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TRCM - Comité permanent

Transports et communications


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES TRANSPORTS ET DES COMMUNICATIONS

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mardi 7 mars 2023

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd’hui, à 9 h 1 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi S-242, Loi modifiant la Loi sur la radiocommunication.

Le sénateur Leo Housakos (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour. Je suis Leo Housakos, sénateur du Québec et président de ce comité. Je voudrais inviter mes collègues à se présenter brièvement.

Le sénateur D. Patterson : Dennis Patterson, du Nunavut. Bonjour.

[Français]

Le sénateur Cormier : Sénateur René Cormier, du Nouveau-Brunswick.

[Traduction]

Le sénateur Cardozo : Sénateur Andrew Cardozo, de l’Ontario.

[Français]

La sénatrice Clement : Sénatrice Bernadette Clement, de l’Ontario.

[Traduction]

Le sénateur Harder : Peter Harder, de l’Ontario.

Le sénateur Manning : Fabian Manning, de Terre-Neuve-et-Labrador, une demi-heure plus tard.

Le président : Honorables sénateurs, nous nous réunissons pour poursuivre notre étude du projet de loi S-242, Loi modifiant la Loi sur la radiocommunication. Pour la première partie de la séance d’aujourd’hui, nous avons le plaisir d’accueillir deux représentants de l’Association canadienne des télécommunications sans fil, M. Robert Ghiz, président et chef de la direction, et M. Eric Smith, vice-président principal. Au nom du comité, je vous souhaite la bienvenue. Comme d’habitude, vous disposerez de quelques minutes pour votre déclaration préliminaire, après quoi nous passerons aux questions des sénateurs.

Robert Ghiz, président et chef de la direction, Association canadienne des télécommunications sans fil : Je vous remercie, monsieur le président. Bonjour, honorables sénateurs. L’Association canadienne des télécommunications sans fil, ou ACTS, est une association industrielle représentant les entreprises qui fournissent des services et des produits dans le secteur des communications sans fil au Canada, y compris les exploitants de réseaux sans fil mobiles dotés d’installations et les fournisseurs d’équipement.

[Français]

Nous sommes reconnaissants d’avoir l’occasion de discuter du projet de loi S-242. Avant de commencer notre discussion au sujet du projet de loi S-242, j’aimerais parler brièvement de l’état des services de communication sans fil au Canada.

[Traduction]

Malgré les défis que pose le déploiement de réseaux sans fil au Canada, comme l’augmentation des coûts de construction, l’étendue du territoire, le terrain difficile et la faible densité de population, les Canadiens ont accès à certains des meilleurs services mobiles sans fil au monde.

Selon des rapports des deux principales entreprises indépendantes d’analyse des réseaux mobiles, le Canada possède l’un des réseaux mobiles les plus rapides au monde, et le réseau le plus rapide de tous les pays du G7. Le cabinet de consultants PwC a également classé le Canada au premier rang des pays du G20 dans son indice de qualité des réseaux mobiles, qui compare la vitesse, la disponibilité et l’expérience vidéo des réseaux des pays.

Nous ne nous préoccupons pas seulement de la performance. La couverture est tout aussi importante. Grâce aux milliards de dollars investis par nos membres dans le spectre et les dépenses d’investissement, le CRTC indique que 99 % des Canadiens ont accès à la dernière technologie sans fil mobile généralement déployée, connue sous le nom de LTE, et que l’industrie du sans-fil est en bonne voie de fournir une couverture à 100 % de la population d’ici 2026.

Cela m’amène au projet de loi S-242. Bien que nous partagions l’objectif de connecter tous les Canadiens, ce projet de loi ne contribuera pas à l’atteinte de cet objectif. En fait, il pourrait malheureusement avoir l’effet inverse. Le projet de loi vise à imposer une exigence unique de déploiement du spectre. Comme les représentants d’ISDE l’ont dit au comité, la réglementation du spectre ne constitue pas un processus universel.

Afin d’atteindre ses objectifs stratégiques, le ministère a besoin d’un cadre souple qui lui permettra d’adapter ses processus liés aux conditions des licences d’utilisation du spectre aux caractéristiques uniques de la bande du spectre faisant l’objet des licences et de son utilisation proposée. Une exigence unique limitera la capacité du ministère à le faire et risque de compromettre l’objectif commun du ministère et de l’industrie d’améliorer la qualité et la couverture des réseaux.

Par exemple, si l’objectif de déploiement n’est pas réalisable dans une zone particulière, il est peu probable que quelqu’un fasse une soumission pour une licence d’utilisation du spectre. Si les conditions de déploiement ne sont réalisables que par quelques fournisseurs de services, l’objectif du ministère de permettre aux petits fournisseurs de services régionaux de participer au processus d’obtention de licences est compromis.

Comme l’ont indiqué les représentants d’Innovation, Sciences et Développement économique Canada, les objectifs de déploiement doivent être ambitieux, mais réalisables pour tous les fournisseurs. Ce qui est considéré comme « ambitieux, mais réalisable » varie en fonction de la bande de fréquences, de ses utilisations prévues et de divers autres facteurs.

Certaines personnes craignent que les objectifs de déploiement fixés par ISDE ne soient pas assez ambitieux. Bien respectueusement, nous ne sommes pas d’accord.

Ces dernières années, ISDE a défendu énergiquement une politique de « non-utilisation égale abandon » à l’égard du spectre. En 2021, ISDE a mis aux enchères des licences pour la bande de fréquences très convoitée de 3 500 mégahertz, qui comprend, dans certaines zones de licences, l’obligation d’utiliser le spectre pour fournir des services à 90 % de la population dans un délai de cinq ans, et à 95 %, dans un délai de sept ans. Les conditions de déploiement pour la bande de 3 800 mégahertz qui sera mise aux enchères plus tard cette année sont très semblables.

Analysys Mason, consultant mondial en télécommunications, a indiqué que ces exigences de déploiement arrivent au deuxième rang des exigences les plus strictes parmi les 24 pays comparables sondés. ISDE a récemment publié des décisions et lancé des consultations visant à améliorer l’accès au spectre pour la connectivité des zones rurales et isolées. Les conditions de déploiement agressives établies lors des récentes ventes aux enchères de fréquences, ainsi que ces décisions et consultations récentes, indiquent clairement que le ministère a fait du déploiement du spectre une priorité absolue. Il l’a fait en examinant attentivement chaque question et en adaptant une réponse qui, selon lui, permettra d’atteindre le résultat souhaité.

Le projet de loi S-242 limiterait considérablement la capacité d’ISDE à créer des solutions sur mesure à des problèmes complexes. Il risquerait également de compromettre l’objectif d’amélioration du déploiement du spectre, ce qui est l’inverse de l’objectif du projet de loi.

Comme je l’ai déjà dit, nous partageons l’objectif d’étendre et d’améliorer la connectivité, mais, en tout respect, nous ne pensons pas que le projet de loi S-242 y contribuera.

[Français]

Monsieur le président, merci de m’avoir donné cette occasion de parler de ce sujet très important. Nous nous ferons un plaisir de répondre à vos questions.

[Traduction]

Le président : Merci, monsieur Ghiz. Je vais commencer la période des questions et des réponses par une brève question. Je vous remercie de votre exposé.

Vous avez souligné, dans votre déclaration, que 99 % des Canadiens bénéficient d’un service Internet rapide et fiable, ce qui est un peu le contraire de ce que nous ont dit de nombreux groupes autochtones et Canadiens des régions rurales au sujet de leur connectivité. En effet, ils soutiennent que la connectivité est moindre et que les services Internet sont plus lents et considérablement plus chers.

Ma question est la suivante : actuellement, le gouvernement mise sur une politique de « non-utilisation égale abandon » pour les titulaires de licences du spectre. Je crois que cette approche est utilisée parce qu’on estime qu’il faut améliorer les choses dans de nombreuses régions du pays. Qu’en pensez-vous?

M. Ghiz : C’est un excellent point. Sur le plan de la connectivité des réseaux mobiles au Canada, les 99 % dont parle le CRTC correspondent au lieu de résidence ou de travail des gens. Comme notre territoire est très vaste, il y a encore beaucoup de zones qui ne sont pas couvertes.

Nous savons que le CRTC et notre industrie ont un objectif — et nous sommes en voie de l’atteindre — de 100 % de connectivité pour les réseaux sans fil mobiles d’ici 2026. Toutefois, il y a beaucoup plus d’investissement et de construction à faire. Nous estimons que la concurrence fondée sur les installations, à laquelle se livrent nos membres, contribuera à l’atteinte de cet objectif.

Je vous ai déjà entendu poser des questions ici concernant certaines régions rurales et éloignées, où c’est extrêmement difficile, et les collectivités des Premières Nations, où il y a du travail à faire. De nombreux partenariats y sont établis avec différents ordres de gouvernement, que ce soit le gouvernement fédéral, les gouvernements provinciaux, qui ont mis en place des programmes, ou les administrations municipales, qui ont également des programmes. Je crois que, compte tenu des milliards de dollars que notre industrie investit, en plus des nouveaux programmes et de tous les programmes dans lesquels les divers ordres de gouvernement investissent, idéalement, l’objectif sera atteint d’ici 2026, et 100 % des Canadiens bénéficieront d’une couverture.

[Français]

Le sénateur Cormier : Je vais poser ma question en français. D’abord, j’aimerais connaître les enjeux que rencontrent vos membres lors du déploiement des services dans les régions rurales.

Vous êtes de l’Île-du-Prince-Édouard, monsieur Ghiz, et je suis du Nouveau-Brunswick. Les régions rurales de nos communautés connaissent de grands défis sur le plan de la connectivité. Lorsque je me trouve dans certaines régions entre le nord et le sud de la province, je perds ma connexion. Donc, manifestement il y a des défis de connectivité.

Quels sont les enjeux que rencontrent vos membres lors du déploiement des services dans les régions rurales?

[Traduction]

M. Ghiz : Merci, sénateur. La question comporte plusieurs aspects. Nos membres sont des fournisseurs de services sans fil au Canada. Nous représentons les grands fournisseurs, c’est-à-dire Rogers et Bell, mais dans notre région, nous avons aussi Eastlink, Xplore — qui vient de votre province —, Vidéotron au Québec, SaskTel, et aussi Freedom. Nous représentons également Nokia, Ericsson et Samsung, qui fournissent l’équipement nécessaire à la construction des réseaux.

L’objectif principal de notre association est de promouvoir l’industrie du sans-fil et les grandes choses qu’elle accomplit, de promouvoir ce que nous avons fait dans le passé et ce qui peut arriver dans l’avenir avec la 5G, et de promouvoir une politique qui encourage la concurrence fondée sur les installations au Canada afin que nos membres soient en mesure d’investir davantage pour connecter un plus grand nombre de Canadiens.

Vous parlez des collectivités rurales et éloignées. Les membres de mon association et moi savons qu’il faut encore améliorer la connectivité au Canada. Nous devons investir davantage dans les zones rurales, les régions éloignées et les collectivités des Premières Nations. Je le constate également. Là où je vis, j’obtiens une couverture, mais je pourrais me trouver dans une région de ma province où il n’y en a pas; il y a de vastes zones où personne ne vit, et c’est pourquoi il faut investir davantage.

Comme je l’ai dit au président tout à l’heure, il y aura des moments où, pour le secteur privé, il sera illogique sur le plan économique de faire ces investissements. C’est là que les gouvernements ont un rôle à jouer, et nous estimons que tous les ordres de gouvernement peuvent le faire. Ce que nous souhaitons principalement, c’est qu’il y ait une politique publique qui encourage les membres de mon association, qui construisent les réseaux, à investir au Canada.

[Français]

Le sénateur Cormier : Je vous remercie de cette réponse, mais je ne comprends toujours pas ce que font vos membres. Quels sont vos membres qui font un travail en région, qui offrent le service en région rurale et quels sont les enjeux liés à cela? Est-ce que c’est strictement un enjeu économique?

Si le projet de loi S-242 ne répond pas à l’objectif de rendre la connectivité accessible dans les régions rurales, quelle est la solution de votre part?

[Traduction]

M. Ghiz : Merci. En ce qui a trait au projet de loi dont nous discutons, nous croyons qu’il comporterait trop de conditions et qu’il serait ainsi trop difficile pour des membres de participer aux enchères du spectre pour pouvoir construire des réseaux dans ces régions.

Comme l’ont indiqué les représentants d’ISDE lors de leur témoignage, il faut faire preuve de souplesse. Il faut comprendre de quelle sorte de terrains il s’agit. On doit comprendre, par exemple, qu’il y a des entreprises de grande taille qui ont un nombre supérieur de tours, mais qu’il y a aussi des entreprises plus petites qui devront peut-être aller construire des tours. Cela leur prendra plus de temps. Par exemple, Eastlink est une entreprise relativement jeune, et Xplore est une nouvelle venue dans le secteur du sans-fil; il leur faudra donc plus de temps pour y parvenir. C’est pourquoi il faut une certaine souplesse en ce qui concerne le spectre.

Les meilleures solutions consistent à disposer d’un processus souple de mise aux enchères du spectre et d’avoir des gouvernements prêts à travailler pour combler les lacunes là où, peut-être, nos membres ne sont pas en mesure de le faire.

