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TRCM - Comité permanent

Transports et communications

 

LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES TRANSPORTS ET DES COMMUNICATIONS

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mardi 9 mai 2023

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd’hui, à 9 heures (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi C-18, Loi concernant les plateformes de communication en ligne rendant disponible du contenu de nouvelles aux personnes se trouvant au Canada.

Le sénateur Leo Housakos (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Bonjour à tous.

Je m’appelle Leo Housakos, je suis un sénateur du Québec et je suis président du comité. Je voudrais inviter mes collègues à se présenter.

[Traduction]

La sénatrice Simons : Sénatrice Paula Simons, Alberta, territoire visé par le Taité no 6.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Sénatrice Julie Miville-Dechêne, du Québec.

Le sénateur Cormier : Sénateur René Cormier, du Nouveau-Brunswick.

[Traduction]

Le sénateur Manning : Fabian Manning, Terre-Neuve et Labrador.

[Français]

La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de l’Ontario.

[Traduction]

Le sénateur Harder : Peter Harder, Ontario.

Le sénateur Cardozo : Andrew Cardozo, de l’Ontario.

Le sénateur Quinn : Jim Quinn, Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Dasko : Donna Dasko, sénatrice de l’Ontario.

Le président : Chers collègues, nous nous réunissons aujourd’hui pour poursuivre notre examen du projet de loi C-18, Loi concernant les plateformes de communication en ligne rendant disponible du contenu de nouvelles aux personnes se trouvant au Canada. Tous les témoins de notre premier groupe d’experts sont ici en personne, ce qui est formidable. J’aimerais vous présenter Thomas S. Saras, président et chef de la direction, Médias, du Conseil national de la presse et des médias ethniques du Canada; Karine Devost, avocate-conseil principale, du Conseil national des musulmans canadiens; Rizwan Mohammad, agent de plaidoyer, du Conseil national des musulmans canadiens; et Linda Lauzon, directrice générale, Réseau-Presse, du Consortium des médias communautaires de langues officielles en situation minoritaire. Je vous souhaite à tous la bienvenue.

Chaque groupe dispose de cinq minutes pour nous livrer sa présentation, puis nous passerons aux questions des membres du comité. Monsieur Saras, vous avez la parole. Vous êtes impatient de nous voir commencer.

Thomas S. Saras, président et chef de la direction, Conseil national de la presse et des médias ethniques du Canada : Distingués membres du comité, je vous remercie de m’avoir invité aujourd’hui à vous donner notre point de vue.

Le Conseil national de la presse et des médias ethniques du Canada représente les médias en langues tierces et les médias en langues officielles desservant les communautés racisées, y compris la presse noire. Cela comprend les journaux, la radio, la télévision et les organes d’information en ligne.

Aujourd’hui, la presse ethnique est dans un état désastreux. Le journalisme était déjà confronté à de nombreux problèmes en raison des marchés très limités des communautés linguistiques de notre pays, mais après la pandémie de COVID-19, les choses n’ont fait qu’empirer. Pourtant, le maintien de l’expression des voix des communautés ethniques du Canada est très important pour le bien de la démocratie canadienne. Par « presse ethnique », j’entends une presse libre de tout préjugé et de tout parti pris égocentrique, au service de la vérité et de la justice. C’est une presse qui reste dévouée à notre démocratie et au multiculturalisme.

Au Canada, nous avons de nombreux nouveaux arrivants et résidents qui se sentent plus à l’aise de recevoir leurs nouvelles dans leur langue maternelle. Le rôle de la presse ethnique est de contribuer à l’intégration des nouveaux arrivants, une tradition qui a su bien s’établir au fil des ans. Étant donné l’augmentation de la désinformation en ligne et sur les différentes applications de messagerie, le rôle de cette presse est aujourd’hui plus crucial que jamais. La presse ethnique canadienne combat la désinformation en provenance du monde entier avec une arme puissante : un journalisme digne de confiance que notre organisation s’efforce de fournir en sensibilisant ses membres.

Les communautés ethniques savent qu’elles peuvent compter sur leurs rédacteurs en chef locaux pour leur dire la vérité et pour rendre compte avec exactitude de ce qui se passe aux niveaux municipal, provincial et fédéral, ainsi que dans le monde entier. En effet, les rédacteurs en chef et les journalistes sont des membres des communautés qu’ils servent. Ils ne sont pas à l’autre bout du monde. Ce sont des gens que vous pouvez croiser dans votre communauté et qui vivent dans votre quartier.

Sauf que tout cela est d’ores et déjà menacé par l’inaction. Nous devons prendre des mesures pour garantir un journalisme libre pour l’avenir du Canada.

Il ne faut pas que l’information que reçoit le public canadien soit contrôlée par trois conglomérats. Dans notre démocratie, il est important d’avoir une diversité de voix et d’opinions libres. Jusqu’ici, la presse ethnique a été de façon générale à l’abri de la consolidation de masse, mais cela est en train de changer. Pendant la pandémie, de nombreux rédacteurs en chef et propriétaires ont dû faire un choix : continuer à publier sans revenus publicitaires ou cesser de publier et priver leurs communautés d’une information publique essentielle.

La grande majorité des acteurs de la presse ethnique ont décidé de se battre et de continuer à publier. Cela signifie cependant qu’en dépit des programmes de soutien gouvernementaux mis en place durant la pandémie, de nombreux médias se sont lourdement endettés pour se maintenir en vie.

C’est dans ce contexte que nos membres ont poussé un soupir de soulagement lorsqu’ils ont pris connaissance du projet de loi C-18. On leur lançait enfin la bouée dont ils avaient besoin pour permettre à leurs activités de se maintenir à flot.

Permettez-moi maintenant de vous dire qu’une grande partie du secteur vieillit et que le projet de loi C-18 fournit aussi une aide importante en permettant le transfert ou la transmission de la propriété à la nouvelle génération. Nous sommes navrés de constater où se loge le cœur du problème : les géants de l’Internet ne souhaitent pas aider ou servir les diverses communautés ethniques.

La question vitale à laquelle nous devons répondre est donc la suivante : que faut-il faire pour maintenir un écosystème journalistique diversifié au Canada, le pays le plus multiculturel du monde? La réponse est que si nous voulons un journalisme libre, nous devons payer, et c’est là que le projet de loi C-18 entre en scène.

Je n’ai pas entendu d’autres organisations parler d’un plan mieux établi pour le journalisme. Nous vous demandons de voter en faveur du projet de loi C-18 parce qu’il fera une différence vitale pour les médias de tout le pays, quels que soient leur forme, leur taille, leur langue et leur tirage. Nous voulons que nos nouveaux arrivants comprennent le Canada ainsi que la nouvelle culture de nos institutions démocratiques et de nos systèmes politiques. Nous voulons que les nouveaux Canadiens ne se sentent pas isolés et qu’ils sachent ce qui se passe dans leur communauté et dans le monde. En ces temps difficiles, nous voulons que les Canadiens aient accès à de l’information précise et intelligible.

Le Canada est une nation composée de nombreuses nationalités, races et religions, et nous sommes liés par les vertus du respect mutuel ainsi que par la jouissance de la liberté et de l’égalité. Je pense que tout le monde est d’accord avec cela.

Le projet de loi C-18 offre un moyen viable de conserver ce que nous avons aujourd’hui et de construire un avenir meilleur. Je vous remercie de votre attention.

Le président : Merci, monsieur Saras. Je cède maintenant la parole au Conseil national des musulmans canadiens.

Karine Devost, avocate-conseil principale, Conseil national des musulmans canadiens : Mesdames et messieurs les membres du comité, bonjour. Merci de nous avoir donné l’occasion d’être ici aujourd’hui pour présenter nos recommandations concernant le projet de loi C-18, aussi appelé Loi sur les nouvelles en ligne.

Pensons un instant à l’attentat contre la mosquée de Québec, à la terrible attaque à la voiture-bélier qui s’est produite à London et à l’attentat contre la mosquée de l’International Muslim Organization de Toronto. Les trois attaques mortelles de ces dernières années visant la communauté musulmane du Canada ont toutes un lien avec la haine en ligne. Nous avons exhorté le gouvernement à s’attaquer à la haine en ligne de manière à garantir la protection des libertés civiles des Canadiens. Nous sommes ici pour demander au Sénat d’envisager d’amender le projet de loi C-18 afin d’empêcher les entreprises de nouvelles qui font la promotion de la haine d’être financées par les grandes entreprises technologiques.

Rappelons-nous que, le 6 décembre 2022, le député néo-démocrate Peter Julian, évoquant l’amendement du député Champoux en comité, a proposé d’ajouter un paragraphe — le paragraphe (1.1) — à l’article 27 concernant l’admissibilité d’une organisation journaliste canadienne qualifiée, une OJCQ, qui se lisait comme suit :

Le code de déontologie visé au sous-alinéa (1)b)(iv) doit prévoir des mesures pour faire en sorte qu’aucun contenu de nouvelles encourageant la haine ou la mésinformation envers un groupe identifiable ne soit produit ou rendu disponible et que les erreurs de fait soient rectifiées rapidement et de manière transparente.

Ce sous-amendement n’a malheureusement pas survécu à l’étude article par article.

Trois mois plus tard, le 6 mars 2023, des leaders musulmans représentant des organisations musulmanes québécoises, des mosquées et des chefs d’entreprise musulmans se sont rendus à Ottawa pour rencontrer des députés de différents partis, ainsi que des sénateurs, afin de discuter du projet de loi C-18. Ils ont exprimé leur engagement à soutenir une information objective, juste et indépendante. Ils ont également fait part de leurs inquiétudes en tant que musulmans québécois quant au fait que le projet de loi C-18, dans sa forme actuelle, pourrait avoir d’importantes conséquences inattendues pour les musulmans canadiens, les immigrants et les autres Canadiens de diverses origines, en particulier au Québec.

En effet, le projet de loi, dans sa forme actuelle, permettrait à de grandes entreprises de nouvelles comme Le Journal de Montréal et d’autres, bien connues pour alimenter la haine antimusulmane et générer des clics anti-immigrants, d’être effectivement financées par de grandes entreprises technologiques et de conduire à une division accrue au Québec, y compris à des résultats plus discriminatoires similaires au projet de loi 21 mis de l’avant par le gouvernement de la Coalition Avenir Québec.

Le Conseil national des musulmans canadiens est en faveur d’un écosystème de l’information prospère et d’une réglementation appropriée pour les géants de la technologie comme Google et Meta. Pour nous, le projet de loi C-18 offre une occasion importante de soutenir les entreprises médiatiques canadiennes en les incitant à créer un contenu en ligne plus équilibré et bien documenté en matière de nouvelles, plutôt que du contenu visant à générer des clics et de l’animosité comme on en voit trop souvent en ligne maintenant. Nous voulons appuyer les mesures qui visent à promouvoir un journalisme de qualité au Canada. Proposer que les géants de la technologie paient leur juste part est raisonnable en principe, mais si le projet de loi C-18 devait être adopté dans sa forme actuelle, nous craignons que, par inadvertance, certaines entreprises de nouvelles qui colportent la haine dans notre pays profitent financièrement de ce qui finirait par être une obligation imposée par le gouvernement de subventionner la haine en ligne.

Nos recommandations sont les suivantes : Nous pensons que les critères d’admissibilité du projet de loi devraient être clarifiés afin d’empêcher les entreprises de nouvelles qui propagent la haine d’avoir accès aux millions de dollars du financement annoncé. Nous recommandons donc au Sénat de proposer un amendement tout simple ayant pour fonction d’établir un code de déontologie qui s’appliquerait uniformément à toutes les entreprises de nouvelles admissibles. Pour veiller à ce que ce code de déontologie s’applique de manière uniforme, le Sénat peut amender l’article 27 pour faire en sorte qu’il n’y ait pas deux ensembles distincts de normes qui viendraient créer des obligations inégales pour l’application d’un code de déontologie pour les entreprises de nouvelles admissibles. Deuxièmement, le code de déontologie évoqué dans la version actuelle du projet de loi C-18 n’a pas de procédure de plainte ou de mécanisme pour définir ce qu’il faudra faire si un code de déontologie semble avoir été violé. Pour remédier à cela, le projet de loi peut être amendé par adjonction d’un article portant sur le code de déontologie qui habiliterait le CRTC ou un autre organisme de réglementation à traiter et à résoudre les plaintes du public lorsque des entreprises de nouvelles colportent de la haine.

Nos suggestions de formulation pour ces amendements seront communiquées dans un document écrit plus complet que nous soumettrons à votre examen.

Sous réserve d’éventuelles questions, voici nos propositions. Nous vous remercions de votre attention.

[Français]

Le président : Merci, madame Devost.

Je cède maintenant la parole à Mme Linda Lauzon, directrice générale, Réseau-Presse du Consortium des médias communautaires de langues officielles en situation minoritaire.

[Traduction]

Linda Lauzon, directrice générale, Réseau-Presse, Consortium des médias communautaires de langues officielles en situation minoritaire : Distingués membres du comité, je me présente devant vous aujourd’hui en tant que représentante du Consortium des médias communautaires de langue officielle en situation minoritaire.

