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TRCM - Comité permanent

Transports et communications


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES TRANSPORTS ET DES COMMUNICATIONS

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 16 novembre 2022

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd’hui, à 18 h 46 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi C-11, Loi modifiant la Loi sur la radiodiffusion et apportant des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois; et à huis clos, pour étudier un projet d’ordre du jour (travaux futurs).

Le sénateur Leo Housakos (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Bonsoir à tous et bienvenue au Comité sénatorial permanent des transports et des communications.

Je suis Leo Housakos, sénateur du Québec et président du comité. J’aimerais inviter mes collègues à se présenter.

[Traduction]

La sénatrice Simons : Je suis la sénatrice Paula Simons. Je viens du territoire du Traité no 6, en Alberta.

[Français]

La sénatrice Gagné : Raymonde Gagné, du Manitoba.

Le sénateur Cormier : Sénateur René Cormier, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Miville-Dechêne : Julie Miville-Dechêne, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l’Alberta.

Le sénateur Dawson : Dennis Dawson, du Québec.

Le sénateur Manning : Fabian Manning, de Terre-Neuve-et-Labrador.

La sénatrice Sorensen : Karen Sorensen, de l’Alberta.

Le sénateur Quinn : Jim Quinn, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Dasko : Donna Dasko, sénatrice de l’Ontario.

La sénatrice Wallin : Pamela Wallin, de la Saskatchewan.

Le président : Merci, chers collègues.

Nous poursuivons notre étude du projet de loi C-11, Loi modifiant la Loi sur la radiodiffusion et apportant des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois. Le CRTC se joint à nous en raison de la demande populaire pour une deuxième comparution, ce qui a été soulevé à maintes reprises dans nos délibérations, tant par les témoins que pendant les questions. Nous accueillons Ian Scott, président et premier dirigeant, Scott Shortliffe, directeur exécutif, Radiodiffusion, et Rachelle Frenette, avocate générale et sous-directrice exécutive. Bienvenue à notre comité.

Nous accordons habituellement cinq minutes pour les déclarations liminaires, mais comme vous avez, et à juste titre, la parole, le président sera généreux avec vous. Ensuite, nous passerons aux questions.

Ian Scott, président et premier dirigeant, Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes : Je vous remercie du privilège que vous m’accordez de comparaître devant votre comité, et pour la deuxième fois comme vous le disiez.

[Français]

Lors de notre dernière comparution devant le comité en juin 2022, nous avons parlé de l’importance du projet de loi C-11. Notre opinion n’a pas changé depuis. Le projet de loi C-11 et les changements qu’il propose sont nécessaires afin de moderniser la législation canadienne sur la radiodiffusion et de nous donner les outils dont nous avons besoin pour que le système de radiodiffusion s’adapte à l’environnement numérique.

J’aimerais féliciter le comité pour la richesse et la diversité des témoins qui ont comparu afin de discuter de ce sujet important. Vous avez entendu bon nombre de points de vue différents. J’aimerais concentrer mes remarques sur certaines des préoccupations qui ont été soulevées, principalement le contenu généré par les utilisateurs, les algorithmes et les communautés de langue officielle en situation minoritaire.

Je commencerai par l’enjeu du contenu généré par les utilisateurs. Notre avis sur la question n’a pas changé depuis notre dernière comparution devant le comité : le projet de loi C-11 établit une distinction entre les utilisateurs des médias sociaux, d’une part, et les plateformes elles-mêmes, d’autre part.

Son intention est d’exclure les utilisateurs individuels de la réglementation.

[Traduction]

Les pouvoirs accordés au CRTC en vertu du projet de loi sont ciblés et nécessaires. Par exemple, ils nous permettraient d’exiger que les plateformes de médias sociaux soutiennent la création d’émissions canadiennes, et qu’elles rendent le contenu découvrable par les personnes en situation de handicap et accessible à celles-ci. Le CRTC ne se voit pas accorder le pouvoir de réglementer les utilisateurs individuels en ce qui concerne le contenu qu’ils créent.

Je tiens à vous assurer — ainsi qu’aux Canadiens — que le CRTC n’a aucunement l’intention de réglementer les YouTubers, TikTokers et autres créateurs de contenu numérique.

Je comprends que le comité a aussi beaucoup entendu parler de la découvrabilité et des algorithmes, et de la façon dont le projet de loi C-11 donnerait au CRTC le pouvoir d’imposer des conditions pour améliorer la découvrabilité du contenu canadien. Malheureusement, mes remarques précédentes ont été sorties de leur contexte par certains des témoins qui ont comparu devant vous. Pour être clair, l’objectif du CRTC est de s’assurer que les Canadiens sont informés du contenu canadien et qu’ils sont en mesure de le trouver. Il ne s’agit pas de manipuler des algorithmes, mais d’encourager l’innovation.

Parmi les nouveaux objectifs proposés par le projet de loi C-11, les diffuseurs en ligne devraient assurer la promotion et la découverte du contenu canadien dans les deux langues officielles, ainsi que du contenu autochtone. Le CRTC disposera d’outils pour atteindre cet objectif.

Par exemple, les diffuseurs en ligne pourraient s’engager à promouvoir le contenu canadien au moyen de campagnes de marketing et de publicité en ligne ou hors ligne, de listes de musique organisées ou de vidéos promotionnelles. Le CRTC pourrait demander aux diffuseurs en ligne de rendre compte des mesures prises pour promouvoir le contenu canadien et autochtone.

Toutefois, le projet de loi C-11 ne permettra pas au CRTC de rendre obligatoire l’utilisation d’algorithmes ou codes sources particuliers en vue d’atteindre l’objectif de promotion et de découvrabilité. Le CRTC n’a aucun problème avec cette limite.

En outre, permettez-moi de vous assurer qu’avant de mettre en place toute obligation réglementaire entraînant des répercussions sur les diffuseurs en ligne, nous organiserons des consultations publiques. Les diffuseurs en ligne, les consommateurs et les autres parties intéressées auront leur mot à dire. Le CRTC tiendra compte de l’avis de tous ceux qui participeront à nos instances publiques lorsqu’il mettra en place des mesures en vue de promouvoir et à rendre découvrable le contenu canadien et autochtone.

J’aimerais souligner que la découvrabilité n’est pas un nouvel enjeu pour le CRTC. En 2016, nous avons coorganisé un sommet sur la question au cours duquel des experts des médias traditionnels et numériques — y compris YouTube — ainsi que du gouvernement se sont réunis pour partager des idées sur la façon dont le contenu est créé et découvert en ligne. Il n’en a pas découlé de mises en garde de nature réglementaire, mais on a plutôt assisté à des échanges de vue et à la formulation de pratiques exemplaires.

[Français]

Le dernier enjeu que j’aimerais aborder est la disposition du projet de loi C-11 visant à accorder des droits de consultation uniques aux communautés de langue officielle en situation minoritaire (CLOSM) lorsque le CRTC prend des décisions qui pourraient viser ces groupes.

Permettez-moi d’être clair : le CRTC est assujetti à la Loi sur les langues officielles et prend ses obligations au sérieux. Nous rencontrons régulièrement ces communautés au sein de nos groupes de travail spécialisés afin de discuter des problèmes auxquels elles sont confrontées et de les informer des instances à venir. Nous avons également mis en place des contrôles internes afin de garantir que leurs points de vue sont pleinement pris en compte dans le cadre de notre prise de décisions. Ces mesures ne sont pas nouvelles; elles sont en place depuis des années.

En fait, le commissaire aux langues officielles a conclu dans un rapport que, au moyen de plusieurs de ces mesures, le CRTC s’acquitte de son devoir de prendre des mesures positives en vue de favoriser le développement des communautés de langue officielle en situation minoritaire (CLOSM).

D’ailleurs, notre position n’a jamais été de refuser de consulter les CLOSM. Bien au contraire, la consultation est dans l’ADN du CRTC; c’est ce que nous faisons. Nous veillons à ce que tout le monde, y compris les CLOSM, ait la possibilité de participer à nos instances et de verser leurs points de vue au dossier public.

Nous consultons, nous écoutons et nous délibérons, avec pour objectif ultime de prendre des décisions fondées sur des éléments de preuve et reflétant les points de vue et les opinions de ceux qui ont participé à nos travaux.

[Traduction]

Toutefois, le projet de loi C-11 prévoit des exigences rigoureuses et de grande portée en matière de consultations, au paragraphe 5.2(2), lesquelles sont, à notre avis, juridiquement problématiques et auraient des conséquences imprévues. Nous serions heureux d’aborder les détails lors de notre témoignage aujourd’hui.

Il y a un autre aspect du projet de loi C-11 qui aurait des conséquences involontaires semblables : l’article 34.01. Cet article exigerait que le CRTC procède à un examen de tous les ordres et règlements pris tous les sept ans. Il est important de comprendre que le CRTC rend des centaines de décisions chaque année, ce qui représente au-delà de mille décisions tous les sept ans. Cette nouvelle exigence détournerait nos ressources de la tâche importante qui consiste à mener des instances efficaces et à rendre des décisions en temps opportun. De plus, cela n’est pas nécessaire : le CRTC procède déjà régulièrement à des examens de ses cadres réglementaires, soit de sa propre initiative, soit en raison d’une demande formulée par l’une de nos parties prenantes.

Enfin, le CRTC est tenu de tenir des audiences et de publier des rapports à la demande du gouverneur en conseil. À notre avis, la Loi sur la radiodiffusion actuelle prévoit une surveillance et un examen suffisants. Nous demandons donc que cet amendement soit retiré.

Je vous remercie encore une fois, monsieur le président, de nous avoir invités de nouveau à nous présenter devant votre comité. Nous espérons que la législation sera achevée rapidement, car elle est résolument nécessaire. Nous nous ferons maintenant un plaisir de répondre à vos questions. Merci.

Le président : Merci, monsieur.

La sénatrice Wallin : Merci à tous pour votre présence. Comme il s’agit de votre deuxième passage, ce sera la même chose pour nous et nous allons passer en revue certains documents.

Vous et moi avons eu un échange la dernière fois que vous étiez ici. Je ne le lirai pas au complet, mais essentiellement, en réponse à d’autres questions, nous nous étions demandé si vous seriez en mesure de contrôler ou de gérer les contenus générés par les utilisateurs. Je vous avais dit ceci:

Vous n’allez pas manipuler les algorithmes; vous obligerez plutôt les plateformes à le faire. C’est une réglementation sous un autre nom. Que ce soit fait directement et explicitement...

Et vous m’avez répondu : « Vous avez raison. »

Que vouliez-vous dire exactement?

M. Scott : À la relecture de ce passage où vous me dites que j’obligerais plutôt les plateformes à le faire, je me dis que j’aurais peut-être dû écouter plus attentivement votre affirmation à l’époque. Je vous prie de m’en excuser.

Comme je l’ai dit dans mes propos liminaires, ou du moins comme nous l’indique la déclaration liminaire du CRTC, la découvrabilité est un de nos objectifs. Nous essayons d’aider les Canadiens à trouver du contenu canadien.

J’ai également dit qu’il y a plusieurs façons d’y parvenir. Aujourd’hui, on y parvient par le biais de bobines promotionnelles, de la publicité. YouTube a ouvert des studios à Toronto pour soutenir les créateurs numériques qui produisent du contenu numérique au Canada et qui proposent des produits canadiens. Il y a bien des façons de le faire.

À l’époque — et j’aurais dû être plus précis dans ma formulation —, j’avais dit que plusieurs plateformes utilisent déjà leurs algorithmes de cette façon. Ainsi, YouTube identifie les contenus canadiens, comme Netflix. Par exemple, si vous dites « Je m’intéresse aux dramatiques », ces plateformes vous proposeront des dramatiques et elles identifieront pour vous les dramatiques canadiennes.

Je veux dire qu’elles peuvent utiliser leurs algorithmes pour atteindre cet objectif, ce que le conseil ne fera pas.

La sénatrice Wallin : Vous dites aussi que vous voulez établir un cadre visant à encourager ces fournisseurs à parvenir aux résultats que vous recherchez, mais cela comporte deux aspects troublants à mes yeux qui touchent à la relation entre l’usager et la plateforme. En fonction de mes choix, la plateforme déduit ce que je veux regarder et ce que je veux écouter. La relation est donc établie entre l’usager et la plateforme. Vous dites vouloir influencer ce mécanisme, directement ou indirectement, et faire en sorte que les plateformes répondent à un ensemble d’objectifs que vous visez, ce que je trouve troublant parce que je ne suis pas certaine de vouloir établir une relation avec le CRTC.

De plus, comme vous êtes aux ordres du Cabinet, je ne veux certainement pas que mon gouvernement me dise ce que je devrais écouter ou regarder, ou encore ce à quoi je devrais réagir.