Le sénateur Cormier : Merci.

[Français]

Je comprends les objectifs et je vous remercie de vos réponses.

Nous sommes en train d’étudier un projet de loi dans lequel il y a des propositions qui concernent le 50 % pour les régions. Je vais vous renvoyer à CanWISP, un organisme qui propose des recommandations au sujet des jalons obligatoires.

En ce qui concerne le projet de loi, l’organisme suggère qu’en matière de connectivité, 50 % de la communauté soit connectée au bout de trois ans. Deuxièmement, il suggère une plus grande flexibilité pour éviter de se retrouver avec une solution unique pour tous. Enfin, CanWISP suggère l’atteinte obligatoire d’un jalon la troisième année, afin d’assurer la disponibilité du service à 50 % de la population dans chacune des zones du niveau 5 comprises dans la zone visée par les enchères, peu importe la taille des zones que couvrent les licences.

En d’autres mots, ce que cet organisme propose, c’est effectivement de ne pas éliminer le projet de loi S-242, mais de le modifier dans le but d’offrir plus de flexibilité. Que pensez-vous d’une proposition comme celle-là?

[Traduction]

Eric Smith, vice-président principal, Association canadienne des télécommunications sans-fil : Je vous remercie de cette question. J’ai entendu le témoignage des représentants de l’Association des fournisseurs de service Internet sans fil, mais je pense que le défaut de leur proposition, c’est qu’elle fixe un seuil arbitraire et qu’elle essaie de l’adapter à toutes les situations. En réalité, lorsqu’une partie du spectre est mise aux enchères, selon la nature du spectre, les utilisations potentielles et les utilisateurs potentiels, Innovation, Sciences et Développement économique Canada définira les paramètres et les conditions de licence les mieux adaptés à l’utilisation la plus efficace de ce spectre. Dans le cas, disons, d’une période de trois ans, si on regarde la dernière vente aux enchères de 3 500 mégahertz, une partie du spectre a dû être réaffectée et les détenteurs de licences existantes ont dû être retirés de cette partie du spectre pour la mettre à la disposition des acheteurs. Cela signifie que ceux qui ont obtenu des licences lors de la vente aux enchères, dans certains cas, ne sont même pas autorisés à exploiter le spectre acheté jusqu’à ce que certaines parties du spectre couvertes par la licence aient été libérées par les détenteurs précédents. Encore une fois, une solution unique ne fonctionnerait pas dans cette situation.

Pour revenir à votre question précédente sur les obstacles au déploiement, il s’agit en fait d’une question économique. Si vous considérez un pays de la taille du Canada, la géographie, le terrain et le climat, il est très difficile de connecter de nombreuses régions. Nous avons fait un très bon travail dans le domaine du sans-fil, comme l’a mentionné M. Ghiz. La plupart des plaintes concernent la couverture le long des routes, etc., ce qui est logique, car personne n’habite à ces endroits et c’est donc un cas économiquement difficile. Toutefois, des fonds sont alloués à la construction de ces routes. Un de nos membres travaille avec les nations côtières de la Colombie-Britannique pour construire des tours le long de la route des pleurs en Colombie-Britannique, et d’autres travaux sont en cours à Terre-Neuve et ailleurs. Une grande partie des fonds provient du Fonds pour la large bande du CRTC, qui finance de nombreux projets de connectivité sur les routes. Ces fonds proviennent de l’industrie. Ce n’est pas l’argent des contribuables. Ces projets sont financés par l’industrie.

Il s’agit vraiment d’une question économique. Ce n’est pas une question d’accès au spectre. C’est une question de nature économique, celle de s’assurer que les fonds nécessaires à la construction sont disponibles.

Le sénateur Harder : Chers témoins, je vous remercie de votre présence. Je partage largement votre critique, mais j’aimerais vous aiguiller un peu, si vous le permettez. Il y a une vingtaine d’années, le Canada était à l’avant-garde mondiale en matière d’accès à Internet à large bande — il y a eu le déploiement de l’infrastructure, la transformation des entreprises et l’avènement des médias sociaux. Nous avons perdu cette perspective au fil du temps, probablement en raison de certaines lacunes en matière de financement et de politique. Ces dernières années, les gouvernements ont cherché à ajuster le cadre stratégique. Il est certain que le principe « utilisez-le ou perdez-le » est une étape très positive de mon point de vue. Au fil du temps, d’importantes sommes ont été affectées à améliorer l’accès à Internet à large bande, en particulier dans les localités rurales et éloignées et dans les communautés autochtones.

Pouvez-vous nous dire ce qu’on pourrait faire de plus, d’un point de vue stratégique, pour accélérer la réalisation des objectifs qui ont été fixés et pour garantir que les objectifs du projet de loi, qui sont très louables, puissent être atteints? Que peut-on faire de plus, non seulement sur le plan financier, mais aussi sur le plan des cadres stratégiques?

M. Ghiz : Je vais prendre cette question et je verrai si M. Smith veut ajouter quelque chose.

Vous avez raison. Il y a quelques années — et je l’ai dit dans ma présentation —, le Canada était un chef de file mondial pour ce qui est de la 4G et de la LTE. Nous avons été qualifiés de superpuissance de la 4G par les groupes dont j’ai parlé dans mon allocution d’ouverture. C’était il y a quatre ans. Aujourd’hui, la nouvelle technologie révolutionnaire, c’est la 5G. Elle pourrait changer le monde. Il est difficile de prédire tout ce qu’elle pourrait accomplir. C’est un peu comme il y a 20 ans. Nous ne savions pas ce que la 4G et la LTE allaient nous permettre d’accomplir, et aujourd’hui tout le monde se promène avec un ordinateur dans sa poche.

Nous sommes un peu en retard en ce qui concerne la 5G au Canada. Si nous nous comparons aux États-Unis, à la Chine ou à d’autres grands pays du G7, nous avons peut-être un ou deux ans de retard. Cela s’explique par le fait que nos enchères pour le spectre de 3 500 mégahertz ont eu lieu un peu plus tard que dans certains de ces autres pays.

Je dirais que, du point de vue de la politique publique, ce qui a permis au Canada de devenir un chef de file en matière de 4G et de LTE, c’est principalement les investissements. La directive adressée au CRTC parlait d’investir. Sans cela, nous n’y parviendrons pas, et les seuls à investir au Canada sont les fournisseurs de services basés sur des infrastructures, c’est-à-dire nos membres.

Au cours des deux dernières années, le gouvernement fédéral a pris quelques mesures intéressantes. Des améliorations ont été apportées à la déduction pour amortissement. Néanmoins, tout ce qui peut favoriser l’investissement contribuera à connecter davantage de Canadiens et à faire en sorte que les Canadiens aient accès aux technologies les plus récentes, afin que nous puissions rivaliser avec les autres pays.

Vous avez raison, c’est une course. C’est un objectif à atteindre. Toutefois, ma principale préoccupation en matière de politique publique concerne la question de l’investissement.

M. Smith : J’aimerais ajouter quelque chose. En ce qui concerne la connectivité, je pense que le Canada est toujours un chef de file mondial. Là où nous sommes en retard, c’est au niveau de l’adoption des technologies. Du point de vue stratégique, nous encourageons le gouvernement à se pencher sur la numérisation de l’économie et sur l’adoption des technologies. M. Ghiz a mentionné la 5G. Par exemple, la Corée du Sud a mis en place des politiques et des programmes pour encourager les entreprises — l’industrie privée — à adopter la 5G, et elle a ciblé des usages ou des secteurs industriels précis.

En outre, au Canada, nous avons l’habitude de considérer les télécommunications comme un simple canal. On le construit, il est là et on l’utilise. Il y a encore du travail à faire sur le plan des compétences numériques. Il faut reconnaître qu’une politique numérique saine et robuste est également une politique environnementale saine. S’il est bon d’investir dans des domaines tels que les énergies renouvelables, etc., si nous pouvons encourager les industries — en particulier celles qui émettent beaucoup de gaz à effet de serre ou qui utilisent de l’eau ou des pesticides — à adopter les technologies les plus avancées, en utilisant notre infrastructure de télécommunications, cela permettra de réduire considérablement notre empreinte sur l’environnement.

Le sénateur Harder : Je voudrais vous poser une petite question complémentaire. Êtes-vous au courant du projet de Télésat, qui est en cours, si j’ai bien compris, concernant des satellites à basse altitude, et pourriez-vous commenter cette proposition? Je crois que le déploiement se fera un peu plus tard que prévu, mais convenez-vous que cela pourrait faire partie de la solution, en particulier pour les régions rurales et éloignées? Dans l’affirmative, quand pourrions-nous voir ce projet se concrétiser?

M. Smith : Vous parlez de Télésat en particulier, mais il y a plusieurs entreprises dans le secteur des satellites à basse orbite sur le plan international. Je pense que les effets de leurs activités se font déjà sentir.

Prenez la province de Québec, par exemple. Lorsque nous parlons de connectivité, nous prenons soin de faire la distinction entre la téléphonie mobile sans fil et Internet haute vitesse, ou ce que la plupart des gens considèrent comme Internet à domicile. Les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux se sont efforcés de connecter tous les habitants de la province à Internet haute vitesse. La première province à avoir remporté une victoire dans ce domaine est le Québec. Il s’est associé aux fournisseurs d’accès et au gouvernement fédéral pour gérer le fonctionnement d’Internet haute vitesse. En août de l’année dernière, il a déclaré qu’il avait réussi à connecter 100 % des foyers du Québec. Il y avait une mise en garde; certains projets étaient encore en cours. Environ 70 000 foyers n’ont pas encore été raccordés au câble ou à la fibre optique, et le gouvernement fait appel à la technologie des satellites à basse orbite et subventionne une partie des coûts pour ces foyers. L’objectif est que, sur ces 70 000 ménages, environ 60 000 soient raccordés à la fibre optique au bout du compte, et qu’il y en ait environ 10 000 qui, en raison de leur position géographique, de la topographie et d’autres facteurs, restent dépendants de la technologie satellitaire. Nous constatons déjà cette évolution, et je pense que c’est une excellente chose.

Il y a un autre domaine dans lequel les satellites à basse orbite peuvent avoir une profonde incidence, et il s’agit plus particulièrement de la téléphonie mobile sans fil. Nous savons qu’il n’est pas réaliste — et nous espérons que vous êtes d’accord — de construire des tours cellulaires partout au Canada pour que les randonneurs puissent toujours bénéficier d’une connectivité cellulaire. Par contre, il y a la question de la sécurité publique. Les gens peuvent avoir des accidents. Ils peuvent trébucher et tomber, par exemple, et avoir besoin d’une aide urgente. Une nouvelle technologie est en train de voir le jour. Il s’agit de la technologie de connexion de satellite à appareil, qui a commencé à être déployée dans certaines régions du monde. Il ne s’agit pas de regarder YouTube ou d’aller sur Facebook, mais bien d’envoyer des messages électroniques aux services d’urgence. Je pense à une situation qui s’est produite en Californie il n’y a pas si longtemps. Dans les environs de Los Angeles, une personne se trouvait dans un secteur reculé. Elle a eu des ennuis et elle a utilisé cette technologie — de satellite à appareil — pour communiquer avec les services d’urgence. Elle a pu dire qu’elle était en difficulté et communiquer sa position géographique, et elle a été secourue en une heure environ.

C’est un outil qui s’ajoute à notre trousse. La connectivité, c’est une question de posséder autant d’outils que possible et d’utiliser celui qui est le mieux adapté à chaque situation.

Le sénateur Manning : Je remercie nos témoins. Je repense au 7 février de cette année, quand le sénateur Patterson a dit que de nombreux Canadiens, en particulier dans les régions rurales et éloignées, n’ont pas un accès adéquat aux services Internet. Cela a touché une corde sensible chez moi. Je vis dans une région rurale de Terre-Neuve-et-Labrador. Nous avons accès à Eastlink. C’est la seule option dont nous disposons. Je suppose que, dans un sens, nous avons de la chance d’avoir une option, mais c’est la seule option que nous ayons. Je suis conscient que nous avons des obstacles de nature géographique, comme vous l’avez mentionné plus tôt. Je sais que la faible densité de population dans certaines régions limite les investissements des entreprises privées.

Je me demande quelles initiatives le gouvernement pourrait mettre en place. Vous avez parlé du financement du CRTC, et nous avons réussi à Terre-Neuve-et-Labrador à atteindre de nombreuses régions. Le processus n’est pas encore terminé en raison des obstacles géographiques dont j’ai parlé. Quelles autres initiatives le gouvernement du Canada pourrait-il proposer pour inciter les investisseurs privés à desservir les régions qui sont encore très isolées, par exemple dans le Nord du Labrador?

Comme je l’ai dit, je vis dans une région rurale de Terre-Neuve, mais je suis à moins de deux heures de St. John’s. En revanche, il y a d’autres endroits qui sont beaucoup plus éloignés. Je me demande ce que le gouvernement pourrait faire pour encourager les investissements privés dans ce domaine.

M. Ghiz : Excellente question. J’ai moi-même vécu cela lorsque j’étais en politique. Je me suis rendu à Terre-Neuve-et-Labrador à de nombreuses reprises. Je comprends les difficultés qui en découlent.