Le consortium a été créé en 2016 pour représenter les intérêts et promouvoir la valeur ajoutée d’une centaine de médias locaux de langue officielle en situation minoritaire au Québec anglais et au Canada français, soit dans les neuf autres provinces et les trois territoires. Les quatre partenaires du consortium sont l’Association des journaux régionaux du Québec, qui représente les journaux locaux anglophones; le English Language Arts Network, qui représente la radio anglophone au Québec; L’Alliance des radios communautaires du Canada, qui représente les radios communautaires canadiennes-françaises — mon collègue de L’Alliance des radios communautaires du Canada, Pierre Sicard, est ici avec moi aujourd’hui — et Réseau-Presse, qui représente les journaux locaux franco-canadiens.

Oui, j’ai commencé en anglais parce que nous sommes un groupe bilingue; nous faisons tout en français et en anglais.

[Français]

Je vais maintenant poursuivre en français.

Le consortium s’adresse au Sénat dans le cadre de son étude en raison de son rôle inhérent de représentation des intérêts des groupes minoritaires et de sa responsabilité de se pencher sur l’effet que pourraient avoir les lois sur ces groupes comme le nôtre.

Que ce soit la radio communautaire de Blanc-Sablon dans la Basse-Côte-Nord, le journal The Gaspe Spec dans la Péninsule acadienne ou encore le journal L’aurore boréale du Yukon et La voix acadienne de l’Île-du-Prince-Édouard, nos médias locaux sont très souvent la seule source des nouvelles locales dans la langue de la minorité.

Comme il est indiqué dans le mémoire du consortium déposé auprès de ce comité, il y a presque deux mois, dans le cadre de son étude, la majorité de nos médias demeure les grands oubliés du gouvernement dans le cadre de ce projet de loi.

Vous connaissez déjà les répercussions du virage numérique, alors je vous demande de multiplier ces répercussions par 10 pour nos médias locaux de langue officielle en situation minoritaire qui étaient déjà très dépendants de la publicité gouvernementale pour continuer à desservir adéquatement les populations de langue officielle en situation minoritaire.

Je vais brosser un portrait rapide de leur réalité pour les sénateurs, qui sont moins au courant de cette réalité. Puisqu’ils desservent des communautés minoritaires, nos médias locaux n’ont jamais eu et n’ont toujours pas encore accès à une masse critique d’annonceurs locaux pour leur permettre de combler ce déficit. La population n’est pas assez grande.

La publicité gouvernementale dont dépendaient nos médias s’est effritée, depuis dix ans, au profit des géants du Web, puisque les budgets du gouvernement sont allés de ce côté et n’ont laissé que des miettes à nos médias locaux. Par exemple, en 2022-2023, nos médias ont reçu en moyenne 7 500 $ de publicité gouvernementale fédérale. On a fait la moyenne. On est allé chercher les chiffres : il y a dix ans, la moyenne était de 55 000 $. C’était alors la source de revenus principale. Puisque les populations desservies par nos médias locaux sont minoritaires — elles sont donc beaucoup plus petites —, l’achalandage sur la plateforme de communication numérique n’a jamais été attirant pour les annonceurs numériques. Nous ne sommes vraiment pas là, et c’est utopique de penser que nous avons cet achalandage.

Dans son projet de loi, le gouvernement a encore oublié de tenir compte de sa responsabilité inhérente en vertu de la partie VII de la Loi sur les langues officielles. Plus précisément, le paragraphe 41(1) stipule ce qui suit :

Le gouvernement fédéral s’engage à favoriser l’épanouissement des minorités francophones et anglophones du Canada et à appuyer leur développement, ainsi qu’à promouvoir la pleine reconnaissance et l’usage du français et de l’anglais dans la société canadienne.

Nos médias, nos radios et nos journaux sont un indice de la vitalité de ces communautés. C’est pour cette raison que nous proposons un amendement à l’article 11 du projet de loi afin qu’il y ait une reconnaissance explicite de la réalité particulière des médias de langue officielle en situation minoritaire partout au Canada.

Le consortium dénonce également — comme il l’a fait lors de plusieurs autres mesures fédérales passées visant les médias — la non-reconnaissance de la réalité des médias locaux, surtout dans ce projet de loi.

En raison de la baisse des revenus majeure et des vastes territoires à desservir — par exemple, je prends Le Franco en Alberta. Il y a des attentes très claires à savoir que Le Franco doit desservir toutes les communautés francophones de l’Alberta, de Calgary à Fort McMurray; il y a un journal local. Nos médias locaux ont dû changer leur modèle d’affaires et les journalistes salariés, pour la plupart, ont été remplacés par des journalistes pigistes. Ils n’avaient plus le choix, ils ne pouvaient plus payer d’employés. En ce moment, environ 60 % des journalistes utilisés par nos médias sont des pigistes, ce qui est quand même un pourcentage important.

Si le média a deux employés admissibles actuellement, dans le projet de loi, selon ce qui est demandé, la situation peut changer très rapidement dans nos médias. L’amendement que le consortium propose à l’article 27 est essentiel pour reconnaître qu’il y a des journalistes pigistes dans nos médias, ce qui aura pour effet de rendre ces médias admissibles immédiatement. À la lumière des changements qui pourraient arriver dans leur modèle d’affaires.

Le consortium est aussi très inquiet de la capacité de nos médias et de nos regroupements d’avoir accès aux ressources et aux expertises nécessaires pour soutenir toutes les étapes d’un processus de négociation en vertu de cette loi.

En tant que directrice générale de Réseau-Presse, nous avons conclu des ententes avec Facebook et Google. Je peux affirmer que la charge administrative et la complexité de ce processus ne sont vraiment pas accessibles à la majorité de nos radios et de nos journaux. Les journaux et les radios représentés par le Consortium des médias communautaires de langues officielles en situation minoritaire sont reconnus pour la poursuite de la qualité et de la fiabilité de l’information locale qu’ils produisent. Le consortium ne peut passer sous silence qu’au-delà de la valeur mercantile des ententes avec les géants du Web...

Le président : Vous êtes à six minutes et demie.

Mme Lauzon : Il me reste juste cela.

Le président : Peut-être que vous pouvez l’ajouter lors de la période des questions.

Mme Lauzon : Parfait, merci beaucoup.

Le président : Vous avez partagé beaucoup d’information.

[Traduction]

Le président : J’ai une question pour M. Saras. J’aimerais aussi avoir l’opinion de Mme Lauzon à ce sujet.

Je m’oppose au projet de loi. Je ne m’oppose pas au projet de loi à cause de son objectif. L’objectif est important. Nous devons faire quelque chose pour aider les médias, qui font partie de notre processus démocratique. Le hic, c’est que je ne pense pas qu’il atteint ses objectifs.

Le gouvernement dit qu’il veut favoriser la diversité dans les médias, qu’il veut des médias qui se portent bien et qu’il veut développer les médias. Pourtant, lorsqu’il a évalué le projet de loi, le directeur parlementaire du budget a dit qu’il pense que la grande majorité du financement ira aux trois géants mentionnés par M. Saras, lesquels accaparent déjà une très grande part de l’assiette publicitaire.

De plus, si j’ai bien compris ce que Mme Lauzon a dit, le gouvernement donne déjà de l’argent pour la publicité aux médias locaux, mais probablement pas assez, en tout cas, beaucoup moins que ce qu’il donne aux trois géants. Je parle de l’ensemble des fonds que le gouvernement consacre à la publicité.

Monsieur Saras, pouvez-vous nous dire quelle part des fonds que le gouvernement consacre à la publicité va aux médias ethniques à l’heure actuelle? D’après mes informations, ce montant est nul. J’aimerais savoir ce que vous pensez des propos du directeur parlementaire du budget selon lesquels la grande majorité de cet argent ira aux géants et non aux médias locaux et ethniques.

M. Saras : Monsieur le président, nous avons un problème depuis des années avec le gouvernement du Canada en ce qui a trait à la publicité. Les publications francophones et anglophones recevaient entre 140 et 170 millions de dollars par an en soutien. La presse ethnique n’a jamais dépassé le million de dollars.

J’ai ici le rapport sur les dépenses de publicité du gouvernement pour 2022. On y apprend que sur 140 millions de dollars de publicité, les éditeurs ethniques n’ont reçu que 1,6 million de dollars, point à la ligne.

Je voudrais attirer votre attention sur le fait qu’au Canada, il y a environ 1 200 publications dans 79 langues au Canada. Le problème, c’est que ces personnes ont essayé de perpétuer le travail qu’elles font. Être un journaliste attaché à une communauté ethnique n’est pas quelque chose que l’on fait pour assurer son avenir. C’est quelque chose que l’on ressent au plus profond de soi.

Je crois et je dis souvent que le journalisme est comme la prêtrise. Vous vous consacrez à cette chose, à la communauté, et vous y travaillez. Le problème, c’est que nos communautés se sont effondrées. Au cours des trois dernières années, ma publication a reçu 1 000 dollars de publicité de l’extérieur, et je me suis toujours payé moi-même.

Si vous me permettez, mes cartes de crédit sont presque à 180 dollars près parce que chaque fois que nous allons à l’imprimerie, l’imprimeur demande 200 dollars de plus. Cela n’arrête jamais. Nous ne recevons aucune aide de qui que ce soit.

Je ne crois pas, et je ne veux pas accepter que la presse ethnique n’a rien à voir avec le Canada. Le Canada est fondé sur la presse ethnique. C’est nous qui allons à la rencontre des immigrants d’aujourd’hui et de demain. C’est nous qui leur parlons des institutions et du processus politique de ce pays et qui les aidons à s’intégrer le plus rapidement possible.

[Français]

Le président : Avez-vous des commentaires, madame Lauzon?

Mme Lauzon : À la suite de votre commentaire, c’est qu’en ce moment, nous sommes tous d’accord avec vous, au Consortium des médias communautaires de langues officielles en situation minoritaire. Ce projet de loi a été fait pour les grands médias et non pour les petits médias. On est tous d’accord là-dessus. Le processus proposé n’est pas accessible aux petits médias, du tout.

En toute honnêteté, après en avoir fait l’analyse au consortium, c’est évident qu’en fin de compte, on se retrouvera avec des miettes d’une façon ou d’une autre.

Le président : Merci.

La sénatrice Miville-Dechêne : Ma question s’adresse au Conseil national des musulmans canadiens.

Merci, madame Devost; vous êtes de l’Acadie, je crois.

Mme Devost : Je suis d’Edmundston.

Le sénateur Cormier : Vous êtes Brayonne.

La sénatrice Miville-Dechêne : Je veux revenir sur le discours haineux dont vous parlez. Je suis extrêmement consciente que la situation de la communauté musulmane au Québec est difficile. Il y a la question des perceptions, de la loi 21. Tout ce qui se passe est vraiment difficile à vivre, j’en conviens. Je connais beaucoup de femmes qui trouvent cela très difficile, lorsqu’elles sont voilées, de vivre correctement.

Je suis vraiment alertée par ces questions.

Ce qui me semble difficile, comme ancienne journaliste, c’est que votre amendement vient s’inscrire au cœur de la liberté de presse et selon moi, cela risque de la mettre en cause. Parce que toute l’idée du projet de loi C-18 est de permettre à des médias de se doter d’un code d’éthique et de choisir ce code auquel ils vont se soumettre. Évidemment, il y a déjà des codes d’éthique qui existent dans les provinces, qui sont approuvés et ainsi de suite, mais cette idée que le CRTC, un organisme qui a une certaine indépendance, mais qui est lié à notre État, puisse déterminer le code d’éthique me semble extrêmement difficile à accepter.

Aussi, cette question de discours haineux fait l’objet d’une infraction criminelle. Bien sûr, je suis souvent en très grand désaccord avec les propos tenus dans des articles de journaux du Québec sur la question musulmane, mais la question du discours haineux peut être traitée par les tribunaux, me semble-t-il.

J’aimerais vous entendre sur la délicatesse de cette question lorsqu’on parle de la liberté de presse. Quel est le meilleur moyen de s’attaquer au discours haineux dans les médias?

Mme Devost : Mon collègue Rizwan peut répondre à cette question si vous voulez bien.

[Traduction]

Rizwan Mohammad, agent de plaidoyer, Conseil national des musulmans canadiens : Merci, sénatrice Miville-Dechêne, de cette question. Je veux m’assurer de bien en comprendre le sens.

Êtes-vous en train de dire que l’amendement que nous proposons pour qu’un code de déontologie s’applique à toutes les entreprises de nouvelles admissibles pourrait compromettre l’unité de la presse?

La sénatrice Miville-Dechêne : Compromettre la liberté de presse.

M. Mohammad : La liberté de presse.

La sénatrice Miville-Dechêne : J’ai aussi dit que s’il y a certains propos dans les médias québécois — et je ne dis pas qu’il y en a, parce qu’évidemment c’est aussi une question d’interprétation —, cela devrait être traité par les tribunaux et non par ce projet de loi. Je sais que cet enjeu faisait partie du projet de loi, mais il n’a pas fait l’objet d’un vote. Je suis presque certaine que c’est à cause de ce que je viens de dire.

M. Mohammad : Je vous remercie de vos éclaircissements.

Tout d’abord, le Conseil national des musulmans canadiens soutient la liberté de la presse. Nous sommes attachés aux libertés fondamentales et à la liberté d’expression, ce qui signifie la liberté de la presse, la liberté académique, etc.

