LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES TRANSPORTS ET DES COMMUNICATIONS
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mardi 15 novembre 2022
Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd’hui, à 9 h 1 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi C-11, Loi modifiant la Loi sur la radiodiffusion et apportant des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois.
Le sénateur Léo Housakos (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour, honorables sénatrices et sénateurs. Bienvenue à la réunion d’aujourd’hui du Comité sénatorial permanent des transports et des communications. Je suis le sénateur Léo Housakos, du Québec, et je suis le président du comité. Je voudrais tout d’abord inviter mes collègues à se présenter.
La sénatrice Simons : Je suis la sénatrice Paula Simons. Je suis une sénatrice indépendante de l’Alberta, [mots prononcés dans une autre langue], sur le territoire du Traité no 6.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Sénatrice Julie Miville-Dechêne, du Québec.
Le sénateur Cormier : Sénateur René Cormier, du Nouveau-Brunswick.
[Traduction]
Le sénateur Klyne : Bonjour, et bienvenue. Marty Klyne, sénateur de la Saskatchewan, du territoire du Traité no 4.
[Français]
Le sénateur Dawson : Dennis Dawson, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Manning : Fabian Manning, de Terre-Neuve-et-Labrador.
Le sénateur Quinn : Jim Quinn, du Nouveau-Brunswick.
[Français]
La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de l’Ontario.
[Traduction]
La sénatrice Dasko : Donna Dasko, sénatrice de l’Ontario.
Le président : Merci.
Honorables sénatrices et sénateurs, nous nous réunissons pour poursuivre notre étude du projet de loi C-11, Loi modifiant la Loi sur la radiodiffusion et apportant des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois.
Pour la première partie de la réunion, nous aurons le plaisir d’accueillir, par vidéoconférence : M. Jessie Wente, codirecteur exécutif du Bureau de l’écran autochtone; Mme Shannon Avison, professeure adjointe, Arts de la communication indigène, de l’Université des Premières Nations du Canada, qui comparaît à titre personnel; et M. Bert Crowfoot, chef de la direction de l’Aboriginal Multi-Media Society of Alberta. Bienvenue à notre comité, et merci de vous joindre à nous ce matin.
Tous les témoins d’aujourd’hui auront cinq minutes pour présenter leur déclaration préliminaire, puis nous passerons aux questions. Nous allons commencer par M. Jesse Wente. Vous avez la parole, monsieur, pour cinq minutes.
Jesse Wente, codirecteur exécutif, Bureau de l’écran autochtone : Merci énormément, honorables sénateurs et sénatrices. Je vous remercie de m’avoir invité à témoigner au nom du Bureau de l’écran autochtone et des conteurs des Premières Nations, Métis et Inuits que nous représentons.
Comme vous le savez certainement tous et toutes, la création du Bureau de l’écran autochtone a été annoncée par le gouvernement en 2017, après des années où nous avons plaidé pour qu’une telle organisation soit créée. Nous représentons les conteurs des Premières Nations, des Inuits et des Métis dans le secteur canadien de l’écran, et nous cherchons à accroître les débouchés et l’autodétermination de nos communautés qui œuvrent dans l’industrie du conte à l’écran.
Lorsque la mouture précédente de ce projet de loi était à l’étude, notre jeune organisation a eu l’occasion pour la première fois de prôner des modifications législatives concernant nos communautés et nos conteurs. Nous avons constaté avec joie qu’une grande partie de ce travail a été conservé dans le projet de loi C-11.
Les modifications du libellé et l’élimination des qualifications relatives au besoin que la programmation et la radiodiffusion des Premières Nations, Métis et Inuits soient représentées dans le secteur canadien de la radiodiffusion sont les bienvenues et n’ont que trop tardé. Nous croyons que les histoires des Premières Nations, des Métis et des Inuits sont toutes aussi essentielles à l’histoire du Canada que celles des Anglais et des Français, et qu’elles devraient donc être traitées sur un pied d’égalité dans le projet de loi. Nous recommandons que cette égalité soit appliquée à tout le projet de loi, puisque la reconnaissance du statut des Premières Nations, des Inuits et des Métis est essentielle au tissu social de notre pays. Au même titre que ce projet de loi assure la création d’émissions canadiennes et la diffusion de contenu canadien, il devrait aussi prévoir du soutien pour le contenu des Premières Nations, des Métis et des Inuits ainsi que pour leurs initiatives de radiodiffusion.
Nous demandons que le libellé du projet de loi soit spécifique. « Autochtone » est un terme fourre-tout et, même s’il est utilisé pour décrire l’ensemble de nos communautés, nous croyons que ce projet de loi devrait dire explicitement que le terme « Autochtone » désigne les Premières Nations, les Inuits et les Métis. Le projet de loi devrait aussi définir le terme « nouvelles » en précisant qu’il englobe les façons autochtones de conter une histoire; de plus, il faudrait ajouter l’expression « organe de presse autochtone » et la définir comme étant une organisation exploitée par des Autochtones et produisant du contenu fait par des Autochtones.
Nous voulons aussi nous assurer que le projet de loi crée un espace non seulement pour le contenu des Premières Nations, des Métis et des Inuits, mais aussi pour les projets de radiodiffusion. Dans la mesure du possible, le projet de loi devrait se protéger des futures avancées technologiques et créer des possibilités pour l’émergence de nouvelles technologies de radiodiffusion, que les conteurs et les diffuseurs autochtones pourraient ensuite utiliser. Il doit non seulement créer des possibilités pour les conteurs autochtones, mais aussi établir des mesures de soutien pour assurer la création et la diffusion de ces contes. Le projet de loi ne doit pas empêcher l’innovation. Depuis des générations, la présence autochtone dans le secteur canadien de la radiodiffusion a été tristement inadéquate. Beaucoup de conteurs ont cherché de nouvelles plateformes et y ont trouvé un public et une carrière. Nous devrions nous assurer que ce projet de loi encourage cela au lieu de créer des obstacles.
Nous demandons également que le projet de loi assure la représentation autochtone au sein des organismes de réglementation et de leurs comités, afin que nous puissions participer à mise en application finale de ce projet de loi.
Toutefois, je voudrais surtout vous inviter aujourd’hui à réfléchir à la véritable nature du projet de loi. Je suis convaincu que vous avez beaucoup appris sur la nécessité de moderniser la loi afin qu’elle reflète davantage l’environnement actuel de la radiodiffusion et des télécommunications. Je suis convaincu que vous avez beaucoup appris sur l’évolution des technologies de la radiodiffusion et de la transmission et que vous comprenez que ce projet de loi doit refléter l’état actuel de la radiodiffusion, y compris les technologies qui sont apparues depuis la dernière modification de la loi. Je suis convaincu que vous avez compris l’importance de veiller à ce que les grands réseaux médiatiques étrangers souscrivent au projet de loi, afin de mieux refléter les modes de consommation et de création qui conviennent actuellement aux auditoires et aux conteurs du Canada. Je suis convaincu que vous avez compris qu’il est nécessaire que ces réseaux contribuent de façon concrète à notre secteur. Je suis convaincu qu’on vous a parlé du besoin d’améliorer les méthodes de collecte et de compilation des données afin que notre secteur puisse s’adapter plus facilement et plus rapidement à l’évolution constante de l’environnement de la radiodiffusion et des télécommunications. Je suis convaincu que vous avez pris conscience du besoin de protéger le contenu généré par les utilisateurs afin de permettre à la prochaine génération de conteurs canadiens de développer leurs carrières là où est le public et de participer aux innovations et aux technologies de l’avenir. Tous les points que je vais mentionner sont importants, et je sais que vous vous pencherez sur chacun d’entre eux. Le Bureau de l’écran autochtone est d’accord avec la façon dont le projet de loi définit la radiodiffusion et le sens qu’elle a aujourd’hui.
La dernière fois que j’ai témoigné à propos des modifications à apporter au projet de loi, j’ai déclaré que son but fondamental était d’aider le secteur du conte, et c’est toujours vrai. À l’époque, j’ai dit que la véritable révolution dans le secteur du conte ne tenait pas au « comment », au « quoi », au « où » ou au « quand », mais bien au « qui ». Cela aussi est toujours vrai. Le projet de loi doit veiller à révolutionner autant le côté de qui raconte les histoires que celui de la technologie.
Je continue à croire que le projet de loi doit veiller à ce que les histoires qui sont diffusées et que les histoires qu’il est censé protéger ne seront pas tout bonnement intégrées dans un cadre réglementaire moderne de radiodiffusion et de télécommunications; il doit s’assurer que ces histoires viennent d’un endroit qui reflète depuis toujours le Canada moderne : une communauté multinationale avec une riche histoire encore largement inexplorée et avec un avenir prospère et diversifié que l’on va créer grâce à de bonnes relations, avec l’entraide des communautés et en diffusant nos histoires. Je crois aussi qu’il est plus que temps que la loi soit modernisée pour refléter le présent et, idéalement et autant que possible, l’avenir.
Nous croyons que l’objectif fondamental devrait être la modernisation des définitions touchant la radiodiffusion et les projets de radiodiffusion, afin de veiller à ce que les communautés marginalisées aient un accès ainsi que du soutien équitables, en plus de mesures de soutien spécifiques pour les conteurs autochtones et la radiodiffusion en langues autochtones. Nous croyons que les nouvelles plateformes, même celles établies à l’étranger, devraient contribuer financièrement à soutenir le secteur du conte canadien, et cela devrait aussi comprendre les mesures de soutien réservées aux conteurs autochtones. Nous croyons qu’un soutien financier important aidera à dynamiser l’innovation et la croissance du secteur du conte canadien.
Des entreprises de communication multinationales ont lancé d’énormes projets visant la collecte des ressources au Canada et dans le monde. Nous ne voulons pas que l’accès à ces plateformes soit limité, pour les Canadiens; nous voulons plutôt que les Canadiens soient rémunérés en fonction des ressources qu’ils fournissent à ces plateformes sous forme de données. Souvent, pour les entreprises de médias sociaux, nous sommes nous-mêmes le produit, puisqu’elles existent seulement quand nous, les utilisateurs, les utilisons; mais d’autres plateformes, comme Netflix et Amazon, recueillent aussi les données de leurs utilisateurs, en fonction de la façon dont nous utilisons ces plateformes, de nos habitudes de consommation et de nos comportements. Tout cela représente des ressources incalculables pour ces entreprises.
Le président : Monsieur Wente, pourrais-je vous demander de conclure? Vous avez largement dépassé vos cinq minutes.
M. Wente : Je suis désolé. Nous n’avons qu’un aperçu de la façon dont ces ressources sont monétisées, et je soupçonne que ces entreprises elles-mêmes n’ont pas tout à fait compris l’ampleur de ces ressources. Nous devons veiller à ce que les Canadiens et les Canadiennes puissent tirer parti d’une façon ou d’une autre de la collecte de cette ressource, et cela devrait ainsi contribuer à la création de nos propres histoires et plateformes de diffusion.
Je vous demande d’adopter ce projet de loi afin que nos histoires puissent donner des fruits et danser toutes ensemble. Meegwetch de l’occasion que vous m’avez donnée.
Le président : Merci.
Shannon Avison, professeure adjointe, Arts de la communication indigène, Université des Premières Nations du Canada, à titre personnel : Honorables membres du Comité sénatorial permanent des transports et des communications, c’est un honneur d’être parmi vous. J’espère parvenir à vous convaincre que le projet de loi C-11 devrait soutenir la radiodiffusion en langue autochtone.
L’Université des Premières Nations du Canada se trouve dans la réserve urbaine Atim kâ-mihkosit, sur le territoire du Traité no 4, en Saskatchewan, la province natale de l’honorable sénateur Marty Klyne.
Je travaille depuis plus de 30 ans avec des organisations autochtones au recrutement et à la formation de journalistes autochtones. J’ai deux projets connexes : Pîkiskwêwin, financé par le ministère du Patrimoine canadien, dont le but est d’aider les locuteurs à produire des balados dans nos langues saskatchewanaises; et CFNU, notre nouveau poste de radio étudiante, où nous diffusons en direct les balados du projet Pîkiskwêwin ainsi que des émissions en anglais pour la communauté universitaire.
La Commission de vérité et réconciliation a permis de documenter les moyens brutaux que les pensionnats ont employés pour empêcher les enfants d’apprendre et de parler leurs langues. Les technologies de communication ont aussi eu un effet néfaste sur les langues et les cultures autochtones.
En 1972, le Canada a lancé Anik, le premier satellite de communications du monde, qui a fait entrer la radio et la télévision dans les maisons du Nord. Les enfants autochtones ont appris à parler anglais et français au lieu de l’inuktitut ou du gwich’in. Au lieu d’apprendre à être un grand chasseur, les enfants voulaient être Fonzie ou un maître de Kung Fu. Au lieu des valeurs ancestrales, ils tiraient leurs leçons des jeux‑questionnaires ou des téléromans américains.
Malgré tout, les peuples autochtones ont trouvé des façons d’utiliser la radiodiffusion à leurs propres fins. Il y a une histoire formidable dans le livre de Lorna Roth, intitulé Something New in the Air: The Story of First Peoples Television Broadcasting in Canada, soit « quelque chose de nouveau dans l’air : l’histoire de la radiodiffusion des Premières Nations au Canada ». En 1960, une personne inuite de Pond Inlet a trouvé un émetteur radio abandonné. Elle l’a réparé, puis l’a utilisé pour créer une station de radio locale. Cette personne n’avait jamais entendu parler de la Loi sur la radiodiffusion ou du CRTC.
