés à la diffusion en continu sur Internet.
La Loi sur le statut de l’artiste se voulait une solution au problème des artistes qui, parce qu’ils étaient considérés comme des entrepreneurs indépendants, ne pouvaient pas négocier collectivement une convention en vertu du Code canadien du travail. Dans le document d’information que je vous ai fourni, nous décrivons les résultats catastrophiques que nous anticipons pour les artistes si la Loi sur le statut de l’artiste ne s’applique pas aux entreprises en ligne. Je ne répéterai pas ce qui se trouve dans ce document, mais je vous présenterai d’autres perspectives.
Les entreprises dont nous parlons ici accumulent une richesse qui se mesure aujourd’hui en billions. Je ne peux même pas imaginer ce que cela représente. Pourtant, ce sont les entreprises les plus difficiles à régir parce qu’elles sont motivées par une cupidité absolument insatiable. Ce que je vais dire n’a aucun sens, mais même les films à grand déploiement, ceux qui coûtent le plus cher à produire et qui sont diffusés partout dans les salles de cinéma ont des budgets pour la musique qui se situent généralement aux alentours de 0,5 % du total, soit moins d’un demi pour cent. Cela comprend toutes les licences et tous les droits applicables, et pourtant les musiciens ont le plus grand mal à négocier un salaire équitable.
Ces entreprises préfèrent payer le gros prix pour le promeneur de chiens de la vedette plutôt que de verser un salaire équitable aux musiciens, et même de les inclure au générique. Imaginez un musicien essayer de négocier seul avec ces entreprises. Les musiciens sont exploités pour leur art, et leurs redevances normales, comme les droits d’auteur pour le compositeur, leur sont extorquées au moyen de contrats d’œuvre réalisée contre rémunération à l’américaine. S’ils refusent d’être manipulés de la sorte, ils seront écartés au profit de quelqu’un d’autre, plus disposé à s’avilir. La Loi sur le statut de l’artiste est le seul outil disponible pour uniformiser les règles du jeu au nom de tous les artistes. Si elle perd toute inefficacité à cause de cette modification, il n’y aura plus aucun avenir pour les musiciens dans l’industrie des trames sonores. Ils pourront tout aussi bien devenir promeneurs de chiens.
Vous aurez reçu des avis juridiques selon lesquels les entreprises en ligne et les activités dérivées en ligne sont vraiment de compétence fédérale. Si vous déterminez arbitrairement qu’elles sont de compétence provinciale, cela signera l’arrêt de mort de l’industrie des trames sonores. Une seule province dispose actuellement d’une loi sur le statut de l’artiste qui contient des dispositions sur les négociations collectives. Vous présumez donc peut-être que les productions sont protégées au Québec, mais ce n’est pas le cas. Le travail migrera vers une province où il n’y a pas de loi en ce sens, pas de convention collective en place et, une fois de plus, le Far West s’installera.
Des conversations que j’ai eues avec des musiciens de studio américains m’ont fait prendre conscience de certaines réalités. Tout d’abord, les séances d’enregistrement de musique font partie de la postproduction, donc lorsque les salaires des vedettes ou les coûts de l’imagerie générée par ordinateur ou des camions de restauration dépassent le budget, les grandes productions non syndiquées cherchent à faire des économies. Une fois, les producteurs ont carrément annulé une séance d’enregistrement. Ils ont donc engagé un orchestre étranger à Londres, mais il a également fallu faire venir par avion le chef d’orchestre et certains musiciens clés, comme le premier violon, la première trompette, etc. J’ai demandé si cela n’avait pas coûté beaucoup plus cher qu’une seule séance d’enregistrement d’un après-midi à Los Angeles. On m’a répondu : « Bien sûr que oui, mais les comptables étaient contents parce qu’ils ont pu réaffecter cet argent au budget des voyages plutôt qu’à la musique. » Rien ne dérange plus les producteurs que de dépenser de l’argent pour des musiciens, même s’ils sont essentiels à la valeur créative de la production.
Nous vous prions d’éliminer la modification 31.1 pour le bien de nos artistes. Nous vous remercions de votre attention.
[Français]
Luc Fortin, président, Guilde des musiciens et musiciennes du Québec : Bonjour. Tout d’abord, je remercie sincèrement le Comité sénatorial permanent des transports et des communications de nous inviter, même à cette heure tardive; nous travaillons tous très fort.
Je suis Luc Fortin, je suis président de la Guilde des musiciens et musiciennes du Québec et aussi de la section locale 406 de la Fédération canadienne des musiciens. Je salue l’intervention de mon vice-président. Nous avons été fondés en 1905 et nous représentons près de 3 100 musiciens professionnels dans la province de Québec. Nous sommes reconnus par les lois fédérales et provinciales du statut de l’artiste.
