LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES TRANSPORTS ET DES COMMUNICATIONS
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mardi 2 mai 2023
Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd’hui à 9 heures (HE) avec vidéoconférence pour étudier le projet de loi C-18, Loi concernant les plateformes de communication en ligne rendant disponible du contenu de nouvelles aux personnes se trouvant au Canada.
Le sénateur Leo Housakos (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, nous nous réunissons pour continuer notre examen du projet de loi C-18, Loi concernant les plateformes de communication en ligne rendant disponible du contenu de nouvelles aux personnes se trouvant au Canada.
Pour la première partie de notre réunion, nous avons le plaisir d’accueillir les témoins suivants par vidéoconférence : Peter Menzies, qui est chercheur principal pour l’Institut Macdonald-Laurier; Marla Boltman, directrice générale de l’organisation Les AMIS et Sarah Andrews, directrice, relations gouvernementales et avec les médias, également pour l’organisation Les AMIS.
Nous avons aussi avec nous dans la salle Michael Geist, Chaire de recherche du Canada en droit de l’Internet et du commerce électronique à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa. M. Geist n’a plus besoin d’être présenté; c’est un habitué. Je vous souhaite à tous la bienvenue au comité.
Nous allons d’abord entendre la déclaration préliminaire de M. Menzies, puis celles de Mme Boltmant et de M. Geist. Vous disposerez chacun de cinq minutes; nous passerons ensuite aux questions et réponses.
Monsieur Menzies, vous avez la parole.
Peter Menzies, chercheur principal, Institut Macdonald-Laurier : Honorables sénateurs, je vous remercie de m’avoir invité.
Le projet de loi C-18 comporte de nombreux problèmes. Parmi ceux-ci, il y a sa légitimité constitutionnelle, son incidence possible sur les accords commerciaux, son parti pris pour le statu quo — qui pourrait nuire à notre avenir — et le manque de données probantes pour appuyer sa justification économique.
Pour de nombreuses personnes, il n’est pas plus logique d’obliger les médias sociaux à subventionner les organismes d’information que de forcer Amazon à subventionner La Baie, mais voilà où nous en sommes. Je vais tenter de me centrer sur les résultats inacceptables du projet de loi C-18.
Alors qu’il y a 25 ans, il fallait acheter le journal pour être au courant de presque n’importe quoi, aujourd’hui, de toutes nouvelles entités comme les plateformes des médias sociaux et Kijiji ont capté les auditoires et les annonceurs, tout en permettant aux consommateurs d’économiser des milliards de dollars. Toutefois, la situation a entraîné la disparition de 473 journaux. Ce sont près de 700 sites Web appartenant à des diffuseurs commerciaux titulaires — et nombre d’entre eux ressemblent beaucoup à un journal en ligne — ont été lancés. CBC a créé ce qui constitue une chaîne nationale de journaux en ligne qui se livrent concurrence pour les lecteurs et les annonceurs, tout en offrant leur contenu gratuitement, alors que d’autres tentent de le vendre par l’entremise d’abonnements.
Sans aucune subvention, 216 plateformes de nouvelles et de commentaires en ligne ont été lancées par des créateurs et des entrepreneurs. La semaine dernière seulement, une entreprise de presse traditionnelle, Black Press Media, a annoncé un nouveau partenariat avec l’un de ces créateurs, Village Media, pour accroître l’offre de nouvelles dans plus de 120 communautés.
Selon les statistiques de Patrimoine canadien et du directeur parlementaire du budget, le projet de loi C-18 n’aide pas ceux qui se démènent pour survivre ni ceux qui souhaitent faire leur entrée sur le marché.
Dans son témoignage de la semaine dernière, Owen Ripley, de Patrimoine canadien, a fait valoir que le projet de loi C-18 allait permettre d’octroyer environ 215 millions de dollars aux producteurs de nouvelles approuvés par le gouvernement. Selon le directeur parlementaire du budget, Yves Giroux, il générera 320 millions de dollars. Sur ce montant, environ 240 millions de dollars seront octroyés aux diffuseurs. Les plus importants bénéficiaires seront CBC/Radio-Canada, Bell Média et Rogers.
Si l’on se fie au montant total évoqué par M. Ripley et à la ventilation faite par M. Giroux, cela signifie que le projet de loi C-18 permettra de consacrer environ 54 millions de dollars par année — ce qui correspond à peu près aux profits annuels du Calgary Herald il y a 20 ans — à tous les joueurs de l’industrie des nouvelles hors antenne. Si nous utilisons le total évoqué par M. Giroux, environ 80 millions de dollars seront octroyés au monde des nouvelles hors antenne. Ces deux chiffres sont bien loin des 500 millions de dollars évoqués par le président exécutif de Postmedia, Jamie Irving, devant le Comité des finances de la Chambre des communes l’année dernière à titre de montant nécessaire à la survie de l’industrie.
En même temps, le crédit d’impôt pour la main-d’œuvre journalistique canadienne — d’une valeur pouvant atteindre 119 millions de dollars et qui est offert exclusivement aux journaux pour une durée de cinq ans — et l’Initiative de journalisme local — d’une valeur de 20 millions de dollars cette année — doivent prendre fin. Cela signifie que les entreprises de nouvelles qui perdent de l’argent — des journaux traditionnels, pour la plupart — auront une situation financière plus précaire en 2025, après l’adoption du projet de loi C-18, qu’aujourd’hui. Pendant ce temps, des entreprises en bonne santé financière, comme CBC/Radio-Canada et Bell, auront droit à plus de ressources qu’elles ne peuvent utiliser pour accroître leurs parts du marché, aux dépens du Toronto Star, par exemple, qui pourrait très bien disparaître, tout comme d’autres, d’ailleurs.
Au bout du compte, ceux qui en ont le plus besoin recevront le moins et ceux qui en ont le moins besoin recevront le plus. Ceux qui refusent, par principe, de se soumettre à l’approbation du gouvernement seront punis, parce qu’ils devront se battre contre des concurrents subventionnés.
Pour le soutien à la liberté de presse, on repassera.
Il est aussi possible que le projet de loi C-18, en raison de ses répercussions à l’échelle mondiale, convainc Meta et peut-être même Google et sa société mère, Alphabet, de cesser de diffuser des liens d’actualités.
Aucun de ces résultats n’est synonyme de bonne politique publique.
Pour ces raisons et pour d’autres, notamment son incidence sur la confiance du public à l’égard des nouvelles, vous devez rejeter le projet de loi C-18 et plutôt conseiller au gouvernement d’élaborer un cadre stratégique cohérent pour l’industrie des nouvelles, qui se fonde sur l’économie rationnelle, l’indépendance, l’innovation et l’égalité des chances.
Je reconnais aussi, en tout respect, que vous ne le ferez probablement pas. Donc, honorables sénateurs, je vous demande à tout le moins de modifier le projet de loi C-18 de sorte qu’il ne s’applique qu’aux sociétés dont les nouvelles sont la principale activité et que le rôle du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, ou CRTC, se limite à veiller à ce qu’il n’y ait pas d’abus de pouvoir dans le cadre des négociations entre les entreprises technologiques et les diffuseurs d’actualités. De plus, je vous demanderais de modifier davantage le projet de loi C-18 — qui, soyons réalistes, est une subvention cachée derrière un accord commercial discutable — afin de veiller à ce que CBC/Radio-Canada ne soit pas admissible.
Je vous remercie de m’avoir écouté.
Le président : Merci, monsieur Menzies. Nous allons maintenant entendre Mme Marla Boltman.
Marla Boltman, directrice générale, Les AMIS : Je vais partager le temps qui nous est accordé pour notre déclaration préliminaire avec ma collègue.
Monsieur le président, honorables membres du comité, bonjour. Au nom de l’organisation Les AMIS et des dizaines de milliers de Canadiens qui nous font confiance à titre de porte‑parole à Ottawa au sujet du projet de loi C-18, je suis très heureuse de témoigner devant vous aujourd’hui. Nous avons aussi hâte au jour où, tout comme M. Geist, nous n’aurons plus besoin de présentations.
Lorsque nous nous sommes préparées en vue de notre témoignage, nous avons examiné ce qui s’était dit au sujet du secteur des nouvelles du Canada au cours des dernières années. Nous avons constaté, sans surprise, que les mêmes mots revenaient souvent. Vous les avez tous déjà entendus, mais il vaut la peine de les répéter : extinction, bain de sang, hémorragie, condition critique, survie.
Or, le secteur des nouvelles canadien a maintenant une lueur d’espoir grâce à la loi proposée sur les nouvelles en lignes, rédigée par la Chambre en sa capacité d’urgentologue. Sénateurs, vous avez l’occasion de réaliser des interventions chirurgicales clés en présentant des amendements précis et réfléchis afin de veiller non seulement à ce que les médias d’information soient rémunérés de manière appropriée pour leur travail, mais aussi à ce que le cadre établi en vue d’atteindre cet objectif accorde la priorité à la confiance du public.
Soyons réalistes. Le principal enjeu de notre époque, c’est la confiance... Et surtout le manque de confiance à l’égard des médias d’information. Cette méfiance est cultivée tous les jours, souvent pour de mauvaises raisons, par la mésinformation et la désinformation délibérées. C’est une tendance qui divise et qui détruit, une tendance qui nuit à notre capacité d’accepter la vérité et de s’entendre sur des faits essentiels. Elle nuit aussi à la société civile et à une réelle démocratie.
Les médias d’information indépendants faisant autorité nous aident à éliminer cette tendance, puisqu’ils surveillent ceux qui s’adonnent à la désinformation et qu’ils mettent au défi ceux qui sont au pouvoir. Or, pour pouvoir assumer ce rôle, les médias d’information doivent être forts et être là pour de bon. Le projet de loi C-18 peut nous aider en ce sens, mais il faut assurer la transparence.
Notre amendement en trois volets aborde un thème du projet de loi qui semble accorder la priorité à la confidentialité plutôt qu’à la divulgation des accords entre les plateformes en ligne et les médias d’information. Nous croyons fermement que la situation devrait être inversée.
La divulgation publique représente la meilleure protection contre l’influence indue sur l’indépendance journalistique et éditoriale de nos nouvelles. Les Canadiens ont le droit de savoir quelles plateformes en ligne rémunèrent quels médias d’information, dans quelle mesure et de quelle façon.
[Français]
Sarah Andrews, directrice, Relations gouvernementales et avec les médias, Les AMIS : Grâce aux modifications apportées par le Comité permanent du patrimoine canadien, une plus grande transparence est exigée de la part de Radio-Canada. Les Canadiens ont le droit de savoir comment notre radiodiffuseur public national est financé, ainsi que la façon dont cet argent est dépensé. Les contribuables ont tout intérêt à ce que la valeur du contenu des nouvelles de Radio-Canada soit reconnue et indemnisée en vertu de la nouvelle loi afin que les revenus générés par ce régime puissent être réinvestis, en particulier dans le contenu des nouvelles régionales et locales, des nouvelles que Radio-Canada est bien placée pour fournir.
Bien que nous ayons entendu les arguments de ceux qui estiment que Radio-Canada devrait être exclue du nouveau cadre législatif, les sondages et les données démontrent que Radio-Canada demeure l’une des sources de nouvelles et d’information les plus consultées et les plus fiables.
Nous espérons sincèrement que le besoin criant de venir en aide à notre secteur de nouvelles, un secteur qui inclut Radio-Canada, s’avérera plus important que l’attrait d’utiliser ce projet de loi comme tribune pour mener d’autres batailles.
Avant de conclure, nous aimerions attirer votre attention sur les principes directeurs en matière de diversité des contenus en ligne qui ont été publiés par le gouvernement en juin 2021. L’objectif était d’encadrer les actions et les mesures qui favoriseraient une meilleure exposition à de l’information, des nouvelles et du contenu culturel diversifié en ligne afin de contribuer à des discussions publiques plus saines, à une meilleure inclusion sociale, à une plus grande résilience face à la désinformation et à la mésinformation et à l’augmentation de la capacité des citoyens de participer au processus démocratique.
Ce sont des objectifs ambitieux et admirables qui sont tout à fait réalisables, en partie grâce à l’adoption du projet de loi C-18. Avec quelques modifications clés en faveur de plus de transparence, la Loi sur la diffusion continue en ligne peut redonner vie à nos organes de presse, de telle sorte que dans cinq ans, lorsque les parlementaires feront le point sur la loi, les mots que nous utiliserons pour décrire l’écosystème de l’actualité seront la résilience, la crédibilité, l’indépendance, la diversité et un secteur en bonne santé.
[Traduction]
Mme Boltman : Monsieur le président, honorables membres du comité, nous vous remercions de nous accorder votre temps en vue de l’étude de ce sujet d’une grande importance. Nous répondrons à vos questions avec plaisir.
Le président : Merci. La parole est maintenant à M. Geist.
Michael Geist, Chaire de recherche du Canada en droit de l’Internet et du commerce électronique, Faculté de droit, Université d’Ottawa, à titre personnel : Merci beaucoup, et bonjour.
Je m’appelle Michael Geist. Je suis professeur en droit à l’Université d’Ottawa, où je détiens la Chaire de recherche du Canada en droit d’Internet et du commerce électronique. Je suis aussi membre du Centre de recherche en droit, technologie et société. Je témoigne devant vous à titre personnel, pour vous faire part de mes propres opinions.