Depuis 1973, le Canada a soutenu la radiodiffusion en langues autochtones. Le ministère du Patrimoine canadien fournit jusqu’à deux ans de financement aux stations et réseaux admissibles, mais il est impossible de fournir des emplois stables ou de signer un bail à long terme, et les petites stations n’ont pas l’expertise nécessaire pour présenter une demande et n’ont pas accès à du soutien supplémentaire lorsque les technologies évoluent.
Malgré ces difficultés, il y a des centaines de stations de radio autochtones et plus d’une dizaine de chaînes de radiodiffusion régionales. Certaines stations sont minuscules; elles sont gérées par des bénévoles qui ne prennent l’antenne que quelques heures par semaine, alors que d’autres ont des annonceurs à temps plein dans leurs langues, qui sont sur les ondes huit heures par jour, tous les jours. Bon nombre de ces communicateurs, comme Robert Merasty de l’Île-à-la-Crosse, aimeraient prendre leur retraite. Depuis que Pauline Clarke a pris sa retraite, cet été, la station qu’elle a créée il y a 20 ans à Southend, près du lac Reindeer, ne diffuse plus localement.
La Loi sur la radiodiffusion de 1991 prenait à peine en considération les peuples autochtones. Elle ne disait rien quant aux langues autochtones. Je trouve encourageant que le projet de loi C-11 mentionne les langues autochtones et souligne que le CRTC devrait prendre en considération les différentes caractéristiques de la radiodiffusion en langues autochtones et les diverses circonstances dans lesquelles les radiodiffuseurs qui offrent des programmes en langues autochtones exercent leurs activités.
Je tiens à souligner que les stations de radio de langues autochtones sont très différentes des autres. Dans beaucoup de foyers autochtones, aucun locuteur ne parle couramment la langue. Toutefois, lorsqu’il y a une radio autochtone, il y a une voix, dans la maison, qui annonce les nouvelles locales, les vœux d’anniversaire et la météo ou qui discute dans la langue de la maison. Pendant la COVID, les radiodiffuseurs communautaires ont été une bouée de sauvetage pour les aînés. Beaucoup de stations diffusent aussi en continu sur Internet et, pendant les confinements liés à la COVID, les gens qui ne pouvaient pas rentrer chez eux ont pu rester connectés.
Oui, les diffuseurs communautaires, commerciaux et publics devraient inclure les perspectives autochtones. Ils devraient produire des émissions en langues autochtones, mais les radiodiffuseurs de langue autochtone servent leurs communautés depuis 50 ans. J’espère que le projet de loi C-11 tiendra compte du fait que les stations de radio et les chaînes de radiodiffusion autochtones sont dans une position unique et sont uniquement qualifiées pour soutenir les langues autochtones.
En 2021, l’Université des Premières Nations a lancé un programme de formation pour préparer les communicateurs à travailler ou à faire du bénévolat à la radio. Nos étudiants sont allés dans cinq provinces et un État. Ces étudiants sont la prochaine génération de communicateurs radio en langues autochtones, mais il en faut plus.
L’autre grand défi est la technologie. Hier, la directrice générale du réseau Missinipi m’a dit que, durant l’été, Telus avait communiqué avec elle pour l’aviser que, d’ici la fin décembre, elle allait devoir réaligner ou remplacer ses récepteurs de signaux satellites dans 60 collectivités, au coût de 130 000 $. Le bingo radiophonique tourne au ralenti au printemps et en été, alors il faut trouver l’argent ailleurs, comme dans la formation et le personnel.
En Nouvelle-Zélande et aux États-Unis, les peuples autochtones ont revendiqué la propriété du spectre électromagnétique en tant que ressource naturelle renouvelable, que leurs gouvernements vendent sans les indemniser. La mise aux enchères du spectre de 3 500 mégahertz au Canada en 2021 a généré près de 9 milliards de dollars. Les peuples autochtones sont propriétaires de beaucoup de choses au Canada, surtout au nord du 60e parallèle, et cet argument pourrait peser dans la balance pour ce qui est du financement supplémentaire.
Avec respect, je recommande que le projet de loi C-11 utilise des termes forts pour décrire le besoin de fournir un soutien financier fiable et adéquat pour le recrutement et la formation, pour l’exploitation régionale et locale, pour l’adaptation aux nouvelles technologies et pour assurer la survie de la radio en langues autochtones dans tout le Canada.
Merci beaucoup de m’avoir permis de vous faire part de mes réflexions. Ekosi.
Le président : Merci beaucoup.
Bert Crowfoot, chef de la direction, Aboriginal Multi-Media Society of Alberta : Oki — Pieds-Noirs; Tansi — Cri; Aba wathtech — Stoneys Nakodas Sioux; Aaniin — Saulteaux; Danit’ada – Tsuut’ina; Taanishi — Métis; et Edlánet’é — Déné. Voilà les salutations en langue autochtone des peuples des territoires des Traités nos 6, 7 et 8 ainsi que des Métis de l’Alberta.
J’aimerais remercier le comité de nous écouter. Je suis d’accord avec la plupart des commentaires formulés précédemment par mes deux collègues. La situation est différente en Alberta, parce que nos stations de radio réussissent bien. Avant de commencer, j’aimerais remercier les Algonquins et les Anishinabeg de me permettre de prendre la parole sur leur territoire ancestral et non cédé.
Je suis un Siksika-Saulteaux de la Confédération des Pieds‑Noirs du Sud de l’Alberta. Ma mère fait partie des Saulteaux, de la Première Nation de The Key du Nord de l’Alberta. Je suis aussi l’arrière-arrière-petit-fils du chef Crowfoot, qui a signé le Traité no 7. J’ai deux noms indiens : mon nom siksika est « Kiyo Sta’ah » ou « Ours fantôme », et mon nom kwakwaka ‘wakw est « Gayutalas », ou « Celui qui tout le temps donne ». J’ai été adopté par le chef Adam Dick lors d’un potlatch kwakwaka ‘wakw en 2008.
Je suis le chef de la direction de l’Aboriginal Multi-Media Society of Alberta, qu’on appelle aussi Windspeaker Media. Nous avons quatre stations de radio en Alberta : CFWE, une station de musique country qui couvre le Nord de l’Alberta; CJWE, une station de musique country qui diffuse dans le Sud de l’Alberta; CIWE — surnommée The Raven — qui joue tout sauf du country, à Edmonton; et radio CUZIN, une station de radio 100 % autochtone sur Internet. Nous avons aussi un service de nouvelles autochtones en ligne, Windspeaker.com.
Je suis dans le domaine des médias autochtones depuis 45 ans. J’ai commencé en 1977 comme chroniqueur sportif pour un journal autochtone. En janvier 1983, nous avons constitué en société l’Aboriginal Multi-Media Society of Alberta. Nous avons publié Windspeaker News, un journal que nous avons commencé à vendre à l’échelle nationale en 1990, après les coupures du gouvernement fédéral.
En 1985, nous avons commencé à faire de la radio dans le cadre du Programme d’accès des Autochtones du Nord à la radiodiffusion. Au départ, nous avions un programme d’une heure à la télévision de la CBC, de 8 heures à 9 heures le matin. On nous appelait la radio à la télévision. Puis, nous avons installé 10 petits transmetteurs de 10 watts dans le Nord-Est de l’Alberta. Au fil des ans, nous avons élargi ce réseau en y ajoutant huit transmetteurs de 100 000 watts et plusieurs transmetteurs plus petits, allant de 20 000 à 10 watts.
Chaque jour, nous commençons le programme par une prière en langue autochtone, à 6 heures. Nous diffusons en cinq langues autochtones, celles des Cris, des Pieds-Noirs, des Nakodas Sioux et des Michif et celle des Dénés, qui se décline en trois dialectes. Au départ, nos émissions étaient entièrement autochtones, puis nous nous sommes rendu compte que nous perdions des auditeurs parce qu’ils ne comprenaient pas la langue. Depuis, nous sommes passés à une programmation bilingue, qui a connu beaucoup de succès. Nous commençons dans une langue et, après quelques phrases, nous passons à l’anglais, puis nous repassons à l’autre langue, et ensuite encore une fois à l’anglais. Nous faisons des capsules linguistiques en langue autochtone et en anglais, en cri familier, en nakoda familier et en déné familier, et nous avons aussi une Cree Chatter Hour — l’heure de la conversation crie — et une émission appelée Voices of our People, soit la voix de notre peuple.
L’été dernier, nous avons marqué l’histoire en diffusant en cri pour la toute première fois un match de la Ligue canadienne de football entre les Elks d’Edmonton et les Blue Bombers de Winnipeg. L’été prochain, nous voulons diffuser un match entre les Stampeders de Calgary et les Elks d’Edmonton en cri et en pieds-noirs.
Les peuples autochtones sont des conteurs, et nous contons nos histoires dans nos pavillons. Nous aimons bien comparer nos studios à nos pavillons, et nos annonceurs-opérateurs radio à nos conteurs. Dans nos studios, nous avons peint des scènes et des personnages autochtones sur les panneaux insonorisants pour rappeler à nos opérateurs à qui ils parlent.
La plupart des grandes stations de radio doivent suivre des formats rigides pour leur programmation. Anciennement, nous suivions aussi ces formats rigides pour les pauses et les publicités. Les langues autochtones sont très descriptives, et nous sommes maintenant plus souples quant à cette partie de notre programmation. S’il faut 45 à 90 secondes pour raconter une histoire, alors soit. Nous avons des publicités bilingues, et nous faisons souvent 30 secondes en anglais, puis 45 à 60 secondes dans notre langue.
À l’instar de la plupart des stations de radio autochtones, nous voulons être aussi professionnels que possible. Nous avons embauché des directeurs venant de stations de radio grand public, et la plupart n’étaient pas autochtones. Nous voulions qu’ils forment notre personnel autochtone afin qu’il s’exprime mieux, mais nous avons réalisé que ça ne fonctionnait pas quand un des directeurs a dit à l’un des animateurs autochtones qu’il prononçait mal : « fish, pas fiss, bush, pas buss ». Nous avions perdu notre son autochtone, et nous voulions y revenir. Quand j’écoute la radio grand public, je sais quand une personne autochtone est à l’antenne. Je peux même dire de quelle région de l’Alberta il ou elle vient. La plupart des collectivités ont leur propre accent.
En conclusion, je suis fier de nos stations de radio, de notre organisation et de ce que nous avons accompli. Toutes nos stations sont rentables, et le bingo radiophonique autochtone traditionnel paye pour la majeure partie de l’agrandissement de notre réseau de diffusion. J’ai le cœur content quand j’entends des auditeurs dire : « J’ai l’impression d’être à la maison. »
Pour ce qui est du projet de loi C-11, je suis d’accord pour dire qu’il doit y avoir davantage de contenu autochtone, mais je crois aussi que nous devons nous combler nous-mêmes nos besoins, dans la mesure du possible, comme nous l’avons fait jusqu’ici. Merci.
Le président : Merci d’être avec nous aujourd’hui.
Je vais ouvrir la période de questions du comité. Ma première question s’adresse à vous tous. Le gouvernement au pouvoir a accepté la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, et il s’est ainsi engagé à prendre en considération, au moyen de consultations, les répercussions de toutes les lois fédérales sur les peuples autochtones du Canada. Quand le projet de loi a été adopté, le ministre Lametti a dit que cela jetait « les bases d’un changement transformationnel dans les relations du Canada avec les peuples autochtones ». Croyez‑vous que le gouvernement a suffisamment consulté les peuples autochtones du pays au sujet du projet de loi C-11, compte tenu de son engagement à l’égard de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones?
Aussi, croyez-vous que ce projet de loi reflète les droits, les voix et le contenu culturel que vous souhaitez tellement promouvoir? Quelles modifications seraient, selon vous, nécessaires afin de renforcer ces principes?
M. Wente : Merci beaucoup de la question, monsieur le président.
Pour ce qui est du processus de consultation, si je me souviens bien, il y a eu énormément de consultations à propos du projet de loi précédent, mais moins pour celui-ci, quoique la majeure partie du libellé et les modifications importantes se retrouvent dans la nouvelle version, alors peut-être que des consultations supplémentaires n’étaient pas autant nécessaires.
Je pense que ce serait une excellente chose si, dans le résumé, il y avait une déclaration selon laquelle le projet de loi reconnaît l’obligation et l’engagement d’appliquer la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.
Je pense que ce serait aussi utile de reconnaître que les contes autochtones englobent des choses qui pourraient être perçues comme du journalisme et que les démarcations sont plus ou moins floues quant à la façon dont nous pouvons considérer les définitions relatives aux contes; il faut s’assurer que cela soit reflété dans le projet de loi.
Je verrais à ce que, dans l’article donnant les définitions, encore, les « peuples autochtones » soient définis correctement, afin que les gens comprennent ce que cela veut dire, à savoir les Premières Nations, les Métis et les Inuits, et pour que les organes de presse autochtones soient définis comme appartenant aux Autochtones et étant exploités par des Autochtones.