De notre point de vue, l’amendement que nous proposons n’a pas pour but de saper ces libertés. Si ce projet de loi concerne l’équilibre des pouvoirs, la réglementation des intermédiaires de nouvelles et la détermination des entreprises admissibles au financement par le biais d’un régime de négociation collective, nous aimerions que les entreprises de nouvelles admissibles soient celles qui sont incitées à produire un journalisme de bonne qualité.

S’il y a des contenus répréhensibles pour lesquels les gens voudraient aller en justice, c’est certainement la prérogative de ces derniers, mais nous ne pensons pas que ce soit ce que nous demandons à ce projet de loi de faire. Nous voulons vraiment qu’il y ait de l’équité et de la cohérence, de sorte que si un code de déontologie est inclus dans la loi, il devrait être appliqué de manière non discriminatoire dans...

La sénatrice Miville-Dechêne : Qui décide de ce qui est du bon journalisme ou de ce qui est discriminatoire? C’est là tout le problème. On ne peut pas laisser un organisme de réglementation décider ce qui constitue une presse libre. Il est très clair que ce n’est pas ce que le CRTC peut faire.

M. Mohammad : Oui, et nous ne proposons pas que ce soit le CRTC qui détermine cela. Ce projet de loi évoque un code de déontologie, mais sans préciser ce qu’il faut faire si un tel code semble avoir été enfreint. Nous proposons qu’il y ait une clarification et une orientation sur la façon dont cela devrait se passer. Cela ne devrait pas être imposé par l’État; cela devrait être établi par un processus de consultation publique.

Cela répond-il à votre question?

La sénatrice Miville-Dechêne : C’est votre réponse.

M. Mohammad : Merci.

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci.

[Français]

Le sénateur Cormier : Je vais d’abord féliciter et remercier tous les témoins pour le travail que vous faites pour fournir de l’information adéquate dans toutes les régions du Canada.

Les questions vont s’adresser à Mme Lauzon. J’ai lu le mémoire du consortium avec beaucoup d’intérêt et j’ai plusieurs questions à vous poser. J’ai cru entendre que vous nous avez dit que certains médias avaient conclu des ententes avec Google et Facebook. Si c’est le cas, pouvez-vous nous donner un aperçu de l’évaluation en dollars de ces ententes et de la façon dont le processus de négociation s’est passé entre Google, Facebook et ces petits médias?

Mme Lauzon : Cela s’est passé par notre intermédiaire. C’est nous qui avons fait la première entrée. Il y a un plus gros média avec plus de moyens qui l’a fait, qui est l’Acadie Nouvelle, et un journal, un OBNL maintenant, La Liberté, à Winnipeg. Du côté de l’Acadie Nouvelle, les ententes sont confidentielles en ce moment, mais je vais vous donner quand même certains chiffres. Il n’y a rien qui est sorti, mais il y a beaucoup de ressources. C’est une plus grosse boîte, c’est plus facile de mettre en œuvre des recommandations et de faire avancer des choses.

Tandis que du côté de La Liberté, il y a eu une entente de 100 000 $ avec Facebook ou Meta. L’entente était liée à un projet pour aider le journal et tout cela, mais la capacité n’était réellement pas suffisante et il y a beaucoup de défis qui se présentent en ce moment de ce côté. Il y a une bonne capacité dans ce journal, mais il y a encore beaucoup de défis pour les autres journaux qui ne seraient pas capables de mettre en œuvre cette entente.

On a aussi fait une entente avec Google à travers le Google News Initiative, mais c’était pour le réseau. C’était de l’ordre de 172 000 dollars américains, et cela profitait à tous les membres, pour amener des données et monter des processus. En raison de la complexité de gérer l’entente, les processus ainsi que le rapport, par la suite, ce n’est pas accessible pour nos membres, nos radios, etc.

Je peux juste constater la complexité, en ce moment. Si les médias sont obligés de se soumettre à un processus de négociation pour arriver à cela, il y a des gens qui vont juste baisser les bras.

Le sénateur Cormier : Je vous remercie. Je vais vous amener plus directement, parce que dans votre mémoire, vous faites référence aux articles 11 et 27. Vous dites à l’article 11 — bien que les communautés de langue officielle soient citées dans l’article 11 — que vous n’êtes pas satisfaits de la façon dont c’est articulé. Qu’est-ce que vous proposez?

Mme Lauzon : On est très heureux qu’il y ait une reconnaissance claire des médias autochtones. Bravo, pour nous c’est très important. Toutefois, comme je l’indiquais tout à l’heure et dans le mémoire, les médias de langue officielle en situation minoritaire sont reconnus par une loi — la Loi sur les langues officielles — et on aimerait avoir droit à la même reconnaissance.

On aurait aimé que le gouvernement soit proactif plutôt que réactif, cette fois-ci, entre ses obligations en vertu de la Loi sur les langues officielles — et il le montre explicitement dans le projet de loi —, on a proposé un amendement dans notre mémoire à cet effet.

Le sénateur Cormier : Merci. À l’article 46 de votre mémoire, vous écrivez ce qui suit :

L’exclusion des journalistes pigistes du calcul des deux journalistes nécessaires pour qu’une entreprise soit admissible demeure donc un problème majeur puisque les entreprises de nouvelles exploitant des médias d’information des CLOSM pourront difficilement être admissibles au processus de négociation mis en place par le PL C-18.

Pouvez-vous nous expliquer le modèle d’affaires? Vous l’avez expliqué brièvement tout à l’heure, mais je voudrais davantage comprendre. Est-ce que l’ensemble des petits médias fonctionne...

Mme Lauzon : À peu près 65 % des journalistes qui travaillent actuellement dans le réseau sont pigistes. Le modèle d’affaires a changé à cause des revenus publicitaires fluctuants et déclinants. Il n’y avait plus de choix et on ne pouvait plus soutenir un employé. Il y a aussi les territoires à desservir : on peut avoir des pigistes à différents endroits, surtout quand il s’agit de journaux provinciaux.

Le sénateur Cormier : Cela veut dire qu’une bonne partie des médias du consortium ne seraient pas admissibles, dans ce contexte?

Mme Lauzon : Absolument. En ce moment, il y a d’autres employés comme le directeur ou le rédacteur en chef qui pourraient être là, mais je donne un exemple, un de nos journaux a un directeur et le reste des employés sont des pigistes. Ils ne seraient pas admissibles. C’est un journal qui a gagné des prix, qui a été le journal de l’année, mais il n’est pas admissible. Cela peut changer aussi. Un journal peut être admissible et sa situation peut changer l’année prochaine. Le projet de loi C-18 n’est pas au diapason avec cette réalité.

Le président : Merci, madame Lauzon.

[Traduction]

La sénatrice Simons : En tant que femme progressiste de descendance juive, je partage les préoccupations du Conseil national des musulmans canadiens à propos des médias qui diffusent de la haine en ligne. Cela dit, à titre de journaliste ayant passé 30 ans dans les tranchées, je m’inquiète énormément de toute proposition visant à contrôler ou à censurer la presse écrite, par opposition à ce qui est radiodiffusé et réglementé par le CRTC.

Je viens de l’Alberta. Dans les années 1930, le gouvernement de l’époque a adopté ce qu’il appelait la Accurate News and Information Act, qui donnait au gouvernement le pouvoir de réfuter, de vérifier les faits et de corriger tout ce qu’il croyait être inexact. Les tribunaux ont jugé cette loi inconstitutionnelle, à juste titre.

Je viens d’une province où la première ministre actuelle a dit officiellement en sa capacité de première ministre que jamais personne n’a subi autant de discrimination que les citoyens non vaccinés. Hier encore, des enregistrements sont sortis sur lesquels elle comparait les citoyens vaccinés aux nazis.

Je me préoccupe donc toujours de ce qui peut se passer lorsqu’une personne qu’on n’aime pas ou qui pense différemment se retrouve soudainement avec le pouvoir de réglementer ce qui s’écrit dans les médias, même de façon indépendante.

C’était une longue préface. Cela déroge de mon habitude, mais mon esprit était très embrouillé. Monsieur Mohammad, vous avez dit en réponse à une question de mon amie la sénatrice Miville-Dechêne que vous ne croyez pas que le CRTC devrait être l’organe réglementaire dans ce cas-ci. Si ce n’est pas lui, comment envisagez-vous les choses? En tant qu’ancienne journaliste, je peux vous dire que nombreux sont ceux qui croient que les journaux contiennent des erreurs factuelles simplement lorsqu’ils lisent quelque chose qui ne leur plaît pas.

M. Mohammad : Je vous remercie de cette question de suivi et de nous donner l’occasion de continuer à clarifier nos revendications.

Nous tenons à être absolument clairs. Nous avons fait affaire aux entreprises de presse dans diverses régions au pays au cours des dernières décennies. Il a toujours été ardu de faire appel aux mécanismes existants. Nous avons invoqué les codes d’éthique et signalé les enfreintes à ces codes par l’entremise de processus hors du système judiciaire en tentant de rencontrer les comités de rédaction, de contacter des journalistes et d’écrire nos propres chroniques d’opinion pour essayer de corriger des informations selon notre point de vue.

L’approche actuelle selon laquelle les médias s’autoréglementent ne fonctionne pas aussi efficacement qu’elle le devrait. Elle a mené à la recrudescence des attaques contre les minorités ethniques et religieuses — particulièrement pendant les cycles électoraux —, surtout contre les musulmans et les immigrants.

Nous aimerions voir une mesure qui encouragerait le journalisme grand public, juste, indépendant et objectif auquel nous nous attendons.

Ce qui se passe en ligne, selon nous, c’est que le volume de contenus haineux, de préjugés et de contenus tendancieux et ne provenant pas de bonnes sources d’information se propage si rapidement que les mécanismes qui permettaient de corriger les erreurs et d’essayer d’avoir une couverture ou un contenu équilibré sur une question faisant l’objet d’un désaccord légitime ne fonctionnent pas non plus.

Selon nous, ce projet de loi donnerait l’occasion aux intermédiaires de nouvelles de négocier afin d’obtenir une rémunération équitable pour tous les médias. L’idée n’est pas de contrôler de ce qu’ils disent, de miner la liberté de presse, de juger qui a raison et qui a tort ou de déterminer qui fait de la désinformation. De nombreux secteurs ont des codes d’éthique. Même la plupart des entreprises de presse — peut-être même toutes — en ont. Cela dit, il faut moderniser le milieu pour tenir compte des nouvelles réalités du monde numérique. Il serait possible d’instaurer un code d’éthique équitable qui s’applique à tout le monde.

La sénatrice Simons : Si vous ne croyez pas que cela devrait se faire par l’entremise du CRTC, mais plutôt par celle des intermédiaires de nouvelles, pourquoi diable donnerait-on du pouvoir à Facebook, qui est l’une des pires sources de désinformation et qui, d’après ce qu’on peut constater, ne fait virtuellement aucun effort pour veiller à ne pas diffuser de contenu haineux et à ne pas être utilisée comme arme par des acteurs étrangers? Je serais encore plus mal à l’aise de confier le filtrage des nouvelles à des multinationales américaines qui ont un bilan catastrophique à cet égard qu’à l’État par l’entremise du CRTC.

M. Mohammad : Je vous remercie d’avoir soulevé ce point, sénatrice Simons. Pour être clairs, nous sommes du même avis. Nous ne proposons pas de donner les rênes aux entreprises de haute technologie. Nous avons parlé du CRTC ou d’un autre organe de réglementation.

La sénatrice Simons : Voulez-vous réellement que la presse écrite libre soit réglementée?

Le président : Votre temps est écoulé, sénatrice Simons.

La sénatrice Dasko : Je remercie les témoins d’être parmi nous. J’aimerais avoir des éclaircissements sur cet enjeu.

Permettez-moi de donner un exemple. Maître Devost, vous avez mentionné Le Journal de Montréal. Êtes-vous en train de dire que Le Journal de Montréal ne devrait pas bénéficier de ce programme en raison de son discours sur les minorités ou plutôt qu’il faudrait se pencher sur chaque publication potentiellement discriminatoire du journal et y aller au cas par cas? Il y aurait un mécanisme de réparation en vertu de ce projet de loi prévu pour de tels propos. Est-ce bien cela? Êtes-vous en train de dire que ce journal ne devrait pas recevoir de financement en raison de ce que j’ai évoqué, ou préconisez-vous plutôt le deuxième point que j’ai soulevé?

J’espère que vous saurez m’apporter des éclaircissements à cet égard.

M. Mohammad : Puis-je intervenir? Ce que nous disons, c’est que Le Journal de Montréal devrait être admissible au financement s’il respecte un code d’éthique. S’il existait un processus de plaintes publiques permettant de résoudre les plaintes... Nous avons communiqué avec eux. Ils ont récemment dit que notre PDG était un terroriste, alors selon eux, messieurs et mesdames les sénateurs, vous êtes en train de discuter avec des personnes qui travaillent avec des terroristes à l’heure actuelle. Voilà le genre de rhétorique dont il est question.

Nous ne disons pas que cela devrait les empêcher de publier. Nous ne demandons pas d’imposer des contraintes juridiques sur ce qu’ils peuvent publier. Nous parlons des régimes de négociation collective exigés par le gouvernement pour les intermédiaires technologiques. Je fais ici référence aux géants de la technologie qui servent d’intermédiaires de nouvelles; ils devraient participer au processus de négociation collective. Si Le Journal de Montréal veut être admissible au financement, il devrait adhérer à un code d’éthique.

