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TRCM - Comité permanent

Transports et communications


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES TRANSPORTS ET DES COMMUNICATIONS

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 7 juin 2023

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd’hui, à 18 h 45 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi C-18, Loi concernant les plateformes de communication en ligne rendant disponible du contenu de nouvelles aux personnes se trouvant au Canada.

Le sénateur Leo Housakos (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Bonsoir à tous.

Je m’appelle Leo Housakos, je suis un sénateur du Québec et je suis président du Comité sénatorial permanent des transports et des communications.

J’invite maintenant mes collègues à se présenter.

[Traduction]

La sénatrice Simons : Paula Simons, du territoire visé par le Traité no 6, en Alberta.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Julie Miville-Dechêne, du Québec.

La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de l’Ontario.

[Traduction]

Le sénateur Manning : Fabian Manning, Terre-Neuve-et-Labrador.

Le sénateur Harder : Peter Harder, de l’Ontario.

Le sénateur Cardozo : Andrew Cardozo, de l’Ontario.

[Français]

La sénatrice Saint-Germain : Raymonde Saint-Germain, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Dasko : Donna Dasko, également de l’Ontario.

La sénatrice Wallin : Pamela Wallin, de la Saskatchewan.

[Français]

Le président : Honorables sénateurs, nous nous réunissons pour continuer notre examen du projet de loi C-18, Loi concernant les plateformes de communication en ligne rendant disponible du contenu de nouvelles aux personnes se trouvant au Canada.

Pour notre premier groupe de témoins, nous avons le plaisir d’accueillir M. Yves Giroux, directeur parlementaire du budget, et son analyste, Mme Rolande Kpekou Tossou.

Bienvenue et merci de votre présence parmi nous. Vous disposez chacun d’une minute pour votre déclaration d’ouverture.

Monsieur Giroux, vous avez la parole

Yves Giroux, directeur parlementaire du budget, Bureau du directeur parlementaire du budget : Merci beaucoup.

Honorables sénateurs et sénatrices, je vous remercie de nous avoir invités à comparaître devant vous aujourd’hui.

Nous sommes ravis d’être ici pour discuter du rapport intitulé Estimation des coûts liés au projet de loi C-18 : Loi sur les nouvelles en ligne, qui a été préparé à la demande d’un député et publié le 6 octobre 2022.

Je suis accompagné de l’analyste principale du rapport, Rolande Kpekou Tossou.

Le projet de loi C-18 réglemente les plateformes numériques en établissant un nouveau régime législatif et réglementaire pour exiger que les plateformes qui génèrent des revenus provenant de la publication de nouvelles partagent une portion de leurs revenus avec les entreprises de nouvelles canadiennes.

Les coûts financiers du projet de loi pour le gouvernement fédéral découlent principalement de l’élaboration de la loi et des activités administratives.

Le ministère du Patrimoine canadien et le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) sont les deux entités fédérales responsables de l’élaboration et de la mise en œuvre du projet de loi C-18.

Le secteur privé, essentiellement les entreprises de nouvelles, s’expose à des coûts de transaction et de conformité en vertu du projet de loi.

[Traduction]

Nous nous attendons à ce que les dépenses publiques totales liées à l’élaboration et à la mise en œuvre du projet de loi C-18 s’élèvent en moyenne à 5,6 millions par an sur cinq ans pour Patrimoine canadien et le CRTC. Le Budget de 2022 alloue au CRTC 8,5 millions de dollars sur deux ans, à compter de 2022-2023, pour la mise en œuvre du projet de loi.

En réponse aux demandes de renseignements du DPB, le CRTC et Patrimoine canadien ont fait savoir que :

[...] le financement prévu au Budget de 2022 ne sera pas permanent, car le CRTC lancera un processus de recouvrement des coûts dans le cadre de l’administration du régime.

Nous nous attendons à ce que les entreprises de nouvelles reçoivent au total des plateformes numériques une indemnisation de 330 millions de dollars par an et à ce qu’elles dépensent environ 21 millions de dollars en coûts de transaction et de conformité dans la négociation de leurs premières ententes prévues par le projet de loi C-18.

Rolande et moi-même nous ferons un plaisir de répondre à toutes vos questions concernant ce rapport ou d’autres travaux du DPB. Nous vous remercions de votre attention.

Le président : Je vous remercie.

La sénatrice Simons : Merci beaucoup, monsieur Giroux et madame Kpekou Tossou.

J’ai eu le privilège de recevoir ma propre note d’information sur votre rapport au moment où il a été publié pour la première fois, mais je demeure perplexe parce que je ne comprends pas d’où provient cette somme de 330 millions de dollars dont vous parlez. J’ai l’impression qu’on est en pleine abstraction. Vous vous dites que ce montant est nécessaire pour couvrir 30 % des dépenses pour les salles de rédaction, et que par conséquent, on arrive au nombre X. Mais si je peux me permettre, d’où sortez‑vous ce nombre?

M. Giroux : Il s’agit d’une question très pertinente, comme d’habitude, sénatrice.

J’admets qu’il n’y a pas beaucoup de lois de ce type dans le monde. Pour parvenir à une estimation adéquate, nous avons d’abord dû vérifier si cela avait été fait ailleurs. Nous avons ainsi constaté que l’Australie a mis en place une mesure législative qui n’est pas identique, mais largement similaire à ce qui est envisagé dans le projet de loi C-18.

Rolande s’est ensuite entretenue avec des intervenants ayant une expérience directe de la mise en œuvre du projet de loi en Australie, et de plusieurs accords connexes. C’est sur la base de ces discussions que nous sommes parvenus à ces estimations.

La sénatrice Simons : En Australie, d’après ce que j’ai compris, nous ne savons pas exactement quelles sommes sont impliquées, car tout le processus est soumis à des accords de non-divulgation et à une stricte confidentialité.

[Français]

Rolande Kpekou Tossou, analyste, Bureau du directeur parlementaire du budget : Merci pour la question. En Australie, on n’a pas eu de chiffres, mais le rapport d’opération sur la première année d’exécution du projet de loi est sorti. Lorsqu’on préparait ce rapport, on a eu une estimation générale qui ne donnait pas le montant exact obtenu par chaque entreprise. Cependant, on a eu une estimation exacte. Nous avons aussi consulté les entreprises, que ce soit les radiodiffuseurs ou les journaux papier; on a fait une consultation. Dans le temps, il y avait déjà des entreprises qui avaient conclu des accords avec Meta et Google. En se basant sur les réponses, sur les échanges qu’on a eus avec ces entreprises et sur l’estimation du revenu général obtenu de l’Australie, on est arrivé à ce pourcentage de 30 % pour les coûts de production des nouvelles.

[Traduction]

La sénatrice Simons : Merci beaucoup. L’autre question que je me pose est que le rapport suggère que les plus grands radiodiffuseurs vont recevoir le plus d’argent en raison de leurs dépenses importantes. Mais là encore, il s’agit d’une estimation, n’est-ce pas? Rien ne dit que, lorsque des ententes seront conclues ou que des parties entreront en arbitrage, on procédera avec un ratio d’indemnisation exact, dollar par dollar. Comme je l’ai dit, ce n’est qu’une hypothèse, n’est-ce pas?

M. Giroux : En effet, ces estimations sont basées sur ce que nous avons observé dans d’autres pays. Elles sont également basées, comme vous l’avez souligné, sur les dépenses des grands radiodiffuseurs. Les nouvelles produites par les grands médias ont tendance à jouir d’une circulation plus importante. À notre avis, il serait logique qu’ils reçoivent également une compensation financière proportionnelle à l’intérêt que leurs informations suscitent auprès des personnes qui les consultent sur les plateformes numériques.

La sénatrice Simons : Supposons, par exemple, que Facebook ne bluffe pas. Pour les besoins de notre hypothèse, supposons que les dirigeants de Facebook sont sincères lorsqu’ils affirment leur intention de se retirer complètement du marché canadien de l’information. Avez-vous effectué des calculs sur les répercussions financières du retrait de Facebook et de Google?

M. Giroux : Non, nous n’avons pas effectué ce genre de calculs, car la situation serait alors totalement différente. L’autre plateforme serait en effet dotée d’un plus grand pouvoir de négociation.

La sénatrice Simons : Je vous remercie.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Je vais reprendre certains propos, parce que je dois dire que je suis assez perplexe sur ce coût de 30 % des salles de nouvelles. On a essayé de toutes les façons possibles d’obtenir ce genre de chiffre de l’Australie. Nous n’avons pas pu. Est-ce que cela veut dire que vous avez réussi à obtenir les budgets de toutes les salles de nouvelles pour être en mesure d’en arriver à 30 %? Parle-t-on des accords d’un certain nombre de joueurs? C’est un chiffre très précis. Je trouve cela très mystérieux. Soit vous avez un secret fantastique, soit vous avez une hypothèse trop fragile.

M. Giroux : C’est une bonne question, madame la sénatrice. Le secret est assis à ma gauche. C’est vrai que Mme Kpekou Tossou a fait un excellent travail. Le chiffre de 30 % a été obtenu, comme Mme Kpekou Tossou l’a expliqué, en tenant des discussions et en regardant ce qui s’est passé en Australie. Les dépenses des médias, on les a obtenues en allant faire un tour à l’Agence du revenu du Canada et au CRTC, qui nous ont donné beaucoup de renseignements utiles et agrégés. Ces renseignements nous ont permis de déterminer le coût de production de plusieurs types d’établissements par taille et par type de média, pour la presse écrite et la presse électronique. En utilisant ce ratio de 30 %, on en est arrivé aux estimations de coûts.

La sénatrice Miville-Dechêne : Vous savez que le gouvernement conteste complètement votre étude en disant que cela n’a rien à voir et que ce chiffre de 30 % n’est pas ce qui va s’appliquer au Canada. Que pensez-vous de cette critique, qui est assez sévère?

M. Giroux : C’est une critique qui n’est pas inhabituelle lorsque je dépose des rapports. Ce n’est pas la première fois — et je ne pense pas que ce soit la dernière — qu’un gouvernement critique mes rapports. Par contre, on n’a rien vu de la part du gouvernement qui nous permettrait ou qui justifierait de revoir le rapport. Il y a des critiques, en effet; cependant, il n’y a pas de preuve matérielle ou de preuve substantielle montrant qu’on a erré en utilisant ces données.

La sénatrice Miville-Dechêne : Vous avez fait cela à une époque où à peu près 200 médias canadiens étaient soumis au projet de loi. Depuis, nous en sommes à 700 médias. Les chiffres tiennent-ils toujours? Les nouveaux médias qui se sont ajoutés sont plutôt de petits médias que de grands organes de presse. Faudrait-il refaire les calculs?

M. Giroux : Ce ne serait pas une mauvaise idée de refaire les calculs. Le nombre de médias a augmenté. Cependant, comme vous le mentionnez, ce sont de plus petits médias. Les chiffres pourraient varier, mais, étant donné que c’est une estimation, à la base, il y a probablement un degré d’erreur inhérent important. L’estimation serait différente. Cependant, est-ce que cela informerait de manière significative les parlementaires lors des débats? Je crois que les données additionnelles ne seraient peut‑être pas... Oui, allez-y.

La sénatrice Miville-Dechêne : Ce n’est peut-être pas votre travail, mais vous dites que les médias, les plus gros et sans doute certains d’entre eux, ont plus d’argent que d’autres et vont recevoir les plus gros montants. Devrait-on se servir de la Loi sur les impôts du Québec ou de la Loi de l’impôt sur le revenu du Canada, où l’on impose un plafond sur les salaires qu’on peut utiliser pour obtenir des subventions? Je crois que c’est 55 000 $ qui est le plafond maximum pour le salaire d’un journaliste; cela empêche d’avoir une telle distorsion dans les subventions données.

M. Giroux : C’est une avenue qui pourrait effectivement permettre de redistribuer l’argent des gros joueurs aux plus petits joueurs. Cela ne fait pas partie de mes responsabilités de me prononcer sur le design des politiques publiques ou de la législation qui n’est pas directement liée à mon mandat. C’est une avenue intéressante. Cependant, je ne peux pas me prononcer sur son bien-fondé.

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci.

[Traduction]

La sénatrice Wallin : Ce qui me préoccupe dans ce type de projets de loi, et dans celui-ci en particulier, c’est l’enjeu de la liberté d’expression et de l’accès à l’information.

Le projet de loi C-18 implique également une redistribution massive de la richesse d’un groupe d’entreprises à un autre. Nous devrions simplement convenir qu’il n’y a pas de valeur marchande dans ce cas ni de processus de marché. Il s’agit en tout et pour tout de la réglementation d’une activité économique par la loi.

S’il s’agit essentiellement d’un processus coercitif, c’est-à-dire ce que chacun peut obtenir de l’autre partie, alors j’ai l’impression que nous pourrons assister à toutes sortes de situations aberrantes. Par exemple, nous pourrions voir des journalistes publier des articles 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, dans le seul but de générer un plus grand volume d’informations.

Je sais que vous devez extrapoler plusieurs chiffres, mais avez-vous quoi que ce soit dans le projet de loi C-18 qui pourrait limiter ou même empêcher ce processus bizarre qui pourrait survenir?

M. Giroux : Pas que je me souvienne. Cependant, Patrimoine canadien et le CRTC disposeront d’un certain pouvoir réglementaire. Il pourrait y avoir des façons de contourner cela par l’entremise du processus de réglementation, mais je ne m’y connais pas assez en la matière. Je n’ai pas pu consulter les règlements pertinents, évidemment. À ma connaissance, la réponse est donc non.

La sénatrice Wallin : Donc, la situation étrange que j’ai évoquée pourrait survenir?

M. Giroux : En théorie, je crois que oui.

La sénatrice Wallin : D’accord.