M. Scott : Je vous écoute et je me suis efforcé d’être très attentif aux termes que vous avez employés. Je tiens à ce que ce soit clair : le CRTC n’a pas tenté et ne tentera pas de dicter aux gens ce qu’ils doivent regarder. En fait, nous cherchons à promouvoir les objectifs de la Loi sur la radiodiffusion en ce qui a trait à la production, à la distribution et à la découvrabilité de la programmation. Aujourd’hui, on ne dicte pas à Rogers ou Corus ce qu’il convient de mettre en ondes ou ce que les consommateurs devraient regarder, et on ne le fera pas dans le cas des plateformes à l’avenir. En revanche, nous fournissons un cadre stratégique concernant, par exemple, des programmes d’intérêt national. Il y a des exigences en matière de dépenses dans ces domaines. À l’avenir il faudra se demander quelles mesures appropriées et équitables pourraient être appliquées aux fournisseurs qui sont actifs sur les plateformes numériques. C’est ce que nous faisons, nous ne demandons pas que les consommateurs soient invités à surveiller ou à contrôler ce qu’ils regardent ou écoutent a priori.

La sénatrice Wallin : Si c’est ce qu’on me propose, mais que les produits que je téléverse doivent être conformes à d’autres de règles... C’est ce que vous avez déclaré ici aujourd’hui en disant :

Parmi les nouveaux objectifs proposés par le projet de loi C-11, les diffuseurs en ligne devraient assurer la promotion et la découvrabilité du contenu canadien dans les deux langues officielles, ainsi que du contenu autochtone. Le CRTC disposera d’outils pour atteindre cet objectif.

M. Scott : Oui. Vous venez de répéter certaines des...

La sénatrice Wallin : J’ai l’impression...

M. Scott : Non. Encore une fois, beaucoup de choses interviennent. Aujourd’hui, nous encourageons, par exemple, la production et la création de contenu autochtone. Je vais utiliser un exemple plus récent.

Au début de mon mandat, nous avons tenu le sommet Women in Production. Nous n’avons pas demandé aux joueurs du milieu de nommer des femmes dans des postes clés, mais plutôt de nous faire rapport de leurs pratiques et de s’engager volontairement à produire des rapports annuels sur leurs progrès. C’est une façon pour le conseil d’encourager une activité. Nous pouvons inciter les acteurs du milieu à faire de la publicité. Nous pouvons les inciter à utiliser beaucoup d’outils.

Je veux dire que l’on trouve un grand nombre d’outils dans la boîte existante, des outils qui seront utilisés pour promouvoir les objectifs que vous déciderez en fin de compte d’inclure dans ce projet de loi.

La sénatrice Wallin : Je dirais simplement en tant que consommatrice et parfois participante du milieu, que je n’ai pas du tout la même relation avec un écran de télévision dans lequel vous avez imposé un pourcentage X de contenu canadien ou tout autre type de contrainte, et avec la plateforme. La relation est très différente.

Le président : Sénatrice Wallin, votre temps de parole est écoulé.

M. Scott : Monsieur le président, puis-je répondre rapidement sur ce dernier point?

Le président : Vous devrez le faire au deuxième tour. Je dois être juste envers tous les sénateurs.

M. Scott : Je serai heureux de répondre à cette question.

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci pour votre présence, monsieur Scott. Je vais poser ma première question dans la langue dans laquelle vous vous êtes exprimé la dernière fois parce que je veux vous citer.

Je vous avais demandé comment vous comptiez favoriser la découvrabilité et vous m’avez répondu très clairement ceci : « Je ne veux pas manipuler les algorithmes. Je veux plutôt que les fournisseurs — et vous parliez bien alors de l’industrie — le fassent pour obtenir un résultat donné. »

Il me semble donc très clair qu’à ce moment-là, vous étiez d’avis que si c’est ce qu’il fallait faire, vous vouliez que l’industrie manipule les algorithmes pour parvenir à ces résultats particuliers. Je me demande pourquoi vous dites avoir été mal cité.

M. Scott : Cela reflète bien ce que j’ai dit. Ce que j’essaie d’expliquer, c’est que c’est un exemple très limité. Il existe de nombreuses façons de promouvoir la découvrabilité.

La sénatrice Miville-Dechêne : Certes.

M. Scott : Et l’utilisation des algorithmes en est un parmi d’autres. Au début de mon mandat, le CRTC a produit un rapport intitulé Emboîter le pas au changement : L’avenir de la distribution de la programmation au Canada, et nous avons insisté sur le fait qu’il faut recourir à diverses approches équitables, dynamiques et souples pour atteindre les objectifs de la loi.

Les acteurs de l’industrie ont recours aux algorithmes. Nous mettons l’accent sur les résultats. Ici, l’objectif est d’aider les Canadiens à découvrir du contenu. Les algorithmes sont une façon d’y parvenir. Comme je l’ai mentionné, il y a plusieurs autres façons de procéder. Nous encourageons effectivement les plateformes à utiliser tous les outils à leur disposition.

La sénatrice Miville-Dechêne : Y compris les algorithmes?

M. Scott : Si cela fonctionne pour elles, mais nous ne dirons pas : « Utilisez les algorithmes pour faire ceci ou cela. » À terme, nous voulons qu’elles nous montrent comment elles vont encourager la découvrabilité. Qu’elles nous montrent comment elles aideront les Canadiens à trouver du contenu. Les algorithmes sont un outil à la disposition des plateformes.

Si mes propos n’étaient pas clairs à l’époque, j’essaie maintenant d’être aussi clair et transparent que possible pour expliquer mon point de vue.

La sénatrice Miville-Dechêne : Prenons une situation hypothétique. Une plateforme doit produire des résultats. Vous vous attendez à des résultats. Disons que vous voulez des résultats sur le plan de la musique francophone sur une plateforme donnée et que celle-ci n’est pas en mesure de parvenir aux résultats attendus par le biais de recommandations visant à ce que tout demeure en l’état, c’est-à-dire statique.

À l’heure où l’on se parle, allez-vous dire à la plateforme : « Vous n’avez pas atteint vos résultats, alors prenez d’autres moyens », ce qui signifie jouer sur les algorithmes, « pour atteindre les résultats particuliers que demande le CRTC »?

M. Scott : Merci pour cet exemple. J’hésite toujours à répondre à des questions hypothétiques, mais je suis d’accord avec tout ce que vous avez dit jusqu’au moment où vous avez ajouté : « ce qui signifie jouer sur les algorithmes. » Je changerais cette partie pour dire plutôt : « Vous avez signalé que vous ne répondez pas à l’un des objectifs que nous avons fixés. »

C’est la même chose aujourd’hui avec les fournisseurs linéaires et traditionnels qui nous envoient des rapports nous indiquant s’ils respectent leurs conditions de licence ou leurs obligations. Dans la négative, nous cherchons une solution. Nous leur demandons : « Comment allez-vous y arriver? » Vous voulez savoir si nous allons les obliger à utiliser leurs algorithmes. Eh bien, je ne dirais pas que ce serait un résultat souhaité, ce ne serait certainement pas une démarche que j’adopterais. Je demanderais : « Maintenant, dites-moi, comment allez-vous atteindre cet objectif stratégique? Comment allez-vous vous acquitter de cette obligation? » et pas « vous allez faire ceci ou cela ».

De même, nous ne leur disons pas aujourd’hui de dépenser les contributions de Développement de contenu canadien pour privilégier tel ou tel type de musique. Nous versons plutôt de l’argent à un fonds de musique francophone et à un fonds de musique anglophone, et nous le répartissons pour aider à atteindre les résultats visés. Par exemple, si une partie n’atteint pas les objectifs, le conseil pourrait envisager de modifier le ratio.

J’ajouterai — et c’est peut-être là une façon de répondre à la question de la sénatrice Wallin — que toutes ces choses-là, si vous me permettez de vous le rappeler, ne se font pas en vase clos. Elles se font dans le cadre d’un processus d’audience publique où les parties viennent témoigner, présenter des observations et contribuer à l’élaboration d’un dossier public sur lequel nous fondons nos décisions. Nous ne prenons pas ces décisions en coulisses. Nous les rédigeons en fonction de délibérations publiques.

La sénatrice Miville-Dechêne : Quand vous dites « produire des résultats », cela revient-il à parler de quotas? Parce qu’il faut avoir des cibles. On sait qu’en France, par exemple, un quota de 30 % a été imposé à Netflix. Qu’en est-il de Spotify? Nous savons tous qu’il y a très peu d’écoute de musique francophone.

M. Scott : Il serait évidemment inapproprié de ma part de dire ce que le conseil pourrait décider à l’avenir. Je dirais — et je peux vous renvoyer encore une fois au rapport Emboîter le pas au changement — que le conseil cherchera des règles équitables.

Netflix ou YouTube sont des créatures différentes de Bell et de Québecor. Il s’agit d’un secteur d’activité différent. Ces plateformes fonctionnent différemment, pour revenir à ce que disait la sénatrice Wallin. Le simple fait de prendre l’ancien régime et de l’appliquer au nouveau serait dénué de sens. C’est pourquoi le conseil travaillera à l’élaboration d’un nouveau cadre qui soit équitable, ce qui ne veut pas dire du tout les mêmes outils.

Le sénateur Manning : Merci à nos témoins.

L’une des préoccupations que nous avons entendues ici est le manque de transparence et de reddition de comptes du CRTC. Voici ce qu’a déclaré Monica Auer, du Forum canadien de la recherche et des politiques en communications :

Quand on dit que le CRTC est transparent, c’est tout simplement faux. Il tient des audiences publiques sans témoins...

Chaque année, il publie des dizaines de décisions auxquelles vous n’avez pas accès...

Reconnaissez-vous qu’il s’agit là de graves préoccupations, surtout pour les petits acteurs du système de radiodiffusion, et qu’il en sera de même pour les créateurs numériques, surtout dans l’avenir? Deuxièmement, quels plans le CRTC a-t-il pour combler les lacunes que ces gens ont signalées? Avez-vous l’intention d’y remédier?

M. Scott : Je dois avouer que cette déclaration me laisse perplexe. Je vais demander à ma collaboratrice juriste le soin de vous en parler dans un instant.

Toutes nos délibérations sont publiques. Les seules choses qui sont traitées en confidentialité, que ce soit dans une instance de télécommunications ou de radiodiffusion, concernent principalement des questions commerciales et confidentielles. En vertu de la loi, les parties ont le droit de demander que certains renseignements soient traités sous le sceau de la confidentialité quand leur divulgation serait préjudiciable. Autrement, tout ce que nous décidons est du domaine public.

Je ne sais donc pas exactement de quoi il s’agit. S’il s’agit de nos réunions, nos délibérations sont privées, comme tout organisme quasi judiciaire ou judiciaire, mais les décisions ou les résultats de ces délibérations sont entièrement transparents et rendus publics. Franchement, je ne parviens pas à voir où il y a un manque de transparence.

Le président : Nous avons accueilli un certain nombre de producteurs de contenu indépendants qui n’ont pas la capacité juridique ou financière de Bell Média, de Rogers ou de Québecor — et je pourrais continuer — et qui n’ont pas l’impression d’avoir accès au système à titre individuel. Je pense que c’est ce à quoi le sénateur Manning fait allusion, et nous ne pouvons minimiser ce genre de propos parce que nous les avons entendus à maintes reprises au cours de nos délibérations.

M. Scott : Monsieur le président, je comprends. C’est une question distincte. La transparence et la capacité financière de participer ne sont pas la même question. Nous prenons des mesures. Un Fonds de participation à la radiodiffusion a été créé pour aider les groupes sans but lucratif ou d’intérêt public à participer aux délibérations sur la radiodiffusion. Ce projet de loi permettra d’assurer un soutien accru, semblable à celui qui est prévu dans la Loi sur les télécommunications.

Nous faisons également beaucoup de sensibilisation pour maximiser la capacité des Canadiens à participer, qu’il s’agisse de particuliers ou d’autres intervenants.

Nous nous efforçons donc d’agir dans ce sens. Il est vrai que tout le monde n’a pas les mêmes ressources, mais tout le monde a le même poids parce que, dans nos délibérations, nous tenons compte de tous les témoignages qui figurent dans le dossier public.

Le sénateur Manning : Je veux revenir sur la question des contenus produits par les utilisateurs. Vous et le ministre, ainsi que certains de mes collègues, avez déclaré que, même si le projet de loi C-11 donne au CRTC un pouvoir sur le contenu produit par les utilisateurs et laisse entendre qu’il en va de même dans la Loi sur la radiodiffusion, une telle chose n’arrivera jamais et que nous devrions tous faire confiance au CRTC ou aux pouvoirs prévus. Dans votre témoignage devant le comité de la Chambre, vous avez indiqué que, dans sa forme actuelle, le projet de loi permettrait d’agir à la demande, mais que le CRTC n’avait ni l’intention ni l’intérêt de le faire.

Pouvez-vous garantir que la prochaine personne qui occupera votre poste respectera ce que vous dites aujourd’hui? À votre connaissance, y a-t-il une disposition dans ce projet de loi qui nous protège contre ce genre de décision? Qu’est-ce qui empêche un futur président de le faire?