J’ai été assez critique à l’égard du projet de loi C-18, mais cette critique n’émane pas de doutes au sujet de l’importance d’un secteur des nouvelles robuste et diversifié. Toutefois, selon sa forme actuelle, le projet de loi soulève d’importantes préoccupations relatives à la libre circulation de l’information en ligne, à la liberté d’expression et aux obligations internationales du Canada en matière de droit d’auteur et de commerce. S’il n’est pas modifié, je crois que le projet de loi pourrait faire beaucoup plus de mal que de bien, notamment en raison de la possibilité du blocage des nouvelles ou de l’indexation sur les plateformes en ligne.
Il y a beaucoup de points à aborder, comme les conséquences du projet de loi sur l’indépendance de la presse, la distorsion de la concurrence, la dépendance à l’égard des entreprises Internet étrangères, la pertinence de l’administration du CRTC et la façon dont l’émergence de l’intelligence artificielle générative rend le projet de loi — qui ne vise pas les services comme ChatGPT — déjà désuet. Toutefois, comme je ne dispose que de peu de temps, je vais me centrer sur cinq enjeux principaux et proposer des solutions.
Premièrement, le projet de loi vise un paiement obligatoire pour les liens. En effet, la semaine dernière, M. Ripley a reconnu devant le comité que si elles ne diffusent pas de liens, certaines sociétés comme Google et Facebook ne seront pas des intermédiaires de nouvelles numériques en vertu du projet de loi, et ne seront donc pas visées par celui-ci.
La Cour suprême du Canada a fait valoir qu’en associant des coûts aux liens, on pourrait nuire au fonctionnement d’Internet. Or, le paiement pour les liens est au cœur du projet de loi, et cela n’a pas d’importance s’il s’agit d’un tarif global pour tous les liens ou d’un tarif à la pièce. Les conséquences négatives seront les mêmes. Il se peut notamment que le même principe de paiement s’applique à d’autres objectifs stratégiques et que le fondement même du partage de l’information en ligne soit en péril.
Pour régler le problème, il faudrait supprimer le paragraphe 2(2). De plus, la définition de la « disponibilité du contenu de nouvelles » — qui représente une exigence en vue d’être un intermédiaire de nouvelles numériques — devrait se restreindre à l’utilisation du contenu numérique. Si Google ou Facebook publie le texte complet des articles et les associent à de la publicité, il faut qu’il y ait une rémunération équitable. Toutefois, le cadre ne devrait pas viser les liens, qui sont souvent publiés par les sociétés d’information elles-mêmes.
Deuxièmement, la définition des entreprises de nouvelles admissibles à l’article 27 devrait être révisée afin d’en restreindre la portée aux médias qui produisent des nouvelles. Le gouvernement a appuyé le secteur il y a plusieurs années à l’aide de mesures fiscales fondées sur la création d’organisations journalistiques canadiennes qualifiées, qui étaient définies par des critères détaillés de l’ARC. Le projet de loi C-18 a élargi cette approche afin de tenir compte des diffuseurs qui, selon les estimations du DPB, recevront 75 % des revenus du projet de loi, comme l’a fait valoir M. Menzies.
Toutefois, le comité de la Chambre a ajouté un autre critère d’admissibilité fondé uniquement sur la détention d’une licence du CRTC. Cet élargissement soulève deux préoccupations en matière de commerce — puisque seuls les Canadiens peuvent obtenir ces licences — et transforme le projet de loi en un programme de subvention qui ne tient pas compte de la production de vraies nouvelles.
Troisièmement, le projet de loi C-18 contrevient aux normes en matière de droit d’auteur, puisqu’il suspend les restrictions et les exceptions du processus de négociation à l’article 24. Cette mesure vient ébranler le fondement de la loi canadienne en matière de droit d’auteur et pourrait contrevenir au paragraphe 10(1) de la Convention de Berne, qui prévoit que le droit de citation s’applique expressément aux articles de presse. Cette disposition devrait être supprimée.
Quatrièmement, mes amis n’aimeront pas cela, mais l’inclusion de CBC/Radio-Canada dans le cadre du projet de loi C-18 est une erreur. Dans un monde où les Canadiens font souvent face à des accès payants ou à une désinformation accrue lorsqu’ils cherchent des nouvelles fiables, la société devrait accueillir favorablement tous ceux qui élargissent l’accès à son contenu d’information, dans lequel le public a déjà investi. En effet, étant donné les préoccupations relatives à la concurrence entre les diffuseurs publics et le secteur privé pour des recettes publicitaires, on ne fait qu’empirer les choses en les obligeant à se livrer concurrence pour obtenir l’argent des intermédiaires de nouvelles numériques. L’article 28 devrait être modifié afin de rendre les diffuseurs publics — fédéraux et provinciaux — admissibles uniquement au moment de l’adoption des règlements pertinents.
Cinquièmement, il y a de meilleures façons de faire les choses, notamment en ayant recours à un modèle de financement qui a servi de fondement au rapport Le miroir éclaté, qui a en grande partie lancé ce débat public. Un fonds basé sur le modèle du Fonds des médias du Canada pour appuyer les vrais journalistes par l’entremise de contributions obligatoires misant sur les recettes publicitaires des grandes entreprises Internet permettrait d’aborder les préoccupations relatives aux paiements obligatoires pour les liens, à l’indépendance et la presse et à l’admissibilité. Pour ce faire, on pourrait élargir la portée de l’ordonnance d’exemption de l’article 11 du projet de loi afin de donner au CRTC le pouvoir d’exemption en fonction des contributions à ce fonds.
Je pourrais vous parler encore longtemps, mais je vais m’arrêter là. Je répondrai avec plaisir à vos questions.
Le président : Merci. Les témoins semblent avoir grandement suscité l’intérêt des sénateurs, parce que ma liste est très longue. Je tiens à rappeler à mes collègues qu’ils disposeront tous de cinq minutes pour leurs interventions, ce qui comprend le temps consacré aux questions et aux réponses. Je leur demanderais de poser des questions précises, et aux témoins de répondre avec précision également.
La sénatrice Simons : Monsieur Geist, je vais commencer avec vous. J’aimerais vous donner l’occasion d’aborder en détail quelques points que vous avez soulevés, notamment au sujet de la Convention de Berne et du droit de citation. Pourriez-vous m’expliquer comment, à votre avis, le projet de loi C-18 contrevient à la Convention de Berne?
M. Geist : Je vous remercie pour votre question. L’article 24 du projet deloi comporte des dispositions relatives au droit d’auteur. De façon particulière, il énonce qu’en vue d’une plus grande certitude, les exceptions et les restrictions au droit d’auteur, prévues sous le régime de la Loi sur le droit d’auteur, n’ont pas pour effet de limiter la portée du processus de négociation.
En d’autres termes, il s’agit de la capacité des intermédiaires de nouvelles numériques d’expliquer que lorsqu’ils utilisent ces ressources — parce qu’il est uniquement question de diffuser un lien ou des index dans certains cas —, ils ne font qu’exercer leurs droits en matière d’utilisation équitable. On pourrait soutenir qu’il n’est même pas nécessaire d’invoquer l’utilisation équitable, et que la question est sans importance.
Le fait qu’ils ne puissent même pas invoquer le droit à l’utilisation équitable, qui est un droit des utilisateurs défini par la Cour suprême du Canada, contrevient au principe de base de la Convention de Berne voulant qu’il y ait un droit positif de citation. De façon particulière, il s’agit de l’un des rares cas de droit positif en vertu de la Convention de Berne. Le droit de citation est donc obligatoire; en faisant valoir qu’on ne peut le citer, je crois que l’on contrevient à ces droits.
La sénatrice Simons : Vous avez ensuite dit qu’à votre avis, CBC/Radio-Canada et les organisations provinciales comme TVO devraient uniquement être prises en compte à la suite de l’adoption des règlements pertinents. Quelle devrait être la teneur de ces règlements, selon vous?
M. Geist : Franchement, elles ne devraient tout simplement pas être incluses, mais s’il y a une façon de le formuler qui ne nuise pas à la volonté de créer un secteur privé solide dans le domaine des nouvelles, cela en ferait partie. J’ai parlé à un certain nombre d’acteurs indépendants qui sont fort préoccupés, CBC étant leur principal concurrent dans leur petit marché local de nouvelles. L’idée qu’ils auraient à faire concurrence non seulement aux fonds publics de CBC, mais aussi aux fonds de Google et de Facebook, a concrètement obligé nombre de ces acteurs indépendants à participer au système, puisqu’ils n’ont pas eu le choix.
Mon point de vue plus global est que cela ne me semble pas approprié ici. Si vous appuyez CBC, votre objectif est de la rendre pertinente et différente de ce qui est offert dans le secteur privé, et la façon d’y arriver est de veiller à ce qu’elle soit le carrefour de l’accès pour tous les Canadiens qui n’ont pas à franchir un verrou d’accès payant ni à se soucier de la désinformation. Pour ce faire, vous devez favoriser l’accès plutôt que de dire : « Non, celles-là sont toutes pareilles et vous devez payer pour essayer de faciliter ce genre d’accès. »
La sénatrice Simons : Enfin, d’après votre expertise en ce qui a trait aux affaires internationales, quelles solutions pourraient utiliser le gouvernement canadien si Google et Facebook arrêtent de diffuser ou d’indexer les sites de nouvelles canadiens? Y a-t-il des solutions dans la loi que nous pourrions employer comme nation pour contrer cela?
M. Geist : C’est une question intéressante. Évidemment, nous avons conclu un accord commercial, et donc cibler directement des sociétés américaines peut entraîner des différends commerciaux.
D’abord, les cas de Google et de Facebook dans ce contexte sont légèrement différents. Je sais que vous allez entendre des représentants de ces deux sociétés. Facebook porte sur le partage de liens affichés par les utilisateurs, souvent directement par les entreprises de nouvelles, alors pourquoi exiger qu’une entreprise maintienne cette partie de son service si ce n’est pas rentable? Je dois admettre que ce n’est pas surprenant qu’elle puisse réagir ainsi, et je ne suis pas certain qu’il y ait le moindre pouvoir permettant de forcer quelqu’un à faire cela.
Dans le contexte de Google et de l’indexation, je ne suis pas convaincu non plus qu’il y a quelque chose dans le droit international qui peut forcer quelqu’un à procéder à l’indexation. Cela dit, je crois que nous devrions vérifier si les lois sur la concurrence s’appliquent et si les façons dont elles sont mises en œuvre posent de possibles problèmes relatifs à la concurrence. Dans le contexte de Google, si elle devait arrêter d’indexer les nouvelles ou de fournir des liens vers celles-ci, cela dépendrait de la façon dont elle le ferait, quel autre contenu demeurerait accessible et si cela entraînerait des préoccupations de nature anticoncurrentielle.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : J’ai une question en français pour Mme Maria Boltman de Les AMIS. Comme vous le savez, la programmation de Radio-Canada doit répondre à trois critères selon la Loi sur la radiodiffusion qui sont, dans l’ordre : « renseigne, éclaire et divertit ».
Or, si on manque d’argent pour le journalisme — vous avez dit qu’on en manquait pour les nouvelles locales à Radio-Canada —, est-ce que ce n’est pas parce qu’on dépense trop en divertissement? Comment expliquer qu’aucune émission de télévision d’affaires publiques n’a été créée depuis Enquête, en 2005, alors que le volume de production de séries dramatiques est trop important au Québec, que c’est une surenchère et que plein d’émissions passent inaperçues? Ce n’est pas moi qui le dis, c’est Denis Dubois, un des hommes les plus influents de la télévision en ce moment.
Donc, y a-t-il un rééquilibrage à faire à l’intérieur du diffuseur public plutôt que de compter seulement sur les paiements de Google et de Facebook?
[Traduction]
Mme Boltman : Je vais vous faire la politesse d’une réponse dans votre langue en cédant la parole à ma collègue, Sarah Andrews, qui répondra à cette question.
[Français]
Mme Andrews : Je vous remercie, monsieur le président, madame la sénatrice pour la question.
Les AMIS demandent depuis longtemps une révision du mandat de Radio-Canada, car il y a eu une commercialisation de Radio-Canada. On demande une révision du mandat pour recentrer Radio-Canada sur son mandat public. Les nouvelles sont définitivement une partie importante de ce mandat public. Vous êtes probablement au courant que le CRTC est en train de réviser les conditions de licence qui ont été mises de l’avant l’été passé. On attend toujours cette audience auprès du CRTC.
Cependant, une des demandes des AMIS c’était de recentrer Radio-Canada sur les nouvelles locales, les conditions de licence qui avaient été émises l’été passé par le CRTC étaient moins concentrées sur les nouvelles locales, donc Les AMIS demandait de recentrer Radio-Canada sur l’importance des nouvelles locales, et aussi de la production indépendante. C’est sûr que c’est une discussion qui est très importante, que Les AMIS veulent avoir.
Le gouvernement, lors des dernières élections et aussi dans la lettre de mandat du ministre du Patrimoine canadien, s’est engagé à avoir cette discussion concernant le mandat de Radio‑Canada. Nous attendons toujours ce moment. On pensait qu’avec le renouvellement de la Loi sur la radiodiffusion, c’était une possibilité. Malheureusement, ce n’est pas ce qui s’est passé. On attend ce moment pour avoir cette discussion.