Je tiens à souligner que nous avons appuyé le projet de loi C-11 depuis le début et endossé les conclusions du rapport Yale qui précédait la rédaction du projet de loi. Le projet de loi C-11 est d’une grande importance pour la culture canadienne ainsi que les créateurs et artistes. Il est primordial que les multinationales qui diffusent des contenus médiatiques et culturels soient soumises aux mêmes règles que nos entreprises canadiennes. En ce sens, le projet de loi C-11 constitue un grand pas en avant.
Je dois cependant souligner deux aspects de la loi qui auront besoin d’ajustements pour assurer que cette équité entre les GAFA et nos entreprises soit pleinement respectée. J’aimerais parler de l’alinéa 3(1)f) du projet de loi C-11 qui parle de l’emploi de ressources humaines canadiennes. À la lecture de cet article, on remarque un traitement différent pour les entreprises en ligne étrangères par rapport aux entreprises canadiennes.
Les entreprises canadiennes sont tenues d’employer des ressources humaines — créatrices et autres — canadiennes, et de faire appel à celles-ci au maximum, tandis que pour les entreprises étrangères, elles seraient tenues de faire appel dans toute la mesure du possible aux ressources humaines canadiennes. On voit qu’il y a ici une différence subtile, mais importante. C’est-à-dire qu’il y a une grande différence entre faire appel au maximum et faire appel dans la mesure du possible. Cela aura inévitablement pour effet que les producteurs étrangers trouveront des moyens de justifier des dépenses moindres en matière de main-d’œuvre canadienne en prétextant qu’ils ont essayé d’y faire appel, dans la mesure du possible.
Ce serait facile pour les géants du Web comme Amazon et Netflix de sous-traiter des enregistrements de musique de film à des orchestres à bas prix en Europe de l’Est, en prétextant qu’ils ne pouvaient pas faire autrement à cause de différences de prix; mais en même temps, on prive de travail nos excellents musiciens canadiens.
Toutes les entreprises devront être tenues d’employer des ressources humaines canadiennes au maximum et non seulement dans la mesure du possible. Pourquoi obliger les entreprises canadiennes à faire quelque chose que les entreprises étrangères ne seraient pas obligées de faire ici? Je souligne aussi l’amendement fédéral à la Loi sur le statut de l’artiste, que mon collègue Alan Willaert a évoqué tantôt et que beaucoup de mes collègues des associations d’artistes soulignent aussi.
C’est un amendement surprenant ajouté in extremis, en juin, sans aucune consultation auprès de ceux qui étaient le plus concernés par cet ajout. L’application de la Loi sur le statut de l’artiste permet aux syndicats de négocier des conditions de travail équitables pour les artistes, qui sont des travailleurs indépendants.
Nous priver de ce droit nivellera par le bas nos conditions de travail et créera encore un régime à deux vitesses, selon que l’entreprise est étrangère ou non. Par exemple, Netflix pourrait décider de devenir lui-même un producteur-diffuseur pour se soustraire à l’application de la loi, et même Radio-Canada pourrait le faire. Radio-Canada, qui produit du contenu en ligne, TVA au Québec, l’Office national du film vont dire que maintenant, au lieu de sous-contracter à des producteurs indépendants, ils vont ouvrir des studios maison pour produire eux-mêmes et n’auront plus d’ententes collectives à respecter. Donc, comme par magie, leurs obligations envers les syndicats, les conditions de travail minimales disparaîtraient.
Il est impératif de ne pas toucher à la Loi sur le statut de l’artiste et de la laisser intacte pour que tous nos artistes et entreprises canadiens soient traités de manière équitable.
Je vous remercie de votre attention.
Le président : Merci beaucoup.
Alexandre Alonso, directeur général, Société professionnelle des auteurs et des compositeurs du Québec : Bonjour, chers membres du comité. Je m’appelle Alexandre Alonso et je suis le directeur général de la SPACQ, la Société professionnelle des auteurs et des compositeurs du Québec. Je vous remercie de m’avoir offert la possibilité de témoigner devant vous.
La SPACQ est une association professionnelle d’artistes fondée il y a plus de 40 ans et composée d’environ 600 membres, des auteurs et des compositeurs qui œuvrent au service de productions musicales, audiovisuelles et dramatiques au Québec, mais aussi en français, dans tout le reste du Canada.
Les plateformes numériques internationales affichent des hausses de revenus records, pendant que nos artistes affichent une baisse généralisée de leurs revenus. Pourquoi? Parce que la consommation se déplace des médias traditionnels vers les médias numériques, sans que la rémunération des artistes suive la même tendance.
