LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES TRANSPORTS ET DES COMMUNICATIONS
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 31 mai 2023
Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd’hui, à 18 h 45 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi C-18, Loi concernant les plateformes de communication en ligne rendant disponible du contenu de nouvelles aux personnes se trouvant au Canada, et pour étudier la teneur des éléments de la section 2 de la partie 3, et des sections 22 et 23 de la partie 4 du projet de loi C-47, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 28 mars 2023.
Le sénateur Leo Housakos (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Bonsoir, honorables sénatrices et sénateurs. Je m’appelle Leo Housakos, je suis un sénateur du Québec, et je suis président du Comité sénatorial permanent des transports et des communications.
[Traduction]
Je demande à mes collègues de se présenter brièvement.
La sénatrice Simons : Paula Simons, de l’Alberta, du territoire visé par le Traité no 6.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Julie Miville-Dechêne, division sénatoriale d’Inkerman, au Québec.
Le sénateur Cormier : René Cormier, du Nouveau-Brunswick.
La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de l’Ontario.
[Traduction]
Le sénateur Harder : Peter Harder, de l’Ontario.
Le sénateur Cardozo : Andrew Cardozo, de l’Ontario.
La sénatrice Dasko : Donna Dasko, de l’Ontario.
La sénatrice Wallin : Pamela Wallin, de la Saskatchewan.
Le président : Chers collègues, nous nous réunissons pour poursuivre l’examen du projet de loi C-18, Loi concernant les plateformes de communication en ligne rendant disponible du contenu de nouvelles aux personnes se trouvant au Canada.
Je suis heureux de vous présenter notre premier groupe de témoins, qui comparaissent avec vidéoconférence. Emma McDonald est conseillère principale en politiques de la Minderoo Foundation. Nous accueillons également les représentants du Star Observer : Lawrence Gibbons est éditeur de groupe du Star Observer et du City Hub et coprésident de la Public Interest Publishers Alliance; et Christopher Gogos est éditeur de Neos Kosmos et directeur d’Independent Multicultural Media Australia. Nous accueillons aussi Rod Sims, professeur à l’Université nationale d’Australie, qui comparaît à titre personnel.
Chaque organisation disposera de cinq minutes pour les déclarations d’ouverture, puis nous céderons la parole à mes collègues pour la période de questions et réponses. Nous commencerons avec Emma McDonald. Vous avez la parole.
Emma McDonald, conseillère principale en politiques, Minderoo Foundation : Bonsoir, honorables sénateurs. Merci de m’avoir donné l’occasion de témoigner devant le Comité sénatorial permanent des transports et des communications. Je suis la directrice de l’initiative sur la technologie de pointe de la Minderoo Foundation. Notre fondation est l’une des plus grandes organisations philanthropiques australiennes; elle a versé 2 milliards de dollars à une gamme d’initiatives mondiales.
Avant de me joindre à Minderoo, j’ai travaillé comme avocate générale dans plusieurs grandes organisations médiatiques et j’ai été responsable des affaires publiques à l’Australian Broadcasting Corporation, ou ABC. Récemment, j’ai occupé le poste de conseillère principale en politiques auprès du ministre des Communications, où j’ai travaillé au Code de négociation des médias d’information, ou News Media and Digital Platforms Mandatory Bargaining Code dans le cadre de sa transition d’une politique de concurrence à une réforme microéconomique de premier plan.
Avant d’aller plus loin, je dois informer le comité que je suis soumise à un accord de non-divulgation conclu avec Google, de sorte que je ne pourrai peut-être pas répondre à certaines de vos questions.
Je sais d’expérience qu’il est difficile de limiter la puissance des géants du Web. Pendant que j’occupais un emploi au gouvernement, Facebook soutenait sans cesse que les informations diffusées sur sa plateforme n’avaient aucune valeur économique. Elle affirmait que la loi démontrait une incompréhension totale de la relation entre sa plateforme et les éditeurs. Google nous a dit que notre code était inapplicable.
Comme vous le savez sans doute, Facebook a bloqué le contenu d’information en Australie quand nous étions sur le point d’adopter des lois semblables à votre projet de loi C-18, la Loi sur les nouvelles en ligne. Lorsque Facebook a rompu ses liens avec l’Australie en février 2021, la loi était sur le point d’être déposée au Sénat. La situation a frustré beaucoup d’Australiens et suscité la colère des politiciens de toutes les allégeances, mais en fin de compte, elle n’a pas empêché le gouvernement australien d’avoir ses puissants adversaires dans sa mire et d’adopter le Code de négociation des médias d’information au début du mois de mars 2021.
Facebook et Google resquillent depuis des années en profitant de l’inclusion de contenu d’information sur leurs plateformes. L’intervention de l’État est le seul mécanisme qui les forcera à se rendre à la table des négociations afin de payer pour obtenir les nouvelles et l’information qui apportent de la valeur à leurs activités. Le code australien a été développé en réponse aux préoccupations soulevées par de grands et de petits médias quant à l’incidence des plateformes numériques gigantesques sur les médias australiens et les marchés de la publicité locale.
Nous savons qu’il ne s’agit pas d’un problème typiquement australien ou canadien. À l’échelle mondiale, le pouvoir de marché de Facebook et Google, avec leur technologie publicitaire sophistiquée et à grande échelle, perturbe et décime les médias locaux depuis au moins une décennie. Nous avons tous été témoins de la disparition des publics et des emplois dans les salles de rédaction, ainsi que de la perte de recettes publicitaires à un rythme alarmant. Malgré l’indignation des entreprises technologiques à l’approche de l’instauration du code, ce dernier s’est avéré un succès pour les médias d’information australiens, petits et grands. Il est réaliste et efficace. Cela n’a pas brisé Internet. Il ne s’agit pas d’une taxe sur les liens, et il a montré qu’il est possible de réduire la domination du marché par les plateformes.
Peu de temps après l’entrée en vigueur du code, la plupart des grandes entreprises de médias australiennes ont conclu des contrats lucratifs avec Google et Facebook. Cependant, en octobre 2021, un peu plus de six mois après l’instauration du code, il est devenu évident que les plus petits éditeurs indépendants n’arrivaient pas à avoir des contacts avec Google ou Facebook.
Ainsi, en novembre 2021, la Minderoo Foundation a accepté de soutenir un groupe de 24 petits éditeurs indépendants en leur offrant de négocier collectivement en leur nom pour les aider à conclure des accords avec Google et Facebook. Nous l’avons fait, car nous croyons que ces petits éditeurs devraient avoir la même occasion que les grands éditeurs de négocier avec Google et Facebook pour l’utilisation de leur contenu dans l’intérêt public.
Nos efforts de négociation collective ont mis fin à l’aveuglement volontaire, et même si Facebook a rejeté notre groupe au motif que des programmes de subventions étaient offerts aux petits éditeurs, Google est venu à la table et a négocié avec nous de bonne foi. Pendant six mois, nous nous sommes renvoyé la balle, mais je suis heureuse de dire au comité que tous nos éditeurs, y compris Neos Kosmos et Star Observer, qui sont représentés ici aujourd’hui, ont obtenu des accords et des fonds de Google.
Le code australien a été conçu pour corriger les déséquilibres de pouvoir de négociation entre les médias d’information australiens, les entreprises et les plateformes numériques, et pour aider à soutenir la durabilité du journalisme d’intérêt public. Les médias qui servent une fonction d’intérêt public et qui emploient des gens se présentent sous différentes formes. Le code et les efforts de négociation collective ont produit des résultats positifs pour les petites entreprises de médias d’information comme les deux qui comparaissent devant vous aujourd’hui.
Honorables sénateurs, la balle est maintenant dans votre camp. D’autres pays observent ce que vous faites avec un vif intérêt, et le mouvement prend assurément de l’ampleur. Plus que jamais, nous devons soutenir les nouvelles locales pour bâtir la confiance, lutter contre la désinformation et renforcer notre démocratie. Je vous exhorte à ne pas vous laisser impressionner par les menaces des grandes entreprises technologies et à adopter la loi pour sauver vos services d’information locaux. Merci.
Le président : Je cède maintenant la parole à M. Gibbons ou à M. Gogos du Star Observer. Vous avez la parole pendant cinq minutes.
Lawrence Gibbons, éditeur de groupe, Star Observer et City Hub et coprésident de Public Interest Publishers Alliance, Star Observer : Monsieur le président et honorables sénateurs, je vous remercie de nous avoir invités à prendre la parole au sujet du projet de loi C-18. Je suis l’éditeur du Star Observer, le plus grand et le plus audacieux média d’Australie, et de City Hub, qui se fonde sur des hebdomadaires de nouvelles alternatifs nord-américains comme le Now de Toronto, où j’ai été expert-conseil avant de déménager en Australie en 1995.
Je suis également coprésident de la Public Interest Publishers Alliance, un groupe de 24 petits éditeurs australiens indépendants.
Aujourd’hui, je suis accompagné par Christopher Gogos, membre de la Public Interest Publishers Alliance. Il est l’éditeur de Neos Kosmos, la principale publication de la communauté grecque australienne. Il est également le directeur d’Independent Multicultural Media Australia.
Au cours des derniers mois, pendant que le projet de loi C-18 faisait son chemin jusqu’au Sénat, la désinformation à son sujet s’est propagée comme une maladie sociale. Certains médias canadiens ont rapporté à tort que seuls les grands conglomérats de médias avaient conclu des contrats avec les entreprises technologiques en Australie. C’est une fausse nouvelle. Nous le savons mieux que quiconque. Notre groupe de 24 petits éditeurs indépendants a conclu une entente avec Google, et nous n’étions pas les seuls. Un plus grand groupe de journaux régionaux, le Country Press Australia, a également conclu une entente, tout comme un éventail de petits et moyens titres individuels.
Notre groupe, la Public Interest Publishers Alliance, est composé de titres indépendants, qui servent une bonne vingtaine de communautés distinctes dans des marchés disparates d’un bout à l’autre de l’Australie. Nous avons notamment des éditeurs multiculturels, des médias LGBTQ, des publications marginales rurales et urbaines et des titres indépendants qui couvrent des intérêts communautaires vitaux allant du réchauffement climatique aux droits des femmes en passant par les arts. Chacun de nos éditeurs membres est déterminé à produire du journalisme d’intérêt public. Nous sommes en faveur du principe à l’ancienne selon lequel une société civile a besoin d’une presse farouchement indépendante pour informer les citoyens, mobiliser la communauté et exiger au gouvernement la vérité. Aucun algorithme secret ne pourrait jamais remplacer l’importance du quatrième pouvoir d’une démocratie fonctionnelle.
Pourtant, malgré le rôle important que joue le journalisme dans nos sociétés libérales, le duopole numérique constitue une menace pour l’existence même du journalisme dans le monde entier. Ensemble, Google et Facebook, ou Meta, absorbent plus d’un tiers de l’ensemble des recettes publicitaires mondiales, ce qui rend de plus en plus difficile la survie des éditeurs créateurs de contenu. Si des démocraties comme le Canada et l’Australie veulent préserver une couverture médiatique locale diversifiée, il n’y a pas d’autre choix que d’exiger de Google et Meta qu’ils concluent des accords avec les éditeurs, grands et petits.
En réponse au dépôt du projet de loi C-18, les géants du Web ont financé une campagne de propagande massive menaçant de retirer du contenu d’informations de leurs plateformes d’un bout à l’autre de l’Australie. En tant qu’Australiens, nous sommes passés par là. En 2021, lorsque notre Parlement débattait d’une loi similaire, Facebook a cessé de publier des nouvelles sur sa plateforme. Puis, après quelques semaines, les informations sont revenues. Contrairement à ce qui est dit, un éventail de petites entreprises médiatiques indépendantes se sont assises à la table des négociations. C’est possible grâce à la loi australienne. Ce qui est important, c’est que la loi a permis aux éditeurs indépendants d’unir leurs forces pour négocier collectivement avec les entreprises technologiques mégatransnationales.
Au Canada, le projet de loi C-18 tel que modifié par la Chambre des communes permettrait aux éditeurs indépendants et familiaux de se joindre aux grandes publications dans le cadre de négociations collectives. La crainte que le duopole numérique ne traite qu’avec les grandes entreprises médiatiques n’est pas sans fondement. Si nous les laissions faire, Google et Meta ne négocieraient qu’avec quelques mégaentreprises médiatiques dans une tentative cynique d’acheter les plus grands acteurs et d’amadouer le gouvernement.
C’est exactement ce qui se passe au Canada sans le projet de loi C-18. Pour contrecarrer la loi, Google et Meta ont commencé à conclure des accords de licence de contenu exclusif avec des éditeurs plus importants, à l’exclusion de nombreuses publications francophones, multiculturelles, LGBT et des Premières Nations.
S’il y a un message que nous pouvons envoyer à nos cousins du Commonwealth, c’est celui-ci : seule l’adoption d’une loi obligeant le duopole numérique à négocier avec un éventail d’éditeurs d’intérêt public garantira que les Canadiens continueront d’avoir le paysage médiatique riche et diversifié qu’ils méritent si pleinement. En l’absence d’une telle loi, le paysage canadien sera presque inévitablement de moins en moins présent.