La sénatrice Miville-Dechêne : Je vous arrête justement pour revenir au projet de loi C-18. Vous avez entendu M. Michael Geist qui dit que CBC/Radio-Canada ne devrait pas être incluse, avec des arguments, notamment celui de se poser la question à savoir comment se fait-il qu’une télé publique se soumet, si on veut, à Google et Facebook en matière de financement? Est-ce qu’au contraire, elle ne devrait pas garder toute son indépendance? Ne voyez-vous pas de problème, d’autant plus que Radio-Canada est déjà subventionnée?
[Traduction]
Mme Boltman : Nous comprenons cette question des fonds publics et privés et nous comprenons pourquoi la question a été soulevée, mais nous ne croyons pas qu’il soit approprié d’associer les crédits publics à la participation de CBC à ce cadre. Le projet de loi n’a vraiment rien à voir avec les fonds publics; le but de cette mesure législative, comme nous le savons, est de créer un cadre de rémunération où les plateformes privées compensent les organes de presse pour les avantages qu’elles tirent de leurs nouvelles, ces avantages étant les revenus de publicité, qui ont traditionnellement contribué à financer les nouvelles et qui sont maintenant engloutis par le duopole numérique que sont Google et Facebook.
En ce qui a trait à CBC, oui, dans un monde idéal, nous aurions un diffuseur public national qui ne dépend pas des revenus de publicité, mais notre monde n’est pas idéal. Bien que nous continuons de plaider pour du financement public à long terme pour CBC, et Les AMIS sont bien connus pour cette prise de position, ce financement ne s’est pas encore matérialisé. Tant que cela ne se fera pas, la compensation de CBC en vertu de la loi permettra aux revenus tirés de ce régime d’être réinvestis, surtout dans du contenu local et régional, ce qui est quelque chose que nous continuons de demander avec insistance.
[Français]
Le sénateur Cormier : Mes questions s’adressent à Mme Andrews et à Mme Boltman. Je suis comme vous, très préoccupé par la question de la transparence. Vous avez proposé, dans votre mémoire, un amendement sur la divulgation publique, qui va comme suit :
le Conseil doit mettre à la disposition du public toute information transmise au Conseil par un exploitant, une entreprise de nouvelles admissible ou un groupe d’entreprises de nouvelles admissibles, dans la mesure où cette information n’est pas désignée comme étant confidentielle.
Il me semble que c’est extrêmement contraignant comme proposition, même si j’approuve l’idée de créer plus de transparence. Avez-vous réfléchi à l’idée de modifier l’article 86 qui parle du rapport d’un vérificateur indépendant qui pourrait être transparent quant au contenu de ces ententes? Est-ce que vous avez exploré cette piste, puisque c’est déjà contenu dans le projet de loi C-18, cette idée de divulgation par un rapport du vérificateur indépendant, selon certains critères?
[Traduction]
Mme Boltman : Merci, sénateur Cormier. Nous y avons songé.
Nous estimons que le rapport du vérificateur est utile, mais que de se fier uniquement à celui-ci présente deux écueils majeurs : d’abord, il est strictement annuel et, ensuite, il s’appuie sur la loi. Donc, si le reste de la loi ne privilégie pas la divulgation publique, l’ampleur de la divulgation dans le rapport du vérificateur comme tel sera à l’avenant.
Prenons le paragraphe 29(1), par exemple. S’il continue de préciser qu’une entreprise de nouvelles admissible n’est inscrite à la liste rendue publique par le Conseil que si elle y consent, il est très peu probable que les entreprises de nouvelles qui bénéficient de la loi soient citées dans le rapport du vérificateur, à moins qu’il s’agisse d’une entreprise qui a donné son consentement. En outre, même si elles étaient citées, cette divulgation pourrait venir de 1 an à 18 mois après les faits.
Soyons clairs : les amendements que nous avons soumis au Sénat sont différents de ceux d’abord proposés à la Chambre, qui les a rejetés en raison de ses craintes par rapport aux renseignements personnels entre des organisations privées. Nous comprenons ces craintes, mais nous ne parlons pas ici de « widgets » ou vignettes actives, mais plutôt d’ententes commerciales en matière de nouvelles d’intérêt public qui peuvent influer sur ce que ressentent et pensent les Canadiens. Nous sommes convaincus que, dans ces circonstances, nous devons accorder la priorité à la confiance publique envers les médias d’information, et que la meilleure façon pour ce faire est une transparence accrue par rapport à celle qui prévaut.
J’estime donc qu’il convient de souligner que les amendements révisés devant vous constituent un compromis entre les préoccupations en matière de vie privée et le droit de savoir du public.
[Français]
Le sénateur Cormier : Je vous remercie.
Ma deuxième question concerne le paragraphe 32(1), les accords avec un groupe. Comme vous le dites, il me semble qu’il y a un élément manquant. Cet article précise qu’un groupe d’entreprises de nouvelles admissibles qui conclut un accord avec un exploitant doit déposer une copie de l’accord auprès du conseil.
Maintenant, qu’en est-il d’un accord qui est pris par une entreprise de média seule, qui ne fait pas partie d’un groupe? J’ai posé la question la semaine dernière, mais je pense que cette question est importante lorsqu’on pense aux plus petits médias, notamment. Il ne semble pas qu’elles aient besoin de déposer au CRTC une copie de leurs négociations dans le contexte de la médiation.
Que pouvez-vous dire à ce sujet? Je crois que vous proposez quelque chose.
[Traduction]
Mme Boltman : C’est une excellente question : que leur arrive-t-il? Voilà pourquoi nous voudrions qu’elles soient toutes traitées de la même façon.
Comme vous le dites, seulement les accords conclus par des groupes à la suite de séances de négociation doivent être déposés selon l’article 32. Ils deviennent ainsi des accords assujettis. Il y a toutefois d’autres accords assujettis, conclus par les parties concernées qui optent elles aussi pour des séances de négociation. Donc, comme vous le dites, qu’en est-il des parties qui n’ont pas opté pour la négociation?
Nous avons trois types d’accords qui méritent tous d’être traités de la même façon. Puisque nous sommes en faveur de la divulgation et du dépôt, nous estimons que tous ces accords devraient être déposés. C’est ce que prévoit la partie B de notre amendement. À la partie B, nous proposons d’ajouter l’article 32.1, qui se lirait comme suit :
Une entreprise de nouvelles admissible doit déposer auprès du Conseil tout accord avec des exploitants concernant le contenu de nouvelles qui est principalement mis à la disposition du marché canadien des nouvelles dans les 30 jours suivant la conclusion de l’accord ou à compter de la date de la décision d’un panel d’arbitrage.
Nous proposons le dépôt de tous les accords. Le but est d’exiger expressément le dépôt de tous les accords pertinents, ce qui rendrait obligatoire un pouvoir discrétionnaire existant.
[Français]
Le sénateur Cormier : Je vous remercie.
[Traduction]
Le sénateur Harder : Merci à nos témoins.
Ma question s’adresse à M. Geist, et elle vise à revenir aux principes fondamentaux qui sous-tendent les efforts du gouvernement. Vous avez avancé que le gouvernement pourrait opter pour une autre mesure, soit le modèle du fonds. S’agit-il simplement d’un différend entre un professeur et le gouvernement en matière d’approche stratégique?
L’Australie a adopté un modèle semblable à celui que propose le gouvernement du Canada et n’a pas connu certaines des préoccupations que vous avez exprimées relativement aux traités, au droit de la concurrence ou à la Convention de Berne. Soulevez-vous des préoccupations — qui sont tout à fait légitimes, en passant, je le reconnais — pour appuyer votre préférence stratégique? Quel poids accordez-vous au droit du Parlement de faire un choix stratégique avec lequel vous n’êtes peut-être pas d’accord, mais qui prendra néanmoins corps malgré les préoccupations que vous avez exprimées?
M. Geist : Merci pour votre question, sénateur Harder. D’abord, en ce qui a trait à l’Australie, vous avez cité, par exemple, les conventions internationales. L’Australie ne fait pas référence aux limites et aux exceptions, ce qui est l’une des raisons pour lesquelles les droits d’auteur sont préoccupants dans le projet de loi canadien, mais pas en Australie, où ce genre de disposition n’a pas été utilisée. Le projet de loi australien a également été efficace là où le code ne s’applique pas, comme vous le savez.
Les avis divergent quant à l’ampleur de son efficacité. Certes, si M. Sims vient témoigner à un moment donné, je suis persuadé qu’il vous dira à quel point c’est super. D’autres qui l’ont étudié ont exprimé certaines réserves. Pour reprendre le point des AMIS sur la transparence, le modèle australien est encore moins transparent. C’est avant tout spéculatif à cet égard.
Pour ce qui est du désaccord, dans certains cas, j’ai vécu directement certaines des préoccupations que j’ai soulevées. Par exemple, j’ai signé des articles d’opinion critiques à l’endroit du ministre concerné par ce projet de loi. Ils ont été approuvés à l’interne, puis annulés par l’un des grands journaux parce qu’ils ne correspondaient pas au type de message qu’on voulait diffuser. Quand je dis qu’il y a des préoccupations en matière d’indépendance de la presse, j’estime que c’est très vrai. Quand le gouvernement se dit désireux d’assurer l’indépendance de la presse, de veiller à ce que le CRTC ne participe pas ouvertement à cela et de s’assurer qu’il y a une approche viable à cet égard, tout en s’abstenant de créer certains de ces dommages et de soulever certaines des questions sur les liens que j’ai soulevées, je propose le modèle du fonds, parce que je crois qu’il règle en fait certains de ces problèmes.
Vous pouvez faire valoir qu’il y a tout de même d’autres façons, mais si l’idée est de trouver un mécanisme pour amener ces grandes sociétés à faire leur part, un fonds contribue grandement à créer une certaine distance. En outre, il répond aux préoccupations en matière de transparence, puisque nous ne mettons plus l’accent sur ces accords secrets. D’emblée, nous savons quelle est la contribution et l’argent est vraiment consacré au journalisme plutôt que d’être versé à la haute direction, aux fonds spéculatifs et aux sociétés qui ne produisent peut-être même pas de nouvelles. L’argent va donc plutôt à ceux qui produisent du journalisme, peu importe leur taille, leur portée et leur emplacement au pays.
Le sénateur Harder : Monsieur Geist, nous avons tous vu ce que nous jugions être d’excellents articles être retirés par le rédacteur en chef malgré l’encouragement des autres.
Quel regard portez-vous sur ce que le Royaume-Uni envisage de faire et la façon dont l’Europe a abordé la question? En fait, la Journalism Competition and Preservation Act des États-Unis a pas mal les mêmes visées. Que pensez-vous de ces approches?
M. Geist : L’approche américaine, comme nous le savons, avait d’abord une certaine orientation, puis elle n’a manifestement pas abouti. Peut-être vont-ils revoir cette mesure législative et trouver un mécanisme pour aller de l’avant.
Il est évident que beaucoup de pays vivent les mêmes problèmes. Nous ne sommes pas les seuls, c’est certain. On cherche des solutions. L’Australie était un précurseur, donc quand les gens cherchent des options, ils se décident souvent de suivre l’approche australienne.
Franchement, je crois que nous avons l’occasion ici de mettre de l’avant quelque chose qui est plus efficace et qui remédie à une partie des conséquences négatives de ce modèle australien, ou aujourd’hui le modèle du projet de loi C-18, qui pourrait bien s’avérer une approche plus populaire à l’échelle mondiale. Si l’objectif est de financer le journalisme, trouvons une façon de financer le journalisme, mais sans les problèmes de nature interventionniste que cette mesure engendre.
Le sénateur Harder : Dans le choix stratégique qui a désormais été convenu par le gouvernement et la Chambre des communes, ne diriez-vous pas que le projet de loi C-18 est en fait une amélioration par rapport au modèle australien, en partie pour les raisons de transparence que vous avez citées?
M. Geist : Je crois qu’il y a des éléments de transparence, mais nous venons tout juste d’entendre des témoins parler expressément de tous les problèmes en matière de transparence. Je ne suis pas convaincu que le gouvernement peut déclarer qu’il s’agit d’une grande victoire pour la transparence quand on vient d’entendre des contributions très solides voulant qu’il y ait un grave manque de transparence dans ce projet de loi.
Fondamentalement, je suis d’avis que certaines des conséquences négatives ici sont si grandes qu’il est difficile de dire que c’est une amélioration par rapport au projet de loi.
Le président : Merci, monsieur Geist.
La sénatrice Wallin : Merci beaucoup et bienvenue à vous tous. Ma première question s’adresse à MM. Menzies et Geist. J’aimerais vous entendre tous les deux, en termes généraux, sur le rôle du gouvernement, ainsi que sur son incidence et son contrôle sur l’accès à l’information. Vu mon parcours professionnel, je crois en la liberté d’expression. Toutefois, c’est donnant-donnant. Il ne suffit pas de pouvoir s’exprimer; il faut aussi être en mesure d’entendre ce que les autres ont à dire.
Ce projet de loi me perturbe parce que je crois qu’il risque grandement de limiter, en tant que citoyens, notre accès à l’information si les services de diffusion en continu cessent de diffuser les nouvelles en raison de ce système d’imposition des liens.
Ma question s’adresse à vous deux. Monsieur Geist, commençons par vous, puis M. Menzies prendra le relais. Êtes‑vous préoccupés par la réduction ou la restriction des échanges d’idées et de renseignements?