À l’alinéa 11(1)a), je pense qu’il devrait être précisé sur une ligne distincte qu’un grand nombre d’organes de presse autochtones devraient participer et que la stabilité de ces organes devrait être soutenue de façon réelle. Je pense aussi que les peuples autochtones devraient être mentionnés spécifiquement aux paragraphes 27(1) et 31(2), simplement pour renforcer la nécessité de la présence autochtone dans le secteur de la radiodiffusion. Dans le projet de loi précédent, en 1991, comme ma collègue l’a mentionné, il était à peine question de nous. Ce serait une bonne chose que ce projet de loi aille très loin en étant très précis quant à ses objectifs. Dans le même ordre d’idées, au paragraphe 33(1) qui concerne les qualifications des médiateurs, nous demandons que des personnes autochtones fassent partie de la liste des médiateurs qui sera établie.
Voilà les principales modifications que nous demanderions. Merci beaucoup de la question.
M. Crowfoot : Il y a une chose avec laquelle nous avons de la difficulté, et c’est que, quand il est question de langue, le continuum des gens qui parlent une langue va de « aucune » à « maîtrise parfaite ». Dans un grand nombre de lois du gouvernement, lorsqu’il est question de langue, il est tenu pour acquis qu’il s’agit de l’anglais ou du français et que tout le monde comprend la langue. Voilà la différence. On devrait déployer des efforts pour en savoir davantage sur la situation des langues autochtones au Canada aujourd’hui.
La sénatrice Simons : Tanisi, tout le monde.
Je dois dire, monsieur Crowfoot, que c’est un plaisir que vous soyez parmi nous. J’écoute Windspeaker depuis longtemps. Récemment, j’ai fait beaucoup de route, en Alberta, et je syntonisais toujours le poste The Raven, et je ne changeais pas de chaîne, parce que, avec tous ces styles de musique éclectiques, c’est vraiment un agréable compagnon de route.
Vous avez soulevé un point intéressant dans votre témoignage. Je pense que, parfois, quand on lit ce projet de loi, on utilise le mot « autochtone » pour dire « langue autochtone ». Je sais que Mme Avison s’intéresse particulièrement à cette question. J’ai l’impression, monsieur Crowfoot, d’après votre témoignage, que vous nous dites que quelque chose peut être autochtone et même culturellement autochtone, même si c’est exprimé en anglais ou en français, si c’est l’anglais ou le français qui est utilisé dans la communauté autochtone. Devons-nous être prudents, dans notre étude du projet de loi, afin de ne pas limiter la radiodiffusion autochtone aux seules langues crie ou dénée ou anishinabe ou à n’importe quelle autre de la région?
M. Crowfoot : En ce qui concerne la langue autochtone, plus vous allez au nord et plus vous êtes isolés... la plupart des ménages parlent la langue. Plus vous allez au sud — lorsqu’il est question de personnes comme moi, ma mère appartenait à la bande Saulteaux, et mon père, à la nation des Pieds-Noirs —, et ils devaient se parler, donc ils parlaient en anglais. Donc, les 10 enfants de ma famille parlent tous anglais. Ma sœur aînée parlait pied-noir parce qu’elle a passé beaucoup de temps avec mes grands-parents. Lorsqu’il est question de langue, le spectre des personnes et des langues qu’elles parlent est très vaste.
J’ai parlé à l’une de mes employés ce matin. Elle n’est pas autochtone, mais elle a l’impression qu’elle en a beaucoup appris en travaillant avec nous et en nous côtoyant. Je lui ai dit : « Le fait d’être Autochtone ne tient pas seulement à la couleur de la peau; c’est aussi ce qui se trouve dans le cœur et la tête. » De nombreuses personnes qui ne sont pas autochtones apprennent la langue. Beaucoup de personnes nous écoutent. Un des hommes que je connais est voisin d’un Tsuut’ina, et il a dit qu’il apprenait notre langue en écoutant de nombreuses émissions que nous produisons. J’en suis très fier.
Je suis aussi une personne d’affaires, et je n’aime pas m’en remettre au financement gouvernemental parce qu’il n’est pas stable. En 1990, le financement destiné aux journaux autochtones a été coupé, et 9 des 11 journaux ont dû fermer leurs portes. Nos entreprises restent ouvertes grâce à la publicité. Aujourd’hui, comme je l’ai mentionné plus tôt, nous avons quatre stations de radio. Nous avons huit émetteurs de 100 000 watts à l’échelle de l’Alberta.
The Raven est très populaire. La station de radio joue une gamme de musique très diversifiée, comme vous l’avez dit. C’est aussi la langue. La plupart des gens qui nous écoutent, lorsqu’ils parlent du fait qu’ils écoutent nos émissions, disent : « J’aime la langue parce que j’apprends. » Lorsque nous parlons de vérité et de réconciliation, et du fait que des personnes apprennent la langue, une bonne façon de se réconcilier avec les personnes qui ne sont pas autochtones est de leur en apprendre davantage sur nous.
La sénatrice Simons : Monsieur Wente, j’ai une question qui ne concerne pas précisément les Autochtones, mais elle concerne un point intéressant que vous avez soulevé parce que nous assistons à l’écroulement de Twitter en temps réel. Il y a un danger. Lorsqu’on a rédigé un grand nombre de ces projets de loi, comme les projets de loi C-10 et C-18, nous présumions que ces plateformes très influentes allaient exister pendant très longtemps. Nous voyons présentement la nature précaire de certaines de ces plateformes sur lesquelles plusieurs milliers de personnes ont bâti leurs modèles. Selon vous, que devons-nous faire pour solidifier le projet de loi C-11 pour nous assurer de ne pas le fonder sur un paradigme qui pourrait changer à tout moment?
M. Wente : Merci, sénatrice Simons, d’avoir posé la question.
Je vais répondre à l’autre question rapidement. Je pense que le contenu autochtone et la radiodiffusion autochtone sont définis par le fait qu’ils sont conçus par des Autochtones, peu importe la langue. Comme l’État est l’origine de la plupart des obstacles auxquels sont en butte nos langues, il serait injuste de désavantager les personnes qui ont perdu leur langue en raison de l’interférence de l’État parce qu’elles n’étaient pas en mesure de jouir de ce genre de loi.
Oui, vous avez parfaitement raison. Nous devons être prudents au moment de concevoir des lois qui sont fondées expressément sur des innovations technologiques actuelles. La dernière fois que cette loi a été modifiée, c’était il y a 30 ans. Si nous devions la réviser une nouvelle fois dans 30 ans, vous et moi pouvons presque garantir que certaines de ces grosses multinationales n’existeront pas, et il y en existera sans doute d’autres sous d’autres formes que nous ne pouvons peut-être même pas imaginer.
C’est pourquoi, selon moi, la chose à faire, c’est de s’assurer que des ressources reviennent dans le pays, plutôt que de s’inquiéter du fait qu’il y a trop d’algorithmes ou d’autres changements, parce que ces choses seront différentes d’une plateforme à l’autre. Ce ne sont pas les mêmes sur toutes les plateformes existantes parce que les algorithmes sont utilisés de façons assez différentes. Le contenu des plateformes est aussi très différent. Je tenterais de m’assurer que les politiques ou les lois sont en mesure de tenir compte des technologies émergentes, dans la mesure où elles appuieraient la création et la propagation de contenu canadien et autochtone, et c’est tout. Il faut tenter de profiter de ces tendances et tenir compte des générations futures plutôt que de s’attacher à des modèles d’affaires qui pourraient finalement ne pas être viables à long terme.
La sénatrice Simons : Merci beaucoup.
Le sénateur Manning : Merci à nos témoins.
Ma question s’adresse tout d’abord à M. Wente, et je vais voir si j’ai le temps d’écouter d’autres personnes. Vous avez dit soutenir, pour l’essentiel le projet de loi C-11. Cependant, comme de nombreux témoins qui soutiennent dans l’ensemble le projet de loi, vous avez tout de même soulevé certaines préoccupations, particulièrement au sujet de l’autorité que possède le gouvernement sur le CRTC. D’autres témoins ont fait part de préoccupations similaires quant au fait que le projet de loi C-11 attaque la responsabilisation et l’indépendance du CRTC, particulièrement le paragraphe 7(7). S’agit-il du paragraphe qui vous préoccupe aussi? Si oui, pouvez-vous nous faire part des défis qu’il pose au chapitre de l’orientation stratégique que le gouvernement pourrait fournir au CRTC?
M. Wente : Merci, sénateur, d’avoir posé la question.
Il y a toujours un défi lorsque l’interprétation de la loi tient à l’orientation que le gouvernement donne à la politique lorsqu’il est question de la façon dont les diverses communautés doivent interpréter la façon dont la loi sera alors appliquée. C’est encore le cas. Le gouvernement nous a assuré de certaines choses quant à l’orientation qu’il pourrait fournir au CRTC. Nous sommes aussi d’avis que l’indépendance du CRTC et sa capacité d’être indépendant du gouvernement et de prendre des décisions sont importantes. Nous pensons qu’il devrait y avoir des représentants autochtones parmi les commissaires du CRTC pour que l’on puisse s’assurer que nos communautés y sont représentées.
En ce qui concerne l’article 7, je ne dirais pas qu’il me préoccupe vraiment. Je serais davantage préoccupé par les articles 4.2 et 9. Ce qui m’inquiète, c’est que les Autochtones, n’ayant pas pu accéder au secteur traditionnel canadien de la radiodiffusion, ont trouvé un nouveau public et de nouveaux modèles d’affaires grâce à ces technologies émergentes. Certaines personnes gagnent effectivement leur vie et ont des carrières grâce à elles. Je ne suis pas certain que ces créateurs de contenu devraient être traités de la même façon qu’une importante entreprise multinationale ou un radiodiffuseur important, comme une chaîne câblée ou un réseau de radiodiffusion. Je serais prudent à cet égard. Je pense aussi qu’il sera difficile de modifier les algorithmes. L’article 7 lui-même n’a soulevé aucune préoccupation importante à nos yeux.
Le sénateur Manning : Pensez-vous qu’il serait plus utile d’examiner les orientations stratégiques du gouvernement pendant que nous nous penchons sur ce projet de loi afin d’avoir un aperçu de son plan? Pensez-vous que ce serait plus utile?
M. Wente : Oui, sénateur. Encore une fois, je crains de ne pas avoir assez d’expertise à cet égard. Idéalement, nous pourrons examiner beaucoup de choses liées à la façon dont la loi sera interprétée avant de l’adopter. Oui, je pense que ce serait utile, c’est sûr.
[Français]
Le sénateur Cormier : Merci à nos témoins. Ma question s’adresse à M. Wente. J’ai pris connaissance du fait que votre organisation a une entente avec Netflix pour fournir une aide financière à des créateurs de contenu autochtones en matière de formation, de perfectionnement professionnel et d’approches adaptées sur le plan culturel. Vous avez deux types de programmes : le stage de formation aux activités de production et le programme de mentorat culturel.
Je voudrais en savoir un peu plus sur cette collaboration avec Netflix. Quels sont les impacts sur le développement des créateurs autochtones, qu’ils soient Métis, Inuits ou issus des Premières Nations? Comment cela conduit-il à l’embauche, par Netflix, de ressources humaines issues de ces communautés?
M. Wente : Merci beaucoup pour la question, sénateur.
[Traduction]
Vous avez parfaitement raison. Nous avons effectivement une entente avec Netflix. Elle dure depuis quatre ans. Vous avez raison lorsque vous dites qu’il finance deux types de programmes de soutien que nous offrons.
Le premier volet concerne un mentorat, ce qui constitue une occasion d’avancement et de perfectionnement professionnel. Il vise à donner l’occasion aux conteurs autochtones qui souhaitent obtenir davantage de financement pour faire d’un documentaire un récit narratif. Ces conteurs bénéficient du programme, et ces projets n’ont pas à être produits par Netflix. Netflix fournira ce mentorat dans le cadre de productions dont il n’est pas responsable afin que les Autochtones puissent acquérir de nouvelles compétences et progresser sur le plan professionnel de cette façon.
Le deuxième volet est sans doute ce que je préfère dans l’entente; il s’agit du mentorat culturel. Il découle directement de ce que nous avons entendu dans nos communautés : lorsque nous racontons des histoires autochtones, il y a souvent des mesures qui doivent être prises qui ne sont pas habituelles lorsqu’on raconte d’autres histoires. Il faudra peut-être tenir compte de certains protocoles, les aînés devraient peut-être être consultés, on aura peut-être besoin de gardiens des savoirs ou des gardiens de récits, vous pourriez avoir besoin d’accéder à la terre — ce sont autant de choses qui demandent davantage de temps de conception et de ressources.
Quand nous n’avions pas encore ce soutien, les investisseurs existants n’appuyaient pas ce que je viens de mentionner; les conteurs autochtones devaient eux-mêmes débourser de l’argent pour cette partie du projet. Ce financement leur permet non seulement d’augmenter leur temps de conception, cette période au tout début du processus de conception où l’on s’assure de respecter tous les protocoles et d’obtenir toutes les permissions nécessaires, ainsi que d’effectuer tout le travail nécessaire sur le plan culturel pour pouvoir raconter cette histoire — mais, ce financement permet aussi d’indemniser les aînés, les gardiens des savoirs et les gardiens de récits qui offrent leur expertise.