Le président : Je vous remercie, monsieur. Malheureusement, nous éprouvons des difficultés techniques avec M. Rod Sims. Nous ne le voyons plus. Je propose, chers collègues, de passer aux questions et réponses de nos témoins. Si M. Sims revient à un moment donné, nous lui donnerons l’occasion d’intervenir.
La sénatrice Simons : J’ai entendu beaucoup de gens parler des merveilles de l’accord australien, mais j’ai des questions. En mars dernier, News Corp Australia a annoncé qu’elle licenciait 1 250 personnes de ses salles de rédaction, ce qui représente une réduction de 1 employé sur 20. Quand j’ai demandé à M. Sims par le passé s’il pouvait me dire combien d’argent les autres éditeurs indépendants avaient reçu des plateformes, il m’a répondu que ces transactions étaient confidentielles. Il n’y a aucun moyen de savoir combien d’argent sera réellement injecté dans les salles de rédaction et de savoir s’il y a eu une augmentation nette des embauches de journalistes ou de la production de nouvelles.
Comment puis-je avoir la certitude que cela fonctionne réellement étant donné que plus d’un millier de journalistes ont perdu leur emploi une fois que Rupert Murdoch a conclu cet accord?
Mme McDonald : Madame la sénatrice, c’est dommage que Rod Sims ne soit pas disponible pour répondre à cette question lui-même, mais je suis au courant d’un récent rapport publié par The Australia Institute, qui indique que le nombre d’offres d’emploi a augmenté de 46 % depuis que le code de négociation a été instauré en Australie.
Il existe donc des preuves — et je peux veiller à ce que vous receviez une copie du rapport et à ce qu’il soit présenté au comité — qui démontrent que le nombre d’emplois a en fait augmenté.
Rupert Murdoch est l’un des nombreux éditeurs qui ont conclu des accords. Peut-être devrais-je laisser M. Gogos et M. Gibbons en parler, étant donné qu’ils sont de petits éditeurs, mais nous pouvons certainement vous envoyer le rapport de The Australia Institute afin de vous présenter des données sur l’emploi.
Chris Gogos, éditeur de Neos Kosmos et directeur d’Independent Multicultural Media Australia : Permettez-moi de faire part de mon expérience et de mon opinion sur le sujet. Le code de négociation nous a donné, à nous, les petits éditeurs, la capacité non seulement de garder nos employés, mais aussi d’ajouter des journalistes à notre personnel et d’accélérer notre transformation vers l’ère numérique, qui est essentielle pour qu’une publication durable de notre taille soit viable. C’est aussi simple que cela. Nous avons été témoins des résultats positifs de l’accord.
M. Gibbons : J’appuie ce que M. Gogos a dit. En tant que petit éditeur indépendant, les ressources que nous avons reçues nous ont permis d’embaucher des journalistes, mais l’accord nous a aussi donné les ressources nécessaires pour restructurer notre site Web et investir dans notre transformation numérique, ce qui est tout aussi important. Franchement, il faut être naïf, en tant que société d’édition indépendante, pour penser que les ressources qui nous permettent d’élargir notre portée numérique et celles qui nous permettent de renforcer notre capacité en matière de publicité ne contribuent pas à l’existence et la viabilité globale de la publication, parce que tous ces éléments sont intégrés. Sans l’investissement que nous avons reçu de Google au cours de la dernière année, notre entreprise se trouverait dans une situation extrêmement différente après la pandémie.
La sénatrice Simons : Je ne demanderai pas combien d’argent vous obtenez, mais je dirai simplement ceci. Nous avons été informés que si le projet de loi C-18 entre en vigueur au Canada, il paiera 35 % des coûts de fonctionnement des salles de nouvelles canadiennes. Recevez-vous près de 35 % de vos budgets de fonctionnement de ces contrats?
M. Gibbons : Je dois vous dire que nous sommes assujettis à une entente de non-divulgation qui nous empêche de fournir ces renseignements. En tant que personne déterminée à assurer un journalisme transparent et la libre circulation de l’information, je trouve cela totalement inacceptable. Mais malheureusement, la loi est la loi, et je ne suis pas prêt à enfreindre mon accord de financement en vous fournissant cette information.
La sénatrice Simons : Jouons cartes sur table : j’ai été journaliste pendant 30 ans. Je crains que vous soyez redevables aux deux mastodontes — les deux entreprises qui contrôlent ce que nous voyons, qui fixent l’ordre du jour des nouvelles pour le monde, qui fournissent le paradigme par lequel nous comprenons ce qui se passe autour de nous. Vous leur êtes redevables au point d’avoir tous signé des accords de non-divulgation. Vous ne me dites pas combien d’argent ils vous ont donné, combien de journalistes de plus ils vous ont permis d’embaucher, et vous ne pouvez pas me répondre quand je dis que Rupert Murdoch, le plus grand baron de la presse d’Australie, a pris l’argent puis a licencié 5 % de son personnel, soit 1 250 personnes. C’est un chiffre que je veux comprendre. Je dois être convaincue que c’est réel et que cela vaut la peine au point de vendre votre âme à Google et Facebook.
M. Gogos : Je ne peux évidemment pas parler au nom de News Corp et de la façon dont ce groupe fait des affaires. Je suis un petit éditeur qui n’a pas accès aux colosses comme Google et Facebook — il est important de mentionner qu’il est en fait très difficile pour les petites entreprises comme la mienne d’accéder à ces sociétés et que notre accord de négociation collective nous a permis d’avoir en fait accès à ces sociétés, d’être à la table et d’avoir une discussion. Il aurait été impossible de le faire sans une telle loi. Il s’agit là d’un point très important à souligner du point de vue d’un petit éditeur.
Je suis visé par le même accord de non-divulgation; je ne peux donc pas répondre directement à votre question, mais je peux dire que les accords en place sont viables. Nous ne sentons jamais que nous sommes à la merci de qui que ce soit, qu’il s’agisse de Google ou Meta.
La sénatrice Simons : J’ai beaucoup d’autres questions, mais je cède la parole.
Le président : Je vois que M. Sims est de retour en ligne. S’il est prêt, nous lui donnerons la parole pendant cinq minutes pour qu’il fasse sa déclaration d’ouverture.
Rod Sims, professeur, Université nationale d’Australie, à titre personnel : Je suis désolé pour tout ce que Zoom me faisait subir. Cela ne m’est jamais arrivé auparavant. J’ai manqué une partie de ce qui a été dit. Je voudrais simplement présenter trois arguments.
Premièrement, comme il a été dit, le Code de négociation des médias d’information a été créé parce qu’il existait un déséquilibre énorme dans le pouvoir de négociation en ce sens que Google et Facebook ne parlaient même pas aux entreprises de médias, et ne consultaient assurément d’aucune façon les entreprises de médias sur le paiement pour leur contenu. C’était une impasse totale. Le Code de négociation des médias d’information a résolu ce problème. Nous avons alors vu des accords commerciaux qui n’auraient jamais pu être conclus entre les entreprises de médias et les plateformes numériques.
Deuxièmement, le code de négociation prévoyait trois dispositions principales. Parmi ces dispositions, notons l’obligation de négocier, et en cas d’échec, l’arbitrage, c’est‑à‑dire l’arbitrage de l’offre finale, entrera en vigueur. En outre, si une entente est conclue avec une société de médias, il faut en conclure avec beaucoup d’autres. Les plateformes auraient pu dire qu’elles ne veulent pas diffuser de nouvelles, mais si elles en affichent, elles doivent conclure une entente avec toutes les entreprises. La troisième disposition portait sur l’autorisation de la négociation collective, comme d’autres viennent de l’expliquer, d’après ce que je comprends.
Les résultats ont été excellents et correspondent à peu près à ce à quoi je m’attendais. Les plateformes ont versé aux médias en Australie une somme de plus de 200 millions de dollars par année. Google a conclu une entente avec tout le monde, et Facebook avec des entreprises qui emploient entre 85 et 90 % de journalistes. De nombreuses petites entreprises ont conclu une entente directe, mais deux groupes ont eu recours à la négociation collective. L’un était Country Press Australia, qui représente les plus petits acteurs et qui avait déjà un organisme de l’industrie qui travaillait en son nom, et l’autre a été formé par Minderoo, comme vous l’avez entendu.
Je dois dire que les petits acteurs ont reçu plus d’argent par journaliste employé que les grandes entreprises. Le mythe véhiculé à ce sujet, selon lequel les petits éditeurs ont été laissés pour compte, n’est qu’un mythe. Ils ont obtenu de très bons accords. Country Press Australia est extrêmement satisfait de ses accords, et je sais que vous avez entendu ce que Minderoo avait à dire à ce sujet.
Nous n’avons obtenu que récemment des données qui montraient une augmentation de 50 % dans l’embauche de journalistes une fois les accords prévus par le code conclus. Cela ne nous a pas surpris, parce que tous les journalistes du pays, pour les citer, disaient qu’il n’y a jamais eu de meilleur moment pour exercer leur métier en Australie. Une fois le code de négociation des médias achevé, nous avons vu des entreprises embaucher des journalistes, et les journalistes l’ont immédiatement remarqué.
Le Code de négociation des médias d’information, et je dirais l’équivalent canadien, est absolument nécessaire; sinon, les transactions commerciales ne seront pas équitables entre les plateformes et les entreprises de médias. Les entreprises de médias n’auraient jamais conclu d’accords sans l’existence d’un code de négociation des médias ou la possibilité qu’un tel code soit créé. C’est un fait en Australie. Il a été très fructueux et j’exhorte le Parlement canadien à adopter son équivalent. Merci. C’est tout ce que j’ai à dire.
Le président : Je vous remercie, monsieur Sims.
Le sénateur Cormier : Je souhaite la bienvenue aux témoins. Ma première question s’adresse à M. Sims. Je suis heureux d’apprendre qu’il y a de bonnes nouvelles, mais je dois vous dire ceci.
[Français]
Dans son mémoire, le Fonds canadien de la radio communautaire exprime de grandes réserves quant à la réussite du bargaining code australien, car la quasi-totalité des radiodiffuseurs communautaires australiens n’aurait pas pu bénéficier d’ententes.
Essentiellement, selon les informations qu’ils nous ont soumises, parmi les 455 stations de radio communautaires en Australie, moins d’une douzaine auraient conclu des ententes et appartiendraient pour la majorité à Rupert Murdoch. Pouvez‑vous commenter cela et nous dire comment nous devrions faire en sorte que les radios communautaires puissent bénéficier de cette aide dans le cadre du projet de loi C-18?
Puisque nous éprouvons des difficultés techniques, je crois que le président me permettra de poser une question à Mme McDonald.
Je crois comprendre que de petits médias australiens qui avaient été acceptés par le Australian Communications and Media Authority à titre de médias admissibles à conclure des ententes ne le faisaient pas, en raison de la lourdeur administrative.
Pouvez-vous nous dire comment l’initiative Frontier Technology a apporté du soutien à ces petits médias? En matière de ressources, êtes-vous en mesure de nous donner des détails sur ce que Frontier Technology offre et à combien évaluez-vous les services que vous offrez à Public Interest Alliance?
Ma deuxième question pour vous est la suivante : je crains qu’avec le projet de loi C-18, les petits médias canadiens aient aussi de la difficulté à conclure des ententes volontaires. Avez‑vous des recommandations pour nous dans le contexte du projet de loi C-18?
[Traduction]
Mme McDonald : Je vous remercie de vos questions. En ce qui concerne la façon dont nous avons aidé les petits éditeurs, je dois tout d’abord reconnaître le soutien de la Australian Competition and Consumer Commission, l’ACCC, qui a rendu le processus de négociation collective extrêmement facile. Les éditeurs étaient frustrés; ils se sont présentés devant l’ACCC. J’ai parlé avec l’ACCC de la possibilité de les aider. Au départ, j’ai établi un contact avec Lawrence Gibbons, et puis il — vous rirez peut-être au Canada de l’expression que j’utilise — a réussi la quadrature du cercle, pour ainsi dire. Il a rassemblé tous les éditeurs qui souhaitaient participer à la négociation collective de la Minderoo Foundation pour eux.
L’une des raisons pour lesquelles le processus de l’ACCC était si facile, c’est qu’il s’agissait simplement d’un exercice de remplissage de formulaires où je devais énumérer les éditeurs. Ils devaient toutefois respecter une condition : avoir un chiffre d’affaires annuel de 10 millions de dollars australiens ou moins pour participer à cette forme particulière de négociation collective.
Une fois que nous avons déposé les formulaires de demande de négociation auprès de l’ACCC, nous avons informé Google et Facebook. Nous avons négocié avec Google — pas avec Facebook, comme je l’ai mentionné dans ma déclaration d’ouverture. J’ai rencontré régulièrement des représentants de Google. J’ai convoqué des réunions avec le groupe d’éditeurs afin de les informer de la façon dont les discussions se déroulaient avec Google. M. Gibbons et d’autres ont également organisé des réunions distinctes pour ce groupe afin de l’aider à comprendre ce qui se passait dans le processus de négociation.
Comme je l’ai dit, après environ six mois, nous sommes arrivés à un point où les éditeurs étaient tous satisfaits de l’offre de Google. J’espère que cela répond à votre première question.