La sénatrice Dasko : Disons donc qu’ils approuvent le code d’éthique, quel qu’il soit. Ils seraient alors admissibles au financement.

M. Mohammad : Oui.

La sénatrice Dasko : Disons ensuite qu’ils expriment des opinions qui semblent négatives. Que se passerait-il? Serait-ce une enfreinte au code d’éthique? Si oui, que se passerait-il?

M. Mohammad : Le projet de loi ne prévoit pas de marche à suivre précise pour les cas d’enfreinte au code d’éthique. C’est l’une des choses qui nous préoccupe. Ce que nous proposons, c’est que le CRTC mène des consultations publiques indépendamment du gouvernement pour déterminer les obligations, le type d’enfreinte et les résolutions aux cas d’enfreinte.

La sénatrice Dasko : D’accord, mais le journal obtiendrait du financement. Il serait admissible à...

M. Mohammad : Nous ne demandons pas qu’il soit inadmissible au financement simplement en raison de ce qu’il publie. S’il adhérait au code d’éthique que ce projet de loi exigerait de certains... Le projet de loi prévoit deux types d’obligations pour un code d’éthique à l’heure actuelle. Ce que nous disons, c’est qu’il faudrait clarifier le libellé du projet de loi afin que toutes les entreprises de presse admissibles soient tenues de respecter ce code d’éthique.

Si elles le font, alors Le Journal de Montréal ou toute entreprise de presse au pays devrait être admissible à du financement en vertu de ce régime de négociation collective.

La sénatrice Dasko : D’une certaine façon, je ne suis pas certaine de comprendre en quoi le fait d’adhérer à un code ferait une différence. On peut présumer qu’il continuerait à opérer librement. Quelle est la différence? Je ne vois pas pourquoi un code changerait les choses. Ce journal demeurerait ce qu’il est. Il jouit de la liberté de presse. Il peut publier ce qu’il veut. Il existe présentement des recours s’il franchit une certaine ligne, s’il se livre à une véritable haine — s’il incite à la haine — il est assujetti aux lois canadiennes. Je ne suis donc pas certaine de comprendre la différence.

M. Mohammad : Parlons de ce qui devrait changer. En plus du code d’éthique, nous estimons qu’il faudrait clarifier dans le projet de loi qu’il y aura des conséquences réelles pour ceux qui semblent l’enfreindre. Il n’y a pas de mécanismes fonctionnels en ce moment. Nous les avons tous essayés.

Imaginez combien cela coûterait d’argent et combien de temps il faudrait à des gens qui sont habituellement des bénévoles dans leurs organisations communautaires pour aller devant les tribunaux et essayer de plaider ce type d’affaires. Les membres de la communauté qui subissent des attaques durant les cycles électoraux et à d’autres moments ne disposent pas des mêmes ressources que Le Journal de Montréal et ne peuvent donc pas lui livrer une juste concurrence.

Le président : Merci, monsieur Mohammad.

Le sénateur Cardozo : J’ai un bref commentaire à faire sur ce dernier point. Le CRTC a beaucoup d’expérience dans le traitement de ces questions par le biais du Conseil canadien des normes de la radiotélévision, et c’est une chose à laquelle vous voudrez peut-être réfléchir.

Ma question s’adresse à M. Saras. L’une des critiques formulées à l’encontre de ce projet de loi est qu’il rendrait les journaux ou les organisations médiatiques redevables aux entreprises du Web. Si vous recevez un soutien quelconque de la part des entreprises du Web ou du gouvernement en matière de publicité, cela rend-il vos journaux redevables à ces entités? Cela réduit-il votre indépendance?

M. Saras : Non, je ne crois pas. Tout d’abord, nous sommes une agence officielle et nous recevons de l’argent du gouvernement du Canada pour deux projets. Le premier est l’Initiative de journalisme local, et le second est destiné aux étudiants que nous aidons à entrer dans le secteur.

Pour répondre à votre question et à celle du sénateur avant vous, tous ceux qui reçoivent de l’argent signent un contrat, et ce dernier stipule clairement qu’il est interdit d’écrire quoi que ce soit contre une communauté ou une personne en fonction de sa race ou d’autres critères. S’ils le font, le contrat est annulé et l’argent est repris. Ils perdent leur financement, et ils ne peuvent plus faire de demande d’adhésion au programme.

Il y a donc des choses de prévues pour le secteur également. Nous faisons attention et voulons veiller à satisfaire tout le monde. Nous ne voulons pas que les différentes parties se plaignent les unes des autres. Je ne vois pas pourquoi il faut avoir quelqu’un au-dessus de nous pour nous dire comment travailler. Nous avons tous un code d’éthique à respecter. Le Conseil national de la presse et des médias ethniques du Canada en a un, tout comme les médias d’information nationaux.

Nous faisons de notre mieux. Parfois, pour une raison quelconque, il arrive qu’un journaliste déroge au code. Si le rédacteur en chef s’en aperçoit, il ne publiera pas l’article. Sinon, il s’excusera probablement le lendemain.

Le sénateur Cardozo : Ma question porte davantage sur le financement des gouvernements et des entreprises. S’ils vous octroient du financement, cela affecte-t-il votre indépendance? Êtes-vous moins susceptibles de les critiquer?

M. Saras : Permettez-moi de vous dire d’entrée de jeu que Google et Meta font plus de 2 milliards de dollars de profit par année. Je faisais environ 150 000 $ par année il y a environ 10 ans. Aujourd’hui, je fais environ 38 000 $ par année. C’est l’argent que je fais avec la publicité. Je paie les imprimeurs environ 40 000 $ à cet égard. Je dois aussi payer les redevances. Je dois payer...

Le sénateur Cardozo : Je suis désolé, mais il ne reste plus beaucoup de temps. Ce financement affecte-t-il votre indépendance? Êtes-vous moins susceptibles de critiquer le gouvernement ou les entreprises qui vous financent?

M. Saras : Je ne critique personne. J’estime que le gouvernement a fait du très bon travail au cours des deux dernières années. J’aime le gouvernement et le gouvernement m’aime. Nous lui avons expliqué que le secteur est en déclin et que nous ne pouvons pas survivre sans aide.

Le sénateur Cardozo : Si vous le voulez bien, j’ai encore une question à poser et je dois passer à autre chose. Je vous prie de m’excuser.

[Français]

Ma deuxième question s’adresse à Mme Lauzon.

Vous avez indiqué que la désignation de deux membres du personnel serait problématique pour beaucoup de vos membres. Pensez-vous qu’il soit nécessaire d’avoir des critères pour déterminer s’il s’agit d’un véritable média ou d’une véritable coopérative?

Mme Lauzon : Oui, ce serait très bien de vérifier à l’aide de critères. Nous n’aurions aucun problème avec cela.

Le sénateur Cardozo : Vous n’avez pas de problème avec la désignation de deux membres?

Mme Lauzon : J’ai peut-être mal compris votre question. Nous avons en ce moment un problème, parce que plusieurs de nos radios et journaux ne pourraient pas être admissibles; en ce moment, environ 65 % de journalistes pigistes ne sont pas des employés. Dans les radios, on parle souvent d’un demi-journaliste ou un directeur et d’autres pigistes, et des gens qui arrivent. C’est donc vraiment problématique, et la situation change souvent.

Pour nous, c’est limitatif et cela va limiter l’admissibilité de certains médias. Je me permets de faire du pouce sur la dernière réponse; de notre côté, nous avons tout mis en place. Nous recevons aussi des fonds publics gérés du gouvernement et des appuis gouvernementaux pour nos salles de nouvelles, en toute transparence.

Nous avons mis en place des mécanismes qui nous permettent de conserver une indépendance complète et la liberté de critiquer tous les ordres de gouvernement, qu’ils nous financent ou non.

Des mécanismes peuvent être mis en place et, de notre côté, cela n’influence aucunement notre capacité de critiquer les ordres de gouvernement.

[Traduction]

Le sénateur Harder : Ma question s’adresse à M. Saras. Nous avons cherché à obtenir des réponses des plateformes, mais nous avons eu quelques difficultés à savoir si certaines de vos organisations ont conclu des accords avec elles. Pouvez-vous nous confirmer si elles l’ont fait ou non? Certaines de vos organisations membres ont-elles cherché à conclure des accords avec les plateformes?

M. Saras : Nous avons négocié avec elles pendant environ un an. Au départ, elles nous ont donné l’impression qu’elles voulaient nous soutenir, mais elles nous ont soudainement délaissés. Elles ont plutôt opté pour les médias grand public. Aucun journal n’a conclu d’entente, peu importe la langue de publication. Aucun journal éthique n’a conclu d’entente avec Google, Meta ou une autre entreprise. Le problème, c’est que les plateformes se sont tournées vers les médias grand public pour quelque raison que ce soit, et s’en sont arrêtées là.

Le sénateur Harder : Permettez-moi alors de vous poser une question de suivi. Je présume que vous appuyez ce projet de loi notamment pour veiller à ce qu’il y ait un processus de négociation plus juste et équilibré, et à ce qu’il y ait un mécanisme d’arbitrage pour les offres finales des deux côtés en l’absence d’entente.

M. Saras : Non, pas pour le moment. Si vous adoptez le projet de loi et qu’il devient loi, nous nous attendons bien sûr à négocier avec les plateformes pour conclure une entente juste. Cela dit, si le projet de loi meurt au feuilleton au Sénat et n’est pas adopté, je ne crois pas que nous pourrons leur demander de négocier ou de conclure une entente avec nous.

Le sénateur Harder : Permettez-moi de poser une dernière question. Certains détracteurs du projet de loi estiment que nous devrions tous passer aux sources d’information numériques en cette ère numérique.

Quels sont les obstacles à la numérisation de votre lectorat dans votre communauté? Vos lecteurs sont-ils capables d’utiliser Internet aussi librement et efficacement que mes petits-enfants?

M. Saras : Monsieur le sénateur, j’ai publié pendant 64 ans au Canada. Durant toutes ces années, j’avais mon auditoire. Ma publication est diffusée dans les communautés grecques du Canada et des États-Unis. Je n’ai jamais éprouvé de problèmes dans le passé et je n’en éprouve pas aujourd’hui en ce qui a trait à ma publication. Je peux produire un million de copies, et elles vont s’envoler. Le problème, c’est que produire un million de copies coûte de l’argent.

Par ailleurs, nous avons perdu des revenus publicitaires. Chaque jour, nous perdons des revenus de publicités privées. Par conséquent, nous ne pouvons plus rien faire. Au cours des deux dernières années, entre 67 et 80 publications dans différentes langues ont mis un terme à leurs activités. Certaines d’entre elles publient maintenant en ligne. Internet est utilisé seulement par un très petit nombre de personnes qui savent utiliser un ordinateur.

Les immigrants qui arrivent au Canada n’ont pas nécessairement accès à Internet. Ils veulent un journal, une publication papier, pour s’informer. Voilà le problème. C’est le message que je tente de faire passer.

Le sénateur Harder : Merci.

Le président : Je vous remercie, monsieur Mohammad, maître Devost, madame Lauzon et monsieur Saras. Nous vous sommes reconnaissants d’avoir pris le temps de comparaître devant nous aujourd’hui.

Honorables sénateurs, nous allons poursuivre notre étude du projet de loi C-18, la loi sur les nouvelles en ligne.

Nous allons passer à notre deuxième groupe de témoins. Nous avons le plaisir d’accueillir du magazine Western Standard, Derek Fildebrandt, éditeur, président et directeur général. De l’Alberta Weekly Newspapers Association, nous accueillons Evan Jamison, président, et Dennis Merrell, directeur général. De la Coalition des magazines du Canada, nous recevons Nicolas Lapierre, membre de l’Association des éditeurs de magazines québécois, et Nicole Doucet, consultante. Je vous remercie et je vous souhaite la bienvenue.

Chaque organisme disposera de cinq minutes pour sa déclaration liminaire. Ensuite, nous allons passer aux questions et réponses. Nous allons commencer par le représentant du magazine Western Standard. Monsieur Fildebrandt, la parole est à vous.

Derek Fildebrandt, éditeur, président, directeur général, Western Standard : Honorables sénateurs, je vous remercie de m’avoir invité à témoigner devant votre comité aujourd’hui au sujet du projet de loi C-18, la loi sur les nouvelles en ligne. Je comparais devant vous à titre de représentant de la Western Standard New Media Corporation, qui comprend un nombre sans cesse croissant de publications régionales, y compris le magazine Alberta Report, qui a recommencé à être publié.

Nous sommes une entreprise très différente des grands médias qui ont fait du lobbying pour ce projet de loi. En tant que soi-disant organisation journalistique canadienne qualifiée, nous sommes admissibles à toutes les subventions gouvernementales auxquelles les médias ont droit au Canada, mais nous refusons de les accepter. Pour que les médias soient indépendants, à notre avis, ils ne doivent pas dépendre de l’État.

Les médias traditionnels au Canada crient famine et prétendent qu’ils n’arrivent pas à joindre les deux bouts dans le contexte difficile dans lequel évolue notre industrie, alors que de notre côté, nous prospérons. Notre magazine a commencé à être produit en 2019 par un petit groupe de personnes réunies autour de la table de ma salle à manger, puis il s’agit maintenant de la publication en ligne la plus lue en Alberta. Nous avons une grande salle de presse grouillante d’activité à notre siège social de Calgary d’où nous diffusions des nouvelles de dernière heure tous les jours.