M. Scott : Je vous remercie de la question, sénateur. Je tiens à préciser que le président ne prend pas de décisions pour le conseil. Les 9 membres du conseil prennent des décisions en fonction des avis de nos 500 experts et conseillers juridiques. Donc, le président ne prend pas ces décisions seul. Je ne l’ai pas fait et mon successeur ne le fera pas non plus.

Nous avons dit — et vous l’avez précisément décrit — que nous ne sommes pas intéressés, en tant qu’organisme de réglementation, aux contenus individuels téléversés, parce que ce n’est pas ce sur quoi nous mettons l’accent. L’accent est mis sur la réglementation des entreprises de radiodiffusion. L’accent sera mis sur les plateformes.

Et puis, il y a des dispositions précises dans la loi dont ma collaboratrice, juriste de son état, pourra vous parler; ce sont des dispositions qui créent des conditions exceptionnelles. Je vais vous donner un exemple de leur raison d’être. Une plateforme comme Facebook peut être un simple intermédiaire pour la circulation de l’information et pour connecter les gens entre eux, ce qui est fort bien. Parfois, Facebook est aussi un radiodiffuseur, puisqu’il a déjà diffusé en direct sur sa plateforme des rencontres de baseball des Blue Jays. Quand il se lancera dans la radiodiffusion, il intéressera le CRTC.

La distinction que nous essayons d’établir, et que j’essaie de souligner, réside dans le fait que ce n’est pas la même chose que le contenu individuel affiché sur TikTok, YouTube ou n’importe quelle autre plateforme. C’est la plateforme que nous allons examiner, pas l’individu.

Nous pouvons parler des dispositions précises de la loi si cela peut être utile, mais je pense que vous avez bien compris.

La sénatrice Simons : Examinons autre chose. Des témoins nous ont fait part de leurs préoccupations au sujet du paragraphe 7(7) proposé, qui renvoie à un certain nombre d’autres articles de la loi et qui, essentiellement, conférerait au gouverneur en conseil de nouveaux pouvoirs extraordinaires qui ont toujours relevé du CRTC.

Ces témoins ont également mentionné l’article 34.995 proposé, qui permet au gouverneur en conseil de prendre des règlements en matière de sanctions administratives pécuniaires, ou SAP. On nous a dit qu’il serait plus conforme au rôle traditionnel du CRTC, celui d’organisme de réglementation indépendant, que nous supprimions le paragraphe 7(7) et modifiions l’article 34.995.

Je voulais savoir ce que le CRTC pense de la question du paragraphe 7(7) qui réduirait vos pouvoirs traditionnels et créerait une structure à deux volets avec possibilité d’appel.

M. Scott : Merci, sénatrice. Seriez-vous surprise ou choquée si, en tant qu’organisme de réglementation, je préférais avoir plus d’indépendance que moins d’indépendance? Et la réponse serait non, car nous préférerions que soit retenu le concept de pouvoir d’orientation stratégique, tel qu’il existe aujourd’hui dans la Loi sur la radiodiffusion.

Au bout du compte, ce n’est pas à nous, en tant qu’organisme de réglementation, de le déterminer. Le gouvernement propose un projet de loi et vous en déciderez avec vos collègues parlementaires.

C’est évidemment un changement et c’est un changement qui, pourrait-on dire, nous rapproche un peu plus du point d’équilibre et qui consiste à réduire l’indépendance du CRTC. Toutefois, c’est toujours une question d’équilibre. Les gouvernements et les ministres doivent rendre des comptes au Parlement. Le conseil est indépendant. Je suppose que vous pourrez demander jusqu’à quel point il l’est. En tant que patron d’un organisme de réglementation, je préfère être le plus indépendant possible.

La sénatrice Simons : Voici ma question. Dans nos échanges avec les gens du ministère, ceux-ci nous ont dit que le paragraphe 7(7) est nécessaire pour éviter d’éventuelles violations de l’Accord Canada—États-Unis—Mexique, l’ACEUM. Peut-être que Me Frenette pourrait nous expliquer pourquoi le ministère estime que ce paragraphe 7(7) est nécessaire pour des raisons liées à l’ACEUM. Pouvez-vous expliquer la différence entre les pouvoirs du gouverneur en conseil et ceux du CRTC?

M. Scott : Je ne suis pas sûr que nous puissions vous répondre tout de suite. Nous avons bien sûr compris que le ministère, dans le cadre de son processus d’élaboration législative, prend les mesures nécessaires pour, notamment, assurer la constitutionnalité du texte et couvrir toutes les questions commerciales possibles. Ce n’est pas notre rôle ni notre but et je ne peux pas vous dire pourquoi le ministère voit les choses ainsi.

La sénatrice Simons : Permettez-moi de vous poser la question suivante : si le paragraphe 7(7) était maintenu dans le projet de loi et si l’article 34.995 était maintenu aussi, quels pouvoirs le CRTC perdrait-il?

M. Scott : Ce n’est pas une question de perte de pouvoir. Comme je l’ai dit, cela fait avancer les choses. J’ai lu certaines transcriptions, mais pas tous les témoignages de ceux qui ont comparu devant vous, et l’on voit que les gens craignent que cela ne confère plus de latitude au gouvernement pour donner au conseil des directives particulières sur des questions précises, au lieu de ce qui était envisagé au départ, soit une orientation stratégique générale. Voici un exemple d’orientation générale : « Vous devez être détenu par des intérêts canadiens ou avoir un PDG canadien. » Disons que, si nous devions pousser plus loin pour traiter d’un cas particulier de propriété, nous serions moins à l’aise.

La sénatrice Simons : Cela permettrait à tout gouvernement futur de faire de la microgestion...

M. Scott : Je n’utiliserais pas ces mots.

La sénatrice Simons : Choisissez les vôtres.

M. Scott : Je l’ai fait. Je dirais qu’il y a un spectre...

La sénatrice Simons : En fait, c’est oui.

M. Scott : ... et cela fait avancer le point d’équilibre pour permettre au gouvernement d’avoir davantage son mot à dire ou d’entrer dans le détail, et je m’en tiendrai à cela, à moins que mes collaborateurs ne veuillent ajouter quelque chose.

La sénatrice Simons : Ce serait bien que vous puissiez fournir d’autres renseignements au comité.

M. Scott : Je serais heureux de le faire.

La sénatrice Simons : Même chose pour ce qui est des SAP en vertu de l’article 34.995; ce serait bien aussi.

Le président : En vérité, cela vient de la ministre du Patrimoine — et dans votre cas, vous avez également témoigné devant les deux chambres du Parlement. Dans les deux cas, il est ressorti clairement que ce projet de loi et l’ancienne Loi sur la radiodiffusion donnent au CRTC un pouvoir sur les contenus produits par des utilisateurs. On ne peut pas le nier. Vous avez cette capacité qu’il vous appartient d’exercer si vous le souhaitez. Toute personne qui le nierait manquerait d’honnêteté.

Dans la foulée de la déclaration qui a suivi à la Chambre — je fais suite à la question de mon collègue, le sénateur Manning — le député Bittle, et nous savons tous de qui il s’agit, a demandé s’il était arrivé au CRTC de réglementer le contenu réel plutôt que seulement la distribution. Vous lui avez fait répondre à la Chambre : « Nous ne dictons pas le contenu ni ce qui est diffusé ou regardé. » Cela ressemble à ce que vous avez déclaré ce soir, n’est-ce pas? Mais la vérité, c’est qu’à l’époque où vous avez témoigné, vous saviez — et nous le savons tous maintenant — que le CRTC avait bel et bien pris une décision concernant le contenu d’une émission de Radio-Canada dans laquelle une insulte raciale avait été prononcée. Le conseil a laissé cette décision en suspens pendant plusieurs mois, pendant que se déroulait le débat sur ce projet de loi. La question est donc très simple. Quand vous venez ici et que vous dites que vous n’avez pas de pouvoir sur le contenu, en réalité vous pouvez exercer un tel pouvoir sur le contenu dans le cas de la Société Radio-Canada, comme cela s’est produit après cette très célèbre insulte raciale que je ne veux pas reprendre ici. Nos concitoyens de partout au Québec se sont indignés et leurs critiques ont fusé au sujet de la censure.

Ma question est très simple : considérez-vous la décision que le CRTC a prise à l’égard de Radio-Canada, et de cette insulte raciale en particulier, comme un contrôle du contenu, ou avez-vous une autre définition? Pour moi, c’est un contrôle très serré du contenu, et c’est au cœur de ce qui me préoccupe beaucoup en ce qui concerne l’autorité et le pouvoir qui ont été exercés dans ce cas concret.

M. Scott : Merci, monsieur le président. Sauf votre respect, je ne suis pas d’accord avec vous. Je ne crois pas que cela nuise au contenu.

Au Canada, nous avons établi des codes de conduite pour le contenu, et c’est ce que j’appellerais un modèle de co-réglementation. Pour les radiodiffuseurs privés, c’est entre les mains du Conseil canadien des normes de la radiotélévision dont tous les radiodiffuseurs sont membres. Dès qu’un problème de contenu offensant ou douteux est soulevé, la question est soumise au CCNR qui rend une décision. Il ne contrôle pas — et nous non plus — ce qui est dit, mais se prononce sur le caractère approprié ou pas du contenu et sur le respect ou pas des codes.

La SRC et la CBC ne sont pas membres du CCNR. Les deux organismes ont des ombudsmans internes, un pour la Société Radio-Canada et un pour la CBC, donc en langue anglaise. En fin de compte, dans les deux cas, les questions peuvent monter d’un cran — pourrait-on dire — jusqu’au CRTC qui est appelé à trancher si le plaignant n’est pas satisfait. Dans ce cas — et je ne m’étendrai guère plus sur le sujet ensuite parce que, comme vous le savez, l’affaire fait actuellement l’objet d’un appel devant la Cour d’appel fédérale, et nous n’allons donc pas en parler davantage —, la décision se passe de commentaires. La question de savoir si nous avons outrepassé notre compétence est devant les tribunaux, mais la compétence du conseil touche à l’application des normes, et non au contenu lui-même. Nous ne disons pas ce qui peut ou ne peut pas être diffusé, mais si nous recevons une plainte d’un particulier — et nous utiliserons un autre exemple en lien avec une expression raciale différente — et que celle-ci soit portée à notre attention, nous la prendrons en délibéré, comme nous l’avons fait, et nous rendrons une décision. Cela se passe de commentaires.

Le président : Cela se passe de commentaires... Eh bien, permettez-moi de dire, monsieur le président, que dans ce cas-ci, le CRTC a réglementé le contenu, et c’est pourquoi l’affaire est devant les tribunaux. C’est pourquoi il y a litige. Bien sûr...

M. Scott : Si vous me permettez à mon tour, c’est là votre interprétation.

Le président : C’est mon interprétation, mais, comme je l’ai dit, beaucoup de gens, surtout dans ma province, sont de cet avis. C’est la raison pour laquelle nous sommes dans ce bourbier et qu’il y a eu remise en question des risques associés au projet de loi C-11.

Je vais enchaîner sur une autre question...

M. Scott : Si vous me permettez, monsieur le président, je rappellerai que le plaignant venait également du Québec.

Le président : Effectivement. Et là encore, vous avez pris une décision au sujet du contenu, ce que je ne conçois pas. Dans ce cas aussi, il reviendra à un tribunal de trancher, ce qui vient confirmer que vous disposez bien de ce pouvoir. Je ne dis pas que vous avez fait quelque chose de mal. Tout ce que je dis, c’est que vous avez le pouvoir, en vertu du projet de loi C-11, comme vous l’aviez déjà en vertu de la Loi sur la radiodiffusion. C’est tout ce que j’ai dit. C’est pourquoi le CRTC est l’organisme puissant qu’il est. En tant que législateurs, nous vous avons donné ce pouvoir. Je ne remets pas en question ce que vous avez fait. Vous avez exercé ce pouvoir de réglementer le contenu. Ce dont je veux parler ici, c’est avant d’en arriver là; je ne crois pas que ce pouvoir devrait être accordé de façon frivole. Mon temps de parole est écoulé. Je vais donc m’inscrire à la deuxième série de questions, puis je céderai la parole au sénateur Quinn.

Le sénateur Quinn : Merci de votre présence ce soir. Je commencerai par dire que j’apprécie vraiment la description sincère et claire de la situation que vous avez faite. Nous avons entendu toute une série de témoins qui nous ont dit craindre que certaines parties du projet de loi ne soient pas claires. Vous avez parlé d’un domaine où la clarté est nécessaire ou au sujet duquel vous souhaiteriez un amendement. Des témoins nous ont proposé des amendements complets pour clarifier le projet de loi.

Par exemple, vous n’avez pas l’intention de réglementer le contenu produit par les utilisateurs, mais ce n’est pas clair dans le projet de loi pour les gens qui ont comparu devant nous. Êtes-vous d’accord pour dire qu’il y a des aspects qui manquent de clarté et qui doivent être modifiés pour que les choses soient bien claires pour la population concernée, c’est-à-dire pour pratiquement tous les Canadiens?