M. Geist : Merci pour votre question, sénatrice Wallin. Je suis préoccupé par ce qui sera fort probablement le résultat de ce projet de loi, soit que les grandes plateformes directement touchées par celui-ci vont arrêter ou trouver des façons d’arrêter le partage de nouvelles afin de se soustraire à la définition d’intermédiaire de nouvelles numériques. Facebook a été on ne peut plus constante depuis le dépôt de ce projet de loi, affirmant que cela n’est pas une partie importante de sa plateforme et qu’elle va donc arrêter cette activité. Manifestement, il y a des gens qui s’informent sur Facebook. Je crois que les préoccupations sont encore plus grandes par rapport à Google, si elle devait aller de l’avant, car j’estime que les gens en dépendent.
Je voudrais aussi souligner, et j’y ai brièvement fait allusion, qu’il est évident que nous allons de plus en plus vers des systèmes génératifs de type IA. Si vous comparez ce que vous obtenez avec ChatGPT à ce que produirait la plateforme Bing, par exemple, où il y a des références et des liens vers certaines sources sous-jacentes, l’idée que nous ayons un projet de loi qui, d’abord, ne comprend même pas l’IA générative parce qu’elle ne produit pas d’index ou de liens, et ensuite, que nous favorisions concrètement l’abandon des références — puisque dès que vous commencez à fournir des références et des liens, vous êtes essentiellement englobé par ce projet de loi, si vous êtes un intermédiaire de nouvelles numériques —, cela me paraît contreproductif. Nous voulons veiller à ce que les gens obtiennent à la fois de l’information fiable et des façons de contrer la désinformation, et qu’ils puissent trouver des sources fiables. Dès que vous commencez à dire qu’ils doivent payer pour les liens, vous les poussez en fait exactement dans le sens contraire.
M. Menzies : Il est difficile de voir comment Meta pourrait arriver à une autre conclusion. La seule solution rationnelle pour eux serait de se retirer. Vous n’êtes peut-être pas d’accord, mais c’est la seule solution sensée d’un point de vue commercial. Il s’agit d’une petite partie de leur activité. Ce n’est pas comme Twitter. Peu de gens vont sur Facebook pour discuter de politique. Ils y vont pour publier des photos de leurs petits-enfants, ce genre de choses.
Il y aurait probablement une incidence sur l’innovation et les jeunes entreprises. Je ne pense pas qu’il y aurait d’énormes répercussions sur les produits existants. Cependant, si vous êtes une jeune entreprise, Facebook a toujours été un moyen gratuit ou bon marché d’accéder à un marché local grâce à la publicité ciblée et autre. Ce serait donc dommage. Je pense qu’il s’agirait là d’un effet négatif du projet de loi C-18.
Pour ce qui est du long terme, je pense que M. Geist a souligné tout à l’heure que dans cinq ans, il n’y aura peut-être plus de liens. Les moteurs de recherche et ce genre de choses reposeront peut-être sur une technologie entièrement différente. Le projet de loi C-18 est donc déjà largement désuet s’il se base sur des liens. Il y a là une cohérence regrettable.
Je comprends pourquoi l’on essaie d’élaborer des politiques autour de ceux-ci, mais si l’on faisait les choses simplement et que l’on trouvait une autre méthode de compensation, on obtiendrait peut-être de bien meilleurs résultats à long terme. Comme je l’ai souligné, des personnes vont maintenant faire faillite parce que d’autres sont subventionnées, ce qui fausse le marché. Le gouvernement doit donc prendre du recul, repenser tout ce système et se doter d’une véritable politique nationale de l’industrie de l’information.
Le président : Vous avez 30 secondes, sénatrice Wallin.
La sénatrice Wallin : Le sénateur Harder nous a dit qu’il s’agissait toujours de choix stratégiques, et le choix stratégique semble être de subventionner une industrie défaillante, et non le journalisme. Mais cela crée également un conflit d’intérêts pour toutes les organisations journalistiques de ce pays, car elles dépendent de ces revenus pour faire leur travail. M. Geist a cité l’exemple de son propre cas. Êtes-vous tous les deux inquiets? Vous pourrez peut-être intégrer votre réponse à une autre réponse, merci.
La sénatrice Dasko : Merci à tous pour votre présence.
J’ai une question pour M. Menzies. Vous avez dit que vous pensiez que s’il est adopté, le projet de loi ne devrait s’appliquer qu’aux sociétés dont les nouvelles sont la principale activité. Qu’est-ce que cela signifie? Cela signifie-t-il que seules les radios d’information sont censées bénéficier de cette mesure?
J’aimerais que vous clarifiiez ce point.
On exclurait ainsi un grand nombre d’organisations. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet?
M. Menzies : Le problème auquel nous sommes confrontés est que le virage ou la révolution technologique en cours a miné les plateformes qui soutenaient le journalisme. Ce dernier ne s’est jamais vraiment autofinancé. Il a toujours été subventionné par les petites annonces ou d’autres formes de publicité. Les journalistes n’aiment pas qu’on le dise, mais le journalisme ne rapporte pas d’argent. Il peut jouer un rôle très important dans un journal ou toute autre plateforme, mais il doit être subventionné d’une façon ou d’une autre.
Nous devons nous assurer que les plateformes sont capables de soutenir les nouvelles. Je pense que les plateformes, comme CTV, tirent beaucoup d’argent de domaines autres que les nouvelles, et le CRTC a toujours attendu d’elles qu’elles utilisent une partie de ces recettes pour subventionner les nouvelles. Il en va de même pour Global et d’autres.
Les choses fonctionnent ainsi. Si vous voulez garantir la viabilité de l’industrie des nouvelles, vous devez créer des incitatifs pour que les personnes se lancent dans des activités principalement fondées sur les nouvelles. Vous n’y parviendrez pas en donnant plus d’argent à Bell Media ou à CBC, parce que CBC est déjà le principal concurrent pour ce qui est des recettes de la publicité en ligne. Que Dieu bénisse CBC. En tant que radiodiffuseur public, ce réseau a un rôle vital à jouer, mais à l’heure actuelle, il n’est pas un radiodiffuseur public, mais un radiodiffuseur commercial subventionné par des fonds publics, ce qui fausse le marché.
La sénatrice Dasko : Si vous prenez les données concernant les sources de nouvelles des Canadiens... et je crois que Reuters a mené une enquête l’année dernière et a trouvé que les principales sources de nouvelles des Canadiens anglais étaient CTV, CBC et Global. Que ce soit en ligne ou hors ligne, ce sont les trois mêmes sources principales. Pour les Canadiens francophones, il s’agit de Radio-Canada et de TVA.
Il s’agit donc clairement de sources de nouvelles vitales pour les Canadiens. Monsieur Geist et monsieur Menzies, comment pouvons-nous supprimer CBC, pour ne citer qu’un exemple, alors qu’il s’agit de l’une des sources de nouvelles les plus importantes pour les Canadiens? Ces radiodiffuseurs font évidemment d’autres choses, mais les nouvelles sont l’une des choses pour lesquelles les Canadiens utilisent ces réseaux. Un projet de loi censé accorder une compensation aux entreprises de nouvelles devrait donc s’appliquer à ces organisations, y compris à CBC.
M. Geist : Ça me fait penser à la chanson One of These Things, qui dit que l’une de ces choses n’est pas comme les autres, que l’une d’elles n’est pas à sa place, et il s’agit du diffuseur public. Il s’agit de quelque chose de différent. Lorsque j’entends Les AMIS, par exemple, dire que, dans un monde idéal, CBC serait entièrement subventionnée par des fonds publics et qu’elle n’aurait pas besoin de compter sur d’autres sources de ce type, je pense qu’on n’y arrivera jamais si on ne justifie pas l’existence de CBC en établissant que cette entreprise est différente et répond à certains objectifs d’intérêt public.
Je suis d’accord avec vous : Vos données soulignent le fait que certaines personnes comptent sur CBC pour s’informer. C’est une très bonne chose, mais je ne crois pas que cela signifie que nous devons l’inclure dans le projet de loi. Je pense que cela souligne au contraire qu’il existe maintenant une justification solide pour financer un diffuseur public, ce qui le distinguerait des autres diffuseurs et sources privés.
Il serait alors essentiel de veiller à ce que le plus grand nombre possible de Canadiens aient accès à ces nouvelles et savent qu’elles existent. Nous ne devons pas créer d’obstacle à l’accès à des nouvelles que nous jugeons fiables et crédibles, et qui sont financées par l’État. Nous avons déjà payé pour cela.
M. Menzies : En ce qui concerne CBC, si vous voulez un bon radiodiffuseur public, d’accord. Le problème, c’est qu’à l’heure actuelle, CBC met des journaux en faillite. En 2016, la plupart des représentants de l’industrie de la presse ont comparu devant le Comité permanent du patrimoine canadien de la Chambre des communes pour mettre en garde le gouvernement contre l’octroi d’un financement supplémentaire à CBC, parce qu’ils...
Le président : Je m’excuse de vous interrompre, monsieur Menzies, mais le temps de parole de la sénatrice Dasko est écoulé et je dois passer au sénateur suivant.
Le sénateur Cardozo : Je voudrais poursuivre cette discussion particulière, et demander aux représentantes de Les AMIS, Marla Boltman et Sarah Andrews, si elles peuvent formuler des commentaires sur le rôle des diffuseurs publics. Vous en avez parlé et j’aimerais que vous approfondissiez un peu le sujet.
Quel est le rôle du diffuseur public en ce qui concerne les nouvelles? Pourquoi a-t-il besoin de cette subvention? Ce besoin est-il lié au fait que nous assistons actuellement à une croissance massive de la désinformation... le diffuseur public pourrait-il jouer un rôle plus important à cet égard?
Monsieur Menzies, je vais vous poser ma deuxième question à laquelle vous répondrez après les autres. Je suis heureux de vous rencontrer en ligne, monsieur. Nous avons tous deux siégé au CRTC en tant que commissaires, bien qu’à des périodes différentes, et nous ne nous sommes donc jamais rencontrés. Cela dit, je constate que nous avons parfois des points de vue différents sur ces questions, ce qui souligne le fait que le CRTC accueille des personnes aux opinions variées.
J’aimerais vous demander ce que vous pensez du modèle de financement. Vous avez évoqué l’idée d’une politique de l’industrie nationale des nouvelles, j’aimerais donc avoir votre avis à ce sujet.
Je demanderai toutefois aux représentantes de Les AMIS de répondre en premier.
Mme Boltman : J’aimerais d’abord répondre à la deuxième partie de votre question, qui concerne la lutte contre la désinformation. Nous reviendrons ensuite sur CBC.
Nous croyons fermement que le meilleur antidote à la désinformation est le journalisme rigoureux et crédible assuré par les médias indépendants et publics, dont fait partie CBC. Ils posent des questions gênantes, demandent des comptes aux dirigeants et assurent un contrôle de la diffusion d’informations erronées.
Ainsi, s’il est appliqué correctement, le projet de loi C-18 contribuera grandement à garantir que l’écosystème canadien des nouvelles est sain et qu’il nous expose à des données provenant de sources diverses et pluralistes qui, encore une fois, comprennent des sources médiatiques privées et publiques, y compris CBC, ce qui contribuera à renforcer la confiance dans nos médias d’information ainsi que la résilience de ceux-ci, et à lutter contre la désinformation.
Je vais donner la parole à Sarah Andrews qui souhaitera peut-être formuler des commentaires supplémentaires sur ce que le sénateur Cardozo a dit à propos de CBC et du rôle des diffuseurs publics.
Mme Andrews : Merci beaucoup.
Comme nous l’avons mentionné plus tôt dans nos observations liminaires, CBC reste une source de nouvelles vitale. Comme l’a souligné la sénatrice Dasko, elle est l’une des sources de nouvelles les plus consultées en ligne et à la télévision.
Nous discutons actuellement de l’inclusion de CBC dans le projet de loi. En l’état actuel des choses, comme vous le savez tous, CBC n’est pas entièrement financée par l’État. Elle utilise des recettes publicitaires pour compléter son budget. Dans les circonstances actuelles, il est dans l’intérêt des contribuables que le contenu des nouvelles de CBC soit valorisé et reconnu dans le cadre du projet de loi C-18. Les AMIS demandent officiellement une augmentation des crédits parlementaires accordés à CBC, afin qu’elle dépende moins des recettes publicitaires. Le gouvernement a pris cet engagement et il figure dans la lettre de mandat du ministre. Cette conversation sur les crédits n’a pas encore eu lieu. Dans l’état actuel des choses, CBC devrait absolument être prise en considération dans le cadre du projet de loi C-18.
Le sénateur Cardozo : Monsieur Menzies, pourriez-vous répondre à la question que je vous ai posée?
M. Menzies : L’un des problèmes principaux est le rôle de CBC sur le marché. CBC devrait être un diffuseur public. Elle ne devrait pas être en concurrence avec le reste de l’industrie pour ses recettes commerciales. Il s’agit d’une utilisation des impôts et des recettes qui est globalement plus utile pour le secteur privé. Vous pouvez octroyer plus de fonds à CBC si vous le souhaitez. C’est probablement la façon la plus simple de résoudre ce problème.