M. Giroux : Les accords que le gouvernement va conclure vont probablement couvrir ce problème. Maintenant que vous avez révélé une telle possibilité, je suis certain que Meta et Google vont entreprendre des négociations en ce sens.

La sénatrice Wallin : Cette situation me préoccupe. Pour répondre à l’argument de la sénatrice Miville-Dechêne, à savoir que nous avons vu le nombre de personnes couvertes par cette organisation augmenter jusqu’à 700, il n’y a donc aucune contrainte à cet égard. Dans un avenir rapproché, le CRTC pourrait décider qu’un groupe d’étudiants universitaires de Regina et leur publication de deux pages se qualifient dorénavant en vertu du projet de loi.

M. Giroux : D’après ce que j’ai compris, le projet de loi limite sa portée aux organisations journalistiques canadiennes qualifiées. D’autres radiodiffuseurs se qualifient, évidemment, de même que certains organes de presse étrangers ayant établi une salle de rédaction au Canada. Le projet de loi est limité, mais Mme Kpekou Tossou peut intervenir pour rectifier mes propos si je me trompe.

[Français]

Mme Kpekou Tossou : Pour le moment, lorsqu’on préparait ce rapport, il y avait très peu de détails sur ce critère d’admissibilité. C’était assez général. On a considéré les organisations journalistiques déjà qualifiées. On a obtenu cette liste auprès de l’Agence du revenu du Canada. On a ajouté les radiodiffuseurs publics et privés, mais toute l’estimation a été faite sur le plan agrégé. On n’a pas compté les médias un à un; on a utilisé des données agrégées. Pour les radiodiffuseurs, nous nous sommes vraiment concentrés sur les groupes de propriétés au niveau agrégé. Les changements que j’ai lus concernent davantage les médias autochtones qui seront ajoutés, mais étant donné que c’est déjà dans le portefeuille du CRTC, ils sont déjà pris en compte dans notre estimation.

[Traduction]

La sénatrice Wallin : En effet, mais d’après la formulation du projet de loi, si un groupe de particuliers se réunit et prétend être un organisme qui crée du contenu d’information, et qui s’est doté de son propre code de déontologie journalistique, il peut alors se qualifier. C’est aussi simple que cela.

M. Giroux : Oui, en théorie, une telle situation est possible. Si cela devait devenir le cas pour d’autres plateformes, cela signifierait alors que le secteur des médias au Canada s’est considérablement développé.

La sénatrice Wallin : Cela pourrait aussi vouloir dire que plusieurs organismes prétendent faire partie du « secteur des médias », alors qu’ils n’ont en réalité rien à voir avec les médias.

M. Giroux : En effet, cela pourrait être le cas.

La sénatrice Wallin : Je souhaite poser une brève question à propos du CRTC. En effet, l’ancien président du CRTC nous a dit qu’en l’absence d’expertise au sein de l’organisme en matière de presse écrite ou même de contenu sur Internet, vous pensez que tout cela pourrait se faire au prix de la mise en place d’un nouveau département du CRTC avec toutes ces personnes et leurs opérations en cours pour 5,6 millions de dollars par année?

M. Giroux : Oui.

La sénatrice Wallin : Et quand serait-il du recrutement?

M. Giroux : Cela représente environ 20 ou 25 équivalents temps plein, ce qui n’est pas inhabituel. Nous basons nos projections sur d’autres activités du CRTC qui ne sont pas identiques, bien entendu, mais largement similaires.

La sénatrice Wallin : Je ne sais pas comment le CRTC pourra recruter ce personnel particulier, mais il faudra former ces nouveaux employés de manière continue, car le monde évolue littéralement au fur et à mesure que nous débattons de ce projet de loi. Pensez-vous que votre évaluation est optimiste ou conservatrice?

M. Giroux : Je dirais que mon évaluation se situe quelque part au milieu.

La sénatrice Wallin : Au recrutement s’ajoutent d’autres coûts administratifs. Que comprennent ces coûts?

M. Giroux : Il y a plusieurs coûts chez Patrimoine canadien, notamment le coût de la rédaction des règlements et de leur partie de l’accord. Les coûts administratifs du CRTC concernent leur propre partie de l’accord. Il s’agit de superviser les ententes, de les faire respecter, d’effectuer les vérifications nécessaires, et de financer plusieurs autres activités.

Le président : Madame Wallin, je peux vous inscrire pour la deuxième série de questions.

[Français]

La sénatrice Saint-Germain : Bonsoir et bienvenue à vous deux. Ma première question appelle une réponse très courte. En vertu des règles et des normes professionnelles auxquelles vous devez vous conformer, si vous n’avez pas l’assurance de publier un rapport contenant un maximum de certitudes et de valeurs, je crois que vous avez la possibilité de ne pas le publier. Est-ce exact?

M. Giroux : C’est exact.

La sénatrice Saint-Germain : Merci. J’ai d’autres questions. Ma première concerne les revenus et l’équilibre entre l’investissement gouvernemental — donc les coûts que devrait encourir le gouvernement et les revenus anticipés — et les profits pour les entreprises. Quelle que soit l’approche, et en supposant que vous avez été généreux — je suis dans l’hypothèse —, il me semble qu’on est capable de repérer rapidement un retour sur l’investissement, qui est quand même particulièrement important pour le gouvernement.

Confirmez-vous l’hypothèse selon laquelle le retour sur l’investissement du gouvernement pour les entreprises — quelle que soit l’hypothèse, même la plus conservatrice — est minimalement de l’ordre de 75 % environ?

M. Giroux : C’est effectivement le cas, si l’on suppose que les entreprises qui recevraient ces fonds devront payer de l’impôt, du moins une partie d’entre elles. En effet, le rendement est très important pour le gouvernement. Cela n’est pas atypique dans le cas d’une réglementation ou d’un projet de loi qui imposent des obligations à certains acteurs qui sont à l’extérieur du secteur gouvernemental.

La sénatrice Saint-Germain : Parfait. Je vous remercie de cette réponse. Tout à l’heure, on vous a demandé si vous croyiez que votre estimation était conservatrice ou généreuse, et vous avez dit qu’elle était quelque part entre les deux. Réviseriez-vous cette définition si vous ajoutiez que, pour ce qui est des retours sur l’investissement du gouvernement — donc les impacts sur les revenus qui seront perçus éventuellement au moyen de l’impôt des entreprises —, vous ne les avez pas évalués et vous n’avez pas considéré que cela amènerait votre rapport à être plutôt conservateur ou prudent?

M. Giroux : Merci de cette précision. C’est possible, mais il y a un degré d’incertitude assez élevé, étant donné la nouveauté de ce projet de loi et le type de négociation. Donc, c’est difficile de tenir compte de plusieurs choses lorsqu’à la base, l’estimation repose sur une série d’hypothèses dont quelques-unes ou plusieurs pourraient ne pas se réaliser.

La sénatrice Saint-Germain : Très bien. Je vous remercie de ce commentaire. Ma dernière question, qui m’amène à parler de la prudence de votre rapport, c’est que vous le soulevez en mentionnant des impacts qui sont qualitatifs. Il y aura une plus grande diffusion de contenu de la création québécoise, que ce soit journalistique ou autre. En raison de votre domaine professionnel, c’est difficilement évaluable ou quantifiable. Doit-on quand même considérer que l’on devrait ajouter, au caractère nouveau et au degré d’incertitude, un autre équilibre — qui est quand même anticipé —, qui est celui d’une notoriété et d’une diffusion du contenu québécois et canadien sur le plan qualitatif?

M. Giroux : C’est en effet un aspect important et il est difficile à quantifier pour des gens comme nous, qui sont intéressés par les chiffres et les choses qui se mesurent. C’est la raison pour laquelle les décisions vous reviennent à vous, parlementaires, plutôt qu’à nous, qui sommes ici pour vous aider, parce que vous pouvez tenir compte de ces arbitrages entre les choses que l’on peut vous aider à quantifier et les choses qui sont difficilement quantifiables, comme les avantages ou les répercussions des projets de loi.

La sénatrice Saint-Germain : Très bien. Je vous remercie.

[Traduction]

Le sénateur Manning : Je tiens à remercier tous nos témoins. Je voudrais juste revenir sur vos observations préliminaires et sur votre rapport du 22 octobre. Vous avez évoqué le fait que, selon les estimations, les entreprises de nouvelles dépenseraient environ 20,8 millions de dollars en coûts de transaction et de conformité pour inclure leurs premières transactions. Vous avez également dit que la Loi sur les nouvelles en ligne permettra d’apporter 329,2 millions de dollars par année à de nouvelles entreprises dans tout le pays.

Le rapport mentionne également, et c’est là que je veux en venir, qu’il sera plus coûteux pour les petites entreprises de mener des négociations et de se conformer à la nouvelle loi, parce que la plupart d’entre elles devront faire appel à une expertise externe, alors que les grandes entreprises disposent déjà d’une telle expertise à l’interne.

Plusieurs intervenants nous ont dit que, selon eux, le projet de loi C-18 n’est pas conçu pour les petites entreprises. Êtes-vous d’accord avec ce point de vue?

Par ailleurs, pensez-vous que certaines petites entreprises désavantagées vont choisir d’éviter toutes négociations en raison d’un manque de ressources qui les empêche de se conformer à la nouvelle loi?

M. Giroux : Il est évident que négocier avec de grandes entreprises bien établies comme Meta et Google peut être décourageant, en particulier pour les petites entreprises. On peut raisonnablement dire qu’il ne sera pas facile pour les petites entreprises d’être obligées de négocier avec des entreprises aussi bien établies, puis d’aller en arbitrage.

Je n’irais pas jusqu’à affirmer que le projet de loi a été conçu de manière à désavantager les petites entreprises ou les petits organismes, mais il est évident qu’il n’est pas parfaitement adapté à leurs besoins. Néanmoins, la possibilité pour les plus petits joueurs d’aller en arbitrage contribue probablement à atténuer ce genre de préoccupations, du moins en partie.

Le sénateur Manning : D’après votre expérience dans ce domaine, vous attendez-vous à voir survenir des coûts inattendus au fur et à mesure que le projet de loi sera mis de l’avant? Nous disposons de suggestions concernant les coûts de mise en conformité. Prévoyez-vous des coûts inattendus, en particulier pour les petites entreprises?

M. Giroux : Je pense qu’il s’agira principalement de coûts liés aux négociations et à l’arbitrage, mais je suis certain que l’expérience montrera qu’il y en aura d’autres. Je pense notamment aux coûts d’application ou, dans certains le cas de litiges, aux coûts liés à l’application des accords.

Il pourrait y avoir des coûts supplémentaires, mais je crois que ceux-ci devraient s’avérer relativement faibles par rapport aux coûts de transaction et de mise en conformité des accords initiaux. Il est très difficile d’anticiper ce que nous n’avons pas prévu au départ.

Le sénateur Manning : Nous avons également entendu au comité que certaines des plus grandes entreprises canadiennes ont déjà conclu des accords avec les plateformes numériques. Au moment de rédiger votre rapport, avez-vous pris en compte le fait que certaines de ces entreprises ont déjà conclu des ententes, mais que d’autres n’en ont pas? Est-ce que cela a quelque chose à voir avec les chiffres qui ont été avancés?

[Français]

Mme Kpekou Tossou : Il s’agit de l’estimation du revenu total attendu des plateformes, mais nous avons tenu compte du fait suivant : puisque certaines grandes entreprises ont déjà conclu des accords avec les plateformes, il devient encore plus difficile pour les petites entreprises de garder leurs journalistes. Ces dernières doivent donc proposer des salaires plus élevés pour garder leur personnel, car les grandes entreprises tentent d’attirer leurs journalistes. Cela génère des coûts additionnels pour ces petites entreprises que nous avons intégrés dans les coûts de transactions et de conformité.

[Traduction]

Le sénateur Manning : Votre rapport a été publié le 6 octobre 2022. Hier, nous étions le 6 juin 2023. Vos estimations ont-elles changé au cours des huit derniers mois? Où se situeraient-elles maintenant, à mesure que nous avançons dans l’étude de ce projet de loi et que nous entendons les acteurs touchés?

M. Giroux : Il serait difficile de déterminer si les chiffres ont changé sans refaire le rapport, mais à moins d’un grand changement révolutionnaire dans le paysage médiatique, il est difficile de voir ce qui pourrait changer radicalement notre estimation des coûts.

Le sénateur Manning : Les chiffres que vous avez publiés sont assez bien...

M. Giroux : Je le pense, en effet. Il pourrait y avoir des changements six mois plus tard, bien sûr, mais je pense que ce qui pourrait véritablement changer nos estimations de façon tangible, c’est les premières ententes qui seront signées et négociées, si le projet de loi devient loi.

Le sénateur Cardozo : Je vous souhaite à tous deux la bienvenue. Merci pour les explications que vous nous avez données.

Lorsque vous avez fait vos estimations, avez-vous examiné les chiffres de Patrimoine canadien? Le montant total du ministère n’est pas le même que le vôtre.

[Français]

Mme Kpekou Tossou : Le ministère a partagé ces chiffres avec nous et il a partagé quelques détails sur les ressources dont il aura besoin pour mettre en œuvre le projet de loi. Nous avons utilisé le nombre d’employés à temps plein que le ministère nous a fourni. Nous nous sommes basés sur les dépenses moyennes du ministère par le passé et nous avons utilisé nos projections afin d’estimer le coût associé à ce nombre d’employés à temps plein. Cependant, nos chiffres sont légèrement plus bas que ceux du ministère.

Le sénateur Cardozo : Pourquoi? S’agit-il de votre estimation?

[Traduction]

M. Giroux : Il est difficile de déterminer pourquoi sans connaître exactement le coût par ETP que les fonctionnaires ont utilisé. Nous utilisons les mêmes nombres d’ETP, d’employés à temps plein; ils ont probablement utilisé une combinaison légèrement différente de niveaux et de catégories de postes.