Je pense que les gouvernements ont un rôle à jouer, en particulier dans les zones où ces projets ne se justifient pas d’un point de vue économique et où il est plus difficile de réaliser les travaux.

Par exemple, dans le centre-ville de Toronto, de Montréal ou de St. John’s, les entreprises ont elles-mêmes des incitations économiques qui leur permettent de bâtir. Dans les régions que vous évoquez, le gouvernement a un rôle à jouer.

Il existe de nombreux fonds. Comme vous le savez, il y a les fonds du CRTC. Innovation, Sciences et Développement économique Canada offre un fonds. La Banque de l’infrastructure gère un fonds. Les gouvernements provinciaux ont un fonds. On me demande tout le temps ce que je pense de ces fonds. Je pense qu’ils fonctionnent, mais il ne s’agit pas d’un guichet unique. Parfois, il n’y a pas assez de collaboration entre tous ces fonds.

Mon collègue a parlé du Québec. Parfois, il faut qu’un gouvernement prenne les choses en main et décide d’amener tout le monde à la table de négociation. Dans le Canada atlantique, nous avons une occasion de le faire. L’Agence de promotion économique du Canada atlantique et les gouvernements provinciaux travaillent en étroite collaboration.

Je dirais que s’il y a une amélioration à apporter, ce serait d’appliquer tous ces fonds à un domaine particulier; il n’est pas nécessaire de proposer cinq fonds différents dans des domaines différents.

M. Smith : Si je peux ajouter quelque chose au sujet de Terre-Neuve, vous avez probablement vu, il y a deux semaines, que le gouvernement de Terre-Neuve et le gouvernement fédéral ont annoncé des projets de financement en collaboration avec deux de nos membres pour donner accès à Internet haute vitesse à tous les foyers de Terre-Neuve qui ne sont pas encore connectés. Ainsi, 98 % des foyers seraient couverts d’ici 2026; le reste des foyers, qui sont difficiles à connecter, le seraient d’ici 2030. Pour ce qui est de la connectivité sans fil, il y a un financement en cours.

Il est intéressant de noter que les projets de financement d’Internet haute vitesse favoriseront la connectivité sans fil. En effet, pour le sans-fil, on a besoin d’un signal sans fil, d’un spectre allant d’une tour à un appareil ou à une maison, mais on a aussi besoin d’une couche de transport : la fibre optique, qui est la liaison avec le cœur du réseau. Ces projets de financement d’Internet haute vitesse permettent de construire ces lignes de transmission qui pourront ensuite être utilisées pour le sans-fil. Le financement est axé sur l’accès à Internet à domicile, parce qu’il s’agit d’une priorité. Quand on parvient à raccorder une maison, on peut permettre à toute une famille d’utiliser Internet.

Aujourd’hui, par exemple, le Québec envisage d’utiliser pour le sans-fil le modèle qu’il a utilisé pour Internet à domicile. Je pense que ce modèle a montré sa valeur et qu’il peut être appliqué au sans-fil également.

Le sénateur Manning : Merci. Lorsque vous examinez le projet de loi S-242 tel qu’il se présente aujourd’hui, avez-vous des recommandations à formuler qui permettraient de favoriser la connectivité dans les régions rurales du Canada?

M. Smith : Oui, bien sûr. Comme M. Ghiz l’a dit au départ, les motivations et les objectifs qui sous-tendent le projet de loi S-242 sont bien fondés. Notre industrie convient qu’elle veut brancher les gens aux services. Je pense toutefois que ce n’est pas le bon outil.

Comme vous l’avez mentionné, et comme M. Ghiz l’a mentionné dans son allocution d’ouverture, de nombreuses initiatives sont en cours, principalement sous les auspices d’Innovation, Science et Développement économique Canada, pour accroître la connectivité en milieu rural, qu’il s’agisse de financement ou de politiques en matière de spectre. Le ministère a récemment modifié le cadre pour que les fréquences résiduelles — celles qui n’ont pas fait l’objet d’une offre lors des enchères — soient mises plus rapidement à la disposition de ceux qui sont en mesure de les exploiter.

Nous avons un membre dans le Nord de l’Ontario, Tbaytel, qui a récemment acquis un spectre résiduel qu’il utilisera pour rejoindre les communautés du Nord de l’Ontario. La société a également ajouté de plus petites zones de licence de niveau 5, où le spectre peut être utilisé et concédé dans une zone plus restreinte. Ses exigences en matière de déploiement sont plus strictes.

Il y a des consultations sur ce que l’on appelle le cadre d’octroi des licences d’accès. Il s’agit d’un cadre controversé, qui ne fait pas l’unanimité. Son objectif, là encore, est de faciliter les choses. S’il y a des fréquences inutilisées quelque part et que quelqu’un a un projet commercial pour les utiliser, on veut mettre en place un cadre qui permettrait un accès équitable à ces fréquences.

Il y a beaucoup de choses qui se produisent. Ce qui m’inquiète, en plus du problème de la loi S-242, qui propose une solution unique, c’est que nous entrons dans une période où nous devons permettre à ces autres initiatives de se concrétiser et évaluer leur efficacité. Le projet de loi proposé pourrait nuire à certaines de ces initiatives.

Nous devons vraiment laisser les gens du ministère faire leur travail — car ce sont eux les experts dans ce domaine — et laisser leurs initiatives se concrétiser. Après cela, il faudra évaluer les résultats et voir s’il y a lieu de faire autre chose.

Le sénateur Manning : Monsieur Ghiz, si je vous ai bien entendu, vous avez dit que nous avions un ou deux ans de retard dans les ventes aux enchères. Y a-t-il une raison à cela, ou est-ce simplement la façon dont les choses se sont déroulées?

M. Ghiz : C’est à cause des processus de consultation qui se déroulaient. Je dirai ceci : nous étions un peu en retard par rapport aux États-Unis en ce qui concerne la 4G et le LTE. Aujourd’hui, nos réseaux sont plus rapides que ceux des États-Unis et nous sommes mieux classés. Parfois, ce n’est pas la fin du monde d’être un peu en retard. Espérons que la même chose qui s’est produite dans le cas de la 4G et du LTE se produira au Canada.

Il faut que les gouvernements veillent à ce que les fréquences soient disponibles en temps voulu et qu’ils mettent en place des politiques qui favorisent l’investissement dans les réseaux sans fil au Canada.

Le sénateur Manning : Merci.

Le sénateur Cardozo : Merci, messieurs Ghiz et Smith, d’être avec nous.

Nous avons beaucoup parlé de connectivité ce matin. Ce dont nous n’avons pas encore parlé, c’est de l’accessibilité financière. Il est certain qu’au Canada — et vous pouvez me corriger si je me trompe —, nos coûts de téléphonie cellulaire et d’accès à Internet sont parmi les plus élevés par rapport au reste du monde.

Comment pensez-vous que nous pouvons résoudre ce problème en général, mais aussi dans les zones rurales et éloignées, et croyez-vous que ce projet de loi contribuera à rendre les prix plus abordables?

M. Ghiz : C’est une excellente question. Merci, monsieur le sénateur.

Nous savons qu’au cours des dernières années, le coût de la vie a été une des principales difficultés rencontrées par les Canadiens. Selon l’indice général des prix à la consommation, il a augmenté de 6 % rien que l’année dernière. Au cours des deux dernières années, il a augmenté de 11 %. En revanche, l’indice des prix des services de téléphonie cellulaire a diminué de 7 % l’année dernière et de 22 % au cours des deux dernières années.

Vous vous demandez peut-être pourquoi cela se produit maintenant, alors que tous les autres coûts sont à la hausse. Cela s’explique par les politiques gouvernementales des 20 dernières années en matière de concurrence entre les fournisseurs de services offerts par mise à disposition d’installations; les fournisseurs existants et les nouveaux venus se livrent à une concurrence acharnée pour attirer de nouveaux clients. Grâce à des politiques gouvernementales qui remontent à 2005-2008 et qui encouragent de nouveaux arrivants à venir sur le marché, nous commençons à voir les prix baisser.

Ce n’est pas seulement une question de prix, pour répondre à la deuxième partie de votre question. C’est aussi une question de qualité de nos réseaux. Comme je l’ai déjà dit, au Canada, la qualité de nos réseaux est l’une des meilleures au monde.

C’est aussi une question de couverture. Pour ce qui est de la couverture, il faut créer un contexte propice à l’investissement afin de connecter davantage de Canadiens, mais aussi d’améliorer nos réseaux existants — en d’autres termes, rattraper notre retard en matière de 5G — pour que le Canada soit compétitif.

Pour résumer, les prix baissent en raison de la concurrence fondée sur la mise à disposition d’installations. Nous ne pouvons pas perdre de vue que des investissements supplémentaires sont nécessaires pour connecter davantage de Canadiens et leur permettre de bénéficier d’un accès à des services de téléphonie mobile de classe mondiale.

Le sénateur Cardozo : La concurrence fondée sur les installations contribue-t-elle à la concurrence globale dans le secteur? Ce n’est pas un secteur très concurrentiel. Comment pouvons-nous le développer? Le gouvernement et le CRTC ont toujours essayé d’accroître la concurrence sur le marché. Quelques nouveaux acteurs font leur apparition, puis ils sont absorbés par les grands acteurs et nous nous retrouvons à nouveau avec un petit nombre d’acteurs.

M. Ghiz : Les acteurs qui ont été rachetés sont surtout des revendeurs, et ce ne sont donc pas eux qui construisent les réseaux. Les acteurs dont on a récemment parlé ne sont pas ceux qui construiront des réseaux dans les collectivités rurales. Ils revendront les réseaux. De toute façon, il s’agissait principalement de fournisseurs d’accès Internet à domicile.

Pour ce qui est de la construction des réseaux, ce sont nos fournisseurs d’installations qui s’en chargeront. Il faut du temps pour se lancer dans le secteur des communications sans fil. C’est un secteur qui exige beaucoup de capitaux, et, si vous regardez notre région — il y a probablement quatre Canadiens de l’Atlantique ici —, Eastlink est probablement la plus grande entreprise des Maritimes ou du Canada atlantique, mais cela reste une entreprise de taille moyenne. Il en va de même pour Vidéotron au Québec. Elle est considérée comme importante au Québec, mais dans l’ensemble, c’est une entreprise de taille relativement modeste. Néanmoins, ces entreprises ont connu une croissance spectaculaire au cours des dernières années et exercent une concurrence dans tout le Canada, ce qui nous permet d’avoir de meilleurs réseaux avec des prix en baisse.

Le sénateur Cardozo : Monsieur Smith, vous avez parlé du développement des technologies et de la nécessité d’en faire plus. Au-delà de la 5G, de quoi aurions-nous besoin? Qu’est-ce qui peut être réalisé?

M. Smith : Vous pensez aux fournisseurs ou à l’économie en général?

Le sénateur Cardozo : Je pense à la situation économique du secteur en général.

M. Smith : Nous aimons à dire que notre industrie et ses infrastructures numériques connexes sont des catalyseurs pour d’autres secteurs. Notre industrie contribue au PIB à hauteur d’environ 70 milliards de dollars chaque année et représente plus de 650 000 emplois dans l’ensemble des secteurs d’activité.

L’important, c’est que ces secteurs voient les capacités que nous intégrons dans les infrastructures de télécommunications et qu’ils s’en servent pour mettre en œuvre des technologies de pointe, qu’il s’agisse de la réalité virtuelle, de l’intelligence artificielle ou d’autres choses de ce genre.

Ce que la 5G a apporté — si l’on remonte à l’avènement du sans-fil —, c’est la possibilité de passer un appel téléphonique. Puis il y a eu les textos. Ensuite, on a pu accéder à Internet. La 5G élargit donc le spectre des possibilités afin d’obtenir une très faible latence. Cela concerne les applications cruciales, que ce soit dans le domaine de la sécurité publique, de la médecine, des transports ou autres. Cette technologie permet de n’avoir que des délais imperceptibles dans le signal, ce qui permet de l’utiliser pour des applications de sécurité.

Mais il incombe à ces industries d’adopter cette technologie. Je pense que le Canada a la réputation d’être un peu en retard sur les autres pays pour ce qui est de sa capacité à développer des technologies. Je pense qu’il serait bon que le gouvernement regarde ce qui se passe dans le monde et voit ce que les pays font pour intégrer les nouvelles technologies grâce à la 5G, et qu’il encourage certains secteurs industriels, par le biais de différents mécanismes politiques, à intégrer cette technologie afin que nos entreprises au Canada puissent être compétitives par rapport au reste du monde.

Le sénateur Cardozo : Avez-vous des exemples à nous donner?

M. Smith : Oui, il y a beaucoup de choses intéressantes qui se font dans le domaine des transports. Beaucoup de gens parlent des véhicules autonomes. Je préfère mettre ce sujet de côté, car il s’agit d’un défi très technique que de conduire une voiture en ville. Mais les dispositifs automobiles et de sécurité sont utilisés dans les secteurs des ressources pour les gros véhicules qui se déplacent lentement, par exemple. Les technologies sont utilisées dans les mines, dans l’agriculture, pour surveiller de près les conditions de plantation et les produits chimiques à épandre, entre autres. Pour un pays comme le Canada, je pense que le secteur des ressources naturelles et de l’agriculture peut être très rentable.