Cette ressource nous a été très importante. C’est une façon pour nous de mettre en pratique le document Protocoles et cheminements cinématographiques, que nous avons élaboré très tôt, qui donne des directives sur la façon dont il faut raconter les histoires autochtones. Cela nous permet de réellement le mettre en pratique en donnant l’occasion aux conteurs autochtones de prendre toutes les mesures nécessaires sur le plan culturel pour qu’ils puissent raconter leurs histoires adéquatement, de la bonne façon et comme il se doit. Netflix nous a grandement appuyés.
Nous avons aussi conclu des ententes avec Amazon dans la mesure où des créateurs ont soumis leurs idées aux services. Nous avons constaté que ces nouveaux services de diffusion en continu ont été très ouverts, alors que, dans le passé, nous avons souvent eu des problèmes avec les radiodiffuseurs traditionnels au Canada.
[Français]
Le sénateur Cormier : Merci. J’ai une question complémentaire qui touche l’embauche de ressources humaines. Le projet de loi fait une distinction entre les obligations des entreprises de radiodiffusion canadiennes, par opposition aux entreprises en ligne étrangères sur la question de l’embauche de ressources humaines canadiennes. Les premières entreprises de radiodiffusion canadiennes doivent utiliser au maximum les ressources canadiennes, alors que les entreprises en ligne étrangères doivent le faire dans la mesure du possible. Certains témoins nous disent que nous devrions avoir les mêmes critères pour ces deux genres d’entreprises. Qu’en pensez-vous, considérant le rôle que peuvent jouer ces plateformes pour la production et la diffusion de productions inuites, métisses et des Premières Nations?
[Traduction]
M. Wente : Encore une fois, merci, sénateur, d’avoir posé la question.
Le document Protocoles et cheminements cinématographiques, qui se trouve sur le site Web du Bureau de l’écran autochtone indique que les ententes doivent être réciproques et qu’il faut que la communauté en retire quelque chose. Le fait de raconter notre histoire peut finir par se comparer à l’industrie de l’extraction, comme tout le reste, donc il faut qu’il y ait une certaine réciprocité. Quant à la façon dont cela est appliqué, on peut le faire de nombreuses façons.
Encore une fois, nous avons demandé à Netflix et à Amazon de contribuer au secteur canadien. Ils diffèrent des radiodiffuseurs qui existent ici, mais ils contribuent tout de même. Tant que nous voyons que c’est assez équitable, cela nous va.
Nous avons déjà vu, dans le secteur du cinéma, des studios étrangers avoir des bureaux ici et avoir la possibilité de filmer au Canada, mais ces productions étaient régies par certaines choses comme des crédits d’impôt et d’autres lois qui réglementent l’accès de ces productions au soutien canadien. Il pourrait s’agir d’une approche semblable à celle qu’on applique à ces multinationales. Elles comptent peut-être un bureau de distribution, une équipe de vente ou certains représentants au Canada.
Évidemment, lorsque la production se fait ici, Netflix produit un grand nombre de contenus au Canada. Pour pouvoir accéder à des ressources pour ces productions, il doit embaucher des Canadiens. Nous pensons que, chaque fois que ces productions ont lieu sur une terre autochtone, des Autochtones devraient participer de cette façon aussi.
[Français]
Le sénateur Cormier : Merci.
La sénatrice Miville-Dechêne : Je vais aussi poser une question à M. Wente, qui vient d’ouvrir la porte à une interrogation que j’avais. Vous avez dit qu’il est souvent plus simple ou plus efficace de travailler avec des plateformes numériques comme Netflix que de travailler avec des médias traditionnels. Ayant été journaliste à Radio-Canada, cette question m’interpelle. Quelles ont été ou quelles sont les barrières qui vous arrêtent avec les médias traditionnels? Est-ce qu’on vous laisse suffisamment d’espace pour la création? Expliquez-moi ces barrières et si vous avez des exemples précis, je pense que ce serait le moment de les partager. Merci.
M. Wente : Merci beaucoup pour la question, sénatrice.
[Traduction]
Selon moi, le plus gros défi concerne les relations. Si vous êtes un conteur issu des Premières Nations, métis ou inuit dans le secteur de l’écran au Canada ou dans le secteur de la radiodiffusion au sens large au Canada, vous avez sans doute déjà essuyé un refus à de nombreuses occasions de la part des secteurs de radiodiffusion traditionnels. Vous avez probablement déjà entendu « non » tant de fois, sénatrice, que vous avez sans doute cessé de présenter votre projet à un certain moment, et que vous avez décidé de tout faire vous-même. La relation avec ces nouveaux services de diffusion en continu ou avec les nouvelles plateformes de technologie est fondée sur le fait que ces services n’ont pas dit « non » à nos communautés pendant de nombreuses générations, donc notre communauté y voit là une occasion. Cette impression s’est transformée en une véritable occasion. Ces services ont été plus ouverts à l’idée d’inclure nos histoires, bien plus que nous avions l’habitude de voir de la part du secteur canadien de la radiodiffusion, qui, soyons honnêtes, est très lent à y inclure les Premières Nations, les Métis et les Inuits. Nous sommes pratiquement absents du secteur de l’écran canadien, et ce, même si notre bureau est en place depuis presque six ans, et malgré tous les progrès qui ont été réalisés au cours des dernières années. À mon avis, une partie du problème tient au fait que la relation qu’entretiennent ces organismes, ce secteur, avec nos communautés est si compromise qu’ils auront toujours de la difficulté à nous recruter parce que nos communautés tentent de trouver des débouchés ailleurs. Donc, ce qui est arrivé dans le passé constitue le plus grand obstacle, soit le fait qu’on nous a dit « non » si longtemps, que nos communautés tentent de regarder ailleurs.
Je viens de souligner que, à un certain moment, je ne sais pas si c’est toujours vrai, mais à un certain moment, Netflix était le plus grand distributeur de contenu autochtone à l’échelle mondiale. Aucun radiodiffuseur canadien, outre peut-être APTN et les radios autochtones, ne pouvait en dire autant.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Vous avez aussi fait référence aux médias sociaux et au fait que les Autochtones étaient présents en tant que créateurs de contenu. Nous entendrons tantôt Mme Vanessa Brousseau. Avez-vous une idée un peu plus générale de la présence des peuples autochtones canadiens sur TikTok, sur YouTube, sur les plateformes? Est-ce que c’est exceptionnel? Est-ce qu’il y en a beaucoup? Est-ce que c’est suffisant pour avoir un impact dans les communautés? Qu’est-ce que vous voulez voir à l’article 4.2?
[Traduction]
M. Wente : Oui, merci beaucoup.
Il y a une présence importante d’Autochtones sur toutes les plateformes de médias sociaux, peu importe celles que vous nommez. C’est très inspirant, pour de nombreuses raisons, de voir ce que les conteurs autochtones font lorsqu’ils ont accès à ces nouvelles plateformes. Par exemple, nous avons constaté que YouTube et les plateformes semblables ont été un outil clé dans le cadre de l’apprentissage des langues, particulièrement durant la pandémie. Il s’agit d’une occasion en or pour les Autochtones de l’extérieur du secteur de radiodiffusion canadien traditionnel de faire part de leurs histoires et de tisser des liens, bien entendu avec un plus grand public, mais aussi, comme l’a dit M. Crowfoot avec nous-mêmes.
Je vais utiliser Facebook à titre d’exemple. Un très grand nombre de membres de ma famille, et j’utilise le terme membres de ma famille au sens le plus large, ont un compte Facebook. C’est sur cette plateforme que la communauté partage ses histoires et un grand nombre d’informations. Je crois que les conteurs qui sont en mesure d’utiliser ces plateformes pour rejoindre un auditoire peuvent passer à d’autres plateformes dans l’avenir, et nous devrions tenter de favoriser et d’encourager cette transition.
Nous devrions aussi être tout à fait à l’aise s’ils veulent seulement continuer de créer du contenu pour YouTube ou TikTok, et nous devrions trouver une façon de les soutenir. Le Bureau de l’écran autochtone traite toutes les plateformes de la même façon. Nous serons heureux de financer un créateur de contenu sur TikTok si son histoire est bonne et importante...
Le président : Monsieur Wente, je suis désolé, mais je dois vous arrêter. Nous poursuivrons avec la sénatrice Clement.
La sénatrice Clement : Bonjour, hello et sekoh à nos trois témoins. Sekoh est un terme mohawk, et j’utilise le mohawk parce que je viens de Cornwall, en Ontario, qui est un des territoires traditionnels du peuple mohawk.
[mots prononcés en mohawk]
Ma question s’adresse à M. Wente. Bien entendu, au cours des derniers mois, j’ai tout lu au sujet du projet de loi C-11. Vous avez écrit un texte pour le Globe and Mail il y a quelques semaines à ce sujet. Vous avez dit des choses intéressantes. Vous avez affirmé :
Pendant des décennies, nos règles existantes sur la radiodiffusion nous ont donné des fermes; elles nous ont permis de cultiver du contenu prévisible, fiable et homogène [...] qui a été contrôlé, géré, incroyablement répétitif. Le projet de loi C-11 pourrait transformer ces fermes en forêts, où règne l’imprévisibilité, où des choses séculaires peuvent se désagréger et où de nouvelles choses peuvent s’enraciner [...]
Cela m’a vraiment touché. Pouvez-vous en dire davantage sur la question de l’imprévisibilité? Vous avez parlé d’algorithmes, mais vous avez laissé le sujet de côté parce qu’il était trop complexe. Votre réponse à la sénatrice Miville-Dechêne était intéressante, selon moi, lorsque vous avez dit que les relations avec les nouvelles entités sont meilleures qu’avec l’ancien système de radiodiffusion. Pouvez-vous nous parler du texte que vous avez écrit, et plus précisément de l’aspect lié à l’imprévisibilité?
M. Wente : Bien sûr. Merci beaucoup, sénatrice, d’avoir posé la question, et d’avoir lu ce qui est sans aucun doute un excellent texte.
J’utilise la métaphore de la ferme et de la forêt tout le temps, parce que selon moi, le colonialisme a transformé des forêts en fermes. Dans le cadre du processus, vous cultivez une ferme, vous décidez de ce qui doit être arraché pour permettre à d’autres choses de pousser; tandis qu’une forêt s’aligne elle-même, elle tisse les bonnes relations avec chaque créature et chaque être semblable qui fait partie du système. Lorsque nous appliquons cette idée à un radiodiffuseur ou au secteur de la télécommunication, je pense que les exemples sont évidents. Vous pouvez en discuter avec Vanessa, par exemple. Tant de Canadiens, et pas seulement des Autochtones issus des Premières Nations, des Métis et des Inuits, ont trouvé une voix sur ces plateformes comme ils n’auraient pas été en mesure de le faire dans le secteur traditionnel. Je dis cela en tant qu’ex-employé de CBC qui a eu l’occasion de faire valoir ses opinions de cette façon. Cette démocratisation de l’accès est la chose la plus importante qu’ont entraînée les plateformes de médias sociaux.
Comme je l’ai dit plus tôt, je pense que le défi est le suivant : vu que nous avons été tenus à l’écart du secteur pendant si longtemps, au Canada, nous cherchions une lueur d’espoir quelle qu’elle soit, et la lueur d’espoir, le rayon de lumière nous a fait voir une forêt : les médias sociaux. À l’échelle du Canada, que ce soit Lilly Singh ou quelqu’un d’autre, nous avons vu des influenceurs — je pourrais tous les appeler des conteurs —, faire la transition d’une plateforme à une autre. Je pense que d’en avoir un peu, c’est bien. Nous avons besoin d’un peu de perturbations. Je mettrais en garde contre le fait de récompenser des modèles d’affaires qui sont désuets et tendent à disparaître. Nous devions encourager les innovations dans le milieu des affaires et dans la communication, ce qui ne veut pas dire que j’aime tout ce qui se passe sur les médias sociaux. Je pense seulement que ce qui est important pour le gouvernement et pour nous, c’est vraiment de garantir que diverses contributions se retrouvent dans notre système, notamment lorsqu’il est question de raconter nos histoires.
Oui, je pense que c’est la meilleure façon de retrouver une forêt. Ce genre d’imprévisibilité est prévisible dans la mesure où je pense que des talents dont nous n’avons jamais entendu parler émergeront, et nous entendrons des histoires que nous n’avons autrement jamais entendues. Celles-ci, comme vous le savez, sénatrice, peuvent nous transformer grandement.
La sénatrice Clement : Merci, nia:wen.
Le sénateur Klyne : Bienvenue à nos invités, et merci de nous avoir présenté vos exposés et d’avoir répondu à nos questions.
J’espère pouvoir poser rapidement une question à chacun d’entre vous; j’aimerais commencer par Mme Avison. J’ai une question rapide à vous poser, qui sera suivie de quelques questions complémentaires. En tant que professeure à l’Université des Premières Nations du Canada dont l’enseignement est axé sur les médias autochtones, pourriez-vous préciser quelle est la tranche d’âge de vos étudiants?
Mme Avison : Les étudiants plus jeunes arrivent de l’école secondaire, donc ils ont 16 ou 17 ans. Je pense que l’étudiant le plus âgé que j’ai eu au cours des dernières années, c’est Robert Merasty, de l’Île-à-la-Crosse, qui a été un diffuseur pendant des dizaines d’années. Il a été victime d’un accident vasculaire cérébral, et remettait les pieds dans le secteur à ce moment-là, et tentait de réapprendre ce qu’il avait oublié, mais il voulait aussi apprendre de nouvelles méthodes pour communiquer une histoire, et voulait aussi seulement être parmi des jeunes, donc mon élève le plus âgé avait 72 ans.