Le sénateur Cormier : Oui. Voici ma deuxième question : avez-vous des recommandations pour nous, parce que je crains que les petits médias éprouvent des difficultés dans les négociations?
Mme McDonald : Ils éprouveront des difficultés. Je pense qu’il sera particulièrement difficile pour les éditeurs indépendants de conclure des accords volontaires s’ils le font seuls. Votre gouvernement et vos organismes de réglementation pourraient examiner un modèle similaire à celui qui a été instauré en Australie — ce qui nous a permis de travailler assez facilement ensemble — qui constituerait un excellent ajout à votre loi. Le regroupement facilité de parties comme la Minderoo Foundation, Country Press Australia ou les associations industrielles qui existent déjà au Canada et qui peuvent travailler avec des éditeurs... Il faudrait les réunir et faire la négociation collective — je vais laisser MM. Gibbons et Gogos en parler. Je crois que le tout a été extrêmement avantageux pour eux et pour le groupe Country Press Australia.
La sénatrice Miville-Dechêne : J’aimerais poser une brève question que mon collègue a essayé de poser à M. Rod Sims, mais il n’entendait pas à ce moment-là. Vous avez parlé d’une augmentation de 50 % du nombre de journalistes dans l’ensemble de l’industrie. Quel est le taux de maintien en poste? J’aimerais surtout entendre ce que vous avez à dire sur le licenciement ou la démission de 1 journaliste sur 20 à News Corp, l’empire Murdoch. Il a reçu beaucoup d’argent des plateformes et ne semble pas l’avoir investi dans le journalisme. Qu’est-ce que cela dit du modèle australien?
M. Sims : Il s’agissait d’une augmentation de 50 % du nombre d’embauches. Le nombre de nouveaux journalistes embauchés a augmenté de 50 %. Il ne s’agissait pas d’une augmentation de 50 % du nombre de journalistes. Nous l’avons constaté dans de nombreuses entreprises de médias. Si je me souviens bien, il y a eu une réduction chez News Corp. Je me souviens qu’il a fait des coupures à certains moments et des embauches supplémentaires à d’autres moments. J’ignore toutefois quel en a été le résultat net.
News Corp, je suppose, a probablement obtenu un peu moins de 20 % de l’argent, et il représente environ 20 % de l’activité médiatique en Australie. C’est une entreprise. Je sais que les autres grandes entreprises, comme ABC, Nine, Seven et The Guardian, ont toutes embauché davantage. Tout ce que je peux dire à propos de News Limited, c’est qu’à certains moments, il y a eu des licenciements, et qu’il y a certainement eu d’autres périodes d’embauches. Veuillez m’excuser, mais j’ignore l’incidence nette de ces deux éléments.
Je sais que dans l’industrie du journalisme en Australie, le code a entraîné l’embauche d’un grand nombre de journalistes.
La sénatrice Miville-Dechêne : Avez-vous de l’information sur le taux de maintien en poste? Les journalistes qui ont été embauchés sont-ils compris dans cette donnée ou vous est-il impossible de me donner des chiffres plus précis?
M. Sims : Je sais avec certitude que les journalistes embauchés par ABC, le diffuseur public de très grande envergure, sont toujours en poste. Je sais qu’à Guardian Australia, les journalistes sont toujours en poste parce que je sais combien ils étaient avant le code de négociation et combien ils sont depuis. Les journalistes supplémentaires embauchés, qui représentaient une augmentation d’environ 50 % dans le journalisme, sont toujours en poste. J’ignore si c’est le cas à Nine, Seven et News Limited. Nous n’avons tout simplement pas ces données.
La sénatrice Miville-Dechêne : Je vais passer à un autre sujet, qui est la négociation. Vous avez dit que les petits médias ont négocié de leur côté en tant que groupes, et que les grands médias ont négocié individuellement. À ce stade-ci, nous avons une grande coalition qui rassemble les petits et les grands médias; elle se nomme News Media. Elle compte environ 560 journaux en général, grands et petits, et ils veulent négocier collectivement.
Dans le cas du modèle australien, vous dites que les petits médias ont obtenu plus de leurs négociations que les gros médias en ce qui concerne le pourcentage. Est-il logique qu’un si grand nombre de petits et de grands médias — nous parlons de plus de 500 journaux — se regroupent? Qui sortira gagnant et perdant de ce regroupement, selon vous?
M. Sims : Nous avons certainement constaté que les accords individuels offraient des avantages. Je dois dire que des acteurs importants ont conclu des accords individuels, tout comme des acteurs de taille moyenne et certains acteurs de plus petite envergure. Certaines des très petites entreprises de médias d’Australie ont conclu leurs propres accords.
Comme je l’ai mentionné, deux groupes ont négocié collectivement. Il y a d’abord Country Press Australia, qui vise de très petites villes où se trouvent de petits journaux comptant deux ou trois employés. Il a fait une excellente affaire. Je pense que la Minderoo Foundation a elle aussi fait un excellent travail avec d’autres. Certains des petits médias ont conclu leurs propres accords, tandis que d’autres ont conclu des accords collectifs.
Les petits acteurs ont obtenu plus par journaliste que les grands. À mon avis, c’est réellement aux entreprises de médias qu’il appartient de déterminer la façon dont elles veulent le faire. Je n’ai aucun problème à ce qu’elles se réunissent pour négocier collectivement en tant que grand groupe. Cela signifie que des accords seront conclus. Cela signifie que ces entreprises en tireront certains avantages. Comme l’a dit Emma McDonald, il faut avoir un mécanisme pour aider certains des très petits joueurs. Country Press Australia comptait en fait sur une organisation de l’industrie qui pouvait travailler en son nom. Si, au Canada, vous avez une organisation de l’industrie qui couvre un plus grand nombre d’intervenants, petits et grands, je n’ai aucun problème à ce qu’elle négocie au nom de ses membres. Il n’y a pas grand-chose dans ces accords en ce qui concerne le montant d’argent. Ce que je dis, en fait, c’est que les petits joueurs en Australie n’étaient aucunement désavantagés. Je n’ai toutefois aucun problème à ce que tous les joueurs, petits et grands, se regroupent pour négocier collectivement.
Le président : Je vous remercie, monsieur Sims.
Le sénateur Cardozo : Je vous remercie, et je souhaite la bienvenue à nos invités qui nous arrivent d’Australie. Je vous souhaite une belle matinée si vous venez de l’Australie-Occidentale; il est évidemment assez tôt. Merci de faire cela pour nous.
J’ai une question à poser à M. Sims. Lorsque vous examinez le domaine dans son ensemble, croyez-vous que nous assistons au choc des titans, où des gouvernements démocratiquement élus étudient une politique et se font menacer par des entreprises du secteur privé? À quel point devrions-nous prendre cette menace au sérieux? Je me demande si vous avez une idée du montant d’argent en jeu. S’agit-il de 200, de 300 millions de dollars? Savez-vous quel est le chiffre approximatif global?
En ce qui concerne les deux autres témoins, j’aimerais que vous nous fassiez part de vos réflexions sur les menaces à votre indépendance. On a dit que ces accords avec ces grandes sociétés équivalaient à, comme ma collègue l’a mentionné, « vendre son âme ». Est-ce différent des accords que vous concluez avec vos principaux annonceurs? Vous avez une minute chacun pour vous exprimer sur ces questions.
M. Sims : D’accord, merci beaucoup. Lorsque Google a menacé de bloquer son moteur de recherche en Australie, et que Facebook a menacé de retirer toutes les nouvelles et tous les avis d’urgence de sa plateforme, la population australienne a fortement contesté. Elle estimait que Google et Facebook étaient irrespectueux envers l’Australie et les politiciens australiens. Je pense qu’il y a là une question démocratique sous-jacente.
Je dois simplement ajouter qu’il est très difficile pour Google de retirer son moteur de recherches en Australie, et qu’il sera extrêmement difficile de le faire au Canada aussi. Dès que Google a menacé d’éliminer la capacité de recherche en Australie, le président-directeur général de Microsoft s’est entretenu avec le premier ministre australien le lendemain afin de proposer de lancer Bing. Je ne dis pas que Bing est une solution de rechange parfaite, mais je crois que Google doit réfléchir très sérieusement. Elle détient environ 90 % de la capacité de recherche partout dans le monde développé. Si Google quittait un grand pays comme le Canada et qu’un nouveau concurrent pouvait faire son entrée, je pense que cela lui poserait une grave menace. Je ne sais pas au juste si Google allait mettre sa menace à exécution en Australie. Je suis porté à croire qu’elle ne le ferait pas au Canada.
Le financement global était de plus de 200 millions de dollars australiens par année. Je pense que la somme pourrait avoisiner les 250 millions de dollars australiens. Je ne suis pas certain, mais je sais que les accords de quatre à cinq ans totalisent un montant bien supérieur à 200 millions de dollars australiens par année.
Le sénateur Cardozo : Madame McDonald et monsieur Gibbons, avez-vous une brève observation à faire sur votre indépendance éditoriale une fois que vous avez signé ces accords?
M. Gibbons : Je suis ravi de parler de l’indépendance éditoriale. Nous n’avons eu aucune discussion avec Google sur le contenu de nos sites. Franchement, c’est un géant, et je ne pense pas qu’il se soucie de ce que nous publions. En fait, je n’ai eu aucune discussion avec eux au sujet de ma comparution devant le comité, ce qui m’a fasciné.
Les dirigeants de Google m’ont dit que le fait que je conclue une entente avec eux ne signifiait pas qu’ils me réduisaient au silence, ce dont je suis reconnaissant. Je dois dire que le fait que Google soit bénéficiaire financier de ma petite entreprise s’est en fait avéré un excellent outil. Je profite non seulement des ressources financières, mais aussi de l’expertise et des conseils sur la croissance et le maintien de mes activités. J’en suis très reconnaissant.
J’ajouterais que le problème avec la loi australienne, c’est que Facebook et Google n’ont jamais été réellement désignés aux termes de la loi parce que le trésorier a choisi de ne pas le faire. Cela signifiait qu’il appartenait à ces sociétés de décider si elles allaient ou non nous parler. Les représentants de Google ne nous ont pas parlé individuellement tant que nous n’avions pas négocié collectivement et que nous n’étions pas soutenus par le groupe philanthropique de l’un des hommes les plus riches d’Australie. Facebook a choisi de ne jamais traiter avec nous et a décidé, en fait, de ne pas discuter avec beaucoup de gens. C’est l’une des failles qui est ressortie de la loi australienne sous sa forme actuelle. Elle n’a tout simplement jamais été appliquée.
Mme McDonald : Sénateur, étant donné que je ne suis pas une éditrice, je ne peux pas m’exprimer à ce sujet. Il vaudrait sans doute mieux que M. Gogos en parle. Comme je l’ai dit au début, j’ai travaillé dans des entreprises de médias pendant la majeure partie de ma carrière avant d’occuper ce poste. Je sais que ce n’est pas une panacée. C’est l’un des outils de la trousse dont nous avons besoin pour aider les éditeurs à l’avenir. La loi a fait un excellent travail en Australie, mais ce n’est que le début de l’histoire, et pas la fin. Je pense que vous ferez les mêmes constats si vous adoptez cette loi. C’est une loi importante, et je comprends les inquiétudes sur la dépendance à Google et Facebook, mais la situation n’est pas différente de celle d’un annonceur de très grande envergure, comme un constructeur automobile ou une chaîne de supermarchés d’envergure. Il aide à financer votre entreprise. Les médias commerciaux sont fondés sur la réception de fonds d’autres entreprises commerciales.
La sénatrice Dasko : Je remercie nos témoins d’être venus aujourd’hui. Je veux essayer de comprendre quel a été le fondement des négociations entre les médias et les deux plateformes, particulièrement les différences entre la façon dont les organisations ont négocié et traité différemment avec les deux entreprises.
Je ne sais pas si l’éditeur, M. Gibbons, est en mesure de nous donner de l’information à ce sujet. Madame McDonald ou monsieur Sims, pouvez-vous me dire quelles étaient les attentes de Google par rapport aux attentes de Facebook? J’essaie de comprendre ce qui a servi de fondement au financement et surtout les différences entre les deux. J’espère que ma question était assez claire.
M. Sims : Je serai ravi de répondre en premier, si vous me le permettez.
Au cours de la discussion et de la période précédant l’adoption de la loi, Google s’est toujours entretenu avec l’ACCC, que je présidais à l’époque, de même qu’avec le gouvernement. Facebook ne l’a pas fait, et a donc toujours adopté une position très différente. Google s’inquiétait de tout ce qui menaçait l’intégrité de son algorithme. Une fois qu’il a été convaincu que cela ne posait aucun problème, il a participé aux négociations, et ce, même s’il n’aimait pas le code. Facebook voulait seulement que tout cela disparaisse. Il a négocié parce qu’il craignait d’être désigné. Nous avons toujours pensé que la menace de l’arbitrage nous donnerait le résultat que nous voulions. En fin de compte, c’est la menace de désignation qui a convaincu la société.
Je peux donc seulement dire que Google avait une approche beaucoup plus proactive que Facebook.