En ce qui concerne le modèle de financement et la politique nationale des nouvelles, je vais essayer d’être aussi bref que possible. Ceux-ci doivent comporter de multiples facettes. Notre système crée actuellement une dépendance à long terme pour l’industrie des nouvelles, ce qui ne gagnera la confiance du public — si le public veut bien lui faire confiance — et ne sera utile que si ce système est perçu comme étant indépendant. À l’heure actuelle, nous créons une dépendance à long terme à l’égard du gouvernement et des bénéfices scandaleux réalisés par les grandes entreprises technologiques. Je pense que le citoyen moyen ne fait confiance ni à l’un ni à l’autre. Le fait de s’associer fortement à eux ne renforcera pas la confiance dans l’industrie des nouvelles, et ne sera donc pas utile.
Nous devons bâtir une politique nationale des nouvelles qui valorise l’indépendance et l’innovation qui seront nécessaires pour traverser une période difficile, et la confiance.
Le président : Merci, monsieur Menzies.
Le sénateur Manning : Bienvenue à nos invités et merci beaucoup.
Ma première question s’adresse à M. Geist. Cela fait des années que nous entendons parler de la disparition des nouvelles locales. Ce matin encore, de grandes salles de rédaction ont fermé ou fusionné. Cela s’est souvent produit avec Bell Media et Rogers, qui s’emparent de tous les médias d’information. Sur de nombreux marchés, ils possèdent à eux deux toutes les stations de radio et chaînes de télévision. Quelle est la part de responsabilité de Facebook et de Google dans la disparition des sources de nouvelles traditionnelles? Quelle est la part de responsabilité des entreprises qui recevront désormais plus d’argent pour moins de contenu? Je m’interroge à ce sujet et je vous pose la question suivante : Y a-t-il une garantie que les fonds qu’ils recevront seront réinvestis dans les nouvelles?
M. Geist : Merci, sénateur Manning. Vous avez soulevé plusieurs questions. Tout d’abord — et je pense que même M. Ripley l’a reconnu dans son témoignage —, les problèmes auxquels est confronté le secteur présentent de multiples facettes. Il ne s’agit pas seulement de plateformes. Nous pourrions revenir à Craigslist et à toute une série d’éléments qui ont eu une incidence sur les recettes. L’idée que la réussite de ces entreprises repose sur les nouvelles est évidemment erronée. Les nouvelles ne sont tout simplement pas si importantes que cela pour ces services. Elles permettent certes de capter des recettes publicitaires, mais c’est parce que ces plateformes disposent d’un meilleur modèle publicitaire et non parce qu’elles proposent des nouvelles. Telle est la réalité économique.
Nous avons vu ces fermetures. Les mêmes études qui font état de quelque 400 fermetures au cours de la dernière décennie indiquent qu’au moins 200 jeunes entreprises ont été créées dans ce secteur. Nous devons reconnaître qu’il y a de l’innovation. Cela ne signifie pas que le gouvernement ne doit pas agir, mais nous voyons de nouveaux acteurs arriver sur le marché. Très franchement, je pense que cette législation nuit à leur compétitivité. Nombre de ces entreprises n’en voulaient pas. Nombre d’entre elles ne souhaitaient pas qu’elle soit mise en place. Elles n’ont pas eu d’autre choix que d’y prendre part parce qu’elles se sont dit : « Comment allons-nous être compétitives si notre principal concurrent est CBC sur un marché local et que nous nous retrouvons soudain dans un environnement où CBC est non seulement financée par l’État, mais aussi par Google et Facebook? » Ces entreprises participent donc à ce processus. Honnêtement, je pense que le gouvernement a proposé des approches assez novatrices dans des domaines comme le financement du journalisme local et les systèmes de crédit d’impôt. Cependant, nous n’avons pas vraiment permis à ces approches de pleinement se concrétiser. Je crains qu’en essayant d’orienter la majorité de ces fonds vers certains de ces grands acteurs principaux, notamment de grandes entreprises comme Bell et Rogers, nous aboutissions à un environnement dans lequel certains de ces acteurs innovants ne survivront pas, tout simplement parce qu’ils seront encore plus désavantagés.
Le sénateur Manning : Merci. Dans le monde d’aujourd’hui, on parle beaucoup de la confiance que les gens accordent aux médias. Nous entendons des commentaires sur les fausses nouvelles. C’est incessant. Lorsque je parle à des gens ordinaires, ils me disent : « Je ne crois plus rien de ce que j’entends aux nouvelles. » Je m’interroge sur le projet de loi C-18 et sur les gouvernements qui tentent de rétablir cette confiance, ou du moins de la consolider.
Que pensez-vous du projet de loi C-18? Je pose la question à tous les autres témoins qui veulent répondre : comment ce projet de loi renforcera-t-il la confiance que les Canadiens accordent aux nouvelles? Pensez-vous que le projet de loi C-18 réussit à faire quelque chose en ce sens?
M. Geist : Je vais essayer d’aller vite pour que tout le monde ait une chance de répondre. Je pense qu’il fait le contraire. Je pense qu’il sape la confiance de deux manières importantes. Tout d’abord, je pense qu’il fausse la couverture. Il se peut que des éditoriaux aient été supprimés. Quiconque examine de près la couverture de ce projet de loi dans les médias grand public s’apercevra qu’il y a confusion entre les intérêts éditoriaux et commerciaux de bon nombre de ces entités. Le fait que ces dernières placent leurs intérêts commerciaux en première page sous la forme d’éditoriaux contribue, en fin de compte, à miner la confiance que les gens leur accordent. Ensuite, en invoquant essentiellement Google et Facebook, ils disent : « Nous voulons que 35 % des coûts des organes de presse soient financés par ces deux sociétés. » Comment pourrons-nous faire confiance à la couverture de ces entreprises lorsqu’elles dépendront à ce point de ce financement?
J’ai proposé le modèle du fonds parce que je pense que nous devons créer un système où il n’y a pas de lien de dépendance entre la provenance du financement et la personne qui en bénéficie directement. Avec ce que nous avons établi aujourd’hui, les entreprises pourront survivre, mais je ne suis pas certain que les gens leur feront confiance quand ils sauront que les deux tiers de leur financement proviennent soit de la Silicon Valley, soit du gouvernement fédéral.
M. Menzies : Si je puis ajouter quelque chose, je dirais que toute l’industrie de l’information repose sur la confiance. C’est sa principale matière première. Sans confiance, elle n’a plus rien à espérer. Elle a toujours misé sur l’autopromotion — vous savez, ce soir, regardez les nouvelles on ne peut plus fiables du sénateur Manning. C’est la plateforme sur laquelle elle s’est toujours appuyée. Tout ce qui sape la confiance tue l’industrie, même si cela ne touche que 10 ou 20 % de la population et même si vous êtes en désaccord avec elle. Ce projet de loi sape la confiance.
Mme Boltman : Si je puis me permettre, c’est exactement la raison pour laquelle Les AMIS demande que le projet de loi soit plus transparent, car le manque de transparence en matière de financement ne fera qu’alimenter cette méfiance. Les Canadiens ont le droit de pouvoir mesurer l’influence de leur écosystème de nouvelles. S’il s’agit de 30 % ou de 35 %, les Canadiens doivent le savoir. On n’a qu’à penser au récent tollé qu’a suscité le fait que Twitter accole une étiquette négative aux nouvelles de la CBC anglaise pour se rendre compte à quel point les Canadiens apprécient et valorisent l’indépendance de leurs médias d’information. Un peu plus de transparence dans ce projet de loi aidera à atteindre cet objectif et à instaurer la confiance.
Le président : Je vous remercie des témoignages convaincants que vous nous avez présentés aujourd’hui. Le message est clair comme de l’eau de roche de la part de nos trois témoins : nous avons un gouvernement qui injecte plus de 1,2 milliard de dollars dans un radiodiffuseur. Cette injection permet à ce dernier d’être concurrentiel sur le marché et d’absorber une grande part des revenus, au détriment des médias d’information indépendants.
Je suis préoccupé par le fait que nous autorisons et perpétuons cette dynamique depuis plusieurs années avec ce gouvernement — et avec l’appui du Parlement — et que nous le faisons sans la moindre hésitation. Nous les encourageons à faire concurrence, et cela nous passionne. Cependant, regardez les cotes d’écoute. Personne n’en a parlé.
Quelqu’un peut-il m’expliquer comment un gouvernement peut donner autant à un organe de presse qui a un auditoire si restreint par rapport à d’autres organes de presse indépendants d’un peu partout au pays? Est-ce que quelqu’un a quelque chose à dire à ce sujet?
Mme Boltman : Nous pouvons commenter certaines statistiques concernant CBC News. Madame Andrews?
Mme Andrews : Pour répondre au point soulevé par la sénatrice Dasko, de nombreux sondages montrent que CBC/Radio-Canada reste l’une des plateformes les plus consultées, tant en ligne qu’à la télévision.
Selon les sondages effectués par Les AMIS — et nous serons heureux d’en fournir une copie au Sénat après cela —, CBC/Radio-Canada reste l’une des sources d’information les plus fiables. Au cours des premiers jours de la pandémie, nous avons fait un sondage qui a révélé que les Canadiens faisaient beaucoup confiance à CBC/Radio-Canada quant aux informations sur la pandémie. Les chiffres montrent que les Canadiens consultent beaucoup CBC/Radio-Canada. Ils lui font confiance en matière d’information. Toutefois, pour revenir à ce que vous disiez tout à l’heure, il faut qu’il y ait une discussion au sujet de ce télédiffuseur. Les AMIS est prêt à avoir cette discussion. Nous avons toujours plaidé pour qu’il y ait une discussion sur le mandat de CBC/Radio-Canada afin d’en permettre le recentrage sur la valeur de service public du télédiffuseur. C’est également une question qui a été soulevée dans le rapport Yale. Nous serons prêts à avoir cette discussion lorsque le Parlement sera prêt à aborder la chose.
M. Menzies : Je dirais que lorsque CBC/Radio-Canada se fait essentiellement publique, elle a un certain succès. Je dirais que les services de radio en anglais et en français, qui n’ont pas de fonction commerciale, ont tendance à très bien se comporter sur leurs marchés. Ils sont plus ou moins les leaders de leur marché respectif. Cela dit, les marchés de la radio représentent 9 ou 10 %. C’est énorme pour un leader du marché.
Là où ils échouent, c’est lorsque la dimension commerciale entre en jeu, car c’est cette nature commerciale qui déforme la vision. Vous orientez alors votre programmation en fonction des marchés publicitaires comme ceux de la région du Grand Toronto et de Montréal. Vous orientez votre approche éditoriale pour servir ces marchés. Vous arrivez à bien servir ces marchés et à générer des revenus à partir de ces marchés, mais vous abandonnez le reste du pays et votre mandat parce que votre approche a été déformée par votre nature commerciale.
Si vous voulez une radio purement publique qui est moins politique, moins idéologique — je veux dire, les gens auront des opinions différentes au sujet de la radio et ce genre de choses —, soit. En fait, ce type de radio semble bénéficier d’un degré de confiance plus élevé que la radio dite commerciale.
M. Geist : Bien que, d’une certaine manière, j’ai déjà fait valoir mon point de vue, je répondrai très brièvement que nous avons investi beaucoup d’argent là-dedans. On en a promis encore plus. L’erreur est de dire qu’au lieu d’investir plus d’argent provenant des fonds publics, nous allons demander à Google et à Facebook d’assurer le financement.
En fin de compte, cela sape toute la raison d’être d’un radiodiffuseur public. J’écoute la radio de la CBC. Beaucoup de gens écoutent la radio de la CBC. Les gens aiment cette chaîne et ils la considèrent comme une source potentielle d’informations fiables et crédibles. Toutefois, vous aurez de la difficulté à être ce que les gens espèrent de vous si vous confiez une grande partie de votre financement à quelques géants de la technologie basés aux États-Unis. Au reste, il est difficile de faire cela lorsque vous ne vous distinguez plus des autres sources d’information.
Nous devrions plutôt nous demander comment tirer parti de ce milliard ou de ce 1,2 milliard de dollars. L’un des moyens d’y parvenir est de s’assurer qu’il est aussi largement et facilement accessible que possible. Et ce n’est pas la même chose que ce que l’on trouve sur Global TV ou CTV ou sur d’autres marchés médiatiques. Ce projet de loi dit qu’il n’y a pas de différence; tout ce que nous voulons, c’est que ces sociétés paient.
Le président : Merci de vos réponses. Il ne nous reste plus de temps. La seule chose que je souhaite clarifier pour notre public et nos membres, c’est que ma question portait sur les cotes d’écoute, et non sur les sondages et la confiance qu’inspire CBC. Je ne remets pas en cause la confiance que les gens lui accordent.
Personne ne remet en question la subvention de 1,2 milliard de dollars que la société reçoit chaque année. Ce que personne ne peut remettre en question, ce sont les cotes d’écoute qui sont publiées chaque trimestre. Je tiens à préciser qu’il y a une importante différence entre Radio-Canada en français et le réseau CBC en anglais. Je laisserai le mot de la fin à mon vice‑président qui meurt d’envie d’intervenir avant que nous mettions fin à cette première heure.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : En effet, Radio-Canada a de grands succès d’écoute dans certains domaines, donc il faut faire des distinctions. Aussi, je ne crois pas qu’il y ait un consensus autour de cette table sur Radio-Canada. Effectivement, vous avez dit qu’il y a des positions opposées, mais il n’y a pas de consensus parmi nous sur CBC/Radio-Canada.