M. Scott : Je vais choisir mes mots avec soin, comme je devrais toujours le faire.f En tant que patron d’un organisme de réglementation, je suis bien sûr d’accord pour dire que des modifications devraient être apportées. J’en ai relevé plusieurs que le conseil aimerait voir, mais je reviens au fait que nous ne rédigeons pas le projet de loi et que je n’essaie pas de le défendre. C’est le travail du ministre et du ministère. J’essaie, du mieux que je peux, avec mes collègues, de vous aider à comprendre comment nous interprétons le projet de loi et comment nous agirons à l’avenir, sans que cela ne lie, évidemment, un futur conseil. C’est ce que j’essaie de faire.

Pourrait-on supprimer cela? Bien sûr que oui, mais il y a de nombreux autres amendements à considérer, ce qui pourrait créer d’autres problèmes. Je suppose que l’intention du gouvernement était de régler le genre de cas que j’ai cité. Il faut absolument préciser que Facebook est exclu du raisonnement, mais que se passera-t-il quand Facebook se mettra à diffuser? C’est le dilemme et c’est à vous, en tant que législateurs, de décider de ce que devra être le contenu final, pas à moi.

Le sénateur Quinn : Aidez-moi. J’essaie simplement de voir ce dont il retourne au juste.

M. Scott : J’essaie.

Le sénateur Quinn : J’apprécie votre réponse. Seriez-vous d’accord pour dire que toute mesure législative devrait être claire afin que les intervenants concernés puissent savoir clairement comment procéder?

M. Scott : Oui.

Le sénateur Quinn : Merci. L’autre chose que j’essaie de comprendre, c’est la relation entre les directives stratégiques, les règlements et le projet de loi et toutes ces choses-là. Le comité a beaucoup discuté du fait que nous n’avons pas vu l’orientation politique ni le reste. Quand le projet de loi deviendra loi, je suppose que s’il y a des amendements, l’orientation de la politique sera modifiée. Le ministère vous a-t-il parlé, vous a-t-il consulté au sujet de l’orientation stratégique et de ce dont il pourrait s’agir?

M. Scott : Je n’ai pas vu le projet d’orientation stratégique. Vous savez qu’il y a une disposition dans l’actuelle Loi sur la radiodiffusion qui exige que nous soyons consultés au sujet de toute directive proposée et mise en place, et celle-ci est évidemment soumise à la décision du Parlement. Au sein de la fonction publique, il y a toujours des fonctionnaires, des consultations sur les dispositions et les éléments juridiques, mais pour dire les choses clairement, aucun projet d’orientation politique ne m’a été présenté ni n’a été soumis à mes collègues commissaires. Les décideurs que nous sommes n’ont donc rien vu.

Le sénateur Quinn : Les fonctionnaires ont probablement participé à l’orientation des politiques.

M. Scott : Comme cela doit se faire.

Le sénateur Quinn : Je m’adresse à votre représentante juridique. Je suppose que c’est effectivement le cas?

M. Scott : C’est la façon normale de procéder.

Le sénateur Quinn : Voilà qui aide. L’autre aspect, c’est que nous avons entendu beaucoup de gens dire que le CRTC est une excellente organisation en qui nous avons une confiance absolue.

M. Scott : Merci.

Le sénateur Quinn : Et nous avons entendu d’autres témoins dire tout à fait le contraire.

M. Scott : Ils ont tort, je tiens à le préciser.

Le sénateur Quinn : Et puis, il y a l’entre-deux, le groupe de ceux qui disent : « Nous ne sommes pas certains, nous avons des doutes, notre cœur balance. » Vous avez fait allusion à un système de freins et de contrepoids. Serait-il utile d’avoir un tel système suivant lequel, à mesure de la présentation et de la publication des règlements dans la Gazette, avant leur promulgation, ceux-ci reviendraient devant les comités du Parlement, non pas pour y être approuvés ou rejetés, mais pour s’assurer qu’ils sont conformes à la loi et aux directives stratégiques que nous devrions pouvoir consulter à ce moment-là?

M. Scott : Certes, et ma conseillère juridique pourrait peut-être ajouter quelque chose. Je dirais qu’il faut considérer de nombreux éléments, mais pour répondre à la première partie de votre question, il s’agit d’une organisation formidable. Chaque jour, chaque mois, chaque année, elle traite de certaines des questions les plus difficiles et les plus publiques qui soient. Il n’est donc pas surprenant que vous receviez un large éventail de commentaires, mais je ne peux terminer mon intervention sans dire que nous parlons d’une organisation extrêmement travaillante et sincère qui s’efforce toujours de prendre des décisions équilibrées dans l’intérêt public. Ne voyez pas dans ce que j’en dis une annonce publicitaire, mais plutôt un plaidoyer passionné.

Rachelle Frenette, avocate générale et sous-directrice exécutive, Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes : Je crois que le sénateur Quinn a posé une question précise au sujet de notre pouvoir de réglementation. En vertu de la loi, le conseil est tenu de publier tous ses projets de règlement. Il s’agit de règlements pris de concert avec nos collègues du ministère de la Justice, sous réserve des commentaires du public, qui sont ensuite rédigés et publiés. Ces règlements peuvent également être étudiés par certains comités permanents d’examen de la réglementation, de sorte qu’il existe à cet égard un certain nombre de freins et de contrepoids.

[Français]

Le sénateur Cormier : Bonsoir et bienvenue, monsieur Scott. En tout respect, vous comprendrez que je n’adhère pas à votre position sur l’article 5.2 du projet de loi. Il est principalement question ici du concept d’égalité réelle et de protection des minorités francophones et anglophones du Canada, principe reconnu par le droit constitutionnel qui s’élève au-dessus de toute autre loi.

Nous avons entendu devant ce comité bon nombre d’intervenants qui ont témoigné de l’importance de conserver le paragraphe 5.2(2). En faisant référence à des enjeux du passé, plusieurs d’entre eux ont exposé concrètement à quel point des consultations menées en vertu du paragraphe 5.2(2) auraient fait une différence.

Ma question ne concerne pas l’article 5.2. J’aimerais beaucoup vous entendre sur les alinéas 3(1)f) et 3(1)f.1), qui touchent la distinction qui est créée sur le plan des exigences entre les entreprises canadiennes et les entreprises en ligne étrangères quant à l’utilisation des ressources canadiennes et à la contribution à la programmation canadienne. Ces deux dispositions créent une distinction en ce qui a trait à la nature de l’utilisation et de la contribution.

Est-ce que, à votre avis, cette distinction est cohérente avec l’objectif du projet de loi, qui est d’établir une forme d’équité entre les entreprises canadiennes et les entreprises en ligne étrangères?

De plus, par rapport à cette question et à ce constat, lorsque vous devrez déterminer les conditions de service des entreprises de radiodiffusion ou réviser la définition de ce que sont des émissions canadiennes, est-ce que je me trompe ou ces articles envoient un signal selon lequel le critère d’utilisation des ressources canadiennes pourrait être moindre pour les entreprises en ligne que pour les entreprises canadiennes, étant donné que la terminologie utilisée dans l’une et l’autre des dispositions fait une distinction à cet égard? Quels sont, à votre avis, les défis liés au fait d’avoir deux types d’exigences pour ces deux types d’entreprises?

M. Scott : C’est une très vaste question. C’est une question d’équilibre entre les objectifs. C’est toujours un défi pour nous et c’est un élément important de notre travail.

Le sénateur Cormier : Ma question est très claire, monsieur Scott. Pourquoi devrait-on faire une distinction par rapport aux exigences en matière d’embauche de ressources humaines et de contribution au contenu canadien? Pourquoi devrait-on — et c’est ce que propose de faire le projet de loi — faire une distinction entre les entreprises canadiennes et les entreprises en ligne étrangères? Pourquoi devrait-on faire cette distinction?

Scott Shortliffe, directeur exécutif, Radiodiffusion, Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes : Comme M. Scott l’a mentionné, ce n’est pas notre projet de loi. Je comprends votre point de vue concernant les entreprises étrangères. Il y a différents modèles d’affaires. La question n’est pas d’avoir des critères, mais d’avoir des critères parallèles et semblables. Cela pourrait indiquer que, pour certaines entreprises canadiennes, il est bon d’avoir des quotas pour la radio, par exemple. Cela peut bien fonctionner pour certaines entreprises et ne pas fonctionner pour d’autres, car la nature de leur modèle d’affaires est très différente.

Si je comprends bien, l’intention du projet de loi est de donner de la flexibilité au CRTC pour déterminer si c’est exactement pareil ou s’il est possible d’avoir des mesures différentes qui atteignent les mêmes résultats. C’est ma compréhension du langage particulier qui est employé.

Le sénateur Cormier : Donc, que l’on fasse une distinction entre les deux ou que l’on inclue les mêmes critères, vous devrez quand même faire une évaluation en fonction du type de service.

Pour être clair, je ne comprends pas pourquoi on a fait une distinction entre ces deux catégories. Je me demande aussi quel impact cela aura sur le CRTC quand il devra faire une évaluation de ce type d’entreprise en matière de contribution au contenu canadien.

[Traduction]

M. Scott : Je pourrais peut-être rajouter rapidement — en ce qui me concerne du moins —, qu’il s’agit, comme M. Shortliffe l’a dit, de déterminer des règles équitables. On parle de secteurs d’activité différents qui ont des modèles d’affaires différents, et il n’est peut-être pas approprié d’utiliser les mêmes outils. Cette question sera soulevée dans un certain nombre de secteurs. Donc, en ce qui me concerne du moins, et tout comme M. Shortliffe, je crois comprendre que l’intention est de nous indiquer l’orientation générale de la politique, mais en nous donnant la souplesse nécessaire pour l’appliquer de différentes façons à différentes parties prenantes.

Au bout du compte, je ne sais pas s’il se fera, par exemple, une distinction entre la façon dont nous traitons une plateforme numérique canadienne et une plateforme numérique étrangère. Il se peut que nous traitions une plateforme linéaire différemment d’une plateforme numérique, mais dans tous les cas, ce sera le résultat de processus publics et le traitement sera équitable.

[Français]

Le sénateur Cormier : Monsieur Scott, j’aimerais vous entendre sur les audiences publiques. Malheureusement, le projet de loi C-11 n’étend pas le processus des audiences publiques aux ordonnances prises en vertu des articles 9.1 et 11.1...

Le président : Je suis désolé, sénateur Cormier, mais votre temps de parole est écoulé. Les questions et les réponses sont profondes. Cependant, je vais vous inscrire pour la deuxième ronde.

[Traduction]

Le sénateur Klyne : Merci, monsieur le président. Je vais moi aussi m’inscrire au deuxième tour.

Monsieur Scott, vous aviez indiqué la dernière fois que 900 $ ont été injectés sur le marché grâce à ce projet de loi. J’ai deux questions à ce sujet. S’il s’agit d’argent frais provenant de la consommation de services de diffusion en ligne, est-ce que ce sera sur le dos des auditoires ou des abonnés? Ce que je crains, c’est que les actionnaires des services de diffusion en ligne ne renonceront pas à cet argent. Quant à ma seconde question, la voici : Où ces nouveaux revenus aboutiront-ils et serviront-ils à la production et à la distribution d’un contenu canadien de qualité ou amélioré ou à la promotion d’un bon contenu canadien?

M. Scott : Très bonnes questions. Je suppose que vous voulez dire 900 millions de dollars. Je crois que ce chiffre vient du ministre. Si je l’ai indiqué, c’est que je reprenais un chiffre venant d’une autre source.

Le sénateur Klyne : Y aura-t-il des revenus supplémentaires?

M. Scott : Tout à fait. Nous nous y attendons.

Le sénateur Klyne : D’où viendra cet argent et comment sera-t-il redistribué?

M. Scott : La façon dont il sera traité fera certainement l’objet d’une des premières audiences publiques du conseil. À l’étape de l’élaboration du projet de loi, nous avons cherché à définir les questions fondamentales auxquelles il faudra répondre à l’avenir, advenant que ce projet de loi soit adopté. Ce sera l’un des éléments primordiaux. Premièrement, quel est l’accord de contribution, de combien parlera-t-on et comment sera-t-il mis en œuvre? Ce sont des délibérations très importantes qui auront lieu devant le conseil.

Le sénateur Klyne : Pensez-vous que le projet de loi devrait prévoir des politiques et des règlements à cet égard?

M. Scott : Je ne le pense pas.

Le sénateur Klyne : Une autre question?

M. Scott : Puis-je répondre rapidement à celle-ci?

Le sénateur Klyne : Allez-y, bien sûr.

M. Scott : La dernière modification de la loi remonte à 30 ans. Il n’est pas facile de modifier une loi structurelle, outre que nous sommes un organisme de réglementation expert qui comprend les tenants et les aboutissants et qui peut recueillir des preuves et rendre des décisions qui changeront de temps à autre.

Le sénateur Klyne : Bon. Je vous poserai ensuite une question d’expert, non pas que je sois l’expert, mais je m’attends à une réponse d’expert.