Le sénateur D. Patterson : Je remercie les témoins d’être présents. Monsieur Ghiz, j’ai été franchement étonné lorsque vous avez dit que le ministère de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique a adopté une approche obligeant les acquéreurs à utiliser le spectre sous peine de le perdre. Nous observons les politiques de ce ministère depuis des années, et c’est pourquoi nous sommes ici. Certaines failles ont permis à des entreprises comme Vidéotron, qui est membre de votre association, d’acheter du spectre à Toronto en 2008 pour la somme de 96,4 millions de dollars. Cette entreprise n’a jamais rien construit dans cette ville très peuplée, mais elle a revendu le spectre en 2017 à Rogers pour 184 millions de dollars et, un mois plus tard, à Shaw pour 243 millions de dollars, ce qui lui a permis de réaliser un profit de plus de 300 millions de dollars.

Je sais que M. Smith a parlé de spectre résiduel. Je n’utiliserai pas le terme « squattage de spectre », mais j’aimerais vous demander quelle est la quantité de spectre en jachère dont disposent vos membres, si vous pouviez nous donner ce détail maintenant ou plus tard par l’intermédiaire du greffier. Selon vous, comment ce spectre en jachère peut-il être remis en service?

M. Ghiz : Merci beaucoup, sénateur Patterson. Permettez-moi de profiter de cette occasion pour vous féliciter pour ce projet de loi.

Comme nous l’avons dit, nous appuyons l’intention du projet de loi. Nous pensons qu’il s’agit d’une question très importante afin que les Canadiens soient mieux connectés et qu’une personne vivant dans une région rurale ou éloignée puisse bénéficier des mêmes avantages qu’une personne vivant dans un centre urbain.

Je laisserai mon collègue, Eric Smith, aller plus loin dans les détails. Vous avez parlé des premières ventes aux enchères qui ont eu lieu avec les nouveaux opérateurs. Je dirais que les enchères du spectre ont évolué au cours des 15 à 20 dernières années. Au début, il s’agissait de promouvoir la concurrence au Canada afin d’aider ces nouveaux opérateurs que sont Eastlink, Vidéotron, SaskTel dans une certaine mesure, Freedom Mobile, Xplore à se lancer dans le secteur. Ils voulaient être compétitifs dans tout le pays.

Ils ont réalisé des investissements massifs pour être en mesure de le faire. Je pense que nous commençons à voir les fruits de ces investissements. Cependant, il arrive que les plans d’affaires changent. Il y a eu des évolutions au cours des 20 dernières années et il y en aura sûrement au cours des 20 prochaines années.

Ce que certains considèrent comme du squattage pourrait résulter d’un changement dans le plan d’affaires. Cependant, parce que ces opérateurs ont pu vendre ce spectre — et vous l’avez entendu de la part du ministère —, d’autres ont pu l’utiliser pour connecter davantage de Canadiens. Certains ont parfois gagné de l’argent. Parfois, ils en ont perdu. Mais dans l’ensemble, cela a permis de connecter plus de Canadiens.

Je laisserai mon collègue, Eric Smith, aborder ces questions plus en détail, car je pense qu’il est important de connaître les tenants et les aboutissants.

M. Smith : Pour clarifier les choses, lorsque j’ai utilisé le terme « spectre résiduel », je parlais d’un spectre qui n’avait pas fait l’objet d’une offre lors d’une vente aux enchères. Personne ne le détenait. En ce qui concerne la jachère, nos membres utilisent le spectre qu’ils ont acquis lors d’une vente aux enchères conformément aux règles de la vente aux enchères et ils le déploient conformément aux exigences de déploiement.

Dans certains cas — et je pense que les représentants du ministère se sont exprimés à ce sujet —, lorsqu’ils approchent d’un jalon, ils examinent les licences pour voir où en sont les entreprises en ce qui concerne les conditions de déploiement. Très rarement, il arrive qu’une entreprise située dans une zone particulière et disposant d’un bloc de spectre particulier estime qu’elle ne sera pas en mesure de déployer ce spectre dans le délai imparti, soit en raison de changements dans son plan d’affaires, soit en raison de problèmes pour obtenir des autorisations ou des permis de la part des autorités locales chargées de l’aménagement du territoire, soit pour toute autre raison.

Lorsque cela se produit, l’entreprise cherche généralement quelqu’un à qui subordonner ce spectre, parce que cela permet de satisfaire aux exigences de déploiement, ou bien elle cherche à le transférer à quelqu’un d’autre.

Parfois, une entreprise échange du spectre avec d’autres fournisseurs. Par exemple, si un fournisseur a besoin d’un bloc de spectre qu’il pourrait utiliser, il est possible de faire des transferts et des échanges de spectre. Il arrive très rarement que les entreprises disent qu’elles ne pourront pas l’utiliser et qu’elles le renvoient à Innovation, Sciences et Développement économique, pour que ce spectre soit mis à disposition par le biais d’autres cadres du ministère. Je pense qu’il est erroné de penser qu’une grande quantité de spectre n’est pas utilisée. Il est utilisé conformément aux conditions de la licence octroyée.

Le sénateur D. Patterson : C’était ma question. Vous représentez l’industrie des communications sans fil au Canada, alors pouvez-vous nous fournir des données sur la quantité de spectre inutilisé en jachère parmi vos membres?

M. Smith : Nous pourrions poser cette question à nos membres.

Le sénateur D. Patterson : Pourriez-vous communiquer ces informations au comité?

M. Smith : Oui, nous fournirons les informations que nous recevrons de la part de nos membres.

Le sénateur D. Patterson : Vous avez vanté les données du CRTC qui montrent un taux de pénétration élevé. Je me souviens que vous avez dit que ce taux correspondait « au lieu de résidence ou de travail des gens ». Cela m’a immédiatement fait comprendre que vous parliez des grandes villes et des zones urbaines. Mais des gens vivent et travaillent dans des zones reculées. Quel est le taux de pénétration dans les communautés rurales et éloignées, ou quel est le taux de pénétration si vous comptabilisez les communautés rurales et éloignées avec les zones urbaines où les gens vivent et travaillent? Les zones rurales et isolées ne pourraient-elles pas bénéficier d’un spectre en jachère — ce spectre inutilisé qui est d’utilité publique — s’il était mis à leur disposition?

M. Ghiz : C’est une excellente question, sénateur. Le chiffre du CRTC — 99 % des Canadiens, là où ils vivent et travaillent — est valable pour tous les Canadiens. Mais vous avez raison, ce chiffre est plus élevé dans les centres urbains que dans les régions rurales et éloignées. Nous savons que dans les zones rurales, le taux est d’environ 98 %. Nous savons que, dans les communautés des Premières Nations, il n’est que de 90 %. Voilà les zones où l’objectif que nous sommes en bonne voie d’atteindre, du CRTC et de notre industrie, sera de connecter 100 % des Canadiens au cours des trois prochaines années — puisque nous sommes en 2023. Ce sont ces régions qui ont besoin d’investissements au cours des trois prochaines années pour atteindre cet objectif de connectivité.

Le sénateur D. Patterson : Merci.

Monsieur Ghiz, vous avez fait des commentaires très positifs sur le taux de pénétration du réseau sans fil au Canada, qui serait le réseau le plus rapide de tous les pays du G7. Certains pensent que le Canada affiche également le prix le plus élevé au monde. Pourriez-vous nous donner — maintenant ou plus tard — une analyse qui ne parle pas nécessairement du taux de pénétration, mais des coûts comparés à ceux des pays du G7, à la tête desquels nous nous trouvons selon vous pour ce qui est de la rapidité du réseau?

M. Ghiz : Voulez-vous parler des coûts relatifs à l’investissement ou à ce que les gens paient?

Le sénateur D. Patterson : Je veux parler des coûts pour les consommateurs.

M. Ghiz : Comme je l’ai déjà indiqué, si l’on s’appuie sur l’indice des prix à la consommation, les prix baissent au Canada. Actuellement, il est de 7 %, alors qu’il était de 22 % l’année dernière. Au cours des deux dernières années, le prix de certains forfaits a baissé de manière encore plus spectaculaire. Nous savons qu’au Canada, les coûts de développement sont plus élevés en raison de la configuration de notre territoire, du climat et du fait que le coût du spectre est plus élevé au Canada. Mais il faut aussi savoir que nous investissons davantage.

En ce qui concerne la qualité de nos réseaux, il y a encore du travail à faire. Si vous regardez ce que les pays du G7 et l’Australie dépensent par abonné, il me semble que le Canada dépense presque deux fois plus par abonné que n’importe lequel de ces pays. C’est pourquoi nos réseaux sont plus rapides, et c’est aussi pourquoi nous réalisons des progrès en matière de connectivité, même s’il reste encore beaucoup à faire, et c’est sur ce point que nous devrons nous concentrer à l’avenir.

Le sénateur D. Patterson : Vous m’avez demandé si ma question portait sur le coût des investissements ou sur le coût pour les consommateurs, et vous m’avez expliqué que les coûts ont baissé ces dernières années et que le Canada dépense deux fois plus que d’autres pays pour la construction en raison de la configuration de notre territoire et de notre géographie. Je vous le redemande : avez-vous des données qui comparent les coûts pour les consommateurs avec, disons, d’autres pays du G7 ou des pays comparables? Avez-vous des données à ce sujet?

M. Ghiz : Oui, je laisse la parole à M. Smith.

M. Smith : C’est difficile à dire. Si vous parlez à des économistes, ils vous diront qu’il n’existe aucun moyen fiable de comparer les prix d’un pays à l’autre. Comment cela se fait-il? Si l’on prend le secteur des télécommunications sans fil et le groupe de pays que l’on souhaite comparer, on constate qu’il existe des milliers de forfaits différents. Ils ont tous des caractéristiques différentes. Ils ont tous des qualités différentes en termes de vitesse, de couverture, et ainsi de suite. En réalité, on se retrouve à comparer des pommes avec des oranges.

Quelques organisations indépendantes ont tenté d’effectuer des études dans ce sens. Lorsque les économistes et les universitaires examinent ces études, il me semble qu’ils disent que « les résultats sont dénués de sens ». Il est impossible d’étudier les coûts ou les prix sans tenir compte du coût de la prestation du service. Si l’on tient compte du prix pour le consommateur, du prix de détail, du coût de la prestation du service, de la qualité du service, de la couverture du service, et si l’on tient compte de tous ces éléments, oui, nous pourrions présenter un rapport. Aux États-Unis, une association professionnelle a engagé des économistes pour étudier cette question et combiner tous ces éléments afin d’aboutir à ce qu’ils appellent une proposition de valeur. Dans cette étude, parmi les pays du G7 et l’Australie, le Canada a été classé au premier rang des pays ayant la meilleure proposition de valeur. Selon les auteurs de l’étude, les Canadiens en ont plus pour leur argent. Outre le G7 et le G8, l’étude portait également sur une catégorie de démocraties de premier plan, soit une vingtaine de pays, et, là encore, le Canada arrivait en tête.

Comme l’a mentionné M. Ghiz, il faut prendre en compte l’ensemble de la situation. Les trois objectifs sont la qualité, la couverture et la baisse des prix, et il faut ensuite vérifier si les politiques en place permettent d’obtenir ces résultats. Je pense qu’il est incontestable que les politiques en place donnent des résultats positifs pour les consommateurs. Je peux vous fournir cette étude. Je me ferai un plaisir de la partager avec vous.

[Français]

Le sénateur Cormier : Je voudrais revenir sur la question du respect des conditions par les détenteurs de licence. Monsieur Smith, vous disiez qu’il y avait une perception à savoir que le non-respect des licences était moins problématique qu’on semblait le croire. Selon vous, que pourrait faire le gouvernement en matière de politiques publiques pour assurer encore davantage le respect des licences?

On sait que le ministre a l’autorité nécessaire pour annuler une licence en cas de non-respect. Cependant, dans un contexte où il existe des sous-licences, qu’est-ce que le gouvernement pourrait faire de plus pour assurer plus de transparence et un meilleur respect des licences, puisqu’il semble y avoir un problème sur ce plan?

[Traduction]

M. Smith : J’en reviens au témoignage des responsables d’Innovation, Sciences et Développement économique. Je ne pense pas qu’ils perçoivent cela comme un gros problème. Ils envisagent peut-être de s’attaquer au problème de manière ciblée et de prendre des décisions très nuancées, comme ils l’ont fait récemment, et de procéder à des consultations afin d’adapter leur cadre politique. Mais je ne pense pas qu’il soit nécessaire de procéder à un remaniement important ou à un grand changement de politique.

Comme je l’ai déjà mentionné, ils envisagent des conditions de déploiement plus strictes dans le cadre des ventes aux enchères. Ils envisagent de nouvelles conditions de déploiement pour certains spectres qui ont déjà fait l’objet d’une licence. Il s’agit de spectres dont la licence est arrivée à son terme et qui doivent être renouvelés. Ils envisagent d’appliquer des conditions de déploiement plus strictes pour ces spectres. Comme je l’ai mentionné, ils sont en train de mener des consultations au sujet d’un cadre pour l’accès aux licences. Ils sont également en train de simplifier le cadre pour les ventes aux enchères de licences résiduelles et d’ajouter des zones de service de niveau 5 plus petites.