Le sénateur Cardozo : Vos chiffres diffèrent un peu, mais pas...

M. Giroux : Non, ils ne sont pas très différents.

Le sénateur Cardozo : Les Australiens à qui nous avons parlé ont laissé entendre qu’il n’y a pas vraiment de gâteau à partager; ce gâteau peut grossir ou changer. Est-ce la façon dont vous voyez les choses?

M. Giroux : Oui. Il est difficile d’y voir un gâteau fixe à partager, dans la mesure où le gâteau représenterait le cumul des revenus des plateformes visées, en particulier les revenus canadiens. C’est donc ce qui composerait le gâteau, mais je ne pense pas que tout ce gâteau soit à partager, parce que les revenus de Meta et de Google ne proviennent pas seulement du partage de contenu médiatique.

Il est difficile d’affirmer qu’il y a véritablement un gâteau à partager. Le gâteau, ce sont les revenus de Meta et de Google, mais je ne pense pas que ce soit ce qui est envisagé, de partager tous leurs revenus avec les médias.

Le sénateur Cardozo : L’une des préoccupations qui ont été soulevées, c’est qu’une trop grande partie des subventions ou des paiements irait aux grands joueurs plutôt qu’aux petits joueurs. Existe-t-il un moyen de changer la donne pour qu’une plus grande partie des subventions aille aux petits joueurs?

M. Giroux : Il y aurait sûrement moyen de le faire.

Quand j’étais plus jeune, un de mes patrons disait : « Le Parlement peut décider que les lundis seront des vendredis. » Je suis donc certain qu’il existe un moyen de remanier la loi pour favoriser une répartition différente des revenus entre les petits et les grands joueurs, mais je n’ai pas les compétences nécessaires pour vous donner des conseils sur la façon dont cela pourrait ou devrait se faire. Je suis sûr qu’il y aurait moyen de le faire, cependant.

Le sénateur Cardozo : Dommage. J’allais justement vous demander conseil.

M. Giroux : Je suis désolé.

Le sénateur Cardozo : Merci beaucoup.

La sénatrice Dasko : Je vous remercie de votre présence ici aujourd’hui. Mes questions portent sur la recherche australienne que vous avez effectuée, particulièrement sur le processus de négociation. Quand vous parlez de 30 % des coûts de production des nouvelles, je suppose qu’il s’agit d’un résultat et non d’une base de négociation, n’est-ce pas?

M. Giroux : Effectivement. Nous pensons qu’il s’agit du résultat.

La sénatrice Dasko : Sur quoi se fondent les négociations alors?

J’aimerais également connaître les différences entre Google et Facebook, ce que les entreprises ont obtenu des deux plateformes. Cela nous donnerait une idée de l’ordre de grandeur de ce qui est réellement négocié. C’est vous qui avez mené ces recherches, madame Kpekou Tossou, vous pouvez donc nous décrire ce que vous avez compris. Voilà ma question.

M. Giroux : Je n’ai aucune idée de la position initiale présentée lors des négociations. Mme Kpekou Tossou la connaît peut-être, mais pas moi. Personnellement, je n’ai pas vérifié d’où sont parties les négociations et où elles ont abouti. Ce qui m’intéressait surtout, c’était le résultat final.

La sénatrice Dasko : Pourquoi se sont-elles terminées ainsi? C’est ma question. Est-ce qu’ils se sont simplement dit : « Il est 17 heures, donc j’obtiendrai tant. »

[Français]

Mme Kpekou Tossou : Il y avait deux bases de négociation. Les détails sont confidentiels, mais ce sont juste des rapports généraux qu’on a lus; il y avait deux possibilités de négociation. La première est basée sur la portée du contenu partagé, c’est-à-dire le nombre de clics que cela peut générer; la deuxième possibilité, ce sont les coûts, ce que cela coûte à l’entreprise de créer le contenu. Dans le cas de la première possibilité, il est difficile d’estimer le nombre de clics liés à chaque contenu de nouvelles.

Donc, notre approche est basée sur le coût de production. Dans le rapport que le professeur Rodney Smith a publié, il disait que le contenu des accords était confidentiel, mais au total, de façon générale, le montant récolté couvrait entre 20 % et 30 % des coûts de production des nouvelles en Australie. Par contre, il n’y avait pas de détails sur la base de négociation pour chaque média pris individuellement.

[Traduction]

La sénatrice Dasko : Les entreprises ont-elles reçu plus de Facebook ou de Google, ou ont-elles reçu la même chose des deux?

[Français]

Mme Kpekou Tossou : En général, dans les 30 %, soit 20 % de Google et 10 % de Facebook, donc plus de Google que de Facebook.

[Traduction]

La sénatrice Dasko : Pourquoi?

[Français]

Mme Kpekou Tossou : Je ne sais pas.

[Traduction]

La sénatrice Dasko : Cela sort de nulle part?

Vous avez mentionné plus tôt le nombre de clics. Moins il y a de clics sur Facebook, moins Facebook paie.

M. Giroux : Les gens de Facebook nous ont dit qu’ils tiraient très peu de valeur du partage du contenu des nouvelles.

La sénatrice Dasko : C’est ce qu’ils nous ont dit, oui.

M. Giroux : Je suppose qu’ils vous l’ont dit à vous aussi, mais je n’ai aucun moyen de le vérifier de manière indépendante.

La sénatrice Dasko : C’est ce qui s’est passé en Australie : les entreprises ont reçu moins de Facebook.

M. Giroux : Exactement.

La sénatrice Dasko : Je ne sais pas si je peux vous interroger sur l’article 86 du projet de loi, par exemple, qui porte sur le rapport d’un vérificateur indépendant. Je sais que vous n’êtes pas un vérificateur indépendant.

Avez-vous jeté un coup d’œil à la liste des renseignements sur lesquels devrait se fonder le rapport du vérificateur, selon le projet de loi? Je me demandais si vous l’aviez vue et si ces données étaient adéquates. Êtes-vous sûr que le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, ou CRTC, sera en mesure de recueillir ces données auprès de tous les acteurs concernés par ce projet de loi et de les remettre au vérificateur?

M. Giroux : Oui, je crois qu’il ne sera pas trop contraignant pour les organisations déjà réglementées de recueillir ces données, puisqu’elles doivent déjà tenir une comptabilité et consigner toutes sortes de renseignements.

Nous n’avons pas examiné tous les détails. Il n’y en a pas tant que cela, de toute façon.

La sénatrice Dasko : D’accord.

M. Giroux : Mais nous pensons qu’il serait assez facile pour un vérificateur d’obtenir ces renseignements.

La sénatrice Dasko : D’accord, et le CRTC pourrait recueillir ces données, il a le pouvoir de le faire?

M. Giroux : Selon la loi, oui.

La sénatrice Dasko : Merci.

Le sénateur Harder : Merci à nos témoins. J’ai quelques questions concernant la recherche que vous avez effectuée sur l’expérience australienne.

Les Australiens nous ont appris que dans les ententes conclues, les petites entreprises ont obtenu un plus grand avantage par habitant. Je me demande si dans le cadre de vos recherches, vous avez pu vérifier cette affirmation et si cela a été pris en compte pour évaluer la valeur totale des négociations.

M. Giroux : Non, je suis désolé.

Le sénateur Harder : Ma deuxième question concernant l’Australie, c’est que nous avons également appris des Australiens que les petits médias négociaient collectivement pour renforcer leur pouvoir de négociation, mais aussi pour réduire les coûts du processus de négociation pour chacun. Je me demande si vos travaux vous ont permis de confirmer que les petites entreprises ont effectivement bénéficié de cette action et de cette négociation collectives.

[Français]

Mme Kpekou Tossou : On a supposé qu’une petite portion des petites entreprises s’enregistrerait auprès du CRTC pour suivre la négociation obligatoire. Cependant, dans notre estimation, on a supposé que ces entreprises négocieront de façon individuelle, parce qu’il est difficile de savoir combien d’entreprises vont se regrouper — ni lesquelles — pour négocier. On a donc supposé dans notre estimation qu’elles allaient négocier individuellement. Cependant, s’il s’avérait qu’elles décident de négocier collectivement, cela réduirait un peu les coûts de transaction et de conformité.

Le sénateur Harder : Merci.

[Traduction]

Dans le cadre des travaux que vous avez menés avant octobre, et depuis que vous avez publié votre rapport en octobre, avez-vous eu des discussions avec des entrepreneurs canadiens bénéficiant d’ententes, qui auraient accepté de commenter votre cadre à la lumière de leur expérience, des gens d’entreprises particulièrement petites ou grandes? Sans révéler l’identité de ces entreprises, pourriez-vous nous dire si vous avez reçu des commentaires des entrepreneurs canadiens qui entretiennent des relations avec ces plateformes?

[Français]

Mme Kpekou Tossou : Lorsque nous préparions le rapport, nous avons fait des consultations auprès des entreprises. Parmi celles que nous avons consultées, certaines avaient déjà conclu des accords. On n’a pas eu beaucoup de détails sur le contenu des accords, mais on a pu déduire notre hypothèse de 30 % à partir de leurs discussions et de ce qu’on a lu sur l’expérience australienne.

[Traduction]

Le sénateur Harder : Je vous remercie.

Ma dernière question est celle-ci : depuis la publication du rapport, avez-vous reçu des demandes de renseignements de la part d’autres pays qui envisagent d’adopter une loi similaire? Nous savons, par exemple, que la Grande-Bretagne, l’Inde et l’Union européenne se penchent sur la question, et même les États-Unis, tant au Congrès qu’au niveau des États, où il y a des discussions plus approfondies. Avez-vous reçu des demandes de renseignements de la part d’autres pays sur la façon dont vous avez effectué votre travail et sur les estimations que vous avez présentées?

M. Giroux : Il existe un bon réseau de bureaux du directeur parlementaire du budget, à l’échelle internationale, et la question n’a pas été soulevée lors des réunions auxquelles j’ai participé.

Je ne sais pas si Mme Kpekou Tossou a reçu des demandes — elle fait signe que non. Nous n’avons pas reçu de demandes sur notre évaluation des coûts ni sur l’approche que le gouvernement propose d’adopter.

Le sénateur Harder : Merci.

Le sénateur Quinn : Je vous remercie d’être ici ce soir. J’aimerais revenir un peu sur la répartition des revenus dont il a été question tout à l’heure. Bien sûr, les calculs ne se fondent pas sur l’ensemble des revenus que les plateformes touchent, mais leurs représentants ont affirmé devant nous qu’environ 4 % de leurs revenus publicitaires seraient attribuables aux nouvelles.

Est-ce le chiffre à partir duquel vous avez fait vos calculs? Si les revenus publicitaires sont de tant, 4 % de la somme sont attribuables aux nouvelles. Est-ce ce sur quoi vous avez fondé votre calcul?

M. Giroux : Nous avons adopté un autre angle d’approche. Nous avons examiné les coûts. Plutôt que d’évaluer les revenus — la part du gâteau à répartir — nous avons examiné les comportements en vertu d’autres types d’accords, en Australie, ou en vertu des accords volontaires qui ont déjà été conclus, et nous avons supposé que 30 % des coûts de production des nouvelles seraient couverts par ces accords. Ce ne sont pas les revenus des plateformes qui seraient partagés. Ce sont seulement les coûts de production qui seraient couverts.

Le sénateur Quinn : J’ai une autre précision à demander. Si l’on estime à 30 % les coûts de production des nouvelles et que la plateforme déclare que 4 % de ses revenus proviennent des nouvelles, il y a tout un écart. Qu’en faites-vous?

M. Giroux : Tout dépend de l’exactitude de ces affirmations. Par ailleurs, 4 % d’une petite fortune peuvent représenter une somme importante.

Je comprends que certains sénateurs puissent être mal à l’aise avec cette approche, mais la méthode que nous avons utilisée pour faire ces estimations était la meilleure que nous pouvions trouver, puisqu’un seul autre pays l’a fait jusqu’à présent.

Le sénateur Quinn : Ma dernière question est la suivante : quand ce projet de loi deviendra loi, en supposant qu’il acquière force de loi, ferez-vous des vérifications de temps en temps pour recueillir de l’information sur la façon dont tout cela fonctionne?

M. Giroux : Ce sont généralement d’autres entités ayant une fonction de vérification qui sont chargées de vérifier après coup ce qui s’est passé, mais si un comité du Sénat ou de la Chambre nous le demandait, nous pourrions mener une étude en ce sens.

Le sénateur Quinn : Merci.

Le président : Chers collègues, nous allons passer au deuxième tour. Nous disposons d’un temps limité, donc chacun aura environ trois minutes.

La sénatrice Simons : J’aimerais aborder la question sous un autre angle. Vous avez dit que le CRTC s’attend, selon vous, à recouvrer ses coûts supplémentaires. Les coûts supplémentaires qu’engendrerait l’administration de ce programme seraient considérables. Cela dépasse de loin le mandat actuel du CRTC. Croyez-vous que le modèle de recouvrement des coûts fonctionnera? À votre avis, combien d’argent le CRTC devrait-il recevoir des plateformes pour s’autofinancer? Encore là, si au moins une des plateformes ne veut pas jouer le jeu, quelle incidence cela aura-t-il sur la capacité du CRTC à recouvrer ses coûts?

[Français]

Mme Kpekou Tossou : Lorsqu’on préparait le rapport, nous avons demandé à des gens du CRTC quelle serait leur approche pour recouvrir les frais, mais ils n’ont pas fourni de détails parce qu’ils disent qu’en ce moment, ils ne savent pas encore comment le projet de loi va fonctionner.