La sénatrice Dasko : Je vais reformuler ma question : les entreprises ont-elles obtenu plus d’argent de Google que de Facebook?
M. Sims : Oui, c’est bien le cas. Nous croyons que c’est approprié parce que Google est beaucoup plus grand que Facebook et reçoit plus d’argent publicitaire. Le problème réside dans le fait que Google a conclu des accords seulement avec des entreprises qui emploient 85 % de journalistes.
Dans les cas où les deux sociétés concluaient des accords, nous estimions que l’argent versé était approprié en fonction de leur part de gain. Oui, Google payait plus, mais c’est ce à quoi nous nous étions toujours attendus. Nous pensions que ce ratio était à peu près juste.
M. Gibbons : Je voudrais simplement faire quelques remarques. Premièrement, l’Australie a toujours été le marché médiatique le plus monopolistique du monde libre. Quand M. Sims dit que 85 % des emplois dans les médias et le journalisme sont regroupés dans quelques entreprises australiennes, et que celles-ci ont obtenu la majeure partie de l’argent, il s’agit tout simplement de la réalité commerciale du marché.
Deuxièmement, pour ce qui est de la structure des accords — nous avons réussi la quadrature du cercle en réunissant notre groupe de 24 éditeurs, comme Emma McDonald l’a décrit —, ce regroupement n’était pas une coïncidence. En vertu du code de négociation des médias en Australie, les éditeurs étaient invités à s’inscrire à un registre des médias. C’était une tâche assez ardue. Nous avons dû remplir des formulaires et prouver que nous étions des éditeurs d’intérêt public et que nous atteignions tout un seuil gouvernemental. La majorité des membres de la Public Interest Publishers Alliance étaient inscrits au registre du gouvernement, et je peux parler au nom de M. Gogos, qui fait partie du groupe. Nous avons supposé qu’une fois inscrits sur ce registre, nous serions assis aux premières loges en ce qui concerne les négociations avec Google et Meta. Nous avons donc envoyé individuellement des lettres à chacune des entreprises pour leur annoncer que nous étions inscrits au registre et que nous étions prêts à discuter. Et nous avons envoyé des tonnes de courriels, et rien ne s’est passé; personne n’a répondu. C’est dans cet état de frustration que nous avons communiqué avec l’ACCC, qui nous a informés du mécanisme de négociation collective, qui nous a ensuite présenté Emma McDonald et qui a permis notre travail avec elle.
En fin de compte, Google a finalement répondu à nos appels une fois que nous nous sommes regroupés et que nous recevions l’appui d’Emma McDonald et de la Minderoo Foundation. Meta ne nous a jamais parlé, ne nous a jamais rappelés, et nous a dirigés vers son processus de subvention pour les petits éditeurs. Je vous fais une confidence : M. Gogos et moi avons tous deux obtenu des fonds de Meta. Cependant, je peux dire qu’il s’agit d’une fraction de l’argent que nous avons reçu de Google.
La sénatrice Wallin : Je poserai ma question à M. Gibbons. Dans nos discussions, nous parlons toujours de la loi australienne. En fait, elle n’a jamais vraiment vu le jour. C’est la menace de la loi qui a en fait mené à toutes les négociations, même si elles ont été mal gérées. Pourriez-vous le confirmer?
M. Gibbons : Je le confirme totalement. Je sais que l’avis d’autres personnes diffère, mais je peux vous dire qu’un certain nombre d’éditeurs indépendants n’ont pas conclu d’accord. Je peux également affirmer que bon nombre de ces éditeurs qui ont choisi de ne pas participer au processus de négociation collective n’ont jamais obtenu d’accord en fin de compte.
Même si la menace de désignation a amené Google à la table, elle n’a pas fait un pli sur la différence pour Facebook. Voici ce que je retiens en fin de compte de la loi canadienne, selon mon interprétation. Premièrement, il n’appartient pas à un politicien de décider s’il convient de céder au pouvoir du duopole numérique; deuxièmement, la désignation est plus susceptible de se produire; et troisièmement, les petits éditeurs de médias indépendants ne sont pas laissés à eux-mêmes, mais sont plutôt intégrés à la loi depuis le début.
Je lève mon chapeau au Canada, et j’espère que tout le monde conclura des accords.
La sénatrice Wallin : L’une des préoccupations ici est que nous donnons le pouvoir à un organisme de réglementation de la radiodiffusion — je dirais presque « désuet » — qui devra acquérir une expertise dans ce domaine particulier. Nous donnons à cet organisme, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, ou CRTC, le pouvoir de désigner des entreprises comme bon lui semble. Qu’en pensez-vous? Ce n’est peut-être pas un politicien qui le fait, mais c’est un organisme de réglementation dirigé par des politiciens.
Mme McDonald : En ce qui concerne le CRTC, qui est votre autorité en matière de communications et qui ressemble, je crois, à notre autorité australienne des communications et des médias, je ne connais pas assez votre organisme de réglementation pour me prononcer avec une grande assurance. Mais j’aurais certainement confiance en l’organisme de réglementation des communications et des médias, l’Australian Communications and Media Authority, qui comprend le fonctionnement du secteur des médias et qui comprend certainement les perturbations numériques. Elle étudie l’impact des médias sur les plateformes numériques depuis très longtemps. Elle a travaillé aux côtés de la Australian Competition and Consumer Commission au fil des ans pour formuler des positions stratégiques. Elle fait partie de la loi actuellement en vigueur, c’est-à-dire que, même s’il s’agit d’une loi sur la concurrence, c’est l’Australian Communications and Media Authority qui enregistre les organisations de médias dont parlait Lawrence Gibbons, étant donné que c’est elle qui connaît le mieux l’industrie des médias.
À mon avis, il est logique que ce soit elle qui effectue les désignations. D’une certaine façon, c’est probablement mieux que de confier cette décision au trésorier, dont l’attention peut être difficile à obtenir, étant donné qu’il gère tant de choses au sein de notre pays. C’est mon point de vue.
La sénatrice Wallin : Ma question portait davantage sur le processus de désignation unilatérale.
Mme McDonald : Donc, Facebook est désigné, et ensuite...
La sénatrice Wallin : Non, veuillez m’excuser. Nous verrons, mais la loi prévoit que l’organisme de réglementation peut exiger des éditeurs désignés qu’ils paient, et des organismes désignés qu’ils versent la fameuse taxe sur les liens. Mais ce n’est pas ainsi que fonctionne votre système parce que la loi n’est jamais entrée en vigueur.
M. Sims : Puis-je simplement dire que la loi est bel et bien entrée en vigueur?
Mme McDonald : Exactement. J’allais le dire. Je suis d’accord avec vous, monsieur Sims. Continuez. La loi existe. Elle est tout à fait en vigueur.
M. Sims : Dans ses dernières discussions avec Facebook d’un côté, et Google de l’autre, le trésorier a compris que les deux sociétés ne voulaient pas être désignées. Google et Facebook n’ont pas voulu être désignés à cause du précédent que cela pourrait créer dans le monde entier.
Le trésorier a dit que le texte législatif est la loi du pays. C’est bel et bien inscrit dans les recueils de lois. L’étape suivante consiste à déterminer si le trésorier désignera Google et Facebook. Il a dit qu’il n’y aurait pas lieu de désigner les deux sociétés si elles concluaient beaucoup d’accords. Elles ont donc conclu beaucoup d’accords en un temps record. En l’espace de six mois, tout cela était pratiquement fait. C’est ainsi que les choses se sont passées.
Le président : Je vous remercie, monsieur Sims. Je suis désolé de vous interrompre, mais le temps de parole de la sénatrice Wallin est écoulé.
La sénatrice Clement : Bonjour, je vous remercie d’être ici. Madame McDonald, nous regroupons bel et bien des gens au Canada, de sorte que je saisis votre allusion.
Ma première question s’adresse à vous et elle porte sur le fait que vous êtes passés d’une politique de concurrence à un modèle économique. Au Canada, nous nous intéressons vivement à la concurrence ou à son absence. Pourquoi cela s’est-il produit? Pourquoi donc êtes-vous passés de cette politique au modèle économique?
Compte tenu de ce que M. Gibbons vient de dire à propos de Facebook, de Meta et des difficultés rencontrées, ne serait-il pas préférable d’avoir un modèle économique, qui prévoirait un pourcentage déterminé du budget des dépenses éditoriales d’un journal pour tous au lieu de conclure des accords secrets? Madame McDonald, et tous ceux qui veulent s’exprimer, j’aimerais savoir ce que vous en pensez.
Mme McDonald : Je céderai la parole à M. Sims, qui est l’expert en économie et en politique de concurrence. J’ai travaillé pour le ministre des Communications et mes antécédents professionnels appartiennent davantage au domaine des affaires juridiques et de la réglementation des médias. Il serait inapproprié pour moi d’en parler alors que je n’ai aucune autorité dans ce domaine. Je cède donc la parole à M. Sims.
M. Sims : Je serai très bref. Nous avons décidé de ne pas en faire une question de droit d’auteur, mais plutôt une question d’emprise sur le marché. L’ACCC, l’organisme de réglementation de la concurrence, se penche beaucoup sur la question de l’emprise sur le marché. L’ACCC ne traite pas seulement du droit de la concurrence; elle tranche également les questions relatives à l’emprise sur le marché. C’est pourquoi la question a été portée à son attention. Cependant, vous avez raison; il s’agit d’un concept économique ici. Nous cherchons à savoir comment surmonter le problème de l’emprise excessive de Google et Facebook sur le marché. Vous avez donc raison; c’est un résultat économique plutôt qu’un résultat concurrentiel.
La sénatrice Clement : Pourquoi cela s’est-il produit? Pourquoi avez-vous fait ce choix, alors, s’il s’agit d’une question de monopole?
M. Sims : Nous avons réglé le problème du monopole de la même façon que nous le faisons toujours en Australie. Il existe un modèle établi comportant des positions de négociation et d’arbitrage. Nous essayons seulement de rééquilibrer le pouvoir de négociation. Une fois que l’équilibre est atteint entre la négociation et l’arbitrage, la société qui a tout le pouvoir ne peut plus dire au petit joueur de s’en aller. Les grandes sociétés doivent s’occuper des petits joueurs, sinon, elles se retrouveront en arbitrage.
La menace d’arbitrage rééquilibre le pouvoir de négociation, ce qui permet alors de conclure des accords commerciaux, et c’est ce que nous cherchions à réaliser. Nous voulions en fait que des accords soient conclus entre les médias individuels ou collectifs et les plateformes. Nous n’avons jamais voulu qu’il s’agisse d’accords publics. Nous n’avons jamais voulu que le gouvernement détermine le pourcentage. Nous voulions des accords commerciaux et c’est ce que nous avons eu.
Le sénateur Harder : Merci à nos invités de se joindre à nous. Je me souviens qu’il nous a fallu reporter votre comparution il y a plusieurs semaines à cause des travaux du Sénat. Je vous suis donc grandement reconnaissant de votre présence ici ce matin pour vous, et ce soir pour nous.
Je voudrais vous demander, selon vous, quelles sont les différences entre notre loi et la vôtre, ou quels sont les enseignements que notre loi tire de la vôtre. Nous avons parlé de désignation. M. Sims, pouvez-vous nous parler de la collecte de données et de la transparence dans la loi à l’étude par rapport à la vôtre? Avez-vous des commentaires à faire à ce sujet? Je profite de l’occasion pour parler un peu des leçons apprises, car l’Australie pourrait s’inspirer de ce qu’elle observe ici pour sa prochaine étape.
M. Sims : Je vous remercie de votre question. À mon avis, les dispositions relatives à la transparence des données dans le projet de loi canadien sont excellentes. C’est une lacune. L’ACCC est la seule organisation en Australie qui dispose des renseignements nécessaires pour nous dire que les accords s’établissaient à plus de 200 millions de dollars australiens. Il faudrait faire preuve d’une transparence accrue dans ce domaine. Je pense que la loi canadienne a compris la principale faille de la loi australienne.
La seule autre question est bien sûr la désignation automatique. À mon avis, cette disposition sera revue. Nous avons un nouveau gouvernement, qui a beaucoup de choses en tête. Je pense que Facebook finira par être désignée, mais je suis d’accord pour dire que l’absence de désignation automatique pose aussi un problème. À mon avis, la loi canadienne règle les deux problèmes que j’aurais vus.
Le sénateur Harder : J’aimerais poser une question distincte dans le même thème, monsieur Sims. D’ici cinq ans, où en seront non seulement l’Australie et le Canada, mais aussi d’autres pays ayant des régimes comme celui-ci? Google pourrait-il s’opposer à l’adhésion des États-Unis à un cadre semblable au vôtre ou au nôtre?
M. Sims : Nous savons que des accords comme celui-ci ont fait l’objet de discussions en Indonésie, dans certaines parties de l’Afrique et en Inde, et je pense que le Royaume-Uni sera le prochain pays à en discuter. À mon avis, une fois que ce sera adopté, un précédent immense sera créé dans le monde entier. Je ne peux pas parler au nom du parlement des États-Unis — les deux partis semblent avoir beaucoup de mal à s’entendre sur certaines choses —, mais j’ai l’impression qu’il existe un soutien bipartisan à l’égard d’un code de négociation des médias en Amérique; il est tout simplement trop difficile pour les partis de s’entendre sur ce genre de choses. Je pense qu’étant donné l’ampleur du mouvement, nous verrons beaucoup plus de codes de négociation comme celui-ci dans cinq ans.