Ils ont augmenté la taille de la bande du spectre des services à large bande afin d’assurer une meilleure couverture des zones rurales. Ils ont aussi mis à disposition davantage de spectres exempts de licence ou gratuits dans la bande du spectre. La liste des mesures prises est longue. Ils sont très attentifs à la question. Ils étudient les pratiques exemplaires dans le monde entier et consultent l’industrie.

Encore une fois, je pense que les faits sont éloquents. Si vous regardez la couverture dont nous disposons au Canada, la qualité des services, le fait qu’il y ait eu très peu de licences révoquées ou renvoyées au gouvernement montre que le spectre est utilisé et que nous obtenons de bons résultats.

Je ne pense pas que nous ayons besoin de grandes mesures politiques. Nous devons, avec tout le respect que je vous dois, laisser les spécialistes du ministère faire leur travail, qui consiste à trouver et à adapter une approche subtile, et à s’attaquer aux problèmes spécifiques qu’ils rencontrent.

Le sénateur Harder : J’ai une petite question. Étant donné la difficulté qu’éprouvent les Canadiens, du moins en ce qui concerne les coûts, et la diminution progressive de la concurrence — il y a des fusions, et de moins en moins d’entreprises en démarrage réussissent —, est-il temps de nous demander si nous ne devrions pas ouvrir le marché canadien aux acteurs mondiaux et favoriser la concurrence dans le secteur, en espérant que cela aura un effet sur les prix, la qualité et la couverture?

M. Ghiz : C’est une excellente question. Je vais commencer, et M. Smith pourra prendre le relais.

On a un peu tort de croire que Verizon ou toute autre entreprise ne peut s’établir au Canada. Si des entreprises étrangères le voulaient aujourd’hui, elles pourraient venir acheter des licences de spectre au pays et commencer à fournir des services sans fil. Elles pourraient même venir acquérir nombre de nos petits fournisseurs au Canada, comme Eastlink, Vidéotron ou autres. La seule exception concerne Bell, Rogers et Telus, en raison de leur part de marché. Bref, il leur est possible de venir au pays. Je crois que l’entreprise Xplore, par exemple, est actuellement détenue par un fonds d’investissement spéculatif américain.

Peu de gens savent qu’il s’agit d’une industrie à très forte intensité de capital dans laquelle il est très coûteux de s’engager; s’il était facile de le faire, nous verrions ces entreprises étrangères venir s’établir au pays, mais c’est très difficile.

C’est paradoxal. Vous étiez probablement là lors de la mise en place du système initial, sénateur. Il a fallu 20 ans pour en arriver là où nous en sommes aujourd’hui, et les choses continuent d’évoluer avec les nouveaux venus. C’est toutefois grâce à tous les gouvernements passés — qu’ils aient été libéraux ou conservateurs — qui ont encouragé la concurrence fondée sur les installations et insisté sur l’importance des investissements que nous voyons enfin les trois piliers se rejoindre, à savoir la couverture, l’abordabilité et la qualité. Il nous a fallu du temps pour en arriver là.

Si les gouvernements continuent à promouvoir cette concurrence fondée sur les installations, à encourager les investissements et à créer un environnement favorable, notre industrie, espérons-le, se portera encore mieux à l’avenir.

Le sénateur Cardozo : J’ai une brève question. J’espère qu’elle ne paraîtra pas trop facile. Votre industrie a joué un rôle majeur durant la pandémie de COVID. Qu’avons-nous appris? Qu’est-ce que nous avons maintenant que nous n’avions pas avant la pandémie?

M. Ghiz : C’est une excellente question. Nous y répondrons en deux parties.

Le sénateur Cardozo : Vous obtenez des points supplémentaires pour cela.

M. Ghiz : Nous répondrons en deux parties, car nous disposons de toutes les statistiques, et M. Smith les connaît un peu mieux que moi.

Essentiellement, du jour au lendemain, les Canadiens se sont rués sur Internet. Il y avait deux fois plus de trafic, principalement par la connexion Internet résidentielle. Grâce aux investissements qu’ont effectués nos membres, nos réseaux ont pu répondre à la demande.

Je ne dirai pas que j’étais stupéfait, mais c’était certainement préoccupant. Nos membres ont collaboré avec le gouvernement pour effectuer rapidement un certain nombre de changements nécessaires au sein des établissements de soins de santé et des installations du gouvernement afin que tout se passe bien. Nos membres ont travaillé en étroite collaboration avec les gouvernements fédéral et provinciaux pour se rendre dans ces zones de services essentiels, afin de s’assurer qu’elles avaient la capacité de résister à l’augmentation dans la bande passante qui se produisait à ce moment-là. C’est dire à quel point les 90 milliards de dollars d’investissements réalisés par nos membres au cours des 10 ou 15 dernières années ont été importants pour que cela puisse se faire.

Monsieur Smith, vous connaissez un peu plus les statistiques que moi, alors n’hésitez pas à intervenir.

M. Smith : Je vous remercie de la question.

Si nous avons fait preuve de résilience, cela ne s’est pas fait par magie. C’est grâce à la fois aux investissements passés et au fait que, durant la crise, nos membres ont travaillé sans relâche avec les institutions essentielles comme les hôpitaux, le gouvernement, et cetera, pour veiller à ce qu’elles reçoivent les services dont elles avaient besoin.

Nous avons également travaillé avec des communautés défavorisées pour nous assurer qu’elles disposaient d’appareils, et notamment auprès de refuges pour femmes. J’ai déjà siégé au conseil d’administration d’un refuge pour femmes. On ne peut qu’imaginer la peur de ces femmes qui n’ont pas encore intégré le réseau des refuges, mais qui sont dans une relation de violence; non seulement il est difficile de s’en sortir, mais il y a maintenant des confinements et des restrictions sanitaires, entre autres. Nous avons travaillé avec ces communautés pour mettre en place des services d’envoi de messages textes, notamment, et pour fournir des appareils à ces personnes.

Nous avons également travaillé avec d’autres communautés défavorisées et marginalisées. Il s’est passé beaucoup de choses.

Ce que nous avons appris, c’est que cela a accéléré le processus d’adoption de nouvelles technologies et de transformation numérique de la société dont nous avons parlé plus tôt, et c’est une bonne chose. Les entreprises, les gouvernements et les personnes ont commencé à adopter des technologies auxquelles ils n’avaient pas encore adhéré.

Nous avons également appris qu’il existe un fossé. Certaines personnes n’ont pas les compétences numériques nécessaires et se sont senties laissées pour compte.

Vous avez soulevé la question de l’abordabilité. Notre industrie offre des forfaits Internet résidentiels — qui ne sont pas subventionnés par le gouvernement, mais par nos membres — à partir de seulement 10 $ pour aider les aînés et les personnes à faible revenu à avoir accès à Internet.

Dans d’autres pays, comme aux États-Unis, d’importantes subventions gouvernementales permettent d’aider les gens à faible revenu. C’est une autre option que pourrait envisager le gouvernement; il subventionne le logement, la nourriture et ce genre de choses, alors il pourrait le faire aussi dans ce domaine.

Le président : Monsieur Ghiz, monsieur Smith, nous vous remercions d’être venus. Comme vous pouvez le voir, nous avons dépassé le temps qui nous était imparti, soit une heure. Je vous remercie de votre générosité. Votre présence aujourd’hui a aidé le comité dans le cadre de son étude du projet de loi S-242. Merci encore une fois, au nom du comité.

Honorables sénateurs, pour la deuxième partie de la séance, je suis très heureux d’accueillir Mme Bronwyn Howell, professeure à l’Université Victoria de Wellington, qui se joint à nous par vidéoconférence, et M. Georg Serentschy, associé gestionnaire, Serentschy Advisory Services GmbH, qui se joint aussi à nous par vidéoconférence. Soyez les bienvenus.

Je vous remercie de vous joindre à nous à partir de la Nouvelle-Zélande et de l’Europe. Je sais qu’il est probablement très tôt pour vous, et nous vous sommes reconnaissants de vous donner la peine de venir témoigner devant notre comité. Comme le veut la pratique habituelle, vous disposerez de quelques minutes pour prononcer votre déclaration préliminaire, après quoi mes collègues pourront vous poser des questions.

Bronwyn Howell, professeure, Université Victoria de Wellington, à titre personnel : Je vous remercie beaucoup de me donner l’occasion de m’adresser à vous. Je m’appelle Bronwyn Howell, et j’occupe un poste universitaire à l’Université Victoria de Wellington. J’ai plus de 20 ans d’expérience dans la publication d’articles sur la politique des télécommunications dans des revues internationales à comité de lecture. Je suis titulaire d’un doctorat en politique publique.

Je présente mon travail uniquement en tant qu’universitaire, dans l’intérêt du public, et parce qu’il se nourrit de ces intentions. J’ai acquis mon expérience principalement en examinant le rendement comparatif de différentes politiques dans différents pays.

En ce qui concerne le projet de loi S-242, les droits relatifs au principe de « non-utilisation égale abandon » visent à garantir que le spectre qui a été mis aux enchères soit mis à la disposition du plus grand nombre le plus rapidement possible. Ainsi, grâce à ce principe, si le spectre n’est pas déployé dans un délai raisonnable, les droits peuvent être repris et mis à la disposition d’autres fournisseurs qui, eux, l’utiliseront.

En général, je pense qu’il s’agit d’une motivation louable, mais malheureusement, le libellé est formulé de telle sorte qu’il pourrait créer des conséquences et des complications involontaires. C’est en partie parce qu’il s’agit d’un instrument peu nuancé dans le contexte d’un ensemble particulièrement complexe de dispositions de politiques concernant le spectre, les intentions en matière de concurrence, et d’autres dispositions qui font partie de l’ensemble des politiques canadiennes.

Cela s’explique aussi en partie par les problèmes fondamentaux que pose la politique canadienne en matière de spectre. Il est difficile d’examiner cet instrument sans le replacer dans le contexte de l’ensemble des politiques.

En ce qui concerne les conséquences involontaires qui peuvent survenir, d’abord, je pense que le critère des 50 % dans les trois ans est une intention louable, mais c’est un instrument très lourd et un critère unique qui est requis pour assurer la couverture de zones incroyablement différentes et diversifiées du paysage canadien. Il y a des zones rurales et des zones urbaines, et les compromis entre ces deux types de zones sont extrêmement importants pour examiner l’ensemble des droits et les incitatifs, les motivations et les rendements sur investissement qui découlent d’un déploiement dans différentes zones.

Ce critère supplémentaire dans les obligations relatives aux droits d’utilisation du spectre ajoute un risque pour les gens qui font l’acquisition de licences, ce qui peut s’avérer particulièrement problématique dans les zones financièrement marginales et à coûts très élevés. Je pense qu’il pourrait y avoir un risque, car cela ajoutera des obstacles pour les détenteurs potentiels de droits qui voudraient faire une offre pour ce spectre. S’ils ont le moindre doute quant à leur capacité à remplir ces critères particuliers dans le délai imparti, ils deviendront plus réticents et considéreront qu’ils sont trop bons pour s’intéresser à ces licences de toute façon. Paradoxalement, cela pourrait se traduire par une baisse de l’attribution des fréquences lors des mises aux enchères, parce que les offres ne se concrétiseront pas. Il s’agit là d’un problème particulier, car des dispositions similaires ont été appliquées lors de récentes ventes aux enchères en Afrique du Sud, ce qui a eu pour effet que d’importantes zones de droits d’utilisation du spectre n’ont pas fait l’objet de soumissions.

L’un des autres risques liés à cet instrument est qu’il fixe un objectif, ce qui pourrait faire que les exploitants offriraient des services dans des zones urbaines à faible coût et très rentables, et dans des zones rurales à coût élevé et donc moins rentables. Les 50 % sur trois ans seraient alors un objectif à atteindre, et nous verrions des exploitants aspirer à atteindre cet objectif et, une fois qu’ils l’auraient atteint, relâcher peut-être la pression pour prendre les excédents qu’ils obtiennent en desservant les zones urbaines à faible coût et à volume élevé, et les appliquer au déploiement de l’infrastructure dans les zones rurales. Il se peut qu’ils s’arrêtent ou qu’ils lèvent le pied de l’accélérateur lorsqu’ils atteindront ce seuil. Cela ne contribuera pas nécessairement au déploiement souhaité dans les zones rurales. En fait, cela pourrait nuire aux efforts actuels de déploiement dans des zones plus éloignées, car les conditions seront plus strictes que celles qui existent actuellement. Cela ne signifie pas pour autant qu’il n’y a pas de bonnes intentions dans l’établissement de telles conditions. Cependant, ce qui serait selon moi plus fructueux concernant le critère relatif à la perte des droits non exploités, c’est d’envisager d’utiliser des échelles variables qui tiennent compte des caractéristiques géographiques et démographiques particulières des zones auxquelles les droits d’utilisation du spectre s’appliquent, et peut-être d’envisager toute une série de sanctions qui pourraient s’appliquer. La confiscation ou la reprise des droits de licence est une sanction particulièrement sévère, mais d’autres mesures pourraient également être envisagées, notamment la possibilité de recourir à des gestionnaires statutaires pendant un certain temps. Là encore, on pourrait envisager une échelle variable de sanctions permettant d’atteindre une série d’objectifs dans le cadre d’un seul arrangement, plutôt que d’avoir un critère unique et strict de 50 % sur trois ans.