M. Scott : J’ai des experts avec moi, alors ça va.

Le sénateur Klyne : Vous avez tout ce qu’il faut avec vous. Si le projet de loi est adopté, il garantira que les services de diffusion en continu en ligne mettront en valeur la musique et les récits canadiens et soutiendront les créateurs et les producteurs canadiens. Il rendra plus accessibles aux Canadiens les programmes des artistes de talent dans les deux langues officielles. J’ai entendu dire que ce projet de loi devait rendre le contenu canadien repérable, ce qui ne signifie pas que le contenu canadien sera recherché. Quel objectif le CRTC entend-il poursuivre? Veut-il insister sur la découvrabilité ou sur la recherchabilité?

M. Scott : Je vais vous répondre de façon très générale. S’agissant de l’objet de la Loi sur la radiodiffusion ou de ce projet de loi, j’aime à dire que notre objectif consiste à veiller à ce que les récits canadiens soient racontés dans les deux langues officielles, qu’ils soient de plus en plus représentatifs des communautés autochtones et racialisées et qu’ils soient distribués, produits et découvrables. La popularité ne relève pas de nous.

Le sénateur Klyne : Avez-vous une stratégie et une façon de la mettre en œuvre?

M. Scott : Oui, mais ce sera le thème de futures audiences du CRTC où nous tiendrons compte des propos de tous les témoins bien intentionnés et bien informés que vous avez entendus; ils viendront nous présenter leurs arguments et les ajouter au compte rendu. Ensuite, nous élaborerons ce cadre, et j’ai hâte que le conseil entreprenne ce travail.

Le sénateur Klyne : Merci beaucoup. Et je n’ai pas besoin d’un deuxième tour.

M. Scott : Merci, sénateur.

La sénatrice Dasko : Merci pour votre présence. Juste un mot sur les algorithmes — j’adore ce thème — pour dire que j’ai reçu des milliers de lettres citant ce que vous aviez dit au sujet des algorithmes, en juin.

M. Scott : Nous verrons si des milliers de personnes comprennent ma tentative de clarification aujourd’hui.

La sénatrice Dasko : En fait, il y en a effectivement eu des milliers. Cependant, mes questions portent sur d’autres sujets. J’aimerais revenir sur les commentaires de la sénatrice Simons au sujet du paragraphe 7(7) et de l’article 34.995 proposés, qui, de façon très alambiquée — il est difficile pour bon nombre d’entre nous de comprendre ce dont il retourne — confèrent au gouverneur en conseil tous ces pouvoirs qui semblent priver le CRTC d’une partie de son indépendance. Vous en avez discuté plus tôt avec la sénatrice Simons.

Vous avez proposé des amendements pour d’autres aspects. Aimeriez-vous nous envoyer un texte d’amendement qui, selon vous, établirait la relation appropriée entre un organisme de réglementation et un gouvernement?

M. Scott : Voilà qui est un test d’aptitude, un défi en soi.

Eh bien, je m’engage à vous fournir une réponse. Cependant, et vous voudrez bien m’en excuser, je vous remettrai aussi un court document sur le thème des communautés de langue officielle en situation minoritaire et sur notre inquiétude par rapport à la façon dont la disposition actuelle a été rédigée et sur l’examen après sept ans. Donc, si vous le voulez bien, je me ferai un plaisir de vous fournir un bref document.

La sénatrice Dasko : Merci beaucoup, surtout en ce qui concerne le paragraphe 7(7).

M. Scott : Nous serons heureux d’essayer de contribuer, mais je tiens à répéter qu’il revient au ministre et au ministère de présenter des projets de loi et qu’il vous appartient, à vous, de décider de ce qui doit figurer dans la loi. En notre qualité de fonctionnaires travaillant pour un organisme de réglementation, nous nous efforçons de faire des suggestions pour améliorer l’efficacité des processus.

La sénatrice Dasko : Merci pour vos propos.

Ma seconde question maintenant. Le conseil a le pouvoir de régler les différends entre les entreprises de distribution et les services de programmation; cependant, le projet de loi n’inclut pas les entreprises en ligne dans ce mode de fonctionnement. J’aimerais que vous nous précisiez votre point de vue à ce sujet — je crois que vous en avez parlé brièvement lors de votre dernier passage ici — ainsi que sur la nécessité ou l’importance d’ajouter quelque chose au projet de loi. Vous pourriez peut-être nous expliquer un peu comment ce mécanisme a fonctionné dans le passé. Dites-nous ce qui déclenche la médiation et la négociation entre les intervenants et les programmeurs.

M. Scott : Je vais commencer, et il se trouve que je suis accompagné du responsable de la radiodiffusion, de la personne responsable de la médiation et de l’arbitrage et de ma conseillère juridique principale. Je suis donc bien encadré.

Nous appliquons aussi ce mécanisme dans les télécommunications, mais pour nous en tenir à la radiodiffusion, je dirais que nous l’utilisons le plus souvent dans le cas des différends entre les distributeurs de services et les services eux-mêmes. Supposons, par exemple, que OUTtv, un indépendant, veuille conclure une entente avec un distributeur, Rogers ou Bell ou qui que ce soit d’autre. Le cas échéant, je dirais que la négociation commerciale doit primer et le conseil la considère d’ailleurs comme telle. Nous espérons et nous croyons que c’est ainsi que les choses se règlent. Quand tel n’est pas le cas, nous faisons de la médiation. Si la médiation échoue, les parties peuvent demander l’arbitrage, et nous avons recours à l’arbitrage final comme au baseball. La loi maintient notre capacité à agir de la sorte en ce qui concerne les entreprises autorisées. Il est question d’obliger les plateformes à engager des négociations constructives, mais nous n’avons pas la capacité de les obliger à recourir à l’arbitrage, comme nous le faisons pour les radiodiffuseurs linéaires. Pourquoi? Vous devriez poser la question au ministre. Nous, nous préférerions que ce soit la même chose.

La sénatrice Dasko : J’ai 35 secondes...

M. Scott : Je vais devoir parler plus rapidement.

La sénatrice Dasko : L’autre chambre a ajouté une disposition qui permet aux radiodiffuseurs communautaires de s’occuper de lutter contre la désinformation. Cela touche le contenu. Qu’en pensez-vous?

M. Scott : Je crois comprendre que le gouvernement a l’intention de présenter une sorte de mesure législative triple dont le troisième élément concerne les méfaits en ligne. Il sera ainsi possible de contrôler l’âge des usagers dans le cas des services aux adultes et d’autres contenus nuisibles ou illégaux en ligne. C’est ainsi que je m’attends à ce que le problème soit réglé. Je ne suis au courant d’aucune disposition du projet de loi qui viserait la désinformation.

La sénatrice Dasko : Il en a été question au terme d’une longue nuit à l’autre endroit.

Le président : Nous allons vraiment parler du contrôle du contenu.

Le sénateur Tannas : J’ai deux questions. La première fait suite à l’échange que vous avez eu avec le sénateur Klyne.

Compte tenu de la façon moderne dont les Canadiens consomment les programmes de divertissement sur les plateformes internationales, nous sommes désormais en présence de gens hors Canada qui consomment de la musique et de l’art canadiens et de Canadiens dont on attend qu’ils consomment de la musique et de l’art canadiens ainsi que des émissions de cuisine canadiennes, la cuisine étant prise en tant qu’art, en quantité suffisante.

Je crois vous avoir entendu dire quelque chose que je vous demanderai de répéter. Quelle priorité accordez-vous à ces deux résultats? Est-ce que les premiers consommateurs, soit les non-résidents du Canada, ne sont pas pertinents dans l’esprit du CRTC? Où se situe la priorité en ce qui concerne le développement de la musique et des artistes canadiens pour le plaisir de tout le monde, par rapport à la cuisine canadienne et à l’obligation que ces produits soient consommés par les Canadiens dans une certaine quantité? C’est la première chose.

M. Scott : Merci. Je vais essayer d’être bref, mais c’est une question très vaste. Avec tout le respect que je vous dois, je ne suis pas tout à fait d’accord avec l’idée d’obliger les Canadiens à consommer ce genre de menu, par rapport à la nécessité que ce menu soit proposé et rendu accessible. Selon moi, c’est à cela que correspond notre rôle, et c’est ainsi que je perçois la découvrabilité qui ne revient pas à dire : « Regardez ce qu’on vous offre », mais plutôt, « vous avez la possibilité de trouver ce que vous recherchez ».

Le sénateur Tannas : Donc, l’abondance de la consommation des émissions ne sera jamais un résultat qui vous permettra de juger une plateforme?

M. Scott : Ce ne devrait pas être le cas. Je ne suis pas tout à fait à l’aise avec l’idée de préciser une application « par plateforme ». Nous appliquerons universellement des règles équitables. Vous avez tout à fait raison au sujet de l’autre partie. Vous avez commencé par dire qu’il existe une pléthore de contenus internationaux et nationaux qui sont actuellement proposés aux Canadiens dans plusieurs langues, et qui proviennent de multiples cultures. C’est fantastique. Dans le cas des plateformes qui travaillent au Canada, nous cherchons à voir en quoi elles contribuent à l’atteinte des autres objectifs de la politique sociale, c’est-à-dire au fait de veiller à ce que les récits canadiens soient racontés et puissent être trouvés en ligne.

Le sénateur Tannas : C’est de là que vient l’argent.

M. Scott : C’est de là que vient l’argent, et c’est de cela que découlera le cadre réglementaire. Soit dit en passant, le ciel s’éclaircit quand on songe aux exportations. La multiplicité des plateformes a un bon côté, en ce sens qu’il existe de nombreuses émissions canadiennes de qualité et qu’il est possible de les trouver non seulement au Canada, mais partout dans le monde, ce qui comprend le contenu de créateurs numériques.

Le sénateur Tannas : Merci. Ma seconde question est la suivante. Nous entendons beaucoup parler de la rapidité avec laquelle les décisions sont prises et du fait qu’elles sont désormais radicalement différentes de ce qu’elles étaient. Dans le domaine traditionnel de la radiodiffusion, il arrive qu’il faille attendre des mois, sans répercussions négatives, mais comme nous le voyons bien, les mois d’attente sont une éternité dans nombre de ces nouveaux écosystèmes. Une telle période de plusieurs mois, voire de plusieurs années est ruineuse et elle peut même sonner le glas de certains projets.

Disposez-vous de tous les outils nécessaires pour élaborer un tout nouveau processus devant permettre de traiter avec ces services et entités?

M. Scott : Oui. C’est bien vu. Ce que vous dites concerne davantage les télécommunications que la radiodiffusion, parce qu’il est souvent question de comptabilité détaillée des coûts et que l’attente peut s’éterniser. Dans un modèle quasi judiciaire — et je ne sais pas combien de fois je l’ai répété aujourd’hui —, nous cernons les problèmes, élaborons un dossier public, invitons tout le monde à participer, puis nous analysons les résultats et rendons une décision. Cela prend du temps. Si nous n’appliquions pas un modèle quasi judiciaire, nous pourrions fonctionner différemment et simplement faire une recherche, ce qui serait plus rapide. Serait-ce représentatif? Entendrions-nous tous les partis? Atteindrions-nous ce riche bilan? Je ne le crois pas. Je pense que c’est un mal nécessaire qui va de pair avec un processus quasi judiciaire reposant sur la preuve et la participation du public.

Cela dit, nous pourrions effectivement faire mieux. Encore une fois, je vais revenir sur la façon de tirer parti du changement. Comme nous le disons, l’accord doit prévoir une certaine souplesse et de nouveaux outils de réglementation. Nous devons réglementer de façon plus efficace. Il nous appartiendra de le faire. Nous devons utiliser la technologie, ce que nous essayons de faire. Par exemple, dans l’industrie de la radio et de la musique, nous travaillons à un projet de codification plus efficace de la musique, projet auxquel participent l’industrie et les musiciens. Nous devons trouver de meilleurs moyens et faire mieux en tant qu’organisme de réglementation, en ne réglementant pas ce que nous n’avons pas besoin de réglementer.

Le sénateur Tannas : Seriez-vous d’accord pour dire qu’il est important de s’appuyer sur des paramètres très clairs à partir desquels vous pourriez nous faire rapport, pour montrer que vous agissez avec la célérité nécessaire dans les domaines où la rapidité est essentielle au maintien de l’écosystème en vie?

M. Scott : Je vais vous répondre en deux temps. J’ai eu un patron, un PDG, qui m’a inculqué une chose que je n’oublierai jamais : « Seul ce qui se mesure est faisable. » Je sais et comprends parfaitement cela, mais j’exprimerai une réserve : j’ai entendu à maintes reprises des propositions voulant, par exemple, que le conseil rende ses décisions en X jours ou X mois, et nous y avons beaucoup réfléchi. Une telle solution ne fonctionnerait tout simplement pas parce qu’elle ne tient pas compte de la complexité des enjeux, des parties concurrentes en présence et de l’équité procédurale. C’est moins facile qu’il y paraît.

Le sénateur Tannas : Je comprends, mais cela ne répond pas non plus aux exigences.

M. Scott : Certes.

Le président : Monsieur Scott, si vous aviez entendu tous les témoins que nous avons accueillis au comité, il vous faudrait beaucoup de temps pour dégager une position consensuelle. Ce fut notre défi.