Le sénateur Klyne : Avez-vous l’impression que vos étudiants suivent ce qu’il advient du projet de loi C-11? L’un d’eux vous a-t-il fait part de son opinion à ce sujet ou vous a-t-il dit quelle pourrait être l’incidence de cette loi sur sa communauté ou sur lui, personnellement, s’il décide de faire carrière sur les médias sociaux ou d’autres médias?
Mme Avison : En vérité, non, ils ne suivent pas la situation avec beaucoup d’attention. Lorsque j’enseigne, j’essaie de leur communiquer l’importance des lois et l’incidence des politiques fédérales sur l’évolution des médias autochtones, qu’elle soit bonne ou mauvaise. Je dirais qu’ils ne suivent pas attentivement les débats. Ce qui est important, c’est ce qui se trouve dans les examens, et ils se concentrent sur ce qui se trouve devant eux. D’une année à l’autre, j’espère que j’arrive à leur faire comprendre à quel point les politiques sur la radiodiffusion sont importantes, tout comme les émissions qui en découlent. Il est évident qu’ils connaissent Patrimoine canadien et le rôle qu’il joue lorsqu’il est question d’appuyer les langues autochtones et aussi les diffuseurs dans le Nord.
Le sénateur Klyne : Merci.
Monsieur Wente, vous avez dit que les médias sociaux étaient la lueur d’espoir des créateurs de contenu autochtone. Or, au cours de notre étude de ce projet de loi, nos autres créateurs de contenu sur les médias sociaux nous ont dit à de nombreuses reprises qu’ils ne voient pas cela comme une lueur d’espoir, comme quelque chose de positif; selon eux, c’est plutôt un rayon de la mort, qui va plutôt limiter leur avenir lorsqu’il est question de bâtir leur auditoire et de leur portée. Quelle est la différence ici, outre le fait que les conteurs autochtones ont trouvé un média où ils sont acceptés?
M. Wente : Je ne parlais pas seulement de la loi, j’allais plus loin. Nous avons effectivement entendu certaines préoccupations qu’avaient les créateurs de contenu sur les médias sociaux au sujet de la loi, et je ne voudrais pas les limiter d’une façon ou d’une autre. Cela a été très important. Nous aimerions que ces contributions continuent, et souhaitons davantage de transparence de la part des organismes quant à l’utilisation de nos données et à notre activité sur les sites Internet. Sinon, j’aimerais m’assurer que les créateurs de contenu autochtone sont toujours en mesure d’avancer sur le plan professionnel et de réussir.
Le sénateur Klyne : Monsieur Crowfoot, pouvez-vous dire au comité si le projet de loi C-11, selon vous, aura une incidence positive importante? Si le projet de loi est adopté, pensez-vous que c’est plus facile ou plus difficile pour vous de rejoindre le public autochtone et d’accroître l’auditoire?
M. Crowfoot : Oui, je pense que oui. Comme je l’ai mentionné plus tôt, personnellement, je ne m’appuie pas là-dessus. Je fais avancer les choses moi-même. Afin de rejoindre davantage de personnes, nous utilisons les recettes de bingo pour ériger notre système de distribution. Le CRTC nous a appuyés dans le cadre de tout ce que nous avons mis en place en nous délivrant des permis pour les nouveaux émetteurs. Je suis désolé, mais je pense différemment à cet égard.
Le sénateur Klyne : Merci.
Le sénateur Quinn : Merci aux témoins.
Durant les audiences, nous avons entendu différentes personnes dire qu’elles n’avaient pas vu les orientations stratégiques. Nous avons entendu certaines préoccupations à l’égard du CRTC et de la façon dont il pourrait interpréter ou non ces orientations stratégiques, et aussi des préoccupations générales à cet égard. Serait-il utile d’ajouter des freins et contrepoids à l’aide d’un amendement qui permettrait de prendre des règlements avant d’adopter la loi, règlements qui seraient soumis à l’examen du comité et du comité de la Chambre? Il serait possible de convoquer brièvement des témoins pour confirmer le fait que le CRTC respecte bien les orientations stratégiques et les intentions du gouvernement. La question s’adresse à M. Wente, puis aux autres si nous avons le temps.
M. Wente : Merci, sénateur.
Il est rare que je sois en faveur de davantage de bureaucratie, donc je ne suis pas certain. D’une façon ou d’une autre, il faut être sûr de comprendre comment ces orientations sont appliquées. Que ce soit le rôle d’un organisme de surveillance ou de quelque chose d’autre, je ne suis pas sûr d’avoir des réponses à vous donner. Il est évident que ce serait agréable de savoir que des choses sont mesurables dans le cadre de ces orientations, et comment celles-ci sont réellement interprétées par le CRTC.
M. Crowfoot : Je suis d’accord, ce serait bien de mettre en place ces freins et contrepoids afin que nous soyons en mesure d’aborder tous les problèmes qui pourraient survenir.
Mme Avison : La dernière politique en matière de radiodiffusion autochtone date de 1990, ce qui est antérieur à la Loi sur la radiodiffusion. Je sais qu’il y a eu des réunions, et j’ai entendu dire qu’il y a eu des consultations, mais cela n’a abouti à rien de concret.
Il faut vraiment faire participer les diffuseurs autochtones en particulier, et ils sont très différents. M. Crowfoot est excellent. L’Alberta est extraordinaire. Je pense que la province a la plus grande portée radio au Canada, tous diffuseurs confondus. À l’autre bout du spectre, nous avons des personnes comme Maureen à Sandy Bay, qui vient d’entrer dans la station de radio après avoir déposé ses petits-enfants à l’école, et qui va en ondes et parle cri. L’éventail est large. Nous avons tendance à faire fi des personnes ordinaires sur le terrain, particulièrement lorsqu’il est question de diffuseurs de radio locaux.
Il est important de valoriser les personnes qui ont la langue. Je me concentre sur la langue. Ce n’est pas la seule chose que permet la radiodiffusion autochtone. Elle permet aussi de créer une communauté. Avec la COVID, cela a été extrêmement important. Mais, pour moi, ma priorité aujourd’hui, dans le cadre de ma présentation, c’est la langue, alors il faut donc faire en sorte que les personnes qui veulent parler les langues et les partager, que ce soit dans le cadre d’une conversation, d’un anniversaire, pour parler de météo, pour appeler des orignaux ou faire appel aux aînés, puissent bénéficier du soutien dont elles ont besoin. Ce ne sont pas des gens d’affaires. M. Crowfoot est extraordinaire; il combine son sens des affaires avec une vision pour la radiodiffusion, mais il y a beaucoup de gens à l’échelle très locale, et même à l’échelle régionale, qui n’ont pas autant le sens des affaires. Je ne dis pas que nous devrions dire qu’ils ne l’auront jamais. Et dans certaines régions, cela ne fera pas de différence, parce qu’il n’y a pas de marché. Même pour le bingo, vous n’auriez pas les chiffres nécessaires pour être autosuffisant comme M. Crowfoot l’est.
Le sénateur Quinn : Merci.
Le président : Au nom du comité, j’aimerais remercier nos trois témoins de leur comparution devant nous aujourd’hui et de leur précieuse participation. Vous avez créé beaucoup d’intérêt. Je peux vous dire, d’après la liste des sénateurs et sénatrices du deuxième tour qui avaient des questions, que nous aurions pu passer une heure de plus avec ce groupe de témoins. Merci beaucoup.
Mme Avison : Je vous remercie beaucoup.
M. Wente : Merci beaucoup. C’est un privilège de partager ce temps avec M. Bert Crowfoot. Il est une légende.
M. Crowfoot : Merci infiniment.
Le président : Pour notre deuxième groupe de témoins, je suis ravi de vous présenter, à titre personnel, Vanessa Brousseau, connue sous le nom de Resilient Inuk, créatrice de contenu numérique, et Margaret McGuffin, cheffe de la direction d’Éditeurs de Musique au Canada. Toutes deux participent par vidéoconférence. Bienvenue à vous deux. Vous disposerez chacune d’une période de cinq minutes pour votre déclaration liminaire, puis nous passerons aux questions et réponses de mes collègues. Nous allons commencer par Vanessa Brousseau.
Vanessa Brousseau, Resilient Inuk, créatrice de contenu numérique, à titre personnel : Je vous remercie beaucoup, monsieur le président.
Je suis connue sous le nom de Resilient Inuk sur TikTok. Je suis Inuite et Ojibwée, puisque ma mère vient de Sanikiluaq, au Nunavut, et mon père vient de la Première Nation de Mattagami, en Ontario. Mon grand-père a passé plus de sept ans dans un sanatorium, mon père est un survivant des pensionnats, et ma mère, une survivante d’un externat indien. Le traumatisme le plus difficile que j’ai eu à affronter est la disparition de ma sœur il y a presque 19 ans, à l’âge de 22 ans.
J’ai commencé à utiliser la plateforme TikTok il y a deux ans, car j’ai remarqué qu’il n’y avait pas assez de créateurs de contenu autochtones parlant spécifiquement des femmes, des filles et des personnes bispirituelles disparues et assassinées. Je voulais non seulement utiliser ma voix, mais également guérir à la suite de mon expérience personnelle directe. Comme le sujet des FFADA2S+ est un sujet sensible, je partage aussi mes arts traditionnels, comme la fabrication de bijoux ou l’artisanat à partir de produits naturels, et un peu de récits pour faire connaître mes vérités.
En 2021, j’ai participé au programme TikTok Accelerator destiné aux créateurs de contenu autochtones, que j’ai terminé avec succès. Ce programme a radicalement changé la manière dont je crée du contenu. Le fait d’avoir les outils et l’expertise fournis a réellement amélioré la qualité de mes vidéos et m’a donné la confiance dont j’avais besoin. Avant le programme, j’avais 43 000 abonnés, et depuis la fin du programme, je suis passée à 118 000 abonnés, et j’ai 2,6 millions de mentions j’aime sur mes vidéos. Les Canadiens ne sont pas les seuls à me suivre : 44 % de mes abonnés viennent des États-Unis, et 41 %, du Canada. J’ai aussi des abonnés au Royaume-Uni, en Australie et aux Philippines. Le programme TikTok Accelerator mène actuellement son deuxième programme avec 40 nouveaux participants autochtones.
Grâce à TikTok, j’ai eu des expériences et des occasions extraordinaires pour lesquelles je serai toujours reconnaissante. J’ai pu sensibiliser les gens et gagner un revenu supplémentaire tout en faisant ce qui me passionne.
Mes préoccupations quant au projet de loi C-11 sont qu’il entraînera davantage d’obstacles pour les Autochtones qui créent du contenu généré par les utilisateurs et rendra plus difficile pour d’autres créateurs de contenu autochtones d’obtenir le succès que j’ai été chanceuse d’avoir. Avec peu d’obstacles, j’ai pu être vérifiée sur TikTok, conclure des partenariats avec de grandes marques et surtout, avoir le sentiment de faire entendre ma voix et à ma façon. Avec le projet de loi C-11, je suis particulièrement préoccupée par une chose : si des plateformes comme TikTok sont tenues de promouvoir du contenu qui a été approuvé comme étant canadien, est-ce que les créateurs autochtones de contenu généré par les utilisateurs pourront obtenir les qualifications nécessaires pour être considérés comme des créateurs de contenu canadien? À quoi ressemblera le processus de demande pour les Autochtones au moment de prouver qu’ils sont suffisamment Canadiens? Y aura-t-il de la paperasse et des frais à débourser auprès du CRTC ou des exigences qui entraîneront possiblement des obstacles financiers? Qu’en est-il des barrières linguistiques? Quels seront les effets sur la jeunesse autochtone?
Nous ne devrions pas avoir à prouver que nous sommes assez Canadiens, et je crains que de nombreux Autochtones ne soient pas admissibles, ne veulent pas prouver une fois de plus qu’ils sont suffisamment Canadiens ou être confrontés à des obstacles qui les dissuaderont même d’essayer. Que vont devenir les créateurs autochtones de contenu généré par les utilisateurs? Comment seront-ils perçus ou trouvés sur les plateformes par rapport à quelqu’un qui a été considéré comme un créateur de contenu canadien approuvé?
Je ne suis pas une experte du système de radiodiffusion, et je n’ai pas toutes les réponses quant à la manière de corriger ce projet de loi. En revanche, je me présente aujourd’hui en tant que créatrice autochtone de contenu sur la plateforme TikTok afin d’offrir mon point de vue sur la façon dont je crée et partage le contenu, les occasions que j’ai eues de rejoindre un public à l’intérieur du Canada comme à l’extérieur et l’impact que pourrait avoir ce qui est proposé.
Enfin, j’aimerais remercier le comité de m’avoir invitée à comparaître. Les créateurs autochtones comme moi — les premiers créateurs numériques qui utilisent des plateformes de contenu généré par les utilisateurs comme TikTok et YouTube — n’ont jusqu’à maintenant pas été consultés ou questionnés au sujet de leur opinion sur le projet de loi C-11. Même si j’ai été heureuse d’entendre le précédent groupe de témoins, et que je comprends que les organisations culturelles autochtones représentant les artistes traditionnels ont sans doute été consultées, les créateurs numériques indépendants comme moi ne sont pas représentés par ces organisations, et nous avons des besoins et des objectifs différents de leurs membres.