Le sénateur Harder : Je vous remercie.
Le président : Je tiens à remercier M. Gibbons, M. Gogos, M. Sims et Mme McDonald d’avoir participé à notre étude et de nous avoir donné leur avis sur notre étude du projet de loi C-18. Je vous remercie infiniment.
Honorables sénateurs, pour notre deuxième groupe de témoins, je suis heureux d’accueillir Randy Kitt, directeur du secteur des médias d’Unifor. Nous accueillons Matthew Hatfield, directeur des campagnes d’OpenMedia, qui témoigne par vidéoconférence. Nous recevons les représentants du Internet Society Canada Chapter : Philip Palmer est président, et Sue Gardner est membre du Comité d’orientation. Je vous souhaite la bienvenue à tous et vous remercie de vous joindre à nous. Nous commencerons par la déclaration d’ouverture d’Unifor, puis celles d’OpenMedia et de Internet Society Canada Chapter suivront.
Chaque organisation dispose de cinq minutes pour faire sa déclaration d’ouverture, et nous passerons ensuite à la période de questions et de réponses. Je cède la parole à Unifor.
Randy Kitt, directeur du secteur des médias, Unifor : Je vous remercie. Avec ses plus de 310 000 membres, Unifor est le plus important syndicat du secteur privé du Canada. Notre syndicat représente plus de 10 000 travailleurs des médias, y compris des journalistes de l’industrie de la radiodiffusion et de la presse écrite.
Le journalisme vise à exiger la vérité du gouvernement, à raconter des récits canadiens et à bâtir une communauté. Le journalisme est un élément essentiel du fonctionnement de la démocratie, et il est en crise au Canada. Les recettes publicitaires des journaux communautaires ont chuté de 66 % entre 2011 et 2020. Pendant cette période, près de 300 journaux ont disparu ou fusionné avec d’autres publications.
L’histoire est semblable dans le domaine de la radiodiffusion. Des médias ferment, se regroupent et réduisent leurs effectifs. Même le nombre de membres d’Unifor confirme cette tendance. Prenons par exemple le Toronto Star : entre 2009 et 2022, le nombre de membres est passé de 610 à 178, soit une diminution de 70 %. En radiodiffusion, l’emploi a baissé de 16 % entre 2017 et 2021. Au cours de l’année écoulée, presque tous les principaux médias ont réduit leur taille, que ce soit par l’intermédiaire de licenciements, de rachats ou de l’attrition.
Il en résulte une diminution du journalisme et de la couverture médiatique locale. Les petites villes du Canada recevront maintenant la majorité de leurs nouvelles des grands centres — Toronto, Vancouver, Calgary et Montréal. Ces énormes écarts de couverture créent des déserts d’information.
Les médias sociaux se sont avérés une solution de rechange peu fiable. Les opinions non vérifiées colportées comme une vérité ont prouvé qu’elles nous divisent et dressent des voisins les uns contre les autres. Ils nous ont rendus plus polarisés que jamais. Des médias d’information canadiens forts ont la capacité de bâtir une communauté, au lieu de la démanteler.
Où est passé tout l’argent de la publicité? Les géants américains du Web Google et Facebook ont accaparé le marché mondial de la publicité. Leur position dominante sur le marché est un abus de pouvoir, et leur permet de dicter les modalités et le prix. Google fait l’objet d’une enquête au Canada et dans le monde entier pour avoir étouffé la concurrence, de sorte qu’il est presque impossible pour les éditeurs de soutenir la concurrence. Il est important de noter que les sociétés Google et Facebook ne produisent pas elles-mêmes de nouvelles, locales ou autres.
Comment sauver les nouvelles locales? Selon Unifor, le projet de loi C-18 est un élément crucial du casse-tête du financement. En termes simples, Google et Facebook doivent payer leur juste part et contribuer à la création de nouvelles canadiennes. Unifor appuie l’adoption rapide de ce projet de loi, car il est presque trop tard pour agir. Sans ce soutien, d’autres médias fermeront, car ils sont déjà sur le point de le faire.
Il est décourageant de constater qu’en ce moment même, pendant que Google et Facebook négocient des accords avec les éditeurs avant l’adoption du projet de loi, les sociétés menacent également de priver les Canadiens de l’accès aux nouvelles, et mettent même cette menace à exécution dans certains cas. Il s’agit d’un autre abus de pouvoir et de parts de marché, et cela montre qu’il est plus nécessaire que jamais d’adopter cette loi.
Le gouvernement ne doit pas céder à ces menaces; il doit plutôt s’opposer à ces monopoles et utiliser tous les outils de sa trousse pour s’assurer que les éditeurs obtiennent un accord équitable.
Unifor a évalué le projet de loi C-18 selon trois grands thèmes : l’inclusion, la responsabilité et la transparence.
En ce qui concerne l’inclusion, le projet de loi reconnaît que la diversité doit jouer un rôle clé et que les petits médias doivent être inclus. En outre, il est indépendant des plateformes et reconnaît plutôt les radiodiffuseurs et les baladodiffuseurs. Selon Unifor, tous les médias d’information admissibles devraient être inclus.
En ce qui concerne la responsabilité, Unifor soutient que cet argent devrait servir à la création de nouvelles. L’embauche de journalistes afin de raconter nos histoires et d’exiger la vérité au gouvernement est la mesure la plus importante pour évaluer le succès de cette initiative. Les bénéficiaires de cet argent devraient également être tenus de rendre des comptes.
En ce qui concerne la transparence, les plateformes ont veillé à ce que la valeur, la durée et les autres modalités des accords négociés jusqu’à présent soient assorties d’accords de non‑divulgation. Unifor soutient que les modalités de ces accords négociés devraient être rendues publiques.
Nous savons que ce projet de loi permettra au CRTC de nous présenter des données agrégées annuelles, comme celles que nous recevons actuellement dans l’industrie de la radiodiffusion. Unifor propose également que les arbitres aient un accès privilégié à la valeur de ces accords et à d’autres renseignements confidentiels pertinents afin qu’ils puissent prendre des décisions éclairées dans le processus d’arbitrage.
Unifor a présenté des amendements visant à renforcer le projet de loi dans ces trois thèmes. Je vous prie de le renvoyer au Parlement afin de consolider ces volets.
En résumé, l’industrie de l’information est en crise, et les nouvelles locales sont essentielles au bien public et au fonctionnement de la démocratie. Les Australiens nous ont montré qu’un code de négociation assorti d’un processus d’arbitrage peut réussir, et nous croyons que le projet de loi C-18 est une amélioration par rapport à la loi australienne. Unifor appuie l’adoption rapide de ce projet de loi. Ne nous laissons pas distraire par le bruit. Faisons adopter le projet de loi C-18 pour que nos lois sur les médias arrivent au XXIe siècle, et assurons un avenir durable aux nouvelles locales canadiennes. Je vous remercie.
Le président : Je vous remercie. C’est maintenant au tour de M. Matthew Hatfield d’OpenMedia.
Matthew Hatfield, directeur des campagnes, OpenMedia : Bonsoir. OpenMedia est un groupe communautaire de plus de 180 000 personnes au Canada qui travaillent ensemble pour assurer un Internet ouvert, accessible et sans surveillance. Je vous parle du territoire non cédé de la nation Tsawout.
Je suis ici pour parler de vérité et de confiance. Le projet de loi C-18 repose sur l’idée selon laquelle les plateformes en ligne perçoivent des revenus substantiels, revenus qui autrement seraient versés aux organes de presse, grâce au partage d’articles d’actualité sur leurs plateformes. Cette prémisse est tout simplement fausse.
Examinons-la de plus près et réinterprétons-la pour qu’elle soit vraie. Nous pourrions dire que les grandes plateformes en ligne gagnent beaucoup à faire partie du régime d’information de chaque Canadien. Puisque nous avons besoin d’un journalisme de qualité, pourquoi ne pas demander aux plateformes de participer financièrement à son soutien? Je crois cette affirmation.
Nous pourrions simplifier encore plus les choses. Nous pourrions dire que ces plateformes gagnent beaucoup de revenus au Canada, et qu’elles devraient en redonner plus au gouvernement, qui pourra utiliser l’argent comme il l’entend. Je suis aussi d’accord avec cette affirmation.
J’aurais aimé que le projet de loi C-18 repose sur l’une ou l’autre de ces prémisses simples. Il est plutôt basé sur l’idée selon laquelle les plateformes détournent littéralement des revenus substantiels découlant directement des nouvelles que les gens voient et lisent en ligne. En se fondant sur cette fausse idée, le projet de loi C-18 suppose que nous pouvons rembourser le journalisme au moyen de quelques calculs vagues et de négociations forcées.
Mais une mauvaise fondation ne supporte pas beaucoup de poids.
Le contenu d’information est d’une importance capitale. Il n’a jamais été très rentable en soi, même avant Internet. Ce contenu a toujours été en grande majorité lié à toutes les autres fonctions que les plateformes en ligne remplissent maintenant, comme un babillard, un marché, un site de rencontres et un espace de conversation. Ces revenus ne sont tout simplement pas attribuables à la lecture ou au partage d’articles de journalisme.
L’idée fausse selon laquelle le simple fait de créer des liens vers des nouvelles nécessite un paiement équitable n’est pas seulement une rupture fondamentale avec la façon dont Internet a toujours fonctionné. Elle va aussi à l’encontre de ce qui est sain pour nous tous, à savoir encourager la création de liens vers un journalisme crédible pour qu’il soit diffusé autant que possible. Cette vision a suscité une réponse évidente de la part des plateformes. Si elles profitent indument du partage de liens, comme le dit le projet de loi C-18, pourquoi ne pas cesser de partager les nouvelles? Cette solution serait-elle avantageuse pour le Canada? Non, ce serait extrêmement destructeur. Toutefois, le projet de loi C-18 est si mal conçu que c’est une réponse parfaitement logique et valable sur le plan juridique.
Peut-être que toute cette complexité et toute cette manipulation déraisonnable des faits en vaudraient la peine si l’argent du projet de loi C-18 allait au bon endroit. Ce n’est toutefois pas le cas. Je voudrais vous poser la question suivante : à votre avis, quel est le journalisme le plus important pour notre démocratie? Je répondrai deux choses : premièrement, il y a le journalisme local, qui nous connecte aux gens de notre entourage et construit un tissu social fort; et il y a deuxièmement le journalisme d’intérêt public, qui demande beaucoup de temps et d’argent, mais qui tient le pouvoir responsable — dans la vie publique et privée.
C’est le journalisme local et provincial qui s’est effondré en très grande majorité à l’ère numérique. Or, pas un seul dollar du projet de loi C-18 n’est destiné à rouvrir les médias locaux où des déserts d’information sont apparus.
Étant donné que les négociations entourant le projet de loi C-18 se font avec les éditeurs existants et que les nouveaux revenus seront probablement liés à leur trafic Internet actuel, nous récompensons de façon écrasante les quelques grandes chaînes nationales qui tiennent encore bon plutôt que de revitaliser le journalisme local. En outre, finançons-nous les reportages d’intérêt public? Non. Les accords fondés sur les médias sociaux récompenseront les médias pour la croissance de leurs parts de marché et de leurs clics, ce qui encourage fortement les histoires nationales et les pièges à clics provocateurs, et non pas la reddition de comptes, qui prend plus de temps. Si nous considérions que notre manque de journalisme est le principal problème à résoudre, le projet de loi ne serait jamais présenté de cette façon.
Assez parlé de vérité; parlons de confiance. Les mécanismes permettant de déterminer qui est visé par le projet de loi C-18 et selon quelles modalités sont tout simplement trop flous et secrets pour être utiles. Si vous ne devez corriger qu’une seule partie du projet de loi C-18, c’est celle-ci qu’il faut cibler.
J’ai témoigné devant vos collègues de la Chambre au sujet du projet de loi C-18 en octobre dernier, et depuis lors, le monde a beaucoup changé. L’intelligence artificielle générative est arrivée, et il est clair que le coût de production de tout genre d’un contenu qui semble crédible, mais qui est complètement faux, est désormais nul. Je sais que bon nombre d’entre vous au Sénat sont frustrés d’entendre des Canadiens qui ont été très mal informés, selon vous. Je suis désolé de vous dire que le problème est sur le point de s’aggraver. Devant un flot probablement sans précédent de mésinformation en ligne, nous aurons plus que jamais besoin de reportages crédibles et fiables. Mais ces reportages ne pourront pas se dissocier de la désinformation créée par l’intelligence artificielle que si leur production suit une chaîne de traçabilité limpide — qui exerce l’influence, qui fournit des fonds et quelle en est l’incidence sur la crédibilité et l’indépendance.