C’est ce que les Européens ont appelé « l’écart de valeur ». Adopter le projet de loi C-11 signifie réduire cet écart de valeur, car pour que nos contenus culturels génèrent plus de revenus, il faut qu’ils soient plus consommés. Cependant, alors que les plateformes numériques internationales bénéficient de la valeur que nous produisons comme artistes, gouvernements et citoyens, elles refusent de partager cette valeur avec nous.
Derrière une apparente volonté de personnalisation, la vision que veulent en fait réaliser les plateformes numériques internationales, en concertation avec les multinationales du divertissement, est un marché mondial unique qui consomme un produit unique, harmonisé et standardisé. Ces entreprises ne sont pas loyales à un pays, à un gouvernement ou à une population, bien au contraire; elles perçoivent nos particularités nationales comme un frein à leur développement, et leur objectif est de les effacer pour mieux déployer une proposition unique tout autour de la planète.
C’est une question de poids démographique et de temps : un jour, ce que le plus grand nombre consomme deviendra ce que tout le monde consomme si nous n’agissons pas en bons parents pour la santé culturelle de nos enfants.
Prenons pour exemple une situation que vous connaissez bien. Les représentants politiques ont besoin que les citoyens se reconnaissent en eux pour être légitimes et avoir la capacité de répondre à leurs attentes; cela est en tout point identique pour la culture. Nous avons besoin que le public se reconnaisse dans nos contenus culturels, car ce qui nous ressemble est aussi ce qui nous rassemble, ce qui façonne notre identité nationale. C’est exactement ce que le projet de loi C-11 permet de faire : faire du Canada une culture singulière, vivante et rayonnante.
Ne laissons pas notre identité se faire effacer. Ne laissons pas les services des finances des plateformes numériques internationales et les services du marketing des multinationales du divertissement décider à notre place et effacer notre identité nationale pour servir leur objectif, qui est d’établir un marché mondial unique de la culture et du divertissement.
Aujourd’hui, je fais appel à votre patriotisme culturel. Conservons notre culture et notre identité. Le projet de loi C-11 est le premier pas vers l’affirmation du Canada comme une grande nation culturelle et numérique sur la scène internationale.
Ne nous laissons pas non plus aveugler par le mythe de l’entrave à l’exportation. Je sais d’expérience que pour exporter notre musique, nous avons besoin de relais extérieurs, d’organisations et de personnes sur le terrain, à l’étranger, qui croient en notre musique; mais pour cela, nous devons démontrer au préalable une consommation locale forte, sans quoi ces partenaires étrangers ne prendront pas le risque d’importer un produit fragile sur leur propre territoire.
Le projet de loi C-11 est aussi un outil fondamental qui permet de renforcer notre liberté d’expression et de faire entendre notre voix en tant que Canadiens dans la grande conversation mondiale.
Faisons-nous confiance en permettant au CRTC d’examiner des faits et de réglementer de façon rationnelle et équilibrée, sans céder à l’intimidation d’entreprises étrangères et sans avoir peur de nous-mêmes. Faisons-nous confiance et élevons-nous pour protéger nos enfants de l’ingérence culturelle.
En maintenant l’article 4 sans y apporter de changement, en retirant le nouvel amendement de l’article 31.1, qui permet aux entreprises en ligne de se soustraire à l’application de la Loi sur le statut de l’artiste et en adoptant le projet de loi C-11 le plus rapidement possible, nous prenons ensemble le pari de continuer à exister comme culture dans le vaste marché mondial.
En terminant, comme un grand nombre d’autres organisations, nous vous recommandons d’accepter les légers amendements demandés par la Coalition pour la diversité des expressions culturelles.
Je vous remercie de votre écoute et je suis à votre disposition pour toute question. Merci.
Le président : Merci, monsieur Alonso. Nous allons maintenant passer à la période de questions.
[Traduction]
Le sénateur Klyne : Ma première question s’adresse à M. Fortin. Bien sûr, les autres témoins peuvent aussi y répondre. Ma question porte sur l’article 31.1 du projet de loi, qui touche la Loi sur le statut de l’artiste.
Plusieurs groupes — dont deux ce soir — qui représentent les petits artistes et les artistes indépendants ont déjà exprimé leur inquiétude au sujet de cet article du projet de loi et ont déclaré que l’exemption des entreprises en ligne de l’application de la Loi sur le statut de l’artiste aura des conséquences négatives sur les conditions de travail et les salaires des artistes engagés pour travailler à des productions en ligne.
Monsieur Fortin, pourriez-vous quantifier pour nous les conséquences négatives auxquelles vous vous attendez? Craignez-vous surtout une diminution des salaires ou la détérioration des conditions de travail ou encore un autre facteur dont nous devrions être conscients? Vous pouvez peut-être expliquer davantage l’exemple que vous avez donné, de l’ONF qui changerait d’employés dans un studio. Ce n’est pas si facile à faire.