Nous réussissons déjà bien grâce à notre propre dur labeur, et je ne vois pas comment le projet de loi C-11 va nous aider. Je m’inquiète plutôt des obstacles qu’il créera pour les peuples autochtones. J’espère que vous comprendrez mon point de vue et les préoccupations qui auront une incidence directe sur les créateurs canadiens de contenu généré par les utilisateurs comme moi.
Je vous remercie d’avoir pris le temps de m’écouter vous faire part de mes préoccupations concernant le projet de loi C-11. Meegwetch, nakurmiik.
Le président : Merci beaucoup.
Margaret McGuffin, cheffe de la direction, Éditeurs de Musique au Canada : Bonjour, monsieur le président et honorables sénatrices et sénateurs. J’ai le plaisir de comparaître ce matin pour discuter de l’importance de la Loi sur la diffusion continue en ligne.
Éditeurs de Musique au Canada est une organisation dont les membres sont un grand nombre de petites et moyennes entreprises canadiennes, ainsi que des entreprises internationales ayant des bureaux au Canada.
L’organisation travaille avec des milliers d’auteurs-compositeurs canadiens dans tout le pays et investit de manière importante dans les chansons et les partitions que l’on entend chaque jour à la radio, sur les services de diffusion en continu, dans les jeux vidéo, dans les productions cinématographiques et télévisuelles et sur les nouvelles plateformes numériques émergentes dans le monde entier. De plus, 79 % des revenus de nos membres proviennent de sources étrangères. Nous connaissons l’importance du marché mondial.
Permettez-moi de commencer aujourd’hui par dire que je sais que nous voulons tous faire en sorte que les industries créatives du Canada prospèrent, tant au pays que partout dans le monde. Pour y arriver, il est impératif que nous modernisions la Loi sur la radiodiffusion afin de tenir compte des réalités de la consommation de contenu d’aujourd’hui tout en nous assurant que la loi est prête pour la prochaine génération de plateformes de médias numériques. Le projet de loi C-11 est une mise à jour très attendue et nécessaire. Nous nous réjouissons de son objectif d’assujettir la radiodiffusion en ligne à la loi et, surtout, de faire en sorte que les services en ligne aident les Canadiens à trouver des chansons et des histoires canadiennes sur des plateformes qui exercent leurs activités au Canada. La technologie a évolué, tout comme la manière dont les Canadiens consomment du contenu. Nos membres et les auteurs-compositeurs avec lesquels ils travaillent se sont adaptés à ces changements et sont actifs sur les plateformes, que ce soit en concédant des licences d’utilisation de leur contenu à des tierces parties ou en créant leur propre contenu numérique.
Les éditeurs de musique et les auteurs-compositeurs sont des créateurs numériques et, de bien des manières, les plateformes en ligne sont leurs précieux partenaires. Toutefois, ces plateformes souhaitent également capitaliser sur le marché canadien sans toujours soutenir l’environnement qui aide les industries canadiennes à évoluer. Cela contraste avec l’attitude des radiodiffuseurs traditionnels qui soutiennent la création et la promotion de la musique canadienne, tant sur le plan financier que par leur programmation, depuis des décennies.
Nous devons aussi garder en tête que les plateformes numériques sont constamment en train d’évoluer et que de nouveaux services sont sans cesse créés. Le projet de loi C-11 doit donc être adopté avec un libellé axé sur l’avenir et qui met en place des objectifs solides et neutres sur le plan technologique au cœur de la version actualisée de la loi. Il doit accorder au CRTC des outils de réglementation flexibles permettant d’assurer la réalisation de ces objectifs.
Sans la modernisation de la Loi sur la radiodiffusion, le Canada verra certaines parties de son industrie créative souffrir. Comme vous l’avez entendu plus tôt au cours de ces séances, cela est particulièrement dangereux pour les auteurs-compositeurs et les éditeurs de musique qui travaillent avec notre culture de langue française, la représentent et lui donnent voix. Nous risquons de désavantager toute une génération de jeunes conteurs et d’entreprises émergentes qui perdront des occasions de se développer et de prospérer et dont les chansons ne seront peut-être jamais découvertes ou mises de l’avant dans leur propre pays. La Loi sur la diffusion continue en ligne soutiendra sans aucun doute les créateurs et les entreprises canadiennes qui investissent en créant des emplois et en veillant à ce que nos histoires puissent être trouvées et entendues en anglais, en français et dans les langues autochtones. Nous espérons que vous accorderez la priorité à l’adoption du projet de loi C-11 avant la fin de la session parlementaire du printemps pour permettre aux Canadiens et à nos industries créatives de continuer à prospérer dans le monde numérique.
Je vous remercie encore une fois de cette occasion de comparaître devant vous aujourd’hui. Je serais heureuse de répondre à toute question que vous pourriez avoir.
Le président : Je vous remercie beaucoup.
Madame Brousseau, j’ai entendu dans votre témoignage que vous vous sentez un peu trahie par le manque d’engagement du gouvernement envers la DNUDPA et par le fait qu’il n’a pas suffisamment consulté les voix autochtones concernant ce projet de loi. Ce que je retiens de votre témoignage, c’est qu’au bout du compte, le gouvernement semble avoir consulté les voix autochtones tant que celles-ci étaient d’accord avec son point de vue sur la Loi sur la radiodiffusion, ce qui est décevant en soi.
Ma question a été suscitée par le témoignage de M. Jesse Wente, du Bureau de l’écran autochtone, qui a pris la parole plus tôt. Il a mentionné que Netflix est l’une des plateformes qui ont établi des records historiques en matière de diffusion des voix autochtones, des documentaires autochtones et des émissions autochtones, et cetera — du jamais vu —, ce qui est bien évidemment impressionnant. Nous entendons depuis longtemps que le gouvernement propose le projet de loi C-11 afin de protéger les voix des minorités, comme les voix et les communautés autochtones, mais pour les protéger de quoi? Nous avons des plateformes comme TikTok, YouTube et Netflix qui nous permettent de promouvoir les voix autochtones, et je crois que nous avons besoin de trouver des plateformes qui nous propulseront sur la scène internationale, et non de créer du protectionnisme, et vous pouvez en témoigner. Pouvez-vous nous parler de cela?
Ma deuxième question tient aux raisons pour lesquelles le gouvernement n’est pas préoccupé par le plus grand problème auquel sont confrontées les communautés autochtones, à savoir la connectivité dans les collectivités rurales et nordiques.
Mme Brousseau : Merci beaucoup. J’apprécie votre question.
J’ai le même sentiment en ce qui concerne précisément la DNUDPA et les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation. Le gouvernement canadien a travaillé très fort pour s’assurer que nos voix soient entendues, que nous soyons inclus dans ces discussions, que nous soyons impliqués et que nous soyons pris en considération tout au long du processus. Quand quelque chose comme cela se produit, c’est préjudiciable pour les Autochtones, puisque nous vous croyons et voulons travailler avec vous, et puis cela arrive, et nous ne sommes même pas consultés. Je pense qu’il s’agit simplement d’un rappel, cependant; ce n’est pas encore un réflexe de parler avec les peuples autochtones sur diverses questions, et c’est quelque chose qui prendra du temps, mais je suis très reconnaissante et honorée d’être présente aujourd’hui, et d’être en mesure d’utiliser ma voix. Pour moi, c’est aussi un grand pas en avant.
Quant à la connectivité dans nos communautés éloignées, je suis d’accord à 100 %. Il est navrant de savoir que nos concitoyens n’ont pas accès aux mêmes ressources ni aux mêmes occasions. C’est un problème qui pourrait être facilement corrigé pour notre communauté, et je ne parle pas seulement de la connectivité; je parle d’une connectivité stable qui est fiable. Par exemple, pour quelqu’un comme moi qui a un compte TikTok, si je ne publie pas régulièrement, cela affectera mes téléspectateurs et mes abonnés. Si vous n’avez pas de connectivité, alors comment pouvez-vous construire et réaliser de telles choses? Il y a beaucoup d’injustice au chapitre des ressources, comme j’aime le dire, et je pense qu’il faut aussi en tenir compte. Je suis ravie que vous l’ayez fait remarquer.
Le président : Madame Brousseau, pouvez-vous faire part au comité de vos expériences avec le ministère ou le cabinet du ministre en tant que créatrice indépendante de contenu issue de la communauté autochtone; arrivez-vous à leur faire part de vos préoccupations?
Mme Brousseau : J’ai pu venir à Ottawa et m’entretenir avec des sénateurs et sénatrices, des leaders parlementaires, des députés, des ministres et d’autres personnes de ce genre. Ma visite a été pour l’essentiel merveilleuse. J’ai été très honorée de rencontrer tant de Canadiens respectés et travaillants, et je suis très reconnaissante d’avoir eu cette occasion.
Cependant, un ministère que nous avons rencontré avait un point de vue différent et a senti le besoin de vraiment m’intimider avec son point de vue alors que je n’étais là que pour faire part du mien. Je ne connais pas tout du projet de loi, et je comprends qu’il doit être adopté à certains niveaux et ce genre de choses. Toutefois, en tant que femme autochtone, ce ministère a essentiellement cherché à me jeter de la poudre aux yeux en me disant qu’ils avaient parlé avec des Autochtones et les avaient consultés. Étant donné que j’ai des liens très étroits avec ma communauté autochtone, je n’ai pas eu l’impression que c’était vrai, et j’estime que l’approche que le ministère a adoptée à mon égard était très intimidante et irrespectueuse.
Le président : Je suis désolé d’entendre que vous avez eu cette expérience. J’espère que vous vous sentez très à l’aise ici devant le comité sénatorial. Vous êtes très bien accueillie, et vos réflexions sont très appréciées, peu importe si elles sont pour ou contre le projet de loi. Il est néanmoins décevant que vous ayez eu cette expérience.
Le sénateur Manning : J’aimerais enchaîner, si vous le permettez, puisque j’ai entendu au cours des dernières semaines beaucoup de préoccupations concernant la production de contenu canadien et, je présume, au sujet de la définition de ce qu’est du contenu canadien. Madame Brousseau, en votre qualité de créatrice de contenu numérique, le projet de loi C-11, comme vous l’avez mentionné, vous demanderait ou exigerait que vous prouviez que votre contenu est canadien. Nous ne savons pas précisément de quelle manière ce processus fonctionne. Le Commissaire à la protection de la vie privée a déjà exprimé des inquiétudes quant à la vie privée, et d’autres ont exprimé des préoccupations quant à la lourdeur de cette exigence, qu’il s’agisse de remplir des formulaires interminables ou de se soumettre à toute autre procédure. J’aimerais que vous nous en disiez plus sur — et vous en avez parlé plus tôt, brièvement — le fait de prouver que vous êtes une Canadienne et que ce que vous produisez est du contenu canadien. Je me demandais simplement ce que vous pensez de tout cela et comment vous pensez que le projet de loi C-11 pourrait être modifié — que ce soit sous forme d’un amendement ou peu importe — afin que vous n’ayez pas à passer par ce processus quand le projet de loi C-11 sera adopté selon son libellé actuel.
Mme Brousseau : Merci beaucoup de cette question.
Oui, c’est très insultant, en tant que personne autochtone du Canada, de continuellement devoir faire une demande de statut canadien pour différentes choses, que ce soit nos passeports, nos certificats de naissance ou nos cartes de statut, des documents comme ça. En tant qu’Autochtone, le fait de devoir prouver sans cesse que je suis Canadienne n’est pas, selon moi, un chemin vers la réconciliation.
Je suis également d’avis que le fait d’ériger ce genre d’obstacles est une autre étape qui empêchera les Autochtones de même vouloir poser leur candidature. Si je recevais une demande me demandant : « Quel genre de contenu canadien présentez‑vous? », je serais très confuse et je me dirais : « Bon, d’abord, je suis Autochtone, donc tout ce que je produis est canadien ». Cela créerait une certaine confusion. Par ailleurs, j’aurais l’impression de ne pas être assez authentique, en tant que membre des peuples originaux, en tant que personne issue d’une Première Nation, et que mon contenu n’est pas assez authentique pour le Canada.
Beaucoup de questions et de qualifications vont entrer en jeu. Je ne suis même pas certaine que les Autochtones veuillent faire ces démarches. Si vous me disiez aujourd’hui : « Eh bien, Vanessa, désormais, chaque année, tu dois remplir ce formulaire pour TikTok afin de mettre ton contenu en ligne, et chaque vidéo doit être vérifiée », je dirais sans doute : « Je ne veux plus faire ça; ce n’est pas amusant ». Ce n’est pas quelque chose que je fais uniquement pour gagner de l’argent; c’est quelque chose qui me passionne. Selon moi, il faut créer un changement au Canada en sensibilisant les gens, et pas seulement au Canada, mais dans le monde entier.
Je suis d’accord. Peut-être qu’il devrait y avoir une sorte d’amendement pour les peuples autochtones afin que nous n’ayons pas besoin de ce formulaire. Je ne suis pas sûre. Je n’ai pas toutes les réponses à cet égard, mais ce que je sais, c’est que c’est insultant pour moi de devoir prouver à répétition que je suis Canadienne.