À l’heure actuelle, le projet de loi C-18 fait exactement le contraire. Nous ne pouvons entrer dans une nouvelle ère de désinformation, où ceux qui disent la vérité se retrouvent empêtrés dans un réseau complexe d’accords secrets forcés par le gouvernement. C’est encore moins vrai lorsque ces accords sont négociés avec bon nombre des mêmes entreprises qui créent également des modèles linguistiques importants qui mènent à la mésinformation.
Selon OpenMedia, les défauts fondamentaux du projet de loi C-18 sont si profonds qu’il devrait être rejeté et remplacé par un projet de loi plus simple et plus équitable de soutien aux médias. Toutefois, si c’est impossible, nous vous prions de rendre au moins le projet de loi C-18 totalement transparent pour tous les Canadiens, afin que les relations qu’il crée puissent être facilement comprises et que la mésinformation ne se propage pas davantage. Plus de 12 000 membres de notre communauté vous ont demandé d’apporter des corrections au projet de loi C-18. Nous espérons que vous les entendrez.
Je vous remercie et je répondrai avec plaisir à vos questions.
Le président : Je vous remercie, monsieur. Je cède maintenant la parole à Internet Society Canada Chapter.
Philip Palmer, président, Internet Society Canada Chapter :
Nous remercions le comité de nous donner l’occasion de comparaître devant vous ce soir.
L’Internet Society a présenté un mémoire qui expose ses préoccupations au sujet du projet de loi C-18, dont beaucoup ont été soulevées par d’autres témoins qui ont comparu devant le comité. Nous allons concentrer nos observations sur ce qui, à notre avis, constitue le cœur réglementaire du projet de loi, c’est‑à‑dire le pouvoir d’exemption.
Le projet de loi C-18 prévoit que les plateformes s’identifient elles-mêmes, négocient des accords commerciaux afin d’indemniser les entreprises d’information pour la valeur de leur contenu, puis demandent une exemption. L’exemption doit être la récompense de la conformité.
Nous pensons, au contraire, que le pouvoir d’exemption agira comme un frein à la participation au régime d’indemnisation. Plutôt que d’être une façon de récompenser la conformité, le pouvoir d’exemption représente une réglementation rétroactive des relations entre les plateformes et les entreprises d’information. La structure du pouvoir d’exemption va à l’encontre du caractère définitif du processus de négociation et menace de déstabiliser les résultats des négociations faites de bonne foi. Plus important encore, le pouvoir d’exemption force les plateformes à subventionner un éventail d’entreprises d’information qui ne seraient pas admissibles à une indemnisation commerciale. Le projet de loi C-18 représente un programme de contribution aux objectifs gouvernementaux plutôt que commerciaux.
Nos conclusions se fondent sur les facteurs suivants. Dans la structure des dispositions d’exemption, l’indemnisation équitable n’est que l’une des 19 exigences à satisfaire pour obtenir une exemption. La plateforme doit conclure des accords qui ne se limitent pas à indemniser les entreprises d’information pour leur contenu; elle doit « contribu[er] à la viabilité du marché canadien des nouvelles ». Une indemnisation équitable ne suffit pas.
Deuxièmement, les entreprises d’information qui n’ont aucune relation réelle avec les plateformes doivent bénéficier des accords. La plateforme qui demande une exemption doit conclure des accords, même ceux qui sont non compensatoires. Par exemple, les accords doivent garantir des paiements qui soutiennent des entreprises indépendantes de nouvelles locales. La liste des bénéficiaires nécessaires des accords comprend les organismes sans but lucratif, les entreprises d’information qui reflètent une diversité de modèles d’affaires et les entreprises d’information qui s’adressent à diverses populations, y compris les minorités de langue officielle et les communautés noires et racisées.
Le ministère du Patrimoine canadien a reconnu que bon nombre d’entre eux n’ont pas droit à une indemnisation, mais pour obtenir une exemption, ils doivent être payés. Une exigence distincte garantit que les organes de presse autochtones bénéficient des accords et sont soutenus par ceux-ci.
Pour compliquer davantage les choses, le CRTC peut imposer des conditions à l’octroi d’une exemption — un cas de réglementation par exemption. Le projet de loi prévoit que le Cabinet peut fixer d’autres conditions en prenant règlement. La loi ne limite pas le nombre et le genre de conditions.
Le caractère définitif est compromis lorsque le CRTC délivre une exemption provisoire dans le but évident que les plateformes ouvrent des accords conclus — y compris des décisions d’arbitrage possiblement — pour se conformer aux désirs de l’organisme de réglementation. Une fois une ordonnance d’exemption accordée, le CRTC a le pouvoir de la révoquer. Le fait que le gouverneur en conseil puisse prendre des règlements sur la façon dont le CRTC entend interpréter les exigences d’exemption pose un problème. Cela porte atteinte à l’indépendance et à l’intégrité du CRTC.
Les accords entre les plateformes et les entreprises d’information doivent garantir que les plateformes surveillent l’utilisation de l’indemnisation qui sera versée et réglementent les relations entre l’entreprise et ses opérations d’information. Les plateformes deviennent les organismes de réglementation directs des entreprises d’information. Le CRTC devient l’organisme de réglementation indirect des salles de presse canadiennes. Il s’agit d’une tâche pour laquelle les plateformes n’ont aucune expertise et pour laquelle le CRTC n’a aucun fondement légal.
La complexité des exigences d’exemption combinées décourage la participation au régime de négociation prévue dans le projet de loi C-18. Pourquoi l’Internet Society a-t-elle cela à cœur? Parce que ces mesures dissuasives menacent de perturber la fonctionnalité d’Internet pour les utilisateurs canadiens et, en subventionnant des entreprises d’information manifestement non viables, le programme entravera l’innovation sur le marché canadien de l’information et menacera la viabilité des entreprises en démarrage numériques qui offrent des expériences d’information innovatrices aux Canadiens. Je répondrai avec plaisir à vos questions.
Le président : Je vous remercie, monsieur. Je tiens à rappeler à chacun de mes collègues que vous avez quatre minutes pour les questions. Je veux aussi préciser aux témoins que cela comprend les réponses.
Je surveillerai de près les quatre minutes allouées pour que chaque sénateur puisse participer. Je vous remercie.
La sénatrice Simons : J’ai une question à poser à Mme Gardner et à M. Hatfield. Aujourd’hui, Meta a publié une déclaration sur la California Journalism Preservation Act, qui ressemble un peu au projet de loi C-18. C’est plutôt comme une taxe qui crée un fonds, ce que Facebook dit qu’il préférerait ici, mais il en reste que la société n’en est pas très ravie. Voici la déclaration de Meta :
Si la Journalism Preservation Act est adoptée, nous serons obligés de retirer les nouvelles de Facebook et d’Instagram plutôt que de verser un montant à un fonds occulte qui profite principalement aux grandes entreprises de médias de l’extérieur de l’État sous prétexte d’aider les éditeurs californiens. Le projet de loi ne reconnaît pas [...]
... et ainsi de suite. Vous comprenez l’idée générale. Je me demande : Facebook et Google insistent pour nous dire qu’ils ne bluffent pas. Vous semble-t-il plus ou moins probable qu’ils retirent les nouvelles alors qu’un nombre croissant de pays font l’essai de mesures comme le projet de loi C-18 ou le modèle australien? Autrement dit, si les sociétés menacent de le faire en Californie, devrions-nous nous inquiéter qu’elles le fassent ici, selon vous?
Sue Gardner, membre, Comité d’orientation, Internet Society Canada Chapter : C’est une excellente question. Jesse Brown était ici — était-ce hier? Il a dit quelque chose qui m’a frappée. Il a dit qu’il n’était pas impossible, selon lui, que Facebook et Google « fassent du Canada un exemple pour montrer à d’autres pays ce qui se passe lorsqu’on s’ingère sérieusement dans leurs affaires. » C’est ainsi que je l’interprète en ce moment.
Je me suis demandé pourquoi autant d’attention est accordée au projet de loi C-18 à l’extérieur du Canada. J’ai déjà dit au Groupe des sénateurs indépendants que je pense que les plateformes ont été prises par surprise par ce qui s’est passé en Australie. Elles ont maintenant eu le temps de réfléchir et je pense qu’elles ont l’intention d’envoyer un message et d’utiliser le Canada comme leçon. Je serais plus inquiète que moins parce que les menaces et les fanfaronnades sont une chose, mais — qu’est-ce que Rod Sims a dit? Pensons au Royaume-Uni, à l’Italie, à l’Inde, aux États-Unis, à la Californie, entre autres — si ce genre de chose se produit partout dans le monde, il devient d’autant plus important de tuer l’initiative dans l’œuf maintenant, selon moi.
La sénatrice Simons : Cela pique ma curiosité, parce que quand les représentants de Facebook et Google nous ont parlé, ils ont dit, en faisant de gros clins d’œil, que si seulement c’était un fonds, ils seraient plus heureux. La Californie semble proposer précisément ce qu’ils ont dit vouloir quand ils ont comparu devant nous, mais ils ont la même réaction en disant qu’ils vont bloquer toutes les nouvelles en Californie. Je ne comprends pas très bien comment on peut le faire pour un État plutôt qu’un pays. J’imagine que c’est au moyen des adresses IP.
Que devons-nous comprendre d’une déclaration de Meta comme celle-ci? Devrait-elle nous rendre plus ou moins disposés à nous engager dans un bras de fer avec elle?
M. Hatfield : C’est un scénario fascinant. À mon avis, nous ne pouvons pas être certains de ce que Meta ou Google entendent faire. Je pense que le modèle d’affaires de Meta est si éloigné des nouvelles, en fin de compte, que la société le fera probablement à un moment donné. Elle essaie très certainement d’en atténuer l’importance. Je ne serais pas du tout surpris si elle tentait de cesser de donner accès aux nouvelles à l’échelle mondiale à un moment donné. Je pense que c’est plus difficile à dire en ce qui concerne Google.
À mon avis, l’un des problèmes dans la conception du projet de loi C-18, comme je l’ai dit dans mon discours d’introduction, est que l’intelligence artificielle générative va changer beaucoup de choses. Le fait que nous lions le soutien aux médias à une forme particulière de partage de contenu n’est pas une version du soutien aux nouvelles qui durera très longtemps à l’avenir. Nous devrions être conscients que même si le tout a fonctionné temporairement d’une certaine façon, ce ne sera probablement pas le cas pendant très longtemps.
La sénatrice Simons : Je me pose donc une question — je pense que si vous faites de grands modèles de langage et de l’intelligence artificielle générative, vous aurez besoin d’accéder à des articles d’actualité pour alimenter votre robot. S’il n’arrive pas à passer au peigne fin des nouvelles, il ne pourra pas obtenir de renseignements pour répondre aux questions qui lui sont posées.
Le président : Merci, sénatrice Simons.
Le sénateur Cormier : Je souhaite la bienvenue à nos invités. Ma question s’adresse à M. Kitt d’Unifor. Ai-je bien compris que vous avez proposé des modifications? Est-ce ce que j’ai entendu? Dans l’affirmative, avons-nous reçu de l’information à ce sujet?
M. Kitt : Nous avons proposé les amendements à la Chambre des communes, pas au Sénat, mais je pourrais vous en fournir un exemplaire.
Le sénateur Cormier : J’aimerais bien en avoir un, bien sûr.
M. Kitt : Absolument.
Le sénateur Cormier : J’ai entendu dire que vos préoccupations portent sur la diversité, la responsabilité et la transparence. Vous avez parlé de la transparence à l’autre endroit. J’imagine que vous voyez encore ce problème dans le projet de loi que nous étudions.
Selon vous, l’article 86, qui porte sur le rapport du vérificateur indépendant, pourrait-il être plus précis quant au contenu dudit rapport? Pensez-vous que cela pourrait assurer une transparence accrue?
M. Kitt : Oui, je crois que le projet de loi cible actuellement des renseignements globaux du CRTC et non les accords individuels. Unifor estime que la valeur de ces accords doit être rendue publique, car le journalisme est dans l’intérêt public, ce qui signifie que le public devrait connaître les sommes. Je sais que beaucoup de pressions sont exercées pour garder cette information secrète, mais je pense du moins que les arbitres devraient certainement avoir cette information. Comment un arbitre peut-il statuer sur une entente s’il ne connaît pas les valeurs des autres accords? Il est important que l’information s’y trouve. Si le CRTC gère ce dossier comme les renseignements confidentiels dans l’industrie de la radiodiffusion — et il n’y a pas beaucoup de plaintes à ce sujet —, je pense qu’il sera suffisant que les chiffres globaux du CRTC soient rendus publics et que les arbitres connaissent la valeur de ces accords pour qu’ils puissent prendre des décisions éclairées.
Le sénateur Cormier : Oui, je comprends cela, mais je m’intéresse au rapport du vérificateur indépendant et à la façon de le clarifier. Je vous ai posé cette question.
M. Kitt : Je n’ai pas de commentaire à faire à ce sujet. Je vous remercie.
Le sénateur Cormier : D’accord, merci. C’est tout.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Merci de votre présence.
Ma question est pour M. Palmer.
Vous avez fait une critique très sévère du projet de loi C-18. Il n’y a pas grand-chose qui résiste à votre critique. Il est plus facile de critiquer que d’écrire un projet de loi ou d’essayer d’avoir une solution constructive.