M. Fortin : Tout d’abord, il faut faire une distinction entre des organismes fédéraux comme l’ONF ou Radio-Canada ou un diffuseur québécois comme TVA et une entreprise étrangère en ligne. Ce sont deux choses distinctes.
Prenons l’ONF ou Radio-Canada. Nous avons des conventions collectives avec ces sociétés en vertu de la loi fédérale.
Parlons de Radio-Canada. Les réseaux anglophone et francophone de Radio-Canada produisaient auparavant beaucoup d’émissions et de contenu musical. Avec le temps, ils ont décidé de donner des contrats de sous-traitance à des producteurs indépendants. Au Québec, il y a des sociétés indépendantes. Il y en a beaucoup. Elles sont représentées par l’AQPM au Québec et la CMPA au Canada. Elles produisent du contenu pour le diffuseur. Ensuite, elles sont soumises au Québec aux conventions collectives avec les associations d’artistes.
Mais si l’ONF ou Radio-Canada décidaient d’ouvrir leurs propres studios [Difficultés techniques] juste avant, ou pour une entreprise en ligne, alors la loi ne s’appliquerait pas à elles pour cette entreprise en ligne, parce qu’elles redeviendraient des producteurs comme à l’époque. Nous avons toujours une convention collective qui s’applique avec ces sociétés quand elles produisent du contenu, mais pour une entreprise en ligne, nous ne pouvons pas la faire appliquer.
Toutes les conventions collectives que nous avons négociées péniblement au fil des ans pour obtenir des conditions minimales pour nos artistes seraient donc rendues nulles par cette modification — pour tout ce qui concerne les entreprises en ligne.
Il y a beaucoup de productions en ligne. Au Québec, il y a TOU.TV et quelque chose d’autre au Canada anglais. C’est une véritable menace.
Le sénateur Klyne : Vous me dites que votre convention collective n’empêcherait pas que cela se produise parce qu’il s’agit de productions en ligne plutôt que de productions internes?
M. Fortin : Oui, parce que le projet de loi C-11 donnerait le pouvoir au producteur, au diffuseur, de se soustraire à la loi, en étant lui-même une entreprise de production en ligne.
Le sénateur Klyne : N’y a-t-il pas de droits qui subsisteraient? Si l’ONF était achetée, la convention collective ne disparaîtrait pas comme ça.
M. Fortin : La convention collective continuerait de s’appliquer aux productions qui ne sont pas en ligne. Mais tout ce qui est exclusivement en ligne serait exempté de la loi. Il y a de plus en plus de productions en ligne, donc c’est une véritable menace.
Pour Netflix et les autres géants du Web, c’est presque la même chose. Ils seraient tentés de créer leurs propres productions et d’être exemptés de la Loi sur le statut de l’artiste. Ce serait même une menace pour les productions indépendantes, parce que tout à coup, il y aurait une concurrence déloyale de Netflix parce que les productions indépendantes coûteraient plus cher à cause de toutes les revendications des syndicats. Les géants du Web ne seraient pas obligés de se plier aux mêmes règles, donc cela leur coûterait moins cher. Ce n’est pas qu’hypothétique; c’est un problème bien réel.
Le sénateur Klyne : Je comprends.
J’ai une petite question pour la Fédération canadienne des musiciens. Vous écrivez sur votre site Web que votre organisation est complémentaire à l’American Federation of Musicians aux États-Unis et au Canada. Cela signifie-t-il que votre bureau appartient à une organisation américaine ou êtes-vous indépendant d’elle et pouvez-vous fonctionner de manière autonome?
M. Willaert : Nous sommes un syndicat international. Je suis le directeur des affaires au Canada, et nous avons une certaine indépendance, même si tout se fait, bien sûr, sous la surveillance du président international.
Le sénateur Klyne : Vous êtes peut-être la personne à qui je poserais directement la question. Vos homologues américains — et vous formez une seule et même organisation, me dites-vous — vous ont-ils fait part d’une quelconque inquiétude quant aux effets du projet de loi C-11? Si ce n’est pas le cas, ma question allait être... Je n’avais pas réalisé que vous étiez aussi proche d’eux. J’allais vous demander si vous saviez si ce projet de loi était sur l’écran radar de vos homologues américains, mais si vous portez deux chapeaux, il est sur votre propre écran radar.
M. Willaert : Nous n’avons reçu aucun commentaire négatif sur le projet de loi C-11 de la part des musiciens américains ni de notre bureau aux États-Unis.
Le sénateur Klyne : Très bien. Merci.
La sénatrice Simons : Ma question s’adresse également à M. Willaert. Avant-hier, nous avons entendu John Welsman, président de la Guilde des compositeurs canadiens de musique à l’image. Il a soulevé une question à la fin de son témoignage, sur laquelle nous n’avons pas eu l’occasion de l’interroger, celle de la postproduction.