Donc, pour estimer les coûts de transaction et de conformité pour les entreprises de nouvelles, nous avons eu des échanges avec l’Office des transports du Canada, qui a l’habitude de faire des négociations et des arbitrages, pour voir ce que cela leur coûte de superviser un programme de négociation. C’est en nous basant sur les chiffres qu’ils nous ont donnés que nous avons estimé ce que cela coûtera aux entreprises.

En effet, dans le projet de loi, on mentionne que les entreprises devront payer pour le service que le CRTC rendra concernant le projet de loi. Donc, c’est en nous basant sur les informations reçues auprès de l’Office des transports du Canada sur leur programme de négociation...

La sénatrice Simons : Mais ce n’est pas exactement la même chose.

Mme Kpekou Tossou : Ce n’est pas exactement la même chose, mais c’est la meilleure information dont on disposait à ce moment-là...

La sénatrice Simons : Croyez-vous que cela suffit pour toutes les choses que le CRTC devra payer après l’adoption de ce projet de loi?

M. Giroux : J’ai confiance que c’est suffisant, mais cela dépendra évidemment de la nature des relations entre les plateformes et les médias. S’il y a beaucoup d’arbitrages et de conflits à régler, les coûts seront plus élevés, mais c’est difficile actuellement de déterminer quel sera le niveau d’animosité et de chicane.

[Traduction]

La sénatrice Simons : Avec tout le respect que je dois à votre travail, j’ai plutôt l’impression que vous cherchez à lire l’avenir dans une boule de cristal ou à faire un horoscope. Vous n’avez pas l’information nécessaire pour faire une évaluation éclairée parce que personne ne vous l’a donnée.

M. Giroux : Eh bien, nous avons reçu de l’information de Patrimoine canadien, il y a un pays qui a déjà établi quelque chose de semblable et il y a des processus d’arbitrage qui existent déjà au sein du gouvernement du Canada, alors nous ne partons pas absolument de zéro. Il y a des éléments de comparaison qui existent déjà.

La sénatrice Wallin : J’essaie de comprendre combien nous faisons payer les contribuables, les organismes de presse et maintenant les plateformes pour financer les organismes de presse en difficulté. Il s’agit peut-être de 300 millions de dollars. Nous ne le savons pas, mais nous sommes en train d’évaluer combien cela représente.

Je dresse une liste rapide : il y a le crédit d’impôt pour la main-d’œuvre journalistique canadienne, le Fonds du Canada pour les périodiques, l’Initiative de journalisme local, le crédit d’impôt pour les abonnements aux nouvelles numériques, entre autres, et le milliard et plus que nous donnons à la SRC pour empêcher les médias étrangers de s’accaparer notre marché. Avez-vous une idée de ce que les programmes existants nous coûtent?

M. Giroux : Nous n’avons pas examiné l’ensemble des mesures de soutien au secteur des nouvelles ou des médias.

La sénatrice Wallin : D’accord. C’est tout ce que j’avais à dire. Je vous remercie.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Dans les documents d’information du gouvernement, il est question de la valeur marchande du contenu des nouvelles et du fait qu’il doit y avoir de la négociation à ce sujet.

À votre avis, quelle serait la méthodologie pour estimer ce chiffre? Est-ce que, à part les dépenses en main-d’œuvre — qui semblent être ce sur quoi vous vous êtes basés —, il y a une méthodologie permettant de mesurer la valeur marchande des nouvelles?

M. Giroux : C’est une question très délicate, parce qu’il est très difficile d’estimer la valeur marchande de quelque chose en l’absence d’un marché.

Il y a beaucoup de gens pour qui les nouvelles devraient être gratuites et qui ne sont pas prêts à payer quoi que ce soit, alors que d’autres sont prêts à payer quelques centaines de dollars par année pour avoir accès à un type de renseignements ou d’informations.

Donc, la valeur marchande de l’information est difficile à estimer dans ce contexte, lorsque les gens sont habitués à recevoir des choses gratuitement ou s’y attendent.

La sénatrice Miville-Dechêne : Vous avez fait allusion au fait que Google aurait plus de pouvoir de négociation si Meta se retirait.

Est-ce que vous pourriez en dire un peu plus sur cette idée intéressante?

M. Giroux : Si l’un des deux joueurs se retire complètement de la diffusion des liens vers les nouvelles, évidemment, il en reste juste un qui est couvert par la législation. Cela donne beaucoup de pouvoir lorsqu’on est en situation de monopole. Donc, le pouvoir de négociation pour réduire les paiements versés aux organisations de nouvelles ou aux médias augmenterait considérablement pour le seul joueur restant.

Est-ce qu’une situation de monopole plutôt qu’une situation de duopole ferait une grosse différence? Probablement pas, mais c’est le genre d’expérience sociale qu’on ne fera probablement pas. On ne pourra pas voir deux situations différentes et savoir ce qui se passera dans chacun des cas.

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci.

[Traduction]

Le sénateur Cardozo : J’ai une question concernant les estimations des coûts pour Patrimoine canadien et le CRTC, peut-être surtout pour Patrimoine canadien. Prévoyez-vous que ses coûts seront plus élevés au début, puis qu’ils diminueront une fois que tout aura été mis en place?

M. Giroux : Je m’attends à ce que ses coûts soient plus élevés au début parce qu’il s’agit d’une nouvelle loi qui nécessitera l’acquisition de nouvelles compétences, la rédaction de règlements, etc. Les coûts devraient se stabiliser après quelques années et probablement diminuer un peu.

Le sénateur Cardozo : Au CRTC?

M. Giroux : À Patrimoine canadien, mais le ministre et ses fonctionnaires seraient mieux placés que moi pour répondre à cette question. Quoi qu’il en soit, c’est ce à quoi je m’attends.

Le sénateur Cardozo : Est-ce que ce serait la même chose pour le CRTC?

M. Giroux : Comme le CRTC devrait s’acquitter de fonctions permanentes dans le règlement des différends et l’application de la loi, je m’attendrais à ce que ses coûts augmentent aussi au début, mais il n’est peut-être pas si évident qu’ils diminueraient ou se stabiliseraient autant que ceux du ministère du Patrimoine canadien ensuite.

Le sénateur Cardozo : Est-ce que cela se poursuivra une fois qu’il aura conclu la première série d’ententes?

M. Giroux : Il y a probablement une partie des dépenses qui demeureront, et il faudra sûrement exercer de la surveillance et assurer le respect des ententes à long terme, de sorte que je m’attends à ce que les coûts annuels restent relativement stables au fil du temps. L’un de vos collègues qui a été sous-ministre dans la fonction publique acquiesce, ce qui me rassure.

[Français]

Le président : Encore une fois, merci, monsieur Giroux et madame Kpekou Tossou, pour votre présence et vos réponses aujourd’hui; c’est très apprécié.

Nous reprenons la réunion pour poursuivre notre examen du projet de loi C-18, Loi sur les nouvelles en ligne.

[Traduction]

Pour la deuxième heure, nous accueillons l’honorable Pablo Rodriguez, c.p., député, ministre du Patrimoine canadien. Il est accompagné d’Isabelle Mondou, sous-ministre, et bien sûr, d’une personne qui n’a pas besoin de présentations à ce comité, Thomas Owen Ripley, sous-ministre adjoint délégué aux Affaires culturelles. Il est ici presque aussi souvent que certains de nos collègues. Bienvenue, monsieur Ripley et madame Mondou.

[Français]

Bienvenue, monsieur Rodriguez.

[Traduction]

Monsieur le ministre, vous avez la parole pour votre déclaration préliminaire, après quoi mes collègues vous poseront des questions.

[Français]

L’honorable Pablo Rodriguez, c.p., député, ministre du Patrimoine canadien : Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, merci de m’avoir invité aujourd’hui pour parler du projet de loi C-18, Loi sur les nouvelles en ligne.

Merci également pour tout l’important travail que vous réalisez sur ce projet de loi.

Je l’ai souvent dit par le passé et je le répète aujourd’hui : depuis 2008, c’est près de 500 médias d’information qui ont fermé leurs portes dans 335 communautés partout au Canada.

On parle ici de journaux, de journaux locaux, de chaînes de télévision, de postes de radio, de sites d’information, et j’en passe. Derrière tout cela, il y a de vraies personnes qui perdent leur travail.

[Traduction]

Voilà la raison d’être de ce projet de loi. C’est également l’avenir de l’industrie de l’information de notre pays et le maintien de la démocratie, parce que notre démocratie — comme toute démocratie — a besoin d’une presse libre, indépendante et prospère.

Nous avons tous besoin de nouvelles opportunes et fondées sur des faits pour prendre des décisions rationnelles, combattre la désinformation et participer à notre démocratie. Aujourd’hui, je m’écrierais que c’est plus important que jamais — et je suis convaincu que vous seriez tous d’accord.

Internet a radicalement changé notre façon de créer, de chercher et de consommer du contenu. C’est particulièrement vrai des nouvelles. De plus en plus de Canadiens se tiennent informés grâce aux plateformes numériques. Environ 77 % d’entre eux consomment leurs nouvelles en ligne, dont 55 % sur les médias sociaux. Entretemps, notre secteur traditionnel de l’information est en crise.

Nous déplorons tous le grand déséquilibre des forces sur le marché de l’information. C’est évident. Les mesures récentes des grandes plateformes en sont une démonstration très claire. En ce moment même, rien n’incite les plateformes numériques à rémunérer nos entreprises de nouvelles ou nos journalistes, à les rémunérer suffisamment pour leur contenu.

Tout ce que je viens d’énumérer influe directement sur la capacité des Canadiens d’avoir accès à des nouvelles dignes de foi.

[Français]

Donc, le projet de loi C-18 propose des actions concrètes pour répondre à tout ce que je viens de dire. Il propose d’en finir avec le statu quo, parce que le statu quo, à mes yeux, n’est pas acceptable. Il donne une feuille de route claire aux plateformes sur les critères à respecter dans les négociations avec les entreprises de nouvelles.

Aussitôt que la Loi sur les nouvelles en ligne aura été adoptée, nous tiendrons des consultations auprès des Canadiens. C’est très important. Les Canadiens auront leur mot à dire dans le cadre d’un processus ouvert et transparent.

[Traduction]

Comme vous le savez, les députés, pendant l’étude du projet de loi, ont présenté des amendements essentiels à une plus grande inclusion des jeunes pousses et des petits médias d’information.

[Français]

On a aussi mentionné que, par l’intermédiaire du processus de négociation collective que vous connaissez bien, le projet de loi permet aux entreprises de nouvelles de se réunir afin de négocier des contributions équitables. Cela vient augmenter de manière importante le pouvoir de négociation des entreprises de petite taille ou celles qui sont issues de la diversité.

Vous le savez, le projet de loi s’inspire du modèle australien, qu’on a beaucoup analysé et qui a permis d’obtenir une compensation équitable pour les médias d’information.

On a donc pris des éléments d’un projet qui fonctionne bien à la base, mais on l’a bonifié avec plusieurs éléments, comme la transparence, mais aussi avec des éléments qui sont typiquement canadiens.

Pour avoir participé à des conférences à travers le monde, je vous dirais que le Canada est en train de tracer la voie. Pourquoi le fait-on? Parce que les Canadiens s’attendent à ce qu’on agisse pour protéger leur journalisme local, et parce qu’ils s’attendent aussi à ce qu’on le fasse de manière transparente.

C’est pour cette raison de transparence qu’il y aura un vérificateur indépendant qui évaluera chaque année dans quelle mesure la loi atteint son objectif, qui est d’avoir un écosystème de nouvelles plus équitable. Cela nous permettra de corriger le tir chaque année, si nécessaire.

[Traduction]

Comme vous le savez, nous avons étudié ce projet de loi, nous l’avons examiné, nous l’avons bonifié. Nous avons écouté toutes les parties prenantes. Vous faites ici un travail incroyable. Nous avons répondu à beaucoup de motifs de préoccupation soulevés pendant son étude à la Chambre, et, pour cette raison, le projet de loi est plus solide et il l’est davantage grâce à votre propre apport.

J’ai répété à maintes reprises que la Loi sur les nouvelles en ligne n’est pas une solution miracle. Elle ne résoudra pas tous les problèmes ni toutes les difficultés qu’affronte le secteur, mais elle donnera aux médias canadiens d’information une chance pour se reconstruire et prospérer dans un écosystème plus durable et plus équitable de l’information.

J’ai dit que le monde surveillait le Canada. C’est ce que me disent les ministres européens à qui je parle régulièrement. Nous tous, à la Chambre des communes et dans le comité sénatorial, ici, nous prenons carrément l’initiative sur cette question.

Je tiens à conclure par une question très simple. Collectivement, aurons-nous le courage de tenir tête aux grandes plateformes numériques? Un coup d’œil autour de moi me fait deviner, me convainc que la réponse sera oui.

[Français]

Le président : Merci, monsieur le ministre. Nous allons maintenant passer à la période des questions.

La sénatrice Saint-Germain : Bonsoir, monsieur le ministre, et bonsoir à vos accompagnateurs. Dans ce débat entourant le projet de loi C-18, on parle beaucoup — et vous y avez fait référence dans vos remarques liminaires — d’un équilibre des forces en présence. On a beaucoup entendu parler des géants, Meta, Google, Facebook et les autres, et de la difficulté de négocier avec eux. On a toujours l’impression qu’ils rendent un service aux médias en diffusant leurs nouvelles. J’aimerais vous entendre sur l’autre côté de la médaille. Selon vous, quels sont ces avantages que ces géants du Web tirent des médias canadiens? Au fond, ils se sont approprié du contenu canadien; ils considèrent que ces médias ont une valeur et que cela bénéficie à leur chiffre d’affaires. Donc, quels sont les avantages que tirent ces géants du Web des contenus des médias canadiens?