D’autres risques concernent la possibilité de réattribuer les droits d’utilisation du spectre à d’autres exploitants. De toute évidence, le projet de loi oblige les exploitants qui ne satisfont pas au critère des 50 % sur trois ans à transférer leur licence à un autre exploitant. Toutefois, la question qui se pose est la suivante : compte tenu de ces risques supplémentaires qui ont été imposés, qui les assumera? Cela nous amène à un autre problème qui existe dans le système canadien. La façon dont le spectre a été découpé et rendu disponible au Canada a donné lieu à des arrangements très coûteux. L’un des problèmes qui se posent pour les exploitants est que si l’un d’eux doit assumer les obligations de quelqu’un d’autre, alors il est beaucoup plus rentable que cet exploitant dispose de la partie du spectre qui est adjacente dans les bandes disponibles. Ce n’est pas seulement la quantité de fréquences qui compte, c’est la position réelle dans la bande de fréquences. Il est beaucoup moins coûteux pour les exploitants dont les fréquences occupent une position adjacente dans la bande de prendre en charge les activités d’un autre exploitant. Si ces droits d’utilisation ont été fragmentés et disséminés, il est très coûteux de les reprendre. Là encore, si le nouvel exploitant est soumis aux mêmes obligations que l’exploitant existant, et que l’exploitant le plus probable ne dispose pas de fréquences adjacentes, le coût de cette reprise sera plus élevé. Dans ce cas, il se peut également que le même marché manquant ressorte pour les droits du marché secondaire.

Par conséquent, l’une des choses que l’on pourrait envisager pour surmonter ce problème — si l’on veut que le spectre soit utilisé ou qu’il soit abandonné — est de considérer l’option d’un exploitant de dernier recours subventionné par le gouvernement qui peut venir prendre en charge les opérations qui n’atteignent pas l’objectif. C’est particulièrement important lorsqu’un réseau partiellement déployé doit être repris. Dans ce cas, des clients utilisent déjà le réseau. Si les droits sont repris et qu’il n’y a pas assez d’exploitants, il peut sembler que, non seulement le spectre ait été repris, mais que les clients se voient retirer leurs services à large bande. Dans ce cas, pour soutenir ces arrangements, il pourrait être nécessaire d’envisager l’option de l’exploitant de dernier recours, qui aura nécessairement des coûts plus élevés et devra être subventionnée de manière plus importante afin d’assumer ces coûts. Cette option doit néanmoins être envisagée.

La question fondamentale que j’aborderai maintenant est celle de la politique canadienne. Ce qui rend la politique canadienne unique dans les pays de l’OCDE, c’est l’utilisation du système de réserves. Dans le passé, il y a eu des intentions louables d’utiliser les réserves pour promouvoir l’entrée en concurrence. Sur le plan international, cette pratique est très inhabituelle et devient de moins en moins courante au fil du temps. En effet, dans ce secteur, les choses sont rentables seulement s’il n’y a qu’un petit nombre d’exploitants qui fournissent des services. L’un des problèmes est donc que, si l’on veut que le marché compte suffisamment d’exploitants pour fournir des services étendus, il faut qu’ils disposent de fréquences regroupées en lots contigus suffisamment vastes et utilisables.

L’un des problèmes que pose le système de réserves au Canada, c’est qu’on a créé une fragmentation artificielle des droits d’utilisation du spectre afin de créer des réserves, ce qui a placé les grands fournisseurs nationaux, qui desservent la grande majorité des consommateurs, dans une situation de rareté du spectre. En conséquence, les droits d’utilisation du spectre au Canada se sont négociés à des taux beaucoup plus élevés — ce sont des multiples des taux observés dans d’autres pays ces dernières années, en particulier pour les enchères de la 5G. C’est l’un des problèmes qui conduit à des coûts potentiellement plus élevés au Canada. Le spectre lui-même est plus coûteux en raison de la rareté artificielle qui a été créée par les réserves et le fait qu’avec des réserves répétées au fil du temps pour différentes bandes de fréquences, il y a un certain degré de fragmentation du spectre à l’heure actuelle. Cela rend le processus de fusion plus coûteux pour la fourniture de services.

L’une des choses à faire pour résoudre ce problème est d’examiner le spectre existant et de voir s’il peut être défragmenté de manière à ce que les coûts d’acquisition des droits, pour les exploitants existants ou ceux qui sont susceptibles de reprendre les activités d’un opérateur de réseau défaillant, soient moins élevés qu’ils ne l’auraient été autrement.

L’une des options qui s’offrent ici est, tout d’abord, de mettre de côté les réserves et d’entreprendre une défragmentation des droits existants attribués. L’Australie est un exemple de ce qui se fait dans ce domaine. Plutôt que d’examiner le système à niveaux tel qu’il fonctionne actuellement, il serait peut-être préférable de considérer séparément les incitatifs qui fonctionnent dans les zones urbaines et dans les zones rurales séparément. On peut prendre l’exemple de la Nouvelle-Zélande. Les droits néo-zélandais sont disponibles dans tout le pays, mais la démarcation se fait entre les zones urbaines et les zones rurales. Dans la mesure où les coûts sont plus élevés dans les zones rurales et où il n’y aura qu’un seul opérateur de réseau dans ces zones rurales et isolées qui jugera qu’il est efficace d’y installer son équipement, nous devons chercher des moyens de répartir le plus largement possible cet investissement au coût le plus bas possible. En Nouvelle-Zélande, dans cette division rurale-urbaine, nous avons vu les opérateurs nationaux s’unir pour partager leur spectre dans les zones rurales avec le soutien financier du gouvernement. Ils ont créé un système de réseau central 4G multiopérateurs dans lequel les trois entreprises collaborent pour construire la tour, partagent l’équipement et le spectre et...

Le président : Madame Howell, je suis désolé de vous interrompre, mais nous accordons habituellement environ cinq minutes à nos témoins. Je vous ai laissée dépasser le temps imparti parce que votre témoignage est très intéressant, mais pourriez-vous conclure votre exposé pour que nous puissions passer à la période des questions et des réponses?

Mme Howell : D’accord, merci. Cela donne bel et bien une option. Je peux vous fournir d’autres détails à ce sujet, si vous le voulez. Le troisième point concerne l’examen des technologies appropriées. Le satellite demeure une solution de rechange très viable dans les zones rurales. Il vaut la peine d’examiner les marges relatives aux satellites et aux meilleures technologies pour les zones rurales. Merci beaucoup.

Le président : Merci, madame Howell.

Georg Serentschy, associé gestionnaire, Serentschy Advisory Services GmbH, à titre personnel : Bonjour, honorables membres du comité sénatorial. Je vous remercie de m’avoir invité à témoigner devant le comité et à vous faire part de mes réflexions sur le projet de loi S-242. Je suis heureux d’être ici en tant que conseiller indépendant pour exprimer mon point de vue personnel.

Permettez-moi de commencer mon intervention par quelques réflexions de base sur le projet de loi. Je comprends l’objet du projet de loi et je pense que l’esprit qui le sous-tend va dans la bonne direction. Dans un contexte où les applications numériques jouent un rôle de plus en plus important dans tous les domaines de la vie quotidienne, qu’il s’agisse des soins de santé, de l’éducation ou du cybergouvernement, pour n’en citer que quelques-uns, il s’agit d’un élément crucial pour tous les citoyens. Cependant, la participation universelle de tous les citoyens nécessite une couverture réseau à l’échelle nationale. L’amélioration de la couverture réseau dans les zones rurales et les territoires du Nord est un objectif politique important qui, si j’ai bien compris, doit être atteint d’ici 2030.

La raison d’être de ce projet de loi semble être un déséquilibre apparent entre les objectifs stratégiques du ministre en matière de télécommunications, à savoir stimuler la concurrence et brancher le Canada rural. Depuis des décennies, le principe général pour l’amélioration de la connectivité est de promouvoir la concurrence. En effet, la concurrence est un outil économique éprouvé pour stimuler l’investissement et l’innovation et faire baisser les prix à la consommation. Cependant, le succès de cet outil dans les zones urbaines du Canada a, d’une certaine manière, obscurci le rôle de la concurrence et a conduit à une croyance erronée largement répandue selon laquelle la concurrence est une sorte de solution miracle pour résoudre tous les problèmes. Or, la concurrence est un concept économique qui ne fonctionne que dans les cas ayant une base économique. Dans les régions rurales, l’expansion de la connectivité n’est généralement pas justifiable sur le plan économique et, par conséquent, les mesures proconcurrentielles ne sont d’aucune utilité. Dans ces régions, nous avons besoin, par exemple, de mécanismes de service universel et d’incitations pour que les opérateurs étendent leurs réseaux même dans les zones où ils ne sont pas viables sur le plan économique. En fin de compte, il s’agit de trouver un opérateur qui s’engage à étendre son réseau. Bien qu’une grande partie de cette question puisse être résolue par des cadres réglementaires et stratégiques, le législateur a un rôle important à jouer en fournissant des orientations législatives aux organismes de réglementation sur la manière d’harmoniser ces objectifs, en particulier lorsqu’il semble y avoir un déséquilibre.

D’un point de vue stratégique, je pense qu’il faut réorienter les politiques des zones urbaines vers le Canada rural et donner au ministre la discrétion législative lui permettant de fixer des mesures de rééquilibrage efficaces. L’approche de la « carotte et du bâton » est un outil politique utile pour mettre en œuvre ce rééquilibrage. Permettez-moi de souligner cinq aspects dans ce contexte.

Premièrement, le spectre est un bien public qui doit contribuer au bien-être de tous les citoyens. Deuxièmement, les détenteurs de licences qui se voient accorder l’autorisation d’utiliser ce spectre doivent respecter des obligations prédéterminées sur la manière dont ils l’utiliseront dans l’intérêt public en ce qui concerne la couverture de la population, les dates limites pour atteindre des objectifs précis et la qualité de la connexion. Troisièmement, des sanctions sont imposées en cas de non-respect des obligations et les licences peuvent être révoquées si le non-respect persiste. C’est ce que j’appelle la règle du « utilisez-le sous peine de le perdre », qui est assez répandue en Europe. Quatrièmement, il est tout à fait contraire au concept du spectre, en tant que bien public, de laisser le spectre inactif ou de l’utiliser à des fins d’arbitrage. Le cinquième et dernier point est que le renforcement d’un marché secondaire du spectre est un élément essentiel d’une politique moderne du spectre. Par exemple, un opérateur peut remplir ses obligations en matière de couverture en sous-louant des fréquences à un autre opérateur capable de remplir les obligations.

À mon avis, le projet de loi S-242 aide le Canada à atteindre chacun de ces objectifs, du moins du point de vue du « bâton ». Il crée des conditions de déploiement strictes et des règles entourant la perte en cas de non-utilisation, impose des sanctions claires en cas de non-respect par la perte de la licence et la responsabilité civile, et renforce le marché secondaire en permettant au ministre de consentir à un plan de remise en état. Tels sont les messages que je voulais faire passer d’emblée. Je suis impatient de répondre à vos questions.

Le président : Merci, monsieur Serentschy. Je vais commencer avec la première question et quelques commentaires. Ce à quoi nous faisons face se précise. Il existe un fossé entre les zones urbaines et rurales en matière de connectivité. Le projet de loi S-242 du sénateur Patterson tente de surmonter certains de ces défis dans les régions rurales du pays.

Y a-t-il des modèles qui ont mieux fonctionné pour combler ce genre de fossé? La responsabilité doit-elle incomber uniquement au gouvernement, qui doit utiliser un instrument politique pour assurer aux fournisseurs de spectre les ressources nécessaires en vue de fournir un service dans les régions du pays où l’on sait qu’il n’y a pas d’arguments économiques valables en faveur d’un tel service? Ou devons-nous mieux regrouper les fréquences que nous vendons aux fournisseurs de télécommunications qui les achètent dans des centres urbains lucratifs? Devons-nous regrouper ces fréquences avec celles des régions rurales du pays, moins lucratives, et décréter qu’elles vont ensemble? Laquelle de ces stratégies serait, selon vous, la plus efficace pour surmonter le problème?

Mme Howell : Je dirais qu’il est beaucoup plus efficace d’envisager une politique à l’échelle nationale plutôt que de la diviser en zones urbaines et rurales, en particulier dans les pays qui ont des zones rurales relativement ou absolument importantes. Les politiques mises en place en Nouvelle-Zélande et en Australie sont de cette nature. Les droits sont offerts à l’échelle nationale, et le fait est que les opérateurs qui fournissent des services à l’échelle nationale sont ceux qui ont le meilleur potentiel d’investissement. Ils ont la plus grande échelle; ils ont donc le plus grand potentiel pour tirer parti de leurs zones urbaines à marge supérieure afin de déployer ces droits sous forme de subsides pour les zones rurales.