M. Scott : Voilà où je veux en venir. Tous ces témoins ont des opinions légitimes, et nous devons les entendre et rendre une décision.

Le président : C’est un défi. Je suis d’accord.

La sénatrice Wallin : Revenons au point de départ...

M. Scott : Dois-je agiter le drapeau blanc, sénatrice?

La sénatrice Wallin : Effectivement. Je veux des précisions. Vous ne comptez pas manipuler les algorithmes, mais vous obligerez les plateformes à le faire; c’est ce qu’a dit M. Scott. Je suis d’accord, et vous avez raison. Comment les entreprises de médias sociaux pourront-elles appliquer les règles de découvrabilité sans recourir à des algorithmes? C’est sur cette base qu’elles font des affaires. C’est leur nature. Il y a une quantité presque illimitée de contenu disponible dans le monde comme nous l’avons dit, et les algorithmes sont les seuls outils dont ces entreprises disposent pour vraiment répondre à n’importe quelle exigence, qu’il s’agisse de donner plus de place au contenu canadien, à la musique française ou à la danse des tourneurs en rond. C’est la façon dont ces entreprises fonctionnent.

M. Scott : Mais ce n’est pas le seul outil dont elles disposent, et c’est ce que j’ai...

La sénatrice Wallin : Comment pourraient-elles s’y prendre autrement?

M. Scott : La promotion, la publicité, le soutien des créateurs en matière de production de contenu... il existe toutes sortes de façons. L’emploi d’algorithmes n’est qu’une de ces solutions. Je ne suis pas du tout d’accord avec vous parce que...

La sénatrice Wallin : La publicité ne permet pas d’atteindre cet objectif.

M. Scott : Mais si. Elle sert de nos jours. Les entreprises ont recours aux bobines promotionnelles. Elles utilisent du temps publicitaire. Elles pourraient installer des panneaux d’affichage, s’il y en a encore.

J’accepte ce que vous dites, à savoir qu’il y a des entreprises dont les activités ne sont pas vraiment transactionnelles, mais qui sont établies de manière à proposer du contenu. Encore une fois, les algorithmes servent à suggérer. Je ne vous parle pas de choses qui ne se font pas déjà. Qui fréquente les Pickit, Crave et Netflix de ce monde? Tiens donc, la sénatrice Wallin. Et qu’est-ce qui l’intéresse? Les nouvelles.

La sénatrice Wallin : Exact.

M. Scott : Elle doit aussi aimer les documentaires, alors, offrons-lui des documentaires, et des documentaires canadiens.

La sénatrice Wallin : C’est ce que je veux dire; c’est le mécanisme par lequel ces entreprises fonctionnent.

M. Scott : C’est très bien, elles le font déjà et je m’attends à ce qu’elles continuent à le faire. On peut aussi parler de ce que YouTube fait à Toronto avec son studio pour créateurs axés sur le numérique en vue de les aider à produire du contenu canadien. C’est important. Cela ira dans le sens de la découvrabilité.

La sénatrice Wallin : Non, cela aide à déterminer la quantité de matériel disponible. Ce n’est pas de la découvrabilité.

M. Scott : La quantité fait partie du processus. S’il n’y a qu’un seul documentaire canadien, ce sera beaucoup plus problématique.

La sénatrice Wallin : Puis-je poser une autre petite question? Nous avons entendu beaucoup de choses ce soir. Je sais que vous vous exprimez en tant que président du CRTC et pas au nom du gouvernement, mais vous nous avez assurés à maintes reprises, ici, ce soir, que les délibérations, le débat, seront publics. Qu’il y aura des audiences et que cela sera débattu.

Or, j’estime que cela nous ramène à ce que disait la sénatrice Simons, à savoir que le transfert de pouvoir du CRTC au Cabinet ou la capacité du Cabinet à diriger vos actions sera tel que bon nombre de ces aspects ne feront pas l’objet d’audiences publiques ou d’appels. Le Cabinet n’interjettera pas appel d’une décision du Cabinet. Ce n’est pas ainsi que les choses fonctionnent.

M. Scott : Permettez-mois de vous dire que ce n’est pas exact, sénatrice.

La sénatrice Wallin : Comment interjetteriez-vous appel si le Cabinet...

M. Scott : Nous ne prenons pas de décision. Nous ne l’avons jamais fait et ne le ferons jamais. La ligne est très nette. Je n’ai jamais discuté avec un ministre ou qui que ce soit d’autre d’une question dont nous étions saisis, et je ne le ferai jamais.

La sénatrice Wallin : Mais ce projet de loi se trouve à transférer un pouvoir au Cabinet, ce qui est nouveau.

M. Scott : Il ajoute un pouvoir d’orientation générale qui n’a rien à voir avec les décisions spécifiques du conseil. Nous sommes indépendants, nous agissons sans lien de dépendance.

La sénatrice Wallin : Comment pourriez-vous en appeler d’une décision du CRTC qui aura été ordonnée par le Cabinet selon le cadre en place? Le Cabinet a exprimé le souhait que les choses se passent ainsi et vous avez fait en sorte que tel soit le cas. Supposons qu’un membre du public, un créateur ou un consommateur, dise : « Je n’aime pas cela. Je veux en appeler de cette décision. » Vous vous trouveriez alors à devoir faire appel d’une décision du Cabinet. Que ce soit directement ou indirectement, c’est ainsi que cela fonctionnerait.

M. Scott : Je ne suis pas certain de comprendre, car aujourd’hui, nous pouvons rendre une décision selon deux cas de figure. Nous pouvons rendre une décision et le Cabinet peut nous la renvoyer par décret pour réexamen et, selon les circonstances, il peut la renverser. Il est limité dans son action.

Il peut également exprimer une orientation stratégique générale. Je vous en ai donné un exemple tout à l’heure en disant que, pour être un radiodiffuseur canadien, il faut être détenu et contrôlé par des intérêts canadiens. Voilà les deux cas de figure possibles.

Une contestation judiciaire est une voie distincte, si vous voulez, et cela revient à la question de savoir si nous outrepassons notre compétence, pour revenir à ce que disait le président tout à l’heure. En pareil cas, le dossier se retrouve devant les tribunaux. Ce sont les canaux d’appel. C’est la voie de l’orientation politique générale. L’indépendance juridictionnelle du CRTC n’est aucunement modifiée.

La sénatrice Wallin : Je suppose que tout part de la réponse à la question de savoir qui établit les règles et, comme vous l’avez dit, vous préféreriez avoir une relation beaucoup plus indépendante que ce que le projet de loi permettra.

M. Scott : Cela ne concerne qu’une seule disposition. On m’a dit un jour que la Loi sur la radiodiffusion prévoyait déjà un pouvoir d’orientation stratégique qui allait être modifié et ajouté dans le projet de loi. On m’a alors demandé si je préférerais qu’on apporte ce changement ou que l’on adopte la disposition qui existe actuellement dans la Loi sur la radiodiffusion. J’espère que cela reflète bien la situation. J’ai répondu que je préférerais avoir ce qui se trouve dans la Loi sur la radiodiffusion aujourd’hui.

La sénatrice Miville-Dechêne : Monsieur Scott, je vais revenir à la question des algorithmes, car il me semble qu’à l’heure actuelle, les plateformes donnent de l’argent aux youtubeurs. Elles font ce que vous avez dit, c’est-à-dire qu’elles améliorent la programmation, entre autres choses. Il y a des subventions. Et puis, il y a ce qu’on appelle le statique — il s’agit de partage, mais il y a aussi les recommandations.

Bien des choses s’agitent autour des écrans en ce moment, mais rien ne bouge. La recommandation statique sur le contenu canadien ne semble pas devoir permettre d’accroître l’auditoire de ce contenu. Il y a une différence entre un excellent contenu financé par différents programmes et un contenu effectivement regardé ou écouté. Ce sont deux propositions très différentes.

Ce que je ne comprends pas vraiment, c’est que vous placez tout sur un même pied tandis que ce sont des réalités différentes. Certaines recommandations statiques ont un impact limité. Et nous savons tous que les algorithmes peuvent occasionnellement propulser beaucoup plus dynamiquement telle ou telle chanson ou vidéo. Cela veut dire que si l’on veut des changements, il faudra passer par les algorithmes.

M. Scott : Je suis heureux que vous ayez parlé de la musique, car nous avons beaucoup parlé d’audiovisuel jusqu’ici. Nous n’avons pas beaucoup parlé de musique. Monsieur Shortliffe, je devrai peut-être faire appel à votre soutien amical à ce sujet dans un instant.

Sénatrice, vous avez parlé d’un certain nombre de choses, et je ne veux pas tout emmêler. Quand on cherche un titre, deux choses peuvent se produire. L’algorithme d’un fournisseur ou d’un agrégateur de contenu peut vous orienter vers le contenu. C’est de cela dont nous parlons. Le résultat souhaitable, est que vous trouverez de la musique canadienne en sélectionnant SiriusXM, Apple Music ou Spotify sur votre autoradio. C’est l’objectif.

La façon dont les choses se passent est différente de la publicité, ce qui est évidemment un autre aspect, comme YouTube sur Google. On a alors affaire à un algorithme différent axé sur des paramètres économiques radicalement différents, un algorithme qui n’a rien à voir avec nous. Je ne parle pas du tout de cela.

Pour revenir à ce que vous disiez, et vous avez tout à fait raison, l’interaction sur Apple Music est très différente de l’interaction à la radio. Dans un cas, on entend surtout de la publicité locale et dans l’autre, tout dépend du genre d’abonnement que l’on a. Les modèles d’affaires sont différents.

Ma question est la suivante : comment veiller à ce que la musique canadienne soit enregistrée, distribuée et découverte? Aujourd’hui, nous investissons dans des fonds. Cela se passe plus souvent chez les artistes. L’argent est versé à Musicaction et à d’autres groupes pour que l’artiste obtienne du soutien, que sa musique soit enregistrée, qu’il se fasse connaître et, nous l’espérons, qu’il finisse par gagner un peu d’argent comme maintenant, plus pour sa prestation que pour sa diffusion. C’est le modèle actuel.

La sénatrice Miville-Dechêne : C’est ainsi que se font les choses maintenant.

M. Scott : C’est ce qui se passe actuellement. À l’avenir, je m’attends à ce que le conseil se concentre sur les mêmes objectifs dans le cas de la musique. Comment veiller à ce que les musiciens soient soutenus? Ce sera principalement un soutien financier.

Mais vous avez raison; la façon dont Spotify et Apple Music offrent la musique est différente de la façon dont une radio commerciale le fait. C’est bien. À l’avenir, nous devrons concevoir et élaborer un cadre équitable qui fonctionne pour ces différents modèles d’affaires. Il n’y a pas de solution unique. À mon avis, nous ne pourrons pas établir un seul ensemble de règles.

La sénatrice Miville-Dechêne : J’ai une deuxième question rapide; le paragraphe 4.2(2) proposé est en quelque sorte l’exception qui confirme la règle. Il s’applique au contenu généré. Nous avons entendu tellement de critiques à ce sujet. Le premier critère, qui concerne l’argent, pourrait s’appliquer à tout ce qui génère de l’argent. La mesure dans laquelle un programme est téléversé...

M. Scott : ... c’est commercial.

La sénatrice Miville-Dechêne : Oui. Aimeriez-vous que cet article soit mieux défini? En fait, nous cherchons à favoriser les musiciens professionnels par opposition au contenu généré par les utilisateurs. Cette définition pose-t-elle problème avec les trois critères que nous avons ici pour déterminer ce qui est visé par le projet de loi C-11 et ce qui ne l’est pas? Je pense que nous essayons de viser la musique professionnelle, mais cette définition ne l’indique pas de façon évidente. Tous ceux qui gagnent un peu d’argent se sentiront visés.

M. Scott : Je n’y vois certainement pas cette intention, et je ne pense pas que la commission examinerait la question sous cet angle. Je vais céder la parole à ma collègue juriste dans un instant.

Je me répète peut-être, mais ce ne sera pas l’objectif du cadre réglementaire. Un grand nombre de témoins et d’intervenants, tant à la Chambre qu’ici, se sont concentrés sur cette exception, sur les répercussions qu’aura ce petit exemple. Je comprends leur préoccupation, mais ce n’est pas l’objectif du cadre réglementaire de la commission. Il visera les plateformes. Pourquoi nous concentrerions-nous sur des vidéos individuelles affichées dans YouTube?

Le président : Je suis désolé de vous interrompre.

Le sénateur Manning : Cette conversation est très intéressante. Je voudrais revenir aux façons d’atteindre les résultats prescrits sans manipuler d’algorithmes. J’ai pris des notes pendant que vous parliez.

Vous avez dit que vous utilisez des promotions, de la formation et des annonces publicitaires pour essayer d’atteindre ces résultats. Je me demande ce qui se passe si les annonces publicitaires et les promotions n’y parviennent pas et ne donnent pas les résultats escomptés. Pourrions-nous assujettir les diffuseurs à une réglementation? Imposerions-nous des amendes?