M. Rodriguez : Je vous remercie de la question. Je vous dirais que l’avantage est d’attirer des gens et de les garder sur leurs plateformes le plus longtemps possible; c’est comme cela qu’ils génèrent de l’argent. Ils ont tant de trafic, leurs utilisateurs passent tant de temps sur leurs plateformes, cela a une valeur, donc ils peuvent vendre cela aux annonceurs. En ce qui concerne le contenu qu’ils vendent, donc les nouvelles, ils ne donnent aucune rétribution et pourtant, ce contenu a une valeur.

J’ai participé récemment à une émission de télévision sur la chaîne LCN. J’ai mentionné en entrevue que ce qu’ils font là a une valeur; le temps qu’ils ont pris pour préparer l’entrevue, le travail des recherchistes, le travail de l’équipe technique et du caméraman. Collectivement, cela vaut quelque chose. Il faut simplement qu’ils soient payés de façon équitable, pas plus, pas moins, mais équitable, parce que cela a une valeur et que cela donne une valeur aux plateformes.

La sénatrice Saint-Germain : Vous avez tenu de nombreuses consultations avec les différents médias et les différentes entreprises canadiennes. Vous avez mentionné que le statu quo n’est pas une option. Les entreprises considèrent-elles que le projet de loi répond de manière satisfaisante à l’ensemble de leurs préoccupations et, conséquemment, rétablit un certain équilibre des pouvoirs, auquel vous avez fait référence au début de votre présentation comme étant un objectif?

M. Rodriguez : Je dirais que oui. On est tous d’accord pour dire que ce n’est pas une solution unique, que ce n’est pas une solution qui réglera tout. Par contre, vous venez de le dire, cela vient rétablir un certain équilibre et cela force les plateformes à négocier, ce qu’elles ne veulent pas nécessairement faire. J’irais plus loin que cela : de façon générale, je dirais que les plateformes ne veulent pas être réglementées. On l’a vu avec le projet de loi C-11, on le voit également avec le projet de loi C-18 et on le voit de façon générale. Actuellement, il n’y a rien qui les réglemente ou qui les oblige à faire quelque chose, donc c’est un peu le Far West — et cela leur convient très bien.

Cependant, ce n’est pas comme cela qu’une société fonctionne. Il y a des règles à suivre; on suit tous des règles autour de la table, les entreprises canadiennes les suivent également, alors comme citoyens corporatifs, ils doivent les suivre également. Le projet de loi C-18 vient rétablir un certain équilibre et vient donner une certaine capacité de négocier à nos médias, notamment de façon collective. Comme vous avez pu l’entendre, trop de médias sont beaucoup trop petits pour s’asseoir en face de Google et Facebook. Ils auront donc la capacité de s’associer afin de négocier autour de cette table. Je pense que c’est une bonne piste de solution.

La sénatrice Saint-Germain : Actuellement, au pays, on entend parler d’un déséquilibre entre les grands médias et des médias plus petits qui pourraient se regrouper. Certains considèrent que trop de médias seraient couverts par l’entente, notamment les plus petits. Comment réagissez-vous à ce commentaire?

M. Rodriguez : Ce que l’on souhaite, c’est que les ententes contribuent au maintien et à l’épanouissement d’un écosystème de nouvelles à travers le Canada qui fait le travail qu’on attend de lui. Il y a actuellement plusieurs régions qui ne sont pas desservies. Il y a des députés qui retournent chez eux et qui ne bénéficient pas d’une couverture de leur travail. Les citoyens de chaque région ont le droit de savoir ce que leur député fait lorsqu’il va à Ottawa, à Queen’s Park ou à Québec — ce que fait leur élu local.

Donc, ce projet de loi renforcera cet élément extrêmement fondamental à notre démocratie. En l’absence d’un journalisme indépendant, neutre et non partisan, ce sont d’autres types d’informations qui combleront l’espace. À mon avis, cela est néfaste pour notre société.

La sénatrice Saint-Germain : Merci.

La sénatrice Miville-Dechêne : Bienvenue, monsieur le ministre. Je vais vous poser une question de principe. Lors de notre étude du projet de loi C-18, des témoins et vos propres fonctionnaires ont reconnu qu’il y avait un échange de valeurs entre les entreprises médiatiques et les grandes plateformes. Donc, le contenu des nouvelles a évidemment une valeur pour les plateformes, et la diffusion et le référencement des plateformes a une valeur pour les entreprises médiatiques; cela va dans les deux sens. En Australie, dans le Bargaining Code qui a servi de modèle, l’architecte de ce code, qui s’appelle Rod Sims, a écrit ceci — et je le cite en anglais pour que ce soit plus clair :

[Traduction]

[...] le projet de texte n’autorisait les arbitres qu’à reconnaître la valeur que les entreprises de nouvelles procuraient aux plateformes, sans égard à la valeur que les plateformes procuraient aux entreprises de médias… mais cette position était indéfendable.

[...] le gouvernement a reconnu que l’arbitre devait tenir compte des valeurs qui circulaient dans les deux sens.

[Français]

Donc, le code australien stipule clairement que les ententes entre médias et plateformes doivent tenir compte de la valeur monétaire ou autre reçue par chaque partie. Est-ce votre compréhension du fonctionnement du projet de loi C-18?

M. Rodriguez : Oui, il faut qu’ils s’entendent. En fait, ce que l’on souhaite, c’est qu’il y ait une table de négociation dans le milieu et que tout se fasse sur la base de négociations libres et éclairées. Dans cette négociation, on a les plateformes d’un côté et de l’autre, on a les médias d’information. Les plateformes diront que le fait qu’ils diffusent le contenu des médias d’information et qu’ils soient sur leurs réseaux a une valeur — et cela en a une — et les médias diront qu’ils font un travail de recherche et que cela a une valeur. Ils s’assoiront ensemble et négocieront en fonction de cela.

La sénatrice Miville-Dechêne : Plus précisément, est-ce que c’est la base du projet de loi C-18? Ou bien la base du projet de loi C-18 est-elle ce que les médias en disent, soit qu’ils veulent aller chercher une subvention qui correspond entre 20 % et 30 % de leur masse salariale de journalistes? On entend ces deux discours, monsieur le ministre. J’aimerais donc savoir ce que vous voulez faire exactement avec le projet de loi C-18, parce qu’il n’y a pas de définition de ce que seront ces négociations.

M. Rodriguez : Non, et je ne veux pas en remettre. De plus, je ne veux pas parler d’un pourcentage de 20 % ou de 30 %; pour moi, ce n’est pas basé là-dessus. En Australie, c’est autour de 30 %, mais ce n’est pas parce qu’il fallait que cela arrive à 30 % au début; c’est arrivé comme cela. Cela aurait pu arriver à 28 %, 24 % ou 32 %, mais c’est arrivé autour de 30 %. Ce que je souhaite, c’est que ce soit les négociations les plus libres possibles.

La sénatrice Miville-Dechêne : Sur la valeur respective de l’information.

M. Rodriguez : Pour ce que chacun considère comme étant de la valeur, il négocie. C’est pour cela que si vous me demandez quel est le montant maximum, je vais vous répondre qu’il n’y en a pas. En fait, ce qui sera négocié individuellement formera la valeur collective à la fin, c’est-à-dire la totalité des sommes négociées de part et d’autre. On ne leur dit pas qu’ils doivent s’entendre sur tel élément ou tel pourcentage d’une salle de presse, et surtout pas sur des liens, parce que ce n’est pas à propos du nombre de clics; c’est simplement qu’il faut s’entendre sur une valeur globale. Donc, on garde tout cela très général volontairement.

La sénatrice Miville-Dechêne : Dans votre discours, ne sous‑estimez-vous pas la valeur du fait d’être diffusés pour les médias? Tout récemment, Le Devoir nous a affirmé que 80 % de son trafic dépendait de Google. Donc, essentiellement, ce n’est pas évident. De la manière dont vous en parlez, c’est comme si c’était une relation à sens unique.

M. Rodriguez : Non, pas du tout. Je dis qu’il y a de bons arguments des deux côtés. Si les plateformes nous disent que les médias les utilisent pour diffuser et pour rejoindre du monde, c’est vrai aussi.

La sénatrice Miville-Dechêne : Comment les petits médias vont-ils tirer leur épingle du jeu, puisque leur valeur pour les grandes plateformes est sans doute beaucoup moins importante, sinon inexistante?

M. Rodriguez : Les plateformes ont l’obligation de négocier aussi avec de petits médias. C’est pour ça aussi que les critères...

La sénatrice Miville-Dechêne : Alors, ce n’est pas la valeur qui importe.

M. Rodriguez : C’est que cela les oblige à négocier aussi avec les petits médias et, au départ, c’est très important. S’il n’y a aucune obligation de négocier, pourquoi prendraient-ils le temps de s’asseoir à la table? Je fais une parenthèse : actuellement, les plateformes ont des ententes avec certains médias, mais la totalité, sinon presque tous, ont été conclues après que le gouvernement a fait part de son intention de légiférer là-dessus. Vous savez que, parfois, quand on sent qu’on se fait pousser un peu dans le dos, on avance plus vite.

Il faut que ces plateformes concluent des ententes avec des médias dans les deux langues officielles, avec des médias autochtones, avec des groupes sous-représentés.

La sénatrice Miville-Dechêne : On n’est plus dans la valeur à ce moment-là, monsieur le ministre...

M. Rodriguez : Je ne vous parle pas de la valeur. Je vous dis qu’ils doivent s’asseoir avec eux. Juste le fait d’avoir accès à la table permet de négocier sur le plan de la valeur.

Avant, ils n’auraient jamais eu accès à cette table pour négocier quoi que ce soit. L’autre chose, c’est que ces petits médias ont la capacité aujourd’hui de négocier de façon collective. Si vous avez 250 petits médias qui se regroupent... Dans le cas des médias ethniques, cela peut vouloir dire beaucoup, car cela vient leur donner plus de poids et plus de force pour négocier un montant plus intéressant.

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci.

[Traduction]

La sénatrice Simons : Mon amie la sénatrice Miville-Dechêne m’a appris ce soir le mot charabia.

[Français]

Je voudrais poser une question sans charabia.

[Traduction]

Facebook a bien fait comprendre son intention de bloquer toutes les nouvelles canadiennes et leur diffusion dès que le projet de loi recevra la sanction royale. Google a été moins direct, mais il a montré qu’il était vraiment capable de mettre sa menace à exécution.

Qu’arrive-t-il si, le 1er juillet, les plateformes se retirent du marché canadien de l’information et cessent de diffuser du contenu canadien?

M. Rodriguez : C’est ainsi que Facebook voudrait que nous abordions le problème, n’est-ce pas? Parce que, voyez-vous, ce dont nous discutons maintenant c’est de peut-être reculer devant les menaces.

La sénatrice Simons : Non. Il ne s’agit pas de reculer. Peut‑être que M. Ripley peut répondre également. Si Facebook bloque les liens, l’obligerez-vous encore à se soumettre à l’arbitrage?

M. Rodriguez : Il faut d’abord que ces entreprises motivent cette décision, une décision commerciale. Leur activité est très lucrative. Leur décision aura des conséquences pour elles — y compris sur leur réputation. Ainsi, en fin de compte, si elles prennent cette décision, nous ferons le bilan. Je leur ai laissé mon numéro. Elles peuvent m’appeler. Je les ai rencontrées au début. Les deux — Facebook, Google. Facebook n’a jamais rappelé, n’est-ce pas? Non. Pas moi. Je les ai invitées à le faire. Elles ont mon numéro.

La sénatrice Simons : D’accord. Mais ça ne répond pas à ma question. La voici : Ce bricolage compliqué à la Goldberg repose sur l’idée que Google et Facebook resteront présents sur le marché canadien. Peut-être jouez-vous en grand au premier qui se dégonfle. J’ai bien fait savoir à Google et à Facebook que, s’ils se retirent, ils scient la branche sur laquelle ils sont assis. Je ne crois pas que la décision de leur départ soit économiquement neutre, mais c’est ce qu’ils menacent de faire.

Je cherche à comprendre, et je tiens à ce que ce soit explicitement rendu public : si les deux cessent de diffuser du contenu canadien, qu’arrive-t-il au projet de loi C-18? Est-ce que nous nous abonnons à TikTok? Nous rabattons-nous sur les plateformes d’un rang inférieur? Ou disons-nous seulement que c’était une expérience de pensée intéressante, qui n’ira pas plus loin?

M. Rodriguez : Ce n’est pas une expérience. Le projet de loi est très important. Facebook reste omniprésent. Il s’est temporairement retiré d’Australie et y est retourné. Il n’en tient qu’à eux. Il ne m’appartient pas d’expliquer.

À eux de décider. Je ne ferai pas d’observations sur une hypothèse pour ensuite donner des explications, parce que… Vous savez quoi? Je ne prendrai jamais de décision sous la menace. Jamais. Je ne l’ai jamais fait et je ne le ferai jamais.

La sénatrice Simons : Vous ne répondez pas vraiment à ma question. Peut-être que M. Ripley le pourra. Le projet de loi est silencieux. Il ne nomme aucune plateforme. Les noms Alphabet, Meta, Google ou Instagram n’y figurent pas. Le projet de loi vise des intermédiaires.

Dans l’hypothèse où Facebook et Google cesseraient d’être des intermédiaires influents en ligne dans l’espace canadien, le projet de loi reporterait-il ensuite son attention sur Bing, TikTok, Amazon — les principaux protagonistes qui succéderaient aux premiers sur le plan de la publicité et des liens vers des sites de nouvelles?

M. Rodriguez : Je céderai ensuite la parole à M. Ripley. Nous avons clairement dit dans le projet de loi que ces intermédiaires devaient occuper une position prédominante. Il y aura des seuils, des règlements. Dans les seuils envisagés, ils ne sont que deux. Facebook et Google. Les autres suivent très loin derrière.