Le sénateur Manning : Je vous remercie.
Aujourd’hui, vous créez vos propres vidéos TikTok. Vous les publiez. Elles touchent un public important et croissant. Croyez‑vous que le projet de loi C-11 nuira à votre expérience sur la plateforme? Comment envisagez-vous l’avenir de votre présence sur la plateforme avec l’adoption du projet de loi C-11? Je comprends les préoccupations que vous exprimez, mais je me demande quels débouchés vous entrevoyez pour vous, et pas seulement pour vous, mais pour de nombreuses autres personnes de la communauté autochtone.
Mme Brousseau : Si le projet de loi C-11 est adopté tel quel, j’ai peur que mon contenu ne soit pas vu parce qu’il ne sera pas considéré comme du contenu canadien par le CRTC ou parce que je ne suis pas une créatrice de contenu officielle et qualifiée. Donc, ma préoccupation, tout d’abord, est que je vais perdre des vues, parce que je ne suis plus dans ce bassin. Ensuite, je m’inquiète de ne pas pouvoir rejoindre le monde entier. Je ne m’inquiète pas seulement pour le Canada. J’ai peur de ne pas pouvoir atteindre un public en Australie avec ce que je fais. Même aux États-Unis — 44 % de mes abonnés viennent des États-Unis —, je crains que cela ait des répercussions à cet égard. Personnellement, en tant que créatrice de contenu, je ne suis pas ici pour promouvoir le Canada ou quoi que ce soit d’autre. Mon contenu vise plutôt à sensibiliser, à changer, à partager la vérité et à raconter des histoires. Ce n’est pas quelque chose qui s’adresse uniquement aux Canadiens; il s’agit de quelque chose que je souhaite partager avec les gens du monde entier. Voilà mes deux plus grandes préoccupations : premièrement, je n’obtiendrai pas de vues, et deuxièmement, je serais moins visible dans le monde.
Le sénateur Klyne : Ma question s’adresse à Mme Brousseau. J’aimerais d’abord dire que je suis toujours intéressé et éclairé par les créateurs de contenu autochtones qui partagent leur culture, leurs cérémonies, leur langue, leur talent et leurs expériences, au moyen de contes ou d’autres moyens. Je suis très impressionné par le contenu généré par les utilisateurs qui provient de nos territoires. Je tiens également à vous féliciter de l’ampleur et de la portée de votre auditoire.
Dans votre déclaration liminaire, vous avez cité un certain nombre de préoccupations ou de questions qui cherchent une réponse. Nous venons de discuter de deux d’entre elles avec mon collègue ici. Je me demande si vous avez d’autres préoccupations que vous aimeriez aborder avec le comité et des pistes de réflexion à nous proposer sur la manière dont ces préoccupations pourraient être dissipées. La discussion et vos commentaires à ce sujet nous ont donné matière à réflexion en ce qui concerne les préoccupations que vous venez d’aborder.
Mme Brousseau : Je vous remercie beaucoup de la question.
Selon moi, ce qu’il faut vraiment examiner, c’est le contenu généré par les utilisateurs. Je suis parfaitement d’accord pour que les grandes entreprises soient visées par le projet de loi C-11. Cependant, je m’inquiète comme les gens comme moi qui n’ont pas ces ressources, pour les créateurs de contenu ordinaires qui n’ont pas de gérant, de production médiatique ou de budget pour de telles choses. Je m’inquiète pour ces gens.
Il est question non seulement des Autochtones, mais aussi de tous nos jeunes. C’est là que la créativité commence. Que ce soit sur TikTok, Facebook ou d’une autre plateforme de ce genre, c’est là que ça commence. Je vois tout le temps des jeunes de 14 ou 15 ans qui font leur premières armes sur les plateformes, qui regardent des créateurs comme moi et qui se disent : « D’accord, je devrais faire ça », ou « Je pourrais faire ça », ou « Je pourrais montrer mes talents de cette façon », et cetera. Il ne s’agit pas seulement d’être célèbre. Il est aussi question de perfectionner ces compétences en matière de leadership, d’acquérir une certaine confiance en soi en s’exprimant et de tous ces petits détails. Je suis vraiment préoccupée par le contenu généré par les utilisateurs, puisque c’est là que l’on commence, que l’on s’épanouit et qu’on apprend, « Oh, j’aime jouer la comédie. Je veux faire du doublage ». De nombreuses occasions se présentent en faisant quelque chose comme cela.
Ma plus grande préoccupation tient au contenu généré par les utilisateurs; j’essaie de vraiment penser à la manière dont le projet de loi pourrait nous affecter, non seulement les Autochtones, mais aussi les personnes non autochtones, et de garder à l’esprit qu’il y a des jeunes qui sont aussi en cause. C’est difficile parce que nous voyons tous l’argent et les grandes entreprises; cependant, il y a des gens à plus petite échelle comme moi qui créent de la valeur, et je ne veux pas nous voir perdre cela.
Le sénateur Klyne : Merci.
La sénatrice Simons : J’ai une question pour chaque témoin, alors je vais tenter d’être brève.
Madame McGuffin, il n’y a pas si longtemps, les gens allaient au magasin pour acheter des partitions. Le bouleversement du numérique a affecté de nombreux aspects de l’édition et du droit d’auteur. Je me demande si vous pourriez nous parler un peu des défis que pose le bouleversement numérique aux éditeurs de musique afin de protéger leurs droits d’auteur et la valeur directement liée à la publication de la musique.
Mme McGuffin : Je dois dire qu’il y a eu une résurgence de la vente de partitions pendant la pandémie de COVID. C’est une bonne nouvelle.
Il y a une occasion et il existe des problèmes également. Mes membres adoptent ces technologies. Ils créent chaque jour, trouvent des talents sur ces services et élaborent leurs stratégies internationales en s’adressant à TikTok et YouTube. Ils font partie du monde. Nous voyons cela d’un très bon œil.
Le problème, c’est que certaines de nos entreprises et de nos créateurs sont laissés pour compte. Vous avez entendu mes collègues de l’ADISQ au Québec, dont les revenus chutent dramatiquement. Il y avait un système de vedettariat qui avait été établi pour les communautés francophones dans le domaine de la musique au Canada, et maintenant ils connaissent une diminution spectaculaire de leurs revenus et une diminution de l’auditoire; pourtant, ils ont la preuve, comme cela vous a été présenté, que si le public est renvoyé à des chansons en langue française, il voudra écouter ces chansons québécoises et francophones provenant de partout au Canada.
La sénatrice Simons : Madame Brousseau, en tant que personne qui a personnellement investi beaucoup de temps et d’énergie sur Twitter, une plateforme qui semble se dissoudre sous mes yeux, je suis un peu inquiète. Quand je rencontre quelqu’un comme vous et certains des autres témoins qui ont comparu devant le comité et dont le succès repose sur une seule plateforme, une plateforme sur laquelle ils n’ont aucun contrôle, je me demande ce qu’il faut faire pour aider les gens comme vous, qui ont du succès sur une seule plateforme, à faire quelque chose qui dure plus de 15 ou 30 secondes. Vous avez parlé de gens qui veulent jouer la comédie ou faire du doublage. Je présume que, ce que nous espérons, c’est que si des créateurs autochtones ou d’autres origines diverses ont du succès sur une plateforme de médias sociaux, ils seront en mesure d’en tirer parti pour quelque chose d’autre. Que devons-nous mettre en place pour veiller à ce que les gens ne finissent pas par être ghettoïsés, si je peux employer ce terme, sur une plateforme précise et par ne pas obtenir ce coup de pouce professionnel leur permettant de passer à quelque chose de plus grande envergure?
Mme Brousseau : Je vous remercie beaucoup de la question.
C’est très effrayant, évidemment, parce que vous avez totalement raison. Si TikTok disparaît, est-ce que je disparais? Ou bien je travaille plus fort sur d’autres plateformes? Je suis coupable de cela également. TikTok est la plateforme que j’ai choisie. J’ai bien Instagram et Twitter, mais je ne les utilise pas vraiment.
Vous avez raison de dire qu’il faut quelque chose, surtout pour notre jeune génération. Si un jeune Autochtone de 19 ans réussit bien et a des objectifs et de l’inspiration, il devrait y avoir quelqu’un, que ce soit une organisation médiatique autochtone ou je ne sais quel programme, mais il devrait y avoir quelqu’un qui puisse dire : « Hé, nous voyons quelque chose en toi. On va t’accompagner ». Ou alors, « Aimerais-tu essayer ça? » Des choses comme ça. Il devrait y avoir plus d’occasions de ce genre. Je suis d’accord à 100 %. Je ne suis pas certaine de savoir qui est responsable.
Dans mon cas, par exemple, j’espère que quelqu’un me découvrira et pourra m’utiliser pour autre chose. Je crois que c’est ce que font beaucoup de personnes qui produisent du contenu généré par les utilisateurs. Ils essaient vraiment de mettre en lumière leurs compétences et leurs talents, puis ils commencent à faire du recrutement dans ce sens. Il faut que ce soit réciproque. Je suis d’accord avec vous à 100 %. Il doit y avoir plus de réciprocité à cet égard.
La sénatrice Simons : Merci.
La sénatrice Miville-Dechêne : D’abord, je tiens à remercier nos témoins et Vanessa Brousseau en particulier. Nous nous sommes rencontrées dans mon bureau, donc j’ai eu l’occasion d’en savoir un peu plus sur vous. Merci d’être ici.
[Français]
Ma question s’adresse toutefois à Mme Margaret McGuffin. Dans votre discours, vous dites que les éditeurs de musique et les auteurs-compositeurs sont des créateurs numériques. Évidemment, le vocabulaire commence à être un peu mélangeant dans ce domaine, parce que comme vous le savez, Mme Vanessa Brousseau, elle, se dit et fait partie des créateurs de contenu numérique. Pour les auditeurs de l’extérieur et pour les gens qui nous écoutent, tout cela devient un peu mélangeant. C’est un préambule à ma question sur la différence entre les deux.
Un des points centraux de controverse dans le projet de loi est l’article 4.2 — le paragraphe 2, surtout, qui porte sur les exceptions à l’exception dans les médias sociaux. Comme vous faites partie des créateurs numériques qui, entre guillemets, sont professionnels dans la mesure où ils créent de la musique professionnelle, avez-vous réfléchi à une façon de modifier cette clause pour qu’elle soit plus claire et pour qu’elle vise spécifiquement les créateurs de musique professionnels et non les créateurs de contenu amateurs?
[Traduction]
Mme McGuffin : Merci de poser la question, sénatrice.
Oui, elle est très claire, et j’ai dit que les auteurs-compositeurs et les éditeurs de musique sont des créateurs numériques. Souvent, nos membres aident leurs auteurs-compositeurs à créer et à se faire vérifier sur ces plateformes, en veillant à ce qu’ils soient entendus et vus dans le cadre du plan global de ce créateur. Ces auteurs-compositeurs individuels se produisent et sont des créateurs numériques comme Mme Brousseau. Ils le font dans le cadre de leur travail d’auteur-compositeur, souvent en tant qu’artiste. Ils entrent dans les deux catégories en tant que créateurs de contenu professionnels.
Je pense que la loi est déjà claire en ce qui concerne les utilisateurs individuels et je pense que tout doit être fait au CRTC pour que l’on puisse s’assurer que ce que le gouvernement a dit est clair. Je voudrais m’assurer qu’il est bien clair que les utilisateurs individuels ne sont pas visés par cette mesure. Peut-être même que nous profiterons des services offerts par le CRTC pour dire que nous sommes là pour aider les auteurs-compositeurs, les éditeurs, les maisons de disques et les artistes canadiens. J’espère que nous nous réunirons avec ces services qui sont partenaires du CRTC pour trouver un langage commun concernant ce qu’ils peuvent faire pour promouvoir les auteurs-compositeurs canadiens et contribuer au système.
Bon nombre des entreprises avec lesquelles nous travaillons au Canada font déjà beaucoup pour soutenir les créateurs canadiens. Toutefois, nous devons nous assurer que si des entreprises étrangères arrivent et veulent extraire de la valeur sans investir dans le Canada et les créateurs canadiens, elles seront mises au même niveau que d’autres entreprises.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Je vous remercie.
Le sénateur Cormier : Merci aux témoins pour votre présence.
Ma question s’adresse à Mme McGuffin et fait suite aux questions des sénatrices Simons et Miville-Dechêne.
Je suis particulièrement préoccupé par la question de la découvrabilité des œuvres canadiennes, et aussi par la question de la protection du droit d’auteur et de la propriété intellectuelle. Je voudrais vous entendre à ces sujets.
Je sais que certaines plateformes en ligne qui sont des partenaires des éditeurs de musique, comme vous l’avez dit dans votre allocution, sont plus généreuses que d’autres en matière de redevances qui sont remises aux artistes musicaux.
J’aimerais savoir si, selon vous, le projet de loi dans sa mouture actuelle assure cette protection de la propriété intellectuelle et si le CRTC devrait jouer un rôle supplémentaire dans le cadre de ces enjeux.
[Traduction]
Mme McGuffin : Merci pour votre question, sénatrice.