Évidemment, certaines zones rurales seront trop coûteuses pour être desservies de cette manière, et c’est là que les subventions entrent en jeu. Ainsi, l’Australie et la Nouvelle-Zélande considèrent les zones rurales séparément et offrent des subventions supplémentaires pour les systèmes distincts qui se concentrent entièrement sur ces zones rurales, puis travaillent avec les opérateurs existants pour essayer de déterminer où il est possible pour eux de fournir des services. L’option néo-zélandaise dont je parlais est un co-investissement de la part du gouvernement et des trois opérateurs nationaux. Le financement est réuni. Ils ont mis en commun toutes leurs ressources. Ils travaillent en collaboration dans les zones rurales où il n’y aura jamais de concurrence entre les installations parce que ce n’est pas rentable. Ils y partagent leurs ressources et leur spectre dans ces zones, mais ils parviennent toujours à se faire concurrence en tant qu’entreprises distinctes. Les trois mêmes fournisseurs sont en mesure de vendre de la même manière à tous les consommateurs dans les zones rurales. Cela facilite la concurrence des services dans ces zones, ce qui est bon pour les consommateurs, mais cela leur permet toujours d’exercer un effet de levier par rapport à ce qu’ils ont réussi à obtenir pour leurs services urbains non subventionnés.

M. Serentschy : Permettez-moi d’ajouter quelque chose en donnant la perspective européenne. S’il s’agit d’une vente aux enchères à l’échelle nationale, il est bon de prévoir des dispositions spéciales pour les zones mal desservies. Si on désigne des zones précises, appelées « zones blanches » en Europe, ce qui signifie qu’elles n’ont pas de connexion ou une connexion très limitée ou seulement la voix et pas de données, alors on peut prévoir des dispositions spéciales pour couvrir ces zones. Il existe de nombreux outils pour ce faire. Le gouvernement peut fournir des fonds supplémentaires, mais il est également possible d’offrir des incitations sous la forme d’une sorte d’enchère inversée. Qui a besoin de la plus petite subvention ou du plus petit rabais pour fournir le service? Donnez le spectre à ce fournisseur. C’est un outil très utile et efficace pour parvenir à un équilibre entre les zones rurales et urbaines.

Le président : Merci.

Mme Howell : Je voudrais également soulever la question — comme M. Serentschy l’a mentionné plus tôt — de savoir où la concurrence est l’objectif approprié à poursuivre et, où la couverture pure, est l’objectif à poursuivre. Lorsque l’on connaît bien l’économie de ces zones urbaines et rurales et que l’on est conscient des marges où cela s’applique, on peut alors mettre en place une politique plus efficace et mieux ciblée pour ces deux zones distinctes.

[Français]

Le sénateur Cormier : Ma question s’adresse à M. Serentschy. D’abord, merci pour votre présentation très éclairante.

Ici, au Canada, un fournisseur qui détient une licence de spectre peut la revendre à qui la veut bien, tant que le ministre approuve la vente et que l’acheteur respecte les conditions de licence.

Les licences sont alors susceptibles d’être utilisées comme outils de spéculation si elles sont revendues à gros prix. À votre connaissance, le Canada est-il le seul pays à permettre cela? Est-ce qu’il serait souhaitable que le gouvernement régule le prix de transfert des licences?

[Traduction]

M. Serentschy : Pardonnez-moi, sénateur. Je ne peux pas répondre à votre question parce que je n’ai pas entendu l’interprète et ma maîtrise du français n’est pas suffisante.

[Français]

Le sénateur Cormier : Je reprends ma question. Ici au Canada, un fournisseur qui détient une licence de spectre peut la revendre à qui la veut bien, tant que le ministre approuve la vente et que l’acheteur respecte les conditions de licence.

Les licences sont alors susceptibles d’être utilisées comme outils de spéculation si elles sont revendues à gros prix. À votre connaissance, le Canada est-il le seul pays à permettre cela? À votre avis, serait-il souhaitable que le gouvernement régule le prix de transfert des licences?

[Traduction]

M. Serentschy : C’est une très bonne question. J’ai essayé de l’aborder dans ma brève introduction. J’ai été régulateur pendant 11 ans, à l’échelle européenne et nationale. Nous avons mis en place des mécanismes pour éviter les activités d’arbitrage. Il s’agit d’un bien public. Elle n’est pas destinée à la spéculation des investisseurs privés.

Lorsque je dis que nous avons besoin d’un marché secondaire fort, je veux dire que si un spectre est laissé inactif ou qu’un titulaire de licence n’est pas en mesure de remplir ses obligations, il peut le transférer à quelqu’un d’autre, mais comme une sorte d’échange et non pour en faire un arbitrage. Je pense que c’est là le point important : avoir un marché largement secondaire au cas où un opérateur ne respecterait pas les conditions, ce qui signifie qu’il peut transférer l’obligation à quelqu’un d’autre sans en faire une affaire d’arbitrage. Le consentement du régulateur ou du ministre signifie que cela est interdit, qu’il n’y a pas de cas où quelqu’un, un investisseur privé, en fait une affaire.

Mme Howell : Ces dispositions permettant le libre-échange ne sont pas inhabituelles. En fait, il est essentiel de veiller à ce que le spectre soit utilisé là où l’on en a le plus besoin. Dans le domaine des télécommunications, les services évoluent et les choses ne se passent pas comme prévu initialement. Les options offertes aux différents opérateurs à différents moments ne sont pas nécessairement les mêmes que celles qui prévalent au moment de la vente du spectre. Cette capacité à vendre à un rythme différent reflète l’évolution de la valeur du spectre pour les différents opérateurs au fur et à mesure que leurs options changent.

Même s’il apparaît parfois que des bénéfices sont réalisés, ce n’est pas nécessairement dû à la spéculation. C’est parce que le spectre a maintenant plus de valeur pour un autre utilisateur qu’il n’en avait pour celui qui l’avait au départ. Il est bien plus efficace de laisser le marché régler ce problème que d’avoir recours à une intervention réglementaire, car les régulateurs, avec tout le respect que je leur dois, ne savent pas nécessairement quelles sont ces valeurs et comment elles doivent être déterminées. Il est utile de laisser les choses se faire librement.

Un des problèmes — surtout dans l’espace canadien — qui ont contribué aux valeurs élevées ici est la fragmentation du spectre, car le spectre a plus de valeur pour un exploitant adjacent que pour un autre. Cela fait qu’il est possible de faire grimper les prix en exploitant la fragmentation qui existe. Le fait que la situation semble pire au Canada s’explique par le système de spectre réservé et la fragmentation. Si on enlève cela, les possibilités d’arbitrage et de soumissions à prix fort sont également réduites.

[Français]

Le sénateur Cormier : Merci de ces réponses. Ma deuxième question s’adresse à M. Serentschy. Vous avez parlé de la Loi sur la concurrence, et du fait que cette loi est un outil qui ne s’applique pas forcément dans les régions où l’économie n’est pas concurrentielle.

Dans le cadre de la vision d’une politique publique, au même titre que l’engagement de l’État à financer l’éducation et la santé, qui sont des services essentiels, considérez-vous que les régions rurales ayant besoin d’être desservies font elles aussi partie de cette catégorie de services qui sont essentiels et que, par conséquent, la nécessité pour l’État de subventionner ces régions devrait être une priorité et ne pas être laissée à la simple Loi sur la concurrence?

[Traduction]

M. Serentschy : Merci, sénateur. C’est une très bonne question et elle porte exactement sur l’une des choses que j’ai dites dans mon introduction. La concurrence est une très bonne chose là où les facteurs économiques permettent une expansion du réseau, permettent la concurrence, permettent à plusieurs entreprises exploitant des installations d’exceller. Toutefois, dans une zone où il n’y a pas de justifications économiques, on ne peut le faire qu’avec une aide de l’État, qui prend la forme soit de subventions directes soit de rabais sur le prix du spectre, ce qui revient au même d’une certaine façon.

Je tiens à dire — et je l’ai constaté en lisant le projet de loi — que je constate que le rééquilibrage entre les zones urbaines, rurales et très rurales est un aspect important. Je suis très en faveur de cela. De plus, comme ancien agent de réglementation et conseiller sur des enjeux de réglementation, j’estime que c’est la meilleure façon de procéder. Le Canada est un excellent exemple de cette énorme différence entre les contextes urbain et rural et il doit laisser les coudées franches au ministre et lui donner le pouvoir de s’occuper de ce rééquilibrage.

[Français]

Le sénateur Cormier : Merci beaucoup pour votre réponse.

[Traduction]

Le sénateur Harder : Je remercie les témoins. Ma question s’adresse à M. Serentschy. J’aime vraiment votre cadre stratégique. Je dirais qu’en gros c’est le cadre stratégique pour le Canada. Nous avons pourtant encore des lacunes que le projet de loi du sénateur Patterson vise à combler.

Comme la solution du sénateur Patterson me pose problème, j’aimerais me pencher sur une autre solution possible, et cela a à voir avec votre expérience de la façon dont les ventes aux enchères se déroulent. Au Canada, les ventes aux enchères ont été conçues pour maximiser la valeur économique du bien public que constitue le spectre. Les bénéfices de cette option sont allés au ministère des Finances, les caisses centrales du gouvernement. En un sens, on n’a pas réservé ces fonds pour assurer l’accès aux services à large bande ou leur expansion. Aucun lien n’a été fait. Le gouvernement estimait qu’il devait tirer le maximum d’argent des ventes aux enchères, puis, le ministre devait convaincre le ministre des Finances d’accorder un financement suffisant pour permettre le déploiement, surtout en zones rurales. Nous avons perdu un ministre dans cette lutte.

Ma question est la suivante : lors de votre expérience européenne, sur quelle idée reposaient les ventes aux enchères du spectre? Visaient-elles à obtenir le prix maximal pour le Trésor public ou à obtenir le prix maximal pour que les fonds reçus puissent être employés à atteindre l’objectif de couverture?

M. Serentschy : L’Europe n’est pas un pays uniforme. Ce n’est pas un seul pays. Quand je parle de l’Europe, je parle des 27 États membres de l’Union européenne. Certains États membres sont extrêmement avancés, comme les Scandinaves, et d’autres ont du retard.

Permettez-moi de formuler les choses ainsi. S’agissant des politiques sur le spectre et des méthodes de vente aux enchères, ce que nous avons observé au fil du temps, si on remonte 20 à 30 ans en arrière, c’est un mouvement de balancier. Nous avons parfois observé une sorte de grand désir — je ne parlerais pas de cupidité — du Trésor public de percevoir le plus d’argent possible.

Bien des pays et des gouvernements sont très conscients que nous avons un problème persistant dans certaines zones où à certains endroits la population n’est pas connectée. C’était acceptable il y a 20 ans. Pouviez-vous faire un appel téléphonique? C’était une question privée parce qu’on a encore une ligne terrestre. Maintenant, c’est une question de connectivité omniprésente et de numérisation du pays, de participation et d’inclusion et tout cela. Le gouvernement a maintenant appris que le balancier va dans l’autre sens. Il ne s’agit pas autant de maximiser les recettes du Trésor public. Il s’agit aussi dans une certaine mesure de redonner de l’argent au secteur.

J’ai observé deux mécanismes. L’un d’eux consiste à réserver une partie du produit de la vente — peut-être 50 % ou 70 % — pour financer les zones non économiques. La seconde approche consiste à concevoir la vente aux enchères de manière à ce que le produit de la vente n’explose pas.

J’admire le Canada pour de nombreuses raisons, mais la politique sur le spectre n’est probablement pas le point le plus fort du pays jusqu’à maintenant, à en juger par le lancement tardif du 5G et ainsi de suite.

Là encore, je pense que le projet de loi va dans la bonne direction, parce qu’il corrige en quelque sorte quelques points faibles du passé, et ce rééquilibrage en fait partie. Par ailleurs, donner suffisamment de fonds aux zones mal desservies en est un volet important.

Mme Howell : Si je peux aussi répondre à cette question, j’ajouterais que le problème de la méthode de vente aux enchères ne concerne pas uniquement le processus par lequel les lots sont offerts; il s’agit de l’ensemble de la conception des lots au départ, et la politique sur le spectre réservé en fait partie.

J’avancerais que les ventes aux enchères sont conçues non seulement pour générer des recettes, mais aussi pour créer une certaine situation de concurrence, et c’est ce qui a mené aux réservations de spectre. En ce sens, la distorsion qu’a entraînée la réservation de spectre a engendré un problème avec le processus de vente aux enchères à proprement parler, car, dans les faits, elle a mené à deux approches de la façon dont les offres sont faites pour le spectre — les exploitants qui font des offres pour le spectre ouvert et ceux qui en font pour le spectre réservé. En soi, cela constitue une partie sous-jacente de l’ensemble du problème de spectre du Canada.

Je pense que, s’agissant de la conception de la vente aux enchères, on ne parle pas seulement de la méthode ou de la méthode de vente aux enchères utilisée ou de l’utilisation qui est faite des fonds, mais aussi de la conception des lots, et les deux sont liés.

M. Serentschy : Sans parler de la part élevée du spectre réservé; je pense que la réservation de 40 % du spectre crée une grande rareté, et cela influe sur le produit des ventes.