Nous avons des bureaux à Vancouver, à Edmonton, à Regina et à Ottawa. Nous avons bâti notre entreprise sans l’aide du gouvernement. Je suis ici aujourd’hui pour vous implorer d’amener le gouvernement à cesser de nous forcer à accepter son aide par le biais du projet de loi C-18.

Des plateformes comme Facebook font partie des moyens essentiels qui nous ont permis de prendre de l’expansion rapidement, car elles nous permettent de diffuser sans frais notre contenu auprès de lecteurs potentiels. Grâce a Facebook, de jeunes pousses comme la nôtre ont pu faire connaître leurs produits à des clients potentiels sans avoir à soutenir d’importantes et coûteuses activités de livraison.

Mon premier emploi consistait à livrer des journaux dans une petite municipalité. Durant l’hiver, je livrais même les journaux à l’aide d’un traîneau de fortune tiré par mon husky. Le journal local me payait pour livrer son produit à ses clients.

En 2023, Facebook est le nouveau livreur de journaux, un livreur très riche toutefois. Il livre nos produits à nos clients, mais il le fait gratuitement.

Les dirigeants de journaux cupides, insatisfaits de l’énorme aide financière qu’ils reçoivent pour leurs entreprises en difficulté, sont venus demander au gouvernement d’en faire davantage. Ils ont obtenu le projet de loi C-18, qui forcerait Facebook et Google à les rémunérer pour la diffusion de leur contenu à leurs clients. Si le gouvernement avait adopté une loi en 1995 obligeant les livreurs de journaux à rémunérer le journal local pour avoir le privilège de livrer son produit, j’aurais démissionné.

Il ne faut donc pas se surprendre que les livreurs de journaux d’aujourd’hui, Facebook et Google, aient promis de faire exactement cela. Bien entendu, ils n’ont pas l’intention de rémunérer les médias traditionnels dans le but de les aider; ce serait stupide. Ces géants du Web ne fourniront pas de l’argent gratuitement. Ils vont tout simplement cesser de publier les nouvelles au Canada, et les médias indépendants au Canada seront les victimes collatérales de leur cupidité.

Nous n’avons jamais demandé un tel projet de loi, et nous n’avons jamais été consultés au sujet de cette mesure législative, mais une source importante de diffusion de notre contenu disparaîtra parce que Facebook et Google vont répliquer à cette opération flagrante de recherche de profits. Le projet de loi C-18 devrait être abandonné, mais je crois comprendre que le Sénat préfère généralement modifier une mesure législative plutôt que de la rejeter.

Voici ma demande : Veuillez modifier le projet de loi pour vous assurer que ceux d’entre nous qui ne cherchent pas la profitabilité ne soient pas des victimes collatérales. Veuillez modifier le projet de loi pour le rendre explicitement facultatif, de sorte que seuls les médias qui souhaitent participer à cette extorsion soient inclus. De façon plus importante, il faut aussi éliminer ou modifier l’article 51, qui interdit à Facebook ou à Google de traiter les médias d’information différemment. C’est un aspect important, car ces plateformes ne devraient pas être forcées de cesser de diffuser du contenu provenant de médias d’information comme Western Standard qui ne tentent pas de les escroquer. Laissons Goliath se battre contre Goliath, et tâchons d’éviter que les David se retrouvent pris au beau milieu de cette bataille.

L’un des plus importants principes de la common law est celui selon lequel le gouvernement ne peut pas forcer deux parties à conclure un contrat contre leur gré, mais c’est précisément ce que tente de faire le projet de loi C-18. Une presse libre doit être libre de conclure ses propres contrats de son propre gré. Le seul rôle du gouvernement doit être de faire respecter ces contrats en s’adressant aux tribunaux.

Les médias traditionnels ne seront pas sauvés par d’autres subventions, directes et indirectes, gouvernementales ou privées. Si quoi que ce soit peut les sauver, ce sera la concurrence ainsi que leur capacité à s’adapter et à innover. Ces bouées de sauvetage lancées aux grands médias ne font que restreindre la capacité des jeunes pousses à soutenir la concurrence. Le Parlement n’a pas d’affaire à réglementer les médias. L’État n’a pas d’affaire dans les salles de nouvelles du pays.

Je vous remercie d’avoir pris le temps de m’écouter, et je vous implore de laisser la liberté à ce qu’il reste de la presse libre, et pour l’amour du ciel, cessez d’essayer de nous aider.

Le président : Merci, monsieur Fildebrandt. La parole est maintenant à l’Alberta Weekly Newspapers Association.

Evan Jamison, président, Alberta Weekly Newspapers Association : Je vous remercie de me donner l’occasion de comparaître devant le comité aujourd’hui.

Je fais partie de la troisième génération de ma famille à œuvrer dans le secteur de la presse écrite et à occuper le poste de président de notre association. Notre association représente presque tous les journaux communautaires en Alberta. Aujourd’hui, nous comparaissons au nom de ces entreprises, qui, pour beaucoup de gens, occupent une place importante au sein de leurs communautés.

L’adoption du projet de loi C-18 est importante pour le paysage médiatique au Canada et pour contribuer à renflouer les coffres de nombreux journaux, particulièrement les grands journaux. Cependant, nos membres sont nombreux à se préoccuper du niveau de soutien que fournira cette mesure législative aux petits éditeurs.

Nous avons entendu parler de rapports encourageants provenant de l’Australie, qui portent sur les ententes signées par des éditeurs de toutes tailles. Toutefois, on ne révèle pas grand-chose à propos de ces ententes ni du niveau de soutien offert aux médias d’information. Nous avons vu différentes estimations concernant le financement qui pourrait découler du projet de loi C-18 et la destination de ces fonds. Compte tenu de ces estimations et du calcul de la valeur d’échange entre les éditeurs et les plateformes, il semble que le revenu pour les médias de petites et moyennes tailles pourrait être assez faible. Nous nous inquiétons également que les grandes plateformes tentent de réduire la valeur des ententes si des mesures législatives similaires sont envisagées dans d’autres pays, ce qui fera en sorte que les coûts de ces ententes s’accumuleront.

Beaucoup ont l’impression que Meta évite de conclure de nouvelles ententes avec des médias d’information. Elle a aussi annoncé qu’elle cessera de diffuser des nouvelles si le projet de loi C-18 est adopté dans sa forme actuelle. Cela contribuerait à réduire grandement le financement découlant du projet de loi et aurait une incidence sur l’achalandage sur de nombreux sites de nouvelles.

Google a déclaré que sa vitrine de nouvelles ne convient pas aux petits et moyens éditeurs. Google et Meta ont affirmé qu’ils tirent peu de revenus directement de la diffusion des nouvelles. Cependant, on a fait valoir de manière convaincante que les nouvelles ajoutent une valeur pour les deux plateformes, même si ce n’est pas de façon directe, car plus les utilisateurs passent du temps sur leurs sites, plus elles peuvent recueillir des données, etc.

Nous devons également garder en tête que le monde et les plateformes numériques sont en constante évolution. Il est difficile de dire quelles plateformes et quelles technologies domineront dans le futur. Des gouvernements et des entreprises privées partout dans le monde intentent des poursuites contre les principales plateformes en raison de pratiques anticoncurrentielles, de la protection des renseignements personnels et de la diffusion de fausses informations. Dans quelle mesure les progrès récents et continus dans le domaine de l’intelligence artificielle auront-ils une incidence sur ce projet de loi et sur les entreprises de nouvelles qu’il vise à soutenir?

Nous sommes encouragés par les amendements proposés au projet de loi, qui visent notamment à permettre aux propriétaires-exploitants sans lien de dépendance d’être admissibles. Il existe de nombreuses petites entreprises de la sorte au Canada, et elles sont souvent la seule source d’information dans les collectivités où elles se trouvent.

Nous sommes également très préoccupés par les délais prévus par le CRTC. Il faudra plus de deux ans pour mettre en place la réglementation pour permettre l’arbitrage. C’est beaucoup trop long, compte tenu de l’état précaire de notre secteur.

Comme on l’a souligné lors d’audiences précédentes, il n’existe pas de solution unique pour soutenir tous les organes de presse. Ils fonctionnent selon des modèles d’entreprise et des échelles considérablement variés. Il s’agit d’un secteur très diversifié, qui dessert de nombreux types de collectivités. Ce qui peut fonctionner à l’échelle nationale, avec de larges auditoires, ne fonctionnera pas nécessairement dans une petite ville, avec un bassin limité de lecteurs intéressés.

La situation est désastreuse pour de nombreux organes de presse. Certains mettront cela sur le compte d’une incapacité à s’adapter. Trop souvent, on nous qualifie d’anciens ou de dinosaures attachés à l’ancienne façon de faire les choses. Ce n’est pas le cas. De nombreux opérateurs expérimentent de nouveaux modèles d’affaires et de distribution. Les journaux sont depuis longtemps des adeptes précoces de la technologie.

Le problème, c’est qu’il n’y a pas de voie toute tracée vers le succès, en particulier pour les petits éditeurs locaux. Le bon journalisme exige du temps, est coûteux à produire et essentiellement éphémère. Si certains signes encourageants montrent que de nouveaux modèles sont en train d’évoluer, il est encore trop tôt pour connaître leur longévité et le type de collectivités qui seront en mesure de les soutenir. Nous entendons souvent parler du nouveau modèle le plus récent et le plus performant, pour finalement le voir échouer au bout d’un certain temps. La qualité et le type de nouvelles qu’ils produisent peuvent également varier considérablement. Il ne suffit pas de se contenter de régurgiter des communiqués de presse.

Nous devons reconstruire et renforcer les organes de presse qui ont été décimés par de nombreuses années de baisse des revenus. Nous devons non seulement préserver ce qui existe encore, mais aussi trouver les ressources adéquates pour que les acteurs existants tout comme les nouveaux, sous forme numérique ou imprimée, puissent fournir des nouvelles et des informations de qualité aux collectivités locales.

Nous soutenons le projet de loi C-18, mais nous pensons qu’il faut aller plus loin. Grâce à l’expansion continue des programmes existants qui ont fait leurs preuves et à l’ajout d’autres programmes, le gouvernement soutient depuis longtemps les médias locaux par le biais d’une aide aux éditeurs et, plus récemment, de mesures spéciales pour le journalisme. L’initiative de journalisme local a été très importante pour bon nombre de nos membres qui desservent les petites collectivités rurales et les collectivités mal desservies en général, mais ce programme n’est pas nécessairement appelé à se poursuivre de manière permanente. D’autres méthodes de financement, comme un crédit d’impôt remboursable sur les abonnements, pourraient être bénéfiques pour les petits journaux hebdomadaires et contribuer à restaurer les recettes d’abonnement, qui ont régulièrement diminué au cours des 10 à 15 dernières années. Aujourd’hui, le crédit d’impôt non remboursable pour les abonnements aux nouvelles numériques profite principalement aux grands quotidiens métropolitains du Canada.

Une autre option pourrait être une taxe sur la publicité numérique vendue sur le marché canadien, qui pourrait être redistribuée par l’intermédiaire d’un fonds pour les organes de presse canadiens. La publicité soutient depuis longtemps le journalisme.

Nous travaillons avec Postes Canada pour améliorer les délais de livraison et réduire les coûts, en particulier dans les zones rurales. Postes Canada est également devenue un concurrent important pour la distribution des dépliants. Peut-être devrait-on lui demander de soutenir le journalisme local et de faire partie de la solution, plutôt que du problème.

À l’instar de nombreux autres témoins et de membres de votre comité, nous croyons fondamentalement que la couverture médiatique de qualité, quel que soit son format, est d’une importance vitale pour les collectivités. Nous sommes encouragés par le fait que le gouvernement fédéral travaille sur des moyens de soutenir notre secteur en cette période de grande nécessité. Merci.

Le président : Merci. Je passe maintenant la parole à M. Lapierre et Mme Doucet, de la Coalition des magazines du Canada.

[Français]

Nicole Doucet, consultante, Coalition des magazines du Canada : Bonjour. Je veux d’abord vous remercier pour cette invitation et de nous donner la chance de nous exprimer et de vous transmettre nos valeurs.

Dans un grand pays comme le nôtre, du Pacifique à l’Atlantique, où la diversité des voix est présente, ce projet de loi va favoriser ou conserver ce que nous sommes, la richesse de ce que nous sommes, la variété des personnes. C’est un projet de loi charnière qui peut permettre aux médias écrits canadiens de survivre et d’apporter de l’information, des nouvelles de confiance à la communauté, aux régions du Canada.

Je peux vous dire qu’à titre de consultante — je rentre directement dans le sujet des magazines — j’ai vu énormément de préjugés à l’égard des magazines. Certains disaient que c’était plus un magazine pour les femmes ou différentes choses, mais je ne peux vous dire qu’il y a aussi des sujets très sérieux qui s’y traitent.

J’aimerais vous dire qui fait partie de la Coalition des magazines du Canada. Nous avons l’Association québécoise des éditeurs de magazines, l’Alberta Magazine Publishers Association, nous avons aussi la Magazine Association of British Columbia et Magazines Canada, qui représente l’ensemble des magazines au Canada.