J’ignore pourquoi nous discutons de menaces et que nous nous en effrayons. Le gouvernement dispose d’options. Elles sont toutes sur la table, vous pouvez me croire.

La sénatrice Simons : Quelles seraient-elles?

La sénatrice Wallin : C’est ce qu’elle demande.

Le président : Quelles sont ces options?

M. Rodriguez : Des options? Toutes. Pour la publicité, il existe différents programmes. Il y a toutes sortes de choses que nous faisons ou que nous déciderons de ne plus faire. Peut-être déciderons-nous de passer à un régime supérieur. Nous expliquerons ces options en temps voulu.

La sénatrice Simons : Est-ce que ce serait de revenir aux journaux locaux pour la publicité fédérale?

M. Rodriguez : Nous faisons actuellement le jeu de Facebook. Nous discutons des menaces. Sans vouloir vous vexer, je ne prends pas de décision sous la menace.

Le président : C’est officiel, aucune menace n’a été proférée ce soir.

La sénatrice Wallin : Vous avez déjà avoué, dans vos observations que vous ne craigniez pas de recourir un peu au chantage, de vous servir de l’existence du projet de loi pour attirer les entreprises de télécommunications à la table, les amener au moins à discuter. J’ai deux ou trois questions à ce sujet. Je vous pose la première, à titre d’essai, pour connaître la somme d’argent que vous croyez nécessaire pour subventionner l’industrie.

Nous sommes censés avoir reçu 300 millions de dollars des plateformes, même si, comme vous venez de le dire, il n’y a pas de plafond. C’est un chiffre arbitraire, comme l’a dit le directeur parlementaire du budget. Nous pourrions voir des gens, dans des entreprises de nouvelles, poster leurs histoires toute la journée, uniquement pour faire monter cette somme. Nous avons 1 milliard de CBC/Radio-Canada et au moins une demi-douzaine de programmes de subventions du journalisme, l’Initiative de journalisme local, le crédit d’impôt pour abonnement aux nouvelles numériques.

Avez-vous une idée de ce que tout ça coûte? Apercevez-vous un plafond pour ce que vous êtes prêts à débourser pour que survive la fragile industrie des médias?

M. Rodriguez : Si, par exemple, vous parlez des coûts, de ce qu’il en coûtera au CRTC pour gérer ça, c’est prévu. Ç’a été budgétisé.

La sénatrice Wallin : Je parle des autres programmes, ici, auxquels vous participez déjà et aux 300 millions de dollars mobiles qui pourraient être n’importe quoi — 400 ou 500 millions. Existe-t-il une limite? L’État, les contribuables et les plateformes devraient-ils subventionner le secteur dépérissant des nouvelles? Existe-t-il une limite à ces dépenses?

M. Rodriguez : Nous connaissons les paramètres du programme. La taxe sur les contribuables actifs, c’est 600 millions de dollars; le journalisme local, 70 millions sur cinq ans; le fonds pour les périodiques, nous venons d’y ajouter 40 millions sur deux ans. Nous savons donc exactement combien d’argent y est mis.

La sénatrice Wallin : Y a-t-il un plafond?

M. Rodriguez : Oui, comme ces montants sont budgétisés, je ne peux en dépenser davantage que ce que le budget m’accorde.

La sénatrice Wallin : Peut-être pas cette année, mais il y a les 300 millions de dollars pour ce programme pour qui, avez-vous dit, il pourrait y en avoir davantage.

M. Rodriguez : Ça dépendra des négociations. Nous sommes dans l’inconnu. Savez-vous quoi? Je ne veux pas m’en mêler, parce que, en ma qualité de ministre, je tiens à me tenir à distance de la presse.

La sénatrice Wallin : Mais c’est trop tard. Vous avez déjà proposé le projet de loi.

Vous parlez de contenu ayant de la valeur. Je ne désapprouve pas. Le contenu en a. Voilà pourquoi les annonceurs paient, les consommateurs s’abonnent et paient. Mais même la Cour suprême dit que les liens n’ont pas de valeur commerciale.

Cette loi crée maintenant… Je veux dire qu’elle n’est pas ancrée dans le marché. Vous avez en quelque sorte dit que ces liens avaient de la valeur et que, en conséquence, ils peuvent faire l’objet de négociations et d’ententes sur des valeurs arbitraires. Mais il subsiste beaucoup de points de pression irréalistes. Ce n’est pas comme le consommateur qui s’abonne à un produit qu’il dit aimer et que, pour cette raison, il est prêt à y mettre le prix. Cette démarche sous le régime du projet de loi C-18 recèle beaucoup de coercition en puissance.

Compte tenu du jugement de la Cour suprême et des inquiétudes ou des questions soulevées par la sénatrice Simons, ne vous souciez-vous pas de ce à quoi ça pourrait conduire? Craignez-vous les éventuelles répercussions alors que, ici, il n’y a pas de valeur commerciale? Ce n’est pas réel; c’est artificiel.

M. Rodriguez : La négociation entre les plateformes et les médias est réelle.

À mes yeux et, je suppose, aux yeux de vous tous, le gouvernement ne fait que placer une table entre les géants du numérique et les médias. L’entente qui en sortira dépend d’eux.

Quant au reste, comme je l’expliquais, nous connaissons exactement la somme de nos dépenses au cent près.

La sénatrice Wallin : Mais vous dites aux plateformes et aux compagnies de médias de — on ne sait trop comment — créer une valeur arbitraire pour les liens qui, en soi, n’en ont aucune. Le contenu a de la valeur, et nous avons d’autres moyens de le prouver. Les abonnés s’abonnent ou les annonceurs annoncent, mais les liens ne sont pas du contenu.

M. Rodriguez : Mais c’est la façon d’évaluer les nouvelles. Si on supprime le lien, impossible d’y accéder.

La sénatrice Wallin : Mais les gens y accèdent — c’est la nature d’Internet, donner accès sans frais à l’information. C’était un lieu d’échanges.

M. Rodriguez : Mais ça ne vous coûtera jamais rien. Il n’y a aucun coût pour les particuliers. Il n’y en a aucun pour le gouvernement…

La sénatrice Wallin : Il y en a un pour les contribuables.

M. Rodriguez : … c’est une solution axée sur le marché. Je pense que c’est la bonne, parce que le gouvernement s’est ménagé une certaine distance. Les parties doivent s’entendre. Un point c’est tout. Comme projet de loi, on ne peut faire plus simple.

La sénatrice Wallin : Mais, en fait, ce n’est pas axé sur le marché. C’est le sens de ma question.

M. Rodriguez : Ce l’est.

La sénatrice Wallin : Le marché est ainsi fait que si je décide de payer pour quelque chose que j’aime, je m’abonne ou que l’annonceur place une annonce dans le journal parce qu’il aime le marché qui offre son produit. Un lien n’a pas de valeur. Et maintenant vous dites : « Il doit en avoir. Prenez place à la table et essayez de trouver ce que c’est, même si c’est complètement arbitraire. »

M. Rodriguez : Ce n’est pas une valeur pour chaque lien, clic ou rien de ce genre. C’est une valeur générale, pour répondre à la question de la sénatrice Miville-Dechêne. C’est le fruit d’une négociation, d’une discussion libre et franche entre gens d’affaires, mais, en fin de compte, il faut revenir à ce que nous voulons faire. Nous voulons préserver une presse libre, indépendante, neutre, objective. Nous ne désapprouvons pas, parce que c’est l’un des piliers de notre démocratie. Sa disparition entraînera celle de notre démocratie.

Le sénateur Cardozo : J’aimerais poursuivre sur votre dernier point concernant la défense des médias traditionnels. Vous avez dit que le secteur des nouvelles traditionnelles est en crise et que nous devons faciliter l’accès à des nouvelles fiables.

Pour certains, le gouvernement n’a pas de rôle à jouer dans ce domaine et devrait se tenir à l’écart. Ce sont des dinosaures, des médias en difficulté. Combien de temps allez-vous continuer à faire cela? Et si nous passions à un monde sans cela? Nous avons entendu divers médias en ligne, dont certains approuvent ce projet de loi et d’autres non. Pourquoi ne pas laisser ce monde évoluer et arrêter de s’occuper des médias traditionnels?

M. Rodriguez : C’est une question intéressante. Notre situation n’est pas neutre. En fait, 80 % de l’argent de la publicité va à deux entreprises, Google et Facebook. Si le total est de 10 milliards de dollars, c’est un peu plus de 8 milliards de dollars sur les 10 milliards.

Donc, c’est à elles que revient tout l’argent. Elles disposent de pratiquement tous les outils pour contrôler la publicité, le placement média et tout ce qui s’ensuit. Il y a donc une incidence directe. Quand vous créez une chose, quelque chose d’autre disparaît. Nos médias traditionnels s’en ressentent.

Les gens des médias traditionnels — il y en a quelques-uns ici — ont consacré toute leur vie à ce travail. Ils ont étudié et fait des sacrifices. Ils ont bâti leur carrière en cherchant la vérité, en posant des questions difficiles. Il m’arrive de ne pas avoir envie de répondre à ces questions. Elles sont difficiles, mais c’est mon travail d’y répondre, n’est-ce pas? Ces gens font ce travail, mais il y en a trop qui ne sont plus là pour le faire.

Qu’est-ce qui se passe lorsque les médias qui se situent au centre disparaissent? Les médias et les commentaires extrêmes occupent une plus grande place. Cela cause des problèmes sociaux, et c’est néfaste pour notre société. Cela favorise la désinformation.

Il faut non seulement stabiliser le secteur, mais aussi le faire croître à nouveau. En faisant cela, nous renforçons notre démocratie, sénateur.

Le sénateur Cardozo : Il est certain que notre société risque d’être plus polarisée si cela se produit.

Selon les estimations du directeur parlementaire du budget, la majeure partie de l’argent irait aux gros joueurs. Pensez-vous qu’il serait possible de faire quelque chose par voie de règlement pour les plus petits acteurs, dont beaucoup sont vraiment intéressés par ce projet de loi, notamment les médias ethniques, les médias universitaires, les médias autochtones? Devons-nous plutôt inclure quelque chose dans le projet de loi pour nous assurer que les plus petits joueurs obtiennent également une partie de cet argent?

M. Rodriguez : Je ne suis pas très à l’aise avec les calculs du directeur parlementaire du budget, alors je ne vais pas les défendre. Il a pris en considération l’information qu’il a obtenue des grands médias, mais pas nécessairement de la presse écrite ou des petits médias. Si nous prenons l’exemple de l’Australie, proportionnellement, les petits médias ont reçu plus d’argent que les grands. Étant donné que, pour obtenir l’exemption, les plateformes doivent négocier avec les grands et les petits médias dans chaque province et territoire, avec les médias ethniques, avec les médias autochtones, et ainsi de suite, cela profitera beaucoup aux petits médias, d’autant plus qu’ils sont autorisés à négocier collectivement.

J’ai discuté avec un grand nombre d’entre eux. Ils se regroupent régulièrement et se préparent à négocier. Ils ont ainsi plus de poids à la table des négociations.

Le sénateur Cardozo : Pour terminer, j’ai une question à poser sur le CRTC. C’est un peu une question piège, parce que j’ai été commissaire au CRTC. Il n’y a qu’une bonne réponse à donner à cette question. Que pensez-vous de la capacité du CRTC pour ce qui est de jouer un rôle, avec ce projet de loi? On l’a notamment critiqué parce qu’il ne comprend pas l’industrie de la presse. Avez-vous envisagé d’autres organismes que le CRTC?

M. Rodriguez : Nous regardons toujours ce qui est en place et qui est accessible. L’expérience du CRTC est celle qui se rapproche le plus de cela. Si vous parlez de l’arbitrage de l’offre finale, le CRTC a manifestement de l’expérience dans le domaine de la radiodiffusion.

Est-ce que le CRTC dispose de toute l’expertise nécessaire? Non. Nous l’avons dit clairement dès le départ. Même s’ils m’avaient dit qu’ils savaient tout faire, je ne les aurais jamais crus. Ils ont dit qu’ils avaient besoin de X, Y et Z, et nous leur avons fourni 8,5 millions de dollars sur deux ans pour mettre en place tout ce qu’il leur fallait pour faire du bon travail.

Cette tâche n’est toutefois pas aussi exigeante que le travail découlant du projet de loi C-11. Je suis sûr que vous vous souvenez de ce projet de loi. Ils n’ont pas besoin d’autant de main-d’œuvre. Nous avons fourni l’argent nécessaire à cette fin; pour le reste, il s’agira de recouvrer les coûts.

Le sénateur Cardozo : Est-ce que le CRTC est suffisamment neutre d’un point de vue politique?

M. Rodriguez : Oui. Je ne dicte rien au CRTC. Je ne donne pas d’ordres. Il est indépendant. Donc, la réponse est oui.

[Français]

Le sénateur Cormier : Bienvenue, monsieur le ministre, madame Mondou et monsieur Ripley.

Monsieur le ministre, comme vous le savez, en vertu de la Loi sur les langues officielles, le gouvernement fédéral s’est engagé à favoriser l’épanouissement des communautés francophones et anglophones du Canada et à appuyer leur développement. Il incombe d’ailleurs aux institutions fédérales de veiller à ce que des mesures positives soient prises pour mettre en œuvre cet engagement.

Êtes-vous d’accord pour dire que le projet de loi C-18, que nous avons étudié en détail, pourrait être plus en phase avec cet engagement et pourrait reconnaître concrètement et plus précisément les médias des communautés de langue officielle en situation minoritaire (CLOSM), qui sont considérés comme des médias essentiels pour de nombreux Canadiens et Canadiennes dans toutes les régions du pays?

Êtes-vous aussi d’accord pour dire que le projet de loi devrait forcer Google et Meta à conclure des ententes avec les médias des CLOSM?