Le président : Évidemment, il n’y a pas de consensus et c’est la raison pour laquelle nous avons un Parlement et une démocratie.
La sénatrice Miville-Dechêne : Je voulais simplement dire que nous n’étions pas tous d’accord à ce sujet.
Le président : Oui, certainement.
[Traduction]
J’aimerais remercier nos invités de leur présence et de cet échange très éclairé. Comme vous le voyez, j’ai une tonne de questions pour une deuxième heure. J’estime donc que nous devrions réinviter ce groupe d’experts pour une deuxième heure dans un avenir proche. C’est une proposition que je fais au comité parce que vous avez tous été remarquables. Merci beaucoup.
Nous reprenons maintenant notre séance publique consacrée à l’examen du projet de loi C-18, la Loi sur les nouvelles en ligne. Pour notre deuxième groupe d’experts, du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, nous avons devant nous Scott Shortliffe, directeur exécutif, Radiodiffusion, Daniel Pye, directeur, Rémunération des médias d’information et Adam Balkovec, conseiller juridique, Secteur juridique. Bienvenue au comité. La personne qui n’est pas avec nous aujourd’hui est la présidente-directrice générale du CRTC. En mon nom et au nom de la vice-présidente de ce comité, je dois exprimer notre mécontentement quant au fait qu’elle n’ait pas eu le temps de se présenter ici afin de répondre à certaines questions importantes, mais nous espérons pouvoir remédier à cela dans un avenir proche. Nous vous remercions tous d’avoir pris le temps d’être avec nous.
Ce groupe d’experts sera avec nous jusqu’à 10 h 50, car le comité a fait savoir qu’il aimerait consacrer quelques minutes à l’examen de certaines questions de gestion. J’essaierai de m’organiser en conséquence, conformément aux souhaits des membres du comité.
Vous disposez de sept minutes pour votre déclaration liminaire, après quoi nous passerons aux questions des membres. Monsieur Shortliffe, vous avez la parole.
[Français]
Scott Shortliffe, directeur exécutif, Radiodiffusion, Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes : Bonjour. Je vous remercie de nous avoir invités à comparaître devant votre comité aujourd’hui.
Comme le président l’a mentionné, mes collègues qui m’accompagnent aujourd’hui sont : Daniel Pye, directeur de la Rémunération des médias d’information, et Adam Balkovec, conseiller juridique.
S’il reçoit la sanction royale, le projet de loi C-18 intitulé la Loi concernant les plateformes de communication en ligne rendant disponible du contenu de nouvelles aux personnes se trouvant au Canada établira un cadre permettant aux plateformes numériques et aux entreprises de nouvelles de conclure des accords concernant le contenu de nouvelles rendu disponible en ligne.
Ces accords devront également respecter l’indépendance journalistique et prévoir des investissements dans divers médias d’information canadiens.
Si les parties ne parviennent pas à un tel accord, elles peuvent recourir à la médiation ou à l’arbitrage obligatoire pour sortir de l’impasse.
Dans le cadre du projet de loi proposé, le CRTC serait appelé à remplir plusieurs fonctions.
[Traduction]
Plus précisément, nous élaborerions, mettrions en œuvre et superviserions le cadre réglementaire dans lequel les nouveaux accords commerciaux seraient négociés. Nous évaluerions également les plateformes en ligne auxquelles s’appliquerait la Loi sur les nouvelles en ligne et les entreprises de nouvelles qui peuvent négocier dans le cadre de cette Loi. Nous superviserions les négociations et les médiations, et nous créerions une liste d’arbitres externes qualifiés pour l’arbitrage de l’offre finale. Nous établirions également un code de conduite pour favoriser l’équité et la transparence dans le cadre des négociations, et nous traiterions les plaintes relatives à la discrimination injuste, à la préférence indue ou au désavantage indu, dans la mesure où elles sont liées au projet de loi.
Enfin, nous chargerions un auditeur indépendant de publier un rapport annuel portant sur les répercussions de la Loi sur le marché canadien des nouvelles numériques.
[Français]
Le CRTC s’est préparé à l’entrée en vigueur de ce projet de loi. Si le Parlement décide de l’adopter, nous sommes prêts à réagir. Nous avons une grande expérience de la supervision des processus de résolution des conflits, de l’évaluation des plaintes et de l’application des codes de conduite.
M. Pye, en tant que directeur de la Rémunération des médias d’information, met en place une structure qui nous permettra d’effectuer ce travail. Nous avons affecté à ce projet des ressources spécialisées provenant de nos services juridiques ainsi que d’autres secteurs du CRTC.
Cependant, il est important de comprendre que des accords négociés avec succès ne se font pas du jour au lendemain.
[Traduction]
Le CRTC a l’obligation légale de recueillir l’avis des entreprises de nouvelles, des plateformes et des Canadiens sur la manière de créer ce nouveau régime. Le CRTC fondera ses décisions et ses réglementations sur les éléments recueillis lors des consultations publiques, ce qui prend du temps. Nous travaillerons avec diligence et rapidité, tout en respectant nos obligations.
Je note que dans le cas particulier du projet de loi C-18, il nous est demandé d’administrer un processus en vue d’aider les parties à conclure des accords commerciaux. Il ne nous est pas demandé de réglementer l’industrie de l’information ni de déterminer quelles nouvelles les Canadiens reçoivent, ou encore comment ils les reçoivent.
Le CRTC est prêt à agir rapidement si le projet de loi C-18 reçoit la sanction royale, et à procéder aux consultations publiques nécessaires à la mise en place du cadre et à la mise en œuvre de la loi.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, mes collègues et moi serons heureux de répondre à vos questions.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Merci d’être ici aujourd’hui.
Vous avez dit que vous êtes prêt à réagir. Une fois que la sanction royale va être donnée, à quel moment allez-vous être prêt à faire des arbitrages? Parce qu’on parle d’en tout environ 650 médias qui ont été identifiés dans le projet de loi. Parmi ceux-là, il y a de très petits médias, environ 400. À ce que je sache, vous n’avez aucune expérience en arbitrage précisément. Vous en avez dans d’autres domaines, mais pas dans ce domaine.
À quoi peut-on s’attendre en matière d’échéancier? Certains de ces petits médias peuvent mourir avant même qu’ils aient la chance d’être entendus par le CRTC qui, par le passé, a pris beaucoup de temps à rendre ses décisions.
M. Shortliffe : C’est une bonne question. Je pourrais demander à M. Pye de décrire les étapes. C’est important de comprendre qu’avant l’arbitrage, nous devons tenir une audience publique afin d’établir les définitions. Cela prend un certain temps. Je ne peux pas être précis quant au temps requis. Après, nous pouvons commencer le processus. Cependant, il y a quelques étapes. Comme je l’ai dit, cela ne se fait pas du jour au lendemain.
Monsieur Pye, pouvez-vous décrire les étapes entre maintenant et l’arbitrage?
Daniel Pye, directeur, Rémunération des médias d’information, Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes : Je pense que tout d’abord, comme M. Shortliffe le mentionne, il y a des étapes à franchir, notamment une consultation auprès du public qui devrait avoir lieu. Une fois que la consultation publique a lieu, c’est évident que le conseil va rendre des décisions sur certains des aspects qui tombent sous sa gouverne en ce qui concerne le projet de loi.
Une fois que les décisions sont publiées, le projet de loi doit entrer en vigueur. Ce sera fait par règlement ou par ordre du...
La sénatrice Miville-Dechêne : Parle-t-on de mois ou d’années? Donnez-nous une idée.
M. Pye : En nombre de mois ou d’années, je dirais que normalement, le processus doit tenir des consultations auprès du public et rendre des décisions. Ensuite, il y a le processus de règlement, donc on parle probablement d’entre un et deux ans, au minimum.
Adam Balkovec, conseiller juridique, Secteur juridique, Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes : Si vous le permettez, je peux ajouter quelque chose, madame la sénatrice.
Je vous dirige vers l’article 93 du projet de loi. L’entrée en vigueur du projet de loi est complexe. On devra attendre jusqu’au gouverneur en conseil, qui prendra quelques règlements, avant qu’on puisse faire notre propre réglementation.
On pense qu’il y a une occasion de simplifier, peut-être, l’entrée en vigueur du projet de loi, de donner un peu plus de souplesse au conseil relativement à la mise en œuvre du projet de loi, et on pourrait...
La sénatrice Miville-Dechêne : Pourriez-vous proposer un amendement précis? Cela fait 10 fois que je relis l’article 93 et j’ai de la difficulté. Pouvez-vous nous proposer quelque chose qui serait plus facile pour vous?
Me Balkovec : Absolument. Nous pourrions vous revenir avec une solution écrite afin de décrire comment la mise en œuvre pourrait être un peu plus souple et simple pour le conseil.
La sénatrice Miville-Dechêne : Je vous remercie.
[Traduction]
La sénatrice Simons : Monsieur Shortliffe, vous avez dit que le CRTC n’aura pas à réglementer les nouvelles elles-mêmes, mais seulement à superviser les négociations. Cependant, j’aimerais revenir sur l’alinéa 27(1)(iv) du projet de loi, qui dit que le CRTC décidera qui est une entreprise de nouvelles admissible, et que cette décision sera fondée en partie sur le fait que ladite entreprise a un code déontologie et des normes de conduite professionnelle. Je sais que pour mes collègues de la radiodiffusion, cela peut sembler normatif, mais c’est un anathème pour beaucoup de journalistes de la presse écrite, qui ne croient pas que le gouvernement, l’État ou la Couronne devraient réglementer l’éthique des journaux de quelque façon que ce soit.
Comment conciliez-vous cette partie de l’article 27 avec ce que vous avez dit tout à l’heure?
M. Shortliffe : Notre interprétation de l’article 27 — advenant, bien sûr, qu’il soit adopté tel quel — est que nous sommes censés nous assurer qu’il s’agit d’un organe de presse viable. Nous devrons être précis à ce sujet dans le cadre de nos consultations publiques. Toutefois, d’après ce que nous comprenons de l’intention du projet de loi, c’est que notre interprétation à cet égard ne devrait pas faire en sorte d’empêcher des entreprises de nouvelles de se porter candidates ou de limiter les candidatures. Le point que vous avez soulevé, à savoir que les entreprises de nouvelles pourraient venir nous voir et nous dire que cela les empêche de présenter une demande dans le cadre du projet de loi me paraît tout à fait valable. C’est une question qui pourrait nous être adressée et je présume qu’elle le sera devant cette auguste assemblée par les personnes qui seront appelées à témoigner.
Il reste que nous pensons qu’il doit y avoir des définitions claires et que ces définitions doivent être neutres dans leur application. Elles ne doivent pas être rédigées de manière à inclure ou à exclure un type particulier d’entreprise de nouvelles, pour autant que cette entreprise de nouvelles puisse démontrer qu’elle est viable.
Nous devrons également attendre de...
La sénatrice Simons : La viabilité et la crédibilité sont deux choses différentes.
M. Shortliffe : Désolé, je m’excuse, une entreprise de nouvelles crédible, c’est un bien meilleur mot. Pardonnez ma méprise, je voulais dire une entreprise de nouvelles crédible.
Encore une fois, notre compréhension de l’intention du projet de loi c’est qu’une entreprise de nouvelles crédible est plus clairement définie par l’alinéa a). Le gouvernement a décidé d’ajouter l’alinéa b), ce qui, dans les faits, nous met dans l’obligation de fournir une définition.
En effet, notre compréhension de ce projet de loi est que notre rôle est d’administrer, ce qui est très différent du projet de loi C-11 qui nous demande d’interpréter une politique. À vrai dire, en ce qui nous concerne, plus nous avons de mesures concrètes dans un projet de loi, moins nous cherchons à interpréter ou moins nous sommes tenus d’interpréter, le mieux c’est. Ce projet de loi n’est pas conçu pour nous demander d’administrer une politique, mais bien d’administrer un processus.
La sénatrice Simons : J’ai une question sur l’analyse algorithmique. Meta et Google ont très clairement indiqué publiquement leur mécontentement à l’égard de ce projet de loi. Il y a des parties du projet de loi où il faut s’assurer qu’il y a utilisation équitable et que le contenu n’est pas déclassé en fonction du fait qu’il plaise ou déplaise à Google et à Facebook. Comment allez-vous vous y prendre pour faire cette analyse algorithmique et établir si le contenu des actualités est supprimé de manière inappropriée, et y aura-t-il suffisamment d’indépendance et de transparence pour faire cette détermination?
Me Balkovec : Je vous renvoie, sénatrice, à l’article 52 du projet de loi, où il est question des préférences indues. C’est l’outil que le conseil envisagerait d’utiliser pour traiter ce genre de problème.
Je souligne que le plaignant, l’entreprise de nouvelles, devra démontrer qu’il y a eu, de prime abord, une forme de préférence. À partir de là, la charge de la preuve incomberait à la plateforme, qui devra alors démontrer que la préférence n’était pas indue. Nous pensons que cela permettrait d’effectuer ce type d’analyse, ce qui est préférable au fait de voir le conseil tenter de bricoler un algorithme, pour ainsi dire. Ce serait vraiment à la plateforme de démontrer, dans le contexte d’une procédure publique, que ce qu’elle fait n’est pas une mesure de représailles, que cela fait partie du cours normal des affaires, etc.