Nous sommes ici parce que nous voulons proposer un amendement. Je pense que vous en avez tous une copie. Il s’agit de l’alinéa 27(1)b). Nous savons que la première partie de cette question d’admissibilité va être déterminée selon la déclaration de revenus, mais pour la deuxième, j’imagine que le CRTC va déterminer l’admissibilité.

Pour l’instant, nous suggérons de remplacer « et » par « ou » dans « principalement sur des questions d’intérêt général et qui rend compte d’événements ». Nous proposons « ou » pour permettre aux magazines d’être présents. Cela veut dire que le sous-alinéa 27(1)b)(iii) serait retiré, parce qu’à notre avis, les journaux couvrent les mêmes sujets que les nôtres, alors que les magazines couvrent des sujets en profondeur.

Nous proposons également de retirer l’alinéa 31(2)c) et à l’alinéa 31(2)b), nous proposons d’enlever « et » pour le remplacer par « ou ». Ainsi, l’alinéa 31(2)d) deviendrait l’alinéa 31(2)c).

Je vais laisser le greffier régler tout cela. Pour l’instant, cela nous permettrait de participer à ce projet de loi.

Nicolas Lapierre, membre de l’Association des éditeurs de magazines québécois, Coalition des magazines du Canada : J’aimerais ajouter un peu de contexte aux propos de Mme Doucet au sujet de l’industrie des magazines. La Coalition des magazines du Canada représente environ 400 éditeurs d’est en ouest, partout au Canada, des plus grandes maisons aux plus petites.

Mme Doucet a parlé de préjugés et dans ce contexte, vous allez comprendre que ces préjugés affectent notre industrie.

Je vais essayer de vous démontrer qu’on va peut-être plus loin que les magazines à potins. Les défis de notre industrie pour ce qui est des périodiques sont les mêmes que les journaux, que ce soit en raison du coût du papier ou de l’évolution rapide du numérique, entre autres. Contrairement aux journaux, nous ne recevons pas de financement.

Les magazines jouent un rôle important dans le secteur canadien des médias en tant que partie intégrante de l’écosystème des nouvelles et du journalisme. En tant que quatrième pilier de la démocratie, ils fournissent de l’information de qualité et offrent souvent une perspective unique sur les événements et les sujets d’actualité en présentant des analyses et des reportages approfondis. Voilà la nuance. Cela permet aux lecteurs d’avoir une compréhension plus complète et nuancée des enjeux.

Lorsqu’on parle de magazines, on parle souvent de diversité culturelle. Les magazines offrent également une variété de couvertures d’actualité allant des nouvelles au quotidien aux analyses approfondies. Ils abordent une diversité de sujets qui reflètent notre culture, notre mode de vie, nos habitudes de consommation, mais aussi nos intérêts et nos préoccupations comme les droits de la femme, la justice sociale, l’environnement, l’alimentation et l’épargne.

En somme, les magazines sont une source importante de nouvelles qui informent et éduquent les Canadiens et qui contribuent de manière importante à servir les collectivités de toutes tailles tant à l’échelle nationale que locale.

Mme Doucet : Un peu comme d’autres personnes l’ont dit ce matin, il y a quand même une inquiétude en ce qui concerne l’intelligence artificielle, qui est l’éléphant dans la pièce. De grands changements s’en viennent et on va tous être dans le même bateau. Il faut donc faire en sorte que notre identité, notre culture générale et notre culture populaire puissent avoir leur place et nous appartenir.

M. Lapierre : J’aimerais ajouter un dernier mot à ce sujet. Sachant que nous sommes dans un environnement ultracompétitif, nous avons appris récemment que deux éditeurs, en Allemagne, ont utilisé l’intelligence artificielle pour créer un magazine de 136 pages en cinq jours. La rapidité de l’appropriation de cette technologie ne doit pas être hors de notre contrôle. Merci.

Le président : Merci. Chaque sénateur disposera d’un temps de parole de cinq minutes, ce qui inclut les questions et les réponses.

[Traduction]

La sénatrice Miville-Dechêne : Ma première question est courte et s’adresse à M. Fildebrandt. Vous avez dit que vous vouliez une clause optionnelle d’adhésion. D’autres médias m’ont parlé de cette idée. Que diriez-vous d’une option de non-participation à l’article 27? Je comprends que le CRTC peut décider à tout moment qui doit y participer, alors seriez-vous satisfait avec une option de non-participation pour les médias comme le vôtre? Nous nous sommes parlé auparavant, alors je comprends votre inquiétude.

M. Fildebrandt : Merci, madame la sénatrice. Ce serait une amélioration par rapport au projet de loi actuel, mais je m’inquiète en raison des discussions que j’ai eues avec Meta et Google, au sujet des représailles — et je déteste devoir défendre ici deux entreprises que je n’aime vraiment pas. Je ne suis pas ici pour les défendre, mais ce sont les moins méchants, dans le cas présent. Ils useront de représailles et sont en droit de le faire; je m’attends à ce qu’ils le fassent. Ils ne passeront certainement pas en revue les milliers de publications albertaines. Je sais que certains sénateurs parmi vous avez une page Substack, qui pourrait de façon plausible être considérée comme des nouvelles ou, à tout le moins, une page d’opinion sur les nouvelles. Ces pages pourraient être catégorisées comme un média, puis bloquées sur les plateformes. Selon mes discussions avec Meta et Google, ils ne vont pas embaucher toute une équipe pour aller explorer chaque page pour déterminer si l’éditeur a opté pour la non-participation ou pas. Ils retireront tout.

Si le projet de loi comporte une clause optionnelle d’adhésion, il devient possible pour nous de restreindre cette lutte entre Goliaths à ceux qui veulent se battre. Je ne veux pas me battre et je ne devrais pas avoir à me lancer dans l’arène. Je ne devrais pas me trouver dans l’arène par défaut. Je ne devrais pas être forcé d’y aller si je ne veux pas y aller.

Une autre option intéressante serait de suivre le conseil d’un des témoins précédents. Je nous identifierai volontairement comme un groupe haineux si cela peut nous exclure du projet de loi.

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci pour cette réponse brève, et merci pour la précision.

[Français]

Mes prochaines questions s’adressent aux représentants de la Coalition des magazines du Canada. Ce seront des questions un peu difficiles.

Ce projet de loi s’appuie sur la définition de ce qui constitue une nouvelle et de ce qui ne constitue pas une nouvelle. Je comprends qu’il y a une interprétation possible de tout cela.

Toutefois, la question d’inclure les magazines, qu’est-ce que cela veut dire? L’actualité ou Maclean’s, qui sont manifestement des magazines d’information, sont-ils déjà inclus? J’imagine qu’ils le sont. Je ne sais pas quel genre de recherches vous avez faites là-dessus.

Par ailleurs, comment peut-on penser qu’un magazine comme 7 Jours, qui rapporte essentiellement des potins de vedettes au Québec — c’est un magazine qui est très lu, qui est très populaire — représente ce qu’on appelle du « contenu de nouvelles »? Peut-être qu’il y en a, je ne sais pas trop.

Comment faites-vous la différence entre cela et les magazines plus sérieux, si on peut les appeler ainsi, que vous défendez? Est-ce que tous les magazines qui parlent de style de vie, incluant des potins de vedettes, font partie des magazines qui pourraient être inclus dans le projet de loi C-18?

M. Lapierre : Je vais répondre à la première partie de votre question.

Tout comme le magazine 7 Jours, je peux trouver d’autres exemples de magazines qui font de la nouvelle et de la nouvelle journalistique. Il y a encore ce préjugé de magazines à potins qui englobe toute l’industrie.

La sénatrice Miville-Dechêne : Il y en a des magazines comme ça.

M. Lapierre : Oui, c’est vrai qu’il y en a, des magazines comme ça. Toutefois, il ne faut pas négliger les autres par la faute de ceux qui ont ce style de contenu.

La sénatrice Miville-Dechêne : Ce serait donc du cas par cas, c’est cela?

M. Lapierre : Selon moi, il faudrait y aller au cas par cas. Pour des magazines comme 7 Jours, on peut aller dans la salle de rédaction pour voir qui rédige les textes. Est-ce du contenu journalistique? Peut-être pas selon les standards actuels, mais je dirais que oui. Des gens en salle de rédaction écrivent ces textes d’intérêt général qui, selon moi, entrent dans la définition.

La sénatrice Miville-Dechêne : Bien sûr, tout cela est discutable.

La deuxième partie de ma question porte sur L’actualité et Maclean’s. Ces magazines sont couverts, n’est-ce pas?

M. Lapierre : Oui, absolument.

La sénatrice Miville-Dechêne : Ce ne sont pas tous les magazines qui sont exclus. Parmi les 400 magazines dont vous me parlez, y en a-t-il qui seront couverts, à votre avis?

Mme Doucet : En fait, il y en aura moins que 10. C’est ce qu’on pense actuellement. Ce sera moins que 10, alors que, par exemple...

Le président : Sénatrice, votre temps de parole est écoulé.

La sénatrice Miville-Dechêne : Donc, il y en a moins que 10.

Mme Doucet : Les revues Protégez Vous et Québec Science n’en font pas partie.

Le président : Sénatrice, votre temps est écoulé.

[Traduction]

La sénatrice Simons : Je suis ravie de voir l’Alberta représentée aujourd’hui. Je veux commencer avec M. Jamison, de St. Albert. Vous avez exprimé votre soutien pour le projet de loi C-18, mais avez également souligné que les journaux de petite taille comme le vôtre et comme les groupes de médias ethniques que nous avons reçus plus tôt pourraient être désavantagés comparativement aux Goliaths, pour reprendre le terme de M. Fildebrandt. Vous avez aussi mentionné une variété d’autres options qui vous semblent plus ciblées et utiles pour les petites publications comme la vôtre.

Évidemment, le projet de loi C-18 n’inclut pas de modèle de financement, mais je ne peux m’empêcher de penser, en vous écoutant, vous et les témoins précédents de la presse en langue minoritaire et de la presse ethnique, qu’il doit certainement y avoir une manière plus tactique, plus chirurgicale d’aider les petites publications, plutôt que de les forcer à négocier avec Meta et Google.

M. Fildebrandt : Il y a un grand débat dans le secteur et entre différents acteurs, parce que, comme je l’ai dit, les profils sont très divers. Nous avons des membres qui desservent toutes sortes de collectivités. La situation est difficile, parce qu’il y a beaucoup d’inconnu avec le projet de loi C-18. Nous avons une certaine idée de ce qui s’est passé en Australie, mais personne n’en connaît vraiment les détails. Ce projet de loi est différent. Il est conçu sur un échange de valeur bidirectionnel. Dans les petites collectivités, comme dans le cas de notre journal à Barrhead, en Alberta, qui dessert 3 500 personnes qui vivent dans cette région rurale, quel est le portrait de cet échange de valeur? Quel sera le soutien obtenu réellement par l’entremise de ce mécanisme? D’un autre côté, des membres de notre association ont déjà des ententes avec les plateformes, mais qui fonctionnent à une échelle différente de celle de nos membres de plus petite taille.

Il y a beaucoup d’inconnu quant à ce qui ressortira du projet de loi C-18. Il pourrait y avoir d’autres façons de soutenir les petites collectivités à faible achalandage.

La sénatrice Simons : Monsieur Lapierre, il y a de nombreux excellents magazines au pays qui combinent la nouvelle et le style de vie. Je pense à Toronto Life, à Maisonneuve à Montréal et à EDify à Edmonton. Le gouvernement a-t-il donné des renseignements quant à la classification éventuelle de magazines comme Toronto Life, Maisonneuve et EDify, qui combinent style de vie et actualités?

Mme Doucet : Nous n’avons pas de renseignements précis à ce sujet. Nous avons demandé à Patrimoine canadien qui, aux yeux du ministère, est admissible, mais on nous répond que ce sera le CRTC qui tranchera et que nous devrions nous adresser à lui. Ce sera à une autre étape du... Ce sera lui qui se penchera sur l’admissibilité.

Nous voulons en parler maintenant, parce que nous croyons que le retrait du paragraphe 27(3) nous permettrait d’inclure davantage de magazines, comme vous l’avez dit, Toronto Life et d’autres qui traitent d’actualité et de culture populaire, mais aussi de sujets sérieux. Oui.

La sénatrice Simons : Monsieur Fildebrandt, vous étiez dans la salle quand les témoins précédents nous ont dit qu’ils avaient l’impression qu’il fallait un code de déontologie. Comme vous le savez bien, car j’étais à l’époque journaliste et vous, politicien — nous avons échangé les rôles —, il est très important que la presse soit libre de faire son travail sans crainte ni faveurs. Je me rends compte que je vous mets en position inconfortable, car vous avez déclaré platement ici que vous ne voulez pas l’aide du projet de loi C-18; néanmoins, dans notre nouveau rôle de journaliste, quels sont les défis que vous percevez quant à l’idée que ce soit le CRTC qui décide qui est légitime et qui ne l’est pas?

M. Fildebrandt : Merci, madame la sénatrice. Nous avons déjà le statut de ce qu’on appelle une organisation journalistique canadienne admissible. Je l’ai demandé pour faire une blague, juste pour voir ce qui se passerait. Je n’avais aucune intention d’accepter les subventions, mais nous les avons obtenues. La gentille dame du CRTC a demandé si nous avions besoin d’aide pour remplir les formulaires pour les différentes subventions et j’ai dit non; le tout était une blague et j’ai remercié le CRTC. Il y a des défis...