Je comprends très bien que ce projet de loi ne porte pas sur le droit d’auteur, mais il y a un lien. Si vous êtes un créateur et que vos œuvres ne sont pas présentées ou que vous ne trouvez pas de public sur ces nouvelles plateformes, vous ne recevrez pas de redevances. Il y a un lien. Pour nos amis de l’industrie musicale francophone, c’est évidemment très préoccupant. Ils voient déjà qu’il n’y a pas de place dans ces grandes plateformes internationales pour leur communauté. Nous devons nous assurer que le vedettariat est préservé, qu’il croît et qu’il est exporté. Cela doit commencer chez nous. De nombreux créateurs de musique régionaux ne trouvent pas le soutien dont ils ont besoin de la part des entreprises qui viennent au Canada pour pouvoir croître et se développer. Ce qui me préoccupe le plus, ce sont les nouveaux créateurs et les nouvelles entreprises, ainsi que la situation dans laquelle nous nous trouverons dans 10 ou 20 ans.
[Français]
Le sénateur Cormier : J’aimerais vous poser une question complémentaire. Vous parlez de la musique francophone; en fait, l’industrie de la musique au Canada, anglophone d’une part et francophone de l’autre, constitue presque deux systèmes distincts dans un sens.
Que pourriez-vous nous dire sur la distinction qui doit être prise en compte dans la manière dont l’industrie de la musique francophone au Canada se déploie par rapport à l’industrie de la musique anglophone?
[Traduction]
Mme McGuffin : Nous avons déjà vu cela au CRTC, où des choses ont été mises en place pour la communauté francophone en ce qui concerne les médias traditionnels. Nous pourrions voir cela à l’avenir, lorsque nous entamerons les audiences qui suivront l’adoption du projet de loi. Nous serions heureux de voir cela.
En ce qui concerne l’ensemble de l’industrie au Canada, nous avons été bien soutenus par FACTOR, Musicaction et Starmaker. Ce type de soutien est important, surtout pour mes collègues francophones. Nous avons besoin de voir ce type d’investissement dans l’avenir.
[Français]
Le sénateur Cormier : Merci beaucoup, madame.
[Traduction]
La sénatrice Dasko : Merci aux témoins d’être ici aujourd’hui.
Mes questions s’adressent à Mme Brousseau. Dans une réponse à une question précédente posée par le sénateur Manning, vous avez dit que vous vous préoccupez de la façon dont le CRTC va vous catégoriser. Autrement dit, est-ce qu’il va vous considérer comme canadienne, non canadienne ou autre? La façon dont le projet de loi fonctionne, c’est que le CRTC ne vous classera d’aucune façon; ce sera la plateforme que vous utiliserez qui va le faire. Ils vont devoir composer avec TikTok. Que pensez-vous de la façon dont cela va fonctionner? Avez‑vous une idée de la façon dont TikTok pourrait traiter avec vous? Croyez-vous que TikTok tiendra compte de votre point de vue et qu’il trouvera une façon de régler le problème de la classification des Canadiens? Peut-être que vous ne voulez pas être considérée comme une artiste canadienne. Vous pensez peut-être que c’est une meilleure façon de réussir que de vous retrouver dans la catégorie des Canadiens. Qu’en pensez-vous? Pensez-vous que vous serez en mesure d’avoir une conversation avec TikTok et que la plateforme sera sensible à vos préoccupations?
Mme Brousseau : Merci beaucoup pour vos questions. Elles sont excellentes.
Honnêtement, je ne connais pas la réponse à la question de savoir comment TikTok devra s’y prendre. Je ne comprends pas l’ensemble du projet de loi. Par exemple, TikTok devra également définir son public, et ainsi de suite. Je suis sur toutes les plateformes. Je suis sur Facebook; je suis sur Instagram; je suis sur Twitter. Personne n’a développé la relation que j’ai à part TikTok. C’est probablement la raison pour laquelle je consacre autant de temps à TikTok. C’est un compromis pour nous deux. Je crois vraiment que si ce projet de loi devait être adopté et qu’il suscitait des préoccupations chez les créateurs de contenu autochtones ou les créateurs de contenu généré par les utilisateurs, je suis certaine que TikTok parlerait aussi avec la communauté autochtone et travaillerait avec nous sur ce que nous devons faire pour continuer d’avoir une voix et d’utiliser sa plateforme comme il veut que nous l’utilisions. Mais je ne suis pas une experte en la matière. C’est pourquoi je suis ici. Je suis inquiète, n’est-ce pas? C’est pourquoi je vous fais confiance en vous disant ma vérité, ce que je vois et comment cela me touche, dans l’espoir que vous puissiez trouver des réponses pour nous et améliorer la situation pour moi et pour les autres créateurs de contenu. Je suis désolée de ne pas avoir pu donner une réponse complète à cette question.
La sénatrice Dasko : C’est très bien. TikTok nous a parlé de ces questions, évidemment. Après l’adoption du projet de loi, s’il est adopté, il sera confronté à la question de savoir comment il traitera le contenu généré par les utilisateurs et les artistes comme vous, d’autres membres de la communauté autochtone et de nombreux autres artistes qui ne sont pas issus de la communauté autochtone. Quoi qu’il en soit, je voulais savoir si vous étiez convaincue que les choses finiront par s’arranger pour vous. Merci.
Mme Brousseau : Merci beaucoup.
Le président : Je veux donner suite aux questions de la sénatrice Dasko. Au final, ce n’est pas TikTok qui me préoccupe. En fin de compte, après avoir écouté votre témoignage et celui de nombreux producteurs de contenu indépendants au pays, je dirais que mon inquiétude concerne le CRTC et ce projet de loi. TikTok, YouTube et toutes ces autres plateformes de diffusion en continu ont pris Vanessa Brousseau, une femme autochtone, et lui ont donné une plateforme sur laquelle elle a construit un contenu formidable, qui lui a valu un grand nombre d’abonnés, et qu’elle a transformé en entreprise autonome. En tant que législateur, je partage vos préoccupations... lorsque le président du CRTC a comparu devant le comité, il a dit que ce projet de loi lui donne le pouvoir de forcer des plateformes comme TikTok à manipuler ce que nous regardons et ce que vous affichez. Cela me préoccupe.
Ma question est la suivante : si ces plateformes commencent à ne plus être des plateformes gratuites et à ne plus juger si vous êtes canadiens en fonction d’une case que vous cochez ou d’un formulaire quelconque — et le commissaire à la protection de la vie privée est également venu devant le comité et a exprimé ses inquiétudes —, pensez-vous que votre activité pourrait être touchée? Si, par exemple, on donne des lignes directrices à TikTok, pour quelque raison que ce soit et si bien intentionnées qu’elles puissent être, pourraient-elles avoir des conséquences imprévues pour un fournisseur de contenu comme vous?
Mme Brousseau : Absolument, même juste le nombre de vues que j’obtiens, par exemple. Pour moi, tout ne tourne pas autour de l’aspect monétaire, mais avoir des opinions, c’est faire entendre ma voix et être vue. C’est quelque chose que beaucoup ne comprennent pas, mais en tant que femme autochtone, j’ai été réduite au silence toute ma vie. On m’a littéralement réduite au silence toute ma vie. J’ai finalement construit quelque chose. J’ai travaillé très fort pour avoir une voix, pour être représentée et pour dire la vérité. Si on m’enlevait tout cela, j’essaierais de trouver une autre plateforme ou quelque chose de plus libre à utiliser. J’ai lu un article sur les Canadiens qui déménagent aux États-Unis à cause de cela. Est-ce que nous allons aller jusque-là dans notre façon de traiter nos Canadiens? Nous allons les forcer à déménager dans des pays parce que nous n’appuyons pas ce qu’ils font? Cela n’a aucun sens. Je ne pense pas que le projet de loi veuille toucher des gens comme moi, mais il ne protège pas non plus les gens comme moi. Ce qui me préoccupe, c’est qu’il ne suffit pas de confier cette responsabilité au CRTC. Nous devons en fait préciser plus clairement ce dont nous parlons et ne pas prendre des raccourcis pour laisser certaines organisations s’en occuper. Donc oui, vous avez tout à fait raison.
Je ne suis qu’une seule personne. Il y a des milliers de créateurs de contenu autochtones partout, sur toutes sortes de plateformes différentes. Nous réduire au silence de cette manière constitue vraiment un pas en arrière vers la réconciliation. Je suis ici pour m’assurer que tout le monde comprend bien. En tant que Canadiens, nous avons très bien réussi à progresser vers la réconciliation et la DNUDPA. Ce n’est pas en faisant taire nos voix que l’on favorisera la réconciliation. C’est ce que je pense qui se produirait. Les gens comme moi n’auraient plus de voix.
Le président : Merci.
Ma dernière question s’adresse à Mme McGuffin. Nous avons reçu des témoignages devant le comité. La Motion Picture Association — Canada s’est présentée devant nous avec des statistiques soulignant l’augmentation des investissements durant les dix dernières années dans les artistes canadiens. Je pense que nous avons tous convenu, pour diverses raisons, que les artistes aujourd’hui au Canada sont plus occupés et ont plus de débouchés que jamais auparavant, en grande partie grâce aux possibilités de diffusion en continu telle que Netflix, Disney+ et toutes les autres sociétés qui ont investi des sommes importantes au Canada. Bien sûr, le débat se poursuit sur la question de savoir à qui appartient le contenu, et, à mon humble avis, nous en sommes encore à une définition archaïque de ce qu’est le « contenu canadien ».
J’ai une question qui est différente de la façon dont nous l’avons posée à la plupart de nos témoins. À votre avis — et vous avez beaucoup d’expérience dans l’industrie — les diffuseurs traditionnels en ont-ils fait assez au cours des dix dernières années pour générer des revenus pour les artistes canadiens? Nous ne cessons de parler de la nécessité d’amener les diffuseurs en continu et les nouvelles plateformes à payer leur juste part afin que l’on continue de faire croître les arts et la culture du Canada, mais ma question est la suivante : les radiodiffuseurs traditionnels ont-ils généré suffisamment de revenus sur le marché pour aider les artistes, les producteurs de contenu, les écrivains, les acteurs, les auteurs-compositeurs et les chanteurs canadiens?
Mme McGuffin : Merci de poser la question.
Je vais simplement répondre à la première partie de vos commentaires. Nous sommes très intéressés à travailler avec des sociétés de production du monde entier. Mes membres voyagent dans le monde entier. Nous allons nous rendre sur le marché du film européen avec des compositeurs et des éditeurs de musique pour trouver du travail et de nouveaux projets. Mais de nombreux compositeurs canadiens sont engagés par des membres de la Canadian Media Producers Association pour des productions canadiennes, de sorte qu’une industrie de la production canadienne forte est très importante pour les éditeurs de musique, les auteurs-compositeurs et les compositeurs canadiens. Même si les acteurs mondiaux sont également très importants, que nous leur accordons beaucoup d’attention et que nous les considérons comme des partenaires, une industrie de la production canadienne forte qui raconte des histoires canadiennes est plus susceptible d’engager un compositeur canadien, et ce compositeur n’aura pas besoin de déménager à Los Angeles pour obtenir son travail. C’était le premier point.
Comme dans toutes les négociations, il y a eu de bonnes et de mauvaises relations avec la radio canadienne, la télévision canadienne et leur travail traditionnel, mais nous avons vu que le contenu canadien a construit un système de vedettariat très fort au Québec et a permis à de nombreux Canadiens de se faire connaître. Nous en sommes maintenant à la prochaine étape. Nous voulons travailler avec nos partenaires numériques et nous voulons que chaque entreprise qui vient au Canada investisse au Canada et ne se contente pas d’en extraire de la valeur.
Il s’agit de s’adresser au CRTC pour trouver des solutions qui pourraient être individuelles à chaque service. Il ne pourra peut-être pas faire les choses de la même manière, et c’est très bien ainsi. Nous avons besoin d’une loi qui est ouverte pour inciter les futurs joueurs qui entrent sur le territoire à établir des liens avec les créateurs et les entreprises de mon industrie et des industries créatives en général pour s’assurer que nous sommes plus fort dans l’ensemble.
Le président : Qui paie le plus de redevances aux auteurs-compositeurs canadiens à l’heure actuelle? Est-ce que ce sont les plateformes de radiodiffusion ou les plateformes de diffusion en continu?
Mme McGuffin : Cela dépend vraiment du type de créateur que vous êtes. Comme vous l’avez entendu de la part de nos amis de l’ADISQ, ils n’obtiennent pas le même rendement que ce qu’ils recevaient de la radio et de la télévision canadiennes. Dans d’autres cas, mes entreprises ont des plateformes mondiales, et elles bâtissent leurs entreprises et leurs projets créatifs autour de plans mondiaux. Cela dépend donc vraiment de l’entreprise. Le plus important, c’est de veiller à ce que nos créateurs émergents, nos créateurs régionaux et nos entreprises demeurent forts et se bâtissent de manière à ce qu’ils puissent, eux aussi, connaître le succès mondial, comme bon nombre de mes membres l’ont fait.
Le président : Au nom du comité, je tiens à vous remercier toutes les deux de votre présence. Nous avons tous aimé vos réflexions sur le projet de loi C-11 et le fait que vous ayez pris le temps d’être ici. Merci beaucoup.
Mesdames et messieurs, nous poursuivrons nos délibérations demain.
(La séance est levée.)