M. Rodriguez : Absolument, et cela figure d’ailleurs dans le projet de loi — non seulement dans l’intention du projet de loi, mais dans le projet de loi lui-même.

Personnellement, je crois que le bilinguisme est une valeur fondamentale qui fait partie du tissu social, bien qu’il soit loin d’être parfait.

Mon premier mandat à titre de député a été de devenir président du Comité des langues officielles. Je n’avais même pas encore siégé une seule journée à titre de député et ils m’ont dit que je serais président du Comité des langues officielles. J’avais déjà un intérêt pour ce sujet. J’ai été presque deux ans président de ce comité; j’ai travaillé et vu à quel point les communautés se battent pour survivre. J’ai le plus grand des respects pour la résilience des communautés vivant en milieu minoritaire; qu’on pense simplement au défi qu’elles doivent surmonter lorsqu’elles veulent envoyer leurs enfants dans une garderie francophone dans l’Ouest du Canada, par exemple.

C’est la raison pour laquelle je suis si heureux de faire partie d’un gouvernement qui les traite en priorité. Si on regarde globalement, on a octroyé 1,4 milliard de dollars dans le dernier plan d’action. Cela inclut les sommes déjà annoncées et cela représente près de 368 millions de dollars de nouvelles sommes; c’est un record. C’est du jamais-vu. Cela existe, mais en même temps, comment fait-on pour s’assurer que l’écosystème des nouvelles en milieu minoritaire survive? C’est aussi dans le projet de loi. Cela fait partie des critères.

Les plateformes devront conclure des ententes avec les médias issus de communautés en situation minoritaire. Ces communautés ont accès à d’autres programmes, comme celui du journalisme local. Ce programme de 70 millions de dollars sur cinq ans a permis, en 2021, d’appuyer 435 journalistes qui ont fait des reportages couvrant 1 943 communautés mal desservies. Je parle de petites communautés situées un peu partout, dont plusieurs en milieu minoritaire, qui ne sont absolument pas desservies et qui ont été couvertes au moyen de ce programme qui n’est pas le projet de loi C-18, mais autre chose. On a réussi à donner ce coup de pouce, sans oublier le Fonds du Canada pour les périodiques et l’enveloppe de 600 millions de dollars, les crédits d’impôt et ainsi de suite. Tout cela est combiné. Est-ce parfait? Peut-être pas. Est-ce que cela donne un réel coup de pouce aux communautés en situation minoritaire? On croit que oui.

Le sénateur Cormier : Vous dites que c’est dans le projet de loi, et j’en conviens. Peut-être que le vocabulaire n’est pas aussi précis qu’il pourrait l’être, à mon sens. J’entends bien que vous avez à cœur les communautés de langue officielle en situation minoritaire.

M. Rodriguez : Absolument.

Le sénateur Cormier : Aux dires de plusieurs personnes de Médias d’info Canada qui ont comparu devant ce comité, l’heure est critique, comme vous le savez, pour de nombreux petits médias qui sont proches de la faillite. Dans l’optique où le projet de loi est adopté avant l’ajournement de l’été, estimez-vous que ces petits médias seront en mesure d’entamer rapidement un processus de négociation avec Meta et Google? À votre avis, est‑ce que les accords qui découleront de ces négociations seront suffisants pour sortir ces petits médias de l’impasse? Vous avez parlé d’autres programmes. Il s’agit d’assurer un équilibre dans les façons dont ils sont soutenus. D’une certaine manière, ils sont soutenus au moyen de ce projet de loi, mais autrement, comment faire pour qu’ils soient bien équipés en ressources pour faire le travail?

M. Rodriguez : Oui. Ce projet de loi vient s’ajouter à l’ensemble pour faire partie de cet équilibre. Cela renforce l’équilibre ou cela le crée, parce qu’il n’existe peut-être pas. On souhaite que le projet de loi soit adopté le plus vite possible. Évidemment, cela dépend de votre travail. Je sais à quel point vous faites minutieusement votre travail, mais le temps est compté, parce que près de 500 salles de nouvelles ont fermé. Combien y en aura-t-il de plus au cours des prochaines semaines ou des prochains mois?

Le statu quo est mauvais; cela ne fonctionne pas. Si quelqu’un ici dit qu’on doit maintenir le statu quo, cela ne fonctionnera pas pour les médias locaux des communautés en situation minoritaire, pour les médias autochtones et pour les régions, et à peu près pas du tout pour les médias traditionnels. Je parle de ceux qui tiennent notre démocratie à bout de bras en grande partie et qui posent les questions difficiles de façon neutre, autonome, indépendante et non partisane.

J’espère que l’on adoptera le projet de loi le plus rapidement possible et que les plateformes, face à l’existence du projet de loi et au fait qu’il a été adopté, commenceront à négocier dès maintenant avec les différents médias.

Le sénateur Cormier : Cet appétit des plateformes à négocier, vous l’avez mesuré?

M. Rodriguez : Une fois que le projet de loi sera adopté, elles auront beaucoup plus faim.

Le sénateur Cormier : Merci.

[Traduction]

Le président : J’ai également une question, monsieur le ministre. Avec tout le respect que je vous dois, je suis sceptique quand j’entends le gouvernement dire que sa préoccupation est de soutenir les médias locaux et diversifiés, étant donné que votre gouvernement ne dépense pas un sou pour acheter de la publicité auprès de la presse locale ou des médias ethniques, et que depuis que vous êtes au pouvoir, l’achat de publicité par le gouvernement s’est entièrement concentré sur les grands médias traditionnels.

La deuxième chose qui me trouble beaucoup, c’est que le gouvernement est actuellement devant les tribunaux avec Blacklock’s Reporter, une plateforme d’impression numérique qui a du succès et qui utilise des verrous d’accès payant. Cette société est actuellement devant les tribunaux parce que le gouvernement du Canada — votre gouvernement — a piraté son contenu et l’a diffusé sans respecter son mur payant. Voilà qui soulève des questions quant à la sincérité de l’engagement du gouvernement lorsqu’il affirme vouloir protéger le contenu journalistique.

M. Rodriguez : Sénateur, notre engagement est exactement le même que celui de votre parti lors des dernières élections. Si vous me le permettez, je vais lire le programme des conservateurs :

Créer un régime de redevances des médias numériques pour nous assurer que les médias canadiens sont justement indemnisés pour le partage de leur contenu sur des plateformes comme Google et Facebook. Ce régime va :

Adopter une approche propre au Canada en intégrant les meilleures pratiques de pays comme l’Australie et la France.

Comprendre un solide processus d’arbitrage et la création d’un droit de propriété intellectuelle pour les extraits partagés sur les médias sociaux.

Assurer que les petits médias sont inclus et que le gouvernement ne peut pas choisir qui a accès au régime.

C’est exactement ce que nous faisons. À moins que vous ayez changé d’avis, nous pensons comme vous qu’il nous faut un programme basé sur ce qui existe en Australie, plus ferme et plus canadien, et que les petits médias doivent en bénéficier.

Le président : Monsieur le ministre, le programme du Parti conservateur était et reste cohérent, mais ce n’est pas ma question. Je peux vous assurer qu’un gouvernement conservateur ne piraterait pas le contenu de Blacklock’s Reporter et ne le distribuerait pas sans respecter leur mur payant.

Je vais me permettre d’aller plus loin et de dire que lorsque j’étais président du Comité de la régie interne du Sénat du Canada, nous avons clairement indiqué à l’époque que notre organisation, notre institution devait respecter le contenu payant de Blacklock’s Reporter et de tous les autres médias. Je pense que c’est tout à fait approprié.

C’est votre gouvernement, pas le Parti conservateur... Je ne cherche pas à faire de la politique partisane, mais c’est le gouvernement du Canada, dans son ensemble, qui est devant les tribunaux pour se défendre contre Blacklock’s Reporter pour avoir piraté le contenu de ce dernier.

M. Rodriguez : M. Ripley a des précisions à apporter à ce sujet.

Thomas Owen Ripley, sous-ministre adjoint délégué, Affaires culturelles, Patrimoine canadien : Je vous remercie de votre question. Évidemment, je ne peux pas me prononcer sur l’affaire en question, qui est devant les tribunaux. Cela étant dit, il existe un programme d’affranchissement de droit d’auteur administré par le Conseil du Trésor qui vise à garantir que les articles d’actualité qui sont diffusés respectent le droit d’auteur et que des droits de licence sont versés pour ces articles. Je peux vous assurer que le gouvernement et le ministère prennent ces efforts au sérieux.

Le président : Je vous remercie de vos réponses, mais encore une fois, cela soulève beaucoup de points d’interrogation. Je ne vais pas m’attarder là-dessus.

La sénatrice Dasko : Je vous remercie de votre présence. C’est un plaisir de vous revoir. Certains d’entre nous sont préoccupés — nous ne devrions peut-être pas l’être — par l’augmentation considérable du nombre d’entreprises de nouvelles qui peuvent désormais participer aux négociations. Je crois que ce nombre est passé d’environ 250 ou 300 à plus de 650. Avez-vous des préoccupations quant à l’augmentation du nombre d’entreprises de nouvelles admissibles? Devrions-nous en avoir? Nous devrions peut-être apporter des modifications, ou ajouter 100 organismes à la liste. Qu’est-ce qui pourrait être une source de préoccupation pour vous?

M. Rodriguez : Nous n’ajoutons rien, sénatrice. C’est l’une des choses que je trouve vraiment intéressantes dans ce projet de loi. Lorsque j’ai dit qu’il était différent de celui de l’Australie, c’est en grande partie grâce à la grande transparence et à l’absence de lien de dépendance. Nous ne décidons pas des plateformes et des médias qui sont inclus ou exclus. Les critères sont indépendants. S’ils répondent aux critères, ils peuvent négocier, sinon ils sont exclus. C’est ce qui détermine qui est en mesure de négocier. En fin de compte, nous ne savons pas combien d’entre eux veulent négocier ni combien parviendront à un accord. Les plateformes devront parvenir à un accord à 100 %, et cela nous convient, mais c’est un chiffre différent dans chaque province, par exemple.

La sénatrice Dasko : J’allais vous demander si vous vous attendiez à ce que toutes les entreprises admissibles concluent un accord. Vous dites que cela ne va pas se produire.

M. Rodriguez : Non, pas la totalité. Des entreprises vont peut-être conclure un accord avec l’une des deux sociétés. Certaines entreprises le feront avec Google, d’autres avec Facebook, d’autres encore avec les deux. Cela dépend.

La sénatrice Dasko : Pas d’inquiétude à propos des 650 ou 700 entreprises. Cela n’a pas d’importance.

M. Rodriguez : Non. Si elles sont admissibles, elles sont admissibles. Ce n’est pas à moi de dire ce qui est ou n’est pas une entreprise de nouvelles. Je me retrouverais dans une situation très inconfortable si je devais décider des entreprises qui ont le droit de négocier. Il existe des règles indépendantes.

La sénatrice Dasko : Cela suppose que le gâteau sera plus gros à l’autre bout.

M. Rodriguez : Ou pas. Sénatrice, si nous ne faisons rien, le gâteau sera très petit parce qu’elles vont toutes disparaître.

La sénatrice Dasko : Donc, si plus d’entreprises sont admissibles et concluent des accords, le gâteau est plus gros. On s’attend à ce que la valeur soit plus élevée, n’est-ce pas? C’est logique. Il y a plus d’entreprises, plus de négociations et plus d’argent à la fin. Un plus un égale deux.

M. Rodriguez : Encore une fois, il pourrait y en avoir plus, et les plateformes pourraient juger qu’il est bon pour elles de conclure un accord avec toutes ces entreprises, mais ce ne sera probablement pas la décision qu’elles prendront. Elles vont négocier avec certaines d’entre elles. Du moment qu’il y en a assez, et ce n’est pas moi qui décide s’il y en a assez ou pas. Encore une fois, nous pouvons créer ce projet de loi. Nous n’en sommes pas là. Nous le déposons et c’est tout.

La sénatrice Dasko : Je sais. C’est qu’à l’autre Chambre, il a pris beaucoup d’ampleur. C’est tout.

M. Rodriguez : Encore une fois, sénatrice, au bout du compte, c’est à la plateforme qu’il revient de décider si elle veut conclure un accord avec autant d’entreprises, plus ou moins. Elle doit alors se qualifier ou non pour l’exemption. Comme nous l’avons dit, elle doit pour cela inclure des médias autochtones, des médias de différentes communautés — anglophones, francophones, autochtones.

La sénatrice Dasko : D’accord. Vous avez mentionné précédemment qu’il y aura, à la fin de chaque année, un rapport d’audit qui va comptabiliser la valeur totale, examiner la répartition de l’argent et déterminer si les diverses catégories ont été incluses.

Vous avez aussi mentionné qu’étant donné que le projet de loi fait partie du paysage, d’autres organisations du secteur des médias concluent déjà des accords en dehors du cadre de ce projet de loi. Les rapports d’audit pourront-ils également tenir compte de ces données afin qu’elles soient... Je pense que ce serait une bonne chose. Je me demande simplement si c’est envisagé dans le projet de loi. J’ai lu l’article, et ce n’est pas évident.

M. Rodriguez : Oui.

La sénatrice Dasko : C’est le cas, donc.

M. Rodriguez : Ces données seront prises en compte, de la même manière que les projets de loi négociés avant l’entrée en vigueur du présent projet de loi; les accords peuvent être pris en compte dans la présentation des données sur l’exemption.

La sénatrice Dasko : Donc, cela se trouve parmi les données?

M. Rodriguez : Oui.

La sénatrice Dasko : Les plateformes devront rendre compte des accords conclus, que ce soit ou non dans le cadre du projet de loi.