La sénatrice Simons : Vous voulez dire l’ARC, l’Agence du revenu du Canada, n’est-ce pas?

M. Fildebrandt : Oui, excusez-moi. L’ARC, pas le CRTC. Il y a des défis. La publicité...

Le président : Je déteste devoir vous couper la parole, monsieur Fildebrandt, mais j’ai la tâche peu enviable de maître du temps, aujourd’hui. La liberté a ses limites, au Sénat.

[Français]

Le sénateur Cormier : Ma question s’adresse à M. Lapierre et à Mme Doucet. Selon le projet de loi actuel, combien de magazines seraient admissibles? Si les amendements que vous proposez aux articles 27 et 31 étaient acceptés, combien de magazines supplémentaires seraient admissibles, en chiffres?

M. Lapierre : On peut vous revenir avec les chiffres exacts, mais je dirais que ce serait la majorité. Actuellement, c’est la minorité en raison de la question d’admissibilité, mais la majorité serait admissible selon les changements qu’on propose.

Le sénateur Cormier : Vous voulez que la disposition du paragraphe 27 (3) du projet de loi concernant l’exclusion des magazines spécialisés soit enlevée. Expliquez-nous brièvement pourquoi.

Mme Doucet : On pense que la presse en général, les médias écrits couvrent un sujet et que les magazines visent un sujet. Les deux parlent des mêmes choses parce qu’on va lire un journal et le journal va parler des sports, des loisirs et de toutes sortes de choses. Ce n’est pas logique qu’on coupe la place des magazines dans le cadre de cette loi parce qu’ils couvrent des sujets plus en profondeur ou de façon plus spécifique.

Le sénateur Cormier : D’accord, merci. Monsieur Fildebrandt, vous nous avez expliqué votre modèle de financement. En visitant votre site Web, j’ai vu que vous avez des publicités de Take Back Alberta, de Bitcoin Well, de Market Place Commodities, du parti de Mme Smith, United Conservatives. À combien évaluez-vous les revenus que vous recevez en publicité et à combien évaluez-vous les revenus que vous recevez en abonnements?

[Traduction]

M. Fildebrandt : Je suis désolé, je n’ai pas entendu la traduction de la dernière partie de votre question.

Le sénateur Cormier : Je veux savoir précisément à combien vous évaluez les recettes que vous tirez de la publicité et des abonnements.

M. Fildebrandt : Nos recettes ont deux volets. Elles varient d’un mois à l’autre, mais en moyenne, elles viennent à 50 % des abonnements et à 50 % de la publicité. Cela fluctue au fil du temps. Il nous a fallu beaucoup de temps pour bâtir notre capacité à vendre de la publicité.

Je ne suis pas entièrement dépourvu de sympathie pour les médias qui ont parlé de l’effondrement du modèle publicitaire. Quand nous avons démarré le Western Standard, nous avons tenté de concevoir des publicités Google qui se généraient automatiquement à partir de Google, et cela ne rapportait que quelques sous par dollar. Cela ne valait pas le coup. Ces publicités enlaidissaient le site Web et ne nous rapportaient pratiquement rien, alors nous les avons enlevées. Nous avons dû, minutieusement, sur quelques années, bâtir notre capacité à vendre de la publicité directement aux clients, ce qui est très difficile. Je déteste cela. Il est très ardu de trouver des gens qui le font bien, mais les médias doivent le faire s’ils veulent avoir de la publicité.

À l’inverse, nous avons absolument besoin des abonnements. Ils représentent environ 50 % de nos revenus. Nous appelons cela une adhésion, mais c’est la même chose qu’un abonnement. Je ne veux pas faire de promotion, mais il en coûte 10 $ par mois. Nous avons un mécanisme de verrou d’accès payant limité de manière à, grâce à ces deux sources, financer notre fonctionnement.

[Français]

Le sénateur Cormier : Selon le type de publicités que vous affichez, vous avez une entière indépendance journalistique même si United Conservatives achète de la publicité chez vous. Vous n’avez pas de contraintes liées au fait que vous faites affaire avec certains publicitaires.

[Traduction]

M. Fildebrandt : Non. Je vendrais de la publicité à l’Arabie saoudite si elle était prête à payer les tarifs que nous affichons. J’ai offert de la publicité au Nouveau Parti démocratique de l’Alberta et à d’autres plus petits partis politiques. Nous avons de la publicité d’entreprises privées et d’organismes à but non lucratif.

La sénatrice Simons et d’autres ici qui connaissent bien le milieu savent qu’il faut faire de son mieux pour avoir un pare-feu entre les publicitaires et la salle de nouvelles. Comme le savent la plupart des journalistes, c’est particulièrement le cas dans les plus petites publications, où il n’y a pas des centaines de personnes qu’on puisse séparer physiquement les unes des autres. Dans les années 1990, le département de la publicité ne faisait jamais affaire avec le département des nouvelles. Il faut faire de son mieux pour établir un pare-feu. Il est impossible d’avoir une séparation totale. Tout éditeur qui affirme le contraire ment probablement, et c’est là l’une des raisons pour lesquelles le financement direct du gouvernement aux médias est si dangereux.

Cela dit, la proposition du projet de loi C-18, qui consiste à faire intervenir les géants de la technologie pour financer les médias, est dangereuse, parce qu’ensuite, nous aurons... Aucun publicitaire seul ne représente, pour nous, une portion critique des revenus. Le gouvernement représente 33 % en ce moment.

Le sénateur Cormier : Je ne veux pas que vous vous fassiez couper la parole par le président. Je vous remercie pour votre réponse.

Le sénateur Cardozo : Je prends un pas de recul et vous pose une question générale. M. Fildebrandt a présenté des arguments pour ne pas mettre le projet de loi en vigueur. J’aimerais savoir, monsieur Jamison, quel est à votre avis l’avenir de votre média dans un monde de médias en ligne et d’intelligence artificielle.

[Français]

Madame Doucet, quel est l’avenir de votre média dans le monde, dans celui des médias en ligne et de l’intelligence artificielle?

Nous pourrions commencer avec M. Jamison.

[Traduction]

Vous d’abord, s’il vous plaît. Dressez un portrait général de ce qui se passerait si le projet de loi n’entrait pas en vigueur.

M. Jamison : Nous verrions un déclin continu et nous continuerions de perdre des journaux dans de nombreuses collectivités. Ils sont déjà nombreux à avoir une situation très difficile. Sans intervention accrue, nous continuerons de voir un déclin de la publicité, l’augmentation des coûts de production dans le monde de la publication de journaux imprimés et d’autres fermetures.

Il faut garder à l’esprit, si on se penche sur l’identité de nos membres, que nous sommes des sources d’information secondaires ou tertiaires. Les gens consultent le Globe and Mail ou le New York Times pour la couverture nationale et internationale de très haut niveau. Ensuite, on entre dans les enjeux d’ordre provincial. Ensuite, on passe à la collectivité à l’échelle locale. Nous nous battons tous pour l’attention, le niveau d’attention limité du public. La situation est particulièrement difficile quand on dessert des collectivités de plus en plus petites.

Il est difficile de comprendre les répercussions à venir autres que la prolifération du contenu et les difficultés que connaîtront les journalistes à distinguer le vrai du faux, particulièrement quand il s’agira de vidéos générées par l’intelligence artificielle, par exemple. Cela rendra le travail journalistique plus ardu et créera plus de contenu que l’auditoire aura à filtrer.

Le sénateur Cardozo : Que faites-vous de l’argument du dinosaure? Je ne veux pas être impoli, mais certains diront que vous êtes des dinosaures et qu’il faut vous laisser tomber.

M. Jamison : C’est ce à quoi il faut s’attarder pour examiner ce que font les gens. Bon nombre de nos membres ont des agences et des activités numériques. Ils évoluent dans les deux mondes, à l’instar de nombreux modèles efficaces; par exemple, le Globe and Mail continue d’être publié sur support papier, et sa version numérique connaît également un grand succès.

Il s’agit de servir les lecteurs, peu importe où ils se trouvent. Si nous pensions que nous pouvions nous en tirer uniquement du côté numérique, je ne me casserai pas la tête à imprimer et à distribuer des journaux tous les jours; c’est un défi de taille, sans compter les dépenses. Dans le monde numérique, il est très difficile d’obtenir suffisamment de revenus publicitaires, surtout dans les marchés de plus petite taille.

Pour en revenir à la façon dont le projet de loi C-18 permettra de financer les petits éditeurs, nous ne bénéficions pas d’un vaste lectorat. Quand nous écrivons à propos de ce qui se passe dans la municipalité de Bonnyville, en Alberta, c’est généralement la population locale qui s’y intéresse. Toutefois, cette information revêt de l’importance pour les gens de cette localité. Nous n’essayons pas d’atteindre le public canadien dans son ensemble.

Le sénateur Cardozo : Permettez-moi de vous interrompre avant que le président ne le fasse.

Madame Doucet, qu’en pensez-vous?

[Français]

Mme Doucet : Je pense qu’on partage les mêmes opinions, dans le sens où on ne sait pas ce qui va être vrai et qui ne le sera pas.

Je vous dirais que ce qui m’inquiète — et cela ne répondra pas à votre question entièrement — est que j’ai vu que dans La Presse canadienne, par exemple, il y avait maintenant des bourses Meta, et cela me fait peur. Parce qu’une bourse Meta, c’est comme si Facebook était déjà dans nos vies et même dans La Presse canadienne. Alors, je préférerais voir des bourses du CRTC ou d’un fonds indépendant.

Je crois que les journaux et les magazines vont être encore là, on est tous en phase de transformation, je pense que tout le monde a deux modèles, le modèle numérique, comme on parlait, et le modèle papier. On sait que tous les citoyens canadiens ne sont pas parfaitement habiles sur le plan numérique, il faut quand même penser à notre monde, aux gens qui sont capables d’avoir accès soit au numérique ou encore au papier. Voilà.

M. Lapierre : Si je peux me permettre d’ajouter quelque chose, il faut penser que les modèles de « dinosaure », cela fonctionne. Premièrement, cela ne fonctionne plus et deuxièmement, je vous dirais que la majorité de ces « dinosaures » ont tenté de migrer vers le numérique et cela apporte des enjeux qui sont peut-être malaisants. On passe à des modèles d’affaires et pour ceux qui opèrent ces modèles d’affaires — pour nos éditeurs, dans la coalition, je peux vous garantir que c’est un modèle à deux vitesses, c’est un modèle papier et numérique, et on embarque aussi dans des modèles uniquement numériques —, c’est un enjeu qui devient de plus en plus difficile d’être capable de jongler avec ces deux modèles.

Si je passe très rapidement au sujet du modèle de l’intelligence artificielle, comme vous l’avez mentionné, cela arrive avec une rapidité qui fait peur. On entend des nouvelles, comme on l’a mentionné, à savoir qu’un magazine de 136 pages a été créé en cinq jours. Les éditeurs n’engageront plus de personnes, ils vont uniquement utiliser ces technologies. C’est la rapidité qui fait le plus peur, parce que cela se passe maintenant. Si on attend, dans quelques années, il sera déjà trop tard.

C’est pour cette raison que ce qui fait peur à nos éditeurs, c’est la rapidité de l’appropriation de cette technologie; je pense qu’il faudrait faire attention à cela.

[Traduction]

Le sénateur Harder : Ma question s’adresse également à M. Jamison.

Avant de la poser, permettez-moi de faire une observation. Les témoins du groupe précédent ont dit craindre — tout comme vous l’avez exprimé dans vos déclarations — que les petits journaux et médias ethniques ou ruraux risquent d’être désavantagés dans un programme comme celui dont nous discutons.

Je tiens à préciser qu’en Australie — dont le modèle sert de base au projet de loi, même si c’est quelque peu modifié —, certaines grandes organisations n’ont pas réussi à conclure des ententes, alors que les petites organisations y sont parvenues.

Si l’on examine le paiement le plus élevé par journaliste, c’est l’association Country Press Australia qui remporte la palme. Cette organisation, qui compte 180 publications et journaux régionaux, a obtenu la plus grande proportion de subventions par journaliste. Aux fins du compte rendu, je crois qu’il est important que nous nous penchions non seulement sur les gros chiffres, mais aussi sur les répercussions du processus que nous espérons mettre en place.

Ma question, monsieur Jamison, est la suivante : pourriez-vous nous décrire un peu plus en détail ce que vous avez dit à mon collègue, le sénateur Cardozo, au sujet de la baisse des revenus que vous avez subie? Vous avez exprimé des inquiétudes quant au temps qu’il faudra pour mettre en œuvre ce régime, si jamais le Parlement adopte le projet de loi. J’aimerais que vous nous parliez du rythme auquel le déclin s’est produit et de la façon dont nous pourrions accélérer l’instauration de ces mesures. Même si le Sénat, à lui seul, n’en gère pas la mise en œuvre, nous pouvons collectivement insister auprès du gouvernement sur l’importance d’agir rapidement, au lieu de sombrer dans l’inertie.

M. Jamison : Oui. Je n’ai pas les chiffres exacts devant moi, mais nous pourrons les obtenir. Il y a eu un taux de déclin au fil de nombreuses années, sur plus d’une décennie.