La sénatrice Simons : Ce sera entièrement basé sur les plaintes et le CRTC n’aurait pas la responsabilité de surveiller l’achat algorithmique de résultats.
Me Balkovec : Pour revenir à ce que j’ai dit à la sénatrice Miville-Dechêne, tel que c’est écrit, le conseil n’est pas habilité à enquêter sur ce genre de choses de son propre chef. C’est un exemple du type de flexibilité qui, à notre avis, faciliterait la mise en œuvre du projet de loi, c’est-à-dire que le conseil puisse, de sa propre initiative, examiner des questions relevant de sa compétence, telle que la préférence indue.
La sénatrice Simons : Je peux imaginer que pour une petite entreprise de nouvelles en particulier, il serait difficile d’établir cette preuve de prime abord. Elles n’ont pas accès à ce qui est derrière l’algorithme. Comment savoir si vous êtes — j’ai l’impression que c’est la scène des Monty Python, « À l’aide, à l’aide, on m’opprime! » — , bref, comment savoir si l’on est opprimé si l’on n’a pas les outils d’analyse pour le constater?
Me Balkovec : Aux termes de la Loi sur les télécommunications et de la Loi sur la radiodiffusion, il serait cohérent avec ses mandats que le conseil puisse faire ce genre de choses de sa propre initiative. Et nous pourrions, peut-être, venir en aide au personnage de l’exemple que vous avez donné, Dennis le paysan.
[Français]
Le sénateur Cormier : Je voulais vous interpeller sur les articles 6 et 51 à la lumière du témoignage de la semaine dernière de M. von Finckenstein qui exprimait des craintes sur ces deux articles.
Puisque nous parlons d’algorithmes, je vous ramène à l’article 51 qui permet à une entreprise de nouvelles admissibles de formuler une plainte au CRTC si elle a des raisons de croire qu’un intermédiaire la discrimine ou lui fait subir un désavantage. Comme les intermédiaires présentent du contenu à partir d’algorithmes, il y a donc une certaine forme de discrimination à l’intérieur même de ce que l’algorithme offre.
Avez-vous des craintes quant au nombre de plaintes que pourrait recevoir le CRTC par rapport à cette question? Quel est votre point de vue sur la quantité possible de plaintes?
Je crois que c’était une préoccupation de M. von Finckenstein, et c’est la mienne aussi.
M. Shortliffe : C’est difficile à prévoir parce que nous n’avons l’expérience que d’une partie de l’industrie, à savoir la radiodiffusion, mais pas de l’autre partie, à savoir la presse écrite.
Cependant, aujourd’hui, nous avons beaucoup d’expérience en matière de préférence indue. Il n’y a pas un grand nombre de cas, parce qu’il faut qu’une partie amène un cas où il y a un certain nombre de preuves qui nous permettent de dire qu’il n’est pas suffisant d’avoir une préférence. Il n’y a pas de mal à avoir une préférence. C’est donc l’idée de la préférence indue.
Il est donc nécessaire que nous créions un cadre qui explique ce qui est et ce qui n’est pas une préférence indue, et que nous le mettions en application. Il est vraiment difficile de prévoir parce que, franchement, il s’agit d’un nouveau projet de loi. Nous disposons de ressources internes et nous sommes prêts, je crois, à réagir à cette question.
Le sénateur Cormier : Par quel processus allez-vous déterminer si c’est indu ou pas?
M. Shortliffe : Je ne peux pas le préciser maintenant, parce que c’est le résultat d’une audience publique.
Le sénateur Cormier : D’accord. Allez-y, monsieur.
Me Balkovec : Je peux donner un exemple dans le contexte des télécommunications.
Dans les années 2010, le conseil a tenu une audience publique afin de créer un cadre réglementaire qui expliquerait comment certaines pratiques, que nous appelons en anglais throttling, constituent une violation de l’article semblable de la Loi sur les télécommunications. Nous avons donc examiné un exemple de pratique d’étranglement dans l’industrie.
Nous avons maintenant une politique qui régit cette situation et nous pourrions faire quelque chose de semblable dans le cadre de ce projet de loi.
Le sénateur Cormier : D’accord, merci.
L’article 6 est en fait le champ d’application qui annonce les critères qui doivent être respectés pour que la loi s’applique à un intermédiaire de nouvelles. Ces critères devraient-ils être plus précis, à votre avis?
Je crois que c’est M. von Finckenstein qui disait qu’un seuil de revenu devrait être intégré pour déterminer si un intermédiaire de nouvelles correspond aux critères. Qu’en pensez-vous?
M. Shortliffe : Comme je l’ai déjà dit, je pourrais accepter le projet de loi qui nous a été présenté, mais je préférerais qu’il soit plus précis, car la question de la marge de manœuvre dont nous disposons se pose toujours. Ainsi, lorsqu’il y a de nombreuses questions d’éclaircissement ou de nouvelles définitions dans le projet de loi, cela signifie qu’il y a plus de questions lors des audiences publiques, et cela repousse les négociations. Par conséquent, plus les choses sont exprimées de façon précise, mieux c’est.
Je dois dire que Patrimoine canadien pourrait avoir la possibilité d’établir des règlements. Je n’ai pas vu les règlements proposés par Patrimoine canadien, mais cela pourrait ajouter plus de précisions à l’article 6. S’il y a plus de détails, cela facilitera le travail du CRTC.
Le sénateur Cormier : Merci.
[Traduction]
La sénatrice Wallin : L’une des préoccupations soulevées lors de nos discussions sur le projet de loi C-11 était le pouvoir du gouvernement de diriger le CRTC alors que ce dernier, à l’origine, a été conçu pour être un organisme indépendant.
Des sources qui connaissent bien ce dossier m’ont dit — je ne m’attends pas à ce que vous confirmiez ou infirmiez ce qui m’a été dit, mais j’aimerais avoir une réponse à cette question — qu’il y a des contacts presque quotidiens entre les dirigeants du CRTC et le gouvernement. Il y a des contacts quasi quotidiens entre la direction du CRTC et le cabinet du ministre au sujet de ce projet de loi et de son évolution. Cela me préoccupe beaucoup. Si c’est vrai, avez-vous au moins le même type de contact assidu avec les services de diffusion en continu et avec d’autres personnes de ce domaine que cela concerne directement? J’aurai ensuite une question complémentaire à cela.
M. Shortliffe : Absolument, je peux répondre aux deux parties de cette question. Tout d’abord, je mentionnerai une chose sur le cadrage qui m’est venue à l’esprit lorsque j’ai vu les témoignages de la semaine dernière. Dans le projet de loi C-18, il est intéressant de noter que, contrairement à la Loi sur la radiodiffusion et à la Loi sur les télécommunications, le gouvernement n’a aucun pouvoir d’orientation politique, ce qui est un changement important.
En ce qui concerne les contacts entre nos différents bureaux, je ne peux pas parler du bureau de la présidente. Je ne pense pas qu’elle soit en contact quotidien ou régulier avec le cabinet du ministre. Évidemment, je ne suis pas la présidente; je ne peux pas parler en son nom. À notre échelon, cependant, les contacts sont constants et ils portent surtout sur des questions techniques. Comme l’a indiqué Me Balkovec, nous nous engageons à communiquer nos préoccupations concernant le projet de loi. Nous les avons transmises à nos collègues de Patrimoine canadien. Nous n’essayons toutefois pas de leur dire en quoi devrait consister la politique, car cela leur appartient. Nous ne leur permettons pas de nous dire comment le conseil devrait aborder la question. Nous avons effectivement des échanges.
En ce qui concerne les médias d’information, j’ai rencontré des radiodiffuseurs et des éditeurs de journaux. Jusqu’à ce que ce projet de loi entre en vigueur et que nous commencions les consultations publiques, nous misons sur une approche ouverte. Si des gens veulent nous faire part de leur point de vue sur le projet de loi, nous sommes très heureux de les écouter. Nous ne leur parlons pas nécessairement de nos intentions, mais ils sont libres de venir nous dire ce qu’ils pensent du projet de loi et de nous signaler les problèmes potentiels qu’ils y voient.
Donc, oui, nous avons eu des contacts permanents avec le ministère du Patrimoine canadien, mais à un échelon tout à fait approprié et dans le respect de nos responsabilités respectives. Nous avons également eu des contacts avec certains médias d’information, qui nous ont fait part de leurs préoccupations et de leurs espoirs à l’égard du projet de loi.
La sénatrice Wallin : Qu’en est-il des services de diffusion en continu?
M. Shortliffe : Je n’ai pas eu de conversations avec les services de diffusion en continu. C’est intéressant parce que j’ai participé à un groupe de discussion avec eux lors d’un colloque l’année dernière. J’étais là pour expliquer en quoi ce projet de loi était différent de celui de l’Australie. Mes échanges avec eux se sont limités à dire bonjour, comment allez-vous et enchanté de vous rencontrer. Nous n’avons pas eu de discussion de fond.
Ils ne nous ont pas approchés. Ce serait une discussion intéressante à avoir, mais ils ne m’ont pas demandé de parler plus en détail du projet de loi. Il n’y a donc pas eu de discussion.
La sénatrice Wallin : Je pose cette question parce que lorsque ces projets de loi nous arrivent, ils nécessitent des dizaines et des dizaines d’amendements. Peut-être que le processus serait plus efficace si certains d’entre eux étaient mis à contribution en amont de la rédaction des projets de loi.
Comme l’ont dit M. von Finckenstein et d’autres, présentement, le CRTC n’a pas la capacité de traiter ces deux projets de loi très volumineux, quelle que soit la forme qu’ils prendront, et il y aura donc des contrats de sous-traitance pour construire l’infrastructure interne. Avez-vous lancé l’un de ces contrats? Disposez-vous d’un McKinsey pour la construction de cette infrastructure? Où en êtes-vous?
M. Shortliffe : Avec tout le respect que je lui dois, je ne suis pas d’accord avec l’ancien président. En fait, nous ne prévoyons aucun contrat pour le projet de loi C-18, sauf pour les deux parties de sa structure où cela est requis, à savoir que nous devons avoir des arbitres externes et un vérificateur indépendant à la fin. Pour le reste, M. Pye est en train de constituer une équipe. Nous avons commencé. Nous avons travaillé sur tous les éléments requis par le projet de loi et nous pensons pouvoir le faire avec le personnel et les ressources qui nous ont été attribués. Nous ne prévoyons aucun contrat pour ce projet de loi.
La sénatrice Wallin : Il n’y aura pas d’embauche supplémentaire au CRTC pour traiter les projets de loi C-11 et C-18?
M. Shortliffe : Il y a eu de l’embauche supplémentaire. En fait, le budget fédéral de 2022 nous a accordé 8,5 millions de dollars sur deux ans pour la mise en place du projet de loi C-18. C’est ainsi — une fois que j’ai entériné cela — que M. Pye a pu commencer à constituer une équipe.
L’idée est qu’à terme, cela sera remplacé par le recouvrement des frais. Il y a également des embauches supplémentaires dans le cadre du projet de loi C-11, mais pas de sous-traitance dans le cadre du projet de loi C-18 pour le moment.
La sénatrice Wallin : Je vous remercie.
Le sénateur Cardozo : Merci d’être ici. J’ai quelques questions sur la façon dont les choses se dérouleraient. Tout d’abord, j’aimerais revenir sur la question de la sénatrice Wallin.
À ce stade du projet de loi, il devrait y avoir des contacts entre le gouvernement, le cabinet du ministre et le CRTC pour s’assurer que vous pouvez faire ce qu’ils attendent de vous. C’est ce à quoi je m’attends. Je m’attends à ce qu’ils viennent vous voir et vous disent : « Voici ce que nous voulons faire. Pouvez‑vous le faire? », ou que vous ayez une discussion dans les deux sens. De mon temps, il n’y avait absolument aucune interaction entre le cabinet du ministre, les députés, le public, l’industrie et les commissaires sur les questions soumises au conseil, de sorte que lorsque vous traitiez ces questions, vous ne vous attendiez pas à ce que le cabinet du ministre vous dise à tout moment : « Pouvez-vous faire ceci rapidement? Pouvez-vous laisser passer telle ou telle chose? » C’est la première chose que je voulais dire.
Deuxièmement, en ce qui concerne l’article 93, tel que je le lis et tel que vous l’avez expliqué, il semble qu’il faudra un certain temps avant que cette loi n’entre pleinement en vigueur, car il est dit que certaines sections de la loi n’entreront en vigueur que lorsque les règlements auront été élaborés et mis en place.
Troisièmement, pouvez-vous nous en dire un peu plus sur la manière dont les règlements sont élaborés? Vous avez dit que cela allait prendre environ un an. Publiez-vous des projets de règlement pour susciter des commentaires ou demandez-vous simplement des commentaires de manière totalement ouverte? Comment ce processus fonctionne-t-il?
M. Shortliffe : Je répondrai aux deux premières parties de votre question, puis je demanderai à M. Balkovec de répondre au volet réglementaire de votre question.