Je veux vous entendre sur la question du fait que les pouvoirs ne sont pas égaux. S’il y a certaines conditions dans cette idée d’avoir une exemption, c’est pour essayer de donner un peu plus de pouvoir aux petits médias. Est-ce que vous admettez qu’il y a une différence de pouvoir et qu’en ce moment, les plateformes ont le beau jeu, ont le gros bout du bâton? On n’est pas dans une concurrence parfaite.
Je sais que vous êtes un défenseur de l’Internet complètement libre. On n’est plus tout à fait là. On est dans une société où on essaie de conserver notre journalisme ou nos médias vivants.
Que conseillez-vous? Parce que c’est beau de dire qu’il ne faut pas toucher à Internet, que c’est sacré, mais il me semble qu’on n’est plus rendu là.
[Traduction]
M. Palmer : Je donnerai quelques éléments de réponse. Tout d’abord, je n’aime pas critiquer la loi fédérale. J’ai participé à la rédaction de 25 à 30 projets de loi qui ont été adoptés par le Parlement. Je respecte le processus de rédaction et je suis convaincu de connaître son fonctionnement.
J’ai des critiques particulières à formuler à l’égard de cette loi et je pense que le modèle canadien est imparfait par rapport au modèle australien. Il ne donne pas lieu à des conclusions claires, alors que la loi australienne mène à des accords. Ils sont conclus; ils sont terminés. Au Canada, il faut conclure des accords, puis pour échapper à d’autres processus, il faut demander une exemption, et le processus se poursuit. Quand je me penche là‑dessus, je ne comprends pas à quoi servent les exemptions. J’aurais préféré que des accords soient conclus.
Je ne suis pas un partisan d’un Internet totalement libre et ouvert. Il doit y avoir des règlements. J’estime toutefois que cette approche à l’égard d’Internet est imparfaite. Même si cette loi est adoptée, je pense que nous serons confrontés à de graves problèmes conceptuels pendant longtemps ainsi qu’à de très graves enjeux pratiques.
La sénatrice Miville-Dechêne : Vous parlez du modèle australien avec une grande admiration, mais Facebook n’a pas conclu beaucoup d’accords. C’est aussi un demi-échec. Puisqu’il n’y avait tout simplement pas de loi, les Australiens ne pouvaient pas revenir à la charge. Maintenant, l’Australie parle d’ailleurs d’adopter une loi à nouveau.
M. Palmer : La loi est en place. Le pays n’a simplement pas désigné Facebook en tant que partie. Franchement, je pense que les Canadiens n’ont pas abordé la question de savoir qui doit négocier de façon plus claire.
Le sénateur Cardozo : Ma question s’adresse à M. Kitt. Elle porte sur votre opinion à l’égard du CRTC. Je voudrais simplement faire quelques remarques au sujet du CRTC parce que j’ai déjà été commissaire et que je tiens à donner mon avis sur le sujet.
Les gens pensent souvent qu’il s’agit d’une organisation politique. J’en ai été le commissaire pendant six ans. Quand j’ai été nommé, j’ai été avisé que je n’aurais pas de contact avec les députés. Je connaissais quelques personnes de différents partis et je n’ai littéralement eu aucun contact avec elles pendant six ans. Dans certains cas, il s’agissait d’amis de la famille, dont je n’ai pas vu les familles pendant ce temps. C’était comme être en prison pendant six ans; soudain, vous êtes libérés, et tous les enfants ont grandi. Selon mon expérience, il y avait très peu d’interconnexion politique, voire aucune.
Deuxièmement, je pense qu’une grande partie du travail dont nous parlons sera exécuté par les fonctionnaires professionnels qui travaillent pour le CRTC.
Troisièmement, je pense qu’aucun autre organisme gouvernemental ne s’occupe d’une industrie semblable. En fait, il traite avec les diffuseurs qui créent des nouvelles, et les journaux ne sont pas si différents des diffuseurs. Ils sont beaucoup moins différents de bien d’autres domaines.
Que pensez-vous du fait que ce travail soit confié au CRTC?
M. Kitt : C’est une bonne question. De la part d’une personne qui plaide devant le CRTC depuis de nombreuses années et qui n’a pas été d’accord avec de nombreuses décisions, curieusement, j’ai été réconforté par la décision de confier le règlement au CRTC parce que, comme vous l’avez dit, il s’agit d’un organisme quasi judiciaire et indépendant jusqu’à un certain point. Je sais qu’il y a des directives du Parlement, qui sont toutes publiques, mais je pense qu’Unifor est rassuré de constater que le CRTC s’en occupera grâce à sa capacité de faire la médiation de ces accords et de veiller au respect de l’équilibre.
Le sénateur Cardozo : C’est intéressant. Au cours de mes six années en poste, je n’ai jamais entendu personne dire être réconforté par le CRTC, donc c’est bien.
M. Kitt : Je ne suis pas réconforté par le CRTC, mais par le fait qu’il prendrait ces décisions.
Le sénateur Cardozo : Monsieur Palmer, vous avez parlé d’un Internet libre et gratuit. J’aimerais vous emmener dans un monde plus vaste, en partie celui dont nous parlons ici, mais aussi élargir l’horizon avec cette discussion sur ChatGPT et sur ce qui se passe avec l’intelligence artificielle et le reste. Les propriétaires et les inventeurs de l’intelligence artificielle demandent au gouvernement de faire quelque chose. Selon vous, qu’est-ce que le gouvernement devrait faire avec l’intelligence artificielle?
M. Palmer : En fait, je ne suis pas en mesure de répondre à cette question. J’aimerais bien le faire, mais je n’en sais pas assez à propos de l’intelligence artificielle et de ses implications. J’ai rencontré des gens qui se sont vraiment penchés sur cette question, et cela me porte à croire que de vrais penseurs y réfléchissent, mais je crains de ne pas pouvoir vous aider dans ce domaine.
Le sénateur Cardozo : Madame Gardner, avez-vous des réflexions à ce sujet?
Mme Gardner : Je ne pense pas que quiconque puisse répondre à cette question, et c’est là le problème. L’intelligence artificielle peut poser un risque existentiel pour l’humanité. C’est une possibilité, et les gens qui ont signé la lettre ouverte — beaucoup de gens qui appellent à la réglementation — s’inquiètent de ce genre de risque existentiel de science-fiction que les robots prennent le contrôle et nous asservissent ou nous tuent. Il y a des dizaines, voire des centaines d’autres risques.
Il n’y a qu’à penser au contexte des nouvelles, où il y a aussi tellement de risques. Qui écrira les nouvelles? Que se passe-t-il si la nouvelle est une hallucination?
Du travail a été accompli. NewsGuard, une organisation aux États-Unis, a fait un test avec ChatGPT. Elle lui a fait générer de la propagande et de la désinformation sous différentes voix et différentes perspectives, puis elle a trouvé le résultat incroyablement crédible et convaincant. L’agent conversationnel n’est pas censé le faire — compte tenu de ses garde-fous —, mais il a tout de même généré cette propagande, et c’est une mauvaise nouvelle. Ensuite, il y a les questions sur la perte d’emplois. Il y a tout simplement beaucoup d’éléments. C’est trop pour nous.
La sénatrice Wallin : Je voudrais revenir à M. Hatfield parce que je pense que vous avez soulevé un point très important ici. Pour ceux d’entre nous qui ont passé leur vie dans le journalisme, nous savons que les nouvelles ont toujours été sacrifiées. Elles ne généraient pas d’argent. Nous étions subventionnés par la vente de voitures ou la location d’appartements. Donc, quand il s’agit de financer les organisations plutôt que le journalisme, je pense que nous sommes fondamentalement à côté de la plaque.
Je pense que cela a aussi une incidence sur les nouveaux médias que nous voyons émerger parce qu’ils ne veulent pas d’argent du gouvernement ou de grandes entreprises technologiques; ils veulent seulement avoir accès aux téléspectateurs, aux yeux des lecteurs, et nous allons rendre cela plus difficile. Ai-je bien compris ce que vous dites?
M. Hatfield : Je crois que oui, dans une certaine mesure. Il y a fort à parier que certains types de reportages doivent être subventionnés d’une certaine façon, pour revenir au point que vous avez soulevé. Il en a toujours été ainsi. La subvention avait l’habitude d’être de la publicité provenant de sources autres que les nouvelles. Ce modèle ne fonctionne plus.
Nous sommes en quelque sorte en train de sauter une étape cruciale. Les gens voient que la publicité se trouve maintenant sur les plateformes. Ils croient alors que la présence de nouvelles et de publicités signifie que les deux phénomènes sont liés et que les plateformes soutirent de la valeur au domaine de l’information. Ce n’est toutefois pas le cas.
Par conséquent, nous sommes en train de mettre en place un système qui est fondamentalement illogique dans le projet de loi C-18. Voilà pourquoi nous réclamions une approche radicalement plus simple. Prenez l’agent des plateformes si vous le voulez, mais assurez-vous que les sommes vont là où il y a vraiment un besoin. Unifor nous a parlé des déserts d’information. L’argent du projet de loi C-18 va-t-il reverdir les déserts d’information? Les médias ne sont pas là pour demander de l’argent. Il n’y a personne à qui transférer cet argent.
Je pense donc que nous perdons de vue le véritable problème et que nous sommes peut-être en train de créer un projet de loi qui ne va pas régler nos enjeux relatifs au journalisme.
La sénatrice Wallin : C’est vrai, parce que beaucoup nous ont fait part de cette inquiétude, à savoir que les bénéficiaires du projet de loi C-18 seront probablement les grands acteurs, les chaînes nationales ou la CBC/Radio-Canada, alors que cette dernière reçoit, bien sûr, déjà un financement public de plus d’un milliard de dollars.
Dans ce contexte, craignez-vous que si le projet de loi est adopté, les nouveaux organismes novateurs d’information en ligne, qui sont retournés à une base d’abonnement, et où les gens répondent à leur contenu réel, soient peut-être punis ou négligés par ce système?
M. Hatfield : En effet, le soutien pourrait être interprété en partie comme une subvention à l’encontre de ces médias en démarrage. En particulier, j’ai appris qu’en Australie, les petits médias reçoivent peut-être un peu plus que les grands médias par journaliste. Mais en réalité, le financement devrait être destiné en majeure partie aux médias modestes.
Au Canada, une grande partie du financement semble être versé à CBC/Radio-Canada. C’est merveilleux et acceptable d’appuyer CBC/Radio-Canada, mais, étant donné que le gouvernement peut augmenter son budget au besoin, nous ignorons pourquoi nous devrions les subventionner plutôt que les nouveaux médias qui n’obtiendront pas de soutien à ce niveau.
La sénatrice Wallin : Monsieur Palmer, à ce sujet, vous avez également indiqué craindre qu’il s’agisse d’objectifs gouvernementaux, et non d’objectifs commerciaux. Vous avez aussi soulevé la question de rendre ces nouveaux acteurs réellement viables.
M. Palmer : Oui, il est problématique de faire comme s’il s’agissait d’une série de négociations commerciales où les grands acteurs ont le pistolet sur la tempe, sous la forme de sanctions pécuniaires — je pense que la question principale est vraiment celle à laquelle Matt Hatfield a fait allusion, qui est de savoir s’il y a une appropriation de valeur dans le domaine des nouvelles. Et s’il n’y en a pas, à quoi tout cela rime-t-il?
Le modèle australien n’a jamais été mis à l’essai, en ce sens qu’il n’a jamais été soumis à des procédures d’arbitrage où l’on aurait tenu compte de différents types de preuves, de témoins experts, et ainsi de suite.
Je pense qu’il y aura peut-être des contestations ici au Canada si le projet de loi est adopté. Il serait intéressant de voir quelle en sera l’issue. Bien sûr, encore une fois, les préjugés institutionnels qui se reflètent dans la loi mènent à un résultat. C’est flou. L’une des choses à propos de ce projet de loi, c’est que sa prémisse n’a jamais été énoncée clairement. Cette prémisse, est-ce le fait que Google et Facebook s’approprient la valeur des nouvelles, ou est-ce simplement que les sociétés ont créé le meilleur mécanisme de perception de recettes publicitaires?
La sénatrice Wallin : Je vous remercie.
La sénatrice Dasko : Mes questions s’adressent à M. Palmer.
Vous avez certainement dépeint ce projet de loi comme un instrument qui pose de graves problèmes. Vous avez parlé de dissuasion et, surtout, de déstabilisation de l’environnement entourant Internet, des nouvelles et des organisations d’information.
Je me demande si vous avez des suggestions à faire. Je n’ai pas encore lu votre mémoire. Avez-vous des recommandations de choses à faire avec ce projet de loi en ce qui a trait aux grandes priorités que vous pourriez avoir en matière de changement, en particulier en ce qui a trait aux questions de stabilité et d’incertitude que vous avez mentionnées? Y a-t-il quoi que ce soit qui puisse être fait, à votre avis, pour atténuer les préjudices que vous voyez?
M. Palmer : Je parle à titre personnel ici, parce que ma société n’a pas pris position à ce sujet et n’a pas présenté d’amendements.