Il a dit que souvent, les entreprises internationales viendront ici pour tourner un film, elles utiliseront tous les talents canadiens sur place pour les rôles secondaires, des machinistes, des monteurs ou tout autre travailleur local, mais il a ajouté qu’ensuite, elles ramèneront souvent le film aux États-Unis pour la postproduction, y compris pour la musique.
Je me demande si vous pouvez nous expliquer, de votre point de vue, vous qui représentez les musiciens plutôt que les compositeurs, ce que cela signifie lorsque ces productions dépensent autant d’argent ici, mais ramènent ensuite le film aux États-Unis pour la musique qui y est intégrée en postproduction?
M. Willaert : C’est un problème. Tout d’abord, la plupart des grandes sociétés de production comme Paramount, MGM, Castle Rock sont signataires de l’une de nos conventions. Donc pour nous, ça va. Si la production, si la musique retourne aux États-Unis, ce sont toujours nos membres et notre organisation qui en bénéficieront. L’inverse peut également se produire.
Là où cela pose problème, c’est quand des productions non syndiquées viennent ici et profitent des allègements fiscaux, des coûts et des salaires plus bas parce que le dollar américain est plus fort, puis que ces productions non syndiquées font produire leur musique ailleurs, comme aux États-Unis, mais plus souvent à Prague, à Bratislava ou à Londres.
La sénatrice Simons : Nous ne sommes pas seulement en concurrence avec les musiciens américains. Nos musiciens sont en concurrence avec les musiciens de Prague ou de Taïwan, comme vous le dites, avec tous les musiciens accomplis qui peuvent faire la même chose, où qu’ils se trouvent, et c’est surtout vrai pour les musiciens classiques.
M. Willaert : Oui. L’un des problèmes que nous avons au Canada concerne les films qui sont visés par un traité et qui sont réalisés en coproduction avec un autre pays, par exemple une production Canada-Irlande, Canada-France, Canada-Allemagne ou une autre collaboration. Dans ces cas particuliers, on divise souvent la production dans deux endroits différents. Ainsi, on peut filmer au Canada, mais faire la postproduction dans un pays d’Europe, où on peut filmer en Europe et faire la postproduction ici. On change de lieu, et ce sont des choses qui arrivent.
En ce qui concerne plus précisément les États-Unis, il n’existe aucun traité avec ce pays à cet égard. C’est la raison pour laquelle nous tenons absolument à ce que la Loi sur le statut de l’artiste soit en vigueur, car elle nous permet de négocier les modalités et les conditions.
La sénatrice Simons : Si le temps me le permet, j’aimerais poser une autre question. Je m’éloigne un peu du sujet, mais je suis curieuse. Un grand nombre d’activités dans le domaine de la diffusion et de la production cinématographique étaient autrefois extrêmement exigeantes en main-d’œuvre, mais la technologie numérique a grandement réduit les besoins en main-d’œuvre d’un grand nombre de ces activités. Est-ce que vous constatez que les musiciens perdent aussi du terrain, car les gens sont maintenant capables de produire des trames sonores en utilisant des synthétiseurs et d’autres outils technologiques, ce qui rend le recours aux véritables musiciens qui jouent du violon, du hautbois ou du saxophone moins nécessaire qu’il y a 10, 15 ou 20 ans?
M. Willaert : Certainement, et cela dure depuis 30 ans. Cette réalité s’est imposée dès l’arrivée des synthétiseurs. De nos jours, il y a des postes de travail audionumériques. Un nouvel outil de ce type, appelé KeyComp, contient un enregistrement des instruments originaux. Les musiciens peuvent donc être remplacés par les technologies de nombreuses façons. Nous vivons avec cette situation, et nous devons en tenir compte dans nos conventions collectives et faire de notre mieux pour les musiciens qui sont employés.
La sénatrice Simons : Je vous remercie beaucoup.
[Français]
Le sénateur Cormier : Je n’ai pas de question pour la SPACQ, mais je voudrais en profiter pour souligner la contribution exceptionnelle de M. Luc Plamondon, de Mme Diane Juster et de Mme Lise Aubut, qui ont fondé la SPACQ, il y a plusieurs années, pour aider les auteurs.
Je vois que les revendications que vous faites, monsieur Alonso, rejoignent d’autres revendications que nous avons entendues et pour lesquelles nous avons obtenu des réponses. Je voulais simplement souligner le travail des fondateurs de la SPACQ.
Ma question s’adresse à M. Fortin, de la Guilde des musiciens et musiciennes du Québec. J’ai déjà été membre de cette guilde pendant des années. Je voudrais que ce soit clair pour tout le monde que j’ai une connaissance particulière de la guilde pour en avoir été membre.