Tout d’abord, nous ne traitons jamais avec le cabinet du ministre, car nous ne considérons pas qu’il s’agit d’une procédure appropriée. En revanche, nous sommes habilités à traiter avec le personnel du ministère du Patrimoine canadien. Lorsque le projet de loi a été rendu public, nous avions quelques préoccupations d’ordre technique à son sujet. Nous n’avons pas remis en question la politique en tant que telle, car c’est le rôle du gouvernement. Nous avons eu des interactions avec le personnel du ministre, mais nous n’avons jamais abordé le sujet avec eux ni avec les députés. Honnêtement, nous ne considérons pas cela comme approprié; nous considérons qu’il est approprié d’interagir avec nos collègues pour essayer de comprendre l’intention du gouvernement et la manière dont nous pouvons améliorer le projet de loi. Notre rôle est d’appliquer les règlements du projet de loi tel qu’il est conçu.
Le sénateur Cardozo : ... en vous entretenant avec des fonctionnaires du ministère.
M. Shortliffe : Uniquement avec des fonctionnaires du ministère, en effet. Nous sommes limités de ce point de vue.
Je vous demande pardon, mais quelle était la deuxième partie de votre question?
Le sénateur Cardozo : L’article 93 signifie-t-il que cette loi entrera en vigueur d’ici un an ou deux?
M. Shortliffe : M. Balkovec a parlé du fonctionnement de la réglementation, mais une fois le projet de loi adopté, les intermédiaires de nouvelles numériques et les organismes de presse pourraient, en théorie, commencer immédiatement à signer des accords; ils ne seront pas obligés d’attendre. Ils préféreront probablement attendre de voir quels règlements nous avons mis en place, mais en théorie, ils pourraient commencer immédiatement. Une fois notre réglementation adoptée, un intermédiaires de nouvelles numériques, qu’il s’agisse de Google ou de Meta par exemple, s’il est qualifié, pourrait nous demander d’entamer rapidement le processus d’exemption. Nous pouvons conclure des ententes avec des organismes de presse avant que l’ensemble du processus soit mis en place. Nous savons que certains accords avec des organismes de presse existent déjà, mais nous ne connaissons pas leur ampleur.
Maître Balkovec, pourriez-vous nous parler du processus réglementaire?
Me Balkovec : Tout à fait. Je citerais l’article 49, l’article 50 et le code de conduite comme exemple. Dans l’état actuel des choses, le CRTC doit établir un code de conduite par voie de règlement.
En ce qui a trait au processus d’élaboration des règlements, le conseil est en mesure d’établir régulièrement plusieurs règlements. La procédure prescrite est assez rigide, et la Loi sur les textes réglementaires en régit une grande partie. En général, le CRTC organise une consultation publique et rédige ensuite des projets de réglementation. Il doit ensuite les envoyer au ministère de la Justice pour qu’ils soient évalués. C’est ce que prévoit la Loi sur les textes réglementaires. Il s’agit d’un problème potentiel, car les délais ne sont plus du ressort du CRTC dès que les documents des projets de réglementation quittent leurs bureaux. Nous récupérons alors ces documents et nous les publions à nouveau pour recueillir d’autres commentaires et vérifier s’il y a lieu d’apporter des modifications. Ce n’est qu’après cette seconde consultation que nous sommes finalement en mesure d’adopter ces règlements.
Le CRTC pourrait être capable d’agir plus rapidement si ce code de conduite pouvait être établi par d’autres moyens, par exemple par une décision du conseil.
Le président : Merci, maître Balkovec. Le temps est écoulé.
La sénatrice Dasko : J’avais des questions importantes à poser, mais je ne peux pas laisser passer l’enjeu de l’étranglement du réseau sans explication, d’autant plus que vous l’avez mentionné en référence à la préférence indue. Pouvez‑vous expliquer en quoi consiste l’étranglement du réseau? Ces restrictions représentent-elles un moyen d’obtenir une préférence indue? Comment cela peut-il s’appliquer par rapport à ce projet de loi et dans ce domaine?
Me Balkovec : Bien sûr, sénatrice. Je vous demande pardon, j’oublie parfois que je ne m’adresse pas toujours à des intellos des télécommunications.
La sénatrice Dasko : Je pense que vous avez écoulé le temps de parole qui vous était imparti, alors pourriez-vous nous expliquer en quoi consist l’étranglement du réseau? Il s’agit d’un nouveau lexique pour nous.
Me Balkovec : Tout à fait. C’est un problème qui survient dans le contexte des télécommunications, et pas nécessairement dans le cadre de ce projet de loi. Il s’agit d’une pratique par laquelle un fournisseur d’accès à Internet accorde la priorité ou ralentit certains types de trafic Internet. Il peut y avoir des motifs légitimes de le faire; je pense par exemple à la gestion du réseau et à des questions de sécurité publique. Toutefois, il existe également d’autres motifs moins légitimes, comme le fait de favoriser le contenu de certains types de services en ligne.
Le CRTC a élaboré une politique dans le cadre de la Loi sur les télécommunications pour régir les situations dans lesquelles ce type de pratique serait acceptable ou inacceptable. J’essayais simplement de fournir cet exemple pour illustrer le type de mesures que le conseil pourrait prendre dans le cadre de ce projet de loi. Par exemple, le fait d’organiser une consultation publique visant à déterminer quels types d’actions, dans le cadre de la mise à disposition de renseignements en ligne, pourrait être considéré comme un classement légitime des renseignements mis en ligne. Par contre, il existe également des pratiques illégitimes fondées sur des représailles et d’autres actions de ce genre.
La sénatrice Dasko : Je comprends. Nous nous concentrons sur le fonctionnement des algorithmes et sur la manière dont ils pourraient mettre en place une sorte de préférence indue. Bien entendu, les entreprises utilisent des algorithmes en permanence et peuvent les modifier. Les algorithmes ne sont pas fixés par les entreprises, mais sont plutôt flexibles et sujets à toutes sortes de modifications. Mettons pour l’instant de côté l’enjeu de l’étranglement du réseau. Serait-il légitime d’avoir la liberté de développer et de modifier les algorithmes en ce qui concerne les plateformes dont nous parlons, en tenant compte des liens établis avec des organismes de presse?
Me Balkovec : Ce sont là d’excellentes questions. Voilà précisément la raison pour laquelle le CRTC devrait organiser une audience publique. Cela nous permettrait d’étoffer ce genre de questions dans un cadre public et transparent.
La sénatrice Dasko : Mais quelles seraient les considérations à prendre en compte? S’il s’agit d’une activité normale, alors c’est une activité légitime et autorisée, n’est-ce pas?
M. Shortliffe : Je pense qu’il s’agit effectivement d’une activité légitime. Comme je l’ai dit, nous devrons nous appuyer sur le dossier public. Je vais vous fournir un exemple purement théorique. Supposons, par exemple, que des négociations soient en cours et que toutes les parties ayant signé un accord voient soudain leurs référencements augmenter de 100 %, alors que tous ceux qui participent encore au processus de négociation voient leur référencement tomber à zéro. Dans pareil cas, vous auriez probablement raison de dire qu’un intervenant utilise son pouvoir de marché pour favoriser des particuliers avec lesquels il a signé des contrats, tout en désavantageant ceux avec lesquels il est en négociation. Il s’agirait d’une tactique de négociation déloyale. Dans ce cas, on pourrait effectivement affirmer qu’il ne s’agit pas simplement d’une préférence, mais d’une préférence indue parce que la personne essaie de se débarrasser d’un concurrent.
Lorsque nous étudions des cas de préférence indue dans le secteur de la radiodiffusion, c’est ce type de paramètres que nous prenons en compte. Il ne s’agit pas de savoir si quelqu’un a décidé de diffuser une chaîne au lieu d’une autre. Il s’agit plutôt de déterminer si, par exemple, vous vous adressez à une chaîne qui vous fait directement concurrence avec des actifs que vous possédez et vous lui demander soudainement de consentir à une réduction de 70 % pour conserver une place au sein des entreprises de distribution de radiodiffusion, ou EDR, les compagnies de câblodistribution et fournisseurs de services par satellite. On parlera ici d’apparence de préférence indue faisant dérailler le cours normal des affaires. Cela dit, comme vous l’avez mentionné, les algorithmes sont toujours sujets à modification, et notre travail ne consiste pas à modifier les algorithmes pour influencer la manière dont les gens consomment des médias.
D’autre part, il faut se rappeler que les entreprises de nouvelles connaissent des hauts et des bas. Il se peut qu’un journal très pertinent aux yeux de son lectorat évolue dans sa manière de faire des reportages et que deux ans plus tard, il devienne moins populaire. Ce sont des choses qui arrivent, et le projet de loi qui nous occupe n’a pas pour objectif d’établir un filet de sécurité pour les entreprises de nouvelles. Le projet de loi vise plutôt à étudier les cas où l’on décèle un cas flagrant de...
Le président : Je regrette de devoir vous interrompre, monsieur Shortliffe, mais je dois céder la parole à la sénatrice Clement.
La sénatrice Clement : Je vous remercie de votre présence. Les « intellos des télécoms », voilà une expression que je trouve bien drôle. En effet, le comité nous offre beaucoup d’occasions de faire nos intellos, c’est merveilleux. Les intellos sont tous les bienvenus ici.
J’ai une question qui fait suite à ce qu’a dit la sénatrice Wallin à propos des ressources allouées au projet de loi C-11 et potentiellement au projet de loi C-18. Vous avez parlé de ressources à l’interne. De quels genres de ressources auriez-vous besoin concrètement si ces deux projets de loi finissent par être adoptés? J’ai entendu votre réponse, mais je me demande ce que vous pourriez avoir besoin de plus.
Maître Balkovec, vous avez exprimé votre souhait d’accroître la souplesse dans le domaine des télécommunications. Peut-être pourriez-vous vous pencher sur cet aspect dans votre réponse à cette question. De quoi le CRTC aurait-il besoin pour être en mesure de superviser adéquatement la réglementation qui découle des deux projets de loi dont il est question aujourd’hui?
Ma deuxième question porte sur la comparaison avec les modèles d’autres pays. Apparemment, le projet de loi C-18 serait à même d’améliorer la transparence des accords. Mais allons‑nous assez loin? Avez-vous une opinion sur le projet de loi C-18 par rapport aux modèles présents dans d’autres pays?
M. Shortliffe : Je vais commencer par aborder le deuxième volet de votre question. Je dois être prudent, car ce n’est pas mon rôle de dire si ce projet de loi constitue une bonne approche ou non; c’est à Patrimoine canadien qu’il appartient de le faire. Après avoir discuté avec nos collègues australiens, et notamment nos collègues responsables de la réglementation, je peux vous dire que ce projet de loi prévoit une bien plus grande transparence. Le CRTC disposera d’une bien meilleure compréhension de ce qui se passe que son homologue australien. Je pense que cela sera utile, en particulier lorsque viendra le temps d’aborder des enjeux tels que la préférence indue, lesquels sont complexes de nature. À mon avis, les dispositions relatives aux rapports publics, qui prévoient qu’un auditeur puisse s’exprimer sur la valeur du projet de loi dans son ensemble et soit en mesure d’en assurer le suivi année après année, représentent assurément une amélioration par rapport au modèle australien.
Honnêtement, lorsque nous discutons avec nos collègues australiens, notre première question est de chiffrer les dépenses liées au projet de loi. Nos collègues ont fait des estimations, que vous avez d’ailleurs pu consulter. Néanmoins, les Australiens ne peuvent pas nous révéler le coût total de leur modèle, puisqu’il s’agit d’accords conclus en privé.
En ce qui a trait aux ressources dont nous avons besoin pour mettre en place le projet de loi C-18, nous sommes tout à fait convaincus d’avoir le bon modèle. Nous allons d’ailleurs pouvoir fournir des renseignements sur les ressources dont nous aurons besoin.
Monsieur Pye, pourriez-vous nous parler un instant de l’état de votre personnel, et de la manière dont nous assurons la dotation du personnel?
M. Pye : À ce stade, une équipe dédiée au projet de loi C-18 a été mise sur pied. Pour le moment, elle concentre son travail sur la phase de mise en œuvre de la loi.
Une fois que nous saurons la date de la sanction royale et ainsi de suite, nous procéderons à une nouvelle dotation de l’équipe. Nous allons ainsi nous assurer d’avoir le personnel nécessaire pour faire appliquer la loi d’une manière efficace et efficiente.
À ce stade, notre équipe est en place, nous avons les capacités nécessaires et nous avons un plan de travail. Par ailleurs, nous disposons des ressources nécessaires pour garantir que nos capacités augmentent de la manière requise pour exécuter notre mandat en vertu de la loi. En ce qui a trait aux ressources, nous sommes donc en bonne position.
La sénatrice Clement : Je vous remercie.
Le président : Je tiens à remercier les témoins de s’être joints à nous aujourd’hui. Nous apprécions le temps que vous nous avez accordé.
La vice-présidente et moi-même voudrions faire savoir à votre présidente que nous lui avons envoyé une invitation. En fait, cela fait plus d’un mois que l’invitation a été envoyée et nous tenons à rappeler qu’en fin de compte, c’est elle qui est responsable du CRTC. C’est elle qui aura la responsabilité d’interpréter le libellé du projet de loi avec ses collègues, et il lui incombe de faire preuve d’un peu plus de respect à l’égard du Parlement.
Nous vous remercions pour votre temps.
Chers collègues, nous allons maintenant passer à huis clos pendant un instant afin de régler quelques questions d’ordre administratif.
(La séance se poursuit à huis clos.)