Par exemple, je pense que le pouvoir d’exemption provisoire qui permet d’émettre des ordonnances d’exemption provisoire est probablement une erreur. Il conduira au chantage, et au chantage réglementaire. Il forcera la réouverture d’accords conclus, ce qui déstabilisera les acteurs commerciaux. Je pense que ce sont là de graves menaces. Ce serait un problème qui pourrait facilement être réglé selon moi. Je ne pense pas que ce soit très facile dans le contexte politique, mais en ce qui concerne la loi, il s’agirait d’un élément important.
La sénatrice Dasko : Vous avez mis l’accent sur les ordonnances d’exemption. Vous indiquez qu’il y en a 19; il y en a 7, mais je pense qu’il suffit d’examiner chaque élément des articles pour en trouver d’autres.
M. Palmer : J’ai parcouru le document et j’ai examiné toutes les différentes sous-exigences. C’est ce que j’ai fait. J’en ai trouvé 19. Je suis peut-être conservateur à cet égard.
La sénatrice Dasko : Oui. Apporteriez-vous des changements à cet égard?
M. Palmer : Oui. Le critère devrait être le suivant : avez-vous conclu un nombre suffisant d’accords? C’est tout. C’est le cas si vous créez un pouvoir d’exemption, ce qui, à mon avis, n’est pas une façon très rentable de procéder. Je ne pense pas que ce soit un instrument très utile.
Comme je l’ai dit, cela a plutôt créé un régime d’extorsion. Si vous voulez des accords, assurez-vous d’en conclure. N’ajoutez pas tous ces éléments qui obligent les plateformes à se présenter encore et encore devant le CRTC et à satisfaire tel et tel critère.
Le gouvernement pourrait créer des règlements qui ajouteraient d’autres conditions aux 19 éléments que nous avons déjà. Ce sont là des lacunes majeures dans la conception de la loi. Elles nuiront à la capacité de négocier et de conclure des accords. Oui, c’est tout.
La sénatrice Dasko : Il faut seulement mettre l’accent sur la conclusion d’accords.
M. Palmer : Mettez l’accent sur la conclusion d’accords. Obtenez des accords.
La sénatrice Dasko : Il faut faire en sorte que les accords soient conclus.
M. Palmer : La beauté du système australien réside dans le fait que les accords ont été conclus. Ils ont cherché à conclure des accords. Ce n’est peut-être pas parfait pour le Canada, mais je pense que nous avons créé des imperfections qui n’étaient pas nécessaires.
La sénatrice Clement : Merci à tous les témoins.
J’ai interrogé un témoin précédent, un Australien, sur le modèle économique du pays. Ils semblent être satisfaits des accords. Ils voulaient qu’ils soient tenus délibérément secrets. Les choses ont fonctionné avec le modèle.
Si le projet de loi C-18 est adopté sous sa forme actuelle, comment pouvons-nous en accroître la transparence? La question s’adresse à tous. Je sais, monsieur Kitt, que vous avez proposé des amendements. Vous pourriez en parler plus. Les autres n’en voulaient pas.
Ici, nous parlons de transparence. Pouvons-nous parler de ses avantages et inconvénients? À mon avis, il y a plus d’avantages, et c’est ce que nous voulons ici. Quelles modifications devrions‑nous apporter au projet de loi C-18 pour le garantir?
M. KittJe ne suis pas sûr d’avoir entendu dire que la transparence n’était pas nécessaire en Australie. Je pense que c’est Google et Facebook qui ne veulent pas de transparence. Elles veulent que les valeurs des accords soient secrètes.
Nous avons tous droit à la transparence ici. En tant que gouvernement, si vous voulez imposer cette loi et aider ces gens, ces créateurs de nouvelles doivent permettre au public de connaître la valeur de ces accords.
La sénatrice Clement : Comment pouvons-nous le faire? L’un d’entre vous a-t-il des suggestions?
M. Kitt : Je pense qu’ils doivent le dire au CRTC. Quelle que soit la loi, ils doivent rendre compte au public, que ce soit en présentant des chiffres globaux ou des chiffres plus précis. Nous plaiderions en faveur des chiffres plus précis, mais s’il devait y avoir un compromis, ils devraient être tenus de présenter des chiffres globaux et permettre aux arbitres de connaître également la valeur des accords.
M. Hatfield : À mon avis, le rapport du vérificateur indépendant n’est pas adéquat. Le public va avoir beaucoup de questions sur ce qui se passe ici et sur la nature des relations.
Plus le CRTC s’attarde sur les différents objectifs stratégiques du gouvernement dans le cadre de ce processus, plus les gens voudront savoir comment ceux-ci sont appliqués. Qu’a-t-on fait au juste pour intégrer plus de contenu local ou d’autres éléments de cette longue liste d’objectifs?
Franchement, je pense qu’il est vraiment dangereux de ne pas avoir une telle transparence sur les accords individuels. Nous entrons dans un monde où vous, moi ou qui que ce soit, pourrions cliquer sur un bouton et créer une version plausible, extrêmement explosive et fausse de l’un de ces accords, le divulguer sur le Web et prétendre que c’était le véritable accord conclu.
Si nous empêchons de montrer les vrais accords, mais qu’Internet est inondé de fausses ententes, et que nous disons ensuite avoir confiance en la crédibilité des activités que mènent ces plateformes ou médias, nous verrons beaucoup plus de méfiance envers eux à l’avenir.
La sénatrice Clement : Avez-vous parlé à vos homologues australiens? Il y a beaucoup d’éléments positifs à ce sujet. L’un d’entre vous leur a-t-il parlé?
M. Palmer : J’ai parlé à des Australiens qui ont une vision moins enthousiaste du fonctionnement du processus australien. Je ne peux pas dire qu’ils parlent au nom d’un grand groupe en Australie.
En ce qui concerne la transparence, celle-ci est merveilleuse quand il est question de processus publics. Or, ce projet de loi porte ostensiblement sur la conclusion d’accords commerciaux; c’est son prétexte. Fondamentalement, il est question de relations privées. La transparence est la dernière chose que veulent la plupart des négociateurs. Je ne crois vraiment pas que Postmedia veuille plus que Google que les détails des accords qu’il a conclus soient rendus publics.
Si vous voulez que des accords soient conclus, il faut moins mettre l’accent sur la transparence. Si vous voulez que les choses soient transparentes, il faut créer un processus public et un tarif, comme le fait le CRTC avec divers fonds auxquels les gens sont tenus de cotiser. Il approuve aussi les tarifs proposés par Bell ou Rogers. Vous avez ensuite un processus public et vous savez quel est le résultat. Le gouvernement a choisi de suivre la voie des négociations, ce qui est incompatible avec la transparence totale et la transparence publique. Il y a des compromis à faire dans ce genre de choses; il faut notamment donner une marge de manœuvre aux parties à huis clos afin qu’elles négocient fermement.
Le président : Je remercie nos témoins et tous mes collègues de votre coopération. J’espérais faire un deuxième tour, mais nous manquons de temps. Je remercie les témoins d’être venus nous faire part de leurs opinions sur le projet de loi C-18.
Chers collègues, dans les quelques minutes qui restent, nous avons une motion à débattre. Bien sûr, nos témoins sont invités à rester ou à partir s’ils le souhaitent.
Nous avons une motion d’amendement proposée par la sénatrice Wallin à notre ébauche de rapport sur la teneur du projet de loi C-47, que la sénatrice Wallin a distribuée à tous les membres du comité. Je cède brièvement la parole à la sénatrice Wallin afin qu’elle explique la motion d’amendement.
La sénatrice Wallin : Tous nos comités — celui des banques et d’autres — ont été priés d’examiner certains articles et de transmettre leurs conclusions au comité des finances. J’ai pensé que cet amendement permettrait de préciser nos pensées au moment où nous remettons notre rapport au comité des finances.
Il est assez simple. Je ne sais pas si vos pages sont numérotées, mais le passage se trouve au cinquième paragraphe de la deuxième page. Il se lit maintenant ainsi :
Selon le défenseur des droits des passagers aériens, les modifications apportées au régime de protection des passagers aériens manquent la cible et créent un processus secret, tout en conservant la faille qui existe lorsque la situation est « nécessaire par souci de sécurité ».
C’est tout à fait exact. Je voulais seulement y ajouter un peu plus de corps.
Lorsque vous voyez ce que je propose de remplacer, vous constaterez que les points 1 et 3 sont tirés du témoignage que nous avons entendu du professeur Daly, titulaire de la Chaire de recherche de l’Université d’Ottawa en droit administratif et en gouvernance. C’est le vrai langage technique.
Le deuxième point est une explication plus claire de ce qui se trouve actuellement dans notre rapport, et que je viens de vous lire.
Je pense que la question est la suivante : voulons-nous — je crois que c’est utile, et nous en avons aussi discuté au comité des banques — donner des conseils un peu plus clairs au ministère des Finances Canada quant à ce qu’il dira au gouvernement dans son évaluation de notre discussion? Je vais en rester là. Quelqu’un a-t-il des questions ou des commentaires?
Le sénateur Harder : J’ai seulement une observation à formuler, qui mène à une question. Je suis totalement d’accord pour dire ce que cela reflète fidèlement ce que nous avons entendu. Lorsque j’examine l’ébauche du rapport, le texte proposé dépasserait la taille du paragraphe pour le témoin par rapport aux autres paragraphes du rapport. Je pense que les rédacteurs gardent une certaine symétrie dans ce que nous avons entendu, et cet amendement élargirait le paragraphe 9 de façon inhabituelle. Si les gens sont à l’aise avec cela, je ne vais pas m’y opposer. Je pense simplement que le rapport existant, à mon avis, était mieux équilibré en ce qui concerne tout ce que nous avons entendu et a fait valoir que, de toute évidence, les préoccupations étaient celles que nous avons entendues en très grandes parties dans le paragraphe 9.
La sénatrice Wallin : Je suppose que la question des droits des passagers est vraiment fondamentale. J’ai fait la queue avec le ministre des Transports l’autre soir pendant deux heures à Toronto en attendant un avion. S’il avait un doute sur ce que les gens pensent de ce qui se passe avec nos transporteurs aériens et nos aéroports, je pense que cette situation lui en a donné une image très claire.
Je pense que le point de mire maintenant est surtout la question de savoir si les droits sont suffisamment substantiels. Y a-t-il un moyen pour le consommateur, le passager aérien et l’utilisateur d’accéder à ce système? Je suis d’accord pour dire que la modification en fait un point central ou prépondérant, mais je pense que l’enjeu est bel et bien plus important. C’est pourquoi je suggère cet amendement.
Le président : Si vous me le permettez, j’aimerais dire ce qui suit. Je suis d’accord avec le sénateur Harder pour dire que la modification rallonge le paragraphe et attire l’attention. Je pense que c’est l’objectif. Franchement, je pense que le rapport est aussi équilibré qu’il peut l’être parce que, dans un laps de temps très limité, nous avons accueilli un nombre très équilibré de témoins ici — en fait, il y avait un déséquilibre, pour être honnête avec vous. En fin de compte, lorsque nous étudiions les droits des passagers dans ce pays, nous n’avions pas beaucoup de défenseurs des droits des passagers qui comparaissaient devant le comité.
Au-delà de ce que j’entends au sujet du comité, hier soir encore, j’ai reçu des courriels — et c’est anecdotique — de gens coincés à bord d’avions à Montréal pendant trois heures. C’est incroyable. Le problème semble être constant.
En fin de compte, je ne pense pas que cela crée un obstacle pour le projet de loi. La modification amplifie un message que le comité a exprimé, je crois, de la part des électeurs de tout le pays.
Le sénateur Harder : Je faisais simplement valoir le point que vous avez reconnu. Je n’ai aucun problème à me joindre à un consensus.
La sénatrice Wallin : Voulez-vous que je le présente? Je ne suis pas sûre de ce que nous devrions faire.
Le président : Est-il convenu que l’ébauche de rapport modifiée soit adoptée au Sous-comité du programme et de la procédure...
Le sénateur Cormier : Au premier paragraphe de la version française, ce n’est qu’un détail, mais le nom de la loi n’est pas en italique, alors qu’il l’est dans la version anglaise.
[Français]
La Loi portant exécution de certaines dispositions du budget —
Le président : Est-ce au deuxième paragraphe?
Le sénateur Cormier : Dans le premier paragraphe, on dit à la cinquième ligne : « Loi portant exécution de certaines dispositions du budget [...] ». Est-ce que c’est le nom d’une loi et si oui, ne devrait-il pas être écrit en italique, comme en anglais?
[Traduction]
Le président : Le greffier le voit.
Honorables sénateurs, est-il convenu que l’ébauche de rapport, telle que modifiée, soit adoptée et que le Sous-comité du programme et de la procédure soit autorisé à approuver la version définitive du rapport, en tenant compte des discussions d’aujourd’hui, et en y apportant tout changement jugé nécessaire, que ce soit au niveau de la forme, de la grammaire ou de la traduction?
Des voix : Oui.
Le président : La motion est adoptée.
Est-il convenu que le président soit autorisé à déposer le rapport au Sénat — c’est important — ou auprès du greffier du Sénat à la première occasion?
Des voix : Oui.
Le président : La motion est adoptée.
(La séance est levée.)