Ma question concerne l’alinéa 3(1)f) sur la différence qu’on exige des entreprises canadiennes en ligne par rapport aux entreprises étrangères quant à l’utilisation de ressources humaines canadiennes. On demande aux entreprises canadiennes d’utiliser au maximum les ressources humaines canadiennes, alors qu’on demande aux entreprises en ligne de les utiliser dans la mesure du possible.
Nous avons reçu ici, au comité, M. Ripley, le sous-ministre adjoint de Patrimoine canadien, et j’ai soulevé cet enjeu. En fin de témoignage, en répondant à la question sur la différence entre les deux exigences, il a dit ce qui suit :
C’est pourquoi le travail du CRTC sera de déterminer, en considérant le modèle d’affaire de tous ces services, la contribution appropriée qu’ils peuvent apporter au système de radiodiffusion canadien.
Est-ce que je saisis bien, par cette affirmation, que le CRTC, de toute façon, devra évaluer le type d’entreprise, que ce soit une entreprise étrangère en ligne ou une entreprise canadienne en ligne, pour déterminer les exigences? En d’autres mots, est-ce qu’on ne pourrait pas penser que les deux types d’entreprises pourraient être soumis aux mêmes types d’exigences? Le CRTC devra poser un regard sur ces deux entreprises. Ma question est un peu longue, mais est-elle claire?
M. Fortin : Oui, votre question est claire, mais je souligne que la prémisse pour évaluer cette contribution ne partira pas du même endroit. On parle du maximum possible et pour l’autre, « dans la mesure du possible ». Qu’est-ce que cela veut dire « dans la mesure du possible »? J’ai des contraintes budgétaires, je peux imaginer toutes sortes de choses qui font que je ne peux pas faire plus que ce que je fais, mais j’y vais dans la mesure du possible. Alors que le maximum possible, ce n’est pas la même prémisse.
Le sénateur Cormier : Je m’excuse de vous interrompre, monsieur Fortin, mais c’est le sens de ma question. On ne pourrait pas demander une utilisation au maximum de ressources canadiennes pour les deux types d’entreprises qui seront évaluées ensuite par le CRTC, de toute façon?
M. Fortin : On se comprend là-dessus. Tout le monde dans le domaine des associations d’artistes le veulent. Ce sont les mêmes exigences pour tout le monde. On peut toujours faire le maximum possible et ce sera au CRTC d’évaluer si le maximum a été fait, mais pour le faire, on doit tous partir sur un pied d’égalité. On ne peut pas partir de deux endroits différents.
Le sénateur Cormier : J’ai une autre question qui s’adresse autant à M. Fortin qu’à M. Willaert.
Voici le scénario : si un auteur-compositeur canadien dont les chansons sont canadiennes, qu’il est Canadien ou qu’elle est Canadienne, qu’il ou elle se rend aux États-Unis ou dans un autre pays pour faire enregistrer son album, à votre avis, est-ce que l’œuvre produite reste une œuvre canadienne ou est-elle teintée parce qu’elle a été enregistrée dans un autre pays?
Que pensez-vous de cette réflexion?
[Traduction]
M. Fortin : Monsieur Willaert, vous en savez beaucoup plus que moi sur les règles relatives au contenu canadien.
Le sénateur Cormier : Monsieur Willaert, avez-vous une opinion à ce sujet?
M. Willaert : Je suis désolé, mais je n’ai pas entendu la question.
Le sénateur Cormier : J’aimerais savoir ce qui se passe lorsqu’un chanteur canadien qui écrit ses chansons se rend aux États-Unis ou dans un autre pays pour produire son album. Est-ce que vous considérez que l’album est un produit canadien ou une offre canadienne, même s’il est produit à l’extérieur du Canada? Faut-il qu’il soit produit au Canada pour en faire un contenu canadien?
M. Willaert : La règle qui s’applique dans le cas du contenu, c’est que l’endroit où il est fabriqué, l’identité de l’artiste, les paroles et la composition sont tous des éléments qui entrent en jeu pour déterminer dans quelle mesure il s’agit d’un contenu canadien. Il peut être produit à l’étranger, mais être écrit par des Canadiens et interprété par des Canadiens, et il est donc considéré comme un contenu canadien.
Le sénateur Cormier : Je vous remercie.
Le sénateur Manning : Je remercie nos témoins d’être ici. J’aimerais poser une question à M. Willaert, mais si d’autres témoins souhaitent y répondre, je les encourage à le faire. Les personnes qui ont donné leur appui au projet de loi C-11 ont fait valoir qu’il encouragera les entreprises de radiodiffusion en ligne à soutenir la production de contenu canadien tout en assurant la protection du français, en reconnaissant son statut particulier de langue minoritaire en Amérique du Nord. Il reviendra au CRTC d’imposer un cadre réglementaire en ce qui concerne le développement et la découvrabilité des contenus.