Ensuite, vous avez dit que si les diffuseurs utilisent les promotions et la formation, ils respecteront les exigences. Ce qui me préoccupe, c’est que s’ils utilisent les promotions et les annonces publicitaires, ils feront de leur mieux, n’est-ce pas? Alors s’ils n’atteignent pas les résultats prescrits, tant pis. J’essaie de trouver un juste milieu, parce que les algorithmes et les résultats me déroutent un peu.

M. Scott : Je ne pense pas que ce soit propre aux algorithmes, sénateur. Je pense que ce que vous décrivez, c’est la réglementation en vigueur. Nous appliquons ce modèle à l’heure actuelle en imposant des conditions de licence. Oublions les plateformes pendant un instant. Concentrons-nous sur les acteurs actuels.

Les distributeurs audiovisuels, que ce soit Bell, Rogers ou Québecor, respectent des conditions de licence. Disons qu’ils diffusent des nouvelles pendant un nombre X d’heures. Ils ont l’obligation de diffuser des nouvelles locales et ainsi de suite. S’ils ne le font pas, que faisons-nous? Nous leur demandons des comptes. Ils ont des licences. Nous les convoquons à des audiences. S’ils ne se conforment pas, nous pouvons les forcer à comparaître devant nous.

Vous vous souvenez peut-être de la situation, il y a quatre ans, où un certain radiodiffuseur avait agi à l’encontre d’une ordonnance expresse du conseil en supprimant une programmation. En l’espace d’une semaine, ce diffuseur a comparu à une audience devant moi et mes collègues et il a dû rendre des comptes. Est-ce que cela répond à votre question?

M. Shortliffe : Je pourrais vous donner un exemple précis qui vous aidera peut-être. Ces dernières années, pendant que le Parlement examinait ces projets de loi, nous avons entendu de façon informelle les opinions de bon nombre de ces services. De toute évidence, ils ne savent pas quelles seront nos règles et nous ne tenons pas de réunions officielles, mais ils nous appellent pour nous dire que le monde en parle. De toute évidence, ils y réfléchissent.

Par exemple, les représentants d’une entreprise — je ne donnerai pas son nom — sont venus nous dire qu’il leur serait extrêmement difficile de modifier leurs algorithmes, mais qu’ils pourraient organiser des festivals de musique canadienne et se charger d’en faire la promotion. Je n’ai pas pu leur dire si leur idée était bonne ou mauvaise, parce que c’était leur idée et nous tiendrons des audiences, évidemment. Cependant, ils nous proposaient une façon de promouvoir la musique canadienne, de la faire découvrir sans modifier d’algorithmes.

Je leur ai suggéré de participer à une audience publique pour présenter cette excellente idée officiellement. C’était une idée concrète qui ne venait pas de nous. Ce n’était pas notre personnel qui avait conçu cela pour l’imposer. Ces représentants d’entreprise nous disaient qu’ils essayaient de trouver des solutions qui s’appliqueraient à leur modèle d’affaires tout en répondant à nos besoins. Voilà le genre de chose que nous espérons voir ressortir des audiences publiques.

Revenons à la question de souplesse. Vous me demandez si cela suffira? Je ne sais pas. Je ne sais pas ce que les entreprises proposent. Je ne sais pas comment ces choses fonctionnent. Est-ce que cette idée faciliterait la découverte? C’est toutefois un bon début de dialogue public à ce sujet.

Le sénateur Manning : Pour répondre au président, je me pose des questions au sujet de TikTok et d’Instagram. Pouvez-vous dire aux membres du comité comment ces deux plateformes en particulier pourraient atteindre leurs objectifs sans recourir à la manipulation d’algorithmes?

M. Scott : Pourquoi le feraient-elles discrètement? Je ne devrais pas vous poser cette question. Je ne vois pas en quoi elles seraient différentes. Il y a du contenu dans YouTube. Il y a du contenu numérique. Il y a une variété de contenu téléversé par les utilisateurs. Nous ne nous occupons pas de cela.

Imposerons-nous des obligations à TikTok? Fort probablement. Nous devrons déterminer qui est visé par la loi une fois qu’elle sera finalisée et comment ces plateformes pourront contribuer le mieux au système. Mais je pense que vous me demandez plutôt ce qu’il arrivera au contenu individuel. Ma réponse est qu’il ne lui arrivera rien, évidemment. La participation individuelle à TikTok ne nous intéresse pas.

Le sénateur Manning : Mais est-ce que la plateforme TikTok devra afficher un volume donné de contenu canadien? Si elle n’y parvient pas...

M. Scott : Pardonnez-moi. Je comprends mieux votre question. Demanderions-nous à ses dirigeants de nous faire rapport ou de nous aider à comprendre quelle proportion de son contenu provient du Canada? On peut supposer qu’ils pourraient nous fournir un rapport ou nous aider.

Je suppose que nous ne parlons pas de ce qui pourrait leur être imposé, car c’est une décision que nous prendrons plus tard. Mais pour utiliser cet exemple simple — j’espère que je ne regretterai pas d’avoir suggéré cette illustration, mais je vais tenter ma chance —, que se passerait-il si nous leur demandions de déclarer ce qu’ils comprennent ou ce qu’ils pourraient identifier sur leur plateforme comme étant du contenu qui provient du Canada et non de l’information sur les téléversements individuels, sénateur?

Le sénateur Manning : Nous en arrivons alors à la définition du contenu canadien.

M. Scott : Oui, et c’est une autre question pour laquelle nous devrons tenir une audience.

Le sénateur Manning : Nous nous sommes déjà cassé la tête là-dessus. Qui détermine ce qu’est le contenu canadien?

M. Scott : Vous avez raison, monsieur, et nous allons nous en occuper.

Le sénateur Manning : Vous me dites que j’ai raison, mais vous ne m’avez pas dit qui établira cette définition.

M. Scott : Nous aurons une définition, comme nous en avons une aujourd’hui pour le contenu canadien. Et je m’attends à ce qu’il soit nécessaire de la modifier. Il faudra la changer, et cela se fera dans le cadre de procédures publiques. C’est sans aucun doute l’un des éléments clés du futur cadre réglementaire.

La sénatrice Simons : Monsieur Scott, j’aimerais revenir à l’alinéa 4.2(2)a) proposé, parce que vous nous avez dit à maintes reprises que les TikTokers et les youtubeurs ne sont pas visés par cette disposition. Permettez-moi de relire l’alinéa 4.2(2)a) :

(2) Pour la prise de règlements en vertu du paragraphe (1), le Conseil tient compte des critères suivants:

a) la mesure dans laquelle une émission téléversée vers une entreprise en ligne fournissant un service de média social génère des revenus de façon directe ou indirecte;

Mise à part la question algorithmique, il s’agit de la partie la plus litigieuse du projet de loi, car elle est fondée sur la phrase que des dizaines de créateurs et de plateformes numériques qui nous ont citée en ajoutant qu’ils sont clairement visés par cette disposition. Tout ce que l’on téléverse dans YouTube, TikTok ou Instagram, même si cela génère des revenus indirectement, peut être considéré comme une émission assujettie à la réglementation. Ces gens craignent beaucoup de perdre des parts de marché et des auditoires internationaux, parce qu’ils seront forcés de s’enfermer dans une sorte de ghetto de contenu canadien.

Expliquez-moi donc votre grande assurance qu’ils ne sont pas visés, parce que cela semble certainement être une interprétation généralisée de l’alinéa 4.2(2)a), comme l’a indiqué la sénatrice Miville-Dechêne.

M. Scott : Nous l’avons expliqué, et nous l’expliquerons encore — et je peux ajouter cela à ma liste de petits documents que nous devrons remettre au comité. Je vous les ferai parvenir très rapidement.

Dans un instant, je vais demander à notre conseillère juridique de vous donner une réponse juridique sur la façon dont nous comprenons la loi.

Je tiens cependant à vous répéter que nous ne l’avons pas rédigée.

La sénatrice Simons : Je comprends cela.

M. Scott : Nous pouvons seulement vous dire comment nous l’interprétons.

J’aimerais vraiment revenir sur un point. Je comprends la préoccupation des gens, mais j’ai essayé de souligner à plusieurs reprises ce soir et à d’autres occasions que nous ne nous occupons pas du contenu téléchargé par des particuliers. Il ne vaut pas la peine de le réglementer. Ce ne serait pas dans l’intérêt public. Cela ne contribuerait pas au système canadien de radiodiffusion.

Nous nous intéresserons certainement aux activités des plateformes, mais pas au contenu téléversé. Pourquoi voudrions-nous passer tout notre temps à visionner des vidéos de particuliers, faute d’un meilleur exemple? Cela n’a absolument aucun sens du point de vue de la politique publique.

La sénatrice Simons : En effet, et pourtant le libellé de la loi l’indique clairement.

M. Scott : Si vous l’interprétez de cette façon.

Madame Frenette, pourriez-vous répondre à cette question?

Me Frenette : Je vais faire de mon mieux.

Voici ce que nous comprenons de cette disposition particulière. Vous avez raison, le CRTC peut prescrire par règlement certains contenus dans des conditions très précises qui sont énoncées dans le projet de loi lui-même, comme la génération de revenus, la disponibilité du contenu sur d’autres plateformes, et ainsi de suite.

Mais d’après notre interprétation de ce qui est prévu actuellement dans le projet de loi C-11, il y a toujours cette distinction entre la compétence et l’exercice du pouvoir. Donc, même si le CRTC a compétence sur certaines questions et sur certains contenus, il ne peut pas nécessairement exercer ses pouvoirs et imposer des règlements ou des exigences réglementaires sur ces questions. Il ne peut le faire que s’il respecte, par exemple, le paragraphe 9(4) de la loi, qui prévoit que le conseil ne réglementera que s’il estime que l’exécution aura conséquence majeure sur la mise en œuvre de la politique canadienne de radiodiffusion. De plus, le conseil n’imposerait une exigence particulière qu’à la suite d’une audience publique au cours de laquelle il entendrait les témoignages et les observations des parties pour déterminer s’il convient d’exercer ses pouvoirs à l’égard de ces aspects particuliers.

J’espère que cela vous a éclairée un peu.

La sénatrice Simons : Je suis bien contente que vous choisissiez d’interpréter le projet de loi de cette façon, mais ce n’est pas ce que dit le libellé. Les gens n’arrêtent pas de parler de vidéos de chats. Nous ne parlons pas de vidéos de chats; nous parlons de vidéos extrêmement populaires. Arrêtez de citer les vidéos de minous. Nous parlons de gens qui créent de l’art réel et qui utilisent les technologies numériques pour créer différents types de films, d’animation, de monologues comiques, de brèves pièces de théâtre et de musique pour enfants.

Des personnes très diverses produisent des œuvres professionnelles et artistiques extraordinaires. Cependant, ces artistes sont très inquiets. Des conseillers juridiques leur ont dit de s’inquiéter sérieusement du fait qu’ils seront visés par cet article. Je suis fatiguée d’entendre les gens rabaisser toute une génération de créateurs artistiques en prétendant qu’ils ne publient que des vidéos de petits chats...

M. Scott : Sénatrice, ce n’est pas ce à quoi je faisais allusion. Si vous me le permettez, je tiens à ajouter très brièvement que nous devons reconnaître qu’à l’heure actuelle, comme l’a souligné ma conseillère juridique, la Loi sur la radiodiffusion établit une distinction entre l’application de la compétence et l’exercice du pouvoir. Nous pourrions déjà réglementer ces artistes aujourd’hui en appliquant la Loi sur la radiodiffusion. Nous ne le faisons pas, parce que cela n’aurait aucun sens.

Le président : Merci, monsieur Scott, et je suis d’accord avec vos observations. Le problème, c’est que...

M. Scott : Avec toutes mes observations? Pouvons-nous consigner cela au compte rendu?

Le président : Avec votre dernier commentaire, avec le fait qu’il n’est pas logique de réglementer ces œuvres. Je suis d’accord avec vous, même sous l’ancienne Loi sur la radiodiffusion, avant le projet de loi C-11, vous aviez le pouvoir de les réglementer. C’est le fondement même de notre débat. Je vous crois sur parole aujourd’hui, mais je ne sais pas ce que votre successeur ou les futurs présidents du CRTC...

M. Scott : Permettez-moi de répéter que le président représente le conseil, mais qu’il ne prend pas de décisions au nom du conseil.

Le président : Au sujet du débat et de la controverse sur le projet de loi C-11 — vous le voyez ici ce soir —, vous avez ma collègue, la sénatrice Miville-Dechêne, qui croit que nous devons promouvoir le contenu canadien et en faire davantage pour combler le manque de contenu canadien, ou d’un certain type de contenu qu’elle considérerait comme étant plus canadien et qu’il faut diffuser. Elle est convaincue que seul un algorithme nous permettra de le faire. Ce n’est pas vraiment ce que vous disiez, sénatrice? Alors je ne vous citerai pas.