Ce sont les petites annonces en ligne qui ont été l’une des premières choses à être durement touchées, puis il y a eu tout le reste, à mesure que la situation a évolué au fil des ans. Nous avons vu une industrie qui a été décimée sur une très longue période, qui s’est battue pour survivre et s’est adaptée au fil du temps, qui a mis à l’essai de nouveaux modèles de publicité et différentes façons de faire les choses.

Nous avons vu beaucoup de membres disparaître. M. Merrell pourrait nous donner un chiffre exact. Notre association a déjà eu plus de 120 membres, mais nous en comptons maintenant un peu plus de 90. Cette baisse est attribuable, d’une part, au regroupement de petites localités dans les médias régionaux et, d’autre part, à la disparition de certaines publications au fil du temps.

Du côté australien, personne ne sait vraiment ce qu’il en est. C’est le gros problème. Il y a beaucoup d’incertitude quant à ce que cela signifie pour les petits éditeurs. D’après ce que nous savons au sujet des offres et des ententes qui ont déjà été conclues, le tout se fait généralement en fonction de l’achalandage. Les plateformes en ligne misent généralement sur l’achalandage; la vente de publicité dépend donc du nombre de lecteurs.

Les sites de petits journaux ne génèrent pas beaucoup d’achalandage. Comme je le disais tout à l’heure, il s’agit de savoir ce qui intéresse la collectivité locale. Nous desservons les collectivités locales; nous ne cherchons pas à atteindre un très large public partout au Canada, ni même à l’échelle provinciale.

Il y a énormément d’incertitude quant aux répercussions réelles. Lorsque nous examinons certaines des prévisions pour le Canada, car le projet de loi est un peu différent, je crois que les plateformes vont probablement traiter la question un peu différemment, compte tenu de leur visibilité dans bien des pays. Le Canada et l’Australie ne sont pas les seuls à se pencher là-dessus; il y a aussi la Californie et de nombreux pays dans le monde.

Comme l’a dit M. Fildebrandt, et comme l’ont indiqué les représentants de l’industrie qui ont témoigné, les plateformes vont renoncer à la diffusion de nouvelles et essayer de négocier de façon plus stricte. Elles cherchent à savoir combien cela va leur coûter partout dans le monde, car l’adoption de ce genre de mesure législative rendra le tout extrêmement coûteux.

Nous ne savons pas quels en seront les effets sur nos activités. Les ententes que nous pouvons conclure seraient bien différentes de ce qui a été observé en Australie.

Dennis Merrell, directeur général, Alberta Weekly Newspapers Association : Voici quelques chiffres en réponse à la question du sénateur Harder. Comme M. Jamison l’a mentionné, le déclin s’est produit de façon lente et constante au cours des 10 ou 12 dernières années. À titre d’exemple, notre association comptait sur ce qu’on appelle la publicité nationale placée dans les journaux. De 2010 à 2012, le montant s’élevait à environ 14 millions de dollars par année. Aujourd’hui, c’est peut-être de l’ordre de 1 à 2 millions de dollars. Par conséquent, en ce qui a trait à cette forme de publicité, on parle sans doute d’une baisse de 70 ou 80 %.

À l’échelle locale, les éditeurs me disent que c’est probablement de l’ordre de 30 à 50 %, mais ils se débrouillent avec beaucoup moins aujourd’hui qu’il y a à peine quelques années.

La situation est donc plutôt désastreuse, comme M. Jamison l’a souligné.

La sénatrice Dasko : Ma première question s’adresse à Mme Doucet et à M. Lapierre.

J’aimerais simplement obtenir une précision. Demandez-vous que tous les magazines soient visés par le projet de loi, ou seulement quelques-uns? Le cas échéant, lesquels? Dites-nous-en plus à ce sujet, car je ne suis pas sûre d’avoir bien compris.

Mme Doucet : Nous avons la loi — telle que proposée —, mais nous savons que, pour le premier critère, lorsque nous parlons…

[Français]

Je vais vous répondre en français, pour moi ce sera plus facile. Lorsqu’on parle de fiscalité, il est assez facile de sortir la liste des entreprises admissibles, parce qu’on pense qu’il y en a moins de 10. On ne peut pas fournir tous les renseignements parce que certains sont confidentiels, mais on peut dire qu’il y a moins de 10 entreprises admissibles. Par exemple, si on retirait le paragraphe 27 (3), on pourrait ajouter des magazines...

[Traduction]

La sénatrice Dasko : Pouvez-vous simplement nous donner une description, au lieu de parler des articles? Voulez-vous tous les magazines ou seulement certains d’entre eux? Si vous pouviez seulement décrire lesquels... De quels types de magazines s’agit-il?

Mme Doucet : Bien sûr. Je vous remercie.

J’ai parlé de Protégez-Vous, par exemple, qui est un magazine consacré au monde de la consommation. Quel type de machine à laver, etc., devrait-on acheter? C’est donc vraiment un magazine destiné aux consommateurs. Il ne s’agit pas d’opinions, mais de faits et de logique.

J’ai aussi parlé de Québec Science, parce que c’est l’un des magazines qui amènent les gens à s’intéresser à la science, d’où sa grande importance pour les jeunes.

Vous avez peut-être d’autres exemples.

M. Lapierre : En effet, mais pour répondre à votre question, dans l’état actuel des choses, seule une minorité — voire une poignée — de nos membres seraient admissibles, si tant est que ce soit le cas. Comme je l’ai dit au sénateur Cormier, cela viserait désormais la majorité d’entre eux.

Je ne pense pas que nous voulons inclure tous les magazines que nous représentons, mais si nous pouvions participer davantage, je crois que cela aiderait l’industrie et, à coup sûr, nos membres.

La sénatrice Dasko : Ce que vous proposez va donc bien au-delà des nouvelles. Pourtant, le projet de loi est censé aider les entreprises de nouvelles. Bref, vous recommandez tout type d’intérêt, de façon générale, n’est-ce pas?

M. Lapierre : Cela dépend de la définition de nouvelles et de contenu d’intérêt général. Notre mandat, c’est d’examiner un sujet en profondeur. Telle est notre spécialité en ce qui concerne les magazines.

Nous couvrons les actualités. Seule une minorité de nos membres publient des nouvelles au quotidien, mais il n’en demeure pas moins que cela se fait. À l’heure actuelle, je ne pense pas qu’ils seraient admissibles.

La sénatrice Dasko : Cependant, vous croyez qu’ils devraient l’être.

M. Lapierre : Oui.

La sénatrice Dasko : Prenons Châtelaine. On y trouve quelques nouvelles, mais 90 % de son contenu porte sur les habitudes de vie. Pensez-vous que ce magazine devrait être...

M. Lapierre : Les journaux ont également différentes catégories de contenu. On y trouve notamment une section sur les sports.

La sénatrice Dasko : En gros, vous voulez que le projet de loi s’applique à presque tous les magazines. Il y en a une multitude au Canada.

M. Lapierre : C’est exact.

Mme Doucet : Nous disons, pour le moment, qu’il y a plus de liens que nous le pensons entre les magazines et les nouvelles. Nous faisons de plus en plus la même chose différemment. Nous estimons que la loi, telle que proposée, a une portée trop étroite, ce qui exclut certains magazines qui pourraient être importants.

Je suis désolée; je n’ai pas la liste des quelque 400 magazines qui seraient admissibles, mais nous pensons qu’en matière d’admissibilité, il s’agit d’une mesure supplémentaire. Ce sera après...

La sénatrice Dasko : Oui, je comprends. Excusez-moi. Est-ce qu’un magazine de mécanique serait...

Le président : Sénatrice Dasko, malheureusement, votre temps est écoulé. J’aurais bien aimé que nous ayons plus de temps avec ce groupe.

La sénatrice Clement : Bonjour, chers témoins. Je vous remercie d’être des nôtres.

Pour tout dire, j’aime les dinosaures. J’étais camelot il y a de cela des décennies. Je livrais le Montreal Star.

Ma question s’adresse à la Coalition des magazines du Canada. Dans ma collectivité, Cornwall, en Ontario, nous avons quelques magazines, comme le Cornwall Living et le Perch Magazine, qui combinent nouvelles et style de vie. Ce sont des publications à tirage très limité. On en trouve des exemplaires dans les restaurants et les kiosques pendant toute l’année. Les gens les adorent. Il y a des articles de fond sur des enjeux locaux.

La semaine dernière, nous avons reçu des représentants de Meta, et ils nous ont dit qu’ils allaient bloquer les liens vers les sources de nouvelles. Quelle en sera l’incidence sur vos activités? Votre industrie revêt une grande importance pour les collectivités locales. Les propos de Meta vous inquiètent-ils? Avez-vous quelque chose à dire à ce sujet?

M. Lapierre : Oui. J’ai lu le témoignage de Meta — c’était en quelque sorte une menace.

Oui, absolument. Les éditeurs utilisent ces plateformes, et une partie de ce contenu s’affiche sur ces plateformes, sans l’intervention des éditeurs. Je suppose donc que la réponse courte serait que, oui, absolument, cette décision va toucher les éditeurs. Il reste à savoir dans quelle mesure, mais cela nuira certainement à l’ensemble de l’industrie.

[Français]

La sénatrice Clement : Avez-vous quelque chose à ajouter?

Mme Doucet : Non, sauf peut-être pour dire que les géants de l’information ne devraient pas gérer nos nouvelles et nos magazines ni ce qui se fait localement et sur le plan national. C’est vrai qu’il y a des magazines locaux, mais il y a aussi des journaux locaux, et nous les appuyons.

La sénatrice Clement : Merci.

[Traduction]

Le président : La question que j’aimerais poser dans les quelques minutes qui nous restent porte sur CBC/Radio-Canada, qui reçoit un financement public de plus d’un milliard de dollars par année. En même temps, elle livre concurrence sur le même marché que celui de vos magazines et de vos journaux locaux pour des revenus publicitaires. Nous avons maintenant un projet de loi qui lui permettra de recevoir un financement supplémentaire de la part des géants du numérique afin de continuer à soutenir la concurrence. J’aimerais savoir ce que vous en pensez.

M. Fildebrandt : Je voudrais revenir à la question de la sénatrice Simons sur les défis qui nous attendent, car je n’ai pas pu y répondre au complet.

Le plus grand défi auquel nous devons faire face — du moins, en ce qui concerne le Western Standard —, c’est que nos concurrents sont subventionnés à même nos impôts. Nous sommes une entreprise relativement modeste qui paie des impôts à Ottawa, lesquels sont ensuite redistribués à nos concurrents, comme CBC/Radio-Canada. Je ne m’attarderai pas sur ce qu’on pense de CBC/Radio-Canada, mais c’est manifestement un concurrent. Même s’il s’agit techniquement d’un radiodiffuseur, les distinctions entre ce qui est considéré comme un radiodiffuseur, un magazine ou un journal ne sont plus pertinentes aujourd’hui. Je me suis battu avec la Commission des accidents du travail pour déterminer si le Western Standard était un magazine ou un journal. Eh bien, nous ne sommes ni l’un ni l’autre. Nous étions un magazine à un moment donné, mais nous avons dû nous battre à ce sujet, car c’est ce qui déterminait le montant de nos cotisations.

Nous faisons tous la même chose. Nous sommes tous en ligne. Certains ont une manifestation physique grâce à une licence du CRTC, et certains pourraient vendre un produit sous forme imprimée, mais on ne peut pas faire la différence entre eux. CBC/Radio-Canada n’est pas seulement en concurrence avec CTV et Global, mais aussi avec l’Edmonton Journal, le Western Standard et le Toronto Star. Or, Postmedia, les Herald, les Journal et les Sun nous font aussi concurrence en utilisant l’argent de nos impôts, et ce, à notre détriment.

Le projet de loi C-18 n’utiliserait pas nécessairement l’argent des contribuables à notre détriment, mais il va quand même donner un coup de pouce à nos concurrents — en théorie, si l’argent est bel et bien là. Je doute que ce soit le cas, mais je crains que nous soyons des dommages collatéraux dans cette lutte.

S’il y a vraiment une chose qu’Ottawa peut faire pour aider les éditeurs indépendants, ceux qui font preuve d’innovation, ceux qui servent de phares, c’est de mettre fin au financement de l’industrie traditionnelle. Cessez d’accorder des avantages à nos concurrents en utilisant nos propres impôts, et laissez agir la nature, c’est-à-dire les forces du marché.

M. Lapierre : Je ne suis pas ici pour ouvrir un débat, mais certains des concurrents dont parle M. Fildebrandt sont des membres de notre coalition, et ils peinent à garder la tête hors de l’eau. Il est crucial pour une démocratie de pouvoir compter sur de nombreuses voix, au lieu d’une seule. À mon avis, il est essentiel d’offrir de l’aide, de faire entendre autant de voix que possible, et c’est grâce à un financement, et...

Le président : Ma question porte sur la décision d’investir autant de capitaux dans une seule voix. Comment peut-on aider les autres voix?

[Français]

Mme Doucet : Je pense sincèrement que CBC/Radio-Canada est très importante pour notre démocratie. Cette voix va demeurer essentielle comme référence pour bien des gens, pour les faits, pour ce qu’on est et pour nous parler.

[Traduction]

Le président : Monsieur Jamison, je vois que vous voulez intervenir. Non?

Je tiens à remercier les témoins d’avoir été des nôtres. De toute évidence, nous avons eu droit à une discussion intéressante. C’est pourquoi nous avons dépassé le temps alloué. Je vous remercie tous de votre collaboration.

(La séance est levée.)

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