J’ai deux questions. Êtes-vous préoccupés par le fait d’accorder ce genre de pouvoir au CRTC, étant donné que certains témoins ont affirmé que le processus suivi par le CRTC se déroule souvent à huis clos et qu’il n’est pas très transparent? Et dans quelle mesure êtes-vous préoccupés par le fait que des années d’incertitude potentielle soient ajoutées au processus?
M. Willaert : Je ne suis pas très inquiet à l’idée de laisser le CRTC s’en occuper.
Internet est une véritable jungle, et il faut apprendre à évoluer dans ce milieu. Au fil du temps, si nous constatons que certaines choses ne fonctionnent pas, je suis sûr qu’on peut apporter certains rajustements pour corriger la situation. Je pense que ce processus doit suivre son cours.
Le sénateur Manning : Est-ce que d’autres témoins aimeraient faire des commentaires à ce sujet?
[Français]
M. Fortin : Le processus des audiences publiques aura son rôle à jouer aussi dans tout cela, parce que le fait de les rétablir va permettre d’écouter les Canadiens, d’agir avec transparence, de maintenir la confiance entre les citoyens et les institutions.
Vu que le CRTC a une grande responsabilité, c’est important que les groupes d’intérêt et les citoyens puissent continuer de pouvoir s’exprimer. Je pense que de cette façon, nous pourrons régler les questions complexes dans l’intérêt de tout le monde, mais avec transparence.
M. Alonso : J’aimerais ajouter, si vous le permettez, que comme Canadien, je préfère que les décisions qui nous concernent soient prises par une institution qui nous représente et qui nous appartient plutôt que par des services de marketing de multinationales du divertissement installées à l’étranger ou des services des finances. C’est un premier point.
Comme deuxième point, il est évident que le CRTC a besoin de ressources. Il a besoin de ressources pour mettre en œuvre des processus complexes et il a besoin de susciter la confiance. On attire la confiance en utilisant suffisamment de ressources. Le gouvernement devrait évaluer les ressources qu’il attribue au CRTC pour mener à bien cette mission complexe.
D’autre part, des processus démocratiques peuvent avoir lieu devant le CRTC; des audiences publiques — on en a parlé —, ce qui ne se passe jamais lorsqu’on confie cette responsabilité à des entreprises étrangères dont le siège social nous échappe complètement.
[Traduction]
Le sénateur Manning : Je vous remercie. J’ai une autre question pour M. Willaert. Je crois que vous avez fait valoir qu’une modification à l’article 6 de la Loi sur le statut de l’artiste, qui énonce que « (3) La présente loi ne s’applique pas à une entreprise en ligne au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur la radiodiffusion » expose potentiellement les artistes à l’exploitation tout en minant les protections dont ils pourraient bénéficier.
Au cours des dernières semaines, plusieurs artistes et créateurs ont comparu devant le comité et ils n’ont pas soulevé cette préoccupation, à ma connaissance. Je me demande si les artistes ne sont pas les mieux placés pour juger s’ils sont exploités ou si leurs protections sont minées par ce projet de loi.
M. Willaert : Non, je ne crois pas qu’ils soient les mieux placés pour cela. Le problème qui se pose dans le cas des musiciens, c’est qu’ils ne connaissent pas les ententes qui ont été conclues en leur nom. Les musiciens veulent simplement jouer. Si on leur offre une petite somme d’argent pour le faire, ils sauteront sur toutes les occasions, car ils pensent que cela les mènera à la célébrité. Malheureusement, il faut mettre en œuvre des conventions collectives pour les protéger. La prestation originale doit être protégée. Elle doit également être protégée en cas de réutilisation. Lorsqu’elle est transférée sur un autre type de média ou une autre plateforme, elle devrait être visée par une sorte de droit de suite pour les musiciens, ce qui leur permettrait de recevoir des redevances. De nombreux musiciens ne connaissent pas les mesures qui sont en œuvre pour les protéger. Ils ne connaissent pas les types de redevances qu’ils peuvent recevoir dans le cadre du droit d’auteur. Ils ne remplissent pas les formulaires nécessaires. Ils ne se renseignent pas sur les sources de revenus auxquelles ils ont accès. Ils veulent seulement jouer. Il s’agit peut-être d’un énorme effort de sensibilisation, mais nous sommes toujours en train de nous battre pour que les musiciens comprennent les mesures qui sont à leur disposition dans les ententes en vigueur. Donc, la réponse est non, ils ne sont pas les mieux placés pour cela.