Je vais donc poser mes questions en partant d’un autre angle. En fin de compte, notre véritable accroc ici — vous avez dit que l’objectif de ce projet de loi, selon votre interprétation, est de sensibiliser davantage les Canadiens au contenu canadien. Il est ressorti clairement des questions et des réponses que l’une des façons d’y parvenir est de manipuler des algorithmes. Vous dites qu’il y a aussi d’autres méthodes, comme la publicité et les bandes de promo et autres, mais il est clair que l’outil le plus puissant — comme l’a souligné le sénateur Manning —, si nous n’atteignons pas notre premier objectif —, sera de forcer ces plateformes — et c’est l’aspect le plus préoccupant de ce projet de loi...

Le sénateur Dawson : Monsieur le président, nous devons nous occuper des travaux futurs. Nous avons 15 minutes de retard, et il ne nous reste que 15 minutes. Nous savons ce que vous pensez du projet de loi, alors...

Le président : La question n’est pas de savoir quelle est mon opinion à ce sujet. J’ai une question pour le témoin. C’est un témoin important, et j’aimerais terminer ma question, si vous voulez bien. Merci.

Monsieur Scott, vous avez dit que vous ne vous préoccupez pas du contenu téléversé. Vous ne pensez pas que votre objectif soit de réglementer le contenu individuel. Mais ces plateformes ne fonctionnent qu’avec du contenu individuel téléversé. TikTok, YouTube — aucune de ces plateformes n’existerait sans ce contenu. Leurs politiques algorithmiques sont dictées par leurs objectifs commerciaux, qui dépendent des choix des consommateurs. Alors si les consommateurs veulent regarder certaines choses, ils les poussent à la hausse. C’est un modèle commercial.

Ma question est donc la suivante : si nous n’obtenons pas le résultat final souhaité par le CRTC ou par un fonctionnaire du gouvernement, allons-nous utiliser la manipulation des algorithmes et forcer ces plateformes à décider qui nous poussons vers le haut et qui nous poussons vers le bas?

Ce qui préoccupe des centaines de milliers de producteurs de contenu au Canada, c’est que si un humoriste de la Colombie-Britannique qui a des millions d’abonnés et qui compte sur eux pour gagner sa vie, peut-être que ce qu’ils font...

Le sénateur Dawson : Allez-vous poser votre question?

Le président : Il me reste trois minutes. J’ai encore trois minutes. Vous n’aimerez peut-être pas la question, sénateur Dawson...

Le sénateur Dawson : Je n’aime pas le manque de neutralité. J’ai supporté cela pendant plusieurs semaines, mais je pense que nous devons maintenant parler des travaux futurs, et il ne nous reste que 15 minutes.

Le président : Sénateur Dawson, il y a plusieurs sénateurs sur la liste d’intervenants. Je suis sénateur comme vous tous, alors j’ai droit à mes six minutes, n’est-ce pas? Si vous voulez me retirer ce privilège parce que vous n’aimez pas mes questions, c’est votre choix.

Le sénateur Dawson : Nous devions terminer à 20 h 15, monsieur le président, et il est 20 h 30.

Le président : Sénateur Dawson, si vous n’aimez pas mes questions, je vais passer la parole à un autre sénateur, si c’est ce que vous considérez comme de la démocratie. Sénateur Quinn, vous avez la parole, car je ne peux manifestement pas terminer mes trois minutes.

La sénatrice Sorensen : Devions-nous lever la séance à 20 h 15? Voilà la question.

Le président : Il n’est pas inhabituel de dépasser de quelques minutes le temps alloué aux témoins. Je remercie le témoin d’être venu, mais si le sénateur Dawson souhaite également lever la séance et ne pas entendre ses autres collègues au deuxième tour, c’est son choix. Proposez une motion.

Le sénateur Dawson : C’est prévu à l’ordre du jour. Nous savons tous que vous exprimez votre parti pris d’une façon très ouverte, mais nous pensons qu’il pourrait y avoir une limite à ce que nous devrions tolérer, monsieur le président.

Le président : Avec tout le respect que je vous dois, votre parti pris est-il plus tolérable que le mien, sénateur Dawson?

Le sénateur Dawson : Je suis désolé, mais je n’ai jamais vu un président avoir un tel parti pris. Toutefois, je suppose qu’après 17 ans...

Le président : Sénateur Dawson, avec tout le respect que je vous dois, exprimer son opinion n’est pas un parti pris, c’est une opinion. C’est ce que nous faisons dans cette institution. Avec tout le respect que je vous dois, je ne mets pas en doute les motifs et le travail d’autrui, et vous n’avez pas à remettre les miens en question. C’est une question de privilège, sénateur Dawson. Cela n’a rien à voir avec la présidence. Vous ne pouvez pas remettre en question mes motifs et ma neutralité de président. J’ai accordé le même temps à tout le monde. La seule personne qui ait enlevé du temps de parole, c’est vous, qui coupez le mien pour m’empêcher de poser mes questions. Voilà ce qui en est réellement.

Le sénateur Dawson : [Difficultés techniques] une démocratie.

Le président : C’est le style de démocratie du sénateur Dawson.

Sénateur Quinn, vous avez la parole, si le témoin veut bien nous accorder 10 minutes de plus.

M. Scott : Oui. Puis-je répondre rapidement à votre question, monsieur le président?

Le président : Ce serait bienvenu.

M. Scott : Je veux simplement dire que je comprends votre point de vue, mais je ne sais pas si les circonstances dont vous parlez sont différentes de la situation actuelle. Je le répète, aujourd’hui, les radiodiffuseurs ont aussi un modèle d’affaires. Ils comptent sur la publicité. Ce modèle traditionnel est différent, mais les consommateurs ont un choix. Ils peuvent choisir de regarder un réseau ou un autre, et ils peuvent choisir de regarder des émissions étrangères et de ne jamais ouvrir une chaîne canadienne. C’est leur choix. Ce sera le cas dans le contexte réglementaire futur. Que le service utilise une technologie différente ou non, je ne m’attends pas à ce qu’il en soit autrement à l’avenir. Les consommateurs sont les arbitres ultimes du contenu. Ils choisiront ce qu’ils regarderont, et rien dans l’approche du conseil ne les oblige à choisir l’un plutôt que l’autre. En fin de compte, le choix revient aux consommateurs.

Le président : Merci, monsieur Scott.

M. Scott : Merci, monsieur le président.

Le sénateur Quinn : Pour faire suite à notre discussion, ma question et mon commentaire s’adressent à Mme Frenette. Nous avons parlé tout à l’heure des mécanismes que la réglementation [Difficultés techniques]. Vous avez parlé de l’examen du processus de réglementation, qui intervient après l’entrée en vigueur du règlement. Je disais qu’un meilleur mécanisme, compte tenu de l’intérêt des Canadiens pour ce sujet, permettrait aux parlementaires d’examiner les règlements et les politiques au fur et à mesure qu’ils sont publiés dans la partie II de la Gazette, une fois qu’ils sont rédigés. Cela nous assurerait qu’ils sont conformes à la loi, aux directives et autres. Voilà ce que je voulais suggérer.

Ne serait-ce pas une solution beaucoup plus efficace et, compte tenu de la controverse, plus acceptable pour les intervenants?

Me Frenette : C’est sûr. Nos règlements sont publiés dans les parties I et II de la Gazette. Il y a donc un volet public. Les gens ont le droit de réagir aux projets de règlement que nous présentons en envoyant des commentaires, et ils le font souvent.

Le sénateur Quinn : C’est vrai. Je suggère simplement que nous devrions laisser le processus suivre son cours, mais qu’il faut laisser les parlementaires les examiner, car ils sont responsables de veiller à ce que les lois et les règlements soient établis en fonction des politiques. Nous ne cherchons pas à les désavouer, mais à veiller à ce que les préoccupations exprimées soient bien équilibrées, surtout pour un enjeu qui touche tous les Canadiens.

M. Scott : Si vous me le permettez, sénateur, j’aimerais ajouter un bref commentaire à la réponse de la conseillère juridique.

Ce n’est pas à nous de les déterminer, évidemment. Les gouvernements et les parlementaires doivent décider s’ils sont appropriés. On m’a demandé plus tôt combien de temps il faut pour cela. Nous nous fions aux processus publics. Il faut déjà beaucoup de temps pour établir des règlements officiels. Chaque fois que l’on ajoute un nouveau système de freins et de contrepoids — ce qui est un objectif louable —, nous retardons le processus.

Le sénateur Quinn : Vous avez raison. C’est pourquoi il faut lui fixer des limites. Je suis d’accord avec vous.

M. Scott : Il faut du temps pour tout cela.

[Français]

Le sénateur Cormier : Je vais poser une question rapide sur les audiences publiques. Le projet de loi C-11 n’étend pas le processus des audiences publiques aux ordonnances prises en vertu des articles 9.1 et 11.1. Selon les termes du projet de loi, ces projets d’ordonnance seront publiés sur le site Web du CRTC, les exploitants d’entreprises de radiodiffusion et autres intéressés se voyant accorder la possibilité de présenter leurs observations au CRTC. Ma question est la suivante : le fait de réserver le processus de publication au site Web du CRTC et de permettre aux intéressés de présenter leurs observations au CRTC aura-t-il pour effet de réduire considérablement l’accessibilité et de rendre ce processus de consultation désuet?

Le CRTC aurait-il une objection à ce que l’on codifie dans la loi que les audiences publiques s’appliquent aussi aux ordonnances prises en vertu de l’article 9.1 et du paragraphe 11.1(2), afin que les gens puissent convenablement participer à des audiences publiques? Il existe plusieurs moyens de le faire aujourd’hui.

Me Frenette : Sénateur Cormier, je peux peut-être vous donner un aperçu de la manière dont nous entamons nos processus en ce moment. Le CRTC, comme le président l’a dit, rend plusieurs centaines de décisions par année. Toutes ces décisions sont précédées par un processus public. Je vous dirais, de façon approximative, qu’à peu près 80 % à 90 % de nos processus sont des instances écrites. Pourquoi? Parce qu’elles sont plus efficaces, puisqu’elles permettent, tout comme une audience publique, de développer un dossier public robuste sur lequel le CRTC peut se pencher et prendre une décision éclairée. À mon avis, exiger la mise en place d’une audience publique pour chaque ordonnance qui serait émise par le CRTC engagerait des ressources excessives et démesurées par rapport aux ressources que nous avons en place pour monter un bon dossier public et le présenter devant le CRTC pour qu’il prenne une décision.

Le sénateur Cormier : Je comprends ce que vous m’expliquez. Cependant, tout le monde n’est pas équipé de la même manière pour donner son point de vue. Faire des observations sur un site Web, selon la population et l’endroit d’où elle vient, est plus difficile que pouvoir dire ce que l’on pense en personne. Comment pouvez-vous assurer à un maximum de Canadiens de contribuer à des audiences publiques importantes?

Me Frenette : Le CRTC a quand même un bel historique pour ce qui est de développer des processus publics selon la nature de l’enjeu qui est examiné. Nous avons donc une certaine flexibilité en tant que tribunal administratif pour recueillir et solliciter les commentaires et les soumissions dont nous avons besoin pour rendre une décision éclairée. Cela peut prendre la forme d’une présentation écrite ou d’une participation orale, mais ces processus doivent être flexibles, et nous devons conserver une certaine discrétion pour déterminer ce qui est nécessaire dans quelle instance.

Le sénateur Cormier : Merci.

[Traduction]

Le président : J’aimerais remercier M. Scott et le personnel du CRTC d’avoir été de nouveau si généreux de leur temps pour cette deuxième série de témoignages.

Il vous reste quelques minutes, monsieur Scott, si vous voulez conclure, parce que nous avons discuté de beaucoup d’enjeux ce soir, de part et d’autre, alors vous pouvez préciser ou ajouter quelque chose en particulier si vous le désirez.

M. Scott : Je devrais peut-être soulever la question des algorithmes.

Non, j’aimerais dire deux choses. Tout d’abord, nous vous remercions de nous avoir invités à comparaître devant vous, tant pendant votre étude préliminaire qu’aujourd’hui. J’avais dit à ce moment-là que nous serions prêts à revenir, et je suis heureux que vous nous ayez invités à le faire.

J’aimerais également dire que nous sommes fonctionnaires et que nous essayons d’aider le comité. Comme je l’ai dit à plusieurs reprises, nous n’avons pas rédigé ce projet de loi. Nous n’essayons pas de défendre tout ce qui concerne ce projet de loi. Nous faisons de notre mieux pour vous donner une évaluation honnête de la façon dont nous procéderions et, encore une fois, comme je l’ai souligné dans ma déclaration préliminaire, nous avons besoin de ce projet de loi. Nos outils sont désuets. Le milieu de la radiodiffusion a radicalement changé, alors nous avons besoin de nouveaux outils et d’un nouveau cadre de surveillance afin de poursuivre nos objectifs, et les membres des partis des deux chambres en conviennent.

Encore une fois, je vous remercie d’avoir fait preuve d’indulgence, d’avoir posé des questions pénétrantes et d’avoir écouté nos réponses. C’est vraiment apprécié et c’est toujours un honneur de comparaître devant vous.

Le président : Merci beaucoup.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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