M. Rodriguez : Je pense que oui.

M. Ripley : Oui. Sénatrice, il existe une disposition transitoire qui reconnaît que les accords signés avant l’entrée en vigueur du projet de loi pourraient être inclus dans la demande d’exemption d’une plateforme et qu’ils seraient donc couverts par le rapport visant la transparence.

La sénatrice Dasko : C’est important, car si les entreprises concluent des accords en dehors du cadre de la loi, mais grâce à ce cadre — parce qu’il est là en arrière-plan —, il serait important de le savoir.

Je trouve un peu inquiétant que ce soit les plateformes qui doivent déterminer le montant approprié à allouer aux salles de nouvelles. Avez-vous des préoccupations à ce sujet?

M. Rodriguez : Que l’argent aille aux salles de nouvelles?

La sénatrice Dasko : Ce sont les plateformes elles-mêmes qui sont chargées de procéder à une évaluation et de déterminer si les salles de nouvelles reçoivent un montant approprié.

M. Rodriguez : Non, c’est ce que nous avions à l’origine.

La sénatrice Dasko : Vous n’avez aucune crainte?

M. Rodriguez : Nous voulions que l’argent aille aux salles de nouvelles.

La sénatrice Dasko : Oui, je sais. Ma question porte sur les plateformes, qui sont chargées de déterminer cela.

M. Rodriguez : C’est le CRTC qui décide, et non les plateformes. Les médias doivent démontrer que l’argent va majoritairement aux salles de nouvelles. Ce ne sont pas les plateformes, parce qu’elles ne le savent pas. Ce ne sont pas les plateformes qui savent. Ce sont les médias et le CRTC.

Le sénateur Manning : Bienvenue à vous et à vos collaborateurs, monsieur le ministre. C’est un plaisir de vous revoir. Je m’excuse, je crois savoir que vous manquez en ce moment un superbe discours à la Chambre des communes. Nous y reviendrons plus tard.

Richard Gingras, vice-président, Nouvelles, chez Google, a témoigné devant notre comité le 3 mai dernier. Il a déclaré :

Malheureusement, le projet de loi C-18 pourrait entraîner un ralentissement ou un arrêt du soutien actuellement apporté aux éditeurs de presse canadiens, alors que Google et d’autres entreprises cherchent à clarifier la situation afin de parvenir à un résultat raisonnable.

J’aimerais connaître votre réponse à la déclaration de Google selon laquelle l’adoption du projet de loi C-18 pourrait menacer les accords conclus avec les éditeurs de presse.

M. Rodriguez : Si elles menacent leurs propres activités? Elles vont détruire leur propre entreprise si elles veulent faire cela; je ne vois pas pourquoi elles voudraient faire cela.

Le sénateur Manning : C’est ce qu’il nous a dit. Si c’est ce qu’on essaie de faire, le gouvernement peut-il répondre d’une certaine façon? Comment peut-on gérer la situation?

M. Rodriguez : Si on renonce aux ententes conclues, je suis certain que les autres parties se tourneront vers les tribunaux. Si une entente est signée, c’est alors une activité commerciale. On s’entend sur quelque chose, la partie qui renonce à l’entente doit assumer ses responsabilités. Je suppose qu’il y a un prix à payer. Cela dépend de ce qu’il y a dans l’entente.

Le sénateur Manning : En dépit du fait que les médias d’information affichent eux-mêmes du contenu sur leurs plateformes et profitent grandement du trafic accru sur leurs sites Web, je veux vous donner l’occasion d’expliquer pourquoi, d’une part, j’ai entendu le gouvernement dire que les plateformes volent du contenu et que nous voulons mettre fin à cela, et pourquoi, d’autre part, on dit qu’on ne va dorénavant plus accepter le contenu et que le gouvernement affirme alors que les plus gros dans la pièce font de l’intimidation en ne le diffusant plus.

Comment pouvez-vous dire que, d’une part, ils font quelque chose de bien en permettant la communication de nouveaux liens et, d’autre part, ils font quelque chose de mal en n’autorisant pas la diffusion du contenu. Quel est le juste milieu ici?

M. Rodriguez : Je n’ai jamais dit qu’ils volaient du contenu avant parce qu’il n’y avait pas la moindre règle. Il n’était pas problématique d’avoir le contenu sur les plateformes et de ne rien payer puisqu’il n’y avait rien dans la loi à ce sujet. C’est la raison pour laquelle je dis que c’est le Far West. C’est le problème que nous avons maintenant alors que les sociétés sont en transition. Nous sommes passés d’une société où ces plateformes n’existaient pas, pas même Internet, à une société où Internet existe et n’est pas réglementé. Nous allons maintenant avoir une société où non seulement Internet existe, mais où il est aussi réglementé comme tout le reste.

Lorsque ce sera fait, le fait d’avoir le contenu sans payer posera problème, car il y aura un règlement, ce qui est une chose naturelle et normale à faire pour un gouvernement et une société.

Le sénateur Manning : Je sais que nous sommes différents du reste du pays à Terre-Neuve-et-Labrador. Au cours des dernières années — et vous y avez fait allusion ce soir —, j’ai vu beaucoup de médias d’information cesser leurs activités. Pendant nos réunions, on a soulevé des préoccupations concernant les petits exploitants, comme je vais les appeler. Je ne parle pas des géants, du Globe and Mail ou des autres. On semble se soucier de la façon, surtout dans une situation où l’arbitrage fait partie de la discussion, dont ces petits médias pourront financer le processus face aux grandes plateformes, comme Google. Je me pose juste des questions sur la protection.

Je sais que le projet de loi vise à protéger les petits intervenants, mais je me demande juste comment cela peut être possible lorsque Google s’oppose à l’un d’eux.

M. Rodriguez : C’est une très bonne question. Entre autres choses, nous essayons de les aider en leur permettant de se regrouper. Un petit média, par exemple à Terre-Neuve, ne se bat pas à armes égales face à Google. Le fait de pouvoir négocier leur permet d’obtenir une meilleure entente. Voulez-vous ajouter quelque chose?

M. Ripley : Merci, sénateur.

J’aimerais souligner que dans le cas des petits exploitants, une négociation collective permet de partager les coûts, et il y a ensuite les dispositions du projet de loi qui portent précisément sur le partage entre les plateformes et les nouvelles entreprises des coûts associés à la médiation et aux processus d’arbitrage de l’offre finale pour qu’ils soient répartis entre les nouvelles entreprises et les plateformes concernées.

Le sénateur Manning : Je sais qu’avec certains de mes collègues, vous avez parlé du fait que Google ou Meta pourrait décider de ne plus diffuser le contenu de nouvelles. C’est une préoccupation qui a surtout été soulevée par les petits exploitants. Dans bien des cas, c’est le seul endroit où leurs nouvelles sont diffusées.

Je sais que vous en avez déjà parlé, mais je ne me suis pas fait une idée précise de ce qu’il en est. Quel est le recours du gouvernement si Google et Meta décident de ne plus diffuser le contenu de nouvelles? Cela nuirait bien souvent aux petits joueurs sur le terrain.

M. Rodriguez : Cela leur nuirait, absolument. Ce serait également mauvais pour les plateformes compte tenu de la perte de revenus. Pour protéger leur réputation, je ne pense pas que ce serait la meilleure décision. Il est important qu’elles agissent comme de bons citoyens, et elles font beaucoup d’argent de cette façon.

Une fois de plus, il revient au gouvernement d’examiner toutes les options liées à la publicité, à la mise en place de nouveaux programmes et à l’augmentation du financement d’autres programmes.

Je ne suis pas nécessairement à l’aise de répondre à ce genre de questions en ce moment, car ce n’est qu’une menace pour l’instant. Vont-elles le faire ou non? C’est une menace, et je ne peux pas prendre de décisions qui s’appuient sur des menaces. Je ne l’ai jamais fait et je ne le ferai jamais.

Le sénateur Harder : Merci beaucoup, monsieur le ministre. Sénatrice Clement, je ne vais pas utiliser tout le temps à ma disposition pour que vous en ayez aussi.

Monsieur le ministre, lorsque les Australiens étaient ici, ils ont décrit ce qu’ils estimaient être des améliorations à leur programme, notamment en ce qui a trait à la transparence. Je pense qu’il vaut la peine de rappeler aux personnes présentes que ce processus renforce la transparence tout en protégeant la confidentialité contractuelle de la négociation, et que ce n’est pas une transparence qui appartient au gouvernement; c’est la transparence que le gouvernement établit.

Je me demande si vous pouvez parler de la transparence.

M. Rodriguez : Absolument. Tout d’abord, merci beaucoup, sénateur, de tous les efforts que vous avez consacrés au projet de loi.

Le sénateur Harder : Nous allons voir ce que vous allez dire la semaine prochaine.

M. Rodriguez : Je vous remercie beaucoup pour l’instant. Peu importe ce qui arrive, un grand merci.

La transparence est probablement ce qui distingue le plus notre version — la version canadienne — de la version australienne, et c’est une chose extrêmement importante pour le premier ministre. Je ne peux pas donner de détails sur des discussions secrètes, mais je peux vous dire que je n’allais pas sortir de la pièce tant qu’il n’y avait pas en place un mécanisme pour assurer la transparence. Pour lui, c’est essentiel. Et c’est prévu de bien des façons.

Par exemple, en Australie, vous pouvez avoir un ministre qui décide de la plateforme utilisée dans le processus. Ici, non. D’après une série de critères, c’est inclus ou non.

Une fois de plus, j’ai parlé des médias qui auraient le droit de négocier. Ce n’est pas ma décision ni celle du gouvernement. Les critères sont en place, et lorsque les médias les remplissent, ils sont inclus, et ils peuvent négocier. Dans la négative, ils ne peuvent pas négocier. C’est aussi simple que cela.

Je répète que je n’interviens pas. Je ne veux pas intervenir. Faites-moi confiance : la liberté de presse est importante pour moi au point d’avoir été la principale considération à chaque étape du processus, à chaque instant que nous avons consacré au projet de loi. Que pouvons-nous faire pour que cela se fasse autant que possible de manière indépendante?

La seule chose que nous faisons dans ce projet de loi, c’est mettre une table au centre. Les géants de la technologie prennent place d’un côté et les médias de l’autre, et le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, ou CRTC, qui est indépendant, joue un rôle mineur. Et c’est tout. Le gouvernement ne joue aucun rôle.

C’est la raison pour laquelle le processus est transparent et, à la fin, mesdames et messieurs les sénateurs, la raison pour laquelle il est continu. De toute évidence, une surveillance est exercée pour s’assurer que le projet de loi et les ententes sont respectés. Au bout du compte, un auditeur présente un rapport sur tout ce qui s’est fait et tout ce qui se fait.

Quand on regarde le processus, on constate qu’il serait difficile de le rendre plus transparent, pour être honnête, et c’est exactement ce que nous voulions.

Le sénateur Harder : Merci. Je cède la parole à la sénatrice Clement.

Le président : Je vais imposer au ministre encore deux ou trois minutes.

[Français]

La sénatrice Clement : Je suis contente de vous voir parmi nous. Monsieur Ripley, cela faisait bien longtemps que je ne vous avais pas vu. Madame Mondou, je vous ai vue au Comité des langues officielles lundi soir. Monsieur le ministre, ma question concerne les médias autochtones et le fait que ce projet de loi inclut les récits autochtones comme étant du contenu de nouvelles. En tant que sénatrice, alliée et Canadienne, je suis très intéressée par la question de la réconciliation et j’aimerais savoir quel processus vous a amené à inclure les récits autochtones comme du contenu de nouvelles.

M. Rodriguez : La volonté de réconciliation, les consultations qu’on a tenues avec des dirigeants autochtones... Vous savez, c’est la deuxième fois que je suis ministre du Patrimoine et la première fois, la chose dont j’ai été le plus fier, c’est mon projet de loi sur les langues autochtones. Dans cette démarche, j’ai découvert tout un monde pour lequel j’ai le plus grand respect : la volonté et la résilience des peuples autochtones, non seulement de survivre, mais de se développer et de s’épanouir dans leur propre langue. Pour cela, il leur faut des médias dans leur langue.

Au début, je disais toujours qu’on présenterait un projet de loi sur les langues autochtones. Je ne veux pas seulement que les gens donnent des cours. Je veux plus de musique, de cinéma, de télévision, de radio et de contenu journalistique autochtones. C’est alors que nous aurons alors atteint notre objectif — si on peut y arriver. C’est pourquoi il y a un rôle prépondérant à jouer pour les médias autochtones.

La sénatrice Clement : Merci.

[Traduction]

Le président : Merci, chers collègues.

Pour terminer, je veux faire une observation à propos de ce que le ministre a dit lorsque je lui ai demandé de parler brièvement du coût total de 140 millions de dollars déboursés pour les publicités du gouvernement l’année dernière. La publicité imprimée traditionnelle n’a coûté que 6,5 millions de dollars et la publicité écrite pour les communautés ethniques, 1,6 million, tandis que le gouvernement a dépensé 11 millions de dollars sur Facebook et Instagram seulement.

Je pense que nous nous entendons tous, monsieur le ministre, sur l’objectif du projet de loi. Nous voulons un appui pour avoir des médias locaux et une presse écrite diversifiés, et nous voulons soutenir notre démocratie. J’ai des réserves à propos du projet de loi, mais j’espère que les objectifs seront atteints.

M. Rodriguez : Merci. Moi aussi.

Le président : Croisons-nous les doigts. Cependant, le gouvernement doit également, parfois, faire preuve de cohérence par rapport à certaines de ces choses.

M. Rodriguez : Nous allons le faire ensemble, sénateur. Nous allons travailler ensemble.

Le président : Absolument.

[Français]

Merci beaucoup pour votre présence, monsieur le ministre. Madame Mondou, monsieur Ripley, vous êtes toujours les bienvenus.

(La séance est levée.)

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