Je vais vous donner un exemple d’une telle situation. Autrefois — et notre ami compositeur me soutiendra sur ce point —, un compositeur recevait un forfait de 60 000, 70 000 ou 80 000 $ pour la livraison de la version définitive d’une trame sonore, puis il engageait ensuite des musiciens pour faire le travail. De nos jours, les producteurs de certaines séries en ligne ne filmeront peut-être que d’un à cinq épisodes pour voir si la série pourrait avoir du succès dans un certain créneau précis, et ils offriront 50 $ et l’ajout de son nom au générique à un musicien pour composer une chanson thème et la jouer. Ils se disent que si la chanson est terrible, ce n’est pas si grave, car cela ne durera que cinq ou six épisodes, mais si la chanson est fantastique, ils auront économisé beaucoup d’argent. De plus, ils exproprient les redevances et ils veulent aussi s’approprier l’édition, tout en restant propriétaires de l’ensemble. C’est le problème avec les grandes entreprises technologiques. Leurs dirigeants veulent tout avoir, ils n’accordent aucun des droits ou des redevances et ils ne partagent pas les profits avec les musiciens ou les créateurs.
[Français]
Le président : Monsieur Alonso, j’ai bien écouté à plusieurs reprises ce que vous avez dit, soit que les entreprises internationales sont celles qui décident ce qu’on va écouter, ce qu’on va voir, et que vous êtes beaucoup plus à l’aise quand des institutions canadiennes prennent ces décisions, comme le CRTC, un groupe de fonctionnaires ou autre.
Quand je regarde la plateforme moderne qui existe, ces gens ne décident absolument rien, c’est juste une plateforme. N’êtes-vous pas d’accord pour dire qu’elle est ouverte à tous les artistes partout dans le monde, y compris les Canadiens et les Canadiennes? Cela leur donne la chance de promouvoir leurs produits à un plus grand marché que seulement le Canada.
Autre chose, le modèle des plateformes est basé sur les perspectives. Si leurs produits, ce qu’ils vendent ou ce qu’ils mettent sur leur plateforme sont écoutés par beaucoup de monde, cela génère une plus grande audience. Est-ce mieux de laisser le marché et l’audience décider si un produit est bon ou non ou si un produit est priorisé, s’il y a une cote d’écoute qui est très importante?
N’est-ce pas mieux d’avoir cette plateforme plutôt que d’avoir quelques fonctionnaires qui décident ce qui est bon pour les Canadiens et le marché canadien?
M. Alonso : Je vous répondrais en prenant l’exemple de ma fille. Si une entreprise qui fabrique des pizzas souhaite vendre des pizzas à ma fille tous les jours et qu’elle est habituée à en manger tous les jours, elle va me demander si elle peut manger de la pizza à tous les repas. Comme parent, je vais dire non. Comme parent, je sais que c’est mauvais pour sa santé, je prends soin d’elle et je la protège; même si elle souhaite en manger et que l’entreprise souhaite lui en vendre, je vais devoir refuser. Nos intérêts ne sont pas alignés avec ces entreprises qui veulent vendre de la pizza et moi je souhaite que ma fille puisse découvrir autre chose que de la pizza.
L’autre phénomène, c’est celui de la convergence. Comme je le disais, ces entreprises ont des rayonnements internationaux; ce qu’ils font, c’est qu’ils observent le marché international. Par exemple, il y a quelques jours, je parlais à un directeur du marketing d’une multinationale du divertissement. Il me disait que les deux styles de musique mondiaux le plus en progression sont la pop latine et l’afrobeat. Alors nous, au Canada, on choisit des artistes qui font de l’afrobeat et de la pop latine puis on investit massivement dans ces artistes.
Je ne doute pas que la pop latine et l’afrobeat participent à la richesse de notre culture canadienne, mais la volonté de ces multinationales n’est pas de rendre compte de cette richesse et de cette diversité canadienne; leur volonté est de pouvoir vendre au plus grand nombre ce que le plus grand nombre écoute. C’est donc de fonder un marché unique qui rend homogène la consommation en effaçant nos particularités. Nous n’avons pas les mêmes centres d’intérêt, et derrière la personnalisation se trouve la standardisation et par conséquent l’effacement de notre identité nationale et culturelle.
Le président : Merci beaucoup. S’il n’y a pas d’autres questions, je pense qu’on a terminé pour ce soir.
Merci beaucoup à nos témoins.
[Traduction]
Chers collègues, j’ai appris une excellente nouvelle cette semaine. Notre bon ami et collègue, le sénateur Dawson, fait maintenant partie d’un club très distingué, car il est devenu grand-père pour la première fois. En effet, cette semaine, il a accueilli la petite June. Toutes nos félicitations, sénateur Dawson. Je savais qu’un jour vous atteindriez de nombreux sommets, mais dans ce cas-ci, vous avez atteint tout un sommet. Toutes nos félicitations.
(La séance est levée.)