Mme Howell : De plus, les exploitants qui sont privés de spectre sont les trois exploitants nationaux qui desservent le plus grand nombre de consommateurs et, comme ils sont privés de spectre, cela incite fortement à la sous-traitance parce qu’il leur faut une plus grande part pour pouvoir prendre de l’expansion, et la seule façon de l’obtenir est de s’adresser à ceux qui ont des droits qui ne sont pas utilisés et, en raison des distorsions qui en découlent, les prix grimpent.

La sénatrice Clement : Je remercie les témoins. Je vais poser mes questions, puis, je vais céder la parole. La première s’adresse à Mme Howell.

Si je ne m’abuse, la Nouvelle-Zélande a une attribution réservée avant-gardiste, avec 20 % du spectre attribué à la nation maorie gratuitement dans l’esprit de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, dont le Canada est signataire. Je suis portée à penser que c’est une bonne chose; cependant, j’aimerais avoir votre point de vue là-dessus, car vous avez écrit à ce sujet. Je ne suis pas certaine que vous soyez complètement d’accord. Vos commentaires à ce sujet seraient donc intéressants.

En outre, il serait intéressant que vous puissiez commenter les opérations de subventions de dernier recours et nous en dire plus sur les cas où cela a lieu et comment cela fonctionne.

Monsieur Serentschy, j’aime la façon dont vous avez exposé vos cinq points et vous avez raison de dire que la politique sur le spectre au Canada n’a pas nécessairement de quoi susciter l’admiration. C’est pour cette raison que nous faisons cette étude. Vous avez dit qu’il était important d’améliorer le marché secondaire pour le spectre et que c’est la voie à suivre. J’aimerais que vous puissiez donner plus de précisions de même que des exemples plus précis.

Je pense que vous en étiez arrivé là lorsque le sénateur Housakos vous a posé sa première question, mais j’aimerais que vous puissiez en dire plus à ce sujet.

Tout d’abord, Mme Howell.

Mme Howell : En ce qui concerne le spectre pour les Maoris, comme vous l’avez dit, je n’étais pas entièrement d’accord d’un point de vue économique, parce que, créer un ensemble de droits qui se traduisent par des prix et des incitatifs différents finit par entraîner une distorsion. Je pense qu’il s’agissait davantage pour l’État de remplir une responsabilité prévue par la loi, mais la politique a été introduite sans égard aux objectifs et buts économiques à long terme ni aux conséquences involontaires possibles. Je prédis que cette politique entraînera à la longue des problèmes qui pourraient ressembler à ceux observés au Canada.

L’une des grandes préoccupations que j’ai est que l’intensité capitalistique dans ce secteur est telle que ceux à qui ont été conférés les droits au spectre ont de la difficulté par rapport aux autres exploitants à obtenir l’investissement complémentaire pour ériger le reste de l’infrastructure. Être propriétaire de droits d’utilisation du spectre n’est qu’une petite partie de l’équation. Si le fournisseur n’obtient pas l’investissement complémentaire, le spectre reste inutilisé.

Si vous avez une invitation ouverte à soumissionner, les offres pour le spectre qui en fait l’objet sont faites par des gens qui ont les moyens financiers et la capacité d’apporter quelque chose au marché. C’est tout ce que je vais dire pour l’instant au sujet de la réserve de spectre. Il reste beaucoup d’eau à passer sous ce pont.

Votre deuxième question concerne l’exploitant de dernier recours. Je pense qu’en présence d’une situation au Canada où vous avez des lots et vous voulez pouvoir fournir le service dans une certaine zone alors que personne ne soumissionne, vous devez vous demander comment vous allez faire pour y amener le service. On pourrait subventionner un exploitant pour qu’il puisse y offrir légitimement le service ou chercher d’autres solutions originales.

À cet égard, je dirais que l’effort collaboratif des trois fournisseurs en Nouvelle-Zélande est une approche qui permet cela. Elle aiderait le marché manquant en permettant aux fournisseurs de s’unir dans les zones coûteuses où aucun fournisseur seul n’a intérêt à aller. C’est alors le groupe qui est subventionné plutôt qu’un seul exploitant. Les exploitants peuvent alors déterminer comment se fera le déploiement. Il s’agit donc d’un modèle de co-investissement.

Cela dit, il existe un problème distinct dans le cas où les droits d’utilisation du spectre sont repris à un exploitant qui ne répond pas encore aux conditions de la vente aux enchères, mais qui a déjà déployé partiellement un réseau. La reprise crée un problème, car elle peut désavantager les clients qui achètent déjà les services du réseau. Il faudrait pouvoir la transférer à une entreprise en exploitation. Si l’exploitant titulaire de la licence ne peut pas trouver un autre exploitant pour s’en charger, il est alors peu probable qu’il serait utile de reprendre les droits, puis que l’organisme de réglementation tente de trouver quelqu’un pour s’en charger. Si cela doit se produire, c’est à ce moment-là qu’avoir un exploitant de dernier recours financé pour prendre en charge ces services en particulier sera mieux pour les consommateurs, parce que l’interruption de service sera évitée.

Je ne suis pas certaine de connaître d’exemple à l’étranger où c’est arrivé, car les autorités de réglementation ont toujours eu des réticences à reprendre les droits d’utilisation après un certain déploiement. C’est une voie sans précédent que le Canada pourrait emprunter avec cette réglementation et c’est là où, dans une optique à long terme, si on met cela en place, on doit pouvoir traiter cet enjeu ex ante plutôt que s’efforcer avec peine de le faire ex post lorsque le premier cas se réalise.

Le président : Merci.

La sénatrice Clement : J’en avais une pour M. Serentschy.

Le président : Monsieur Serentschy, voulez-vous répondre à une des questions posées plus tôt par la sénatrice Clement?

M. Serentschy : Oui, avec plaisir.

C’est une très bonne question, car elle porte sur un point très délicat de la discussion. D’un côté, comme responsable de la réglementation ou ministère, comme décideur, il est préférable d’éviter l’arbitrage. Il est très mauvais d’ouvrir la porte toute grande à l’arbitrage.

Qu’est-ce que cela veut dire? Si quelqu’un obtient une licence de spectre — peut-être à des conditions préférentielles en raison de blocs réservés et de règles préférentielles — puis en reste là, ne fait rien et le laisse inexploité pendant une longue période, il s’agit d’une approche spéculative et cela mène à l’arbitrage, lequel est en contradiction de ce qu’est le spectre comme bien public.

Par ailleurs, si un exploitant, un titulaire de licence, remarque durant l’expansion de son réseau qu’il fait face à des difficultés d’introduction, qu’il lui manque des installations de liaison descendante ou autre chose — pour n’importe quelle raison technique, réglementaire ou autre —, cet exploitant devrait pouvoir transférer sa licence de spectre à un autre qui est mieux équipé pour remplir les obligations. Il n’existe pas d’obstacle insurmontable à ce transfert. C’est ce que je veux dire quand je parle de « marché secondaire ouvert et dynamique », lequel permet ce genre de choses, sans l’intérêt commercial de l’arbitrage en arrière-plan. Il est simplement dans l’intérêt général que les spectre soit utilisé pour tout le monde sur le marché.

Le sénateur D. Patterson : Nous sommes privilégiés de pouvoir profiter de la grande expérience de ces deux témoins.

Monsieur Serentschy, vous avez été à la tête de l’autorité de réglementation européenne du spectre. Comme vous le savez, il y a eu des questionnements relativement à l’efficacité de l’approche dans mon projet de loi. Je suis donc reconnaissant de votre appel à l’action contre ce que j’appelle le squattage ou l’arbitrage du spectre.

J’ai quelques questions en ce sens. Compte tenu de votre parcours comme responsable de réglementation, croyez-vous que 60 jours pour redéployer le spectre repris pour omission de remplir les conditions de déploiement constitue un délai raisonnable?

M. Serentschy : C’est un très bon point. J’ai relu la discussion qu’il y a eu au Sénat le 8 février, lorsque c’était très contesté, à savoir si le délai de 60 jours était trop strict ou pas. Mon point de vue est le suivant : le but n’est pas d’organiser une vente aux enchères; on parle d’un titulaire de licence qui ne peut pas ou ne veut pas remplir ses obligations. L’autorité de réglementation récupère le spectre et le donne à une partie plus apte à le faire. On ne prépare pas de vente aux enchères et on n’a pas besoin de faire des consultations. Cela peut se faire au moyen d’une vente aux enchères à offres scellées avec une règle du deuxième prix, idée que je défends dans ce cas, car il est alors plus facile de s’assurer qu’aucun soumissionnaire n’exagère la valeur du spectre. Cela peut se faire facilement en 60 jours.

Pour plus de sécurité, on pourrait ajouter une phrase à l’article disant, par exemple, que si le ministre n’a pas mis en place un processus concurrentiel après 60 jours, les premiers arrivés seront les premiers servis. Ce serait une solution de repli pour se protéger, mais je ne pense pas que cela aurait un effet négatif, car, en 60 jours, il est possible de faire, par exemple, une vente aux enchères à offres scellées.

Le sénateur D. Patterson : Merci beaucoup. Vous avez probablement entendu Mme Howell décrire les dispositions sur les sanctions dans le projet de loi comme un instrument plutôt brutal. Elle a laissé entendre qu’une échelle mobile pour les conditions de déploiement améliorerait l’efficacité de l’objectif du projet de loi, que vous et elle avez qualifié de louable. Pourriez-vous, s’il vous plaît, nous dire si une échelle mobile pour les conditions de déploiement serait efficace?

M. Serentschy : C’est une bonne question, parce qu’on peut l’aborder sous différents angles. Je ne suis pas un adepte de l’échelle variable. Désolé, madame Howell, de le dire aussi abruptement. Je pense que des obligations claires seraient une meilleure approche — qu’il y ait des règles claires pour tout le monde —, sinon, un soumissionnaire pourrait revenir après coup et dire que s’il l’avait su il aurait fait une meilleure offre ou quelque chose du genre. Il faudrait que des conditions stables soient en place et non ce truc avec une cible mouvante.

Mme Howell : J’aimerais clarifier ce que j’entendais par échelle variable. Si vous persistez à utiliser un système basé sur les zones pour l’attribution des droits, chaque zone devrait être examinée et les droits devraient être adaptés aux spécificités démographiques et géographiques de cette zone. Ainsi, pour une zone en grande partie urbaine, il pourrait convenir d’avoir un critère de 50 % et trois ans, mais, dans une zone principalement rurale, cette façon de faire pourrait ne pas convenir. Une zone principalement rurale pourrait avoir, disons, une échelle de cinq ans. L’autre possibilité, comme je l’ai laissé entendre, est de reprendre les droits d’utilisation du spectre. On pourrait aussi considérer les autres sanctions qui pourraient être appliquées pour ne pas avoir atteint les cibles dans les différentes zones.

D’un autre côté si on s’en remet à un système national pour les ventes aux enchères, alors, un seul instrument s’appliquant à tous est indiqué.

M. Serentschy : Merci d’avoir clarifié ce point. Je suis désolé. J’avais manifestement mal compris.

Le sénateur D. Patterson : En tout respect pour les précieux avis que nous avons obtenu au sujet de la conception des ventes aux enchères, de la façon de traiter la fragmentation du spectre et de la politique concernant les réservations, ce n’est pas dans mon projet de loi. Je ne prétends pas régler tous les problèmes complexes dans ce domaine avec ce projet de loi. Il vise plutôt à s’attaquer au problème de l’arbitrage et du spectre inutilisé qu’on garde ainsi pour faire des profits.

Monsieur Serentschy, vous avez dit très clairement que l’arbitrage, ça ne marche pas. Je me demande si vous pourriez nous dire si, à l’époque où vous étiez responsable de la réglementation dans l’Union européenne, vous avez pu éliminer l’arbitrage en Europe. Est-ce le genre de mesure qui fonctionnerait aussi au Canada? Merci.

M. Serentschy : Permettez-moi d’apporter une petite correction, sénateur. Lorsque j’étais président de l’ORECE, l’Organe des régulateurs européens des communications électroniques, l’ORECE n’avait aucune compétence dans le spectre. C’est plutôt le cas du groupe de politique en matière de spectre radioélectrique, ou RSPG. J’ai 11 ans d’expérience comme responsable national de la réglementation. Bien entendu, j’ai observé de près ce qui se passe dans d’autres pays. Il va de soi que les autorités de réglementation en Europe communiquent entre elles sur leurs expériences.

Autant que je sache, l’arbitrage n'a jamais été un gros problème en Europe. Pendant mon mandat, cela n’est jamais arrivé parce que nous étions très stricts avec les obligations de déploiement. Pendant les 11 années où j’ai été responsable de la réglementation, je pense que nous avons eu deux cas où il a été nécessaire de reprendre les droits d’utilisation du spectre à un exploitant qui, en dépit de plusieurs rappels, a omis de se satisfaire aux conditions.

Le sénateur D. Patterson : Merci.

Le président : Au nom du comité, j’aimerais remercier nos témoins d’avoir comparu devant notre comité et pour leurs précieux témoignages.

(La séance est levée.)

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